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Anthropologie & développement

53 | 2022
Récits et matérialités de l’aide : le développement au
prisme des mémoires

La success-story de la lutte contre la déforestation


et la dégradation des forêts en république
démocratique du Congo
Camille Reyniers

Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/anthropodev/1870
DOI : 10.4000/anthropodev.1870
ISSN : 2553-1719

Éditeur
Presses universitaires de Louvain

Édition imprimée
Date de publication : 25 octobre 2022
Pagination : 213-229
ISBN : 978-2-39061-270-4
ISSN : 2276-2019

Référence électronique
Camille Reyniers, « La success-story de la lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en
république démocratique du Congo », Anthropologie & développement [En ligne], 53 | 2022, mis en ligne
le 25 avril 2023, consulté le 26 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/anthropodev/1870 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/anthropodev.1870

Creative Commons - Attribution 4.0 International - CC BY 4.0


https://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
La success-story de la lutte contre
la déforestation et la dégradation des forêts
en république démocratique du Congo

Camille Reyniers*

La politique de lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts (REDD+) a connu


un fort succès en république démocratique du Congo. Elle est le fruit d’une interprétation
positive et commune des interventions par une communauté professionnelle composée
d’agences multilatérales et de ses partenaires gouvernementaux. Cette interprétation
positive s’est diffusée sous la forme d’une formule discursive particulière, « le bon élève de
la REDD+ ». Sur la base d’une analyse du discours institutionnel et de recherches de terrain,
cet article cherche premièrement à comprendre comment ce discours de réussite a vu le jour
et s’est diffusé jusqu’à créer un consensus partagé par tous. En deuxième lieu, il investigue
la manière dont le discours du succès a été exploité par les différents partenaires avec des
significations nouvelles. En utilisant le discours du succès comme support pour comprendre
les rapports de pouvoir entre les agences multilatérales et le gouvernement congolais dans
la construction de la politique REDD+, il dresse le portrait de relations d’interdépendance à
travers lesquelles ces acteurs défendent respectivement leurs positions stratégiques sur la
gestion et la conservation des forêts tropicales.

The policy to combat deforestation and forest degradation (REDD+) has enjoyed great
success in the Democratic Republic of Congo. It is the result of a positive and shared
interpretation of interventions by a professional community composed of multilateral
agencies and their government partners. This positive interpretation has been spread in the
form of a particular discursive formula: “the good student of REDD+”. Based on an
institutional discourse analysis and field research, this article first seeks to understand how
this successful discourse emerged and spread to create a consensus shared by all. Secondly,
it explores how the discourse of the success was exploited by the different partners with new
meanings. Using the discourse of the success as a support for understanding the power
relations between multilateral agencies and the Congolese government in the construction
of the REDD+ policy, this article portrays the interdependent relationships through which
these actors defend their strategic positions on the management and conservation of
tropical forests.

* Centre d’anthropologie culturelle, Université libre de Bruxelles ; [email protected]


214 Anthropologie & développement n° 53

Introduction
La politique de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des
forêts (REDD+) en république démocratique du Congo (RDC) fait l’objet d’une success-story.
Comme beaucoup de pays forestiers tropicaux, la RDC s’est engagée dans la lutte contre la
déforestation à la fin des années 2000, lors de la création des fonds et programmes multi-
latéraux spécifiques (Forest Carbon Partnership Facility de la Banque mondiale, programme
REDD des Nations unies). Ces fonds – dits de préparation – sont dédiés à soutenir les pays
tropicaux dans la mise en place du cadre législatif et institutionnel leur permettant de rece-
voir à terme des compensations financières pour des actions diminuant le taux de la
déforestation (Karsenty et Fournier, 2008 ; Ongolo et Karsenty, 2011 ; Karsenty et Ongolo,
2012). Dès 2009, un discours émanant des professionnels de la REDD+ en RDC affirmait le
leadership de la RDC : elle serait « le bon élève de la REDD+ ». Si rien n’est plus politique
que l’acte de désigner (Chetouani et Tournier, 1994), ce discours jouera un rôle important
dans la construction de la lutte contre la déforestation dans le pays.
Comme dans tous les programmes de développement, REDD+ implique des interventions
dans lesquelles interagissent des représentants d’institutions nationales et multilatérales,
dont les intérêts divergents et s’imbriquent, positionnant ces institutions et/ou les diffé-
rents services qui les composent dans des relations de pouvoir diverses et fluctuantes dans
le temps. Celles-ci peuvent prendre la forme de la concurrence (Moshonas, 2020), de la
double allégance (Diallo, 2014 et 2015), de la négociation (Englebert et Tull, 2013), de la
coercition (Arditi, 2011 ; Siméant-Germanos, 2019 ; Blanc, 2020), de la ruse (Ongolo et
Karsenty, 2015 ; Ongolo, 2015) ou de l’extraversion (Bayart, 1999). La lutte contre la
déforestation est aussi largement imbriquée dans les pratiques de ce que Marc Abélès
(2011) définit comme une scène du « global-politique » où le rôle central joué par les
experts internationaux dans la production et la mise en circulation de normes et de
concepts est invisibilisé, alors que ceux-ci tendent ensuite à être imposés progressivement
aux niveaux nationaux et locaux.
Les success-stories, qui sont des représentations courantes dans les projets de dévelop-
pement (Blaikie, 2006 ; Mosse, 2006 et 2013) et de conservation de la nature (Büscher,
2014 ; Foyer et al., 2017 ; Gautier et al., 2013), effaceraient les contradictions et invisibili-
seraient les rapports de pouvoir induits par les interventions. En effet, il a été démontré que
le succès est plutôt produit par une mobilisation d’acteurs professionnels autour d’un mo-
dèle de développement (Blaikie, 2006 ; Mosse, 2006) que par des résultats concrets
provenant des interventions. De ce point de vue, la communauté interprétative (Mosse,
2006) est principalement envisagée comme un ensemble consensuel dans lequel l’unicité
des points de vue conditionne le succès des interprétations. Si la construction (Blaikie, 2006)
et la circulation (West, 2010 ; Büscher, 2014) de ces interprétations positives ont été bien
documentées, la façon dont les différentes catégories d’acteurs constituant la communauté
interprétative négocient leurs positions à l’intérieur d’un apparent consensus de réussite
reste moins connue.
La lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en RDC 215

La séquence plus ou moins figée du « bon élève » ou du « bon exemple » qui circule dans
les discours des différents acteurs de la politique, générant polémiques et interprétations
diverses, invite au minimum les professionnels du développement et de l’environnement à
se positionner par rapport à elle. « Le bon élève de la REDD+ » revêt alors les principales
caractéristiques de la formule au sens d’Alice Krieg-Planque (2009 : 7), qui correspond à
« un ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un
espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions con-
tribuent dans le même temps à construire ». La circulation de cette formule à travers les
discours de la communauté professionnelle lui confère à la fois une dimension polysémique
et agissante, entraînant un processus d’acceptabilité pour les récitants qui s’en font le relais
(Krieg-Planque, 2009). Ceci n’empêche pas que les interprétations de la formule puissent
différer en fonction des locuteurs qui la relaient.
Cet article cherche à comprendre comment la formule du « bon élève » s’est construite
et imposée au sein des discours d’une communauté professionnelle composée d’acteurs en
proie à des antagonismes et des divergences, et quels en ont été les effets. Pour cela, il
analyse les données récoltées lors de plusieurs séjours de recherche entre 2014 et 2018
dans les institutions nationales et internationales en charge du développement de la
REDD+1 ainsi que des matériaux secondaires émanant de rapports ou d’articles de presse.
L’étude combine l’approche méthodologique de l’analyse des discours institutionnels de
Krieg-Planque (2009) et les apports de l’anthropologie du développement et de l’anthropo-
logie politique africaniste. Pour ce faire, nous replaçons la production discursive des succès
dans une discussion théorique plus large sur la production de l’action publique et de la con-
servation de la nature en Afrique centrale. Puis, nous décrivons plus spécifiquement la
genèse et la circulation de la séquence du « bon élève », son passage au statut de formule
et son caractère de référent social. Ensuite, nous démontrons comment le caractère poly-
sémique de la formule favorise le processus d’acceptabilité. Et enfin, nous discutons des
rapports de force en marge de l’apparent consensus, tandis que la conclusion revient sur
les effets de l’utilisation de la formule sur la communauté professionnelle qui l’emploie.

Production discursive du succès et rapports de pouvoir dans les politiques


environnementales en Afrique
Les success-stories sont communément décrites comme une interprétation politique dé-
coulant de la capacité d’un projet à maintenir la mobilisation autour de lui. Le succès est
envisagé comme une construction sociale, opérée à partir du jugement politique d’une
large sphère professionnelle définie par David Mosse (2006) comme la communauté inter-
prétative. Bram Büscher (2014) souligne aussi le rôle de cette communauté professionnelle
étendue, qu’il nomme la communauté épistémique. Dans son étude de cas sur un projet de
paiements pour services environnementaux au Costa Rica, il démontre comment le succès
a été construit sur une suite d’interprétations positives, réalisées par des consultants et

1Plusieurs séjours ethnographiques de longue et de courte durée ont été réalisés en RDC entre 2014 et
2018, pour une durée combinée de 12 mois de présence dans les institutions, dont un séjour de six mois au
sein de la Cellule nationale de la coordination REDD+ (CN-REDD).
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diffusées auprès de bailleurs de fonds, de scientifiques et de politiciens. Ces interprétations


positives de la valeur des interventions peuvent être définies comme des commodités
(West, 2010) : leur circulation représente une stratégie pour augmenter les chances de l’in-
tervention de devenir un produit de valeur au sein du marché concurrentiel de la
conservation et du développement (Büscher, 2014).
Les notions de communauté interprétative et de communauté épistémique illustrent la
construction et la circulation des interprétations positives des interventions de développe-
ment, inspirées par une sociologie de la traduction (Akrich et al., 2006). Elles démontrent
l’importance du travail d’interprétation des experts pour la construction d’une « histoire
acceptable » (Mosse, 2006) qui permet de minimiser les contradictions et les différences
afin de maintenir la valeur, les relations et les flux financiers. Cette dynamique est particu-
lièrement visible dans l’étude de cas sur la REDD+ en Tanzanie, qui démontre comment les
contradictions sont lissées afin de maintenir un marketing de la réussite du projet et la cer-
titude des bailleurs de fonds à investir dans le processus REDD+ (Svarstad et Benjaminsen,
2017). L’accent est mis sur la fabrique du consensus, sur le processus de problématisation
afin de rencontrer l’intérêt du plus grand nombre.
Jean Foyer et al. (2017) ont aussi souligné le rôle de la communauté professionnelle dans
la crédibilisation des promesses des politiques environnementales globales, liées aux ap-
ports du marché pour le financement de la protection de la biodiversité. L’engouement crée
un point de non-retour, à partir duquel le nouveau mode d’intervention est érigé en nou-
veau modèle de développement (Foyer et al., 2017). L’initiative REDD+ est devenue le
nouveau point de passage obligatoire pour accéder aux financements internationaux sur les
forêts (McAfee, 2014). Le courant de l’écologie politique la considère comme l’aboutisse-
ment de l’intégration des logiques de marché dans les politiques environnementales
(Fletcher et al., 2016). Cette néolibéralisation de l’action publique entraînerait une reconfi-
guration du rôle des États (Peluso, 2007 ; Schroeder, 2010) et une de perte de souveraineté
nationale (Brockington et al., 2008). La traduction des concepts de la REDD+ émanant du
global-politique (Abélès, 2011) au sein des arènes politiques de la RDC laissent apparaître
des situations plus nuancées.
La RDC est le deuxième plus grand pays forestier tropical. Elle est aussi le principal acteur
de la REDD+ dans la sous-région. Néanmoins, il existe peu de recherches sur son application
dans le Bassin congolais. Elles ont souligné le caractère expérimental du processus (Ehrens-
tein, 2013), les défis structurels de son application (Karsenty et Fournier, 2008 ; Seyller
et al., 2016 ; Karsenty, 2020), ainsi que la nécessité de mieux comprendre les dynamiques
et les vecteurs de déforestation locaux (Reyniers, 2019 ; Moonen et al., 2016 ; Windey,
2020). Alors que ce nouveau paradigme d’intervention se généralise, le manque de re-
cherche pour mieux comprendre son influence sur la construction de l’action publique dans
la conservation des forêts tropicales est réel.
La dimension exogène des interventions liées à la REDD+ est particulièrement visible en
RDC, où les fonds restent sous le contrôle accru de la communauté internationale (Tsayem
Demaze et al., 2015 ; Trefon, 2017). La spécificité du processus en RDC laisse aussi appa-
raître les intérêts divergents des deux grandes agences multilatérales investies (la Banque
La lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en RDC 217

mondiale et l’ONU) et leurs stratégies afin de crédibiliser leurs actions, notamment à travers
le discours du succès. Face à cette influence grandissante des acteurs extérieurs dans la
politique forestière, se posent les questions de l’agency et de l’extraversion dans les rela-
tions qu’entretiennent les représentants de l’État avec les agences bilatérales et
multilatérales. La première notion définit la capacité à agir et à changer les structures
(Brown et Harman, 2013), tandis que la seconde désigne la façon dont les élites africaines
utilisent à leur avantage la connexion au système international, y compris en maintenant
un rapport inégal (Bayart, 1999). Quel est le rôle joué par chacun des partenaires de la com-
munauté interprétative de la REDD+ en RDC ? Comment s’est construite cette formule du
« bon élève » et quel a été son rôle dans le processus d’acceptabilité des acteurs qui la re-
laient ?

Genèse et construction de la formule du « bon élève de la REDD+ » : de la


séquence au référent social
Dès 2009, un discours relatant le succès de la politique de lutte contre la déforestation a
activement circulé dans une communauté interprétative composée des acteurs et analystes
des politiques environnementales et forestières. Ce discours de succès revient principale-
ment sous la forme d’une séquence, c’est-à-dire une suite de mots formant une unité
textuelle, « le bon élève de la REDD+ ». Cette séquence est dominante à l’oral, mais connaît
aussi des variantes, notamment dans les discours écrits, telles que « le leader » ou « le bon
exemple de la REDD+ ». Le terme du « bon élève » peut être considéré comme une formule
au sens de Krieg-Planque (2009), puisque, comme nous allons le voir, il en revêt les princi-
paux caractères : caractère figé, caractère discursif, caractère de référent social, caractère
polémique.
Le « bon élève » est une séquence qui se maintient dans une « forme signifiante relative-
ment stable » tout au long de son parcours, devenant ainsi une formule identifiable, reliant
la communauté professionnelle qui l’a produite et la diffuse (Krieg-Planque, 2009 : 63).
L’usage particulier de la séquence révèle son caractère discursif ; le « bon élève » devient
« un enjeu, il est repéré et commenté » (Krieg-Planque, 2009 : 85). Il agit comme un « réfé-
rent social », c’est-à-dire qu’il est connu de tous et qu’on ne peut plus parler de politique
forestière et climatique sans le mentionner, même si c’est pour en critiquer l’approche ou
les résultats (Krieg-Planque, 2009 : 101). La genèse et la construction de la formule sont
retracées à travers sa circulation au sein de la communauté interprétative. Elle démontre
que les polémiques autour de ce succès contribuent à maintenir le pouvoir agissant du dis-
cours et propagent plutôt l’interprétation positive que la remise en cause de ses
fondements.
Je suis arrivée en 2014 dans les bureaux de la Cellule nationale de la coordination REDD+
(CN-REDD) de la RDC pour un stage de recherche de six mois. J’avais négocié cette présence
lors de voyages préalables avec le conseiller technique de la CN-REDD, un jeune ingénieur
français engagé par le Forest Carbon Partnership Facility (FCPF) pour coordonner les tra-
vaux. Les bureaux haut-standing de cette cellule du ministère de l’Environnement, de la
Conservation de la Nature et du Tourisme (MECNT) se trouvent dans une concession
218 Anthropologie & développement n° 53

moderne et occupée par plusieurs agences internationales. Ils sont climatisés et épurés,
peints et carrelés de blanc et aménagés avec un mobilier léger. L’ensemble présente un
style sensiblement opposé aux bureaux surchargés du ministère de l’Environnement que
j’avais déjà visités. Seuls la photo du président et le drapeau national permettaient d’assu-
rer au visiteur qu’il entrait dans une administration nationale. Cet environnement fut le
siège d’un discours de succès qui dépassa son enceinte et se trouva diffusé au sein d’une
communauté professionnelle élargie à travers des supports variés.
Les premières apparitions de la séquence du « bon élève » se retrouvent dès les prémices
de la mise en place de la politique dans le pays, dans les rapports du programme ONU-REDD.
Ce programme est la première intervention internationale qui soutient la « phase de pré-
paration de la REDD+2 » qui débouchera notamment sur la mise en place de la CN-REDD. Le
programme ONU-REDD publie en 2009 un rapport nommé « Participation de la société civile
au processus REDD : le bon exemple de la république démocratique du Congo », dans lequel
il valorise la dimension participative de la construction de la lutte contre la déforestation.
Les acteurs non gouvernementaux en charge des questions liées à la forêt dans la région se
positionnent rapidement par rapport à cette idée ; comme en atteste un article du Forest
Peoples Programme de mars 2010, « Consultation with indigenous peoples and others af-
fected by REDD initiatives in the DRC: An example of best practice ? ». Alors que ce dernier
souligne que de nombreuses communautés restent exclues et non informées sur ce que
REDD+ planifie pour leurs forêts, le succès n’est pas remis en question. La séquence entame
même son processus de circulation, visible dans son utilisation accrue par la sphère profes-
sionnelle.
La dissémination du succès dans les discours se poursuit en même temps qu’augmente le
nombre d’experts nationaux et internationaux engagés pour travailler sur le sujet. En no-
vembre 2012, on retrouve « le bon élève » dans un article de la newsletter de l’ONU-REDD,
intitulé « New UN-REDD Success Story: DRC’s Safeguard Standards ». L’article est accompa-
gné d’un rapport spécial, « Success Story: DRC: Including Stakeholders Integration in the
REDD+ Social and Environmental Safeguards », détaillant les succès de la définition de ces
sauvegardes. Mais ce qui représente réellement l’accomplissement de la mission de l’ONU-
REDD dans le pays, c’est la publication de la stratégie-cadre nationale REDD+ (MECNT,
2012). Son accouchement difficile a cristallisé des tensions entre experts nationaux et inter-
nationaux et acté la fin d’une collaboration de quatre ans entre l’ONU-REDD et la CN-REDD.
Mais l’engouement de la sphère internationale pour le bon élève de la REDD+ ne faiblit
pas et se concrétise par une multiplication des fonds, dont l’engagement du FCPF dans le
pays. La CN-REDD bénéficie des fonds du FCPF pour la période 2013-2017 et son travail se
recentre sur le développement d’un programme de réduction des émissions dans la pro-
vince de Mai Ndombe. Celui-ci est conçu pour générer des réductions d’émissions liées à la
déforestation et à la dégradation des forêts, telles qu’elles sont encadrées par les décisions

2Les trois phases de la REDD+ ont été décrites par le Meridien Institute comme la phase de préparation,
d’investissement et de paiements sur résultats (Angelsen et al., 2009).
La lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en RDC 219

de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC)3. La


Banque mondiale s’engage à acquérir une partie de ces réductions d’émissions sous la
forme de crédits carbone, mais espère aussi que des crédits supplémentaires pourront être
échangés sur les marchés du carbone.
En juin 2013, un rapport sur les lignes directrices du FCPF déclare que la RDC est le premier
pays à atteindre le middle-level de la phase de préparation (FCPF, 2013). Quelques mois plus
tard, le ministre de l’Environnement défend les accomplissements réalisés par la RDC et
déclare, lors de l’ouverture de la troisième université d’été sur la REDD+, que « le pays jouit
d’une position de leader en Afrique dans le cadre de la mise en œuvre de ce processus,
position qui doit être maintenue et renforcée ». La formule du « bon élève de la REDD+ »
commence à se figer dans les discours, elle agit comme référent social car plus aucun acteur
de la communauté interprétative n’ignore son existence et sa signification. Les experts na-
tionaux et internationaux mentionnent d’ailleurs systématiquement sa réussite lors de leurs
déplacements ou ateliers nationaux ou internationaux.
À côté de cela, le contre-discours qui se développe au sein des ONG nationales ou inter-
nationales4 et de la sphère scientifique5 est de plus en plus critique par rapport à la formule
du bon élève. Les critiques à Kinshasa et dans le pays soulignent principalement le manque
de retombées concrètes de la politique ; comme un professeur congolais que j’interroge sur
le campus de l’Université de Kinshasa en février 2013 et qui déclare que « la REDD+ n’est
pas sortie des bureaux climatisés de Kinshasa ». Les voix dissidentes restent cependant can-
tonnées à des sphères spécifiques, telles que les discussions privées et les instituts de
recherche scientifique, empêchant de ce fait de les faire remonter au niveau des discours
publics. Le fait que le « bon élève » crée une polémique renforce le pouvoir agissant de la
formule et entraîne l’ensemble des professionnels des politiques forestières vers la REDD+,
qui devient un point de passage obligatoire (Foyer et al., 2017).
En 2015, le pays a progressé en phase 2 – phase d’investissement – et a confirmé son
statut de leader du bassin du Congo. La phase d’investissement représente la possibilité
pour le pays de recevoir des fonds pour le développement d’activités REDD+ à l’échelle des
provinces (programmes juridictionnels du FCPF). La nouvelle est relayée dans les médias,
agents de circulation des formules (Krieg-Planque, 2009) et témoins de leur pouvoir discur-
sif. Un article relatif à la validation de la phase de préparation titre : « La RDC reconnue
comme premier pays pilote FCPF (Banque mondiale) à avoir finalisé sa phase de préparation
au processus REDD+ »6. Pour propager le succès, la Banque mondiale encourage les voyages
des officiels congolais pour assister aux réunions de la CCNUCC et d’autres évènements en
lien avec le carbone forestier.

3 Les décisions de la CCNUCC encadrant la REDD+ sont connues sous le nom de Warsaw Framework for
REDD-Plus (Decision 9-16/CP.19, UNFCCC, 2013).
4 Sur les critiques du processus REDD+ en RDC par les ONG, voir par exemple Assembe Mvondo (2015).
5 Sur les critiques scientifiques du processus REDD+ en RDC, voir par exemple Karsenty et Ongolo (2012).
6 Voir : http://www.eventsrdc.com/la-rdc-reconnue-comme-premier-pays-pilote-fcpf-banque-mondiale-a-

avoir-finalise-sa-phase-de-preparation-au-processus-redd/ (consulté en juin 2021).


220 Anthropologie & développement n° 53

L’atelier de lancement du premier programme juridictionnel de réduction des émissions


de Mai Ndombe à Bandundu-ville, début 2015, valide l’existence de la séquence en tant que
formule, dont la signification est acceptée par tous. Celui-ci regroupe le réseau des per-
sonnes concernées par ce large programme : bailleurs de fonds, partenaires techniques et
financiers, équipe nationale, représentants des ministères sectoriels concernés, société ci-
vile, représentants des communautés locales et des peuples autochtones. La représentante
du FCPF félicite chaudement la RDC pour les progrès accomplis : « La RDC est le bon élève
de la REDD+… » Le lancement de ce programme juridictionnel ne pouvait que confirmer
cette position de vedette. D’ailleurs, l’ONU décuple les possibilités en mettant sur pied la
même année la Central African Forest Initiative (CAFI), créditée de 200 millions de dollars
et destinée à l’implémentation des stratégies REDD+ dans les pays d’Afrique centrale7.
Cette consécration de la REDD+ en tant que réussite via le caractère agissant de la formule
du « bon élève » invite à analyser plus en détail les différents signifiants par lesquels les
acteurs investissent la formule. Les interprétations du « bon élève » se ressemblent, dans
le sens où elles sont majoritairement construites sur des indicateurs liés au modèle d’inter-
vention (la participation, le cadre institutionnel pour produire des crédits carbone),
rejoignant les observations de Mosse (2006) sur la construction du succès dans le monde
du développement. Pourtant, les avis et les sens par lesquels « le bon élève » est investi
divergent, en fonction des locuteurs qui le relaient. La séquence présente donc aussi un
caractère polysémique (Krieg-Planque, 2009). Le prochain point investigue cette dimension
tout en tentant de mettre en lumière les contradictions et les relations de pouvoir derrière
l’apparent consensus de la réussite.

Polysémie et processus d’acceptabilité


Alors que la communauté interprétative s’accorde pour faire de la RDC « le bon élève »
de la REDD+, la polysémie du terme lui permet d’accueillir différentes définitions du succès
et de mobiliser un large réseau d’acteurs. Ce dernier l’utilise et la diffuse, et participe à
l’accomplissement du processus d’acceptabilité. Ce processus « sonne la consécration [de
la formule] comme enjeu politique : c’est lui qui donne aux mots un de leurs pouvoirs les
plus stupéfiants – agir » (Krieg-Planque, 2009 : 46). Les multiples interprétations du succès
ne semblent pas affaiblir l’argument central, bien au contraire. Elles créent une figure que
chacun des acteurs en interaction peut se réapproprier, l’investissant d’un sens nouveau
sans pour autant remettre le succès en question. Les diverses représentations du « bon
élève » permettent aussi d’investiguer comment ces acteurs se positionnent, s’opposent,
renforcent leurs positions ou leurs intérêts et justifient leurs actions dans l’arène créée par
REDD+ en RDC.
Dans les discours du programme ONU-REDD, la participation de la société civile est pré-
sentée comme la clé de la mise en place d’une politique inclusive, qui répond aux besoins
des populations locales. L’interprétation conventionnelle de la participation dans le monde

7 Voir : https://climatefundsupdate.org/the-funds/central-african-forest-initiative-cafi/ (consulté en juin


2021).
La lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en RDC 221

du développement est définie comme la façon de mettre les populations au centre du dé-
veloppement en encourageant l’implication des bénéficiaires dans les interventions qui les
affectent (Cooke et Kothari, 2001). Le discours contient cependant un glissement séman-
tique, qui transforme la participation des populations concernées en participation de la
société civile environnementale. Cette société civile environnementale est présentée
comme le garant des retombées sociales et environnementales pour les populations fores-
tières du pays, ignorant de fait les risques de la transposition d’un concept occidental dans
le contexte africain (Hearn, 2001) et les nombreuses analyses soulignant les problèmes de
légitimité et de représentativité de cette transposition (Boukoulou, 2003).
La dimension participative promue par l’ONU-REDD a ouvert « un marché des consul-
tances » pour les représentants de la société civile. Les débouchés professionnels qu’offre
la participation de la société civile engendrent un intérêt croissant d’individus et d’associa-
tions de la RDC pour prendre part à la construction de la REDD+. Ceux-ci sont impliqués en
tant que traducteurs, enquêteurs ou experts nationaux et locaux. Les plus chanceux sont
invités par les Nations unies ou la Banque mondiale à Washington, Bruxelles, Paris ou Ge-
nève, pour participer à des réunions en tant que représentants des communautés
forestières et des peuples indigènes. Un groupe de travail Climat REDD (GTCR) est mis sur
pied pour faciliter les processus de consultation.
En 2009, il est composé par trois associations environnementales de la RDC. En 2015, la
REDD+ est devenue un référent social et chaque association veut en faire partie. Il en résulte
une expansion du groupe qui compte alors plus de 300 associations locales et nationales
(Rainforest Foundation Norway, 2015), et se trouve en proie à des difficultés pour organiser
une position stratégique et répartir les fonds. Les multiples luttes de pouvoir au sein du
groupe entraînent polarisations, résignations, séparations, réunifications et restructura-
tions8. Même les oppositions internes du groupe ne peuvent plus ralentir ou contrecarrer
le processus d’acceptabilité qui est à l’œuvre. La réussite du modèle de gouvernance parti-
cipative mené par l’ONU est acceptée par tous, tant son succès légitime à la fois
l’intervention au sens large et la position de cette « société civile environnementale ».
La performance de la RDC dans la mise en place des instruments et organes de la politique
a permis au FCPF de réinvestir la formule du bon élève construite par les Nations unies avec
une signification nouvelle. Le succès est ici lié à l’habileté du pays à développer le cadre
technico-institutionnel tel que défini par le FCPF qui lui assure un accès au marché du car-
bone. Il s’agit de créer des organes exécutifs pour gérer le processus et de développer des
outils technologiques pour le suivi des forêts ; mais surtout de suivre les recommandations
du FCPF pour quantifier, gérer et échanger des réductions d’émissions liées à la déforesta-
tion et la dégradation des forêts. L’engouement autour de la finalisation de la phase de
préparation n’est pas anodin. Il signifie la possibilité d’entrer dans « la deuxième phase
d’implémentation de la REDD+ : la phase d’investissements ». Celle-ci est caractérisée par
des paiements pour des programmes de réductions d’émissions dans des pays qui ont fait

8Le GTCR fut séparé en deux après des dissensions entre deux ONG congolaises environnementales en
2010. Le PNUD et la Rainforest Foundation Norway ont soutenu un travail de restructuration en 2013, qui a
donné naissance en 2015 à un GTCR réunifié.
222 Anthropologie & développement n° 53

des progrès considérables dans la préparation de la REDD+9. La RDC sera le premier pays au
monde à bénéficier du support du fonds carbone du FCPF pour ce type de programme.
Cette transition vers la phase d’implémentation représente aussi un tournant dans la po-
litique, caractérisé par l’abandon progressif des petits projets au bénéfice de programmes
à l’échelle régionale. Lors de la phase de préparation, plusieurs projets pilotes disséminés
dans le pays devaient appuyer la construction de la stratégie nationale. Ils n’ont cependant
donné que peu de résultats et la stratégie nationale fut rédigée sans avoir pu tirer profit de
ces expériences de terrain. Les acteurs nationaux qui étaient les principaux porteurs de ces
projets ont perdu graduellement leur légitimité à implanter des activités de réduction de la
déforestation, tandis que l’influence des acteurs internationaux se renforçait, au sein de la
cellule nationale REDD+ et en tant que porteurs et concepteurs des programmes régionaux.
Ce « bon élève » promeut la vision de la Banque mondiale dans la réduction de la défo-
restation, pour laquelle les activités sont comptabilisées en tonnes de carbone non émises
avec une logique d’échange de ces réductions d’émissions sur des marchés internationaux.
Cette approche basée sur le marché carbone ne fait pas l’unanimité sur la scène internatio-
nale. Les fonds de l’ONU (ONU-REDD et CAFI) ne la retiennent pas, estimant que
l’incertitude des prix du carbone sur les marchés et les risques de ne pas pouvoir agir sur les
moteurs de la déforestation sont trop grands dans le pays. En 2016, lors du lancement du
programme de Mai Ndombe, le prix d’achat des tonnes de carbone est au plus bas et les
crédits REDD+ s’échangent difficilement sur les marchés volontaires du carbone. Les dis-
cours du succès sont d’autant plus importants pour la Banque mondiale, qui continue à
promouvoir cette approche dans la REDD+, optant pour une croyance dans la redynamisa-
tion des marchés environnementaux ainsi que dans leur capacité à absorber les crédits
REDD+ et à assurer un flux financier pour la conservation des forêts.
À première vue, les représentants officiels de l’État congolais n’ont pas investi d’un sens
nouveau la formule du « bon élève », ils se seraient plutôt contentés de répéter les argu-
ments des deux principales agences finançant programmes et institutions REDD+ dans le
pays. La CN-REDD ayant toujours été une cellule financée par les agences internationales, il
est sans aucun doute difficile pour ses experts de prendre une position autre que celle dé-
fendue par le bailleur. Certains fonctionnaires du MECNT critiquaient en privé les relations
entre experts nationaux et internationaux : « Les problèmes sont liés aux conseillers tech-
niques, ils parlent mal de certains agents, dont le coordinateur de la CN-REDD, et entraînent
des processus de diabolisation » (interview menée le 28 janvier 2015 avec le directeur de la
direction Développement durable, dans les locaux du ministère de l’Environnement)10. En
revanche, les agents de la CN-REDD ont joué un rôle dans le figement de la formule du bon
élève, en entretenant publiquement cette idée sur la scène internationale.

9 Le FCPF est organisé en deux fonds distincts. Le fonds de préparation avec 47 participants et le fonds car-
bone qui est lié à la phase 2, dite d’investissement, et prévoit le soutien de cinq pays.
10 Le directeur fait référence à des tensions extrêmes au sein de la CN-REDD à la fin de la période de soutien

de l’ONU-REDD et qui ont fortement influencé l’entrée du FCPF dans le soutien de la Cellule nationale.
La lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en RDC 223

Certaines observations indiquent que la CN-REDD pourrait avoir joué un rôle de contrôle
sur les discours produits sur la REDD+ et, de ce fait, renforcé la souveraineté du pays en
général sur ce qui peut – ou ne peut pas – être dit. Les données sur l’importance du secteur
informel, par exemple, sont tournées en ridicule lors des réunions, et les représentants de
l’État ne manquent pas d’asseoir leur souveraineté sur la production des données statis-
tiques du secteur. Les chiffres avancés par Sam Lawson (2014), selon lequel le secteur
informel de la coupe du bois représente 200 à 300 % des volumes de bois produits officiel-
lement, n’ont jamais pu être intégrés dans aucun rapport ou document stratégique officiels.
Lors de critiques plus virulentes, comme la publication du rapport sur la corruption dans la
REDD+ (Assembe Mvondo, 2015), les réponses se durcissent, les échanges entre les institu-
tions nationales et les agences multilatérales sur le sujet finissent par engendrer un droit de
réponse officiel du ministère de l’Environnement, qui décrédibilise l’enquête. On ne parlera
plus ni du secteur informel, ni de la corruption. Dans la production discursive de la success-
story, une part importante du rôle des représentants de l’État est de maintenir la figure du
bon élève.

Discussion
La success-story de la REDD+ en RDC s’est construite à partir de la circulation, du figement
et de l’acceptabilité de la formule du « bon élève ». La formule déconnecte visiblement les
critères du succès des analyses tangibles sur l’évolution du taux de déforestation. De même,
les résultats concrets pour les communautés locales sont absents des discours (Gauthier,
2018). La minimisation des critiques externes et le renforcement des modèles de dévelop-
pement en vigueur représentent assez classiquement les principales fonctions du succès. Il
n’en reste pas moins que le pouvoir agissant de la formule est particulièrement remar-
quable lorsqu’il prend place dans un contexte singulier, tel celui de la RDC habituée à la fin
des classements mondiaux11. En effet, l’aide au développement y est décrite comme une
succession d’échecs (Trefon, 2013) et la gestion de l’environnement dépeinte comme un
paradoxe environnemental (Trefon, 2016), où la richesse des ressources naturelles est ac-
caparée par une élite politique et économique.
Ce qui est plus original, c’est la possibilité de mobiliser une recherche ethnographique de
longue durée pour essayer de comprendre comment les positions stratégiques se dessinent
derrière les discours consensuels. Les données laissent apparaître la différence entre les
visions de l’ONU et de la Banque mondiale dans la lutte contre la déforestation. Les deux
acteurs suivent des stratégies d’implémentation de la REDD+ différentes dans les pro-
grammes qu’ils développent dans les provinces forestières de la RDC. L’ONU, à travers les
fonds CAFI, soutient une approche transversale basée sur les politiques habilitantes qu’elle
a identifiées dans la stratégie-cadre (comme l’aménagement du territoire, l’agriculture, la
réforme du foncier) et un investissement de la société civile. La Banque mondiale concentre
ses investissements sur la province de Mai Ndombe, espérant prouver à la communauté

11Comme le classement de l’indice de développement humain où elle est située à la 176 e place sur 188
(PNUD, 2015) ; ou celui du PIB par habitant où elle est 180e sur 188 (FMI, 2015) ; et enfin celui de l’indice de
perception de la corruption où elle occupe la 147e place sur 167.
224 Anthropologie & développement n° 53

internationale le succès de son modèle de développement vert, basé sur le marché et le


secteur privé et caractérisé par une comptabilité carbone et des paiements sur résultats.
Ces deux interprétations peuvent être extrapolées, afin d’approfondir leurs différences.
La valorisation par l’ONU-REDD de la dimension participative du processus, alors même
que l’existence de cette société civile est liée à l’intervention, permet de créer l’illusion d’un
débat contradictoire et de donner une légitimité aux documents produits au sein de la CN-
REDD. René Otayek (2002) a démontré comment le transfert d’une rhétorique de la société
civile sur le continent africain était un moyen pour les professionnels du développement de
promouvoir les acteurs non étatiques comme vecteurs de bonne gouvernance, en opposi-
tion au patronage traditionnel de l’État. Cette analyse reste valable pour notre étude de cas
et le recours des agences multilatérales à des partenaires privilégiés permet de faire passer
leurs critiques auprès de l’État congolais ; cela sans devoir porter les conséquences poli-
tiques potentielles d’une opposition ouverte avec l’État central, comme des blocages
institutionnels ou une rupture diplomatique. La multiplication des partenaires légitimes as-
sure une certaine ouverture publique des débats et tranche avec le modèle bipartite
gouvernement-bailleur, dans lequel les stratégies d’extraversion sont facilitées par l’opacité
des arrangements.
Dans la figure du « bon élève » diffusée par la Banque mondiale, se dessine un techno-
crate, entendu comme un agent promouvant la sacralisation du savoir et des pratiques des
experts internationaux (Mosse et Lewis, 2006) qui mène à un processus de dépolitisation
des politiques publiques (Ferguson, 1990). Ce technocrate implémente une vision tech-
nique et internationale de la politique REDD+, représentée par le savoir spécifique qui a été
développé pour mesurer et comptabiliser les forêts tropicales, via les inventaires de bio-
masse, le suivi satellitaire de la couverture forestière, la définition des niveaux de référence
des émissions. Ces données sont majoritairement produites par des experts internationaux
et servent de base à des politiques et des mesures environnementales de plus en plus dé-
connectées des sphères nationales de décision. En effet, ne pas maîtriser la production de
données sur les forêts écarte de fait les ministères nationaux en charge de l’environnement
et encourage un transfert de décision sur la gestion des ressources naturelles du niveau
local vers le niveau global (Adger et al., 2001 ; Hufty et Aubertin, 2007 ; Lascoumes, 2012).
Si les interprétations du « bon élève » divergent, elles se rejoignent dans leur rapport à
l’État. Il est intéressant de noter que les locuteurs investissent la formule d’un sens nouveau
lorsqu’ils sont dans une situation de pouvoir, dans ce cas-ci quand ils sont les bailleurs de la
CN-REDD. L’utilisation de ces représentants de l’État en situation de double allégeance
(Diallo, 2014) semble particulièrement efficace pour la diffusion de la formule, investie d’un
sens nouveau. Que ce soit le processus de gouvernance (participatif) ou les avancées tech-
niques (relatives aux crédits carbone), la formule du bon élève légitime l’intervention tout
en invisibilisant le travail des experts (Abélès, 2011). La ligne entre les positions nationales
et internationales semble s’effacer derrière un flou politique, dans lequel il est difficile de
définir qui établit les règles. En effet, dans un cas comme dans l’autre, le pays est présenté
comme un sujet agissant dans la formule – le « bon élève » est la RDC –, gommant de fait la
présence et l’influence du global-politique dans le processus. De ces deux visions se dégage,
La lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en RDC 225

en filigrane, une finalité commune : le contournement de l’État congolais et le renforcement


des agences multilatérales dans la définition et la mise en place des politiques de réduction
de la déforestation en RDC.
Cependant, les programmes environnementaux ne pourraient être implémentés sans le
soutien de l’État congolais. La neutralité apparente de l’État dans les débats techniques
obscurcit sa position politique, qui devient difficilement perceptible. L’administration prend
une position antipolitique au sens de James Ferguson (1990), alors que les sujets sont émi-
nemment politiques et traversés par d’importants enjeux de pouvoir. La dépendance de
l’État pour le financement des politiques publiques et de ses agents est énorme, laissant
apparaître sa faible capacité à négocier (Moshonas, 2020). Si les agences mettent en place
un mouvement lent et discret, visant à assurer leur mainmise sur les politiques de gestion
des ressources naturelles, la zone de manœuvre de l’État congolais se déplace. En laissant
la CN-REDD représenter l’État, le ministère de l’Environnement s’extrait des discussions
techniques et de la mise en place des activités. Il s’octroie aussi la possibilité de critiquer les
activités réalisées, de délégitimer un partenaire ou de mener des actions contradictoires.
Le moratoire sur l’attribution de nouvelles concessions forestières, violé à plusieurs reprises
par des ministres nationaux ou provinciaux alors qu’il était un préalable pour le versement
de fonds du CAFI, en est un bel exemple. La division des bailleurs sur le sujet offre à l’État
congolais une liberté d’action et l’occasion de démontrer qu’il reste le détenteur des
normes pratiques de la gouvernance forestière, au sens de Jean-Pierre Olivier de Sardan et
Tom de Herdt (2015).

Conclusion
Cet article a retracé comment la success-story de la politique de lutte contre la défores-
tation en RDC fut véhiculée à travers la formule du « bon élève ». En combinant une analyse
du discours institutionnel et une approche ethnographique, cette étude de cas démontre le
pouvoir agissant des discours de promotion au sein des sphères développementistes. Elle
révèle aussi comment la dimension polysémique de ce succès permet de créer un consensus
et un processus d’acceptabilité qui fait de la réussite de la politique REDD+ un point de pas-
sage obligatoire. Les acteurs s’y réfèrent ou y réfèrent, mais, du fait qu’ils en parlent, ils
véhiculent le succès et contribuent à le faire exister. Comme le disait Alice Krieg-Planque
(2009 : 73), la concision de la formule lui permet d’être intégrée à des énoncés qui la sou-
tiennent, la portent, la reprennent, la renforcent, la réitèrent ou la récusent. Plusieurs
éléments soulignent les intérêts parfois contradictoires des locuteurs à faire de la REDD+ un
succès international.
L’analyse des tensions et relations de pouvoir derrière l’apparent consensus de réussite
pointe quant à elle une dichotomie entre une agency limitée des représentants de l’État et
le maintien d’une marge de manœuvre pour les stratégies d’extraversion. Alors que les stra-
tégies des agences multilatérales pour renforcer leurs positions diffèrent dans la vision de
ce que REDD+ devrait être, elles se rejoignent dans une finalité commune qui consiste à
contourner ou minimiser le rôle de l’État dans la conception et l’implémentation des poli-
tiques et mesures de conservation de ses forêts tropicales (Blanc, 2020). Ceci dans un pays
226 Anthropologie & développement n° 53

stratégique au niveau de la gouvernance forestière globale. En effet, avec plus de


130 000 ha de surface forestière, la RDC abrite la plus grande étendue de forêt tropicale
d’Afrique, la deuxième au niveau mondial après le Brésil. Malgré un désinvestissement as-
sez visible des responsables politiques dans la lutte contre la déforestation, l’article permet
de nuancer cette perte de souveraineté. La gouvernance réelle sur la gestion forestière est
plutôt à investiguer dans ce que Jean-Pierre Oliver de Sardan et Tom de Herdt (2015) dési-
gnent comme les normes pratiques. Considérant la place centrale de la RDC dans la lutte
contre la déforestation au niveau mondial, ce dernier point mériterait de plus amples et
futures considérations.

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