Anthropodev 1870
Anthropodev 1870
Anthropodev 1870
53 | 2022
Récits et matérialités de l’aide : le développement au
prisme des mémoires
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/anthropodev/1870
DOI : 10.4000/anthropodev.1870
ISSN : 2553-1719
Éditeur
Presses universitaires de Louvain
Édition imprimée
Date de publication : 25 octobre 2022
Pagination : 213-229
ISBN : 978-2-39061-270-4
ISSN : 2276-2019
Référence électronique
Camille Reyniers, « La success-story de la lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en
république démocratique du Congo », Anthropologie & développement [En ligne], 53 | 2022, mis en ligne
le 25 avril 2023, consulté le 26 avril 2023. URL : http://journals.openedition.org/anthropodev/1870 ;
DOI : https://doi.org/10.4000/anthropodev.1870
Camille Reyniers*
The policy to combat deforestation and forest degradation (REDD+) has enjoyed great
success in the Democratic Republic of Congo. It is the result of a positive and shared
interpretation of interventions by a professional community composed of multilateral
agencies and their government partners. This positive interpretation has been spread in the
form of a particular discursive formula: “the good student of REDD+”. Based on an
institutional discourse analysis and field research, this article first seeks to understand how
this successful discourse emerged and spread to create a consensus shared by all. Secondly,
it explores how the discourse of the success was exploited by the different partners with new
meanings. Using the discourse of the success as a support for understanding the power
relations between multilateral agencies and the Congolese government in the construction
of the REDD+ policy, this article portrays the interdependent relationships through which
these actors defend their strategic positions on the management and conservation of
tropical forests.
Introduction
La politique de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des
forêts (REDD+) en république démocratique du Congo (RDC) fait l’objet d’une success-story.
Comme beaucoup de pays forestiers tropicaux, la RDC s’est engagée dans la lutte contre la
déforestation à la fin des années 2000, lors de la création des fonds et programmes multi-
latéraux spécifiques (Forest Carbon Partnership Facility de la Banque mondiale, programme
REDD des Nations unies). Ces fonds – dits de préparation – sont dédiés à soutenir les pays
tropicaux dans la mise en place du cadre législatif et institutionnel leur permettant de rece-
voir à terme des compensations financières pour des actions diminuant le taux de la
déforestation (Karsenty et Fournier, 2008 ; Ongolo et Karsenty, 2011 ; Karsenty et Ongolo,
2012). Dès 2009, un discours émanant des professionnels de la REDD+ en RDC affirmait le
leadership de la RDC : elle serait « le bon élève de la REDD+ ». Si rien n’est plus politique
que l’acte de désigner (Chetouani et Tournier, 1994), ce discours jouera un rôle important
dans la construction de la lutte contre la déforestation dans le pays.
Comme dans tous les programmes de développement, REDD+ implique des interventions
dans lesquelles interagissent des représentants d’institutions nationales et multilatérales,
dont les intérêts divergents et s’imbriquent, positionnant ces institutions et/ou les diffé-
rents services qui les composent dans des relations de pouvoir diverses et fluctuantes dans
le temps. Celles-ci peuvent prendre la forme de la concurrence (Moshonas, 2020), de la
double allégance (Diallo, 2014 et 2015), de la négociation (Englebert et Tull, 2013), de la
coercition (Arditi, 2011 ; Siméant-Germanos, 2019 ; Blanc, 2020), de la ruse (Ongolo et
Karsenty, 2015 ; Ongolo, 2015) ou de l’extraversion (Bayart, 1999). La lutte contre la
déforestation est aussi largement imbriquée dans les pratiques de ce que Marc Abélès
(2011) définit comme une scène du « global-politique » où le rôle central joué par les
experts internationaux dans la production et la mise en circulation de normes et de
concepts est invisibilisé, alors que ceux-ci tendent ensuite à être imposés progressivement
aux niveaux nationaux et locaux.
Les success-stories, qui sont des représentations courantes dans les projets de dévelop-
pement (Blaikie, 2006 ; Mosse, 2006 et 2013) et de conservation de la nature (Büscher,
2014 ; Foyer et al., 2017 ; Gautier et al., 2013), effaceraient les contradictions et invisibili-
seraient les rapports de pouvoir induits par les interventions. En effet, il a été démontré que
le succès est plutôt produit par une mobilisation d’acteurs professionnels autour d’un mo-
dèle de développement (Blaikie, 2006 ; Mosse, 2006) que par des résultats concrets
provenant des interventions. De ce point de vue, la communauté interprétative (Mosse,
2006) est principalement envisagée comme un ensemble consensuel dans lequel l’unicité
des points de vue conditionne le succès des interprétations. Si la construction (Blaikie, 2006)
et la circulation (West, 2010 ; Büscher, 2014) de ces interprétations positives ont été bien
documentées, la façon dont les différentes catégories d’acteurs constituant la communauté
interprétative négocient leurs positions à l’intérieur d’un apparent consensus de réussite
reste moins connue.
La lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en RDC 215
La séquence plus ou moins figée du « bon élève » ou du « bon exemple » qui circule dans
les discours des différents acteurs de la politique, générant polémiques et interprétations
diverses, invite au minimum les professionnels du développement et de l’environnement à
se positionner par rapport à elle. « Le bon élève de la REDD+ » revêt alors les principales
caractéristiques de la formule au sens d’Alice Krieg-Planque (2009 : 7), qui correspond à
« un ensemble de formulations qui, du fait de leurs emplois à un moment donné et dans un
espace public donné, cristallisent des enjeux politiques et sociaux que ces expressions con-
tribuent dans le même temps à construire ». La circulation de cette formule à travers les
discours de la communauté professionnelle lui confère à la fois une dimension polysémique
et agissante, entraînant un processus d’acceptabilité pour les récitants qui s’en font le relais
(Krieg-Planque, 2009). Ceci n’empêche pas que les interprétations de la formule puissent
différer en fonction des locuteurs qui la relaient.
Cet article cherche à comprendre comment la formule du « bon élève » s’est construite
et imposée au sein des discours d’une communauté professionnelle composée d’acteurs en
proie à des antagonismes et des divergences, et quels en ont été les effets. Pour cela, il
analyse les données récoltées lors de plusieurs séjours de recherche entre 2014 et 2018
dans les institutions nationales et internationales en charge du développement de la
REDD+1 ainsi que des matériaux secondaires émanant de rapports ou d’articles de presse.
L’étude combine l’approche méthodologique de l’analyse des discours institutionnels de
Krieg-Planque (2009) et les apports de l’anthropologie du développement et de l’anthropo-
logie politique africaniste. Pour ce faire, nous replaçons la production discursive des succès
dans une discussion théorique plus large sur la production de l’action publique et de la con-
servation de la nature en Afrique centrale. Puis, nous décrivons plus spécifiquement la
genèse et la circulation de la séquence du « bon élève », son passage au statut de formule
et son caractère de référent social. Ensuite, nous démontrons comment le caractère poly-
sémique de la formule favorise le processus d’acceptabilité. Et enfin, nous discutons des
rapports de force en marge de l’apparent consensus, tandis que la conclusion revient sur
les effets de l’utilisation de la formule sur la communauté professionnelle qui l’emploie.
1Plusieurs séjours ethnographiques de longue et de courte durée ont été réalisés en RDC entre 2014 et
2018, pour une durée combinée de 12 mois de présence dans les institutions, dont un séjour de six mois au
sein de la Cellule nationale de la coordination REDD+ (CN-REDD).
216 Anthropologie & développement n° 53
mondiale et l’ONU) et leurs stratégies afin de crédibiliser leurs actions, notamment à travers
le discours du succès. Face à cette influence grandissante des acteurs extérieurs dans la
politique forestière, se posent les questions de l’agency et de l’extraversion dans les rela-
tions qu’entretiennent les représentants de l’État avec les agences bilatérales et
multilatérales. La première notion définit la capacité à agir et à changer les structures
(Brown et Harman, 2013), tandis que la seconde désigne la façon dont les élites africaines
utilisent à leur avantage la connexion au système international, y compris en maintenant
un rapport inégal (Bayart, 1999). Quel est le rôle joué par chacun des partenaires de la com-
munauté interprétative de la REDD+ en RDC ? Comment s’est construite cette formule du
« bon élève » et quel a été son rôle dans le processus d’acceptabilité des acteurs qui la re-
laient ?
moderne et occupée par plusieurs agences internationales. Ils sont climatisés et épurés,
peints et carrelés de blanc et aménagés avec un mobilier léger. L’ensemble présente un
style sensiblement opposé aux bureaux surchargés du ministère de l’Environnement que
j’avais déjà visités. Seuls la photo du président et le drapeau national permettaient d’assu-
rer au visiteur qu’il entrait dans une administration nationale. Cet environnement fut le
siège d’un discours de succès qui dépassa son enceinte et se trouva diffusé au sein d’une
communauté professionnelle élargie à travers des supports variés.
Les premières apparitions de la séquence du « bon élève » se retrouvent dès les prémices
de la mise en place de la politique dans le pays, dans les rapports du programme ONU-REDD.
Ce programme est la première intervention internationale qui soutient la « phase de pré-
paration de la REDD+2 » qui débouchera notamment sur la mise en place de la CN-REDD. Le
programme ONU-REDD publie en 2009 un rapport nommé « Participation de la société civile
au processus REDD : le bon exemple de la république démocratique du Congo », dans lequel
il valorise la dimension participative de la construction de la lutte contre la déforestation.
Les acteurs non gouvernementaux en charge des questions liées à la forêt dans la région se
positionnent rapidement par rapport à cette idée ; comme en atteste un article du Forest
Peoples Programme de mars 2010, « Consultation with indigenous peoples and others af-
fected by REDD initiatives in the DRC: An example of best practice ? ». Alors que ce dernier
souligne que de nombreuses communautés restent exclues et non informées sur ce que
REDD+ planifie pour leurs forêts, le succès n’est pas remis en question. La séquence entame
même son processus de circulation, visible dans son utilisation accrue par la sphère profes-
sionnelle.
La dissémination du succès dans les discours se poursuit en même temps qu’augmente le
nombre d’experts nationaux et internationaux engagés pour travailler sur le sujet. En no-
vembre 2012, on retrouve « le bon élève » dans un article de la newsletter de l’ONU-REDD,
intitulé « New UN-REDD Success Story: DRC’s Safeguard Standards ». L’article est accompa-
gné d’un rapport spécial, « Success Story: DRC: Including Stakeholders Integration in the
REDD+ Social and Environmental Safeguards », détaillant les succès de la définition de ces
sauvegardes. Mais ce qui représente réellement l’accomplissement de la mission de l’ONU-
REDD dans le pays, c’est la publication de la stratégie-cadre nationale REDD+ (MECNT,
2012). Son accouchement difficile a cristallisé des tensions entre experts nationaux et inter-
nationaux et acté la fin d’une collaboration de quatre ans entre l’ONU-REDD et la CN-REDD.
Mais l’engouement de la sphère internationale pour le bon élève de la REDD+ ne faiblit
pas et se concrétise par une multiplication des fonds, dont l’engagement du FCPF dans le
pays. La CN-REDD bénéficie des fonds du FCPF pour la période 2013-2017 et son travail se
recentre sur le développement d’un programme de réduction des émissions dans la pro-
vince de Mai Ndombe. Celui-ci est conçu pour générer des réductions d’émissions liées à la
déforestation et à la dégradation des forêts, telles qu’elles sont encadrées par les décisions
2Les trois phases de la REDD+ ont été décrites par le Meridien Institute comme la phase de préparation,
d’investissement et de paiements sur résultats (Angelsen et al., 2009).
La lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en RDC 219
3 Les décisions de la CCNUCC encadrant la REDD+ sont connues sous le nom de Warsaw Framework for
REDD-Plus (Decision 9-16/CP.19, UNFCCC, 2013).
4 Sur les critiques du processus REDD+ en RDC par les ONG, voir par exemple Assembe Mvondo (2015).
5 Sur les critiques scientifiques du processus REDD+ en RDC, voir par exemple Karsenty et Ongolo (2012).
6 Voir : http://www.eventsrdc.com/la-rdc-reconnue-comme-premier-pays-pilote-fcpf-banque-mondiale-a-
du développement est définie comme la façon de mettre les populations au centre du dé-
veloppement en encourageant l’implication des bénéficiaires dans les interventions qui les
affectent (Cooke et Kothari, 2001). Le discours contient cependant un glissement séman-
tique, qui transforme la participation des populations concernées en participation de la
société civile environnementale. Cette société civile environnementale est présentée
comme le garant des retombées sociales et environnementales pour les populations fores-
tières du pays, ignorant de fait les risques de la transposition d’un concept occidental dans
le contexte africain (Hearn, 2001) et les nombreuses analyses soulignant les problèmes de
légitimité et de représentativité de cette transposition (Boukoulou, 2003).
La dimension participative promue par l’ONU-REDD a ouvert « un marché des consul-
tances » pour les représentants de la société civile. Les débouchés professionnels qu’offre
la participation de la société civile engendrent un intérêt croissant d’individus et d’associa-
tions de la RDC pour prendre part à la construction de la REDD+. Ceux-ci sont impliqués en
tant que traducteurs, enquêteurs ou experts nationaux et locaux. Les plus chanceux sont
invités par les Nations unies ou la Banque mondiale à Washington, Bruxelles, Paris ou Ge-
nève, pour participer à des réunions en tant que représentants des communautés
forestières et des peuples indigènes. Un groupe de travail Climat REDD (GTCR) est mis sur
pied pour faciliter les processus de consultation.
En 2009, il est composé par trois associations environnementales de la RDC. En 2015, la
REDD+ est devenue un référent social et chaque association veut en faire partie. Il en résulte
une expansion du groupe qui compte alors plus de 300 associations locales et nationales
(Rainforest Foundation Norway, 2015), et se trouve en proie à des difficultés pour organiser
une position stratégique et répartir les fonds. Les multiples luttes de pouvoir au sein du
groupe entraînent polarisations, résignations, séparations, réunifications et restructura-
tions8. Même les oppositions internes du groupe ne peuvent plus ralentir ou contrecarrer
le processus d’acceptabilité qui est à l’œuvre. La réussite du modèle de gouvernance parti-
cipative mené par l’ONU est acceptée par tous, tant son succès légitime à la fois
l’intervention au sens large et la position de cette « société civile environnementale ».
La performance de la RDC dans la mise en place des instruments et organes de la politique
a permis au FCPF de réinvestir la formule du bon élève construite par les Nations unies avec
une signification nouvelle. Le succès est ici lié à l’habileté du pays à développer le cadre
technico-institutionnel tel que défini par le FCPF qui lui assure un accès au marché du car-
bone. Il s’agit de créer des organes exécutifs pour gérer le processus et de développer des
outils technologiques pour le suivi des forêts ; mais surtout de suivre les recommandations
du FCPF pour quantifier, gérer et échanger des réductions d’émissions liées à la déforesta-
tion et la dégradation des forêts. L’engouement autour de la finalisation de la phase de
préparation n’est pas anodin. Il signifie la possibilité d’entrer dans « la deuxième phase
d’implémentation de la REDD+ : la phase d’investissements ». Celle-ci est caractérisée par
des paiements pour des programmes de réductions d’émissions dans des pays qui ont fait
8Le GTCR fut séparé en deux après des dissensions entre deux ONG congolaises environnementales en
2010. Le PNUD et la Rainforest Foundation Norway ont soutenu un travail de restructuration en 2013, qui a
donné naissance en 2015 à un GTCR réunifié.
222 Anthropologie & développement n° 53
des progrès considérables dans la préparation de la REDD+9. La RDC sera le premier pays au
monde à bénéficier du support du fonds carbone du FCPF pour ce type de programme.
Cette transition vers la phase d’implémentation représente aussi un tournant dans la po-
litique, caractérisé par l’abandon progressif des petits projets au bénéfice de programmes
à l’échelle régionale. Lors de la phase de préparation, plusieurs projets pilotes disséminés
dans le pays devaient appuyer la construction de la stratégie nationale. Ils n’ont cependant
donné que peu de résultats et la stratégie nationale fut rédigée sans avoir pu tirer profit de
ces expériences de terrain. Les acteurs nationaux qui étaient les principaux porteurs de ces
projets ont perdu graduellement leur légitimité à implanter des activités de réduction de la
déforestation, tandis que l’influence des acteurs internationaux se renforçait, au sein de la
cellule nationale REDD+ et en tant que porteurs et concepteurs des programmes régionaux.
Ce « bon élève » promeut la vision de la Banque mondiale dans la réduction de la défo-
restation, pour laquelle les activités sont comptabilisées en tonnes de carbone non émises
avec une logique d’échange de ces réductions d’émissions sur des marchés internationaux.
Cette approche basée sur le marché carbone ne fait pas l’unanimité sur la scène internatio-
nale. Les fonds de l’ONU (ONU-REDD et CAFI) ne la retiennent pas, estimant que
l’incertitude des prix du carbone sur les marchés et les risques de ne pas pouvoir agir sur les
moteurs de la déforestation sont trop grands dans le pays. En 2016, lors du lancement du
programme de Mai Ndombe, le prix d’achat des tonnes de carbone est au plus bas et les
crédits REDD+ s’échangent difficilement sur les marchés volontaires du carbone. Les dis-
cours du succès sont d’autant plus importants pour la Banque mondiale, qui continue à
promouvoir cette approche dans la REDD+, optant pour une croyance dans la redynamisa-
tion des marchés environnementaux ainsi que dans leur capacité à absorber les crédits
REDD+ et à assurer un flux financier pour la conservation des forêts.
À première vue, les représentants officiels de l’État congolais n’ont pas investi d’un sens
nouveau la formule du « bon élève », ils se seraient plutôt contentés de répéter les argu-
ments des deux principales agences finançant programmes et institutions REDD+ dans le
pays. La CN-REDD ayant toujours été une cellule financée par les agences internationales, il
est sans aucun doute difficile pour ses experts de prendre une position autre que celle dé-
fendue par le bailleur. Certains fonctionnaires du MECNT critiquaient en privé les relations
entre experts nationaux et internationaux : « Les problèmes sont liés aux conseillers tech-
niques, ils parlent mal de certains agents, dont le coordinateur de la CN-REDD, et entraînent
des processus de diabolisation » (interview menée le 28 janvier 2015 avec le directeur de la
direction Développement durable, dans les locaux du ministère de l’Environnement)10. En
revanche, les agents de la CN-REDD ont joué un rôle dans le figement de la formule du bon
élève, en entretenant publiquement cette idée sur la scène internationale.
9 Le FCPF est organisé en deux fonds distincts. Le fonds de préparation avec 47 participants et le fonds car-
bone qui est lié à la phase 2, dite d’investissement, et prévoit le soutien de cinq pays.
10 Le directeur fait référence à des tensions extrêmes au sein de la CN-REDD à la fin de la période de soutien
de l’ONU-REDD et qui ont fortement influencé l’entrée du FCPF dans le soutien de la Cellule nationale.
La lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts en RDC 223
Certaines observations indiquent que la CN-REDD pourrait avoir joué un rôle de contrôle
sur les discours produits sur la REDD+ et, de ce fait, renforcé la souveraineté du pays en
général sur ce qui peut – ou ne peut pas – être dit. Les données sur l’importance du secteur
informel, par exemple, sont tournées en ridicule lors des réunions, et les représentants de
l’État ne manquent pas d’asseoir leur souveraineté sur la production des données statis-
tiques du secteur. Les chiffres avancés par Sam Lawson (2014), selon lequel le secteur
informel de la coupe du bois représente 200 à 300 % des volumes de bois produits officiel-
lement, n’ont jamais pu être intégrés dans aucun rapport ou document stratégique officiels.
Lors de critiques plus virulentes, comme la publication du rapport sur la corruption dans la
REDD+ (Assembe Mvondo, 2015), les réponses se durcissent, les échanges entre les institu-
tions nationales et les agences multilatérales sur le sujet finissent par engendrer un droit de
réponse officiel du ministère de l’Environnement, qui décrédibilise l’enquête. On ne parlera
plus ni du secteur informel, ni de la corruption. Dans la production discursive de la success-
story, une part importante du rôle des représentants de l’État est de maintenir la figure du
bon élève.
Discussion
La success-story de la REDD+ en RDC s’est construite à partir de la circulation, du figement
et de l’acceptabilité de la formule du « bon élève ». La formule déconnecte visiblement les
critères du succès des analyses tangibles sur l’évolution du taux de déforestation. De même,
les résultats concrets pour les communautés locales sont absents des discours (Gauthier,
2018). La minimisation des critiques externes et le renforcement des modèles de dévelop-
pement en vigueur représentent assez classiquement les principales fonctions du succès. Il
n’en reste pas moins que le pouvoir agissant de la formule est particulièrement remar-
quable lorsqu’il prend place dans un contexte singulier, tel celui de la RDC habituée à la fin
des classements mondiaux11. En effet, l’aide au développement y est décrite comme une
succession d’échecs (Trefon, 2013) et la gestion de l’environnement dépeinte comme un
paradoxe environnemental (Trefon, 2016), où la richesse des ressources naturelles est ac-
caparée par une élite politique et économique.
Ce qui est plus original, c’est la possibilité de mobiliser une recherche ethnographique de
longue durée pour essayer de comprendre comment les positions stratégiques se dessinent
derrière les discours consensuels. Les données laissent apparaître la différence entre les
visions de l’ONU et de la Banque mondiale dans la lutte contre la déforestation. Les deux
acteurs suivent des stratégies d’implémentation de la REDD+ différentes dans les pro-
grammes qu’ils développent dans les provinces forestières de la RDC. L’ONU, à travers les
fonds CAFI, soutient une approche transversale basée sur les politiques habilitantes qu’elle
a identifiées dans la stratégie-cadre (comme l’aménagement du territoire, l’agriculture, la
réforme du foncier) et un investissement de la société civile. La Banque mondiale concentre
ses investissements sur la province de Mai Ndombe, espérant prouver à la communauté
11Comme le classement de l’indice de développement humain où elle est située à la 176 e place sur 188
(PNUD, 2015) ; ou celui du PIB par habitant où elle est 180e sur 188 (FMI, 2015) ; et enfin celui de l’indice de
perception de la corruption où elle occupe la 147e place sur 167.
224 Anthropologie & développement n° 53
Conclusion
Cet article a retracé comment la success-story de la politique de lutte contre la défores-
tation en RDC fut véhiculée à travers la formule du « bon élève ». En combinant une analyse
du discours institutionnel et une approche ethnographique, cette étude de cas démontre le
pouvoir agissant des discours de promotion au sein des sphères développementistes. Elle
révèle aussi comment la dimension polysémique de ce succès permet de créer un consensus
et un processus d’acceptabilité qui fait de la réussite de la politique REDD+ un point de pas-
sage obligatoire. Les acteurs s’y réfèrent ou y réfèrent, mais, du fait qu’ils en parlent, ils
véhiculent le succès et contribuent à le faire exister. Comme le disait Alice Krieg-Planque
(2009 : 73), la concision de la formule lui permet d’être intégrée à des énoncés qui la sou-
tiennent, la portent, la reprennent, la renforcent, la réitèrent ou la récusent. Plusieurs
éléments soulignent les intérêts parfois contradictoires des locuteurs à faire de la REDD+ un
succès international.
L’analyse des tensions et relations de pouvoir derrière l’apparent consensus de réussite
pointe quant à elle une dichotomie entre une agency limitée des représentants de l’État et
le maintien d’une marge de manœuvre pour les stratégies d’extraversion. Alors que les stra-
tégies des agences multilatérales pour renforcer leurs positions diffèrent dans la vision de
ce que REDD+ devrait être, elles se rejoignent dans une finalité commune qui consiste à
contourner ou minimiser le rôle de l’État dans la conception et l’implémentation des poli-
tiques et mesures de conservation de ses forêts tropicales (Blanc, 2020). Ceci dans un pays
226 Anthropologie & développement n° 53
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