2008 DvtDur Comme Agircommunicationnel
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COMMUNICATIONNEL
Michel Casteigts
LE DEVELOPPEMENT DURABLE
COMME AGIR COMMUNICATIONNEL
SUSTAINABLE DEVELOPMENT
AS COMMUNICATIVE ACTION
Michel Casteigts1
Abstract
Sustainable development emerged in the last third of the twentieth century, on the fringes of
dominant social practices and representations as much as of constituted knowledge. It quickly
established itself as a new principle of organization of collective perceptions and actions,
colonizing at the same time language, imaginary, exchanges, techniques, values and
standards, at the same time as he imposed himself on scientific theories and scholarly
discourses.
To set some benchmarks in the history of this emergence is the object of this communication,
which describes in broad outlines this singular trajectory, in its political, scientific and
ideological dimensions. Then the purpose is to highlight the main effects of this upheaval in
the field of social practices, using the theory of conventions and the theory of Communicative
Action.
1
Inspecteur général de l’administration et hautfonctionnaire au développement durable du ministère de
l’Intérieur . Professeur associé de sciences de gestion à l’université de Pau et des pays de l’Adour (IAE–
CREG). Contact : + 33 (0)6 87 24 19 56 ; <michel.casteigts@univpau.fr> ;
<https://univpau.academia.edu/michelcasteigts>
Michel Casteigts Le développement durable comme agir communicationnel 14 novembre 2008 1/13
Keywords
sustainable development, social representations, theory of conventions, idéologie,
communicative action, Foucault, Habermas
Résumé
Le développement durable a émergé, dans le dernier tiers du vingtième siècle, en marge des
pratiques et des représentations sociales dominantes autant que des savoirs constitués. Il s'est
rapidement installé comme nouveau principe d’organisation des perceptions et des actions
collectives, colonisant à la fois le langage, l'imaginaire, les échanges, les techniques, les
valeurs et les normes, en même temps qu’il s’imposait aux théories scientifiques et aux
discours savants.
Poser quelques repères dans l’histoire de ce surgissement est l’objet de cette communication.,
qui en décrit à grands traits la trajectoire singulière, dans ses dimensions politiques,
scientifiques et idéologiques. Il s'agit ensuite de mettre en évidence les principaux effets de ce
bouleversement dans le champ des pratiques sociales, en utilisant pour cela la théorie des
conventions et de celle de l’agir communicationnel.
Mots-clés
développement durable, représentations sociales, théorie des conventions, idéologie, agir
communicationnel, Foucault, Habermas
Michel Casteigts Le développement durable comme agir communicationnel 14 novembre 2008 2/13
Introduction
Dans la préface de son livre Les mots et les choses (1966), Michel Foucault évoque « une
région médiane » qui se situe « entre le regard déjà codé et la connaissance réflexive » et qu’il
décrit ainsi :
Les codes fondamentaux d’une culture – ceux qui régissent son langage, ses schémas
perceptifs, ses échanges, ses techniques, ses valeurs, la hiérarchie de ses pratiques – fixent
d’entrée de jeu pour chaque homme les ordres empiriques auxquels il aura affaire et dans
lesquels il se retrouvera. A l’autre extrémité de la pensée des théories scientifiques ou des
interprétations de philosophes expliquent pourquoi il y a en général un ordre, à quelle loi
générale il obéit, quel principe peut en rendre compte, pour quelle raison c’est plutôt cet ordre-
ci qui est établi et non pas tel autre. Mais entre ces deux régions si distantes, règne un domaine
qui, pour avoir surtout un rôle d’intermédiaire, n’en est pas moins fondamental : il est plus
confus, plus obscur, moins facile sans doute à analyser. C’est là qu’une culture, se décalant
insensiblement des ordres empiriques qui lui sont prescrits par ses codes primaires, instaurant
une première distance par rapport à eux, leur fait perdre leur transparence initiale, cesse de se
laisser passivement traverser par eux, se déprend de leurs pouvoirs immédiats et invisibles, se
libère assez pour constater que ces ordres ne sont peut-être pas les seuls possibles, ni les
meilleurs ... (Foucault, 1966, pp.11 et12).
C’est précisément dans un lieu de ce type, en marge des pratiques et des représentations
sociales dominantes autant que des savoirs constitués, qu’a émergé, dans le dernier tiers du
vingtième siècle, le développement durable comme nouveau principe d’ordre ; c’est là qu’il
s’est peu à peu installé, prenant solidement possession de l’espace, au point de coloniser à la
fois le langage, les représentations, les échanges, les techniques, les valeurs et les normes, en
même temps qu’il s’imposait aux théories scientifiques et aux discours savants. Poser
quelques repères dans l’histoire de ce surgissement est l’objet des lignes qui suivent. Après
avoir décrit à grands traits cette trajectoire singulière, dans ses dimensions politiques,
scientifiques et idéologiques, il s’agira d’en éclairer les effets dans le champ des pratiques
sociales, à la lumière notamment de la théorie des conventions et de celle de l’agir
communicationnel.
L’émergence institutionnelle
En matière de développement durable, la chose a existé avant les mots. La notion, sinon
la formule, est apparue à l’occasion de la Conférence des Nations Unies sur l'Environnement
réunie du 5 au 16 juin1972 à Stockholm. Dans un contexte marqué par les débats suscités par
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le rapport commandé au MIT par le Club de Rome sur Les limites de la croissance2, la
déclaration finale de la Conférence de Stockholm est fondée sur l’affirmation d’un nécessaire
équilibre entre développement économique et social et préservation de l’environnement. Bien
que l’expression ne figure explicitement pas dans la dite déclaration, l’écodéveloppement,
première version du développement durable, devient le principe d’action de la communauté
internationale dans le domaine de l’environnement.
Puis les mots ont existé indépendamment de la chose telle que nous la concevons
aujourd’hui. L'expression sustainable development semble avoir été utilisée pour la première
fois dans un document officiel en 1980, dans un rapport de l’Union Internationale pour la
Conservation de la Nature et de ses Ressources consacré à la conservation des espèces. Il
désignait un mode d’exploitation des milieux naturels propre à préserver la biodiversité. Le
terme sustainable a probablement été emprunté au vocabulaire de l’exploitation forestière : la
question de la durabilité des rendements forestiers a constitué tout au long du 20 ème siècle un
sujet de préoccupation constant des autorités américaines et a conduit notamment à la
promulgation, en 1944, du Sustained Yield Forest Management Act3.
De 1980 à 1987, la notion de développement durable est restée extrêmement
confidentielle et rien ne permettait de préjuger de la fortune qu’elle n’allait pas tarder à
connaître. En 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, réunie
à l’initiative de l’ONU et présidée par Mme Brundtland, premier ministre de Norvège, définit
le développement durable comme un mode de développement qui répond aux besoins du
présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs 4. Dès lors,
les mots et la chose se rapprochent progressivement. Les conditions concrètes de réalisation
des objectifs énoncés par le rapport Brundtland se précisent peu à peu, jusqu’en 1992 où la
Conférence de Rio consacre le développement durable comme norme d’action collective. Elle
le définit dans le cadre de vingt-sept principes, avant que ne s’impose progressivement la
métaphore des trois piliers, faisant du développement durable la conciliation des exigences de
la croissance économique, de la cohésion sociale et internationale et de la préservation de
l’environnement.
Après la Déclaration de Rio, les choses s'accélèrent. Le concept poursuit une mutation
qui transforme la notion politique en règle juridique. En Europe notamment, avec le traité
d’Amsterdam5 et de nombreux textes communautaires ou nationaux, le développement
durable est devenu un principe normatif à part entière. En France, la Charte de
l'environnement, intégrée dans le « bloc de constitutionalité » depuis mars 2005, indique dans
son article 6 que les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A
cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le
2
Diffusé de façon restreinte fin 1971, il fut rendu public en 1972 ( Meadows D., Meadows D., Randers J. et
Behrens III W., 1972).
3
On peut également signaler dès 1927 un article de D.T. Mason , « Sustained Yield and American Forest
Problems » dans Journal of Forestry et en 1960 la promulgation du MultipleUse and Sustained Yield Act.
4
La première édition francophone du rapport Brundtland utilisait le terme développement soutenable, qui sera
utilisé dans la littérature scientifique francophone jusqu’à la Conférence de Rio (cf.infra)
5
Signé le 2 octobre 1997.
Michel Casteigts Le développement durable comme agir communicationnel 14 novembre 2008 4/13
développement économique et le progrès social.
6
Il est incontestable qu’une telle démarche peut conduire à des résultats sensiblement différents de ceux
qu’aurait donnés une investigation sur les textes euxmêmes. Mais elle n’est pas illégitime pour autant, dans
la mesure où elle permet d’identifier le moment où le terme est suffisamment reconnu pour servir de repère
dans la communication entre auteur et lecteurs potentiels.
Michel Casteigts Le développement durable comme agir communicationnel 14 novembre 2008 5/13
Boulder (CO), Westview Press
Ahmad Y. J., et al., 1989, Environmental Accounting and Sustainable Income,
Washington, World Bank, 1989
Daly H. E. and Cobb J.J. Jr., 1989, For the Common Good: Redirecting the Economy
Toward Community, the Environment, and a Sustainable Future, Boston (MA), Beacon
Press
Pourtant, bien avant 1987, les problématiques couvertes par la notion de développement
durable étaient largement représentées, mais les mots pour le dire étaient autres :
- Hartwick J.M., 1977, « Intergenerational Equity and the Investing of Rents from Exhaust
ible Resources », American Economic Review, 77, 5
- CapeGlaeser, Bernhard (eds.), 1984, Ecodevelopment : concepts, projects, strategies, Ox-
ford, Pergamon Press
Neary, J. Peter and Sweder Van Wijnbergen (eds.), 1986, Natural Resources and The
Macroeconomy, Cambridge MA, MIT Press
7
Un an plus tôt, sur la même problématique, Olivier Godard n’utilisait pas la notion de développement
durable dans le titre de sa communication sur « Stratégies industrielles et conventions d'environnement : de
l'univers stabilisé aux univers controversés », Actes du Colloque Environnement Economie, Paris, 15 et 16
février 1993, INSEE Méthodes ; pourtant, la même année il analysait le concept de développement durable de
façon détaillé dans un article qu’il cosignait avec Olivier Beaumais dans le Revue Economique, vol. 44, sur
« Economie, croissance et environnement. De nouvelles stratégies pour de nouvelles relations ».
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quelques temps, l’expression de développement viable leur a disputé la vedette,
essentiellement au Québec :
- Gariépy M., Domon G. et Jacobs P., 1990, Développement viable et évaluation
environnementale en milieu urbain : essai d’application au cas montréalais, Université de
Montréal, Notes de recherche
- Ferron P., 1993, « Passer d’une production agricole somptuaire à une agriculture viable »,
in Pleins feux sur une ruralité viable, Montréal, Editions Ecosociété
Un autre fait notable est l’absence, dans cette bibliographie, des grandes revues
généralistes et des revues de théorie économique, contrastant avec la présence précoce de
grandes revues spécialisées de catégorie 1 : l’acculturation de la science économique au
développement durable s’est faite essentiellement par l’intermédiaire de revues spécialisées
dans les domaines de l’agriculture, de l’énergie et de l’environnement8. De façon corollaire,
les grands noms de la science économique ne se sont que tardivement intéressés au
développement durable, la précocité de Solow (« Sustainability : an Economist’s
perspective », in Dorfman R. and N.S., Economics of the Environment, New York, Norton,
1993) contrastant avec les contributions plus tardives de Sen (« Human development and
Economic Sustainability », World Developement, 28, 2000) ou d’Arrow (« Evaluating
projects and assessing sustainable development in imperfect economies », Environmental &
Resource Economics, 26, No. 4, 2003).
Hypothèses d’explication de cette abstention relative :
Pour qu’un discours soit pris « au sérieux » dans les champs académiques fortement
structurés, il faut qu’il s’inscrive en forte césure avec les domaines adjacents
notamment par le recours à une formalisation spécifique, critères que ne respectaient
pas les premières réflexions sur le développement durable.
Sont également en cause les règles particulières régissant les domaines des sciences
sociales, et notamment l’économie : rôle structurant des controverses et donc
réticences aux discours qui ne s’inscrivent pas dans les lignes de front traditionnelles
A compter de 1992 pour l’aire anglophone et de 1995 pour l’aire francophone, les
références se sont multipliées au point de rendre un exercice de recensement sur l’ensemble
du champ économique excessivement complexe au regard de sa valeur ajoutée, ce qui
n’enlève rien à l’intérêt de recherches bibliométriques focalisées sur des domaines ou des
thèmes plus précis.
Lecture idéologique
Les fonctions historiques de l’idéologie
Dans les moments charnières de l’histoire, lorsque les idées dominantes et les pouvoirs
8
A l’exception notable de l’article de David Pearce dans Futures (UK) en 1988, mentionné plus haut.
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établis ne réunissent plus les consensus nécessaires à un fonctionnement équilibré de la vie
collective, s’impose la nécessité d’un réagencement des représentations et/ou des institutions.
Alors les clivages traditionnels se brouillent et la ligne de fracture passe entre ceux qui voient
l'avenir en termes de rupture et ceux qui défendent la continuité. Leurs perspectives à long
terme sont différentes, parfois contradictoires, mais à moyen terme leurs intérêts, ou la
perception qu’ils en ont, convergent vers une modification de l'ordre établi pour les premiers,
vers sa perpétuation pour les seconds. L'idéologie est le lieu où s'élabore leur commun destin9.
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écologistes, tiersmondistes et tenants d’une croissance maîtrisée, à un moment où le rapport
Meadows nourrissait les débats publics.
S’agissant d’un processus mondial, ses bases sociales et politiques sont difficiles à
identifier. Audelà de l’alliance entre écologistes, tiersmondistes et « développementalistes »
mentionnée plus haut, le développement durable séduit également certains adeptes de
l’économie sociale de marché et une frange importante de la socialdémocratie. Face à eux,
une convergence paradoxale entre néolibéraux et postmarxistes rassemble ceux qui de
Washington à Pékin, en passant par Moscou, se prononcent pour le maintien d’un modèle de
développement marchand et productiviste. Car, audelà des clivages internes à chaque société,
c’est plus largement entre les Etats que passe aujourd’hui la ligne de fracture.
La force de l'idéologie du développement durable, c'est d'être une idéologie de la
réconciliation des contraires (développement économique, cohésion sociale et préservation de
l’environnement ; présent et futur ; solidarité de proximité et solidarité internationale). A ce
titre, elle offre un cadre de référence adapté à l'élaboration de larges consensus sociétaux,
particulièrement dans une configuration historique où il semble essentiel de dépasser des
clivages hérités de l’histoire qui ne répondent plus (au moins l’opinion le croit elle) aux
exigences du moment. Le succès exceptionnel du développement durable vient précisément
du caractère flou et polysémique de l’expression, lui permettant de remplir cette fonction de
réconciliation entre systèmes idéologiques et théoriques opposés.
Mais on ne peut s’en tenir à cette lecture purement idéologique du développement
durable, sans considérer les impacts croissants qu’il a dans le champ des pratiques sociales.
Une attention particulière doit donc être portée à l’analyse des mécanismes concrets
permettant à un objet idéologique, comme l’était le développement durable à ses débuts, de
devenir en peu de temps hégémonique dans le champ des pratiques sociales. Les secousses de
l’après-mai 68, le séisme plus récent de l’effondrement du bloc de l’Est et la désaffection
croissante des opinions à l’égard des religions révélées ont consacré en occident 12 la faillite
des systèmes traditionnels de prêt à penser. Dans ce désastre collectif, seule triomphe
l’idéologie libérale, précisément parce que le libéralisme ne se présente pas comme une
idéologie mais comme un principe pratique. C’est ce vide que vient occuper sur le même
registre, c'est-à-dire en se présentant comme un principe pratique, le développement durable
montre que rien n’est inéluctable, en s’imposant progressivement comme référence partagée
secondaire » qui permet aussi bien de nourrir des logiques d’affrontement que de produire des « discours de
compromis » (Mounoud, 1997).
12
Au delà de la sphère d’influence occidentale, le monde islamique prouve que l’idéologie a encore de
beaux jours devant elle
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au point de devenir la principale ligne de résistance à un modèle exclusivement marchand de
développement.
Comment l'institutionnalisation d’un discours idéologique sur le développement durable
a-t-elle pu créer de nouveaux repères, suffisamment forts pour fonder de nouvelles pratiques
et rénover la régulation de l'action collective ?
Cette question nous conduit à examiner de plus près la façon dont les références
idéologiques déterminent non seulement les jugements que chacun porte sur le monde social
mais la manière dont il intervient et agit dans ce monde, en d’autres termes l’influence des
représentations dans les pratiques les plus concrètes.
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permet d’être fortement inclusifs et de coloniser de proche en proche les régions adjacentes13.
Encore faut-il que ces représentations nouvelles soient à même de remodeler les
pratiques sociales.
13
Cela permet de réinterpréter les écarts dans le rythme de diffusion du développement durable dans les
différents champs disciplinaires, en fonction de la plus ou moins forte rigidité de leur appareil conceptuel et
des écarts plus ou moins grands qu’ils établissent entre les « ordres empiriques » et les représentations
théoriques.
14
O. Favereau (1999) définit les conventions comme un ensemble de règles de formulation vague, d’origine
obscure, de caractère arbitraire et dépourvues de sanctions juridiques, ce qui les distingue des contrats.
15
Quels que soient les efforts d’Olivier Favereau (2001) pour marquer ses désaccords avec Pierre Bourdieu, on
voit bien la forte articulation entre l’approche économique des conventions et l’approche sociologique de
l’habitus.
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discours idéologiques dans la logique du principe d'agir communicationnel de Jürgen
Habermas (1981), c'est-à-dire d’un usage du langage orienté vers la recherche de consensus et
la coordination de l’action collective.
Chez Habermas, ce consensus est différent de la notion de compromis. Il relève
d’interactions spontanées immédiates et non de médiations ou négociations formelles. Cette
immédiateté dans les transactions linguistiques suppose la référence à un « monde »
commun16 :
Si, dans la communication, ils veulent pouvoir s’entendre entre eux « sur quelque chose » ou,
dans leur commerce pratique, s’ils veulent pouvoir tirer parti « de quelque chose », les sujets
capables de parler et d’agir doivent nécessairement, à partir de l’horizon de leur monde vécu
chaque fois partagé, se « référer à quelque chose » dans le monde objectif. (Habermas, 2001
[2006, p.24])
Il est évident que depuis quelques années le développement durable joue un rôle croissant
dans la mise en commun de l’horizon du monde vécu et dans les références partagées.
Quelques exemples, parmi bien d’autres, illustrent la façon dont l’agir communicationnel
est à l’œuvre dans les processus de développement durable :
- les débats publics sur les grands projets, notamment en application de la convention
d’Aarhus ;
- les démarches de gouvernance territoriale (projets de territoire, conseils de
développement, agendas 21 etc.).
En guise de conclusion
Dans La condition postmoderne, Jean-François Lyotard témoigne de son incrédulité pour
les grands récits de la modernité, notamment la croyance béate dans la notion de progrès (cf.
également Anthropologie des mondes contemporains de Marc Augé, 1994, notamment le
chapitre 2, Consensus et postmodernité). Dans un contexte marqué par l’avènement de la
société du risque (Beck, 1986), ne faut-il pas voir le développement durable comme un
nouveau type de grand récit, adapté aux temps postmodernes ?
16
Ce qui n’est pas très éloigné des références communes au monde qui soustendent la théorie des
conventions…
Michel Casteigts Le développement durable comme agir communicationnel 14 novembre 2008 12/13
Références bibliographiques
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Michel Casteigts Le développement durable comme agir communicationnel 14 novembre 2008 13/13