Analyse Duy Discours Et Énonciation
Analyse Duy Discours Et Énonciation
Analyse Duy Discours Et Énonciation
Julien Longhi
Université de Cergy-Pontoise (CRTF-LaSCoD, EA 1392)
Introduction
1 Nous faisons ici référence à un article de G. Kleiber, qui indique que le sens est "branché"
sur la référence. Ceci nous permet d’indiquer que la relation discours/énonciation est une
relation étroite et fonctionnelle.
Julien Longhi 7
Foucault met le fait énonciatif au premier plan. Selon lui "le discours est
constitué par un ensemble de séquences de signes, en tant qu’elles sont
des énoncés, c’est-à-dire en tant qu’on peut leur assigner des modalités
d’existence particulières [...] le terme de discours pourra être fixé:
ensemble des énoncés qui relèvent d’un même système de formation; et
c’est ainsi que je pourrai parler du discours clinique, du discours
économique, du discours de l’histoire naturelle" (1969: 141). Foucault
corrèle donc système de formation et énoncé, permettant de toucher ainsi
au processus de formation. L’analyse des énoncés et des formations
discursives ouvre pour Foucault une direction tout à fait opposée à
l’analyse du discours telle qu’elle était pratiquée alors (placée selon lui
sous le signe de la totalité et de la pléthore), elle veut déterminer le
principe selon lequel ont pu apparaître les seuls ensembles signifiants qui
ont été énoncés. Elle cherche à établir une loi de rareté. Analyser une F.D.
c’est donc peser la "valeur" des énoncés:
Le propre de l’analyse énonciative n’est pas de réveiller les textes de leur sommeil
actuel pour retrouver [...] il s’agit au contraire de les suivre au long de leur sommeil, ou
plutôt de lever les thèmes apparentés au sommeil, de l’oubli, de l’origine perdue, et
de rechercher quel mode d’existence peut caractériser les énoncés, indépendamment
de leur énonciation, dans l’épaisseur du temps où ils subsistent, où ils sont conservés
(162).
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Concrètement, cette analyse des espaces de différenciation peut passer par l’analyse
contrastive de corpus, qui manifestent une certaine hétérogénéité (relative aux objectifs de
l’étude) afin de saisir linguistiquement les différences énonciatives liées aux différents
discours.
8 D’où, de qui, ou comment vient le sens en discours
Si nous faisons le bilan des aspects vus dans ce point 1, nous pouvons
tracer une ligne de continuité entre analyse du discours et énonciation, en
considérant que les topoï investis en discours, corrélés à des PDV et pris en
charge par des phénomènes de voix, manifestent la conversion du langage3
en discours, et attestent, par les indications sur la compétence topique
qu’ils fournissent, des manifestations des formations discursives et du
préconstruit. Cette forme d’analyse, qui s’appuie sur les conditions
d’énonciations, ou les conditions de production du discours, est en partie
critiquée par un autre type d’analyse, celle de l’analyse DE discours, qui
s’appuie sur une conception de l’énonciation reportée sur l’énoncé et sa
dynamique interne.
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Puisque selon Benveniste l’énonciation "convertit le langage en discours", il s’établit un
contraste avec l’opposition plus traditionnelle entre langue et discours. Il faut
probablement voir chez Benveniste une conception moins figée que celle qui considèrerait
que le discours actualise les éléments du système de la langue, puisque selon lui cette
conversion est immédiatement liée à la question du sujet et de la subjectivité.
12 D’où, de qui, ou comment vient le sens en discours
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Ce travail sur la réflexivité s’inscrit dans un ensemble de recherches d’historiens du
discours, comme Ghuilhaumou par exemple.
Julien Longhi 13
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Nous le verrons dans la mise en perspective des théories, mais cette approche très interne
et calculatoire du contexte nous semble excessive, puisqu’un énoncé peut changer de sens
selon le contexte, et qu’une interprétation peut surgir dans un contexte en l’absence de
mots, comme avec des gestes, mimiques, etc.
14 D’où, de qui, ou comment vient le sens en discours
Une corrélation très étroite se fait jour, à travers la notion même de valeurs
référentielles, entre signification et contextualisation ou mise en situation.
Pour Franckel, un énoncé est une séquence (une suite cohérente de mots)
rendue interprétable par la stabilisation de tel ou tel de ses contextes
possibles, ces contextes étant donc engendrables à partir de la séquence
elle-même. Dès lors qu’une séquence fait l’objet d’une interprétation
donnée, elle est constituée comme un énoncé, ce qui implique que
devienne effectif un de ses contextes potentiels. Pour Franckel et Paillard
(2007), la question centrale (concernant les prépositions, mais ceci peut
s’étendre au lexique en général) "est de dégager la part respective d’une
unité et de son co-texte dans la valeur obtenue" (12). Cette approche
conduit à un modèle de l’identité des prépositions en termes de "formes
schématiques" (FS): cette notion "marque que l’unité s’inscrit dans un
double processus interactif de schématisation – ou de configuration – du
co-texte d’une part, d’instanciation de ce schéma par les éléments de ce
co-texte d’autre part".
Nous avons donc, dans ce point 2, des approches du discours et de
l’énonciation radicalement différentes de celles vues au point 1. En effet,
alors que dans le premier cas le discursif et l’énonciation sont à considérer
selon des positionnements énonciatifs, des ancrages sociodiscursifs, ou
des points de vue ou attitudes du locuteur, dans le second cas ce sont les
scènes énonciatives, telles qu’elles sont calculables dans les énoncés ou
les textes, qui sont envisagées. Malgré ces oppositions, nous souhaitons
nous pencher sur les possibilités offertes par de tels modèles sur une
saisie globale du sens en discours. Pour cela, nous proposons d’examiner
des exemples concrets d’interactions théoriques entre ces composants
afin d’en synthétiser la portée pour l’analyse linguistique.
Yassine Belattar
Nous voyons donc, dans ce court extrait, que les concepts d’analyse
présentés au fil de cet article peuvent contribuer à analyser l’émergence du
sens en discours. S’ils sont présentés successivement pour la clarté de
l’analyse, nous souhaitons cependant défendre l’idée qu’ils sont les
modalités d’un même fonctionnement, celui de la dynamique sémantique
en discours, conçue comme "une dynamique de construction et d’accès à
un posé, motivé et profilé linguistiquement, mais toujours plus pauvre ou
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Nos analyses rejoignent en partie celles qui pourraient être formulées par la Scapoline. En
effet, pour Nølke (2009: 81), la ScaPoLine, ne parle pas d’énonciateurs: les "voix", ou plutôt
les points de vue, sont associées directement aux êtres discursifs (ê-d en abrégé), terme
central de cette théorie. Les ê-d sont conçus comme des images des "personnes" qui
peuplent le discours, créées par le locuteur. Faute de place, nous ne pouvons pas discuter
les différences fines entre cette théorisation et les autres conceptions de la polyphonie.
Pour plus de détails néanmoins, voir l’article de Lescano dans ce volume.
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plus riche que ces accès partiels" (Cadiot et Visetti 2001: 138, à propos des
thématiques, mais que nous étendons au fonctionnement général du
discours). Ces concepts sont ainsi à voir comme des outils pour
appréhender le fonctionnement énonciatif sous de divers aspects, sans
que l’un soit subordonné à l’autre.
fil de cet article: les concepts évoqués peuvent être vus comme différentes
formes de projection de l’instance énonçante, que l’on peut reconstruire, et
les concepts d’analyse évoqués sont alors à considérer comme des formes
spécifiques d’une projection dans et par le discours.
Pour essayer d’unifier les strates d’analyse dans une même saisie du sens,
nous utilisons une autre terminologie, qui retranscrit les notions en trois
phases de dynamique du sens7:
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Pour le détail de la tripartition motif-profil-thème, voir Cadiot & Visetti (2001), et Longhi
(2008) pour le travail de ces notions dans le cadre discursif, avec le changement
terminologique motif-profil-topos.
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Voir le travail sur 'intermittent' dans Longhi 2008, et le lien entre point de vue sur le motif et
dynamique du sens.
Julien Longhi 19
Délocutivité
Préconstruit/ Topoï
Sens commun
Motifs/motivation
Langage Discours
voix polyphonie/
PDV
Enonciation
Locutivité
Conclusion
Bibliographie
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Benveniste, E. (1966): Problèmes de linguistique générale 1. Paris (Gallimard).
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Coquet, J.-C. (2007): Phusis et logos. Paris (Presses Universitaires de Vincennes).
Dessons, G. (2006): Emile Benveniste: l’invention du discours. Paris (Editions In Press).
Ducrot, O. (1984): Le dire et le dit. Paris (Minuit).
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Franckel, J.-J. & Paillard, D. (2007): Grammaire des prépositions (Tome 1). Paris (Ophrys).
Lebas, F. & Cadiot, P. (2003): La constitution extrinsèque du référent: présentation. In: Langages,
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Mazière, F. (2005): L’analyse du discours. Paris (PUF, coll. Que sais-je).
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Le niveau socio-cognitif ne peut être développé davantage que par l’esquisse
phénoménologique, mais il s’articule au paradigme de l’enaction tel qu’il est travaillé par
des collègues tels que J.-P. Durafour, D. Bottineau.
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