Thèse Benmansour Hacene Ryad
Thèse Benmansour Hacene Ryad
Thèse Benmansour Hacene Ryad
Université d’Oran 2
Faculté des Langues étrangères
THESE
Pour l’obtention du diplôme de Doctorat en sciences
Spécialité: Français
Option: Sciences des textes littéraires
Je remercie Mme Haoues-Lazreg pour son aide, ses précieux conseils et ses
orientations.
Aussi, je remercie les membres de mon jury qui ont bien voulu examiner mon
travail.
Introduction ........................................................................................................ 2
Première partie :
Naissance et évolution de la littérature maritime
Deuxième partie :
De la structure au sens
Troisième partie :
Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
Umberto Eco.
Introduction
Introduction
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La mer fait partie intégrante de ces figures dont la littérature use et abuse afin
de rendre compte du (d’un) réel. Loin d’être un espace purement physique et objectif
offrant un cadre aux discours littéraires, la mer est le lieu de toutes les subjectivités.
Elle est perçue, décrite, pensée et ressentie selon le contexte culturel auquel les œuvres
réfèrent. De plus, la mer de par l’importance de son statut au sein du monde est investie
de significations multiples. Cette diversité sémantique du vocable mer nous conduit à
nous interroger sur ses formes de présence et de réalisation dans la littérature.
Afin de nous pencher plus en détail sur ce questionnement, nous avons choisi
un corpus composé de deux romans au sein desquels la mer joue un rôle prépondérant :
Au commencement était la mer de Maïssa Bey, et La Quarantaine de Jean-Marie
Gustave Le Clézio.
Maïssa Bey est une auteure algérienne née en 1950 à Ksar-el-Boukhari, une
ville des Hauts Plateaux algériens. Son père, instituteur et combattant du FLN, est mort
au champ d’honneur durant la guerre de libération nationale. Après des études au lycée
Fromentin d’Alger, puis universitaires dans la même ville, Maïssa BEY a enseigné le
français avant d’être conseillère pédagogique à Sidi Bel Abbès où elle réside à l’heure
actuelle.
2
Introduction
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Signalons que Maïssa Bey est un pseudonyme. En effet, au milieu des années
quatre-vingt-dix, date de la sortie du roman Au commencement était la mer, l’Algérie
était déchirée par une guerre civile. Maïssa Bey vivait, à l’instar de tous les Algériens,
et plus encore en tant que femme et comme écrivain, une situation de péril quotidien.
C’est la raison pour laquelle elle a eu recours à ce pseudonyme. De son vrai nom,
Samia Benameur, elle n’a eu cesse d’exprimer sa révolte et sa lutte contre le désespoir,
à travers l’écriture. Avant tout, Maïssa BEY est une militante, une militante de
l’Algérie libre, de l’Algérie moderne et c’est pour cela que l’acte d’écriture est, pour
elle, avant tout un acte de résistance, un acte de citoyenneté, un acte de liberté. La
musique de la langue est une dimension fondamentale de son écriture. Elle ‘entend’ ce
qu’elle écrit et cherche parfois plusieurs jours le mot qui lui semble juste. La
typographie revêt aussi pour elle une très grande importance et elle fait un grand usage
de blancs ou de retours.
Nadia, personnage principal du récit, poursuit une quête qui s’exprime au travers
d’une tentative d’émancipation sur le plan individuel, quête qui passe par la
transgression de plusieurs règles de la société algérienne conservatrice. Ces lois sont
3
Introduction
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d’autant plus rigides et dures car l’intégrisme religieux régnant en Algérie durant les
années 90 a accentué l’exclusion et la marginalisation de la femme au sein de la société
algérienne.
4
Introduction
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La mer, chez Le Clézio, a pour référent l’océan indien. En effet, la longue quête
des héros du roman a pour objectif l’Ile Maurice, la terre de leurs aïeux, donc un espace
terrestre. Ceci dit, ce long périple ne peut prendre place sans l’élément primordial qui
permet l’aboutissement et qui est l’élément maritime. Cette mer le clézienne de tous les
possibles, ne s’arrête pas aux limites strictes du sensible, du visible. Elle va bien au-
delà, elle touche l’intérieur de l’âme, l’essence des désirs, des légendes et des mythes
en ressurgissant au travers des pages de La Quarantaine.
Comme la plupart des œuvres littéraires, les roman de Maïssa Bey et de J-M. G
Le Clézio sont profondément codifiés. Un nombre incalculable de signes et de
symboles, de nature et d’utilisations variées, crée un réseau occulte dont le déchiffrage
a été l’un des secrets du plaisir que nous a procuré leur lecture. C’est cette même quête
de décryptage qui nous a animé et poussés à entreprendre ce travail.
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Introduction
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concret), ou la mer en tant que virtualité. La mer dira, la mer nommera, elle sera le
commencement de l’histoire, le début de la réflexion.
Aussi, nous nous donnerons pour tâche d’étudier les différentes configurations
de la mer dans le corpus choisi. Nous tenterons, à ce propos, de répondre aux questions
suivantes :
Est-ce que le vocable mer peut renvoyer à des statuts dramatiques différents ?
Comment peut-il agir sur l’espace-temps et sur le parcours événementiel du roman ?
Est-ce que le vocable mer acquiert un nouveau statut sémantique dans l’idiolecte
beyien et le clézien, c’est-à-dire dans l’ensemble des particularités langagières
propres à Bey et à Le Clézio au travers de ces deux romans ?
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Introduction
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Cette problématique de la mer ainsi posée nous pousse à nous poser la question
qui suit : Peut-on parler de littérature maritime qui ne coïnciderait pas seulement avec
l’évocation du vocable mer mais qui réunirait des œuvres dont la mer constitue le
noyau et qui aurait un style propre à elle ?
Nous nous intéresserons dans cette présente recherche, en premier lieu, à la mer
en tant que virtualité, en d’autres termes, à la mer en tant qu’abstraction et ceci, grâce
aux sens multiples que ce vocable prendra dans les deux ouvrages. Nous aurons à
vérifier, en second lieu, si le vocable mer est susceptible d’acquérir un nouveau code
sémantique dans chacune des deux œuvres et si ce code leur est commun. Il nous
apparaît que c’est là un point fondamental de notre analyse. En effet, nous devrons
recenser les différents moyens permettant au vocable mer d’accéder à une valeur
notionnelle abstraite et à une nouvelle dimension sémantique propre au corpus retenu.
Ceci ne peut se faire qu’à travers l’analyse du lexique renvoyant à la mer, dans les deux
romans, et à ses significations propres. En conséquence de quoi, nous consacrerons
notre première partie à un recensement précis dense et général des différentes
significations du vocable mer, en commençant par son étymologie jusqu’à ses
différents usages littéraires en passant par les relations qu’il peut entretenir avec
d’autres disciplines. Aussi, nous entamerons notre cheminement par une première
partie intitulée Naissance et évolution de la littérature maritime, dans elle sera
composée de trois chapitres. Le premier, Le mot mer, des origines aux usages, sera
consacré exclusivement au mot mer, nous y reviendrons sur les origines, les
significations ainsi que les formes lexicalisées et figées du vocable mer en langue
française.
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Introduction
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La troisième partie qui vient clore notre recherche est intitulée Les
représentations symboliques et la dimension mythologique de la mer. A certains égards,
Au commencement était la mer, La quarantaine, procèdent du récit répétitif des mêmes
motifs (nous n’userons pas encore, ici, du terme symbole), parfois du même thème ou
de la même situation dont la distance temporelle, ou conjoncturelle, permet seule de
marquer les variations. Ces éléments ne se répètent que pour mieux montrer l’action
érosive du temps et la mutation des rêves, formulés par les héros, en illusions perdues.
Aussi, nous parait-il impératif de tenter de mettre en relief le caractère symbolique que
revêt la mer tout au long des romans cibles. Les différents points de vue qui la disent,
du narrateur aux protagonistes, lui confèrent une épaisseur et un rôle similaires à ceux
d’un personnage réel et quasi-humain. Ce procédé de personnification souligne
l’importance de ce vocable dans les deux récits. La mer devient ainsi un élément-clé
dans ces compositions textuelles.
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Introduction
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Partie I
Naissance et évolution de la littérature maritime
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Introduction
L’objet de notre travail dans cette thèse, est le vocable mer et les rapports qu’il
entretient, au sein de notre corpus, avec les autres actants des récits, mais aussi le ou les
sens qu’il génère. Mais ce n’est pas tout, ce travail linguistique et sémantique ainsi fait,
nous permettra d’aboutir, un peu plus tard, aux symboliques de la mer, symboliques qui
seront la clé d’entrée à l’analyse du mythe. Mais pour parvenir à cette finalité, il nous a
paru essentiel d’entamer nos analyses par une partie strictement dédiée au vocable mer.
Depuis Ulysse, jusqu’à Conrad, la mer offre le cadre nécessaire au voyage, elle
offre surtout l’élément permettant l’introduction de l’étranger, de l’étrange et du
merveilleux car elle est mystérieuse aux yeux d’un grand nombre de lecteurs. La mer, qui
est l’une des sources intarissables de la rêverie, a produit quelques uns des plus beaux
textes littéraires de l’humanité à travers la narration et la poésie qu’elle suscite chez les
écrivains et autres conteurs. Tous ces textes ont un point commun : la mer, c’est elle qui les
engendre, qui les définit et qui leur donne sens.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Chapitre I
Le mot mer, des origines aux usages
O mer, dans ton repos, dans tes bruits, dans ton air,
Brizeux.
Notre premier chapitre lors de cette partie sera consacré au vocable mer en
langue. Entamer un travail de recherche à propos d’un mot dans un contexte donné,
nécessite de prendre comme point de départ le mot lui-même. Nous prendrons donc le
temps de nous pencher sur les plus grands dictionnaires de langue française, outils qui
nous permettrons de définir ce vocable, signaler son étymologie, son évolution et ses
différents usages. Nous reviendrons ainsi, dans le détail, sur ses multiples
significations, au propre comme au figuré, afin de cerner l’étendu de ses références.
Nous nous consacrerons par la suite, grâce à ces définitions, à l’étude des rapports
qu’entretient ce même vocable avec d’autres domaines et le rôle qu’il y joue. Aussi,
nous nous arrêterons sur les expressions et autres associations de lexies dont le mot
mer est la clé de voute. Nous tenterons un relevé, des plus complets possibles, des
locutions et autres formules englobant en leur sein le vocable mer.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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1
- La langue grecque (en grec : Ελληνικά) est, aujourd’hui, l’unique langue survivante de la famille
hellénique. Le grec, sous sa forme dite démotique a actuellement une vingtaine de millions de locuteurs,
principalement en Grèce, à Chypre et dans des communautés immigrantes en Europe.
2
- La langue latine (lingua Latīna ou Latīna lingua en latin) appartient à la famille des langues indo-
européennes. Elle était parlée, originellement, dans le Latium et à Rome. Le latin, bien que considéré de nos
jours comme une langue morte, continue à être enseigné dans de nombreuses universités et écoles. Il reste
aussi la référence pour la création de nouveaux mots dans de nombreuses langues de la même famille.
3
- La langue irlandaise (appelée gaélique d’Irlande ou gaélique irlandais, Gaeilge en irlandais), appartient à la
famille celtique indo-européenne du groupe des langues gaéliques. Elle est principalement parlée en Irlande.
4
- Langue celtique du Pays de Galles, parlée aussi en Basse-Bretagne.
5
- La langue cornique (Kernewek, Kernowek, dans cette langue), est une langue celtique insulaire appartenant
au groupe brittonique des langues indo-européennes. Elle est parlée en Cornouailles, au Royaume-Uni.
6
- L’armoricain est un dialecte celtique. Il est principalement utilisé da,s l’Armorique ou Basse-Bretagne.
Cette langue se rapproche énormément du kymri, langue du Pays de Galles. Langue parlée dans l'Armorique
ou Basse-Bretagne.
7
- La langue gotique est issue de la branche germanique des langues indo-européennes. Elle était parlée par
les Goths au Moyen Age. C’est actuellement une langue morte. Elle est la plus anciennes des langues
germaniques et la seule à disposer d’un corpus textuel. Elle est principalement représentée par le Codex
Argentus.
8
- Appelée aussi vieil anglai. Cette langue fut parlée en Angleterre entre les Ve et XIIe siècles par les Anglo-
Saxons. Elle est issue de l’anglo-frison (ou ingvaeonique) des langues germaniques. Elle est considérée
comme l’ancêtre de l’anglais actuel.
9
- Appelées aussi langues germaniques septentrionales. C’est un groupe de langues issues d’une seule et
même famille, elles constituent une branche des langues germaniques, ces dernières sont un sous-ensemble
des langues indo-européennes. Ce groupe de langue est principalement parlé dans les pays nordiques de la
Scandinavie.
10
- L’ancien allemand (Althochdeutsch) est la plus ancienne forme écrite de la langue allemande. Cette forme
de l’allemand dominait de 750 à 1050.
11
- Le lituanien (Lietuviu dans cette langue), appartient au groupe balte oriental issu des langues indo-
européennes.
12
- L’ancien slave, dit aussi vieux-slave ou vieux-bulgare, est la forme la plus ancienne attestée de la langue
slave.
13
- La langue russe (Русский en russe), compte de nos jours quelque 300 millions de locuteurs. Le russe
appartient au groupe slave oriental issu de la famille des langues indo-européennes.
14
- La langue polonaise (jezyk polski ou polszczyzna), appartient au groupe des langues léchitiques des
langues slaves.
15
- Le sanscrit ou sanskrit (संस्कृतम ्, (samskrtam)) est une langue de la famille indo-aryenne, elle-même
appartenant aux langues indo-européennes. Elle fut parlée, jadis, dans le sous-continent indien. De nos jours,
certains savants continuent à la faire vivre en la parlant et en publiant des œuvres dans cette langue. De
nombreux colloques continuent à être tenus en sanscrit.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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- Adolphe Pictet (-Cazenove), est un écrivain et linguiste suisse. Il est né le 11 septembre 1799 à Genève où
il décèdera le 20 décembre 1875.
17
- Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Tome onzième, Pierre LAROUSSE, Slaktine, Genève-Paris,
1982, p 49. Réimpression de l’édition de Paris, 1866-1879. ISBN 2-05-100420-X.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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« Très vaste étendue d’eau, qui occupe une grande partie de la surface de la terre.
(…) Partie définie de cette étendue ; vaste étendue d’eau salée, entourée de terres de
toutes parts : La mer méditerranée. »18.
Le Trésor de la Langue française Informatisé (TLFi) nous donne la définition
suivante du vocable mer :
« Vaste étendue d'eau salée qui occupe la plus grande partie de la surface
terrestre. »19.
Le Grand Robert de la langue française, dictionnaire alphabétique et analogique
de la langue française, donne lui la définition suivante au vocable mer :
« Vaste étendue d’eau salée qui couvre une grande partie de la surface du globe
terrestre. »20.
Nous remarquons deux caractères spécifiques au vocable mer : l’immensité -
désignée par les expressions « très vaste » et « vaste »-, et eau qui indique la substance
ou matière dont est constituée la mer.
18
- Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Tome onzième, Pierre LAROUSSE, Slaktine, Genève-Paris,
1982, p 49 Réimpression de l’édition de Paris, 1866-1879. ISBN 2-05-100420-X.
19
- TLFi, http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/tlfiv5/visusel.exe?12;s=3459354735;r=1;nat=;sol=1;
20
- Paul Robert, Le Grand Robert de la langue française, Dictionnaire alphabétique et analogique de la
langue française, Deuxième édition, Tome VI, Le Robert, 1985, p 377 ; ISBN 2-85036-094-5.
21
- Grand Larousse de la langue française en sept volumes, Tome quatrième, Librairie Larousse, 1989, p.
3318, ISBN 2-03-101374-2-VL.
22
- Œuvres complètes de Voltaire, Tome I, Mélanges historiques, éditions Chez Antoine-Augustin Renouard,
1819, p. 35.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Le vocable mer peut aussi désigner, par analogie avec vaste étendue, une vaste
superficie : une mer de glace, ou encore : une mer de sable. C’est ainsi que Bernardin
de Saint-pierre use de cette analogie :
« Quand le vent agite les plantes, vous diriez, à leurs ondulations, une mer de verdure
et de fleurs. »23
Le Dictionnaire historique de la langue française nous révèle que par analogie
aussi :
« Le mot (mer) sert aussi à désigner une vaste étendue d’eau non salée, voire
simplement une étendue plane. »24.
/Eau/, /étendue/ et /rivage/ sont des sèmes inhérents à mer et communs aux
vocables : ‘océan’, défini également comme : «Vaste étendue d’un seul tenant, que
forme l’eau marine recouvrant le globe. », ‘lac’ (« Grande étendue d’eau entourée de
terres. »), ‘fleuve’ (« Cours d’eau qui aboutit à la mer. ») et ‘cours d’eau’, synonyme
de ‘fleuve’, ‘rivière’, ‘ruisseau’, ‘torrent’.
23
- Adolphe de Lescure, Bernardin de Saint-Pierre, éditions Lecène, Oudin, 1892. P.189.
24
- Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain REY, Dictionnaires Le Robert,
Paris, 1993, p 1225, ISBN 2-85036-187-9.
25
- les définitions sont empruntées au Petit Larousse Illustré, Librairie Larousse, 1968.
16
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Nous notons que le vocable ‘océan’ n’inclut pas ces deux sèmes spécifiques
puisque son sens premier est identique à celui de mer. Faut-il ainsi établir une
hiérarchie entre ces deux termes afin de les distinguer et d’éviter toute confusion
référentielle du terme mer qui peut également désigner l’océan ?
Nous insistons ici sur cette ambiguïté sémantique et référentielle en langue car
il sera intéressant de voir si cette confusion trouve en contexte une solution et de
quelle manière.
26
- Paul Robert, Le grand Robert de la langue française, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue
française, Deuxième édition, Tome VI, Le Robert, 1985, p 378 ; ISBN 2-85036-094-5.
27
- Paul Robert, Le grand Robert de la langue française, Dictionnaire alphabétique et analogique de la
langue française, Deuxième édition, Tome VI, Le Robert, 1985, p 378 ; ISBN 2-85036-094-5.
28
- Œuvres complètes de Voltaire, Tome V, Mélanges historiques, Politique et Législation, éditions Furne,
1847, p. 41.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Le vocable mer sert aussi à présenter un « objet qui offre des fluctuations, des
péripéties, des vicissitudes diverses : La mer des passions humaines. »29.
C’est d’ailleurs en ces termes que Victor Hugo en parle dans ces vers:
29
- Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Tome onzième, Pierre LAROUSSE, Slaktine, Genève-Paris,
1982, p 49. Réimpression de l’édition de Paris, 1866-1879. ISBN 2-05-100420-X.
30
- Victor HUGO, Cromwell et sa préface, Hachette et cie, 1875. p 206.
31
- Dictionnaire de la langue française, Encyclopédies Bordas, SGED, Paris, 1994, p 1284, ISBN 2-8248-
013-9.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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- Haute mer (1145) ; Basse mer (1607), ces deux syntagmes font références à la
marée ainsi qu’a ses mouvements :
- Le niveau de la mer ; pour évoquer l’état de la marée
- Basse mer : marée basse, le niveau le plus bas de l’eau pendant la marée.
- Pleine mer (1691) signifiant la mer loin du rivage, partie de la mer la plus
éloignée des côtes. Pleine mer signifie aussi le niveau le plus élevé de l’eau
pendant la marée.
- Le flux et le reflux de la mer.
32
- Grand dictionnaire universel du XIXe siècle, Tome onzième, Pierre LAROUSSE, Slaktine, Genève-Paris,
1982, p. 49 Réimpression de l’édition de Paris, 1866-1879. ISBN 2-05-100420-X
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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- Nous avons aussi les expressions : la mer monte, la mer descend, pour parler
du mouvement de la marée.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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- Mal de mer : se dit d’un malaise que provoque le voyage en mer. Il donne lieu à
des maux de tête et parfois à des vomissements.
- Droit de la mer ; ensemble des règles juridiques conventionnelles et
coutumières gouvernant les activités sur mer et définissant le statut des
différents espaces maritimes.
- Mer-air ; se dit d’un missile tiré d’un navire contre un objectif aérien.
« […] la lecture, qui se ramifie dans tous les sens et dont la prolifération faillit
m’étouffer plus d’une fois, ma plus grande joie de l’esprit aura été mon
application perpétuelle et désintéressée aux mathématiques. C’est maintenant
la mer à boire. »35
33
- Nicolas Boileau Despréaux, Epitres, Hachette et Cie, 1853, p. 120.
34
- Cette métaphore date de la seconde moitié du XVIIe siècle.
35
- Philippe Bonnefis, Logique de l’objet : Flaubert, Baudelaire, Malraux, Cendrars, Ponge, Simon,
Quignard, Adami, éditions Presses Universitaire du Septentrion, 2016. p. 133. ISBN 9782757413159.
21
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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« Un jour je me dis : Quand un gars dépose cent balles au guichet, l’Etat prélève son
bakchich avant de les redistribuer. Ce n’est pas la mer à boire. »36.
- C’est une goutte d’eau dans la mer ; c’est relativement très peu de chose, c’est
insignifiant, dont le rôle est dénué d’importance.
- Il boirait la mer et ses poissons, qui signifie avoir une soif inextinguible. La
tournure est une ellipse pour « il a tellement soif qu’il boirait la mer et ses
poissons ».
- Courir la terre et les mers, courir terre et mer ; chercher quelqu’un partout, en
des lieux difficiles.
- Salé comme la mer ; extrêmement salé.
- C’est un homme à la mer ; se dit de quelqu’un qui est perdu de réputation.
36
- Alain Sergent, Je suivis ce mauvais garçon, éditions La Jeune Parque, 1946, p. 51-52.
37
- Dictionnaire de proverbes et expressions, Collection le Robert langage et culture, Le Robert, Paris, 1990,
p. 306. ISBN 2-85036-113-7.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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- Bleu de mer, vert de mer : couleur bleue ou verte rappelant celle de la mer.
- L’azur de la mer.
- La couleur glauque de la mer.
- Le gris de la mer.
- La phosphorescence de la mer.
- Le brasillement de la mer.
23
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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pour naviguer, se baigner, partir à la pêche, entreprendre des voyages par mer, etc.
dépendent d’une combinaison entre l’état de la mer et la présence/absence de l’astre
solaire.
Le vent vient compléter la liste des éléments de la nature avec lesquels la mer
entretient des rapports étroits. Les états de la mer (calme, agitée, déchainée, etc.)
dépendent incidemment de l’acteur vent qui, au gré de sa force mais aussi de ses
directions changeantes, va décider de l’aspect de la mer. Le vent sera ainsi
responsable, par exemple, des vagues, de leur force mais aussi de leur taille. Le vent
offrira aussi des conditions de navigation différentes selon la force qui sera la sienne.
Plusieurs noms de vent font un appel direct à la mer : La brise, ou le vent de mer : est
ce vent qui souffle de la mer vers la terre.
Aussi, pour parler d’un état calme de la mer nous avons les expressions
suivantes :
Mer belle, mer calme, mer étale, mer immobile, mer plate, mer sereine, mer tranquille,
mer d’huile.
24
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Mais ce n’est pas tout, il y a bien aussi d’autres espèces qui ne vivent pas dans
les mers pourtant ils ont un lien indéfectible avec elle, ce sont les Oiseaux des mers.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Ainsi, les albatros, les alcyons, les mouettes, les pingouins, les manchots, pour
ne citer que ceux-là, se trouvent souvent désignés de par leur proximité avec la mer.
C’est elle qui leur offre le cadre idoine de leur survie.
- Le bruit de la mer.
- Le bruit puissant et sourd de la mer
- Le hurlement, le mugissement, le ronflement de la mer.
- La mer grogne.
- Le clapotis (de la mer, des vagues).
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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- Maritime,
- Marine,
- Amariner : pour un hydravion qui se pose sur la mer.
- Amerrir,
6. La mer et la mythologie
La mythologie grecque est riche de divinités marines, car la mer, de par
l’imagination des anciens, était peuplée de dieux et de déesses en tout genre. Nous ne
citerons ici que les divinités les plus importantes de la mer :
Synthèse
Nous avons tenté, tout au long de ce chapitre, de faire le tour de toutes les
étymologies, significations, expressions et locutions ayant trait au vocable mer. Nous
nous sommes efforcés, par ailleurs, de souligner ses différents emplois, propres
comme figurés. De plus, nous nous sommes penché de près sur les expressions et
autres formules de langue française englobant le vocable mer, et ceci afin d’en dégager
les sens et autres usages. Nous avons ainsi pu établir les liens étroits qu’entretient le
38
- Dans la Mythologie, Dieu de la mer. Il s'emploie poétiquement pour désigner la Mer.
39
- Thétis est une Néréide, une nymphe marine. Elle est la fille de Nérée et de Doris. On ne doit pas la
confondre avec sa grand-mère Téthys qui elle, est une divinité primordiale de la mer. Téthys est la mer du
héro Achille.
40
- Divinité marine à corps d'homme et queue de poisson dont les attributs sont la conque et le trident et qui,
avec les néréides, formait le cortège d'Amphitrite
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Chapitre II
La littérature maritime : genèse de la formation d’un genre
Le thème de la mer est incontournable en littérature. Cet acteur qui n’a, depuis
la nuit des temps, cessé de subjuguer et d’inspirer l’homme, trouve une place
prépondérante dans les productions littéraires depuis que l’homme a commencé à
écrire.
29
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Notre travail, dans ce chapitre, sera celui de revenir aux prémices de l’écriture
pour remonter, par la suite le cycle des périodes et des ères, afin de pointer du doigt
l’évolution des écrits maritimes. Nous tenterons ainsi de dégager les mutations et
autres changements de la littérature maritime au fil des siècles. Seul un travail aussi
rigoureux pourra nous permettre, par la suite, de répondre à la question de l’existence
ou non, d’un genre maritime.
Retrouver les plus anciens textes évoquant ou traitant de la mer nous conduit à
nous pencher de près sur l’histoire des plus anciens peuples ayant côtoyé de près la
mer. C’est ainsi que nous tentons dans la partie qui suit, de répertorier les plus anciens
textes maritimes.
La mer méditerranée fut le berceau des activités maritimes. Les peuples crétois
et phénicien furent les pionniers des échanges maritimes. Un peu plus à l’Est, les
Mésopotamiens n’étaient point en reste de ces pratiques maritimes. A l’aide de leurs
frêles embarcations, ils pratiquaient le commerce dans le golf Persique et même en
océan Indien. Plusieurs découvertes archéologiques attestent de la rencontre des
Mésopotamiens avec le peuple d’Egypte, peu enclin à se risquer sur les flots hors du
fleuve du Nil.
30
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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C’est ainsi que l’Arche de Noé commença son périple sur la terre et dans les
âmes. Nous estimons que ce texte est la première manifestation de la littérature
maritime. C’est de cette manière que l’aventure romanesque maritime va débuter.
Cette entame constituera une source d’inspiration sans précédent.
1.1.2. En Egypte
La civilisation des pharaons occupe une place très importante dans l’histoire de
l’humanité. Un retour sur son histoire très riche nous permet de mettre l’accent sur les
rapports qu’entretenait le peuple d’Egypte avec la mer.
1
- Léon Metchnikoff, La civilisation et les grands fleuves historiques, éditions Forgotten books, 2018, p. 43.
Première édition hachette et compagnie, Paris, 1889. ISBN 978-0428907402.
31
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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« Mon maitre m’a envoyé pour que j’expédie vers le Pount un bateau qui lui
rapporterait de la myrrhe fraiche. J’ai quitté le Nil avec une armée de trois
mille hommes à chacun d’eux, tous les jours, j’ai donné une gourde de
cuire, deux jarres pleines d’eau, vingt galettes de pain… j’ai creusé douze
puits… J’ai atteint la mer Rouge. J’ai construit le bateau et je l’ai mis en
route. »2
D’un point de vue sémantique, ce texte est très intéressant, car il emploie le
pronom personnel « je » ce qui est de rigueur aujourd’hui dans les rapports de mer.
Ces rapports vont inspirer beaucoup de récits de mer. Quelques années plus tard, le
pharaon Senousset fit creuser un canal du Nil à la mer Rouge. Ferdinand de Lesseps a
donc eu un prestigieux précurseur.
2
- Yves Duhoux, Des minoens en Egypte ? « Keftiou » et « les îles au milieu du Grand vert », Institut
orientaliste de l’université catholique de Louvain, 2003, p. 156. ISBN 9782877237031.
32
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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En voici un extrait du texte adapté par Jean Merrien d’après les traductions de Gaston
Maspéro et G.Lefèvre :
Un orage a éclaté alors que nous étions sur la Grande Verte et avant
que nous eussions atteint la terre. On continua de naviguer, mais l’orage
redoubla, amenant une lame de huit coudées ; c’est une pièce de bois qui
l’aplatit à mon profit (me la fit parer). Puis le navire fut détruit, et moi je
fus déposé sur une île par une lame de la Grande Verte. Je passai trois
jours seul, sans autre compagnon que mon cœur, gisant inerte sous l’abri
d’un arbre, et profitant de son ombre. Puis, je me mis sur mes jambes et
partis à la recherche de quelque chose à manger ; je trouvai des figues et du
raisin, toutes sortes de légumes magnifiques, des fruits de sycomore et des
concombres aussi beaux que s’ils fussent cultivés […] »3
Ce texte nous rappelle étrangement celui des Contes des Mille et une Nuits. En
effet, plusieurs points de recoupement sont à noter entre les deux récits. Rappelons que
les écrits relatifs au Voyage de Sindbad le Marin, sont inspirés par les conteurs
populaires égyptiens aux XIIe et XIIIe siècles. Une question se pose à nous, les Arabes
auraient-ils eu connaissance du papyrus susdit ? Rien n’en est moins sur.
Les hommes de religion et les initiés ont élaboré une technique qui, pensait-on,
permettait au défunt de diriger son existence posthume. Ainsi, ils ont mis en place un
livre composé de rouleaux de papyrus qui accompagnait le mort dans son sarcophage,
ce livre porte le nom de « Livre des Morts » (appellation qui date de 1842).
3
- René Moniot Beaumont, Histoire de la littérature maritime, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2008,
p. 47. ISBN 978-2842655907.
33
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
________________________________________________________________________________
« Chapitre LVIII.- Une autre Incantation pour obtenir des Pouvoirs sur les
Eaux.
« -Ouvrez-moi la Porte !
-Qui es-tu ? Où vas-tu ? Quel est ton nom ?
-Qui sont ceux qui t’accompagnent ?
-Ce sont les deux déesses-serpents.
-Sépare-toi d’elles si tu veux avancer !
-Non ! car elles m’aideront à parvenir jusqu’au sanctuaire où je trouverai
les dieux supérieurs.
‘L’Ame-qui-se-concentre ‘est le Nom de ma barque ;
‘L’Effroi’ est le Nom de mes Avirons ;
‘Celle-qui-stimule’ est le nom de ma Cale ;
‘Navigue-droit-devant-toi’ est le Nom de mon Gouvernail.
De la même façon, sachez, est modelé mon Cercueil pendant la traversée…
Que mes offrandes soient :
Lait, pain et viande du temple d’Anubis.
Chapitre XCIX.-Pour conduire une barque dans le monde inférieur
O vous, Esprits, qui naviguez
Sur les impures Vertèbres du dos d’Apopi (le dragon, l’esprit du mal)
Puis-je, moi aussi, naviguer dans ma barque
-En paix, en paix-
[…]»4
4
- Grégoire Kolpaktchy, Livre des morts des anciens Egyptiens, éditions J’ai lu, 2009, p. 83. ISBN 978-
2290017470.
34
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
________________________________________________________________________________
C’est plus de 3000 tablettes d’argile qui ont été déterrées. Elles transcrivent
toute la correspondance entre le gouvernement égyptien et la colonie phénicienne. Il
s’agit principalement des rapports des luttes contre les pirates de la Méditerranée
orientale :
« -L’ennemi a disposé des bateaux de telle sorte que Smyra ne peut pas être
ravitaillée en grains.
Ou encore,
-L’ennemi a capturé un de mes vaisseaux et mis sous voile pour aborder
mes autres vaisseaux. »6
Nous devons admettre que cette recherche des textes inspirés par la mer dans la
Haute Antiquité peut nous laisser sur notre faim lorsqu’on connait l’activité intense en
matière de commerce maritime dans la mer méditerranée orientale et dans une partie
de l’océan Indien.
5
- René Moniot Beaumont, Histoire de la littérature maritime, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2008,
p. 77. ISBN 978-2842655907.
6
- René Moniot Beaumont, Histoire de la littérature maritime, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2008,
p. 98. ISBN 978-2842655907.
35
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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1.2.1. En Grèce
A partir de l’an 1000 avant J.-C., une ère nouvelle s’ouvre pour la navigation en
Méditerranée. Les Phéniciens poussèrent leurs conquêtes vers l’ouest et les Grecs
essaimèrent leurs comptoirs sur le pourtour de la Mare Nostrum.
Ces documents furent connus grâce aux citations et commentaires des auteurs
dont les œuvres nous sont parvenus. Nous allons, dans ce qui suit, vous présenter
quelques-uns des textes les plus importants et dont le thème se raccorde à la mer.
36
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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C’est grâce aux œuvres de Pindare et de Sophocle que ce récit nous a été
restitué. Homère aussi en parle dans le chant XII de l’Odyssée et Hérodote en fait
mention.
Loïc du Rostu.
37
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Ce texte d’Hérodote se base sur les récits des Phéniciens, les premiers grands
explorateurs mais aussi les premiers menteurs de l’histoire, d’après M. Cary et E.
Warmington. Cela n’enlève rien à la beauté du texte, simple et nu, attirant et
désappointant, et qui a soulevé maints commentaires de la part des historiens.
Ce n’est pas ici le seul récit de voyage en mer relaté par Hérodote. Il rapporte
une autre exploration maritime, celle de Sataspès. Cette dernière relève de la tradition
carthaginoise. Hérodote raconte que sous le règne de Xerxès, au Ve siècle avant J.-C.,
le jeune Sataspès partit par les Colonnes d’Hercule pour faire le tour de l’Afrique,
mais rebuté par la longueur du voyage, il finit par faire demi-tour.
7
- Hérodote, L’Egypte, Histoires, II, éditions Belles Lettres, 1997, p.73. ISBN 978-2251799209.
38
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Ce long récit fut gravé sur une colonne de bronze érigée à Carthage. Nous
retrouvons sa trace au travers de plusieurs écrits grecs. Cicéron, entre autre, en parle
dans ses écrits philosophiques : les Tusculanes.
8
- Lionel Casson, Les Marins de l’Antiquité, éditions Hachette Paris, 1961, p. 134.
39
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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qu’elle donna naissance à son fils, d’où le nom de ce dernier : Mélésigène. Un pauvre
maitre d’école nommé Phémius va recueillir la mère et son enfant. Le futur auteur de
l’Odyssée va succéder à son père adoptif dans sa mission d’enseignement. Homère qui
méditait déjà à cette époque un récit sous forme d’épopée, se voit proposer un voyage
en mer par le capitaine d’un navire nommé Mentès. Il saisit cette opportunité afin de
voyager et visiter les lieux qu’il aurait à décrire plus tard dans ses poèmes. Il traversa
lors de son périple l’Egypte, l’Italie, l’Espagne, les rivages de l’Adriatique, ceux du
Péloponnèse, les îles, les écueils, les continents, s’asseyant au foyer de tous les
peuples, prenant leçon de tous les sages et surtout recueillant les légendes, les
souvenirs, les histoires, les descriptions, les symboles, les mythes dont il devait
enrichir la trame de ses poèmes. Son aventure s’arrête brusquement sur l’île d’Ithaque
lorsqu’une maladie des yeux l’affaiblit. C’est là qu’il recueillit les traditions relatives à
Ulysse. Elles lui serviront pour la composition de l’Odyssée.
Mais cette vie sédentaire ne le comble pas ; il décide de reprendre la mer afin
de visiter une dernière fois la Grèce. Il aimait se faire décrire les villes où il passait, les
ports, les paysages magnifiques. Un jour, naviguant dans le golf d’Athènes, il se sentit
défaillir et demanda qu’on le descende sur le rivage. On l’assit au soleil, selon son
désir. C’est là qu’il expira son dernier souffle au milieu de cette nature qu’il adulait
tant. Lamartine écrit :
9
- Alphonse de Lamartine, La vie des grands hommes, Tome 1 : Homère, Socrate, Cicéron, Antar, Rustem,
éditions Archéos, 2011, p.53. Première éditions Bureaux du Constitutionnel, Paris, 1855. ISBN 978-
2919351060.
40
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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1.2.2. A Rome
A l’inverse des Phéniciens qui avaient une grande maitrise de la navigation les
Romains eux, étaient de piètres marins, cause pour laquelle nous ne retrouvons que
peu de textes maritimes dans leur littérature.
Cependant, quelques auteurs vont aborder le thème de la mer à l’instar de
Polybe, écrivain d’origine grecque (210 av. J-C. 125 av. J-C.) dans son œuvre
Histoires, puis Tite-Live (64 av. J-C. à 17 après J-C.) qui raconta la deuxième
punique : avec Carthage, la mer n’est jamais bien loin. L’empereur Jules César, lui
aussi, dans ses écrits, expose les problèmes nautiques liés à sa campagne militaire
contre les Vénètes (Gaulois habitant l’actuel Morbihan).
1.2.2.1. Virgile
Virgile naquit en l’an 70 av. J-C. près de Mantoue dans le village d’Andes. Il fit
ses premières études à Crémone, il avait alors 7 ans. Par la suite, c’est à Milan et à
Naples qu’il se rendit pour étudier la médecine et la physique. Il publia, en 43 de notre
41
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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ère, les Bucoliques suivit des Géorgiques, après avoir longuement fréquenté les
milieux littéraires de la capitale, Rome. Il entreprit pendant dix années (725 à 735) la
rédaction de son chef d’œuvre l’Enéide dont tout le monde parlait à Rome. Cette
œuvre sera une épopée qui chante la gloire et la légende de Rome. Citons, à cet effet,
les vers de Properce10 : « Nescio quid majus nascitur Iliade11. »
10
- De son vrai nom Sextus Propertius, est un poète de Rome né vers 47 av. J-C et mort vers 16 av. J-C.
11
- Je ne sais quoi de plus grand que l’Iliade est entrain de naitre.
12
- https://www.ebooksgratuits.com/html/virgile_eneide.html. Consulté le 22 décembre 2015.
42
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Dans la partie qui va suivre, nous tentons de cerner les éventuelles évolutions et
mutations quant à l’emploi du vocable mer à l’ère du Moyen Age. A cet effet, nous
passerons en revue quelques uns des textes les plus marquants qui évoquent d’une
manière ou d’une autre la mer.
Les Mille et une Nuits comporte beaucoup de textes marins parmi lesquels le
conte intitulé Sindbad le Marin. En voici un extrait :
13
- Jean Merrien, La mer pour vous, éditions Robert Laffont, Paris, 1958, p. 21.
43
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Un jour que Mael Duin s’amusait avec quelques guerriers à lancer des
pierres sur les ruines de l’église de Dubcluain, un homme à la langue de
poisson lui dit : « Il vaudrait mieux pour toi venger l’homme qui a été brulé
ici que de lancer des pierres sur ces ossements calcinés. –Qui est cet
homme ? dit Mael Duin.-C’est Alillill, ton père.-Qui l’a tué ?-Des brigands
de Leix, et c’est ici qu’ils l’ont tué. »Mel lâcha la pierre qu’il tenait, et, le
cœur triste, résolut d’aller par mer à la poursuite des meurtriers. »14
14
- Charles Navarre, Les grands écrivains étrangers, éditions Henri Didier, Paris, 1940.
44
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Thomas de Bretagne, dans son texte datant de 1170, rapporte l’épisode dans
lequel Tristan a été séparé d’Iseult. Cette dernière vit, désormais, chez son époux, le
roi Marc, en Bretagne. Tristan, sur son lit de mort, souhaite revoir une dernière fois sa
dulcinée. Il charge son compagnon de la lui ramener sur une nef qui portera voiles
blanches ou noire, selon qu’Iseult soit à bord ou non. Voici l’extrait rapportant ce
passage :
15
- Paul Truffeau, Le Merveilleux Voyage de Saint Brandan à la recherche du paradis, éditions Artisan du
livre, Paris, 1925, p.63.
16
- Wilhelm Richard Wagner est un compositeur, chef d’orchestre, écrivain et directeur de théâtre allemand
né en 1813 et mort en 1883. C’est à ce grand musicien que nous devons l’opéra intitulé Tristan et Isolde
(Iseult).
45
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Ce n’est qu’à partir des XIIe et XIIIe siècles que ces sagas ont étaient écrites.
Elles concernent, pour la plupart, la vie des héros, des grands guerriers et des rois.
Nous retrouvons les sagas en Islande, au Danemark, en Norvège et en Suède, toutefois
elles ne présentent pas toutes les mêmes qualités stylistiques ; en effet, les sagas
d’Islande offrent plus de beauté sauvage, celles de Norvège plus d’envolées lyriques,
celles du Danemark plus de sentiments et de mystères.
Pour abonder dans le thème centrale de notre recherche est qui est la mer et sa
littérature, c’est tout naturellement que nous nous pencherons avec plus d’intérêt sur
les sagas islandaises, car c’est en Islande que l’on retrouve les sagas les plus
maritimes : les aventures des Vikings. Le terme Viking est usité en français dans le
17
- Charles Le Goffic, Les poètes du Moyen Age à nos jours : Anthologie, éditions Garnier Frères, 1928, p. 3.
18
- Charles Marie Joseph Bédier est un philologue romaniste français né en 1864 et mort en 1938. Nous lui
devons la publication de grands textes médiévaux tels Tristan et Iseult, La chanson de Roland et Les
Fabliaux. Il est élu à l’Académie française en 1920.
19
- appelées aussi « sagas de famille » sont des récits islandais rapportant les hauts faits des ancêtres.
46
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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sens de navigateur scandinave, cependant dans la langue norroise, qui est celle des
anciens scandinaves, le mot Viking renvoi aux expéditions maritimes de conquête et
de pillage : faire viking. Pour ce qui est de son étymologie, nous la retrouvons dans le
mot viker-anse, qui signifie : se réfugier entre deux navigations.
47
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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stupéfaits et ravis. Et ils comprirent soudain que les dieux favorables leur
envoyaient ce vaisseau en signe de paix et comme présage de prospérité et
de gloire.
20
- René Moniot Beaumont, Histoire de la littérature maritime, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2008,
p. 138. ISBN 978-2842655907.
21
- Maurice Gravier, La Saga d’Eric le Rouge, éditions Gallimard, Paris, 1981, p. 38.
48
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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François Rabelais est considéré, à juste titre, comme le premier ‘vrai’ écrivain
de la mer. En effet, il se place, grâce aux navigations pantagruéliennes, dans la lignée
des écrivains de la mer, mais plus encore, c’est lui qui va opérer ce changement majeur
dans le genre maritime, cantonné jusqu’à lors aux récits de voyage ou de guerre ou
encore à la transcription des légendes orales, en le faisant évoluer au stade de genre en
tant que tel, et ceci à l’aide de l’imagination. Son œuvre littéraire préfigure les grands
auteurs des XIXe et XXe siècles.
« Voici ce que nous vous proposons : vous laisserez ici quelque capitaine
en garnison, avec quelques gens pour garder la place…Votre armée se
divisera en deux dont une moitié ira se ruer sur ce Grandgousier et ses
gens…l’autre partie, pendant ce temps, s’en ira vers l’Aunis, la Saintonge,
22
- Romancier, poète et officier de la marine né en 1921 et mort en 1987. Ses romans furent couronnés par de
nombreux prix tels ceux de l’Académie française et le Prix de la Mer de l’Association des écrivains de langue
française. Il est l’auteur d’une anthologie incontournable en matière de littérature maritime intitulée Les
écrivains de la mer (éd. Bartillat, 1990).
49
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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« Le soir tantôt venu, leur hôte don Antonio Moreno et ses deux amis
allèrent avec don Quichotte et Sancho visiter les galères. Le chef
d’escadre, qui était prévenu de leur arrivée, attendait les deux fameux
personnages Don Quichotte et Sancho. A peine parurent-ils sur le quai que
toutes les galères abattirent leurs tentes et que les clairons sonnèrent. On
jeta sur-le-champ l’esquif à l’eau, couvert de riches tapis et garni de
23
- François Rabelais, Tout Rabelais en français moderne, éditions Nilsson, 1930, p. 69.
50
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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24
- Miguel de Cervantes Saavedra, L'ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche, Volume 2, éditions
Hachette, Paris, 1887, p. 441.
51
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Il n’est pas rare de croiser des chapitres maritimes dans l’œuvre de William
Shakespeare, d’ailleurs le premier acte de La Tempête, peut être classé dans la
littérature maritime. En voici un extrait :
25
- William Shakespeare, La tempête, éditions Flammarion, Paris, 1993, p.4. ISBN 2080706683. Première
édition Audot, 1831.
26
- Léo Claretie, Lesage romancier, éditions Armand Colin, Paris, 1980, p. 61.
52
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Il épousa en 1694, une jeune fille très belle, mais sans fortune. Dès lors il dut quitter le
métier assez peu lucratif d’avocat et se consacra totalement à ses goûts littéraires. Il
publia Gil Blas de Santillane qu’il mit vingt ans pour achever, de 1715 à 1735. Lesage
entreprend la rédaction de Monsieur le Chevalier de Beauchesne en 1733 (Beauchêne
dans les modernes). C’est l’histoire du jeune Beauchesne qui part à l’âge de sept ans
vivre chez les Iroquois. Plus tard, il part avec les Algonquins combattre les Anglais. Le
gouverneur de l’Acadie demanda, par la suite, à Beauchesne de servir en mer afin de
s’assurer du soutien des Algonquins et de pouvoir armer la frégate La Biche :
Nous nous sommes penchés, dans ce qui a précédé sur des écrits maritimes
mais qui étaient, pour la plupart, des transcriptions de légendes orales ou des essais
historiques. Ce sont Alain-René Lesage et François Rabelais, qui, les premiers vont
produire des œuvres maritimes d’imagination. Ce n’est donc qu’à partir du XVIe
27
- Alain René Lesage, Aventures du chevalier de Beauchêne : Canadien français élevé chez les Iroquois et
qui devint capitaine de flibustiers, éditions Cartouche, 2008, p .33.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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« Traduit dans toutes les langues, il est resté le premier livre confié à la curiosité
naïve des enfants et le dernier que lisent les vieillards en souvenir des merveilleuses
rêveries de leurs jeunesses. » (Pierre Larousse, dictionnaire du XIXe siècle).
La première édition date du samedi 25 avril 1719. Il fut traduit en France dès
mars 1720. Daniel de Foe s’inspire d’une véritable aventure maritime, celle d’un
marin écossais, du nom de Sekirk.
Robinson Crusoé est considéré, encore de nos jours, comme le livre universel
de l’aventure. Déjà, Jean-Jacques Rousseau le mettait dans les mains de son ‘Emile’
pour parfaire son instruction et son amusement tout à la fois. En 1762, Rousseau,
démontra la portée philosophique du chef-d’œuvre de Daniel de Foe, en mettant
l’accent sur le fait que le roman ne tourne pas uniquement autour du thème du voyage,
mais plus encore a trait au séjour, en solitaire, de Crusoé sur son île et contient donc
les germes de grandes leçons humaines.
Après une vie pleine de rebondissements, Daniel De Foe meurt le 26 avril 1731
à Londres. Sa dépouille mortelle repose dans le cimetière des dissidents, à Bunhill28.
28
- Bunhill Fields, est le nom d’un cimetière de la ville de Londres au Royaume-Uni. Réputé pour abriter les
tombes de personnages anti-conformistes.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Benjamin Motte et plus connu sous le titre : Voyages de Gulliver. En France, c’est
l’abbé Desfontaines qui se chargera de la traduction en 1727 (Paris, Jacques Guérin, 2
tomes en un volume).
29
- Jonathan Swift, Le voyage à Liliput, éditions J’ai lu, Paris, 2004, p.7. ISBN 2290343366 .
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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30
- Aspirant.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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l’Europe en étudiants les mœurs de chaque société et de chaque pays visité. Il rentre
aux Etats-Unis en 1832.
Precaution est la première œuvre de James Fenimore Cooper, il y fait une pâle
peinture des mœurs anglaises. Il se consacre, par la suite, à une série d’ouvrages
historiques, suite à quoi, il entame une deuxième série de romans où il présente et
décrit les anciens possesseurs du sol américain. Son plus célèbre ouvrage est Le
dernier des Mohicans. La troisième série des romans de Fenimore Cooper est
consacrée à la mer : Le Corsaire Rouge (1828), l’Ecumeur des mers (1828), le Feu
follet (1842), les Deux amiraux (1842), les Lions des mers (1849), Les Aventures d’un
capitaine américain (1898), A bord et à terre (1899). En parfait homme de mer, il
retrace, au travers de ces romans, son parcours de marin et livre ses impressions en
décrivant navires, tempêtes et abordages. En voici un extrait tiré du Corsaire Rouge :
« Pendant le trajet encore assez long qu’il avait à faire pour arriver à
l’autre navire, notre aventurier eut le temps de réfléchir à la situation
extraordinaire dans laquelle il se trouvait. Une ou de fois de légères et
inquiètes lueurs de méfiance sur ce que sa démarche avait d’imprudent se
présentèrent à son esprit ; mais le souvenir de l’élévation d’âme de
l’homme auquel il allait se confier s’offrait à lui toujours à temps pour
empêcher ses appréhensions de prendre un trop grand ascendant. Malgré
sa position délicate, l’intérêt pour les choses de sa profession, cet intérêt
qui s’endort rarement dans le cœur d’un vrai marin, se trouvait fortement
stimulé à mesure qu’il s’approchait du vaisseau du Corsaire. »31
31
- James Fenimore Cooper, Le corsaire rouge, éditions L’école des loisirs, 1980, p. 241. ISBN 2211055842.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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32
- Percy Bysshe Shelley, poète anglais né en 1792 et mort en mer en 1822.
33
- John Keats, poète romantique anglais, né en 1795, il meut à l’âge de 25 ans des suites d’une phtisie.
34
- Edward John Trelawney, Les mémoires d’un gentilhomme corsaire, éditions Phébus, 2001, p. 89. ISBN
2859407405.
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Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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En 1836 toujours, Allan Edgar Poe publie Gordon Pym, le titre original en
anglais est : The narrative of Athur Gordon Pym of Nantucket. C’est un roman qui
déroge aux règles de la littérature de l’époque, il est d’une construction inhabituelle et
manque d’unité, mis à part la présence du héros. L’écrivain inséra dans ce texte les
passages les plus macabres des récits des survivants de l’Essex 35. Le personnage
principal de ce roman, Arthur Gordon Pym, est un adolescent qui s’embraque
clandestinement à bord d’un baleinier de Nantucket : le Grampus (Titre d’un futur
livre d’Edouard Peisson, 1962), avec la complicité d’Auguste, le novice du bord.
Après maintes aventures, le navire, démâté et engagé, chavire : ce n’est plus qu’une
épave maintenue à flots par sa cargaison de barriques vides. Les survivants, souffrant
de soif et de faim, décidèrent de tirer à la courte-paille pour pouvoir manger l’un
d’entre eux. Heureusement, ils sont recueillis à la dernière minute par le Jane Guy, une
goélette qui passait par là. L’histoire de Gordon Pym va alors prendre une tout autre
direction pour se terminer au pôle Sud. Jules Verne, qui était un grand admirateur
d’Allan Edgar Poe, avait ce roman pour livre de chevet. Il lui donne une suite dans son
roman le Sphinx des Glaces.
35
- L’Essex est le nom d’un navire baleinier américain, qui a fait naufrage en 1820, en plein milieu de l’océan
Pacifique suite à l’attaque d’un cachalot. Les survivants ont dérivés pendant des mois et se sont livrés à des
actes de cannibalisme. Cette histoire a inspiré de nombreux écrivains parmi lesquels Herman Melville
l’auteur de Moby Dick.
36
- Edgar Allan Poe, Histoires extraordinaires, éditions Gallimard, 2004, p. 29. ISBN 978-2070413591.
60
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Allan Edgar Poe est retrouvé inanimé, le 3 octobre 1849, à Baltimore, dans un
café. Il décède trois jours plus tard d’une crise de delirium tremens37 au Washington
College Hospital. Un monument érigé à sa mémoire sera inauguré en 1875.
Synthèse
Nous pouvons dire, en guise de conclusion à ce chapitre, que depuis les
prémices des premières civilisations humaines, la mer a toujours été un élément qui
accompagnait l’homme dans ses évolutions et transmutations. Dans les conquêtes
comme dans les guerres, dans les expéditions comme dans le commerce et les
échanges en tout genre, la mer a été un des éléments essentiels de la réussite de toute
initiative humaine. Aussi, nous avons pu démontrer que la mer offrait le cadre idéal
pour accueillir les légendes et pour construire les récits fondamentaux des peuples.
Cependant, le vocable mer va connaitre un essor nouveau avec la littérature.
Ainsi, de simple élément géographique, la mer deviendra un thème littéraire majeur
permettant l’action, créant l’intrigue et structurant le récit. C’est Homère qui, le
37
- il s’agit d’un trouble neurologique sévère. Il se traduit par de la fièvre, des tremblements et des troubles de
la conscience. C’est un trouble propre à l’intoxication alcoolique.
38
- Edgar Allan Poe, Les aventures d’Arthur Gordon Pym, éditions Gallimard, 1975, p .272. ISBN
2070366588.
61
Partie I Naissance et évolution de la littérature maritime
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La mer va, non seulement, avoir une influence de plus en plus grande sur les
thématiques romanesques, mais elle va, de plus, orienter le style comme l’écriture de
certains auteurs qui vont en user en tant que thème redondant dans beaucoup de leurs
œuvres. En un mot, la mer envoute écrivains comme lecteurs !
62
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
Chapitre III
Le roman maritime aux XIXe et XXe siècles
Dans ce chapitre, nous suivrons de près l’évolution du genre maritime qui était
à ses prémices aux siècles précédents. Nous nous pencherons sur la plus faste et la plus
prolifique page de la littérature maritime française et anglo-saxonne à savoir les XIXe
et XXe siècles.
63
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Le 7 avril 1791, il prend la mer pour la première fois à bord du navire le Saint-
Pierre, à destination de l’Amérique. Il y passera plusieurs mois et après plusieurs
pérégrinations dans ce vaste pays, Chateaubriand décide de reprendre la mer le 10
décembre pour retourner en France. Entre 1806 et 1807 il effectue plusieurs voyages
en Méditerranée où il retrouve ses premières impressions maritimes. François-René de
Chateaubriand est un écrivain qui connait bien la mer de par ses nombreux séjours
maritimes, c’est pour cette raison qu’il en parle aussi bien, la mer fait partie de sa vie
depuis sa plus tendre enfance.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Il écrit : « Cette mer, au giron de laquelle j’étais né, allait devenir le berceau
de ma seconde vie » pour évoquer sa sépulture qui repose sur un îlot au large de Saint-
Malo, et qui lui assure pour l’éternité la présence de la mer.
Robert de La Croix rapporte, dans son livre Les écrivains de la mer, que
Chateaubriand, s’était fait attacher, au cours de sa première traversée, au grand-mât du
Saint-Pierre, nom du bateau sur lequel il a appris à naviguer. La tempête soufflait si
fort que son visage était giflé par les rafales et les embruns, ses yeux fixés sur la mer
grondante, il s’était écrié : « Ô tempête ! Tu n’es pas encore aussi belle qu’Homère t’a
faite ! ».
1
- Page:Chateaubriand - Les Natchez, 1872.djvu/48. (2018, juillet 24). Wikisource. Page consultée le 03:57,
juillet 24, 2018 à partir de //fr.wikisource.org/w/index.php?title=Page:Chateaubriand_-
_Les_Natchez,_1872.djvu/48&oldid=8256661.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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« Par une jolie brise du sud-est, les escadres alliées croisaient devant la
baie de Navarin. Tantôt on découvrait des maisons blanches, des palmiers,
des terrasses ; tantôt les hauts rochers de l’île Sphactérie dérobaient à tous
les yeux l’entrée du bassin où la flotte turco-égyptienne était alors
mouillée ; car on voyait par instant ses mille mâts se dresser au-dessus des
montagnes avec leurs pavillons rouges et leurs signaux de toutes les
couleurs.
2
- Sainte-Beuve, Poètes et romanciers de la France, Revue des deux mondes, Tome 23, Paris, 1840. p. 874.
3
- Eugène Sue, Plick et Plock, Romans, nouvelles et histoires maritimes, Volume 1, Librairie de Charles
Gosselin, 1841. p. 319.
66
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
romancier. Ses premiers romans paraissent sous forme de feuilletons, on se les arrache
partout en France. N’oublions pas de spécifier qu’il composait ses romans avec l’aide
de collaborateurs ; Auguste Maquet, écrivain et historien, est le plus célèbre d’entre
eux.
La mer est un cadre quasi indispensable à l’écriture dumasienne, nous la
retrouvons dans tous ses chefs-d’œuvre, que ca soit dans Les trois mousquetaires avec
leur fameuse traversée de la Manche, dans Le comte de Monte-Cristo et la non moins
célèbre île d’Edmond Dantès, sans oublier la description magistrale du naufrage du
Pharaon de l’armateur Morel. Alexandre Dumas nous livre au travers de ces chapitres,
de très belles « marines » littéraires. Le grand R.L. Stevenson prend conscience de sa
vocation d’écrivain en lisant Dumas.
En 1838, en France, une grande guerre oppose les différents auteurs du moment
afin de pouvoir publier leurs feuilletons dans les journaux. Dumas, lui, va, tout en
s’inspirant des Mémoires de Paul Jones, imaginer un récit dans lequel le personnage
principal est un capitaine de marine marchande sans grande envergure, qui prend une
part active à la guerre d’indépendance des Etats-Unis. Devenu plus tard Amiral, il se
met au service de Catherine II afin de combattre les Turcs. Alexandre Dumas
entreprend alors, une navigation qui le mènera à Lorient, puis en Sicile, et ceci afin de
pouvoir ressentir les émotions maritimes nécessaires à son intrigue. Il achèvera la
rédaction du Capitaine Paul en huit jours. Il le proposera comme pièce théâtrale, mais
cette dernière sera refusée, c’est alors qu’il décide de transformer les cinq actes en
roman.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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save the king4 comme Lord Wellington, le Pensativo estaba el Cid comme
Don Carlos, et La Marseillaise 5comme le général Lafayette. On comprend
qu’avec de pareilles dispositions philologiques, il ne tarda point, tombé
qu’il était entre les mains de l’équipage de la Roxelane, à étendre
rapidement le cercle de ses connaissances ; si bien qu’à peine se trouva-t-
on, au bout de huit jours, en vue de l’île de Sainte-Hélène, qu’il commençait
à jurer très proprement en provençal, à la grande jubilation du capitaine
Pamphile, qui, comme les anciens troubadours, ne parlait que la langue
d’oc. »6
Alexandre Dumas passe les derniers jours de son existence près de Dieppe, à
Puys. Chaque jour, il demande à être amené et installé dans un fauteuil au bord de la
plage, où il contemple le large dans le fracas des vagues déferlantes : « Les yeux, le
ciel et la mer. Un siècle ne serait pas assez long pour en rassasier notre vue ! ». Il
décède le 5 décembre 1870. Il est enterré sur place dans un premier temps, plus tard il
sera transféré à Villiers-Cotterêt et, enfin, en 2002, il fera son ultime voyage pour
gagner le Panthéon à Paris.
4
- En français Que Dieu garde (protège) la reine, est le titre de l’hymne national du Royaume-Uni.
5
- La Marseillaise est le nom de l’hymne national de la France.
6
- Alexandre Dumas, Le capitaine Pamphile, Arvensa Editions, 2015, p. 43. ISBN 9791027302178.
7
- Alexandre Aleksandrovitvh Bestoujev, dit Marlinsky, est un auteur russe né en 1797 et mort en 1837.
8
- Page:Sainte-Beuve - Causeries du lundi, II, 5e éd.djvu/472. (2017, octobre 2). Wikisource. Page consultée
le 08:13, octobre 2, 2017 à partir de //fr.wikisource.org/w/index.php?title=Page:Sainte-Beuve_-
_Causeries_du_lundi,_II,_5e_%C3%A9d.djvu/472&oldid=6961096.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Il épouse Adèle Foucher le 12 octobre 1822, avec qui il aura un premier fils,
Léopold qui meurt très jeune, ensuite Léopoldine voit le jour en 1824, puis suivront
Charles en 1826, François-Victor en 1828, et enfin Adèle en 1830.
Victor Hugo, poursuit son ascension politique et est élu député de Paris en
1849. Il présidera le Congrès de la Paix. Mais en décembre 1851, il est contraint de
fuir la France, après le coup d’état de Louis-Napoléon Bonaparte, il s’installe en
Belgique. En 1852, il décide d’emménager à Jersey avec sa famille. Il en est expulsé
en 1855, c’est alors qu’il part habiter à Guernesey dans la villa Hauteville House de
1856 à 1870, ce seront là ses années d’exil.
Nous sommes à Guernesey, le 4 juin 1864, avant l’aube. Nous montons les
dernières marches de Hauteville House, qui craquent comme des tables
tournantes. Après les dédales de faïence bleu pâle et de boiseries noirâtres
qu’on dirait ramassées à basse mer par quelque Facteur Cheval, nous voilà
devant le pupitre donnant sur le toit. Aucun bruit n’annonce le jour, sinon le
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Pour montrer l’impact laissé par la mer sur l’œuvre de Victor Hugo, ce n’est
pas vers Les travailleurs de la mer et son célèbre marin Giliat que nous allons nous
tourner, mais plutôt vers Oceano Nox11 où tant de gens de mer peuvent se reconnaitre,
en voici un extrait :
9
-http://www.academie-francaise.fr/victor-hugo-et-la-mer-celebration-du-bicentenaire-de-la-naissance-de-
victor-hugo. cunsulté le 22-06-2013.
10
- Victor Hugo, William Shakespeare, Arvensa éditions, 2014, p. 16. ISBN 9782368413289.
11
- Nous vous conseillons, pour retrouver toutes les poésies maritimes de Victor Hugo, une anthologie dont le
titre est : Florilège Marin de Victor Hugo, textes choisis par Hubert Comte (Ed. Maritimes et d’Outre-Mer,
1980).
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Adèle, la femme de Victor Hugo, décède en 1868, et, alors qu’il est en exil, il
accompagne son cercueil jusqu’à la frontière française. Il rentre en France en 1870, il
est accueilli en héro et est élu député et ensuite sénateur inamovible en 1876.
Il meurt le 22 mai 1885. Des funérailles nationales lui sont organisées : il est
inhumé, le 1er juin, au Panthéon à Paris.
Cinq semaines en ballon, voyage et découverte, voit le jour en 1862 grâce à son
éditeur Hetzel, un genre nouveau est né : le roman scientifique. En 1867, Jules Verne,
en compagnie de son frère, entament un périple maritime sur le Great Eastern, suite à
quoi il décide de s’installer à Amiens où il fait l’acquisition du Saint-Michel I, Michel
étant le prénom de son fils unique, il en possèdera un deuxième : le Saint-michel II,
puis le III à bord duquel il partira découvrir les rives méditerranéennes en 1884.
Jules Verne ayant été un auteur prolifique, nous ne citerons ici que quelques
uns de ses écrits maritimes : Voyages et aventures de capitaine Hatteras (1864), Vingt
mille lieues sous les mers (1869), L’île Mystérieuse (1875), Un capitaine de quinze ans
(1878), L’école des robinsons (1882)…
Voici un extrait de Vingt mille lieues sous les mers qui dépeint la place
qu’occupent la mer et la navigation dans les écrits maritimes de Jules Verne :
12
- R. P. Yvon, Avec les bagnards de la mer, Ancre de Marine Editions, 1990, p. 25. ISBN 9782905970299.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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En 1896, Jules Verne déclare : « Je suis allé plus loin que Poe. »
Pierre Loti a pour grand-père Pierre Viaud, il fut tué à la bataille de Trafalgar, il
avait deux fils, Théodore, le cadet, qui est le père de Pierre. L’ainé, quant à lui, était
mousse sur la Méduse, il périt en juillet 1816 au cours du célèbre drame.
Pierre Loti illustre à merveille l’exemple de l’auteur dont l’œuvre entière est
centré autour de la mer. Mais d’où lui viennent cet attachement et cette hantise pour
l’élément maritime ? Son lieu de naissance, ses aïeux tous hommes de mer, la perte de
son frère en mer, médecin de marine, ont-ils été à l’origine de sa vocation maritime ?
La mer « Si souvent regardée par ses ancêtres marins », il eut l’impression de la
13
- Jules Verne, Vingt mille lieues sous les mers, Collection Hetzel, Paris, 1885, p. 253.
14
- Lefèvre Raymonde, La vie inquiète de Pierre Loti, Paris, Société Française d’Editions Littéraires et
Techniques, 1934.
15
- Bruno Vercier, Alain Quella-Villéger et Guy Dugas : Cette éternelle nostalgie –Journal intime (1878-
1911) de Pierre Loti, Editions La Table Ronde, 1997.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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reconnaitre : « ayant déjà dans la tête un reflet confus de son immensité », répond
Raymonde Lefèvre.
En 1867, Pierre quitte sa terre natale pour rejoindre Brest afin d’y passer le
concours d’entrée à l’école navale, concours qu’il réussira d’ailleurs haut la main. En
1868, il embarque sur le Bougainville, il explore les côtes de Bretagne et de
Normandie, puis il part à la découverte de son premier pays exotique ; l’Algérie, à
bord du Jean Bart puis en octobre 1869 découvre son premier pays exotique,
l’Algérie, à bord du Jean Bart, vaisseau école d’application. Par la suite, ses
navigations le mèneront au Brésil et aux Etats-Unis. A bord du Vaudreuil, il voguera
vers les mers du Sud. Lors d’une escale à Valparaiso, il rencontre une belle
Espagnole : Conchita (la Carmencita de Figures et choses qui passaient). Son nom de
plume : Loti, il le trouvera à Tahiti ; deux syllabes maories16 données par deux jeunes
tahitiennes dans la rue. Loti, à l’instar de Gauguin, Stevenson, London ou encore
Gerbault et Brel, avant lui, subit l’emprise de l’océan Pacifique.
En mai 1874 un premier échec amoureux lui cause une profonde tristesse.
S’étant épris d’une Européenne rencontrée à Saint-Louis du Sénégal qui devient sa
maitresse, elle le quitte pour rentrer en France, car elle n’était pas libre. La douleur de
la séparation fut terrible pour Loti et la blessure longue à cicatriser.
Mais c’est ce jour du 1er aout 1876, qui va bouleverser à jamais l’homme et
l’écrivain. Loti est alors muté sur le Gladiateur, navire qui appareille pour la Turquie.
Nul ne pouvait prédire à quel point cette terre de l’Islam allait marquer la suite de sa
vie et de ses textes. C’est là qu’il va faire la rencontre de Hadidjé, une petite
Circassienne de 19 ans, c’est-à-dire Aziyadé pour la littérature. Elle allait rentrer dans
la vie si tranquille de Pierre Loti pour tout chambouler : « Ce fut un rêve insensé, un
poème d’amour chanté en plein printemps et en plein danger – en plein Orient et en
plein réveil de l’Islam ». C’était, dit-il,
16
- Maori est le nom donné à deux langues polynésiennes que sont le Maori de Nouvelle-Zélande, et le Maori
des îles Cook.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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cela avait fait de ces trois mois d’attente quelque chose d’étrangement
voluptueux, avec des dessous d’une tristesse de gouffre. »17
Le premier roman de Loti : Aziyadé, est publié en 1879. Il portait alors comme
seul nom d’auteur : « Stamboul 1876-1879. Extrait des notes et lettres d’un lieutenant
de la marine anglaise ». Par la suite, parut Le Mariage de Loti, en 1880. Les romans
de Loti connaissent un succès immédiat et grandiose.
Loti, le nom de plume, est mentionné sur les couvertures de ses romans pour la
première fois en 1881, lors de la parution du Roman d’un Spahi, le prénom Pierre y est
joint en guise de souvenir du grand-père disparu lors de la bataille de Trafalgar, suit en
1882 Fleur d’ennui. Pendant ce temps-là, Loti continue à parcourir les mers à bord des
vaisseaux : le Moselle, le Friedland et sur la Surveillance.
- Lefèvre Raymonde, La vie inquiète de Pierre Loti, Paris, Société Française d’Editions Littéraires et
18
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Après sa retraite, Loti retourne à son cher Stamboul (Istanbul). Il y loue une
maison en plein cœur de la ville. Son fils s’empresse de l’y rejoindre.
Pierre Loti décède le 10 juin 1923. Le gouvernement français décrète, en sa mémoire,
des obsèques nationales.
Dans un article paru dans Cols Bleus en 1994, Philippe Denisot rapporte la phrase
suivante de Stevenson : « Chaque homme, confiera-t-il à la fin de sa vie, nait avec son
grain de folie, et dès ma première enfance le mien a été de jouer à bâtir des situations
imaginaires. ».
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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France à dos d’âne. Il publie par la suite, des récits de voyage qui remportent beaucoup
de succès. Avec son ami l’avocat Walter Simpson, il entame, en 1874, une croisière
fluviale.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Kipling est aussi l’auteur de chants et de poèmes satiriques sur la vie des
militaires dans l’Inde coloniale. C’est en 1894 qu’il écrit le Livre de la Jungle, et
publie des contes tel Comment la baleine acquit son gosier (1884) et La baleine
gourmande (1888).
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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19
- Page:Kipling - Capitaines courageux.djvu/9. (2018, juillet 23). Wikisource. Page consultée le 15:39, juillet
23, 2018 à partir de //fr.wikisource.org/w/index.php?title=Page:Kipling_-
_Capitaines_courageux.djvu/9&oldid=8088697.
20
- Rudyard Kipling, Œuvres complètes, Tome2, préface de Marcel Brion, éditions Robert Laffont, Paris,
1988, p. 9. ISBN 978-2-221-05461-1.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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épouse le 7 septembre 1876, John London, veuf et père de deux fillettes. Le jeune
London a un parcours scolaire chaotique, il quitte d’ailleurs l’école à 11 ans.
Cependant, il est passionné par la lecture, les récits qu’il lit l’aident à se libérer
de sa vie morose. London lit tellement qu’il en devient malade et insupportable :
« Laissez-moi tranquille, allez-vous-en, vous m’ennuyez », crie-t-il au visage des
membres de sa famille. Il déclare plus tard à propos de cette période de sa vie :
« Je couvrais les marges de notes et j’abordais les sujets les plus variés,
surtout l’histoire, les aventures, les relations de voyages. Je lisais le matin,
l’après-midi, la nuit, dans mon lit, à table, en allant à l’école, durant les
récréations. A 12 ans je lus la Nouvelle Madeleine, de Wilkie Collins, et
scandalisai fort une jeune femme en voulant discuter de cette œuvre. » 21
Avant de continuer à narrer les faits de son enfance aussi besogneuse que
malheureuse :
« A 10 ans, je vendais des journaux dans la rue. Chaque cent allait à mes
parents, et je fréquentais l’école, honteux de la façon dont j’étais vêtu.
Depuis ce temps je n’ai pas eu d’enfance. Je me levais à 3 heures du matin
pour porter les journaux. Cette besogne finie, je partais directement à
l’école. Après l’école, les journaux du soir. Le samedi, j’aidais un livreur de
glace. Le dimanche, je ramassais les quilles pour les Hollandais ivres qui
jouaient dans une allée. Bon Dieu ! Je donnai chaque cent que je gagnais et
j’étais habillé comme un épouvantail ».22
Il commence à fréquenter tôt les matelots des baleiniers qui mouillaient dans la
rade. Il débute à 15 ans, dans une fabrique de boites de conserve à Oakland. Mais la
mer l’attire trop, il quitte l’usine pour piller des bancs d’huitre au péril de se faire
prendre ou d’avoir des ennuis avec les autres pillards. Il achète son premier bateau, le
Razzle-Dazzle, qu’il paye 300 dollars, avec les économies de sa nourrice. Il éprouve
une immense fierté en le remboursant quelque temps plus tard. Son premier roman
raconte ses expériences à bord de ce navire, il porte comme titre La croisière du
21
- https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k17612h/texteBrut. Consultée le 28 juin 2016.
22
- René Moniot Beaumont, Histoire de la littérature maritime, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2008,
p. 215. ISBN 978-2842655907.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Dazzler et est publié en 1902. Voici ce que déclare Jack London à propos de cette
tranche de sa vie :
Jack London rentre chez lui, après plusieurs mois passés en mer. Il reprend le
travail dans une bibliothèque publique. C’est à ce moment qu’auront lieu ses véritables
débuts en littérature et c’est sa mère qui en sera à l’origine. En effet, sa mère ayant lu
dans le San Francisco Call qu’un concours littéraire était organisé, poussa son fils à y
participer. Jack rédige un récit qu’il envoie au journal : Un typhon au large des côtes
du Japon. London remporte le premier prix haut la main, loin devant les participants
issus des universités. C’est à cette époque qu’il rencontre Elizabeth Applegarth, jeune
fille de la haute société qui l’aidera à modifier ses manières et à s’insérer dans la
société mondaine.
Jack London travaille dans une centrale thermique de 1893 à 1897. Il fait son
entrée dans la vie politique en rejoignant le parti socialiste. The Aegis, journal de
l’époque voit paraitre les premiers articles politiques de London. Quelque temps plus
tard, il publie L’appel de la forêt et Le Fils du loup. Il se marie à Oakland, le 7 avril
1900, avec Elizabeth Applegarth. Deux filles naitront de cette alliance. Il publie, la
même année, Le peuple de l’abîme. En 1903, l’auteur retrouve son élément : la mer, en
23
- René Moniot Beaumont, Histoire de la littérature maritime, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2008,
p. 215. ISBN 978-2842655907.
80
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Sont édités en 1905, trois ouvrages : La guerre des classes, Les Pirates de San
Fransisco et le Jeu du ring. Le 19 novembre 1905, Jack London épouse Charmian
Kittredge, après son divorce avec sa première femme. Son chef-d’œuvre Croc Blanc
est publié en octobre 1906. Par la suite, Jack London se fait construire un bateau, le
Snark, pour faire le tour du monde. Cette croisière marquera l’une des périodes les
plus prolifiques de l’écrivain au cours de laquelle il fera paraitre : La croisière du
Snark, Martin Eden, Aventureuse, Les récits des mers du Sud, La maison de la fierté et
Radieuse Aurore.
Jack London séjourne du 2 mars à la fin juillet 1915, à Hawaï, où il rédige deux
romans qui seront publiés à titre posthume : Jerry de l’île (1917) et Trois de cœur.
Il envoie, le 4 juin 1915, une lettre d’Honolulu à Joseph Conrad qu’il admire
tant, dans laquelle il lui écrit ce qui suit :
24
- Le sloop est un voilier à un mât gréé en voile aurique à un seul foc.
25
- René Moniot Beaumont, Histoire de la littérature maritime, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2008,
p. 223. ISBN 978-2842655907.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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26
- Cette thèse fut soutenue à l’Université de Lille en 1987. Elle a donné naissance à un ouvrage intitulé
Conrad et le continent, éditions Michel Houdiard, 2003. ISBN 2-901245-04-8.
27
- Frederick Marryat est un romancier et capitaine de la marine anglais. I est né en 1792 et mort en 1848. Il
est considéré comme un des pionniers du roman maritime.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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En 1880, Joseph Konrad passe son brevet de lieutenant et embraque sur le trois-
mâts Palestine. Ce voyage inspirera une des plus célèbres nouvelles de Conrad
Jeunesse. En juin de l’année 1884, à Bombay, il embarque sur le Narcisse. Lors de la
traversée Bombay-Londres, le matelot noir Joseph Barron meurt en mer à l’âge de 35
ans, ce qui l’inspirera dans son roman Le Nègre du Narcisse (1898). Le 18 février
1887, il embarque, à Amsterdam, sur le Higland Forest. La cargaison ayant été très
mal arrimée, Konrad est blessé par la chute d’un madrier et doit être débarqué pour des
soins. Lors de son séjour à l’hôpital de Singapour, il rencontre un certain William
Lingard, personnage connu dans la région pour ses activités maritimes et
commerciales dont Konrad fera le héros de ses romans La Folie Almayer, Un paria
des îles et La Rescousse.
Par la suite, Konrad séjourne quelques mois en Afrique, puis rentre à Londres
où il publie Cœur des ténèbres, un des chefs-d’œuvre de l’auteur repris principalement
dans le film réalisé par F.F. Coppola : Apocalypse now28.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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son mariage avec Jessie Emeline George. Deux ans plus tard naitra leur premier
enfant: Borys Conrad. Il publie Les Héritiers en 1901, puis Romance en 1903, après
quoi il entame la rédaction de Lord Jim.
C’est le 3 août 1924 à Oswalds, que s’éteint Joseph Conrad suite à une crise
cardiaque, il est enterré au cimetière de Cantorbery le 7 août.
« Même si l’oublie des tempêtes est une vertu des marins, le capitaine
Korzeniowski a enregistré et transmis à Conrad avec la plus grande minutie les
aspects du ciel, des nuages et de la mer, exposé les grands vents de l’océan » rapporte
Sylvère Monod30, avant de péciser : « Autre épreuve redoutable pour le navigateur, le
brouillard. Plus encore que Le Miroir de la mer, c’est une nouvelle peu connue,
30
- Sylvère Monod, Voyager avec Joseph Conrad, éditions Quinzaine Littéraire/Louis Vuitton, 2002.
84
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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L’Histoire, qui, parmi tous les écrits de Conrad en apporte l’évocation la plus forte » :
voici donc un extrait de l’œuvre Le Miroir de la mer :
31
- Joseph Conrad, Le Miroir de la mer, éditions Gallimard, 1946, p. 82.
32
- Robert de La Croix, Les écrivains de la mer, éditions Bartillat, Paris, 1990, p. 201. ISBN 978-
2905563132.
85
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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dans les espaces romanesques, va imposer des thèmes nouveaux, et des lectures
inédites. La mer va occuper un rôle de plus important dans les romans de cette période,
apportant avec elle, des motifs jusque là inconnus.
De son vrai nom, Charles Bargone, Claude Farrère nait le 27 avril 1876 à Lyon.
Son attrait pour la mer, il le doit avant tout à son père, colonel d’infanterie coloniale,
est issu d’une famille de marins corses. Claude, découvre en compagnie de son père,
les bateaux qui naviguent sur les deux fleuves qui traversent la ville de Lyon : la Saône
et le Rhône. Son père lui explique : « Tu vois : c’est un vrai bateau. Un navire. Un
navire qui va sur la mer, un navire pour les marins. » Et le jeune Charles s’extasie, se
fait décrire les mâts, les vergues, les voiles et finit par demander : « Est-ce que je
pourrai être marin ? –Si tu veux… »
Un jour, il part avec son père à Marseille : Le futur écrivain est ébloui par tant
d’activité sur le Vieux-Port, et découvre avec fascination la mer au bout de la jetée.
Depuis ce temps, Charles n’a plus qu’un seul rêve en tête, devenir marin, et parcourir
les mers, rêve qu’il exaucera quelques années plus tard en réussissant à l’examen
d’entrée à l’Ecole navale. Il embarque sur le navire-école l’Iphigénie, et le 10 octobre
1896, à 2 heures du matin, l’aspirant Bargone écrit : « Je quitte la France pour près
d’un an, et il me semble que je vais en promenade à Camaret ou à Paimpol. » Le
jeune aspirant tient son propre journal de bord où s’affirment, déjà, des qualités
littéraires remarquables. On le retrouve, plus tard, sur les navires le Polynésien puis le
Saghalien pour un long périple en Extrême-Orient. Le 15 octobre 1901, il rejoint
l’école de canonnage de Toulon. Conscient de son talent dans le domaine de l’écriture,
il décide de participer à un concours de nouvelles organisé par le Journal que dirige
33
- Alain Quella-Villéger, Le cas Farrère- Du Goncourt à la disgrâce, éditions Presses de la Renaissance,
1998. ISBN 978-2856164983.
86
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
Son grand ami Pierre Louÿs34, se chargera de lui trouver un éditeur pour son
œuvre Les civilisés, c’est aussi grâce à lui que Charles Bargone trouvera son nom de
plume, il sera désormais : Claude Farrère.
C’est à bord du navire le Vautour, que Claude embarque, le 13 août 1902, pour
la Turquie, très à la mode en ce temps là, grâce aux récits de Pierre Loti. Il est chargé
d’accueillir, le 9 novembre 1903, le nouveau commandant du Vautour, qui n’est nul
autre que Julien Viaud, dit Pierre Loti. Son chef d’œuvre Les Civilisés, Claude Farrère
le composera sur le Vautour, et sera récompensé à sa sortie, en 1905, par le Prix
Goncourt.
Après avoir passé deux années sur le navire le Vautour, Claude rejoint le Saint-
Louis. Ce navire assure la liaison entre la métropole et l’Algérie. Son service sur ce
vaisseau coïncide avec l’une de ses périodes de production littéraires les plus denses.
En effet, parait en ce temps là : L’homme qui assassina (1907) ; La bataille et Trois
hommes et deux femmes (1909) ; Mademoiselle Dax, jeune fille ; Les petites alliées et
La maison des hommes vivants.
34
- Pierre Louÿs, de son vrai nom Pierre Félix Louis, est un poète et romancier français né en 1870 et mort en
1925.
87
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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John est né le 1er juin 1878 à Ledbury, en Angleterre, tout près du Pays de
Galles. A 12 ans, Masefield se trouve confronté aux dures lois de la vie, sa mère
décède et son père est interné dans un asile psychiatrique, il part vivre chez son oncle.
En 1891, après avoir mené à bien ses études, il ambitionne de devenir écrivain et
embarque comme cadet à bord du HMS Conway. Après plusieurs séjours en mer, il
revient chez lui en 1897, et entame sa carrière littéraire. Il publie, en 1902, son premier
recueil de poésies, Ballades d’eau de mer. Il épouse une Irlandaise catholique plus
âgée que lui, elle lui donne deux enfants. C’est grâce à Constance, sa femme, qu’il
évolue dorénavant dans un milieu plus huppé qu’auparavant. Son ambition et sa
ténacité vont finalement payer : son roman Capitaine Margaret est publié en 1908,
suivit du poème maritime Dauber.
88
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Théophile Briant cite dans son ouvrage Les plus beaux textes sur la mer, une
des plus belles pages écrites par John Masefield. Ce passage bouleversant est tiré du
roman d’aventures : La course du thé (The bird of Dawning).
35
- Théophile Briant, Les plus beaux textes sur la mer, éditions La Colombe, 1951, p. 105.
36
- Daniel Grandclément, L’incroyable Henry de Monfreid. Grasset, 1990.
89
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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En 1897, Henry obtient son deuxième bac mais échoue son concours d’entrée à
l’Ecole Centrale. Il rencontre Lucie en 1900, il passera dix ans en sa compagnie sans
jamais l’épouser. Elle accouchera d’un garçon qui n’est pas de lui : Lucien puis lui
donnera un fils : Marcel. En août 1911, son père lui ayant trouvé un emploi en
Ethiopie, il embarque à Marseille sur l’Oxus, un paquebot des Messageries Maritimes.
Arrivé à Djibouti, très vite écœuré par les colons qui y vivent, il quitte ses
habitudes européennes et devient pêcheur en mer Rouge. Il se fait musulman, apprend
l’arabe. Commence alors une longue période de trafics illicites. Il épouse, le 10 août
1913 Armgart Freudenfeld, une jeune amie de son père qui lui donnera une fille,
Gisèle, en 1914. Il s’installe à la même période à Port-Vendres et se lance dans le
trafic de hachich à partir de la Grèce, Lucien l’accompagne. Henry devient un
redoutable capitaine, intrépide, fort et sans scrupules. Deux autres enfants naissent :
Amélie à Obock et Paul-Daniel à Djibouti. En 1923, il arrive à vendre 12 tonnes de
hachich en Egypte au nez et à la barbe des Anglais et il investit les sommes dans une
centrale électrique et une minoterie en Ethiopie.
90
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
Après avoir été relâché, il séjourne quelques mois au Kenya puis décide de
rentrer en France. Charras, La cargaison enchantée est publié en 1947, puis Le
Naufrageur, en 1950, l’Homme sorti de la mer parait l’année suivante. En 1952 c’est
au tour de La route interdite, puis Pilleur d’épave en 1955.
37
- Daniel Grandclément, L’incroyable Henry de Monfreid. Grasset, 1990, p 77.
91
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
mer sera pour lui, jusqu’à la fin de ses jours, un des thèmes majeurs de son écriture, il
n’aura de cesse de lui rendre hommage dans ses écrits.
La première partie de la vie de l’auteur est assez difficile à cerner, tant Pierre
Mac Orlan s’est attaché à la garder secrète. Nous nous sommes aidés, afin d’éclaircir
certains points à propos de la vie de cet écrivain, de la biographie de Jean-Claude
Lamy Mac Orlan, l’aventurier immobile38. D’ailleurs, le biographe note dans son
ouvrage : « […] il lui arrivait de déclarer qu’il avait été très tôt orphelin de père et de
mère alors que son père mourut à Couches-les-Mines, en Saône-et-Loire, le 2 avril
1928 à plus de 74 ans. ».
De son vrai nom Pierre Dumarchey, c’est vers 1905 qu’il adopte le
pseudonyme de Mac Orlan. L’auteur ne donnera jamais les raisons du choix de ce nom
en particulier.
Il faut dire que Pierre Mac Orlan n’était pas le meilleur élève du monde, ceci
dit, il montrait un désir pour la littérature et la nature, et il affectionnait par-dessus tout
le rugby. Mauvais élève, mais aimant, il affectionnait le rugby. Après un bref passage,
en 1898, par l’Ecole normale du Havre, il part pour Paris et se passionne pour le
quartier de Montmartre où il a ses habitudes. Il fait de nombreux séjours dans la ville
de Rouen entre 1901 et 1904, il tombe sous le charme de cette ville côtière. Voilà
comment il en parle dans les Chroniques de la fin du monde : « Un port, discrètement
lumineux, des rues où s’allongeait l’ombre de Villon, des voix de matelots
incompréhensibles et des camarades séduisants m’attendaient dans cet espace lyrique
contenu entre la place Henry IV et la rue du Grand-Pont »39. C’est dans ce port
normand que se formera sa mémoire portuaire : « Un jour, je bus avec des captains
38
- Jean-Claude Lamy, Mac Orlan, l’aventurier immobile, Albin Michel, 2002.
39
- Pierre Mac Orlan, Chroniques de la fin d’un monde, éditions Emile-Paul frères, 1940, p. 91.
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Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
anglais commandant des charbonniers qui venaient de Blyth. L’un d’eux s’appelait
Bannister et l’autre Conrad, mais en ce temps-là, ce nom ne me disait rien », raconte
Mac Orlan. Le 8 avril 1913, il épouse une jeune fille du nom de Marguerite. Il est
alors, dessinateur, mais il écrit surtout beaucoup : de la littérature érotique, des contes
burlesques, et il compose aussi des chansons.
Pierre Mac Orlan est un féru d’aventure, mais pas n’importe quelle aventure,
l’aventure de ses rêves, celle créée au travers des dédales de son imaginaire. Il est,
comme aime à le répéter Jean-Claude Lamy, ‘L’aventurier immobile’. Il publie La
maison du retour écoeurant en 1912, c’est son premier roman. Il y embarque le lecteur
pour un voyage en mer loufoque. Mac Orlan se passionne pour les récits de pirates et
les légendes des corsaires, c’est ainsi qu’il « s’en va en mer » à bord de son roman Le
Chant de l’équipage en 1917. Le succès est au rendez-vous et Mac Orlan gagne ses
premiers galons d’écrivain de la mer. Il fait paraitre U-713 ou les gentilshommes
d’infortunes la même année.
Il est aux cotés de Max Jacob, Jean Giraudoux, Louis Aragon et Roger Vitrac
pour mener à bien le projet de la création de la revue Aventure. Son activité d’écriture
est débordante : il est poète, parolier, journaliste, grand reporter et chroniqueur
judiciaire au journal Détective.
Son reportage Les pirates de l’avenue du rhum est publié, en 1924, aux éditions
du Sagittaire à Paris. En 1926, parait Les clients du Bon Chien Jaune. Pierre Mac
Orlan rapporte ses souvenirs portuaires dans : Sous la lumière froide, Mademoiselle
Bambù, tous les deux publiés en 1932. Suivent en 1934 : A bord de l’étoile Matutine
et La nuit de Zeebruge.
Jean-Claude Lamy évoque cette période de création littéraire de Mac Orlan en ces
termes :
« Bien ancré dans cette terre de Brie, enfermé dans son bureau comme dans
une cabine de bateau, Pierre Mac Orlan naviguait au fil des souvenirs.
Quelques villes reviennent du fond de ses rêves : Rouen, Londres, Brest,
Marseille, Paris, Naples, Bruges, Hambourg, Barcelone. ».40
40
- Jean-Claude Lamy, Mac Orlan, l’aventurier immobile, Albin Michel, 2002, p. 61.
93
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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La Deuxième Guerre Mondiale éclate en 1939, et les Mac Orlan sont presque
sur la ligne d’attaque de l’armée allemande. Ils doivent vite plier bagage début mai,
mais heureusement ils sont de retour quelques mois plus tard. Pierre Mac Orlan
retrouve sa chère maison où rien n’a été déplacé, et découvre sur son bureau une lettre
d’un de ses admirateurs : un officier allemand qui avait occupé la demeure.
A 68 ans, en 1950, Mac Orlan est élu au couvert de Lucien Descaves et rejoint,
de ce fait, ses fidèles compagnons de plume à l’Académie Goncourt. Sa femme,
Marguerite décède en 1963. Sept années plus tard, le 27 juin 1970, Pierre Mac Orlan
décède à Saint-Cyr-sur-Morin.
Voici un extrait de la revue de la S.A.G.A. de mai 1935 intitulé : « Le sauvetage du
Fosterchild » :
41
- René Moniot Beaumont, Histoire de la littérature maritime, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2008,
p. 282. ISBN 978-2842655907.
94
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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premier ministre roumain. Pierre Béarn est un écrivain aux multiples facettes, il est à
la fois journaliste, romancier, poète, fabuliste et humaniste.
Il commence très tôt à écrire des poèmes, il admire les poésies de Victor Hugo,
et montre beaucoup d’aisance dans ses vers : il manie à la perfection les expressions
argotiques alors en vogue à Paris. Il se passionne aussi pour la mer, découvre la
littérature maritime à travers Loti, Farrère, et Hérédia, dont il dévore les récits avec
passion. Pour se familiariser avec la vie au bord de la mer, il part travailler comme
groom dans un manège à Cabourg.
En 1922, après la mort de ses parents, il a cette idée folle, avec son ami Pierre
Véry, d’aller vendre du vin aux Indes, mais leur plan tombe à l’eau.
Pierre Béarn fut plusieurs fois lauréat des grands prix littéraires, en 1959,
l’Académie française le récompense du Grand Prix de la Poésie de l’Académie
française. Il sera distingué, de nouveau par l’Académie, en 1981. En 1990, c’est le
président de la République française de l’époque, François Mitterrand, qui le fait
chevalier de la Légion d’honneur ; il reçoit, par la suite la croix du Mérite, et est fait
commandeur des Arts et Lettres.
95
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
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Giono entame sa carrière d’écrivain en 1922, par des poèmes en prose : Les Iles
et Sur une figure de proue d’Eichaker, publiés dans le no9 de la revue marseillaise La
Criée. Jeux ou la Naumachie, autre poème en prose paraitra dans le no16 de la même
revue. Le thème de ce poème sera repris par Jean Giono dans son roman Naissance de
l’Odyssée (Editions Kra, 1930). Lucien Jacques, peintre, poète, et grand ami de Giono,
42
- Pierre Béarn, L’océan sans espoir, éditions Emile-Paul Frères, Paris, 1946.
96
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
avait pris ce texte pour l’œuvre d’un marin. D’ailleurs, Giono, dans la préface de la
réédition d’Accompagné d’une flute, note bien: « Il ne se trompait pas : j’étais en effet
navigateur sur cette mer imaginée avec la profondeur vineuse des montagnes qui
barraient mon horizon vers le sud. »
L’excellent ouvrage de Michèle Belghmi : Giono et la mer, explique le rapport
fusionnel que Giono entretient avec la mer :
« La mer est dans l’œuvre de Giono un espace imaginaire, celui du
voyageur immobile et plus précisément celui de l’enfant rêveur qui,
pour échapper au monde paralysant de la laideur, de la misère et de
la mort, appelle à son secours un espace docile qui tantôt l’enveloppe
et le berce en se faisant cale de navire, tantôt se prête à sa volonté
conquérante en lui offrant l’infini de ses espaces. »43
43
- Michèle Belghmi : Giono et la mer, Presses universitaires de Bordeaux, 1987, p.83.
44
- Pierre Citron, Giono, éditions du Seuil, Paris, 1995, p. 113. ISBN 2020197855.
97
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
nous pourrions évoluer plus facilement dans les glaces, pénétrer dans les
petites anses, et que devant naviguer généralement sans carte, un faible
tirant nous permettrait dans la plupart des cas de voir le fond avant qu’il ne
devienne dangereux pour nous. »45
En 1954, Jean Giono fait son entrée à l’Académie Goncourt. Après un premier
accident cardiaque en 1962, Jean Giono meurt dans la nuit du 8 au 9 octobre 1970.
Jean Raspail lui rend hommage dans son ouvrage Le jeu du Roi :
Synthèse
Nous avons pu démontrer, au fil de ce troisième chapitre, comment est-ce que
le roman dit maritime a pu prendre forme au cours des XIX et XXe siècles. Plusieurs
grands noms de la littérature ont fait de la mer un motif redondant est omniprésent
dans leurs écrits. La mer est devenu un cadre accueillant l’action, mais aussi un
personnage, elle est même le sujet et parfois l’histoire, car elle est décrite, narrée et
représentée au travers de mille et une intrigues. Forte de ces revois ainsi que de ces
symbolisations, elle impose des normes de la narration et du style, elle convoque des
genres comme le récit d’aventure ou de voyage. La mer en appelle aussi à l’imaginaire
collectif, aux rêveries, elle ouvre le champ de tous les possibles.
45
- René Moniot Beaumont, Histoire de la littérature maritime, éditions La Découvrance, La Rochelle, 2008,
p. 305. ISBN 978-2842655907.
46
- Jean Raspail, Le jeu du roi, éditions Robert Laffont, Paris, 2003, p. 66. ISBN 978-2221101339.
98
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
Conclusion
Au terme de cette première partie, nous pouvons dire que nous avons dressé un
état des lieux des plus complets quant aux origines et aux différentes significations et
réalisations en langue du vocable mer. ce travail n’aurait pu être mené sans le recours à
une documentation aussi dense que riche. Nous avons pu démontrer les relations
connexes de ce mot avec d’autres vocables, sa place à l’intérieur de syntagmes et
d’expressions figées, ainsi que liens qu’il entretient avec d’autres disciplines.
Par ailleurs, notre tâche était aussi celle de répondre à la question portant sur
l’existence ou non, d’un genre maritime. Nous avons pu, grace à une étude détaillée,
montrer l’importance de la mer pour l’homme depuis la nuit des temps. Ainsi, les
textes les plus connus de l’humanité font référence et traitent de la mer. Ce vocable
accompagne l’homme depuis que ce dernier s’est mis à écrire, et ce lien n’a fait que se
renforcer au fil du temps, au gré des progrès technologiques et des découvertes de
toute sorte à tel point qu’à partir de l’Antiquité, les plus grands noms de la littérature
font référence à la mer dans leurs écrits. Ils en font des descriptions détaillées, en usent
comme moyen de se déplacer, de voyager et découvrir de nouvelles contrées.
C’est de la sorte que se dégage aujourd’hui un genre à part entière, avec ses
codes et ses normes propres, qu’on appelle genre maritime. Cette littérature très proche
de celle du voyage possède toutefois ses propres caractéristiques car elle en appelle
toujours à cet amour unissant l’homme à la nature tel un éternel retour aux sources.
Ainsi le roman maritime permet ce lien entre l’homme et les éléments cosmologiques
qui l’entourent, tout en faisant allusion au voyage, à l’exotisme, à l’inconnu et à
l’imaginaire.
99
Chapitre I Naissance et évolution de la littérature maritime
_______________________________________________________________________________
100
Partie II
De la structure au sens
Partie II De la structure au sens
_________________________________________________________________________
Introduction
Nous avons voulu centrer notre étude sur la progression du vocable mer dans
nos deux romans : Au commencement était la mer, de Maïssa BEY et La Quarantaine,
de Jean-Marie Gustave Le Clézio, car la mer occupe une place prépondérante à
l’intérieur des deux textes, tant par la fréquence et la redondance du vocable, mais
aussi parce que la mer est le cadre dans lequel les deux récits vont évoluer. En effet, la
mer va, dans un premier temps, aider à organiser le récit, en tant qu’élément définitoire
du cadre spatial dans lequel l’action va pouvoir avoir lieu. Dans un deuxième temps, le
vocable mer, grâce aux sens qu’il annexera, sera la mer en tant qu’abstraction (par
opposition à son aspect concret), la mer en tant que virtualité.
1
- François Rastier, Sens et textualité, Hachette, Paris, 1989, p. 87.
102
Partie II De la structure au sens
_________________________________________________________________________
Chapitre I
Cadre théorique et configurations des deux romans
Ce premier chapitre pose les jalons théoriques de notre étude. Il est de fait que
tout travail de recherche scientifique doit être précédé d’éclaircissements théoriques et
méthodologiques indispensables à la bonne conduite de l’analyse. Ainsi, nous
définissons, au cours de ce chapitre, les concepts majeurs que nous convoquons par la
suite et à l’aide desquels nous procèderons à l’examen de nos romans.
103
Partie II De la structure au sens
_________________________________________________________________________
et thématiques de notre corpus nous permettra d’avancer d’une manière sereine et de
donner à nos analyses la dimension qui leurs sied.
1. Préalables théoriques
Avant toute chose, il nous faudra procéder à la définition de quelques concepts
essentiels que nous aurons à utiliser fréquemment lors de notre analyse. La priorité
sera donnée au fonctionnement des mots dans le discours. C’est pour cela que l’on
utilisera le terme vocable. Les vocables sont définis comme étant : « les unités
lexicales réalisées dans un discours, par opposition aux lexèmes qui sont des unités
virtuelles. »2. Ainsi, vocable va servir à désigner les mots employés dans ce corpus et
qui sont utilisés par un locuteur donné (l’auteur) dans des circonstances données
(l’espace-temps dans lequel évoluent les faits romanesques)3.
Notre quête, qui est de tenter de cerner l’évolution du vocable mer à travers les
deux récits, passe inévitablement par la mise en avant de ses champs lexicaux et
sémantiques. Ainsi, nous aurons souvent recours aux termes : sème, sème inhérent et
sème afférent. Aussi une définition de ces concepts nous semble-t-elle indispensable
avant d’entamer ainsi notre analyse.
2
-P.Charaudeau, D.Maingueneau, Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002,
p. 601.
3
-Dans cette optique, il est nécessaire de souligner la distinction entre lexique et vocabulaire ;
[Une distinction entre le lexique- qui relève de ce que F. de Saussure (1972) appelle la langue- et le
vocabulaire- qui s’inscrit du côté de la parole, c’est-à-dire du discours- a été établie par le statisticien
C.Muller (1967). Elle est reprise par des lexicologues tels que R.L.Wagner (1967 :17) qui instaure une
relation d’inclusion entre le lexique, défini comme l’ « ensemble des mots au moyen desquels les membres
d’une communauté linguistique communiquent entre eux », et le vocabulaire qui devient « un domaine du
lexique qui se prête à un inventaire et à une description »]. -P.Charaudeau, D.Maingueneau, Dictionnaire
d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002, p. 600.
4
-François Rastier, Sémantique interprétative, Paris, PUF, 1996, p. 277.
104
Partie II De la structure au sens
_________________________________________________________________________
D’autre part, il est indispensable pour décrire le fonctionnement des sémèmes
en contexte, ainsi que pour rendre compte des phénomènes de cohésion textuelle,
d’apporter quelques précisions quant aux définitions de sème inhérent et sème
afférent. La définition de François Rastier nous semble la plus adéquate ; il définit le
sème inhérent comme étant :
5
-François Rastier, Sémantique interprétative, Paris, PUF, 1996, p. 46.
6
- Nous appelons Cycle mauricien l’ensemble des œuvres de Le Clézio dont le thème spatial est l’île
Maurice.
105
Partie II De la structure au sens
_________________________________________________________________________
trame narrative cette île : « sortie des profondeurs de l’Océan » (Le Clézio 1995 : p.
86). Les motifs qui poussent l’écrivain à revenir sans cesse à cette région du globe en
particulier, sont connus : Le Clézio est le descendant d’une famille originaire de l’île
Maurice et qui a dû, à contrecœur, émigrer en France. Le Clézio a grandi dans une
famille nostalgique de cette terre si chère. Ainsi, il développe un sentiment de perte de
cette île qu’il considère comme sa « petite patrie » (Le Clézio, 2008 : p. 45). Ce
rapport autobiographique, Le Clézio en parle dans une interview :
7
- J.M.G Le Clézio, entretien avec Carole Vantroys, LIRE no230, novembre 1994, p. 30.
- Crom, Nathalie (2007). « La littérature c’est du bruit, ce ne sont pas des idées », Télérama, no 2993, 21
8
mai, p18.
106
Partie II De la structure au sens
_________________________________________________________________________
L’obsession Le clézienne de Maurice ne situe pas uniquement au plan
nostalgique. Ce n’est pas seulement une question d’origines ou de mythologie
familiale qui pousse l’écrivain à revenir sans cesse vers cette île. Plus encore, l’auteur
mène, dans ses romans, un combat, celui de la mémoire. Mémoire de la colonisation
de cette île par l’Occident et l’assujettissement de la population locale, l’esclavage et
l’exploitation humaine. Le Clézio, l’humaniste, porte en lui les stigmates de ce passé
colonial.
Ces deux pôles font appel à deux groupes sociaux opposés : le premier se
constitue des représentants du pouvoir colonial : les sirdars10, les arkotties (les
dominateurs), qui exercent un pouvoir quasi despotique sur le deuxième groupe, les
colonisés (les dominés), composé des : coolies11 et des esclaves. Le texte le clézien fait
ressortir une forme de désapprobation marquée du système esclavagiste en particulier,
et plus généralement, un jugement négatif à l’encontre des détenteurs du pouvoir : « Je
hais les sirdars. Je les méprise plus que tout au monde. » (Le Clézio, 1985 : p. 65).
9
- Hamon fait reposer sa théorie des personnages sur la quête de deux objectifs : démontrer le caractère
sémiotique du personnage; mettre en place un modèle d’analyse sémiotique pour le personnage.
10
- De l'hindi, mot issu du persan sar (« tête ») et dar (« détenteur »). Titre décerné aux chefs en Inde. Pour
une étude plus approfondie de cette figure sociale mauricienne, voir Marina Carter, Servants, sirdars and
settlers : Indians in Mauritus 1834-1874, Delhi, Oxford University Press, 1995.
11
- Travailleur employé par les colons en Inde et en Asie.
107
Partie II De la structure au sens
_________________________________________________________________________
duquel la vie sur l’île est régie. Par métonymie, le sifflet du sirdar se transforme en
signe de l’autorité coloniale. C’est pour cette raison que Léon déverse sa haine à son
encontre, et ceci à de nombreuses reprises dans le texte : « les coups de sifflet du
sirdar et des arkotties se répondaient, haletaient, tantôt aigus, impérieux, tantôt
graves » (Le Clézio, 1995 : p. 82) ; « le sifflet du sirdar a troué la nuit » (Le Clézio,
1995 : 85) ; « les sifflets lugubres du sirdar » (Le Clézio, 1995 : p. 86) ; « maudit
sifflet » (Le Clézio, 1995 : p. 129).
12
- Voire à ce sujet les travaux de Michelle Labbé, Le Clézio, l’écart romanesque, Paris, L’Harmattan, 1999
et Raymond Mbassi Atéba, Identité et fluidité dans l’œuvre de Jean-marie Gustave Le Clézio, Paris,
L’Harmattan, 2008- qui traitent de l’identité nominale des personnages le cléziens.
13
-Vidoolah Mootoosamy, Les figures de la colonisation à l’île Maurice : un parcours de rédemption le
clézienne, in Revue Mosaïques, Hors-série no 1, éditions des archives contemporaines, p 152, 2013.
14
-Ananta appelé aussi Shesha en (devanagari: शेष) ou Adishesha est un serpent, (nâga), de la mythologie de
l’hindouisme. Son nom sanskrit Ananta signifie: sans fin, ou, sans limite, éternel ou infini
108
Partie II De la structure au sens
_________________________________________________________________________
« serpent sur lequel Dieu se repose jusqu’à la fin du monde » (Le Clézio, 1995 : pp.
198. 199).
De même que le personnage féminin principal du roman, qui n’est nul autre que
Suryavati, doit son nom à l’histoire et à la littérature indienne, comme le précise
d’ailleurs le narrateur à travers le passage suivant:
Le choix donc des noms qu’apporte Le Clézio à ses personnages est loin d’être
fortuit. L’auteur procède au choix nominatif de ses personnages au moyen
d’indications intertextuelles précises et en faisant appel à l’histoire, à la mythologie
des pays extra-occidentaux. Ce choix est orienté afin de convoquer la curiosité du
lecteur, lequel se verra quasi obligé de plonger dans une sphère culturelle qui lui est
étrangère. Ces mêmes personnages sont en fait porteurs des stigmates de l’autorité
coloniale, qui, pour assoir sa domination, n’hésite pas à anéantir l’Autre y compris sa
culture d’appartenance.
Frantz Fanon, dans son œuvre Pour la révolution africaine, note à ce sujet :
15
-Le Clézio évoque ici l’écrivain du Cachemire, Somadeva, qui a vécu au XI e siècle, et qui est l’auteur de
Kathasaritsagara (en français Océan des rivières des contes), œuvre qui entretient, sous formes d’histoires et
de légendes, le mythe de Suryavati (ou Suryamati), reine du Cachemire.
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Partie II De la structure au sens
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avant de les transmettre et de les réemployer, dans un deuxième temps, au travers de
ces créations littéraires.
Dans notre cas d’étude, un jeu temporel est mis en place dès les premières
pages du roman. La narration, qui semble se faire de manière tout à fait naturelle, sous
la forme d’un journal de voyage, fait un recours incessant au passé, et ceci au travers
de retours en arrière à l’intérieur même du récit.
Pour les deux premiers chapitres du roman, par exemple, c’est-à-dire pour les
premières 46 pages, ce Je désigne le petit-fils de Jacques et Suzanne, alors qu’à partir
du troisième chapitre intitulé la quarantaine est qui est, de loin, le plus long chapitre du
roman, le « Je » devient autre et désigne un tout nouveau protagoniste qui n’est autre
que Léon, le frère de Jacques, qui accompagne ce dernier et Suzanne dans leur voyage
vers L’ile Maurice.
Nous avons donc à faire à deux narrateurs dont les voix s’entrelacent dans le
texte. Le premier, Léon, le descendant du grand-oncle disparu. Il ouvre et clos le récit
dans son premier et dernier chapitre, livré sous forme de journal. Le deuxième
110
Partie II De la structure au sens
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s’appelle aussi Léon, mais il s’agit ici, du grand-oncle légendaire que nous appellerons
Léon le Disparu. Cette duplicité des voix narrative crée et entretient l’illusion de deux
récits qui s’entremêlent. Ce dédoublement crée un paradoxe temporel puisqu’il brise
les barrières chronologiques entre les différentes générations dont le récit rapporte
l’histoire.
Les deux voix de nos deux narrateurs, qui sont à première vue complètement
distinctes l’une de l’autre, finissent par se rejoindre, et cela à travers l’identification de
Léon à son grand-oncle disparu : « Ainsi je suis devenu Léon Archambau, le Disparu »
(Le Clézio, 1995 : p. 24). Et l’auteur reviens sur cette idée par la suite : « C’est comme
si j’avais vécu cela, comme si je l’avais rêvé hier » (Le Clézio, 1995 : p. 157).
16
-Selon Michel Picard, il existe une relation intime entre l’espace et le temps et qu’ils se trouvent ainsi
fortement liés : « Irreprésentable, mais pensé abstraitement comme « coordonnée du réel », « le temps […]
se neutralise d’autant plus qu’il se confond avec l’espace. » (1989 : 11).
17
-En fait l’uchronie et l’utopie illustrent à merveille notre concept de création d’un univers spatio-temporel
d’origine, en dehors de toute chronologie.
111
Partie II De la structure au sens
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Nous admettrons, enfin, que les deux principaux narrateurs de La Quarantaine
participent à la création de deux récits qui progressent en parallèle : le premier –le
journal de bord de Léon-, se déroule d’une manière linéaire dans le respect total de
l’ordre chronologique et spatial ; le deuxième lui, use et abuse d’analepses et de
rétrospections (Genette 1972 : 82-105) opérant ainsi des allers-retours vers l’origine,
déconstruisant ainsi la narration.
Nous avons explicité auparavant comment est-ce que les deux récits leclézien –
celui rapporté par Léon le petit-fils de Jacques et Suzanne, et qui trouve son ancrage
dans l’année 1980, et le deuxième, rapporté cette fois-ci par Léon le Disparu, c’est-à-
dire le grand-oncle du premier narrateur et qui prend place à l’été de l’an 1891- se
trouvent entrelacé dans les pages de ce roman.
18
- Borgomano, Madeleine, « Voix entrecroisées dans les romans de J.M.G Le Clézio : Désert, Onitsha,
Etoile errante, La Quarantaine », in Le français dans tous ses états, No35, 2003. Pp. 3. 5.
19
- Gérard Genette, Palimpseste, Paris, Seuil, 1982, p. 8.
20
- Michel Schneider, Voleurs de mots, Paris, Gallimard, 1985, p. 81.
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Partie II De la structure au sens
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Ce texte se signale, à l’intérieur du roman de Le Clézio par le biais d’une
typographie particulière et différente du reste des pages du roman. La Yamuna se
détache du corps du roman en ce sens où un retrait de page significatif (à gauche) y est
appliqué. Il est écrit à la première personne du singulier, ceci dit l’identité du narrateur
ne nous est pas révélée.
Nous émettons l’hypothèse que le récit intitulé la Yamuna avait été rapporté,
dans un premier temps, par Suryavati, pour, ensuite, être transmis par le narrateur final
qui n’est autre que Léon le Disparu. Nous relevons, pour étayer nos dire ce passage
relevé à la page 285; « Je pensais à tout ce qu’elle avait vécu, ce que m’avait raconté
Surya, la tuerie de Cawnpore, et Giribala qui l’avait arrachée au corps de sa nourrice
et l’avait emmenée, l’avait plongée dans les eaux de la Yamuna. »
En effet, Léon, le narrateur, nous avoue ici avoir pris connaissance du récit des
événements vécus par Giribala et Ananta par la bouche même de Suryavati, ce qui
laisserait entendre que c’est cette même Suryavati qui prend en charge, dans le texte,
la narration du récit La Yamuna.
Nous est narré au travers de ce récit, l’histoire de Suryavati et de ses ancêtres,
de cette femme qui a recueilli sa mère en Inde à l’époque de la colonisation anglaise.
Sa mère était la seule rescapée d’une famille anglaise. Celle que Suryavati appelle
‘grand-mère’ a élevé sa maman. Ce récit nous conte aussi les préparatifs du voyage de
la grand-mère et de la fille adoptive de l’Inde vers l’Ile Maurice. Ce périple à comme
point de départ un fleuve en Inde appelé la Yamuna.
La Yamuna est cet autre récit racontant Maurice comme quête ultime. Y
transparait la fuite de Giribala, la grand-mère de Suryavati, et de sa fille Ananta d’Inde
ainsi que leur embarquement à destination de l’île Maurice sur le navire l’Ishkander
Shaw. Ce récit remonte à l’époque de la révolte des Cipayes en Inde brutalement
réprimée par les Britanniques, répression dans laquelle Ananta et sa mère se trouvent
prises au piège. La seule issue pour elles est de fuir. Cet exode commencera au bord
d’un radeau le long de la rivière Yamuna puis sur le navire qui les emmènera vers leur
destination finale : l’île Maurice.
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Partie II De la structure au sens
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Ce texte constitue une pause dans la narration, une analespse, où le narrateur
nous fait revenir en arrière afin de nous narrer l’histoire personnelle des aïeux de
Suryavati. Ainsi nous pourront mieux saisir les raisons pour lesquelles elle et sa mère
se retrouvent aujourd’hui sur cette île de Plate.
Le lecteur de ce récit se trouve en permanence sur les routes de l’Inde, du
fleuve Yamuna puis sur l’océan Indien. C’est grâce au point de vue mobile qui
gouverne la lecture que nous avons accès tour à tour à la culture européenne et à la
culture indienne. Nos héroïnes, Giribala et Ananta, traversent l’inde pour arriver à la
ville d’Allahabad où elles embarquent sur la Yamuna à bord d’un radeau avec d’autres
fuyards. Se mêlent, le long des pages de La Yamuna, des éléments fictionnels et des
éléments objectifs et réels du passé colonial anglais en Inde. Ainsi, on y croise des
noms d’illustres leaders, commandants et autres ; Nana Sahib, Lord Canning, Ali
Naqui Khan…
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Partie II De la structure au sens
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toujours ce même cérémonial funeste : « Et toujours, le bruit lourd du corps qu’on
immergeait, la mer qui se refermait sur lui. » (Le clézio, 1995 : p. 395). La mer est
aussi apparentée, comme le démontre ce passage du texte, à un cimetière dans lequel
on jette les cadavres des malades du choléra. La mer se referme sur eux pour ne plus
jamais s’ouvrir.
Lors de ce voyage, Giribala et sa petite fille sont éblouies à chaque fois qu’elles
montent sur le pont du navire : « Le pont, en plein air, n’était plus comme avant.
Quand c’était le tour de Giribala et d’Ananta, elles ressentaient toujours le même
éblouissement, ce tourbillon du ciel et de la mer, le vent chaud qui gonflait la grand-
voile,[…] » (Le Clézio, 1995 : p. 399), ou bien encore cette autre démonstration,
lorsque l’Iskander Shaw semble tout prêt de toucher terre : « A travers la vitre,
Giribala a aperçu la mer couleur d’émeraude, et la ligne des îles, les silhouettes
incroyables des cocotiers. » (Le Clézio, 1995 : p. 401).
Voici donc comment Suryavati s’est retrouvé sur l’île de la quarantaine. Bien
des années plus tard, Léon lui aussi connaitra la même trajectoire, le même sort. Nos
deux jeunes protagonistes sont liés d’abord par une même quête : Maurice, mais
surtout par un même destin : une quarantaine forcée.
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Les descriptions font partie d’un procédé narratif connu sous le nom de pause.
Ces dernières sont indénombrables tout au long du récit sous plusieurs formes.
21
- A.J.Greimas, Du Sens, Le seuil, 1970 p. 187.
22
- G. Genette, Figures III, Le seuil, 1972, p. 82.
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D’abord les descriptions ; comme celles déjà évoquées auparavant et qui interrompent
l’action à tout bout de champ. Ensuite il y a les commentaires qui reviennent
fréquemment et qui constituent une sorte de trêve où le temps de la narration est
suspendu. Le narrateur y trouve le moyen d’apporter ses appréciations et celles de
Nadia sur ce qui l’entoure. De nombreux commentaires exprimeront les peurs et les
angoisses de Nadia. Ils auront pour sujet le terrorisme, et ces hommes qui lui font si
peur : « ces détonations qui déchirent le silence de ses nuits. », (Bey, 1996 : p. 15), ou
bien : « …prédateurs vêtus d’étranges défroques… », (Bey, 1996 : p. 16).
« -d’où viens-tu ?
[…]
-d’où viens-tu ? répète-t-il.
-je suis descendue là…, juste en bas, sur la plage…balbutie-t-elle, […] »
118
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Du début du récit jusqu’au retour à Alger, le temps, plutôt la durée nous est
fournie grâce à un indice temporel qui est la mer. La mer calme, douce, la plage ornée
de ses estivants, suppose que les faits se déroulent en été. Ceci laisse présager que le
temps de l’histoire calque, à peu de choses près, celui de la narration, et la durée fut un
été. Nous parlerons alors de repère temporel mi-objectif : mi-contextuel. Mi-objectif
puisque nous n’avons pas d’indication précise sur la date à laquelle se déroulent les
événements, mais nous savons maintenant que le début de l’histoire concorde avec le
début de la saison qui est l’été, ceci nous laisse deviner que la durée égale celle de
cette même saison. Mi-contextuel car les événements relatés par le narrateur ont une
durée plus ou moins précise, du moins ont un début et une fin repérable, et cette durée
est astreinte à un contexte (La mer d’été) dans lequel ces événements se produisent.
A plus d’un moment, nous avons remarqué qu’elle émettait des souhaits,
qu’elle laissait libre cours à ses sentiments et à ses espérances. Cela nous fournit
beaucoup d’informations sur ces aspirations, sur ces espoirs.
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Pour regrouper tous ces états d’âmes et ses sentiments, nous avons choisi de
relever tous les passages significatifs en les classant en deux colonnes Etre et Vouloir
être de Nadia :
NADIA
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Nous remarquerons de prime abord que les sèmes afférents de la première colonne
sont d’une violence inouïe. Nous distinguerons aussi deux sortes de sèmes, la première
constituée de : /tristesse/, /blessures/, /meurtrissures/, et / déchirement/, fait appel aux
résurgences, au passé propre de Nadia, car en rapport direct avec les événements racontés
par le biais de l’analepse (mort du père et séparation avec le grand-père). La seconde fait
état de la condition actualisée de Nadia. En d’autres termes, les sèmes : /solitude/,
/interdiction/, /attente/, /perdue/, et /affrontement/, établissent le lien direct entre l’état
présent de Nadia et le mouvement narratif. Ainsi cette catégorie de sèmes rend-elle
compte de la progression narrative, de l’état présent de la narration.
Nadia, par son incapacité à vivre au présent, le culte qu’elle voue aux
souvenirs et sa projection incessante vers l’avenir et vers le rêve, n’incarne-t-elle pas
parfaitement le drame de l’illusion humaine ?
Cette proportion au rêve, Nadia la doit à ses nombreuses lectures : « Elle lit
comme on entre en prière, avec la même ferveur mystique, le même respect attentif. Le
même oubli de soi et des autres » (Bey, 1996 : p. 33).
« Les seules vraies histoires, les seules belles histoires sont celles qu’on lit
[…] ces vies qui courent le long des lignes, dites avec des mots qui sont des
parfums, des couleurs, des cris de souffrance aussi et des rêves. » (p. 37)
« Et quand elle découvre au hasard de ses lectures(…)le même désir éperdu de
beauté et de liberté, le même refus des mensonges et des compromissions, la
23
- Schopenhauer, Pensées, cité par Marcel Desportes et collectif, « Une vie » de Guy de MAUPASSANT et le
Pessimisme, éditions Marketing, 1979, p. 120.
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même souffrance exacerbée à l’idée de dire oui à tout ce qui n’est pas juste, à
tout ce qui n’est pas vrai, elle pleure enfin, délivrée de n’être plus seule. »
(Bey, 1996 : p. 38).
Afin de mieux saisir l’antonymie que ces deux visages féminins de Nadia
illustrent, nous allons définir pour chacun d’eux la signification correspondante, en
analysant la scène de l’acte sexuel et les passages qui s’ensuivent dans le tableau ci-
après :
122
Partie II De la structure au sens
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Désir Douleur
Face à Nadia, femme fatale, objet de tous les désirs de Karim, nous retrouvons une
autre Nadia, qui, après avoir franchi l’étape de l’étreinte, découvre la douleur, la
meurtrissure ainsi que la détresse, la déception, la perte de ses illusions, comme l’indique
le passage suivant : «Il démarre sans se tourner vers elle […] et prend la longue avenue
de la mer. Toujours la même direction. », (Bey, 1996 : p. 64).
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Partie II De la structure au sens
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Comme nous venons de le voir, les deux récits dont traite notre analyse sont pétris
de particularités qui présentent un intérêt certain pour le chercheur. C’est pour cette
raison que nous nous sommes arrêtés, dans un premier temps, à mettre en évidences ces
caractéristiques.
Cependant, nos recherches nécessitent d’intervenir davantage en profondeur dans le corps
des textes que nous analysons. Pour se faire, l’exploitation d’un schéma séquentiel nous
parait indispensable quant au repérage des moments clés des deux romans. Pour se faire,
nous avons choisi de faire appel au schéma de Paul Larivaille.
Notre tâche est de tenter de mettre en valeur le rôle du vocable mer à travers les
deux romans composants notre corpus. Une telle entreprise ne peut se faire sans un
découpage systématique du texte, ceci pour mieux cerner ses différentes époques et,
subséquemment, les éventuelles mutations de situation et de sens.
La Quarantaine quant à lui, est un roman de 540 pages divisé en quatre chapitres.
Ceci dit, les quatre chapitres sont loin d’être répartis de manière égale. En effet, le
premier chapitre intitulé Le voyage sans fin se compose de 22 pages. Le deuxième :
L’empoisonneur comporte 24 pages, quant au troisième La quarantaine, et dont le roman
24
- J-P. Sartre, « Explication de L’Etranger », in Situations I, Gallimard, Paris, 1947, p.139.
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porte le nom, nous y dénombrons pas moins de 426 pages. Le quatrième et dernier
chapitre Anna se composant lui de 55 pages.
C’est pour cela que nous nous baserons sur les transformations chronologiques des
événements. La narration étant graduelle, la représentation d’une succession temporelle
d’actions devra obéir à une transformation plus ou moins importante de certaines
propriétés initiales du récit.
Par ailleurs, pour ce qui est de la signification, la mise en intrigue s’occupera de
structurer et de donner du sens à cette succession d’actions et d’événements dans le
temps.
Nous suivrons donc la succession des événements ainsi que le parcours actantiel
des personnages tout au long du cheminement narratif, afin de repérer les causes des
ruptures, ainsi que les enchaînements qui permettront le passage d’une situation à une
autre. Evidemment, le découpage que nous proposerons devra impérativement obéir à un
ordre, à des temporalités et à une durée. Pour cela, il nous faudra définir les étapes
auxquelles le déroulement narratif est soumis. Ceci ne peut bien entendu se faire sans que
nous ayons recours à un schéma fonctionnel capable de nous aider dans notre tâche.
Avant de présenter le modèle qui nous semble être le plus apte à nous guider à travers les
textes de Maïssa Bey et de Jean-Marie Gustave Le Clézio, il ne nous paraît pas inutile de
dire un mot de sa genèse.
Le précurseur le plus célèbre des chercheurs qui se sont consacrés à l’étude des
contes populaires est Vladimir Propp25. Par la suite, le Français Claude Bremond établit
le premier modèle fonctionnel pouvant s’adapter au récit en général26. En voici les
détails :
25
-Propp a su démontrer que les contes merveilleux russes qu’il avait étudiés appartenaient tous au même
modèle. Il avait noté un retour, quasi automatique, des mêmes « fonctions ». Ainsi Propp a su mettre en place un
prototype des contes russes qu’il a étudiés, prototype constitué de 31 fonctions. Voir à ce sujet : V.Propp,
Morphologie du conte, Paris, Le Seuil, 1965.
26
- Claude Bremond, Logique du récit, Paris, Le seuil, 1973.
125
Partie II De la structure au sens
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Fonction n°1 Fonction n°2 Fonction n°3
Nous noterons que Claude Bremond sera le premier à utiliser le terme séquence pour
désigner l’instrument d’analyse se situant entre la fonction (unité minimale, chez Propp)
et la série (ou modèle structural).
I II III IV V
Ce dernier tableau nous semble être le plus complet et celui qui répond au mieux
aux besoins de notre analyse. C’est pour cette raison que nous nous reposerons lors de
notre travail sur ce schéma, afin de décomposer en macro séquences le texte de Maïssa
27
- P.Larivaille, « L’analyse (morpho)logique du récit », dans Poétique n°19, 1974. Pp368. 388.
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Partie II De la structure au sens
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Bey ainsi que celui de J-M G Le Clézio. Cette décomposition obéira, bien évidemment,
au déroulement des événements et aux différents états du récit.
Synthèse
Nous avons voulu, à travers ce chapitre, clarifier certaines notions théoriques que
nous utilisons à l’intérieur de notre travail. Aussi, nous nous somme arrêtés sur les points
qui nous semblent être incontournables quant à l’analyse que nous nous proposons de
mener concernant les deux romans composant notre corpus d’étude. De ce fait, nous
avons consacrés une partie de ce chapitre à la mise en relief de certaines particularités
narratives de Au commencement était la mer et de La Quarantaine. Nous avons enfin
terminé par la présentation du schéma que nos allons adopter dans les deux chapitres
suivants, et qui nous aidera à pénétrer le texte de manière plus efficiente. Ceci nous
permettra de cerner le statut qu’occupe le vocable mer au sein de nos deux romans.
127
Partie II De la structure au sens
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Chapitre II
Analyse des structures narratives de Au commencement était la mer
Dans notre quête du sens que génère le roman de Maïssa Bey, nous avons pu
expliciter dans le chapitre précédent à quel point il nous était indispensable de
procéder à une subdivision du roman afin d’en extraire l’essence signifiante. Cette
subdivision nous permettra de mettre en relief les différents moments de l’histoire,
leurs inters relations ainsi que les éventuelles imbrications. Par ailleurs, ce découpage
du texte beyien nous parait essentiel quant à la mise en évidence des transmutations
signifiantes du vocable qui est au centre de notre recherche, c’est-à-dire le vocable
mer. En outre, nous tenterons de mettre l’accent sur les influences que le vocable mer
peut avoir sur les autres personnages du roman.
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129
Partie II De la structure au sens
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1996 : p. 11). La première impression que nous avons est ce sentiment de bonheur et
de joie qu’éprouve Nadia face à la mer : «Bonheur tout rose […] de petits nuages
blancs qui courent » (Bey, 1996 : p. 7), « […] se laisse d’abord pénétrer par le flux
des sensations qui affleurent sur sa peau en un lent frissonnement. » (Bey, 1996 : p.
8), « Tout un été au bord de la mer ! C’est un peu comme un rêve. Un rêve si fragile
qu’au matin, on ose à peine ouvrir les yeux sur l’immensité saisissante et bleue de la
mer et du ciel confondus. » (Bey, 1996 : p. 11).
Mais bien vite, nous nous apercevons que cette joie qui apparaît reste passagère
et quasi éphémère, car le récit décrivant cette joie est découpé, haché. Et l’on se rend
compte rapidement qu’au sentiment de béatitude se substitue une étrange sensation de
douleur, d’amertume et de nostalgie : « Perdue, à la lisière de deux mondes qui
s’affrontent aujourd’hui, qui est-elle ?
Saura-t-elle dire ses élans, son désir d’être ? » (Bey, 1996 : p. 5).
Avant leur déménagement à Alger, Nadia ainsi que ses parents, habitaient dans
la maison de son grand-père paternel. Son départ à Alger, Nadia l’a très mal
vécu : « arrachement insupportable. » (Bey, 1996 : p. 28).
Les sèmes de tristesse et de chagrin que l’on retrouve dans arrachement/déchirement/,
témoignent de l’angoisse dans laquelle se trouve Nadia.
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dans un tel contexte situationnel (la mer), mais en même temps cette euphorie a
tendance à se briser lorsque les réminiscences douloureuses (la mort de son père, et
l’absence de son grand-père) resurgissent. Ces deux facettes, diamétralement
opposées, attestent du malaise dans lequel évolue Nadia.
Sa peur, son angoisse, elle les doit aussi à ce frère, qui hante ses jours et ces
nuits, déambule dans la maison comme un fantôme… un être qu’elle a connu jadis,
plein de joie de vivre et qui est devenu aujourd’hui un monstre qui ne les voit plus, elle
et sa famille, qui ne leur parle même plus.
Mais sa plus grande crainte c’est : « Cette guerre qui ne dit pas son nom […] » (Bey,
1996 : p. 13).
Nous verrons par la suite que le roman est parsemé de passages faisant
référence au terrorisme, aux attentats, à cette guerre qui remplit d’effroi le cœur de
Nadia. Violence, malaise social, tabou, absence masculine réconfortante, et enfin la
découverte de cette immensité qui est la mer, tout cela alimente et nourri le trouble de
Nadia.
A la page 17, c’est un autre espace où a vécu Nadia qui est décrit, la maison de
son grand-père, là où Nadia habitée avec sa famille avant la disparition de son père :
« Une grande maison toute blanche elle aussi. La sécurité, la solidité de murs hauts
comme des remparts. Des coulées de ciel tendre à travers les pampres mordorés de la
vigne qui courait au-dessus de la cour intérieure.». Une autre description de lieu où
évolue Nadia, à la page14, cette fois-ci c’est leur appartement à Alger qui y est
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Partie II De la structure au sens
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« Il y a Salim. Il promène partout ses quinze ans affamés de grand air, son
corps d’adolescent gracile et maladroit. Nourri d’air et de lumière, il
grandit à vue d’œil, comme une plante qui aurait retrouvé son espace
naturel.
Il y a Fériel, la petite sœur. Toute en bondissements, en jaillissements
désordonnés. Son corps brûlé de soleil se dégage difficilement des rondeurs
potelées de l’enfance. Très vite, elle a appris à nager, comme si elle n’avait
fait que ça toute sa vie.
Et puis, il y a l’autre frère, Djamel. Cette ombre furtive qui traverse leurs
vies en silence […] ».
Il nous faut noter qu’aucun repère spatial objectif n’est présent dans cette partie
du texte. Nous désignons par indice temporel objectif les noms propres de lieux.
Cependant, nous sommes certains que les faits se déroulent au bord de la mer. Ainsi
notre ultime repère sera-t-il la mer et tous les sèmes s’y rapportant, comme
/plage/sable/rochers/.
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ne désire qu’une chose, ne plus affronter les méandres de la vie, seule. Elle veut
conjuguer ses espérances au présent et au pluriel.
« -Bonsoir, je vous ramène Fériel, dit-il, comme il est tard, j’ai préféré la
raccompagner. […]
-Merci, réussit-elle à bredouiller, quelques secondes trop tard.
Il est déjà loin. » (Bey, 1996 : p. 33).
La séquence narrative laisse place à une séquence dialogale, plus apte à relater
fidèlement les faits.
Ce jeune garçon, Karim, est le cousin d’Imène, la copine de jeu de Fériel. Nadia
ne le sait pas encore, mais c’est juste le commencement de son histoire… De retour
sur la plage, un étrange jeu va naître entre les deux protagonistes. C’est un jeu fait de
regards furtifs, de sourires esquissés. Le jeu de la séduction.
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de quelques jours afin de faire plus ample connaissance avec Karim, car bientôt les
vacances toucheront à leur fin.
Des commentaires, ayant pour sujet son frère Djamel, parcourent cette partie.
Son frère qui, jour après jour, sombre de plus en plus dans le fanatisme religieux.
Enfermé dans sa chambre, il passe des journées entières à écouter des cassettes qui
diffusent des propos haineux et violents. Nadia se remémore l’époque où Djamel
partageait sa chambre, l’époque où il partageait ses jeux… !
1
- Afin de mieux cerner le rapprochement fait ici entre les deux personnages que sont Nadia et Antigone, un
bref rappel de l’histoire que fut celle d’Antigone nous paraît nécessaire : Fille d’Œdipe et de Jocaste,
enterrée vivante par son oncle Créon, elle est le symbole du conflit entre les valeurs de la société et celles de
l’individu.
2
- Belkhous Meriem, Les stratégies d’écriture chez Maïssa Bey dans Bleu blanc vert, Puisque mon cœur est
mort et Pierre sang papier ou cendre, dir. Thèse Rahmouna Mehadji, Thèse de doctorat en Sciences des
textes littéraires, Université d’Oran 2, 2016, p. 187.
134
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Présence de sa mère. Indissociable des bruits et des odeurs de cuisine » (Bey, 1996 :
p. 39).
Aussi, la mère de Nadia est-elle décrite dans le passage comme une personne
qui ne communique son amour et son affection à ses enfants qu’à travers la nourriture :
« L’amour qu’elle distribue à grandes cuillères. Dont elle remplit leurs assiettes. A
déborder. » (Bey, 1996 : p. 40).
Cette partie se termine sur une scène au cours de laquelle les personnages,
Nadia et Karim sont ensemble, se tenant par la main. Evidement, le sentiment
amoureux est omniprésent dans cette partie du récit. D’ailleurs les lexicalisations des
sèmes génériques d’ /amour/, ainsi que la fréquence de leur réalisation témoigne de cet
état de fait :
3
- Petit Larousse Illustré, Librairie Larousse, 1968, p. 932.
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Il s’agit d’une monotonie qui ne demande qu’à être brisée, car l’acheminement
narratif, ainsi que le déroulement romanesque, appellent un élément perturbateur ; la
provocation.
Cet élément se trouve être, ici, le sentiment amoureux, mis en relief par la rencontre de
Nadia et Karim, qui va se charger de lancer le processus de transformation des
événements. Ainsi donc, la provocation va-t-elle induire la relation amoureuse ?
4
- Petit Larousse Illustré, Librairie Larousse, 1968, p. 893.
136
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Ainsi, Nadia brise cette « trêve » dans le parcours amoureux qui la lie à Karim.
Rapidement, les deux protagonistes vont se retrouver, et les rendez-vous suivront
rapidement. Cependant, le narrateur ne donne aucune indication sur le nombre de
rendez-vous qu’auront les jeunes amoureux ni sur la durée temporelle sur laquelle ils
vont s’étendre.
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Partie II De la structure au sens
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« cérémonie ». Nadia et Karim sont en proie à une gêne certaine et c’est, sans nul
doute, l’environnement et le milieu social, qui alimentent cette gêne et l’exacerbent. Il
est certain que la société dans laquelle évoluent les protagonistes ne favorise, en aucun
cas, la manifestation et l’épanouissement du sentiment amoureux.
« Mais elle sent maintenant les regards des autres. Et sur son corps rayonnant,
sur eux, les regards s’attardent, curieux, s’insinuent, se déposent. […] Un jour, un
jour il faudra dire tous ces regards… » (Bey, 1996 : p. 60), pour fuir ces regards-là,
c’est vers la mer que se dirigent Nadia et Karim : « Viens ma douce, viens ma belle,
allons retrouver la mer qui danse. » (Bey, 1996 : p. 60).
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Partie II De la structure au sens
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Aujourd’hui, Nadia n’a plus peur du regard des autres : « Elle ralentit le pas,
inconsciente des regards posés sur elle. », (Bey, 1996 : p. 63), car toutes ces scènes
répétées maintes et maintes fois, donnent à Nadia une robustesse, une arrogance telle
qu’elle en oublie jusqu’à ses phobies mêmes.
Avant d’aller plus loin, nous noterons qu’encore une fois la mer est au centre
des faits et gestes des deux protagonistes. Au-delà du concept de mer-refuge, la mer
complice fait son apparition, et offre aux deux personnages le cadre exotique idéal aux
ébats amoureux. L’air marin, le souffle du vent sur leur visage, le bruit des vagues
s’écrasant sur les rochers, autant de facteurs qui favorisent l’accomplissement
amoureux. Encore et toujours cet aller-retour vers la mer…
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Partie II De la structure au sens
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Consciente d’avoir enfreint les règles, Nadia, se sent pourtant comme libérée
d’un fardeau…est-ce pour parfaire sa rébellion ? Ou bien alors, portée par son
habitude de ne plus avoir peur, elle veut aller jusqu’au bout de ses audaces ? Est-ce
cela son désir ? Révolte face à cette société qu’elle ne reconnaît plus, faite de
prosélytes venus d’un autre âge, rédempteurs disent-ils… est-ce par vengeance ou bien
par amour qu’elle a franchi le pas ?
Ce qui est sur c’est qu’ :« Elle ne sera jamais cette mariée au front virginal,
molle idole d’un jour, docile et silencieuse, que l’on mène au mâle le soir des noces,
[…] » (Bey, 1996 : p. 68).
Cette partie est aussi parcourue par des pauses narratives, et les commentaires
ont souvent pour sujet son frère Djamel : « Rien n’y fait ! Ni les larmes de sa mère, ni
les colères de son oncle ! Djamel n’ira plus au lycée. » (Bey, 1996 : p. 69).
Djamel a décidé de ne plus fréquenter le lycée, car sa seule préoccupation aujourd’hui
c’est de se consacrer corps et âme à cette guerre contre « les infidèles ». Ce frère qui
partage la maison de Nadia, illustre au mieux l’exemple des peurs de Nadia.
«Karim habite un petit studio au dernier étage d’un immeuble. » (Bey, 1996 : p. 71).
Dorénavant, c’est dans ce studio qu’auront lieu leurs rencontres. Les deux
amants auront de nombreux après-midi pour se connaître, pour se découvrir ;
cependant jamais Nadia ne connaîtra la jouissance avec son partenaire : « Elle
n’apprendra cependant jamais le plaisir. Le vrai. » (Bey, 1996 : p. 72).
Elle sera seule, désespérément seule, même lorsqu’elle est dans le même lit que
Karim, même dans ces ersatz de coït : « La douceur et la violence de l’homme qui
dérive seul […] » (Bey, 1996 : p. 72).
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Partie II De la structure au sens
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4. Epoque 4 : Sanction : rupture entre les deux protagonistes (pp. 73. 84)
Au plus haut degré de la relation survient la sanction. C’est la conséquence
logique du déroulement narratif. Karim décide de quitter Nadia. Le caractère
outrageant de ses déclarations, laisse Nadia sans voix. Karim invoque les critères
sociaux, une définition illogique, insultante et un discours offensant sur la différence
des classes, encore en usage dans certaines sphères de la société algérienne. Injurieux,
pense Nadia, mais définitif et « réfléchi » a dit Karim. Curieusement, les séquences
dialogales qui se sont faites très rares jusque là, prennent tout d’un coup, pour mieux
illustrer le caractère primordial de cette partie dans la progression du récit, beaucoup
plus d’ampleur. Elles apparaissent ainsi :
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Partie II De la structure au sens
_______________________________________________________________________________
auront une toute autre fonction puisqu’elles nous apporteront des compléments
d’informations sur l’aspect extérieur des personnages ou bien alors seront parfois
descriptives : « Sa voix a des accents nouveaux […] » (Bey, 1996 : p. 75). Ou bien
parfois, ce seront des commentaires à caractère explicatif : « Ce qu’elle veut en cet
instant ? Elle sent un cri immense monter en elle […] » (Bey, 1996 : p. 75). Ainsi le
narrateur interrompt-il sans cesse la séquence dialogale et ceci pour se livrer à des
réflexions, et à des commentaires.
Cette époque du récit nommée sanction se traduit ici par la rupture entre Nadia
et Karim, cette rupture a pour résultat le bouleversement de l’ordre de la narration,
mais aussi le bouleversement de l’héroïne ; Nadia. Ainsi, une étude des sèmes se
rapportant à la rupture nous renseignera sur l’état émotionnel de Nadia :
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Partie II De la structure au sens
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SEMES LEXICALISATION
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Partie II De la structure au sens
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/solitude/ et /désespoir/ quant à eux nous, font songer à la première époque du récit, où
Nadia était encore vierge.
Nous pouvons dire, également, que les sèmes caractérisant l’être de Nadia,
correspondent aux sèmes relevés à l’état initial (Nadia en vacances au bord de la mer,
avant sa rencontre avec Karim), en d’autres termes, non-réalisation du vouloir- être de
Nadia, et par voie de conséquence, dégradation et retour à la case départ. Sauf que là,
elle souffre encore plus, conséquence de sa rupture avec Karim. Par ailleurs, nous
remarquerons qu’au plus fort de la douleur, Nadia, raccompagnée par Karim, lui
demande de faire un détour par la mer ; « Dis, tu peux prendre l’autre route, par la
mer ? J’ai envie de respirer un peu. » (Bey, 1996 : p. 76). Nadia a envie de retrouver
la mer, comme une petite fille qui a du chagrin et qui éprouve l’envie de retrouver sa
mère. Nadia veut courir vers cette mer pour y chercher la consolation et le réconfort.
Des pauses narratives sont présentes dans cette partie. Certaines ont pour sujet
le père de Nadia. Des réminiscences, des souvenirs qu’elle semble invoquer pour être
réconfortée ; « Elle n’a aucun souvenir de sa voix. Ni de ses mots. […] Seulement la
tendresse. » (Bey, 1996 : p. 81).
5
- T. Todorov, « Les transformations narratives », in Poétique n°3, Paris, Ed. du Seuil, 1970, p. 332.
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Partie II De la structure au sens
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L’état terminal sera le produit des n séquences narratives formant une séquence
complexe ; l’Enclave6 .
Nous avons affaire, dans cette partie, à cinq séquences narratives majeures :
Séquence 1 : La grossesse de Nadia (pp85. 87)
Séquence 2 : L’avortement (pp88. 103)
Séquence 3 : Conflit avec Djamel (pp105. 110)
Séquence 4 : Le voyage de la mémoire (pp111. 117)
Séquence 5 : La mort (p118)
Nous pouvons, par ailleurs, illustrer ces séquences selon le tableau suivant:
Dégradation Dégradation
Séquence1 Séquence3
La grossesse Séquence2 Le Conflit Séquence4 Séquence5
L’avortement avec Djamel Le voyage La mort
de la mémoire
Volonté Volonté
d’amélioration
d’amélioration
6
-« Elle naît lorsqu’un processus ne peut atteindre son but qu’en incluant un autre qui lui sert de moyen,
celui-ci pouvant à son tour inclure un troisième, etc. »,O. Ducrot J-M. Schaeffer, Nouveau dictionnaire
encyclopédique des sciences du langage, Le seuil, 1999, p. 648.
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Partie II De la structure au sens
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« Elle était sûre que rien ne pouvait lui arriver […] Et elle attend. Elle essaie de se
rassurer par mille subterfuges […] Si le sang tarde, si le sang ne vient pas […] »
(Bey, 1996 : p. 85).
Nous remarquerons que tout au long de ces passages du texte l’histoire reste en
suspens, nous sommes dans l’expectative. En effet, Nadia est dans une situation
d’attente aussi cruelle qu’interminable. Bien qu’elle tente de se rassurer, mais le sang
qu’elle attend impatiemment ne vient pas, d’où le sentiment d’angoisse, de peur qui
germe en elle.
Nadia est bel et bien enceinte malgré ses prières, ses tentatives vaines pour se
rassurer. L’événement qui devrait être heureux, l’attente d’un bébé notamment, est ici
mis en relation étroite avec le terme de sang, et surtout celui de nœud. Ainsi, l’enfant
qui est en elle, est apparentée à un nœud de sang.
Etrange paradoxe d’une Nadia qui aime tant la vie et qui, pourtant, ‘Se dit être
obligée’ de donner la mort. Etrange aussi la contradiction ; d’abord entre la Nadia que
nous connaissons et qui est tellement attaché à la vie, la Nadia qui a de tout le temps
dénoncé les lois absurdes de cette société, et cette même Nadia qui, au moment même
de donner la vie à son tour, ne laisse pas apparaître le moindre instinct maternel, le
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Partie II De la structure au sens
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moindre instinct de survie. Pourtant cette même « boule d’angoisse » n’est autre que
sa propre progéniture.
«Ainsi Djamel a décidé de passer aux actes. » (Bey, 1996 : p. 109), Djamel
commence par arracher les photos accrochées aux murs de la chambre de sa sœur,
ensuite il déchire ses cahiers et ses livres. Il finit même par lui imposer le port du voile
et de la djellaba : « Noir et blanc. Noire la longue djellabah posée sur le lit, blanc le
foulard qu’elle porte aujourd’hui. Un cadeau de ton frère, avait dit sa mère. » (Bey,
1996 : p. 112). Dans une société profondément patriarcale comme la société
algérienne, c’est au frère que revient le rôle de décider des affaires familiales en
l’absence du père, surtout lorsqu’il s’agit de ses sœurs. Ainsi Djamel, emporté chaque
jour un peu plus par la dérive du fanatisme religieux, impose à sa sœur Nadia le port
du voile, mais il ne s’arrête pas là, car au même moment, il déchire aussi les cahiers de
sa sœur, geste qui incarne sa volonté d’interdire à Nadia de poursuivre ses études.
Une fois de plus, nous avons ici l’exemple de cette tendance de Nadia à se
projeter hors du présent et ceci à travers la fuite dans le rêve et dans un passé onirique.
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Partie II De la structure au sens
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Nadia abandonne son présent, seul bien lui appartenant, au profit d’un chimérique
passé dénaturé par l’éloignement dans le temps et surtout par la nostalgie. La
protection qu’elle cherchait en la personne de son grand-père elle ne peut la recevoir…
Ainsi, tous les hommes dont elle a besoin finissent ou par mourir ou par l’abandonner.
Tel est le triste sort de Nadia.
Ensuite Nadia se met à courir, et c’est là que son frère la lapidera : « Et c’est
alors, […], que son frère lui jettera la première pierre. » (Bey, 1996 : p. 118). Nous
remarquerons ici la manière d’évoquer la mort : rapide et discrète, l’effet de surprise
est complet, l’annonce de la mort n’est même pas directement faite, elle se laisse
deviner et ceci en une ligne et demie. L’auteur « esquive » la scène à faire, mais l’effet
n’en est pas moins dramatique.
Synthèse
Arrivés au terme de l’analyse des structures narratives du roman de Maïssa bey,
Au commencement était la mer, il nous apparait clairement que la mer joue un rôle
prépondérant dans l’histoire, elle est omniprésente dans toutes les séquences. Ceci dit,
l’impact de l’acteur mer sur la diégèse ainsi que sur les personnages est loin d’être
unique et uniforme. En effet, la mer exerce une influence beaucoup plus grande sur le
personnage de Nadia d’une part, et d’autre part, le statut dramatique de la mer connait
une envergure plus grande lors des moments clés du roman, nous citerons à titre
d’exemple la rencontre entre Nadia et Karim qui a été largement facilitée par le séjour
des deux protagonistes au bord de la mer. La rupture entre les deux jeunes gens figure
aussi parmi les moments les plus importants du roman, nous notons qu’au firmament
de la douleur et de la tristesse, c’est vers la mer que se sont dirigés Nadia et Karim.
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Partie II De la structure au sens
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Chapitre III
Analyse des structures narratives de La Quarantaine
Pour cette partie de notre étude, nous allons procéder au travers d’une première
analyse qui sera consacrée aux quatre chapitres qui composent notre texte. Par la suite,
une deuxième analyse, cette fois-ci, plus approfondie et plus minutieuse, sera
consacrée au chapitre La Quarantaine, dont le roman porte le nom, et qui est à notre
sens la matrice du roman.
Pour ce chapitre composé de 426 page, nous appliquerons le même schéma que
celui que nous avions appliqué au roman de Maïssa Bey, en d’autres termes le schéma
de Paul Larivaille, afin de déceler les moments forts de l’intrigue ainsi que la
construction de la diégèse avec tout ce qu’elle comporte comme éléments significatifs
concernant les personnages principaux de l’histoire, et les relations qu’ils entretiennent
avec l’acteur mer. Notons, par ailleurs, que le roman est jalonné d’indices spatio-
temporels qui permettent au lecteur de se situer tant bien que mal dans le temps et dans
l’espace. Par ailleurs, nous nous devons de signaler que ce chapitre sera
« naturellement » plus long que les deux précédents, ce qui s’explique par la longueur
du roman de Jean-Marie Gustave Le Clézio, aussi, l’analyse des structures narratives
de La Quarantaine nous prendra plus de pages.
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Partie II De la structure au sens
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Pour ce qui est de cette partie première, nous sommes à Paris, à l’été de l’année
1980. Le narrateur, âgé de 42 ans, s’apprête à entamer un voyage qui le conduira vers
l’Ile de ses aïeux : Maurice. Afin de poser le cadre de l’action, le narrateur débute par
le rappel d’événements passés concernant ses grands-parents. L’expulsion de leurs
parents ; Antoine et Amalia, de leur propriété à Maurice suite à une dispute avec le
patriarche et leur établissement ultérieur, en compagnie de leurs deux fils Jacques et
Léon à Paris, plus exactement au quartier de Montparnasse en fin d’année 1871.
Amalia, l’arrière- grand-mère de « Je », ne tardera pas à mourir suite à ces événements
et à l’accouchement pénible de son deuxième enfant Léon. Jacques avait alors neuf
ans.
D’autres fois en langue française : « Il pleure dans mon cœur comme il pleut
sur la ville. » (Le Clézio, 1995 : p. 20), ou encore :
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Partie II De la structure au sens
________________________________________________________________________________
A d’autres reprises le narrateur nous offre des passages de poèmes dans les
deux langues successivement :
Juste après ce bref récit, comme pour brouiller nos perceptions, le narrateur
passe directement à l’été 1980, une semaine avant son voyage vers Maurice, afin de
nous raconter, sans transition aucune, sa promenade dans Paris à la recherche de ce
fameux bistrot parisien, lieu de cet incroyable face à face entre son grand-père et les
deux géants de la poésie que sont Rimbaud et Verlaine.
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Partie II De la structure au sens
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interdite. A l’aube du 9 mai, l’Ava quitte la baie d’Aden pour reprendre son périple
vers Maurice, sa destination finale, en passant par Zanzibar.
(Époque I du récit)
(Époque II du récit)
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Partie II De la structure au sens
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(Époque IV du récit)
(Époque V du récit)
Léon reconnait sur le pont de l’Ava plusieurs passagers dont Mr. et Mrs.
Metcalfe et l’homme d’affaires Véran ainsi que des passagers embarqués à Zanzibar,
pour la plupart des immigrants indiens. Devant l’inquiétude grandissante des passagers
face à ce débarquement soudain et imprévu sur l’île Plate, M. Alard parle de quelques
heures de quarantaine seulement avant de rejoindre Maurice.
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Partie II De la structure au sens
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ainsi que l’époque, le moment auquel se sont déroulés ces événements. C’est ce qu’on
appelle la chronologie des événements. La définition du récit est tout autre, car le récit
lui, ne répond pas à une norme. Il peut tout à fait relater les faits dans une suite
chronologique parfaite, nous parlerons alors de récit linéaire, comme il peut tout aussi
bien raconter les faits dans un ordre qui lui est propre en jouant sur la temporalité et
sur le moment où les faits se sont déroulés.
Le débarquement de tous les passagers s’est fait tant bien que mal. Jacques,
Suzanne et Léon empruntèrent le dernier canot en direction de l’île Plate. Cette escale
forcée, ne devait durer que quelques jours, remettait à plus tard les retrouvailles tant
espérées par Jacques avec l’île de ses ancêtres : Maurice.
A Plate, le Sirdar shaik Hussein attendaient les passagers de l’Ava pour leurs
montrer leurs quartiers. Cette première nuit sur l’île de Plate se terminait tant bien que
mal, avec la pluie, le vent et les moustiques. Jacques, Suzanne et Léon s’endormirent
dans l’espoir de retrouver au plus tôt leur voie vers Maurice.
1
- Gérard Genette, Figures III, Paris, Seuil, 1972, p.79.
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Partie II De la structure au sens
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du 28 mai au matin, suit un texte retraçant la sortie sur le terrain de Mr. Metcalfe, le
spécialiste en botanique et qui y rapporte les divers noms de plantes qu’il a eu à croiser
au cours de cette sortie de reconnaissance. Botaniste de formation, Mr Metcalfe profite
de cette escale forcée pour explorer la flore voisine, et faire un relevé des espèces qui
s’y trouvent. Voici un extrait de ce journal :
« JOURNAL DU BOTANISTE
Du 28 mai au matin
Sorti de bonne heure afin d’éviter la chaleur. Sol aride et caillouteux
autour de la Quarantaine, diverses variétés de chiendent, toutes
endémiques. Graminées : quelques exemples de Panicum maximum
(fataque) et Stenotaphrum complanatum (gros chiendent), toutes deux
bonnes herbes à fourrage. […] »
(Le Clézio, 1995 : p. 69).
Cet interlude dans le processus narratif équivaut à une pause dans la diégèse.
L’histoire étant interrompue, la narration elle, continue et progresse. En d’autres
termes, la progression narrative se poursuit alors que l’histoire elle, reste en suspens.
En général, lors de ces pauses narratives, le narrateur s’attèle à faire des descriptions
ou à rapporter les pensées de l’un des personnages. Mais ici, il n’est nullement
question de description ou de pénétrer les pensées intimes d’un des personnages, non,
le narrateur nous fait complètement sortir de l’histoire de Jacques, Suzanne et Léon, du
voyage de l’Ava, pour nous emmener vers un texte qui est un texte purement
scientifique et qui fait partie du journal d’un botaniste où ce dernier recueille ses
constats, ses trouvailles ainsi que ces observations et remarques à propos de la flore de
l’île de Plate.
Notons qu’encore une fois, le narrateur opère cette mutation dans le procédé
narratif sans aucune forme d’annonce ni de préparation ni prélude. Le lecteur, qui suit
la progression narrative se retrouve soudainement projeté en dehors de l’histoire,
comme en dehors presque du roman, dans un tout autre registre de langue et de genre,
face à un texte dont il ne comprend ni le sens ni le pourquoi de sa présence. Ainsi, Les
structures signifiantes du lecteur se trouvent dangereusement mises en danger.
Tout de suite après, à la page 70 du roman, le récit reprend comme s’il n’avait
aucunement tenu compte de cette brève halte. De suite après cette pause, le récit de
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l’arrivée de nos protagonistes sur l’île Plate reprend. Dès le lendemain matin de leur
débarquement, les passagers européens de l’Ava sont conduits dans leurs quartiers sur
l’île. Etrangement, ces quartiers portent le nom de la Quarantaine. Dans le bâtiment
qui leur était alloué, outre Jacques, Suzanne et Léon, on retrouve aussi le couple
Metcalfe, Julius Véran, personnage de mauvaise réputation, aussi un ancien inspecteur
des postes appelé Bartoli ainsi que deux hommes, embarqués illégalement à Zanzibar,
et qui avaient étaient directement emmenés à l’infirmerie, car ils étaient souffrants.
En effet, ces deux personnages étaient si gravement malades que les autorités
sanitaires de Port-Lui avaient refusé à l’Ava de poursuivre sa route et d’arriver à
Maurice, ce qui expliquait cette halte aussi soudaine qu’imprévue sur l’île de Plate.
M. Bartoli était soupçonné d’être la personne qui avait rapporté l’escale de Zanzibar.
Car, rappelons-le, cette escale ne figurait nullement au programme de navigation de
l’Ava.
Les jours se suivent sur l’île, pendant que nos protagonistes attendent le fameux
bateau qui viendra les chercher pour les emmener enfin vers la destination finale de
leur voyage : l’île Maurice. Léon lui, s’emploie à découvrir cette île qui les accueille,
s’enivrant de sa beauté, celle des éléments, le ciel, le soleil, mais surtout la mer, cette
mer dont il rêvait tant et qui est maintenant là, omniprésente, partout où il
regarde : « La mer est d’un bleu profond, comme en haute mer, un bleu qui donne le
vertige. […] La mer paraissait une lave immense, incandescente,… » (Le Clézio,
1995 : p. 76).
8 juin, voilà déjà presque deux semaines que nos personnages ont débarqué sur
Plate. Tous ne perçoivent pas leur séjour de la même manière. Jacques lui se dit qu’ils
sont prisonniers sur cette île dont il qualifie le paysage de : « Un paysage de fin du
monde » (Le Clézio, 1995 : p. 66), alors que M. Metcalfe, John, se félicite de cette
escale imprévue qui lui donne l’occasion de faire connaissance avec les espèces
végétales qui peuplent l’ile de Plate. Il rêve secrètement de découvrir l’indigotier
auquel il donnerait son nom, rêve de gloire et de reconnaissance, en un mot, rêve de
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Partie II De la structure au sens
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tout grand botaniste. Quant à Léon, il passe le plus beau de ses journées à la
découverte des moindres recoins de l’île, s’émerveillant de la beauté des paysages. Il
passe des heures entières parfois sans bouger à gouter à la splendeur de cette nature
sauvage, s’emplissant du plaisir que lui prodigue cette mer infinie :
Il est important ici de noter la perception contraire de la mer chez les différents
protagonistes. En effet quant Léon et John Metcalfe regardent d’un œil émerveillé
cette mer qui entoure l’île sur laquelle ils se trouvent, Jacques, Suzanne et la plupart
des passagers de l’Ava se sentent emprisonnés, oppressés par cette même mer qui les
retient d’atteindre leur destination rêvée : Maurice.
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Partie II De la structure au sens
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Page 89, une nouvelle fois, comme pour ne pas embrouiller nos perceptions
temporelles, le narrateur entame son paragraphe par la date, en italique : 9 juin.
Les premiers signes de l’épidémie sont confirmés. En effet, Mr Metcalfe, Sarah, ainsi
que d’autres personnages sur l’île, commencent à développer les mêmes symptômes ;
états fiévreux, fatigue, pâleur du visage…
La page 95 s’ouvre, encore une fois, sur une date en italique : Du 10 juin,
après-midi, suivie d’un texte en italique dû à Mr Metcalfe. Le botaniste y reprend le
journal qui relate ses reconnaissances du terrain et ses différents relevés de la flore.
Tout de suite après, et comme à l’accoutumée, le texte reprend là où l’histoire s’était
arrêtée.
2
- Florence Nightingale (1820-1910) est une infirmière anglaise. Elle est devenue célèbre grâce à la mise en
place des soins infirmiers modernes et aussi suite à l’instauration de la méthode statistique dans le domaine
de la santé.
3
- Coolie (Cooly, Kuli...) est un terme désignant au XIXe siècle les travailleurs agricoles d’origine asiatique.
Au XIXe siècle, malgré l’abolition de l’esclavage, plusieurs pays avaient développé l’agriculture et ceci
nécessitait une grande main-d’œuvre. De ce fait, de 1838 à 1917 travailleurs chinois et indiens quittèrent en
grand nombre leurs pays afin de rejoindre l’Île Maurice, la Réunion, l’Afrique de l’est, les Etats-Unis, le
Pérou…
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Partie II De la structure au sens
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A la page 103, le narrateur donne la parole à Jacques, le récit qui suivra sera mit
entre guillemets, c’est un discours direct. Des propos de Jacques sont rapportés tels
quel. Des propos qui racontent son enfance à Maurice, ses perceptions de ce cadre
idyllique et la mer, toujours cette vision de la mer à Maurice qui le hante : « […], et
tout à coup on arrivait au rivage, c’était la mer ouverte, il n’y avait pas de barrières
de récifs, les vagues déferlaient, c’était beau […] » (Le Clézio, 1995 : p. 104).
Le récit reprend ses droits, et la narration avance faisant fi des passages d’ordre
botanique : « La mer était presque calme ce matin, d’une couleur que je n’avais
jamais vue, verte, bleue, mais comme si la lumière sortait d’elle et rayonnait jusqu’au
fond du ciel. » (Le Clézio, 1995 : p. 108). Nous remarquons dans ce passage la mise en
corrélation des deux éléments de la nature que sont la mer et le deuxième élément qui
est le ciel. La comparaison ici entre la mer et le ciel permet d’accorder à la mer des
attributs sémantiques qui sont le propre du ciel. C’est en effet, du ciel, et plus
précisément du soleil, que provient et que jaillit la lumière. Mais, le rapprochement
sémantique effectué dans ce passage grâce à la comparaison fait que, pour le
personnage, la lumière provenait de la mer.
Cette confusion des sens, cet enchevêtrement des sensations se poursuit de plus
belle à la page 108 : « …j’ai plongé dans l’eau du lagon, nageant les yeux ouverts au
ras des coraux. L’eau était légère, à peine plus fraîche que l’air. J’avais l’impression
d’être un oiseau, moi aussi. » (Le Clézio, 1995 : p. 108). Dans ce passage le héro,
Léon le Disparu, nage dans le lagon comme un oiseau qui vole dans le ciel. Le couple
mer-ciel se rapproche tellement qu’il finit par se mélanger. La métaphore ici qui met
en parallèle la mer et le ciel, permet au personnage de rapprocher le fait de nager dans
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Partie II De la structure au sens
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l’eau de celui de voler dans l’air. Les deux acteurs soleil et mer exercent une action
indéniable sur notre héro : « le soleil a cuit ma peau. » (Le Clézio, 1995 : p. 110).
Léon part nager dans le lagon, peut-être pour admirer la beauté du paysage,
mais surement aussi pour attendre celle qui occupe ses pensées ; Suryavati. Et sans
qu’il l’entende arriver, elle est là : « Sans que je l’aie entendue arriver, Suryavati est
là. Debout au milieu du lagon, avec sa longue robe couleur d’eau nouée entre ses
jambes… » (Le Clézio, 1995 : p. 110).
Cette mer complice du rapprochement que tente Léon envers Suryavati, semble
vouloir rassurer notre héro intimidé par la présence de la jeune fille qu’il attend depuis
si longtemps : « Sur le récif, la mer fait une rumeur rassurante. » (Le Clézio, 1995 : p.
111).
« […] elle marche au milieu des vagues. Sa robe dessine son corps, ses
cheveux flottent dans le vent. Je crois que je n’ai jamais vu personne comme
elle, elle ressemble à une déesse. Mon cœur bat très fort, mes yeux me
brulent. » (Le Clézio, 1995 : p. 112).
Le duo mer-soleil, les éléments de la nature que sont, l’air, le vent, l’eau, le
lagon, favorisent la naissance du sentiment amoureux chez le jeune Léon. Tout est mis
en place par la structure romanesque afin de permettre le début d’une idylle
amoureuse.
A la page 113, une nouvelle fois une date vient jalonner la progression du
roman comme pour nous situer les événements dans le temps. Comme si nous avions
affaire à une série, ou un film, une histoire en plusieurs parties qui se déroule sur une
temporalité bien précise. Nous avons en même temps l’impression qu’il s’agit d’une
sorte de journal, un journal intime, de Léon où les faits, les événements sont narrés
dans un ordre chronologique où les événements sont rapportés au quotidien.
Par la suite, et pendant plusieurs pages, nous est conté l’épisode du bateau
garde-côte qui s’était rapproché de l’île afin de s’enquérir de la situation des réfugiés
et des migrants, mais face à la foule immense qui s’était amassée sur la plage en
espérant être embarquée à bord, le bateau a du faire machine arrière et prendre le large.
Les passages tirés du Journal du botaniste de Mr. Metcalfe, continuent à faire,
périodiquement, leurs apparitions en plein milieu de la trame narrative, comme à la
page 123, où une date : Le 15, ouvre l’extrait dans lequel le scientifique rapporte les
espèces ainsi que les colonies qu’il à découvertes et recensées sur l’île.
La page 125 s’ouvre par une date : « Le 16 juin », et le récit reprend. L’épisode
des émeutes suite au départ du bateau garde-côte nous est conté dans le détail, ainsi
que la décision de porter les malades vers l’îlot Gabriel de peur que la contagion se
réponde sur l’île.
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Partie II De la structure au sens
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La situation sur l’île demeure la même, tous sont prisonniers de leurs quartiers
et un couvre-feu est institué afin de limiter la circulation. Aussi, une frontière est
instaurée sur l’île séparant la partie est de la partie ouest afin de limiter le mouvement
des habitants et ainsi le risque de diffusion des épidémies et de contamination. Tous
n’ont qu’une seule ambition, quitter cette île, tous sauf Léon :
« Je sais que je ne peux rien attendre en dehors de cette île. Tout ce que j’ai
est ici, dans la ligne courbe du récif, la silhouette magique de Suryavati qui
marche sur l’eau, la lumière de ses yeux, la fraîcheur de sa voix… J’ai
besoin d’elle plus que n’importe qui au monde. » (Le Clézio, 1995 : pp
144. 145).
Paradoxalement, alors que les épidémies font de plus en plus de victimes sur
l’île, que les émeutes sont de plus en plus sanglantes de sorte que tous les habitants et
naufragés ne rêvent que d’une seule chose : quitter Plate, Léon lui, fait montre, au
travers de cet extrait, de son profond attachement à cette île, attachement qu’il doit en
grande partie à sa rencontre avec Suryavati. Dorénavant, il n’envisage plus sa vie en
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Partie II De la structure au sens
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Malgré le couvre-feu et l’interdiction instaurée sur l’île de circuler sur les deux
côtés de l’île, Léon va braver, cette nuit, ces interdits afin de passer de l’autre côté de
l’île, pour aller voir Suryavati. :
Léon n’est plus motivé que par le fait d’être avec celle qu’il, quitte à braver
tous les dangers : maladies, émeutes, chiens enragés, couvre-feu… plus rien ne lui fait
peur, plus rien ne le retient à son monde d’origine. Il fait partie de cette île, de cette
terre, de ce peuple.
Les références à la poésie ainsi qu’aux poètes dans le texte, ne se font pas
uniquement sous forme d’extrait d’œuvres ou de poèmes, la vie personnelle de grands
poètes aussi est utilisée afin de nous transporter dans ce monde poétique : « Je me
souviens du délire de l’homme d’Aden. Les chiens qui descendaient des hauteurs, qui
entraient dans la ville. Et lui, qui rêvait qu’il arpentait les rues de Harrar en semant
ses boulettes vénéneuses. » (Le Clézio, 1995 : p. 148).
La page 153 s’ouvre sur une date : « Du 19 juin » suivi d’extraits du journal de
Mr. Metcalfe et son récit scientifique sur les espèces répertoriées sur l’île. Maintenant,
Léon l’accompagne de plus en plus souvent lors de ses sorties scientifiques.
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Partie II De la structure au sens
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« C’est midi. Je suis devant Gabriel. Le ciel qui était noir ce matin, quand
je suis parti avec John Metcalfe, s’est dilué dans le soleil. Il y a une grande
plage ouverte d’un bout à l’autre de l’horizon, par où on voit le ciel, comme
un reflet de notre lagon et de ses rives. » (Le Clézio, 1995 : p. 155).
La confusion entre les éléments naturels avec les couples eau/mer, d’un côté, et
ciel/soleil, de l’autre, continue à alimenter l’écriture de J.M G Le Clézio ; dans ce
passage, nous notons la figure « ciel se diluant dans le soleil », comme si le soleil avec
les propriétés des éléments liquides, qui seuls, peuvent permettre cette opération. « La
mer étale. » (Le Clézio, 1995 : p.158) demeure au centre des métaphores lecléziennes.
« C’est Jacques qui m’a appris à nager comme cela, l’été où nous sommes
allés en Bretagne, à Belle-Ile, avec l’oncle William. Il me parlait de la mer,
à Blue Bay, de la digue où il avait appris à nager. Il avait six ans. L’eau
était si légère que les aiguillettes semblaient des oiseaux. Il disait : « Viens,
je vais t’apprendre à voler ! » […] » (Le Clézio, 1995 : p. 159).
Notons dans ce passage, l’évocation des bruits de la mer. Mais ce bruit n’est,
soudainement plus ce murmure des flots sur les plages de sable, c’est ici le
grondement de l’eau dans les gouffres qui est souligné. De la même manière, le soleil
se caractérise par une force inhabituelle. Comme si la puissance de la mer et du soleil
s’accroitrait pareillement et aux mêmes moments du récit.
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Partie II De la structure au sens
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l’élément mer et la violence des vagues sont soulignées dans ce passage, ce qui
introduit la comparaison avec le : « fleuve géant ».
Nous avions déjà noté, dans le texte leclézien, que les passages de poèmes en
langue anglaise étaient assez récurrents, sans pour autant que l’auteur en apporte la
traduction ou du moins l’explication dans son roman. La langue est une fois de plus
sollicitée à la page 163, mais cette fois-ci, afin de nous livrer une inscription sur une
pierre tombale :
Une autre inscription, du même ordre, est relevée à la page 175 : « Thomas
Melotte, died 1856 » (Le Clézio, 1995 : p. 175).
Quand les deux amoureux que sont Léon et Suryavati se retrouvent, c’est vers
la mer qu’ils se dirigent afin de se cacher du regard des autres, afin d’être protégés :
« Nous descendons le ravin jusqu’à la mer, nous cherchons une cachette dans les
rochers. » (Le Clézio, 1995 : p. 180). La mer offre le gite, ainsi que le refuge aux deux
amoureux, leur relation étant de plus en plus mal vue par les passagers européens de
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Partie II De la structure au sens
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l’Ava, qui voient d’un mauvais œil l’attirance de Léon pour cette jeune femme qui
appartient à une classe sociale inférieure.
Les grands poètes que sont Arthur Rimbaud, Paul Verlaine ou encore
Longfellow, ne sont pas les seuls grands de la littérature auxquels Le Clézio fait appel
dans son ouvrage ; ainsi, le nom d’un autre géant est évoqué : « Je préfère lui parler
de ce que j’ai lu dans les romans de Charles Dickens 4, […] » (Le Clézio, 1995 : p.
181).
C’est au bord de la mer que se déroule le premier tête à tête entre les deux
amoureux : Léon et Suryavati, la mer bienfaitrice, bienveillante qui va les soustraire au
regard des autres, ils sont comme protégés dans un cocon qu’elle leur constitue.
La mer est aussi considérée, dans le roman, comme un élément permettant le retour
aux sources lorsque Suryavati prend la parole :
« C’est ici que ma grand-mère Giribala a été brulée, quand elle est revenue
d’Inde. Quelqu’un a mis le feu à son bucher, quelqu’un a balayé ses
cendres dans la mern pour qu’elle retourne à la Yamuna . » (Le Clézio,
1995 : p. 190).
Dans la tradition indienne, les cendres des défunts doivent retourner au fleuve,
aux eaux originelles, à la Yamuna. C’est pour respecter cette croyance que la grand-
mère de Suryavati, Giribala, fut brulée sur un bucher, puis ses cendres dispersées dans
la mer, c’est de là qu’elle s’en retournera dans la Yamuna.
C’est toujours par le biais de la mer que les protagonistes du roman, morts ou
vivants, entreprennent ce fameux retour à leurs origines. La mer qui seule permet les
retrouvailles avec le passé, elle permet aussi de boucler la boucle, car c’est grâce à elle
qu’on part, et c’est par elle qu’on revient.
Les dates en débuts de pages continuent à jalonner le texte, que ça soit les dates
tirées du journal du botaniste de John Metcalfe, ou bien les dates qui appartiennent à
ce récit-journal dans lequel sont rapportés les événements de l’île au quotidien. Ainsi,
4
- De son nom complet Charles John Huffam Dickens, est né le 7 février 1812 à Landport, mort le 9 juin
1870 à Gad’s Hill Place. Il est considéré comme un des plus grands et des plus célèbres romanciers anglais
de tous les temps.
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Partie II De la structure au sens
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la page 203, nous renouons avec un court texte en italique, précédé d’une date ; 21
juin, tiré comme à l’accoutumée du journal du botaniste de Mr Metcalfe. Puis, toujours
dans la même page, notre récit principal reprend avec une autre date : 22 juin.
Pendant ce temps-là, la mer elle, continue à s’abattre sur l’île de Plate de tous
les côtés, grattant à chaque vagues, à chaque remous quelques millimètres de roche, de
sable, qu’elle emporte : « […], la mer bat sur les roches noires, […] » (Le Clézio,
1996 : p. 211). Les habitants de l’île eux, continuent à scruter l’horizon en quête de
délivrance. L’espérance du bateau qui viendra les sauver les nourris, mais : « La mer
est bleu sombre, vide de bateaux. » (Le Clézio, 1995 : p. 211).
La fracture entre Léon et son frère Jacques est maintenant plus qu’évidente :
« Maintenant je n’appartiens plus à son monde, je suis du monde de Surya, du côté
des Palissades5. » (Le Clézio, 1995 : p.212), Léon se sent appartenir de plus en plus à
cette terre d’accueil, à la terre où il a rencontré celle pour qui son cœur bat dorénavant.
Le souvenir du grand-oncle mauricien, Alexandre, est encore vivace chez Léon, il sait
que les patriarches ne voulaient plus d’eux sur Maurice car ils étaient les enfants d’une
Eurasienne : « […], le sang mêlé de ma mère, […] » (Le Clézio, 1995 : p. 212), c’est
pour cette raison qu’ « […], il nous avait rejetés à la mer. » (Le Clézio, 1995 : p 212),
comme des détritus qu’on jette à la mer.
5
- C’est le nom donné, dans le roman, au quartier des immigrés indiens.
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Partie II De la structure au sens
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S’en suit alors, un récit de trois pages fait de dialogues entre Jacques et Léon à
propos de leur mère. Léon qui n’a pas connu sa maman, car il était trop jeune
lorsqu’elle est morte, demande à son frère aîné de lui en parler. Nombre de micro
récits anachroniques, qui sont en fait des remémorations, viennent ainsi s’insérer dans
les dialoguent entre les deux frères.
L’épidémie est maintenant foudroyante sur l’île, chaque jour et chaque nuit
amènent leurs lots de morts, les passagers européens de l’Ava, enfermés dans leurs
quartiers de la quarantaine sont comme pris au piège : « Les murs noirs des bâtiments
de la Quarantaine, l’éclat du soleil et la mer, comme une prison entourée par la
mort. » (Le Clézio, 1995 : p. 216). Dans cet extrait, nous remarquons le changement
brutal des sèmes afférents à la mer. En effet, la mer, qui jusqu'à présent renvoyait à un
statut de liberté, d’ouverture, de voyage, symbolise dès lors, au travers de ce passage,
une prison, et participe au sentiment d’enfermement des protagonistes.
« 23 juin
La déesse froide s’est installée à Palissades. C’est une vague qui vient de l’autre bout
du monde, et que rien n’arrêtera. » (Le Clézio, 1995 : p.224), C’est sur cette note
morbide que le récit se poursuit. La déesse froide, la mort, est maintenant
omniprésente, elle est assimilée à une vague, de par sa force et son mouvement sans
équivoque. Elle vient pour emporter avec elle les âmes blessées, malades et meurtries.
Nous retrouvons d’ailleurs, à la même page, un passage où il est question du bruit de
la mer, de sa vibration ; « J’aime aussi entendre la rumeur générale de la mer qui
ronge l’île par tous les bords. Il me semble que la vibration est en moi, à l’intérieur de
mes viscères. » (Le Clézio, 1996 : p. 224). Le grondement de la mer rejoint le
mouvement de la vague de mort qui frappe de plein fouet l’île. Ce passage souligne le
caractère dynamique, l’aspect vivant de la mer, cette mer conquérante et
expansionniste. Nous retrouvons la même expression page 225 « De là où je suis, au-
dessus de la ville des coolies, je n’entends pas une parole, pas une plainte, seulement
la rumeur de la mer, le bruit du vent dans les aiguilles des filaos.».
L’épidémie s’est répandue maintenant à Palissades, les buchers pour bruler les
corps des malades morts se multiplient, et ceci afin d’éviter la propagation de la
maladie, ou pour être plus précis, des maladies ; variole, choléra…
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Partie II De la structure au sens
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« La plupart des bûchers sont sur la plage. Il n’y a que le bruit de la mer, le
crépitement des flammes. La mer est gonflée comme le ciel, pleine de la lune. » (Le
Clézio, 1995 : p. 226), « […] le bruissement de la mer […] » (Le Clézio, 1995 :
p.226). Encore une fois il est question dans ces passages du bruit de la mer, des sons
qu’elle fait naître. Mais aussi dans ce passage est souligné cette relation quasi
charnelle entre la mer est le ciel, car pleine vaut aussi pour une femelle s’apprêtant à
mettre bas. Il est vrai que tous ces passages relatifs aux bruits qu’engendre la mer sont
à mettre en parallèle avec un certain silence environnant, celui de la peur, des maladies
et de la mort.
Le vocabulaire des cinq sens employé pour les différentes perceptions de la mer
ne concerne pas uniquement l’ouïe, l’odorat est présent aussi, notamment dans le
passage suivant : « Je sens l’odeur de la mer. » (Le Clézio, 1995 : p. 228), où Léon
évoque l’odeur, le parfum si particulier que dégage la mer.
« Tout est silencieux, on n’entend que le bruit du vent dans le bois de filaos, au-dessus
de la ville, et la rumeur de la mer sur les récifs. » (Le Clézio, 1995 : p. 228).
Les semaines qui passent sur cette île, font de nos protagonistes de véritables
naufragés qui maintenant commencent à manquer de tout. Leur état général se
dégrade, leur aspect physique aussi. Ceci n’est pas sans nous rappeler le plus grand
récit de naufrage qui est celui de Daniel de Foe : Robinson Crusoé, d’ailleurs le
passage suivant opère ce rapprochement entre Robinson et nos protagonistes : « Il a
l’air épuisé. Avec sa barbe mal taillée, ses cheveux trop longs collés sur son cou, sa
chemise déchirée et ses souliers gris de poussière, il ressemble à Robinson sur son
île. » (Le Clézio, 1995 : p. 245). A la même page, une nouvelle évocation de la mer
ainsi que de ses univers de sons et de couleurs : « Devant nous il y avait la mer bleu
sombre, les vagues qui s’affalaient sans bruit sur la barrière de varech au fond de la
baie. » (Le Clézio, 1995 : p. 245).
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Ceci dit, le dénouement de cette aventure est loin d’être proche : « Chaque
nouveau malade nous rejette en arrière, creuse encore un peu plus le bras de mer qui
nous sépare de Maurice. » (Le Clézio, 1995 : p. 253), en effet, tant que les épidémies
persistent sur l’île, aucun secours venant de Maurice n’est envisageable, et chaque
mort éloigne les deux îles : Plate et Maurice.
Le principal obstacle entre les passagers de l’Ava et leur destination finale-
Maurice- c’est la mer. Cette mer qu’ils doivent traverser encore une dernière fois afin
de voir leur périple arriver à sa fin. Cependant cette distance, cet espace à franchir
représenté par la mer ici, ne cesse de prendre de l’ampleur à cause de l’épidémie qui
frappe l’île Plate.
Léon, qui nourrissait un attrait sans pareil à cette île de Plate depuis sa
rencontre avec Suryavati, envisage aujourd’hui cette île, pourtant si hostile, comme
son ‘chez-soi’, son ‘pays rêvé’. « C’est une caverne magique. C’est Surya qui me l’a
dit, […]. Avant d’y pénétrer, Surya dépose des offrandes pour le seigneur Yama 6, le
maître de l’île, et pour sa sœur la Yamuna7. » (Le Clézio, 1995 : p. 254). Les
croyances et divinités de l’Hindouisme, religion de Giribala, d’Ananta et de Suryavati,
sont présentes dans le texte. Le Clézio y fait plusieurs fois référence en évoquant bon
nombre de Dieux et de Déesses de l’Inde, comme dans le passage suivant : « […], il y
6
- Yama est le Dieu de la mort dans l’Hindouisme.
7
- Est une rivière majeure de l’Inde d'une longueur de 1 370 kilomètres, affluent du Gange. Également
appelée Jumna, Jamna ou Yamna dans les dialectes locaux. La Yamuna est l’une des sept rivières sacrées de
l’Inde.
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Partie II De la structure au sens
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avait un petit autel avec des images coloriées, bleues et rouges, qui représentaient la
Trimourti8. » (Le Clézio, 1995 : p. 258).
Les deux amoureux se rapprochent de plus en plus, Léon, passe parfois la nuit à
Palissades, lui qui jusqu’à présent finissait toujours par rentrer aux quartiers de la
Quarantaine une fois la nuit tombé, il fait partie maintenant de ce quartier, de ce
peuple, après qu’Ananta l’eut adopté.
La page 265 s’ouvre, comme à l’accoutumée, sur une date sauf que là la date
est accompagnée d’une indication spatiale : « 25 juin, à Palissades. » (Le Clézio,
1995 : p. 265). Cette journée Léon la passera en compagnie de Suryavati à travailler le
lopin de terre d’Ananta.
8
- Dans la religion Hindouiste, Trimūrti (devanagari : त्रिमर्ू ति), qui signifie trois formes en langue sanskrit, est
la partie manifestée de la divinité suprême qui se fait triple pour présider aux différents états de l'univers.
Les dieux Brahma, Vishnou et Shiva symbolisent respectivement la création, la préservation et la destruction.
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Partie II De la structure au sens
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regroupés sur le rivage à la vue du bateau garde-côte, animés par le souhait de se faire
emmener loin de cet enfer, cependant, le bateau n’était là que pour décharger des
caisses de vivres. La mer elle, accompagne la grogne des habitants de l’île : « Les
vagues étaient lentes, puissantes, l’écume éblouissait sur les roches noires, la mer
était d’un bleu violent. » (Le Clézio, 1995 : p. 278).
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la rejeter, car elle n’appartient pas à son monde. C’est pour cela qu’elle lui tient ce
langage :
« Vous les grands mounes 9 vous êtes tous des menteurs. Vous dites que vous
nous aimez, et puis vous nous oubliez. Ma mère va mourir, je ne veux pas
que tu l’ennuies, je ne veux pas que tu lui fasses du mal. […] vous faites des
plans entre vous, les grands mounes, pour qu’on vous emmène d’ici, pour
qu’on nous abandonne comme autrefois, qu’on nous laisse mourir ici
jusqu’au dernier. » (Le Clézio, 1995 : pp. 287. 288).
Ainsi, les passagers de l’Hydaree, eux aussi mis en quarantaine sur l’île de
Plate suite à une épidémie de choléra, se sont vus abandonnés par les autorités de
Maurice qui les ont laissés mourir, un à un, sans jamais venir à leur secours.
De ce fait, Suryavati accuse Léon et l’associe aux maux des ‘mounes’ personnages
abjectes dénués de tout sens d’humanisme. Elle le rejette et le laisse : « Elle m’a
laissé. Elle est entrée dans la maison, sous la moustiquaire, pour donner un peu de la
chaleur de son corps à Ananta. » (Le Clézio, 1995 : p. 289). Cet événement
constituera un arrêt dans l’élan amoureux des deux jeunes gens et provoquera une
interruption momentanée de l’isotopie amoureuse.
9
- Le terme ‘Moune’ ou ‘Grand Moune’ renvoit aux colons d’origine européenne qui se sont installés sur
l’île Maurice, ils en ont constitué la bourgoisie régnante à partir du XIX e siècle.
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Partie II De la structure au sens
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La mer, qui jusque là, était le refuge des deux amoureux, toujours calme, douce
et bienfaitrice les protégeait et protégeait leur amour, se transforme soudainement en
une entité froide et sauvage :
Le journal de bord des naufragés reprend à la page 290 avec une date : 27 juin,
écrite en italique. Léon, de retour aux quartiers de la quarantaine, retrouve son frère
Jacques qui lui conte, une fois encore, ses souvenirs mauriciens : « Là-bas, disait-il,
on n’entend que le bruit de la mer qui bat le sable noir des plages, et le ciel se mêle à
l’eau bleue du large. » (Le Clézio, 1995 : p. 290). Ce ‘là-bas’ désigne l’île des
ancêtres des deux frères : Maurice, le paradis perdu. Léon est au chevet de la
compagne de son frère, Suzanne. La jeune femme, éprise de poésie, récite un poème
de Charles Baudelaire :
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Partie II De la structure au sens
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Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs. » (Le Clézio, 1995 : p.
296).
Emprisonnés sur cette île, Maurice apparait de plus en plus comme l’espace
refuge, la terre de tous les désirs, de tous les plaisirs, et les analepses temporelles que
constituent les souvenirs de Jacques et de Léon sont de plus en plus fréquentes. Léon
se souvient du discours que lui tenait Jacques:
Les souvenirs que Jacques narrait à Léon finissent par se confondre avec
l’existence même de Léon. Comme ceux, d’ailleurs, qu’Ananta racontait à Suryavati :
« Je pense à Surya. Elle aussi a connu une existence par sa mère, elle aussi
porte une mémoire qui vibre et se mélange à sa vie, la mémoire du radeau
sur lequel Ananta et Giribala dérivaient le long des fleuves, la mémoire des
murs d’Allahabad et des marches des temples à Bénarès. La vibration du
navire qui les emportait sur l’Océan, vers l’inconnu, vers l’autre côté du
monde.» (Le Clézio, 1995 : pp. 299.300).
Léon, chassé par Suryavati, se voit contraint de rentrer ‘chez lui’, de l’autre
côté de l’île, dans les quartiers de la quarantaine pour retrouver Jacques et Suzanne.
Il passe la nuit à écouter, à regarder, il s’emplit de lumières et de sons :
177
Partie II De la structure au sens
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« Combien de jours sont passés sans toi, Surya ? Depuis qu’elle m’a renvoyé
de l’autre côté, je n’ai pas approché, je n’ai pas cherché à savoir ce qui se passait. Je
n’ai pas compté les jours. » (Le Clézio, 1995 : p. 304). La situation de conflit entre nos
deux jeunes amoureux dure maintenant depuis plusieurs jours. Léon se pose la
question du temps qui s’est écoulé sans qu’il puisse voir celle pour qui son cœur bat.
Notons ici l’ambigüité temporelle dans laquelle se trouve Léon. En effet, alors
que le récit nous est livré sous forme de journal avec des dates objectives qui retracent
la vie sur l’île jour par jour, nos personnages eux ont fini par perdre complètement la
notion du temps, et ceci du fait de la situation d’enfermement-emprisonnement dans
laquelle ils se retrouvent. Ainsi, la progression de leur quête qui est celle du retour sur
la terre des aïeux : Maurice, reste bloquée, depuis leur mise en quarantaine sur l’île
Plate. Ce temps là, de la reconquête du paradis perdu, ne reprendra son décompte
qu’une fois délivrés de cette prison. Jusque là, le temps restera si ce n’est bloqué, du
moins paradoxal est ambigu, pour eux.
Le retour vers la poésie, est omniprésent dans le texte, la poésie comme remède contre
la peur du lendemain :
« Je lis The song of Hiawatha comme si c’était un conte pour enfants, […]
Can it be the sun descending
O’er the level plain of water?
Or the red swan floating, flying,
Wounded by the magic arrow
Staining all the waves with crimson
With crimson of its life blood…» (Le Clézio, 1995: p. 308)
Depuis plusieurs jours maintenant, les malades qui présentent des signes de
variole, et dont le cas est sérieux, sont emmenés sur le petit îlot jouxtant l’île de Plate :
l’îlot Gabriel. Le couple des Metcalfe, John et sa femme Sarah y ont déjà étaient
transportés. John, car il présentait des signes de contagion et Sarah car elle ne voulait
pas l’abandonner seul à son sort.
Suzanne qui souffrait de fièvre depuis plusieurs jours et dont l’état ne cesse
d’empirer va, elle aussi, être emmenée sur Gabriel : « -Ils veulent que j’emmène
Suzanne demain matin. Je ne comprenais pas. -Que tu l’emmènes où ? -Eh bien, là, en
face. Sur Gabriel. Dans le camp des contagieux. […] -Suzanne a une variole
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confluente. Il n’y a aucun doute là-dessus. » (Le Clézio, 1995 : p. 309). ‘Ils’ dans ce
passage, renvoi aux deux compères Julius Véran et Bartoli, qui somment Jacques
d’emmener sa femme loin d’eux, de peur d’être contaminés à leur tour. Jacques,
médecin de son état, n’a aucun argument à leur présenter, il admet l’état critique dans
lequel se trouve Suzanne. Et de ce fait il ne peut que se soumettre à la requête des deux
amis.
« Son désespoir est si violent que j’ai des larmes dans mes yeux. Je ne sais
quoi dire, quoi faire. Je marche autour de la quarantaine, je regarde l’eau
du lagon où la lumière du ciel est entrain de s’éteindre, la masse noire de
Gabriel, j’écoute le bruit de la mer qui bat en côte. » (Le Clézio, 1995 : p.
310).
Comme par enchantement, Suryavati est là, suite à cet incident, et vient
réconforter Léon, fou de rage, blessé et désespéré. L’isotopie amoureuse qui s’était
brusquement arrêtée suite à la dispute entre Léon et Suryavati, reprend au moment où
on s’y attendait le moins. Ainsi, elle lui fixe rendez-vous, pour la nuit même à la grotte
qui surplombe l’escarpement.
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« J’entends le bruit du vent, j’ai le goût de la mer sur mes lèvres, comme au
jour de notre arrivée sur l’île. » (Le Clézio, 1995 : p. 314). Notons ici que très souvent
le vocable mer est mis en corrélation avec le champ lexical des cinq sens. Dans
l’extrait précédemment cité, Léon évoque le sens de l’ouïe, pour désigner le son
produit par le vent, puis le goût pour parler de ses résidus d’air marin, mais aussi de
l’eau de mer qui se déposent sur les lèvres, laissant ainsi un goût particulier.
La mer, dans cette partie du globe, voit ses mouvements régis par la marré : sert
aussi pour les évocations de la marré : « La nuit semble sans fin. La mer a fini de
monter, l’eau du lagon est tendue et brillante sous la lune. » (Le Clézio, 1995 : p.
315), ainsi, la mer monte ou descend suivant les mouvements de la marrée.
«Puis j’ai senti sa présence, son regard, tout près, caché dans la nuit. Un
souffle, un frisson dans la rumeur du vent et de la mer, elle qui murmurait mon nom :
Bhaii… ». (Le Clézio, 1995 : p. 316). Dans l’obscurité de la nuit, Suryavati était là,
Léon sent sa présence, son regard et son souffle, le tout se mêlant à la rumeur de la
mer. Suryavati lui avait donné rendez-vous cette nuit-là à la grotte : « Je me suis assis
à côté d’elle, à l’entrée de la grotte. Ici, le vent ne soufflait pas. » (Le Clézio, 1995 : p.
317).
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« Son visage était tout contre le mien, la lumière de la lune brillait sur ses
pommettes, par instants le blanc de ses yeux jetait des éclats. Je sentais son
odeur, la chaleur de son corps, son haleine. […] Jamais je n’avais vécu
cela de toute ma vie, j’étais sûr que jamais plus cela ne se reproduirait. »
(Le Clézio, 1995 : pp. 317. 318).
Léon brule de désir pour Suryavati, c’est la première fois qu’il ressent des
émotions aussi intenses et des sentiments aussi puissants. Il le sait, jamais plus il ne
pourra ressentir la même chose pour qui que ce soit. Les sens de Léon restent en éveil
malgré l’émotion de l’instant. Il perçoit clairement les bruits du vent et de la mer. La
mer, omniprésente dès qu’il s’agit de lui et de sa bien-aimée : « J’écoutais le vent,
j’écoutais le bruit de mon sang, le froissement léger de la mer. Et cette vibration,
comme au fond de l’océan, qui grandissait en moi, le tremblement de la mémoire. »
(Le Clézio, 1995 : p.318). Lorsque sa vue est impossible par nos jeunes héros, la mer
se rappelle à eux de par son murmure… Elle vient les chercher au fond de la grotte,
afin de les rassurer, de les soustraire aux maux qui les entourent.
« Surya a posé ses mains sur mes épaules, dans un geste de lutteur elle m’a
fait allonger sur la terre, à l’intérieur de la grotte. Je ne pouvais pas lui
résister. […] Comme si nous étions en haut d’une falaise, au-dessus de la
mer, des oiseaux, sans rien qui nous précède, suspendus dans le vide. J’ai
embrassé Surya, ses mains d’abord, puis son visage, ses paupières, la
commissure de ses lèvres. J’ai serré son corps léger. Elle a détourné un
instant son visage, puis elle a appuyé ses lèvres sur ma bouche, avec
violence, j’ai eu le goût de sa salive dans ma bouche. » (Le Clézio, 1995 :
p. 318).
- Vrindavan est une ville d’Inde située au bord de la rivière Yamuna. Elle est un centre de pèlerinage lié au
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Partie II De la structure au sens
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Léon réalise que sa rencontre avec Suryavati n’est nullement le fruit du hasard,
que si il se retrouve aujourd’hui cloitré sur l’île Plate c’est parce que tel est son destin.
Il devait y débarquer, car c’est sur cette île que se trouve celle qui était faite pour lui,
celle qu’il rêvait depuis toujours : Suryavati. Et l’instant était venu, pour qu’ils ne
fassent plus qu’un :
« J’ai senti la houle de son corps contre moi. Sous sa peau les éclats
endurcis du basalte, et la poussière comme de la cendre. Le goût du sel sur
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Partie II De la structure au sens
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ses paupières, le bruit du sang dans mes artères, dans sa poitrine. Je l’ai
pénétrée et elle a tourné un peu de côté son visage, parce que je lui faisais
mal. Mais le désir m’emportait, si vite que je ne pouvais m’arrêter,
maintenant j’entendais son souffle, mêlé à mon souffle, je sentais son corps
frais comme l’eau qui coule, j’étais devenu le feu, la fièvre, le sang, et Surya
me serrait entre ses cuisses d’une étreinte puissante. » (Le Clézio, 1995 :
p. 321).
C’est à cet instant précisément que Léon faisait allusion, l’instant où Suryavati
et lui ne font plus qu’un, leurs corps liés comme le sont leurs âmes, depuis toujours.
L’instant qui verra s’accomplir leurs destinées, car rien n’est au hasard…
Notons que dans ce passage, nous nous serions attendus à trouver deux
personnages en interaction, cependant, et de par les allusions et métaphores
successives, nous remarquons la présence d’un troisième acteur qui n’est autre que la
mer. En effet, les ondulations du corps de Suryavati sont comparées à la houle, terme
qui désigne les mouvements sur la surface de mer et qui sont dus au vent. Ensuite, le
goût du sel sur les paupières de Suryavati rappelle la salinité propre à l’eau de mer.
Dans un troisième temps, Léon compare le corps frais de son amante à l’eau qui
coule, autre allusion à l’élément aquatique. Ainsi, nous pouvons dire que la mer prend
une place primordiale dans le couple Léon-Suryavati, elle fait partie intégrante de leur
amour, de leur destin : « Tout cela, je le savais depuis toujours, je l’avais vécu déjà
mille fois en rêves. » (Le Clézio, 1995 : p. 321).
Cette mer justement est reliée souvent dans le texte au sens du goût : « Et le
goût de son haleine, le goût de la cendre et de la mer dans ses cheveux. » (Le Clézio,
1995 : p. 322).
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Partie II De la structure au sens
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mer vient s’abattre. « Nous nous sommes couchés l’un contre l’autre, dans l’ombre de
la grotte, […]. Le bruit de la mer et du vent nous portait, nous grandissait, […] » (Le
Clézio, 1995 : p. 323). Après s’être enivré d’amour et de passion, c’est encore une fois
la mer qui vient porter nos protagonistes, les bercer et surtout les grandir de par sa
force et son immensité.
« Les hommes là-bas, si loin. Dans leur paradis muré par la mer, les
hommes. » (Le Clézio, 1995 : p. 323). L’évocation de la mer dans ce passage évoque
une proximité pour le moins inattendu avec prison. En effet, l’île est ici comparée à un
paradis certes, mais un paradis encerclé, cloitré par le rempart infranchissable qu’est la
mer.
« Ses mains tenaient ma nuque, ne lâchaient pas, son corps se hissait
lentement hors de la mer, elle respirait à grands traits. Ensemble
nous glissions, en volant, ou plutôt en planant, contre l’aile noire du
ciel. Nous étions des oiseaux, tout à fait des oiseaux. » (Le Clézio,
1995 : p. 324).
Suryavati émerge de son ivresse romantique, comme si elle sortait de la mer,
après une longue apnée, en respirant à grands coups. Ainsi le passage à l’acte
amoureux est apparenté à une immersion dans la mer, à un exercice de plongée en mer
où les deux amoureux doivent reprendre leur souffle une fois sorti de l’eau.
En sortant de la grotte qui a abrité leur amour, nos amoureux se dirigent droit
vers la plage :
« Quand nous sommes arrivés sur la plage, elle est entrée dans l’eau sans
m’attendre, elle a plongé. La mer était haute, un lac noir. […] Je suis entré
à mon tour dans l’eau très douce et tiède, je cherchais Surya. Puis j’ai senti
son corps contre moi, ses habits collés à sa peau, sa chevelure ouverte dans
l’eau comme des algues. Jamais je n’avais ressenti un tel désir, un tel
bonheur. Il n’y avait plus de peur en moi. […] « Regarde, bhai le jour se
lève. » L’eau glissait autour de nous comme une rivière, grise et miroitante,
[…] » (Le Clézio, 1995 : p. 325).
Les deux jeunes amants vont directement rejoindre la mer, une fois sortis de la
grotte où ils ont consommé leur amour passionné. Cette mer qui va les envelopper, les
réchauffer, et surtout les réconforter et les apaiser, c’est pour cela que Léon n’a plus
peur maintenant qu’il ne fait qu’un avec la mer. Et c’est le moment qu’a choisi
Suryavati pour annoncer à Léon que sa mère avait donné sa bénédiction au couple :
« Elle dit : « Maman m’a donné sa bénédiction. Elle m’a dit que je pouvais être ta
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Partie II De la structure au sens
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femme. Elle va aller à Vindavan maintenant. » (Le Clézio, 1995 : p. 326). Dans les
sociétés conservatrices, comme celle d’où vient Suryavati, les jeunes gens désirant se
lier ou se marier doivent absolument avoir l’accord de leurs parents, c’est la condition
sine qua non pour pouvoir être en couple. Suryavati annonce la bonne nouvelle à Léon
et elle ajoute que sa mère va décéder ou rejoindre Vindavan.
Une nouvelle fois, une date vient organiser la narration à la page 334 : Le 1er
juillet. C’est en ce jour que Suzanne doit être transporté sur l’îlot Gabriel, sanctuaire
des malades contagieux. C’est là-bas qu’on les envois mourir : « Le départ pour
Gabriel a eu lieu ce matin. Jacques a soutenu Suzanne jusqu’à l’embarcadère en
ruine. » (Le Clézio, 1995 : p. 334). Il est vrai que d’autres passagers de l’Ava les y ont
précédés déjà, John et Sarah Metcalfe notamment :
Dans le passage précédent, sont évoqués, outre le fait qui fut d’emmener le
couple des Metcalfe sur l’îlot Gabriel, du fait de l’état critique de John, la distorsion
temporelle que subissent nos personnages sur leur île de la quarantaine. Nous
remarquons que nos protagonistes, et Léon en particulier, ont complètement perdu la
notion du temps, de telle sorte qu’il n’arrive plus à situer le déroulement des
événements ayant précédé dans le temps.
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Partie II De la structure au sens
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Léon a compris qu’il avait perdu son compagnon de randonnées, l’ami des
plantes n’était plus de ce monde, emporté lui aussi par la terrible épidémie. Mais ce
que Léon ne comprenait pas c’était la date de sa mort, inscrite de la main de Sarah
Metcalfe sur la planche de bois : 28 march 1891 ; le 28 mars 1891 :
« C’est cette date surtout qui me faisait sursauter, comme quelque chose
d’incongru, d’invraisemblable. Je la relisais attentivement, comme si cela
avait encore plus d’importance que la mort de John. La date que Sarah
avait écrite sur la planche comme date de sa mort est exactement celle du
jour où nous sommes arrivés dans les bâtiments de la Quarantaine. » (Le
Clézio, 1995 : p. 338).
Sarah Metcalfe, dont Jacques disait qu’elle avait commencé à montrer des
signes de folie, avait inscrit la date du débarquement sur l’île Plate comme date du
décès de son mari John. Cela reviendrait-il à dire que les passagers de l’Ava sont
désormais tous condamnés ? Est-ce que le jour de leur débarquement équivaudrait-il
au début de la fin pour eux ? Toutes ces questions se bousculent dans la tête de Léon.
Ils se retrouvent, cette bande d’amis, maintenant ensemble sur l’îlot qui scellera leur
destin. Entourés qu’ils sont par la mer : « Le soleil du matin brillait sur la mer belle,
faisait tour proches les îlots. […] Et devant nous, la côte de Maurice, verte, immense,
ses pics bleus coiffés de nuages. » (Le Clézio, 1995 : p. 338). Le paysage est
somptueux, la vue sur Maurice imprenable et la mer, qui se voulait rassurante de par sa
beauté en ces temps pleins doutes.
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- Septembre, september en anglais dans le texte.
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« Ce que je voudrais voir, c’est l’autre versant, […] où se trouve tout ce qui
maintenant a de l’importance pour moi, Suryavati, […]. Il n’y a que ce
mince détroit qui me sépare de celle que j’aime, […]. Derrière, à gauche et
à droite, il y a la mer ouverte, violente, et la côte de Maurice. Mon domaine
est si près. Pourquoi suis-je ici, en exil ? Il me semble que j’ai vécu toute
ma vie sur Plate, c’est ma terre natale, c’est là que j’ai tout appris, il n’y
avait rien auparavant, il n’y aura rien après. » (Le Clézio, 1995 : p.
342).
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Ce moment clé du récit, l’acteur mer semble se mettre sur la route des deux
jeunes amoureux, Léon est dans l’incapacité de traverser le lagon séparant l’îlot
Gabriel de l’île de Plate, les courants son trop forts, il risque d’être aspiré vers le large,
vers la haute mer. Ainsi, la mer le condamne à l’exil, à la séparation d’avec l’être
aimé : « Moi aussi, je rêve, en haut de mon observatoire, […]. Je rêve à Surya, telle
que je l’ai aperçue la première fois, […] ». (Le Clézio, 1995 : p. 343). Il rêve en
silence, il rêve, car il n’a que cela. Emprisonné par la mer sur Gabriel, Léon ne peut
poursuivre sa quête amoureuse.
« Ici le bruit de la mer n’est pas une rumeur lointaine comme sur l’île Plate.
C’est un grondement continu, proche, qui fait trembler les rochers et la terre. » (Le
Clézio, 1995 : p. 347). La nature de l’acteur mer, change d’une île à une autre, elle qui
n’était qu’un simple murmure sur l’île de Plate, devient un véritable grondement,
puissant et violent, sur Gabriel.
Sur cet îlot, Léon découvre tous les pestiférés abandonnés à leur sort, attendant
la mort, qui se rapproche, inexorablement. Avant, l’îlot Gabriel a été le refuge de
coolies, qui furent abandonnés, en 1856, suite à une épidémie qui s’était déclarée sur le
bateau qui les emmenait vers Maurice. Tous sont morts maintenant : « Ils habitent
encore ici, dans ces roches noires au pied du piton, devant le bleu irréel du lagon,
devant la mer aux vagues très lentes, je sens leur regard sur moi, dans la lumière qui
se répercute. » (Le Clézio, 1995 : p. 350), il ne reste plus que leurs tombes, debout,
faces à la mer bleue et violente.
Le journal des naufragés reprend à la page 357 avec une date, cette fois-ci
dénuée du mois ; Le 2, à l’aube. Léon vit maintenant dans l’expectative, non pas du
sauvetage, comme nous pourrions le penser, non, ce qu’il attend c’est de revoir
Suryavati : « […], je vais jusqu’au dessus du lagon, pour regarder Plate, la longue
pointe qui court jusqu’au Diamant. Attendre Surya. » (Le Clézio, 1995 : p. 358). « Sur
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Partie II De la structure au sens
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Gabriel, on ne sait plus rien de ce qui se passe de l’autre côté. On n’entend plus les
sifflets du sirdar12, les appels à la prière du matin, ni le chat du muezzin le soir. » (Le
Clézio, 1995 : p. 358). Suzanne, Jacques ainsi que Léon sont complètement coupés de
Plate. Ils ont perdu tous leurs repères, temporels surtout. La vie était organisée sur l’île
de Plate, le sirdar rythmait la journée de ses coups de sifflet, les appels du muezzin à la
prière donnaient des indications précises sur les moments de la journée.
Mais bientôt, celle qui anime les jours de Léon sera là : « Aujourd’hui la mer
est basse, Surya est venue sur le récif. […]. Elle s’arrête un instant au milieu du
lagon, dans la passe, avec l’eau jusqu’à la taille. Puis elle remonte vers l’îlot, jusqu’à
la demi-lune de sable qui conduit au rivage. » (Le Clézio, 1995 : p. 359).
En effet, Surya arrive sur l’îlot Gabriel, Léon l’aperçoit de loin, traversant le
lagon à mer basse. Son cœur s’emballe à la simple vue de celle qu’il aime :
« Elle a revêtu le sari vert d’eau qu’elle portait le soir où nous sommes
allés dans la grotte, au-dessus de Palissades, et qui se confond avec la
couleur du lagon. Je suis descendu jusqu’à la plage, je sens mon cœur
battre plus fort, tous mes sens sont décuplés, je vois distinctement son
visage, la tresse lourde qu’elle porte sur l’épaule gauche, la goutte rouge
sur son front, le clou d’or dans sa narine. Ses yeux sont entourés d’un liseré
noir. Elle est très belle. » (Le Clézio, 1995 : p. 359).
Suryavati est là, c’est tout ce que Léon espérait. Elle a ramené dans son sac des
provisions ainsi que des plantes pour soigner les plaies des malades de la variole.
Ensemble, ils escaladent la montagne afin de chercher la plante nécessaire au baume
pour les malades. Du haut du mont, ils voient devant eux un panorama unique : « La
mer est autour de nous, violente, magnifique. A l’horizon, il y a la ligne de terre de
Maurice la frange de l’écume sur le cap Malheureux, […]. C’est si près, c’est à
l’autre bout du monde. » (Le Clézio, 1995 : p. 360).
Comme toujours, c’est la mer, violente, mais belle, qui accompagnent nos
amoureux, elle les entoure de sa protection et de sa bienveillance. A l’horizon, c’est
Maurice, proche, à l’autre bout du monde car le monde de Léon se résume maintenant
à ce que sa vue peut atteindre. Son monde c’est l’île Plate, c’est Maurice qu’il aperçoit
- Sirdar est un titre attribué aux chefs militaires en Inde. Par extension il s’applique aux chefs de camps, ou
12
de villages.
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lorsqu’il grimpe au sommet des montages. Bientôt Surya annonce à Léon qu’elle doit
retourner chez elle, s’ensuit alors ce dialogue entre elle et Léon : « « Il faut que je
retourne, la mer va monter. » […]. Je ressens du dépit, de la colère presque. « Tu ne
peux pas t’en aller maintenant. Il faut que tu voies mon frère et Suzanne. Personne n’a
le droit de nous séparer. » » (Le Clézio, 1995 : p. 364). C’est alors qu’ils pénètrent
ensemble dans la hutte de Jacques et Suzanne. Suryavati, en se rendant compte de
l’état de Suzanne, décide de la prendre en main immédiatement, avec son savoir-faire
ancestral, qui lui vient du fin fond de la civilisation indienne. Elle la déshabille
complètement, la baigne et lui applique des baumes issus des plantes qu’elle avait
amené. Jacques lui est complètement désemparé, il a fini par capituler, il ne croit plus
guère en la guérison de Suzanne, il dit même à Léon qu’il faudra bientôt songer à
préparer un bucher : « « Il n’y a plus rien à faire. » […], il répète avec un sang froid
qui me fait peur : « Il faudra préparer le bûcher très vite. » » (Le Clézio, 1995 : p.
369).
Ensuite, Suryavati s’en va apaiser les douleurs d’une autre malade, Rasamah,
dans l’autre campement, celui des malades coolies, puis elle s’en va rejoindre sa mère
souffrante :
« Surya est retourné vers le lagon. Elle est partie sans se retourner,
marchant vite entre les rochers, jusqu’à la plage. […] La mer est tout à fait
haute, le chemin de corail a disparu, et les bancs de sable sont noyés. […],
elle s’en va vers l’île Plate, comme si elle ne devait jamais revenir. » (Le
Clézio, 1995 : p. 369).
Comme chaque soir, Léon s’assoit à côté de Suzanne pour lui lire ses poèmes
préférés : « Je lis La cité de la mer, et les mots écrits par Longfellow le 12 mai 1881
entrent en elles, dénouent ses peines, et lavent son esprit. » (Le Clézio, 1995 : p. 370).
Notons que la poésie est envisagée, dans ce passage, comme une thérapie, un remède
de l’âme, permettant à l’esprit, au moins, de ne pas sombrer.
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Partie II De la structure au sens
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Voilà maintenant deux jours que Suryavati n’est plus revenue sur Gabriel.
Maintenant, ce n’est plus uniquement Léon qui attend avec impatience sa bien-aimée,
Suzanne aussi, guette son arrivée, chaque jour, car les cataplasmes que Surya lui
applique la font se sentir mieux : « Maintenant, elle l’attend chaque jour, son regard
sans cesse tourné vers la porte, […] » (Le Clézio, 1995 : p. 382).
Deux jours sans voir Surya, c’est déjà trop pour Léon qui décide alors de
traverser cette portion de mer qui le sépare de sa bien-aimée. Il s’en va traverser le
lagon à la nage afin d’aller rejoindre Suryavati :
« Je suis entré dans la mer avec délices. L’eau du lagon était noire,
immobile, sous le ciel encore clair. […], puis je me suis lancé dans le
courant. Je dérivais à peine. Quand je plongeais, j’entendais le froissement
des vagues contre mon oreille. Je nageais lentement, prenant ma respiration
entre deux eaux, les yeux ouverts dans l’ombre, guidé seulement par la
vibration de la mer. […] Tout sans bruit, sans lumière. Pareil à un grand
animal endormi sur la mer. » (Le Clézio, 1995 : p. 384).
C’est avec plaisir que Léon rejoint la mer, qu’il se jette dans ses flots, et c’est
elle, cette fois encore, qui va l’aider en le guidant dans sa traversée. Il se compare
maintenant à un grand animal marin, il fait partie de l’île et de ce qui l’entoure, il est
une composante de l’espace marin de Plate. Léon s’en va chercher Suryavati dans sa
maison, mais elle est vide, même Ananta pourtant malade est alitée, n’y est plus, c’est
alors qu’il comprend : Ananta est morte. Il court vers la plage et aperçoit Surya : « J’ai
reconnu Surya. Elle était assise sur le bord de la plate-forme, la fumée l’enveloppait
par instants complètement, comme si elle brulait elle aussi. Devant elle, Ananta, une
forme petite, mince, comme un corps d’enfant, déjà calcinée par les flammes. » (p.
386).
Cet événement va faire évoluer la relation entre nos deux jeunes protagonistes.
Suryavati va d’ailleurs tenir ces propos à Léon : « C’est fini, je ne serai plus jamais la
même. » (p. 388). L’héroïne va, suite au décès de sa mère, suivre Léon sur l’ilot
Gabriel pour s’y installer en sa compagnie.
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La mer demeure un élément omniprésent dans le récit, même lorsqu’il fait nuit
et que nos protagonistes ne peuvent la voir : « Le vent tiède entourait l’îlot, apportant
la rumeur de la mer. » (Le Clézio, 1995 : p. 392). En effet, la mer se rappelle toujours
à l’esprit des personnages, ne serait-ce que par son bruit nocturne. Les allusions à la
couleur changeante de la mer sont aussi très fréquentes : « (…), la mer d’un bleu
violet. » (Le Clézio, 1955 : p.392).
De la même manière, la mer reste incontournable quand Léon pioche dans ses
souvenirs, quand il raconte comment Jacques, Suzanne et lui-même ont décidé
d’entreprendre ce voyage pour l’île Maurice: « (…), ce vent frais, chargé de mer, qui
nous donnait envie de partir. C’est ce jour-là que nous avons décidé de partir à
Maurice. » (Le Clézio, 1995 : p. 394).
Après une brève halte dans le récit principal, due à la reprise du récit de la
Yamuna, nous sommes de retour au récit principal, mais cette fois-ci, pas de date,
aucun repère temporel, mais toujours une description du ciel et de la mer : « Le ciel est
d’un bleu qui déchire la vue, et la mer sombre, dure, infranchissable. » (Le Clézio,
1995 : p. 404). La mer, déchainée en ce jour, est désignée par les termes
‘sombre’/’dure’/’infranchissable’. Ce vocabulaire oppressant nous fait rappeler l’autre
facette de la mer, car pouvant être parfois aimante, douce et calme, elle peut tout aussi
bien représenter un espace hostile, dangereux et emprisonnant, car infranchissable.
Maintenant que nos jeunes amoureux, Suryavati et Léon se sont installés ensemble sur
l’îlot Gabriel, ils doivent apprendre la vie à deux et de ce fait franchir un nouveau cap
dans leur relation amoureuse.
Suryavati et Léon ont construit leur campement sur un des points les plus
élevés de l’îlot là où : « Le vent souffle en rafales sur les angles des basaltes, il
bouscule les batatrans et les broussailles. C’est un vent qui vient de loin, qui a le goût
de la haute mer. Le soleil est ardent depuis la première minute jusqu’au moment où il
plonge dans la mer.» (Le Clézio, 1995 : p. 404). Ce goût de la mer, tel que décrit à
plusieurs reprises tout au long du roman, semble bien loin d’être unique. Dans ce
passage c’est le goût de la haute mer, de cette mer si éloignée, qui nous ai présenté.
Notons, par ailleurs, l’association de l’élément mer et de l’élément soleil, ce dernier
plongeant dans la mer pour signifier la tombée de la nuit.
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Partie II De la structure au sens
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La mer offre le cadre spatial dans lequel se déroulent les péripéties du récit.
Elle est aussi plurielle de par ses états changeants, de par ses couleurs différentes, ses
sons et ses bruissements, mais ce n’est pas tout. La mer, dans La Quarantaine, est cet
espace qui offre aux espèces vivantes sur ces îles, une grande partie de la nourriture
dont ils ont besoin :
La mer ne nourrit pas uniquement les êtres humains, elle pourvoit aussi aux
besoins de certains animaux comme les oiseaux.
Suzanne se porte de mieux en mieux, elle peut maintenant se lever, aider aux
taches ménagères et faire la cuisine, elle mange même de bon appétit : « La vie est
revenue en elle, le sang afflue à ses joues, ses yeux brillent. Elle fait des projets, elle
recommence à rêver. » (Le Clézio, 1995 : p. 410). Du chaos peut renaitre la vie,
Suzanne est revenue de chez les morts.
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ces paroles là, c’est le dos tourné à la mer, qu’il les profère : « Je suis debout au milieu
des rochers, le dos tourné à la mer » p 415.
Nous noterons dans ce passage les sèmes que partage Surya avec la mer et
l’eau. En effet, notre jeune héroïne fait partie intégrante du milieu naturel auquel elle
appartient. Ainsi, la description qui en est faite dans ce passage indique que Suryavati
appartient à ce décor composé de la faune, de la flore et des éléments du climat. Le
narrateur, qui n’est autre que Léon dans cet extrait la surnomme ‘Déesse de la mer’.
Dans cette nouvelle vie qui est la sienne, Léon se laisse entrainer par sa bien-
aimée dans l’eau : « Comme je reste indécis, elle me prend par la main et m’entraine
dans l’eau. L’air et l’eau sont identiques, légers, incolores, très doux. Ensemble nous
glissons dans le lagon, l’eau impalpable nous recouvre de la fumée des rêves. » (Le
Clézio, 1995 : p. 422).
Léon aussi se mêle aux éléments du climat, il fait partie de la mer et la mer fait
partie de lui. L’eau ici prend les propriétés de l’air, car la mer ne s’opposera jamais à
l’union des gens qui s’aiment. La mer est bienveillante à leur égard, elle est douce et
légère.
« Après le froid de la mer, les morceaux d’ourites et le feu nous brûlent. » (Le Clézio,
1995 : p.425). Notons dans ce passage le contraste entre la mer, le froid qu’elle
dégage, et la chaleur, voire la brûlure du feu. Les deux se complètent, comme mer et
soleil. « Sa robe couleur de mer est encore trempée, tachée par le sable et la cendre.
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Quand nous avons terminé, elle va laver l’écuelle de riz dans la mer. » (Le Clézio,
1995 : p.425).
La mer toujours aussi présente, dans toutes les parties du récit, recouvre là un
autre de ses rôles : La mer purificatrice qui permet de laver toutes les souillures.
Page 437, le récit principal reprend, sans date ni aucune autre forme d’indication, à
présent.
« […], attendre avec eux l’instant où le soleil jaillira de la mer. » (Le Clézio,
1995 : p. 438), comme si la mer enfante, chaque jour le soleil, lui donne vie, à l’aube,
pour l’engloutir à la fin du jour, dans un éternel recommencement. La fusion du soleil
et de la mer engendre forcément l’amour passionnel : « L’amour de Suryavati est
ardent comme le soleil, lent et fort comme la mer, vrai comme le vent. Nous sommes
dans notre antre, dans notre aire, serrés l’un contre l’autre, comme des oiseaux. » (Le
Clézio, 1995 : p. 438).
Les naufragés, prisonniers de cette île, Suryavati entre autre, comprennent que
ce jour là, marque leur départ prochain. Etrangement, l’annonce de cette libération
prochaine, provoque chez nos deux jeunes amoureux un sentiment de crainte
inattendu. Nous nous serions plus attendus à une joie immense du fait de quitter cette
prison à ciel ouvert. Cependant, pour les autres habitants de l’île, l’arrivée du schooner
est une délivrance. L’île connait en cette matinée une effervescence sans précédent.
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Tout le monde rassemble, ça et là, ce qui lui reste comme vêtements, nourriture et
autre.
Suryavati semble aux yeux de Léon comme ivre de la mer et de la lumière qui
l’enveloppent. Le sentiment de bien-être de Léon est indescriptible, il s’est enfin
détaché de tout ce qu’il a pu être auparavant.
Après leur repas, Suryavati et Léon en reviennent encore une fois à la mer :
« La nuit est venue lentement. Après avoir mangé les coquillages et les
oursins, nous sommes entrés dans l’eau du lagon, une dernière fois. C’était
doux et léger comme une fumée, glissant comme un torrent. Le flux avait
apporté la vie, des aiguillettes, des bancs de poissons. Près du récif, nous
nous sommes allongés sur la longue langue de sable qui s’incurve vers
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Gabriel, pour écouter le bruit des vagues qui déferlait derrière nous, […] »
(Le Clézio, 1995 : p.464).
Ainsi, c’est toujours vers la mer que s’en retournent nos deux héros. Cette mer
synonyme à la fois de douceur, mais de force aussi lorsqu’elle est apparentée à un
torrent.
«Je me suis couché contre Surya, pour sentir la chaleur de son corps, son
souffle dans le creux de mon épaule. Ensemble nous glissons sur la mer,
vers l’autre bout du temps. Je n’ai jamais vécu d’autre nuit que cette nuit,
elle dure plus que toute ma vie, et tout ce qui a été avant elle n’a été qu’un
rêve. » (Le Clézio, 1995 : p. 474).
A nouveau, nous nous retrouvons face à une métaphore maritime. Cette fois-ci
c’est le fait de s’endormir qui est assimilé à glisser sur la mer. Léon lui, persiste à
penser qu’il n’a pas eu de vie auparavant, tout ce qui a précédé cette nuit-là ne fut
qu’un rêve.
197
Partie II De la structure au sens
________________________________________________________________________________
« Surya et moi sont les derniers passagers à prendre place sur le schooner.
[…] Surya aussi est fatiguée. Elle appuyé sa tête contre mon épaule, elle se
laisse aller aux mouvements de la yole. Avant que nous ne nous élancions
dans la mer, elle a mis autour de mon cou, comme un talisman, le collier
portant la plaque d’immatriculation que sa grand-mère avait donné à
Ananta, avant le départ de Bhowanipore. Ainsi, maintenant, j’ai un nom,
une famille. Je peux entrer à Maurice. » (Le Clézio, 1995 : p. 483).
Nos jeunes protagonistes embarquent ainsi vers leur destination tant espérée :
l’île Maurice. Léon, le fils et petit-fils des Archambau qui avait perdu son identité au
cours de son séjour sur l’île, finit par en trouver une autre, grâce à la plaque que lui
donne Suryavati. Une plaque sur laquelle figure un numéro, voilà comment on
identifiait les immigrants indiens venus pour travailler sur l’île Maurice.
198
Partie II De la structure au sens
________________________________________________________________________________
« Ceux que je cherche depuis mon arrivée à Maurice, n’ont pas de visage.
Léon, Suryavati, est-ce que ces noms signifient quelque chose ? Ceux que je
cherche n’ont pas vraiment de nom, ils sont des ombres, des sortes de
fantômes, qui n’appartiennent qu’aux routes des rêves. » (Le Clézio,
1995 : p. 489).
199
Partie II De la structure au sens
________________________________________________________________________________
Léon remarque ces boulettes que la tante Anna a confectionnées juste avant leur
sortie. Il l’accompagne maintenant en ville, elle l’emmène du côté des bouchers et
c’est alors qu’il comprend :
C’est sa mission, Anna débarrasse sa ville des chiens errants, qui sont des
centaines, toujours plus nombreux. C’est alors qu’on retrouve une autre évocation de
Rimbaud : « […], j’ai pensé à Rimbaud sur son lit de mort, […]. C’est vrai que lui
aussi empoisonnait les chiens de Harrar, […] » (Le Clézio, 1995 : p. 504). Plusieurs
historiens rapportent en effet cet épisode de la vie d’Arthur Rimbaud lors de son séjour
dans la corne de l’Afrique.
200
Partie II De la structure au sens
________________________________________________________________________________
Les mêmes ressentis, les mêmes pensées, nous sont rapportés ici, celles de
Léon le Disparu et celles de Léon le petit-fils de Jacques. Tous les deux ont éprouvé ce
lien étrange à cette terre, à cette île qui a émergé des fins fonds de l’Océan et sur
laquelle ils ont enfin pu retrouver une identité.
Anna est ce lien qui va unir Léon à la mémoire de ces ancêtres, elle porte en
elle les stigmates de ce passé, de ces êtres à présent disparus. C’est ainsi qu’elle parle
de la voix du muezzin : « Je ne pourrais jamais vivre dans un endroit où je
n’entendrais pas cette voix » (Le Clézio, 1995 : p. 522), avant d’ajouter, un peu plus
loin dans la même page : « J’entendais cette voix autrefois, quand j’étais enfant, à
Médine. […]C’était très doux, rien que de l’entendre on se sentait mieux, on savait
que Dieu écoutait. ». Comme dans les chapitres précédents, Le Clézio semble donner
une place de choix aux spiritualités, aux religions. Hindouisme, Islam, sont
omniprésents dans La Quarantaine.
Synthèse
Nous pouvons avancer, maintenant que nous sommes arrivés au terme de
chapitre, que la mer leclézienne revêt plusieurs facettes. Tout d’abord c’est le véhicule
du voyage, c’est par elle que survient l’éventuel retour aux sources, elle permet la
quête et rend possible le cheminement dans l’espace et dans le temps de nos jeunes
héros. Mais la mer chez Le Clézio n’est pas uniquement cela, c’est aussi un large
réservoir de figures et d’images permettant l’action et provoquant l’intrigue, elle unit
Léon et Surya et rend possible la rencontre entre peuples et civilisations. Enfin la mer
de Le Clézio est aussi diverse que variée, elle renvoi en même temps à l’océan, au
fleuve, à la méditerranée et à l’élément aquatique dans son aspect le plus général.
201
Partie II De la structure au sens
________________________________________________________________________________
Conclusion
Tout au long de cette partie, notre travail a été celui de démanteler les
constructions narratives et discursives en fonctionnement dans les romans de Maïssa
Bey, Au commencement était la mer, et celui de Jean-Marie Gustave Le Clézio à
savoir La Quarantaine.
Par ailleurs, nous avons observé de forts liens qui sont tissés, à fur et à mesure
que le roman prend de l’ampleur, entre les différents personnages -notamment Nadia
chez M. Bey, et Léon chez Le Clézio- et entre la mer, à tel point que la mer fini par
devenir un actant incontournable du récit, ce dernier provoque des sentiments
extrêmement forts chez les protagonistes des deux romans.
Ce vocable, clé de notre analyse, va orienter les états d’âme des personnages,
permettre le/les commencement(s) –voyages, quêtes, sentiments amoureux,…- mais en
même temps la mer, dans ses aspects les plus changeants, les plus houleux et les plus
cruels peut sonner le glas de l’aventure, de l’amour et même de la vie parfois. Cette
force, cette influence primordiale du vocable mer est à placer à un degré supérieur
dans l’approche sémantique que nous pouvons faire de genre de romans, car riche de
ses polysémies, de ses renvois et de ses convergences spirituelles et quasi mystiques,
la mer devient petit-à-petit, le noyau central du tissage narratif et le centre de toute
tentative d’assimilation des structures signifiantes les plus profondes du roman.
202
Partie III
Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Introduction
La troisième partie de notre travail tourne autour du thème central qui est les
représentations symboliques et mythologiques de la mer dans notre corpus d’étude.
Nous avons, au préalable, clairement défini la place qui était celle du vocable
mer en langue, ensuite nous nous sommes intéressés à la place que ce terme occupait à
l’intérieur des constructions textuelles propres à notre corpus. Dans un enchainement
qui nous semble être le plus à même de répondre à nos questionnements de départ, nous
consacrons la partie qui suit à l’analyse des allégories et des symbolismes générés par
la mer au sein de nos deux romans. Par la suite, nous essayerons de poursuivre ce
raisonnement afin d’aborder la notion du mythe en général, et celle du mythe de la mer
en particulier. Ainsi, nous serons en mesure de répondre, dans un premier temps, à la
question qui est la suivante : est-ce que ces réseaux symboliques mis en place au travers
du vocable mer aboutissent à l’engendrement d’un mythe ou à des mythes de la mer ?
et lesquels ?
A ce titre, nous nous intéressons toujours au vocable mer dans l’univers que
créent Le Clézio et Bey. Nous avons déjà montré, dans les chapitres précédents,
l’importance de la mer dans le discours de nos deux romanciers. Notre tâche actuelle
est celle de déceler, sous l’abondant matériau linguistique, un fond d’images et de
représentations issues de l’usage du vocable mer dans notre corpus.
Il est à rappeler que la mer est un élément naturel majeur, c’est aussi un acteur
incontournable de la vie humaine depuis la nuit des temps. Son impact sur la vie des
hommes n’est plus à démontrer, ceci dit, cette relation particulière qui s’est crée au fil
des siècles a pu mettre en place des connexions d’ordre diverses, elle a, en sus, alimenté
différents imaginaires et symbolismes d’une importance capitale. Notre démarche sera
celle de repérer ces traits distinctifs permettant à ce vocable d’accéder à une dimension
supérieure au sein de ces textes. Par conséquent, nous tenterons de mettre à nu les
procédés au travers desquels se mettent en place les différentes symboliques de la mer
et la manière dont le mythe de la mer prend forme.
204
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Chapitre I
Le référent maritime et L’univers dramatique de la mer dans le discours
de Maïssa Bey et de celui de Jean-Marie Gustave Le Clézio
Avant d’exploiter l’image de la mer dans notre corpus, nous allons d’abord
aborder le référent maritime et l’univers dramatique de la mer dans les discours des
auteurs que nous avons cités. Pour ce faire, nous dresserons dans un premier temps, un
aperçu de la mer comme concept de référence spatialisante puis comme élément
naturel. Nous analyserons le contexte spatio-temporel dans les œuvres qui constituent
notre corpus et nous mettrons l’accent sur son influence sur l’image ainsi que la
psychologie des personnages. Dans un second temps, nous traiterons la question de la
valeur symbolique de la mer, pour aborder ensuite la dimension mythique de la mer
dans notre corpus. Nous évoquerons la mise en avant des environnements discursifs du
vocable mer à travers le corpus étudié.
Nous allons traiter les différentes représentations que peut véhiculer « la mer »,
dans sa composante lexicale et dans sa composante pragmatique. Nous allons analyser
les isotopies qu’elle véhicule afin d’arriver à deux discours, l’un véhiculant les motifs
de la joie et de l’amour et l’autre pathétique traduisant la tristesse.
205
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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1. La mer en tant que référence spatialisante
La mer occupe un rôle essentiel dans Au commencement était la mer et La
Quarantaine. En premier lieu, elle constitue le cadre spatio-temporel de l’action, c’est
l’élément qui encadre les faits et gestes des personnages. Ensuite, nous observons que
la mer est source de joie et de bonheur pour beaucoup de personnages dans les deux
œuvres romanesques.
Pour Nadia, principalement, la mer est source d’extase : « Tout un été au bord
de la mer ! C’est un peu comme un rêve. » (Bey, 1996 : p. 11). Son jeune frère Salim,
sa sœur Fériel et sa copine Imène trouvent dans cet espace qu’est la mer, le cadre idéal
pour leurs jeux. Chez les estivants, enfin, nous retrouvons, aussi, cette recherche de
bien-être que seule la mer semble à même de procurer. La mer est un cadre prisé par
les vacanciers, car elle est synonyme de détente et de plaisir : « Les plaisirs sont
nombreux sur la plage. » (Bey, 1996 : p. 25). Il y va de même pour les personnages de
l’œuvre de Jean-Marie Gustave Le Clézio. Léon le personnage central : « Sur Plate, le
ciel, la mer, le volcan et les coulées de lave, l’eau du lagon, et la silhouette de Gabriel,
tout est magnifique. » (Le Clézio, 1995 : p. 70). Nous retrouvons la même extase
devant la beauté de la mer chez Léon.
La mer est un élément omniprésent au sein des œuvres qui constituent notre
corpus d’analyse. Notre étude profitera de cette densité pour extraire toute la richesse
et la complexité que recouvre l’objet de notre étude : le vocable mer. Notre tâche
initiale sera de déterminer le ou les référents de mer, nécessaires pour aborder son
analyse. Car en effet, selon le référent auquel renvoie le vocable mer, son sens sera
différent.
Chez Le Clézio, les vocables ayant des relations contigües avec celui de la mer
font profusion, ainsi, océan, rivière, fleuve, lagon, plage sont employés à tous les
moments du récit. Ensuite, il nous faut aussi nous référer eu lieu où se déroule l’action
206
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
afin de déterminer le référent de mer. Nous avons clairement établis, lors du chapitre
précédent, que le cadre géographique de l’action n’était autre qu’Alger et sa périphérie
pour l’œuvre de Bey, le vocable mer désigne donc la mer méditerranée.
Cependant, nous observerons que la mer, qui est la mer méditerranée, fait
référence, dans « Au commencement était la mer… » à deux localisations spatiales et
temporelles bien distinctes, correspondant chacune à une époque différente du récit..
Par la suite, et au retour des vacances, la mer sera toujours présente, mais renverra,
cette fois-ci, à Alger (ville côtière) en automne.
1.1.1. La plage
Dans un premier temps, au début de l’œuvre de Maïssa Bey, la mer renvoit à un
cadre spatial qui est la maison de vacances prêtée par l’oncle maternel de Nadia pour
tout un été, et un cadre temporel qui est les grandes vacances d’été. La mer sera ici, la
plage. Notre héroïne Nadia découvre avec émerveillement les joies que procure la mer,
le soleil, le sable. C’est l’enchantement pour toute la famille.la mer sera ici défini par
rapport à la plage :
« […], on ose à peine ouvrir les yeux et les fenêtres sur l’immensité
saisissante et bleu de la mer […].
Chaque jour, depuis qu’ils sont là, le même éblouissement, en plein dans les
yeux, en plein dans le cœur ! » (Bey, 1996 : p. 11)
207
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Cette mer si belle, immense et éblouissante est, en plus, est si proche, à portée
de main : « Il suffit de descendre pour retrouver la plage. » (Bey, 1996 : p. 8),
« …là…, juste en bas, sur la plage… » (Bey, 1996 : p. 9). Nous supposons ainsi que le
cadre qu’offre ici la mer se situe dans la périphérie immédiate de la ville d’Alger.
208
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
L’Océan Indien occupe quelque 20% de la surface terrestre. Il fut, autrefois
appelé Mer des Indes ou Océan Oriental. Il est le troisième océan du monde en termes
de superficie et est considéré comme étant l’un des océans où la navigation est la plus
dangereuse de la planète. Les marins, lorsqu’ils empruntent cette voie de navigation
qu’est l’Océan Indien, restent en permanence sur leurs gardes, car il a la fâcheuse
réputation d’être un océan traitre.
Quant à la plus grande partie du roman, et qui est incluse dans le chapitre La
Quarantaine, elle se déroule essentiellement sur l’île Plate flanquée de son îlot
Gabriel. Ce sont deux petites îles au large de l’île Maurice. C’est sur Plate que les
passagers du navire l’Ava sont débarqués pour faire face à l’épidémie qui s’est
déclarée à bord. Une quarantaine est ainsi déclarée et les voyageurs doivent être
confinés sur cette île jusqu’à nouvel ordre :
« Nous avons débarqué à Plate, vers neuf heures, par une mer forte. Le
Dalhousie, un schooner ancien, transformé en vapeur, battant pavillon de la
marine britannique, nous a pris à l’aube dans la rade de Port-Louis, par
une coupée reliée directement au pont inférieur de l’Ava. Vers midi, le
schooner a mouillé au sud-est de l’île Plate, mais le vent violent et la houle
nous ont obligés à attendre jusqu’en fin d’après-midi. Deux canots ont enfin
été mis à la mer pour l’opération du débarquement des passagers. » (Le
Clézio, 1995 : p. 62).
Nos protagonistes vont survivre quarante jours sur cette île jusqu’à cette
fameuse journée du 7 juillet 1891 durant laquelle ils vont enfin pouvoir rejoindre leur
destination finale.
1.2.2. La Yamuna
Comme nous l’avons décrite en deuxième partie de notre travail, une des
particularités du roman de La Quarantaine est cet enchevêtrement et emboitement de
plusieurs récits les uns dans les autres, et les uns à la suite des autres. Tel est le cas du
209
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
récit intitulé La Yamuna, qui vient faire son apparition dans le chapitre intitulé La
Quarantaine. La Yamuna est une rivière d’Inde, elle est un affluent du Gange et est
considérée comme étant l’une des sept rivières sacrées de l’Inde.
« Où vas-tu maintenant ?
- Je ne sais pas, a dit Giribala.
- Nous allons à Viranasi, a dit Lil.
- Moi je vais le plus loin que ce fleuve peut aller, a dit Giribala.
Lil s’est mise à rire.
- Alors tu vas jusqu’à la mer. C’est ça le plus loin que va le
fleuve. » (Le Clézio, 1995 : p. 201)
210
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
que la mer qui va accueillir la dernière partie du roman est une mer d’été. Cette
dernière se caractérise par son aspect calme, chaud et convivial.
Cette ultime portion du récit verra Léon partir sur les traces des derniers lieux
ayant abrité le poète Arthur Rimbaud : « Et lui, l’autre, a-t-il boitillé jusqu’aux
grands platanes de l’entrée […] ? […] pour regarder la mer au loin, entre les toits de
la ville et les collines, confondues à la taie laiteuse du ciel ? » (Le Clézio, 1995 : p.
540).
Cependant, il est à présent avéré que dans notre corpus, la mer occupe des rôles
multiples à l’intérieur de nos deux récits. La mer entretient des rapports avec l’espace,
car elle définit souvent l’espace où se déroule l’action, comme elle est liée, à d’autres
moments aux saisons, au temps dans son aspect général. Cependant, nous émettons
l’hypothèse selon laquelle la mer participerait aux événements de la diégèse de par les
rapports qu’elle entretient avec d’autres acteurs à l’intérieur de notre corpus à l’instar
des autres éléments du climat, ou même les personnages qu’elle accueille en son sein.
1
- A.J.Greimas, Du Sens, Ed. du seuil, 1970, pp188. 189.
2
- Rastier définit la molécule sémique comme étant un: « Groupement stable de sèmes, non nécessairement
lexicalisé, ou dont la lexicalisation peut varier (un « thème », quand il peut être défini sémantiquement, n’est
rien d’autre qu’une molécule sémique). François Rastier, Sémantique interprétative, PUF, 1996, p. 277.
211
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Au commencement était la mer est une œuvre dont le contexte spatial est, à
toutes les époques du roman, la mer. Pour la première partie, celle des vacances, les
événements se déroulent au bord de la plage. Pour les parties suivantes, le cadre
contextuel n’est autre qu’Alger et sa périphérie, Alger qui ne saurait se séparer de sa
grande voisine la mer avec laquelle elle se confond.
Dans cette œuvre l’acteur mer est intimement lié à l’acteur climat dont
l’interaction (beau temps, mauvais temps) à une conséquence directe sur la molécule
sémique du vocable mer. En effet, cette molécule se transforme selon la saison
pendant laquelle la mer est décrite. Nous nous contenterons d’établir un tableau qui
mentionne les sèmes afférents qui disent le vocable mer et le relient à une saison
particulière. Nous avons délibérément choisi de n’évoquer, dans le tableau qui suit,
que les deux saisons majeures que sont l’été et l’hiver pour la simple raison que les
sèmes de la mer durant la saison qu’est le printemps seront, à un très grand point,
similaires à ceux de l’été. Il en est de même pour les sèmes de la saison d’automne
avec ceux de l’hiver.
Cette analyse lexicale devra souligner le lien sémique qui rattache la mer à
l’acteur climat, formé au palier mésosémantique (c’est-à-dire relatif à un domaine
sémantique) de plusieurs actants tels que soleil, nuages, vent.
Ainsi, nous procéderons, dans le tableau qui suit, au tri des différentes
lexicalisations qui décrivent la mer sous un double aspect : beau temps et mauvais
temps. Nous y signalerons les sèmes générés par ces lexicalisations :
212
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
- immobilité
- agitée
- brillance
- bleu
SEMES AFFERENTS - eau très froide
- eau chaude
DE MER
- silencieuse
- sonore
- immensité
La première remarque que nous pouvons faire à la lecture de ce tableau est que
trois sèmes sont partagés par les deux colonnes (beau temps/mauvais temps); le sème
3
- Petit Larousse Illustré, Bordas, 1968, p. 447.
213
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
/mouvement/ de la mer qui, selon les saisons, est agitée (en hiver) ou bien immobile
(en été). Nous noterons que le sème /mouvement/ est la conséquence de la présence ou
non du vent. Le deuxième sème /température/ de l’eau qui est, elle, basse (en hiver)
ou haute (en été), correspond à l’omniprésence du soleil au courant de la saison
estivale notamment ou, au contraire, à son absence ou rareté durant les saisons froides.
Le troisième sème partagé est le sème /son/ produit par la mer. Cette dernière est
sonore (en hiver) ou alors silencieuse (en été). Ce dernier sème est la conséquence
directe de la présence ou pas, de vagues.
214
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
part, et d’une autre part, elle constitue un adjuvant facilitant l’aboutissement de la
quête de nos héros.
Cependant, cette mer est loin d’être une surface immense, immobile,
silencieuse et fade. Bien au contraire, cette mer se signale au fil des pages du corpus,
par des couleurs différentes et par des bruits caractéristiques lui prodiguant une
apparence certaine et une voix expressive. Dans La Quarantaine, la mer est un espace
vivant, influant, elle participe à l’action en se rappelant toujours au bon souvenir des
autres personnages mais aussi à celui des lecteurs attentifs.
Notons que la mer de Le Clézio n’a jamais la même couleur, elle se drape
d’habits différents, de couleurs particulières au gré du temps qu’il fait, mais aussi et
surtout au fil des événements qui se produisent et aux humeurs des protagonistes.
Le tableau suivant met en relief les différentes couleurs qui sont celles de la
mer dans le roman de Jean-Marie Gustave Le Clézio :
215
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Lexicalisations couleur
- « […], la mer est d’un bleu profond, […] » (p. 75) - Bleu profond
- « […], d’une couleur que je n’ai jamais vu, verte, - Bleue/ verte/
bleue, mais comme si la lumière sortait d’elle et rayonnante
rayonnait jusqu’au fond du ciel. » (p. 108)
216
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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De prime abord, nous remarquons, à la lecture de ce tableau, que la couleur de
la mer leclézienne est loin d’être unique. Le bleu comme le vert sont des couleurs
souvent rencontrées lors des descriptions de la mer. Ceci dit, certaines couleurs et
nuances sont pour le moins inhabituelles ou rares lorsque nous évoquons les teintes de
la mer. Ainsi il n’est pas fréquent que la mer soit affublée de la couleur de la boue,
c’est-à-dire la couleur marron, de la même manière le rapprochement entre la couleur
de la lave, rouge foncé incandescent, et celle de la mer et pour le moins inattendu.
Cependant, nous pouvons mettre ce rapprochement entre couleur naturelle de la mer et
entre les couleurs que sont le rouge ou même la teinte de l’or, sur le compte de
l’intervention du soleil qui, au travers des rayons qu’il envoie au coucher, donne à la
mer des reflets rouges sang, marrons et parfois couleur d’or.
La mer est aussi décrite chez Le Clézio comme noire ou sombre, elle est même,
à d’autres reprises, d’un bleu violent ou violacé. Ces couleurs et caractérisations
donnent à la mer un aspect d’un personnage, car elles renvoient à l’obscurité et la
violence que seuls des actants du récit peuvent revêtir. Ce fait se confirme lorsque la
mer se trouve dite verte de colère, à l’instar d’un protagoniste de la diégèse capable
d’éprouver des sentiments ou d’exprimer des émotions. De la sorte, Le Clézio arrive,
au travers du procédé de la personnification4, à faire de la mer un actant à part entière à
l’intérieur de son récit.
4
- La personnification est une figure de style qui permet de représenter un élément inanimé ou un animal à
l’aide de caractéristiques ou d’attributs humains.
217
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Lexicalisation sons
74)
111)
- Rumeur rassurante
- « […], à la rumeur de la mer. » (p. 129)
218
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Si nous devions classer les sèmes relatifs aux sons que produit la mer ceci
donnerait, du son le plus faible au plus fort : froissement léger/ rumeur rassurante/
rumeur/ bruissement/ rumeur générale/ bruit/ bruit fort/ grondement/ grondement
continu.
Synthèse
Nous avons tenté, à travers ce chapitre, de décrire dans un premier temps, la
mer beyienne et celle leclézienne. En tant que référent spatial, la mer est un vocable
générique qui peut renvoyer à des mers différentes localisées de manières disparates
sur la surface du globe. Il nous parait indispensable de délimiter ces espaces et de les
repérer afin de peaufiner notre analyse et la rendre plus objective.
Dans un deuxième temps, notre tâche était celle de replacer la mer dans son
contexte originel en tant qu’élément naturel majeur. Cependant, la mer est loin d’être
une masse immense, immobile, silencieuse et uniforme. La mer est un espace de vie,
mais c’est aussi et surtout un espace vivant, changeant et doté de caractéristiques
animées. Ainsi, ses états sont multiples, autant que les sons qu’elle produit et les
couleurs dont elle se pare.
Cette étude permettra, dans le chapitre qui suit, de mettre en évidence les
différentes représentations symboliques issues de ce référent textuel majeur qu’est la
mer.
219
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Chapitre II
La valeur symbolique de la mer
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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1. La notion de symbole
Avant de nous étaler, plus loin sur la notion de valeur symbolique en l’illustrant
à travers des exemples concrets, nous devons au préalable clarifier certains concepts
clés à commencer par celui de symbole.
Ceci nous pousse à penser que le symbole est aussi un substitut représentatif.
Nous allons dire très simplement que le symbole est un mot qui représente une chose
abstraite, qui est l’image d’une chose et dès lors, nous aurons affaire à un couple
symbolisé/symbolisant. Ceci dit, cette association de deux termes, l’un évoquant
l’autre, ne se fait pas fortuitement. Le mécanisme de la symbolisation obéit à certaines
règles. Ce processus se forme à partir de mécanismes multiples et différents :
1
- Le terme désigne un morceau de terre cuite qui était partagé en deux et dont chaque morceau était
conservé par deux familles vivant dans des lieux séparés : quand un membre d’une famille devait être reçu
chez l’autre, il lui était possible d’exhiber le morceau manquant du "symbalon" et de le recoller à l’autre, en
montrant par là qu’il s’agissait bien d’un membre de la famille alliée. On héritait du "symbalon" que l’on se
transmettait à travers les générations.
2
- O.Ducrot,J-M.Schaeffer, Nouveau dictionnaire encyclopédique des sciences du langage, Ed. du Seuil,
1995, p. 264.
3
- J.Paulus, la fonction symbolique du langage, Ed. Charles Dessart, 1969, p. 14.
221
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
La symbolique quant à elle, est l’étude des clés qui permettent d’interpréter les
symboles. Sans être radicalement différente du symbolisme -comme courant littéraire-
pour ce qui est de la méthode employée, la symbolique s’en distingue dans la mesure
où elle vise à la description d’un vocabulaire, référé en particulier au mental.
Jean Paulus explique que :
4
- Luc Benoist, Signes, symboles et mythes, Que sais-je ?, Presses Universitaires de France, 1975, 10 ème
édition : 2009, mai, p. 6. ISBN 978-2-13-057612-19.
5
- Carl Gustav Jung, L’homme et ses symboles, éditions Robert Laffont, 2002, première édition 1964, p. 38,
ISBN 2221027205.
222
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
l’opposition des contraires, tout en rappelant que cette ambivalence nous rappelle en
réalité notre propre ambivalence.
Corinne Morel va encore plus loin dans son approche du concept de symbole :
6
- J. Chevalier et A. Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1969, édition
revue et corrigée, Paris, 1982, « Introduction » p. XIII. ISBN 978-2-221-08716-9.
7
- H. Corbien, Corps spirituel et terre céleste, éditions Buchet Chastel, 2015,p. 38. ISBN 978-2283028810.
8
- Corinne Morel, Dictionnaire des symboles, mythes et croyances, éditions de l’Archipel, Espagne, 2005, p.
11.
223
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Cette définition semble faire figure de résumé de toutes les autres, car elle fait
appel à tous les éléments précédemment cités.
Le symbole finit donc par constituer un langage en soi, un langage bien vivant,
issu d’une observation minutieuse, contemplative et attentive de l’univers qui nous
entoure. L’expression symbolique reposera donc, dans tous les cas de figure, sur ce
rapport unissant le symbole –qui stimule- et l’être –qui perçoit-, ouvrant ainsi une
brèche communicationnelle au travers de laquelle s’achemineront, d’une part, le sens
figuré d’un terme ou d’une expression et, d’autre part, le désir et l’attente d’une
réalisation signifiante.
« Dire et vouloir dire ne sont pas toujours une seule et même chose, et c’est
dans cet écart entre l’un et l’autre que l’interprétation a sa source ;
l’interprétation va toujours d’un premier sens à un second. Cette dualité de
sens est particulièrement caractéristique du symbole » 9
9
- Paul Ricoeur, De l’Interprétation : essai sur Freud, éditions du Seuil, 1965, pp. 21-22. ISBN 978-
2020236799.
224
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Pour expliciter notre propos et tracer notre démarche, il nous faut distinguer le
symbole en sa qualité d’image de toutes les autres (emblème, métaphore, allégorie,
attribut et analogie), car il se trouve que bien souvent des confusions participent à
l’amollissement du sens du terme même de symbole.
Ces images que beaucoup confondent trop souvent avec symbole ne se réalisent
qu’en leur qualité de signe et se trouvent, de ce fait, cantonnées au simple stade de la
signification sans jamais prétendre dire plus ou dire autrement. Quant au symbole, il
s’en distingue de par sa nature même, car lorsque le signe est défini par Saussure
comme étant éminemment arbitraire laissant de ce fait le signifié étranger au signifiant
et vis versa, le symbole lui se fonde sur ce que Gilbert Durand décrit comme l’
« homogénéité du signifiant et du signifié au sens d’un dynamisme organisateur »10.
Durand va encore plus loin en affirmant qu’« on peut dire que le symbole possède plus
qu’un sens artificiellement donné, mais détient un essentiel et spontané pouvoir de
retentissement »11.
10
- Gilbert Durand, Les structures anthropologique de l’imaginaire : introduction à l’archétypologie
générale, Dunod, Paris, 1992, p. 20, Bordas, Paris, 1969 pour la première édition. ISBN 2-10-001415-3.
11
- ibid, pp. 20-21.
225
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
cerner la valeur symbolique du vocable mer et ceci au travers d’un tour d’horizon des
différents dictionnaires des symboles. Ce tour d’horizon nous permettra de déceler le
matériau symbolique inhérent au vocable mer.
Nous commencerons par nous pencher sur la symbolique de la mer telle que
Jean Chevalier en parle dans son dictionnaire :
L’image de la vie est intimement liée à celle de la mer. Cette dernière est la
source des naissances et des renaissances, mais cette vision est loin d’être la seule, en
effet, la mer symbolise aussi la mort, car elle inspire le doute, la peur et l’effacement.
Mais la mer est l’espace de l’incertitude et de l’indécision, en un mot : nous nageons
dans tous les possibles lorsque nous sommes dans la mer.
Myriam Philibert quant à elle, donne la symbolique suivante à la mer dans son
Dictionnaire des symboles fondamentaux :
12
- Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1969, édition
revue et corrigée, Paris, 1982, p. 623. ISBN 978-2-221-08716-9.
13
-Myriam Philibert, Dictionnaire des symboles fondamentaux, éditions du Rocher, Monaco, 2000, p .256
226
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Corinne Morel parle aussi de la mer en ces termes : « Le mer est le symbole de
la matrice universelle, des eaux primordiales, du lieu originel existant avant toutes
choses. […], la mer est par excellence la mère de l’univers, du cosmos et de
l’humanité. »14.
« […], elle génère la vie, mais l’absorbe de la même façon. Elle n’est pas
un lieu fermé […], mais un univers en formation permanente, en mouvement
constant, sans cesse en transformation. […] en son sein, la vie est riche et
multiple, et qu’elle s’enrichit et de démultiplie encore à tout instant. »15
Il nous faut avouer que depuis la nuit des temps, la mer revêt un caractère pour
le moins universel. Nous la retrouvons à toutes les périodes, dans toutes les
civilisations, même les plus anciennes, elle est aussi au centre des récits les plus
importants de l’humanité. Toujours chantée, décrite et même vénérée, elle berce
depuis toujours les rêves des poètes comme ceux des marins voyageurs.
14
-Corinne Morel, Dictionnaire des symboles, mythes et croyances, éditions l’Archipel, Espagne, 2005, p.
592.
15
- Didier Colin, Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes, Hachette, Italie, 2001, p. 357. ISBN
2-01-23-6304-0.
227
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Mais, Catherine Pont-Humbert, dans son Dictionnaire des symboles, des rites et
des croyances, parle de l’eau en ces termes : « Parce que l’espèce humaine est issue
du milieu liquide, parce que notre corps est composé aux trois quarts d’eau, parce que
le sang de la terre c’est l’eau, parce que le sperme et la sève sont eau, elle est
l’élément primordial entre tous. »18. Ainsi, pour Catherine Pont-Humbert, l’eau,
certes, est l’un des quatre éléments de base, cependant, elle juge l’eau au-dessus des
trois autres éléments du fait de son importance capitale pour la vie terrestre. L’eau est,
de ce fait, l’élément incontournable d’entre tous qui sans lequel, rien n’appartiendrait
au domaine du possible.
16
- Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1969, édition
revue et corrigée, Paris, 1982, p. 684. ISBN 978-2-221-08716-9.
17
- Corinne Morel, Dictionnaire des symboles, mythes et croyances, éditions l’Archipel, Espagne, 2005, p.
345.
18
- Catherine Pont-Humbert, Dictionnaire des symboles, des rites et des croyances, éditions J-L Lattès, Paris,
1997, p. 159. ISBN 2.01.278813.0.
228
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Au-delà donc du fait que l’eau fait partie intégrante des éléments majeurs, les
différentes symboliques de l’eau se rapportent à trois grands thèmes dominants :
- source de vie,
- moyen de purification,
- centre de régénérescence.
Dans les mythologies les plus anciennes, l’eau se trouve toujours opposée au
feu, comme la mer est opposée au soleil. Mais en même temps, comme tout symboles
forts, ils entretiennent cette dualité originelle qui fait que l’eau demeure intimement
liée au feu, nous dirons plus, ils sont complémentaires.
Néanmoins, les eaux agitées, les flots déchainés sont porteuses d’une
symbolique négative, elles signifient le mal, car elles sont annonciatrices de grands
malheurs et de grandes calamités, elles peuvent engloutir et ravager. C’est ainsi que
l’eau peut devenir synonyme de disparition et faire œuvre de mort. Nous dirons dans
19
- Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1969, édition
revue et corrigée, Paris, 1982, p. 377. ISBN 978-2-221-08716-9.
229
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
de tels cas que l’eau est animée d’une puissance mauvaise et qu’elle traduira le
désordre.
Ainsi, il apparait clairement que les eaux sont représentatives du cours que suit
l’existence humaine, ses hauts et ses bas, les fluctuations des désirs de l’être et de ses
sentiments : « De la source au ruisseau, du ruisseau à la rivière, de la rivière au
fleuve, du fleuve à la mer, de la mer à l’océan, de l’océan au ciel, du ciel à la terre,
l’eau est le cycle de la vie. »20, cette fameuse chaine dont les maillons nous renvoient
inlassablement vers le mythe de l’éternel retour, vers ce cycle où toutes les étapes
s’enchainent et se suivent de manière à favoriser la renaissance et la régénération.
L’eau joue aussi un grand rôle dans les représentations symboliques des
grandes religions monothéistes. L’eau est le symbole, dans la tradition judéo-
chrétienne, de l’origine de la création. Dans l’alphabet hébreu, la lettre mem (M) est le
symbole de l’eau, l’eau sensible. Elle se confond avec mère et avec matrice. L’eau
représente la boisson fondamentale par excellence, elle nourrit les êtres, comme le lait,
considéré comme l’élément nutritif le plus puissant, qui représente une eau
‘maternisée’.
L’Islam quant à lui, délivre une symbolique différente à l’élément aquatique.
Religion née dans un environnement sec et aride, et qui trouve dans ses zones
d’expansion de nombreux déserts et territoires asséchés par un climat très chaud, la
recherche de l’eau est une quête primordiale. C’est pour cette raison que l’eau, les
sources, oasis et jardins sont au cœur de l’imaginaire musulman. L’eau figure comme
élément essentiel des représentations du paradis en Islam qui est souvent décrit comme
un jardin dans lequel coulent des ruisseaux. N’omettons pas de rappeler que l’eau est
au centre du processus de purification en Islam de par les ablutions que doivent
pratiquer les fidèles avant d’accomplir leurs prières.
20
- Didier Colin, Dictionnaire des symboles, des mythes et des légendes, Hachette, Italie, 2001, p. 198.
ISBN 2-01-23-6304-0.
230
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Pour terminer, l’eau recèle, dans les traditions monothéistes, de grandes vertus
bienfaitrices et mêmes curatives, citons à titre d’exemple l’eau du puits de Zemzem
qui se trouve à la Mecque et qui est apparue de façon miraculeuse afin de sauver
l’ancêtre des Arabes, Ismaël, de la soif, ainsi que l’eau de Lourdes qui possède, selon
les Catholiques, des vertus de guérison.
Chez les anciens Grecques, l’Océan est représenté par un dieu relativement
tranquille et paisible, régnant sur les mers sans heurts et sans éclats. Ainsi les aspects
mythologiques de l’Océan se rattachent de manière sensible à ses fonctions
symboliques en ce sens où il est la représentation parfaite de la vie et de l’eau.
Voici dans quels termes Jean Chevalier en traite dans son Dictionnaire des
symboles :
231
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
La vie, la mort et la fertilité sont des paramètres symboliques qu’il nous est déjà
arrivé de croiser dans les différentes symboliques que nous avons pu voir et traiter
jusqu’à maintenant et qui sont partagés par le symbole du fleuve.
Ce qui est nouveau ici, c’est cette notion d’écoulement des eaux du fleuve. Là
où la mer et l’océan ne sont que des immensités somme toute inertes, le fleuve lui
procède d’une manière différente, car il intègre un mouvement qui lui est propre et qui
va de la source vers la mer, dans une continuelle et perpétuelle dynamique.
21
- Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1969, édition
revue et corrigée, Paris, 1982, p. 990. ISBN 978-2-221-08716-9.
22
- ibid p. 449.
232
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
La symbolique du fleuve est aussi riche de par le : « Principe de vie par l’eau
qu’il véhicule, le fleuve est aussi le symbole du passage d’un monde à l’autre. »23,
ainsi le fleuve est aussi cet espace qui fait couler la vie de par ses mouvements
d’écoulement naturels.
Historiquement parlant, c’est au bord des fleuves que les plus grandes
civilisations ont vu le jour, le Tigre et l’Euphrate ont vu s’épanouir sur leurs rives la
grande civilisation de Mésopotamie, le Nil lui a bercé la grandeur les Pharaons
égyptiens. C’est pour cette raison que nombre de civilisations antiques vouent un culte
particulier aux fleuves. Dans la mythologie grecque, l’Océan, représenté par le dieu
Okéanos, personnifiait le grand fleuve primordial qui entourait la terre.
Le fleuve chez les Grecs était considéré comme un dieu, fils de l’Océan et père
des Nymphes. Les habitants des rives des grands fleuves leur offraient sacrifices et
offrandes en noyant dans leurs flots des animaux vivants. Ainsi, les plus puissants
taureaux et les plus beaux chevaux étaient sacrifiés à l’autel des fleuves pour avoir les
faveurs de ce dieu et éviter à la population sa colère et sa furie. Ainsi, l’admiration
portée par les hommes à l’élément liquide est bien réelle depuis la nuit des temps.
Cette admiration peut atteindre parfois, comme chez les anciens Grecs, le stade de
l’adulation.
« Comme dans les flammes ou les nuées, la plongée dans les flots indique
une rupture avec la vie habituelle : un changement radical va se produire
dans les idées, les attitudes, le comportement, l’existence. Symbolisme à
23
-Corinne Morel, Dictionnaire des symboles, mythes et croyances, éditions l’Archipel, Espagne, 2005, p.
404.
233
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Ce qui est distinctif du symbolisme des flots par rapport à celui de l’eau, c’est
cette action de plongée dans les flots et qui est hautement significative d’une
expérience de l’être et de l’âme. Le fait de rentrer dans les flots est synonyme de
purification et d’effacement, quant à la résurgence elle symbolise la renaissance, la
nouveauté et la primauté.
« Il lui a souri ce matin lorsqu’elle passait près de lui. Elle sent, sans même
tourner la tête, la brûlure de son regard sur elle, plus forte encore que la
brûlure du soleil.
De temps à autre, leurs regards s’effleurent puis se dérobent aussitôt saisis.
Un curieux malaise est en elle. Un sentiment indéfinissable. Un peu comme
un mal dont on a la prescience sans pouvoir en situer ni les causes ni
l’étendue. » (Bey, 1996 : p. 35)
24
- Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1969, édition
revue et corrigée, Paris, 1982, p. 450. ISBN 978-2-221-08716-9.
234
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
redondant de catégories sémantiques qui rend possible la lecture uniforme du récit, tel
qu’elle résulte des lectures partielles des énoncés et de la résolution de leurs
ambiguïtés qui est guidé par la recherche de la lecture unique. »25
Le tableau ci-dessous reprend les sèmes génériques d’/amour/ dans le texte, afin de
l’amplitude de l’isotopie amoureuse :
25
- A-J. Greimas, Pour une théorie de l’interprétation du récit mythique, Communications, 8, 1966, p. 30.
26
- François Rastier, Sémantique interprétative, PUF, 1996, p. 91.
27
- Rastier définit le rôle comme un « type d’interactions entre acteurs au sein de graphes thématisés. Il (le
rôle) est défini relativement à un acteur, qu’il contribue ainsi à caractériser.»
235
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Sèmes
génériques Lexicalisations
d’amour
Ceci dit, nous relèverons par ailleurs, un rapprochement pertinent entre les deux
acteurs Nadia et Karim, du fait du sentiment amoureux les réunissant, et deux autres
236
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
acteurs que sont la mer et le soleil du fait de la récupération, pour chacun des deux
derniers, des sèmes génériques relatifs au domaine /amour/ introduits par la relation
amoureuse entre Nadia et Karim. Cela donnera naissance à deux couples Nadia/mer,
Karim/soleil partageant les mêmes sèmes.
Nous remarquerons, aussi, que les rôles de ces deux couples s’intervertiront, et
de temps à autre, fusionneront. En d’autres termes, il arrivera que Nadia prenne
l’image de la mer et Karim celle du soleil.
Mais ces sentiments, que la mer fait naître en Nadia, lui rappellent son
incapacité d’agir, de faire, de dire et de transgresser puisqu’elle Nadia, elle, est tout le
contraire de la mer. Elle, Nadia, elle est faible, soumise, pendue aux lèvres, au bras,
aux doigts d’un homme qui lui prodiguera le droit d’avoir ou de ne pas avoir de droits.
« L’étau qui se resserre sur elle, sur toutes ses pareilles. Rebelles, encore. Arrogants
et nus, disent-ils, ces hommes ont juré de les soumettre ! » (Bey, 1996 : p. 56).
Mais Nadia veut se battre, elle veut aller au-delà de ces lois qu’elle trouve
absurde : « Au nom de quelles lois absurdes, incompréhensibles doit-elle toujours
renoncer a dire, a faire ? » (Bey, 1996 : p. 10), « Des blessures incessantes qui lui
28
-Gaston Bachelard, Poétique de l’espace, PUF, Paris, 1957.
237
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Nadia erre dans un monde qu’elle ne comprend pas, qu’elle n’assume pas, et
auquel elle ne reconnaît pas la moindre légitimité :
Métaphore à double sens puisque pour dire le tumulte de Nadia, l’auteur nous
renvoie d’abord à une image forte et concrète qui est celle de la mer agitée (tumulte
des vagues battant le rocher). Autre métaphore, autre tentative d’identification à la
page 72 : « La douceur et la violence de l’homme (Karim) qui dérive seul et se noie
dans son corps offert (corps de Nadia), puis se retire s’en vont, sans attendre qu’elle le
rejoigne.».
238
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
La notion de séparation est introduite ici, comme ce qui en est de deux êtres
profondément lié. La mer, quant à elle, ne va plus être l’immensité, bien au contraire,
la mer devient une flaque, une flaque immobile de surcroît.
La mer deviendra aussi inutile, incapable de protéger Nadia, incapable de la
réconforter.
Le sentiment amoureux perceptible chez les deux acteurs introduit les sèmes
relatifs à l’amour. Nous avons vu comment un de ces deux acteurs, Nadia, partageait
les mêmes sèmes qu’un autre acteur du récit : la mer. La mer est devenue ainsi le
miroir des sentiments de Nadia.
Pour se faire, nous avons établi un tableau retraçant les sèmes afférents partagés
par ces deux personnages, et ceci à travers les différentes lexicalisations tirées du
corpus, notre but étant de montrer l’alchimie existante entre ces deux visages
romanesques :
239
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
SOLEIL KARIM
LEXICALISATIONS SEMES SEMES LEXICALISATIONS
INHERENTS INHERENTS
-« soleil trop chaud » /chaleur/ /Chaleur/ -« chaleur »(p. 43)
(p. 37) -« chaleur »(p. 44)
-« chaude torpeur »
(p. 23)
-« vibrations de la
chaleur » (p. 41)
-« chaleur »(p. 60)
-« chaleur »(p. 65)
-« brûlure vive »(p. 23) /brûlure/ /brûlure/ -« brûlure de son
-« brûlure au soleil » (p. regard »(p.36)
27) -« brûlure douce »
-« brûlure »(p. 36) (p. 43)
-« lumière » (p. 53) /Luminosité/ /Luminosité/ -« lumière »(p. 47)
-« lumière » (p. 57)
-« netteté /Netteté/
tranchante »(p. 41)
-« clarté insoutenable » /Clarté/
(p. 41)
-« miroitement » (p. 41) /Miroitement/
-« éblouie par un /éblouissement/
soleil… » (p. 33)
240
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
hérités par Karim, confirment l’isotopie amoureuse et lui confèrent une dimension
érotique.
241
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
C’est pour cette raison que nous nous proposerons d’étudier les différentes
relations et corrélations entre ces acteurs afin de repérer les liaisons et les dualités
symboliques qui peuvent s’en dégager.
- Robert Smajda, L’espace psychanalytique, théorie et pratique, in Littérature et espaces, Actes du XXXe
29
Congrès de la Société Française de Littérature Générale et Comparée, éditions Pulim, France, janvier 2003.
242
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
différentes les unes des autres répondent des motifs tout aussi différents qui participent
à la construction des figures de l’iléïté30.
L’iléïté consacre donc cette rupture avec le continent, avec l’ailleurs tout en
cultivant la dualité et l’ambivalence de sa propre représentation, c’est ce que Edgar
Morin appelle « le principe dialogique »31. L’île est aussi un monde en miniature,
l’image du microcosme par excellence, d’ailleurs, pour ses habitants, l’île est le centre
du monde, car elle n’est rattachée à rien, elle est née et architecturée par l’océan :
« […], l’île, qui est un pays de nulle part, donnera d’elle, selon les angles de visés, des
images différentes. Mais ce n’est pas tout : selon le déchiffrement qui sera fait de ces
images, elle suggèrera des fonctions elles-mêmes diverses. » 32
Ainsi, pour entamer la plus longue partie du récit, Le Clézio place son lecteur
dans un espace objectivement situé dans une réalité géographique. Cette description de
Plate touchera, quelques lignes plus bas, la genèse de sa création : « Née de la
formidable poussée volcanique qui a soulevé le fond de l’océan il y a dix millions
30
- Voir à ce sujet les travaux d’Anne Meistersheim de l’Université de Corse au sein du laboratoire IDIM
(Institut de Développement des Iles Méditerranéennes) qui visent à distinguer les approches, à la fois
différentes, mais aussi complémentaires, relatives aux termes « insularité », « insularisme » et « iléïté ».
31
- Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, éditions Points, 2014, p. 34. ISBN 978-2757842003.
32
-Ile des merveilles, mirage, miroir, mythe, Colloque de Cerisy, Daniel Reig, éditions l’Harmattan, Paris,
1997, p. 10. ISBN 2-7384-5259-0.
243
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
d’années, l’île a d’abord été rattachée à Maurice par un isthme qui s’est lentement
enfoncé dans l’océan. » (Le Clézio, 1995 : p. 61).
L’espace de l’île dans notre roman est bien un espace physique et réel, un
espace de perception en premier lieu. Cependant, on ne peut nier que l’île demeure
dans ce roman, l’objet de la quête des personnages. C’est vers Maurice que s’orientent
toutes les espérances et tous les rêves, c’est vers cet espace que sont portés les désirs
du retour aux sources : « L’île promise était loin […] » (Le Clézio, 1995 : p. 351).
Notons ici la promiscuité entre île promise et terre promise au sens biblique du
terme, ce rapprochement proférant de ce fait un caractère quasi sacré à l’île Maurice,
car elle représente la terre des aïeux, celle où tout a commencé. La métaphore de la
rêverie de l’île se poursuit : « L’île était à l’autre bout des nuits, après un long temps
dans le ventre de l’Ishkander Shaw, comme s’ils avaient été avalés par un monstre
marin. » (Le Clézio, 1995 : p. 352), l’île est dans ce passage, au bout de la nuit, elle
s’oppose ainsi à l’obscurité et devient la lumière qui guide nos héros dans leur quête.
Héros assimilés, dans cet extrait, à Jonas, autre référence aux textes sacrés, qui fut
englouti par un monstre marin. Le texte leclézien intègre donc une valeur symbolique
touchant au sacré lorsqu’il traite du thème de l’île.
Mais cette représentation est loin d’être la seule dans l’œuvre, en effet l’île
Plate semble revêtir un aspect vivant dans La Quarantaine : « J’entends le bruit de la
mer qui vient, et cette vibration sourde qui semble sortir du socle de l’île. » (Le
Clézio, 1995 : p. 138). Au début, Léon ne comprend pas bien à quoi cette vibration
est-elle due :
Mais elle se rappelle à lui, cette sensation au fond de son être : « […], une
longue vibration qui résonne dans le socle de l’île. C’est cette vibration que j’ai
244
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
entendue, lorsque je me suis couché l’oreille contre la terre, la première nuit que nous
avons passée à Palissades. » (Le Clézio, 1995 : p. 175). L’île Plate revêt ici une
dimension vivante, elle n’est pas cette terre silencieuse, passive à laquelle on pourrait
s’attendre.
Ainsi, Plate se dresse contre l’immobilité, son alliance avec la mer, le vent et le
soleil, lui prodigue cette puissance nécessaire pour se manifester en ceux qu’elle porte
sur sa surface : « Le soir, j’avais le cœur qui battait la chamade. Il y avait cette
vibration, au fond de moi, qui se mêlait au bruit de la mer sur les récifs, au
caquètement incessant des oiseaux de mer. » (Le Clézio, 1995 : p. 383).
« Il y a trop de clarté, et cette vibration, dans le socle de l’île, une onde qui
traverse le basalte et qui vient jusqu’à moi, me fait trembler sur mes jambes. » (Le
Clézio, 1995 : p. 299), la force de la vibration est soulignée dans ce passage, Léon la
ressent jusque dans ses membres, qu’elle fait trembler, presque vaciller.
« C’est cela, je le sais bien maintenant, c’est la mémoire qui vibre et tremble en moi,
ces autres vies, ces corps brûlés, oubliés, dont le souvenir remonte jusqu’à la surface
de l’île. » (Le Clézio, 1995 : p. 300), Léon finit par comprendre, par tirer sa propre
conclusion, sa représentation à lui, cette vibration est produite par tous ceux qui l’ont
précédée sur l’île, ceux dont les cadavres furent brûlés sur des bûchers géants, leurs
cendres mêlées au vent, à la terre, à la mer. Et qu’est-ce que l’île sinon
l’entremêlement de tous ces éléments ? Cette vibration c’est ce tout, cette union
tellement puissante qu’elle est présente dans son absence même, et sa présence se
manifeste à tous ceux qui sont sur la surface de Plate au travers de cette vibration
omniprésente, accompagnant les vivants et leur rappelant les morts. Et Léon qui
poursuit : « J’écoutais le vent, j’écoutais le bruit de mon sang, le froissement léger de
la mer. Et cette vibration, comme au fond de l’océan, qui grandissait en moi, le
tremblement de la mémoire. » (Le Clézio, 1995 : p. 318), comme si notre héro était le
réceptacle de tous les bruits qui l’entouraient, d’une part, et le corps à travers lequel
résonne le mouvement de la mémoire, d’une autre part. Cette vibration est
contagieuse, elle nait du fond de l’île pour retentir en Léon pour qu’il ne puisse
oublier.
245
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
« Le soleil est par excellence l’astre de vie. Parce qu’il éclaire et réchauffe,
il est en outre l’élément qui révèle et qui manifeste. Platon insiste
particulièrement sur cette fonction, en faisant du soleil le symbole du Bien,
de la lumière et de la connaissance. »33
Corinne Morel traite de la symbolique du soleil en ces termes, insistant sur les notions
de bien, de lumière et de connaissance. Cependant, comme tout bon symbole qui se respecte,
le côté ambivalent du soleil est bel et bien présent, comme nous le rappellent Jean Chevalier
et Alain Gheerbrant, dans leur Dictionnaire des symboles : « Il est considéré comme
fécondateur. Mais il peut également brûler et tuer. »34.
Nous pouvons de ce fait, attester que le soleil est aussi riche de représentations
que ces dernières sont multivalentes. Il est une source de vie sur terre, car ses rayons
de lumière et sa chaleur participent à l’épanouissement terrestre. Néanmoins, il
personnifie aussi la destruction en ce sens où il s’oppose à la pluie, à l’eau, et
provoque la sécheresse. Et de la même manière, il possède un côté nocturne et obscur
qui s’oppose à ces traits lumineux.
33
-Corinne Morel, Dictionnaire des symboles, mythes et croyances, éditions l’Archipel, Espagne, 2005, p.
822.
34
- Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1969, édition
revue et corrigée, Paris, 1982, p. 891. ISBN 978-2-221-08716-9.
246
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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sur la mer belle, faisait tout proche les îlots, l’aérolithe englouti du Coin de Mire. »
(Le Clézio, 1995 : p. 338).
Dorénavant, Léon va attendre, chaque jour, l’apparition de celle pour qui son
cœur bat déjà : « Quand la marée commence à descendre, je sais que Suryavati doit
venir. Je l’attends à ma place, à demi caché derrière les touffes de batatran […]. » (Le
Clézio, 1995 : p. 89).
35
- Suryâ (du sanskrit : सूर्,य vient de la racine sanskrite sur ou svar, qui signifie briller, incarne le dieu Soleil.
Il est le descendant de Āditi et de Kashyapa. Suryâ a eu quatre femmes : Samjnâ, qui incarne
la connaissance, Râjnî, la maîtresse de la souveraineté, Prabhâ, dieu de la lumière et enfin Châyâ, le seigneur
de l'ombre. Suryâ est aussi le père de Manu, l’homme premier, originel, de Yama, divinité de la Mort et
de Yamî qui, à sa mort, donnera vie à la rivière Yamunâ, une des rivières sacrées chez les Hindous.
247
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Ce caractère lumineux du soleil et que nous retrouvons aussi chez Suryavati est
une nouvelle fois clairement repérable : « Ce que j’ai remarqué surtout, ce sont ses
yeux, d’une couleur que je n’avais encore jamais vue, jaune d’ambre, de topaze,
transparents, lumineux dans son visage très sombre. » (Le Clézio, 1995 : p. 91), la
couleur jaune, celle du soleil et la luminosité de cet astre renforce la relation entre
Soleils et Surya. Ainsi soleil et Suryavati vont se partager les sèmes /Jaune/ lumineux/.
« Le soleil éclaire son visage lisse, fait briller ses iris jaunes. […] Maintenant, elle se
tient debout devant moi, contre le soleil. Je ne vois que sa silhouette. L’eau du lagon
brille derrière elle. » (Le Clézio, 1995 : pp. 110. 111), le champ sémantique employé
dans ce passage nourrit la confusion, délibérément mise en mots, entre le soleil et
Suryavati : /éclairage/ soleil/ briller/ elle (Suryavati)/.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Mais Surya c’est aussi la mer : « Je n’étais plus seul, j’étais avec elle, elle était
la mer, fraiche, lente, mouvante autour de moi. » (Le Clézio, 1995 : p. 322), elle l’est,
car n’oublions pas que la mer c’est aussi, dans le texte leclézien, la première complice
du soleil. Léon s’attachera à sa bien-aimée, c’est sa source du bonheur, sa voie
lumineuse, elle éclaire ses nuits les plus sombres, car elle est le soleil : « Ici la nuit est
déjà tombée, mais quand Surya me regarde, je vois la lumière de ses yeux, cette lueur
d’ambre qui m’avait fasciné la première fois, au bord du lagon.» (Le Clézio, 1995 :p.
462).
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
coups des vagues, à gouter au sel rejeté par les rafales du vent. Ici, il
me semble qu’il n’y a plus rien de tragique. » (Le Clézio, 1995 : p.
86).
Une forme de symbiose entre l’île et Léon commence à prendre forme, tandis
que les passagers de l’Ava continuent à espérer la venue du navire qui va les délivrer
de leur enfer, Léon lui, ne se soucie plus guère de surveiller la ligne d’horizon afin de
guetter l’arrivée des secours. Son émerveillement face à la beauté de l’environnement
mêlé à la passion qu’il commence à éprouver pour celle qu’il a appelée Suryavati, font
qu’il se réjouit presque de cette quarantaine imposée :
C’est à présent vers Suryavati, vers cette île où elle vit, vers cette mer qui les a
uni que Léon se tourne, plus rien d’autre n’a d’importance à ses yeux. Il passe le plus
clair de ses journées à espérer l’apparition de celle qui a fait naitre en lui un tumulte
sans précédent, celle qui lui a fait oublier sa condition de naufragé. L’île Plate, la mer
et Suryavati sont maintenant ce qui compte le plus pour Léon :
« Je n’ai que les souvenirs et les rêves. Je sais que je ne peux rien attendre
en dehors de cette île. Tout ce que j’ai est ici, dans la ligne courbe du récif,
la silhouette magique de Suryavati qui marche sur l’eau, la lumière de ses
yeux, la fraicheur de sa voix quand elle m’interroge sur la ville de Londres
et de Paris, […]. J’ai besoin d’elle plus que de n’importe qui au monde.
Elle est semblable à moi, elle est d’ici et de nulle part, elle appartient à
cette île qui n’appartient à personne. Elle est de la Quarantaine, du rocher
noir du volcan et du lagon à la mer étale. Et maintenant, je suis moi aussi
entré dans son domaine. » (Le Clézio, 1995 : pp. 144. 145).
Pour Léon, seul le temps présent importe, les souvenirs sont l’apanage du
passé, les rêves ne se conjuguent qu’au futur, mais lui ne se sent exister que dans un ici
maintenant. Voici comment Léon parle à présent de son chez-soi, de son pays, de sa
patrie : « Tout à coup j’entre chez moi, dans mon pays rêvé, dans le monde de Suryavati. »
(Le Clézio, 1995 : p. 254). De cette manière, la relation entre Léon et l’île se trouvent encore
250
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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plus renforcées grâce à l’apport sentimental que lui procure sa relation amoureuse avec
Suryavati : « Alors je l’appelais « bahen » ce nom qui la faisait rire, et elle me disait mon nom
très doux, en prolongeant la syllabe : « Bhaiii… » ». (Le Clézio, 1995 : p. 260).
N’oublions pas qu’au départ, la quête primaire de nos héros c’était l’île Maurice, pour
laquelle Jacques, sa femme Suzanne et son frère Léon ont embarqué au port de Marseille.
Cependant, ce séjour sur l’île Plate semble éloigner Léon non seulement de son objectif de
départ, mais aussi de sa seule famille : son frère Jacques :
Léon n’est plus celui qu’il était auparavant, ses repères identitaires sont en
perpétuel mouvement, il ne se définit plus par rapport à son passé ni à ses liens de
sang. Les seuls liens qu’il se reconnait maintenant sont ceux qu’il tire de sa présence
sur l’île Plate, ceux qu’il a tissés avec la mer, avec le soleil et surtout ceux qu’il
entretient avec celle qui lui fait chavirer le cœur :
« Je n’étais plus le même. J’étais un autre, j’étais elle, et avant elle, j’étais
Giribala qui fuyait le long du fleuve, emportant l’enfant Ananta […], et qui
l’avait plongée dans l’eau boueuse de la Yamuna, lui avait soufflé son nom
au visage. » (Le Clézio, 1995 : p. 322).
Le changement que connait Léon est tellement profond qu’il en arrive à toucher
son nom : « Elle a murmuré mon nom, le nom qu’elle m’a donné dans sa langue,
bhaii, frère, le nom qu’elle disait quand nous marchions ensemble dans les
broussailles […] » (Le Clézio, 1995 : p. 323). La relation entre Léon et Suryavati
prend de plus en plus d’ampleur, ils se retrouvent tous les jours, passent le plus clair de
leur temps ensemble et c’est la mer que nos deux jeunes amoureux retrouvent, c’est
elle la complice de leur amour, elle est en eux et eux nagent en elle :
« Quand nous sommes arrivés sur la plage, elle est entrée dans l’eau sans
m’attendre, elle a plongé. La mer était haute, un lac noir. […] Je suis entré
à mon tour dans l’eau très douce et tiède, je cherchais Surya. Puis j’ai senti
son corps contre moi, ses habits collés à sa peau, sa chevelure ouverte dans
l’eau comme des algues. Jamais je n’avais ressenti un tel désir, un tel
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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« J’ai faim d’aller là-bas, […]. Il n’y a que ce mince filet de sable qui me
sépare de celle que j’aime, rien que cette langue de sable et de corail
rompue par la marée. Je suis assis sur les ciments du sémaphore. Derrière,
à gauche et à droite, il y a la mer ouverte, violente, et la côte de Maurice.
Mon domaine est si près. Pourquoi suis-je ici, en exil ? Il me semble que
j’ai vécu toute ma vie sur Plate, c’est ma terre natale, c’est là que j’ai tout
appris, il n’y avait rien auparavant, il n’y aura rien après. » (Le Clézio,
1995 : p. 342).
« Ils habitent encore ici, dans ces roches noires, au pied du piton, devant le
bleu irréel du lagon, devant la mer aux vagues très lentes, je sens leur
regard sur moi, dans la lumière qui se répercute. […] Ils ont été brûlés les
uns après les autres sur la plage, leurs cendres emportées dans l’Océan. Et
maintenant, je suis au même endroit, je marche sur leurs corps. J’ai le goût
de leurs cendres dans ma gorge, une fine poussière qui se mêle à mes
cheveux, qui glisse sur ma peau. » (Le Clézio, 1995 : p. 350).
Il nous faut noter que les passagers de l’Ava ne sont pas les premiers voyageurs
vers Maurice qui se retrouvent forcés à faire escale sur l’île de la quarantaine. Avant
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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eux, L’Hydaree, navire transportant des coolies venus d’Inde à destination de l’île
Maurice, avait du, lui aussi, débarquer ses passagers sur Plate à cause d’une épidémie
qui s’était alors déclarée à son bord. Ils ont été abandonné à leur sort, par centaines les
bûchers prenaient feu sur la plage, ont brûlé les cadavres pour éviter la contagion.
Lorsque, quelques mois plus tard, les secours furent enfin envoyés de Maurice,
il n’y avait plus que quelques dizaines de survivants. Léon sent à présent toutes ces
âmes qui l’ont précédé, elles sont en lui, elles sont dans ces cendres que le vent porte,
dans cette fine couche de poussière sur les plages, au matin.
Jacques, pour qui le changement de son jeune frère n’est pas passé inaperçu,
profite de l’exil forcé sur l’îlot Gabriel pour lui parler, pour le convaincre de revenir à
de meilleurs sentiments surtout que le départ pour Maurice ne devrait, maintenant,
plus tarder, mais :
« Je dis :
« Peut-être que tu as raison, nous sommes devenus des étrangers. » […]
« Nous n’appartenons plus au même monde. » […] « - Mais regarde-moi.
Regarde-toi. Nous n’avons plus rien en commun. Nous ne serons plus
jamais comme avant. »[…] « Moi je reste avec Surya, je serai toujours avec
elle, elle est ma famille maintenant. » » (Le Clézio, 1995 : pp. 413. 414).
Le divorce entre Léon et son passé, entre lui et sa famille, est définitivement
consommé, le Léon d’avant n’existe plus, il n’en reste plus rien, jusqu’à sa propre
relation filiale.
Quelques jours plus tard, le schooner Dhalousie est enfin là, il revient pour la
deuxième journée consécutive afin d’emmener le reste des migrants. Surya et Léon
vont embarquer :
« Avant que nous nous élancions dans la mer, elle a mis autour de
mon cou, comme un talisman, le collier portant la plaque
d’immatriculation que sa grand-mère avait donné à Ananta, avant le
départ de Bhowanipore. Ainsi, maintenant, j’ai un nom, une famille,
je peux entrer à Maurice. » (Le Clézio, 1995 : p. 483).
Dorénavant, Léon n’est plus Léon, il est bhaii, il porte le nom que Surya lui a
donné, il est l’enfant naturel de l’île, il l’a intégrée en lui, il y est né et elle sera sa
patrie pour le restant de ses jours.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Synthèse
Après avoir explicité la notion de symbole en générale, puis celle de la mer en
particulier, nous nous sommes penchés sur les romans composant notre corpus afin d’y
repérer les différentes représentations symboliques de la mer. Cela nous permis de
mettre à jour le statut particulier qu’occupe la mer dans Au commencement était la mer
et La Quarantaine.
254
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Chapitre III
La dimension mythique de la mer
1
- Michel Tournier, Le Vent Paraclet, Paris, Gallimard, 1977, p. 188.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Ainsi, nous reposerons notre analyse du mythe de la mer dans notre corpus sur
l’aspect lexical et linguistique pour pouvoir, par la suite, accéder à ce que Roland
Barthes appelle le méta-langage pour décrire le mythe stricto sensu. Pour ces raisons-
là, le fait de nous intéresser à l’essence du mythe, c’est nous intéresser avant tout à
l’histoire, puisque : « […] le propre du fait littéraire est l’impossible dissociation
entre énoncé et énonciation »3, et Claude Lévi-Strauss souligne que cette fameuse
essence du mythe : « ne se trouve ni dans le style, ni dans le mode de narration, ni
dans la syntaxe, mais dans l’histoire qui y est racontée. »4. Notre travail sera donc,
dans ce chapitre, de tenter de défaire le tissage diégétique de nos deux romans afin d’y
repérer les mythes de la mer en fonctionnement.
Avant de mettre en œuvre notre analyse, essayons en premier lieu de tracer les
contours des concepts dont nous allons nous servir, pour pourvoir, par la suite, repérer
et décrire le ou les mythes de la mer en fonctionnements dans nos deux récits.
2
- Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 200.
3
- Marie-Catherine Huet-Brichard, Littérature et Mythe, Hachette, 2001, p. 7.
4
- Claude Levi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, 1958, p. 232.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Cependant, il nous parait plus que nécessaire de tracer les contours du champ
d’application à l’intérieur duquel nous pourrons limiter et éclairer l’objet de notre
analyse.
5
- Luc Benoist, Signes, symboles et mythes, Presses universitaires de France, collection Que sais-je ?, Paris,
2009, première édition Paris 1975, p. 6.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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alors que le mythe se rapproche de par sa forme du conte et de la légende, dans le sens
où il vient au monde suite à une histoire, sa propre histoire.
1.2. Mythe/Religion
Le mythe tire ses fondements originels des croyances et des religions dont il a
été, à un moment donné, l’objet. Les personnages qui y sont mis en scène sont
entourés d’une aura sacrée. Pour bien expliquer cet état de fait, Mircea Eliade présente
le mythe comme suit :
C’est de cette manière que nous sont contés les récits premiers de l’humanité au
travers d’une réactualisation permanente, le lecteur comme l’auditeur, y trouverons
toujours matière à exploiter dans leur présent.
6
- Mircea Eliade, Mythes, rêves et mystères, éditions Gallimard, « Les Essais », Paris, 1957 ; rééd. Folio
essais, 1989, pp. 17-18. ISBN 978-2070325207.
7
- Mircea Eliade, Aspects des mythes, Gallimard, « Idées », Paris, 1963 ; rééd. Folio essais, 1988, p. 39.
ISBN 2-07-032488-5.
258
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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8
- Emmanuel Kant, La religion dans les limites de la simple raison, édition Librairie philosophique Vrin,
France, 1994, p. 178. ISBN 978-2711611959
9
- Jean-François Kervégan, Hegel et l’Hégélianisme, éditions PUF, collection Que sais-je ?, France, 2017, p.
83. ISBN 9782130798576.
10
- Christophe Carlier, Nathalie Griton-Rotterdam, Des mythes aux mythologies, Ellipses éditions, 2014, p.
21. ISBN 978-2-7298-84451
11
- Luc Benoist, Signes, symboles et mythes, Presses universitaires de France, collection Que sais-je ?, Paris,
2009, première édition Paris 1975, p. 100.
259
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Nous pouvons affirmer sans penser nous tromper que les mythes ont un rôle
symbolique, d’explication du monde, moral et même parfois politique. Ils se
caractérisent par un appel incessant à l’imaginaire. C’est au travers de ces fonctions
que le mythe arrive à décrire le réel à l’aide du merveilleux.
Il s’agit sans nul ici d’un travail d’interprétation du monde, d’explication des
événements qui nous entourent, de justifications aux causes originelles. L’Autre,
l’ailleurs, le lointain y sont les enjeux d’une quête au travers de laquelle l’homme tente
de dompter les forces inconnues et parfois effrayantes auxquelles il est confronté.
Il faut attendre les travaux des savants du XIXe et XXe siècle pour retrouver
avec exactitude les conditions contextuelles de la production des grands mythes. Ces
recherches permettent de comprendre les états qui ont été à l’origine de l’élaboration
des mythes, mais elles participent surtout à dépoussiérer la part de réalité sous-jacente
dans les mythes. Ainsi le regard porté sur les textes anciens, récits de héros et
aventures s’en trouve complètement modifié.
260
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Pour toutes ces raisons, Mircéa Eliade affirme que : « Tandis que le langage
courant confond le mythe avec les fables, l’homme des sociétés traditionnelles y
découvre la seule révélation valable de la réalité.»12
12
- M. Eliade, Mythes, rêves et mystères, éditions Gallimard, « Les Essais », Paris, 1957 ; rééd. Folio essais,
1989, pp. 18. ISBN 978-2070325207.
261
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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En effet, nous percevons dans ce passage que les pronoms /il, /elle/renvoient
aux deux acteurs que sont /Karim/ et / Nadia/. /Chaleur/, revoit au soleil, /immense/ à
mer, et /douceur/ en tant que sème générique du bonheur traduit l’isotopie amoureuse.
Mais ce qui est frappant ici, c’est que la mer d’été est ici le point d’ancrage à partir
duquel l’action débute, et vers lequel elle s’achemine.
262
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Autre exemple à la page 72, lorsque Karim apprend à Nadia qu’ils ne peuvent
plus sortir ensemble. Il la raccompagne chez elle en empruntant une route qui borde la
mer : « Elle voudrait s’arrêter, descendre, marcher sous la pluie. La sentir sur elle.
Violent. …Juste là, au bord de ces rochers noirs sur lesquels vient se briser la mer en
furie. ».
263
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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La valeur symbolique de la mer, avec ses deux facettes, mer bonheur Vs mer
malheur, se trouve d’autant plus renforcé lorsqu’on s’aperçoit qu’au sein de l’équation
Nadia/Karim/mer/soleil, la mer est la pièce maîtresse de l’ensemble puisqu’elle tient le
rôle de régulateur des états sentimentaux des protagonistes. Le simple fait qu’elle soit
calme ou agitée suffit à poursuivre ou à faire stopper la progression de l’isotopie
amoureuse. La mer est décrite à travers les états d’âme de Nadia.
Dans le roman de Maïssa Bey, la mer reçoit un statut plus intériorisé, elle
devient, selon le mot de Bruce-Morissette, le « corrélatif objectif »13 de la subjectivité
de Nadia. C’est-à-dire ; « le support de sensations, de sentiments, de souvenirs sur
lequel l’individu projette ses obsessions…et qui devient ainsi un élément de
l’action. »14
Cette définition nous convient parfaitement, car elle illustre à merveille le
rapport entre Nadia et la mer. La mer où Nadia trouve le support idéal pour
caractériser ses sensations, ses sentiments, pour les exhiber au grand jour, car la mer
c’est tout ce dont Nadia ne jouit pas, l’assurance, l’arrogance presque de cette force de
la nature.
Les sentiments refoulés de Nadia, intériorisés par elle parce que confrontée à
une société où elle ne se retrouve pas, elle les projette sur la mer qui, forte de sa
prestance naturelle, donne aux refoulements de Nadia l’objectivité qu’elle souhaite, la
13
- De l’anglais objective correlative utilisé dès 1850 par W. Allston.
14
- B. Dupriez, Gradus, les procédés littéraires, Union générale d’Editions, 1984, p. 437.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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« Est virtuel tout élément qui est latent dans la mémoire associative du sujet
parlant, et donc l’actualisation est liée aux facteurs variables des
circonstances de communication. Le virtuème représente la partie
connotative du sémème. »15.
15
- Bernard Pottier, Linguistique générale. Théorie et description, Klincksieck, Paris, 1974, p. 68.
265
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Aussi, nous notons que le mythe, ici celui de la mer ‘ne signifie’ que par
rapport à une collectivité donnée, qui est ici la société algérienne (avec les deux
facettes que nous avons repérées, et pour qui la signification « mentale »de la mer
n’est absolument pas la même). C’est pour cela que Jean-Pierre Vaernant définissait
une mythologie comme étant :
Les formules et les phrases : « Elle est seule. Plus seule et plus libre qu’elle ne
l’a jamais été. », « …elle court…sans rien ni personne ne puisse la retenir. », « Des
maisons aux volets clos, encore ensommeillées et silencieuses referment l’espace.
Juste assez pour qu’elle se sente protégée. », témoignent d’une peur, d’une phobie,
d’un désir de solitude, un désir que rien ne saura briser, sinon cette complicité avec la
mer qui traduit peut être l’ultime recours de Nadia.
Nous nous apercevons, à travers ces bribes de texte, que solitude rime, chez
Nadia, avec liberté ; en d’autres termes Nadia refuse la vie en société, refuse de se
conformer à ses règles qu’elle trouve totalement absurdes.
16
- Jean-Pierre Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, La découverte, Paris, 1974, p. 207.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Mis à part la maison du grand-père qui est pour ainsi dire considéré comme un
espace heureux (la présence du père, du grand-père, ajouté à cela un peu de nostalgie),
tous les autres lieux où a habité Nadia constituent pour elle des lieux où elle se sent
plus cloîtrée, que protégée et à l’abri. Nadia est-elle misanthrope ? Ou bien alors
n’envisage-t-elle la liberté qu’a travers la mer, et la rupture avec ce monde si cruel a
ses yeux ?
« La nuit, les yeux ouverts, Nadia écoute. Elle écoute la mer. La mer monte
en elle comme un lent désir. Un halètement. Battements réguliers des
vagues contre son corps bercé comme aux premiers jours. Plus loin encore.
Et lorsqu’en fin elle s’endort. La mer encore berce ses rêves. » (Bey,
1996 : p. 12).
Les battements réguliers des vagues contre le corps de Nadia ne sont autres,
dans son imaginaire, que les battements de cœur de sa mère qui, serrée contre Nadia,
la berce comme elle le faisait aux premiers jours, quand Nadia n’était encore qu’un
bébé.
La nature est pour l’homme grandit, nous dit madame Bonaparte : « une mère
immensément élargie, éternelle et projetée dans l’infini »17 .
La mer était, et demeure l’un des plus constants symboles maternels. L’image
de Nadia bercée par la mer, comme elle le fut par sa mère, n’est en résumé, que la
17
- Marie Bonaparte cité par Gaston Bachelard dans L’eau et les rêves, Ed. José Corti, Paris, 1942, p. 156.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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projection de l’amour filial. Et si le sentiment qu’éprouve Nadia pour la mer est si fort,
c’est qu’en réalité, ce sentiment n’est autre que le sentiment filial.
Discrète, muette, aimante et complice la mer remplit pleinement son rôle quasi
maternel : « Ils se retrouvent dans l'eau. Parfois. Quant au déclin du jour, le soleil,
complice, fait miroiter ses derniers rayons sur la surface de la mer, comme pour
mieux les protéger du regard des autres.» (Bey, 1996 : p. 47).
Ce jeu de rencontres par la mer et dans la mer continuera bien après l’été, car
de retour à Alger, Karim et Nadia placeront leurs rencontres sous le sceau de
l’« anonymat », car en « ces temps de ferveur religieuse retrouvée, affichée », il est
plus approprié de ne pas se soumettre au regard des autres, « un jour, un jour il faudra
dire tous ces regards… » (Bey, 1996 : p. 60).
Et c’est ainsi que la mer, marraine de leur bonheur, incarnera le rôle de l’amie
intime qui voile le regard des étrangers et l’empêche de les atteindre.
« Elle ouvre la portière et se glisse sur le siège […] à côté de lui […] Il
démarre […] se faufile à travers les encombrements et prend la longue
avenue de la mer […] Il leur faut mettre toute cette distance entre eux et les
autres pour enfin se retrouver. Libérés du poids et de la peur du regard des
autres. » (Bey, 1996 : p. 64).
La mer c’est leur histoire, mais c’est aussi leur destination, leur destinée. La
mer acquiert sa véritable identité, joue pleinement son rôle de protectrice, de Pare-
malheurs, de cache regards, et de libératrice, lorsqu’au plus haut du sentiment
malheureux, Nadia s’en retourne encore et toujours vers elle dans un ultime appel au
secours. Après que Karim lui eut annoncé qu’il a décidé de la quitter, Nadia dut tout
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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accepter, mais son dernier souhait, comme le dernier caprice que l’on accorde à un
condamné à mort, fut celui de voir la mer avant de rentrer chez elle : « -Dis, tu peux
prendre l’autre route, par la mer ?
J’ai envie de respirer un peu. » (Bey, 1996 : p. 76).
Force du symbole, symbiose de ses deux sœurs, des ses deux amies, de cette
mer « mère aimante »et de la fille malheureuse, Nadia s’en retourne, une fois encore,
vers la mer.
En ces instants de chagrins, Nadia veut s’en remettre à la mer, elle seule saura
la consoler, comme le fait si bien une mère.
La mer exprime son chagrin, sa colère, de voir Nadia plongée dans une telle tristesse.
La mer fait éclater son ventre, se déchaîne. Les vagues fouettent de toutes leurs forces
les baies et les rochers. « La mer en furie » (Bey, 1996 : p. 77). Nous remarquons,
cette symbiose entre les états sentimentaux de Nadia et l’état de la mer ; à chaque fois
que Nadia passe par des moments difficiles, la mer de son coté est houleuse, violente
comme en colère.
Mais surtout, Nadia voudrait être la mer parce que la mer, elle, n’a pas honte de
vivre son amour, sa passion dévorante avec le soleil. La mer est forte, inébranlable,
elle est aussi juste et tendre. La mer accueille les bons et les mauvais, elle est terre
d’asile, terre d’amour, elle est, en un mot, liberté.
269
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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«Sa mère ne descend jamais sur la plage. Rien que le mot, déjà, résonne dans
sa bouche comme un blasphème. Et l’indécence de ces corps a demi-nus
s’offrant au soleil, et au regard des autres en ces temps de ferveur religieuse retrouvée,
affichée.
« Si ton oncle Omar n’avait pas insisté… » Elle grommelle, encore étonnée, irritée de
n’avoir pas pu, de n’avoir pas su refuser. Mais c’est son frère, son frère aîné !
Elle va et vient dans la maison avec la fébrilité d’une fourmi. Il lui faut, chaque jour,
laver à grande eau le carrelage vieilli et craquelé de chaque chambre, aérer,
frotter les murs, traquer les grains de sable qui crissent sous les pieds. Sans
trêve. Quelle obsession, précipite ses pas ? Épuisant ballet, chaque jour
recommencé. » (Bey, 1996 : pp.23. 24).
18
- Le terme Haram (Arabe : [ َح َرامharām], synonyme de : illicite, illégal, interdit ou inviolable) possède deux
sens dans le monde arbao-musulman, d’une part il désigne l’interdiction, et d’autre part le sacré, par exemple
la Mecque est Le territoire sacré [al balad al harām]. Le mot haram est, en langue arabe, le contraire de halal
(ce qui est permis).
270
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
C’est principalement ce haram, que la mère de Nadia craint, cette offense, cet
outrage qu’elle voudrait éviter en ne descendant jamais au bord de la plage, en lavant à
grande eau le carrelage et en traquant les grains de sable dans le moindre recoin de la
maison. Laver le carrelage, le purifier, nettoyer la souillure … Traquer les grains de
sable, débris de cette mer sans cesse conquérante qui ose s’immiscer dans la demeure,
dans l’intimité de la mère de Nadia.
Nadia, elle, sait tout cela, comme tout enfant de cette société, elle a appris qu’il
y avait des interdits, des choses qu’il ne fallait pas faire, même si elle n’a jamais
compris le pourquoi de tout ce cinéma.
271
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Au passage d'une jeune fille, leurs rêves exacerbés par le poids lancinant de
toutes les frustrations allument dans leurs yeux des lueurs troubles.
Ce sont ceux-là mêmes qui interdisent toute sortie à leurs femmes ou à leurs
sœurs, de peur qu'elles n'excitent les convoitises de leurs semblables.
Effrayée par la concupiscence à peine déguisée qu'elle a pu lire dans
les regards qui accompagnent le moindre de ses mouvements, Nadia a
renoncé à se baigner ces jours-là. » (Bey, 1996 : pp. 24. 25).
Mais si la mer est blasphème, si nudité et pudeur ne font pas bon ménage au
sein de ces références socioculturelles, si ces « hordes d’estivants », savent qu’une
femme, une jeune fille en maillot de bain sur la plage est synonyme de haram, alors
pourquoi « Au passage d’une jeune fille, leurs rêves exacerbés (…) allument dans
leurs yeux des lueurs troubles. » ? Pourquoi le fossé entre ce qu’a appris Nadia sur la
religion et la tradition, et entre ce qu’elle voit dans la réalité est-t-il si grand ? Donc la
mer blasphème serait un concept à ne conjuguer qu’au féminin ?
272
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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L’expression ‘mer étale’ fait référence ici au caractère stable, sans mouvement
et paisible que peut revêtir la mer. Ce trait sera évidemment à mettre en relation
directe avec ‘vagues’ dans le sens où l’aspect de stabilité et de tranquillité de
l’immensité mer signifie l’absence de l’agent perturbateur qui est les vagues. Cette
expression est utilisée plus d’une fois dans le roman : « Le soleil brûle toujours à la
même place, au centre de la baie des nuages. C’est la mer étale. Je vois à travers
l’eau du lagon le long chemin en demi-lune qui va vers Gabriel. » (Le Clézio, 1995 :
p. 159).
Mais cette représentation de la mer se trouve souvent liée à l’espace île : « Ici,
la mer est belle, […] » (Le Clézio, 1995 : p. 161), ainsi, cette mer qui entoure l’île
Plate, et nulle autre mer, est désignée comme belle, cela sous-entend son aspect calme
et renvoie, par ailleurs, aux autres acteurs du climat tels que le soleil et le vent. Nous
273
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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noterons, de cette manière, que dans certaines parties de notre corpus, l’aspect de la
mer se conjugue à celui du ciel, ou du soleil, ce qui sera pour nous le moyen
d’interpréter l’état de la mer : « […], la rivière s’ouvrait sur une immensité couleur de
boue, une mer que le couchant teintait d’or. » (Le Clézio, 1995 : p. 354).
Nous remarquerons ici que c’est au travers de la teinte dorée que prend la mer,
que nous intégrons sa réalité calme, sans remous, reflétant au même moment, les
rayons du soleil sur sa surface. La mer étale sera donc le synonyme de la mer calme,
s’alliant aux autres acteurs du climat afin de refléter une image de beauté et de
quiétude suscitant l’admiration des personnages du roman.
Cette mer calme est aussi la seule par laquelle le salut de nos naufragés peut
arriver, car lorsque les faits relatifs au bateau devant secourir les habitants de l’île
Plate sont relatés, ces événements demeurent intimement liés à l’aspect général de la
mer : « Il est arrivé vers midi, par une mer lisse, il a mouillé devant la baie de
Palissades, […] » (Le Clézio, 1995 : p. 432). C’est la mer lisse qui permet, ici, au
bateau de mouiller devant l’île afin de lancer l’opération d’embarquement. La mer est
semblable à une surface sans aspérités ni inégalités, ce qui renvoie à l’absence de
vagues ou de remous.
La mer, comme l’homme, est changeante, elle peut devenir agitée, violente. Ce
caractère violent prend des formes diverses, ainsi, bruits, vagues, couleurs
participeront à construire cet autre aspect de la mer : « Je regarde cela sans me lasser,
et la mer aux vagues violentes, qui courent vers la côte, qui bouillonnent comme un
fleuve géant, […] » (Le Clézio, 1995 : p. 162). Mais cette mer parfois violente qui
entoure et encercle l’île de Plate a quelque chose de particulier, elle ne se contente pas
de mettre en scène sa puissance par l’intermédiaire de vagues gigantesques ou au
274
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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« Je suis le rivage, et la bande de sable qui devient de plus en plus étroite, puis
disparais dans le chaos rocheux où la mer bat librement. » (Le Clézio, 1995 : p. 161),
elle donne des coups contre cette terre émergée : « […], les coups profonds de la mer
contre le socle de l’île, […] » (Le Clézio, 1995 : p. 167), ces coups se ressentent au
plus profond de l’île, jusque dans ses racines les plus enfouies.
Léon qui est tombé sous le charme de l’île Plate finit par intégrer ces coups, par
se les approprier, car, à présent, il ne fait qu’un avec ce cadre dont il est amoureux :
« [...], j’écoute les coups de mon cœur et les coups de la mer sur le socle de l’île, la
longue vibration qui est unie à la lumière. » (Le Clézio, 1955 : p. 168). Les coups de
son cœur et les battements de la mer se mêlent et se mélangent au point de s’unir dans
une vibration invitant la lumière à les rejoindre. Et c’est ainsi que résonne la mer au fin
fond de l’île Plate : « […], une longue vibration qui résonne dans le socle de l’île. »
(Le Clézio, 1995 : p. 175).
Ces sons sont le fruit du travail incessant de la mer, elle consume petit à petit
cette île, rampant centimètre après centimètre en son sein, dans une bataille jouée
d’avance : « […], j’écoute le bruit de la mer qui bat en côte. » (Le Clézio, 1995 : p.
310). Sa force, elle la tire de son immensité, la mer est celle par qui tout commence,
tout advient, et c’est vers elle que tout revient : « […], et il ne reste plus que les débris
de l’armature rouillée, rongée par la mer, pareille à des ossements. » (Le Clézio,
1995 : p. 340). Rien ne lui résiste, la terre, le sable, les métaux, la mer a un effet
abrasif sur les éléments qui se frottent à elle.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Mais ce n’est pas tout, cette matrice infinie qu’est la mer ne se suffit nullement
de terre et de roches, elle dévore aussi les hommes, elle est leur ultime voyage, leur
cimetière pour l’éternité, ceci transparait clairement lors de l’épisode qui nous est
narré et qui rapporte les événements relatifs à l’épidémie qui s’est déclarée à bord de
l’Ishkander Shaw : « Les marins, armés de bâtons, ont détaché le reste des Sepoys et
les ont conduits sur le pont. Il y a eu le bruit lourd d’un corps qui tombait à la mer, et
d’un seul coup le silence est revenu dans l’entrepont. » (Le Clézio, 1995 : p. 396).
Ce passage rapporte une scène clé dans laquelle les cadavres emportés par la
maladie sont jetés à la mer, cette mer qui sera leur tombeau : « Et toujours, le bruit
lourd du corps qu’on immergeait, la mer qui se refermait sur lui. » (Le Clézio, 1995 :
p. 399). Ici la mer prend possession des dépouilles, elle se referme sur elles pour ne
plus jamais les restituer, la mer engloutit et ingurgite les hommes comme le ferait un
monstre marin, le mythe de l’engloutissement étant clairement repérable au travers de
cet exemple. La mer incarnera la grande tombe qui engloutit et recycle les hommes en
esprits circulants dans d’autres formes d’espace.
19
- Shītalā Devī, appelée aussi Shītalā (de l’hindi : शीतला दे वी, Śītalā Devī). C’est une des plus grandes
divinités hindoues. Son culte est prédominant en Inde, au Pakistan et au Népal. Elle est connue pour être la
déesse de la variole. Le sens littéral de Shītalā Devī est : ‘la déesse froide’.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Ces légendes font partie intégrante du culte hindou, cependant, même Suzanne,
l’Occidentale, la civilisée, se met à douter quant à la véracité de ces croyances, voilà
ce qu’elle dit à Léon lorsqu’elle lui parle de Sarah Metcalfe, la femme du botaniste
emporté par l’épidémie : « « Tu sais, elle voulait bien mourir, mais elle n’a pas pu.
Peut-être que c’est vrai, la déesse qui vient chaque nuit et qui souffle sur les gens. » »
(Le Clézio, 1995 : p. 345).
« Par contraste, quand nous nous jetâmes dans la vague pour nager
jusqu’au rivage, la mer nous parut douce et tiède. Une forte lame
nous poussa jusqu’à la dalle de basalte. Nous avons pensé en même
temps à la mer où nous nous étions baignés, à Hastings, l’été passé. »
(Le Clézio, 1995 : p. 64).
20
- A la recherche du temps perdu est le chef-d’œuvre de Marcel Proust. Il comprend sept volumes : Du Côté
de chez Swann, A l’ombre des jeunes filles en fleurs, Le Côté de Guermantes, Sodome et Gomorrhe, La
Prisonnière et Le Temps retrouvé, l’auteur s’est consacré à la rédaction de ces volumes de 1906 jusqu’en
1922.
277
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Cet extrait évoque le jour du débarquement des passagers de l’Ava sur l’île
Plate. Léon et Suzanne, en plongeant dans la mer afin de gagner le rivage, ont soudain
ce flash-back de la mer à Hastings21, tel qu’ils s’y étaient baignés l’été précédent.
« Le vent avait écarté les nuages et, pour la première fois, le soleil
brûlait dans un trou de ciel bleu. Je me souvenais comme j’avais
attendu cela, le soleil, la mer, durant cet hiver à Rueil-Malmaison.
[…] Je me souviens d’avoir entendu la mer, un soir. C’était quelque
temps après la mort de mon père. Le bruit était si fort, si vrai qu’il
m’avait réveillé. […], le bruit du vent et de la mer, les grincements
des oiseaux. » (Le Clézio, 1995 : pp. 74. 75).
Ce deuxième passage, dans lequel Léon entend les bruits de la mer, un soir sur
l’île, lui fait convoquer un épisode de son enfance lorsqu’il était jeune pensionnaire à
Rueil-Malmaison22 une nuit où il fut réveillé par le bruit de la mer. Cette dernière se
trouve être ici l’outil au travers duquel les souvenirs aussi bien que le contexte propre
de l’enfance ressurgissent.
Ceci dit, nous devons noter que la mer qui sert la réminiscence des souvenirs de
l’enfance chez Léon, est définie par le champ sensoriel qui lui est rattaché. Ainsi Léon
voit, entend et sent la mer, ce sont ses propres perceptions de la mer qui symbolisent la
conscience et l’actualisation d’un passé de manière tout à fait involontaire, c’est ce que
Ferdinand Alquié appelle « La conscience affective23 ».
« C’est ici que tout me revient, tout ce que Jacques me disait à Paris,
autrefois, et qui est devenu comme ma propre mémoire. La mer, au
lever du jour, à Anna, l’eau encore froide de la nuit, sur la plage de
sable noir. […] C’est un rêve ancien, que j’ai fait chaque soir, à
Rueil-Malmaison, avant de m’endormir. » (Le Clézio, 1995 : p. 109).
Ainsi, plus loin que la réactualisation d’un passé perdu, oublié, le passé peut
rompre la dichotomie primaire qu’il entretient avec le présent, de sorte que le passé
peut redevenir présent. Comme chez Proust, le temps dominant dans ces extraits, est le
temps de la nostalgie, passé comme présent sont vécu non pas sous le signe de
21
- Anciennement connue pour avoir été l’un des plus grands ports de pêche d’Angleterre, Hastings est
aujourd’hui une ville balnéaire du sud de la Grande-Bretagne. Elle est située à 85 km de la capitale Londres.
22
Petite ville de France située dans le département des Hauts-de-Seine.
23
- A cet égard nous ne saurions que trop conseiller l’ouvrage de Ferdinand Alquié, La conscience affective,
Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1979. ISBN 978-2-7116-0009-0-.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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l’intellect et de la raison, mais plutôt sous le coup des sensations, des plaisirs, du
sensuel, d’ailleurs Ferdinand Alquié affirme que : « L’homme sent autrement qu’il ne
sait. Mais l’affectif contient aussi un savoir. C’est ce savoir que l’auteur tente de
découvrir, par l’étude de l’amour, de l’angoisse, du rêve, de la folie, de la poésie. »24.
Ainsi le temps sur l’île se mesure aux mouvements de la marée, au passage des
oiseaux et aux changements dans le ciel, Léon rompt le lien traditionnel qu’il avait au
temps, et dont l’unique outil de mesure était la montre.
24
- Ferdinand Alquié, La conscience affective, Librairie philosophique J. Vrin, Paris, 1979, 4ème de
couverture. ISBN 978-2-7116-0009-0-.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Mais le temps est aussi source de peur, chaque instant qui passe nous fait
prendre conscience de notre vulnérabilité face à la mort qui se rapproche
inexorablement, le temps n’a-t-il pas été mesuré à l’aide du sablier ? Ce dernier qui
indique le commencement certes, mais qui marque surtout la fin.
Malgré cela, Léon, qui s’est découvert une temporalité nouvelle sur l’île Plate,
n’a plus peur : « Maintenant je ferme les yeux, je n’ai plus d’inquiétude. Je n’ai plus
peur du temps. Demain, après-demain, plus tard, je serai encore ici, au bout du
monde, loin des vengeances. » (Le Clézio, 1995 : p. 168). Cette prise de conscience
d’un autre temps possible, d’un autre temps vécu, est à mettre en parallèle avec la
dichotomie temps profane/temps sacré telle que décrite par Mircea Eliade, d’ailleurs la
dimension spirituelle liée au temps apparait clairement dans le passage qui suit :
« Pourtant, j’aime venir jusqu’au cimetière. Il y a ici une très grande paix, une
douceur, comme j’ai ressenti parfois dans les églises, cette impression d’un temps plus
grand que ma vie, d’une présence plus vaste que mon regard. » (Le Clézio, 1995 : p.
176).
25
- Anne Meistersheim, Iles des merveilles, Mirage, miroir, mythe, éditions l’Harmattan, 1997, Paris, p. 114.
ISBN 2-7384-5259-0.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Lorsque Surya parle de sa grand-mère, Giribala, qui était une Dom (elle
s’occupait des bûchers) : « Il me semble que je comprends ce qu’elle dit, parce qu’il
n’y a pas de couleur, pas d’âge. C’est la mer qui nous porte dans son balancement. »
(Le Clézio, 1995 : p. 190), nous y voyons le caractère mythique du temps sacré qui
repose sur ce balancement perpétuel que garantie la mer, ainsi la mer participe à la
construction du temps mythique et à libérer les hommes des chaines du temps
profane : « Jamais je ne me suis senti plus libre. Je n’ai plus de mémoire, je n’ai plus
de nom. » (Le Clézio, 1995 : p. 464). Ainsi, le temps n’est plus perçu comme une
répétition d’événements singuliers, mais plutôt dans son aspect duratif au sens
bergsonien27 du terme, un cycle sans cesse répété :
3.3. Une prison nommée île, ou comment la mer dresse-t-elle ses remparts
infranchissables
L’espace de l’île c’est aussi celui de la fermeture, de la claustration, l’espace
replié sur lui-même et dont les limites et les frontières sont très rapidement
perceptibles, d’ailleurs L’île, in-sula en latin, est avant tout en solitude, en
esseulement, en isolement.
26 - Mircea Eliade, Le Sacré et le profane, traduction de l'allemand de Das Heilige und das Profane, Paris,
Gallimard, « Idées », 1965 ; rééd. Folio essais, 1987, p. 61.ISBN 978-2-07-032454-0.
27
- Voir à ce sujet les travaux d’Henri Bergson sur la durée et le temps scientifique expliquées dans son
ouvrage Essai sur les données immédiates de la conscience.
28
- Mario Tome, Odyssées et robinsonades : l’aventure insulaire, Ile des merveilles, Mirage, miroir, mythe,
Colloque de Crisy, Textes réunis et présentés par Daniel Reig, L’Harmattan, 1997P. 170. ISBN 2-7384-5259-
0.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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Ces limites c’est la mer qui les fixe, c’est elle qui procède à l’enferment des
habitants de l’île en dressant ses eaux comme des remparts infranchissables, comme
des portes immenses bouclées de telle sorte à ce que personne ne puisse échapper,
réchapper : « Le ciel est d’un bleu qui déchire la vue, et la mer sombre, dure,
infranchissable. » (Le Clézio, 1995 : p. 404). Mario Tome explique très bien comment
cet espace enfermant peut provoquer, au même moment, un attrait bien particulier :
« L’attrait fascinant des îles, […], serait lié à « un complexe ambigu de claustration ».
L’île accentue et concrétise la tendance profonde à la retraite, à l’emmurement du
caveau, […] »29.
Quelques jours après l’arrivée des passagers de l’Ava sur l’île Plate, voici les
paroles que tient Jacques : « Personne ne se soucie de nous, personne ne plaide notre
cause pour qu’on vienne nous libérer ! » (Le Clézio, 1995 : p. 129), l’emploi du verbe
libérer, signifiant ici dégager, affranchir, traduit bien le sentiment d’emprisonnement
dans lequel se débattent nos jeunes héros dont le rêve était d’aller plus loin, de toucher
Maurice, l’île des ancêtres.
Même si, au fil des jours, ce sentiment n’est pas, n’est plus partagé par
l’ensemble des passagers de l’Ava, Léon, par exemple, ne se souci plus guère de cet
état de fait : « Je ne comprends pas comment c’est possible, mais je reconnais chaque
parcelle, chaque détail, les vagues, les courants qui changent la couleur de la mer, les
écueils. Je ne me sens plus prisonnier. » (Le Clézio, 1995 : p. 166), Léon s’est libéré,
nous assistons ainsi à la conversion de notre héros qui commence à entrevoir le côté
caché de l’île, sa facette naturelle, mystérieuse : Léon est maintenant sensible à la
nature secrète de Plate.
29
- Mario Tome, Odyssées et robinsonades : l’aventure insulaire, Ile des merveilles, Mirage, miroir, mythe,
Colloque de Crisy, Textes réunis et présentés par Daniel Reig, L’Harmattan, 1997P. 152. ISBN 2-7384-5259-
0.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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celle dans laquelle les naufragés se sont enfermés par eux-mêmes, en espérant un
perpétuel ailleurs, tout en passant à côté de cette liberté qu’offre l’initiation à ce rêvé
éveillé que lui vit chaque jour, dans chaque coin et recoin de cette île.
Certains ont bien tenté d’échapper à cette prison, de briser la malédiction des
vagues, de vaincre la mer, de la dépasser pour aller outre, comme l’histoire du jeune
Uka qui, un jour où un bateau s’était rapproché des rives de l’île afin de débarquer des
vivres pour les migrants quand :
Mais, comme nous le voyons dans ce deuxième extrait, la mer renvoie sur ses
rivages tous ceux qui tentent de se souscrire à son règne, elle dresse ses murs d’eau
pour empêcher les fuyards de gagner Maurice.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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« […] une île, quand elle est assez grande, ne vaut pas mieux qu’un
continent. »30, cette citation nous fait rappeler que tout sur terre est entouré par la mer,
de la plus petite parcelle de terre émergée au plus vaste continent, tout est île est tout
est maintenu en place par la mer : « Les hommes là-bas, si loin. Dans leur paradis
muré par la mer, les hommes. Dans leurs villes interdites, Londres, Paris, les rues
d’Elephant & Castle, les quais de Marseille, la rue Saint-Pierre qui va jusqu’à la
Conception. » (Le Clézio, 1995 : p. 323).
30
- David Herbert Lawrence, L’homme qui aimait les îles, éditions Arbre vengeur, 2012, Paris. ISBN 978-
2916141831.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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marquée dans les civilisations orientales, en Inde notamment comme l’indique Jean
Chevalier :
Jean Chevalier note que le fleuve dans la croyance hindoue est assimilé à une
divinité. En effet, les fleuves en Inde sont sacralisés et La Yamuna, à titre d’exemple,
fait partie des sept rivières sacrées de l’Inde.
En effet, depuis des siècles, il est une pratique courante à Maurice qui est celle
de faire appel à la main-d’œuvre bon marché venue l’Inde. Notons, à cet effet, que Le
Clézio inscrit l’île Maurice dans l’aire civilisationnelle hindoue asiatique. C’est
Suryavati, en tant que personnage central de l’œuvre, qui s’occupe d’investir le champ
conceptuel relatif à la civilisation hindoue en reproduisant les rituels du culte hindou,
en expliquant aussi à Léon, les pratiques et usages propres à la culture de l’Inde. Ce
lien entre le texte et la culture, entre le récit d’une part, et la mémoire et la généalogie,
d’autre part, se trouve renforcées par les personnages d’Ananta, la mère de Suryavati,
et Giribala, sa grand-mère : « Elle dit qu’un jour elle emmènera sa mère là-bas, elle
31
- Varuna (devanāgari वरुण [ʋəruɳə]), est l’une des plus importantes divinités du védisme. Il est le dieu du
ciel, mais devient, dans l’Hindouisme, le dieu de l’Océan.
32
- Jean Chevalier, Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Robert Laffont/Jupiter, Paris, 1969, édition
revue et corrigée, Paris, 1982, p. 449. ISBN 978-2-221-08716-9.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
ira jusqu’à Cawnpore, pour voir l’endroit où elle a été sauvée, et la grande rivière, la
Yamuna, où est né le Seigneur Krishna33. » (Le Clézio, 1995 : p. 182).
C’est par les eaux du fleuve que tout commence, et c’est au fleuve que tout
retourne, Suryavati a bien intégré ce fait, c’est pour cette raison qu’elle dit, en
évoquant sa grand-mère : « C’est ici que ma grand-mère Giribala a tété brûlée, quand
elle est revenue de l’Inde. Quelqu’un a mis le feu à son bucher, quelqu’un a balayé ses
cendres dans la mer, pour qu’elle retourne à la Yamuna. » (Le Clézio, 1995 : p. 190).
La Yamuna est le lieu de la naissance, de la renaissance, c’est l’espace sacré par le
biais duquel le mythe trouve son essence, mais c’est aussi la mer qui permet le retour
aux sources de la naissance, la mer seule peut garantir la fusion du passé, du présent et
du futur.
Ananta la mère de Suryavati, elle aussi, fut engendrée par les eaux, par la
rivière sacrée, car c’est bel est bien dans le courant clair de la rivière Yamuna qu’elle
est venue au monde, qu’elle s’est révélé dans son être définitif et éternel. Nous avons
expliqué plus tôt au cours de notre travail que Giribala, qui travaillait comme femme
de ménage dans une des résidences huppées de riches Anglais dans la vile de
Cawnpore, fut obligé de s’enfuir suite à la révolte des Sepoys, au cours de laquelle de
33
- Appelé aussi Krichna, Kṛṣṇa, (कृष्ण), signifie en sanskrit sombre, bleu-noir, est le huitième avatar de
Vishnou (deuxième dieu de la Trimurti -trinité hindoue-, avec Brahma et Shiva). Krishna est une figure
centrale du culte hindou.
34
- Bénédicte N. Mauguière, Mythe et épopée de la descente du Gange, La Quarantaine, Europe, revue
littéraire mensuelle, n° 957-958/janvier-février 2009, France, p. 162. ISBN 978-2-351-50022-4.
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Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
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jeunes Indiens se sont livrés à un véritable massacre dans les quartiers anglais de la
ville, avant de subir, à leur tour, une vendetta meurtrière de la part des soldats anglais
qui les pourchassèrent et les tuèrent jusqu’au dernier.
Giribala a découvert, dans sa fuite, Ananta gisant sur le cadavre de sa mère, elle
avait de beaux yeux clairs et des boucles d’or. Elle l’a emmené avec elle. Ainsi nous
est narrée l’histoire de la venue au monde d’Ananta :
Ce récit est conté une seconde fois à la page 255 : « Alors elle me raconte la
naissance de sa mère, quand sa grand-mère l’a plongée dans l’eau de la rivière
Yamuna pour la laver du sang des victimes de Cawnpore. Ce jour-là elle lui a donné
son nom, elle l’a répété plusieurs fois, Ananta, Ananta, ô éternité ! ».
L’immersion dans les eaux sacrées symbolise au plus haut point le processus de
purification, purification corporelle bien évidemment, comme le démontre l’extrait cité
précédemment, mais aussi et surtout, la purification de tout ce qui a précédé, la
renaissance signifiant de ce fait l’avènement d’un être neuf et immaculé, comme
l’indique si bien Bénédicte Mauguière :
35
- Bénédicte N. Mauguière, Mythe et épopée de la descente du Gange, La Quarantaine, Europe, revue
littéraire mensuelle, n° 957-958/janvier-février 2009, France, p. 164. ISBN 978-2-351-50022-4.
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36
- Le Bhâgavata Purâna, appelé aussi Shrimad Bhâgavatam, est l’un des dix-huit purâna majeurs. (Purâna
est l’appellation donnée à un texte littéraire indien ancien traitant de grands thèmes mythologiques, divinités,
légendes, contes traditionnels, etc.). Pour les adorateurs du dieu Vishnou, le Bhâgavata Purâna est considéré
comme un texte saint au même titre que la Bhâgavad-Gita (c’est l’un des récits fondamentaux de
l’Hindouisme, il est considéré comme un concentré de la doctrine védique). L’histoire rapporte que le
Bhâgavata Purâna fut composé par Vyasa, le compilateur des Vedas.
288
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
« Je suis entré à mon tout dans l’eau très douce et tiède, je cherchais
Surya. Puis j’ai senti son corps contre moi, ses habits collés à sa
peau, sa chevelure ouverte dans l’eau comme des algues. Jamais je
n’avais ressenti un tel désir, un tel bonheur. Il n’y avait plus de peur
en moi. J’étais quelqu’un d’autre, quelqu’un de nouveau. » (Le
Clézio, 1995 : p. 325).
37
- Yama est le seigneur des enfers dans l’Hindouisme, il est en même temps le dieu et le juge devant lequel
se présentent les morts.
38
- Vrindavan, appelé aussi Vrindâvana et Brindavan, est une ville d’Inde située dans la province de l’Uttar
Pradesh. Elle est un haut lieu de pèlerinage lié au culte du dieu Krishna. Elle se trouve au bord de la rivière
Yamuna.
289
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Ce n’est point dans les ruelles de Paris, ni à Marseille, ni même sur la terre de
ses aïeux Maurice, qu’il vient au monde, qu’il se réalise, c’est sur l’île Plate, cette
parcelle de terre née de la mer, patrie des âmes qui y vivent, qui y meurent, qui y
renaissent. C’est bien cela l’essence du mythe : aboutir à la fusion alchimique
dépassant les particularismes imposés à l’être que sont sa propre l’histoire, sa culture,
son appartenance à l’ethnie et sa filiation.
L’eau qui est l’élément de purification corporelle par excellence, accède dans le
roman de La Quarantaine, au travers du bain –dans la mer comme dans le fleuve- à un
statut hautement plus mystique, car l’immersion dans l’eau devient synonyme de
purification symbolique par le biais duquel Léon comme Surya se déchargent de la
violence, de la guerre, de l’errance de leurs passés : « Nous étions redevenus des
enfants. Nés, à nouveau, dans l’eau courante du lagon, sans passé et sans avenir. La
mort n’était rien. Juste le souffle de la déesse froide qui passe sur l’île. A un moment,
Surya a dit : « C’est comme la rivière où ma mère est née. » » (Le Clézio, 1995 : p.
326), c’est pour cela que la baignade dans les eaux de la mer ou celles du fleuve
accèdera au rang de rituel d’expurgation du passé.
Il est évident que tout sur terre est appelé un jour à disparaitre, tout n’est que
ruine précédente l’inexistence : « Dans le crépuscule, j’ai imaginé que j’étais dans la
Yamuna, là où Giribala a plongé Ananta après l’avoir arraché à la mort. Surya
m’entraine à mon tour dans la rivière, cette eau légère et douce qui coule entre les
ruines du monde. » (Le Clézio, 1995 : p. 423), mais la mer elle, coule entre ces pans
terrestres fébriles, elle permet d’engendrer la « rééxistence », car elle porte en elle la
vie, les vies de tous ceux qui ont précédés.
290
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
généalogique et l’être actuel, en ce sens où notre propre issue qui est la mer, mais cette
mer nous la portons, au même moment, en nous de par celles et ceux qui nous sont
antérieurs : « Sa voix quand elle dit mon nom, un nom lent et secret comme une
chanson, bhaii, frère. La Yamuna qu’elle porte en elle, le fleuve où est née Ananta, et
son frère Yama, fils du soleil, marqué au front d’une goutte de santal comme l’œil de
la mémoire. » (Le Clézio, 1995 : p. 473). Ainsi, la mer est notre destinée, mais elle est
aussi notre héritage, ce patrimoine que nous véhiculons aujourd’hui et qui sera enrichi,
demain de l’apport qui sera le nôtre.
Synthèse
Au terme de ce chapitre, nous avons pu démontrer le fond mythologique
existant et se réalisant dans nos deux romans par le biais du vocable mer. En effet, la
mer possède des caractéristiques qui lui sont intimement liés. Elle fait appel à tout
l’imaginaire et toutes les représentations et autres croyances nées depuis des
millénaires, mettant en scène cet élément naturel comme source de bonheur, de
malheur, de vie, de mort et de renaissance.
39
- Paulo Coelho, L’alchimiste, éditions Anne Carrière, Paris, 1994. ISBN 978-2-910188-13-9.
291
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
Conclusion
« Les eaux symbolisent la somme universelle des virtualités ; le réservoir de
toutes les possibilités d’existence ; elles précèdent toute forme et supportent
toute création. L’image exemplaire de toute création est l’Ile qui
soudainement se « manifeste » au milieu des flots.
En revanche, l’immersion dans l’eau symbolise la régression dans le
préformel, la réintégration dans le monde indifférencié de la préexistence.
L’immersion équivaut à une dissolution des formes. C’est pour cela que le
symbolisme des Eaux implique aussi bien la Mort que la Renaissance. »40.
Ainsi, la reprise des mêmes actes, des mêmes attitudes, des mêmes situations,
d’une partie du roman à l’autre, outre la sensation du temps qui passe, traduisent bien
l’impression, parfois même la volonté d’enfermement de nos deux héros à l’intérieur
40
M. Eliade, Images et symboles, Essais sur le symbolisme magico-religieux, éditions Gallimard, « Les
Essais », Paris, 1952 ; rééd. Editions Tel, 1979, pp199. 200.. ISBN 2-07-028665-7.
292
Partie III Les représentations symboliques et mythologiques de la mer
_________________________________________________________________________
d’un destin clos. De la sorte, la mer, placée de façon symbolique dans le déroulement
du récit, traduit, à sa manière l’amélioration ou la dégradation de la situation des
personnages centraux.
En outre, la mer finit par acquérir un statut de mythe au sein de notre corpus et
ceci au travers de tous les sens, les relations et les renvois dont elle s’enrichit. La
dimension sacrée, traditionnelle, historique et mémorielle sont convoquées et mise au
service de l’élément maritime qui prendra en charge, à l’intérieur des deux œuvres
romanesques, l’organisation de la diégèse, l’orientation des faits et gestes des
personnages centraux, en plus de la désignation et de la délimitation de l’espace à
l’intérieur duquel l’histoire prend forme.
293
Conclusion
Conclusion
_______________________________________________________________________________
Nous avons pensé ce projet de thèse de manière centrée sur un seul vocable : la
mer. Il est vrai que prendre la mer c’est aussi laisser derrière soi, ainsi, donner la
priorité à ce vocable c’est certainement en remettre au second plans d’autres.
Néanmoins, la rigueur scientifique en matière de recherche en sciences des textes
littéraires exige une focalisation des plus pointus sur les phénomènes préfigurant les
thèmes et sujets à exploiter.
D’ailleurs, Nous avons, tout au long de ce travail, tenté de cerner les différentes
réalisations du vocable mer en langue, en discours mais aussi au travers des
imaginaires des auteurs des deux romans Au commencement était la mer et de La
Quarantaine.
Les mots, comme éléments discursifs, leurs sens, leurs emplois et leurs renvois
ne sont jamais fortuits. Ils proposent, construisent le monde et les discours, élaborent
le récit et introduisent une vision du monde au sens Bakhtien du terme. Ils sont même
susceptibles de recevoir une charge sémantique connotative et symbolique, une forme
de polysémie ancrée dans les discours et les interactions, multipliant ainsi l’intérêt du
chercheur. Le mot mer en littérature est l’un de ces vocables qui participent à
introduire, non pas uniquement un cadre spatial particulier, mais plus encore, tout un
univers fait de symboliques particulières, de sensibilités d’émotions, d’aires
diégétiques permettant des progressions (tissages) narratives pluridimensionnelles.
295
Conclusion
_______________________________________________________________________________
sont unanimes pour qualifier et designer la littérature maritime comme genre à part
entière. Mais, cette littérature existe-t-elle vraiment ? A-t-elle aujourd’hui une place
dans les études de genres, ou bien est-ce là juste un mythe développé par les amoureux
des grands espaces et les naturalistes contemporains ?
Ceci nous a poussés à nous interroger quant à l’existence d’un style purement
maritime possédant ses propres formes, codes et caractéristiques. Dès lors, il parait
tout à fait légitime et nécessaire de se pencher de près sur le mode de déploiement de
cette discursivisation particulière imposée par la mer, mise en discours qui détermine
un genre.
Afin de traiter ces questionnements, nous avons consacré notre premier chapitre
à une recherche documentaire qui tente de recenser, depuis les prémices des textes
écrits, jusqu’à nos jours, les textes évoquant, citant ou racontant la mer, sous toutes ses
formes, dans tous ses états et à travers toutes ses dimensions. Ceci en plus d’une étude
lexicale qui a permis de dégager, sens, usages et diverses associations du vocable
mer en langue.
Nous sommes arrivés, au bout de cette partie, à la conclusion qui est celle de
l’existence d’une littérature maritime à proprement dite. Littérature qui est le fruit
d’une longue évolution au fil des âges, et qui permet aujourd’hui à beaucoup d’auteurs
d’y inscrire leurs œuvres avec toutes les constructions symboliques et mythiques qui
s’y réfèrent.
Par ailleurs, dans la perspective d’une analyse objective, une lecture attentive
de notre corpus nous permet d’avancer, sans nous tromper, que les romans de Maïssa
Bey et celui de Le Clézio portent en eux les stigmates de la mer. Cette dernière y est
omniprésente, elle s’impose au lecteur par le biais des truchements textuels. Le
traitement mais aussi l’engagement du et vers le vocable mer nous mènent à consacrer
notre deuxième partie à l’analyse structurelle des deux romans. Il est maintenant
clairement attesté que le thème maritime reçoit dans ces deux romans initiatiques un
traitement narratif privilégié. D’ailleurs l’image de la mer s’offre au lecteur partout,
des les moindres reliefs de ces récits qui réussissent le tour de force de mêler à la
description, l’ethnographie et la poétique.
296
Conclusion
_______________________________________________________________________________
Nous n’aurions pas pu avancer dans notre étude sans l’analyse minutieuse du
vocable mer au sein des deux romans, or une telle analyse ne peut voir le jour sans un
découpage systématique des romans composants notre corpus, en moments narratifs,
en époques du récit. Pour se faire nous avons opté pour le schéma de Paul Larivaille
qui permet un découpage séquentiel du texte en s’appuyant sur les moments forts de
l’histoire et de l’intrigue. Un modèle de lecture et une réflexion organisée autour d’une
analyse lexico-sémantique. Cela nous a permis de repérer les emplois du vocable mer
au sein de notre corpus dans un premier temps, et la mise en corrélation ces usages
discursifs avec les moments clés des récits ceci afin de dégager le statut qu’occupe la
mer dans nos deux romans dans un second temps.
Tout au long de cette partie, notre principale tâche était celle de repérer les
changements, évolutions et les éventuelles perturbations se produisant au sein du récit.
Nous avons tenté de distinguer les connexions de l’acteur mer avec les événements et
les faits des autres acteurs du récit. Au terme de cette analyse nous avons pu faire le
constat qu’il y a effectivement une forte connivence du vocable mer avec les autres
personnages, avec leurs états émotionnels et psychologiques, mais pas uniquement. En
effet, la mer intervient pour poser le cadre de l’action, mais aussi comme élément
permettant l’accomplissement d’autres actions ou leurs non réalisation. Par ailleurs,
nous avons pu relever l’impact du vocable mer, avec toutes ses significations, ses
associations, et ses sens annexés, sur la progression des récits. Ainsi la mer marque les
moments forts de l’histoire et intervient parfois comme adjuvant à l’accomplissement
des quêtes des protagonistes, et à d’autres reprises comme frein à l’action ou pour faire
évoluer le récit vers d’autres sphères.
La troisième partie de notre travail était orientée vers deux plans distincts mais
complémentaires : la valeur symbolique et la dimension mythique de la mer à
l’intérieur de nos deux romans.
297
Conclusion
_______________________________________________________________________________
Nous nous sommes penchés, dans un premier temps, sur les représentations
symboliques du vocable mer. En effet, ce vocable, riche de ses significations ainsi que
de ses références, a instauré des réseaux de symbolismes qui permettent une pluralité
de lectures de nos romans. Ainsi la mer noue, à l’intérieur des textes que nous avons
traités, des liens textuels et référentiels avec d’autres acteurs tels que l’espace ou les
personnages. Ces liens sont d’une importance capitale pour la bonne réception des
romans en question car ils participent à l’organisation générale des faits de l’histoire,
et offrent au lecteur un espace propice à l’imagination et à la rêverie contemplative.
L’espace marin ainsi que ses différentes évocations occupent une place de
choix dans les deux œuvres que nous avons traités, tout comme les descriptions des
paysages, selon plusieurs modes et dans plusieurs registres. Nous avons perçu, au fil
de notre lecture des deux textes la mise en mots de cet espace originel mythique qu’est
298
Conclusion
_______________________________________________________________________________
Nos analyses quant au concept du mythe de la mer nous ont aussi permis de
mettre à nu cette dichotomie entre les représentations de la mer comme prison car
synonyme d’enfermement, comme objet de l’interdit et même du blasphème, et entre
la mer comme espace de liberté, et source au mythe de la renaissance. En effet, dans
son aspect le plus cruel, la mer peut s’ériger comme rempart séparant l’être de sa
299
Conclusion
_______________________________________________________________________________
Pour conclure, nous pouvons attester que Bey comme Le Clézio orientent le
discours qui est le leur vers un idéal en particulier, tout en tentant de guider le lecteur
au sein de cet espace maritime seul apte à permettre la renaissance et l’aspiration aux
idéaux de liberté, c’est là toute la force du mythe de la mer dans notre corpus.
Nadia comme Léon ont fait ce choix de la mer, ils ont opté pour le beau,
l’inconnu et l’infini, tous les deux ont disparus, mais sont-ils vraiment morts ? Non, ils
vivent et vivront pour toujours en tant que symboles à travers l’immensité de cette mer
qui les a envoutés.
300
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Romans et Nouvelles :
Ouvrages collectifs :
Algérie 40 ans après, L’Aube et Littera, (avec Mohamed Kacimi, Boualem Sansal, Nourredine
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Théâtre :
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_Les_Natchez,_1872.djvu/48&oldid=8256661.
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Thèse de doctorat en Sciences des textes littéraires, Université d’Oran 2, 2016.
314
Table des matières
Table des matières
INTRODUCTION .............................................................................................. 2
Partie I
Naissance et évolution de
la littérature maritime
Introduction ........................................................................................................ 11
Chapitre I : Le mot mer, des origines aux usages
1. Etymologie et histoire du vocable mer ............................................................ 13
2. Définition, en langue, du vocable mer ............................................................. 14
2.1. Sens propre ............................................................................................... 14
2.2. Sens figuré ................................................................................................ 17
3. Le mot mer en géographie................................................................................ 18
4. Les syntagmes formés à partir du vocable mer ................................................ 19
4.1. Sens propre ............................................................................................... 19
4.2. Sens figuré ................................................................................................ 21
4.3. La mer et ses couleurs .............................................................................. 23
4.4. La mer et les éléments naturels................................................................. 23
4.5. Les états de la mer .................................................................................... 24
4.6. Le mot mer et la faune marine .................................................................. 25
4.7. La mer et les sons ..................................................................................... 26
5. Les associations de lexies liées au vocable mer............................................... 26
6. La mer et la mythologie ................................................................................... 27
Synthèse ................................................................................................................ 27
Chapitre II : La littérature maritime :
genèse de la formation d’un genre
1. Les plus anciens peuples de la mer .................................................................. 30
1.1. Dans la haute antiquité.............................................................................. 30
1.1.1. En Mésopotamie : Les tablettes de Mésopotamie ............................ 31
1.1.2. En Egypte .......................................................................................... 31
1.1.2.1. Le texte d’Hénou : récit de voyage dans le Pount ..................... 32
1.1.2.2. Le premier naufrage .................................................................. 32
1.1.2.3. Le Livre des Morts de l’Egypte ancienne ................................. 33
316
1.1.2.4. Les bas-reliefs de Deir el-Bahari ............................................... 34
1.1.3. En Phénicie : Les Tablettes de Thèbes ............................................. 35
1.2. Dans l’antiquité ......................................................................................... 36
1.2.1. En Grèce ............................................................................................ 36
1.2.1.1. Jason et les Argonautes ............................................................. 37
1.2.1.2. L’expédition de Néchao autour de l’Afrique ............................ 37
1.2.1.3. L’aventure d’Hannon ................................................................. 38
1.2.1.4. Le Périple de Pythéas ................................................................ 39
1.2.1.5. Homère : le père de la littérature ............................................... 39
1.2.2. A Rome.............................................................................................. 41
1.2.2.1. Virgile ............................................................................................. 41
2. Récits et légendes de la mer au Moyen Age .................................................... 43
2.1. Les Mille et Une Nuits .............................................................................. 43
2.2. L’épopée irlandaise ................................................................................... 44
2.2.1. La Navigation de la barque de Mael Duin ........................................ 44
2.2.1. La légende de saint Bredan ............................................................... 44
2.3. La mer dans la poésie médiévale : Tristan et Iseult ................................. 45
2.4. Les légendes maritimes scandinaves ........................................................ 46
2.4.1. La légende du roi Skiold : le roi venu de la mer ............................... 47
2.4.2. Saga d’Eric le Rouge ......................................................................... 48
3. Les écrivains de la mer au temps de la Renaissance........................................ 48
3.1. François Rabelais ...................................................................................... 49
3.2. Miguel de Cervantès Saavedra ................................................................. 50
3.3. William Shakespeare ................................................................................ 51
3.4. Alain-René Lesage .................................................................................... 52
4. Les précurseurs du genre maritime .................................................................. 54
4.1. Daniel de Foe (1633-1731) ....................................................................... 54
4.2. Jonathan Swift (1667-1745) ..................................................................... 55
4.3. Jacques Henri Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814) ............................ 57
4.4. James Fenimore Cooper (1789-1851) ...................................................... 57
4.5. Edouard John Trelawney (1792-1881) ..................................................... 58
4.6. Edgar Allan Poe (1809-1849) ................................................................... 59
Synthèse ........................................................................................................... 61
317
Chapitre III : Le roman maritime aux XIXe et XXe siècles
1. Le roman maritime au XIXe siècle .................................................................. 64
1.1. François-René de Chateaubriand (1768-1848)......................................... 64
1.2. Eugène Sue : le père du roman maritime français (1804-1857)............... 65
1.3. Alexandre Dumas père (1802-1870) ........................................................ 66
1.4. Victor Hugo (1802-1885) ......................................................................... 69
1.5. Jules Verne (1828-1894) .......................................................................... 71
1.6. Pierre Loti (1850-1921) ............................................................................ 72
1.7. Robert Louis Stevenson (1850-1894) ....................................................... 75
1.8. Rudyard Kipling (1865-1936) .................................................................. 77
1.9. Jack London (1876-1916) ......................................................................... 78
1.10. Joseph Conrad (1857-1924).................................................................... 82
2. Le roman maritime au XXe siècle ................................................................... 85
2.1. Claude Farrère (1876-1957) ..................................................................... 86
2.2. John Masefield (1878-1967) ..................................................................... 88
2.3. Henry de Monfreid (1879-1974) .............................................................. 89
2.4. Pierre Mac Orlan (1882-1970) ................................................................. 92
2.5. Pierre Béarn (Louis-Gabriel Besnard) (1902-2004)................................. 94
2.6. Jean Giono (1895-1970) ........................................................................... 96
Synthèse ................................................................................................................ 98
Conclusion ........................................................................................................... 99
Partie II
De la structure au sens
Introduction ...................................................................................................... 102
Chapitre I : Cadre méthodologique
et configurations des deux romans
1. Préalables théoriques ........................................................................................ 104
2. Les configurations particulières de La Quarantaine ....................................... 105
2.1. La part de l’auto biographie dans La Quarantaine .................................. 105
2.1.1. Le Clézio et le passé colonial à l’île Maurice :
entre dénonciation et volonté de rédemption ............................................. 106
2.1.2. Représentation sémantique et onomastique ...................................... 108
2.2. Le paradoxe temporel dans La Quarantaine ............................................ 110
318
2.2.1. Le dédoublement de l’instance narratrice
ou la schizophrénie narratrice .................................................................... 110
2.2.2. La mise en abyme de La Quarantaine : Le roman dans le roman ... 112
2.3. La Yamuna ou le récit des origines : l’autre intertexte leclézien ............. 113
3. Les configurations particulières d’Au commencement était la mer ................. 116
3.1. Les discordances temporelles d’Au commencement était la mer ............. 117
3.2. Le personnage de Nadia ou la clé de voûte du roman de Maïssa Bey ..... 119
3.2.1. Nadia entre être et vouloir-être ......................................................... 119
3.2.2. Nadia, personnage ambivalent .......................................................... 122
4. Le schéma de Paul Larivaille ........................................................................... 122
Synthèse ................................................................................................................ 127
Chapitre II : Analyse des structures narratives
d’Au commencement était la mer
1. Epoque 1 du récit : Etat initial : Les vacances au bord de la mer .................... 129
2. Epoque 2 du récit : Provocation : La rencontre amoureuse ............................. 133
3. Epoque 3 du récit : Action : Accomplissement du sentiment amoureux
chez Nadia et Karim ............................................................................................ 136
4. Epoque 4 du récit : Sanction : La rupture entre Nadia et Karim ..................... 141
5. Epoque 5 du récit : Etat terminal : La mort de Nadia ...................................... 144
5.1. Séquence 1 : La grossesse ........................................................................ 145
5.2. Séquence 2 : L’avortement ....................................................................... 146
5.3. Séquence 3 : Le conflit avec Djamel ........................................................ 148
5.4. Séquence 4 : Le voyage de la mémoire .................................................... 148
5.5. Séquence 5 : La mort ................................................................................ 149
Synthèse ................................................................................................................ 149
Chapitre III : Analyse des structures narratives
de La Quarantaine
1. Chapitre premier : Le voyage sans fin (pp. 13. 34) ......................................... 151
2. Chapitre deuxième : L’empoisonneur (pp. 35. 58) .......................................... 153
3. Chapitre troisième : La Quarantaine ................................................................ 154
3.1. Application du schéma de Paul Larivaille ................................................ 154
3.2. Epoque 1 : Etat initial : Le débarquement sur l’île
de la quarantaine (pp. 59. 86) .......................................................................... 155
319
3.3. Epoque 2 : Provocation : L’amorce de l’histoire d’amour, la rencontre
entre Léon et Suryavati (pp. 87. 132) ............................................................. 159
3.4. Epoque 3 : Action : Naissance et accomplissement du sentiment
amoureux (pp 133. 316) .................................................................................. 164
3.5. Epoque 4 : Sanction : Le couple Léon-Suryavati (pp 316. 480) ............. 180
3.6. Epoque 5 : Etat terminal : Le départ de l’île
de la quarantaine (pp 481. 484) ....................................................................... 197
4. Chapitre quatrième : Anna (pp 485. 540) ........................................................ 199
Synthèse ................................................................................................................ 201
Conclusion ......................................................................................................... 202
Partie III
Les représentations symboliques
et mythologiques de la mer
Introduction ...................................................................................................... 204
Chapitre I : Le référent maritime
et l’univers dramatique de la mer
1. La mer en tant que référence spatialisante ....................................................... 206
1.1. Dans Au commencement était la mer ....................................................... 207
1.1.1. La plage ............................................................................................. 207
1.1.2. Alger : ville maritime ........................................................................ 208
1.2. Dans La Quarantaine ............................................................................... 208
1.2.1. L’Océan Indien .................................................................................. 208
1.2.2. La Yamuna ........................................................................................ 209
1.2.3. Marseille : ville maritime ................................................................. 210
2. La mer comme élément naturel ........................................................................ 211
2.1. Dans Au commencement était la mer ....................................................... 212
2.2. Dans La Quarantaine ............................................................................... 214
Synthèse ................................................................................................................ 219
Chapitre II : La valeur symbolique de la mer
1. La notion de symbole ...................................................................................... 221
1.1. Les emploi du mot symbole..................................................................... 224
2. Images et représentations de la mer ................................................................. 225
2.1. La symbolique de l’eau............................................................................. 228
320
2.2. La symbolique de l’Océan ........................................................................ 231
2.3. La symbolique des vagues ........................................................................ 231
2.4. La symbolique du fleuve .......................................................................... 232
2.5. La symbolique des flots ............................................................................ 233
3. Les variations symboliques du vocable mer .................................................... 234
3.1. Dans Au commencement était la mer ....................................................... 234
3.1.1. La mer amante : L’isotopie de l’amour............................................. 234
3.1.1.1. La mer et Nadia ......................................................................... 237
3.1.1.2. Le Soleil et Karim...................................................................... 239
3.2. Dans La Quarantaine ............................................................................... 241
3.2.1. L’île comme espace des fusions symboliques ................................. 241
3.2.1.1. La symbolique de l’île .............................................................. 242
3.2.1.2. La fusion Soleil/Surya .............................................................. 246
3.2.1.3. La fusion Mer/Léon .................................................................. 249
Synthèse ................................................................................................................ 254
Chapitre III : La dimension mythique de la mer
1. Notions définitoires du mythe .......................................................................... 257
1.1. Mythe/Récit ............................................................................................. 257
1.2. Mythe/Religion ........................................................................................ 258
1.3. Le mythe comme moyen d’interprétation du monde ............................... 259
1.4. L’apprivoisement de l’ailleurs par le biais du mythe ............................... 259
1.5. Mythe et réalité ........................................................................................ 260
2. Le mythe de la mer dans Au commencement était la mer ............................... 261
2.1. La mer bonheur Vs la mer malheur .......................................................... 261
2.1.1. La mer calme comme source du bonheur ......................................... 262
2.1.2. La mer agitée annonciatrice de malheurs.......................................... 262
2.2. Liberté/ interdit : les deux facettes du mythe de la mer ........................... 264
2.2.1. La mer libératrice .............................................................................. 266
2.2.2. Le mythe de la mer à l’examen du prisme
religieux et social: La mer Haram (interdit) .............................................. 270
3. Le mythe de la mer dans La Quarantaine ....................................................... 272
3.1. Mer calme Vs Mer dévorante : les motifs
de la vie et de la mort dans La Quarantaine .................................................. 273
3.1.1. La mer calme ..................................................................................... 273
321
3.1.2. La mer violente.................................................................................. 274
3.1.3. La mer dévorante et la mort .............................................................. 275
3.2. La mer de Le Clézio et le mythe proustien .............................................. 277
3.2.1. Le temps insulaire comme
mode de déploiement du mythe de la mer .................................................. 279
3.3. Une prison nommée île, ou les remparts
infranchissables de la mer ............................................................................... 281
3.4. Le mythe de la renaissance ...................................................................... 284
Synthèse ................................................................................................................ 291
Conclusion ........................................................................................................... 292
CONCLUSION GENERALE ........................................................................... 295
Bibliographie ..................................................................................................... 302
Table des matières ........................................................................................... 316
322
Les variations discursives du vocable mer dans
Au commencement était la mer de Maïssa Bey et La Quarantaine de J-M G. Le Clézio.
Résumé :
Notre recherche s’inscrit dans le cadre d’une lecture plurielle du vocable mer. Outre la
sémantique dénotée du mot, notre traitement du terme relève de son ancrage
multidimensionnel en tant qu’élément déterminé par des environnements naturels, historiques,
culturels, représentatifs mais aussi rhétoriques. Par ailleurs, notre quête passe par l’analyse
des réseaux symboliques et des représentations du mythe de la mer dans un corpus composé
de deux romans à savoir La Quarantaine de Jean-Marie Gustave Le Clézio et Au
commencement était la mer de Maïssa Bey. La mer est un élément prépondérant dans
l’écriture de Le Clézio et de Bey, elle y acquiert, grâce au sens qu’elle annexe, un statut de
mythe, une métaphore de la vie et de l’écriture.
Mots-clés : mer, vocable, symbole, mythe, imaginaire.
:ملخص
فإن تعاملنا مع، باإلضافة إلى الدالالت التي تدل عليها الكلمة، بحثنا هو جزء من القراءة التعددية لمصطلح البحر
. الخطابة أيضا.المصطلح يأتي من ترسيخه متعدد األبعاد كعنصر تحدده البيئات الطبيعية والتاريخية والثقافية والتمثيلية
يمضي بحثنا في تحليل الشبكات الرمزية وتمثيل أسطورة البحر في مجموعة مؤلفة من روايتين هما، باإلضافة إلى ذلك
يعتبر البحر. ميسا بايAu commencement était la mer لجان ماري غوستاف لو كليزيوLa Quarantaine a
واستعارة للحياة، وضع األسطورة، بفضل شعور أنه يضم، فهو يكتسب، عنصراً مهيمنا ً في كتابة لو كليزي و باي
.والكتابة
كلمة- - السرد- البحر- رمز-أسطورة- وهمية:الكلمات المفتاحية
Abstract:
Our research is part of a plural reading of the term sea. In addition to the semantics
denoted by the word, our treatment of the term comes from its multidimensional anchoring as
an element determined by natural, historical, cultural and representative environments, also
rhetoric. In addition, our quest goes through the analysis of symbolic networks and
representations of the myth of the sea in a corpus composed of two novels namely La
Quarantaine of Jean-Marie Gustave Le Clézio and Au commencement était la mer of Maïssa
Bey. The sea is a preponderant element in the writing of Le Clézio and Bey, it acquires,
thanks to the sense that it annexes, a status of myth, a metaphor of life and writing.
Key-words: sea –vocable- narrative- symbol- imaginary- myth.