La Notion Du Marché Financier INESS YOUSSEF

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La notion de marché financier

Inès YOUSSEF
Docteure en Droit privé

1. Le financement d’une économie. Le financement d’une économie peut s’opérer soit


sur ressources propres ou autofinancement, soit sur appel aux fonds extérieurs1. Dans ce dernier
cas, les agents économiques disposent de deux techniques pour obtenir des ressources :
La première consiste à emprunter auprès des intermédiaires bancaires ou non bancaires
(intermédiation bancaire (bank-based system)). Ceci correspond au circuit de la « finance
indirecte ». La seconde repose sur l’émission d’instruments financiers sur le marché financier
(désintermédiation (market-based system))2. Ceci correspond au circuit de la « finance
directe »3.

2. La notion générale de marché. La notion de marché est en vérité, assez difficile à


appréhender4. D’une manière générale, cette notion comporte trois principaux sens :
Tout d’abord, le marché est souvent défini comme un lieu fictif de rencontre entre acheteurs et
vendeurs où se déroulent des transactions5. Il convient à ce titre de distinguer le lieu de rencontre
entre offre et demande, de la localisation géographique des places de marché.
Ensuite, le marché peut également être identifié aux contrats conclus entre acheteurs et
vendeurs.
Enfin, le marché peut être assimilé à sa régulation, dont le rôle est en réalité de délimiter les
contours du marché6. Dans ces conditions, il apparaît qu’un marché financier peut aussi avoir
trois sens.

1
D’après la théorie de GURLEY et SHAW V. J-G.GURLEY et E-S.SHAW, La monnaie dans une théorie des
actifs financiers (Trad. Money in a Theory of Finance, 1960), éd Cujas, 1973.
2
Introduite par ALLEN et GALE (1995), l’idée de la distinction entre « bank-based » par rapport à « market-
based », était vérifiée empiriquement par DERMINGUC-KUNT et LEVINE (1999). Sur la même problématique,
HICKS a proposé en 1974 une distinction entre d’une part l’économie d’endettement (over draft economy),
caractérisée par une finance indirecte, et d’autre part, l’économie de marchés des capitaux (autoeconomy), où les
marchés financiers assurent le financement de l’économie. J.HICKS, « Crisis Iin Keynesian Economic », Basil
Backwell, 1975.
3
Cette distinction (« bank-based » par rapport à « market-based » manque encore d’ancrage dans les systèmes
financiers encore désarticulés. V. M.DJELASSI ; M.MAZIOUD ; D.SAÏDANE, « Le financement des
investissements en Tunisie : Le rôle des banques est-il important ? » ,Rev. éco. fin, mars 2010, V. 97, p. 309-326.
4
La notion intéresse tant les économistes que les juristes. De plus, il n’existe pas une notion juridique du marché
en tant que tel, et ce d’autant que celle-ci est commune à diverses branches du droit (Droit de la concurrence, droit
de la consommation, droit du marché, droit des marchés financiers…) Par ailleurs, il existe des notions techniques
utilisant le terme de marché comme le « marché pertinent » en droit de la concurrence, les « marchés publics » en
droit public économique ou encore les « marchés réglementés » en droit financier. V. C. Lucas DE LEYSSAC et
G. PARLEANI, Droit du marché, PUF, coll. Thémis, 2002, p. 333 et p. 363 : En essayant de dégager les traits
d’un droit commun du marché, ils se concentrent sur le droit de la concurrence et le droit de la consommation, en
excluant les marchés boursiers qu’ils tiennent pour des « marchés spéciaux », dont l’étude est trop technique pour
trouver sa place dans un ouvrage général. V. aussi, H. DE VAUPLANE, « Les notions de marché », Rev. dr.
bancaire et bourse, mars-avr.1993, n° 36, p. 62.
5
V. G.CORNU, Vocabulaire juridique, QUADRIGE/PUF, 9e éd, 2011, p. 638.
6
Th.BONNEAU et Fr.DRUMMOND, Droit des marchés financiers, Economica, 3e éd., 2010, n°5, p. 5.

INES YOUSSEF 1
3. La notion de marché financier. La notion de marché financier peut désigner un lieu
de rencontre entre l’offre et la demande7 de biens d’une nature originale qui sont les instruments
financiers8. Ainsi, le marché financier dans sa conception classique est désigné par « bourse de
valeurs mobilières ».
Cette notion peut également se référer à certains contrats conclus entre les différents
investisseurs.
Le marché financier peut aussi désigner la régulation, puisqu’il est généralement doté d’une
autorité de régulation9.
Toutefois, la question demeure de savoir ce qu’il faut entendre, concrètement, par marché
financier.
Au sens large des termes, il s’agit du marché de l’argent à long terme, quels que soient les
emplois auxquels il est affecté.
Dans un sens plus étroit, l’expression est réservée au marché des capitaux à long terme, utilisant
pour support les valeurs mobilières. Le marché financier s’oppose alors au marché monétaire,
défini comme le marché des capitaux à court et moyen termes10.
Habituellement, le marché monétaire est celui des établissements de crédit alors que le marché
financier est ouvert à tous les opérateurs économiques. Cependant, cette distinction s’est
estompée puisque le marché monétaire s’est ouvert à d’autres opérateurs et à d’autres produits
à moyen terme11 ; tandis que le marché financier a connu une mutation remarquable.

4. La mutation des marchés financiers. Cette mutation est caractérisée par la « révolution des
trois D » à savoir, dérèglementation, décloisonnement et désintermédiation . S’y sont ajoutées
les opérations de titrisation.
Cette mutation a sensiblement dégradé les arêtes saillantes de la définition du marché financier.
Ainsi, le critère de l’échéance a subi l’effet du désenclavement des différents compartiments du
marché, qui conduit à la mise en place progressive d’un continuum de titres négociables
accessibles à tous.
De même, cette mutation du système financier a permis l’ouverture à la concurrence des
marchés financiers.

5. La concurrence des marchés financiers. Au sens classique, la bourse est « un


processus d’enchères réservé aux valeurs mobilières cotées et imposé à toutes les transactions
sur celles-ci »12. En d’autres termes « la bourse, c’est le monopole des transactions sur les titres
cotés »13.

7
On considère souvent les marchés financiers comme le lieu de rencontre entre capacités de financement et besoins
de financement. Les marchés financiers permettent donc d’allouer les ressources de la manière la plus optimale
possible entre des agents de profils opposés.
8
On assimile ainsi, marché financier et marché des instruments financiers.
9
Th.BONNEAU et Fr.DRUMMOND, Droit des marchés financiers, op. cit, n°5, p. 5.
10
C.FAVRE, « Restructuration des marchés boursiers : point de vue du juriste », Coll. Bourse et Concurrence
Restructuration des marchés boursiers : opportunités et risques, Jeudi 25 octobre 2007, Rev.Lamy.Con. 2008.
11
Le marché monétaire s’est ouvert à d’autres opérateurs et à d’autres produits à moyen terme. Désormais, le
marché monétaire se compose de deux compartiments : le marché interbancaire ou marché monétaire au sens strict
sur lequel peuvent intervenir principalement les établissements de crédit ainsi que les entreprises d’investissement
et le marché monétaire au sens large ouvert à tous les opérateurs, quelques soient leurs qualités et sur lequel se
réalisent les opérations portant sur les titres de créance négociables (TCN).
12
Au sens technique, la bourse est « un marché officiel et public où sont cotées et négociées les valeurs mobilières
inscrites à la cote ».V. J-F.VILLENEUVE, Le dictionnaire technique de la bourse et des marchés financiers,
SOFICOM éd, novembre 2004, p. 94.
13
J-J.DAIGRE, « La fin des « bourses » », RDBF, 2003, n°2, p. 83.

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La conception anglo-américaine est différente : ce n’est plus celle d’une « bourse », mais d’un
marché. Le marché représente la liberté de concurrence.
Aujourd’hui, c’est cette dernière conception qui règne, à tel point qu’on parle de la « fin de la
bourse »14, en considérant que : « la bourse n’est plus, mais les marchés financiers
demeurent »15. Ces marchés sont même hégémoniques16 et très variés.
A l’origine de cette mutation, on trouve le progrès technologique et l’innovation financière qui
ont provoqué une révolution dans l’architecture des marchés financiers et leurs
fonctionnements.
Par conséquent, contrairement à l’opinion largement admise, le marché financier ne s’identifie
plus à la « bourse ».

6. Problématique. Comment alors la notion classique de marché financier conçu comme


un marché boursier a été bouleversée ?

7. Plan. Partant de l’idée que « l’efficience économique » commande la disparition des


bourses, il paraît opportun d’étudier en premier lieu le déclin de la notion de bourse de valeurs
mobilières (I) avant de présenter la mutation subséquente de la notion de marché financier (II).

I/ LE DECLIN DE LA NOTION DE BOURSE DE VALEURS MOBILIERES

8. Plan. La vocation initiale du marché financier était le financement des entreprises (1).
Malgré son importance économique, cette vocation s’est altérée marquant alors l’évolution dans
les infrastructures du marché et rendant ainsi plus impérieuse la tâche de l’identification de cette
notion (2).

1/La vocation initiale de financement d’une bourse de valeurs mobilières

9. Plan. Historiquement, l’idée dominante était de voir dans l’introduction sur le marché
boursier le moyen d’accroître les possibilités de financement de l’entreprise (1.1). Pour assurer
cette fonction économique principale, l’enjeu de l’efficience du marché boursier est primordial
(1.2).

1.1 Le marché boursier, un marché de financement de l’entreprise :

10. Le financement de l’entreprise. La vocation initiale du marché boursier est le


financement de l’entreprise. Cette vocation demeure essentielle, et ce d’autant que l’on a assisté
à une importante diversification des valeurs mobilières. Cette faculté d’accroître ses sources de
financement aboutit aussi à accroître l’indépendance financière de la société lui permettant
d’échapper plus facilement à la domination des banques17.
Dans ce contexte, il convient de distinguer deux marchés : le marché primaire et le marché
secondaire. Entre ces deux marchés, on trouve le marché gris.

14
Ibid.
15
Th.BONNEAU, « Typologie des marchés boursiers », RJC, novembre 2003, n°spécial : Colloque de Chantilly :
Le droit boursier en mouvement, n°2, p. 9.
16
L’hégémonie des marchés financiers est telle que certains parlent de la « tyrannie des marchés ». V.
H.BOURGUINAT, La tyrannie des marchés, Economica 1995.
17
Lamy Droit du financement 2018, Titre 2 Appel au marché financier.

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11. Notion de marché primaire, de marché secondaire et de marché gris. Le marché
primaire est défini comme étant le marché des émissions de titres18.
En ce qui concerne les actions d’une société, ce marché apparaît à l’origine de la société lorsque
celle-ci constitue son capital, ou encore lors des diverses augmentations du capital social.
Pour les obligations, le marché primaire se réalise avec la mise en vente auprès du public des
titres par le « syndicat de placement » choisi par l’émetteur.
Quant au marché secondaire, il représente un instrument de mobilisation de l’épargne investie
à long terme. Il permet la réalisation immédiate des transactions et assure la liquidité des titres,
à condition, qu’on ait une rencontre satisfaisante de l’offre et de la demande.
Le marché secondaire accueille les titres déjà émis et cotés. C’est donc le marché de la bourse
pour l’essentiel19.
Le marché gris se situe entre les deux marchés décrits précédemment. C’est un marché de
négociation des titres entre le moment de leur émission et celui de leur entrée en bourse20.
Ainsi, la fonction initiale et principale du marché boursier est le financement de l’entreprise ;
De cette fonction découle d’autres fonctions économiques.

12. Les autres fonctions économiques. Une fois cotée sur le marché boursier, la notoriété
de la société s’accroît car la presse financière lui accorde désormais son attention. Observée et
évaluée, la cotation incite alors à l’amélioration de ses résultats.
Comme le marché boursier confère en permanence une valeur à l’entreprise, il apparaît ainsi
comme un outil irremplaçable de valorisation des actifs. Le marché exerce ainsi une grande
influence sur la gestion et le contrôle des entreprises émettrices. Le cours des titres peut donc
être un puissant facteur de motivation dès lors qu’il traduit les efforts accomplis par le
personnel21.
La cotation offre aussi la possibilité d’ouvrir à l’international le capital social des entreprises
étrangères.
Qu’il s’agisse d’une entreprise étrangère ou nationale, le marché assure également la pérennité
de l’entreprise.
Le cours des titres est déterminé par l’information disponible. Si cette information disponible
est fiable on est alors en présence d’un marché efficient.

1.2 Notion de marché efficient

13. La théorie des marchés de capitaux efficients (efficient capital market hypothesis),
Cette théorie préconise que le prix d’une valeur mobilière reflète rapidement toute l’information
disponible sur le marché qu’elle soit fournie par la société ou générée essentiellement par des
analystes.
C’est à FAMA que revient le mérite d’avoir formulé de manière précise en 1965, la théorie de
« la marche au hasard »22 des prix spéculatifs et d’avoir montré que le prix pratiqué pour un
actif financier sur un marché efficient reflète à tout moment, sa valeur intrinsèque23.

18
Lamy droit du financement 2018, n° 990 Marché primaire, marché secondaire, marché gris.
19
Ibid
20
Ibid
21
Ibid, n° 991 Fonctions et caractéristiques économiques du marché financier.
22
Si les prix reflètent l’information disponible, les fluctuations de prix des titres ne peuvent être dues qu’à la
survenance d’événements purement incertains, c’est-à-dire totalement imprévisibles. Dans la mesure où il en est
ainsi, ces fluctuations de prix ne peuvent être elles-mêmes que purement aléatoires. Cette hypothèse théorique est
connue sous le nom de marche au hasard (randomwalk).
23
En effet, il trouve que : « Sur un marché efficient, la concurrence que se livrent un grand nombre d’opérateurs
intelligents crée une situation dans laquelle, à chaque moment, les prix des différentes valeurs reflètent les effets

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Le marché boursier a la spécificité, par rapport aux autres secteurs, d’avoir consacré
l’information, ou la transparence24, comme instrument central de son équilibre et de son bon
fonctionnement.
L’information n’est pas seulement une condition de la concurrence comme sur les autres
marchés. En effet, sur le marché boursier, les économistes25ont montré que l’information ne se
limitait pas à ce rôle, mais qu’elle était la condition principale de son bon fonctionnement, dans
la mesure où les produits échangés ne sont perceptibles que par l’information qui les décrit :
L’investisseur ne peut ni examiner ni essayer les produits proposés, lesquels constituent
économiquement des droits sur des revenus futurs. De fait, toute nouvelle information
concernant les valeurs mobilières est susceptible de modifier la perception des investisseurs sur
leur nature et partant, sur leur prix. L’information tient alors un rôle fondamental dans le
processus de formation du prix.
Il reste que les investisseurs n’ont pas tous des motifs d’investissement. Alors que certains se
fondent sur ces informations pour investir dans telle entreprise et participer réellement à son
développement26, d’autres sont guidés uniquement par la spéculation. C’est là où réside la
différence entre un comportement d’entreprise et un comportement spéculatif27.

14. Comportement d’entreprise et comportement spéculatif. L’investisseur, se


préoccupe de l’activité réelle de l’entreprise alors que le spéculateur cherche la maximisation
de la rentabilité financière28.
L’opération spéculative peut s’entendre comme un achat ou une revente dont le but est de
réaliser des gains à court ou à moyen termes. Le placement serait alors la recherche d’un revenu
régulier et d’une sécurité du capital par l’achat d’un produit dans un objectif à plus long terme.
De la sorte, l’investissement est une activité consistant à prévoir le rendement attendu d’un actif
tout au long de sa vie, tandis que la spéculation est une activité consistant à prévoir la
psychologie du marché29.

de l’information fondée, d’une part, sur des événements qui se sont déjà produits et, d’autre part, sur des
événements que le marché s’attend à voir se produire dans le futur. En d’autres termes, le prix pratiqué pour un
actif financier sur un marché efficient est, à tout moment, une bonne estimation de sa valeur intrinsèque »
E.FAMA, The Behavior Of Stock Market Prices, Journal of Business, V.38, n°1, janvier 1965, p. 34-105 ; «
Random Walks in Stock Market Prices », Financial Analysts Journal, V.21, n°5, sept. oct. 1965; E.FAMA & M.
MILLER: The theory of finance, Dryden Press, 1972.
24
M.GERMAIN, « Transparence et information », LPA, 19 novembre 1997, n° 139, p. 16 : « (...) On dira que
l’information paraît être un concept de droit des sociétés et la transparence un concept de marché ».
25
V .J-B.POULLE, « La régulation par l’information en droit des marchés financiers », LPA, 21 janvier 2009,
n°15, p. 6.
26
Il est rare que l’intervenant sur le marché des titres le fasse par souci de participer au développement d’une
entreprise mais surtout pour réaliser un gain. Les investisseurs qui veulent participer au développement de la
société le font maintenant surtout au travers des mécanismes du capital risque ou de fonds spécifiques.
27
L’opposition entre économie réelle et économie financière ou encore la distinction entre comportement
d’entreprise et comportement spéculatif est chère à KEYNES. Dans une acception stricte, l’économie réelle
intéresserait les échanges commerciaux stricto sensu (je paie un bien contre de la monnaie). A contrario, les
techniques financières concourant aufinancement de l’économie telles que celle du crédit, des actions ou des
obligations, concerneraient le domaine financier. Autrement dit, il est entendu que l’économie réelle serait celle
directement liée au financement d’une activité économique.
28
C’est pourquoi, dans sa théorie générale du krach de 1929, KEYNES propose de taxer les mouvements de
capitaux afin de lier plus durablement les investisseurs à leurs actifs et de faire fuir les spéculateurs.
29
M.FAVERO, « De la notion de spéculation à une réforme de l’exception de jeu », JCP E, 10 mars 2005, n°10,
p. 405.

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Dans la pensée commune, la bourse est associée à la spéculation en raison de la présence
d’agioteurs. De ce fait, elle a fait l’objet de « jugements péremptoires de dénigrement divers »30.
Elle est souvent qualifiée de casino, de loterie et de jeu de hasard31.
Néanmoins, au moment où on assimilait la bourse à un jeu, elle était réservée à une petite
catégorie d’initiés et les joueurs étaient sélectionnés. Aujourd’hui, on assiste à la
démocratisation de la bourse32et à la transformation du jeu : le marché boursier a glissé d’un
marché de financement à un marché des dérivés.

15. Du marché de financement au marché des dérivés. A sa création, la bourse n’était


qu’une toute petite place d’échanges puis elle a évolué pour devenir « l’organisation mondiale
de la finance », grâce notamment à l’émergence des produits dérivés.
En effet, outre lever des fonds, les entreprises ont besoin de s’assurer contre les incertitudes sur
les prix qu’elles peuvent subir. Pour cela, elles vont utiliser un autre type de produit que l’on
appelle « produit dérivé », car dérivé des produits de base : actions, obligations, mais aussi
matières premières, devises, etc.
Outre la couverture, on avance généralement deux autres finalités à ces produits : la spéculation
et l’arbitrage.
Ces produits sont ainsi réputés très risqué. Il n’en demeure pas moins que la notion même de
marché financier est associée à la notion de risque33.
Le risque du marché s’est accentué particulièrement avec la révolution dans l’architecture des
marchés financiers.

2/ La révolution dans l’architecture des marchés financiers

16. Plan. La diversification des marchés financiers marque une révolution dans
l’architecture de ces marchés et résulte juridiquement du passage du monopole boursier (A) à
la concurrence entre des marchés financiers (B).

2.1 Le monopole boursier

17. Descriptif économique. D’un point de vue technique, axé sur le mode d’organisation,
les marchés financiers peuvent être classés en deux grands systèmes : d’une part les marchés
gouvernés par les ordres et d’autre part les marchés gouvernés par les prix34.

17.1 Le marché gouverné par les prix. Dans le système de marché gouverné
par les prix (market-making), de tradition dans les pays « anglo-saxons », les cours cotés
résultent des prix offerts à l’achat comme à la vente par les « market-makers » (littéralement
faiseurs de marchés).

30
Ibid
31
Cette idée trouve son origine dans les excès spéculatifs qui avaient transformé Wall Street en un véritable casino.
D’ailleurs, ces excès ont laissé une trace durable dans le vocabulaire boursier américain, comme l’atteste le terme
« jeton bleu » (blue chip), apparu vers 1929 et qui désigne une valeur de premier ordre. Ce terme est dérivé de
l’univers des casinos où les jetons bleus sont ceux qui ont le plus de prix.
32
Pendant longtemps, les placements financiers étaient estimés, comme ceux de spéculateurs, ne méritant pas de
réelle protection. Après tout, pour aller en bourse, il fallait être riche, car seuls les riches pouvaient se permettre
de « jouer avec l’argent ». Sur la démocratisation de la bourse V. I.YOUSSEF, L’intermédiation financière, thèse
précitée, n°16, p. 22 et s.
33
L’investisseur en accédant au marché s’expose au risque de marché. Il résulte des évolutions défavorables des
prix du marché considérés au sens large, qu’il s’agisse du prix de l’instrument au comptant, sous-jacent ou de la
modification des taux d’intérêts. .
34
Th.BONNEAU, « Typologie des marchés boursiers », art.cit, n°14 et s, p.14 et s.

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Ce sont des marchés de professionnels qui proposent des prix différents, principalement à
l’achat et à la vente, en fonction des quantités et à raison de la qualité du client. Les
intermédiaires jouent un rôle fondamental, puisque le marché même n’existe pas en dehors
d’eux et se confond avec eux35. En effet, ils ne sont pas de simples collecteurs et transmetteurs
d’ordres. Au contraire, ils opèrent des négociations bilatérales avec les donneurs d’ordres.
Ainsi, il n’y a pas de mécanisme de confrontation collective mais simplement une concurrence
entre les professionnels et une conjonction à un moment donné de transactions individuelles.
Les différences de prix entre les professionnels ne sont pas grandes, en raison de la concurrence
qui règne, du moins sur les titres les plus recherchés36.
Habituellement, les marchés gouvernés par le prix ont tendance à être plus efficaces, grâce à
leur souplesse : c’est-à-dire grâce à l’adaptation des prix aux caractéristiques essentielles des
ordres. Ils sont présumés être plus favorables à la liquidité des titres, mais à l’inverse des
marchés gouvernés par les ordres, ils sont fragmentés et conduisent à une multiplicité des prix,
souvent difficiles à connaître. Par ailleurs, ils peuvent être plus au moins opaques, ce qui est
surtout dommageable pour les petites transactions et la masse des « petits investisseurs »37.

17.2 Les marchés gouvernés par les ordres. Dans le système de marchés
gouvernés par les ordres (order-driven), auquel se rattachent, traditionnellement, les pays latins,
les cours cotés résultent de la confrontation des ordres présentés sur le marché38, d’où les
obligations corrélatives de centralisation des ordres sur le marché et d’intermédiation, ainsi que
la neutralité39 imposée aux négociateurs dans la constatation des cours.
En principe, les professionnels ne font que transmettre les ordres au marché et ne se portent pas
contreparties de leurs clients. Par voie de conséquence, ces marchés gouvernés par les ordres
réduisent le rôle des professionnels à de simples intermédiaires.
C’est le marché qui joue le rôle central et fonctionne par lui-même et pour lui-même,
indépendamment des professionnels.
Sur ces marchés, le mécanisme de confrontation des ordres, dit de confrontation générale, est
collectif et non bilatéral, égalitaire40 et non diversifié. Il permet de dégager, à un moment donné
pour les ordres compatibles, un prix d’équilibre : celui auquel le plus grand nombre va pouvoir
être exécuté. Le résultat est que ce prix d’équilibre est un prix unique qui s’impose à tous : à
l’achat et à la vente, aux grands ordres comme aux petits et aux « clients professionnels »
comme aux « clients particuliers »41.

35
J-J.DAIGRE, « De la directive 1993 à celle de 2004, d’un modèle de marché à un autre », B&D, juillet-août
2005, n°102, p. 7 et s.
36
Ibid, spéc. p. 8.
37
Ibid.
38
On oppose ensuite, à l’intérieur du camp des marchés gouvernés par les ordres, ceux donnant lieu à confrontation
de ces ordres par la méthode du « fixing » ou du « fixage » qui permet de déterminer un cours d’équilibre à
intervalles réguliers et ceux donnant lieu à une confrontation réalisée en continu : chaque ordre étant satisfait dès
lors qu’il rencontre une contrepartie adaptée.
39
La neutralité des intermédiaires est affirmée comme l’un des principes de l’organisation boursière. Cette
neutralité n’implique pas leur abstention systématique, mais signifie que les opérateurs boursiers ne doivent pas
perturber les mécanismes de formation des cours par leurs interventions personnelles. Ils doivent s’abstenir de
toute opération de nature non seulement à porter préjudice aux intérêts des clients, mais aussi à la libre formation
des cours.
40
L’égalité est un principe fondamental du marché. Elle signifie que chacun doit avoir un égal accès au marché et
que le prix de la transaction ne peut faire acception ni de la qualité du donneur d’ordres ni de la quantité traitée. Il
ne peut y avoir de prix de gros différent des prix de détail : le prix établi s’impose à tous. La continuité des
transactions a, néanmoins, changé cette optique : si à l’ouverture de la séance de bourse les ordres sont traités à un
prix unique dit de fixing, le marché continu se traduit par une succession de prix au cours de la séance : le principe
de l’égalité va supposer dans ce cas non plus un prix égal unique mais un égal accès au marché.
41
J-J.DAIGRE, « De la directive 1993 à celle de 2004, d’un modèle de marché à un autre », art.cit, spéc. p. 8.

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Ce sont donc des marchés plus transparents et plus favorables aux petits ordres qui savent être
traités comme les gros. Néanmoins, ils sont moins actifs car ils ne sont pas soutenus par des
« market-makers » : aucun professionnel ne joue ce rôle. Un donneur d’ordres est alors, moins
sûr d’y trouver une contrepartie. Par conséquent, les marchés de ce type sont réputés moins
liquides.
Cette typologie permet d’identifier le marché centralisé et le marché décentralisé.

18. Marché centralisé et marché décentralisé. En général, le marché gouverné par les prix
est un marché décentralisé, c’est-à-dire, un marché qui permet les négociations sur d’autres
places, des titres qu’il référence. Tandis que, le marché gouverné par les ordres est un marché
centralisé, qui attire à lui tous les ordres : il concentre toutes les négociations qu’il recense. Par
voie de conséquence, les bourses traditionnelles jouissent, dans les pays latins, d’un monopole
boursier.

19. Le monopole boursier. Le marché centralisé « forme une sorte d’aimant qui attire à lui
seul tous les ordres. Il concentre toutes les négociations qu’il recense par les intermédiaires »42.
Pour accéder à ces marchés financiers, le recours aux « professionnels » est obligatoire. Il se
traduit par l’obligation d’intermédiation qui est considérée comme le meilleur gage de
protection des droits des investisseurs.
Cependant, malgré les avantages du choix de ce modèle, le développement financier et
technologique et les exigences de compétitivité des places boursières ont rendu nécessaire son
dépassement.
Le paysage des infrastructures des marchés connaît alors, une transformation surprenante, avec
l’apparition de « nouvelles bourses », en concurrence avec les marchés règlementés
traditionnels43.

2.2 Le principe de concurrence entre les marchés financiers

20. La concurrence sur les marchés financiers. Les marchés financiers, « s’ils sont le
théâtre de la concurrence, en sont également devenus les acteurs »44, en ce sens qu’on assiste
aujourd’hui, à une concurrence entre les marchés financiers, en plus de celle existante sur les
marchés financiers.
La concurrence, se situe au cœur des marchés financiers45.
Cette constatation se justifie d’autant plus que ces marchés sont souvent considérés comme les
seuls à s’approcher si près des cinq conditions constitutives du modèle Walrasien du marché
reposant sur le principe d’une concurrence pure et parfaite46.

42
Ibid, p. 9.
43
Il convient de remarquer à ce stade, la dialectique entre consolidation et fragmentation des bourses, puisque le
paysage boursier a profondément évolué, également, dans le sens de la consolidation des bourses, c’est-à-dire de
leur regroupement sous forme d’alliances capitalistiques. Sur la consolidation des bourses. V. B.JAQUILLAT,
« Restructuration des marchés boursiers : point de vue de l’économiste », Coll. Bourse et Concurrence
Restructuration des marchés boursiers : opportunités et risques, Jeudi 25 octobre 2007, Rev.Lamy.Con. 2008.
44
V. M.TOMASI, La concurrence sur les marchés financiers (aspects juridiques), LGDJ 2002, n°3, p. 5.
45
Ibid.
46
Les marchés financiers répondent à quatre critères essentiels : atomicité, homogénéité, fluidité et transparence.
Ainsi, les marchés financiers mettent en présence un grand nombre d’acheteurs et de vendeurs (homogénéité des
acteurs). En plus, les actifs échangés sont souvent disparates (diversité des produits). L’information produite doit
être parfaite (transparence) et les investisseurs sont libres aussi bien dans l’entrée (liberté d’entrée) qu’à la sortie
(vertu de liquidité). Cette liberté de sortie se réfère à la fluidité ou à la liquidité du marché qui est confortée par
des mécanismes de sécurité, grâce notamment à des chambres de compensation assurant la bonne fin des
opérations.

INES YOUSSEF 8
Cette constatation permet également de contribuer à la classification des marchés financiers.

21. Classification des marchés financiers et principe de concurrence. La classification


des marchés financiers selon le système de marchés gouvernés par les ordres ou par les prix,
permet de se prononcer sur l’existence ou le dépassement du monopole boursier et ainsi la
consécration du principe de concurrence.
Néanmoins, il importe de préciser qu’il n’existe pas une application exacte de ces systèmes.
Les marchés « purs » sont rares et la tendance est à la « mixité » des deux systèmes.
Dans ce sens, en dépit de leurs réputations de marchés gouvernés par les ordres, les marchés
français et tunisien adoptent certaines méthodes et techniques tirées de la conception anglo-
américaine de la cotation.
Certes, un mouvement symétrique s’opère sur le marché américain, réputé être un marché
gouverné par les prix, mais sur le marché français, avec la transposition de la directive MIF (la
directive sur les marchés d’instruments financiers47), la balance s’est nettement penchée du côté
du modèle anglo-saxon.

II/ LA MUTATION DE LA NOTION DE MARCHE FINANCIER : DE LA NOTION DE


BOURSE A LA NOTION DE MARCHES FINANCIERS

22. La notion de marché financier entre l’approche juridique et l’approche


économique. En France et aux Etats-Unis, les marchés financiers ont fait l’objet d’une
évolution similaire. Pourtant, certaines divergences culturelles persistent et la notion de marché
financier en est, par voie de conséquence, naturellement affectée.
L’approche française des marchés financiers est une approche juridique.
L’approche américaine de la notion de marché financier est plutôt financière et économique.
En droit américain, le droit n’est qu’un moyen au service de l’efficacité des marchés48, alors
que l’objectif du droit français est de rationaliser les marchés financiers et les risques qu’ils
impliquent.

23. Plan. Pour le premier, la notion de marché financier est une notion économique et
financière, suivant ainsi la première définition du marché (un lieu de rencontre entre offre et
demande) (2).
En revanche, le second penche davantage vers la troisième définition du marché (le marché
serait donc assimilé aux règles permettant de mieux le contrôler) (3).
Malgré ces divergences, les marchés financiers français et américains sont très développés et
diversifiés et leur participation dans l’activité économique est considérée comme très
importante. De plus, ce sont à la fois des marchés de financement et des marchés de dérivés.
Malheureusement, au moment où on assiste à la « fin de la bourse » sur ces places, la bourse
tunisienne, la BVMT49, garde toujours son monopole historique (1).

47
Directive 2004/ 39/ CE adoptée en avril 2004 et entrée en vigueur en novembre 2007. La directive MIF 1 a été
modifiée par la directive 2014/65/ UE du parlement européen et du conseil du 15 mai 2014 concernant les marchés
d’instruments financiers (MIF 2).
48
Les règles existent davantage pour un meilleur fonctionnement du système financier que pour contrôler des
marchés qui, par essence, s’autorégulent.
49
BVMT : Bourse de Valeurs Mobilières de Tunis.

INES YOUSSEF 9
1/ La notion de marché financier en droit tunisien : Le monopole historique de la BVMT

24. Obligation de centralisation. Aux termes de l’article 70 de la loi n°94-117 du 14


novembre 1994 portant réorganisation du marché financier, « à l’exception des cas de
succession, les transactions portant sur des valeurs mobilières et des droits s’y rapportant, émis
par les sociétés et les organismes faisant appel public à l’épargne, ainsi que les produits
financiers dont la négociabilité en bourse est reconnue, doivent être effectuées sur un marché
de négociation, dans les conditions fixées par le règlement général de la bourse ». Le législateur
a prévu la nullité des opérations conclues, transgressant les dispositions de cet article50.
Toutefois, cette obligation est assortie de certaines exceptions. Ainsi, sont enregistrées, sans
négociation, dans les conditions fixées par le règlement général de la bourse, certaines
transactions51.
Ainsi, on peut affirmer que le marché financier tunisien est un marché centralisé et gouverné
par les ordres introduits par les intermédiaires, d’où l’obligation d’intermédiation.

25. Obligation d’intermédiation. Les actionnaires de la BVMT, sont uniquement les


intermédiaires en bourse agréés à cet effet52qui bénéficient du monopole de négociation traduit
par l’obligation d’intermédiation.
La consécration de l’obligation d’intermédiation en droit tunisien n’est pas nouvelle. Elle était
déjà consacrée dans l’article 12 de la loi n°69-13 le 28 février 1969 et reprise dans l’article 55
de la loi portant réorganisation du marché financier qui prévoit que les intermédiaires en bourse
sont les agents chargés, à l’exclusion de toute autre personne, de la négociation et de
l’enregistrement53 des valeurs mobilières à la BVMT, des droits s’y rapportant et des produits
financiers. Ils peuvent accomplir aussi, les opérations qui sont en relation avec ces missions.
Ainsi, la BVMT dispose du monopole de l’activité boursière.
La logique du droit tunisien prévoit que c’est à travers le recours à des professionnels, grâce
notamment à l’obligation légale d’intermédiation, que l’investisseur trouve la meilleure
protection contre les risques du marché.

50
V. Art.73. L. n°94-117 du 14 novembre 1994, portant réorganisation du marché financier.
51
Une transaction qui n’a pas lieu sur le marché central est une opération de bloc. Ainsi le marché des blocs est
un marché de gré à gré.
En droit tunisien, il y’a trois types de transactions en bloc :
1) La transaction de bloc dans le cadre des exceptions légales à l’obligation de négociation sur le marché : Art. 70,
73. L. n°94-117. préc.
2) La transaction de bloc prévue dans le cadre du règlement général de la bourse : Art. 106, 107 (nouveau) du
règlement général de la bourse.
3) La transaction de bloc dans le cadre d’une offre publique : Art.6. L. n°94-117. préc.
52
Art.63. L. n°94-117 : « Les intermédiaires en bourse doivent constituer une société anonyme, ayant pour mission
la gestion du marché des valeurs mobilières. Son siège est à Tunis. Elle est dénommée « Bourse des Valeurs
Mobilières de Tunis ».
53
Les titres des sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne ne sont pas négociés mais soumis à une simple
formalité d’enregistrement en Bourse. Concernant les valeurs mobilières et les droits s’y rapportant émis par des
sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne. V. Art.71. L. n°94-117. préc.

INES YOUSSEF 10
Cependant, il est étonnant de remarquer cette situation de monopole dont bénéficie la BVMT54
dans un pays qui consacre le principe de la concurrence55.

26. Le principe de la concurrence, le monopole de la BVMT et la notion de marché.


La Tunisie a maintenu la tradition des bourses qui suppose un monopole des transactions des
titres cotés. Peu d’espace est donc consenti au système de rapprochement des intérêts autre que
ce marché règlementé. La BVMT est le seul marché financier en Tunisie. Il importe aussi de
signaler que cette bourse représente un marché au comptant. Il n’existe pas de marché dérivé
en Tunisie56.
Consacrant un monopole boursier au profit de la BVMT, il n’y a, à l’évidence, aucune
concurrence entre les marchés sur la place boursière tunisienne.
Le monopole boursier n’est pas seulement lié au modèle de marché choisi, mais il est aussi en
étroite liaison avec le développement du marché reflété essentiellement par la sophistication
des moyens technologiques et l’innovation financière. Or, à cet égard, la Tunisie n’est pas
encore parvenue à dynamiser son marché et à fortiori à développer davantage les infrastructures
de marché57.
La notion de marché financier désigne donc, en droit tunisien, un lieu de rencontre entre l’offre
et la demande de valeurs mobilières suivant ainsi le premier sens de la définition.
Tandis qu’on consacre encore en droit tunisien la conception classique du marché financier, on
assiste à l’exploitation de nouveaux modes de négociation en France et aux Etats-Unis.

2/ La notion de marché financier en droit américain : des marchés sans monopole

27. Plan. Sur les marchés financiers américains, il n’existe « aucun principe de
centralisation des ordres et la concurrence y est reine »58. Ces marchés sont des marchés en libre
concurrence et librement organisés. Le développement des marchés financiers américains a
provoqué un éclatement des centres de négociation (2.1). Il paraît ainsi nécessaire d’identifier
les marchés financiers américains (2.2).

2.1 Le développement du marché financier américain

28. Développement des marchés électroniques. Le marché nord-américain, le plus ancien


et le plus animé, bénéficiant d’un fort attachement collectif aux vertus du marché, est
« extraordinairement développé et diversifié »59.

54
La BVMT est une société anonyme. Elle est l’entreprise de marché responsable de la gestion, de la sécurité et
de la promotion du marché tunisien des valeurs mobilières. Afin de tenter de masquer ce constat de monopole dont
jouit la BVMT, ce marché a été désigné comme Bourse de Valeurs Mobilières de Tunis et non pas de la Tunisie.
Il ne s’agit pas de la bourse des valeurs mobilières de la Tunisie, ce qui sous-entend qu’on peut parfaitement créer
d’autres bourses régionales surtout que l’obligation de concentration ne fait pas référence à la « BVMT », mais au
« marché de négociation ».
55
Sur la cadre juridique de la concurrence en droit tunisien. V. R.JAIDANE, « Le nouveau droit tunisien de la
concurrence : une réponse à l’évolution du paysage économique et commercial », RDAI, 1er octobre 2001, n°6, p.
759 -765.
56
La cote de la Bourse et le marché hors-cote sont des marchés au comptant. V. Art.77.RGB.
57
La bourse de Tunis n’a toujours pas réussi à émerger. « Le système financier tunisien adopte encore un
comportement assez traditionnel et il n’est « ni bank-based, ni market-based».V. M.DJELASSI ; M.MAZIOUD ;
D.SAÏDANE, « Le financement des investissements en Tunisie : Le rôle des banques est-il important ? »,art.préc.
V. 97, p. 309-326. V. aussi I.CHAARI, J.COUPPEY-SOUBEYRAN, « La place des banques dans le financement
de l’économie tunisienne », Rev. éco. fin, oct 2008, Vol. 93, p. 297-317.
58
J-J.DAIGRE, « De la directive 1993 à celle de 2004, d’un modèle de marché à un autre », art.préc.
59
Id, spéc. p. 8.

INES YOUSSEF 11
Il présente différents marchés gouvernés par les prix, des marchés d’intermédiaires et de
professionnels : les teneurs de marché (marketmakers).
Ce sont surtout des marchés sans monopole. La concurrence entre ces marchés financiers a
toujours été la règle60. Le Congrès Américain a rejeté le modèle de marché unique, mais il a
prévu que les lieux de négociation seraient reliés par des réseaux de diffusion des données
(communication and data processing facilities). A cette fin il a chargé la SEC (Securities and
Exchange Commission) de la mission de faciliter l’établissement du « Système national de
marché » (« National market system » (NMS))61.
En effet, la consolidation des données de marché a été introduite dans les amendements du SEA
(Securities Exchange Act) de 1975, afin de mettre en concurrence les différentes bourses et les
autres lieux de négociation. Et c’est ainsi qu’a été établi le « Système national de marché »62.
L’« American Stock Exchange », le « Boston Stock Exchange », le « Chicago Stock Exchange »
et la « Cincinnati Stock Exchange » ont alors développé le système de négociation inter-marché
(Intermarket Trading System). Ce réseau électronique (Electronic linkage), reliant les différents
centres de négociation, diffusait les meilleures cotations et transactions obtenues, afin de
permettre à ses participants de diriger les ordres vers ceux qui offraient le meilleur prix au
niveau national.
Le nombre de marchés a également évolué au gré des évolutions technologiques qui ont réduit
ou aboli le quasi-monopole naturel dont jouissait le « New York Stock Exchange (NYSE) »63.
Ainsi « le marché en tant que lieu d’échange a entamé un glissement vers un système de
négociation interactif »64. Cette évolution se manifeste par le passage du « trading floor »65 à
l’« electronic trading »66.
Le développement des marchés électroniques et la multiplication des transactions ont engendré
la nécessité de moderniser les marchés :
Au fil des années, cette règlementation a favorisé la concurrence. Les titres peuvent alors être
négociés sur différents centres de négociation.

60
B.JAQUILLAT, « Restructuration des marchés boursiers : point de vue de l’économiste », art.cit.
61
Section 11A2. SEA1934.
62
B.FRANÇOIS, « Les marchés financiers américains : quels enseignements pour l’Europe ? », in. Les défis
actuels du droit financier, études coordonnées. dir. A.COURET et C.MALECKI, centre Sorbonne-finance, Joly
éd, Lextenso éd, 2010, n°5, p. 106.
63
Il n’y a aucune place à un monopole boursier, au moins de droit. Les marchés à la criée avec parquet nécessitaient
la présence d’un personnel important et hautement qualifié à heures fixes et endroit précis. Ces contraintes ont pu
faire penser à l’époque que l’activité de négociation des titres financiers constituait un monopole naturel au profit
du NYSE.
64
V. J-B MOJUYE, Le droit des produits dérivés financiers (SWAPS, OPTIONS, FUTURES,..) en France et aux
Etats-Unis, LGDJ 2005, n°316, p. 102.
65
Le « trading floor » (ou la cotation manuelle), plaçait les négociateurs les uns à côté des autres. Cette proximité
physique a permis de baisser les coûts de recherche des titres pour les acheteurs et les vendeurs.
Malgré tous ses avantages, les « floor exchanges » ne procurent pas de concurrence et ont été fortement dépendants
de l’intervention et de la présence physique des intermédiaires. V. MARSHALL E.BLUME, JEREMY J.SIEGEL,
& DAN.ROTTENBERG, Revolution on Wall Street : The Rise and Decline of the New York Stock Exchange, W
W Norton & Co Inc, 1ereéd., octobre 1993, p. 41.
66
Bien que des ventes aux enchères continuent de caractériser les opérations de certains marchés, les « machines »,
par opposition aux « personnes », sont de plus en plus utilisées, permettant l’exécution électronique des ordres. En
outre, les négociateurs sont automatiquement connectés à une plate-forme de négociation (souvent les courtiers
opèrent via un service d’abonnement), à travers laquelle ils indiquent leur volonté d’acheter ou de vendre des
valeurs mobilières. Ensuite, ces ordres sont souvent affichés instantanément sur Internet. Le système électronique
le plus complet aux Etats-Unis est géré par le National Association of Securities Dealers Automated Quotation
System (NASDAQ). A côté de ce système complexe de négociation, les petits réseaux de communication
électronique (Electronic communication network (ECN)) agissent en tant que plates-formes simples qui
correspondent les offres et les demandes de « securities ».

INES YOUSSEF 12
29. Diversité des centres de négociation. Pour les titres cotés en bourse NYSE, par
exemple, l’intermédiaire dirigera l’ordre vers cette dernière ou vers une autre (par exemple une
bourse régionale), ou encore vers un teneur de marché de gré à gré (over the counter (OTC)
market maker), c’est-à-dire une firme qui achète et revend les titres se rétribuant sur l’écart des
prix (spread). Les Bourses ou les teneurs de marchés rémunèrent l’intermédiaire qui leur dirige
l’ordre67. Le courtier peut encore diriger l’ordre vers un système alternatif de négociation
(Alternative trading system (ATS)), comme il peut l’internaliser, en transmettant l’ordre à un
autre département, pour qu’il soit apparié avec des titres de ses autres clients ou avec des titres
qu’il détient en propre68.

2.2 Les marchés financiers américains

30. Notion de bourse en droit américain. La SEA définissait la notion de bourse


(exchange) dans sa section 3 (a)(1). Cette définition a été modifiée en 1998 par les règlements
de la SEC : « The Final Rules »69. C’est ainsi que la SEC redéfinit une bourse comme toute
« organisation, association, ou groupe de personnes, qui (a) organise la rencontre des ordres de
multiples acheteurs et vendeurs et (b) utilise les méthodes établies, non discriminatoires (soit
en procurant des locaux de négociation ou en fixant des règles de négociation ) à partir
desquelles de tels ordres « interagissent » (« interact ») entre eux, et les acheteurs et vendeurs
qui transmettent de tels ordres « approuvent les termes du commerce »70.
Toute bourse71 ne peut commercialiser des valeurs mobilières que si elle est reconnue par la
SEC comme « national security exchange » au sens du SEA 1934.
Pour les titres cotés en bourse, l’intermédiaire peut diriger l’ordre vers un teneur de marché de
gré à gré.

31. Notion de marché de gré à gré en droit américain. La doctrine américaine définit un
marché de gré à gré, comme une série d’opérations financières, ayant lieu en dehors d’une

67
C’est le paiement pour le flux d’ordres (payement for order flow). V. BOLAND, Payment For OrderFlow,
Financial Time, 28 janv. 2003. Cet article explique comment fonctionne le système des commissions versées aux
intermédiaires pour qu’ils drainent leurs ordres clients sur tel ou tel système de négociation. Aux États-Unis, cette
pratique est courante, surtout sur le marché des options, du fait de la présence de plusieurs plates-formes de
négociation, de bourses et systèmes alternatifs de transaction tels que les ECNs et des teneurs de marché des
entreprises d’investissement.
68
V. B.FRANÇOIS, « Les marchés financiers américains : quels enseignements pour l’Europe? », art.cit ; J-
J.DAIGRE, « De la directive 1993 à celle de 2004, d’un modèle de marché à un autre », art.cit. V. aussi. Thomas
Lee. HAZEN & Jerry W. MARKHAM, Broker-Dealer Operations Under Securities and Commodities Law,
Westlaw, nov.2011, § 14:7.
69
V. J-B.MOJUYE,Le droit des produits dérivés financiers (SWAPS, OPTIONS, FUTURES,..) en France et aux
Etats-Unisop.cit, n°329 et s, p. 108 et s.
70
Rule 3b-16(a). En version originale un “exchange”est : « An organization, association, or group of persons shall
be considered to constitute, maintain, or provide "a market place or facilities for bringing together purchasers
and sellers of securities or for otherwise performing with respect to securities the functions commonly performed
by a stock exchange," as those terms are used in section 3(a)(1) of the Act, if such organization, association, or
group of persons: Brings together the orders for securities of multiple buyers and sellers; and Uses established,
non-discretionary methods (whether by providing a trading facility or by setting rules) under which such orders
interact with each other, and the buyers and sellers entering such orders agree to the terms of a trade.”Traduit
par. J-B MOJUYE. in. J-B MOJUYE,Le droit des produits dérivés financiers (SWAPS, OPTIONS, FUTURES,..)
en France et aux Etats-Unis,op.cit, n°336, p. 110.
71
Si nous ne nous référons qu’aux seuls marchés ayant une ampleur nationale, parmi les marchés les plus connus,
nous retrouvons le « New York Stock Exchange (NYSE) », l’« American Stock Exchange (AMEX) », le « National
Association of Securities Dealers Automated Quotation System (NASDAQ) ».V. Thomas Lee HAZEN& Jerry W.
MARKHAM, Broker-Dealer Operations Under Securities and Commodities Law,op.cit, p. 10 et s.

INES YOUSSEF 13
bourse supervisée par la SEC72. Il vise l’ensemble des contrats conclus entre opérateurs, en
dehors des marchés règlementés, portant sur des instruments financiers73.
Le marché de gré à gré n’est, par conséquent, pas un marché dans son sens traditionnel ou
moderne : il ne désigne ni une place physique, ni une structure délocalisée, permettant une
confrontation des offres et des demandes.
Il identifie, plutôt, une structure particulière de négociation entre les parties, dont le caractère
synallagmatique des engagements pris tranche avec les mécanismes mis en œuvre sur les
marchés règlementés, où l’interposition de la chambre de compensation exclut d’une part, tous
les rapports synallagmatiques ou liens contractuels réciproques ou bilatéraux, d’autres part tout
intuitu personae entre les contractants originaux74.
Le marché de gré à gré (OTC) pour les titres aux Etats-Unis ne dépend pas d’un système de
« specialist » tel que celui trouvé sur les bourses de valeurs nationales, mais il dépend plutôt
d’un teneur de marché (market maker)75. Le principe de base sur le marché de gré à gré, est la
décision d’un « broker-dealer » d’agir comme un teneur de marché concernant une valeur
mobilière bien déterminée76. Qu’en est-il des « alternatives trading systems » ?

32. La notion d’« Alternative trading system (ATS) » en droit américain. Apparus dès
77
1970 , les ATS se sont imposés au cours des dernières années. En décembre 1998, la SEC a
adopté la régulation ATS78 qui a exigé l’enregistrement des ATS comme une bourse (registered
exchange) ou comme un courtier (broker-dealer)79.
La « Rule 300(a) » de la Regulation ATS, définit un ATS comme : « toute organisation,
association, personne, groupe de personnes, ou système qui (1) constitue, maintient ou procure
une place ou une structure de marché pour organiser la rencontre entre les acheteurs et vendeurs
de « securities » ou pour autrement réaliser à l’égard de tels « securities » les fonctions
généralement assumées par une bourse des valeurs dans le sens de la « Rule 3b-16 » du SEA ;
et (2) ne (i) fixant pas les règles réglementant la conduite des souscripteurs autres que la
conduite du « trading » de tels souscripteurs dans le cadre d’une telle organisation, association,
personne, groupe de personnes ou système ; ou (ii) discipline pas les souscripteurs autres que
par leur exclusion du « trading » »80.

72
V. J–B.MOJUYE,Le droit des produits dérivés financiers (SWAPS, OPTIONS, FUTURES,..) en France et aux
Etats-Unis,op.cit, n°356, p.121.
73
Ibid, n°357, p.122.
74
J–B.MOJUYE, Le droit des produits dérivés financiers (SWAPS, OPTIONS, FUTURES,..) en France et aux
Etats-Unis,op.cit, n°356, p.121.
75
Le « market-maker » est un membre de marché qui facilite la négociation d’actions en affichant des cours
acheteurs et vendeurs ainsi que le maintien d’un inventaire des actions (bid and ask). Il est important de noter que
le « spécialist » est un type de teneur de marché.
76
Cette décision est souvent le résultat d’un parrainage par un « dealer » intégré d’un titre particulier, qui de son
service de banque d’investissement a déjà souscrit. Dans d’autres cas, les « dealers » prennent une décision d’agir
comme teneur de marché parce qu’il y a suffisamment d’intérêt sur le titre. V. HAROLD S. BLOOMENTHAL &
SAMUEL WOLFF, International Capital Markets and Securities Regulation, Westlaw, nov. 2011, II §3.
77
Instinet, créé en 1969 aux États-Unis, a constitué la toute première structure de ce type.
78
U.S. SEC, Regulation of ATS, Exchange Act Release N°.40760(Dec.8, 1998), 63 FR 70844 (Dec.22, 1998).
79
Rule 3b-16.
80
Traduit par J-B MOJUYE. En version originale. “Alternative trading system means any organization,
association, person, group of persons, or system :That constitutes, maintains, or provides a market place or
facilities for bringing together purchasers and sellers of securities or for otherwise performing with respect to
securities the functions commonly performed by a stock exchange within the meaning of Rule 3b-16 under the
Securities Exchange Act of 1934; and That does not:Set rules governing the conduct of subscribers other than the
conduct of such subscribers’ trading on such organization, association, person, group of persons, or system; or
Discipline subscribers other than by exclusion from trading.”V. J-B.MOJUYE,Le droit des produits dérivés
financiers (SWAPS, OPTIONS, FUTURES,..) en France et aux Etats-Unis,op.cit, n°335, p. 110.

INES YOUSSEF 14
Il s’agit alors de « systèmes électroniques d’acheminement et d’exécution automatiques des
ordres de bourse. Ce sont des « marchés-écran », par opposition aux « marchés-parquet »81.
Le succès de ce type d’infrastructures s’explique par la réduction des coûts de transactions,
grâce à l’automatisation et aux recours à des algorithmes qui se substituent à l’intervention
humaine.
Ces ATS ne se limitent pas à la réception et à la transmission des ordres, ils les apparient,
concurrençant ainsi les bourses traditionnelles. De plus, les investisseurs accèdent directement
aux plates-formes de négociation sans devoir rémunérer des intermédiaires. Ils peuvent aussi
négocier de larges blocs de titres anonymement et sans constater de retours négatifs sur le
marché82.
Les ATS tendent à contourner les intermédiaires, qui sont les teneurs de marché, en mettant en
place des systèmes de routage et de négociation automatisés qui organisant électroniquement
la rencontre des ordres d’achat et de vente. Ils éliminent le besoin d’une intervention d’un
intermédiaire professionnel, permettent ainsi une certaine transparence des prix de marché,
l’accélération et la simplification des opérations, une diminution substantielle des coûts et
l’anonymat des opérations83. Ils présentent également l’intérêt de favoriser la liquidité84.

3/ La notion de marché financier en droit français : Des marchés émancipés

34. Plan. Le marché financier français connaît, sous l’influence du droit de l’Union
Européenne, une mutation de ses infrastructures commandée par le principe de concurrence
(3.1).
L’objectif des autorités européennes est d’aboutir à une baisse des commissions facturées aux
clients, tout en misant sur une amélioration des services rendus aux clients85.
Par voie de conséquence, le paysage des marchés financiers français se rapproche de celui des
marchés américains (3.2).

3.1 L’instauration du principe de concurrence entre les marchés financiers en droit


français

35. Suppression de l’obligation d’intermédiation et de concentration. Avec la


transposition de la directive MIF186, le droit français supprime alors aussi bien l’obligation
d’intermédiation que celle de concentration.

35.1. Suppression de l’obligation d’intermédiation. Les prestataires de services


d’investissement (PSI), bénéficient traditionnellement d’un monopole qui a été instauré et
élargi par la loi de modernisation des activités financières (loi MAF).87.

81
V. J-J. DAIGRE, « Les ATS », in. mél.AEDBF III, Banque éd., 2001, p. 425 et s.
82
V. B.FRANÇOIS, « Les marchés financiers américains : quels enseignements pour l’Europe ? », art.cit, spéc.
n°6 et s, p. 107 et s.
83
V. J-J.DAIGRE, « De la directive 1993 à celle de 2004, d’un modèle de marché à un autre », art.cit.
84
V. B.FRANÇOIS, « Les marchés financiers américains : quels enseignements pour l’Europe ? », art.préc.
85
Cette ouverture des canaux de négociation est accompagnée par certaines mesures de protection de l’investisseur
: la meilleure exécution, tout comme le régime de transparence.
86
Dans ses efforts d’abattre toute forme d’entrave à la libre concurrence, la Commission de Bruxelles, avec
l’adoption de la directive MIF1, a affirmé sa volonté de tout faire pour que les monopoles boursiers ne
réapparaissent plus, estimant qu’ils sont un frein à la création d’un grand marché européen de capitaux pour les
acteurs financiers.
87
Le principe était mentionné à l’article L.421-6 Co.mo.fi (ancien), qui disposait que « Les négociations et les
cessions réalisées sur le territoire français, portant sur des instruments financiers admis aux négociations sur un
marché règlementé ne peuvent être effectuées, à peine de nullité, que par un PSI ou, lorsqu’elles sont effectuées

INES YOUSSEF 15
Cette intermédiation obligatoire s’explique traditionnellement par un triple souci de protection
de l’épargne, d’unicité des cours et de transparence du marché. Aussi ce monopole était-il
sanctionné avec beaucoup de rigueur88.
La transposition de la directive MIF1 par l’ordonnance no2007-544 du 12 avril 2007, avait pour
conséquence la suppression de l’obligation d’intermédiation 89: les personnes négociant
exclusivement pour leur compte propre peuvent librement fournir des services
d’investissement, sans être soumises à une procédure d’agrément. Il faut alors relativiser la
portée de la disparition du principe d’intermédiation, puisque l’intervention des membres du
marché demeure nécessaire. Un investisseur ne peut négocier directement sur le marché
règlementé. La négociation est toujours assurée par des « membres du marché ».
La transposition de la directive MIF1 avait, surtout, pour conséquence la suppression de
l’obligation de concentration des ordres.

35.2 Suppression de l’obligation de concentration des ordres. L’obligation de


concentrer sur les marchés règlementés, les ordres portant sur les instruments qui y sont admis,
est formulée par la loi MAF puis intégrée dans le Code monétaire et financier, dans l’article
L.421-12 (ancien)90. Toutefois, le principe affirmé est aussitôt assorti d’exceptions91. Ces
exceptions étaient assez considérables pour vider le principe dans une large mesure de son
contenu92.
Le principe subit alors une « érosion progressive », avant d’être abrogé par la directive MIF1.La
directive MIF1 supprime la possibilité de maintenir le principe de concentration des ordres,
permettant ainsi la reconnaissance des divers modes d’exécution d’ordres.

sur un marché règlementé, par tout membre de ce marché ». Ce monopole comportait quelques exceptions. V. Art.
L.421-7. Co.mo.fi (ancien).
88
Il était prévu que les négociations et les cessions réalisées hors monopole soient sanctionnées par la nullité : la
sanction prévue par la loi n°88-70 du 22 janvier 1988 était maintenue (L. n°96-597, 2 juill. 1996, art. 43, devenu
art. L.421-6 et L.421-7. Co.mo.fi). Elles peuvent également faire l’objet de sanctions pénales : sous l’empire de la
loi n°88-70, du 22 janvier 1988, était passible d’une sanction pénale la violation du monopole des négociations. Il
n’y avait donc normalement pas de sanction pénale pour les cessions directes. Puis était puni de trois ans
d’emprisonnement et de 375 000 euros d’amende, le fait pour toute personne physique d’effectuer des négociations
ou des cessions sans recourir à un PSI (L. n°96-597, 2 juill. 1996, art. 82, devenu Art. L.573-1 Co.mo.fi). En
revanche, la sanction fiscale a disparu : Elle se trouve supprimée du fait de l’abrogation de la loi n°88-70 du 22
janvier 1988.
89
Les exceptions de l’article L.421-7 Co.mo.fi., ne sont pas reprises, à présent absorbées par le nouveau principe
communautaire selon lequel peuvent librement fournir des services d’investissement, sans être par conséquent
soumises à la procédure d’agrément prévue à l’article L. 532-1, et dans les limites des dispositions législatives qui,
le cas échéant, les régissent, les personnes négociant exclusivement pour leur compte propre. V. Art. L.531.2.
Co.mo.fi.
90
Cet article disposait que : « Les transactions sur un instrument financier admises à la négociation sur un marché
règlementé, réalisées au profit d’un investisseur résidant habituellement ou établi en France, par un PSI agréé ou
exerçant en France par voie de libre prestation de services ou de libre établissement, sont nulles, si elles ne sont
pas effectuées sur le marché règlementé d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ».
91
Par dérogation aux dispositions précédentes, les transactions visées pouvaient être effectuées en dehors d’un
marché réglementé si la demande en est faite par des investisseurs résidants habituellement ou établis sur le
territoire français, et si la transaction remplit les conditions définies par le règlement général de l’AMF.V. art.516-
2 Rég.gén.AMF (ancien).
92
V. J.-G.D’HEROUVILLE, « Les marchés réglementés et de gré à gré », sém Rev. Banque, 23 oct. 1996, p. 5.

INES YOUSSEF 16
L’efficience économique commande ainsi la disparition des bourses93 telles qu’elles
fonctionnaient en France depuis des siècles94, remplacées à présent par un système ouvert, dans
lequel les marchés règlementés subsistants doivent subir la « rivalité » d’autres modes de
négociation d’instruments financiers.

36. Les nouveaux modes de négociation. Le paysage des marchés financiers français se
rapproche ainsi de celui des marchés américains. Il en découle qu’un instrument financier
référencé sur un marché règlementé peut être négocié en dehors de ce marché par d’autres
moyens, c’est-à-dire par d’autres marchés règlementés français ou étrangers, des marchés de
gré à gré ou par des systèmes multilatéraux de négociation ou des systèmes d’internalisation95
d’ordres96.

3.2 Les marchés financiers français

37. Notion de marché règlementé en droit français. Au sens de l’article L.421-1 et


suivants Co.mo.fi, le marché règlementé est défini comme : « un système multilatéral qui assure
ou facilite la rencontre en son sein et selon des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts
acheteurs et vendeurs, exprimés par des tiers sur des instruments financiers, d’une manière qui
aboutisse à la conclusion de contrats portant sur les instruments financiers, admis à la
négociation dans le cadre des règles et systèmes de ce marché, et qui fonctionne régulièrement
conformément aux dispositions qui lui sont applicables »97.

93
L’histoire de la Bourse en France, a débuté en 1141 lorsque le roi Louis VII a décidé d’installer un lieu de change
unique sur le Grand Pont de Paris, mais c’est en 1540 qu’a été créée la première bourse française axée sur les
agents de change. L’organisation de la bourse de Paris mise en place durant le Premier Empire, a été modifiée par
la loi n°70 du 22 janvier 1988 sur les bourses de valeurs, puis par la loi n°96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation
des activités financières (loi MAF) qui a substitué la notion de marché règlementé à celle de bourse de valeurs.
Cette loi a transposé en droit français la directive du 10 mai 1993 concernant les services d’investissement dans le
domaine des valeurs mobilières (Directive DSI) qui a été modifiée par la directive n°2004/39/CE du Parlement
européen et du Conseil concernant les marchés d’instruments financiers du 21 avril 2004 (Directive MIF1). Cette
dernière a été transposée en droit français par l’ordonnance n°2007-544 du 12 avril 2007 relative aux marchés
d’instruments financiers.
94
Il y a quelques années, existaient en France sept bourses (Paris, Lille, Nancy, Lyon, Marseille, Bordeaux et
Nantes) et un marché d’options confidentiel, organisés selon un système mutualiste de charges d’agents de change.
La Bourse de Paris s’est démutualisée à partir de 1987, pour se transformer en société anonyme et a fusionné avec
les bourses de Bruxelles, Amsterdam ainsi qu’avec le marché d’options anglais LIFFE. Ensuite, elle s’est faite
coter en 2002 et a fusionné avec le « New York Stock Exchange » (NYSE) en avril 2007, pour devenir NYSE
Euronext.
95
Sur l’internalisation V.J-J.DAIGRE, « De la directive 1993 à celle de 2004, d’un modèle de marché à un autre
», art.cit.
96
On peut également considérer que les marchés financiers français comprennent ainsi, par ordre d’encadrement
décroissant, des marchés réglementés (soit au comptant, comme Euronext Paris ; soit à terme, comme le Marché
à Terme International de France ou MATIF et le Marché des Options Négociables de Paris ou MONEP), des
systèmes multilatéraux de négociation organisés (comme Alternext), et des systèmes multilatéraux de négociation
simples (comme le marché libre et des valeurs radiées du marché réglementé). Ils ne comprennent pas, en
revanche, ni l’internalisation systématique ni les marchés de gré à gré, qui tous deux fonctionnent sur une base
bilatérale.
97
La Directive MIF 2, adoptée le 15 mai 2014 définit le marché réglementé, comme « un système multilatéral,
exploité et/ou géré par un opérateur de marché, qui assure ou facilite la rencontre – en son sein même et selon ses
règles non discrétionnaires – de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments
financiers, d’une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur des instruments financiers admis à
la négociation dans le cadre de ses règles et/ou de ses systèmes, et qui est agréé et fonctionne régulièrement
conformément au titre III de la présente directive » (MIF 2, art. 4, § 1, pt. 21). Définition transposée par
l’ordonnance no 2016-827 du 23 juin 2016, dont l’article 4 dispose qu’un marché réglementé d’instruments
financiers est « un système multilatéral qui assure ou facilite la rencontre, en son sein et selon des règles non

INES YOUSSEF 17
Les marchés règlementés doivent faire l’objet d’une reconnaissance officielle. Ainsi, les
marchés règlementés sont strictement encadrés juridiquement98 et sont contrôlés par l’AMF
(l’Autorité des marchés financiers).
Il n’en demeure pas moins que « la notion de marché réglementé est une notion substantielle,
la seule inscription sur une liste ne suffisant pas à sa caractérisation »99.
Il est vrai que le terme « bourse » qui désigne le lieu où s’effectuent des échanges, a pu être
identifié aux marchés règlementés d’instruments financiers parmi lesquels figure le marché
règlementé de valeurs mobilières visé par l’expression bourse des valeurs. Mais justement, cette
identification montre le caractère étroit du terme de « bourse » qui désigne seulement des
marchés règlementés alors le terme marché permet d’englober ceux qui ne le sont pas100.
Les marchés d’instruments financiers ne sont pas tous règlementés ; et ils ne se limitent pas aux
seuls marchés de valeurs mobilières.
A côté de ces marchés pour les titres, nous retrouvons le « Marché à Terme International de
France » (MATIF) et le « Marché des Options Négociables de Paris » (MONEP), pour les
marchés à terme et d’options101.
Qu’en est–il des marchés de gré à gré ?

38. La notion de marchés de gré à gré. A la différence des marchés règlementés, les
marchés de gré à gré102 sont soumis à la seule loi des parties, c’est-à-dire la volonté
contractuelle. Les opérations réalisées sur ces marchés sont régies par des conventions ou des
conventions-cadre103 (Ex. ISDA)104.
Les marchés libres se définissent surtout négativement, par opposition aux marchés
réglementés. En l’absence de critère conceptuel assuré, la caractérisation intègre aussi des
spécifications d’ordre procédural et formel105.
Ces marchés échappent, par définition, à l’encadrement juridique des marchés réglementés et
relèvent de la liberté contractuelle et du droit commun.

discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des tiers pour des instruments financiers,
d’une manière qui aboutisse à la conclusion de contrats portant sur les instruments financiers admis à la négociation
dans le cadre des règles et systèmes de ce marché. Il est reconnu et fonctionne conformément aux dispositions du
présent chapitre ».
98
Encadrement du marché réglementé : Application des règles issues des Directives : MIF1, Prospectus,
Transparence, Abus de marché.
99
V. Lamy Droit du financement 2016, n°1036.
100
T.BONNEAU et Fr. DRUMMOND,Droit des marchés financiers, op.cit, n°3, p. 11.
101
Les contrats financiers à terme peuvent être négociés selon trois modalités différentes : ils peuvent tout d’abord
être négociés sur un marché réglementé (on parle de « marchés dérivés »). Ils peuvent l’être également sur un
marché qui n’est pas réglementé, mais simplement « organisé ». Enfin, il est possible de conclure des contrats
financiers à terme de gré à gré. La pratique financière parle de contrat « futures », lorsque ceux-ci sont traités sur
un marché, et de contrat « forward » pour ceux qui sont conclus de gré à gré.
102
Généralement, on qualifie ces marchés d’« OTC » (« over-the-counter »).
103
Lorsque les produits financiers négociés rencontrent un certain succès, le gré à gré pur va avoir tendance à
s’effacer au profit de la standardisation, réalisée au moyen notamment de « conventions-cadres » rédigées par les
associations professionnelles concernées, nationales ou internationales, parfois sécurisées par des dispositions
légales (pour les produits dérivés, les conventions de l’ISDA « International Swaps and Derivatives Association
», FBF « Fédération bancaire française »).
104
L’obligation de concentration ayant été supprimée dans le cadre de la transposition de la MIF1, ils peuvent
désormais porter sur l’ensemble des instruments financiers, y compris ceux admis aux négociations sur un marché
réglementé ; l’on peut ainsi parfaitement envisager une transaction de gré à gré sur des valeurs mobilières telles
que des actions ou des obligations. Toutefois, ces marchés, que l’on qualifie généralement d’« OTC » (« over-the-
counter »), revêtent de fait une importance particulière pour les produits dérivés ou, plus précisément, les contrats
financiers.
105
V. Lamy Droit du financement 2016 n°1016 et n°1036.

INES YOUSSEF 18
Si les marchés boursiers relèvent d’une logique « collective » ou « multilatérale », les marchés
de gré à gré relèvent classiquement d’une logique contractuelle ou bilatérale.
Les marchés de gré à gré, qui se confondent, en réalité, avec les transactions elles-mêmes,
relèvent de la liberté contractuelle. Ils fonctionnent donc, au stade de la négociation, selon le
principe du bilatéralisme, et non, comme les marchés boursiers, du multilatéralisme.
La dichotomie est troublée par l’existence d’une catégorie intermédiaire de marchés, dits
« organisés », qui se caractérisent par l’intervention d’une entreprise de marché et dont le mode
de fonctionnement peut être assez similaire à celui des marchés réglementés : le système
multilatéral de négociation106.

39. La notion de système multilatéral de négociation (Multilateral Trading Facility


(MTF)). D’après l’article L.424-1 Co.mo.fi, « un système multilatéral de négociation est un
système qui, sans avoir la qualité de marché règlementé, assure la rencontre, en son sein et selon
des règles non discrétionnaires, de multiples intérêts acheteurs et vendeurs exprimés par des
tiers sur des instruments financiers, de manière à conclure des transactions sur ces
instruments ».
Le MTF est alors un système multilatéral, exploité par une entreprise d’investissement, ou un
opérateur de marché, qui assure la rencontre–en son sein et selon des règles non discrétionnaires
– de multiples intérêts acheteurs et vendeurs, exprimés par des tiers pour des instruments
financiers, de manière à aboutir à la conclusion de contrats107.
Cette évolution que connaissent les marchés financiers des deux côtés de l’Atlantique, n’a pas
moins favorisé l’émergence de certains problèmes : les « dark pools of liquidity ».

40. Incidence des « dark pools of liquidity ». Le monopole des bourses traditionnelles était
supposé améliorer la protection des investisseurs. En fait, si tous les ordres étaient dirigés vers
un marché règlementé, une liquidité suffisante serait ménagée et les procédures qui se
dérouleraient dans les conditions optimales d’exhaustivité et de régularité seraient garanties.
Néanmoins, la mise en concurrence des plates-formes a provoqué une fragmentation qui nuit à
la transparence.
De surcroît, en interdisant définitivement l’obligation de concentration108 ou de centralisation
des ordres, a été ouvert un espace de liberté aux systèmes d’appariement interne des ordres
des clients, dès lors que l’intermédiaire ne se porte pas contrepartie et ne relève pas de
l’internalisation. C’est dans ces brèches que se sont « engouffrés » les fameux « dark pools of
liquidity »109 ou « crossing networks ».
La révision de la directive MIF1 opérée au printemps 2014 a été l’occasion de répondre aux
critiques formulées à l’encontre de cette évolution. Une nouvelle catégorie de plate-forme de
négociation est introduite, à savoir un système organisé de négociation OTF « Organised
Trading Facility » pour les obligations, les produits financiers structurés, les quotas
d’émission et les instruments dérivés110.
106
Ibid.
107
En droit français, la notion de système multilatéral de négociation (MTF) n’est pas complètement nouvelle. Des
MTF existaient d’ores et déjà en France dans des domaines où il n’y avait pas d’obligation de concentration des
ordres : POWERNEXT dans le domaine de l’énergie et des quotas d’émission, MTS pour les emprunts d’Etat et
ALTERNEXT pour les sociétés de taille moyenne.
108
J-J.DAIGRE, « Quelle réforme de la MIF ? », Éditorial.BJB, 01 janvier 2010, n°1, p. 3.
109
V.AMF, Les enjeux liés à l’émergence des « dark pools » et des « crossing networks » : JCP E, 12 novembre
2009, n°46, p. 2052 ; A.-C.MULLER, « Premier bilan après un an d’application de la MIF », RDBF 2009, n°2, p.
59 ; B.BREHIER et P.GUERIN, « Un peu de lumière sur les « dark pools » », BJB, 2009, p. 456 ; J.BLIMBAUM,
« Les dark pools : entre fantasme et réalité, d’une émergence incontrôlée à un encadrement pragmatique », RDBF,
mai 2011, n°3, étude 23.
110
V. Lamy.Droit du financement 2016, n°1016.

INES YOUSSEF 19
Dans ce sens, on peut bien admettre que « la fin de l’histoire est encore loin. Le moment n’est
pas venu, aujourd’hui, d’un règlement FUKUYAMA111pour les marchés »112.
L’évolution des systèmes de transaction se poursuivra certainement. La notion de marché
financier suivra l’évolution.

Tunis, le 18/ 01/2017

111
Dans son fameux « The End of History and the Last Man », F.FUKUYAMA a suggéré que la démocratie
libérale pourrait bien constituer le point final de l’évolution idéologique de l’humanité » et la forme finale de tout
gouvernement humain », donc être en tant que telle la « fin de l’histoire ».
112
BENN STEIL, « Règlementer les marchés financiers de demain », Rev. éco. fin, 2006, n°82.

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