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UNIVERSITÉ DE YAOUNDÉ I THE UNIVERSITY OF YAOUNDE I

********** **********
CENTRE DE RECHERCHE ET DE POST GRADUATE SCHOOL FOR
FORMATION DOCTORALE EN SOCIAL AND EDUCATIONAL
SCIENCES HUMAINES, SOCIALES SCIENCES
ET ÉDUCATIVES **********
********** RESEARCH AND DOCTORAL
UNITÉ DE RECHERCHE ET DE TRAINING UNIT FOR SOCIAL
FORMATION DOCTORALE EN SCIENCES
SCIENCES HUMAINES ET **********
SOCIALES DEPARTMENT OF PHILOSOPHY
**********
DÉPARTEMENT DE PHILOSOPHIE

LA QUESTION DE LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » DANS


LA FIN DE L’HOMME DE FRANCIS FUKUYAMA

Mémoire présenté et soutenu le 29 Août 2022, en vue de l’obtention du


diplôme de Master en Philosophie
Spécialité : Épistémologie et Logique

Par
Harole Loïc MONTHE
Matricule : 15L592
Licencié en Philosophie

JURY
Qualité Nom Université d’attache
Président : Charles Romain MBELE, Université de Yaoundé I
Professeur
Rapporteur : Lucien AYISSI, Université de Yaoundé I
Professeur
Membre : Issoufou Soulé MOUCHILI NJIMOM, Université de Yaoundé I
Maître de Conférences
i

SOMMAIRE

DÉDICACE............................................................................................................................... ii

REMERCIEMENTS ............................................................................................................... iii

RÉSUMÉ .................................................................................................................................. iv

ABSTRACT .............................................................................................................................. v

INTRODUCTION GÉNÉRALE ............................................................................................ 1

PREMIÈRE PARTIE : LA CONCEPTION FUKUYAMIENNE DE LA


« RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » .................................................................................. 7
CHAPITRE I : LES FONDEMENTS IDÉOLOGIQUES DE LA RÉFLEXION
FUKUYAMIENNE SUR LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » ................................... 11
CHAPITRE II : LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » SELON FUKUYAMA ............. 27

DEUXIÈME PARTIE : LA CRITIQUE FUKUYAMIENNE DE LA « RÉVOLUTION


BIOTECHNIQUE » ............................................................................................................... 50
CHAPITRE III : L‟ARGUMENT ÉTHIQUE DE LA DIGNITÉ HUMAINE ........................ 53

CHAPITRE IV : L‟ARGUMENT JURIDIQUE DES DROITS DE L‟HOMME : LA


NATURE HUMAINE COMME ÉTALON DES DROITS DE L‟HOMME .......................... 75
TROISIÈME PARTIE : ÉVALUATION DE LA CONCEPTION FUKUYAMIENNE
DE LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » ................................................................... 89
CHAPITRE V : L‟INTÉRÊT PHILOSOPHIQUE DE LA CRITIQUE FUKUYAMIENNE
DE LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » ....................................................................... 91
CHAPITRE VI : LES PROBLÈMES LIÉS Á LA CRITIQUE FUKUYAMIENNE DE LA
« RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » ................................................................................. 111
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................. 131

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 135

TABLE DES MATIÈRES ................................................................................................... 146


ii

DÉDICACE

En mémoire de ma mère et de ma grand-mère.


iii

REMERCIEMENTS

Nous tenons tout d‟abord à adresser nos remerciements les plus sincères à notre
directeur de mémoire, le professeur Lucien AYISSI qui, malgré ses multiples occupations, l‟a
encadré et dirigé jusqu‟à sa fin. Ses précieux conseils ont facilité l‟élaboration de ce travail.

Mes remerciements vont ensuite aux enseignants du département de Philosophie de


l‟Université de Yaoundé I, pour notre formation académique ; c‟est l‟occasion pour nous de
remercier le professeur Issoufou Soulé MOUCHILI NJIMOM qui a gracieusement mis à
notre disposition un certain nombre de documents qui nous a permis de mener à bien notre
travail.

Nous remercions nos aînés académiques pour les conseils et suggestions. Il s‟agit
nommément de : Israël Igor ESSOMBA, Rodrigue Sosthène EKOTTO, Salamatou Nawel
LINJOUONE YOUMDI.

Un merci aux membres de la grande famille TCHOKONTE, pour leurs soutiens


financiers.

Un merci à Valéry Lionel NANGA, Franklin TCHOUTEZO FEUGAP, Edgard


Nelson ALINDA, Claude Armel NGANDO, Hervé Marius AMENGUELE pour la relecture
et la correction des coquilles liées à la syntaxe dans ce travail.

Un merci à Elvis ESSONO, Isofa APOAMEN pour les échanges et discussions ; à


notre tuteur dans la ville de Yaoundé, Monsieur Benoît BIBIA et Madame NANA pour leurs
soutiens financiers.

Et enfin nous remercions tous ceux qui de près ou de loin, ont contribué à la rédaction
de ce mémoire.
iv

RÉSUMÉ

Le présent travail de recherche porte sur la pertinence de la conception fukuyamienne


de la « révolution biotechnique ». Pour accéder à l‟intelligibilité de ce problème à des fins de
le résoudre de façon pertinente, la méthode analytique et critique a été instrumentalisée. Ce
qui a permis de constater que, si la « révolution biotechnique » donne à l‟Homme la capacité
d‟altérer la nature humaine ou de modifier la nature de l‟Homme conformément aux desseins
de ce dernier, cela ne va pas sans poser de problèmes liés à la dignité humaine aussi bien
qu‟aux droits de l‟Homme. Fort de cela, Fukuyama élabore une critique axée à la fois sur
l‟argument éthique de la dignité humaine et de l‟argument juridique des droits de l‟Homme.
Bien que cette critique apparait comme la volonté philosophiquement exprimée de recentrer
l‟Homme dans le procès d‟une « révolution biotechnique » de nature à ruiner la dignité
humaine et les droits de l‟Homme, elle se fonde sur une conception problématique de la
nature humaine et cache mal son caractère idéologiquement déterminé du néolibéralisme, qui
est conceptualisé dans ce travail comme le démocratisme libéral.

Mots clés : Révolution biotechnique, Nature humaine, Droits de l‟Homme, Dignité humaine,
Idéologie.
v

ABSTRACT

This research work focuses on the relevance of Fukuyama conception of the


“biotechnical revolution”. To access the intelligibility of this problem in order to solve it in a
relevant way, the analytical and critical method has been instrumentalized. This has made it
possible to observe that, if the "biotechnical revolution" gives man the ability to alter human
nature or to modify the nature of man in accordance with the latter's designs, this does not go
without posing issues of human dignity as well as human rights. With this in mind, Fukuyama
develops a criticism centered on both the ethical argument of human dignity and the legal
argument of human rights. Although this criticism appears as the philosophically expressed
will to refocus Man in the process of a "biotechnical revolution" likely to ruin human dignity
and human rights, it is based on a problematic conception of Human nature and poorly hides
its ideologically determined character of neoliberalism, which is conceptualized in this work
as liberal democratism.

Keywords: Biotechnical revolution, Human nature, Human rights, Human dignity, Ideology.
1

INTRODUCTION GÉNÉRALE
2

Le XXIème siècle est une ère où les prouesses des biotechniques structurent
considérablement le mode d‟être des sociétés. Ces prouesses sont la conséquence de la rupture
fondamentale de la science contemporaine avec la science classique qui était
« logothéorique »1. La science contemporaine est comme le reconnaît Gilbert Hottois,
fondamentalement technoscientifique. Il s‟agit pour l‟auteur du paradigme bioéthique de faire
remarquer que dans l‟activité scientifique actuelle, il y‟a interpénétration entre la théorie et la
pratique. Dès lors, nous assistons à la technicisation de la science et la scientifisation de la
technique. Cet état de chose se remarquait déjà chez Jean-Jacques Salomon qui affirmait
alors : « le développement technique dépend étroitement de la science pure, le progrès de la
science dépend tout aussi étroitement de la technique »2. Ce propos du philosophe de la
technique laisse voir à suffisance que la science et la technique sont devenues
interdépendantes. C‟est cette interdépendance entre la science et la technique qui justifie le
fait que les « biotechniques » soient devenues l‟un des principaux catalyseurs définissant
l‟avenir de l‟humanité.

C‟est au vu de cette potentialité des « biotechniques » dans la vie de l‟Homme que


Francis Fukuyama reconnaît le caractère avant-gardiste d‟Aldous Huxley dans son ouvrage
Le Meilleur des mondes. De fait comme l‟a constaté l‟auteur de La fin de l’homme, les
avancées scientifiques – la « révolution biotechnique » - prédites par Le Meilleur des mondes
d‟Aldous Huxley se sont concrétisées de manière inéluctable. Car de nos jours, les
« biotechniques » se présentent comme des moyens efficaces pour pallier aux problèmes
existentiels de l‟Homme. C‟est la raison pour laquelle on peut penser à la suite de Fukuyama,
que grâce à elles, « chacun obtient ce qu’il désire […], la maladie et le conflit social ont été
aboli (sic), il n’y’a ni dépression, ni folie, ni solitude, ni détresse émotionnelle. Tout le monde
est heureux et en bonne santé. »3

On comprend que la « révolution biotechnique » permet l‟amélioration des conditions


d‟existence de la vie humaine en réduisant la souffrance de l‟Homme. Grâce aux progrès de la
science et de la technique, l‟adversité de la nature est désormais contenue, selon le vœu que
Descartes avait formulé dans la sixième partie de son Discours de la méthode.

1
Nous empruntons ce concept à Gilbert Hottois pour signifier que la science classique se voulait plus
contemplative, théorique que pratique.
2
J. J. SALOMON, cité par G. HOTTOIS, Le paradigme bioéthique. Une éthique pour la technoscience,
Bruxelles, De Boeck université, 1990, p. 25.
3
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique (2002), traduit de
l‟américain par Denis-Armand Canal, Paris, Folio, 2004, pp. 22-23.
3

Ainsi, à l‟aune de la perception cartésienne de la science, les « biotechniques »


actuelles sont détournées de la vision classique de la science qui était contemplative. De nos
jours, celle-ci – science – est fondamentalement opératoire. À cet effet, plus aucun domaine
ou secteur de la vie humaine n‟échappe à la « révolution biotechnique » qui est résultante de
la mutation du sens de l‟activité scientifique devenue technoscientifique.

Peter Sloterdijk va percevoir le développement technoscientifique comme une porte


ouverte à l‟humanité pour la « domestication de l‟Être »4. Pour Sloterdijk, les objets de la
technique constituent pour l‟Homme, un moyen d‟agir sur son milieu d‟existence ou son
environnement afin de renforcer et améliorer ses conditions de vie. Ce pouvoir qu‟offrent les
objets de la technique à l‟Homme va amener le philosophe allemand à présenter la technique
comme une nouvelle forme d‟utérus qui permet de protéger l‟Homme de la pression de son
milieu de vie. C‟est ainsi que Yves Michaud, dans son commentaire des œuvres de Peter
Sloterdijk affirme : « Le monde de la technique constitue lui aussi un utérus qui protège
l’homme de la pression de l’environnement. D’où l’affirmation de Sloterdijk que toute société
est un projet utéro-technique »5. Seulement, il conviendrait de signaler que dans le cadre de ce
travail, l‟intérêt est plus porté sur l‟usage de ces « biotechniques » sur l‟Homme.

Ces « biotechniques » sont instrumentalisées par l‟Homme sur lui-même en vue de


prendre en main son évolution. C‟est ainsi qu‟au moyen du génie génétique ou ingénierie
génétique, les parents peuvent décider de la constitution génétique de leurs progénitures. De
fait, à partir de cette biotechnique ces derniers peuvent choisir les gènes de leurs enfants.
Parlant de ce pouvoir qu‟octroie l‟ingénierie génétique, Fukuyama fait comprendre que, grâce
à elle, « nous allons être capable, à l’avenir de « sélectionner » des êtres humains comme
nous le faisons pour les animaux, simplement de façon beaucoup plus scientifique et efficace,
en choisissant les gènes que nous transmettrons à nos enfants .»6 Ainsi dit, la constitution
biologique des enfants à naître qui relevait autrefois du hasard peut désormais être le fruit du
choix des parents de l‟enfant à naître. Dans un tel contexte, la constitution biologique de
l‟Homme quitte le domaine du hasard de la nature pour celui de la nécessité issue du choix
parental.
4
Nous empruntons cette expression à Peter Sloterdijk dans La Domestication de l’Être. Pour un éclaircissement
de la clairière (2000)
5
Y. MICHAUD, Humain, Inhumain, Trop humain. Réflexions philosophiques sur les biotechnologies, la vie et
la conservation de soi à partir de l’œuvre de Peter Sloterdijk, Paris, Micro climats, 2001, cité par C. A.
NKPWAMBA, « Clonage et Humanisme contemporain. Pour une Bioéthique de la responsabilité », Thèse
présentée en vue de l‟obtention du diplôme de Doctorat en Philosophie à la Faculté des Arts, Lettres et Sciences
Humaines de l‟Université de Yaoundé I, sous la direction du professeur Marcien Towa, 2011, p. 96.
6
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 161.
4

Cette « biotechnique » – l‟ingénierie génétique – permet aussi à l‟Homme de


satisfaire des besoins thérapeutiques. Grâce à elle, il est capable de corriger les tares liées à sa
dotation biologique. Une fois les gènes responsables de maladies identifiés, il est possible
d‟introduire un gène normal dans la cellule ou dans le tissu pour réparer le gène défectueux. Il
faudrait prendre conscience que cette technique pourrait être utilisée non pas pour soigner ou
remplacer un gène défectueux, mais juste pour remplacer un gène que l‟on juge sans intérêt
par un autre. L‟ingénierie génétique à partir de ses techniques, tel le Crispr-cas97 donne à
l‟Homme la possibilité d‟activer ou de désactiver, de remplacer un gène par un autre selon sa
volonté. C‟est ce que souligne Luc Ferry dans son ouvrage La révolution transhumaniste,
quand il écrit : « Avec cette découverte, tout ou presque devient possible en matière de
biochirurgie. On peut, par exemple, éteindre ou allumer à volonté l’expression d’un gène, le
modifier, l’enlever.»8

L‟autre domaine de la « révolution biotechnique » qui a aussi un impact sur l‟Homme


est, la neuropharmacologie. Elle a produit des psychotropes pouvant agir sur l‟humeur de
l‟Homme et aider ce dernier à améliorer sa concentration dans le cadre de ses travaux
intellectuels. Avec le développement de la neuropharmacologie, « on sait d’ores et déjà que
des psychotropes comme le Prozac et la Ritaline peuvent affecter l’amour-propre et les
capacités de concentration »9. Ainsi, la neuropharmacologie permet la manipulation de
l‟humeur et de la personnalité de l‟Homme.

Cependant, et malgré toutes ces prouesses de la « révolution biotechnique », force est


de reconnaître que dans son déploiement, elle pose des problèmes qui vont au-delà du simple
terrain scientifique. Un tel fait – la « biotechnique » pose des problèmes -va conduire Francis
Fukuyama à prendre du recul face à cette « révolution biotechnique ». Pour ce dernier, bien
que cette révolution ait un impact positif sur les conditions existentielles, elle constitue une
menace pour l‟Homme. C‟est cet intérêt que Fukuyama porte à la « révolution biotechnique »

7
CRISPR-Cas9 est une appellation qui regroupe le nom d'une grosse protéine, Cas9 et un acronyme CRISPR («
Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats »), pour « courtes séquences palindromiques
répétées, groupées et régulièrement espacées ». Cette méthode d‟édition du génome qui permet de couper/coller
des fragments d‟ADN avec précision, a été développée par Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna,
lauréates 2020 du prix Nobel de Chimie. Cf. « Cas9 », Wikipédia [en ligne], Dernière modification : 6 juin 2021,
Consulté le 1er août 2021, Disponible à l‟adresse :
https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Cas9&oldid=183598554
8
L. FERRY, La révolution transhumaniste. Comment la technomédecine et l’ubérisation du monde vont
bouleverser nos vies, Paris, Plon, 2016, p. 173.
9
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 28.
5

dans ce monde contemporain qui justifie cette réflexion sur « La question de la révolution
biotechnique dans La fin de l’homme de Francis Fukuyama ».

Dans son ouvrage La fin de l’homme, Fukuyama prend réflexivement en charge la


« révolution biotechnique ». Pour ce dernier, bien que cette révolution ait un impact positif sur
les conditions existentielles, elle est fondamentalement problématique pour l‟humanité. Cette
révolution est une véritable épée de Damoclès sur la tête de l‟humanité. Elle inquiète Francis
Fukuyama. Pour lui, bien que la science constitue le moteur de l‟histoire, et promet monts et
merveilles à l‟humanité, celle-ci se trouve être de manière paradoxale le talon d‟Achille de
l‟Homme. C‟est la raison pour laquelle, il affirme avec assurance que : « La science et la
technique qui sont à la source du monde moderne représentent les points les plus vulnérables
de notre civilisation »10.

Dans la vision de Fukuyama, la « révolution biotechnique » constitue un point


vulnérable de la civilisation moderne dans la mesure où celle-ci donne, à l‟Homme le pouvoir
de manipuler la nature humaine. Pour ce penseur, la « révolution biotechnique » représente un
danger pour l‟avenir de la nature humaine11. Car comme on peut le constater avec celui-ci,
« la menace la plus grave exercer par la biotechnique contemporaine est bien la possibilité
qu’elle altère la nature humaine et qu’elle nous propulse volentes nolentes dans une phase «
post-humaine » »12. La crainte d‟une altération de la nature humaine chez Fukuyama, se
justifie par le fait que, cette nature humaine est pour ce dernier au fondement des droits de
l‟Homme et de la dignité humaine.

Ainsi, pour lui, la nature humaine est liée à la dignité humaine et aux droits de
l‟Homme en tant que ferment de ceux-ci. C‟est au nom de cette liaison que Fukuyama va
identifier la nature humaine comme étant l‟enjeu ultime de la « révolution biotechnique ». On
comprend ici que, si Fukuyama critique la « révolution biotechnique », c‟est parce qu‟elle
peut altérer la nature humaine ; et de ce fait annihiler les droits et la dignité que la nature
humaine fonde.

Á l‟observation, la conception fukuyamienne de la « révolution biotechnique » est liée


à l‟idée de l‟existence d‟une nature humaine. Pour notre auteur, cette révolution constitue une
menace pour la nature humaine et les catégories de dignité humaine et de droit de l‟Homme

10
Id., p. 42.
11
Nous empruntons cette expression à Jürgen Habermas dans son ouvrage L’avenir de la nature humaine. Vers
un eugénisme Libéral ?
12
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 26.
6

que cette nature humaine fonde. Lorsqu‟on n‟accorde pas à Fukuyama qu‟il existe une nature
humaine, la pertinence de sa conception de la « révolution biotechnique » n‟est plus assurée.
Une telle vision nous amène à poser un problème philosophique de fond, celui de la
pertinence philosophique de la conception fukuyamienne de la « révolution biotechnique ».
Ce problème suscite un ensemble de questions : En quoi consiste la « révolution
biotechnique » chez Fukuyama ? Quel est son impact sur les concepts de dignité humaine et
de droit de l‟Homme si tant il est vrai que pour cet auteur, ces concepts sont liés à la nature
humaine ?

Pour résoudre le problème philosophique lié au thème de notre mémoire nous allons
adopter la méthode analytique et critique, dans la mesure où nous porterons un regard
philosophique, c'est-à-dire critique sur l‟analyse que fait Francis Fukuyama de la « révolution
biotechnique ».

Trois parties constituent l‟ossature de cette réflexion. Dans la première partie


intitulée : « La conception fukuyamienne de la révolution biotechnique », il est question de
présenter ce que Fukuyama entend par « révolution biotechnique ».

Dans la deuxième partie intitulée, « La critique fukuyamienne de la révolution


biotechnique », nous présentons les raisons auxquelles recourt Fukuyama contre la
« révolution biotechnique ».

Dans la troisième partie enfin, intitulée, « Évaluation de la conception fukuyamienne


de la révolution biotechnique », nous évaluons le niveau de pertinence de la critique
fukuyamienne de la « révolution biotechnique ».
7

PREMIÈRE PARTIE : LA CONCEPTION FUKUYAMIENNE DE LA


« RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE »
8

Introduction partielle
Si on accorde à Hegel que « la philosophie est fille de son temps », on comprend que la
philosophie se conçoit comme la prise en charge de son temps par la pensée. Elle est un
examen systématique et critique de nos conditions existentielles. À cet effet, il ne serait pas
inepte de reconnaître que la « révolution biotechnique » occupe une place de choix dans le
philosopher de Francis Fukuyama. Il n‟est pas resté insensible à la « révolution biotechnique »
qui caractérise notre ère.

Le monde est aujourd‟hui caractérisé par la monté toujours galopante des innovations
des « biotechniques ». Celles-ci sont dues au fait que la science a connu un changement de
paradigme au cours de l‟histoire. En fait, elle est passée du « logothéorique », pour reprendre
la formule du philosophe belge Gilbert Hottois, à la technoscience, c‟est-à-dire une science
essentiellement technicisée. Une telle mutation épistémologique implique le fait que le but de
la science n‟est plus de savoir pour savoir comme c‟était le cas dans la science classique, mais
plutôt de savoir pour pouvoir. À partir de là, le monde va connaître un certain nombre
d‟innovations. Celles-ci sont significatives du fait qu‟elles modifient la vision qu‟a l‟Homme
du monde et de sa propre nature. D‟ailleurs, Albert Jacquard, souligne à juste titre que :

Repousser l’obscurantisme, s’affranchir de vieux mythes, renoncer aux solutions


lâches, observer enfin un univers qui nous entoure avec un regard ouvert et lucide,
de le dominer en le connaissant mieux, agir sur lui, le transformer, l’asservir,
prendre en main l’avenir de l’homme, tout cela allait être possible grâce aux progrès
scientifiques.13

Ces propos d‟Albert Jacquard laissent sous-tendre l‟idée selon laquelle, ce savoir-pouvoir
baptisé « technoscience », se présente de nos jours comme la voie par excellence
d‟explication du sens de l‟univers. En fait, pour parler du temps et du monde, on se réfère au
discours scientifique, à cause de la fiabilité et la vérifiabilité de ses résultats. La science, étant
essentiellement expérimentale se conçoit donc comme la source de la connaissance et de
compréhension du cosmos. Elle rompt avec l‟idéalisme métaphysique et l‟obscurantisme
théologique, qui tentent d‟expliquer l‟origine de l‟univers sous l‟égide d‟un principe
immatériel. Ainsi, à travers la technoscience, l‟Homme dispose désormais d‟un pouvoir
absolu tant sur le cosmos que sur lui-même.

Mais il faut dire que la philosophie ne peut plus ignorer les innovations techniques qui
modifient profondément le quotidien de l‟Homme. Comme quoi, ces grandes innovations
13
A. JACQUARD, Au péril de la science, interrogation d’un généticien, Paris, Seuil, 1982, p. 7.
9

technoscientifiques ne sauraient laisser les philosophes indifférents. C‟est la raison pour


laquel Fukuyama fait sien l‟idéal de Jean-Didier Vincent et de Luc Ferry selon laquelle :

Aucune philosophie un tant soit peu sérieuse ne saurait s’enfermer plus longtemps
dans une tour d’ivoire en prétendant ignorer les résultats des sciences positives,
aucun biologiste conscient des implications pratiques de la recherche fondamentale
ne pourrait davantage se désintéresser des enjeux philosophiques que, presque
quotidiennement, son travail soulève dans l’espace public14.

Autrement dit, la philosophie ne saurait se détourner de la science. Mieux encore,


philosopher, c‟est prendre en compte le climat technoscientifique actuelle. Il ne s‟agit donc
pas pour le philosophe de se confiner dans son tabernacle intellectuel. Il devrait au contraire,
examiner de façon systématique, critique et méthodique, les enjeux technoscientifiques de son
temps. Une telle vision des choses est beaucoup plus explicite chez Francis Fukuyama, qui
n‟est pas resté insensible à la mutuelle implication des applications de la science et de la
Philosophie. C‟est la raison pour laquelle il a pris réflexivement en charge la « révolution
biotechnique ».

Cette première partie se veut être une description de la conception fukuyamienne de la


« révolution biotechnique ». Fondamentalement, quel est le socle épistémologique qui sous-
tend la conception fukuyamienne de la « révolution biotechnique » ? Concrètement, il est
question ici de répondre à la question : en quoi consiste la « révolution biotechnique » chez
Fukuyama ?

Pour lui, la « révolution biotechnique » ne se réduit pas à la capacité à couper / coller


l’A.D.N., mais « cette révolution […] s’appuie sur des trouvailles et des progrès dans
plusieurs domaines […] telles les neurosciences cognitives, la génétique des populations, la
génétique comportementale, l’anthropologie […] et la neuropharmacologie »15. Et aussi
reconnaît-il qu‟

En parlant de la révolution biotechnologique, il est important de rappeler que nous


parlons d’un sujet infiniment plus vaste que l’ingénierie génétique. Ce que nous
vivons par cet intermédiaire n’est pas simplement une révolution technique dans
notre capacité à décoder et manipuler l’A.D.N., mais aussi une révolution dans la
science biologique16.

14
L. FERRY et J.-D. VINCENT, Qu’est-ce que l’Homme ? Sur les fondamentaux de la Biologie et de la
Philosophie, Paris, Éditions Odile Jacob, 2000, p. 10.
15
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 45.
16
Id.
10

À cet effet, il faut comprendre que pour Fukuyama, la « révolution biotechnique »


n‟est pas réductible à l‟accroissement des techniques de manipulation du vivant, mais intègre
comme il le note lui-même une révolution dans les sciences biologiques. Cette « révolution
biotechnique » est plurielle dans sa manifestation.

Toutefois, la présentation de la conception fukuyamienne de la « révolution


biotechnique » nécessite un arrêt sur les fondements idéologiques de la réflexion
fukuyamienne sur la « révolution biotechnique », avant d‟expliciter clairement la conception
fukuyamienne de la « révolution biotechnique ».
11

CHAPITRE I : LES FONDEMENTS IDÉOLOGIQUES DE LA RÉFLEXION


FUKUYAMIENNE SUR LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE »

La réflexion de Francis Fukuyama sur la « révolution biotechnique » qui est comprise


par ce dernier comme étant cause de La fin de l’homme, ne naît pas ex nihilo. Il a été sensible
aux écrits de ceux qui sont considérés comme faisant partis des meilleurs auteurs de la
littérature dystopique – George Orwell et Aldous Huxley - ; entendue comme genre littéraire
se présentant comme une critique des utopies scientifiques. En fait, il s‟agit d‟un genre
littéraire qui montre que la science n‟est pas seulement un catalyseur du progrès social, mais
qu‟elle peut aussi avoir des implications négatives pour l‟Homme.

Á cet effet, il faudrait reconnaître que l‟usage de ces deux dystopies comme
introduction à son ouvrage, La fin de l’homme, n‟est pas anodin. C‟est en raison du caractère
terrifiant et avant-gardiste de ces deux textes. Ce passage de Fukuyama est fort évocateur à ce
sujet :

Je suis né en 1952, en plein baby-boom américain. Pour tout individu qui a grandi
au début de la seconde moitié du XXe siècle, comme moi, l’avenir et ses potentialités
terrifiantes étaient définis par deux livres : 1984 de George Orwell (paru en 1949) et
Le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley (publié en 1932). Ces deux livres étaient
infiniment plus prémonitoires que tout autre à l’époque17.

George Orwell et Aldous Huxley se présentent dans cette perspective comme les
auteurs ayant influencés sur la pensée de Francis Fukuyama. Autrement dit, le contexte
intellectuel de Fukuyama est marqué par les deux textes de Orwell et Huxley mettant en
exergue l‟impact des progrès de la science sur l‟humanité.

A- George Orwell et le discours dystopique de 1984


N‟en déplaise à Georges Laveau qui saisit 1984 non pas comme une œuvre vraiment
avant-gardiste dans la mesure où, pour ce dernier cet ouvrage a été fortement influencé par le
contexte socio-politique de la période de rédaction du dit ouvrage, soit par le totalitarisme

17
Ibid. p. 19.
12

politique ambiant en cette époque ; l‟auteur de cet ouvrage, l‟a voulu comme un roman
d‟anticipation. Pour Orwell,

1984 ne concernait pas tel pays précis, c’est la direction que le monde actuellement
et quelque chose comme 1984 pourrait arriver […]. La valeur morale à tirer de cette
situation dangereuse et cauchemardesque est simple : ne permettez pas que cela
arrive. Cela dépend de vous.18

Ce déphasage de l‟ouvrage d‟Orwell et son temps a été souligné par Oumar Dia.
Néanmoins, cela relève pour Oumar Dia moins de l‟idéologie que des possibilités techniques
des idéologies qui dominaient le monde lors de la rédaction de 1984. Pour lui, au moment où
Orwell écrivait son livre, ni le nazisme, ni le stalinisme n‟avaient en fait cette puissance
technique que présentait Orwell dans son œuvre. « Malgré un contexte d’essor sans précédent
des idéologies totalitaires, écrit-il, Georges Orwell n’aurait pas écrit 1984 pour son époque.
Ni Hitler, ni Staline n’avaient les moyens techniques de leurs projets politiques. » 19 . Dans un
tel contexte, nous comprenons que les avancés scientifiques présentés dans 1984 étaient
nécessairement une futurologie.

Ainsi, 1984 est moins un ouvrage de description des faits ou du contexte socio-
politique - nazisme, stalinisme – qu‟un ouvrage qui essaie de dire ce que pourrait devenir le
monde. Concrètement dans cet ouvrage, Orwell peint une société – Océania – où la technique
est instrumentalisée par le pouvoir politique en vue d‟étendre son hégémonie sur le peuple.

Il s‟agit d‟une société totalitaire qui utilise les innovations technologiques non pas
pour le bien-être de la population, mais pour renforcer la domination de l‟appareil étatique sur
le peuple. Un tel ouvrage mettait déjà en exergue les implications technoscientifiques tant sur
la nature que sur l‟Homme. D‟autant plus qu‟ici, on assiste à la perversion de la fonction
première de l‟État qui sombre désormais dans une tyrannie techniquement déterminée. 1984,
présente la dimension perverse des productions technoscientifiques contrôlées par certaines
idéologies politiques dans le dessein fondamental de satisfaire leurs intérêts égoïstes. Dans un
tel contexte on assiste à une science comme idéologie au sens habermasien du terme. Mieux
encore, 1984, présente une sorte de « science idéologisée » ou une science idéologiquement
politisée.

18
G. ORWELL, cité par G. LAVEAU, « 1984 (NINETEEN EIGHTY-FOUR) DE GEORGE ORWELL » (26
janvier 1984 en ouverture du 2e Congrès national de l‟Association française de science politique à Grenoble), in
Revue française de science politique, Vol. 59, No 4, 2009, p. 806.
19
O. DIA, « Mondialisation, Sciences et nouvelles Technologies : Quelles Utopies ou Dystopies pour notre
ère ? », in Éthiopiques. Littérature, Philosophie et Art, No 81, 2emeSemestre, 2008, p. 133.
13

Il s‟agit ici de faire remarquer qu‟Orwell en son temps présentait déjà, l‟idéologisation
et l‟instrumentalisation de la science et de la technique par le politique. La science ici
constitue un moyen, mieux un instrument permettant au politique d‟instaurer son hégémonie
sur le peuple. Concrètement, le but de la technoscience, dans 1984, n‟était point de concourir
au bien-être et à l‟épanouissement de l‟Homme dans son milieu. Bien au contraire, elle
constituait un moyen de domination et d‟oppression. Elle est donc perçue comme un
instrument pour faire asseoir l‟hégémonie de certaines idéologies politiques qui la contrôlent.
Dès lors, il ne serait pas faux de reconnaître que la science n‟est pas non idéologique.
L‟essentiel de cette argumentation se retrouve dans ce passage d‟Habermas : « La rationalité
de la science et de la technique est déjà intrinsèquement une rationalité qui dispose des
choses, une rationalité de la domination.»20

Reconnaissant cette imbrication de la science avec l‟idéologie, Jean-Jacques Salomon


laisse entendre que : « Le savant […] fait en même temps le travail du pouvoir ; il peut
affirmer la scientificité de son œuvre tout en l’inscrivant dans l’idéologie d’une cause »21.
Comme pour dire que la science peut être au service de l‟assouvissement et de la défense des
intérêts politiques et idéologiques ; et donc forcément partisane.

Une telle position se situe à l‟antipode de l‟analyse wébérienne de la relation entre Le


savant et le politique, mieux entre la science et la politique22. Pour le père de la sociologie
allemande – Marx Weber -, la science et la politique obéissent à deux logiques antithétiques.
En fait dans son analyse de la vocation de l‟Homme de science et de celle de l‟Homme
politique, il postule que ces deux sphères de l‟agir humain sont régies par deux éthiques qui
sont par nature distinctes et opposées. Il s‟agit de l‟éthique de la responsabilité pour le
politique et de l‟éthique de la conviction pour le savant. L‟éthique de la conviction commande
à l‟Homme de science d‟avoir pour idéal la recherche de la Vérité. C‟est à juste titre que
Marcien Towa parle du savant comme étant celui qui « affecte devant son objet d’étude une

20
J. HABERMAS, la technique et la science comme « idéologies », traduction Jean René Ladmiral, Paris,
Gallimard, 1973, p. 10.
21
J. J. SALOMON, Science et politique, Paris, Éditions du Seuil, 1970, pp. 271-272.
22
Nous situons notre analyse de la pensée de Weber moins dans sa conception de la neutralité sociologique de la
science – pour Weber, il n‟existe pas de science socialement neutre, elle a toujours un effet sur le social- de la
science que de sa conception de la neutralité axiologique – ici le savant ne doit pas faire preuve ni de subjectivité
ni de partisannerie-
14

attitude neutre »23. Cet idéal de neutralité impose aux savants de se détourner de ce dont
Hottois qualifie d‟ « images politisées de la science »24.

Dans la perspective wébérienne, il est question pour le scientifique de comprendre que


faire la Science n‟est pas faire de la Politique. C‟est au nom de cet idéale que Weber
s‟offusque de l‟incapacité de certains scientifiques à distinguer leur position politique de la
recherche scientifique. Pour lui,

La politique n’a pas […] sa place du côté des enseignants. Et tout particulièrement
lorsqu’ils traitent scientifiquement des problèmes politiques. En effet, prendre une
position politique pratique est une chose, analyser scientifiquement des structures
politiques et des doctrines de partis en est une autre.25

Ainsi, il serait légitime de reconnaître avec Gilbert Hottois que, le « souci constant de
Weber […] est de maintenir séparées la logique de la science et celle de la politique »26.
Toutefois, comme il a été souligné plus haut, c‟est la conception habermasienne de la relation
science et politique qui est préfigurée dans 1984 de George Orwell.

Une lecture attentive de 1984 laisse voir que son auteur y décrit une société dans
laquelle les citoyens sont déshumanisés à partir de l‟instrumentalisation de la science. Cette
déshumanisation se caractérise en première analyse par l‟annihilation de la vie privée des
citoyens. Cet ouvrage d‟Orwell est une présentation du caractère asphyxiant de l‟univers
technoscientifique. 1984 est en effet un ouvrage avant-gardiste. Il met l‟humanité en garde
face aux multiples productions scientifiques. En fait, dans ce lieu imaginaire qu‟est Océania,
il n‟existe pratiquement aucun lieu où vous n‟êtes pas sur la surveillance du télécran qui est
qualifié par Fukuyama comme étant un « vaste panneau oblong »27.

Ce passage de 1984, démontre à suffisance cette violation de la vie privée :

Le télécran recevait et transmettait simultanément. Il captait les sons émis par


Wiston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus tant que Wiston demeurait sur

23
M. TOWA, Essai sur la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle, Yaoundé, CLÉ, collection
« Point de vue », 1971, p. 31.
24
Gilbert Hottois fait comprendre que dans la période postmoderne, il y‟a une interaction entre la science et la
politique. Pour Hottois, la scission que Max Weber a opéré entre la science et la politique est aujourd‟hui
obsolète. Pour ce dernier, il y‟a interdépendance entre la science et la politique. Bien que la politique
instrumentalise la science, celle-ci pour Hottois, « peut modifier le contexte, le faire évoluer dans son sens ».
25
M. WEBER, Le savant et le politique (1919), Paris, Union Générale d‟Éditions, collection « Le Monde en 10-
18 », 1963, p. 70.
26
G. HOTTOIS, « La science entre conviction et responsabilité », in D. Noble et J.-D. Vincent (Sld.), L’éthique
du vivant, traduit de l‟anglais par Brigitte Delorme, Paris, UNESCO, collection « Éthique », 1998, p. 53.
27
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 20.
15

le champ de vision de la plaque de métal, il pourrait être vu aussi bien qu’entendu.


Naturellement, il n’y’avait pas moyen de savoir si à un moment donné on était
surveillé.28

À tout prendre, l‟invention du télécran qui est cet écran que l‟océanien regarde, et qui
le surveille en retour est l‟instrument centrale qui permet l‟anéantissement de la vie privée
dans ce lieu. L‟océanien est donc privé de sa liberté et même de sa dignité. Dans cette
logique, il est privé de sa liberté d‟expression. Il n‟a plus ce droit à la liberté, telle que
présentée par Rousseau dans Du contrat social, dont le dessein fondamental dans cet essai est
de trouver une forme d‟association qui défende et protège de toute la force commune la
personne et les biens de chaque associé ; et par laquelle chacun, s‟unissant à tous, n‟obéisse
pourtant qu‟à lui-même, et reste aussi libre qu‟auparavant.

Si les océaniens ne sont plus libres de communiquer, de dialoguer et d‟aller et venir


comme ils le souhaitent, alors nous pouvons comprendre ces propos de Francis Fukuyama
dans La fin de l’homme lorsqu‟il écrit :

L’instrument essentiel du vaste empire totalitaire instauré en Océania est le […]


« télécran ». Ce télécran est le moyen de centraliser la vie sociale […], car il permet
au pouvoir d’interdire toute vie privée en contrôlant chaque mot et chaque geste sur
un réseau de télécommunications omniprésent.29

Par ces propos, Fukuyama exprime le caractère liberticide d‟Océania. Puisqu‟il y


existe peu d‟endroit où les citoyens sont à l‟abri de la surveillance du télécran. Dans ce
milieu, le citoyen ne se retrouve jamais seul ; même dans la chambre qui se veut être un
milieu personnel et privé. Dans cet univers orwelléen, il existe une télésurveillance
généralisée pour parler comme Oumar Dia30.

Une telle télésurveillance généralisée est symptomatique d‟une perte de liberté, de


dignité, d‟expression et voire d‟intimité. On comprend donc que 1984 d‟Orwell était déjà une
mise en exergue de l‟idée selon laquelle le développement des sciences pourrait être une
source génératrice de privation des libertés individuelles.

La suppression de la vie privée n‟y est pas limitée qu‟à la suppression de celle du
simple citoyen. Excepté, Big Brother qui incarne la figure du chef omniscient et omnipotent
du roman, tout le monde est sans exception sur surveillance, même les membres du parti. Et à

28
G. ORWELL, 1984 (1948), S. l., Édition du groupe Ebooks libres et gratuits, 2004, pp. 6-7.
29
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 20.
30
O. DIA, op.cit., p. 136.
16

Georges Laveau de renchérir : « comme tous les membres du parti, Wiston et Julia peuvent
être épiés et suivis nuit et jour par les télécrans installés en tous lieux.»31

À cette disparition de la vie privée, s‟ajoute l‟impossibilité pour l‟individu de penser


par lui-même par crainte de commettre un crime par la pensée. On est ici dans une sorte de
dictature technoscientifique, vue que l‟océanien est contraint de contrôler ses mots. Penser par
soi-même se présente à ce titre comme un crime. Dans cet ordre d‟idée, les libertés
d‟expression et de pensée s‟avèrent être des interdits à Océania. Puisque comme s‟est
rhétoriquement questionné Orwell, « combien de fois, et suivant quel plan, la police de la
pensée se branchait- t - elle sur une ligne individuelle quelconque »32.

Autant dire que dans le contexte océanien, la surveillance des lignes téléphoniques par
la police en vue de censurer les personnes ayant des idées n‟allant pas en ligne droite avec le
parti était systématique. Un tel point de vue démontre à suffisance que malgré le fait que le
télécran soit un outil indispensable dans la sphère de la communication, il est un outil
asphyxiant, car il prive les citoyens de leur libertés d‟expression, de penser ; il leur prive de
leur dignité et de leur épanouissement. L‟État se sert donc de cette technologie de
l‟information, pour assujettir les populations.

À la vue de cette analyse, on comprend que 1984 présente les risques que peuvent
potentiellement représenter les techniques – technologie de l‟information dans le cas d‟espèce
- quant à la manipulation et au respect de la vie privée. Car celles-ci peuvent être
instrumentalisées par l‟État pour parvenir à ses fins. À cet effet, on peut dire que ces
nouvelles techniques permettent au pouvoir politique en place d‟étendre son hégémonie et de
se pérenniser.

Un tel usage de la technique est perceptible de nos jours dans certains pays tel que la
République populaire de Chine. Dans ce pays, le financement des nouvelles technologies à
l‟instar de l‟Intelligence Artificielle est assuré par l‟État, en vue d‟avoir la population sur son
contrôle. C‟est à juste titre que le philosophe camerounais, Ebénézer Njoh-Mouellé reconnaît
l‟existence et l‟usage des instruments techniques pour la surveillance systématique de la
population chinoise. Certaines idéologies politiques instrumentalisent donc la technoscience
dans le dessein fondamental de faire asseoir leur hégémonie sur les populations et assouvir

31
G. LAVEAU, op.cit., p. 806.
32
G. ORWELL, op.cit., p. 7.
17

leurs intérêts personnels. D‟ailleurs Ebénézer Njoh-Mouellé parlant de la Chine ne manque


pas d‟affirmer que :

Il est créé là-bas une Start-Up équipée de caméra de sécurité pour un système de
reconnaissance faciale. Porteurs de lunettes connectées à une base de donnée
constituée de visages des gens, des officiers de police ont accès à leurs noms, ainsi
qu’à toutes autres informations personnelles permettant de l’identifier de manière
précise.33

Ces propos du philosophe camerounais, montrent que la Chine est un exemple qui
vient consolider le caractère avant-gardiste du roman d‟Orwell, puisque dans cet État, tout
comme dans le roman 1984, il existe une surveillance systématique de la population au moyen
des instruments de la technique. L‟instrumentalisation de la technique pour la domination telle
sus-évoquée est aussi présentée de manière critique par l‟un des philosophes de l‟école de
Francfort, soit Herbert Marcuse.

Une telle description n‟est pas très éloignée de la description que fait Herbert Marcuse
du monde unidimensionnalisé par la technique. En fait, tout comme Orwell, Marcuse, dans sa
présentation du monde unidimensionnel fait comprendre que celui-ci est un univers où la
liberté de pensée est annihilée. Seulement, cette annihilation n‟est plus due à la surveillance
des citoyens par la police de la pensée au moyen de la technique. Pour ce dernier, la liberté de
pensée qui n‟est rien d‟autre que la liberté intellectuelle est diluée dans la communication de
masse, fruit de la rationalité technologique. Pour Marcuse, la liberté intellectuelle de
l‟individu est synonyme à la capacité de ce dernier à pouvoir penser de lui-même. Or, relève-
t-il, celle-ci est « actuellement noyée dans la communication de masse »34 .

Outre cette déshumanisation de l‟Homme au moyen de la technique à Océania, on


observe l‟usage de la technique en vue de faire la propagande idéologique du parti. C‟est ainsi
qu‟il y était organisé chaque jour les deux minutes de la haine. Cet évènement était diffusé à
partir du télécran. Il s‟agissait d‟un rituel qui consistait tous les matins à faire passer deux
minutes au peuple à exprimer en groupe la haine envers ceux dont le parti présentait comme
les ennemis de la nation.

33
É. NJOH-MOUELLÉ, Lignes rouges « éthiques » de l’intelligence artificielle, Paris, L‟Harmattan, 2020, p.
22.
34
H. MARCUSE, L’homme unidimensionnel. Essai sur l’idéologie de la société industrielle avancée, traduit de
l‟anglais par Monique Wittig et l‟auteur, Paris, Les Éditions de Minuit, « Arguments », 1968, p. 30.
18

C‟est ainsi que dans 1984, l‟ennemi de la nation s‟incarne dans la figure
d‟« Emmanuel Goldstein ». Ce passage d‟Orwell explicite le mieux cela : « Le renégat et le
traître […] Le programme des deux minutes de la haine, variait d’un jour à l’autre, mais il
n’y en avait pas dans lequel Goldstein ne fût pas principale figure. Il était le traître
fondamentale, le premier profanateur de la pureté du parti.»35

Ainsi dit, l‟instrumentalisation de la technique à travers l‟usage du télécran est


employée par le régime totalitaire d‟Océania en vue de présenter Goldstein comme l‟ennemi
numéro un à abattre pour la sécurité de la nation. Tout cela vise à pérenniser le pouvoir de Big
brother.

Toutefois, il conviendrait de faire remarquer dans ce travail que la technique dans cet
univers de 1984 est aussi utilisée pour une vaste falsification de l‟histoire par le commissariat
des archives. Ce commissariat est une sous-direction du ministère de la Vérité. Le héros
principal du roman, Wiston est l‟un des membres du célèbre commissariat qui a pour
principale charge de manipuler les archives sur toutes ses formes pour qu‟il n‟y ait jamais une
contradiction entre l‟information véhiculée par le parti et ce dont connaît le peuple.

Winston composa sur le télécran les numéros du journal le Times qui lui étaient
nécessaires […] les messages qu’il avait reçus se rapportaient à des articles, ou à
des passages d’articles que, pour une raison ou pour une autre, on pensait
nécessaire de modifier ou, plutôt, suivant le terme officiel, de rectifier36.

Seulement, les prédictions politiques de Georges Orwell ne se sont pas actualisées


dans les faits. Il s‟agit ici de faire remarquer que l‟expansion des régimes totalitaires
s‟appuyant sur les technologies de l‟information telle envisagée par ce dernier n‟a pas eu lieu
dans la globalité. Comme on peut le remarquer aujourd‟hui, « la menace totalitaire si
vivement évoquée par Orwell a disparu »37. Au contraire de la centralisation et de la tyrannie
présentée par ce dernier, on assiste comme le souligne Fukuyama, à la décentralisation – en
principe - de la politique38. Une telle décentralisation de la politique renvoie ici à l‟expansion
de la démocratie libérale grâce aux technologies de l‟information et de la communication.
Oumar Dia n‟ignore pas un tel fait. En fait,

35
G. ORWELL, op.cit., p. 16.
36
Ibid., p. 47.
37
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 21.
38
Fukuyama reconnaît à la suite de Peter Huber que l‟invention de l‟ordinateur personnel et de l‟internet
confortent l‟anticipation technologique de Georges Orwell. Mais cette innovation technique n‟a pas entrainé
comme le craignait Orwell, l‟universalisation du totalitarisme, au contraire cette innovation à impulser la
démocratie.
19

Réduisant non seulement les distances d’un point à un autre, mais également d’une
classe sociale à une autre, écrit Oumar Dia, la communication allait créer des
conditions favorables à l’avènement et à l’adoption par les peuples du modèle
politique de la démocratie libérale et de ses valeurs de liberté et d’égalité39.

Ainsi, la prémonition politique de 1984 n‟a pas connu un franc succès. Au lieu de
l‟expansion des régimes totalitaires, on a observé une ruée des peuples vers la démocratie
libérale. Toutefois, les prévisions techniques de ce dernier ne sont pas erronées.

En fait, le développement actuel des technologies de l‟information et du numérique


rappel inéluctablement la justesse de la prévision de cet auteur sur la question du
développement des nouvelles techniques de communication. Ces nouvelles techniques qui
constituent la révolution du numérique sont sources d‟un nouveau type de pouvoir. « Le
numérique écrit Serges Guy Onobion, ouvre la voie à un techno-pouvoir »40 . Ce pouvoir
n‟est plus l‟apanage d‟un « Big brother », mais « est désormais un biopouvoir libéral »41.

La libéralité de ce nouveau pouvoir n‟a pas échappé au philosophe français Éric Sadin
qui bien avant Onobion, a perçu le big data comme le substitut contemporain de « Big
brother ». Pour cet auteur, le totalitarisme à la Orwell a été substitué par ce qu‟il a appelé le
« soft-totalitarisme numérique ». Aujourd‟hui les peuples sont plus espionnés par les géants
du numérique que par les États. « la révolution du numérique a enclenché un processus de
mise à nu de l’individu au profit d’une poignée de multinationales américaines pour la
plupart, les fameux big data »42.

Il s‟agit de faire remarquer que ce sont moins les États que les géants du numérique,
soit les GAFA – Google ; Apple, Facebook, Amazon – qui de nos jours détiennent le plus des
informations sur les individus. En fait, ces multinationales du numérique possèdent des bases
de données contenant des informations liées à leurs utilisateurs. Pour mieux illustrer cette
possibilité qu‟à ces géants à détenir des informations sur leurs usagers, il n‟y a qu‟à se
rappeler de l‟histoire racontée par Yannick Bolloré, « le patron de Havas Group » au cours du
colloque sur les big data en 2014 à Paris sur son voyage aux États-Unis – au siège de Google-.

39
O. DIA, op.cit., p. 136.
40
S. G. ONOBION, « La nature humaine à l‟ère de la fabrique du vivant », in I. S. MOUCHILI NJIMOM et L.
A. MANGA NOMO (Sld.), La Nature Humaine. Des débats métaphysiques aux technosciences du vivant et des
postulats de la modernité politique et étatique, Paris, L‟Harmattan, collection « Ouverture Philosophique »,
2020, p. 78.
41
Id.
42
M. DUGAIN et C. LABBÉ, L’Homme Nu. La dictature invisible du numérique, Paris, Éditions Plon, 2016, p.
6.
20

À l’atterrissage, je rallume mon portable et je reçois un texto m’informant que, près


de mon hôtel, tel restaurant japonais fait 15 % de réduction sur le sushi saumon. Je
suis troublé parce que c’est l’un de mes plats favoris. Le lendemain à Mountain
View, le siège de Google, je raconte l’anecdote à mes interlocuteurs et je
m’interroge à haute voix : qui a bien pu m’envoyer cette pub ? Et là les gens de
Google me disent : “C’est nous ! On vous a géolocalisé à votre arrivée, on a
monitoré votre agenda, vos mails, on a vu à quel hôtel vous descendiez et que vous
aimiez le sushi saumon, alors on vous a acheté en temps réel une pub ciblée pour un
restau du quartier où vous logiez. C’est extraordinaire, vous voyez, tout ce que l’on
peut faire.43

Ces propos de Bolloré démontrent à suffisance que ces multinationales – géants du


numérique – détiennent des informations spécifiques des personnes qui utilisent les outils
techniques qu‟elles ont inventés. C‟est à juste titre que Marc Dugain et Christophe Labbé
parlent de « L‟Homme Nu »44 pour désigner l‟Homme englué dans cet étau du numérique.
Ceci se justifie d‟autant plus que dans cet univers dominé par le numérique, il n‟est plus
possible de parler de vie privée en ce sens que ces géants du numérique ont la possibilité
d‟engranger et de conserver des informations sur les différents usagers des produits qu‟ils ont
mis sur pied.

À cet effet, « cette révolution numérique […] nous dirige vers un état de docilité, de
servitude volontaire, de transparence, dont le résultat final est la disparition de la vie privée
et un renoncement irréversible de notre liberté. »45 C‟est la raison pour laquelle Marc Dugain
et Christophe Labbé présentent cette révolution comme étant, « la dictature invisible du
numérique »46.

Somme toute, la dystopie d‟Orwell met en exergue l‟instrumentalisation de la


technique par le politique pour assujettir le peuple. Toutefois, il convient de signaler le
caractère erroné des prédictions politiques de 1984. Contrairement à l‟expansion du
totalitarisme à l‟échelle mondiale, on a assisté à la démocratisation du monde. Ceci étant
qu‟en est-il de la dystopie d‟Aldous Huxley ?

43
Y. BOLLORÉ cité par M. DUGAIN et C. LABBÉ, Ibid., p. 15.
44
Marc Dugain et Christophe Labbé présentent l‟Homme qui vit la révolution numérique comme étant un
Homme nu, car les structures du numérique arrivent à engranger un ensemble de données sur ceux qui utilisent
leurs produits ; ces structures peuvent avoir les informations les plus confidentielles de ses usagers.
45
M. DUGAIN et C. LABBÉ, op.cit., p. 6.
46
Id.
21

B- Aldous Huxley et Le Meilleur des mondes


L‟autre dystopie ayant captivée l‟attention de Fukuyama est bien, Le Meilleur des
mondes d‟Huxley. Contrairement à la dystopie de 1984 qui était centrée sur « ce qu’on
appelle maintenant les techniques de l’information »47, celle-ci note Fukuyama, « de son coté,
abordait l’autre grande révolution, celle de la biotechnique »48. Le choix d‟Aldous Huxley de
prendre réflexivement en charge la « révolution biotechnique » se justifie par le fait que pour
ce dernier, « c’est uniquement au moyen des sciences de la vie que la qualité de la Vie pourra
être modifiée radicalement »49. Certes Aldous Huxley n‟ignorait pas les avancées dans les
sciences physiques de son temps, mais pour lui, de tels progrès en eux même n‟étaient pas
dommageables à la vie. On peut donc comprendre pourquoi ce dernier a dit dans Le Meilleur
des mondes que :

Les sciences de la matière peuvent être appliquées d’une façon telle qu’elles
détruiront la vie ou qu’elles rendront l’existence inadmissiblement complexe et
inconfortable ; mais, à moins qu’elles ne soient utilisées comme instrument par les
biologistes et les psychologues, elles sont impuissantes à modifier les formes et les
expressions naturelles de la vie elle-même. La libération de l’énergie atomique
marque une grande révolution dans l’histoire humaine, mais non ( à moins que nous
ne nous fassions sauter en miettes, et mettions ainsi fin à l’histoire) la révolution
finale et la plus profonde50.

Le roman d‟Aldous Huxley présente une intrigue qui se déroule dans deux milieux
distincts : l‟État Monde et la réserve des sauvages. Toutefois, il conviendrait de signaler que
dans le cadre de ce travail, l‟analyse insistera plus sur l‟État Monde.

L‟État Monde est une société entièrement régulée. Cette régulation est le fruit de
l‟instrumentalisation des moyens scientifiques par l‟État. Il faut comprendre par-là que, c‟est
au nom de la stabilité politique que la science est instrumentalisée dans cet État. Et à Huxley
de préciser : « Les gens qui gouvernent le meilleur des mondes ne sont pas des fous, et leur
but n’est pas l’anarchie, mais la stabilité sociale. C’est affirmer la stabilité sociale qu’ils
effectuent par des moyens scientifiques, la révolution ultime […] véritablement
révolutionnaire. »51 À tout prendre, l‟usage de la science ici a pour telos la mise sur pied d‟un
État qui se caractériserait par une stabilité de fait et non de droit. La régulation qui est la

47
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 20.
48
Id.
49
A. HUXLEY, Le Meilleur des mondes (1932), traduction de Jules Castier, S. l., Édition du groupe Ebooks
libres et gratuits, 2014, p. 11.
50
Id.
51
Id.
22

condition sine qua non de la stabilité sociale dans ce milieu, est réalisée de plusieurs
manières.

Tout d‟abord, cette régulation est effectuée avant la naissance. En fait, l‟État mondiale
instrumentalise la science et la technique pour réaliser la prédestination sociale des citoyens à
venir. Il faut comprendre par-là que dans ce monde, le rôle, la fonction sociale des citoyens
sont déterminés à l‟avance. Ici les embryons humains sont programmés en fonction de leur
future position dans une hiérarchie sociale. Ces propos du directeur de l‟incubation du Centre
d‟incubation et du conditionnement de Londres Central est fort évocateur à ce sujet : « En
outre nous prédestinons…Nous décantons nos bébés sous forme d’êtres vivants socialisés,
sous forme de futurs vidangeurs ou de futurs… »52.

Une observation de ce propos du directeur, fait voir que dans l‟État mondial, les
citoyens sont programmés à la carte, mieux à la mesure du pouvoir politique. De fait, les
citoyens « ont été répartis en cinq catégories séparées nommées par les cinq premières lettres
de l’alphabet grec, d’alpha à epsilon, en fonction des besoins de la société. »53

Cette prédestination sociale telle évoquée se fait par la substitution de


l‟ « ectogenèse » à la reproduction vivipare ou sexuée. Dans ce lieu imaginaire que présente
Aldous Huxley, les individus sont conçus par un procédé extra-utérin. En fait, dans cet
univers, il y‟a une dissociation de la procréation d‟avec le sexe ; cela vise à assurer la
reproduction de l‟espèce humaine en laboratoire. C‟est ainsi que désormais, la fécondation du
fœtus dans la matrice maternelle et la gestation utérine sont remplacées par une fécondation et
une gestation en laboratoire. C‟est à juste titre que Fukuyama fait comprendre que dans cet
univers, la procréation n‟est plus « in utero mais in vitro »54. Toutefois, n‟en déplaise à
Francis Fukuyama qui perçoit l‟ « ectogenèse » comme une prémonition d‟Aldous Huxley,
cette technique a été mis sur pied et conceptualisée avant Huxley par le biologiste John
Burdon Sanderson Haldane en 1923 à partir du terme grec ektos – en dehors – et du latin
genesis Ŕ naissance , génération55-

52
Ibid., p. 31.
53
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 23.
54
Ibid., p. 20.
55
J. B. S. HALDANE, Daedalus, or Science and the Future : a Paper Read to the Heretics, London, Paul,
French, Trubner, 1925, cité par S. MARTIN, « L‟utérus artificiel ou l‟effacement du corps maternel : de
l‟obstétrique à la machinique », Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de
l‟Université de Montréal en vue de l‟obtention du grade de Maîtrise en Sociologie, Sous la direction de Céline
Lafontaine, 2010, p. 9.
23

Outre cette restriction faite, on peut relever que l‟assimilation que fait Francis
Fukuyama de l‟ « ectogenèse » de cet univers huxleyéen à la révolution procréatique issue des
« biotechniques » est un peu exagérée. Il serait excessif de percevoir la révolution
procréatique actuelle comme la réalisation intégrale de la technique permettant de faire
développer des embryons humains hors des corps des femmes depuis la fécondation jusqu‟à la
naissance, soit l‟ « ectogenèse ». N‟en déplaise à Francis Fukuyama qui perçoit les techniques
de procréation présentées par Aldous Huxley comme avant-gardiste des innovations
techniques réalisées aujourd‟hui, cette forme de procréation – ectogenèse – est comme l‟ont
reconnu la philosophe Monique Canto-Sperber et le gynécologue René Frydman
l‟achèvement du processus d‟artificialisation de la procréation.

D’un point de vue technique, disent-ils, la conduite de la grossesse en dehors de


l’utérus peut être considérée comme l’achèvement d’un mouvement commencé par la
fécondation in vitro : le corps de la femme n’est plus le lieu nécessaire de la
fécondation, et il ne sera bientôt plus le lieu nécessaire de la gestation56.

Il est question ici de faire remarquer que contrairement à l‟ « ectogenèse », la


révolution procréatique actuelle ne fait pas totalement abstraction du corps de la femme. On
est loin de la gestation entièrement artificielle fantasmée dans Le Meilleur des mondes
d'Aldous Huxley. Néanmoins, cela ne laisse pas le biologiste français, Henri Atlan pessimiste.
Pour lui, « un jour, il serait possible d’amener cette dissociation à son terme en faisant en
sorte que des enfants puissent se développer depuis la fécondation jusqu’à l’accouchement en
dehors du corps d’une femme. »57 On comprend par-là que l‟ « ectogenèse » est un possible
technologique.

Cela précisé, il est à noter que cette nouvelle forme de procréation dans Le Meilleur
des mondes, est associée à une technologie innovante. Il s‟agit ici de la « bokanovskification »
qui consiste en la multiplication des œufs fécondés en plusieurs embryons identiques. Le
caractère innovant de ce procédé est qu‟il permet de sortir du standard, un œuf fécondé égale
à un embryon.

Un œuf fécondé, un embryon, un adulte, dit le directeur d‟incubation, c’est la


normale. Mais un œuf bokanovskifié à la propriété de bourgeonner, de proliférer, de
se diviser : de 8 à 96 bourgeons, et chaque bougeons deviendra un embryon

56
M. CANTO-SPERBER et R. FRYDMAN, Naissance et liberté. La procréation. Quelles limites ? Paris, Plon,
2008, pp. 181-82., Cité par S. MARTIN, Ibid., p. 11.
57
H. ATLAN, « La mythologie de l‟utérus artificiel », in H. ATLAN et V. ROUSSEAU, in Cité, 2006/4, N0 28,
15 janvier 2007, p. 117.
24

parfaitement formé, et chaque embryon, un adulte de taille complète. On fait ainsi


pousser 96 êtres humains où il n’en poussait autrefois qu’un seul : le progrès58.

Ainsi dit, le procédé de « bokanovskification » aboutit non pas à la formation d‟un


seul nouvel individu, mais à l‟avènement de plusieurs nouveaux individus. Cette capacité du
procédé de « bokanovskification » est consécutive de la possibilité qu‟a un œuf bokanovskifié
à se bourgeonner, soit à se dupliquer.

Le procédé de « bokanovskification » mis en exergue dans le roman d‟Aldous


constitue l‟un des moyens de régulation des citoyens en vue de la stabilité sociale dans l‟État
mondial. Il permet aux dirigeants de cet univers de fabriquer des êtres humains standardisés et
uniformes. C‟est à juste titre qu‟Aldous fait comprendre par la voix du directeur d‟incubation
que « des hommes et des femmes conformes au type normal, en groupe uniformes. Tout le
personnel d’une petite usine constitué par les produits d’un seul œuf bokanovskifié »59.

Outre cela, cette régulation sociale en vue de la stabilité s‟appuie sur les pratiques
hypnopédiques qui sont comme le reconnaît le directeur d‟incubation du Centre d‟incubation,
« la plus grande force moralisatrice et socialisatrice de tous les temps »60. Ceci étant, en quoi
consiste cette technique ?

L‟hypnopédie est une technique de conditionnement de l‟individu – qui est issu de


l‟ « ectogenèse » – pendant le sommeil. Cette technique est utilisée dans le processus de
régulation sociale ; celle-ci a lieu après la naissance. Elle est utilisée par les psychologues de
cet univers, pour créer chez les futurs citoyens, le sentiment de classe sociale. Cette opération
consiste à amener les futurs citoyens à s‟identifier par rapport à leur classe et à se distinguer
des autres :

Les enfants Alphas sont vêtus de gris. Ils travaillent beaucoup plus dure que nous,
parce qu’ils sont si formidablement intelligents. Vraiment, je suis joliment content
d’être un Bêta, parce que je ne travaille pas si dur. Et puis nous sommes bien
supérieurs aux Gammas et aux Deltas. Les Gammas sont bêtes […] Et les Epsilons
sont encore pires…Ils sont trop bêtes pour savoir61.

Cet extrait du texte d‟Aldous – Le Meilleur des mondes- montre clairement l‟idée de
différenciation et de stratification sociale présente dans l‟État mondial d‟océania. Après

58
A. HUXLEY, op.cit., p. 23.
59
Ibid., p. 24.
60
Ibid., p. 47.
61
Ibid., pp. 46-47.
25

lecture de ce passage, on comprend que dans cet univers, la population y est hiérarchisée.
Cette hiérarchisation se fonde sur la technique de l‟hypnopédie.

Outre la création du sentiment de classe dans l‟État mondial, l‟hypnopédie modèle la


personnalité des futurs citoyens. Concrètement, à partie de cette technique, l‟État moule
l‟esprit de ses citoyens. Dans cet univers, tout est fait pour que : « l’esprit de l’enfant […] soit
ces choses suggérées. Et non pas seulement l’esprit de l’enfant. Mais également l’esprit de
l’adulte »62. Tout laisse voir que dans ce monde présenté par Aldous, la pensée des citoyens a
été déterminée par les dirigeants du Meilleur des mondes grâce à la science.

Ainsi, dans Le Meilleur des mondes, il apparaît d‟une part que le procédé
hypnopédique permet à l‟État de mouler et de forger l‟esprit de ses futurs citoyens et d‟autre
part, il permet à l‟État de créer un sentiment de classe à ses futurs citoyens. Dès lors, cette
société est stratifiée en castes ; chaque caste est conçue pour des tâches différentes en fonction
de leur conditionnement avant et après la naissance. Cette stratification de classes dans ce
monde n‟a pas échappé à Gilbert Hottois. Selon lui, « le célèbre Brave New World d’Aldous
Huxley est l’illustration archétypique de ce double danger d’une société divisée en castes
homogènes génétiques déterminées à l’aide des sciences et des techniques. »63

Il faut reconnaître avec Gilbert Hottois que la dystopie d‟Aldous Huxley met en scène
une société où les biosciences ou sciences de la vie sont instrumentalisées par le pouvoir
politique en vue de fabriquer des citoyens uniformes et standardisés, tout en établissant une
stratification de classe entre ces citoyens. C‟est ainsi que dans cet univers il existe comme il a
été signalé précédemment, plusieurs classes sociales : les alphas jusqu‟aux epsilons tout en
passant les bêtas, les gammas, et les deltas.

L‟autre moyen de régulation et de stabilité sociale qui n‟est pas de moindre ici, est la
vulgarisation de l‟usage du Soma qui est comme le souligne Fukuyama, l‟ancêtre des
substances psychotropes de la neuropharmacologie actuelle. Cette substance – Soma- a pour
fonction de contribuer à l‟amélioration psychologique des citoyens du Brave New World. En
fait, dans cet espace, toute personne qui se sent déprimée en consomme. Et après
consommation, comme par enchantement, ce dernier retrouve la stabilité psychologique
nécessaire à la stabilité sociale. C‟est justement la conviction que le soma est susceptible

62
Ibid., p. 48.
63
G. HOTTOIS, « La diversité sans discrimination : entre modernité et postmodernité », in Revista Colombiana
de Bioética, vol. 2, núm. 2, julio-diciembre, 2007, p. 19.
26

d‟améliorer l‟état psychique des personnes qui en consomment que Lenina est perplexe face
au refus de Marx d‟en consommer malgré sa mélancolie.

Je préfère être moi-même, dit-il, moi-même et désagréable. Et non un autre, quelque


gai qu’il soit […] Et ce que je comprends le moins de tout, continua-t-elle sur un
autre ton, c’est pourquoi vous ne prenez pas de soma quand il vous vient de vos idées
épouvantables. Vous les oublieriez totalement. Et, au lieu de vous sentir misérable,
vous seriez plein de gaieté. Oui, tellement plein de gaieté ! […] répéta-t-elle64.

Au total, tout comme 1984, Le Meilleur des mondes est une source d‟inspiration pour
Fukuyama dans la mesure où, cette œuvre dystopique présente un univers où la science est
instrumentalisée par le pouvoir politique. Néanmoins, il est à noter que Fukuyama a été plus
sensible à la révolution scientifique mis en exergue par Aldous Huxley, soit la « révolution
biotechnique ». Pour Fukuyama, la préscience politique de l‟ouvrage d‟Aldous Huxley est
aujourd‟hui plus que jamais d‟actualité. Toutefois, en quoi consiste cette « révolution
biotechnique » selon Fukuyama ?

64
A. HUXLEY, op.cit., pp. 113-116.
27

CHAPITRE II : LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » SELON FUKUYAMA

La « révolution biotechnique » dont parle Francis Fukuyama trouve son ancrage dans
le Darwinisme. Il s‟agit de comprendre que celle-ci a accepté avec bonheur, la théorie de
l‟évolution65 qu‟avait postulée Charles Darwin au XIXe siècles à la suite du champion du
transformisme Jean-Baptiste Lamarck. C‟est au nom de ce caractère évolutif de l‟univers et de
l‟Homme que Lamarck et Darwin ont eu à effectuer une désacralisation ou naturalisation de
l‟Homme. Selon, l‟évolutionnisme larmarcko-darwinien, le monde et l‟Homme auraient subi
des mutations constantes. Pourtant, avant eux, il était admis que l‟Homme a été créé tout fait.
À cet effet, l‟Homme, en tant que fruit de la création divine devait occuper une place de choix
dans l‟ordre du monde vivant. Et à André Liboire Tsala Mbani de préciser : « L’homme est
considéré en effet comme ayant été créé, façonné et animé à l’image des dieux ou de Dieu
[…] ce qui, conséquemment, le place dans une position privilégiée et prééminente sur Terre
et dans le cosmos »66.

Toutefois, Darwin, le grand théoricien de l‟évolutionnisme, à la suite de Jean-Baptiste


Lamarck à qui Axel Kahn accorde la paternité de la théorie évolutionniste, vient mettre fin à
l‟idée selon laquelle l‟Homme et le cosmos ont été créé tout fait par Dieu. Pour lui, l‟Homme
est un fruit de l‟évolution. Ce décrochage de l‟Homme de son piédestal par le père du
« struggle for life » (lutte pour la vie) est ce qui justifie l‟intégration de ce dernier dans le
vaste champ des objets de la technique. L‟Homme est désormais un objet de manipulation
technoscientifique. Ceci étant en quoi consiste la « révolution biotechnique » selon
Fukuyama ? La réponse à cette interrogation nécessite un arrêt sur le premier chemin de
l‟avenir et la révolution neuropharmacologique d‟une part ; d‟autre part sur la lutte contre le
vieillissement qui est un autre secteur de la « révolution biotechnique » et enfin sur la
« révolution biotechnique » la plus révolutionnaire, soit l‟ingénierie génétique.

65
Nous faisons ici référence au Lamarckisme et au Darwinisme qui sont deux théories qui postulent que les
espèces vivantes ne sont pas le fruit de la création divine et ne sont pas fixes.
66
A. L. TSALA MBANI, Biotechnologies et Nature Humaine. Vers un terrorisme ontologique ?, Paris,
L‟Harmattan, collection « Religions et Spiritualité », 2007, p. 121.
28

A- Le premier chemin de l’avenir et la révolution neuropharmacologique


Dans son analyse de la « révolution biotechnique », Fukuyama fait comprendre que
« le premier chemin du futur n’a rien à voir avec la technologie, mais simplement avec
l’accumulation des connaissances sur la génétique et le comportement »67. En fait, pour lui, la
première « révolution biotechnique » relève moins de la technique que du développement des
savoirs sur la génétique humaine et le comportement. Il est question dans cette révolution
d‟une meilleure compréhension des mécanismes génétiques régulant le comportement de
l‟Homme. La question structurant une telle révolution est : le comportement humain relève-t-
il de l‟ordre de l‟innée ou de l‟acquis ? À cette question, il est à noter que dans le siècle passé,
la majorité des personnes avait tendance à expliquer le comportement de l‟Homme par son
éducation, son milieu de vie.

C‟est d‟ailleurs ce que soutient la thèse du déterminisme sociologique. Selon celle-ci,


la personnalité dépend de l‟environnement dans lequel nous vivons. C‟est la société qui
détermine notre personnalité grâce à l‟éducation. Le fait d‟appartenir à la même société crée
les mêmes traits de personnalité pour les individus. On comprend que pendant cette période,
le comportement de l‟Homme était perçu comme consécutif de son éducation, de son milieu
de vie ; bref ici, le comportement de celui-ci relevait plus de l‟ordre de l‟acquis que de
l‟innée. Et à Fukuyama de renchérir : « Pendant la majeure partie du XXe siècle, les sciences
de la nature et les sciences sociales ont tendu à privilégier les éléments culturels du
comportement par rapport aux éléments naturels »68.

Il faut comprendre par-là que, le comportement de l‟Homme était perçu comme


quelque chose d‟acquise et non d‟innée. Ainsi, si X ou Y agit de telle ou telle manière, ce
n‟est pas parce qu‟il est prédisposé de par sa naissance à agir ainsi, mais son comportement
serait la résultante de son éducation, de son milieu de vie. Lucien Sève ne s‟éloigne pas d‟une
telle analyse.

Pour ce philosophe français et ancien membre du comité consultatif national d‟éthique


de France, la compréhension de l‟Homme par le séquençage de sa structure génétique est
limitée. En fait, pour ce dernier, « pour comprendre l’homme, il est radicalement insuffisant

67
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 46.
68
Ibid., p. 47.
29

de séquencer son génome »69. C‟est pourquoi à la suite du généticien français, Axel Kahn ,
« il dénonce l’ « ineptie scientifique » dans la croyance qu’on pourrait détecter des « gènes
de comportements particuliers »70. Dit autrement, pour ce dernier, la thèse du déterminisme
génétique est erronée. Pour Lucien Sève comme pour Axel Kahn, le comportement de
l‟Homme n‟est pas déterminé par sa constitution biologique.

Cependant avec l‟accumulation des connaissances sur la causalité génétique, on


observe un changement paradigmatique dans l‟explication du comportement de l‟Homme. À
cet effet, son comportement est moins perçu sur le prisme de l‟acquis que de l‟inné en ce sens
que le comportement est expliqué par des éléments génétiques. Fukuyama ne s‟éloigne pas
d‟une telle analyse lorsqu‟il reconnaît que « ces dernières années, le pendule est reparti dans
l’autre sens en faveur des éléments génétiques »71. Désormais, il est admis que le
comportement de l‟Homme est lié à sa structuration biologique.

Cette prise en compte de l‟action des gènes, soit de la partie naturelle de l‟Homme sur
son comportement est aussi remarquable chez Luc Ferry et Jean-Didier Vincent. « Chacun le
sait, disent-ils, sans occulter la part de l’éducation et de l’histoire, les découvertes les plus
récentes en matière de « biologie des passions » et des comportements accordent, dans ce
vieux débat, une place de plus en plus grande à la dimension naturelle de l’humain »72.

Ainsi dit, le comportement de l‟Homme est de plus en plus expliqué à partir de sa


constitution biologique. Il s‟agit là d‟un déterminisme génétique ; car ici, le comportement de
l‟Homme est vu comme la résultante de l‟action des gènes de ce dernier. Dans une telle
perspective, le comportement de l‟Homme relèverait plus de la nature que de la culture.

Cet accroissement de la connaissance sur la causalité génétique du comportement de


l‟Homme est issu de l‟avis de Fukuyama d‟un certain nombre de domaines telles la génétique
comportementale, l‟anthropologie interculturel. Et aussi à juste titre précise-t-il qu‟ « on a
identifié jusqu’à présent que deux moyens de démêler causes naturelles et causes culturelles
du comportement. Le premier est la discipline de la génétique comportementale ; le second
est l’anthropologie des croissements culturels »73.

69
L. SÈVE, Préface de, Et l’Homme dans tout ça ? Plaidoyer pour un humanisme moderne, d‟A. KAHN, Paris,
Nil éditions, 2000, p. 12.
70
Ibid., p. 13.
71
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 47.
72
L. FERRY & J.-D. VINCENT, op.cit., p. 10.
73
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 49.
30

Ces deux domaines démontrent que le comportement de l‟Homme est tributaire de sa


dotation biologique. La génétique comportementale – qui a pour principal but d‟établir les
relations corrélationnelles entre les gènes et le comportement - partant de l‟observation des
jumeaux monozygotes – qui sont issus de la division du même œuf – élevés dans des milieux
différents démontre ce lien qui existe entre les gènes et le comportement de l‟Homme. Pierre
Roubertoux reconnaît à juste titre que, « chaque comportement aurait ainsi son gène et
presque chaque vice et chaque vertu »74. Cette dépendance du comportement de l‟Homme de
ses gènes incite Roubertoux à tirer la conclusion selon laquelle, « il n’y a pas un
comportement qui n’impliquerait aucun gène »75 . Ainsi, pour Roubertoux, le comportement
de l‟Homme est nécessairement le résultat des interactions entre les gènes de ce dernier.

C‟est la même dépendance du comportement de l‟Homme de ses gènes que Fukuyama


relève dans sa présentation des résultats de la génétique comportementale. Ces mots de
Fukuyama sont suffisamment édifiant à ce sujet : « Les résultats obtenus par la génétique
comportementale sont souvent spectaculaires, montrant de fortes corrélations dans le
comportement de vrais jumeaux même s’ils ont été élevés par des parents différents, dans des
environnements culturels et / ou socio-économiques différents »76.

Tout compte fait, il ressort de ce propos de Fukuyama que les facteurs génétiques du
comportement priment sur les facteurs culturels du comportement. En fait, ce propos fait voir
que malgré l‟éducation différente qu‟on peut inculquer à des jumeaux, ceux-ci peuvent avoir
la même attitude face à certaines situations. Cette corrélation dans l‟attitude de vrais jumeaux
s‟explique dans le champ de la biologie comportementale, par le fait que ces derniers ont la
même constitution génétique. Ceci étant qu‟en est-il de l‟anthropologie interculturelle ?

L‟anthropologie interculturelle, contrairement à la génétique comportementale « prend


des sujets culturellement hétérogènes et cherche les similitudes induites par les gènes »77.
L‟anthropologie interculturelle, pour montrer que le comportement de l‟Homme est
étroitement lié à sa dotation biologique, mène une étude comparative entre divers éléments
culturels afin d‟identifier ceux qui s‟expriment de la même manière entre des peuples de
cultures différentes. Une telle entreprise n‟est pas sans intérêt ; car comme le reconnaît
Fukuyama, « si une caractéristique apparaît dans toutes ou presque toutes les sociétés

74
P. ROBERTOUX, Existe-t-il des gènes de comportement, Paris, Odile Jacob, 2004, p. 26.
75
Id.
76
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 50.
77
Ibid., p. 53.
31

connues, nous pouvons en inférer que cela est dû aux gènes plus qu’au milieu
environnemental »78.

Il apparaît que pour démontrer que le comportement de l‟Homme est lié à sa dotation
biologique, soit pour démontrer qu‟il existe une source naturelle du comportement ;
l‟anthropologie interculturelle effectue ce que Fukuyama nomme une revue interculturelle
d‟une activité ou d‟une particularité définie. Il s‟agit pour celle-ci comme il a été souligné
plus haut d‟identifier des éléments culturels invariants entre deux ou plusieurs peuples
distincts.

L‟un des invariants culturels mis en exergue par l‟anthropologie interculturelle est
comme le souligne Fukuyama, la perception de la couleur. En fait, la perception des couleurs
est moins déterminée par l‟environnement que par la biologie.

On pourrait penser que les couleurs sont de bonnes candidates à la construction


sociale […] Et pourtant […] l’on percevait les couleurs primaires et secondaires en
transcendant les frontières culturelles. Cela implique qu’il y’a, dans la perception
des couleurs, quelque chose d’« imprimé » qui est fondé sur la biologie humaine79.

Seulement, ces deux domaines qui mettent en exergue la causalité génétique du


comportement de l‟Homme sont de l‟avis de Fukuyama limités. Cette limitation se justifie par
le fait qu‟elles « se fondent sur des inférences statistiques dotées de marges d’erreur
considérables, et ne sauraient décrire les vraies connexions causales entre gènes et
comportement »80. Néanmoins note Fukuyama, « tout cela va changer. La biologie peut
théoriquement fournir des informations sur les parcours moléculaires reliant gènes et
comportement »81. La biologie permet non plus des postulats génétiques théoriques, mais
donne à l‟Homme le pouvoir de connaître les circuits moléculaires des gènes responsables de
tel ou tel comportement. Avec elle, la tentation est grande de relier les différents
comportements, et sur une plus large étendue, l'ensemble des traits de la personne à un
déterminisme génétique.

Succinctement, la première « révolution biotechnique » n‟a rien de technique, il s‟agit


de l‟accroissement des connaissances sur les liens de causalité entre le comportement humain

78
Ibid., p. 51.
79
Ibid., p. 53.
80
Ibid., pp. 53-54.
81
Ibid., p. 54.
32

et les gènes de l‟Homme. Ceci étant l‟autre voie révolutionnaire de la « révolution


biotechnique » est celle de la neuropharmacologie.

La neuropharmacologie constitue aussi une « révolution biotechnique ». Elle a donné


le pouvoir à l‟Homme d‟agir sur son humeur, sa personnalité, ses états affectifs. Un tel
pouvoir résulte comme le précise Fukuyama de la révolution des neurotransmetteurs qui sont
des substances cérébrales qui assurent la transmission d‟informations au niveau des neurones.
Cette révolution des neurotransmetteurs consiste en un accroissement de la connaissance sur
la nature biochimique de l‟encéphale.

De fait, le développement des sciences du cerveau montre que celui-ci n‟est pas qu‟un
simple complexe électrique à l‟image d‟un ordinateur. Concrètement, il s‟agit de comprendre
comme l‟a signalé Gordon Rattray Taylor dans la révolution biologique que « le cerveau n’est
pas seulement une machine électrique du genre de l’ordinateur, mais aussi un système
chimique complexe.»82 Ainsi dit, le cerveau est un laboratoire à la fois électrique et chimique.

Cette accumulation de connaissances sur la nature du cerveau humain suscite de


l‟enthousiasme chez les spécialistes des sciences du cerveau, car comme le signale Israël Igor
Essomba Étoundi, « c’est à travers l’exploration du cerveau humain que les biotechnologues
espèrent pouvoir rendre totalement compte de ce qu’est l’homme en réalité.»83. Il se dégage
de là, l‟idée selon laquelle une connaissance de l‟Homme et du fonctionnement de
l‟organisme humain serait conséquente de la maîtrise du fonctionnement du système nerveux
de ce dernier. À partir de là, il ne serait pas inepte de formuler ce propos : dis-moi comment
fonctionne ton cerveau, mieux, montre-moi ton encéphalogramme et je te dirai qui tu es,
comme principe heuristique fondant la connaissance de l‟Homme en tant qu‟objet d‟étude.
C‟est ce qui a fait dire à Claude Allègre que :

Beaucoup de scientifiques pensent que le XXIème siècle sera le siècle du cerveau,


celui où l’on comprendra enfin comment fonctionne cet organe qui commande tout
dans notre corps, depuis les battements du cœur, le rythme respiratoire, la vision,
l’ouïe, l’odorat jusqu’à la volonté, la pensée Ŕ mais aussi la conscience et
l’inconscient, l’amour et la haine, le bonheur et la dépression. Certains pensent

82
G. RATTRAY TAYLOR, La Révolution biologique. Des modifications de l’homme par lui-même à la
création de la vie en laboratoire, Verviers, Gérard & C0, collection « Marabout Université », 1971, p. 164.
83
I. I. ESSOMBA ÉTOUNDI, « Technoscience et Bioéthique dans Le Paradigme Bioéthique de Gilbert
HOTTOIS », Mémoire présenté en vue de l‟obtention du diplôme de Master en Philosophie à la Faculté des Arts,
Lettres et Sciences Humaines de l‟Université de Yaoundé I, sous la direction du Professeur Lucien AYISSI,
2016, p. 62.
33

même qu’un jour on saura dire scientifiquement ce qu’est l’âme !84

Après ce bref rappel de la connaissance de l‟Homme par la maîtrise du


fonctionnement de son système nerveux, il convient de revenir sur la possibilité qu‟elle –
connaissance du fonctionnement du système nerveux - offre à la manipulation du
comportement de l‟Homme. En fait, comme le souligne Fukuyama, à la lumière des
neurosciences modernes, il existe un lien nécessaire entre le comportement, la personnalité
de l‟Homme et le fonctionnement de son système nerveux. Il est à rappeler qu‟il ne déni
pas l‟action de l‟environnement sur le système nerveux. Pour lui :
La douzaine de neurotransmetteurs (ou catécholamines) tels que la sérotonine, la
dopamine, l’adrénaline et la noradrénaline contrôlent le fonctionnement des
synapses nerveuses et la transmission des signaux à travers les neurones du cerveau.
Le niveau de ces neurotransmetteurs et la façon dont ils interagissent affectent
directement nos sentiments subjectifs de bien-être, d’estime de soi, de peur, etc. Les
niveaux de base sont affectés par des choses qui se passent dans l’environnement et
sont également très liés à ce que nous entendons par le mot personnalité85.

Cette connaissance de ce que le théoricien de la Fin de l’histoire nomme la chimie


cérébrale constitue un moyen de contrôle du comportement. C‟est cet état de chose qui lui
fait affirmer que : « Longtemps avant que l’ingénierie génétique ne devienne une
possibilité, la connaissance de la chimie cérébrale et la capacité de manipulations
deviendront une importante source de contrôle du comportement.»86
Ce propos de Fukuyama éclaire à suffisance sur le pouvoir qu‟offrent ces nouvelles
connaissances à l‟Homme d‟agir sur sa personnalité. Une telle capacité avait déjà été mise
en exergue par Rattray pour qui : « Désormais nous ne serons plus joyeux ou tristes,
affables ou agressifs, actifs ou nonchalants, paisibles ou anxieux, parce que telle est notre
nature ou parce que les circonstances ont suscité cette humeur ; ce sera parce que nous
aurons pris la pilule qui convient. »87
Dans un tel contexte, avec la maîtrise de la chimie cérébrale, il est possible pour
l‟Homme de manipuler son humeur à sa convenance, voire d‟avoir des comportements
programmés comme le notait déjà Hans Jonas. Ce n‟est pas Fukuyama qui nous contredira
à ce sujet ; car pour lui, grâce à la neuropharmacologie, « nul besoin […] d’attendre
l’arrivée de l’ingénierie génétique pour anticiper le point où l’humanité sera capable de

84
C. ALLÈGRE, Un peu plus de science pour tout le monde, Tome II, Paris, Fayard, 2006, P. 435. Cité par I. I.
ESSOMBA ÉTOUNDI, Ibid., p. 63.
85
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 85.
86
Id.
87
G. RATTRAY TAYLOR, op.cit., p. 171.
34

stimuler […] la sensibilité émotionnelle […] aussi bien que de réduire l’agressivité et de
manipuler le comportement de mille autres façons. »88
Pour une meilleure compréhension de la révolution neuropharmacologique, il serait
judicieux de s‟intéresser à deux de ses produits, soit le prozac et la ritaline. Ces deux
psychotropes agissent de manière remarquable sur le système nerveux et modifient l‟état
psychique de ceux qui en consomment. C‟est ainsi que le prozac en tant qu‟anti-dépresseur
est comme le reconnaît Fukuyama, l‟équivalent du Soma à la Huxley ; car il – prozac –
« paraît être une sorte de pilule du bonheur »89. On comprend par-là que ce psychotrope
agi sur l‟humeur des personnes. À cet effet, grâce à cette pilule, il n‟y aura plus « d’excuse
à la dépression ou au malheur […] les gens normalement heureux pourront se rendre
encore plus heureux à volonté »90.
La ritaline quant à elle annihile l‟hyperactivité par déficit d‟attention et contribue
ainsi à l‟amélioration de la concentration de celui qui en consomme ; c‟est à cause de cette
capacité à améliorer la concentration que ce psychotrope est détourné de sa fonction
thérapeutique par certains étudiants aux Etats-Unis. En fait, ces derniers en consomment
non pas en vue de réparer un trouble psychique, mais en vue d‟accroître leur capacité de
révision.
Cette capacité de la ritaline à améliorer la concentration va pousser Fukuyama à la
considérer comme « un instrument de contrôle social »91. En fait, grâce à elle, il est
possible de contrôler les comportements déviants des jeunes enfants ; surtout les jeunes
garçons, puisque ceux-ci, comme le souligne Fukuyama, « n’ont pas été programmés par
l’évolution pour rester assis pendant des heures. »92 Cependant, ces pilules ne sont que la
dernière génération des drogues psychotropes :
Prozac et Ritaline ne représentent pourtant que la première génération de drogues
psychotropes. A l’avenir ; tout ou presque de ce que l’imagination populaire suppose
au sujet des réalisations de l’ingénierie génétique a beau coup plus de chances
d’être accompli rapidement par la neuropharmacologie. Une classe de drogues
connues sous le nom de benzodiazépines pourrait être utilisée pour modifier le
système de l’acide gamma-aminobutyrique (AGAB) afin de réduire l’anxiété, de
maintenir une attention paisible mais active, et de déclencher le sommeil de façon
adéquate sur des périodes plus courtes, sans les effets secondaires de la sédation93.

88
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 109.
89
Ibid., p. 92.
90
Ibid., p. 28.
91
Ibid., p. 92.
92
Ibid., p. 94.
93
Ibid., p. 102.
35

Si la révolution des neurotransmetteurs permet ainsi de reprogrammer la personnalité,


il convient de relever que cette capacité de manipulation, a aussi contribué de manière
remarquable à l‟exploration du cerveau humain. C‟est pourquoi Michel Lazdunski, fondateur
et ancien Directeur du Centre de Biochimie CNRS – Centre National de la Recherche
Scientifique –, puis de l‟Institut de Pharmacologie Moléculaire et Cellulaire CNRS (Nice,
Sophia Antipolis) signale que « la pharmacologie a révolutionné, dans les vingt ou trente
dernières années, la compréhension du cerveau et du système nerveux.»94
Cette compréhension du système nerveux n‟est pas un fait du hasard ; celle-ci est
résultante du fait qu‟à partir de la neuroscience moderne, l‟Homme « […] a de fait soulevé le
capot et nous a permis de regarder le moteur (au moins essayer de le faire) »95. Dès lors, on
comprend déjà qu‟à partir de la neuroscience moderne, un champ épistémologique plus
fécond et plus opératoire est ouvert à la compréhension de l‟Homme.
Cette fécondité et cette opérationnalité de la neuroscience vont jusqu‟à la résolution
des pathologies, soit des maladies mentales. C‟est ainsi que lorsqu‟on est victime d‟un
dysfonctionnement cérébrale, il n‟est plus question de subir les thérapies freudiennes de
« l‟entretien » qui se fondaient naïvement comme le dit Fukuyama sur « l’idée que les
maladies mentales étaient essentiellement de nature psychologique.»96 , mais, le patient devra
suivre une thérapie pharmaceutique. Laquelle consiste pour le patient à consommer des
médicaments psychotropes pour retrouver sa santé mentale.
Somme toute, il existe une complémentarité entre la manipulation du comportement de
l‟Homme à travers l‟usage des substances chimiques qui agissent sur le cerveau et une
meilleure connaissance de celui ci – le cerveau -. Seulement, la « révolution biotechnique » ne
se limite pas à manipuler le comportement de l‟Homme, elle opère aussi une manipulation de
l‟Homme pour lutter contre le vieillissement en vue de la prolongation de la vie de l‟Homme.
B- Lutte contre le vieillissement et prolongation de la vie
L‟une des voies par laquelle la « biotechnique » manifeste son caractère
révolutionnaire est bien la lutte contre le vieillissement en vue comme le précise Francis
Fukuyama de la prolongation de la vie. Il s‟agit de comprendre que, l‟Homme armé de son
nouveau pouvoir mène une guerre sans merci contre le vieillissement qui est perçue comme
un facteur pouvant conduire à la mort. On assiste ici à l‟accroissement du pouvoir de

94
M. LAZDUNSKI, « La neuro-pharmacologie : un triomphe dans l‟exploration du cerveau, un échec à dépasser
dans la création de thérapeutiques innovantes » [en ligne], Conférence, 2015, Consulté le 23 Novembre 2019, p.
197., Disponible à l‟adresse : http://www.mediachimie.org/sites/default/files/Cerveau_p197.pdf
95
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 85.
96
Ibid., p. 84.
36

l‟Homme sur la vie. Tel est d‟ailleurs le projet du transhumanisme : vaincre la mort afin que
l‟Homme puisse vivre éternellement.

Autrement dit, l‟une des missions de la « révolution biotechnique », c‟est de vaincre la


mort. En fait, il s‟agit ici pour la « révolution biotechnique » de réfuter l‟idée selon laquelle
l‟Homme est un être voué à la finitude c‟est-à-dire à la mort. La temporalité, comme critère
qui caractérise l‟humain est évacué du projet transhumaniste. Le but ici, c‟est da vaincre la
mort et d‟amener l‟Homme à vivre éternellement. Par le transhumanisme, nous assistons à
l‟avènement de « l‟homme-Dieu » pour reprendre une expression chère à Luc Ferry. Tel est
l‟un des pouvoirs indéniables qu‟offre la « révolution biotechnique » à l‟Homme aujourd‟hui :
dominer la nature, la manipuler et la transformer à sa guise suivant ses désirs et ses
aspirations. Un tel pouvoir n‟épargne pas l‟Homme en tant qu‟il est parti intégrante de la
nature. Ce pouvoir qu‟offrent ces « biotechniques » à l‟Homme a conduit Fukuyama à les
considérer comme un élément susceptible d‟influer de manière importante sur la politique. Il
s‟agit de comprendre avec lui que « la troisième voie par laquelle la biotechnique
contemporaine affectera la politique est la prolongation de l’existence.»97

L‟idée majeur qui ressort de cette affirmation est celle selon laquelle, les
« biotechniques » donnent à l‟Homme le pouvoir d‟augmenter sa longévité, soit sa durée de
vie. Cela passe par une lutte sans merci contre le vieillissement qui est perçue comme un
facteur pouvant conduire à la mort de l‟Homme. Car comme le reconnaît Miroslav Radman,
les travaux menés en biochimie pour la plupart ont pour objectif de mettre en place des
produits pour annihiler le processus de senescence des cellules. Et aussi précise-t-il :

L’élixir sur lequel nous travaillons mettra en circulation une molécule (ou un
mélange de molécules) qui sera le petit grain de sable empêchant le processus de
dégénérescence lié à l’oxydation de nos précieuses cellules, ce petit grain de sable
viendra contrarier et ralentir (sinon arrêter) le tic-tac de l’horloge de la
dégénérescence biologique98.

Ainsi, il ne fait aucun doute que la lutte contre le vieillissement est intimement liée au
désir de l‟Homme d‟accroitre sa longévité. Laquelle à son tour trouve son fondement dans le
nouveau pouvoir technoscientifique de l‟Homme. Jean-David Ponci n‟a pas donc tort de
reconnaître que, « ce rêve semble habiter l’imaginaire humain depuis les premiers

97
Ibid., p. 110.
98
M. RADMAN, Au-delà de nos limites biologiques, Paris, Plon, 2011, p .70.
37

balbutiements de l’humanité et les progrès de la science semblent nous donner encore plus de
raison d’y croire. »99

Seulement, une meilleure compréhension des mécanismes d‟accroissement de la


longévité par l‟Homme nécessite une digression sur la biologie du vieillissement, dans le but
de comprendre les mécanismes qui permettent de répondre à la question suivante : pourquoi
l‟Homme vieillit-t-il ? Ce détour se justifie par le fait que la vieillesse fait partie des facteurs
susceptibles d‟entraîner la fin de l‟existence de l‟Homme.

La question du pourquoi l‟Homme vieillit-t-il ? ne fait pas l‟unanimité. De fait, il


n‟existe pas une théorie unique et fédératrice qui explique les mécanismes qui sont à l‟origine
du vieillissement. Cet état de chose est bien perçu par Fukuyama pour qui, « plusieurs
théories s’affrontent présentement sur les raisons du vieillissement […], sans qu’aucun
accord se soit dégagé entre les spécialistes sur les mécanismes fondamentaux de ces
phénomènes »100. Ainsi, il existe plusieurs théories expliquant les mécanismes du
vieillissement. Toutefois dans le cadre du présent travail, l‟intérêt sera porté sur les théories
évolutionnistes et physiologiques – qui renvoie à la théorie de la senescence cellulaire - du
vieillissement.
Dans la perspective évolutionniste du vieillissement, le vieillissement est étroitement
lié à la reproduction. En fait, pour les tenants de cette conception, la sélection naturelle qui est
la base du processus évolutif ne favorise pas la survie des êtres vivants dont la capacité de
reproduction est amoindrie avec le temps. C‟est justement ce que reconnaît Fukuyama dans
son analyse de la biologie de l‟évolution.
À cet effet, parlant de la théorie évolutionniste du vieillissement, il souligne : « Pour
elle, grosso modo, les organismes vieillissent […] parce que la sélection naturelle ne favorise
pas la survie des individus une fois que l’âge leur a ôté la capacité de se reproduire »101.
C‟est justement ce que reconnaît Céline Lafontaine, pour qui le vieillissement,
Serait simplement due au fait que la sélection naturelle favorise la reproduction et
qu’elle n’a pas « prévu » le prolongement de la vie organique après la période de
reproduction. Ceci expliquerait pourquoi dans des conditions naturelles, très peu
d’individus, et cela vaut pour la plupart des espèces animales y compris pour
l’humain, atteignent ou dépassent l’âge de la reproduction102.

99
J.-D. PONCI, La biologie du vieillissement. Une fenêtre sur la science et sur la société, Paris, L‟Harmattan,
2008, p. 254.
100
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 111.
101
Id.
102
C. LAFONTAINE, « Le corps régénéré : la lutte anti-âge et la quête d‟immortalité », in C. HERVÉ, P. A.
MOLINARI, M. A. GRIMAUD, E. LAFORÊT, op.cit., p. 54.
38

Il s‟agit de comprendre que dans l‟ordre de l‟évolution, la période post-reproductive


des êtres vivants, y compris celle de l‟Homme, constitue le moment de l‟accélération du
processus du vieillissement.
En fait, pour les partisans de cette tendance, la vieillesse est la conséquence de la
baisse de la pression de la sélection naturelle qui diminue avec le temps. Il s‟agit de
comprendre que celle-ci – sélection naturelle – contribue indirectement à l‟élimination des
individus dont la capacité de reproduction est amoindrie avec le temps. Didier Coeurnelle et
Marc Roux ne s‟éloignent pas d‟une telle idée, lorsqu‟ils reconnaissent unanimement que, « la
sélection naturelle élimine les espèces qui ne renouvellent pas leur patrimoine génétique par
la succession de générations »103 . Pour ces épigones du transhumanisme, plus la capacité de
reproduction de l‟individu s‟affaiblie plus il est voué à la sanction de la sélection naturelle.
Laquelle dans sa discrimination pour la survie de l‟espèce opte plus pour la sélection des
individus possédant les gènes favorables à la reproduction de l‟espèce. Or ces gènes comme le
reconnaît Fukuyama sont aussi soumis à l‟usure du temps. Car « certains gènes peuvent
favoriser la capacité d’un individu à se reproduire, mais dérèglent inéluctablement plus
tard »104. C‟est cela qui explique le vieillissement dans la perspective évolutionniste du
vieillissement. Qu‟en- est-il de la théorie du vieillissement par la senescence cellulaire ?
Pour Fukuyama, « un autre courant théorique sur le vieillissement vient de la biologie
moléculaire et concerne les mécanismes cellulaires spécifiques par lesquels le corps perd sa
fonctionnalité et finir par mourir »105. Ainsi, la théorie du vieillissement de l‟Homme par la
senescence cellulaire s‟inscrit dans le champ de la biologie moléculaire. Cette théorie
explique le vieillissement de l‟individu par le vieillissement des cellules constituant
l‟organisme humain. Si l‟Homme vieillit c‟est parce que les cellules qui constituent son
organisme à un moment donné entrent en senescence. Dans un tel contexte, il existerait un
lien direct entre le vieillissement des cellules, ou senescence, et le nombre de divisions
cellulaires.
Selon Fukuyama, cette théorie tire son origine des travaux de Leonard Hayflick qui a
démontré à travers la culture in vitro des cellules que celles-ci ont une limite de divisions
après laquelle elles entrent en senescence. Il écrit : « En 1961, Leonard Hayflick a découvert
que les cellules somatiques avaient une limite supérieure dans le nombre de divisions qu’elle

103
D. COEURNELLE et MARC ROUX, Technoprog. Le transhumanisme au service du progrès social, Paris,
FLY Éditions, 2016, p.94.
104
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 111.
105
Ibid., p.112.
39

pouvait effectuer : le nombre de ces divisions décroît au fur et à mesure que la cellule
vieillit »106. Cette limite est appelée en hommage de son découvreur la limite de Hayflick ; au
seuil de cette limite les cellules arrêtent de fonctionner et entrent en senescence. Toutefois, il
convient de préciser que cette limitation s‟applique uniquement aux cellules somatiques de
l‟individu ; les cellules germinales ayant théoriquement une durée illimitée de prolifération.
Qu‟est ce qui peut expliquer cette limitation responsable du vieillissement des cellules de
l‟organisme et par ricochet du vieillissement de l‟individu ?
Dans son analyse de la théorie moléculaire du vieillissement, Fukuyama signale qu‟il
existe plusieurs théories expliquant les raisons de la limitation des cellules causant le
vieillissement. Ainsi, pour lui, « plusieurs théories existent à leur tour sur les raisons de cette
limitation »107.
La première raison d‟une telle limitation est bien comme le relève Fukuyama,
l‟accumulation des dégâts génétiques causés par la duplication des cellules. De fait, les
altérations du matériel génétique interviennent dans le processus du vieillissement. Un tel fait
n‟a pas échappé à Max Lafontan. Ce dernier, dans sa Communication présentée à l‟Académie
des Sciences, Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse, le 24 mars 2016 a signalé avec clarté
que les
altérations de l’ADN s’accumulent sous la forme de diverses altérations allant de
mutations à des défauts de réparation ou à l’apparition de lésions irréparables
comme la rupture de la double hélice de l’ADN qui vont induire des dysfonctions
cellulaires plus ou moins grave. La sénescence cellulaire qui s’ensuit […] entraîne
la production de sécrétions qui peuvent endommager les tissus environnants108.

Ces sécrétions dont parle Lafontan sont les déchets cellulaires qui n‟ont pas pu être
réparés par les enzymes réparatrices d‟acides désoxyribonucléiques ; car comme le reconnaît
Fukuyama, ces enzymes « ne peuvent pas traiter toutes les erreurs »109. Ces déchets qui vont
s‟accumuler dans l‟organisme seront responsables de l‟affaiblissement du fonctionnement des
cellules saines. Tout cela conduira de manière progressive au vieillissement de la totalité des
cellules, ce qui conduira inéluctablement au vieillissement de l‟individu.
En plus d‟expliquer cette limitation des cellules par l‟accumulation des déchets
provenant des dégâts de l‟ADN, la théorie du vieillissement par la senescence cellulaire

106
Id.
107
Id.
108
M. LAFONTAN, « Biologie du vieillissement : peut-on agir sur le processus ? Intervention anti-âge : des
élixirs „„magiques‟‟ aux régimes restrictifs et transfusions », Communication présenté à l‟Académie des Sciences
de France [en ligne], Communication scientifique, 2016, p. 142., Consulté le 31 Août 2021, Disponible à
l‟adresse : https://www.academie-sciences-lettres-toulouses.fr
109
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 112.
40

explique le vieillissement de l‟individu par la réduction télomérique. La réduction télomérique


dont il est question ici n‟est rien d‟autre que le raccourcissement graduel des télomères 110 qui
a lieu dans la cellule lors de la division cellulaire. Ce phénomène de raccourcissement des
télomères a été considéré par Olovnikov comme étant la limite dont parlait Hayflick.
De fait, celui-ci a été le premier à suggérer que le raccourcissement des extrémités des
chromosomes, c‟est-à-dire des télomères limite de manière considérable la durée de vie des
cellules. Dans la perspective de ce biochimiste, l‟amoindrissement des télomères conduit
inéluctablement à l‟élimination des gènes essentiels des cellules, ce qui diminue leur vitalité.
Ainsi, il ne serait pas « surhumain » pour reprendre Nietzsche de qualifier les télomères des
chromosomes de chronomètre biologique de la cellule et par ricochet de la vie. Car, plus la
longueur de ces télomères diminue, plus la cellule vieillit.
Ce lien entre la longueur des télomères et la longévité de la cellule n‟a pas échappé au
regard de Francis Fukuyama. En fait, il a de manière prophétique annoncé le décès de la
brebis Dolly111 qui a été clonée à partir des cellules somatiques différenciées adultes, c‟est-à-
dire ayant déjà des télomères réduits à cause des divisions cellulaires. Cet extrait de l‟ouvrage
la fin de l’homme est fort évocateur à ce propos : « La brebis Dolly, clonée à partir des
cellules somatiques d’un animal adulte, a les télomères raccourcis de celui-ci, non les
télomères allongés d’un agneau nouveau-né : elle ne vivra probablement pas aussi longtemps
qu’un agneau né naturellement. »112
Après cette odyssée au cœur des théories développées en vue de comprendre le
pourquoi – mécanismes expliquant le vieillissement de la cellule et par ricochet de l‟Homme
– du vieillissement de l‟Homme, il est maintenant nécessaire de serrer de près les stratégies
permettant à l‟Homme d‟intervenir dans le processus du vieillissement en vue de le
neutraliser. Cette nécessité de porter un regard sur ces stratégies de luttes contre le
vieillissement se justifie d‟autant plus que,
depuis une vingtaine d’années, la quête de la prolongation de la vie n’est plus le
domaine réservé des charlatans. Certains scientifiques, professeurs à Harvard, au
MIT ou à UCLA, considèrent que la compréhension de la biologie du vieillissement
devrait nous permettre de prolonger la vie de l’être humain. S. Austad, professeur de

110
Il s‟agit des séquences d‟ADN à l‟extrémités des chromosomes. À mesure que les télomères se
raccourcissent, les cellules atteignent finalement leur limite réplicative et progressent vers la sénescence ou la
vieillesse. Cf. « Télomère », Wikipédia [en ligne], Dernière modification : le 16 Janvier 2020, Consulté le 31
Août 2021, Disponible à l‟adresse :
https://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Télomère&oldid=166415422
111
La brebis Dolly est née le 5 Juillet 1996 à l‟institut Roslin en écosse. Elle est le clone de la brebis adulte
Geniees. Dolly a vécu durant 6 ans ; elle est décédée le 14 Février 2003.
112
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 113.
41

biogérontologie à l’université du Texas à San Antonio, prétend même que la


première personne qui vivra 150ans est déjà née113 .

L‟un des moyens préconisés pour limiter le processus du vieillissement de l‟organisme


relève moins du pouvoir technique de l‟Homme que de son alimentation. Il est question ici de
comprendre à la suite de Céline Lafontaine que : « Parmi les moyens préconisés pour
augmenter la longévité, l’alimentation et le régime de vie occupent une place de choix »114.
L‟allusion est ici faite à la restriction calorifique comme stratégie de lutte contre le
vieillissement. De fait, les études ont démontré que la diminution de l‟apport des calories à
l‟organisme contribuerait à un ralentissement du processus du vieillissement de l‟organisme et
prolongerait ainsi la vie. C‟est ainsi que Fukuyama fait remarquer que dans le cadre des
expériences sur l‟influence de la restriction calorique sur le vieillissement, les rats de
laboratoire ayant subis une restriction calorique ont une durée de vie plus longue que ceux qui
ont eu une alimentation saine115. Cette action de la restriction calorique sur le vieillissement
justifie l‟optimisme de Richard Miller pour qui « les modifications du métabolisme liées à la
restriction calorique ne permettent pas uniquement de repousser l’échéance de certaines
maladies […] mais elles retardent la sénescence en tant que telle. »116
Outre la restriction calorique, les « biotechniques » constituent l‟arme fatale de
l‟Homme dans sa guerre contre le vieillissement. Il s‟agit ici de comprendre que les
« biotechniques » de par leur caractère fondamentalement opératoire comme l‟a reconnu
Gilbert Hottois donnent à l‟Homme le pouvoir de mener une guerre sans merci contre le
vieillissement qui est désormais pour lui non quelque chose de naturel, mais une maladie à
éradiquer aux moyens de son nouveau pouvoir. C‟est fort de ce pouvoir que les biologistes tel
Leonard Guarante du Massachusetts Institute of Technology, ont signalé avec emphase
comme le reconnaît Fukuyama, « qu’il pourrait y avoir un jour une route génétique
relativement simple pour allonger la vie des hommes »117.
Cette vision de Leonard est entrain de quitter le terrain onirique de la « biologie-
fiction » pour reprendre Jean-Noël Missa pour se réaliser à travers les « biotechniques », tels
l‟ingénierie génétique à travers le Crispr-Cas9 qui est comme le reconnaît Audrey De Gravey

113
J.-N. MISSA, « Prolongation de la vie et médecine d‟amélioration », in Sciences sociales et santé, Vol. 33,
2015, pp. 32-33.
114
C. LAFONTAINE, op.cit., p. 53.
115
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 114.
116
R. MILLER. cité par F. FUKUYAMA, Ibid., pp. 53-54.
117
Ibid., p. 114.
42

une technique révolutionnaire qui permet avec une grande précision, d‟enlever des parties
indésirables du génome pour les remplacer par de nouveaux morceaux d‟ADN.
Les recherches sur les cellules souches qui sont quant à elle des cellules non
différenciées de l‟organisme permettent comme le reconnaît Fukuyama de régénérer
virtuellement n‟importe quels tissus du corps humain. L‟actualisation de ce pouvoir d‟action
de l‟Homme sur le vieillissement est évoquée de manière succincte par Didier Coeurnelle,
Marc Roux. En fait, « les thérapies géniques et celles utilisant les cellules souches sont,
disent-ils, les techniques les plus prometteuses à moyen terme pour permettre une véritable
réjuvénation »118.
Ce propos sus cité montre clairement que ces « biotechniques » constituent des
techniques pouvant permettre le rajeunissement de l‟Homme. C‟est fort de cela qu‟Elizabeth
Parrish, Patronne de Bioviva, a testé sur elle une thérapie génique développée par son
laboratoire. En 2015, celle-ci s‟est faite comme patiente zéro afin de tester la thérapie que sa
société a mis au point. Cette thérapie visait à rallonger la longueur des télomères afin de
retarder le processus du vieillissement des cellules. Comme résultat, la longueur des télomères
de Parrish est quittée/passée de 6,71 kilobase à 7,33. Toutefois, la présentation de la
conception fukuyamienne de la « révolution biotechnique » ne sera pas complète sans la
présentation de la « biotechnique » la plus révolutionnaire, soit l‟ingénierie génétique qui
permet à l‟Homme d‟intervenir sur son patrimoine génétique.
C- L’ingénierie génétique : de la révolution génétique à l’intervention de l’Homme
sur son patrimoine génétique
Pour Fukuyama, l‟ultime domaine par lequel se manifeste la « révolution
biotechnique » est l‟ingénierie génétique. Car, celle-ci a octroyé à l‟Homme la capacité à agir
sur son patrimoine génétique. C‟est en raison de ce pouvoir d‟intervention octroyé par le
génie génétique à l‟Homme que François Cambien perçoit cette technologie comme étant « un
jeu d‟apprenti sorcier »119. Avant la présentation d‟une telle capacité, il conviendrait dans le
cadre de cette analyse d‟effectuer un temps d‟arrêt sur la révolution génétique.
Parler de la révolution génétique nécessite un retour sur les travaux de Gregor Mendel.
De fait, l‟ancien superviseur du monastère de Bnrö est considéré dans l‟histoire de la
génétique comme l‟un des grands précurseurs de cette discipline. Ce moine à travers son
intuition a réussi à mettre sur pied les lois de l‟hérédité. Concrètement, il s‟agit de comprendre

118
D. COEURNELLE et MARC ROUX, op.cit., p. 24.
119
Cf F. CAMBIEN, « La technologie génétique s‟apparente à un jeu d‟apprenti sorcier », in Science et Avenir,
N° 771, Mai 2011.
43

que ce dernier de par les expériences d‟hybridation de petits pois qu‟il a eu à réaliser dans le
jardin de son monastère, a déduit que les caractères ancestraux devaient être transmis de
génération en génération. Ces caractères transmis sont comme l‟a reconnu Mendel les
caractéristiques primaires de chaque parent. La transmission de ces caractères ne se fait pas
d‟une manière uniforme et équitable ; car « l’une de ces caractéristiques (la dominante)
oblitère l’autre (la récessive) »120. Seulement, faute d‟instruments techniques sophistiqués il
n‟a pas pu mettre en évidence la cause de la transmission des caractères héréditaires.
La génétique trouvant son origine dans le mendélisme a connu un grand essor au
XXème siècle. C‟est dans cette période que la molécule dépositaire des caractères héréditaires a
été découverte. Ainsi, en 1944, Oswald Avery de l‟Institut Rockefeller a donné un coup de
pouce à la génétique en démontrant que «la consigne de l’hérédité est enregistré dans la
structure de la molécule d’un acide alors peu connu : l’acide désoxyribonucléique»121.
Seulement la structure et la nature de cette molécule ont été mise en exergue non pas
par Oswald Avery, mais par, un Anglais, Francis Crick, un Américain, James Watson, tous
deux biologistes à l‟Université de Cambridge et prix Nobels de médecine avec Maurice
Wilkins - en 1962-.
En effet, « en 1953, […] Watson et Crick, au cours de leurs travaux de biologie
moléculaire, découvrent la structure en double hélice de la molécule d’ADN »122. Ils ont
démontré que l’acide désoxyribonucléique (ADN) « est constitué par une double molécule :
deux longues chaînes moléculaires entortillées l’une sur l’autre »123. Cette « double hélice »
comme l‟ont baptisé Crick et Watson est constituée de quatre substances chimiques qui
forment ce qu‟on appelle les bases. Il s‟agit de l‟adénine, la guanine, la thymine et de la
cytosine, désignés en abrégé par les initiales, A, G, T, C. L‟appariement de ces substances
forme le code génétique. Ceci explique pourquoi pour Kokou Sename Amegatsevi à la suite
de Jean Rostand, « les caractéristiques d’un individu dépendent de la manière dont ces quatre
bases se combinent et s’ordonnent dans les molécules des bases »124.
L‟ADN mis en exergue par Watson et Crick est la matière première de la vie. Il s‟agit
de comprendre que c‟est par lui ou grâce à lui que se structure la vie. À cet effet, il ne serait

120
G. RATTRAY TAYLOR, op.cit., p. 210.
121
Ibid., p. 211.
122
I. S. MOUCHILI NJIMOM, Qu’est-ce que l’humanisme aujourd’hui ? Vers une tentative « bio-centrique » ?
Paris, L‟Harmattan, 2016, p. 54.
123
G. RATTRAY TAYLOR, op.cit., p. 211.
124
K. SENAME AMEGATSEVI, « L‟Éthique du futur et le défi des technologies du vivant », Thèse en cotutelle
présentée en vue de l‟obtention du Doctorat en Philosophie aux Universités Laval Québec et Paris-Descartes,
Sous la direction de Charles De Koninck et d‟Yves Charles Zarka, 2013, P. 28.
44

pas erroné de reconnaître avec Francis Fukuyama que, « les molécules d’ADN sont les
fameuses séquences torsadées à doubles fibres de quatre bases […] qui contiennent les
programmes de la vie »125. Dans cette perspective, une meilleure compréhension des êtres
vivants passerait par l‟analyse de leur ADN. Cette maîtrise de la vie par la mise en exergue de
son ultime fondement pour parler comme le philosophe camerounais Mouchili Njimom, va
ouvrir la voie à une révolution sans nul autre pareil pour l‟humanité.
Ce qu‟il faut savoir, c‟est qu‟« en découvrant que c’est l’ADN qui rend la vie possible
dans la spécificité qu’on lui reconnaît »126la génétique a ouvert la voie à ce qu‟il convient
d‟être appelé ici l‟ ingénierie génétique qui est compris par Kokou Sename Amegatsevi
comme étant, « un agrégat de techniques, ayant pour objet l’utilisation des connaissances
acquises sur les lois de la génétique pour reproduire, ou modifier le génome des êtres
vivants »127 .
Ce propos de Kokou démontre à suffisance que l‟ingénierie donne à l‟Homme le
pouvoir d‟agir sur le génome des êtres vivants. Ainsi, grâce à l‟ingénierie génétique, il est
désormais possible pour lui d‟agir sur l‟information génétique contenu dans les gènes de tout
être vivant. Cette technologie est appliquée aux êtres vivants sur toutes leurs formes :
végétales, animales et humaines. Néanmoins, dans le cadre de ce travail, l‟analyse est
restreinte sur l‟application de cette technologie sur l‟humain. Concrètement, il s‟agit ici de
jeter un regard sur ce que Francis Fukuyama a nommé la transposition de « cette technologie
aux êtres humains »128.
À cet effet, grâce à l‟ingénierie génétique, qui est d‟après Fukuyama une « révolution
dans notre capacité à décoder et manipuler l’ADN »129, l‟Homme a désormais le pouvoir
d‟agir sur le socle vital de son identité personnelle. Cette technique – ingénierie génétique –
permet à l‟Homme de modifier l‟ADN, support matériel de l‟hérédité en vue d‟agir sur les
gènes. Il s‟agit de comprendre là que l‟ingénierie génétique permet de modifier la structure
génétique ou le génome de l‟Homme pour reprendre une expression chère aux praticiens de la
génétique. C‟est ce que Tsala Mbani nomme la « dé / reconstruction du vivant humain »130.
Ainsi, l‟ingénierie génétique permet à l‟Homme d‟agir et d‟intervenir sur ce qui fait sa

125
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 138.
126
I. S. MOUCHILI NJIMOM, op.cit., p. 52.
127
K. SENAME AMEGATSEVI, op.cit., P. 30.
128
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 137.
129
Ibíd.., p. 45.
130
A. L. TSALA MBANI, op.cit., p. 100.
45

spécificité en tant qu‟être humain. Et à Jean Bernard d‟ajouter : « Le génie génétique est une
méthode qui modifie le patrimoine génétique d’un être vivant »131 .
Cette définition que donne Bernard du génie génétique – ingénierie génétique -
montre à suffisance que celui-ci ouvre la voie à la réalisation du vœu cartésien de domination
de la nature. Une telle lecture n‟est pas fortuite ; car cette technologie permet à l‟Homme de
maîtriser sa propre nature à travers les interventions et manipulations qu‟il y opère au moyen
de l‟ingénierie génétique. Ces interventions ou manipulations sont réalisés, note Francis
Fukuyama, par deux principales voies. « Deux méthodes dit-il, permettent théoriquement de
réaliser une manipulation génétique : la thérapie du gène somatique et la manipulation de la
lignée germinale (germ-line engineering) »132 .
Il se dégage de ce propos de l‟américain d‟ascendance japonaise que le domaine
biomédical est le domaine de prédilection de l‟intervention de l‟Homme sur son patrimoine
génétique. C‟est ainsi que cette intervention ou manipulation se manifeste dans une nouvelle
forme de thérapie qu‟il convient d‟appeler ici thérapie génique. La différence entre les
thérapies classiques et les thérapies géniques est très bien précisée par Jacques Mallet.
Pour lui, « la thérapie génique se différencie des thérapies habituelles puisqu’elle ne
se fonde pas sur la prise régulière d’un médicament mais sur l’injection ponctuelle d’un
fragment d’ADN »133. Il s‟agit plus précisément, comme le souligne Thierry Magnin, d‟une
thérapie qui « utilise des acides nucléiques […] pour soigner des maladies »134. Lorsqu‟un
gène délétère est repéré comme cause d‟une maladie grave, on utilise cette technique soit pour
bloquer l‟expression de ce gène, soit de le remplacer par un gène à action thérapeutique. Il
s‟agit en fait d‟une manipulation ayant pour objectif de transformer le noyau de la cellule
malade en y injectant un gène sain en vue de rectifier ou de corriger les anomalies ; il s‟agit
ici d‟un procédé de correction des tares génétiques.
Il existe deux grandes approches de thérapie génique. La première, dite ex vivo,
consiste à modifier génétiquement des cellules in vitro, puis à greffer ces cellules dans
l‟organe cible. La deuxième stratégie, dite in vivo, vise à introduire directement le gène
thérapeutique dans les cellules du patient en injectant localement le vecteur dans l‟organe (ou
la partie de l‟organe) défectueux. Comme il a été signalé, cette thérapie est soit somatique,

131
J. BERNARD, De la biologie à l’éthique, Paris, Buchet-Chastel, collection « Pluriel », 1990, p. 128.
132
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 143.
133
J. MALLET, « Thérapie génique : intérêt et limites des outils », in Bulletin Académie vétérinaire France [en
ligne], Tome 164, N°1, S. l., S. n., 2011, p. 68., Consulté le 23 Avril 2020, Disponible à l‟adresse :
www.academie-veterinaire-france.fr
134
T. MAGNIN, Penser l’humain au temps de l’homme augmenté. Face aux défis du transhumanisme, Paris,
Éditions Albin Michel, 2017, p. 21.
46

soit germinale. Ces nouvelles techniques thérapeutiques sont facilitées par le développement
d‟une nouvelle technique génétique, soit le CRISPR-Cas9.
Cette technique donne à l‟Homme la possibilité de modifier à volonté, et de manière
ciblée le patrimoine génétique de n'importe quelle cellule animale, végétale ou humaine. En
fait, elle permet de modifier un ou plusieurs gènes en même temps. C‟est à juste titre que Luc
Ferry en parle de manière analogique. Il s‟agit précisément pour ce dernier d‟établir une
analogie entre cette nouvelle technologie et le fonctionnement d‟un logiciel de traitement de
texte.
Pour le philosophe français, avec cette nouvelle technologie, on, « va pouvoir
« couper coller » notre ADN, voire l’hybrider aussi facilement qu’on corrige une faute
d’orthographe ou déplace une phrase avec un logiciel de traitement de texte »135. C‟est
justement cette technique d‟édition du génome qui a été utilisée à Hong-Kong en 2018 pour
faire naître des jumelles immunisées contre le Sida136. Ceci étant précisé, en quoi consistent
ces nouvelles thérapies géniques ?
La thérapie génique somatique est réalisée sur les cellules somatiques. Et à cet effet,
elle n‟entraîne pas, en principe et selon les connaissances actuelles, d‟effet sur la descendance
du malade traité. C‟est la raison pour laquelle Fukuyama pense que cette thérapie « n’a pas
d’effet durable sur la génération »137. Cela étant précisé, cette thérapie somatique consiste en
une correction du gène altéré en utilisant un fragment d‟ADN en guise de médicament ou de
gène-prothèse. En transférant ce type de gènes dans les cellules qui devraient être corrigées,
on espère parvenir à la guérison de patients atteints d‟une affection génétique. Cette thérapie
ne modifie pas l‟hérédité des malades.
La thérapie génique germinale quant à elle consiste en une correction ou modification
d‟un gène des cellules embryonnaires au stade initial de développement. Celle-ci est réalisée
sur les cellules germinales (ou reproductrices) qui transmettent les caractères héréditaires d‟un
individu à ses descendants. En fait, la thérapie génique germinale contrairement à celle
somatique est héréditaire. Les modifications thérapeutiques qu‟elle effectue sur le patient est
transmissible à tous les descendants de ce dernier. Et à Laurence Azoux Bacrie de préciser :

135
L. FERRY, La révolution transhumaniste, p. 73.
136
En novembre 2018, He Jankui, Professeur de Génie génétique à l‟Université de Shenzen dans le Sud de la
Chine avait déclaré ex cathedra à travers une vidéo sur la chaîne YouTube qu‟il avait réussi, grâce à la technique
CRISPR-Cas9 à donner naissance à deux jumelles – Lulu et Nana - immunisées contre le VIH SIDA. Cf. « Les
premiers bébés génétiquement modifié seraient nés en Chine », in Futura et APF-relax news [en ligne], Paru le
28 Novembre 2018, Consulté le 31 Août 2021.
137
F. FUKUYAMA, op.cit., P. 144.
47

« Les thérapies germinales […] touchent directement les cellules reproductrices et


interviennent donc sur le patient et sa descendance. Elles modifient ainsi, de manière
définitive, le patrimoine génétique d’une descendance… »138.
Cette description de la thérapie génique germinale montre que celle-ci, contrairement à
la thérapie génique somatique transmet les modifications qu‟elle apporte à la postérité du
patient. C‟est à cet égard que Claude Durand établit une différence entre ces deux nouveaux
types de thérapie. Selon lui,
la première consiste à soigner l’homme avec l’ADN utilisé comme médicament : on
remplace dans un organe, ou dans les cellules cibles, le gène déficient par le gène
normal, greffé sur le génome, sans que cela ne modifie l’hérédité. Au contraire, la
thérapie génique appliquée aux cellules germinales confère au nouveau caractère
héréditaire139.

À tout considérer, ce propos de Claude Durand conforte l‟idée selon laquelle,


contrairement à la thérapie génique somatique, la thérapie génique germinale conduit à des
modifications qui seront transmises à toute la lignée du patient. Toutefois, l‟ingénierie
génétique ne va pas se limiter dans le domaine thérapeutique.
En fait, celle-ci est aussi instrumentalisée dans le domaine de la reproduction. C‟est ce
qui amène Fukuyama à penser que « le dernier cri de la technologie génétique moderne sera
le « bébé de synthèse » »140. Les bébés de synthèse dont parle Fukuyama ne sont rien d‟autre
que des bébés dont les parents auront volontairement choisi les caractéristiques génétiques.
Ceci sous-entend que ces bébés sont l‟œuvre du généticien qui identifie les gènes choisis par
les parents des futurs enfants. Cette sélection des caractéristiques génétiques des bébés de
synthèse n‟est pas ignorée par Fukuyama. « Les généticiens, dit-il, identifieront les gènes
spécifiques de caractéristiques comme l’intelligence, la taille, la couleur des cheveux […]
pour créer une version « amélioré » de l’enfant programmé.»141 On comprend que, grâce à
l‟ingénierie génétique, l‟Homme est désormais capable d‟être responsable de la création de
l‟Homme.
James Hughes n‟ignore pas ce pouvoir démiurgique qu‟offre l‟ingénierie génétique. Il
sait qu‟à partir de cette nouvelle technique, les parents peuvent sélectionner la plupart des
gènes de leur enfant sur un catalogue. Pour ce dernier, cela pourrait renforcer les liens entre
les parents et les enfants, car l‟ « enfant-produit » pour reprendre Klaus-Gerd Giesen est le
fruit du désir des parents. C‟est dans cet ordre d‟idées que l‟on doit situer cette formule de

138
A. BACRIE, Vocabulaire de Bioéthique, Paris, PUF, 2000, p. 107.
139
C. DURAND, Les biotechnologies au feu de l’éthique, Paris, L‟Harmattan, 2007, p. 27.
140
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 142.
141
Ibid.., pp. 142-143.
48

James Hughes : « Si vous sélectionnez, sur catalogue, la plupart des gènes de votre enfant,
cette sélection renforcerait probablement l’importance de vos liens parento-sociaux avec vos
enfants. »142
Il n‟est plus nécessaire à ce niveau de percevoir l‟Homme comme l‟œuvre d‟un Dieu
transcendant. C‟est à juste titre que Dominique Lecourt identifie cela comme étant la maîtrise
de la reproduction par l‟Homme. Désormais, la reproduction est techniquement contrôlée. À
cet effet, pour avoir un enfant sur mesure, par exemple, celui qui pourrait être champion du
monde du deux-cents mètres à l‟âge de dix-neuf ans, il suffirait de procéder à un
remplacement des gènes et d‟introduire ceux qui pourront accomplir cette mission. Ce
remplacement est germinal, c'est-à-dire à l‟état d‟embryon. Elle consiste en la modification
de l‟ADN dans un grand nombre de cellules cibles « en délivrant du matériel génétiquement
modifié par le moyen d’un virus ou « vecteur » »143. De cette manière, l‟ingénierie
génétique permet « à la reproduction d’avoir lieu en dehors du contexte naturel du sexe et de
la famille »144, puisqu‟il n‟est plus question forcement, en ce qui concerne la reproduction, de
passer nécessairement par un rapport sexuel pour obtenir un enfant. Alors, dans cette logique,
on tend vers « la technicisation à outrance de la procréation humaine »145. Cette technisation
de la procréation humaine a conduit Dominique Folscheid, à identifier cette forme de
procréation comme étant, « la procréation de l’homme […] par l’homme »146.
En définitive, la « révolution biotechnique » selon Fukuyama, a une manifestation
plurielle. Outre cela, elle fait de l‟Homme un « apprenti sorcier » pour reprendre l‟expression
de François Cambien. S‟il en est ainsi, c‟est parce que cette révolution a octroyé à l‟Homme
le pouvoir de s‟auto-manipuler, d‟agir sur sa propre nature.

142
J. HUGUES, « Embracing change with all four arms: A post-humanist defense of genetic
engineering», in Eubios Journal of Asian and International Bioethics, 1996, cité par K.-G. GIESEN, «
Transhumanisme et génétique humaine», in L’Observatoire de la génétique, N0 16, 2004, p. 4.
143
FUKUYAMA, op.cit., p. 143.
144
Ibid., pp. 163-164.
145
A. L. TSALA MBANI, Les défis de la bioéthique à l’ère éconofasciste. Décryptage d’une prise en otage par
des intérêts économico-idéologiques, Paris, L‟Harmattan,2009, p. 10.
146
D. FOLSCHEID, « Fin de l‟homme ou post-humanité ? », in C. HERVÉ et J. ROZENERG (Sld.), in Vers la
fin de l’homme ?, Bruxelles, Éditions De Boeck Université, 2006, p. 229.
49

Conclusion partielle
Au demeurant, il s‟est agi dans cette partie de présenter la conception fukuyamienne
de la « révolution biotechnique ». Pour atteindre cet objectif, il a été nécessaire de s‟intéresser
premièrement aux fondements idéologiques de la réflexion fukuyamienne sur la « révolution
biotechnique », avant de scruter sa conception de la « révolution biotechnique ».
Il en ressort que, ce sont fondamentalement les ouvrages dystopiques de Georges
Orwell et d‟Aldous Huxley qui ont fait naître en Fukuyama le désir de mener une réflexion
sur la question de la « révolution biotechnique ». Toutefois, il a été démontré dans ce travail
que ces auteurs ayant inspirés Fukuyama n‟ont pas abordé les mêmes révolutions
scientifiques. 1984 de George Orwell abordait la révolution scientifique dans le domaine de la
communication et de l‟information et son possible usage pour l‟instauration des régimes
totalitaires. Le Meilleur des mondes d‟Aldous Huxley pour sa part présentait les possibles
dérives de la « révolution biotechnique » sur l‟Homme. Il ne serait pas superflu ici, de
rappeler que d‟après Francis Fukuyama, les prévisions politiques d‟Orwell ne se sont pas
réalisées, pendant que la préséance politique de la « révolution biotechnique » est encore à
vérifier. Outre cette préséance qui est à vérifier, la « révolution biotechnique » qu‟a présentée
Huxley structure fondamentalement la vie de l‟Homme aujourd‟hui ; raison pour laquelle
comme il a été dit, celle-ci a été prise réflexivement en charge par Fukuyama.
Une excursion dotée d‟une curiosité au cœur de la présentation qu‟a fait Fukuyama de
la « révolution biotechnique » a fait voir que pour ce dernier, cette révolution a une
manifestation plurielle. Elle est perceptible à plusieurs niveaux : de la maîtrise de la causalité
génétique en passant par la neuropharmacologie jusqu‟à la « biotechnique » la plus
révolutionnaire, soit l‟ingénierie génétique. Cette « révolution biotechnique » qui est plurielle
dans sa manifestation, a la particularité d‟octroyer un pouvoir à l‟Homme. Elle a donné à ce
dernier le pouvoir de s‟auto-manipuler. Cette révolution a permis à l‟Homme de manipuler sa
propre nature. Laquelle nature est dans la perspective fukuyamienne l‟élément fondateur de la
dignité de l‟Homme et des droits de l‟Homme. Fort de cela, Fukuyama va effectuer une
« critique sans complaisance » de la « révolution biotechnique ».
50

DEUXIÈME PARTIE : LA CRITIQUE FUKUYAMIENNE DE LA


« RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE »
51

Introduction partielle
Cette partie est une présentation de la critique fukuyamienne de la « révolution
biotechnique ». Concrètement, il est question ici de faire ressortir les raisons légitimant la
suspicion de cet auteur vis-à-vis de ce qu‟il nomme la « révolution biotechnique ». Pour lui,
bien que la science constitue le moteur de l‟histoire et promet mont et merveille à l‟humanité,
celle-ci se trouve être de manière paradoxale le talon d‟Achille du genre humain. Ce qui
revient donc à dire que chez Fukuyama, la « révolution biotechnique », bien qu‟elle présente
des aspects qui favorisent l‟amélioration des conditions de vie et du bien-être de l‟humain, est
éthiquement problématique. Cette « révolution biotechnique » n‟est donc pas seulement
positive. Elle est aussi sujet à caution et génératrice de la précarité existentielle à laquelle
s‟engouffre l‟humanité aujourd‟hui. C‟est la raison pour laquelle, Fukuyama affirme avec
assurance que : « la science et la technique qui sont à la source du monde moderne
représentent les points les plus vulnérables de notre civilisation »147. Et ceci s‟explique par le
fait que l‟évolution des « biotechniques » aide à n‟en point douter, à remédier aux problèmes
existentiels de l‟Homme. Il n‟est pas question pour nous de nous engager dans une attitude
technophobe – peur de la technique – prônant ainsi la régression de l‟activité
technoscientifique, socle de la « révolution biotechnique » ; mais tout en reconnaissant les
biens fondés de la « révolution biotechnique », il est opportun que nous sachions également
décrier les tares qu‟elle présente sous l‟aspect de progrès et de la recherche du bien-être de
l‟Homme.

Si Francis Fukuyama a concentré son attention sur la « révolution biotechnique », c‟est


en raison du fait que pour lui, il existe un lien entre la biologie et la politique. Cette proximité
entre biologie et politique a conduit le politologue qu‟est Fukuyama à réfléchir à « l’impact de
la biologie moderne sur notre compréhension de la politique »148.

Francis Fukuyama ne manque donc pas de préciser à cet effet que « la menace la plus
grave exercée par la biotechnique contemporaine est bien la possibilité qu'elle altère la
nature humaine. »149 Pour ce dernier, la « biotechnique » pourrait faire l‟Homme perdre sa

147
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 15.
148
Ibid., p. 14.
149
Ibid., p. 26.
52

nature. Dans cette logique, la « révolution biotechnique » s‟inscrit dans une perspective de
dénaturalisation et de déshumanisation de l‟humain. Il convient de réitérer que pour
Fukuyama, cette manipulation « biotechnique » touche la nature humaine.

Or cette nature est à la base, selon l‟économiste, des conceptions de droits de


l‟Homme, de la dignité humaine. Dénaturer l‟Homme en le technicisant, c‟est lui enlever sa
dignité d‟Homme. Car sa nature est intrinsèquement liée à sa dignité et aussi aux droits de
l‟Homme. Ainsi c‟est au nom de sa nature que l‟Homme a des droits inaliénables et qu‟il
possède une dignité. Mais alors, étant donné que l‟Homme est devenu un sujet de
manipulation dans l‟univers « biotechnique », il perd forcément cette dignité et ces droits. Dès
lors, on comprend que la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » s‟appuie sur
les arguments de la dignité humaine et des droits de l‟Homme, tous deux liés à la nature
humaine.
53

CHAPITRE III : L’ARGUMENT ÉTHIQUE DE LA DIGNITÉ HUMAINE

La première critique que fait Fukuyama aux « biotechniques » s‟appuie sur la question
de la dignité humaine. Que restera-t-il à l‟Homme s‟il venait à perdre sa dignité d‟être humain
? Mieux encore, en devenant un objet de manipulation biotechnique, celui-ci ne perd-t-il pas
sa dignité d‟être humain ? Une telle perspective n‟est pas un fait du hasard ; car pour
Fukuyama, il existe une relation, voire une conjonction nécessaire entre la nature humaine,
c‟est-à-dire « la somme des comportements et des caractéristiques qui sont typiques de
l‟espèce humaine »150 et la dignité de l‟Homme. Précisément, pour Fukuyama, l‟Homme tire
sa dignité de sa nature. C‟est en raison de cette dépendance nécessaire de la dignité de
l‟Homme à sa nature que Francis Fukuyama craint l‟application tout azimut des
« biotechniques » sur l‟Homme.

Si les « biotechniques » constituent une menace pour la dignité de l‟Homme d‟après


Fukuyama, c‟est en raison du fait que pour celui-ci, la dignité de ce dernier suppose la nature
humaine comme son fondement ; bref la dignité humaine est inhérente à la nature de
l‟Homme. Cette analyse est confortée par Gilbert Hottois lorsqu‟il reconnaît que pour
Fukuyama, « L‟universelle dignité de l‟homme, l‟égalité de tous les individus du point de vue
de leur dignité, postule l‟existence d‟une nature essentielle commune.»151
C‟est en raison de cette liaison nécessaire entre la nature humaine et la dignité de
l‟Homme que Fukuyama pense que l‟ensemble des caractéristiques typiques à l‟espèce
humaine est ce qui est à protéger contre la « révolution biotechnique » susceptible de les
affecter. Francis Fukuyama nous le démontre lorsqu‟il affirme que :
Cette discussion exhaustive sur la dignité humaine, martèle-t-il, vise à répondre à la
question suivante : que voulons-nous vraiment protéger de tout futur progrès en
biotechnologie ? La réponse est donc : nous voulons protéger la gamme complète de
nos caractéristiques naturelles contre les tentatives et les tentations
d’automodification. Nous souhaitons n’interrompre ni l’unité ni la continuité de la
nature humaine.152

150
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 231.
151
G. HOTTOIS, « Dignité humaine et bioéthique. Une approche philosophique critique», in Revista
Colombiana de Bioética, vol. 4, núm. 2, junio-diciembre, 2009, p. 105.
152
F. FUKUYAMA, op.cit., pp. 302-303.
54

Fukuyama argumente en faveur d‟une nature humaine fondant la dignité de


l‟Homme. L‟explicitation de cela nécessite un premier arrêt sur le statut de la dignité
humaine qui se présente comme une valeur universellement désirée dont le
fondement est problématique ; par la suite on doit se demander si cette crise de
fondement de la dignité humaine légitime la prise du pouvoir par l‟Homme. Avant de
terminer avec la nécessité de la reconnaissance de la dignité humaine fondée sur la
nature humaine.

A- Dignité humaine : valeur universelle et fondement problématique


Si on reconnaît avec André Comte-Sponville que l‟universel est ce « qui vaut pour
l’univers entier ou pour la totalité d’un ensemble donnée »153, dire que la dignité humaine est
une valeur universelle, c‟est reconnaître que celle-ci vaut pour toute l‟humanité, c‟est-à-dire
tous les êtres humains. Dès lors, il ne serait pas infondé d‟établir une analogie entre la lumière
naturelle qui est la chose du monde la mieux partagée154 comme l‟avait reconnu Descartes et
la dignité. Dans cette perspective, de manière analogique, on pourrait affirmer que la dignité
est la chose du monde, la mieux partagée. Francis Fukuyama ne voit pas différemment les
choses lorsqu‟il affirme que « tous les êtres humains […] sont égaux en dignité »155.
Néanmoins, il convient de rappeler qu‟il ne s‟agit pas d‟une égalité de fait ; car comme le
souligne Francis Fukuyama, « il n’est pas nécessaire de penser que nous sommes égaux sous
tous les aspects importants ou d’exiger que notre vie soit la même que celle de tout le
monde »156

Il s‟agit de comprendre que pour cet auteur, la dignité est un attribut de tous les
humains sans exception, car celle-ci constitue un « patrimoine commun à toute
l’humanité »157. En fait, de même que la raison se présente comme une faculté commune à
toute l‟espèce humaine, de même tous les Hommes ont une dignité intrinsèque. La dignité est
donc, pour Fukuyama, une valeur partagée par l‟ensemble de la communauté humaine.

153
A. COMTE-SPONVILLE, Dictionnaire philosophique, (2001), Paris, P.U.F., « Quadrige », 4ème édition,
2013, p. 936.
154
Nous faisons ici référence au bon sens qui a été présenté par René Descartes dans son discours de la méthode
comme la chose du monde, la mieux partagé. Pour Descartes, tous les humains ont cette lumière naturelle.
Seulement, il précise que celle-ci pour être bien conduite nécessite la méthode.
155
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 265.
156
Ibid., pp. 262-263.
157
A. L. TSALA MBANI, « La dignité humaine : état des lieux d‟un principe éthique en état de grâce »,
Communication and Argumentation in the Public Sphere, 1(1), 2007, p. 174.
55

Estelle Jacquemont n‟est pas très éloignée d‟une telle idée lorsqu‟elle affirme qu‟« en
nous reconnaissant l’un l’autre comme personnes, nous rappelons mutuellement que nous
possédons une égale dignité »158. Il faut comprendre par-là l‟appartenance de tout individu au
genre humain l‟investit inéluctablement de la dignité y afférente qui est présenté par
Jacquemont à la suite de Francis Fukuyama comme une chose dont tout individu faisant partie
du genre humain possède. Pour ces deux auteurs, cette dignité que mérite toute personne a
pour attribut essentiel, l‟égalité.

À cet effet, un respect inconditionnel est dû à tout individu, quel que soit son âge,
sexe, santé physique ou mentale, religion, condition sociale ou origine ethnique. En effet,
« tout être humain, quel qu’il soit, possède une dignité propre, inaliénable, au sens équivoque
que Kant a donné à ce terme : ce qui est au-dessus de tout prix et n’admet nul équivalent,
n’ayant pas une valeur relative, mais une valeur absolue. »159 Axel Kahn, dans son quatrième
chapitre de Et l’homme dans tout ça ?, partage cette idée selon laquelle la dignité est un
principe qui est propre à tout être humain. Une telle conception de la dignité entre en rupture
avec celle de la tradition gréco-latine classique. Dans cette tradition, il y avait une
hiérarchisation de la dignité en fonction du statut sociale des personnes.

En fait, dans la tradition gréco-latine la dignité humaine dépend de la plage sociale


dans laquelle l‟on se trouve. C‟est ce qui fait dire à Cheikh Tidiane Nyasse que,

dans l’antiquité et le moyen âge, la « dignitas » servait à l’origine rendre compte


d’une organisation hiérarchique d’un ordre social […] La dignité conférait à son
titulaire un rang éminent qui fait qu’il est reconnu comme différent des autres,
souvent plus noble, plus élevé que le reste de la population160.

Tout laisse à penser dans ce contexte, que la dignité est liée à la reconnaissance
sociale ; et la dignité la plus élevée exprime la supériorité sociale et l‟autorité. Dans ce
contexte ancien, note Fukuyama, « les puissants exigeaient des autres qu’ils reconnussent
leur supérieur comme empereur, roi ou seigneur »161.

Dans la même logique, Hans Jörg Sandkühler pense que dans ce contexte, « La dignité
se laissait comparer : Il y avait des degrés de dignité, un plus et un moins. Ce sens était donc

158
E. JACQUEMONT, Penser l’humain, Paris, pommier-fayard, 2000, p. 72.
159
T. KONINCK (de), De la dignité humaine, Paris, P.U.F., « Quadrige », 2002. p. 1.
160
C. T. NYASSE, « Inviolabilité de la personne et dignité humaine chez Kant », Mémoire présenté en vue de
l‟obtention d‟un Master en Philosophie à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l‟Université Cheikh
Anta Diop de Dakar, Sous la direction de Oumar Diar, 2018-2019, p. 5.
161
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 26.
56

inégalitaire ; dans la mesure où la dignité était liée à une fonction, à un rôle social, elle
pouvait être retirée en même temps que la fonction »162. La couche sociale détermine donc le
degré de dignité de l‟humain. Néanmoins, une telle appréhension de la dignité humaine a
connu une nette évolution en ce sens qu‟en principe, celle-ci n‟est plus l‟apanage d‟une classe
donnée, mais elle est une valeur reconnue pour toute l‟humanité.

Au regard de l‟analyse qui précède un constat se dégage : celui selon lequel, la dignité
est devenue l'expression du respect inconditionnel dû à tout Homme en vertu de son
humanité. Un tel constat corrobore à la philosophie morale d‟un Emmanuel Kant qui a postulé
que les êtres humains en tant que membres de ce qu‟il a désigné le « règne des fins »
possèdent de manière inéluctable une dignité. Bref pour lui, « l’humanité […] est donc ce qui
seulement a de la dignité »163.

Concrètement, pour l‟horloge de Königsberg, la dignité est le propre et la spécificité


de l‟Homme. C‟est ce qui justifie que pour ce dernier, l‟Homme ne devrait jamais être traité
comme un simple moyen, mais toujours comme un être ayant une valeur. Toutefois il s‟agit
d‟une valeur absolue et non une valeur marchande, c‟est-à-dire ayant un prix. Et aussi,
prescrit-il comme « impératif catégorique », la nécessité de traiter l‟Homme comme une « fin
en soi ». Cela se traduit avec acuité dans cette maxime kantienne : « Agis de telle sorte que tu
traites l’humanité dans ta personne et dans celle d’autrui toujours en même temps comme une
fin, jamais simplement comme un moyen. »164 Pour Kant, l‟Homme est une « fin en soi » ; en
tant que tel, il ne peut et ne doit être subordonné à aucune condition étrangère.

La dignité humaine au sens de Kant s‟applique à toute l‟espèce humaine même aux
embryons. Pour Kant en tant que personne en puissance, les embryons ont aussi de la dignité.
Une telle idée est remise en question par le bioéthicien américain Tristram Engelhardt. Dans
sa réflexion sur les fondements de la bioéthique, le penseur américain a une définition
réductrice de la personne. Pour lui, les personnes sont des entités conscientes, rationnelles,
libres de choisir, et en possession du sens moral. Dans cette conception de la personne,
Tristram Engelhardt exclut ceux n‟ayant pas les attributs – conscience, rationnel, autonomie –
qu‟il a identifiés comme étant le propre de la personne. Tous ceux n‟ayant pas ces attributs
pour lui, n‟ont pas de la dignité. Dans la perspective de ce penseur, il existe une gradation

162
H. J. SANDKÜHLERL, « La dignité humaine et la transformation des droits moraux en droit positif » ,
Conférence de l‟UNESCO sur les droits de l‟Homme [en ligne], Conférence, 2005, Consulté le 04 Septembre
2020, Disponible à l‟adresse : http://www.unesco-phil.uni-bremen.de
163
E. KANT, Fondements de la Métaphysique des mœurs (1785), traductions Hatier, Paris, Hatier, 1963, p. 53.
164
Ibid., p. 47.
57

dans la dignité humaine. Il est question ici de faire comprendre que pour lui, il n‟existe pas
aussi bien une égalité de droit ou de fait entre les individus. C‟est ainsi que pour Engelhardt,
les hommes normaux, c‟est-à-dire ayant tous les attributs propres au genre homo sapiens sont
plus digne que le fœtus, qui lui ne vaut pas mieux qu‟un nouveau-né.

L‟approche kantienne de la dignité humaine entretient des accointances avec le


système judéo-chrétien, qui admet l‟idée selon laquelle l‟Homme - en acte et en puissance soit
l‟embryon - possède une dignité, il doit être respecté de façon inconditionnelle. L‟Homme est
donc conçu comme un être sacré. Une question demeure cependant : sur quoi repose la dignité
ainsi reconnue comme valeur universelle et égale en principe chez tous les êtres humains ?

Si la dignité est une valeur universellement reconnue et désirée par tous les Hommes,
il est donc nécessaire de chercher ce sur quoi se fonde celle-ci. L‟universalité du désir de
reconnaissance de la dignité pour être légitime en droit et en fait doit avoir un socle fondateur.
Et à Francis Fukuyama de préciser : « La demande d’égalité de reconnaissance implique que,
lorsqu’on dépouille quelqu’un de toutes ses caractéristiques contingentes et accidentelles, il
reste une qualité humaine essentielle qui mérite un respect. »165

Il est question de comprendre à la suite du prophète de La fin de l’histoire que


l‟universalité de la dignité de l‟Homme nécessite l‟existence d‟un ensemble de
caractéristiques universellement partagé par les êtres humains. C‟est ce qu‟il nomme le
« facteur x ». D‟après Fukuyama, ce « facteur x » n‟est rien d‟autre que, « l’élément le plus
fondamental de ce qu’est l’humanité »166. Seulement, la question est à présent de savoir avec
Fukuyama, d‟où vient ce « facteur x » au nom duquel tous les humains ont de la dignité ?

À cette question, le religieux ne trouve aucune difficulté pour y répondre. Pour ce


dernier, la réponse est très évidente : il vient de Dieu. En fait, la tendance religieuse fonde le
« facteur x » et par ricochet la dignité de l‟Homme sur Dieu. Ceci se justifie dans la
conception religieuse par le fait que l‟Homme tiendrait sa dignité du fait qu‟il est « façonné à
l'image de Dieu ». Dit autrement, la dignité humaine est prédéterminée par la création par
Dieu des êtres humains à son image. Ceux qui sont faibles de corps et d‟esprit sont égaux en
dignité à ceux qui sont robustes et forts, car tous sont les créatures du Dieu tout puissant.

165
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 263.
166
Ibid., p. 265.
58

Comme l‟a constaté Romain Marechal, Saint Paul n‟ignorait pas ce principe d‟égalité
de dignité entre les Hommes ; n‟avait-il pas déclaré dans son épitre aux Galates qu‟ « il n’y a
plus ni juif, ni grec, il n’y a plus ni esclave, ni homme libre »167 ? Pour Saint Paul, en tant que
nous sommes tous façonnés par Dieu à son image, nous avons nécessairement la même
dignité.

Nous pouvons donc comprendre à partir de là que l‟Homme, en devenant un objet des
laboratoires « biotechniques » perd toute sa dignité. On pourrait même s‟interroger sur son
devenir dans cette logique de manipulations « biotechniques ». L‟Homme en devenant une
machine peut-il donc ressentir des émotions, pleurer, sourire ou aimer ? Les idéologies
politiques qui contrôlent l‟action scientifiques à l‟ère de la « révolution biotechnique »
orientent les productions scientifiques dans leurs propres intérêts. Nous nous situons
désormais dans une trajectoire marchande. Car le but de l‟action scientifique n‟est plus de
palier aux difficultés existentielles auxquelles fait face l‟humanité, mais plutôt dans le dessein
fondamental d‟assouvir les intérêts des idéologies politiques.

L‟Homme se présente donc comme une marionnette servant dans les expériences et
équations « biotechniques ». Ainsi, une question nécessite d‟être posée : et « l‟Homme dans
tout ça ? ». C‟est la raison pour laquelle Francis Fukuyama vient réhabiliter la question de la
dignité humaine dans un monde en pleine ascension transhumaniste fondée sur la « révolution
biotechnique ».

Ce plaidoyer pour un humanisme de Fukuyama s‟accorde avec la conception


religieuse de la dignité humaine. Les manipulations « biotechniques » de notre temps sont
considérées comme des pratiques diaboliques aux yeux de l‟Église et par conséquent
proscrites. C‟est ainsi que les institutions religieuses sont farouchement opposées à certains
domaines de la « révolution biotechnique ». À titre illustratif nous pouvons nous référer au
domaine de la reproduction où les religieux fondamentalistes s‟indignent de l‟intervention de
l‟Homme dans ce phénomène au moyen des « biotechniques » telle la procréation
médicalement assistée (PMA).

La dignité humaine devrait être respectée de façon inconditionnelle et incontestable.


L‟Homme ne saurait faire l‟objet d‟expériences scientifiques, car il est à l‟image de Dieu. Le

167
St. PAUL, L’épitre aux Galates (III, 28), Cité par R. MARECHAL, « La Bioéthique et les contradictions
normatives du droit international », Thèse présentée pour l‟obtention du grade de Docteur en Droit public à la
Faculté de Droit et Science politique de l‟Université Aix-Marseille, Sous la direction du Professeur Rostane
MEHDI, 2013, p. 62.
59

pape Jean-Paul II soutenait déjà l‟idée selon laquelle il faut respecter l‟Homme, car il est à
l‟image de Dieu. Dans cette perspective, ce que nous appelons aujourd‟hui
« transhumanisme » constitue une maladie existentielle de notre temps. Car, une telle
idéologie encourage des pratiques qui dénaturent l‟Homme et lui fait perdre sa dignité
intrinsèque.

Fort de ce qui précède, il est indéniable que dans la perspective religieuse, la dignité de
l‟Homme est nécessairement justifiée par le fait que ce dernier est une création de Dieu, un
imago Dei. Une telle idée est très bien précisée par Fukuyama. « Pour les chrétiens […]
l’homme a été créé à l’image de Dieu et il participe donc à la sainteté de celui-ci, ce qui
qualifie l’homme pour un degré de respect supérieur par rapport au reste de la création
naturelle »168. Le christianisme enseigne que l‟Homme en tant que créature du Dieu-créateur
participe à cet effet à la sainteté de son créateur. Et cette sainteté que l‟Homme tire de son
créateur, l‟investit d‟une dignité et par conséquent d‟un respect supérieur par rapport aux
autres être de la création naturelle.

Dans la même logique, Axel Kahn analysant cette posture religieuse, pense que pour le
religieux, la création de l‟Homme par Dieu est une condition suffisante pour lui conférer une
dignité. Et aussi souligne-t-il : « Si l’homme a été créé à l’image de Dieu, la question de sa
dignité supérieure ne se pose pas. De même si, dans le règne vivant, l’homme seul possède
une âme, cela suffit à lui conférer une dignité »169. Dans un tel contexte, la dignité de
l‟Homme trouve son fondement dans le fait qu‟il a été fait à l‟image de Dieu ou des dieux.

Toutefois, une telle thèse, malgré sa simplicité ne saurait être tenue pour crédible par
des personnes non croyantes, c‟est-à-dire comme le signale Fukuyama n‟acceptant pas, « le
présupposé de la création de l’homme à l’image de Dieu »170. Il s‟agit de comprendre qu‟un
tel fondement de la dignité de l‟Homme ne pourrait convaincre les personnes ne croyant pas à
la thèse créationniste. C‟est justement ce que reconnaît André Liboire Tsala Mbani lorsqu‟il
affirme : « Il est extrêmement difficile de le faire passer dans des milieux séculiers »171.
Comme pour dire que l‟acceptation ou l‟adhésion à la thèse du fondement religieux de la
dignité de l‟Homme n‟est pas une nécessité. Dès lors, la question est celle de savoir comme

168
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 265.
169
A. KAHN, op.cit., p. 65.
170
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 265.
171
A. L. TSALA MBANI, « La dignité humaine : état des lieux d‟un principe éthique en état de grâce », p.177.
60

l‟a si bien posé Fukuyama, « existe-t-il une raison séculière pour croire que les êtres humains
méritent un statut moral à part ou une dignité spéciale ? »172.

Parlant d‟un fondement séculier de la dignité de l‟Homme, l‟histoire des idées fait du
fondement kantien de la dignité de l‟Homme une référence. Fukuyama l‟exprime avec force :
« Le plus fameux effort pour créer une base philosophique à la dignité humaine a peut-être
celui de Kant »173. Kant est présenté dans l‟histoire des idées comme le penseur qui a effectué
une sécularisation du concept de dignité humaine de manière pertinente. C‟est ainsi que la
pensée de ce dernier sert de boussole dans la quasi-totalité des comités de consultation
bioéthique.

Gilbert Hottois souligne cet usage quasi exclusif de la référence kantienne dans la
bioéthique en ces termes : « De texte en texte, la référence kantienne est répétée dans les
argumentations bioéthiques évoquant la dignité de l’homme […] Par ces références, l’on
pense avoir tout éclairé et fondé »174. Néanmoins il conviendrait de signaler dans ce travail
qu‟une telle sécularisation de la dignité de l‟Homme n‟est pas une exclusivité kantienne,
mieux n‟est pas une invention de Kant.

Bien avant lui, Pic de la Mirandole avait déjà effectué une laïcisation du fondement de
la dignité humaine. En fait, l‟auteur de l’Oratio de Dignitate Hominis, dès la Renaissance
relevait dans une perspective humaniste que l‟Homme trouve sa dignité dans sa liberté ;
liberté ici entendue, comme la capacité pour l‟Homme à transformer son propre destin. Cette
révolution se traduit très bien dans cette reprise des propos de l‟auteur du Discours sur la
dignité de l’homme par Andrédou Pierre KABLAN : « Si nous ne t’avons fait ni céleste ni
terrestre, ni mortel ni immortel, c’est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et
honorifique de te modeler et de façonner toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta
préférence »175.

Chez Pic de la Mirandole, l‟Homme n‟a pas une forme prête, c‟est à lui de la former.
Dans un tel contexte, il ne serait pas faux de reconnaître avec Béatrice Jossuet que pour ce

172
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 265.
173
Ibid., pp. 265-266
174
G. HOTTOIS, « Dignité humaine et bioéthique. Une approche philosophique critique », p. 98.
175
P. LA MIRANDOLE (de), Discours sur la dignité de l’homme, cité par A. P. KABLAN, « Le
transhumanisme : de la controverse autour d‟un paradigme idéologique révolutionnaire à l‟élaboration d‟un
nouveau contrat éthique », in Droit, Santé, Société, N0 3-4, 2020, p. 13.
61

père de l‟humanisme, « la définition de l’homme est justement son absence de définition »176.
Ce propos de Béatrice Jossuet trouve sa pertinence dans le fait que Pour Pic de la Mirandole,
l‟Homme au cours de sa création n‟avait pas reçu de Dieu, une forme préconçue. D‟après Pic
de la Mirandole, si l‟Homme n‟a pas reçu une forme prédéterminée, c‟est parce que son
créateur a voulu que ça soit lui qui décide de la forme qu‟il souhaite avoir.

L‟analyse précédente démontre que l‟histoire des idées a réduit le fondement séculier
de la dignité de l‟Homme à la référence kantienne. Or bien avant lui, précisément à la
Renaissance, ce fondement avait déjà connu une sécularisation. Cela étant précisé, en quoi
consiste le fondement kantien de la dignité de l‟Homme ?

Dans la perspective kantienne, la dignité de l‟Homme « consiste justement dans cette


aptitude […] à fonder des lois universelles »177. Pour cet auteur, l‟Homme est digne de
manière nécessaire parce qu‟il est capable d‟établir et de vivre selon des lois universelles.
Lesquelles lois qui ne sont rien d‟autres que les principes de la moralité. Dès lors, il ne serait
pas fallacieux de relever que chez Kant, la capacité humaine du choix morale est le fondement
de la dignité de l‟Homme. Francis Fukuyama a justement établi cette liaison entre la dignité
de l‟Homme et sa capacité du choix moral dans sa lecture de Kant. Fukuyama dixit, Kant
soutenait que le « facteur x » se fondait sur la capacité du choix moral178.

Il s‟agit de comprendre à la suite de Fukuyama que dans la perspective kantienne, si


l‟Homme mérite un respect absolu, c‟est-à-dire une dignité, c‟est parce que celui-ci est
capable de par sa raison d‟agir ou non selon la loi morale. Gilbert Hottois a relevé cela en ces
mots : « Cette dignité qui est le propre de l’homme s’exprime dans l’autonomie »179. Autant
dire que dans la perspective de Kant la dignité de l‟Homme est intimement liée à l‟autonomie
de ce dernier.

L‟autonomie dont il est question ici implique l‟aptitude de l‟Homme à produire de lui-
même, librement, consciemment et rationnellement les règles qu‟il observe dans ses actions.
Paradoxalement, cette autonomie dont parle Kant se trouve dans la capacité de l‟Homme
d‟agir toujours selon la loi morale qui n‟est rien d‟autre qu‟un « impératif catégorique » pour
reprendre une expression chère au philosophe allemand. Ainsi, l‟autonomie tel perçue par

176
B. JOSSUET-COUTURIER, Le transhumanisme. Faut-il avoir peur de l’avenir ?, Paris, Eyrolles, 2016, p.
75.
177
E. KANT, op.cit., p. 58.
178
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 266.
179
G. HOTTOIS, « Dignité humaine et bioéthique. Une approche philosophique critique », p. 98.
62

Kant est une soumission à la loi morale ; laquelle soumission est moins une restriction de la
liberté de l‟Homme qu‟une manifestation de celle-ci. Car dans le cadre de la moralité, Kant a
fait sien de l‟idéal rousseauiste selon lequel : « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est
liberté »180.

Certes comme le reconnaît Fukuyama, le fondement kantien de la dignité de l‟Homme


est « le plus fameux effort pour créer une base philosophique à la dignité humaine »181, mais
une telle conception n‟est pas à l‟abri de toute critique. En fait, « Pour ceux qui croient en une
explication matérialiste de l’univers Ŕ ce qui inclut la grande majorité des spécialistes des
sciences de la nature Ŕ il devrait être très difficile d’accepter la justification kantienne de la
dignité humaine. »182

De ce propos emprunté à Francis Fukuyama, se dégage une principale idée : celle de la


difficulté d‟admission totale et universelle du fondement kantien de la dignité de l‟Homme. Il
faut comprendre par-là que la référence kantienne de la dignité de l‟Homme pour autant
qu‟elle soit moins liée de manière directe à la thèse d‟une dignité fondée sur la création de
l‟Homme par Dieu n‟est pas moins sujette à caution. Une telle position pour séculière qu‟elle
soit ne saurait être tenue comme crédible et pertinente par ceux qui sont fondamentalement
matérialistes.

Fukuyama justifie cette possible incrédulité des personnes matérialistes face à cette
conception kantienne de la dignité de l‟Homme en ces mots : « La raison en est qu’elle les
contraint d’accepter une forme de dualisme, avec un domaine de la liberté humaine parallèle
au domaine de la nature et qui ne serait pas déterminé par le premier. »183 Par-là, il faut
comprendre que la désapprobation de la référence kantienne de la dignité de l‟Homme par les
partisans d‟une explication matérialiste de l‟univers se fonde sur le fait que cette référence, a
des présuppositions dualistes.

En effet, la référence kantienne de la dignité de l‟Homme suppose comme l‟a reconnu


Gilbert Hottois, un « dualisme ontologique »184 . Ce dualisme dans la pensée de Kant a été

180
Dans son ouvrage, Du contrat social ou principe du droit politique (1762), Jean Jacques Rousseau a établi
que le respect des lois par les citoyens relève moins de l‟hétéronomie – absence de la liberté- que de
l‟autonomie. Pour lui, l‟obéissance à la loi n‟est que liberté, car cette loi est le fruit de la volonté général, soit de
la volonté du peuple.
181
F. FUKUYAMA, op.cit., pp. 265-266.
182
Ibid., p. 266.
183
Id.
184
G. HOTTOIS, De la Renaissance à la Postmodernité. Une histoire de la philosophie moderne et
contemporaine, Bruxelles, De Boeck, collection « Le Point philosophique », 1997, p. 120.
63

mis en exergue antérieurement à Hottois par Jules Lachelier en 1904. Ce dernier dans son
intervention - au cours de la phase de discussions- pour l‟élaboration du Bulletin de la Société
française de Philosophie, parlant de la théorie kantienne de la liberté avait laissé entendre
d‟après Victor Delbos que :

Chez Kant […] l’être agissant peut être considéré lui-même sous deux aspects :
d’abord, tel qu’il se manifeste par sa présence dans l’espace et son action dans le
temps, en un mot, comme phénomène : ensuite, tel qu’il existe en lui-même, en
dehors du temps et de l’espace, c’est-à-dire, dans la langue de Kant, comme chose
en soi185.

Une telle conception de l‟Homme implique l‟existence d‟un monde physique sensible
et d‟un monde intelligible pour reprendre la terminologie platonicienne et kantienne. Pour
Kant,

La première part de la place que j’occupe dans le monde extérieur et elle étend ce
rapport de mon être avec les choses sensibles à tout cet immense espace où les
mondes s’ajoutent aux mondes et les systèmes aux systèmes […] La seconde part de
mon invisible moi de ma personnalité, et me place dans un monde qui possède la
véritable infinitude, mais où l’entendement seul peut pénétrer, et auquel je me
reconnais lié par un rapport, non plus seulement contingent, mais universel et
nécessaire186.

Ces propos kantiens tels présentés impliquent que l‟Homme a une double nature. Il est
à la fois « phénomène » et « noumène » pour reprendre la terminologie kantienne. En tant que
« phénomène », il appartient au monde sensible et de ce fait, est soumis au déterminisme
naturel. Cette soumission est comprise ici comme la dépendance de l‟action de l‟Homme aux
lois de la nature, c‟est ce que Kant a appelé « l‟hétéronomie de la volonté ». Gilbert Hottois,
dans son analyse des postulats de la raison pratique chez Kant a relevé les facteurs causant
cette « hétéronomie » de l‟action de l‟Homme d‟après Kant : le corps de l‟Homme, le moi
empirique ou subjectivité individuelle, les sens, les passions.

En tant que « noumène », l‟Homme appartient au monde intelligible. Son


appartenance à ce monde fait en sorte qu‟il soit soumis non plus aux lois de la nature mais

185
J. LACHELIER, in Bulletin de la Société française de Philosophie, N° 1, janvier 1905 (Ve année), cité par V.
DELBOS, « Sur la théorie kantienne de la liberté » (1904), in Bulletin de la Société française de Philosophie, N°
1, janvier 1905, p. 8.
186
E. KANT, Critique de la Raison pratique (17881) précédée Des Fondements de la Métaphysique des Mœurs,
traduit de l‟allemand par J. Barni, Paris, Ladrange, 1848, p. 390.
64

comme l‟a reconnu le Newton de la moralité187, « aux lois indépendantes de la nature, non
fondées sur l’expérience, mais uniquement sur la raison »188. La dépendance de l‟Homme au
monde intelligible fait de lui une personne libre, car en tant que membre de ce monde,
l‟Homme d‟après Kant, jouit d‟une autonomie.

Or une posture matérialiste de la réalité est radicalement opposée à toute forme de


dualité. Une conception matérialiste de la réalité est essentiellement moniste ; ainsi dit, la
réalité n‟est constituée que d‟un seul élément et particulièrement de la matière dans le
contexte matérialiste. Dans un tel contexte, l‟Homme ne serait plus à la fois une réalité
matérielle par son corps et une réalité spirituelle par sa raison comme l‟a postulé Kant, mais il
ne serait qu‟une réalité matérielle.

Outre cette négation de la bi-dimensionnalité de la réalité humaine dans la perspective


matérialiste, il conviendrait de noter que cette perspective matérialiste remet en question
l‟idéal de liberté sous-tendu dans la référence kantienne de la dignité de l‟Homme. En fait,
pour une telle perspective matérialiste, il serait utopique de concevoir la réalité humaine sous
le prisme de la liberté. Et à Fukuyama de préciser : « La plupart de ces mêmes scientifiques
soutiendraient que ce que nous croyons être le libre arbitre est en fait une illusion et que toute
prise de décision humaine peut, en dernière analyse, se rattacher à des causes
matérielles.»189

Ainsi dit, il faudrait comprendre que l‟action de l‟Homme est non moins déterminée
comme le pensait Kant. Pour la vision matérialiste, l‟Homme n‟est pas un être dont la
caractéristique essentiel est la liberté. Tout au contraire le développement des sciences du
cerveau a démontré que, « les êtres humains décident de faire une chose plutôt qu’une autre
parce qu’un ensemble de neurones fonctionne plutôt qu’un autre, et ces contacts neuroniques
peuvent se rattacher à des états matériels antérieurs du cerveau.» 190. C‟est au nom de ce lien
entre le comportement de l‟Homme et ses neurones que Jean Pierre Changeux a défini
l‟Homme comme étant un animal neuronal.

Le développement des sciences du cerveau conforte objectivement cette position de la


vision matérialiste sur le rapport de l‟Homme à la liberté. Ces sciences du cerveau nous
187
Nous empruntons cette caractérisation à Kant qui présentait Jean-Jacques Rousseau comme étant le Newton
des sciences morales. Nous postulons aussi que Kant à travers ses travaux sur les fondements de la moralité
mérite amplement ce titre de Newton de la moralité à la suite de Rousseau.
188
E. KANT, Fondements de la Métaphysique des mœurs, p. 69.
189
F. FUKUYAMA, op.cit., p. 266.
190
Ibid., pp. 266-267.
65

montrent à partir d‟appareillage technique sophistiqué que l‟agir humain est


fondamentalement déterminé par le réseau des neurones du cerveau. Si les sciences du
cerveau nous font comprendre que l‟agir humain est déterminé par les neurones du cerveau,
c‟est parce que le cerveau est présenté par les sciences du cerveau comme étant la source de la
pensée de l‟Homme. De fait, la pensée s‟origine du cerveau de l‟Homme. Dans une telle
perspective il faut reconnaître avec Jean-Pierre Changeux que le cerveau à travers ses
neurones est la matrice qui sécrète la pensée. Ainsi, tout comme le foie est l‟organe qui
sécrète la bile, le cerveau à travers l‟action des neurones est l‟organe qui est à l‟origine de la
pensée. Laquelle pensée oriente l‟agir humain.

Tout compte fait, la dignité humaine qui se présente comme une valeur universelle
constitue un concept problématique lorsque l‟on cherche son fondement. Cette crise dans la
recherche du fondement de la dignité de l‟Homme ne pourrait-elle pas conduire à une prise de
pouvoir de la nature humaine par l‟Homme ?

B- De la crise du fondement à la prise du pouvoir ?


Parler de crise de fondement de la dignité de l‟Homme, c‟est reconnaître que
s‟agissant de la recherche d‟un socle fondateur de la dignité de celui-ci, aucun fondement ne
fait l‟unanimité. C‟est ainsi que dans la première articulation de ce chapitre, il a été établi que
dans la perspective du religieux, le fondement de la dignité de l‟Homme est lié au fait que
celui-ci est une créature de Dieu ; une telle perspective n‟est pas tenue pour fonder dans une
perspective séculière. Laquelle perspective, plus précisément dans son acception kantienne est
à son tour trouvée comme récusable par les sciences empiriques qui remettent en question le
postulat de libre arbitre fondant la dignité de l‟Homme selon Kant. De fait, contrairement à
Kant qui a présenté l‟Homme comme un être dont la volonté est capable d‟autonomie, les
sciences empiriques notamment les sciences du cerveau nous ont montré que l‟agir humain est
déterminé par l‟action des neurones du cerveau. Pour ces sciences du cerveau, nos actions
sont le fruit de l‟interaction des neurones du cerveau entre elles.

Outre cette remise en question du postulat de la liberté fondant la dignité de l‟Homme


chez Kant, les sciences modernes de la nature sont allées jusqu‟à remettre en cause l‟idée de
l‟existence d‟une nature humaine, accentuant ainsi la crise du fondement de la dignité de
l‟Homme. Et à Fukuyama de relever : « Le problème posé par les sciences modernes de la
nature va même plus loin. L’idée même qu’il existe une « « essence humaine » a subi des
66

attaques en règle de la part des sciences naturelles. »191 Pour les sciences naturelles, il n‟est
pas fondé et légitime de parler de l‟existence d‟une nature humaine. Ces sciences récusent
l‟idée selon laquelle, il existe un ensemble de caractéristiques propres à tous les humains et
permettant de distinguer l‟espèce humaine des autres espèces.

Une telle attaque trouve sa légitimité dans le darwinisme ; car comme le reconnaît
Fukuyama, « l’une des assertions fondamentales du darwinisme est que les espèces n’ont pas
d’essence »192. Comme pour dire que dans la perspective darwinienne, les espèces vivantes ne
sont ni immuables ni stables. Le darwinisme nous enseigne qu‟il n‟existe pas d‟essence
propre à chaque espèce. À ce propos, Gilbert Hottois a signalé que dans le darwinisme, « les
espèces ne sont ni uniformes ni immuables d’une génération à l’autre : d’innombrables
petites différences distinguent les individus entre eux »193.

Cette remarque faite par le philosophe belge, montre que le paradigme darwinien
d‟interprétation des espèces vivantes entre radicalement en rupture avec la conception
aristotélicienne des espèces. Aristote qui est considéré comme l‟un des précurseurs de la
zoologie et de la biologie concevait les espèces vivantes sur le prisme de la fixité.

En fait pour lui, les espèces étaient immuables. Dans une telle perspective, celles -ci
auraient chacune une essence qui leur est propre. C‟est ainsi qu‟Aristote a fait de l‟Homme un
« animal raisonnable ». Or pour Darwin, écrit Francis Fukuyama, ce qui paraît être l‟essence
d‟une espèce est simplement le sous-produit accidentel d‟un processus aléatoire
d‟évolution194.

Ainsi dit, dans la perspective darwinienne, l‟essence comme attribut chez les espèces
relève non pas de la nécessité mais de la contingence. Un tel fait hypothèque de manière
inéluctable la dignité de l‟Homme qui a été postulée dans une perspective laïque comme
inhérente à la nature humaine.

191
Ibid., p. 267.
192
Id.
193
G. HOTTOIS, De la Renaissance à la Postmodernité. Une histoire de la philosophie moderne et
contemporaine, p. 195.
194
F. FUKUYAMA, op.cit., pp. 267-268.
67

En fait, « pour beaucoup, cela suggère que la nature humaine n’a pas de statut
spécial en fait de valeur […], parce qu’elle est historiquement contingente.»195 David Hull,
précise cette contingence de la nature humaine en ces mots :

Je ne vois pas pourquoi l’existence de traits humains universels a pris tant


d’importance. […] je pense que ce genre d’attribution est soit ou bien faux ou bien
inutile ; mais même si cela devait être vrai et important, la répartition de ces
caractéristiques particulières est largement une affaire de contingence
évolutionniste196.

La crise du fondement de la dignité de l‟Homme est vivifiée par le discrédit sur la


thèse de l‟existence d‟une nature humaine. Pour Fukuyama, l‟une des principales
conséquences d‟un tel discrédit est la naissance en l‟Homme du désir de prise du pouvoir.
Prise du pouvoir entendue ici comme la déclaration d‟indépendance de l‟Homme vis-à-vis de
l‟évolution naturelle, jugée aveugle. Un tel désir est perceptible dans le mouvement
transhumaniste qui de l‟avis de Fukuyama, postule la libération de l‟Homme des contraintes
de l‟évolution, si tant il est vrai que celle-ci pour ce mouvement est aveugle. « As
"transhumanists" see it, humans must wrest their biological destiny from evolution's blind
process (la mise en gras est de nous) of random variation and adaptation and move to the next
stage as a species.»197 Ainsi, dans la perspective transhumaniste, l‟Homme ne devrait plus se
soumettre à la nature qui est jugée par ce mouvement comme étant aveugle. Il devrait tout au
contraire prendre en main son évolution. Cette prise en main de son évolution par l‟Homme
est étroitement liée aux exploits de la science, mieux à la « révolution biotechnique » comme
le dirait Francis Fukuyama.

C‟est le biologiste Lee Silver, professeur à l‟université de Princeton qui exprime


encore le mieux tout cela : pourquoi, s‟interroge-t-il, « ne pas prendre le pouvoir ? pourquoi
ne pas contrôler ce qui a été laissé au hasard ? »198 Pour rhétorique que soient ces
interrogations, de Silver, elles permettent de comprendre que désormais l‟Homme ambitionne
de se libérer du diktat aveugle de l‟évolution et de la nature. Pour ce dernier, souligne
Fukuyama, « dans l’avenir, l’homme […] ne sera plus esclave de ses gènes, mais leur

195
Ibid., p. 268.
196
D. HULL, « On Human Nature », in The Philosophy of Biology, New York, Oxford University Press, 1998, p.
375, cité par F. FUKUYAMA, Id.
197
F. FUKUYAMA, « Transhumanism, The World‟s Most Dangerous Ideas », in Foreign Policy, No. 144 (Sep.
- Oct., 2004), 2004, p. 42.
198
L. SILVER, Remarking Eden: Cloning and Beyond in a Brave New World, New York, Avon, 1998, p. 277.,
cité par F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 269.
68

maître.»199 Cette prémonition de Lee Silver rappelle la position de Teilhard De Chardin sur la
question. En parlant de génétique, il affirmait : « Nous semblons être à la veille d’avoir la
main sur le développement de notre corps et même de notre cerveau. Avec la découverte des
gènes, il semble que nous serons bientôt en mesure de contrôler le mécanisme de l’hérédité
biologique. »200 La découverte des gènes pour le philosophe chrétien qu‟était Teilhard De
Chardin, est une voie ouverte à la maîtrise du processus biologique par l‟Homme. Cette
emprise de l‟Homme sur le processus biologique, mieux sur l‟évolution naturelle est
conséquente du déni de l‟idée de l‟existence d‟une nature humaine.

De fait, il s‟agit ici de comprendre à la suite de Fukuyama, que l‟abolition du concept


de nature humaine, soit l‟affirmation de son inexistence est une voie ouverte à la prise en
charge par l‟Homme de sa dotation biologique. Laquelle ici n‟est rien d‟autre que le génome
de ce dernier. Ainsi, fort de la caducité d‟une nature humaine, l‟Homme peut désormais agir
sur sa constitution biologique. Cette intervention de l‟Homme sur sa constitution biologique
s‟appuie sur le développement de l‟ingénierie génétique qui permettrait de l‟avis de
Fukuyama à libérer l‟Homme de la loterie génétique qui est fondamentalement aveugle. Et
aussi note-t-il que grâce à cette dernière – ingénierie génétique –, il serait possible aux parents
de déterminer les gènes de leurs progénitures et de passer ainsi du « hasard au choix » pour
reprendre Allen Buchanan.

Il s‟agit de reconnaître que désormais, avec l‟ingénierie génétique les parents peuvent
choisir les gènes qu‟auront leurs enfants. La structure génétique des enfants ne sera plus
laissée au hasard de l‟évolution ; elle va devenir le choix des parents qui sont désormais les
designers de l‟évolution. Le hasard d‟autrefois dans le procès de la reproduction va être
remplacé par le choix des parents.

Pour le prophète des fins,

À l’avenir, les forces de la technologie moderne pourront être mises au service de


l’optimisation des gènes transmissibles aux enfants […] Cela pourrait inclure un
jour non seulement des caractéristiques comme l’intelligence et la beauté, mais aussi
des traits de comportements tels que l’application, l’esprit de compétition, etc201.

Allant dans la même logique que Francis Fukuyama, Richard David Precht va établir
une relation de causalité entre le progrès technique dans le domaine de la procréation et la

199
Id.
200
T. DE CHARDIN, repris par B. JOSSUET-COUTURIER, op.cit., p. 97.
201
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 276.
69

demande de services des parents. Cette demande de service consiste pour les parents à vouloir
délibérément choisir les différentes caractéristiques de leurs enfants. Pour Precht, plus les
techniques de procréation vont se développer, plus les parents vont élargir la gamme de leurs
demandes de caractéristiques pour leurs futurs enfants. David Precht précise ce rapport de
cause à effet entre le progrès technique et la demande de service en vue du choix des
caractéristiques des enfants par leurs parents en ces mots : « Plus la technique fait de progrès,
plus les demandes de parents ambitieux ou sans états d’âme augmentent. Dès lors qu’on
pourra choisir le sexe de son futur rejeton, on ne tardera pas à vouloir aussi déterminer la
couleur de ses yeux ou sa taille »202. Dans un tel contexte, l‟enfant à naitre devra être
conforme au cahier de charges donnés, correspondant aux attentes des parents.

Cette capacité de l‟Homme à agir sur son génome peut être considérée comme une
actualisation du vœu cartésien de la maîtrise de la nature par l‟Homme au moyen de la
science. Cependant, ce pouvoir soit-il prométhéen est de l‟avis de Fukuyama problématique.

En fait, contrairement à Lee Silver qui se présente comme un épigone de la prise en


main par l‟Homme du pouvoir au moyen de l‟ingénierie génétique, Fukuyama est suspicieux
vis-à-vis de ce que lui-même a qualifié de la « biotechnique » la plus révolutionnaire. Si ce
dernier est méfiant vis-à-vis de l‟ingénierie génétique, c‟est en raison du fait que pour lui,
cette dernière pourrait être source d‟inégalité parmi les Hommes. Dans La fin de l’homme, il
écrit : « si la loterie vient à être remplacée par le choix, on ouvre une nouvelle voie de
compétition entre les êtres humains, qui menace d’accroître la disparité entre le haut et le bas
de la hiérarchie sociale »203.

On comprend par-là que, dans l‟optique de Fukuyama, la loterie génétique pour


hasardeuse qu‟elle soit, est paradoxalement plus égalitaire que l‟ingénierie génétique. Pour cet
auteur, « « la loterie génétique » garantit que le fils ou la fille de parents riches et bien établis
n’héritera pas nécessairement des talents et des capacités qui ont créé les conditions de la
réussite des parents »204. Or le génie génétique est de l‟avis de cet auteur capable de créer une
gradation et une hiérarchisation d‟un point de vue génétique entre les individus au sein d‟une
société ; cette hiérarchisation génétique conduira inéluctablement à une hiérarchisation
sociale. Pour lui, « le danger le plus clair et le plus immédiat est que les grandes variations

202
R. D. PRECHT, Qui suis-je et si je suis, combien ? Voyage en philosophie, traduit de l‟allemand par Pierre
Deshusses, Paris, Éditions France Loisirs, 2010, P. 339.
203
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 276.
204
Ibid., p. 275.
70

génétiques entre les individus vont se restreindre et se fixer dans certains groupes
sociaux »205. Ainsi, le génie génétique pourrait permettre l‟apparition d‟une « classe
génétiquement supérieure », pour reprendre une expression chère à Francis Fukuyama. Dans
une telle perspective, on assiste à une nouvelle forme d‟aristocratie qui est moins
conventionnelle que génétiquement fondée. Qu‟est-ce à dire ? Il faut comprendre par-là que
dans un monde caractérisé par la « révolution biotechnique », il existerait une aristocratie qui
ne serait plus le fruit d‟un consensus social, mais cette aristocratie se fondera sur/ dans la
constitution biologique en ce sens que les membres de la classe sociale supérieure pourront
transmettre les gènes responsables de leur supériorité à leurs descendants.

Allant dans le même sens, Lee Silver, dans sa lecture prospective de l‟ingénierie
génétique, fait comprendre que celle-ci pourrait « être utilisée pour créer une catégorie d’être
génétiquement supérieurs »206. Silver, dans son Remarking Eden : Cloning and Beyond in a
Brave New World, fait comprendre que les personnes qui ont un grand revenu pourront
produire des enfants « GenRich », tandis que la plupart de la population restera « GenPoor ».
Dès lors, on aura de l‟avis de ce biologiste une société structurée en deux classes : les «
GenRich » ayant subis des manipulations génétiques et les « GenPoor » qui sont ceux qu‟on
pourrait qualifier de naturel, car n‟ayant subis aucune manipulation génétique.

Philosophiquement parlant, une telle structuration de la société, rappelle la


hiérarchisation nietzschéenne entre les individus. Pour le philosophe de « la volonté de
puissance », il existe deux types d‟individus : le « surhomme » qui se définit par « la volonté
de puissance » ; « le dernier homme » qui est d‟après Nietzsche l‟individu décadent. Le
penseur de « l‟éternel retour », met en exergue cette typologie des êtres humains à travers le
prologue de Zarathoustra dans Ainsi Parlait Zarathoustra.

Dans cet ouvrage, Nietzsche illustre par la bouche de Zarathoustra deux figures de
l‟humanité : l‟une – surhomme – qui doit être actualisée, l‟autre - dernier homme - qui doit
être dépassée. C‟est justement ce que reconnaît Olivia Bianchi : « Ces deux figures désignent
deux types d’humanité dont l’un est à venir : « je vous enseigne le surhumain » et l’autre […]

205
Id.
206
Ibid., pp. 270-271.
71

à disparaitre : je leur parlerai de ce qu’il y’ a de plus méprisable au monde, je veux dire du


dernier Homme »207 .

Le désir de prise de pouvoir au moyen de l‟ingénierie génétique dû à la caducité du


concept de nature humaine se présente comme une voie ouverte vers la création d‟une
aristocratie génétiquement fondée. Un tel fait va susciter une inquiétude chez l‟égalitariste
qu‟est Francis Fukuyama. C‟est la raison pour laquelle, pour ce dernier, « la ligne rouge qui
définit la dignité humaine universelle devrait donc être renforcée »208. Pour Fukuyama, une
telle ligne rouge nécessite un retour à la nature humaine comme socle fondant la dignité de
l‟Homme.

C- Du retour de la dignité humaine fondée sur la nature humaine


La possible prise du pouvoir telle sus-évoquée est subséquente du discrédit autour de
l‟idée de l‟existence d‟une nature humaine. Un tel discrédit sur la nature humaine par les
sciences modernes d‟inspiration darwinienne n‟est pas juste dû au fait que celles-ci
perçoivent la nature humaine sur le prisme de la contingence historique. Il est aussi d‟ordre
méthodologique.

En fait, dans la mouvance des sciences de la nature – physique, chimie -, les sciences
de la vie en vue de tenir un discours objectif sur ce qu‟est l‟Homme, vont adopter le
réductionnisme méthodologique qui n‟est pas compris ici au sens de Matteo Mossio et Jon
Umerez pour qui, « le réductionnisme méthodologique, […] soutient l’idée que la manière la
plus fructueuse d’étudier le comportement d’un système consiste à le considérer en termes
d’interactions entre ses composants »209. Il s‟agit tout au contraire de toute attitude qui
consiste à croire que le réel pour complexe qu‟il soit peut-être compris par ses plus petits
éléments constitutifs. Dans une telle perspective, la partie est susceptible de faire comprendre
l‟ensemble ou le tout. Un tel principe méthodologique trouve son fondement dans la
deuxième règle de la méthode cartésienne. Le père de la modernité philosophique – d‟après la
tradition francophile –, de par sa deuxième règle de la méthode, soit l‟analyse, s‟était engagé à

207
O. BIANCHI, « Le „„dernier Homme‟‟est-il l‟Homme d‟aujourd‟hui ?, in Le Philosophoire [en ligne], 2002/
3, N0 18, 2002, p. 192., Consulté le 31 Août 2021, Disponible à l‟adresse : https://www.cairn.info/revue-le-
philosophoire-2002-3-page-191.htm
208
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 280.
209
M. MOSSIO et J. UMEREZ, « Réductionnisme, holisme et émergentisme », in T. HOQUET et F. MERLIN,
Précis de Philosophie de la Biologie, Paris, Vuibert, 2014, p. 157.
72

« diviser chacune des difficultés qu’[il] examinerait en autant de parcelles qu’il se pourrait et
qu’il serait requis pour les mieux résoudre. »210

Ainsi, face à la complexité du réel, l‟Homme doit segmenter le réel en ses plus petits
éléments pour mieux le comprendre. Cette méthodologie cartésienne va servir de socle à la
science moderne. C‟est ainsi que les sciences de la vie suivront les sciences de la nature dans
cette voie pour dire ce qu‟est l‟Homme. Fukuyama relève cette proximité méthodologique en
ces mots : « Beaucoup de darwiniens contemporains croient qu’ils ont démystifié le problème
du devenir humain par les méthodes réductionnistes traditionnelles propres aux sciences
naturelles modernes. »211

Il faut comprendre par-là que les sciences de la vie se fondant sur le darwinisme
utilisent la méthode réductionniste pour établir des savoirs décrivant ce qu‟est l‟Homme. En
fait, « tout comportement d’ordre supérieur Ŕ langage, agressivité, etc. Ŕ peut être ramené à
l’activation de neurones dans le substrat biochimique du cerveau. »212 Et à Jean Pierre
Changeux de préciser : « Tout comportement s’explique par la mobilisation interne d’un
ensemble topologiquement défini de cellules nerveuses. »213

En d‟autres termes, les comportements humains dans la perspective des sciences de la


vie – telle la neurobiologie – sont réductibles aux processus biochimiques et électriques du
cerveau. À cet effet, Jean Pierre Changeux, naturaliste convaincu affirme :

Pour le neurobiologiste que je suis, il est naturel de considérer que toute activité
mentale, qu’elle soit réflexion ou décision, émotion ou sentiment, conscience de soi…
est déterminée par l’ensemble des influx nerveux circulant dans des ensembles
définis de cellules nerveuses, en réponse ou non à des signaux extérieurs. J’irai
même plus loin en disant qu’elle n’est que cela […] L’homme [Sic] n’a rien à faire
de l’esprit, il lui suffit d’être un homme neuronal214.

Bref, le comportement ou l‟agir humain peut être compris juste en recherchant les
différentes fonctions des neurones du cerveau. C‟est la raison pour laquelle selon Jean Pierre
Changeux, il faudrait définir l‟Homme par ses neurones.

210
R. DESCARTES, Discours de la méthode. Pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les
sciences (1637), Seconde partie, Paris, Librairie Larousse, collection « Les Classiques de la Philosophie », 1972,
p. 48.
211
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, pp. 284-285.
212
Ibid., p. 285.
213
J.-P. CHANGEUX, L’Homme Neuronal, Paris, Fayard, collection « Pluriel », 1983, p. 363.
214
J. P. CHANGEUX, cité par T. LA GARANDERIE (de), « L‟homme n‟est-il que neuronal ? Pour une
physiologie de l‟esprit », in Educatio, N0 8, 2019, p. 2.
73

Toutefois, de l‟avis de Maurice Reuchlin, l‟usage du réductionnisme méthodologique


pour dire ce qu‟est l‟Homme ne peut aboutir à une connaissance complète de ce dernier. Et
aussi affirme-t-il en réaction à l‟ouvrage L’homme neuronal de Jean Pierre Changeux que,
« je ne serais pas d’accord avec l’idée que la molécule des neurotransmetteurs et de leurs
récepteurs fournit une explication « intégrale » du comportement. »215

Il faut comprendre par-là que, bien que le réductionnisme encéphalique renseigne avec
pertinence sur le comportement de l‟Homme, ce réductionnisme ne peut être considérer
comme une méthodologie rendant compte du comportement humain dans l‟exhaustivité.
Fukuyama relève avec clarté cette limite d‟une explication qui postule que le comportement
de l‟Homme est intégralement « déterminé par un réseau particulier, un graphe de neurones,
et par les impulsions qui y circulent.»216. En fait, pour lui, « le problème avec ce genre de
réflexion n’est pas qu’elle soit nécessairement fausse, mais qu’elle soit radicalement
insuffisante pour expliquer un grand nombre de trait humain, à la fois les plus saillants et les
plus exclusifs. »217.

Selon Fukuyama, l‟incapacité de la méthode réductionniste à rendre compte des


comportements de l‟Homme réside dans le fait qu‟une telle méthode bien qu‟elle soit féconde
dans les sciences physiques n‟est pas appropriée pour expliquer les systèmes complexes.

Mais ce qui est approprié aux domaines de la physique tels que la mécanique céleste
ou la dynamique des fluides, ne l’est pas nécessairement pour l’étude d’objets situés
à l’autre extrémité de l’échelle de complexité, comme la plupart des systèmes
biologiques : c’est que le comportement des systèmes complexes ne saurait être
prédit par l’agrégation ou la gradation du comportement des particules qui les
constituent218.

Au regard de ces propos de Fukuyama, on comprend la raison pour laquelle, les


sciences de la vie qui utilisent une méthode réductionniste ne peuvent pas produire des
connaissances donnant une définition globale et totale de l‟Homme. En fait, si ces sciences de
la vie ne peuvent pas dire intégralement ce qu‟est l‟Homme, c‟est parce que celui-ci est un
système complexe. Et en tant que système complexe, il n‟est pas possible de partir d‟un de ses
éléments constitutifs pour pouvoir décrire le complexe qu‟est l‟Homme.

215
M. REUCHLIN, « À propos de L'Homme neuronal », in Raison présente, N°137, 1er trimestre 2001, p. 107.
216
J. P. CHANGEUX, cité par M. REUCHLIN, Ibid., p. 108.
217
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 285.
218
Ibid., p. 286.
74

Or, c‟est un tel savoir de l‟Homme que produisent les sciences de la vie - d'inspiration
darwinienne -. Non seulement d‟être un savoir « partial » et « parcellaire » sur ce qu‟est
l‟Homme, ce savoir ouvre la voie comme il a été souligné plus haut à la prise de pouvoir –
prise de pouvoir compris ici comme manipulation de la nature humaine - par l‟Homme. Il faut
comprendre par-là que la réduction de l‟agir humain par exemple dans l‟activité de ses
neurones ne rend pas justice à l‟Homme dans la mesure où, une telle connaissance est
incapable « de fonder la dignité de la personne »219. Un tel savoir ne saurait fonder et
légitimer la dignité de l‟Homme.

Ainsi, c‟est la thèse de la contingence historique de la nature humaine et surtout la


méthode réductionniste dans les sciences de la vie qui sont responsables de la méprise, mieux
de la suspicion contre la nature humaine. Une telle suspicion constitue une menace pour la
dignité humaine qui est de l‟avis de Fukuyama fondée sur cette nature. Cela a pour corollaire
le déni de la dignité humaine. Or pour Fukuyama, ces deux fondements sont erronés. Pour lui,
il est bel et bien possible, voire même nécessaire de reconnaître l‟existence de la dignité
humaine. Celle-ci trouve son ancrage dans « la gamme de nos caractéristiques naturelles »220.
Cela présuppose que la nature humaine est un « complexus » d‟éléments irréductibles les unes
des autres. Cette complexité de la nature humaine est méconnue par les sciences de la vie
d‟inspiration darwinienne. C‟est cette complexité de la nature humaine qui de l‟avis de
Fukuyama, justifie la thèse du statut spécial de l‟Homme par rapport aux autres êtres vivants.

Succinctement, l‟aversion de Fukuyama vis-à-vis des « biotechniques » se fonde sur le


fait que celles-ci peuvent manipuler la nature humaine ; or pour ce dernier la nature humaine
de par sa complexité est le ferment de la dignité humaine. Pour ce dernier, « l’ensemble des
caractères qui définissent naturellement et traditionnellement l’être humain est donc à
protéger contre des avancées biotechnologiques susceptibles de les affecter »221. Ceci étant,
qu‟en est-il de la seconde raison justifiant la méfiance, voire la critique fukuyamienne de la
« révolution biotechnique », soit de l‟argument juridique des droits de l‟Homme ?

219
Ibid., p. 284.
220
Ibid., p. 302.
221
G. HOTTOIS, « Dignité humaine et bioéthique. Une approche philosophique critique », p. 105.
75

CHAPITRE IV : L’ARGUMENT JURIDIQUE DES DROITS DE L’HOMME :


LA NATURE HUMAINE COMME ÉTALON DES DROITS DE L’HOMME

Le précédent chapitre montre à suffisance que, c‟est parce que la dignité de l‟Homme
est conséquente de la nature humaine que Fukuyama critique la « révolution biotechnique ».
Laquelle révolution est susceptible d‟altérer la nature humaine. Concrètement, c‟est parce
que, c‟est grâce à la nature humaine que l‟Homme est perçu comme un être exceptionnel et
digne que Fukuyama se présente comme un critique de la « révolution biotechnique ».
L‟autre argument qu‟il utilise contre la « révolution biotechnique » est celui des droits de
l‟Homme.

En fait, il s‟agit de faire comprendre que si Fukuyama critique la « révolution


biotechnique », c‟est parce que la nature humaine qui peut être modifiée par la
« biotechnique » est le suppôt sur lequel reposent les droits de l‟Homme. De fait, force est de
constater avec Fukuyama que, « …toute discussion sérieuse sur les droits de l’homme doit se
fonder, en dernier ressort, sur une conception des finalités ou des objectifs de l’homme,
laquelle doit à son tour avoir toujours pour base un concept de la nature humaine »222 .

Ainsi dit, de l‟avis de ce dernier, toute discussion ou réflexion sur le fondement des
droits de l‟Homme doit impérativement tenir compte de ce qu‟est l‟Homme. On assiste dans
un tel contexte, à ce qu‟on pourrait appeler ici le naturalisme juridique. Entendu ici comme
une attitude consistant à fonder les droits de l‟Homme sur la nature humaine qui est perçue
comme le principe suprême régissant les droits de l‟Homme. Il faut comprendre par-là que ce
sont les caractéristiques typiques à l‟espèce humaine qui investissent ce dernier des droits.

Cependant, le naturalisme juridique tel sus-évoqué est mis à l‟épreuve par la


« révolution biotechnique ». De fait, avec le développement des « biotechniques », on assiste
aujourd‟hui à ce dont Tsala Mbani a nommé le « juridisme nihiliste ». Il s‟agit ici de

222
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 190.
76

l‟émergence et de la prise en compte juridique de ce que cet auteur qualifie de « fantasmes des
biotechniques ». Si le bioéthicien camerounais qualifie ainsi, la conception des droits issue
des « biotechniques », c‟est parce que pour ce dernier, les droits issus de la « révolution
biotechnique » font abstraction des sources naturelles des droits de l‟Homme. Il faut
comprendre par-là que, ces droits ne prennent pas en compte les thèses développées par les
défenseurs du droit naturel – soit la nature, mieux la nature humaine est le fondement des
droits de l‟Homme -. Or un tel déni est de l‟avis de Francis Fukuyama une grave erreur. Et
aussi martèle-t-il :

Selon moi, cet éloignement de la notion de droits fondés sur la nature humaine est
une profonde erreur, à la fois pour des raisons philosophiques et comme élément de
raisonnement moral quotidien. La nature humaine est ce qui […] sert de base aux
discours philosophiques plus sophistiqués sur le droit.223

S‟inscrivant dans la tradition théorique du droit naturel de Leo Strauss, Fukuyama


renoue avec l‟idée d‟une nature humaine sur laquelle s‟édifie selon lui les droits de l‟Homme.
La motivation de Fukuyama à la suite de Strauss à vouloir fonder les droits de l‟Homme sur la
nature humaine n‟est rien d‟autre que la volonté et le désir d‟inscrire explicitement les droits
de l‟Homme dans l‟ordre de l‟universalité. Pour une meilleure compréhension de ce
naturalisme juridique de Fukuyama, il faudrait d‟abord scruter l‟émergence du « juridisme
nihiliste » à l‟ère de la « révolution biotechnique » ; par la suite mettre à découvert l‟ancrage
de ce « juridisme nihiliste » dans l‟« illusion naturaliste ». Et enfin, justifier la nécessité d‟un
retour du droit naturel, en raison des dédales du « juridisme nihiliste ».

A- Révolution biotechnique et droits de l’ Homme : de l’émergence du « juridisme


nihiliste »224 ou de l’« élastification » des droits de l’Homme
Les « biotechniques » ont un impact considérable sur les aspects de la vie de
l‟Homme. Le droit qui est l‟une des catégories fondamentales qui régit le vivre ensemble en
société ne fait pas l‟exception. Il faut comprendre par-là que le développement des
biotechnologies induit l‟émergence d‟une nouvelle génération de droits. C‟est ainsi que le très
vieux droit à la reproduction a connu une extension dans l‟ordre de la compréhension chez le
bioéthicien américain John Robertson. Son compatriote, Fukuyama, relève cette extension
dans l‟ordre de la compréhension du droit à la reproduction chez ce dernier en ces mots :

223
Ibid., p. 185.
224
Nous empruntons ce concept à André Liboire Tsala Mbani.
77

John Robertson, spécialiste de la bioéthique, avance que […] les individus ont un
droit fondamental à ce qu’il appelle la liberté de procréation, qui englobe aussi bien
un droit à se reproduire qu’un droit à ne pas se reproduire (incluant dont le droit à
l’avortement). Mais le droit à se reproduire ne se limite pas à la reproduction
coïtale : il s’applique aussi à la reproduction non coïtale225.

En fait, dans, Enfants du choix : Liberté, et les nouvelles technologies de Reproduction


(la traduction est de nous), Robertson fait comprendre que les technologies procréatiques
induisent inéluctablement à un élargissement du champ de compréhension du droit à la
reproduction. Pour lui, le droit fondamental à la liberté de procréation devrait englober aussi
la procréation coïtale que non coïtale, soit la procréation artificielle. C‟est la raison pour
laquelle, il postule que : « le dépistage génétique aussi bien que le droit à choisir un
partenaire ou une source pour la donation d’ovules, de sperme ou d’embryons, devraient être
protégés comme partie intégrante de la liberté de procréation »226. Tout porte à croire que de
l‟avis de cet auteur, le droit à la reproduction comprendrait non seulement le droit à la liberté
de procréer – qui implique aussi le droit à avorter - mais aussi le droit de choisir les moyens
de procréation ; et qu‟il faudrait reconnaître juridiquement ces nouvelles techniques de
procréation.

La défense d‟un droit à la liberté procréative, mieux à la liberté de procréation par


l‟usage des nouvelles technologies de reproduction est aussi perceptible dans les écrits d‟un
John Harris. Ce philosophe britannique dans la perspective libérale, pense que l‟interdiction à
un citoyen de faire ce qu‟il veut doit nécessairement être déterminée par les inconvénients que
l‟acte de ce dernier peut causer aux autres citoyens. Si son acte ne serait nuisible pour
personne, on ne devrait pas l‟empêcher de faire ce qu‟il désire.

Dans cette logique, Harris considère que la liberté à se reproduire est un droit
fondamental qui doit impérativement être respecté. Pour lui, le droit d‟avoir librement les
enfants est un droit qui ne saurait être nié dans un État qui se voudrait démocratique et
libérale. Un tel droit implique inéluctablement le droit de tout individu qui voudrait se
reproduire à choisir la manière par laquelle il voudrait se reproduire. C‟est au nom de cette
liberté reproductive que ce dernier s‟est fait dans On Cloning, l‟avocat défenseur de tous ceux
qui désirent se reproduire par le clonage reproductif humain qui est une nouvelle technologie

225
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 192.
226
J. ROBERTSON, Children of Choice : Freedom, and the New Reproductive Technologies, Princeton,
Princeton Université Press, 1994, pp. 33-34., cité par A. L. TSALA MBANI, Biotechnologies et Nature
Humaine. Vers un terrorisme ontologique ?, pp. 147-148.
78

de reproduction qui est comme le reconnaît Tsala Mbani, une forme de reproduction asexuée
consistant à introduire dans une cellule œuf réceptrice préalablement énucléée, la totalité du
patrimoine génétique d‟une cellule donneuse. Tout cela est fait en vue d‟obtenir un être vivant
identique à l‟être qui a été clonée.

C‟est fort du constat de ce désir de ses contemporains, de voir l‟émergence d‟une


reconnaissance juridique des nouvelles techniques de procréation que Francis Fukuyama
reconnaît, « la nature merveilleusement élastique du discours contemporain sur les
droits »227. Toutefois, il conviendrait dans le cadre de ce travail de signaler que ce droit à la
liberté de procréation sert de fondement à un autre droit ; celui de la manipulation génétique
de l‟enfant à naître.

Cela a conduit Francis Fukuyama à reconnaître que ce droit – à la liberté de


procréation -, « emporte à son tour un droit de modification génétique sur ses rejetons » 228.
Ce n‟est pas Speranta Dumitru Nalin qui remettra en question une telle idée. Pour cette
dernière, « la défense d’un droit à modifier le génome de son enfant peut trouver un appui
dans la liberté de procréation »229. Un tel droit vient remettre en question ce que Jürgen
Habermas a appelé le « droit à l‟héritage génétique non modifié ».

L‟auteur de l‟avenir de la nature humaine s‟oppose farouchement à l‟ « eugénisme


libéral » qui est la « pratique qui laisse à l’appréciation des parents la possibilité d’intervenir
dans le génome des cellules germinales fécondées »230 . À cet effet, il est réticent à l‟usage des
nouvelles techniques procréatiques, tel le diagnostic préimplantatoire qui permet aux parents
de déterminer la constitution génétique de leurs progénitures. Pour Habermas, ces nouvelles
techniques sont liberticides.

De fait pour ce dernier, ces techniques pour innovatrices qu‟elles soient, peuvent être
néfastes pour le futur être humain qui viendra, mieux elles limitent le « pouvoir être soi » et la
« liberté éthique » des enfants à venir. Ainsi, l‟intervention des parents sur le génome de leurs
enfants à venir reviendrait à annihiler la liberté de ces enfants. C‟est pourquoi le père de
l‟ « éthique communicationnel » pense que la « programmation génétique fait naître une

227
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 192.
228
Ibid., p. 218.
229
S. D. NALIN, « Liberté de procréation et manipulation génétique. Pour une critique d‟Habermas », in Raisons
politiques, N0 12, 2003, p. 32.
230
J. HABERMAS, L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme Libéral ?, traduit de l‟allemand par
Christian Bouchindhomme, Paris, Gallimard, 2002, p. 177.
79

relation à plus d’un égard asymétrique.»231entre les parents programmateurs et les enfants
programmés. Dans cette relation, le programmateur aura l‟ascendant sur le programmé, car ce
dernier a été programmé suivant les aspirations et la volonté du programmateur. Comme le
remarque à juste titre Jacques Ricot : « Alors que l’aléatoire de la naissance garantissait
jusqu’à présent l’altérité, l’intervention technique dans la reproduction [ et à fortiori dans la
base génétique] laisse entrevoir une possible maîtrise de l’homme actuel sur les hommes à
venir.»232

Ce propos de Jacques Ricot traduit l‟idée selon laquelle, la fin de l‟incertitude dans la
procréation, mieux le passage de l‟incertitude à la certitude dans la procréation au moyen des
« biotechniques » telle que la procréation médicalement assistée est une voie ouverte pour le
contrôle de l‟Homme actuel sur l‟Homme à venir. Les futurs générations d‟humains ne seront
qu‟une sorte de pion entre les mains de leurs parents si tant il est vrai que ces derniers ont fait
le choix de la constitution génétique des futurs humains en fonction de leurs aspirations et
désirs. Un tel fait édulcore la liberté des futurs enfants comme l‟a si bien dit Habermas.

Les parents, à partir des techniques de la procréation médicalement assisté tel le


diagnostic préimplantatoire vont pouvoir déterminer la personnalité biologique de leurs futurs
enfants, exerçant ainsi le pouvoir créateur sur sa créature – futur enfant à venir -. Ce pouvoir
de détermination ou tout au moins d‟influence des qualités de l‟Homme à venir qu‟offre les
techniques de procréation médicalement assisté angoisse Habermas. Car il s‟agit « du pouvoir
de ceux d’aujourd’hui sur ceux de demain, lesquels seront objets sans défense des décisions
prises par anticipation par des planificateurs d’aujourd’hui. Le revers du pouvoir
d’aujourd’hui c’est la servitude ultérieure des vivants par rapport aux morts »233. De ce point
de vue, la « révolution biotechnique » nous donne un pouvoir exorbitant sur les générations
futures.

On comprend que c‟est au nom de la liberté de l‟Homme à venir que Habermas


s‟oppose à toute manipulation de la dotation génétique de l‟enfant à venir. Car la
programmation génétique que rend possible la procréation médicalement assistée peut
entrainer une relation asymétrique entre les parents et leurs futurs progénitures Une telle
position n‟est pas partagée par Ronald Dworking qui s‟est voulu au nom de la liberté de

231
Ibid., p. 97.
232
J. RICOT, Étude sur l’humain et l’inhumain. Paris, Pleins feux, 1998, pp. 93-94., cité par K.-G. GIESEN, «
Transhumanisme et génétique humaine », p. 5.
233
J. HABERMAS, L’avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme Libéral ? cité par C. A. NKPWAMBA,
op.cit., p. 242.
80

reproduction, défenseur du droit à la manipulation génétique de l‟embryon. Toutefois, il


conviendrait de signaler que ce droit pour Dworking, est moins reconnu aux parents du futur
enfant qu‟aux experts. En fait pour lui,

Si jouer le rôle de Dieu signifie lutter pour améliorer ce que Dieu (délibérément) ou
la Nature (en aveugle) a développé au long des millénaires, alors le principe
d’individualisme éthique exige cette lutte tandis que le second principe l’interdit, en
l’absence d’une évidence concrète de danger objectif, de savants et de docteurs
volontaires pour la diriger234.

Cet argumentaire en faveur d‟une manipulation génétique de l‟embryon fait par


Dworking, se fonde comme le reconnaît Fukuyama sur deux principes éthiques. Ces principes
sont d‟après l‟analyse du nippon de souche deux sous catégories du principe d‟«
individualisme éthique » , base fondamentale d‟une société libérale. Le premier de ces sous
principes comme l‟indique subtilement les propos suscités de Dworking est de l‟avis de
Fukuyama que, chaque vie individuelle soit réussie plutôt que ratée. Le second quant à lui ne
renvoie à rien d‟autre que la responsabilité qu‟à une personne envers sa propre vie. Fukuyama
le précise en ces mots, « le second est que, si chaque vie est également importante, la
personne dont c’est la vie a une responsabilité particulière dans sa réussite.»235

Le « technobiocosme » - qui désigne d‟après Hottois, le nouveau visage de l‟univers


englué dans l‟étau de la révolution technoscientifique - pour reprendre une expression chère à
Gilbert Hottois, est un cadre spatial dans lequel on observe une excroissance de ce que Tsala
Mbani a appelé le « juridisme nihiliste ». Un tel phénomène est conceptualisé dans ce
mémoire comme étant l‟« élastification » des droits de l‟Homme à l‟ère des biotechnologies.

Cette « élastification » des droits de l‟Homme a conduit Fukuyama à prophétiser la


possible émergence d‟un droit à faire des choses dont l‟état actuel des connaissances et de la
technique ne permettent pas de le faire. Et aussi précise-t-il : « Beaucoup seront peut-être
surpris d’avoir un droit fondamental garanti à faire quelque chose qui n’est pas encore Ŕ
jusqu’ici Ŕ possible techniquement »236. Il s‟agit là pour ce dernier, de faire comprendre que
dans cet univers technoscientifiquement déterminé, la probabilité d‟observer l‟apparition d‟un

234
R. DWORKING, Soverein Virtue: The Theory and Pratice of Equality, Cambridge, Havard University press,
2000, p. 452., Cité par A. L. TSALA MBANI, Biotechnologies et Nature Humaine. Vers un terrorisme
ontologique ?, p. 148.
235
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 193.
236
Ibid., p. 192.
81

droit de faire une chose dont l‟état des connaissances et de la technique ne le permet pas
encore n‟est pas moindre. Ce ratissage du droit à cette ère comme le désigne Mbani est la
résultante de la mise entre parenthèse du droit naturel ; laquelle mise entre parenthèse se
fonde elle aussi sur la thèse de l‟ « illusion naturaliste ».

B- De l’ « illusion naturaliste » comme levier du « juridisme nihiliste »


L‟ « illusion naturaliste », d‟après Francis Fukuyama est cette thèse, qui « fait valoir
que la nature ne saurait fournir une base philosophique justifiable pour le droit… »237. C‟est
dire que l‟ « illusion naturaliste » est une thèse qui fait valoir que les droits de l‟Homme ne
peuvent et ne doivent pas être fondés sur et dans la nature – nature humaine -. Pour Francis
Fukuyama, une telle thèse s‟appuie sur un double argumentaire. « Le premier est attribué à
David Hume dont on pense généralement qu’il a montré une fois pour toutes qu’il est
impossible de dériver un « devrait être » d’un « est » »238.

Pour Hume, relève Fukuyama, aucune catégorie morale ou éthique ne pouvait être
déduite à partir d‟une observation empirique de la nature ou du monde naturel. L‟un des
passages les plus célèbres de Hume comportant cette loi de la non-dérivabilité du « est » au
« devoir être » et impliquant ainsi le non naturalisme moral ou éthique de ce dernier est
perceptible dans son Traité de la nature humaine.

Je ne peux pas m’empêcher d’ajouter à ces raisonnements une remarque qui, peut-
être, sera trouvée de quelque importance. Dans tous les systèmes de morale que j’ai
rencontrés jusqu’alors, j’ai toujours remarqué que les auteurs, pendant un certain
temps, procèdent selon la façon habituelle de raisonner et établissent l’existence de
Dieu ou font des observations sur les affaires humaines ; puis, soudain, je suis
surpris de voir qu’au lieu des habituelles copules est et n’est pas, je ne rencontre que
des propositions reliées par un doit ou un ne doit pas. Ce changement est
imperceptible mais néanmoins de la première importance. En effet, comme ce doit ou
ne doit pas exprime une nouvelle relation ou affirmation, il est nécessaire qu’on la
remarque et qu’on l’explique. En même temps, il faut bien expliquer comment cette
nouvelle relation peut être déduite des autres qui en sont entièrement différentes car
cela semble totalement inconcevable. Mais, comme les auteurs n’usent pas
habituellement de cette précaution, je me permettrai de la recommander aux lecteurs
et je suis persuadé que cette petite attention renversera tous les systèmes courants de

237
Ibid., pp. 200-201.
238
Ibid., p. 204.
82

morale et nous fera voir que la distinction du vice et de la vertu ne se fonde pas
simplement sur les relations des objets239.

Une observation de ces propos sus - cités de Hume laisse voir que les systèmes
morales pré-humiens voulaient fonder la morale dans l‟ordre de la factualité. En fait, ceux-ci
dans leurs raisonnements sur le fait moral, déduisaient leurs maximes morales des postulats
empiriques. Or un tel fait de l‟avis de Hume, constituait une erreur fondamentale. Pour le
britannique, il est inconcevable qu‟on puisse déduire une conclusion morale, c‟est-à-dire une
proposition contenant la copule « doit » ou « ne doit pas » à partir des prémisses relevant de
l‟ordre du naturel, c‟est-à-dire contenant les copules « est » ou « n‟est pas ».

Allant dans le même sens, Raymond Boudon reconnaît, qu‟ « on ne peut tirer une
conclusion à l’impératif de prémisses qui seraient toutes à l’indicatif »240. Comme pour dire
qu‟il serait illusoire de croire qu‟il est possible de déduire d‟un énoncé descriptif un énoncé
prescriptif. Dans un tel contexte, il ne serait pas faux de reconnaître avec Anne Fagot-
Largeault que, « la polémique lancée par le philosophe anglais Georges Moore en 1903 sur le
« paralogisme naturaliste » (naturalistic fallacy) n’est pas éteinte. »241

Le second volet de l‟argument de l‟ « illusion naturaliste » contre le fondement


naturaliste des droits de l‟Homme relève moins de l‟impossibilité logique de dériver un
« devrait être » d‟un « est » mais de l‟étrangéité de la nature à la morale. Fukuyama relève cet
argument en ces mots : « Le second enchaînement de l’illusion naturaliste ferait valoir que,
même si nous pouvions dériver un doit être d’un est, ce dernier est souvent hideux, amoral ou
même immoral »242. Ainsi dit, la nature serait exclue de tous les éléments contribuant à
l‟édification du caractère axiologique de l‟Homme. Un tel rejet est perceptible dans la
philosophie de Nietzsche.

En fait, le penseur de la « volonté de puissance » s‟était érigé en faux contre les


conceptions philosophiques qui faisaient de la nature un archétype pour l‟agir humain, car « il
serait sot de nier que la nature n’est point « parfaite » »243. Cela justifie l‟aversion
nietzschéenne de la philosophie stoïcienne qui demande à l‟Homme qui veut vivre comme un

239
D. HUME, Traité de la Nature Humaine. Essai pour introduire la méthode expérimentale dans les sujets
moraux (1739-1740), traduction d‟André Leroy, Livre III, Première partie, Première Section, Paris, Éditions
Aubier Montaigne, 1983, pp. 585-586.
240
R. BOUDON, Le relativisme, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 2008, pp. 15-16.
241
A. FAGOT-LARGEAULT, « Normativité et éthique », in D. NOBLE et J.-D. VINCENT (Sld.), op.cit., p. 41.
242
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, pp. 205-206.
243
A. FAGOT-LARGEAULT, « Normativité et éthique », in D. NOBLE et J.-D. VINCENT (Sld.), op.cit., p.42.
83

sage de vivre selon la nature. Le passage suivant de Par-delà le bien et le mal conforte ce qui
vient d‟être dit : « C’est « conformément à la nature » que vous voulez vivre ! Ô nobles
stoïciens, quelle duperie est la vôtre ! imaginez une organisation telle que la nature, prodigue
sans mesure, indifférente sans mesure, sans intention et sans égards, pitié et sans justice.»244.

Ces propos de Nietzsche dévoilent que pour ce dernier, la nature ne saurait être tenue
pour guide des actions humaines. Pour conforter sa position, il a mobilisé des attributs ne
faisant pas justice à la nature comme étalon des actions de l‟Homme : gaspilleur, indifférent,
sans considération, etc. Un tel rejet de la nature comme étalon de l‟agir humain apparaît aussi
chez l‟anthropologue Fox Robin.

Réfléchissant sur la problématique du fondement des droits de l‟Homme, Fox récuse


la conception naturaliste du droit. En fait, pour ce dernier, les droits de l‟Homme ne devraient
pas être fondés sur la nature humaine. Car, celle-ci serait susceptible de légitimer un certain
nombre de droits qui sera dommageable à l‟Homme. Et à Francis Fukuyama de préciser :
« Robin Fox […] soutient que les biologistes ont beaucoup appris sur la nature de la nature
humaine ces dernières années, mais que cela n’est pas très agréable à voir et n’a que fort peu
de chance de servir de base aux droits politiques.»245

L‟analyse que fait Fukuyama de la crainte foxéenne du naturalisme juridique laisse


voir que c‟est le développement des connaissances sur ce que signifie être humain qui conduit
Fox à jeter du discrédit sur le naturalisme juridique. C‟est en fait l‟accumulation des
connaissances sur la nature de la nature humaine qui pousse ce dernier à délégitimer la nature
humaine comme potentiel étalon des droits de l‟Homme.

L‟un des domaines scientifiques ayant le plus influencé la position de Fox est bien la
biologie évolutionniste. Celle-ci à travers la théorie de la préférence parentale, qui comme le
souligne Fukuyama, stipule que les êtres humains cherchent à maximiser leurs capacités
reproductives en favorisant leurs parents génétiques en proportion des gènes partagés, laisse
voir que si la nature humaine est prise comme étalon des droits de l‟Homme, elle pourra
entraîner l‟émergence d‟un certain nombre de droits qui sont d‟après Fox contradictoire aux
droits de l‟Homme. En fait, pour Fox, si la nature humaine est l‟archétype des droits de
l‟Homme,

244
F. NIETZSCHE, « Par-delà le bien et le mal » (1886), chapitre I, Section 9, in Œuvres complètes de
Nietzsche, traduction d‟Henri Albert, Paris, La Société du Mercure de France, 1913, S. l., Arvensa Éditions, p.
5057.
245
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 206.
84

on pourrait fort bien argumenter, en utilisant la théorie basique de la sélection


parentale, qu’il y’a un droit naturel et humain à la revanche. Si quelqu’un tue mon
neveu ou mon petit-fils, il me prive de mon potentiel inclus, c’est-à-dire de mon
patrimoine génétique personnel. On pourrait dire que, pour rectifier ce déséquilibre,
j’ai le droit de lui infliger une perte semblable246.

Ainsi, si on se situe dans la perspective de Fox, vouloir fonder les droits de l‟Homme
sur la nature humaine, c‟est vouloir légitimer des droits qui bien qu‟étant naturel se posent en
annihilant les droits fondamentaux de l‟Homme. C‟est par exemple, le potentiel droit naturel à
la « revanche » fondé sur la théorie de la sélection parentale qui comme l‟a si bien démontré
Fox, ne serait qu‟une violation du droit fondamental à la vie.

À la lumière de ce qui vient d‟être exposé, il ne serait pas erroné d‟appréhender la


thèse de l‟ « illusion naturaliste » comme un fondement du « juridisme nihiliste »
contemporain. Il faut comprendre par-là que la critique du jusnaturalisme peut être considérée
comme un catalyseur du « juridisme nihiliste » qui est comme le souligne Tsala Mbani, la
promotion d‟un type de droit qui ne se fonde pas sur la nature humaine. En fait, c‟est au nom
de la thèse de l‟ « illusion naturaliste » que les praticiens des sciences de la vie s‟indignent de
l‟intégration du concept de droit dans leur domaine. Et aussi, ceux-ci, précise Fukuyama,
« aimeraient maintenir une séparation rigoureuse entre le « est » naturel qu’ils étudient et le
« devraient être » moral et politique qui naît du discours sur le droit.»247

Il faut comprendre par-là que les spécialistes des sciences de la vie veulent établir une
dichotomie entre le « est » et le « devrait être » ; ceci dans un souci d‟atteindre l‟objectivité
scientifique. Et en plus du souci de rigueur, les sciences de la vie, « invoquent promptement
l’illusion naturaliste comme une égide pour protéger leur travail des implications
politiques »248. Toutefois, les dédales du « juridisme nihiliste » de l‟avis de Fukuyama sont
une invite à un retour au droit naturel.

C- Des dédales du « juridisme nihiliste » à un retour du droit naturel


La sous partie précédente a laissé voir que le « juridisme nihiliste » contemporain se
fonde sur la thèse de l‟ « illusion naturaliste ». Laquelle à son tour est rattachée au philosophe
britannique David Hume. « On attribue habituellement à Hume d’avoir affirmé qu’une
formulation d’obligation morale ne saurait dériver d’une observation empirique de la nature

246
Id.
247
Ibid., p. 190.
248
Ibid., p. 201.
85

ou du monde naturel »249. Or pour Fukuyama, un tel rapprochement n‟est que la conséquence
d‟une mauvaise interprétation de la pensée de Hume. Certes Hume a rejeté toute possibilité de
déduire logiquement un « devoir être » d‟un « est ». Mais ce dernier, souligne Fukuyama,
« estimait que le passage du « est » au « doit être » se faisait par l’intermédiaire de concepts
tels que « vouloir, besoin, désir, plaisir, bonheur, santé » c’est-à-dire par l’intermédiaire des
objectifs et des finalités que les êtres humains établissent pour eux-mêmes »250.

Ainsi contrairement à ce qui a été admis, Hume ne se détache pas d‟un fondement
naturaliste de l‟agir humain, puisque comme le reconnaît Fukuyama, la pensée humienne de
l‟agir humain est liée aux objectifs et finalités humaines. Bref, Hume pensait que les desseins,
les projets et les vues des humains sont des principes aussi nécessaires dans leurs opérations.

Il est donc à présent clair que l‟attribution de la thèse de l‟ « illusion naturaliste » à


Hume est de l‟avis de Fukuyama une mauvaise interprétation de la pensée de ce dernier.
Certes il avait reconnu qu‟il est logiquement impossible de déduire un « devoir être » d‟un
« est », mais comme les anciens il reconnaissait qu‟un « doit » peut-être déduit d‟un « est » en
fonction des finalités visés par l‟Homme. Tout au contraire c‟est Kant qui est à l‟origine d‟une
telle rupture. Et à Fukuyama de réitérer : « La rupture radicale dans la tradition occidentale
n’intervient pas avec Hume, mais […] surtout avec Kant.»251

En fait, pour Francis Fukuyama, Kant est le véritable responsable du déni de la nature
humaine dans l‟édification de la moralité – et aussi des droits -. Kant à travers son concept
« d‟impératif catégorique » a détaché la moralité du concept de nature. De fait, « l’idée
kantienne d’un royaume nouménal libre du principe de causalité naturelle et qui est le terrain
de l’impératif catégorique […] a détaché la morale dans son intégralité de tout concept de
nature. »252

Cette perspective kantienne évoquée par Fukuyama laisse voir que pour Kant le
véritable choix moral impliquerait la libération de l‟Homme de toute forme de causalité
naturelle – les désirs, les passions, etc -. Fukuyama a donc raison de noter que pour
Kant, « l’action morale pourrait ne pas être le produit d’un désir ou d’un instinct naturel,

249
Ibid., p. 205.
250
Ibid., p. 207.
251
Ibid., p. 212.
252
Id.
86

mais devrait agir contre le désir naturel sur la base de ce que la raison seule désigne comme
juste.»253

Tel affirmé, ce propos de Fukuyama montre que les agents moraux que sont les êtres
humains, dans l‟expression de leur moralité devraient défier les lois naturelles en choisissant
non pas ce dont leurs corps – qui fait d‟eux des membres du monde phénoménal - leur dit
vouloir, mais ce dont la raison leur dicte d‟être juste. Une telle conception de la moralité ne
s‟éloigne nullement du protestantisme.

C‟est ce que reconnaît Tsala Mbani lorsqu‟il fait comprendre qu‟il existe « une
certaine homologie entre l’éthique kantienne et la conception de la nature humaine
développée par le protestantisme »254. Ceci s‟explique par le fait que Kant a été fortement
influencé par l‟éducation piétiste que lui a procurée sa mère. Cette influence piétiste a amené
ce dernier à situer la moralité de l‟Homme dans sa capacité à transcender la nature humaine
dans ses actions. Cette nécessité de transcender la nature pour accomplir un acte moral se
justifie par le fait que pour ce dernier, à la suite du protestantisme, la nature humaine est
fondamentalement pécheresse.

Au regard de ce qui précède, on comprend que contrairement à ce qui a été admis,


Hume ne se détache pas d‟un fondement naturaliste de l‟agir humain. Dans la pensée de ce
dernier, il existe une relation nécessaire entre l‟action de l‟Homme et les objectifs et finalités
humaines. Toute action humaine est en rapport à un but et une finalité humaine – ce qui
renvoie d‟après Fukuyama à la nature humaine-. Bref Hume pensait comme il a été dit que les
desseins, les projets et les vues des humains sont des principes aussi nécessaires dans les
opérations.

Après cette clarification sur la thèse de l‟ « illusion naturaliste », Fukuyama démontre


que ce fondement du « juridisme nihiliste » est en lui-même problématique. En fait pour ce
dernier, « l’interprétation commune de l’illusion naturaliste est fallacieuse »255. Il faut
comprendre par-là que l‟argumentaire du fondement du « juridisme nihiliste » – thèse de
l‟ « illusion naturaliste » - pour formellement correcte soit-il, est erroné. Et aussi précise-t-il

253
Id.
254
A. L. TSALA MBANI, Biotechnologies et Nature Humaine. Vers un terrorisme ontologique ?, p. 163.
255
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 212.
87

que : « Selon moi, ce vaste rejet des théories du droit fondées sur la nature humaine pèchent
pour un certain nombre de raison. »256

Tout compte fait, les défenseurs du droit a-naturel, non fondé sur la nature humaine
n‟ont pas véritablement mis celle-ci hors-jeux. Leurs argumentations contiennent des
éléments renvoyant à une hypothèse de la nature humaine. Il faut comprendre par-là que leurs
argumentaires contiennent des idées qui pourraient amener à penser à une nature humaine.
Seulement, ces derniers n‟assument pas le lien existant entre leurs argumentations et la nature
humaine. C‟est le cas de John Robertson qui pour défendre le droit à une liberté de
reproduction fait appel ouvertement à la nature en affirmant que « la transmission des gènes
par la reproduction est un besoin propre à l’espèce. »257

Il se dégage de l‟analyse précédente que le rejet des théories du droit fondées sur la
nature humaine jouit d‟une impertinence avérée, car ayant un caractère erroné. Le caractère
erroné de cette entreprise réside dans la survivance d‟une idée de la nature humaine dans ces
théories qui se posent en s‟opposant au naturalisme juridique. Toutefois l‟idée de la nature
humaine y est présente de manière subtile. Une telle faiblesse - du « juridisme nihiliste » -
n‟échappe pas au regard de Fukuyama, lorsqu‟il analyse ce vaste projet de rejet du
jusnaturalisme. Selon le mot de ce dernier : « Tous les philosophes qui essayent de mettre sur
pied un tel schéma finissent par réinsérer diverses hypothèses sur la nature humaine dans
leurs théories. La seule différence est qu’ils le font subrepticement et malhonnêtement, non
explicitement. »258 Fukuyama par cette déclaration nous fait voir l‟omniprésence de l‟idée
d‟une nature dans les théories du droit a-naturel, soit des théories dont le postulat nie
l‟existence d‟une nature humaine.

En somme, dans ce chapitre il a été question de montrer que le second argument


légitimant la suspicion fukuyamienne de la révolution biotechnique est la relation que
Fukuyama, établit entre la nature humaine et les droits de l‟Homme. Pour lui, la nature
humaine est l‟étalon des droits de l‟Homme. Dans une telle perspective, les droits de
l‟Homme sont des droits relatifs à un individu quelconque, en tant que dépositaire des
caractères génériques de l‟humanité. C‟est fort de cela qu‟il milite pour la protection de la
nature humaine contre la « révolution biotechnique » qui est capable de l‟altérer.

256
Ibid., p. 214.
257
Ibid., p. 219.
258
Ibid., p. 215.
88

Conclusion partielle
La question majeure qui a fait l‟objet de cette partie est la critique fukuyamienne de la
« révolution biotechnique ». L‟examen de cette question a montré qu‟elle se structure autour
de deux grands axes.

Dans un premier temps, c‟est au nom de la relation consubstantielle existant entre la


dignité de l‟Homme et la nature humaine que Fukuyama traduit la « révolution biotechnique »
au tribunal de la raison. Pour ce dernier, le statut spécial de l‟Homme trouve son fondement
dans sa nature. Raison pour laquelle pour garder ce statut, il faudrait prendre garde de
certaines « biotechniques » capables de manipuler, voire de transformer la nature humaine.

Le second moment de sa critique s‟articule autour de ce qui a été appelé le naturalisme


juridique chez ce dernier – les droits de l‟Homme fondés sur la nature humaine –. Toutefois,
pour faire œuvre de philosophie, il serait nécessaire dans ce travail de poser la question de la
pertinence de cette conception. Concrètement, il faudrait soumettre cette critique au tribunal
de la raison critique si tant il est vrai avec Marcien Towa que, « Pour le philosophe aucune
donnée, aucune idée si vénérable soit-elle, n’est recevable avant d’être passé au crible de la
pensée critique.»259

259
M. TOWA, op.cit., p. 30.
89

TROISIÈME PARTIE : ÉVALUATION DE LA CONCEPTION


FUKUYAMIENNE DE LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE »
90

Introduction partielle
Après avoir respectivement présenté dans les deux précédentes parties la conception
fukuyamienne de la « révolution biotechnique », puis la critique fukuyamienne de celle-ci ; il
est question maintenant dans cette partie d‟effectuer une évaluation de la critique
fukuyamienne de la « révolution biotechnique ». Autrement dit, il s‟agit ici de montrer que la
critique Fukuyamienne n‟est pas totalement crédible. En fait, la critique fukuyamienne de la
« révolution biotechnique », telle présentée dans La fin de l’homme, n‟est pas totalement
recevable. L‟objet de la présente section s‟inscrit donc en droite ligne sur la pertinence et la
recevabilité d‟une telle critique de la « révolution biotechnique ». En d‟autres termes, Il s‟agit
cette partie, de procéder à un diagnostic de la critique fukuyamienne de la « révolution
biotechnique ». Cette critique, faut-il le rappeler se construit autour de deux axes. D‟une part,
elle s‟appuie sur l‟argument éthique de la dignité humaine qui, elle est fondée sur la nature
humaine. D‟autre part, il s‟offusque de la « révolution biotechnique » au nom de l‟argument
juridique qui fait de la nature humaine l‟étalon des droits de l‟Homme. La question centrale
qui structure cette évaluation est : de quelle pertinence peut être la critique fukuyamienne de
la « révolution biotechnique » ? Mieux encore, la critique fukuyamienne de la « révolution
biotechnique » est-elle totalement crédible et recevable ? Cette question convie à jeter un
regard, d‟une part sur l‟intérêt que peut avoir cette critique fukuyamienne de la « révolution
biotechnique » ; et d‟autre part aux limites liées à une telle critique.
91

CHAPITRE V : L’INTÉRÊT PHILOSOPHIQUE DE LA CRITIQUE


FUKUYAMIENNE DE LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE »

Dans La fin de l’homme, Francis Fukuyama en humaniste avisé, traduit sans gêne la
« révolution biotechnique » au tribunal de la raison critique. Car, pense-t-il, la « révolution
biotechnique » pour bienfaitrice soit- elle est une voie ouverte pour le passage de l‟humanité à
la « posthumanité », soit, à la fin de l’homme. Pour Fukuyama, techniciser l‟Homme, c‟est le
dénaturer, le déshumaniser, le désontologiser. En fait, l‟univers « biotechnique » pourrait
marquer la fin de l‟humanité. Selon les pronostics faites par les laudateurs de la « révolution
biotechnique », cette fin de l‟Homme sera possible d‟ici 2050. Si tel est le cas, on parlera de
l‟Homme d‟aujourd‟hui dans le passé, de la même manière que nous parlons de l‟Homme
Neandertal ou homo erectus aujourd‟hui. En fait, ce sera la disparition de l‟espèce humaine au
profit des humains transformés et améliorés. Cette révolution a intégré l‟Homme dans sa
démographie des objets. Une telle critique n‟est pas dépourvue de tout intérêt. Celle-ci montre
à suffisance que Fukuyama ne s‟éloigne pas de la bioéthique d‟un côté ; et de l‟autre côté
cette critique se veut être un antidote contre un scientisme béat. Et enfin, elle est un projet de
recentration de l‟Homme dans le technobiocosme.

A- L’ancrage bioéthique de la pensée de Fukuyama


Les questions centrales de cette sous partie sont celles de savoir : c‟est quoi la bioéthique
et dans quelle mesure la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » se
rapproche-t-elle de la bioéthique ? La présentation de cette sous partie nécessite un détour sur
la clarification du concept de bioéthique et une justification de sa raison d‟être dans la pensée
de Fukuyama.

Pour une meilleure clarification du concept de bioéthique, il serait nécessaire de retracer


un historique de celle-ci. Cela conduit à faire remarquer qu‟on pourrait situer l‟origine de la
bioéthique au procès historique de Nuremberg. Procès à l‟issue duquel a été élaboré le code
de Nuremberg qui est comme le souligne Thomas Minkoulou, « la première prise de
92

conscience des problèmes éthiques posés par la science et la technique comme application de
la science »260.

Dès lors, on comprend que ce sont les révélations lors de ce procès, des expérimentations
effectuées par les médecins nazis sur des milliers d‟hommes, de femmes et d‟enfants qui sont
venues relancer le débat au tour de la question de la règlementation des recherches
« biotechniques » impliquant des sujets humains, parce qu‟il fallait déterminer non seulement
les conditions éthiquement et humainement acceptables de telles recherches, mais aussi
délimiter les moyens scientifiquement opératoires et en préciser les finalités. Le code de
Nuremberg fruit de ce procès, s‟articule autour d‟un certain nombre de principes pour
encadrer les « biotechniques » dans le domaine médical :

 Le consentement volontaire, éclairé et informé du sujet (humain) de l‟expérience


est absolument essentiel ;
 L‟évaluation objective de la balance entre les risques (pour le sujet humain objet
d‟expérience) et des bienfaits (pour le sujet humain d‟une part et pour la société
d‟autre part) assortie des enjeux humanitaires de l‟expérience et de la
réversibilité des dommages éventuels.

Au total, le code de Nuremberg constitue le texte fondateur de la bioéthique si tant il est


vrai que ce dernier est le tout premier texte qui promeut une éthique de la recherche et de
l‟expérimentation sur l‟Homme. Il s‟agit d‟un code de conduite dans lequel les médecins se
sont interdits d‟effectuer des expérimentations abominables, soit inhumaines sur des
personnes, sous quelque prétexte que ce soit. Cela étant précisé, qu‟est-ce que la bioéthique ?

Le terme bioéthique est forgé par un oncologue américain, Van Rensselaer


Potter. Il est l‟inventeur du concept de bioéthique. Il a écrit en 1971, le premier ouvrage de
bioéthique dont le but était de,

Contribuer au futur de l’espèce humaine en encourageant la formation d’une


nouvelle discipline, la Bioéthique. S’il existe ‘‘deux cultures’’ qui semblent
incapables de parler l’une à l’autre Ŕles sciences et les humanitésŔ et si ceci
constitue une part de la raison pour laquelle le futur semble compromis, alors peut-
être pourrions-nous construire un ‘‘pont vers le futur’’ en construisant la discipline

260
T. MINKOULOU, « Science et Laïcité : exemple des Sciences de la Vie », Mémoire soutenu en vue de
l‟obtention du Diplôme d‟Études Approfondies (DEA.) en Philosophie à la Faculté des Arts, Lettres et Sciences
Humaines de l‟Université de Yaoundé I, Sous la direction du Professeur Antoine Manga Bihina, 2007-2008, p.
108.
93

de la Bioéthique comme un pont entre les deux cultures. […] Ce qu’il nous faut
maintenant affronter est le fait que l’éthique de l’homme ne peut être séparée d’une
compréhension réaliste de l’écologie au sens le plus large. Les valeurs éthiques ne
peuvent être séparées des faits biologiques. Nous sommes en grande nécessité d’une
éthique de la terre, d’une éthique de la vie sauvage, d’une éthique des populations,
d’une éthique de la consommation, d’une éthique urbaine, d’une éthique
internationale, une éthique gériatrique, etc. Toutes […] appellent des actions basées
sur des valeurs et des faits biologiques261.

Ces propos de Potter montrent à suffisance que pour ce dernier, la bioéthique apparaît
comme une entreprise essentiellement humaniste, dans la mesure où il lui donne pour mission
de promouvoir la survie du genre humain ainsi que celle de notre Terre-patrie sur le long
terme et selon les exigences de l‟amélioration et de la sécurisation de la vie humaine.

Il s‟agit pour la bioéthique de trouver une médiation entre le progrès scientifique et le


devenir de l‟humanité ; cela dans le but de pallier à la « panne d‟humanisme »262 que ce
progrès peut entraîner. La bioéthique apparait comme une alarme, soit un réveil et une prise
de conscience des menaces, mieux des dangers que peuvent entrainer la « révolution
biotechnique ». À cet effet, il apparaît que c‟est sous la menace scientifico-technologique que
naît la bioéthique. Hottois a donc raison de percevoir l‟affaire Asimolar comme l‟un des
évènements fondateurs de la bioéthique.

Si le philosophe belge considère l‟affaire Asimolar comme le début de la bioéthique,


c‟est parce qu‟« il s’agit du premier moratoire spontanément décrété par les scientifiques
eux-mêmes […] à propos des manipulations génétiques »263. Ce premier moratoire fait par les
scientifiques eux-mêmes par rapport à leur travail était fondé sur le sentiment de la peur de
l‟inconnu. En fait,

L’inquiétude des généticiens concernait les inconnues Ŕ les conséquences non


prédictibles Ŕ qui pourraient se révéler, directement (infections) ou indirectement
(écologiques), néfastes pour les êtres humains […] Il s’agissait de prendre au
sérieux les risques biophysiques associés à certaines expérimentations et à la
dissémination incontrôlée des produits de l’expérimentation264.

261
V. R. POTTER, Bioethics. Bridge to the future, New York, Prentice Hall, 1971, pp. VII-VIII., cité et traduit
par I. I. ESSOMBA ÉTOUNDI, op.cit., p. 6.
262
Nous empruntons cette expression à Bernard Ibal in Le XXIème siècle en panne d’humanisme.
263
G. HOTTOIS, « La science entre conviction et responsabilité », in D. NOBLE et J.-D. VINCENT, op.cit., p.
46.
264
Id.
94

Ainsi, on comprend que la bioéthique est née dans le souci de protection et de


préservation de l‟humanité. Car les recherches scientifiques, à coup sûre entrainent non
seulement pour l‟Homme, mais aussi pour son environnement des conséquences qui
pourraient conduire à son extinction ou favoriseraient son émancipation. Les technosciences
sont donc en même temps pour l‟Homme sources de malheurs et de bienfaits. Cependant, il
faut noter que cette bioéthique est moins un moyen comme le dirait Lucien Ayissi, d‟
« éthiciser » la « biotechnique » elle-même que l‟Homme qui en est le principal utilisateur. Il
s‟agit principalement d‟

Eduquer l’homme à une authentique conception de la personne et de la société […] :


ainsi formée, il sera capable d’user des instruments remarquables que l’invention
technique lui a donnés. Ainsi, dans les mains d’un enfant cruel, le jouet le plus
anodin peut servir au mal et, dans les mains d’un enfant bien élevé, le jouet le plus
dangereux peut demeurer inoffensif265.

Cette exigence de la, « the science of survival »266est visible chez Francis Fukuyama. Il
faut comprendre par-là que la prise en charge réflexive de la « révolution biotechnique » par
Fukuyama est bioéthique.

Cet auteur a le mérite d‟avoir mis à nu les problèmes philosophiques liés à la « révolution
biotechnique ». Le premier problème mis en exergue par ce dernier est bien celui du statut de
l‟Homme technologiquement modifié par la « révolution biotechnique ». Il s‟est agi pour lui
de se demander si l‟Homme sujet de l‟évolution « biotechnique » jouit encore de son
humanité ? À cette question, Fukuyama n‟est pas très optimiste.

En fait, pour lui, l‟Homme englué dans cet univers « biotechnique » n‟aurait plus rien
d‟humain. Il serait désormais un « Posthumain » ; car, ce dernier d‟après Fukuyama n‟aurait
plus les caractéristiques typiques à l‟humanité. Pour mieux comprendre cette analyse, on
pourrait se référer à la perception que Fukuyama a des personnages du Meilleur des mondes
qui sont comme il a été signalé dans le début de ce travail, le produit de la « révolution
biotechnique ».

265
L. AYISSI, « Essai de clarification du rapport de l‟Afrique à la technoscience », in Annales de la Faculté des
Arts, Lettres et Sciences Humaines, Volume 1, N0 4, Nouvelle série, Premier semestre, Yaoundé, PUY, 2006, p.
294.
266
Cf. V. R. POTTER, « Bioethics, the science of survival » in Perspectives in Biology and Medicine, N0 14,
publié en 1970.
95

De fait, Fukuyama fait sien l‟idée – qui d‟après Fukuyama est bien noté lors de
l‟évaluation dans les universités anglo-saxons, axée sur la question : Qu‟y a t-il de faux dans
cette peinture ? - selon laquelle ce qu‟il y‟a de faux dans la peinture de ce livre d‟Aldous
Huxley, c‟est la prétendue humanité des acteurs de ce roman. Ces mots de Fukuyama sont
évocateurs à ce sujet :

Les hommes du Meilleur des mondes peuvent bien être heureux et en bonne santé,
mais ce ne sont plus des êtres humains. Ils ont cessé de lutter, d’aspirer, d’éprouver
de la douleur, de faire les choix moraux difficiles, […] bref de faire tout ce que l’on
associe avec la notion d’être humain267.

En d‟autres termes, pour Fukuyama, l‟Homme technologiquement modifié n‟est plus un


humain. Il est ce que nous appelons aujourd‟hui un « post-humain ». Autrement dit, l‟Homme
devenu technicisable et technicisé perd son statut d‟être humain et par conséquent son
humanité. Tsala Mbani ne s‟éloigne pas d‟une telle position lorsqu‟il établit une différence
entre l‟Homme fruit de la reproduction sexuée et l‟Homme issu de la révolution
technologique. Pour lui, le premier est le fils de Dieu et le second le fils de l‟homme268.

Si la bioéthique apparaît comme une entreprise essentiellement humaniste, dans la mesure


où son concepteur lui a donné pour mission de promouvoir la survie du genre humain ainsi
que celle de notre Terre-patrie sur le long terme et selon les exigences de l‟amélioration et de
la sécurisation de la vie humaine, alors Francis Fukuyama vient, à travers sa critique de la
« révolution biotechnique », réactualiser les normes éthiques qui doivent régir l‟action
technoscientifique sur l‟humain et la nature.

Outre cela, la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » s‟inscrit dans un


projet d‟exposition des problèmes éthico-juridiques que peuvent entraîner la « révolution
biotechnique ». Concrètement, l‟intention de Fukuyama dans sa critique de la « révolution
biotechnique » est de décrier les problèmes éthico-juridiques sous-tendus dans cette
révolution. Il s‟est agi principalement pour lui de montrer la centralité de la nature humaine
pour les conceptions de dignité humaine – éthique – et de droits de l‟Homme – juridique -.

Seulement, l‟analyse dans ce travail va être plus axée sur les problèmes éthiques de la
« révolution biotechnique ». Cela n‟est pas un choix personnel. En fait, dans son
argumentation, Fukuyama s‟est plus affairé à montrer les difficultés, mieux les problèmes

267
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 23.
268
A. L. TSALA MBANI, Biotechnologies et Nature Humaine. Vers un terrorisme ontologique ?, p. 13.
96

éthiques que juridique de la « révolution biotechnique ». Ceci étant précisé, qu‟en est-il de ces
problèmes éthiques ?

D‟un point de vue éthique, la révolution neuropharmacologique est d‟après Fukuyama,


sujette à caution. Certes, celle-ci constitue un progrès dans le domaine de la santé mentale,
mais les psychotropes qu‟elle produit peuvent être détournés pour des fins non thérapeutiques.
Ces produits peuvent être utilisés non pas pour soigner une maladie mentale, mais juste pour
des besoins de mieux être. À ce sujet, Fukuyama regarde le prozac avec méfiance. Pour ce
dernier, « l’existence du prozac ouvre malheureusement la voie à ce que Kramer appelait
justement la « pharmacologie cosmétique », c’est-à-dire la prise d’une drogue non pour sa
valeur thérapeutique, mais simplement parce qu’avec elle, on se sent « mieux que bien » »269 .
Cette crainte d‟un usage non thérapeutique des psychotropes est aussi perceptible chez
Pegguy Larrieu.

En fait, pour Pegguy Larrieu., la flexibilité du concept de santé promue par l‟organisation
mondiale de la santé est une voie ouverte pour un usage non thérapeutique des produits de la
neuropharmacologie. En 1946, l‟Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définissait la santé
comme « un état de complet bien-être physique, mental et social qui ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d‟infirmité ». Une telle définition s‟éloigne du sens
classique de la médecine. Depuis son origine, la médecine avant tout était concentrée sur la
notion de soins et le traitement de maladies. On comprend que dans son sens classique, la
médecine considérait la santé comme l‟absence de maladie. Or comme il a été dit, cette
conception a connu une réorientation. Cette réorientation du sens de la santé implique l‟idée
selon laquelle, la santé n‟est plus simplement l‟absence de maladie, mais intègre aussi l‟idée
de bonheur de l‟individu.

Cette mutation permet de l‟avis de Pegguy Larrieu, à ce qu‟ « un usage non strictement
thérapeutique des neuroscience […] est concevable. »270 C‟est dire que ces techniques
peuvent être détournées de leur fonction thérapeutique et être utilisées non pas pour soigner,
mais pour améliorer. Or, pour cet auteur, « le problème vient du fait qu’à travers les avancées

269
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 92.
270
P. LARRIEU, « Les enjeux éthiques de la neuroamélioration », in Médecine et Droit, Vol 2014, N0 126,
2014, p. 62.
97

de la neuropharmacologie, on assiste à une médicalisation de la société […] qui soulève des


questionnements éthiques considérables.»271

Ainsi, la révolution neuropharmacologique pour bénéfique soit-elle, pourrait soulever des


problèmes éthiques si tant est que les psychotropes issus de cette révolution peuvent être
détournés à des fins non thérapeutiques. Une telle possibilité laisse voir que cette révolution
pourrait être porteuse de risque pour la personne humaine.

La lutte contre le vieillissement, effectuée au moyen de la « révolution biotechnique »


n‟est pas aussi de l‟avis de Fukuyama éthiquement salubre. Il faut comprendre par-là que cette
lutte recèle quelques problèmes d‟ordre éthique. Tout d‟abord pour ce dernier, une telle lutte
s‟éloignerait de la nature, dans la mesure où elle conduirait inéluctablement à un changement
par rapport à la relation de l‟Homme vis à vis de la mort. Pour Fukuyama, avec la « révolution
biotechnique », la mort est « considérée […] non comme un aspect naturel et inévitable de la
vie , mais comme un mal évitable tel que la poliomyélite ou la rougeole »272 Ainsi, pour ce
dernier, la mort dans le milieu technoscientifiquement déterminé ne serait plus une fatalité.
Cela se justifie par le fait que dans cet univers, l‟Homme pourrait utiliser la « révolution
biotechnique » pour demeurer jeune et repousser la mort, mieux à devenir immortel.

Cette position de Fukuyama s‟inscrit dans la lignée bioconservatrice273qui présente la lutte


contre le vieillissement, comme étant une négation de la nature par l‟Homme. Pour les
défenseurs de cette position, la quête de la prolongation de la vie risque de nous faire perdre la
cohérence de l‟ordre naturel. Pour ceux-ci, la vieillesse et la mort seraient des aspects naturels
et inévitables de la vie.

Au total, pour Fukuyama, tout comme les épigones du bioconservatisme, la fin d'une vie
humaine fait autant partie de la vie que son commencement. C'est en partie cette finitude qui
caractérise l‟Homme. Donc, selon l'argument de la nature, l'utilisation de ces grandes
technologies pour l‟éradication du vieillissement n'est pas éthiquement acceptable.

La quatrième voie par laquelle s‟exprime la « révolution biotechnique » recèle aussi des
écueils éthiques. Le principal écueil de cette voie est selon Fukuyama la survivance de

271
Id.
272
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 134.
273
Nous faisons ici référence au bioconservatisme qui est une tendance qui s‟oppose à toute manipulation
biotechnique de la « nature humaine ».
98

l‟ « eugénisme »274. Pour Fukuyama, « l’ingénierie génétique remet carrément l’eugénisme à


l’ordre du jour »275. Il le précise en ces mots : « L’ingénierie génétique […] soulève
directement la perspective d’une nouvelle sorte d’eugénisme, avec toutes les implications
morales et historiques dont ce terme est chargé »276 . Ainsi dit, la « révolution biotechnique »
la plus révolutionnaire ouvre la voie à une nouvelle forme d‟ « eugénisme »277. De fait,
l‟application du génie génétique dans le domaine du thérapeutique ou de la reproduction est
frappée par le sceau de l‟idéal de sélection, de correction, et de choix qui caractérise
fondamentalement l‟ « eugénisme ».

Ce projet d‟eugénisme ou de sélection de l‟Homme au moyen des biotechniques a été


défendu par le biologiste Alexis Carrel. Il s‟est présenté comme un laudateur de la substitution
de la sélection artificielle à la sélection naturelle, ceci au moyen de la science. Ainsi, Carel a
assigné à la science une mission de sélection en vue de parfaire l‟humanité. Laurent
Mucchielli, dans son analyse de l‟eugénisme d‟Alexis Carrel a présenté avec perspicacité
cette mission assigné par Carel à la science. Laurent Mucchielli fait comprendre que pour
Alexis Carel,

le moment est venu d’employer la science à notre progrès […]. Aujourd’hui, grâce à
la connaissance des lois de l’hérédité et à une utilisation rationnelle des facteurs
physiques, chimiques et mentaux qui agissent sur la formation de l’individu, ce rêve
est devenu réalisable. La science peut aider à l’épanouissement des tendances innées
de chaque individu (…). La société moderne a besoin des surhommes […]. Le but
ultime de la science doit être non pas la maîtrise du monde matériel, mais la
construction d’hommes civilisés278

Ces propos de Carrel montrent à suffisance que ce dernier a été un promoteur des
pratiques eugénistes au moyen de la science. Or pour Fukuyama, la possibilité de sélection
que donne l‟ingénierie génétique à l‟Homme démontre le caractère déshumanisant de cette
« biotechnique ».

Les thérapies génétiques qui sont améliorées grâce aux génies génétiques pour
thérapeutiques qu‟elles soient, sont une porte ouverte à la possibilité de correction des tares
274
Le concept « eugénisme » a été inventé par Francis Galton en 1883 ; étymologiquement, l‟eugénisme désigne
la science des bonnes naissances.
275
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 159.
276
Ibid., p. 137.
277
L‟eugénisme n‟est plus défendu par des idéologies totalitaires, n‟est plus conçu comme un programme
étatique et centralisé de création d‟un homme nouveau. Ce phénomène relève désormais en grande partie du
choix individuel.
278
L. MUCCHIELLI, « Utopie élitiste et mythe biologique : l‟eugénisme d‟Alexis Carrel », in Revue Esprit :
Les France de Péguy et Jeanne d’Arc, N0 12, décembre 1997, p. 76.
99

génétiques. Á ce niveau, il faut comprendre que l‟ingénierie qui sous-tend le développement


des thérapies géniques peut offrir la possibilité à l‟Homme de corriger les erreurs naturelles
liées à sa dotation génétique. C‟est en ce sens qu‟il faut comprendre cette réflexion de Pierre-
Olivier Arduin : « Les nouvelles techniques de l’ingénierie génétique permettent d’espérer
que l’on pourra arriver à corriger, très tôt dans le développement fœtal, les erreurs présentes
dans un génome particulier, évitant ainsi une maladie d’apparaître »279. Á partir de ces
nouvelles techniques, des gènes endommagés pourront être remplacés dans l‟embryon par des
gènes sains.

Gilbert Hottois pour sa part, perçoit cette thérapie comme préventif et curatif. Par
conséquent, selon lui, celle-ci vise à traiter ou à prévenir des maladies graves. Néanmoins,
cette nouvelle forme de thérapie, surtout celle germinale, est capable de modifier
irréversiblement la dotation biologique du patient. Dans ce contexte, l‟action génétique
devient de plus en plus problématique dans son sens thérapeutique et c‟est de là que se posent
des problèmes éthiques.

Le domaine de la reproduction au moyen des « biotechniques » implique aussi cette idée


d‟ « eugénisme ». Ici, on observe que les techniques de l‟ingénierie génétique donnent aux
parents la possibilité de choisir les caractéristiques génétiques de leur progéniture. Cette
possibilité nourrit en l‟Homme le rejet de l‟imperfection. C‟est ainsi, qu‟on assiste dans le
cadre de la reproduction à une obsession pour l‟enfant parfait. Cela a fait dit au Pape Benoît
XVI cité par Pierre-Olivier Arduin que : « Dans les pays développés grandit l’intérêt pour la
recherche biotechnologique plus pointue, pour instaurer des méthodes d’eugénisme, subtiles
et étendues, jusqu’à la recherche obsessionnelle de l’enfant parfait. »280 Ainsi, d‟après Benoît
XVI, « Une nouvelle vague d’eugénisme discriminatoire est approuvée au nom d’un soi-
disant bien être des individus. »281

Cette précision sur le fondement de ce nouveau type d‟ « eugénisme », montre que cette
dernière relève moins du pouvoir de l‟État que du choix personnel de l‟individu. C‟est ce que
Habermas a appelé l‟ « eugénisme libéral » et que Michel Onfray a conceptualisé comme
étant l‟ « eugénisme libertaire ». Il s‟agit d‟un « eugénisme » qui se fonde sur la liberté
individuelle : ici, d‟une part, les parents sont libres de choisir les caractéristiques qu‟ils

279
P.-O. ARDUIN, Le diagnostic prénatal en question. Un éclairage éthique pour parents et soignants, Paris,
Éditions de l‟Emmanuel, 2012, p. 11.
280
BENOÎT XVI, Discours à l’assemblée générale de l’Académie pontificale pour la vie, 24 février 2007, cité
par P.-O. ARDUIN, Ibid., p. 46.
281
Id.
100

désirent pour leurs enfants ; et d‟autre part, les parents sont libres de choisir la voie, mieux la
manière par laquelle ils désirent se reproduire. Cette seconde liberté va conduire à la
dissociation du plaisir sexuel avec la procréation. La « révolution biotechnique » a rendu
possible la procréation médicalement assistée. La procréation ne nécessite plus la copulation
entre un homme et une femme. Quelques instruments suffissent pour recueillir le matériau
germinal humain responsable de la procréation, c‟est-à-dire de l‟ovule de la femme et du
spermatozoïde de l‟homme ; les mettre en contact dans un protocole de laboratoire, bien
défini pour faire advenir au monde un enfant.

Seulement, pour Michel Tereschenko cette intervention de l‟Homme dans la procréation


est non éthique. Car d‟après lui, l‟Homme est le fruit de la conception entre l‟union naturelle
et authentique de deux personnes hétérogènes, un homme et une femme ; et non une
fabrication technicienne dans un tube à essai. Parlant de la procréation médicalement assisté,
il a relevé à cet effet que :

Celle-ci déshumanise la procréation, qui perd son caractère naturel. La logique


instrumentale de la domination technicienne de l’homme intervient dans ce qu’il y’a
de plus sacré dans la nature, à savoir la vie. La vie est fondamentalement un don, et
ne peut être, par définition, un dû, un droit Ŕ quel droit le non-être a-t-il de
l’être ?282

Succinctement, la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » présente


inéluctablement un ancrage bioéthique. En fait, celle-ci met à nue les problèmes bioéthiques
que peuvent créer les « biotechniques ». Cette critique vise la protection de l‟Homme contre
les « biotechniques » qui de l‟avis de Fukuyama peuvent influer négativement sur l‟humanité
de ce dernier. Il s‟agit clairement pour lui de « Soumettre la technique à des fins
humaines »283, car chaque nouveau pouvoir de l‟Homme destiné à améliorer l‟existence de
l‟Homme peut également se retourner vers une direction opposée Ce lien qui existe entre la
critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » et la bioéthique, montre que cette
critique peut constituer un antidote contre un scientisme béat.

282
M. TERESTCHENKO, Philosophie politique, Paris, Hachette, 1994, p. 192.
283
L. MUMFORD, Technique et civilisation (1934), traduit de l‟américain par Natacha Cauvin et Anne-Lise
Thomasson, Paris, Le Seuil, 1950, p. 18.
101

B- L’entreprise critique de Fukuyama comme antidote contre un scientisme béat


Le scientisme est perçu comme la croyance en la toute-puissance de la science. L‟attitude
de Fukuyama envers la « révolution biotechnique » est une invite à l‟humanité à prendre
conscience du caractère ambivalent de la « révolution biotechnique ». Cette ambivalence de la
« révolution biotechnique » est subséquente du fait que celle-ci peut être à la fois positif –
avoir des avantages - et négatif – avoir des inconvénients -. Fukuyama exprime cette pensée
en ces termes :

L’une des raisons pour lesquelles je ne suis pas si optimiste est que, contrairement à
d’autres progrès scientifiques , les biotechnologies Ŕ Fukuyama utilise de manière
indifférenciée les mots, biotechnique et biotechnologie Ŕ mélangent des avantages
manifestes et des inconvénients subtils dans une même enveloppe284.

Il apparaît que pour Fukuyama, la « révolution biotechnique » renferme des potentialités


ambivalentes qui peuvent être à la fois humanisantes et déshumanisantes ; et dont les
conséquences ou incidences pourraient être catastrophiques pour l‟humanité. Il n‟est pas
question pour lui de percevoir la science comme le mal absolu, mais d‟encourager l‟Homme à
faire preuve de plus de lucidité avec la science ; car celle-ci est capable du meilleur comme du
pire. À cet effet, sa critique de la « révolution biotechnique » constitue un catalyseur pour la
sortie de l‟Homme du scientisme.

En fait, la « révolution biotechnique » fruit du développement technoscientifique de


par son pouvoir et ses exploits va être considérée comme la condition sine qua none de la
libération de l‟Homme des chaînes de la nature. Cela rappelle la position d‟un Berthelot qui
saisissait déjà la science comme la bienfaitrice de l‟humanité. La technoscience, se présente
comme le moteur de développement social. Mieux encore, elle se présente comme un moyen
incontournable pour le décollage des sociétés modernes. En effet, c‟est elle qui procure à
l‟Homme une plus grande maîtrise de la nature.

La science est pour cela admise comme voie du salut des sociétés, dans la mesure où
c‟est elle qui a permis à l‟occident d‟être développé et de dominer le monde jusqu‟à nos jours.
Dans cette logique, Marcien Towa faisait déjà remarquer que c‟est la science et la technique
modernes qui constituent le secret de la puissance occidentale et de leur emprise absolue sur
le monde. La technoscience a permis aux sociétés modernes de maîtriser la nature, la
transformer, la manipuler à leurs guises, suivant leurs désirs, leurs besoins et leurs aspirations.

284
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 26.
102

Cette relation de causalité existant entre la science et le développement des sociétés va


encourager Marcien Towa à faire preuve d‟optimisme technoscientifique. De fait, pour le
philosophe camerounais, la sortie du continent africain de la raque de l‟histoire est
nécessairement conditionnée par l‟acquisition du secret de l‟occident – la science- par les
africains. Pour Marcien Towa, la libération et le développement de l‟Afrique dépend
inéluctablement de l‟adoption et la promotion de la rationalité technoscientifique par les
africains. Pour le penseur camerounais,

notre liberté, c’est-à-dire, l’affirmation de notre humanité dans le monde actuel,


passe par l’identification et la maîtrise du principe de la puissance européenne ; car
si nous ne nous approprions pas ce principe, si nous ne devenons pas puissants
comme l’Europe, jamais nous ne pourrons sérieusement secouer le joug de
l’impérialisme européen. Par là nous sommes conduits à adopter une attitude
positive, une attitude d’ouverture à l’égard de la civilisation européenne justement
pour nous libérer de la domination européenne285.

Il se dégage de cette pensée de Marcien Towa une idée principale : la rationalité


technoscientifique est un facteur déterminant pour la libération et le développement de
l‟Afrique. Si Marcien Towa pense cela, c‟est parce que la science, fruit de la rationalité
technoscientifique est un savoir-pouvoir. À ce titre, les grandes innovations faites au sein des
sociétés modernes ont pu s‟accomplir que grâce à la technoscience. Celle-ci est donc la
modification d‟un savoir théorique. Car, désormais, la science a cette capacité de transformer
et d‟innover, selon les désirs et les besoins de l‟Homme dans son milieu. C‟est la raison pour
laquelle Albert Jacquard, faisait déjà remarquer que :

Repousser l’obscurantisme, s’affranchir de vieux mythes, renoncer aux solutions


lâches, observer enfin un univers qui nous entoure avec un regard ouvert et lucide,
de le dominer en le connaissant mieux, agir sur lui, le transformer, l’asservir,
prendre en main l’avenir de l’homme, tout cela allait être possible grâce aux progrès
scientifiques 286

S‟inscrivant dans la même perspective, Mouchili Issoufou Soulé Njimom écrit :

L’heureuse réception de la technoscience se justifie en ceci qu’elle est la


manifestation d’un pouvoir développé par l’homme aujourd’hui. Car par la
technoscience, l’homme sait, il possède, il crée, il invente et il transforme son
univers. Ce pouvoir réside en ceci que la création d’un univers où les artifices

285
M. TOWA, op.cit., pp. 55-56
286
A. JACQUARD, op.cit., p.7.
103

rendent notre existence confortable, nous amène à fonder l’espoir d’un avenir
meilleur dans la technoscience287

La technoscience se propose donc d‟améliorer les conditions de vie de l‟Homme dans la


société. En ce sens, elle est un devoir d‟existence. À partir de là, nous pouvons comprendre
que le développement des sociétés modernes ne peut s‟effectuer en marge de la
technoscience. La technoscience est perçue comme la « boussole des temps modernes ».
Grâce à la technoscience, l‟Homme a un meilleur accès à l‟intelligibilité de l‟Homme et du
réel. En fait, on ne peut donc pas s‟enfermer dans une pensée discursive et théorique pour
affirmer ce qu‟est le réel. Lorsqu‟on a cessé de croire, par exemple, que le corps n‟est qu‟une
machine et qu‟il y‟ a un esprit immatériel qui serait le principe moteur de l‟action humaine, on
revient à la nature biologique de l‟Homme pour comprendre que le biologique en tant que
matière est faillible. Et pour cette raison, on ne peut avoir qu‟une acception statistique ou
probabiliste du réel 288.

C‟est dire que pour les laudateurs de la technoscience, l‟épanouissement et le bonheur de


l‟humanité passent nécessairement par les réalisations issues de la technoscience – conception
contemporaine de la science - dans son aspect « biotechnique ». Dans un tel contexte, le
progrès de l‟humanité, entendu comme accomplissement de l‟Homme est tributaire du
développement technoscientifique. Ce rôle que joue la technoscience dans la réalisation du
progrès de l‟humanité n‟est pas ignoré par Gilbert Hottois : « S’agissant de l’homme comme
maître de son auto-accomplissement historique, les sciences et les techniques seront de plus
289
en plus sollicitées comme les instruments de cet accomplissement anthropologique » .Ce
propos de Gilbert Hottois est une actualisation de la conception cartésienne de la mission de la
technique.

De fait, c‟est dans ce sens que s‟inscrivait le projet technique chez Descartes. Pour le père
de la modernité philosophique – selon les francophiles –, la technique était vouée à assurer à
l‟Homme la maîtrise et la domination de la nature ; à lui permettre d‟exploiter la nature de
telle sorte que celle-ci puisse répondre à ses attentes, à ses besoins, à ses aspirations vitales.

C‟est cette quête du bien-être et du confort liés aux conditions existentielles qui
guide et oriente les fins et les productions de la technique. À travers la médecine moderne,

287
I. S. MOUCHILI NJIMOM, Penser la philosophie à l’ère des technosciences, Paris, L‟Harmattan, 2012, p. 8.
288
I. S. MOUCHILI NJIMOM, De la signification du monde et du devenir de l’existence. Paris, L‟Harmattan,
2017, p.15.
289
G. HOTTOIS, « Le progrès. De la temporalité historico-anthropothéologique et symbolique à la temporalité
technoscientifique et évolutionniste », in Revue théologique et philosophique de Laval, N0 46, 1990, p. 341.
104

d‟ailleurs essentiellement technicisée, on est à même d‟anticiper sur des possibles


malformations des futures nés. D‟où l‟existence des systèmes de diagnostic prénatal pour
pouvoir permettre aux futures bébés d‟éviter les interventions chirurgicales à risques.

Aussi, à travers la médecine moderne, l‟Homme peut se faire soigner, se faire opérer à
l‟aide d‟appareils sophistiqués, etc. Par ailleurs, grâce à la science, l‟Homme parvient à
maîtriser son sol et son sous-sol. Cette maîtrise lui permet d‟éviter une existence en quête de
nourriture. Avec ce savoir-pouvoir qu‟est la technoscience, les tâches agricoles, la création
des possibilités de rentabilisation, d‟industrialisation et de commercialisation, sont désormais
possibles. Il s‟agit de comprendre que le telos des productions techniques n‟est rien d‟autre
que le mieux-être de l‟Homme. Et Pierre Ledoux Ndii peut dire :

La science moderne résout les problèmes de santé, augmente les richesses, entraîne
la croissance et le développement sur toutes ses formes. Ainsi, elle rend les
conditions de vie des hommes favorables à leur épanouissement. Elle est la preuve
de la réussite de l’homme et de la prise en mains de sa vie sur terre290.

Au total, la « révolution biotechnique » en tant qu‟une variante de la technoscience


constitue un instrument au service de l‟Homme, en vue de la maîtrise et de la possession de la
nature par ce dernier. Issoufou Soulé Mouchili Njimom affirme dans ce sens que : « on se
rend compte que les sciences sont fortes […]. Par la science l’homme se reconnaît comme
maître de son destin.»291

Certes, les biotechnologies ou « biotechniques » ont une portée révolutionnaire, au regard


des capacités de transformation et d‟amélioration de la vie qu‟elles offrent à l‟humanité, des
nouveaux produits et services qu‟elles génèrent. Mais de l‟avis de Fukuyama, la « révolution
biotechnique » n‟est pas seulement favorable à l‟Homme, il se pourrait qu‟elle soit
destructrice et manipulatrice aussi bien de la nature que la nature humaine. Les sciences sont
certes au service de l‟humanité, mais aussi, le danger est présent. Car, le développement des
sciences, tout en rendant un grand service à l‟humanité l‟entraine dans un gouffre qui ne dit
pas son nom. C‟est dans ce sens que Fukuyama a présenté la fin de l’homme comme la
conséquence de la « révolution biotechnique ».

290
P. L. NDII, « Innovation technoscientifiques : une réflexion sur la compétence et la concurrence », in I. S.
MOUCHILI NJIMON et L. A. MANGA NOMO, op.cit., p. 162.
291
I. S. MOUCHILI NJIMON, « Existe-t-il une nature humaine inviolable », La Nature Humaine. Des débats
métaphysiques aux technosciences du vivant et des postulats de la modernité politique et étatique, p. 20.
105

Toutefois, il conviendrait de relever que Fukuyama n‟encourage pas à une phobie


exacerbée de la « révolution biotechnique », pour lui, l‟Homme doit être amené à la
considérer et à l‟utiliser avec une grande prudence et à mettre en avant les aspects éthiques
qui en ressortent. Dans cette optique, il devrait recourir à leur conscience éthique et s‟efforcer
de concilier l‟utilisation des produits de la « révolution biotechnique » avec l‟exigence de
respect des valeurs d‟humanité. De ce fait, de nos jours, l‟Homme devrait être « éthiciser »
pour sauver et préserver la dignité de l‟Homme, la sacralité de la vie. Cette éthicisation de
l‟Homme a pour but de l‟amener à éviter un mésusage des produits de la « révolution
biotechnique ». Ainsi, la vie toute entière de l‟Homme devrait être un combat, non pas pour
dissoudre ou rejeter les sciences, ses productions et ses manifestations, mais un combat pour
sauvegarder son humanisation et son intégrité ; car, c‟est par la science que l‟Homme
manifeste son humanité.

En somme, l‟entreprise critique de Fukuyama à l‟encontre de la « révolution


biotechnique » n‟est pas une invite à sombrer dans la phobie technologique, mais un appel à la
nécessaire prise de conscience du caractère ambivalent de la « révolution biotechnique », d‟où
la nécessité de reconnaître que cette entreprise de Fukuyama est un antidote contre le
scientisme béat. Cette critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » constitue aussi
un projet de recentration de l‟Homme dans le technobiocosme.

C- Fukuyama et l’idée d’une recentration de l’Homme dans le « technobiocosme »


La « révolution biotechnique » critiquée par Fukuyama fait partir de la révolution
technoscientifique dont parle Gilbert Hottois. Cette révolution de par son caractère opératoire
a permis à l‟Homme de refaire le cosmos à son image. Ce nouveau cosmos est saisi par
Gilbert Hottois comme étant le « technobiocosme ». Par « technobiocosme », Hottois entend
le nouveau visage que prend l‟univers, l‟environnement ou le cadre de vie de l‟Homme, sous
l‟influente omniprésence des productions technoscientifiques, dans la mesure où la profusion
des gadgets technologiques et leur constitution en réseaux interconnectés constituent l‟une des
caractéristiques fondamentales de la civilisation scientifico-technique contemporaine. Cette
omnipotence de la technoscience conduit le philosophe belge à reconnaître que

la technique est devenue une partie de notre vie […] Nous vivons entièrement sur
le mode de la technique […] Lorsqu’une chose est devenue à ce point omniprésente
qu’elle se confond avec l’air même que l’on respire, il est extrêmement dangereux
106

de l’ignorer, de la négliger ou même de simplement la banaliser en ne l’évaluant


pas d’une façon correcte292.

Ainsi, le « technobiocosme » est donc le nouvel univers créé par l‟Homme, c‟est le
milieu technoscientifique dans lequel ce dernier vit. Dans ce nouveau milieu, il y‟a eu
renversement de l‟ordre naturel au moyen de la technoscience, au profit d‟un univers
technicisé et artificiel. Cette puissance transformatrice de la technoscience a conduit Francis
Fukuyama a présenté la science comme étant le moteur de l‟Histoire.

En fait pour ce dernier, la science fait partie des éléments qui animent le processus
historique. C‟est ce qui justifie cette affirmation de Fukuyama parlant des moteurs de
l‟Histoire : « L’évolution des sciences naturelles modernes (avec les techniques qu’elles
engendrent) m’apparut comme un de ses principaux moteurs »293. Pour lui, la science et la
technique font partir des éléments catalyseurs du mouvement historique de l‟humanité.

Au sein de ce nouvel univers, fruit de la technoscience, on observe une décentration de


l‟Homme qui consiste en une banalisation de ce dernier. Toutefois, pour une meilleure
compréhension de ce nouveau statut de l‟Homme dans cet univers technicisé, il serait
nécessaire de s‟intéresser à la place de ce dernier non pas dans le « technobiocosme » mais
dans le cosmos. Il s‟agit ici de faire remarquer que l‟Homme dans l‟ancien univers occupait
une place de choix, mieux une place privilégiée. Ce privilège qu‟avait l‟Homme dans cet
ancien univers n‟a pas échappé à Gilbert Hottois.

Pour ce dernier, l‟ancien univers représente, « une nature où l’homme occupe une
place souveraine et […] distincte »294 des autres êtres vivants. Cette supériorité de l’Homme
sur les autres espèces vivantes n’est pas sans fondement, car souligne Hottois, « seul de tous
les vivants, l’homme a une âme surnaturelle »295.

C‟est cette supériorité établie de l‟Homme dans l‟ancien univers qui a fait de lui un
être exceptionnel et singulier. Cette singularité de l‟Homme est ce qui consacre son
hégémonie sur les autres espèces vivantes. En fait, ici, l‟Homme est un être distinct qui mérite
respect et dignité, puisqu‟étant au sommet de la création en raison de ce dont Hottois a appelé
son âme surnaturelle.

292
G. HOTTOIS, Le signe et la technique. La philosophie à l’épreuve de la technique, Paris, Aubier-Montaigne,
1984, p. 8.
293
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 14.
294
G. HOTTOIS, De la Renaissance à la Postmodernité, p. 196.
295
Id.
107

Cependant, cette position qui fait de l‟Homme un être exceptionnel a été réfutée. Cette
réfutation est liée aux thèses évolutionnistes lamarcko-darwinienne sur la question de
l‟origine des espèces. En fait, pour Darwin à la suite de Lamarck, comme il a été signalé
précédemment dans le cadre de ce travail, l‟Homme tout comme les autres espèces vivantes
est le fruit de l‟évolution. Pour s‟en convaincre, il n‟y a qu‟à jeter un coup d‟œil sur la plume
d‟Axel Kahn qui en biologiste de formation conforte les thèses évolutionnistes sur la question
de l‟origine des espèces :

En accord avec les principes de l’évolution, l’examen des fossiles découverts en


nombre croissant et les études moléculaires portant sur la séquences d’A.D.N.
d’espèces vivantes indiquent que l’homme moderne (genre homo, espèce sapiens) est
bien, comme tous les êtres vivants, un produit de l’évolution296.

Au total, la décentration de l‟Homme qui a lieu dans le « technobiocosme » s‟explique


par le décrochage de l‟Homme de son piédestal par la thèse évolutionniste sur la question de
l‟origine des espèces vivantes. C‟est ce décrochage qui est le ferment de la banalisation de
l‟Homme dans le « technobiocosme ». De fait, c‟est en raison du fait que l‟Homme serait au
même diapason que les autres espèces que ce dernier va être décentré dans ce nouvel univers.
Dans cette logique, il n‟y a plus rien de sacré en l‟Homme. Ceci étant en quoi consiste cette
décentration ou banalisation de l‟Homme ?

À l‟opposé de la sacralisation de l‟Homme dans l‟ancien univers, on observe une


décentration de l‟Homme dans le « technobiocosme ». Ici, l‟Homme est un vivant parmi les
vivants ; c‟est un élément de la nature qui est soumis aux mêmes contraintes que celle-ci
impose à tous les vivants. Lesquels vivants sont perçus dans ce milieu comme une machinerie
cellulaire pour reprendre le biologiste Jacques Monod. La conséquence de cela est que,
l‟Homme est devenu un être technologiquement possible.

C‟est ainsi que la « révolution biotechnique » a intégré l‟Homme dans la démographie


de ces objets de manipulations. En fait, force est de remarquer avec Manga Bihina que
désormais, « tout en l’homme peut être observé, remodelé, manipulé, orienté »297. Comme
pour dire que dans le « technobiocosme », on a franchi l‟étape où l‟Homme a cessé d‟être
considéré comme sacré ; la « biotechnique » a fait de lui son objet d‟investigation et elle le
soumet à d‟incessantes manipulations.

296
A. KAHN, op.cit., p. 32.
297
A. MANGA BIHINA, « Délimiter l‟humain à l‟ère des technosciences : un défi à la Philosophie », La Re-
centration de l’Homme. Réflexions philosophiques sur la question du devenir de l’humain à l’ère des
technosciences et des postulats de la laïcité, avec I. S. MOUCHILI NJIMOM, Paris, L‟Harmattan, 2017, p. 20.
108

C‟est la même idée qui est défendue par Lucien Alain Manga Nomo qui signale
qu‟avec la « révolution biotechnique », « La personne humaine cesse, de nos jours, d’être une
fin en soi, pour devenir un moyen, un instrument que l’on peut et doit même manipuler à sa
guise. Il est chassé du centre de l’univers, il choit du sommet de la création. Aussi, perd-il sa
singularité originelle de créature de Dieu. »298.

Ce propos du philosophe camerounais montre à suffisance que, la « révolution


biotechnique » a complétement dévalué l‟Homme en faisant de lui un être manipulable,
programmable et technicisé. Elle a dévalué l‟Homme parce qu‟il n‟est plus qu‟un simple objet
d‟expérimentation, de manipulation dans les laboratoires. À cet effet, sa sacralité et sa dignité
sont désormais annihilées. C‟est à juste titre qu‟Antoine Manga Bihina en parle comme étant
une crise de l‟humain. Cette crise de l‟humain au sein du « technobiocosme » n‟a pas laissé
Fukuyama insensible qui, comme il a été démontré dans la deuxième partie de ce travail, a
effectué une critique sans complaisance de la « révolution biotechnique ».

Cette critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » telle sus-évoquée


constitue une voie vers la recentration de l‟Homme au sein du « technobiocosme ». Cette
critique met à nue la menace que constitue la « révolution biotechnique » pour la dignité
humaine. Loin de s‟arrêter à ce niveau, la critique de Fukuyama se présente comme la
recherche d‟une sagesse qui recentre l‟Homme. Concrètement, la critique de ce dernier
extériorise un essai de recentration de l‟Homme qui passe par la reconnaissance de la dignité
humaine. En fait, pour Fukuyama, l‟humanité ne devrait pas être comme « une matière
première qui a besoin d’être modifiée ou au minimum améliorée ; soit pour leur propre bien,
soit pour celui des autres »299. L‟Homme est un être sacré, et non un simple objet maniable à
la guise des progrès « biotechniques ».

On comprend pourquoi Fukuyama s‟insurge contre l‟anti-spécisme d‟un Peter Singer


qui s‟offusque du fait que l‟Homme soit considéré comme l‟être qui mériterait le plus la
dignité que les autres êtres vivants. La discrimination spéciste est fondé sur un ensemble de
caractéristiques reconnue comme le propre de l‟espèce humaine. Il s‟agit entre autre de :
l‟intelligence, la capacité de faire des jugements, la raison.

298
L. A. MANGA NOMO, « Les raisons d‟un nouvel humanisme chez Axel Kahn », in A. MANGA BIHINA et
I. S. MOUCHILI NJIMOM, Ibid., p. 143.
299
V. PACKARD, The people shapers, futura, Londres, 1978?, cité par G. HOTTOIS, Le paradigme bioéthique,
p.120
109

Pour Singer, la discrimination spéciste qui postule un statut spécial, soit supérieur de
l‟espèce humaine sur les autres espèces n‟est pas fondée. Pour ce dernier, la théorie
cartésienne des « animaux-machines » qui fait des animaux des êtres dénués de toute
intelligence et de toute sensibilité est une contre vérité. Pour lui, les animaux ne sont pas que
de simples machines comme le pensait Descartes, ils ont aussi une sensibilité et sont à cet
effet capable de souffrir.

Comment pouvez-vous faire des choses pareilles ? Vous ne voyez donc pas que nous
avons des sentiments, que vous nous faites mal ? comment pouvez-vous prendre nos
enfants pour les tuer et les manger ? Vous ne voyez pas à quel point nous souffrons ?
Vous ne vous rendez pas à quel point vous êtes cruels et barbares ? Vous n’avez
donc aucune pitié ?300

La capacité des animaux à pâtir octroient à ceux-ci des droits tout comme aux
humains. Il est tout de moins important de noter que la reconnaissance de la sensibilité à
l‟animal par l‟Homme amène à reconnaître qu‟il serait inhumain d‟infliger des souffrances à
l‟animal. Dans cette perspective, Luc Ferry reconnaît que :

L’idée s’est imposé que la cruauté envers les animaux est plus ou moins
répréhensible. Chacun semble admettre en son for intérieur, même sans être un
fanatique de la cause animale, que le fait d’infliger des souffrances inutiles à ceux
que Michelet nommait joliment nos « frères inférieurs » est en quelque façon
« inhumain ».301

C‟est justement cette mise au même diapason entre l‟Homme et les animaux et ce déni
de leurs « droits » - impulsés par Darwin - qui encourage la manipulation « biotechnique » de
l‟Homme. Or, pour Fukuyama, n‟en déplaise à l‟épigone du droit des animaux qu‟est Singer,
le statut privilégié de l‟Homme n‟est pas une chimère ou une fabulation de ce dernier. C‟est
une telle thèse que Fukuyama prend le risque de défendre dans son analyse du rapport entre
les animaux et l‟Homme :

Ainsi, ce qu’un partisan des droits de l’animal comme Peter Singer appelle
speciesism n’est pas nécessairement un préjugé ignorant et complaisant de la part
des êtres humains, mais une croyance à propos de la dignité humaine qui peut être
défendue sur la base d’une conception de la spécificité humaine empiriquement
fondée302.

300
R. D. PRECHT, op.cit., p. 279.
301
L. FERRY, « L‟Europe des nations face aux droits des animaux », in D. NOBLE et J.-D. VINCENT, op.cit.,
p. 66.
302
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 260.
110

Pour Fukuyama, la notion de dignité humaine n‟est pas une notion chimérique et
mérite d‟être défendue. Dès lors, il place l‟Homme comme et seulement une fin non comme
un moyen ; une dignité qui n‟a pas de prix, un être qui doit être extirpé de toutes
manipulations, de toutes instrumentalisations « biotechniques ». Bref, il considère l‟Homme
comme un être qui devrait être écarté de la logique du tout scientifiquement possible. Cette
nécessité de la défense de la dignité humaine est partagée par Axel Kahn. Il le traduit en ces
mots : « La notion de dignité…reste pour moi l’objectif majeur de la démarche et de la
réflexion éthique, qui doit être précisée mais aussi, inlassablement, défendue. »303. Cette thèse
est une invite à un refus de la banalisation l‟Homme par les « biotechniques ». La dignité de
l‟Homme devrait donc nécessairement impliquer le respect et la prise en considération de sa
personne car « respecter l’autonomie de la personne, sa liberté et par là sa dignité commande
entre autre d’accepter ce trait primordiale de la condition humaine »304.

Ainsi, au terme de ce chapitre, il apparaît que la critique fukuyamienne de la


« révolution biotechnique » représente un projet de recentration de l‟Homme dans le
« technobiocosme » ; car celle-ci se propose de promouvoir la dignité humaine dans un milieu
où l‟Homme n‟échappe pas à la loi de Gabor, selon laquelle tout ce qui est techniquement
faisable doit être réalisé. Il faut comprendre par-là que, cette critique conduit à une prise de
conscience de la nécessité de sauvegarder la « capacité éthique » de l‟Homme. Dominique
Janicaud dit dans ce sens que « tout ce qui est techniquement faisable doit être réalisé, que
cette réalisation soit jugée moralement bonne ou condamnable. Rien de ce qui est
techniquement faisable ne doit être réalisé s’il met gravement en péril ou supprime la
capacité éhique de l’humanité. »305 Il est donc évident que le pouvoir de la « révolution
biotechnique » est limité par les exigences du bien de l‟humanité. Autrement dit, quel qu‟en
soit le pouvoir de nos connaissances, il ne faut pas que celles-ci soient utilisées contre
l‟humanité de manière à détruire sa capacité éthique. Toutefois, au-delà de tous ces mérites
de la position de Fukuyama, celle-ci n‟a-t-elle pas des écueils ?

303
A. KAHN, op.cit., p. 14.
304
P. DESCAMPS, « Misères du débat institutionnel : l‟exemple du clonage reproductif humain et de son
traitement éthique par le CCNE », in Revue de métaphysique et de morale, No 3, Paris, P.U.F, Juillet 2010,
p.320.
305
D. JANICAUD, La puissance du rationnel, Paris, Gallimard, 1985, p. 146.
111

CHAPITRE VI : LES PROBLÈMES LIÉS Á LA CRITIQUE


FUKUYAMIENNE DE LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE »

Le précédent chapitre a mis en relief l‟intérêt philosophique de la critique


fukuyamienne de la « révolution biotechnique ». Toutefois, ces mérites à eux seuls ne
suffissent pas pour mettre la pensée de ce dernier à l‟abri de toute critique. En fait, une
lecture patiente et attentive du texte de Fukuyama dans lequel il opère sa critique de la
« révolution biotechnique » montre que cette critique est problématique. Ainsi, ce chapitre est
exclusivement consacré à la mise en exergue des difficultés ou des problèmes relatifs à la
critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique ». Il est question ici de dire en quoi
certains aspects de cette critique sont problématiques. La réalisation de cet objectif nécessite
dans un premier moment un arrêt sur les écueils liés à la conception fukuyamienne de la
nature humaine ; dans un second moment une escale sur les problèmes de l‟argumentation de
ce dernier dans sa critique. Et enfin la mise en évidence des implications idéologiques ou le
démocratisme libéral sous-tendu dans cette critique fukuyamienne de la « révolution
biotechnique ».

A- Des écueils liés à la conception fukuyamienne de la nature humaine


Il a été souligné dans ce travail que la pierre angulaire de la critique fukuyamienne de
la « révolution biotechnique » est la nature humaine. Pour Fukuyama, ce qui est en jeu et
l‟enjeux de la « révolution biotechnique », c‟est la nature humaine. Cela n‟est pas un fait du
hasard si ce dernier considère la nature humaine comme l‟enjeu ultime de cette révolution.
C‟est en raison du fait que pour ce critique du mouvement transhumaniste, la nature humaine
constitue à la fois le fondement de la dignité humaine et des droits de l‟Homme. Cela étant
précisé en quoi consiste cette nature humaine chez Francis Fukuyama ?

Pour ce dernier, l‟attitude de Paul Ehrlich à vouloir percevoir la nature humaine


comme un concept dénué de sens est problématique. Fukuyama reconnaît que la nature
humaine a une signification. Pour lui, « la nature humaine est la somme des comportements et
112

des caractéristiques qui sont typiques de l’espèce humaine ; elle naît des facteurs génétiques
plutôt qu’environnementaux »306.

Cette définition laisse voir que la nature humaine serait à ce compte un ensemble de
caractéristiques biologiques et génétiques propres à l'espèce humaine et distincte des autres
espèces. En fait, « chaque membre de l’espèce humaine possède une dotation génétique
globale, qui lui permet de devenir un être humain global, dotation qui distingue un homme
dans son essence des autres types de créatures »307. Comme pour dire que la nature humaine,
soit la nature de l‟Homme ou de l‟espèce humaine est tributaire de la dotation biologique de
ce dernier. Dès lors, on comprend que la nature humaine a pour moule la dotation biologique
de l‟Homme, soit son génome. Ce génome est défini en biologie sur le prisme de l‟individu et
de l‟espèce. Ainsi, il renvoie d‟une part à la somme des caractéristiques génétiques d‟un
individu ; et d‟autre part à l‟ensemble des caractéristiques génétiques communes à l‟espèce
humaine. C‟est à juste titre qu‟Anne-Laure Morin Villiers-Moriamé saisie le génome humain
comme le suppôt de la nature humaine.

Pour elle, « le génome serait donc l’équivalent de la forma médiévale : à la fois


révélateur de l’identité d’un individu ( de ses caractéristiques propres) et l’attachant à son
espèce, c’est-à-dire à l’essence, à la nature de l’homme.»308 Il appert dans cette perspective
que le génome humain a été sanctuarisé comme étant l‟identité humaine. Ce génome de l‟avis
de Fukuyama, comme il a été dit influence sur le comportement de l‟Homme et constitue
aussi l‟essence de l‟espèce humaine.

Cependant, il faudrait réitérer comme il a été dit dans la première partie de ce travail
que Fukuyama ne néglige pas l‟impact de l‟environnement sur le comportement. Dans un tel
contexte, la nature humaine serait intimement liée à la génétique et à l‟épigénétique. Il s‟agit
ici de faire remarquer que pour ce dernier, la nature humaine est résultante de l‟action des
gènes de l‟Homme et de son environnement ; mais une telle interaction entre les gènes et
l‟environnement n‟empêche par Fukuyama de reconnaître le primat du gène pour la
détermination de la nature humaine et par ricochet du comportement de l‟Homme. Pour ce
dernier, « le point important n’est donc pas de savoir si l’environnement affecte le type de
comportement et les caractéristiques qui sont typiques de l’espèce humaine, mais à quel

306
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 2 31.
307
Ibid., p. 302.
308
A.-L. MORIN VILLIERS-MORIAMÉ, La déclaration Universelle sur le génome Humain et les droits de
l‟Homme (UNESCO,1997), étude juridique, thèse soutenue à l‟Université PARIS 12-VAL DE MARNE en vue
de l‟obtention du Doctorat en droit, Sous la direction du professeur Gérard TEBOUL, 2008, p. 81.
113

degrés d’intensité»309 . Or, malgré la pertinence de la thèse de la non dérivabilité nécessaire


du comportement de l‟Homme de son génotype, en raison du rôle joué par l‟épigénétique, elle
est loin de ruiner la thèse génétique que défend Fukuyama. Car même cruciale,
l‟environnement « reste plus ou moins seconde par rapport au poids spécifique de la
naturalité en nous»310. D‟où sa conception de la nature humaine fondée sur le génotype de
l‟Homme.

Cette nature humaine telle définie est de l‟avis de Fukuyama ce qui est à protéger avec
courage face à la nébuleuse « biotechnique ». Seulement cette conception fukuyamienne de la
nature humaine est chargée d‟un vice, soit celui du biologisme qui est la nouvelle figure du
matérialisme pour reprendre Luc Ferry.

En fait la conception fukuyamienne de la nature humaine se fonde sur la déviation


d‟une biologie saine qui nous renseigne sur ce que signifie être un humain. À cet effet, cette
conception de la nature humaine cède au biologisme, « c’est-à-dire l’idéologie matérialiste
selon laquelle la détermination ultime, sinon unique, de nos comportements, y compris
sociaux et culturels, serait d’origine naturelle »311. Comme pour dire que pour Fukuyama, la
dotation biologique de l‟Homme détermine le comportement de l‟Homme et est le moule de
la nature humaine. Force est de reconnaître avec Luc ferry qu‟une telle position ne rend pas
justice à l‟Homme.

Pour Ferry, un tel extrémisme est fâcheux dans la mesure où il perd « la spécificité de
l’humain au sein du règne animal »312. Laquelle spécifié n‟est rien d‟autre que la capacité de
l‟Homme à s‟auto-déterminer. Il faut comprendre par-là que la liberté est ce qui fait la
spécificité de l‟Homme. C‟est justement cette liberté qu‟annihile Fukuyama malgré lui en
adoptant le matérialisme biologique pour définir le concept de nature humaine.

Le matérialisme biologique adoptée par Fukuyama est fondamentalement déterministe.


En fait, cette conception, dans sa quête de compréhension et d‟explication du comportement
de l‟Homme et par ricochet de la nature de ce dernier se fonde sur le déterminisme génétique.
Lequel déterminisme est compris par Anne-Laure Morin Villiers-Moriamé, « comme étant

309
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 241.
310
L. FERRY, in introduction de Qu’est-ce que l’Homme ?, p. 20.
311
Ibid., p. 22.
312
Ibid., p. 24.
114

l’arrangement génétique, c’est-à-dire les caractéristiques génétiques de chaque individu


permettant de prédire son phénotype»313.

Pour une meilleure explicitation de ce qu‟Anne-Laure Morin Villiers-Moriamé


identifie à l‟arrangement génétique, elle fait comprendre que : « Cet arrangement génétique
provient de son génome jouant le rôle d’un programme, reçu par hérédité à l’instar des
autres individus humains »314. Dès lors, on comprend que le matérialisme biologique déduit,
explique le phénotype, mieux le comportement de l‟Homme à partir du génotype de ce
dernier. On comprend pourquoi Fukuyama défend mordicus que la nature humaine dépend
des facteurs génétiques qu‟environnementaux.

Or force est de reconnaître avec Luc Ferry que la nature humaine ne peut et ne doit
être considérée comme un code qui déterminerait l‟Homme. Pour ce philosophe français,
l‟Homme « est libre […] il n’est prisonnier d’aucun code naturel […] déterministe »315. Pour
le philosophe humaniste qu‟est Luc Ferry, contrairement aux animaux, l‟Homme n‟est pas
déterminé par un quelconque programme naturel. Luc Ferry se situe idéologiquement à

Un humanisme, celui qui pense qu'à la différence des animaux, l'être humain n'est
pas emprisonné dans un programme naturel, comme l'abeille qui est préformée pour
fabriquer du miel, ou mon chat pour chasser les souris, sans pouvoir jamais
s'émanciper de ce logiciel de la nature316.

C‟est dans ce même sens qu‟il faut comprendre ce propos de Fichte : « tous les
animaux sont achevés et terminés. L'homme est seulement indiqué et esquissé […] Chaque
animal est ce qu'il est ; l'homme seul, originairement n'est absolument rien. Ce qu'il doit être,
il lui faut le devenir »317. Ces propos de Fichte qui présente la différence entre l‟Homme et les
animaux, nous font comprendre que contrairement aux animaux, l‟Homme est un être dont on
ne saurait attribuer un prédicat fixe. Dans la conception fichtéenne, l‟Homme est un être en
devenir.

313
A.-L. MORIN VILLIERS-MORIAMÉ, op.cit., p. 78.
314
Id.
315
L. FERRY, in introduction de Qu’est-ce que l’Homme ?, p. 30.
316
L. FERRY, in P. MÉRITENS (de), « François-Xavier Bellamy/Luc Ferry : mais que restera-t-il des hommes
? », in Le Figaro (2016) [en ligne], Consulté le 09 Août 2021, Disponible à l‟adresse :
https://plus.lefigaro.fr/page/uid/1407132
317
J. G. FICHTE, Fondement du droit naturel selon les principes de la doctrine de la science (1796-1797),
traduit par Alain Renaut, Paris, P.U.F., collection « Quadrige », 1998, p. 95.
115

Ce point de vue ne s‟éloigne pas de celui du philosophe allemand Richard David


Precht. D‟après lui, contrairement aux animaux, l‟Homme est un existant n‟ayant aucune
substance. Contrairement aux animaux qui sont déterminés par leurs instincts, l‟Homme quant
à lui n‟a aucune détermination substantielle. Á cet effet, Richard David Precht, dans Qui suis-
je et si je suis, combien ? Voyage en philosophie, n‟a pas eu tort de nous faire savoir que «
l’homme seul en tant que simple existence ne possède aucune substance. Á la différence des
animaux déterminés par des instincts et des schémas de comportement préétablis »318. Pour
conclure sa position, il nous fait comprendre que « l’homme doit trouver seul ses modèles de
comportement »319.

Il faut comprendre par-là que l‟Homme n‟est pas un être qu‟on pourrait identifier dans
un carcan définitionnel indépassable. Dans un tel contexte, l‟Homme nie toute identité et se
présente comme un être continuellement en devenir. C‟est à juste titre que Luc Ferry fait de
celui-ci un être d‟ « anti-nature ». Il s‟agit de savoir que l‟Homme est par nature, un être
d‟ « anti-nature ». Ainsi dit, il est possible pour l‟Homme de devenir autre chose que ce qu‟il
est. Car il est en tension permanente entre l‟être et le devoir être. Dans un tel contexte,
l‟Homme ne s‟installe pas dans une définition d‟être. Il est plutôt tension d‟être pour
reprendre Luc Ferry. Une telle pensée s‟inscrit en droite ligne avec les philosophies de la
liberté humaine, parmi lesquelles l‟existentialisme sartrien.

Dans L’existentialisme est un humanisme320, Jean Paul Sartre faisait remarquer qu‟il
n‟y a pas de nature humaine, parce qu‟il n y‟ a pas de Dieu pour la concevoir. Pour ce dernier,
l‟Homme est un être pour soi ou conscient et libre. Il n‟y a donc pas de nature humaine
préconçue et prédéterminée, « l‟existence précède l‟essence. ». Ainsi, l‟Homme se fait dans le
projet qu‟il a de lui-même. Il s‟ensuit que pour Sartre, l‟Homme n‟a pas une nature qui lui
aurait été imposée à la naissance et qui lui constituerait d‟emblée. Notre nature est la
résultante de nos propres œuvres. L‟Homme est ce qu‟il se fait, mieux encore, il est la « bête
encore non fixée » pour reprendre une expression chère à Nietzche.

Ce refus de l‟existence d‟une nature humaine prédéfinie est aussi perceptible dans la
réflexion philosophique de Mouchili Njimon. Avec ce dernier, « l’homme est un être de
liberté qui ne se laisse pas déterminer par ce conditionnement biologique. L’être humain est

318
R. D. PRECHT, op.cit., P. 432.
319
Id.
320
J.-P. SARTRE, L’existentialisme est un humanisme, Paris, Gallimard, Collection « Folio », 1996.
116

capable de se révolter contre sa propre nature »321. Les marqueurs génétiques ne déterminent
pas l‟individu ; chaque individu à la capacité de se libérer des chaines des marqueurs
génétiques. C‟est par ses actes que l‟Homme dessine sa figure. On comprend dès lors que la
liberté est la caractéristique fondamentale de l‟Homme. Dès lors, la réalité humaine n‟est ni
statique, ni inerte. L‟Homme est un être essentiellement dynamique.

Le matérialisme biologique qui sert de soubassement à la conception fukuyamienne de


la nature humaine n‟est pas que déterministe. L‟autre de ses traits caractéristiques est le
réductionnisme. De fait, « tout matérialisme est, en effet, à un moment ou à un autre, un
« réductionnisme » »322. Cette accointance du matérialisme biologique avec le réductionnisme
est aussi mise en exergue par Anne-Laure Morin Villiers-Moriamé.

Pour cette dernière, « s’il est admis que le seul génome-programme détermine, il est
admissible que seul le génome-programme donne l’explication du phénotype ; nous sommes
alors en présence de la définition du réductionnisme génétique »323. Ainsi, dans le cadre de
l‟explication du comportement de l‟Homme et par ricochet de sa nature, le matérialisme
biologique opte pour une réduction du comportement de l‟Homme à la dotation biologique de
ce dernier. Toutefois, il serait nécessaire dans le cadre de ce travail de signaler que l‟écueil de
la conception fukuyamienne de la nature humaine n‟est pas seulement lié à son fondement
dans le matérialisme biologique.

La tâche consiste précisément à faire remarquer que la nature humaine qui est le
concept central de la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » a été sacralisée
par ce dernier. La mise en exergue de cette sacralisation de la nature humaine par Fukuyama
nécessite tout d‟abord un arrêt sur le concept de sacré. Ce concept de l‟avis de Danièle
Hervieu-Léger, « est une notion forgée par Émile Durkheim et l’École française de
sociologie »324. De fait, le père de la sociologie française dans sa réflexion sur Les Formes
élémentaires de la vie religieuse a pensé le concept de sacré par opposition au profane dans la
sphère des sciences sociales. Il s‟est agi pour lui de laïciser cette notion qui était plus utilisée
en théologie.

321
I. S. MOUCHILI NJIMOM, De la signification du monde et du devenir de l’existence, p.82.
322
L. FERRY, in introduction de Qu’est-ce que l’Homme ?, p.20.
323
A.-L. MORIN VILLIERS-MORIAMÉ, op.cit., p. 79.
324
D. HERVIEU-LÉGER, « Sacré », in A. AKOUM et P. ANSART (Sld.), Dictionnaire de Sociologie, Paris, Le
Robert/ Seuil, 1999, p. 466.
117

Ce sacré représentait pour Durkheim, les « choses que les interdits protègent et
isolent »325. On comprend à ce niveau que l‟idée de sacré implique l‟idée d‟interdiction ; ainsi
est sacrée toute chose dont il est strictement interdit de toucher. Ceci étant précisé, il faudrait
expliquer et exposer l‟idée d‟une sacralisation de la nature humaine chez Francis Fukuyama –
laquelle sacralisation a pour finalité la protection de celle-ci contre la « révolution
biotechnique » –.

Une lecture attentive des écrits de Francis Fukuyama dans La Fin de l’homme montre
que ce dernier effectue une sacralisation de la nature humaine pour la protéger contre la
« révolution biotechnique ». Cette sacralisation consiste à faire de la nature humaine un
élément sacré. Cette sacralité de la nature humaine se fonde sur une vision « onto-
théologique » de la nature humaine pour emprunter au vocabulaire de Gilbert Hottois. Cette
vision « onto-théologique » n‟est rien d‟autre qu‟une conception anthropologique qui adopte
une conception essentialiste de l‟Homme. Cette anthropologie défend l‟idée de la sacralité
d‟une nature humaine inamovible et non modifiable.

C‟est justement cette intangibilité de la nature humaine, en raison de sa sacralité qui


est promu par Fukuyama. C‟est à juste titre que Gilbert Hottois fait comprendre que, pour
Fukuyama, « l’ensemble des caractéristiques qui définissent naturellement et
traditionnellement l’être humain est à protéger contre les avancées biotechnologiques
susceptibles de les affecter. »326 Cette protection de la nature humaine qui implique une
interdiction de manipuler celle-ci est très importante pour Fukuyama ; car pour ce dernier,
« supprimer ou modifier en profondeur un trait reviendrait à menacer l’ensemble, c’est-à-dire
l’être humain »327.

Ainsi, pour Fukuyama, la nature humaine doit rester fixe pour que l'Homme puisse
continuer à être humain. Changer la nature humaine reviendrait tout simplement à transformer
l'Homme en autre chose que lui-même. Dans une telle perspective on comprend que pour
Fukuyama, la nature humaine constitue une limite pour les « biotechniques », car elle est
sacrée. Seulement, une telle conception de la nature humaine entre non seulement en rupture
avec les philosophies de la liberté comme il a été démontré précédemment, mais aussi à la
conception évolutionniste de la nature humaine.

325
E. DURKHEIM, Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), cité in Dictionnaire de Sociologie, G.
FERRÉOL (Sld.), Paris, Armand Colin, 1991, 1995, p. 251.
326
G. HOTTOIS, « Dignité humaine et bioéthique. Une approche philosophique critique », p. 22.
327
Id.
118

Cette opposition de la conception fukuyamienne de la nature humaine avec la


conception évolutionniste est soulignée par Gilbert Hottois. Selon ce dernier,

Ce conservatisme s’oppose tout spécialement aux conceptions de type évolutionniste


qui refusent les essences spécifiques, les « natures » imposées a priori par la Nature,
conceptions évolutionnistes qui n’excluent pas d’intervenir sur l’espèce humaine
dans la mesure où il n’y a pas d’essence humaine immuable328.

Cette vision évolutionniste de la nature humaine n‟est rien d‟autre qu‟un


constructivisme ontologique dans la mesure où pour celle-ci, Il n‟y a pas de « nature
humaine » au sens métaphysique d‟une essence intangible, immuable. Ce que l‟on appelle
l‟espèce humaine est un produit de l‟évolution vieille de millions d‟années, susceptible
d‟évoluer encore, de se diversifier. Hottois précise cette réorientation du sens de la nature
humaine dans la perspective évolutionniste ; puisqu‟il fait remarquer que dans cette
conception, « l’important, c’est de reconnaître que l’humanité n’est plus considérée ici
comme une essence, une nature stable, donnée. »329

Hugo Tristram Engelhardt va dans le même sens. En fait, une telle vision de la nature
humaine est perceptible chez le bioéthicien postmoderne. Pour lui, « si la nature humaine n’a
rien de sacré […], il n’y’a pas de raison qu’elle ne soit radicalement modifiée »330. On
comprend par-là que, pour ce dernier, la non sacralité de la nature humaine délégitime toute
tentative d‟interdiction d‟une manipulation de celle-ci. C‟est pourquoi Hottois pense que le
futur de la forme de la vie humaine dépend inéluctablement de la volonté de l‟Homme.
Gilbert Hottois l‟exprime ainsi : « L’avenir réservé à la forme de vie humaine dépend des
humains et de leurs capacités et volonté d’intervention dans l’univers »331 ; car pour ce
dernier, la nature humaine n‟a rien d‟intangible.

Au regard de ceci, il semble difficile d‟accorder du crédit à Fukuyama en ce qui


concerne la question de la nature humaine. Cela pour une double raison. D‟une part parce que
sa conception de la nature humaine souffre des vices du biologisme. Et d‟autre part parce que
ce dernier conçoit la nature humaine comme une entité fixe, stable et immuable. Or une telle
perspective est jugée comme problématique, car comme il a été rappelé dans ce travail,
l‟Homme est un être d‟ « anti-nature ». À ces vices liés à sa conception de la nature humaine,

328
Id.
329
G. HOTTOIS, Le signe et la technique, p. 113.
330
H. T. ENGELHART, The Foundations of Bioethics (1986), cité par G. HOTTOIS, De la Renaissance à la
Postmodernité, p. 465.
331
Ibid., p. 439.
119

s‟ajoutent ce qui est appelé ici les problèmes de l‟argumentation de Fukuyama. Lesquels sont
liés aux concepts de dignité et de droits de l‟Homme.

B- Les problèmes liés à l’argumentation de Fukuyama dans sa critique de la


révolution biotechnique
Á côté du concept de nature humaine – concept catalyseur de la critique fukuyamienne
de la « révolution biotechnique » - il y‟a deux concepts qui sont fondamentaux dans
l‟argumentation fukuyamienne contre la « révolution biotechnique ». Il s‟agit précisément des
concepts de dignité humaine et de droits de l‟Homme. Pour lui, si la nature humaine est
l‟enjeu fondamental de la « révolution biotechnique », c‟est par ce que comme il a été
démontré dans la deuxième partie de ce travail, la nature humaine est d‟après lui le fondement
de la dignité humaine et des droits de l‟Homme. Cependant une analyse de sa conception de la
dignité humaine et des droits de l‟Homme fait voir que cette conception est problématique.

De fait, il est question ici de reconnaître que l‟ambition fukuyamienne de protéger la


dignité humaine et les droits de l‟Homme de la « révolution biotechnique » pour louable soit-
elle se fonde sur une argumentation problématique. Le caractère problématique de cette
argumentation résulte du fondement que Fukuyama donne à la dignité humaine et aux droits
de l‟Homme. Comme il a été déjà démontré dans ce travail, Fukuyama enracine la dignité
humaine et les droits de l‟Homme dans la nature humaine. Cependant dans cette entreprise
fondationnalitse, Fukuyama effectue une onto-bio-logisation332de ces deux catégories, soit la
dignité humaine et les droits de l‟Homme.

Il faut comprendre par-là que ce dernier a, à la fois ontologisé et biologisé les notions
de dignité humaine et de droits de l‟Homme. Ces notions sont d‟abord biologisées dans la
réflexion de Fukuyama en ce sens que son argumentation, « aboutit à mêler intimement
biologie et droit »333 . Dans un tel contexte l‟élément qui, constitue leur suppôt – la nature
humaine-, soit la structure génétique de l‟Homme, dit autrement le génome de ce dernier n‟est
rien d‟autre qu‟un élément biologique. Ce suppôt est défini par le Department of Energy des
États-Unis comme étant l‟ensemble de l‟ADN contenu dans un organisme, y compris ses
gènes. Ainsi, on comprend que la biologisation du droit et de la dignité humaine chez
Fukuyama, consiste inéluctablement en ce que ce dernier considère le génome humain comme

332
Nous employons ce concept pour désigner l‟ontologisation et la biologisation de la dignité humaine et des
droits de l‟Homme par Fukuyama.
333
A.-L. MORIN VILLIERS-MORIAMÉ, op.cit., p. 146.
120

étant la base de la dignité et des droits de l‟Homme. Cela étant, qu‟en est-il de
l‟ontologisation de ces catégories essentielles pour l‟existence de l‟Homme ?

L‟ontologisation de ces catégories chez Fukuyama se traduit dans le type


d‟argumentation qu‟il instrumentalise pour les défendre contre la « révolution biotechnique »
qui a la capacité de les annihiler en altérant la nature humaine. Pour protéger la dignité
humaine et les droits de l‟Homme contre les « biotechniques » démiurgiques, Fukuyama
utilise ce qu‟il convient ici d‟être appelé à la suite de Gilbert Hottois, une « argumentation
ontologique ». Laquelle forme d‟argumentation est de l‟avis de ce dernier liée à la fois à la
théologie et à la métaphysique. Il dit : « Cette forme reste très fréquente dans les
argumentations d'inspiration théologique ou métaphysique : elle leur est même dans une
large mesure consubstantielle »334.

Cependant, il faudrait noter que Fukuyama adopte une position laïque dans son
argumentation, car il recherche des raisons non religieuses pour protéger la dignité humaine et
les droits de l‟Homme. L‟argumentation ontologique utilisée par Fukuyama pour défendre la
dignité humaine et les droits de l‟Homme se fonde plus dans la métaphysique que dans la
théologie. C‟est en raison de cette relation entre l‟ « argumentation ontologique » et la
métaphysique, que Fukuyama saisie la dignité humaine et les droits de l‟Homme comme des
réalités ontologiques. Et en tant que telle, elles présupposent un fondement naturaliste, soit la
nature humaine dans ce cas.

Un tel fondement conduit à ce que la dignité humaine et les droits de l‟Homme soient
comme des valeurs en soi de l‟être humain, des valeurs essentielles renvoyant à la nature
humaine. Ainsi, la dignité humaine et les droits de l‟Homme seraient consubstantiels à la
nature humaine. Une telle conception identifie ou associe ces valeurs de l‟Homme à la nature
humaine. Dans un tel contexte, ces valeurs – dignité humaine et droit de l‟Homme – sont
universelles et appartiennent à toute personne en tant que membre de l‟espèce humaine et
ayant en commun un patrimoine génétique qui, de l‟avis de Fukuyama n‟est rien d‟autre que
la nature humaine. Laquelle est fixe et immuable.

L‟immutabilité et la fixité de ce fondement ont pour corollaire l‟immutabilité, la fixité,


l‟universalité de ces valeurs. Cette conception de la dignité humaine et des droits de l‟Homme
peut d‟après Hottois encourager l‟égalitarisme. Il faut comprendre par-là qu‟une telle
334
G. HOTTOIS, Essais de philosophie bioéthique et biopolitique, Paris, Vrin, 1999, p. 16.
121

conception établit une égalité de dignité et de droits entre les membres de l‟espèce humaine
indépendamment de leur origine, race, situation socio-économique.

Cependant, cette onto-bio-logisation des droits de l‟Homme et de la dignité humaine


opérée par Fukuyama pour une défense de ces valeurs jouit d‟une impertinence philosophique
pour plusieurs raisons. Tout d‟abord, elle est intrinsèquement liée au dogmatisme. Il faut
comprendre par-là que l‟ « argumentation ontologique » fondant cette thèse de Fukuyama est
étrangère à la critique. Cette étrangéité de l‟ « argumentation ontologique » à l‟esprit discursif
n‟a pas échappé à Gilbert Hottois.

Pour ce dernier,

L’argumentation ontologique : par sa forme même, … prétend clore le débat, càd


[Sic] disqualifier a priori et à jamais toute argumentation ou discussion futures.
L'argument ontologique est donc un argument anti-argumentation. Il tend à agir
comme un vaccin prémunissant contre tout argument-objection à venir. En effet, il
tranche la question posée ("Faut-il ou non... ?") en se présentant non comme un
simple argument Ŕ une assertion soutenue par des personnes - parmi d'autres, mais
comme l'expression objective et impersonnelle du Vrai et du Réel335.

Loin de s‟arrêter là, il fait comprendre que : « L’argumentation ontologique cherche à


mettre un terme définitif à la discussion, au débat, à la conversation, au jeu polémique de
l'intersubjectivité »336. On comprend à ce niveau que l‟ « argumentation ontologique » se situe
aux antipodes de la discussion rationnelle et n‟est rien d‟autre qu‟une pensée dogmatique.

Le caractère dogmatique de cette argumentation est bien visible dans l‟argumentaire


de Fukuyama pour protéger la dignité humaine et les droits de l‟Homme contre la menace
« biotechnique ». Pour s‟en convaincre, il n‟y‟a qu‟à se rappeler que ce dernier invoque la
sacralité de la nature humaine comme limite à toutes manipulations « biotechniques » de
l‟Homme en vue de sauver la dignité et les droits de ce dernier. Or, pour Hottois, la défense
d‟une valeur telle que la dignité humaine n‟implique pas nécessairement un déni de la
discussion interpersonnelle.

Pour lui, l‟usage de la notion de dignité humaine en faisant abstraction de la liberté de


pensée, de juger, d‟analyser est non fondé. Et aussi pense-t-il qu‟« il est inacceptable
d’interdire au nom dogmatique de la dignité essentielle, une fois pour toutes et

335
Ibid., p. 18.
336
Id.
122

universellement (à tous), tout un ensemble de recherches et de pratiques actuelles et/ou


potentielles (euthanasie, eugénisme, clonage, disponibilité libre du corps, etc) »337 .

Le philosophe néo-pragmatiste et postmoderne Richard Rorty ne s‟éloigne pas d‟une


telle pensée. Dans une perspective pragmatiste, ce dernier remet en question l‟idéal d‟une
fondation métaphysique ou ontologique de la dignité humaine. Pour ce dernier, la
reconnaissance de la dignité de chaque personne n‟est pas une nécessité ontologique. Car pour
ce dernier, « la reconnaissance et le respect des autres comme personnes, en leur dignité,
ainsi que l’étendue de cette reconnaissance sont, une affaire de décision, de volonté plus ou
moins partagée, donc une affaire éthico-politique »338. Si ce dernier pense ainsi, c‟est par ce
qu‟il conçoit l‟Homme comme « un être conversationnel qui doit vivre en artiste sa condition
humaine »339 .

En tant qu‟être capable de discussion, l‟Homme ne pourrait et ne devrait considérer sa


dignité comme relevant d‟une entité qui lui est transcendante, soit la nature humaine. Il s‟agit
exactement pour ce philosophe, de faire comprendre que la recherche de la dignité humaine
ne nécessite pas un ancrage métaphysique ou ontologique, mais de répondre à un ensemble de
question éthico-politique. Gilbert Hottois a présenté ces questions que Richard Rorty a
présentées comme étant à la base de la reconnaissance de la dignité de toute personne. « Les
seules vraies questions sont : Qui reconnaît et qui est reconnu comme personne ou être
humain ? Quel est le contenu, l’étendue (en termes de droits et de devoirs) de cette
reconnaissance ? »340 Gilbert Hottois n‟a pas oublié de préciser la spécificité de ces questions
qui d‟après Richard Rorty, fondent la dignité humaine. En fait, comme le souligne Gilbert
Hottois, « ce sont des questions de décision, individuelle et collective Ŕ et non de
connaissance »341.

Ces questions visent moins la reconnaissance d‟une essence que l‟acceptation de


l‟autre dans la communauté. À la suite de Richard Rorty, Gilbert Hottois, reconnaît que ces
questions ont pour finalité « l’acceptation de l’autre au sein d’une même communauté et non
la reconnaissance d’une essence commune »342.

337
G. HOTTOIS, « Dignité humaine et bioéthique. Une approche philosophique critique », p. 104.
338
R. RORTY, Philosophy and the Mirror of Nature, cité par G. HOTTOIS, Ibid., p. 109.
339
G. BIYOGO, Adieu à Jacques Derrida. Enjeux et perspectives de la déconstruction, Paris, L‟Harmattan,
collection « Recherche et pédagogie », 2005, p. 109.
340
G. HOTTOIS, « Dignité humaine et bioéthique. Une approche philosophique critique », p. 109.
341
R. RORTY, Philosophy and the Mirror of Nature, cité par G. HOTTOIS, Id.
342
Id.
123

Ce propos de Richard Rorty que partage Gilbert Hottois entre en rupture avec la
perception fixiste de la dignité humaine. Il s‟agit ici de faire remarquer qu‟une telle
proposition démontre à suffisance que la dignité humaine n‟est pas une entité figée et fixe. En
fait, celle-ci serait moins une réalité statique que dynamique. En tant que telle, la
reconnaissance de la dignité humaine comme il a été établi dans ce propos, ne s‟impose pas
du simple fait d‟être un humain, mais est le fruit de la reconnaissance de l‟autre.

C‟est ainsi que le bioéthicien Rafael Junquera de Estéfani reconnaît que la dignité
humaine, bien qu‟étant une valeur en soi de l‟Homme « nécessite la reconnaissance sociale,
non pour exister mais afin d’être garantie et respectée »343. Pour ce bioéthicien, dire que les
personnes sont égales en dignité de par leur essence d‟être humain, c‟est ignorer que la dignité
loin d‟être consubstantielle à l‟Homme de par sa nature est une reconnaissance sociale. Dans
un tel contexte, pour que la dignité d‟une personne soit une dignité de fait et non de droit,
cette dignité nécessite inéluctablement la reconnaissance d‟une autre personne. De par notre
nature, nous ne sommes pas une dignité. Ce sont les autres qui nous érigent en dignité. Ce
n‟est pas la nature qui nous investit de la dignité, ce sont plutôt les autres qui reconnaissent
notre statut spécial, c‟est-à-dire notre dignité.

Outre l‟impertinence de la critique fukuyamienne relevant du caractère dogmatique de


l‟ « argumentation ontologique » la fondant, l‟autre aporie philosophique de celle-ci relève de
la relation qui existe entre cette argumentation et la biologie. En fait, cette critique fait voir
que le fondement de ces valeurs – dignité humaine et droits de l‟Homme –, soit la nature
humaine est intimement liée à la biologie. Il s‟agit précisément de réitérer que le génome qui,
est considéré par Fukuyama comme le socle de la nature humaine est un élément biologique.
Ainsi, fonder ces valeurs sur la nature humaine, serait les fonder sur et dans le génome. C‟est
ainsi que, dans le cas du droit, on observe que l‟appartenance à l‟espèce humaine ou au pôle
génétique humain sert de base aux droits.

À ce niveau, les droits de l‟Homme découleraient de son génome. Dit autrement, ses
droits seraient déduits de la nature humaine. L‟égalité des droits repose sur l‟idée de l‟unité de
l‟espèce humaine, unité constituant ici la nature humaine. Seulement, une telle déduction des
droits de l‟Homme à partir de sa nature s‟avère être une variante du sophisme naturaliste qui,
comme il a été démontré antérieurement tend à tirer des énoncés normatifs à partir du factuel.
Gilbert Hottois ne dit pas le contraire, quand il fait comprendre qu‟un tel raisonnement est «

343
R. J. ESTAFÉNI (de), cité par G. HOTTOIS, Ibid., p. 90.
124

[…] une variante du « sophisme naturaliste » invitant à glisser d’un énoncé constatif, factuel,
à un énoncé normatif traditionnellement appelé à fonder les lois et les interdits »344.

Bref, le naturalisme juridique, qui est sous-tendu par la biologisation du droit est
philosophiquement problématique. Or, un tel naturalisme juridique est perceptible dans les
textes de la déclaration universelle sur le génome humain. Dans ce texte, le génome, concept
biologique est juridicisé et protégé par le droit. Cette protection par le droit est justifié à partir
de l‟idée selon laquelle, ce dernier est le patrimoine de l‟humanité, et est aussi le moule de la
nature humaine et par ricochet des droits de l‟Homme. On comprend pourquoi dans cette
déclaration toute recherche sur le génome humain est réalisée à l‟aune du respect sans réserve
des droits de l‟Homme. En fait, « aucune recherche concernant le génome humain, ni aucune
de ses applications, en particulier dans les domaines de la biologie, de la génétique et de la
médecine, ne devrait prévaloir sur le respect des droits de l’homme »345 .

Cet article de la déclaration sur le génome et les droits de l‟Homme éclaire à


suffisance sur la liaison qui existe entre le génome ou le patrimoine génétique de l‟humanité
et les droits de l‟Homme. Toutefois, un tel naturalisme est mal vue par Anne-Laure Morin
Villiers-Moriamé.

Pour elle, l‟un des écueils de la déclaration universelle sur le génome et les droits de
l‟Homme est l‟ancrage naturaliste de cette déclaration. Anne-Laure Morin Villiers-Moriamé
fait remarquer que le droit fondé sur un critère biologique est vicié. S‟inscrivant dans une
position antinaturaliste, elle postule que les droits de l‟Homme doivent être fondés sur des
réalités non-biologiques. Et aussi reconnaît-elle qu‟historiquement, « c’est par l’arrachement
au critère biologique, à la « nature » que les droits de l’homme se sont fondés »346.

Ainsi, pour cette dernière, les droits de l‟Homme sont le fruit de la construction
humaine. Les normes juridiques ne sont pas l‟émanation du biologique, soit du génome. Le
philosophe camerounais Mouchili Njimom ne s‟éloigne pas d‟une telle position lorsqu‟il
affirme qu‟ « aucun des droits de l’homme n’est naturel. L’homme doit pouvoir s’imposer
pour qu’on lui reconnaisse des droits »347. Il est question ici pour l‟épistémologue de signaler

344
G. HOTTOIS, « De l'anthropologie à l'anthropotechnique ? De l'anthropologie à l'anthropotechnique ? », in
Tumultes, 2005/2, N° 25, 2005, p. 59.
345
Article 10 de la déclaration universelle sur le génome, cité par A.-L. MORIN VILLIERS-MORIAMÉ,
Op.cit., p. 743. La déclaration universelle sur le génome et les droits de l‟Homme a été adoptée à l‟unanimité et
par acclamation, le 11 novembre 1997 par la 29e session de la Conférence générale de l‟Unesco.
346
A.-L. MORIN VILLIERS-MORIAMÉ, Ibid., p. 154.
347
I. S. MOUCHILI NJIMOM, Qu’est-ce que l’humanisme aujourd’hui ?, p. 114.
125

que les droits de l‟Homme sont moins une donnée naturel qu‟une construction humaine. Á cet
effet, il ne serait pas erroné de reconnaître que la biologisation du droit opérée par Fukuyama
pour le défendre contre la « révolution biotechnique », constitue un écueil de la critique
fukuyamienne de cette révolution. L‟autre écueil qui n‟est pas moindre est bien celui des
implicites idéologiques de la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique ».

C- Les implications idéologiques de la critique fukuyamienne de la « révolution


biotechnique » : De la critique de la « révolution biotechnique » au
348
« démocratisme » libéral chez Fukuyama
Selon Fukuyama, en plus d‟être le ferment de la dignité humaine et des droits de
l‟Homme, la nature humaine a un rapport avec le système politique. Pour lui, « compte tenu
de la relation intime qui existe entre nature humaine […] et politique »349; la nature humaine
détermine les possibles régimes politiques de l‟Homme. Fukuyama observe justement : « La
nature humaine modèle et détermine les différents types des régimes politique »350.

Il réitère cette liaison nécessaire entre la nature humaine ou la nature de l‟Homme et le


système politique en ces mots : « Une bonne partie de notre système politique repose sur
l’existence d’une « essence » humaine stable dont nous sommes dotés par nature»351.

Ainsi, selon Fukuyama, le système de gestion des cités humaines repose sur la nature
humaine. Autant dire que le système politique de l‟Homme est calqué sur la nature de ce
dernier. Partant de cette idée, Fukuyama perçoit la démocratie libérale comme étant le
système politique qui correspond le mieux à la nature humaine. Force est de reconnaître avec
ce dernier que : « La démocratie libérale est apparue comme le seul système politique viable
et légitime [...] parce qu’il évite [...] des « interférences avec les schémas naturels de
comportements » »352. C‟est justement cette correspondance de la démocratie libérale à la
nature humaine qui, de l‟avis de Fukuyama, justifie le fait que ce système politique se soit
imposé sur les autres systèmes politiques. L‟expansion de ce système a amené Fukuyama à
légitimer la thèse hégélienne de la fin de l‟histoire.

348
Nous utilisons ce concept non pas au sens d‟un Jean-Paul Russier qui perçoit le démocratisme comme étant
« la démocratie par excès », qui se manifeste par l‟usage abusif des principes de la démocratie. Pour lui, un tel
usage pourrait conduire à la chute de la démocratie. Cf. « Le démocratisme ou la démocratie par excès.
Réflexions sur la dégénérescence démocratique », in Revue du Mauss, 2005/2, N0 26, pp. 249-270. Mais nous
l‟instrumentalisons au sens idéologique, soit du désir de l‟expansion du régime démocratique chez Fukuyama
349
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 230.
350
Ibid., p. 26.
351
Ibid., p. 377.
352
Ibid., p. 39.
126

En fait, dans son ouvrage La fin de l’histoire, Fukuyama soutient que l‟auteur de La
phénoménologie de l’esprit avait raison d‟affirmer que l‟histoire était arrivée à son paroxysme
ou à sa fin avec la démocratie libérale, fille de la révolution française. Hegel percevait les
principes posés par cette révolution comme étant ultime et indépassable. Pour lui, aucun
progrès politique n‟était plus à attendre après la révolution française. S‟il pensait ainsi, c‟est
parce que la révolution française s‟était fondée sur le principe de la liberté qui, d‟après lui
constitue l‟essence première de l‟Esprit : « De même que la substance de la matière est la
pesanteur, de même la liberté est la substance de l’esprit »353. On comprend dès lors que c‟est
cette idée de liberté promu par la révolution française qui a conduit Hegel à considérer cette
révolution comme le stade final de l‟histoire de l‟Homme.

Cet idéal de liberté est un principe fondateur de la démocratie libérale qui est saisie
par Fukuyama comme étant La fin de l’histoire. Laquelle fin de l’histoire renvoie moins à la
fin des évènements historiques et chronologiques qu‟à la fin de l‟évolution idéologique de
l‟humanité. L‟échec des idéologies rivales de la démocratie libérale en 1989 – le nazisme, le
communisme – ne faisait que confirmer cette thèse néo-hégélienne de Fukuyama : « Presque
toutes ces expérimentations ont échoué, et l’on essaye de créer ou de restaurer, à leur place,
des démocraties »354.

Ainsi, pour Fukuyama, la démocratie libérale s‟édifie sur la nature humaine ; c‟est la
raison pour laquelle elle a connu une expansion. Seulement, pour lui, la nature humaine qui,
fonde cette démocratie libérale est sous la menace de la « révolution biotechnique ». Si dans
la fin de l’homme Fukuyama s‟inquiète de la « révolution biotechnique », c‟est parce qu‟elle
remet en question cette fin de l’histoire. Cette idée montre à suffisance que l‟analyse que fait
Dominique Folscheid du rapport entre les deux fins – de l’histoire et de l’homme – est limitée.
Pour ce dernier, de manière fondamentale il n‟y aurait pas une liaison directe entre ces deux
livres de Fukuyama. Pour lui,

à première vue, on a l’impression que la fin de l’histoire et la fin de l’homme se


situent sur le même plan […] et que la seconde est liée à la première par consécution
directe. En réalité il n’en est rien. La fin de l’histoire se situe dans le registre de
l’histoire, la fin de l’homme dans celui du progrès technoscientifique355.

353
G. W. F. HEGEL, La Raison dans l’Histoire. Introduction à la Philosophie de l’Histoire, traduction nouvelle,
introduction et notes par Kostas Papaioannou, Paris, Plon, 1965, p. 75.
354
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 38.
355
D. FOLSCHEID, « Fin de l‟homme ou post-humanité ? », in C. HERVÉ et J. ROZENERG (Sld.), op.cit., p.
234.
127

Tout porte à croire que pour Folscheid, ces deux textes de Fukuyama n‟ont pas
nécessairement une relation. Or, contrairement à ce que pense Folscheid, la seconde est liée à
la première par consécution directe. Cette liaison se justifie par le fait que Fukuyama lui-
même perçoit la « révolution biotechnique » comme catalyseur d‟un possible
« recommencement de l’histoire »356 qu‟il avait pourtant annoncé la fin avec la chute du mur
de Berlin. Cependant, ce recommencement pour Fukuyama est susceptible de faire entrer
l‟humanité à l‟ère de la « post-démocratie ».

Il s‟agit ici de comprendre avec Fukuyama que la « révolution biotechnique » est


démocraticide357 ; car elle est peut altérer la nature humaine qui est d‟après lui le ferment de
la démocratie libérale. Dans un tel contexte, il ne serait pas erroné d‟inscrire la critique
fukuyamienne dans l‟ordre de l‟idéologie. Car comme le dit Mouchili Njimom, Pour
Fukuyama, « la démocratie libérale est la meilleure forme de gouvernement pour l’humanité
actuelle. Il serait donc antidémocratique de créer une posthumanité qui ne supportera pas la
démocratie mais qui aura tendance à créer une postdémcratie »358.

De fait, il est question de faire remarquer ici, que la critique fukuyamienne de la


« révolution biotechnique » est plus un manifeste pour la défense de la démocratie libérale
que de la protection de l‟Homme. Pour Fukuyama, c‟est fondamentalement parce qu‟il existe
des liens entre la nature humaine et la démocratie libérale qu‟il faut protéger la nature
humaine contre la « révolution biotechnique ». Pour lui, si l‟Homme arrive à créer une
« biotechnique » puissante, celle-ci pourra avoir un impact négatif sur la démocratie libérale.
C‟est cela qu‟il souligne, lorsqu‟il affirme que : « Une technique assez puissante pour
remodeler ce que nous sommes risque bien d’avoir des conséquences potentiellement
mauvaises pour la démocratie libérale »359.

Dans un tel contexte, il faut comprendre que pour Fukuyama, la « révolution


biotechnique » si elle n‟est pas contrôlée pourrait faire quitter l‟Homme de la démocratie pour
la « post-démocratie ». Et aussi conseille-t-il aux démocrates de prendre la « révolution
biotechnique » en charge. Seulement, si les caractéristiques biologiques de l‟Homme n‟étaient

356
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 34.
357
Pour Fukuyama, la révolution biotechnique peut être un dissolvant de la démocratie, car elle peut « remodeler
ce que nous sommes » et ipso facto « avoir des conséquences potentiellement mauvaises pour la démocratie
libérale ».
358
I. S. MOUCHILI NJIMOM, Qu’est que ce que l’humanisme aujourd’hui ?, p. 86.
359
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 26.
128

pas liées au système démocratique comme il l‟affirme, l‟Homme ne devrait-il pas se protéger
face aux possibles dérives des « biotechniques » ?

Cette question est sous-tendue par l‟idée selon laquelle, la critique fukuyamienne de la
« révolution biotechnique » vise prioritairement la protection de la démocratie libérale – Pour
Fukuyama, sur le plan politique, seule la démocratie libérale peut satisfaire le désir des
individus d‟être reconnus - que celle de l‟Homme. Cette théorisation et promotion de la
démocratie libérale chez Fukuyama – laquelle est qualifiée de « démocratisme » dans le cadre
de ce travail – est pour Gilbert Hottois foncièrement idéologique.

Pour Hottois, la position de Fukuyama n‟est rien d‟autre qu‟une tentative de


promotion de l‟idéologie politique américaine, soit la démocratie libérale. Selon Hottois, La
fin de l’homme « est un ouvrage qui, sciemment instrumentalise des arguments et lieux
communs philosophiques au service d’une position politique. »360. Mieux encore, relève
Hottois, « pour Fukuyama, il semble qu’il y’a d’abord la politique Ŕ la politique américaine
capitaliste, libérale et conservatrice Ŕ et la philosophie relève de la panoplie idéologique utile
à son maintien et à son expansion. »361 On comprend ainsi que, la critique fukuyamienne de la
« révolution biotechnique », en se fondant sur la notion de la nature humaine ne vise rien
d‟autre que la perpétuation de la démocratie libérale. Tsala Mbani ne pense pas le contraire
lorsqu‟il fait remarquer que l‟instrumentalisation de la nature humaine par Fukuyama est une
instrumentalisation idéologique en vue de légitimer la démocratie libérale362.

En plus d‟être plus un moyen de légitimation naturelle d‟un régime politique


particulier, cette critique fukuyamienne implique l‟idée d‟un dogmatisme politique. Parler de
dogmatisme politique à ce niveau, c‟est reconnaître que Fukuyama fait de la démocratie
libérale, un système politique qui s‟impose à tous les humains ; car ayant en partage la même
nature, sur laquelle se fonde la démocratie libérale. Ainsi, pour Fukuyama, au nom du fait que
les humains ont une nature commune, et que la démocratie libérale est le système politique
qui répond le mieux aux aspirations de l‟Homme, celle-ci s‟impose ipso facto comme le
système politique propre à l‟humanité de par sa nature. Á ce niveau ce système naturel qu‟est
la démocratie libérale, ne peut et ne doit pas être soumis à aucune critique rationnelle avant
d‟être considérée comme système favorable à l‟humanité. Or , une telle idée qui est proche de

360
G. HOTTOIS, « La „fin de l‟histoire‟ excédée par la recherche technoscientifique. Note critique à propos de
Fukuyama F. Our Posthuman Future. Consequences of the Biotechnology Revolution », Les philosophes et la
technique, avec la codirection de P. CHABOT, Paris, Vrin, 2003, p. 278.
361
Id.
362
A. L. TSALA MBANI, Biotechnologie et nature humaine. Vers un terrorisme ontologique ?, p. 156.
129

la thèse aristotélicienne, de la naturalité politique de l‟Homme363s‟oppose à la thèse


constructiviste du politique. Pour cette thèse, aucun système politique n‟est la résultante de la
nature humaine. Le système politique est le fruit de la construction rationnel du sujet humain.

Au total, ce chapitre a été dédié à l‟exposition des écueils liés à la critique


fukuyamienne de la « révolution biotechnique ». Il a été démontré que cette critique était liée
à un ensemble de vices. Parmi lesquelles, une conception problématique de la nature humaine.
Ensuite qu‟elle constituait une onto-biolo-gisation de la dignité humaine et des droits de
l‟Homme. Sans oublier que cette critique était plus idéologique que rationnelle et objective.

363
Nous nous référons ici à l‟idée aristotélicienne selon laquelle l‟Homme serait par nature un animal politique.
Et pour le cas d‟espèce, on pourrait dire que pour Fukuyama, l‟Homme est un animal démocratique.
130

Conclusion partielle
Cette ultime partie consistait en une évaluation de la critique fukuyamienne de la
« révolution biotechnique ». L‟autopsie de cette critique a montré que cette critique a aussi un
intérêt philosophique que des problèmes.

Il ressort de cette analyse que cette critique à un ancrage bioéthique ; car Fukuyama
dans sa critique a pour ambition de mettre à nue les enjeux éthiques de cette « révolution
biotechnique ». En plus de cet ancrage bioéthique, cette critique fukuyamienne de la
« révolution biotechnique » constitue un effort de recentration de l‟Homme dans le
« technobiocosme ». Cette recentration s‟est matérialisée chez Fukuyama par son souci de
préservation de la dignité humaine.

Nonobstant cet intérêt de la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique »,


celle-ci est étroitement liée à un ensemble de problèmes, parmi lesquels, une conception
problématique de la nature humaine. En fait, sa conception de la nature humaine qui est la
pierre angulaire de sa critique, est liée au matérialisme et à tous ses défauts. C‟est ainsi que
cette conception fukuyamienne de la nature humaine annihile la liberté de l‟Homme et est
fondamentalement réductionniste. Sans oublier que cette critique cachait des relans
idéologiques. Cette critique visait moins la protection de l‟Homme que celle de la démocratie
libérale contre la « révolution biotechnique ».
131

CONCLUSION GÉNÉRALE
132

Parvenu au terme de ce travail, il ne serait pas superflu de rappeler que, le problème


essentiel de ce thème « La question de la « révolution biotechnique » dans La fin de l’homme
de Francis Fukuyama », était celui de la pertinence de la critique fukuyamienne de la
« révolution biotechnique ». La méthode analytique et critique a été instrumentalisée pour
résoudre ce problème.

À partir d‟elle, le travail a été construit autour de trois grandes articulations ; chacune
comportant deux chapitres.

L‟espace de la première articulation a été dominée par un exposé structuré


fondamentalement sur la conception fukuyamienne de la « révolution biotechnique ». Elle a
consisté dans un premier moment à situer les fondements idéologiques de la réflexion
fukuyamienne sur la « révolution biotechnique ». À ce niveau, on a vu que ce sont les
dystopies 1984 de George Orwell et Le Meilleur des mondes d‟Aldous Huxley qui ont suscité
le désir de réflexion de Fukuyama sur la « révolution biotechnique ». Toutefois, il a été
souligné que Fukuyama, bien qu‟ayant reconnu l‟influence de 1984 sur lui, a plutôt pris
réflexivement en charge la « révolution biotechnique » présentée de manière avant-gardiste
par Aldous Huxley dans son ouvrage. Cette décision de Fukuyama de limiter sa réflexion sur
la « révolution biotechnique » présentée par Aldous Huxley se justifie par le fait
que, « plusieurs des techniques imaginées par Huxley, comme la fécondation in vitro, la
maternité de substitution, les manipulations génétiques pour la programmation des enfants
sont déjà réalisées ou en voie de l’être. »364 En fait c‟est la préséance politique de l‟ouvrage
d‟Huxley aujourd‟hui qui encourage Fukuyama de jeter un regard sur la « révolution
biotechnique ». Contrairement à 1984 dont les prédictions politiques ont été un échec, d‟après
Fukuyama, celle du Le Meilleur des mondes était encore à vérifier ; d‟où sa réflexion sur la
« révolution biotechnique ». Ceci étant précisé, en quoi a consisté cette révolution d‟après
Fukuyama ?

Pour ce dernier, la « révolution biotechnique » n‟est pas comme il a été signalé dans le
cadre de ce travail, réductible à la seule ingénierie génétique. Pour lui, la « révolution
biotechnique » a une manifestation plurielle. C‟est ainsi que ce dernier a avec courage essayer
de balayer tous les champs d‟innovation des « biotechniques » : la maîtrise de la causalité
génétique – génomique-, la génétique comportementale, l‟anthropologie interculturelle, la
neuropharmacologie, l‟ingénierie génétique, etc. Cette investigation que Fukuyama fait au

364
F. FUKUYAMA, La fin de l’homme. Les conséquences de la révolution biotechnique, p. 22.
133

sein des « biotechniques » n‟est pas fortuite. Il était question pour Fukuyama de prévoir
certaines des transformations que ces savoirs et ces savoir-faire peuvent faire subir à la
condition humaine, soit à ce qu‟il a appelé l‟ensemble des caractéristiques typiques à l‟espèce
humaine – nature humaine-. Dans cette perspective, il a fait comprendre que la maîtrise de la
causalité génétique permet à l‟Homme de mieux comprendre les mécanismes qui régulent son
comportement. La révolution neuropharmacologique est une opportunité offerte à l‟Homme
d‟agir sur son humeur et sa personnalité. C‟est ainsi que grâce aux psychotropes qu‟elle
produit, l‟Homme est capable de devenir heureux – alors qu‟il était mélancolique – juste en
consommant une pilule du bonheur, tel le prozac ; et d‟améliorer sa concentration pour
travailler en consommant de la ritaline.

La « biotechnique » la plus révolutionnaire quant à elle donne à l‟Homme le pouvoir


d‟intervenir dans sa structure biologique, qui de l‟avis de Fukuyama, constitue le suppôt de la
nature humaine. C‟est à juste titre qu‟il a fait remarquer que cette « biotechnique », sur le plan
thérapeutique permet à l‟Homme d‟agir sur sa constitution biologique afin d‟éradiquer les
tares génétiques. Cette « biotechnique » confère aussi le pouvoir à l‟Homme d‟intervenir dans
le processus de la procréation. Selon Fukuyama, une telle technique donne aux parents la
possibilité à pouvoir choisir les caractéristiques phénotypiques de leurs progénitures. Cela en
choisissant les gènes devant constituer le génome de leurs futurs enfants.

Cette « révolution biotechnique » que présente Fukuyama apparaît comme une


affirmation par excellence du technicisme. Elle résout certes les problèmes de l‟Homme,
accroît les possibilités de ce dernier dans certains domaines ; mais elle reste éthiquement
problématique de par les dérives qu‟elle engendre. C‟est cette préoccupation tributaire des
problèmes générés par la « révolution biotechnique » qui a été exposée dans la deuxième
partie de ce travail.

Ainsi, dans la seconde partie de ce travail l‟accent a été mis sur la critique
fukuyamienne de la « révolution biotechnique ». Il est apparu que cette critique se fonde
principalement sur deux arguments. Le premier argument est lié à l‟éthique de la dignité
humaine. En fait, la première raison pour laquelle Fukuyama s‟indigne de la « révolution
biotechnique », est que la dignité humaine est intrinsèquement liée à la nature humaine. Pour
lui, la nature humaine est le ferment de la dignité humaine. Or, la « révolution biotechnique »
est sur le point d‟altérer cette dernière si rien n‟est fait. C‟est ainsi qu‟il va militer pour un
retour du concept de la nature humaine qui a été déclaré comme inexistant en raison de
134

l‟adoption d‟une méthode réductionniste par les sciences de la vie pour donner une
explication à ce que signifie être humain.

Le second volet de la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » s‟appuie


sur l‟argument juridique des droits de l‟Homme. Ici, Fukuyama fait voir que la nature
humaine qui fonde la dignité humaine est aussi le socle des droits de l‟Homme. Pour
Fukuyama, la thèse de l‟ « illusion naturaliste » qui dénie le naturalisme juridique est une
porte ouverte au « bioterrorisme » qui aura pour conséquence l‟altération de la nature
humaine. Laquelle altération aura un impact négatif sur la conception actuelle des droits de
l‟Homme.

La dernière partie de ce travail s‟est voulue essentiellement évaluative. Il est ressorti


que la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique » est une tentative de
recentration de l‟Homme au sein du « technobiocosme ». Cette critique de Fukuyama consiste
à une interpellation de l‟Homme d‟aujourd‟hui qui vit dans un monde en constante mutation
du fait des avancées « biotechniques », à respecter la dignité humaine. Et constitue un
plaidoyer pour la préservation des droits de l‟Homme qui de l‟avis de Fukuyama peuvent
voler en éclat avec l‟altération de la nature humaine socle des droits de l‟Homme.

Au-delà de cette portée de la critique fukuyamienne de la « révolution biotechnique »,


cette critique recèle un ensemble de problèmes. À ce niveau, il a été démontré que cette
critique se structure autour d‟une conception problématique de la nature humaine. Celle-ci est
fondamentalement déterministe et réductionniste tout comme l‟idéologie matérialiste qui la
sous-tend. Outre cela, Fukuyama dans sa critique a enfermé les concepts de droits de
l‟Homme et de dignité humaine dans la biologie. En fait, il a été montré dans ce travail que
Fukuyama a renfermé la nature humaine dans un organe biologique, soit le génome humain.
Toutes ces remarques ajoutées au caractère idéologique de la critique fukuyamienne de la
« révolution biotechnique » démontrent à suffisance les écueils de cette critique.
135

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MISSA, Jean-Noël, « Prolongation de la vie et médecine d‟amélioration », in Sciences


sociales et santé, Vol. 33, 2015, pp. 31-39.

MUCCHIELLI, Laurent, « Utopie élitiste et mythe biologique : l‟eugénisme d‟Alexis


Carrel », in Revue Esprit : Les France de Péguy et Jeanne d’Arc, N0 12, décembre 1997, pp.
73-94.

NALIN, Speranta Dumitru, « Liberté de procréation et manipulation génétique. Pour une


critique d‟Habermas », in Raisons politiques, N0 12, 2003, pp. 31-54.

POTTER, Van Rensselaer, « Bioéthics, the science of survival » in Perspectives in Biology


and Medicine, N0 14, 1970, pp.127-153.

REUCHLIN, Maurice, « À propos de L'Homme neuronal », in Raison présente, N°137, 1er


trimestre 2001, pp. 103-114.
143

RUSSIER, Jean-Paul, « Le démocratisme ou la démocratie par excès. Réflexions sur la


dégénérescence démocratique », in Revue du Mauss, 2005/2, N0 26, 2005, pp. 249-270.

SANDKÜHLERL, Hans Jörg, « La dignité humaine et la transformation des droits moraux


en droit positif », Conférence UNESCO sur les droits de l‟Homme [en ligne], 2005.

TSALA MBANI, André Liboire, « La dignité humaine : état des lieux d‟un principe éthique
en état de grâce », in Communication and Argumentation in the Public Sphere, 1(1), 2007, pp.
174-181.

3.2.2- Articles de Journaux


MÉRITENS, Patrice (de), « François-Xavier Bellamy/Luc Ferry : mais que restera-t-il des
hommes ? » [En ligne], in Le Figaro, 2016.

4- THÈSES ET MÉMOIRES

4.1- Mémoires consultés

ESSOMBA ÉTOUNDI, Israël Igor « Technoscience et Bioéthique dans Le Paradigme


Bioéthique de Gibert HOTTOIS », Mémoire présenté en vue de l‟obtention du diplôme de
Master en Philosophie à la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l‟Université de
Yaoundé I, Sous la direction du professeur Lucien AYISSI, 2016.

MARTIN, Sylvie, « L‟utérus artificiel ou l‟effacement du corps maternel : de l‟obstétrique à


la machinique », Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de
l‟Université de Montréal en vue de l‟obtention du grade de Maîtrise en Sociologie, Sous la
direction du professeur Céline LAFONTAINE, 2010.

MINKOULOU, Thomas, « Science et Laïcité : exemple des Sciences de la Vie », Mémoire


soutenu en vue de l‟obtention du Diplôme d‟Études Approfondies (DEA.) en Philosophie à la
Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l‟Université de Yaoundé I, Sous la
direction du professeur Antoine MANGA BIHINA, 2007-2008.

NYASSE, Cheikh Tidiane, « Inviolabilité de la personne et dignité humaine chez Kant »,


Mémoire présenté en vue de l‟obtention d‟un Master en Philosophie à la Faculté des Lettres et
144

Sciences Humaines de l‟Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Sous la direction de Oumar
DIAR, 2018-2019.

4.2- Thèses consultées

AMEGATSEVI SENAME, Koukou, « L‟éthique du futur et le défi des technologies du


vivant », Thèse en cotutelle présentée en vue de l‟obtention du Doctorat en Philosophie aux
Universités Laval Québec et Paris-Descartes, Sous la direction de Thomas (de) KONNICK et
d‟Yves Charles ZARKA, 2013.

MARECHAL, Romain, « La Bioéthique et les contradictions normatives du droit


international », Thèse présentée pour l‟obtention du grade de Docteur en Droit public à la
Faculté de Droit et Science politique de l‟Université Aix-Marseille, Sous la direction du
professeur Rostane MEHDI, 2013.

NKPWAMBA, Cyrille Aristide, « Clonage et Humanisme contemporain. Pour une


Bioéthique de la responsabilité », Thèse présentée en vue de l‟obtention du diplôme de
Doctorat en Philosophie à la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l‟Université de
Yaoundé I, sous la direction du professeur Marcien Towa, 2011.

VILLIERS-MORIAMÉ, Anne-Laure Morin, La déclaration Universelle sur le génome


Humain et les droits de l‟Homme (UNESCO,1997), étude juridique, thèse soutenue à
l‟Université PARIS 12-VAL DE MARNE en vue de l‟obtention du Doctorat en droit, Sous la
direction du professeur Gérard TEBOUL, 2008.

5- USUELS

AKOUM, André et ANSART, Pierre (Sld.), Dictionnaire de Sociologie, Paris, Le Robert/


Seuil, 1999.

BACRIE, Azoux, Vocabulaire de bioéthique, Paris, P.U.F., 2000.

COMTE SPONVILLE, André, Dictionnaire philosophique, Paris, P.U.F.,


collection « Quadrige », 4e édition, 2013.

FERRÉOL, Gilles (Sld.), Dictionnaire de Sociologie, Paris, Armand Colin, 1995.


145

6- WEBOGRAPHIE

http://www.mediachimie.org/, consulté le 23 Novembre 2019.

http://www.academie-veterinaire-france.fr, consulté le 23 Avril 2020.

http://www. académie-sciences-lettres-toulouses.fr, consulté le 31 Août 2021.

http://fr.wikipedia.org/, consulté le 31 Août 2021.

http://www.cairn.info/, consulté le 31 Août 2021.


146

TABLE DES MATIÈRES

SOMMAIRE .............................................................................................................................. i

DÉDICACE............................................................................................................................... ii

REMERCIEMENTS ............................................................................................................... iii

RÉSUMÉ .................................................................................................................................. iv

ABSTRACT .............................................................................................................................. v

INTRODUCTION GÉNÉRALE ............................................................................................ 1

PREMIÈRE PARTIE : LA CONCEPTION FUKUYAMIENNE DE LA


« RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » .................................................................................. 7
Introduction partielle .............................................................................................................. 8

CHAPITRE I : LES FONDEMENTS IDÉOLOGIQUES DE LA RÉFLEXION


FUKUYAMIENNE SUR LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » ................................... 11
A- George Orwell et le discours dystopique de 1984 ..................................................... 11

B- Aldous Huxley et Le Meilleur des mondes ................................................................ 21

CHAPITRE II : LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » SELON FUKUYAMA ............. 27

A- Le premier chemin de l‟avenir et la révolution neuropharmacologique ................... 28

B- Lutte contre le vieillissement et prolongation de la vie ............................................. 35

C- L‟ingénierie génétique : de la révolution génétique à l‟intervention de l‟Homme sur


son patrimoine génétique ...................................................................................................... 42
Conclusion partielle .............................................................................................................. 49

DEUXIÈME PARTIE : LA CRITIQUE FUKUYAMIENNE DE LA « RÉVOLUTION


BIOTECHNIQUE » ............................................................................................................... 50
Introduction partielle ............................................................................................................ 51

CHAPITRE III : L‟ARGUMENT ÉTHIQUE DE LA DIGNITÉ HUMAINE ........................ 53

A- Dignité humaine : valeur universelle et fondement problématique ........................... 54

B- De la crise du fondement à la prise du pouvoir ? ...................................................... 65

C- Du retour de la dignité humaine fondée sur la nature humaine ................................. 71

CHAPITRE IV : L‟ARGUMENT JURIDIQUE DES DROITS DE L‟HOMME : LA


NATURE HUMAINE COMME ÉTALON DES DROITS DE L‟HOMME .......................... 75
147

A- Révolution biotechnique et droits de l‟ Homme : de l‟émergence du « juridisme


nihiliste » ou de l‟« élastification » des droits de l‟Homme ................................................. 76
B- De l‟ « illusion naturaliste » comme levier du « juridisme nihiliste »....................... 81

C- Des dédales du « juridisme nihiliste » à un retour du droit naturel ........................... 84

Conclusion partielle .............................................................................................................. 88

TROISIÈME PARTIE : ÉVALUATION DE LA CONCEPTION FUKUYAMIENNE


DE LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » ................................................................... 89
Introduction partielle ............................................................................................................ 90

CHAPITRE V : L’INTÉRÊT PHILOSOPHIQUE DE LA CRITIQUE


FUKUYAMIENNE DE LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » ................................ 91

A- L‟ancrage bioéthique de la pensée de Fukuyama ...................................................... 91

B- L‟entreprise critique de Fukuyama comme antidote contre un scientisme béat ...... 101

C- Fukuyama et l‟idée d‟une recentration de l‟Homme dans le « technobiocosme » .. 105

CHAPITRE VI : LES PROBLÈMES LIÉS Á LA CRITIQUE FUKUYAMIENNE DE


LA « RÉVOLUTION BIOTECHNIQUE » ....................................................................... 111

A- Des écueils liés à la conception fukuyamienne de la nature humaine ..................... 111

B- Les problèmes liés à l‟argumentation de Fukuyama dans sa critique de la révolution


biotechnique........................................................................................................................ 119
C- Les implications idéologiques de la critique fukuyamienne de la « révolution
biotechnique » : De la critique de la « révolution biotechnique » au « démocratisme »
libéral chez Fukuyama ........................................................................................................ 125
Conclusion partielle ............................................................................................................ 130

CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................. 131

BIBLIOGRAPHIE ............................................................................................................... 135

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