EL - L'ennemi
EL - L'ennemi
EL - L'ennemi
Introduction :
« L'Ennemi » est un poème extrait des Fleurs du Mal, appartenant à la section « Spleen et Idéal »
qui souligne avec une tonalité élégiaque, la redoutabilité du Temps. Cette thématique du Temps est
l'une des composantes du spleen chez Baudelaire. Nous la retrouvons dans d'autres poèmes tels que
« L'Horloge » ou « Le goût du Néant ». Le Temps entretient des liens de domination quasi
vampirique avec le poète qui brise toute espérance et toute forme d'inspiration. Baudelaire remet ici
au goût du jour la forme oubliée du sonnet. Celui-ci est construit sur une métaphore filée qui associe
la vie de l'homme (poète) au fil des saisons.
Mouvements :
Premier mouvement : premier quatrain → La jeunesse est comparée à un été bouleversé par les
vicissitudes du temps.
Deuxième mouvement : deuxième quatrain → Le bilan négatif de la maturité, qui est comparée à
l'automne. (On note l'annonce de la mort).
Troisième mouvement : premier tercet → Espoir d'un renouveau qui s'apparente au printemps.
Quatrième mouvement : deuxième tercet → Démenti catégorique : la présence destructrice du
temps s'oppose à tout développement et à toute croissance nouvelle.
Premier mouvement :
Ce premier quatrain permet de dresser le bilan d'une jeunesse contrastée, entre ombre et
lumière, dont les conséquences peuvent se lire encore au moment de l'énonciation.
Deuxième mouvement :
Le deuxième quatrain s'ouvre sur une constatation résignée qui apparaît comme la
conséquence « Voilà que » v5. C'est un résultat donné en deux étapes successives « voilà que... »
« et que » v5 et 6. Il fait apparaître une suite chronologique (l'automne après l'été) avec la double
métaphore filée : « L'automne des idées » v5. L'âge du poète est associé à l'automne = période de
maturité.
L'image du jardin est prolongée et aggravée ( dévastation et nécessité de réparation) : « Et
qu'il faut employer la pelle et les râteaux » V6. L'utilisation de termes concrets (« pelle »,
« râteaux ») et l'accumulation des images font de cette strophe une illustration visuelle des désastres
du temps. « Il faut » renvoie à un impératif lié à l'âge d'un projet d'un travail de la terre qui semble
intellectuel avec le GNP « des idées ». Cette nécessité est renforcée avec le complément
circonstanciel de but « pour rassembler... » v7 et la locution adverbiale « à neuf », CC de manière
qui tranche avec le contexte pessimiste. Le travail apparaît comme régénérateur et incarne l'espoir.
La comparaison « comme des tombeaux » v8 montre que la vie et l'inspiration sont ravagées
par le temps. La réalité brutale évoque ici la mort, la terre, mais aussi l'hiver dans le cycle des
saisons. Cette difficulté à créer est représentée également avec les allitérations en « cr », « tr » et
« gr » qui mime l'action de creuser : « creuse des trous grands» v8.
Dans ce quatrain, la présence d'un contraste est encore présent. A la nécessité de travailler,
de créer pour son équilibre, le poète se trouve confronté à des difficultés, une boue qui l'entraîne
vers le bas et empêche son élévation.
Troisième mouvement :
Le premier tercet suggère une hypothèse ; « Et qui sait si...leur vigueur ? » v9-11. Le poète
s'interroge lui-même. Il exprime par là son incertitude quant à la suite. Cette phrase interrogative
apparaît comme un élan d'espoir. Cet élan prend appui sur les images de la strophe précédente dans
le cycle des saisons, l'automne, puis l'hiver associé à la mort, font espérer le renouveau du
printemps : « fleurs nouvelles » v9. Les fleurs sont un motif littéraire mélioratif associé à l'adjectif
« nouvelles » et à la proposition subordonnée relative « que je rêve ». Ces deux compléments
renforcent la dominante méliorative de ce nom. L’adjectif « nouvelles » fait écho à l’adverbe
« neuf » du v7. L’article défini « les », fait comprendre qu’il ne s‘agit pas de n’importe quelles
fleurs, mais de fleurs spécifiques rêvées par le poète. De fait, les fleurs sont visiblement une
allégorie d’une notion abstraite que le poète ne précise pas explicitement. Elles relèvent d’un idéal
par leur beauté, parce qu’elles sont neuves et parce qu’elles sont rêvées par le poète. Cette notion
mystérieuse est la seule référence positive dans l’ensemble très sombre du poème. En effet, les
fleurs incarnent l’idée d’une régénérescence, d’un idéal, d’un renouveau de la vie dans ce passé
détruit par l’orage.
Le verbe « trouveront » v10 est à relever. C'est la seule occurrence de ce temps dans le
poème. Il a une connotation méliorative. Il fait basculer le poème vers l'avenir, un avenir moins
sombre grâce à la présence de fleurs nouvelles. Le poète s’interroge sur une possibilité de
renouveau qui viendrait comme conséquence d’un travail associé à l’automne des idées (strophe 2).
L'enchaînement des symboles (saisons= représentation symbolique des étapes de la vie) conduit à
considérer les « fleurs nouvelles » comme le printemps des idées, c'est-à-dire un renouvellement de
l'inspiration après une purification qui s'apparente à un rite : « dans ce sol lavé comme une grève »
v10 « le mystique aliment » v11 . C'est avec cette comparaison paradoxale, un sol stérile que les
fleurs trouveront l'engrais nécessaire à leur croissance. « l'aliment » renvoie à l'engrais, l'élément
fertile présent dans la terre. Il est complété par l'adjectif « mystique » et le déterminant défini « le ».
Le secret de ce paradoxe réside dans un aliment connu de l’auteur puisque défini par l'article défini
« le ». Pourtant Baudelaire ne précise pas de quoi il s’agit. C'est comme un langage herméneutique
qui pourrait se référer à l’alchimie et qui expliquerait la transmutation du sol. C’est de cet aliment
que dépend la réussite de cet espoir.
Quatrième mouvement :
Conclusion :
L'ennemi est révélateur du spleen Baudelairien, de l'angoisse qui étreint le poète, quand il constate
les ravages du temps sur son organisme. Grâce à l'art, il met en forme ce malaise existentiel, ce qui
constitue une manière de l'exorciser. L'écriture apparaît alors comme un remède à l'usure du temps
et au dégoût de soi qu'inspire au poète sa dégradation progressive : l'art permet d'opposer la
résistance de l'intelligence à la force corrosive de la nature. Le poète survit alors par sa parole.