Une Didactique Des Langues A L'Épreuve de L'Expérience Mobilitaire, Plurilingue, (Trans) Formative
Une Didactique Des Langues A L'Épreuve de L'Expérience Mobilitaire, Plurilingue, (Trans) Formative
Une Didactique Des Langues A L'Épreuve de L'Expérience Mobilitaire, Plurilingue, (Trans) Formative
Muriel Molinié
Jury :
Philippe Blanchet, PU, Université Rennes 2
Marie-Madeleine Bertucci, PU, Université de Cergy-Pontoise
Véronique Castellotti, PU, Université François Rabelais, Tours
Jean-Louis Chiss, PU, Université Sorbonne-Nouvelle Paris 3
1
REMERCIEMENTS
Je remercie les chercheurs et les compagnons de route qui m’ont donné pour longtemps
le goût d’une inter-disciplinarité exigeante dans ses fondements et co-maitrisée dans ses
effets sur les terrains de l’intervention : Christiane Chaulet-Achour, Christine Delory-
Momberger, Marie-Anne Dujarier, Dominique Jaillon, Edmond-Marc Lipianski, Alex
Lainé, Michel Legrand, Magali Molinié, Olivier Minne, Philippe Missotte, Vincent de
Gaulejac, Gaston Pineau, Guy de Villers.
Je remercie mes collègues du CILFAC pour leur créativité et leur capacité à renouveler
année après année, le projet pédagogique de notre Centre universitaire de FLE à
l’université de Cergy-Pontoise, au contact des étudiants dans des dynamiques
instituantes : Nadine Courcoux, Françoise Hapel, Laurent Hermeline, Zineb Laadj, Agnès
Montagne. Merci à d’anciens étudiants devenus partenaires dans l’innovation : Marina
Lankhorst, Aude di Vita, Mathieu Brindisi, Jérôme Haine… Merci aux étudiants de l'UFR
Lettres et sciences humaines et du CILFAC pour leur engagement dans l’avenir et leur
désir de faire de la pluralité des langues et des cultures un vecteur de changement social.
Un immense MERCI à Dominique pour son soutien sans faille tout au long du chemin
vers l’HDR, à Danièle qui a généreusement relu ce travail à un moment important, à
Fabrice et à Alexandre pour leur précieux accompagnement technique.
2
PRÉSENTATION DU DOSSIER
3
SOMMAIRE
Chapitre 1
Itinéraire de recherche : s'engager avec les autres et penser son implication __________ 10
Chapitre 2
Une mobilité formative en contextes : conjuguer plurilinguisme, réflexivité et
littératie(s) _________________________________________________________________________________________ 66
Chapitre 3
Éduquer au plurilinguisme : une activité en tension entre recherche et formation ___ 127
3.1. Former à l'intervention en contexte de pluralité des langues et des cultures _________ 131
3.2. Démultiplier les capacités apprenantes : un projet porteur d'avenir en didactique des
langues et des cultures __________________________________________________________________________ 158
Si l'on veut bien entendre (par le) « vécu », la genèse des intérêts intellectuels et
politiques dans l'itinéraire d'un individu : il serait difficile à un « linguiste » et
« enseignant de français » de prétendre que la transformation des écritures
littéraires ne lui importe pas ;
la modification des rapports entre l'écrit et l'oral, son influence sur ce qu'il s'agit
d'entendre aujourd'hui par « littérarité », le travail critique sur les « genres », le choix
des textes à étudier en classe, posés comme quelques unes des questions impliquées
par la problématique des récits de vie, concernent les pratiques et recherches de celui
qui se situe dans l'entre-deux du théorique et du pédagogique
5
INTRODUCTION GÉNÉRALE
« S’interroger sur son parcours, c’est repérer dans son propre itinéraire les traces d’un
apprentissage, l’ampleur de ses dettes intellectuelles, les lacunes qui soulignent le
caractère inachevé du travail accompli » nous dit l’historien Gérard Noiriel (2001, p. 6).
C’est ce que l’écriture du mémoire d’habilitation à diriger des recherches (HDR) m’invite
à faire. J’ai abordé l’HDR comme une chance : celle de revenir sur un parcours de vingt
ans de recherche et d’intervention depuis la thèse, neuf ans avant mon recrutement à
l’université de Cergy-Pontoise, onze années depuis ce recrutement, qui a marqué ma vie
professionnelle en instaurant au mitan de celle-ci, un avant et un après.
La piste de travail indiquée dans le titre de ce mémoire (une didactique des langues à
l’épreuve de l’expérience mobilitaire, plurilingue, (trans)formative) trouve là une autre
concrétisation. Il s’agit en effet de permettre aux (futurs) praticiens de construire un
nouvel habitus académique (puis professionnel) : celui de donner du sens aux diverses
facettes de leur expérience du plurilinguisme et du pluriculturalisme. Pour cela, on les
conduit vers des processus de compréhension et de socioanalyse de leur plurilinguisme
et de leur pluriculturalisme à travers un mouvement réflexif et diverses formes
sémiotiques : entretiens biographiques dans l'espace social (péri)urbain auprès
d'acteurs plurilingues, compte rendus de textes autobiographiques d'auteurs ayant vécu
et historicisé leur destinée plurilingue, narrations autobiographiques explorant les liens
entre reconnaissance du plurilinguisme, processus de formation et processus de
professionnalisation ; mise en espace théâtral et représentation publique de récits de
parcours plurilingues/pluriculturels ; représentations graphiques des parcours
éducatifs dans un espace mondialisé et des répertoires plurilingues/pluriculturels
constitués tous au long de la vie... Les enseignants en formation deviennent eux-mêmes
co-producteurs de savoirs sociolinguistiques et sociologiques fondée sur leurs acquis
expérientiels en tant qu’acteurs sociaux. On aborde alors la formation comme pratique
de production de dispositifs et de projets, prenant en charge la pluralité linguistique et
culturelle des acteurs (cf. des illustrations dans les volumes 10, 11 et 12).
Tout cela va dans une même direction : une didactique des langues à l’épreuve de
l’expérience propose de passer du déni de la pluralité des publics en formation à la
reconnaissance et à la didactisation de cette pluralité via la mise en résonance sociale
(entre pairs) des expériences plurilingues/pluri- et interculturelles. Mais pour traduire
cet énoncé dans les pratiques, il y a des étapes. Nous parcourrons pour finir celles qui
alimentent la réflexion sur la professionnalisation par la recherche. En effet, en plaçant
l’étudiant en formation dans une posture de « chercheur » auprès des sujets
plurilingues, le but est de lui faire prendre conscience qu’il y a finalement moins de
risques à comprendre cette complexité qu’à rester sourd et aveugle vis-à-vis de la
8
diversité et de la « différence » (la sienne et celle des autres). Je défendrai par
conséquent une approche « clinique » de l’altérité permettant de sensibiliser les
étudiants/futurs enseignants à l’intérêt qu’il y a à construire des liens entre
sociolinguistique et didactique des langues, en tissant une toile de fond théorique qui
soutienne véritablement l'écoute qu’ils peuvent avoir vis-à-vis d’eux-mêmes (et de leur
propre plurilinguisme/pluriculturalisme) et de leurs apprenants, vivant une
socialisation complexe.
Les fondements éducatifs d'une didactique à l’épreuve des expériences seront ainsi
posés.
Je souhaite que les travaux synthétisés dans ce dossier d’HDR contribuent à ouvrir de
nouveaux espaces de formation-action dans lesquels une professionnalisation par la
recherche est rendue possible, au sein d’une université apprenante, dans laquelle l’une
de mes missions a été (est, et sera) de promouvoir l’innovation, l’esprit critique, les
conceptualisations nouvelles, l’intelligence collective et de former des praticiens en
mesure d’entendre, de faire face et si possible, de satisfaire les besoins des apprenants
dans toute leur diversité.
9
Chapitre 1
Itinéraire de recherche : s'engager avec les
autres et penser son implication
INTRODUCTION
L’éditeur du dernier ouvrage de Bourdieu (publié en 2004, après la mort de celui-ci),
intitulé Esquisse pour une auto-analyse met le lecteur en garde en lui précisant que
Bourdieu « savait que se prendre lui-même pour objet lui faisait courir le risque non
seulement d’être accusé de complaisance, mais aussi de donner des armes à tous ceux
qui n’attendent qu’une occasion pour nier, précisément au nom de sa position et de sa
trajectoire, le caractère scientifique de sa sociologie, et qui ne voient pas que l’exercice
de la réflexivité a été longuement élaboré comme un instrument de scientificité » (p. 8).
En 2010, de jeunes chercheurs réunis dans une université d’été du Groupement d’Intérêt
scientifique, Pluralités linguistiques et culturelles évoquent l’idée d’un ouvrage collectif
qui paraitra en 2012 sous le titre La position du doctorant. Trajectoires, engagement,
réflexivité. Ils y affirment l’importance (pour s’orienter dans cet environnement nouveau
pour eux qu’est le monde de la recherche) de « définir précisément son itinéraire, en
reconnaissant son point de départ », (Filippo, François et Michel, p. 7) et défendent
l’intérêt qu’il y a à « s’historiciser » (en tant que chercheur) afin de s’humaniser et
d’humaniser une science, comme les y invite de Robillard (2007).
L’itinéraire emprunté dans ce premier chapitre nous conduira d’abord dans divers
contextes (familiaux, éducatifs puis universitaires) en France et à l’étranger, dans
lesquels s’est construite ma personnalité épistémique et mes objets de recherche.
J’affinerai cette socioanalyse en plaçant ensuite le projecteur sur les organisations
apprenantes et les contextes professionnels dans lesquels se sont formés mes
engagement pluridisciplinaires : au BELC, en réseau de formation-action autour de la
didactique des langues et des pédagogies interculturelles mais aussi dans les champs de
l’éducation, de la formation des adultes et de la sociologie clinique. J’aborderai alors i) la
question de l'écrit comme processus de changement et acte émancipateur et ii) la façon
dont les vidéo correspondances scolaires (longuement abordées dans ma thèse en
didactique des langues et des cultures) proposent une articulation entre altérité et
réflexivité et dessinent le projet d’une éducation langagière à la communication
interculturelle. Cela me conduira à examiner les tensions et les questions que j’ai du
résoudre au fil de la thèse pour concilier (dans une méthodologie de la recherche
cohérente avec mon terrain et mes objets), implication dans l’intervention et élaboration
d’un cadre théorique en DLC. On verra comment le projet concrétisé dans le doctorat
(d’une éducation langagière à la communication interculturelle) est devenu après celui-
ci, projet d’une éducation plurilingue/pluriculturelle grâce aux récits de vie et, à travers
eux, grâce à la prise en compte des trajectoires d'apprentissage et de l’historicité
plurilingue des apprenants. Ce qui n’était au départ qu’une « intuition » est devenu en
une dizaine d’années une « méthode biographique » en DLC. Je retracerai quelques unes
des étapes ayant conduit à cette proposition méthodologique, grâce aux travaux menés
par- et/ou avec- d’autres sociolinguistes et didacticiens des langues sur les nouvelles
formes textuelles, la problématisation des « frontières » culturelles, la question de
l'étudiant étranger, la conduite d’entretiens biographiques sur le rôle des langues dans
11
les itinéraires migratoires, etc. Nous arriverons alors aux années 2000 et à la diffusion
de la notion de biographie langagière via le Portfolio européen des langues ce qui
posera de nouvelles questions (dont le traitement sera reporté au chapitre 2).
12
1.1 Dynamiques langagières et engagements sociaux : événements et
contextes déterminants
Car comment dépeindre les éléments formateurs de ce contexte sinon en indiquant que
ce contexte a été, pour ma sœur et moi, un peu paradoxal. En effet, durant chacun de nos
fréquents séjours dans la ferme lot-et-garonnaise de mes grands-parents paternels
(agriculteurs), nous étions au contact de trois langues romanes : le français, l'occitan et
le castillan et vivions un continuum et une intercompréhension entre celles-ci. Le
français, était bien installé dans la vie quotidienne à l'oral et à l'écrit, l'occitan était
utilisé quotidiennement à l'oral, dans sa variante régionale (le gascon), par mes grands-
parents, mon père, son frère et le voisinage. Quant au castillan, il était utilisé par Manuel,
réfugié espagnol et ami, accueilli à partir de 1936 par mon grand-père. Fait notable, la
personnalité et les récits de Manolo joueront un rôle important dans le choix que fera
mon oncle René Molinié, de devenir professeur d'espagnol. Or, à ces pratiques
plurilingues, s'opposait l'interdiction adressée aux enfants de ma génération d'adresser
la parole ou de répondre en gascon aux locuteurs natifs de cette langue. A dire vrai, ce
n'était pas une réelle interdiction, car si tel avait été le cas, nous aurions facilement pu la
transgresser1. Ce qui nous empêchait d'apprendre et de parler cette langue régionale,
c'était plutôt la certitude pour nous jeunes apprenant/e/s, que les locuteurs natifs qui en
possédaient les codes ne manqueraient pas de se moquer de nos tentatives maladroites
et de railler nos approximations et nos erreurs. Nous « savions » (dans une forme elle
aussi paradoxale de « non savoir ») que ces moqueries cachaient autre chose. Elles
enveloppaient dans la bonhommie, un mélange de honte (vis-à-vis de la condition
paysanne à laquelle ce parler était lié) et d'orgueil de posséder (et d'être les derniers
dépositaires) d'un savoir culturel unique et non transmis.
13
1
C'est ainsi que, dans le contexte dominicain par exemple, de nombreux enfants transgressent l'interdiction
posée par les adultes, de parler le patwa - ou créole local (Sterponi, Bhattacharya, 2012, p. 75)
A situation paradoxale, effets paradoxaux...
Si je n'ai pas appris le gascon avec mes grands-parents, je l'ai conquis par une autre voie.
J'ai grandi dans la dynamique du mouvement culturel lancé par Françoise Dague à partir
de 1962, avec la création des Ballets Occitans de Toulouse. Ce mouvement et cette
création étaient un élément familier de mon univers enfantin par le truchement de mon
oncle (alors étudiant à la Faculté d'espagnol de Toulouse) et de son grand ami Pierre
Corbefin qui allait devenir au fil des années une figure d'artiste et d'intellectuel
plurilingue, engagé dans la transmission d’un patrimoine musical et chorégraphique
occitan. Les deux hommes fréquentaient (avec leurs confrères et consœurs des Ballets)
la ferme de mes grands-parents et c'est ainsi que j'entrais en contact et en interaction
avec ce milieu culturel qui constituait un pôle d'identification à la fois puissant et
durable2. En effet, le mouvement culturel occitan allait conjuguer pendant de
nombreuses années, la collecte d'une tradition musicale et chorégraphique enfouie dans
la mémoire des anciens, l'invention, l'ouverture aux instruments modernes et
l'hybridation à d'autres traditions musicales. Revenant sur cette période, Pierre Corbefin
me confiait dans un courriel, daté de juin 2012 :
J'avais assez vite pris mes distances avec un discours occitaniste replié sur lui-
même et prônant une espèce de supériorité de la culture occitane, sur la culture
française en particulier. Discours victimaire et schizo également : ce qui avait été
infligé aux Occitans par les seigneurs du nord (Saint-Louis, en particulier) était du
même ordre que ce qu'avaient subi les Indiens d'Amérique. Rien de moins. J'ai défendu,
avec d'autres, un autre point de vue : accueillir, avec la culture occitane et grâce à elle, les
autres cultures du monde. (Corbefin, communication personnelle, 2012).
2
En effet, Corbefin a intégré les Ballets en 1963 comme simple danseur et chanteur, puis en est devenu cinq
ans plus tard le chorégraphe. C'est ensuite avec Françoise Dague et Auguste Dauriac, qu'il fondera en 1970 le
Conservatoire occitan de Toulouse (qu'il dirigera de 1984 à 2002). Enfin, en 1974, il devient directeur du Centre
culturel de Villeneuve sur Lot, créé le groupe Lambrusc et enregistre en 1977 chez Ventadorn La bash, la bash,
14
Cants e musica de Gasconha e alentorns. Le répertoire est tiré de recueils occitans ou issu de collectages,
réalisés dans les campagnes gasconnes et alentour, notamment auprès d'Ernest Lurde, gersois et joueur
d'accordéon diatonique.
Pourtant, si l'influence familiale évoquée ci-dessus a construit une prédisposition, elle ne
suffisait pas à construire des schèmes d'action durables, véritables moteurs de mes
actions. Dès les années 1972, mes années collège et lycée à Agen ont été marquées par
une série d'événements. Tout d'abord, la formation d'une semaine (organisée par le
Centre culturel de Villeneuve-sur-Lot) que j'ai suivie à l'âge de 14 ans, aux chants et
danses occitans puis l'appropriation active d'un patrimoine linguistique, musical et
chorégraphique, porté de bals en bals par des musiciens gascons (Perlimpinpin folc) et
provençaux (Mont Joïa) qui allaient faire danser les scottishs, mazurkas, branles de la
vallée d'Ossau, bourrées, rondeaux, sauts béarnais, etc. à un public de plus en plus
nombreux dans le sud-ouest et le midi de la France des années 70 au début des années
80. Cette période a été constitutive de mon identité plurilingue pour plusieurs raisons.
Deuxièmement, j'ai été durablement marquée par le rôle clé que jouait une minorité
d’intermédiaires et de passeurs culturels : sans eux, les pratiques connues par un certain
nombre d'anciens n'auraient pas été enregistrées, explorées et rebrassées dans la
modernité.
15
3
La seule passerelle notable entre ma formation occitane et la culture éducative transmise à l'école a été la
possibilité (que j'ai saisie) de passer l'épreuve optionnelle d'occitan au Baccalauréat en 1981 à Paris.
Enfin, j'ai été sensibilisée au rôle essentiel que jouaient ces intermédiaires culturels dans
la création d'institutions (Les Ballets Occitans, le centre culturel de Villeneuve sur Lot, le
conservatoire occitan de Toulouse) qui avaient pour fonction à la fois de conserver et de
transmettre, de confronter et d'innover. La possibilité d'organiser le passage entre des
processus instituants vers des formes institutionnelles (via des dispositifs innovants)
allait structurer mon projet professionnel pour les années venir.
Cet essai de socioanalyse de quelques-uns des processus par lesquels l'enfant que j'ai été
est progressivement devenue « membre compétent d'un groupe socioculturel »
(Sterponi et Bhattacharya, op.cit., p. 79) me conduit à l'hypothèse suivante : dans la
France des années 70-80, j'avais vraisemblablement compris qu'il était plus utile de
construire une compétence plurilingue/interculturelle de passeur franco-occitan que de
se satisfaire de la seule compétence linguistique dans une langue régionale minorée.
Vint alors l'apprentissage de la première langue vivante. Ce fut l'allemand (sur décision
parentale). Ce choix doit lui aussi être contextualisé et mis en relation avec la question
des relations franco-allemandes et l'émergence de la problématique interculturelle qui,
dans le champ socio-éducatif, était portée par l'Office franco-allemand pour la Jeunesse.
On se souvient que la création de l'OFAJ remonte au Traité de l'Elysée signé en 1963 par
16
Cela illustre bien le fait que dans notre imaginaire familial, la connaissance et
l'utilisation active des langues et des variétés de langues (dans mon groupe familial,
dans mon groupe de pairs, dans ma cité HLM située en périphérie d'Agen, puis les
langues vivantes acquises au centre ville : allemand et russe au collège ; espagnol au
lycée) étaient associées à deux enjeux. D'une part un enjeu militant de reconnaissance
culturelle, historique vis-à-vis d'un patrimoine vivant et d'autre part, un enjeu de
mobilité (sociale, géographique), de progrès social et de rencontres interculturelles.
Toutes ces langues constituaient donc à la fois un moteur et un passeport imaginaires
qui me permettaient, d'une part de voyager dans une histoire imaginée (celle d'une
Occitanie fraternelle, fêtée, chantée et dansée) tout en partant à la conquête de la
modernité. Car en cette fin des Trente Glorieuses, la modernité était synonyme de
progrès, de fraternisations interculturelles, de plurilinguisme et de mobilité. C'est ainsi
que lorsqu’à 17 ans, je quittais Agen pour entrer en terminale A5 à Paris, cinq langues
composaient mon répertoire plurilingue. J'allais devoir en apprendre très vite une
nouvelle : le français en usage au Lycée Maurice Ravel, situé dans le XXème
arrondissement de la capitale française.
17
1.1.2. Enseignante en devenir à Paris, creuset inégalitaire de langues et de
cultures
Issue de la filière A54, ayant obtenu une mention bien au baccalauréat passé à Paris,
j'entrais ensuite en hypokhâgne au Lycée Jules Ferry avec le projet de devenir Deutsch
Lehrerin. Or, suite à une conversation éclairante avec mon professeur d'allemand, ce
projet a été abandonné. Je constatais en effet le hiatus qui existait entre d'une part, la
langue/culture vécue en Allemagne au cours de mes voyages et, d'autre part, le cursus
qui m'était proposé jusqu'au capes d'allemand. L'allemand vécu et l'allemand des
concours étaient très éloignés l'un de l'autre et je me trouvais tout à coup en échec dans
les exercices de thème et de version allemande. Or, comme je l’ai déjà mentionné, les
langues représentaient pour moi, un vecteur de construction identitaire et
professionnelle ancrée dans l'histoire sociale et culturelle d'un pays (ses mouvements
sociaux, ses pratiques culturelles ordinaires autant que sa culture savante) et tournée
vers la modernité. La préparation du capes d'allemand réduisait la perspective et
m'éloignait d'un projet que je voulais très ouvert. C'est pourquoi je décidais de
poursuivre en classes préparatoires mais de changer d'orientation et, en m'inscrivant en
licence de lettres modernes, de me laisser du temps pour réorienter mon projet. C’est
pourquoi, suite à mon admissibilité à l'écrit du Concours d'entrée à l'Ecole Normale
Supérieure de Fontenay-Saint-Cloud (et à mon échec à l'oral), j'intégrais une Licence de
lettres modernes à l'université Paris X - Nanterre.
Si mes années nanterroises ont été fondatrices, c'est qu'elles ont permis la rencontre
avec la sociolinguistique, la didactique du français, la littérature des francophonies. Un
ensemble de domaines dans lesquels les questions de langues, de variations
(linguistiques et culturelles) et d'enseignement allaient progressivement pouvoir
s'articuler.
En 1984, au cours d'une conversation avec Claude Abastado5, à qui je demandai conseil
sur l'après licence, celui-ci m'expliqua qu'une filière nationale de français langue
étrangère (désormais FLE) venait d'être créée suite à la mise en place de la commission
Savary visant à clarifier les rôles respectifs du Ministère de l'Education Nationale et du
Ministère des Affaires Etrangères dans le champ du FLE. Cette filière devait assurer la
18
4
Cette filière littéraire proposait une troisième langue vivante en seconde.
5
Il avait créé quelques années auparavant le groupe de recherche sur le Récit de vie à Nanterre dont la
direction sera, après sa disparition, assurée par Philippe Lejeune.
formation des intervenants (enseignants, conseillers pédagogiques, animateurs
culturels, etc.) en France ou à l'étranger, dans les alliances françaises, les centres
culturels français, les services de coopération et d'action culturelle des ambassades de
France, les établissements scolaires ou universitaires étrangers, etc. Il insistait alors sur
un point qui était déjà essentiel à mes yeux : ces formations affirmaient leur finalité
professionnalisante ce qui constituait une originalité en sciences humaines et sociales.
Mais elles affichaient également une pluralité d'approches disciplinaires
(sociolinguistique, didactique, littérature, anthropologie) autour des questions
d'enseignement et d'apprentissage du français langue étrangère et langue seconde.
Connaissant mon intérêt pour un enseignement du français associé aux questions de
diversités (culturelles et linguistiques), Abastado me conseilla alors de m'orienter vers
cette filière naissante. L'avenir allait montrer combien ce conseil était avisé. Motivée par
cette perspective, je pris une double inscription en maitrise de lettres (avec un mémoire
en didactique du français langue maternelle, désormais FLM) et en mention FLE de
licence de lettres, avant d'entrer l'année suivante en maitrise de français langue
étrangère.
Nous étions en France, au début des années 80 et ce double cursus (FLM/FLE) était
complété par des apprentissages sociaux et des rencontres intellectuelles. Celles-ci
maillaient un milieu estudiantin nanterrois qu’enrichissaient des formes de militantisme
à la fois culturel (promotion d'artistes et de concerts de musiques du monde dans Paris ;
stage sur l'antenne de la Radio des Hauts de Seine dans l'émission « Fauteuil
d'Orchestre » qu’animaient Jean-Louis Chiss et Gérard Germain) et interculturel
(notamment, via l'engagement pour l'égalité des droits entre Français de souche et issus
de l'immigration). Afin de resituer quelques éléments clés de ce contexte politique, je
rappellerai trois événements d'ampleur nationale. Il s'agit de la première « Marche pour
l'égalité » et contre le racisme dite « Marche des Beurs » en 1983 suivie du mouvement
« Convergence 84 » en 1984 et de la « Manifestation contre le racisme, la xénophobie et
pour l'égalité » organisée par SOS Racisme, à Paris, en 1987. La création de la maitrise de
didactique du FLE allait permettre à de nombreux étudiants de ma génération de donner
forme à un projet : celui d'articuler leur vie intellectuelle et leur identité professionnelle
19
Un double ancrage qui allait satisfaire mon inclinaison pour les aventures intellectuelles
dans lesquelles on va « tenter une médiation entre savoirs issus de la recherche et
savoirs d'expérience » en créant « des lieux de rencontre, des procédures de médiation
permettant au chercheur de construire un lien entre science et société » (Tupin,
Wharton, 2009, p. 73 et 77).
Une première recherche (menée dans le cadre d'un diplôme de linguistique appliquée à
l'enseignement du français), me permettra de toucher du doigt la question de la prise en
compte de la diversité sociolinguistique en situation scolaire. En effet, pour les jeunes
filles (dont certaines étaient issues de l’immigration) rencontrées en 1985 dans le lycée
professionnel parisien où elles préparaient les épreuves du concours d'entrée en école
d'infirmière, les codes de l'écrit et de la grammaire scolaires étaient loin d'être acquis. Il
fallait donc rapidement comprendre pourquoi, et surtout, intervenir de façon
appropriée6. Avec l'enseignante de cette classe (qui était comme moi étudiante en
maitrise à Paris X), nous allions nous demander quelle autre approche de l'écrit nous
pouvions proposer à ces élèves. La recherche dite « appliquée » à laquelle je m'initiais
sous la direction de Jacques Filliolet (dans le cadre d'une maitrise portant sur
l'enseignement du FLM) posait donc d'emblée une question théorique et pratique : quel
dispositif pouvait-on construire en situation, afin de mieux préparer ces jeunes filles aux
épreuves écrites de leur concours ? Je tentais pour la première fois d'articuler recherche
et intervention (sur le terrain) dans un mémoire de maitrise intitulé « Le récit écrit à la
première personne : apprentissage de la notion de cohérence ». La soutenance de ce
mémoire a été un moment de discussion sur les apports réciproques entre linguistique
appliquée et enseignement du français. Je tentais avec le soutien de mon directeur
« d'accréditer [auprès de notre interlocuteur : Serge Meleuc] la vision d'un double
mouvement où les sollicitations entre sciences du langage et didactique des langues
apparaissent réciproques et interactives » (Chiss, 2009, p. 130).
20
6
A la réflexion, on se rend bien compte que ces deux objectifs étaient difficiles à atteindre en si peu de temps.
1.1.3. Forger les clés de la professionnalisation en FLE : innovation, alternance,
mobilité, réflexivité
En nous invitant à objectiver nos représentations (comme on disait alors), non seulement
vis-à-vis des langues mais aussi vis-à-vis d'un certain nombre de faits culturels, Lipianski
nous permettait de nous confronter à nos dispositions et nos habitus entendus comme
« système de dispositions durables et transposables qui, intégrant toutes les expériences
passées, fonctionne à chaque moment comme une matrice de perceptions,
d'appréciations et d'actions » (Bourdieu, 1972, p. 178). Cette confrontation était
stimulante. Si je ne l’approfondissais pas immédiatement sur un plan théorique, ce
travail allait inspirer le projet pédagogique que je mis en œuvre (en tant que Lectrice),
durant l'année suivante avec les étudiants du département de français de l'Université de
Middlebury (Vermont, USA) où j’occupai le poste d’Assistante du département de
français et directrice de la Maison française. Ce n’est que plus tard, après la thèse, que je
tisserai des liens entre le travail effectué avec Lipianski et les travaux menés par
d’autres auteurs en (socio)linguistique, en recherche sur l’acquisition des langues et en
didactique. Cela se fera grâce à Marie-Thérèse Vasseur qui me confiera son cours
Conscience d'apprenant, conscience d'enseignant (dans le cadre de la maitrise FLE de
Paris V - René Descartes), puis grâce à Christine Deprez qui me demandera d'assurer un
enseignement de maîtrise sur l'utilisation des récits de vie dans la compréhension
sociolinguistique des migrations7. D’autres missions de formation (sur les terrains de la
formation de formateurs, en France et à l’étranger) me permettront de situer les
questions de réflexivité comme « moteur de la théorisation, qui permet de développer
une pensée professionnelle enseignante intégrée au cœur même du curriculum, en
prise directe avec les savoirs et savoir-faire expérientiels » (Longuet et Springer, 2012,
p. 265).
7
Le travail d'écriture réflexive engagé avec Lipianski sera également précurseur du chantier que j'ouvrirai après
22
la thèse dans une perspective pluridisciplinaire, en nouant des collaborations avec les courants de la sociologie
clinique (de Gaulejac), ceux de la recherche en éducation et en formation d'adultes (Pineau) et le courant de la
recherche biographique en éducation (Delory-Momberger).
La portée (trans)formative qu'a eu l'éloignement vis-à-vis du pays d'origine
Or, cette nécessité était d'autant plus visible à mes yeux que le document authentique
était au cœur des pratiques de didactisation que nous allions développer (à partir de
1989) dans le cadre de l'Association MICEFA8 en concevant (avec Michèle Le Coadic) et
en mettant en œuvre un dispositif original, de formation d'enseignants de français nord-
américains intitulé le Bus pédagogique et dont le slogan était sortir la France des Musées9.
Cette volonté de prendre en compte la dimension culturelle dans les cours de langue
m'incitait à penser l'activité langagière de la classe à partir :
- d'échanges : une pédagogie des échanges qui favorise des activités langagières
dialogiques en amont, pendant et au retour des séjours effectués à l'étranger, et
Ces axes de travail étaient au cœur des missions du Réseau Vidéo Correspondance (RVC)
du BELC10 que Micheline Maurice me présenta à mon retour des Etats-Unis en
septembre 1986. J'avais développé durant le semestre d'hiver à l'université de
Middlebury une pratique pédagogique qui consistait à proposer aux étudiants de
français inscrits dans l'un de mes cours de FLE, de concevoir et de réaliser un court-
métrage de type documentaire sur les gens du Château c'est-à-dire sur les personnes qui
habitaient la Maison française (étudiants francophones ou encore salariés du restaurant
8
Mission inter-universitaire de coordination des échanges franco-américains
9
J'aurai l'occasion de capitaliser cette expérience en collaborant avec Guy Capelle et Noelle Gidon sur le
manuel Espaces (niveau 3) paru en 1989 chez Hachette.
24
10
Le Bureau pour l'enseignement de la langue et de la civilisation françaises à l'étranger devient en 1994, sous
la direction de Denis Bertrand, le Bureau d'études des langues et des cultures.
situé dans ce bâtiment). Le résultat était intéressant dans le sens où les étudiants
concernés par ce projet devenaient producteurs d'un court-métrage réalisé en français
et accédaient à un autre rôle que celui de simple récepteurs de langue/culture ou
encore, consommateurs de communication avec des locuteurs natifs (avec une sorte
d'instrumentalisation de ces derniers). J'ai eu l'occasion de raconter cette expérience à
Micheline Maurice rencontrée à Paris au cours de l'été 86, car nous l'avions invitée à
venir parler du réseau RVC aux enseignants de FLE de l'AATF (Association américaine
des professeurs de français), dans le cadre du stage intensif que nous encadrions et
animions alors avec M. Le Coadic pour la MICEFA. Suite à cet échange autour de nos
pratiques, M. Maurice me proposa de devenir sa collaboratrice au BELC. J'acceptais
d'animer avec elle un réseau de formation et de recherche, rassemblant des enseignants
(du primaire, du secondaire et du supérieur), en France et à l'étranger, dont le point
commun était de mettre en place, avec leurs élèves, un apprentissage des langues par
projet. Il s'agissait de trouver des correspondants et de s'engager, avec eux, dans une
correspondance par lettres vidéo. En fait, M. Maurice et moi assumions des tâches
multiples. Il y avait des taches très opérationnelles, comme celle d’assurer la mise en
contact des professeurs correspondants et de leurs classes, la centralisation des
cassettes vidéo dont une copie était archivée au BELC. Nous avions aussi des tâches de
gestion de projet interculturel. Nous animions surtout un réseau d'échanges, d'analyse
réflexive et de théorisation des pratiques mises en œuvre. Nous réalisions donc une
mission d'ingénierie de formation-action-recherche. En effet, les stages (en France et à
l'étranger) que nous concevions et animions plusieurs fois par an (et les universités
d'été une fois l’an), étaient des dispositifs dans lesquels les enseignants du réseau
conjuguaient correspondance scolaire et apprentissage d'un genre filmique (lettre de
cinéma/lettre vidéo) via des approches sémiotiques, littéraires, cinématographiques et
didactiques. Pour théoriser ces pratiques, nous élaborions et éditions trois fois par an
une revue pédagogique : la Gazette RVC.
Pour retracer ce parcours, j'ai mis l'accent sur la recherche d'une première cohérence
entre des choix et des actes : les choix scolaires (Terminale A5), puis les choix
académiques (allemand, lettres, FLM, FLE) et la construction d'une orientation
professionnelle associant les savoirs et les engagements dans l'enseignement, la
formation et la recherche. Cette première cohérence a pris forme autour d'une figure
professionnelle : celle de l'enseignante de français (langue seconde ou étrangère), dont
l'emploi est associé à une mobilité (physique et intellectuelle), permettant de vivre une
plasticité identitaire, d’assumer la variation constitutive de son répertoire plurilingue,
de vivre ici et ailleurs en étant un intermédiaire culturel et un praticien-chercheur
innovant, en contextes.
En mai 1985, durant l'année comprise entre la fin de la maitrise de FLE et l'entrée en
DEA (à la Sorbonne Nouvelle - Paris III), j'ai été contactée par une association (la
MICEFA) pour intervenir à Pittsburgh en formation de formateurs sur les questions de
didactisation de ces nouveaux supports d'enseignement qu'étaient en train de devenir
les documents authentiques. Les ouvrages déjà cités de Debyser (1981), de Arruda,
Zarate et Zundert (1985) et de Zarate (1986) apportaient les références
anthropologiques indispensables au questionnement sur les rapports à construire entre
apprentissage de la langue et regards (proches/éloignés) sur la culture, en milieu
éducatif. Il y avait en revanche encore peu de passerelles théoriques (hormis l’ouvrage
fondateur de M. Abdallah-Pretceille en 1986) avec la question de l'enseignement du
français à visée d'insertion auprès des migrants. L'idée dominante était que l'acquisition
du français en France se faisait en relation avec des objectifs opérationnels associés à la
vie professionnelle plus que sur des enjeux d'insertion dans la cité et de citoyenneté.
Signe de cette séparation entre les deux champs, la volonté de distinguer le français
langue seconde (désormais FLS) et le FLE, qui se développaient de façon parallèle.
27
Le rôle décisif qu'a eu le BELC dans la construction de mon identité professionnelle va
apparaître clairement ici : il m'a mise au contact de praticiens-chercheurs qui
travaillaient à partir de notions passerelles (comme celle d'interculturel) et
développaient des recherches interdisciplinaires sur les deux terrains : le terrain des
échanges et le terrain de l'intégration. Deux figures incarnaient cette double orientation :
Marie-Gabrielle Philipp et Micheline Maurice. Toutes deux avaient d'abord travaillé et
publié ensemble (Maurice, Lowy et Philipp, 1977 et 1982) avant de développer chacune
son activité propre. M.-G. Philipp (1993, p. 133) se consacrera à « l'orientation
interculturelle (comme) principe d'action et enjeu éducatif et social », reposant sur un
apprentissage de la communication impliquant la construction de nouvelles habitudes
communicatives fondées sur la confrontation, la négociation du conflit, l'échange. Elle
formule de façon très claire son orientation dans l’extrait suivant : « Ouvrir à la diversité
c'est aussi éclairer les élèves sur les rapports de domination qui traversent l'histoire
nationale et la société française contemporaine. Ce n'est pas faillir au devoir de
neutralité de l'enseignant, mais c'est inscrire son enseignement dans le réel et
considérer les élèves comme des acteurs sociaux et de futurs citoyens. C'est reconnaître
à la pédagogie une fonction et une responsabilité sociales en matière de relations entre
groupes ethniques » (ibidem, p. 129). En 1997, dans un numéro du magazine Le Français
dans le Monde intitulé « Spécial anniversaire 1967-1997 : 30 ans de stage BELC », M.-G.
Philipp ré-affirme son souhait que la société civile et les politiques inventent un modèle
d'intégration capable d'assurer la diversité des appartenances culturelles au sein d'une
unité politique cohérente. Pour elle, l'option interculturelle est clairement associée à un
ensemble de choix (éthiques, politique et pédagogique) qui s'inscrivent dans une vision
pluriculturelle de l'histoire de France et à un projet militant. L'urgence exprimée en
1997 est en écho avec le constat énoncé plus récemment par Schnapper (2009, p. 25)
qui alerte sur le fait que « comparés aux descendants des migrants d'Angleterre et
d’Allemagne, les enfants de migrants français sont les plus ignorants et les plus détachés
de la culture d'origine de leurs parents, les plus totalement acculturés à la langue et la
culture locales, mais ce sont aussi ceux pour lesquels l'accès au monde du travail est le
plus difficile ».
1) Quel(s) sens cela avait pour un élève ou un étudiant des années 90 d'apprendre une
langue vivante entre les quatre murs de sa classe, à une époque de transition
technologique, juste avant internet et dans un monde globalisé ?
2) Quel(s) sens cela avait pour des centaines d'enseignants de français d'enseigner cette
29
Il m'est apparu très tôt en effet que la réussite des étudiants dans leur cursus
réside en premier lieu dans leur capacité à trouver leur place dans le jeu institutionnel et
à en connaître les rouages. Il s'agissait donc de mettre sur pied un dispositif pédagogique
qui favorise cette entreprise. Les étudiants sont ainsi engagés, par l'élaboration de
projets en prise sur la réalité environnante, dans des pratiques sociales où il existe de
véritables enjeux de communication. C'est dans ce processus de confrontation à une
multiplicité de situations-problèmes que les étudiants parviennent à avoir prise sur le
milieu (et non l'inverse) et à s'inscrire dans la langue en position haute (pour parler dans
les termes de Watzlawick) mais de façon - tel est du moins notre espoir – définitive
(Couëdel, n.p., 1993, BELC/CIEP, Université d'été du RVC à Strasbourg).
Cette expérience m’entrainait vers ce que Dosse (1995, p. 171) nomme un second niveau
de travail du sens : il sera de plus en plus question dans mes recherches de « partir du
vécu subjectif, de sa mise en discours et de son redéploiement horizontal dans l'univers
intersubjectif propre à la communication. Le monde vécu et les diverses procédures de
subjectivation et de socialisation possibles [seront] donc à la base d'un travail [en SHS
qui interroge] l'agir, c'est-à-dire le sens à donner à la pratique sociale ». Mais plus que la
seule quête du sens, il s'agira de trouver entre le concept et le vécu, cette « troisième
voie que recherchent des sciences sociales en quête de ce qui fonde le lien social »
30
(ibidem, p. 172).
Relier en permanence les deux niveaux (théoriques et pratiques) de l'action.
Nous nous encouragions entre doctorants (puis entre post-doc) à exercer le sursaut
critique vis-à-vis d’une linguistique qui (selon le philosophe Jean-René Ladmiral) s'est
constituée comme science « en excluant la problématique du sens et de la signification,
au motif qu'il faudrait alors recourir à l'introspection subjective des locuteurs de la
langue étudiée » (n.p., non daté). En effet, par crainte de verser dans le mentalisme, « il
fallait exclure toute référence au sujet, qu'il s'agisse de la subjectivité du vécu psychique
ou du sujet de la compréhension du sens des énoncés linguistiques. Faute de quoi,
l'objectivité visée par la science s'en trouverait a priori invalidée (...). En sorte que la
linguistique s'est interdit, dans un premier temps, d'accorder à la sémantique la place
qui lui revient » (ibidem). Or, cela nous posait problème à nous praticiens-chercheurs
utilisant dans les classes de FLE documents authentiques et correspondances vidéo et
soulevant en permanence les questions de sens, de subjectivité etc. Car dès lors qu'on
met entre parenthèses le sens qu'ils sont censés véhiculer, qu'est-ce qui reste du langage
et des langues ? Et des processus d’apprentissage ?
S'intéresser au vécu, à l'histoire des autres nécessite de penser sa propre implication
dans ce questionnement, au sens où l'entend Devereux (1980, p. 52 et 30) lorsqu'il
soutient dans De l'angoisse à la méthode que : « la seule différence significative entre les
êtres animés et les êtres inanimés est sans doute la conscience (awareness) et, entre
l'homme et l'animal, la conscience qu'a l'homme de sa propre conscience - le savoir que
l'on sait. (De ce fait), le chercheur est émotionnellement impliqué dans son matériau,
auquel il s'identifie ; ce qui, en dernière analyse, rend l'angoisse inévitable ».
Le BELC a de par ses valeurs et son histoire été porté à soutenir (non sans les discuter)
des projets qui articulaient ancrages théoriques en sciences humaines, innovation (et
créativité du chercheur), changement dans les pratiques pédagogiques et retour réflexif
sur les processus de changement enclenchés grâce à ces chevaux de Troie qu'étaient des
dispositifs dont la singularité était, la plupart du temps, d'associer des pratiques, des
moments de retour réflexif sur celles-ci et des temps de production de la recherche.
Impliquée dans - et acteur de - ce contexte, le processus d'écriture de la thèse allait
représenter une épreuve épistémologique.
1°) que l'action n'est pas un processus en « troisième personne » (…) c'est un processus
qui est mise en œuvre d'un sens et qui est constitué de part en part par une telle mise en
œuvre,
2°) que toute tentative de déchiffrement du sens reste rivée à une perspective singulière,
aux initiatives d'une subjectivité ou d'un groupe,
3°) mais que, par conséquent, la construction génétique d'un objet de recherche [à laquelle
j'allais consacrer quatre années] devait opérer momentanément une rupture avec la
genèse de l'action.
- en tant que praticienne (qui conduisait en milieu universitaire, avec ses étudiants
étrangers des projets pédagogiques dont les processus et les résultats étaient
discutés avec d'autres praticiens du RVC),
- et en tant que chargée d'études conduisant une réflexion méta sur un ensemble
de pratiques pédagogiques menées en réseau. On devrait dire : conduisant une
réflexion méta sur un ensemble de pratiques pédagogiques menées en France et à
l'étranger afin de les mettre en relation les unes avec les autres et de constituer
une sorte de réseau de praticiens somme toute assez proche de ce que Wenger
33
En effet, avec sa typologie des textes (1985), l'équipe genevoise proposait une
théorisation de la production langagière prenant en compte les paramètres
extralangagiers qui définissent la situation et le contexte dans lesquels se déroulent les
échanges langagiers et marquent profondément les textes. L'équipe établissait que la
formation à l'œuvre dans le texte renvoie à une entité plus large que celui-ci : le
discours. Ce dernier est cette « entité qui n'est appréhendable qu'en prenant en compte
(un) ensemble de paramètres de nature sociale » (ibidem, p. 11). Les discours produits
et à produire peuvent être appréhendés comme résultant de cette activité spécifique à
l'activité humaine qu'est l'activité langagière, activité mixte car à la fois prise dans - et
filtrant les - modalités d'interaction entre l'homme et la société. Orientée vers
l'application pédagogique, cette typologie des discours articulait deux plans : celui de
l'acte de production (qui est globalement équivalent au plan de l'énonciation, et
11
Si l'écrit (en situation pédagogique) a dans mes travaux, toujours été considéré comme lié à des processus
instituants (ou à des processus de changement) je suis consciente que ces processus sont considérés (dans
34
l'analyse systémique) comme étant nécessaires aux fonctionnements organisationnels. Pour moi, tout acte
(relationnel, éducatif) émancipateur crée un espace dans lequel l'inventivité des agents s'exprime tel « un art
social de l'improvisation » (Bourdieu avec Wacquant, 1992, p. 26).
concerne le producteur, le coproducteur, l'espace et le temps de l'énonciation) et le plan
de l'interaction sociale (ou plan de la communication), (Frangne et Treigner, 1985).
Plus intéressant encore pour ce que je tentais d'approcher, Bronckart (1985, p. 34)
après avoir défini le lieu social comme la zone de coopération dans laquelle se déroule
l'activité humaine à laquelle s'articule une activité langagière, note qu'il convient de
distinguer plus nettement : « les lieux que l'on peut définir selon des critères
sociologiques indépendants des discours qui s'y tiennent (...) qualifiés pour cette raison
d' “institutions”, et ceux qui se définissent au contraire par les pratiques discursives qui
y ont cours ». Pour illustrer ces derniers, le chercheur cite le lieu des pratiques de loisirs
et le lieu des pratiques de contact quotidien.
Ceci était corroboré par les théoriciens de l'analyse systémique et du rapport de place,
qui constataient que plus la situation est socialement structurée et formalisée et plus le
rapport de place est déterminé de l'extérieur, c'est-à-dire par les statuts et les rôles des
interactants ou par leur identité sociale. Inversement, plus la rencontre est informelle
(plus elle peut induire des identités multiples chez les partenaires) et plus le rapport de
place sera déterminé par la place subjective que chacun prend par rapport à l'autre, de
l'intérieur même de la relation (Marc et Picard, 1989, p. 46). La théorie des jeux et
l'analyse stratégique (Crozier et Friedberg, 1977) mettaient elles aussi l'accent sur la
marge de liberté dont jouit l'acteur dans tout contexte organisationnel, l'ordre
organisationnel apparaissant comme « un phénomène mouvant résultant de
l'interaction entre la logique organisationnelle et les stratégies interpersonnelles »
(Marc et Picard, op.cit., p. 116). Ces analyses me conduiront à envisager durablement les
projets et dispositifs pédagogiques novateurs comme devant motiver des activités
langagières situées dans une tension entre :
- un contexte institué : celui de l'institution scolaire dans laquelle des discours sont
produits et qui peuvent être définis « selon des critères sociologiques
35
J’allais donc envisager l'écrit selon une orientation réflexive, avec les écritures de soi
(Foucault, 1983) sans pour autant me référer à un sujet monadique envisagé dans son
extériorité vis-à-vis du monde. Pour cela, il fallait rompre avec une poétique de l'écriture
de soi qui reposait sur le scénario philosophique (classique) d'une subjectivité toute
intérieure. En effet, dans les sociétés occidentales, le ressaisissement (illusoirement
monologué) de soi et la production du sens reposaient sur une représentation
introspective de la quête métaphysique et/ou existentielle (voir Delhez-Sarlet et Catani,
1983).
Car, on s'en doute, ma démarche éducative interculturelle, loin de faire l'apologie du
soliloque, valorisait au contraire la fonction potentiellement émancipatrice d'une
production dialogique et intersubjective du sens. La subjectivité n'était pas synonyme
d'individualité mais d'ouverture sur l'altérité et d'ajustement avec le monde, via une
relation, qui, comme le désigne le préfixe inter, proposait des modifications (ou
altérations) réciproques. Il s'agissait donc de créer une culture éducative qui encourage
les apprenants réunis dans la classe de langue à apprendre à être modifiés par autrui, à
ne pas l'exclure mais au contraire à le convoquer en situation de classe. Par conséquent,
le choix de la lettre (titre du chapitre 3 de ma thèse) signifiait le choix d'une activité de
production et d'un dispositif pédagogique instituant une relation intersubjective et
interculturelle12. Ce dispositif devait servir à agencer une activité sociale (une formation
pratique à l'altérité), et une activité langagière (la co-production de textes dialogiques).
La finalité communicative de la correspondance constituait l'axe autour duquel
s'organisaient ces deux activités. C'est donc parce qu'elle véhiculait une éthique
relationnelle de la communication que la correspondance me paraissait adaptée à un
projet éducatif tourné vers l'exploration des variations (langagières) et des usages
(sociaux) mis en œuvre par des porteurs de culture engagés dans un projet de
communication. Je considérais ainsi avec Güsdorf (1991, p. 155) que l'anthropologie de
12
C'est donc afin de mieux identifier les possibilités d'une éducation langagière à la communication
interculturelle que la typologie des textes élaborée par l'équipe de Bronckart a été analysée dans ma thèse.
Cette typologie distingue quatre types de textes : la narration (N), le discours en situation (DS), le récit
conversationnel (RC) et le discours théorique (DT) et je me suis tout particulièrement intéressée aux « textes
37
b) Cet essai est structuré par une réflexion épistémologique : il s'agissait de construire
un continuum entre trois moments. Premièrement, le moment de l'expérience menée en
classe (organisation en projet, interactions et processus de production). Deuxièmement,
les moments de l’analyse des pratiques (avec les praticiens et les chercheurs réunis en
universités d'été). Et pour finir, le moment de la construction théorique inter-
disciplinaire. Cet essai a été ma première tentative de comprendre et de théoriser l’agir
professionnel des praticiens.
14
Cf. La lettre vidéo des étudiants nord-américains du Center for cultural studies (Paris) aux étudiants
Australiens de l’université de Sydney ou encore la lettre vidéo des étudiants étrangers (notamment iraniens) de
Paris 8 aux étudiants d’une université berlinoise.
1993) en rapportant notamment le témoignage de S. Hauser et C. Beaudoin (Paris-
Gavot... pari gagné, Gazette RVC n° 7, 1988, CIEP) à propos d'une vidéo correspondance
suivie d'un échange entre le pays de Gavot et Belleville :
La rencontre de nos élèves a permis de montrer à quel point la vidéo pouvait fonctionner
en certaines circonstances comme un miroir déformant de la réalité (...). Aussi aurions-
nous deux conseils à vous transmettre : (...) réfléchissez bien à la représentation de vous-
mêmes que vous donnerez ou que vous avez donnée dans vos productions, car elle risque
de bien vous surprendre par la suite.
Ainsi, ce que découvrent les jeunes gavotines lors de leur séjour à Paris est en parfait
décalage avec les images vidéo reçues quelques semaines auparavant, de leurs
camarades bellevillois. Lorsqu'en 1990 un nouveau projet de vidéo correspondance se
profile autour d'une rencontre entre Bellevillois et jeunes Roumains de Botosani un
objectif est bien repéré par les deux enseignants (français et roumain) : « faire émerger
les questions clef : quelles représentations pouvions-nous avoir d'eux et quelles
représentations avaient-ils de nous ?». Se formule alors l'idée de trouver un équilibre
entre l'image de Paris et des élèves que pouvait avoir le groupe roumain de par ses
connaissances scolaires ou télévisuelles (conception idéale d'un Paris touristique
éclatant) et la réalité vécue par les élèves au collège, au quotidien avec leurs
préoccupations d'adolescents du XI° arrondissement (voir Beaudoin, op. cit. 1993).
Dans mon Rapport (Molinié, 1993, op.cit.), je concluais ce témoignage en soulignant que
la préparation du voyage (en Roumanie) articulant l'interculturalité, l'épistolaire et la
vidéographie donnait de l’importance à
Les trois notions que je retiendrai aujourd'hui de ces années de recherche en réseau
sont : renoncement à la neutralité du chercheur, développement d’une pensée critique,
et co-construction du sens. Tout cela ouvrait des pistes de travail pour les années
suivantes :
a) faire de la recherche sur les dispositifs, les pratiques et leurs effets sur les apprenants
40
De 1994 à 2000, j'ai développé (avec des étudiants étrangers et des étudiants en
mention FLE de licence et en maitrise FLE) un ensemble de démarches biographiques et
réflexives sur les terrains suivants :
- durant les stages d'été du BELC, notamment au cours d'un module intitulé Du récit de
vie à l'action théâtrale proposé à des enseignants français et étrangers (Molinié et
Liberman, 1998).
b) la recherche de liens entre « être bilingue » dans une perspective acquisitionniste (Py,
1986) et processus de construction identitaire de l'apprenant en langues/cultures dans
une perspective didactique (cf. les articles n° 7, 8, 10 du Volume 8).
Ayant lu (et abondamment utilisé) durant mes années de formation littéraire le Pacte
autobiographique de Philippe Lejeune (1975), je me rendis, un samedi de l'automne
1993 à l'une des réunions de l'Association pour le Patrimoine Autobiographique (APA),
afin de mieux connaitre l'activité de l'association et de poser une question à cet
universitaire de renom. Ma question était la suivante : comment (avec quelle méthode,
quels outils, quels référents théoriques...) proposer à des étudiants étrangers, apprenant
le français en France de travailler sur leur autobiographie dans une perspective
d'insertion à la fois sociolinguistique et interculturelle ?
15
La discussion (menée dans le DEA puis la thèse) sur l'interlangue, la communication-négociation et le système
42
b) il était intéressant d'établir non seulement une cohérence mais aussi une congruence
entre l'identité mise en actes à travers une pratique (d'enseignant, de formateur) et les
choix théoriques effectués en tant que chercheur en lettres et sciences humaines (cela
n’était pas réservé aux seuls chercheurs en sciences sociales !) (cf. chap. 3).
Venant étayer ces processus, la rencontre avec Gaston Pineau s'est effectuée
postérieurement à celles décrites ci-dessus. Je fis sa connaissance à l'automne 1996,
lorsque, prenant la direction du programme intensif de français créé par le département
de langues et littératures romanes de l'Université de Chicago à Tours, j'installais nos
bureaux au 116 boulevard Béranger, dans l'immeuble où siégeait le laboratoire des
sciences de l'éducation de l'université François Rabelais, et par conséquent, au cœur du
fief français des Histoires de vie en formation. Dix ans après le Colloque fondateur dit
Colloque de Tours (1986), ce domaine était en pleine éclosion (en France, en Suisse, en
Belgique et au Québec) et la soif de confrontations théoriques et de mise en analyse des
pratiques parvenait à peine à s'assouvir dans une vie associative qui multipliait les
occasions de participation à des séminaires de réflexion, colloques, films documentaires
et sessions de formation. Je devins successivement adhérente puis membre du conseil
d'administration de l'ASHIVIF (Association internationale des histoires de vie en
formation) et adhérente puis présidente d'HIVIGO (Histoires de Vie dans le Grand Ouest
de la France).
Avec ceux de mes consœurs et confrères des deux associations qui, comme moi se
formaient à la fois dans le champ de la sociologie clinique16 (avec le laboratoire de
changement social de Paris 7-Denis Diderot) et dans celui des sciences de l'éducation,
nous allions co-construire un certain nombre de dispositifs de confrontation de nos
44
16
Alex Lainé, (Institut de sociologie clinique), Roselyne Orofiamma (CNAM) et Ginette Francequin (Inetop et
CNAM), Christophe Niewiadomski et Christine Abels (IRTS Tours).
expériences afin d'analyser les enjeux théorico-pratiques des combinatoires (que nous
inventions) entre trois processus : la co-construction narrative de l'histoire de vie du
sujet (à l'oral et à l'écrit) en groupe, la socioanalyse de sa trajectoire éducative et
professionnelle et le développement de ses processus d'autoformation ou encore de ses
projets d’intervention et de recherche-action dans le champ social. L'une des
publications issue de ce travail en réseau a été la parution du numéro de la revue
Education Permanente intitulé Théories et pratiques des histoires de vie en formation,
numéro auquel j'ai contribué sur « Ecrire son histoire pour penser la culture » (Molinié,
2000d, voir Vol. 8, n° 6, p. (54-62).
Guy Brault remarquait en 1983 que si l'on parlait désormais de didactique des langues
et moins de linguistique appliquée, ce changement de vocable ne signait pas pour autant
un changement de nature épistémologique de la discipline. Celle-ci se définit d'abord
comme étant essentiellement au service de l'enseignement des langues, dans une
perspective qui se veut utile, et se place dans une orientation et « une idéologie de la
recherche » qui emprunte les outils de la scientificité comme s'ils allaient produire les
outils de l'efficacité. Comme si la valeur opératoire d'un outil provenait de son origine
scientifique, ce terme étant entendu en didactique des langues dans sa connotation
« positiviste et objectiviste ». On alimente alors l'amalgame courant (tant au niveau des
chercheurs qu'à celui des praticiens) entre une théorie de l'efficacité (et ses déclinaisons
« pragmatiques et fonctionnelles ») et une théorie de l'action (et plus particulièrement
de l'action sociale qui s'exerce notamment en termes d'éducation). Or, les outils d'une
théorie de l'action ne peuvent être forgés uniquement à partir d'une position scientiste
orientée vers l'efficacité des pratiques. Elle repose plus fondamentalement sur la
possibilité de réinstaller l'action (éducative) dans des dynamiques sociales. C'est
seulement à partir de là que peut être posé « le problème opératoire », non plus comme
étant a priori structuré par des finalités admises mais comme étant en construction
45
dans les outils même de l'analyse. C'est une démarche similaire que j'ai tenté
d'introduire dans les processus de formation et d'auto-formation dont j'avais la charge
et le pilotage.
Il faut souligner que la reconnaissance des effets de sens qu'ont les processus
d'énonciation de récits et histoires de vie sur les biographants (mais aussi sur les
auditeurs et sur les récepteurs de ces récits lorsque ceux-ci sont publiés) dans divers
dispositifs et espaces socio-éducatifs d'énonciation a engendré (chez les praticiens et les
chercheurs rassemblés dans les associations qui structurent le champ) la volonté de
comprendre les facteurs qui jouent en faveur de cette production de sens. C’est
pourquoi, les années 2000 sont, de mon point de vue, marquées par deux
questionnements :
- pourquoi/comment une activité langagière apparemment aussi simple que celle qui
consiste à raconter son histoire de vie produit-elle autant de sens17 ?
- comment créer une culture du sens dans nos institutions formatives ? Comment
optimiser les dispositifs socio-éducatifs d'énonciation pour améliorer cette
« rentabilité » du sens et en faire un levier éducatif, formatif dans divers domaines :
acquisition de compétences en langues, développement de la motivation,
développement de ressources subjectives, etc.
Je travaillais à faire exister dans le champ des histoires de vie trois thématiques de
recherche en lien avec les objets de la DLC :
17
Du sens mais aussi des effets de résilience comme l'indiquait par exemple, le travail effectué avec Nain Nain
Tun, étudiante Birmane (Molinié, 1997, vol. 8, n° 1, p. 4-16, cf. aussi Jeanneret et Pahud, 2013).
avec G. Zarate et G. Paganini autour de la notion de savoir-voyager (Molinié, 2000a, voir
Vol. 8, n° 3, p. 34-38).
Si ces thématiques seront abordées les unes après les autres au cours de la décennie
suivante, en ce mois de mai 2000, le premier questionnement (rapports entre
migrations et construction d'identités culturelles) avait été situé au centre du
symposium que j'ai eu la charge d'animer dans le cadre du premier Congrès
international organisé à Montpellier par Armand Touati, rédacteur en chef de la revue
Cultures en mouvement sur le thème Penser la mutation.
Ce séminaire allait se réunir de juin 2000 à janvier 2001 dans les locaux du
Conservatoire National des Arts et Métiers à Paris. Christian Leray qui co-dirigeait avec
18
Les intervenants étaient issus du travail social : Christine Abels, (IRTS Tours), Muriel Goldbaum et Agnès
Fouquet (Consultantes), Marc Guiraud (IRTS Bordeaux), Patrice Leguy (Université François Rabelais), un
47
professeur de médecine du CHU de Tours (Philippe Bagros), quatre psycho-sociologues : Jacques Rhéaume,
(UQUAM), Christophe Niewiadomski (IRTS Tours), Ana-Maria Araujo, (Université du Nicaragua), Ginette
Francequin (INETOP/CNAM) et un chercheur en sciences de l’éducation, Christian Leray, (Université Rennes 2).
Claude Bouchard la jeune revue Histoires de vie (créée à Rennes, suite au Colloque de
1998 sur Histoires de vie et dynamiques langagières) aux Presses Universitaires de
Rennes, proposa de publier nos travaux dans un dossier thématique. Le numéro 4
paraitra en 2003 sous le titre Histoires de vie : miroirs singuliers de la culture. Notre
dossier thématique rassemblait sept articles organisés autour d'une préoccupation
centrale : inventer des formes et des lieux de production langagière afin de faire du lien
social et tisser ensemble les singularités (notamment culturelles). Cette idée sera
notamment développée à travers la pratique du théâtre-récit par D. Feldhendler de la
façon suivante :
Face à l’évolution des publics scolaires et à la diversité des contextes d’apprentissage, les
didacticiens des langues réfléchissent à de nouveaux paradigmes capables de répondre à
la complexité de l’enseignement/apprentissage des langues-cultures en milieu
scolaire. Les contributions internationales montreront que le paradigme de
la reliance rapproche des domaines scientifiques trop longtemps cloisonnés :
notamment linguistique, sciences cognitives, sociologie, neurosciences… De cette
reliance émergent de nouveaux concepts en didactique : empathie, imaginaire,
changement de point de vue, couplage perception/action, écologie, transculturel,
communauté de pratique, etc. Ces concepts seront présentés d’un point de vue
théorique et illustrés par des analyses de dispositifs innovants (Présentation du
Colloque, http://eurouault.lautre.net/spip/spip.php?article31).
En arrivant sur ces terrains, le domaine des « histoires de vie » tel qu'il s'était développé
jusque là, entre littérature, sociologie, histoire et sciences de l'éducation vivait donc lui
aussi une mutation. En effet, si son développement initial s'était effectué autour du
développement des identités professionnelles, dans des dynamiques de recherche-
action, d'éducation populaire (Desroche, 1990) et, plus largement, des processus
d'autoformation des adultes (Pineau, 1983), il s'avérait que les intervenants sociaux
49
utilisaient les histoires de vie sur des terrains de plus en plus diversifiés, en réponse à un
large spectre de problématiques sociales/existentielles, à l'articulation de la vie
personnelle et de la vie professionnelle.
- Des structures subjectives (ici, des expériences) peuvent être mieux ajustées sur des
structures objectives (les diplômes) permettant de conquérir les positions sociales
souhaitées.
(UCP-Mairie de Paris) en février 2012 sur le thème « Valoriser les trajectoires migratoires » et le débat avec la
salle ont fait de nouveau ressortir la nécessité de démarches créatives en situation d'intervention auprès des
migrants.
établissant un lien entre développement du pouvoir d'action, reconfiguration de
l'expérience et construction identitaire pour le sujet en (trans)formation. Entre idem et
ipse, le récit de soi devait contribuer à développer l'identité narrative d'un sujet
contemporain en recherche d'ajustements à lui-même, aux environnements et à ce qu'il
percevait comme pouvant être son avenir, dans des contextes qui restaient incertains.
Recherche de cohérence et de congruence ou, comment mettre un peu d'ordre dans le
chaos....
C'est dans ce contexte que quelques chercheurs allaient poser les premiers jalons
biographiques en sciences du langage, en France. En didactique des langues, des textes
et des cultures et en sociolinguistique à partir de quatre points d'entrée.
Suite à une journée d'études organisée à l'université Charles de Gaulle Lille 3 par
l'Association française de linguistique appliquée (AFLA), au cours de laquelle j'avais pu
exposer pour la première fois le travail sociobiographique mené avec des étudiants
étrangers, Martine Marquillò-Laruy m'avait demandé de contribuer au numéro 4 des
Cahiers du français contemporain qu'elle coordonnait sur le thème des Ecritures et textes
d'aujourd'hui. J'y publiais mon premier article de fond, portant sur l'expérience
fondatrice menée à Lille 3 auprès d'étudiants étrangers sous le titre : Trajectoires
sociales et mobilités culturelles : une approche autobiographique (Molinié, 1997, Vol. 8, n°
1, p. 4-16).
Lejeune à Nancy en 1998 sur L'étudiant voyageur, un nouvel étranger, dans laquelle elle
convoquait l'héritage de l'Ecole de Chicago et montrait l'apport de la sociologie de
l'étranger de Simmel pour mieux comprendre ce nouveau public du FLE qu'étaient déjà,
dans nos centres universitaires, les étudiants Erasmus.
Les entretiens sur le rôle des langues dans les itinéraires migratoires et dans le récit
qu'en font les migrants. Développés par Christine Deprez et ses étudiants de Paris 5,
ces entretiens étaient nommés « biographies langagières ». Notre rencontre en 1998
dans l'atelier IV (« Dynamique langagière et construction d'historicité ») du Colloque de
l'Université de Rennes sur Histoires de vie et dynamiques langagières a été l’occasion de
découvrir nos approches respectives.
Ces quatre thématiques vont être enrichies par le courant de recherche qui se
développera autour de la notion de biographie langagière (René Richterich) représenté
par les linguistes et didacticiens qui, de Genève à Lausanne menaient déjà des entretiens
avec des enfants et des étudiants bi-plurilingues fréquentant (pour y apprendre le
français) les écoles (Christiane Perregaux) ou les universités (Thérèse Jeanneret). Un
colloque organisé en 2001 par l’association suisse de linguistique appliquée
(VALS/ASLA) allait être consacré pour la première fois à cette notion et sur une
recommandation de Christine Deprez, j'avais été invitée à y présenter mes travaux au
cours d'une conférence plénière. Je pense aujourd’hui que nous étions tous convaincus
de relier socio-linguistique et didactique des langues autour de la notion émergente de
biographie langagière et que cette notion nous fournissait un levier pour faire avancer la
reconnaissance du plurilinguisme comme trait marquant de nos sociétés
multiculturelles européennes. D'ailleurs, les entretiens enregistrés par Jean Racine sur
support vidéo, à l'occasion de l'année européenne des langues auprès d'étrangers vivant
à Biel/Bienne et qui ont été diffusés au cours de ce colloque, ont constitué un premier
corpus de ces biographies langagières qui, avec la publication du Bulletin VALS/ASLA 76
allaient entrer dans la littérature grise (pour une synthèse plus approfondie, cf. Molinié,
2011b, Vol. 9, n° 11, p. 128-135).
étudiants effectuant leur maîtrise FLE et leur PGCE en Grande Bretagne (Vasseur,
Grandcolas, 1999) allait constituer (notamment pour moi qui reprenais ce cours sur
deux années, pour remplacer momentanément M.T. Vasseur) une étape majeure vers la
mise en relation des notions de « conscience », « réflexivité » et « autobiographie ».
Dans les travaux produits et publiés entre 1994 et 2000, on voit ainsi l'accent se
déplacer d'une recherche menée sur un dispositif (la correspondance par lettres vidéo)
à une recherche sur a) le sujet en train d'apprendre les langues/cultures dans des
environnements sociaux situés et b) les dynamiques de l'écriture
personnelle/professionnelle comme vecteur des apprentissages sociolinguistiques.
Cette période charnière se termine avec l'émergence officielle d'une notion, celle de
biographie langagière qui sera diffusée via le Portfolio Européen des Langues (PEL) dans
le sillage du Cadre Européen Commun de Références pour les Langues (CECRL).
Radenkovic, 2004 ; Huver et Molinié, 2009, cf. Introduction dans Vol. 3 ; Molinié, 2011,
voir Vol. 6) sur les dynamiques d'instrumentalisation technique/fonctionnelle qui feront
de la mobilité internationale une migration « sans histoire » (ni problématique
interculturelle ou autres...) et de la « biographie langagière » un non récit : une liste
d'items (renvoyant à des critères de compétences) à cocher (Molinié, 2004b, voir Vol. 8,
n° 9, p. 81-85).
de recueillir leurs demandes et/ou leurs attentes. L'étude réalisée via une trentaine
d'entretiens semi-directifs menés auprès des directeurs de composantes et cadres de
l'université allait montrer l'importance accordée par la communauté universitaire à la
formation (linguistique et interculturelle) des étudiants Erasmus et des étudiants des
échanges, formation très attendue et perçue par eux comme un gage d'attractivité. Avec
une toute petite équipe administrative, je créais donc un premier « programme de FLE »
en septembre 2002. Celui-ci sera institutionnalisé en trois temps : d'abord en tant que
« programme de FLE » puis en 2005 (par un arrêté de l'université), sous la forme d'un
Cours International de Langue française et Action Culturelle (le CILFAC), enfin en
devenant en 2009 un Centre dont je continuais d'assurer la direction pédagogique mais
dont les missions étaient élargies à l'innovation et à la recherche dans le domaine du
FLE.
Il fallait tout d'abord recruter au CILFAC des enseignants chevronnés dans le domaine
du FLE et construire une équipe pédagogique autour d'un projet, d'un programme et
55
Ce dispositif sera complété chaque année par la constitution d'une équipe de dix tuteurs
issus des formations en lettres et langues. Le tutorat a lui aussi été conçu comme un
dispositif de formation professionnalisant notamment par la production d'écrits de
formation et d'écrits professionnels, théorisés comme écrits intermédiaires (Chabanne,
2006) et faisant l'objet d'analyses au fil desquelles il a été possible de didactiser les
démarches mises en œuvre et d'inventer d'une part, un Portfolio d'expériences
interculturelles en mobilité internationale (2009-2010, Vol. 10 et 11) et d'autre part, un
Portfolio du praticien-chercheur réflexif (n.p.).
Une fois effectuée cette articulation organique entre cursus de formation et création
d'espaces de pratiques accompagnées permettant la mise en œuvre de processus
réflexifs, nous allions permettre aux étudiants du Master Enseignement des lettres de
s'initier à la didactique du français langue seconde/de scolarisation. C’est ainsi qu’à la
demande de M.-M. Bertucci j'ai mis en place en 2010 un cours optionnel sur les
questions de français langue étrangère, seconde et de scolarisation, dans un contexte où
la nécessité de diversifier les compétences des enseignants devient urgent (cf. Bertucci
et Corblin, 2004). Nous allons poursuivre en ce sens dès l’année 2013-2014 avec un
enseignement optionnel à distance permettant à nos étudiants du master MEEF (métiers
de l’enseignement, de l’éducation et de la formation) de préparer l’option FLE/S du
Capes de Lettres Modernes dans le cadre d’une coopération entre l’UCP, l’école
56
Tout en mettant en place ces cursus de formation dans le domaine du FLE, je veillais à ce
que ceux-ci s'adossent aux recherches que je développais en réseau.
Peu après mon insertion dans l'équipe d'accueil EA 1392, Centre de Recherche Textes et
Histoires créée en 1992 et que dirigeait alors Bernard Mouralis, Professeur de
littérature à l'UCP, Le CRTH devint le CRTF (Centre de Recherche Textes et
Francophonies) successivement dirigé par Christiane Chaulet-Achour puis Violaine
Houdart-Merot, (toutes deux professeures de littérature). Structuré autour d’une
approche littéraire et interculturelle des francophonies, le CRTF joue un rôle non
négligeable dans le développement des études francophones en France, en Europe et en
Afrique. A partir de 2006, le centre se développera autour de deux axes : « Littérature et
savoir : Europe/Afrique/Antilles » et « Langues/Textes, diversité linguistique et
culturelle ». Lorsque suite à l'évaluation AERES de 2009, quatre Pôles ont été créés, j'ai
rejoins le Pôle Langage, Société, Communication et Didactique (LaSCoD) que coordonne
Marie-Madeleine Bertucci, professeure en sociolinguistique et didactique.
Ce thème (qui sera développé au chapitre 2) concerne l'identité narrative et les éléments
constitutifs de la mobilité estudiantine : à savoir la prise en compte du trajet plurilingue
et expérientiel déjà effectué, des apprentissages langagiers et interculturels en cours
d’effectuation (ici/maintenant) vers le développement de projets mobilitaires pour
l’avenir. Cette prise en compte s’effectue à partir de divers supports d'expression
(Journaux de bord d'apprentissage, narration, dessins + entretiens réflexifs, exposés,
théâtre) et permet à la fois d'accéder à la pluralité des ressources
plurilingues/pluriculturelles des étudiants et à la compréhension de leurs
représentations sur leurs apprentissages en mobilité internationale (et, notamment en
mobilité académique). C'est ainsi que s'effectue un maillage entre diverses mobilités
(sociales, culturelles et langagières) que vit l'étudiant sur un plan objectif mais aussi sur
le plan imaginaire. L'interrogation de l'étudiant (que faire de ce plurilinguisme ?) est
analysée à partir de trois types d’expériences : celle des étudiants entrants, celle des
étudiants sortants et celle des étudiants de retour en France après une mobilité. Pour
pouvoir croiser ces points de vue, j'ai conçu une UE libre21 intitulée Parcours et projets
de mobilité internationale, ouverte à la fois aux étudiants étrangers en mobilité, aux
étudiants français revenant de mobilité et aux étudiants qui préparent leur mobilité. Ce
dispositif de rencontre a comme objectif de croiser les discours sur la mobilité : avant,
pendant et au retour.
Cette structure narrative sera reprise pour concevoir le Portfolio d'expérience
interculturelle en mobilité internationale (Vol. 10 et 11) composé de trois cahiers (avant,
pendant, après le séjour à l'étranger) que nous concevrons et publierons sept ans plus
tard (en 2011).
Développée au chapitre 3, cette recherche porte sur l'atteinte d'un objectif de formation.
Il s’agit de conduire les étudiants à prendre en compte a) leur propre trajectoire
plurilingue/pluri - ou inter- culturelle, qu'ils soient eux-mêmes issus de la diversité ou
qu'ils aient été en contact avec celle-ci, b) les trajectoires plurilingue/pluri - ou inter-
58
21
validée en CEVU en juin 2005.
culturelle de leurs élèves (étudiants migrants/en mobilité) et à comprendre l'influence
de ce vécu mobilitaire sur les apprentissages langagiers et les projets d'insertion.
On travaille les liens entre ces deux répertoires à travers la conduite d'un
questionnement autobiographique en groupe sur les continuités/ruptures entre les
apprentissages d'hier et les choix d'orientation professionnelle effectués (ou en cours
d'effectuation) aujourd'hui.
Le postulat est que des compétences réflexives sont requises pour travailler en contexte
plurilingue, migratoire/mobilitaire et précaire (insécurité sociale des publics).
A partir de 2007 et grâce à la proposition que me fit Véronique Castellotti, ces deux
thèmes ont été enrichis au contact de l’équipe ayant œuvré à l’élaboration d’un Cadre de
Référence pour les Approches Plurielles en Education22 (CARAP), sous la direction de
Michel Candelier pour le Centre Européen pour les Langues Vivantes (CELV/ECML) et
avec le soutien du Conseil de l'Europe23. J’y reviendrai en détail au chapitre 3.
22
http://carap.ecml.at/Projectdescription/tabid/406/language/fr-FR/Default.aspx
23
Ce réseau d'experts européens a défini les « approches plurielles des langues et des cultures » comme des
approches didactiques qui mettent en œuvre des activités d’enseignement-apprentissage qui impliquent à la
fois plusieurs variétés linguistiques et culturelles. Elles se distinguent d'approches que l’on pourrait appeler «
59
singulières » dans lesquelles le seul objet d’attention pris en compte dans la démarche didactique est une
langue ou une culture particulière, prise isolément. Le CARAP distingue quatre approches plurielles : l'approche
interculturelle, l’éveil aux langues, l’intercompréhension entre les langues parentes et la didactique intégrée
1.4.3. Expérimenter des dispositifs pour l'enseignement-apprentissage des
langues en mobilité étudiante internationale
Dès lors, deux thématiques ont pu être développées sur une période comprise entre
2006 et 2011. Dès juin 2006, une première thématique (Démarches Portfolio et
formation de praticiens réflexifs dans le domaine des langues étrangères dans
l'enseignement supérieur) a fait l'objet d'une Semaine de réflexion organisée à l’UPO24 afin
d'expérimenter un prototype trilingue (japonais/coréen/français) intitulé Portfolio de
l'enseignant-chercheur.
des langues apprises (pendant le cursus scolaire et au delà). A l'issue de quatre années d'analyse et de
production (2008-2011), ont été mis en ligne sur le site du CELV : le référentiel de compétences à proprement
parler (à l'intention des décideurs), la banque de matériaux didactiques pour la mise en œuvre des approches
plurielles (pour les concepteurs de manuels de langue et les enseignants), un kit de formation (pour les
enseignants et concepteurs de programmes de formation). Cet ensemble venait compléter d'autres
instruments élaborés par le CELV/Conseil de l'Europe tels que le CECRL, PEL) et le Guide pour l'élaboration des
politiques linguistiques et éducatives en Europe (Beacco et Byram, 2010).
24
Cette Semaine de réflexion sur l’enseignement des langues étrangères à l’Université Préfectorale d’Osaka /
Asie - Europe : expériences croisées d’enseignement- apprentissage des langues étrangères était organisée par
60
Marie-Françoise Pungier et Miae Cha avec deux intervenantes : Hi Won Yoon (Université Nationale de Séoul) et
moi-même.
Le CRTF/Pôle LaSCoD de l'UCP a été partie prenante du travail de théorisation que j’ai
ensuite approfondi au cours de deux séminaires de recherche. Le premier a eu lieu le 20
novembre 2008 et s'intitulait Conduire des dispositifs de recherche-action en éducation :
des fondements épistémologiques aux problèmes de méthodes. Le second s'est tenu le 8
avril 2010 à l'UCP sous le titre : La méthode biographique, fondements épistémologiques
et questions de méthode.
Discussions et échanges de pratiques ont été menés au cours de plusieurs rencontres qui
ont eu lieu en mai 200825 à la Japan Foundation à Tokyo, puis avec les enseignants de
japonais langue étrangère réunis par Hideo Hosokawa à l'Université de Waseda pour
une conférence sur les démarches Portfolio en éducation, ou encore avec les formateurs
en français langue étrangère à l'Institut français de Yokohama, avec les didacticiens des
langues et cultures réunis en congrès à Tokyo par la Société Japonaise de Didactique du
Français, avec les praticiens rassemblés au cours des Rencontres pédagogiques du
Kansai au Centre franco-japonais-Alliance française d'Osaka en mars 2010 et avec des
enseignants de l’UPO de toutes disciplines réunis au même moment, lors d'un séminaire
international intitulé Les mobilités étudiantes internationales : un atout pour les
formations universitaires.
Le premier (en 2009) s'intitulait De l’intérêt des cultures croisées pour l’insertion dans
l’emploi/ Développement de démarches Portfolio en mobilité internationale26. Le second
colloque international intitulé : Mobilité, plurilinguisme et migrations internationales.
Politiques linguistiques et démarches portfolio en recherche et en action (Europe-Asie),
s'est tenu en 2010 à l’UCP avec le soutien du Conseil Général du Val d'Oise. Ces deux
colloques ont permis de confronter six portfolios élaborés sur des terrains éducatifs
différents (et complémentaires).
25
Au cours d'une mission Ministère des Affaires étrangères que j'ai assurée à Tokyo.
61
26
Nous avons organisé le premier volet de ce Colloque international le 17 septembre 2009 à l’UCP avec le
soutien du CGVO. Le second volet, co-organisé avec M.F. Pungier et M. Terasako a eu lieu en octobre 2009 à
l’UPO.
- Dans le réseau des Universités françaises avec le Portefeuille d'expériences et de
compétences (PEC) développé par le Service Universitaire Commun d'Information,
d'Orientation et d'Insertion Professionnelle (SCUIO-IP),
- A l'Ecole européenne de Bruxelles 1 en relation avec les préconisations du Conseil de
l'Europe autour des Portfolios européens des langues,
- A la Mairie de Paris où a été créé un Livret d'apprentissage du français.
- Enfin, à l'Université de Cergy-Pontoise où ont été créés trois portfolios entre 2006 et
200927.
Ces confrontations ont fait apparaitre :
3- que des Portfolios co-construits avec les utilisateurs (apprenants et formateurs) dans
le cadre de projets de recherche/action/formation en didactique des langues et des
cultures, selon des démarches réflexives et collaboratives constituent un support
précieux en milieu universitaire.
Ce bref survol des recherches que j’ai conduites en partenariat avec le CRTF et avec une
université japonaise dans la période 2002-2012 montre que le développement de
politiques éducatives et de dispositifs de formation valorisant la pluralité en contexte
plurilingue/pluriculturel est possible. Cela rend nécessaire de clarifier les choix
27
Un Portfolio de l'étudiant utilisé dans le cadre des formations professionnalisantes aux métiers du FLE, deux
62
En 2005, j'ai accepté l'invitation de J.-L. Chiss de devenir membre associée au DILTEC
(Laboratoire de Didactique des Langues, des Textes et des Cultures) qu'il venait de créer
et qu'il dirigera jusqu'en 2011 à l'université de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3 (J.-P. Narcy-
Combes prenant la succession). Au sein de ce laboratoire, ma première collaboration
s'est nouée avec Aline Bergé (MC, en littérature française et associée au DILTEC) qui
s'est particulièrement intéressée aux travaux que je développais avec les étudiants
étrangers du CILFAC et m'a fortement encouragée à les rendre plus visibles mais surtout
à théoriser la démarche du dessin que je mettais en œuvre depuis 2003. (voir Vol. 5 et
voir aussi Revue Glottopol à paraitre en 2014). Nous avons présenté ensemble ces
démarches dans une communication intitulée « Lectures de l’expérience internationale :
décentrement culturel et question d’espaces et de méthodes », au cours de la Journée
63
28
C'est la raison pour laquelle j'ai organisé en novembre 2008 un séminaire de réflexion sur la recherche-action
dans le cadre des activités du Pôle LaSCoD.
d’études du 21 novembre 2005 organisée par l'Axe 5 du DILTEC (Lecture/ littérature /
littératie) sur le thème : Être lecteur en langue maternelle et langue étrangère :
littérature, médiations pédagogiques et culturelles.29
Je me suis ensuite impliquée dans les travaux de l'Axe 3 intitulé PLURIFLES Situations
Plurilingues et Français Langue Seconde que coordonnaient Valérie Spaëth, Danièle
Moore et Pierre Martinez, avec qui nous avons organisé le Colloque Transmission
/Appropriation des Langues et Construction des Identités Plurilingues qui s'est tenu à la
Sorbonne Nouvelle-Paris 3, en juin 2007.
Restant en contact avec moi Danièle Moore30, (qui avait contribué avec V. Castellotti à
notre publication collective de 2009, cf. Vol. 5), allait me proposer d’organiser ensemble
une Journée d'études sur les Littératies plurilingues/pluriculturelles. Celle-ci s'est tenue
le 28 janvier 2011 à l'UCP et s'inscrivait dans la tradition des journées Notions en
Question (NeQ) imaginées il y a une vingtaine d'années par Daniel Coste (Credif/ENS de
Fontenay-St-Cloud). Elle rassemblait des sociolinguistes et didacticiens français,
canadiens et britanniques. Elle prenait place dans un cycle thématique proposé à l'UCP
sur le thème « Eduquer et transmettre : quelle école demain ? » et résultait d'un
partenariat entre le CRTF/Pôle LaSCoD, le DILTEC et l'ACEDLE (Association des
Enseignants et Chercheurs en Didactique des Langues). La publication de cette Journée
dans les Cahiers de l'ACEDLE et notamment la notion de « littératies multimodales »
enrichisaient le travail mené sur les écrits intermédiaires, la lettre et les
correspondances vidéo (Molinié, 1993) ; les ateliers d'écritures autobiographiques
autour des parcours et projets de mobilité internationale ainsi que le travail sur le
« dessin réflexif » (2009) ou encore les démarches Portfolio contextualisées incluant
biographies langagières, récits de formation interculturelle et auto-évaluation de
compétences plurilingues et pluriculturelles.
Toutes ces petites fabriques de littératies m'avaient permis d'explorer les liens entre
développement des compétences réflexives et des ressources biographiques de
l'apprenant ; développement d'une culture de l'écrit dans une perspective de mobilité et
29
Au-delà de cette Journée d'études, la collaboration avec Aline Bergé s'est poursuivie dans le cadre du
64
séminaire de recherche que j'ai coordonné au CRTF et jusqu'à la publication de l'ouvrage collectif "Dessin
réflexif : éléments d'une herméneutique du sujet plurilingue".
30
Simon Fraser University à Vancouver et université de la Sorbonne Nouvelle - Paris 3.
d'insertion ; dimension méta-cognitive (ce que je fais quand j'apprends) et travail sur les
représentations, les cultures éducatives et les « savoirs voyager ».
Conclusion du chapitre 1
Cet itinéraire de recherche s'est construit dans une série d'interactions entre les terrains
du FLE, les cursus de formation aux métiers du FLE et les collaborations étroitement
nouées avec des chercheurs du CRTF et du CRTF/LaSCoD, du DILTEC ou encore des
chercheurs insérés dans d'autres équipes en France (Sodilac/Lidilem, Plidam, Dynadiv,
ELLIAD), à l'Université des Antilles-Guyanes (CRREF), en Suisse (avec Thérèse Jeanneret
et Raphael Baroni du GreBL) au Japon avec Marie-Françoise Pungier (UPO, Osaka) et
Hideo Hosokawa (Waseda, Tokyo). Ces relations étroites, le pilotage de projets collectifs,
la coordination d'une dizaine d'ouvrages, la publication et la valorisation de travaux
menés en collaboration m'ont permis de faire exister les axes de recherche brièvement
énumérés ci-dessus et qui seront approfondis dans les chapitres 2 et 3.
Mais avant de tourner cette page, il me faut souligner que le principal enjeu des travaux
passés consiste à former des didacticiens à la médiation. En effet, « le rôle des
didacticiens des langues est celui d'une médiation, d'une interactivité entre le terrain
pédagogique et les théories car il s'agit de conceptualiser les questions d'enseignement
et d'apprentissage pour les adresser efficacement aux linguistiques savantes » (Chiss,
2009, p. 130). C'est bien là que se situe le moteur qui, d’hier à aujourd’hui, me permet
non seulement de créer des cursus de formation mais aussi, faute de les « adosser » à un
axe de recherche en DLC déjà existant au CRTF, de tenter de créer l'axe en question ...
INTRODUCTION
V. Papatsiba déplorait en 2003 le fait que la mobilité étudiante soit un concept
politiquement correct mais pédagogiquement inhabité. On peut regretter que ce concept
reste encore aujourd'hui scientifiquement boudé... Raison de plus pour situer mes
propres recherches (ainsi que les travaux dont il sera fait mention dans ce chapitre)
comme contribuant à la réduction de l'écart observé entre, d'un côté une valorisation
politique de la mobilité étudiante et, de l'autre, une minoration de celle-ci sur les plans
pédagogique et scientifique31. J'essaye (avec d'autres) d'habiter le concept de mobilité
étudiante sur le plan éducatif en conjuguant apprentissage du français langue étrangère,
développement de compétences plurilingues et interculturelles et pratiques littératiées.
C'est pourquoi, comme le premier, ce nouveau chapitre est structuré par mon
expérience d’enseignant-chercheur, oeuvrant à l'articulation de la formation et de la
recherche, en nouant des collaborations autours de projets.
31
A. Bonnet (2012, p. 10 à 15) dans un rapport demandé au CIEP par l'Agence Europe Education Formation
France, énonce deux faits à ce sujet : 1°) les recherches menées par des chercheurs français et étrangers hors
commande institutionnelle ne sont pas, par la suite, exploitées par les institutions et 2°) les sources officielles
de données ne sont pas ou peu exploitées à l'exception notable de l'analyse des rapports d'étudiants qui a fait
l'objet d'une étude pionnière en Belgique et par Papatsiba (2003) en France. Enfin est noté le fait que la mesure
66
32
Comme le rappelle Marquillò Larruy (2013, p. 114) « les preuves du volontarisme institutionnel sont légion
tant au niveau européen qu'au sein des institutions francophones (...). On peut citer le slogan de l'Organisation
internationale de la Francophonie (« la voix de la diversité ») ou encore la 4° priorité de la Délégation générale
67
à la langue française et aux langues de France (« favoriser la diversité linguistique ») ou encore la résolution du
Parlement européen du 24 mars 2009 (« Le multilinguisme, un atout pour l'Europe et un engagement
commun »), dont l'article 6 élargit le plurilinguisme aux domaines culturels et linguistiques ».
Le second thème concerne le développement d'un ensemble cohérent de propositions
didactiques rassemblées sous l'appellation méthode biographique. Je montrerai
comment une série d'approches ont aujourd'hui prouvé leur utilité et leur
complémentarité et sont caractérisées par la valorisation des capacités réflexives
associées à la conscientisation - et au récit - d'expériences plurilingues et
pluriculturelles de jeunes adultes apprenant le français et ayant un statut d'étudiants,
soit dans nos universités françaises, soit dans leurs universités européennes ou
internationales. Faisant exister ce que G. Zarate (2008, p. 177) nomme des « histoires
individuelles plurielles » dans la classe de langue, ces approches permettent aux
étudiants de procéder à « une affirmation contrôlée d'une singularité et d'une
individualité qui forge une identité fluide, adaptée à un parcours multidimensionnel et
nomade » (ibidem)33.
Tout d'abord : « Comment penser ensemble dans l'écriture, d'une part l'adéquation à des
modèles discursifs scolairement recevables et validés psychologiquement et, d'autre
part, la construction du sujet dans une histoire ? » (Je souligne).
33
Je poursuivrai ce travail au chapitre 3 pour rendre compte de recherches biographiques menées dans la
68
Mes travaux sur l'acquisition des langues et les enjeux de la mobilité en contexte
universitaire ont conduit à une série de constats :
1- les étudiants prennent conscience que les études linguistiques effectuées avant leur
séjour universitaire sont globalement insuffisantes pour répondre aux exigences de la
situation d'immersion (Molinié, 2005, Vol. 8, n°10, p. 86-95).
a) à mettre en place des programmes de cours de langues qui ne sont pas conçus comme
un simple enseignement instrumental mais comme « une éducation linguistique intégrée
entre apprentissage en immersion et apprentissage réflexif en cours, avec une ouverture
sur les aspects culturels de la communication en LE » (Anquetil, 2006, p. 77) et
4- Concevoir et proposer un parcours validé par des crédits (ECTS) peut contribuer à
faire avancer la reconnaissance des valeurs formatives de la mobilité (Anquetil, 2006, p.
56).
70
34
Dans le cadre des fonctions de coordination et/ou de direction pédagogique de programmes de FLE que
j'exerce depuis 1994 dans divers établissements universitaires.
5- La mise en place de dispositifs formatifs engage une coopération entre divers acteurs
: enseignants mais aussi représentants du territoire (Molinié, 2011, Vol. 8, n° 19, p. 177-
189).
Enfin, dernière hypothèse : une mobilité (trans)formative peut avoir un impact positif
sur une trajectoire professionnelle. Je fais ici référence au programme d'échanges
Erasmus qui, en particulier depuis 2007, vise aussi à faire davantage coopérer les
établissements d'enseignement supérieur et les entreprises. Certes, cet objectif s'inscrit
dans la stratégie de l'Union Européenne de faire de l'Europe l'économie de la
connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde (Bonnet, 2012, p. 33).
Cependant, je partage avec Kohler-Bally (2001) l'idée qu'en jouant la carte du
plurilinguisme et de l'interdisciplinarité, une institution tournée vers l'avenir peut
tenter de correspondre à ces nouvelles demandes étudiantes qui consistent à intégrer la
complexité d'une formation adaptée au marché au lieu d'homogénéiser les programmes
en aplanissant la diversité. Cette auteure observe en effet que l'éducation au
plurilinguisme et à la diversité culturelle se présente alors comme un espace
d'apprentissage de « valeurs communes où se dépassent les identités singulières » et où
se discute « un projet de société » (Kohler-Bally, 2006, p.163). Ces constats, issus pour la
plupart d'entre eux de recherches couplées à des interventions, (Kohler-Bally et Gohard-
Radenkovic à l'université de Fribourg, Anquetil à l'université de Macerata, Pungier à
l'université préfectorale d'Osaka, Molinié à l'université de Cergy-Pontoise, Perrefort à
l'université de Franche-Comté, etc.) commencent à circuler dans la littérature grise
francophone et l'impact de la mobilité, notamment sur les compétences interculturelles,
a fait l'objet d'ouvrages devenus des références (Murphy-Lejeune, 2003 ; Dervin et
Fracchiolla, 2012, entre autres). Pourtant, « l'impact du programme Erasmus sur
l'enseignement supérieur, l'économie, les territoires et sur les carrières internationales
des diplômés reste largement méconnu en ce qui concerne la France » (Bonnet, 2012,
p.42). Il y a donc là un immense chantier.
Rappelons que c'est d'abord dans le secondaire que je me suis intéressée aux enjeux
d'une pédagogie des échanges, particulièrement bien synthétisés en 1994 par Alix et
71
Bertrand35 dans le volume que la revue le Français dans le Monde Recherches et
Applications, consacrait alors à cette thématique et auquel nous avions contribué par un
bref article portant sur les échanges multi-modaux et à distance, par lettres vidéo
(Maurice et Molinié, 1994). Dans l'introduction de ce Numéro spécial, Alix et Bertrand
(1994, p. 4-5) soulignent tout d'abord qu'après deux siècles d'histoire nationaliste, nous
en étions à ce qu'ils nomment « un nouveau degré zéro du cosmopolitisme ». Mais ce qui
était « affaire d'élite est devenu affaire de masse. La démocratisation de l'école, le
développement technique et la diffusion des voyages posent en des termes totalement
nouveaux les modes d'élaboration d'un tel sentiment ». Se référant à la déclaration
philosophique de Goethe36 s'affirmant citoyen du monde (Weltbürger), ils soulignent
que désormais toute personne au contact du monde peut revendiquer que ce contact
devienne « éducatif et donc réfléchi ». Se référant aux réponses reçues à leur appel à
contribution, ils précisent les contours de ce qui leur apparaît désormais comme un
objet en devenir :
L'extrême mobilité des expériences, la variété des contextes dans lesquels celles-ci
s'inscrivent et la complexité des enseignements qu'elles nous apportent, montrent que
la pratique des échanges est aujourd'hui en pleine mutation. Toutefois, au cœur de ce
chantier, des lieux d'ancrage se dessinent avec force :
- la formation à l'échange concerne les adultes tout autant que les jeunes (...).
- les échanges sont partie prenante dans l'évolution des systèmes éducatifs et dans la
formulation des questions centrales que ceux-ci sont ou seront amenés à affronter (...).
(Alix et Bertrand, 1994, p. 4-5).
Qualifiée « d'encore bien jeune » par Debyser dans le débat transcrit à la fin de l'ouvrage
(ibidem., p. 179), la pédagogie des échanges recouvre des pratiques diversifiées mais
35
G. Bertrand était attaché linguistique et directeur adjoint du Centre Culturel Français de Milan. Il fera ensuite
une carrière universitaire d'historien (https://www.gilles-bertrand.franceserv.com/cv.html) ; C. Alix était
chercheur en éducation à l'Institut allemand de recherche pédagogique.
36
La référence à Goethe doit être explicitée ici. En effet, chez Goethe la Bildung est « caractérisée comme un
voyage, dont l'essence est de jeter le même dans un mouvement qui va d'abord le faire devenir autre. Meurs et
72
deviens chante Goethe. En tant que voyage la Bildung est l'expérience de l'altérité du monde : pour accéder à
lui-même l'esprit doit faire l'expérience de ce qui n'est pas lui, ou du moins paraît tel » (Berman, 1983, cité par
Anquetil, 2006, p. 15).
trouvant leur cohérence grâce à leur référence commune à des principes (la paix, la
citoyenneté européenne/mondiale) et à la notion de communication (et de pédagogie)
interculturelle jugée centrale, voire quasi paradigmatique, par les acteurs, non
seulement pour donner du sens à l'enseignement des langues vivantes étrangères à
l'école mais, plus largement, pour donner du sens à l'enseignement des lettres et des
sciences sociales dans le cursus scolaire mais aussi parascolaire. Cependant parmi les
personnalités invitées à répondre, en fin de volume, à la question : Quelle politique pour
une pédagogie des échanges ? R. Pilhion37 signale déjà la nécessité de penser la
dimension systémique, interdisciplinaire et institutionnelle de cette politique. Il affirme
notamment qu'il faut « passer des échanges strictement linguistiques à des formes
impliquant tous les acteurs du domaine éducatif : élèves qui ne sont pas en situation
d'apprentissage d'une langue étrangère, professeurs n'enseignant pas la langue,
décideurs éducatifs à tous les échelons, chefs d'établissement, inspecteurs, responsables
des rectorats, et au-delà, y compris dans la dimension régionale puisque les Régions
participent aux échanges » (ibidem, p. 177). C'est là le défi qui était - et reste en grande
partie aujourd'hui - à relever : la dimension systémique d'une pédagogie des échanges
implique qu'un ensemble d'acteurs situés à diverses places dans un (ou deux)
système(s) socio-éducatif(s) se coordonnent afin de constituer un système
accompagnant en interactions avec un environnement social, économique et culturel. Ce
point sera développé en 2.2.
37
Il était alors sous-directeur de la politique linguistique et éducative à la direction générale des relations
culturelles, scientifiques et techniques du Ministère des Affaires étrangères (MAE).
interculturelle ou encore au nécessaire développement de son projet professionnel ? Ces
questions ont structuré les travaux développés au contact de deux types de publics.
D'une part, des étudiants (entrants ou sortants) se situant dans le cadre d'une mobilité -
et par conséquent dans le contexte de la construction - européenne (Molinié, 2006b, Vol.
8, n° 13, p. 111-121). D'autre part, des étudiants (entrants ou sortants) en séjour
linguistique et (inter)culturel en France (ou au Japon) inscrits dans une perspective
d'échanges universitaires entre les deux pays et explorant, à travers l'étude de la langue,
la possibilité d'élaborer un projet professionnel dans cet espace. (Molinié et Marshall,
2008, Vol. 4 ; Molinié et Pungier, 2007a, Vol. 8, n° 15, p. 126-134). Enfin, cette
perspective a été élargie aux questions de formation des enseignants, ces fameux acteurs
du domaine éducatif évoqués dès 1994 par R. Pilhon (supra), animés par la volonté de
transformer la mobilité en un véritable dispositif de formation en FLE et d'éducation
plurilingue et interculturelle (Molinié, 2011, Vol. 6).
2.1.2. Articuler les contextes locaux et globaux dans une recherche longitudinale
Dès la fin des années 80 (avec le programme Erasmus) et plus encore à partir des
années 2000 (avec le LMD38), l'enseignement du FLE aux étudiants internationaux va
progressivement se structurer autour de deux nouveaux paradigmes. Premièrement,
celui de la construction d’un espace européen de l’enseignement supérieur et,
deuxièmement, celui de la professionnalisation dans un contexte européen dans lequel la
disparition des frontières doit permettre une plus grande circulation des biens mais
aussi une plus grande mobilité des citoyens, qu'ils se forment, voyagent ou travaillent.
38
Licence, Master, Doctorat.
39
Il s’agit de l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l'Estonie, l 'Espagne, la Finlande, la
74
France, la Grèce, la Hongrie, l'Irlande, l'Islande, l'Italie, la Lettonie, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la
Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, le Royaume-Uni, la République tchèque, la Roumanie, la
Slovaquie, la Slovénie, la Suède et la Suisse.
leur pays d’origine par un ou plusieurs semestres dans une université (mobilité de crédit
ou mobilité diplômante) et/ou un stage à l’étranger (en essor d'après des statistiques
récentes). Un soutien financier est apporté aux universités par la Commission
européenne dans le cadre du programme Socrates. Tout permet alors de penser que la
mobilité académique constitue un nouvel enjeu pour l'enseignement/apprentissage des
langues dans le troisième cycle, pour les étudiants accueillis dans les cursus de français
langue étrangère. En tout cas, l'amélioration des compétences en langues constitue l'une
des premières raisons invoquées par les étudiants pour partir à l'étranger dans le cadre
du programme Erasmus. C'est également l'un des apports les plus souvent cités par les
employeurs et par les décideurs (Bonnet, 2012, p. 38). Il n'existe cependant aucune
évaluation chiffrée de cet impact. « Les chercheurs soulignent l'importance d'une
préparation linguistique avant et pendant le séjour Erasmus, pour augmenter l'impact
sur les compétences des apprenants » (Bonnet, op. cit. p. 41). Quant à l'impact sur les
compétences en langues des étudiants en stage, il est encore moins mesuré et connu.
Afin de conduire les étudiants des échanges (entrants, sortants ou encore revenus d'une
mobilité) à conscientiser ces nouveaux enjeux, à élaborer une posture réflexive et
critique vis à vis de cette mobilité qui est devenue la nouvelle norme et, si possible, à
prendre part à ces dynamiques instituantes en développant leur agentivité vue comme
capacité à gérer l’événement fortuit et ainsi à peser sur son propre avenir (Carré, 2004),
j'ai créé une UE libre (Parcours et projets de mobilité internationale) dans laquelle leur
est, entre autre, proposée une lecture et une interprétation entre pairs du texte de la
Déclaration de Bologne. Ceci allait permettre à l'ensemble des acteurs, moi y compris, de
mieux comprendre quel horizon politique était proposé à l’étudiant Erasmus (considéré
comme le principal acteur de cette Europe des connaissances en devenir) et quelle était
la place du plurilinguisme dans ce programme politique. Pour mémoire, le texte de la
déclaration commence par mettre en avant les réalisations extraordinaires de ces
dernières années40 grâce auxquelles la construction européenne devient une réalité de
plus en plus concrète et pertinente pour l’Union et ses citoyens. La déclaration se situe
40
© Ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie - Archives 1997 - 1999. Consultée
75
le 12-10-99. http://www.education.gouv.fr/realisations/education/superieur/bologne.htm
dans la perspective de l’élargissement et des liens qui se tissent avec d’autres pays
européens et affirme la nécessité d’une construction européenne complète et ambitieuse,
fondée sur le renforcement de ses « dimensions intellectuelles, culturelles, sociales,
scientifiques et technologiques ». Les Ministres en appellent à « une prise de conscience
grandissante, dans l’opinion publique comme dans les milieux politiques et
universitaires » de la nécessité d’une Europe des Connaissances en tant que « facteur
irremplaçable du développement social et humain, (…) indispensable pour consolider et
enrichir la citoyenneté européenne, pour donner aux citoyens les compétences
nécessaires pour répondre aux défis du nouveau millénaire, et pour renforcer le sens
des valeurs partagées et de leur appartenance à un espace social et culturel commun ».
Se référant à une reconnaissance universelle de l’importance primordiale de l’éducation
et de la coopération dans l’enseignement pour développer et renforcer la stabilité, la
paix et la démocratie, ils insistent sur le caractère particulièrement urgent de cette
reconnaissance au vu de la situation en Europe du sud-est au moment de la signature. Ils
rappellent que la Déclaration de la Sorbonne du 25 mai 1998, qui s’inspirait déjà de ces
mêmes considérations, mettait en exergue le rôle clé des universités dans le
développement des dimensions culturelles européennes. Elle insistait sur la nécessité de
créer un espace européen de l’enseignement supérieur, comme moyen privilégié pour
encourager la mobilité des citoyens, favoriser leur intégration sur le marché du travail
européen et promouvoir le développement global du continent. Enfin, les auteurs
assignent à l'université (devenue indépendante et autonome) le rôle de « s’adapter en
permanence à l’évolution des besoins, aux attentes de la société et aux progrès des
connaissances scientifiques ». En tant que chercheure, enseignante et directrice
pédagogique d'un Centre universitaire de FLE, j'allais accompagner et interpréter ce
projet politique en développant une dimension critique et réflexive au cœur de l'action
et des processus de changement dans lesquels nous étions tous engagés.
La phase de critique initiale portait sur trois points :
1°) Il est dit dans la Déclaration de Bologne que l’enseignement supérieur devenait l’un
des moyens privilégiés de la mobilité des citoyens en vue de leur intégration sur le
marché du travail. Or, enseignants et étudiants peuvent souhaiter que l'Université soit
non seulement capable de s'adapter aux changements mais aussi de les réfléchir, de les
76
3°) Les connaissances ne sont pas dissociées d’un sens des valeurs partagées et de
l'appartenance à un espace social et culturel commun. Dans cette Europe, connaissances,
compétences et valeurs doivent être constamment mises en relation. Il convient donc de
fonder une politique éducative dans le domaine des langues et des cultures sur un socle
de valeurs partagées....
Les travaux de recherche sur les démarches autobiographiques et réflexives que nous
avons menés et/ou coordonnés et rassemblées (Molinié, 2006, Vol. 1 et Vol. 2.) relient
ces deux aspects (langagiers et socio-éducatifs) tout en veillant à éviter le piège de la
prescription idéologique à laquelle nous ramène la plupart des PEL publiés :
41 ème
77
Il s'est donc avéré nécessaire de procéder à une expérimentation doublée d'une analyse
critique des préconisations, des méthodes et des outils à destination de la formation
plurilingue et de l'éducation au plurilinguisme dans l’enseignement supérieur. Pour cela,
avec des étudiants Erasmus, dans le cadre de l'UE déjà mentionnée ci-dessus42, nous
avons expérimenté deux PEL pour l’enseignement supérieur43. Il s'agissait, entre autres,
de voir si ces outils prenaient en charge la dimension transformative et éducative que
nous souhaitions faire exister dans l'enseignement supérieur et que nous définissons
dans le Précis du plurilinguisme et du pluriculturalisme (Zarate, Lévy et Kramsch, 2008)
de la façon suivante :
Le Conseil Européen pour les Langues a publié une version du PEL spécialement conçue
pour le secteur de l'éducation supérieure. Son auteure, Brigitte Forster Vosicki
(Université de Lausanne), affirme dans la Préface de celui-ci qu'il constitue une
application pratique du CECRL et poursuit les buts habituellement assignés aux
Portfolios : encourager le plurilinguisme et le dialogue entre les cultures, faciliter la
mobilité en Europe, protéger et renforcer la diversité culturelle, encourager
l'apprentissage en autonomie, encourager l'apprentissage tout au long de la vie (cf. une
analyse plus poussée dans Molinié, 2006b, Vol. 8, n° 13, p. 111-121). Utilisable pour
toutes les langues et dans n'importe quel environnement institutionnel, ce PEL permet
de documenter les compétences linguistiques et de donner de l'importance aux
expériences interculturelles dans toutes les langues apprises. L'auteure explique en quoi
42
Créée comme dispositif réflexif, critique vis-à-vis des discours officiels de la Réforme de Bologne et intitulée
"parcours et projets de mobilités internationales".
78
43
L'un était réalisé par le Conseil Européen pour les Langues -CEL/ELC en collaboration avec l’Université libre de
Berlin, http://www.fu-berlin.de/elc/portfolio/index.html; l'autre émanait de la Confédération européenne des
Centres de Langues de l'Enseignement Supérieur (CercleS).
il doit aider l’apprenant de langues à concilier la fonction instrumentale (savoir
comment utiliser et valoriser ses compétences langagières et culturelles en Europe) et la
fonction intégrative souhaitée par le Conseil de l’Europe, fidèle à sa mission d'œuvrer à
susciter la prise de conscience d’une identité culturelle européenne et à développer la
compréhension mutuelle entre les peuples de cultures différentes. Mais surtout, elle
souligne le rôle d’appui politique et institutionnel du PEL et soutient que « le Portfolio
peut jouer un rôle important dans la création d'un espace européen d'apprentissage tout
au long de la vie mais aussi, plus particulièrement, dans le développement d'un espace
européen d'éducation supérieure tel qu'envisagé dans la Déclaration de Bologne ». Le
PEL peut donc « faciliter le développement et la mise en œuvre d'une politique
linguistique cohérente dans le secteur de l'éducation supérieure ». Or, que met-on en
avant comme instrument de mise en œuvre de cette politique ? Des descripteurs !
Forster Vosicki souligne ainsi que les « descripteurs supplémentaires spécifiquement
développés pour le contexte de l'éducation supérieure peuvent soutenir la mise en place
de curricula innovateurs ou d'autres types de formations dans le domaine des langues »
(ibidem, je souligne).
Or, une expérimentation de ce PEL (puis de celui proposé par la Confédération CercleS)
et la confrontation des résultats obtenus sur le terrain du FLE avec ceux obtenus par
d'autres acteurs (notamment au cours de missions de formations de formateurs en
Europe et au Japon) m’ont conduite à formuler une critique de cette course à la
multiplication des descripteurs et à élaborer des contre-propositions à ce type de PEL
que je qualifie d'adéquationniste en référence à la typologie proposée par de Rozario et
Rieben (cf. Molinié, Vol. 8, n° 19, p. 161-172 et de Rozario, 2004). Ceci aboutira cinq ans
plus tard à un ouvrage collectif dans lequel des démarches constructivistes et pluri-
litteratiées dans le domaine des Portfolio sont analysées et présentées à la discussion.
(Vol. 6). Radicalisant la critique dont est porteur cet ouvrage, P. Blanchet écrit dans la
Préface de celui-ci :
Dans un domaine comme la didactique des langues et des cultures, aussi directement
en prise avec les dynamiques sociales et les politiques éducatives, le risque est grand de
se conformer aux courants qui semblent évidents parce qu’hégémoniques : l’idéologie
de l’évaluation quantitative sur grilles normées, qui envahit notre monde, se retrouve
dans l’évaluation des compétences linguistiques comme dans celle de l’ « excellence »
79
Destinée à donner de la cohérence entre des réalités subjectives vécues par l’individu et
les réalités sociales, la fonction symbolique du langage suppose en effet que puisse
s’articuler dans une représentation cohérente l’espace/temps du sujet et l’espace/temps
temps du social (...). C’est là, selon moi, la seule finalité pertinente d’une approche
biographique en didactique des langues. C’est pourquoi cette approche doit être appelée
par son nom et distinguée des activités auto-évaluatives. Car nommer « biographie
langagière » un outil d’auto-évaluation, et dans le même temps ne pas qualifier de
biographique ce qui sollicite réellement l’histoire du sujet, concourt à installer une
confusion sur l’objet même dont on parle. Résumons : il s’agit bien d’évaluer des
compétences et de raconter une vie et non l’inverse ! (Molinié, 2004b, Vol. 8, n° 9, p. 81-
85).
Une position qui validait la critique proposée par Zarate et Gohard-Radenkovic dès
2004, et qu’adoptera Anquetil à son tour :
Les approches portfolio basées sur le PEL se sont trop souvent enlisées dans la
manipulation fastidieuse de listes interminables de descripteurs abscons, demandant à
l'apprenant de réaliser le travail même de l'évaluateur qui est de traduire la
performance en terme de compétences graduées, travail que l'apprenant vit
comme un déni de sa parole contextuelle et créatrice (Anquetil, 2013, p. 86).
Même sur une période relativement courte, (depuis la parution du CECRL et des PEL) il
s'est donc avéré nécessaire de rappeler quels sont les courants de recherche et
d’intervention qui fondent (à mes yeux) une approche biographique et réflexive en
didactique des langues. Ou, pour dire les choses autrement, il apparaît plus nettement
aujourd'hui que ce qui fonde mon approche du biographique en DLC n'est
vraisemblablement pas identique à ce qui fonde le recours au biographique dans les
outils diffusés pour porter les préconisations du CECRL dans les pratiques enseignantes
(Molinié 2011b, voir Vol. 9, n° 11, p. 128-135).
à-vis d’une évaluation externe vécue comme une sanction, sa responsabilisation vis-à-vis
de ses propres processus d’apprentissage, l’explicitation des opérations mentales lui
permettant de mener une auto-évaluation interne. Ces éléments ont été au centre des
recherches que Holec (1988) notamment, a menées au CRAPEL et pour le Conseil de
l’Europe à partir de la fin des années 70 dans le courant de l’auto-apprentissage. Il est
intéressant d'établir un lien avec les sciences de l'éducation et de la formation d'adultes
où, durant la même période, la découverte de l'histoires de vie en formation est
totalement liée à la question de l'autoformation. Ce terme est innovant (par rapport à
instruction ou éducation) car, comme l'écrit Pineau dès 1972 : « Se former, se donner
une forme (...) c'est reconnaître qu'aucune forme achevée n'existe a priori qui nous serait
donnée de l'extérieur. Cette forme, toujours inachevée dépend de notre action. Sa
construction est une activité permanente » (Pineau, 2012, 113, je souligne).
On retrouvera cette position dans le domaine de l'apprentissage des langues sous l'angle
de la revendication d'une reconnaissance et d'une valorisation du capital biographique
forgé dans l'immigration ou bien « entre les frontières et tout au long du parcours
éducatif » (Molinié, 2005b, Vol 8, n° 11, p. 96-102) et d'une reconnaissance des
compétences plurilingues. Cela sera modulé selon que les recherches/interventions
biographiques sont menées :
81
- auprès d'adultes migrants (Bretegnier, 2008) ou d'enfants primo-arrivants (Clerc,
2009, Simon et Thamin, 2009, voir Vol. 3 ; De Dominicis, 2006, voir Vol. 1) engagés dans
des processus d'insertion sociale via l'école ou le travail ;
On peut simplement signaler ici que certains auteurs ont su utiliser les préconisations
du CECRL pour créer des PEL labellisés Conseil de l'Europe, invitant néanmoins les
apprenants à valoriser leur plurilinguisme dans les diverses parties et sous-parties
(dossier, passeport et biographie langagière) de cet outil et pour accroître leur capacité
à autodiriger leur apprentissage tout en auto-évaluant leurs compétences
plurilingues/pluriculturelles (Castellotti, 2006). Mais il faut aussi indiquer que d'autres
auteurs ne sont pas allés en ce sens. C'est ainsi que sur deux terrains (celui de
l'enseignement supérieur et celui de l'apprentissage du français aux migrants),
l'utilisation de ces portfolios (ou la recherche-action auprès de formateurs les utilisant)
nous ont permis de constater que le recours systématique aux descripteurs de
compétences venait étouffer tout désir de prise d'autonomie authentique et qu'il fallait
travailler autrement (Pouyé, 2011). On voit donc que les processus d'auto-apprentissage
et d'autoformation associés à la dimension autobiographique, risquent de devenir de
plus en plus étrangers aux dispositifs standardisés de la biographie langagière, si les
(jeunes) chercheurs et les praticiens ne travaillent pas ensemble à partir d'un socle de
principes éducatifs fondamentaux qu'il convient de mettre à l'épreuve des expériences
et des pratiques.
Un autre exemple de la dérive vers des standards est donné par Anquetil (2011, p. 148),
faisant utilement remarquer que le schéma communicatif en je peux « où le destinataire-
scripteur se retrouve assigné à remplir les espaces blancs que lui impose de façon
injonctive un moi obligé est désormais bien installé dans l’ethos de l’approche
Portfolio ». On peut effectivement se demander si cette disjonction entre les deux
premières personnes mises en scène : moi et son double (op. cit.) ne renforce pas la
82
fameuse illusion biographique, dénoncée avec raison par Bourdieu en 1986 quand il
affirmait :
On ne peut comprendre une trajectoire (c'est-à-dire le vieillissement social qui, bien qu'il
l'accompagne inévitablement, est indépendant du vieillissement biologique) qu'à
condition d'avoir préalablement construit les états successifs du champ dans lequel elle
s'est déroulée, donc l'ensemble des relations objectives qui ont uni l'agent considéré - au
moins dans un certain nombre d'états pertinents - à l'ensemble des autres agents
engagés dans le même champ et affrontés au même espace des possibles (Bourdieu,
1986, 72).
- un modèle dans lequel l'injonction externe à la réflexivité s'appuie sur des consignes
standardisées qui incitent le biographe à construire une représentation d'un soi dissocié
des autres (altérités, contextes sociaux, histoire, espaces, champs etc.) ;
Dans l’espace européen de l’enseignement supérieur, il m'est paru utile d'inciter les
étudiants-voyageurs à développer un questionnement sur leurs apprentissages et la
construction de leur répertoire bi- ou plurilingue et, au-delà, sur la formation de leur
identité sociale et culturelle en relation avec des situations, des contextes et une histoire.
Elaborée dans les Journaux d’apprentissage et dans les Récits de parcours cette
conscientisation de la construction d’un répertoire bi/plurilingue se combine chez
certains étudiants (notamment issus de l'Europe de l'Est et du continent asiatique) avec
une réflexion vis-à-vis de leur construction identitaire et notamment de leurs choix
(théoriques, professionnels, disciplinaires), de leurs valeurs et de leurs projets. J'ai donc
observé chez certains étudiants qu'un continuum réflexif se développait, depuis le pôle
apprendre des langues et construire un répertoire plurilingue vers le pôle développer
une identité personnelle et un projet professionnel. Ce fut là le point de départ d'une
recherche qui dura trois ans et dont le but a été d'apporter quelques réponses
didactiques et méthodologiques à ces problématiques émergentes sur le terrain
universitaire.
83
2.1.3. Contextualisation éducative et linguistique en Europe et au Japon
Ces approches ont donné lieu à la production de textes et de discours mis en discussion
dans les groupes, en relation avec le contexte politique et éducatif de la construction
européenne. Nous allions bientôt confronter ces démarches à un autre espace géo-
politique, une autre mobilité et des étudiants extra-européens.
Cette recherche bénéficiera d'une importante subvention allouée par le Conseil Général
du Val d’Oise (désormais CGVO) de 2009 à 2011. Elle s'inscrivait dans une relation entre
deux régions : le Val d'Oise en France et le Kansai au Japon et dans une histoire. Celle
d'une coopération soutenue depuis 1986 par l’action conjointe du CGVO, du Gouverneur
de la Préfecture d’Osaka, du monde de l’entreprise (française et japonaise44) et des deux
universités (UCP et UPO) qui avaient signé en 2003 et renouvelé à deux reprises leurs
conventions de partenariat académiques. C’est de cette dynamique d’échanges
linguistiques, culturels, scientifiques et économiques que je devins l’un des co-acteurs.
J’impliquais alors mon équipe d'accueil (le CRTF) dans ce projet de recherche et
d'innovation. Conduite durant quatre années, la recherche a permis de montrer
quelques unes des conditions requises pour qu'une mobilité formative permette aux
84
44
Selon le Comité d'expansion économique du Val d'Oise (CEEVO) sur les quatre cents entreprises japonaises
installées en France, soixante-sept sont dans le Val d’Oise.
étudiants internationaux de développer une capacité d'orientation active (passant
notamment, par la mise en mots, en textes et en discours de cette expérience) qui les
aide à affronter des environnements complexes et changeants au lieu de les subir.
Du côté japonais, la question était (et est toujours) de l'ordre de la survie du français sur
un marché des langues étrangères de plus en plus réduit. Le pari était donc que la
collaboration entre nos universités et les deux collectivités territoriales contribuent à
aider le département FLE de l'UPO à surmonter la politique linguistique ministérielle
japonaise défavorable à l’égard de l’enseignement des secondes langues étrangères à
l'université et plus spécifiquement, du français.
Face à la réduction progressive (mais rapide) de l'offre de français dans l’enseignement
supérieur au Japon, nous allions tout d'abord opposer des résultats d’enquêtes locales,
menées à l’UPO auprès des étudiants japonais au sujet de leurs envies de langue. Les
observations effectuées montraient que la rencontre favorisée entre les étudiants des
deux établissements et des deux régions permettait bien à ces envies de langues de
devenir, chez certains, des désirs de bilinguisme et, déjà, de biculturalisme (Molinié et
Pungier, 2007a, Vol. 8, n° 15, p. 126-134). Certes, mais cette démonstration chiffrée
pouvait-elle ralentir une politique nationale de réduction de l'offre publique de cours de
langues au seul profit de l'anglais ?
Bien évidemment, la réponse est non ! Mais il fallait pourtant commencer (avant d'aller
plus loin), par montrer comment ces désirs d’altérité, qui s’éprouvaient pendant les deux
semaines que durait le séminaire de langue française et cultures francophones en France,
pouvaient nourrir d’autres projets : académiques et professionnels. Les entretiens de
groupe réalisés à la fin de chacun de ces séminaires de langue, de 2006 à 2012,
permettaient de mesurer à quel point ce dispositif de mobilité courte favorisait une
ouverture sur les dimensions bi-plurilingues/bi-pluriculturelles de l’acquisition d’une
langue et sur les va-et-vient identitaires entre les langues. Ce dispositif ouvrait le champ
85
La recherche en didactique des langues/cultures (...) venue d’Europe montre que viser
l’acquisition de savoir-faire, de savoir-être sur la base de niveaux de compétences et
non plus seulement celle de savoirs, permet de se saisir d’éléments favorisant des
réponses aux problèmes locaux (...). Voici ceux qui retiennent particulièrement
l’attention des acteurs du français langue étrangère à l'UPO :
Centration sur - et actorisation de - l'étudiant japonais, sont ici présentées comme des
évolutions nécessaires pour une offre de langue et culture articulée sur une plus grande
mobilité. La recherche que menait M.F. Pungier sur les liens entre mobilités
académiques et didactique des langues et des cultures (cf. par exemple Pungier 2009)
allait donc se conjuguer avec la mienne et se trouver dynamisée par le développement
et l'expérimentation conjoints d'un Portfolio de compétences interculturelles et
d'expériences en mobilité internationale Japon-France, (désormais PCIEMI), (Molinié,
Lankhorst et Pungier, 2009, Vol. 10). Ces portfolios visent à constituer (et accroître) le
capital de mobilité des étudiants japonais dans un sens proche de ce que M.-H. Souley
(2008, p. 164) exprime lorsqu'il écrit : « La disposition à la mobilité naît bien
évidemment de l'expérience antérieure de la mobilité (...) parce que l'arrachement
premier a eu lieu, parce que l'identité s'est désincarcérée du lieu, en tout cas l'évidence
du couplage entre le Soi et le proche n'est plus, autorisant la possibilité d'un métissage
identitaire ».
Du côté de l'UCP les objectifs étaient différents. Premièrement, le japonais n'était pas en
danger puisque précisément un LEA anglais-japonais venait d'être créé. Il s'agissait donc
plutôt de faire bénéficier les étudiants français (de LEA et de divers Master) de la
dynamique portée par une collectivité territoriale qui considérait la relation avec la
région du Kansai comme une véritable porte d’entrée vers le Japon tout entier. Comme
86
Il est à noter que le soutien de la collectivité territoriale est également mentionné dans
le récent rapport de Bonnet (2012) comme un fait majeur même s'il reste sous-estimé.
Elle regrette qu'un travail de cartographie de la mobilité en Europe n'ait pas débouché
sur une étude d'impact de la mobilité sur les territoires, le resserrement des relations
entre institutions ou les flux des personnes. Or, en France la mobilité des jeunes a un
impact réel sur les territoires, en resserrant les liens entre les collectivités territoriales
de part et d'autre des frontières européennes (jumelage, coopération régionale), mais
également entre institutions à l'échelle des régions. Pourtant, « cet engagement déjà
ancien reste méconnu, alors qu'il soutient de nombreuses initiatives innovantes »
(Bonnet, 2012, p. 37-38).
87
Un soutien discret donc45 au projet que nous souhaitions développer autour de
démarches portfolio comme possibilité de mettre en relation :
45
Les services impliqués ont été la Direction de la Jeunesse et de la prévention, notamment la mission
Autonomie et insertion des jeunes, la mission jeunesse et citoyenneté et la mission Affaires européennes et
internationales. Le directeur du CEEVO soulignait en mai 2010 comme étant 2 résultats majeurs de notre
recherche : 1-l'invention d'un outil (PCIEMI) l'un pour le public français en 2009, l'autre pour le public japonais
88
en 2010, 2- l'expérimentation d'une méthodologie de mobilité formative testée à trois reprises (auprès de
deux groupes en 2009 et d'un groupe en 2010) avec succès.
Tableau 1 : Visées d'action et d'accompagnement des changements46
46
Voir aussi dans Molinié, 2011, p. 44-45, Vol. 6 : Tableau n° 1. Variabilité des modalités de participation et des
résultats obtenus pour les étudiants impliqués et Tableau n° 2. Variabilité des modalités de participation et des
résultats obtenus pour les professionnels impliqués.
47
Le rapport remis en 2010 aux élus du département comporte quatre parties. La première synthétise le travail
réalisé sur les trois axes prévus dans la Convention triennale : mettre en place des séjours culturels au Japon
dans l'objectif d'une immersion des étudiants du Val d'Oise dans la culture japonaise, mettre en place des
activités spécifiques pour l'accueil des étudiants japonais reçus chaque année depuis 2005 par l'UCP, créer un
outil de valorisation pédagogique : Le PCIEMI décliné en deux volumes, l'un à destination des étudiants
japonais (de l'UPO) en mobilité dans le Val d'Oise et l'autre adapté aux besoins des étudiants français (de l'UCP)
89
en immersion culturelle au Japon. La seconde partie synthétise les rapports établis par les étudiants français en
réponse à un objectif d'évaluation. Il s'agit désormais d’évaluer le lien entre l’action d’immersion des étudiants
L'approche biographique, linguistique, interculturelle développée antérieurement en
partenariat avec d'autres chercheurs et intervenants (Molinié 1999, Vol. 8, n° 2, p. 16-32
; 2006c, Vol. 8, n° 14, p. 122-125 ; et 2009, Vol. 8, n° 19, p. 161-172) a nourri une
démarche Portfolio pluri-litteratiée et multi-modale (Moore et Molinié, 2012, Vol. 7). Ce
type de démarche commence à être valorisé par une communauté de praticiens-
chercheurs considérant comme décisif de laisser sa place à la créativité de l'apprenant
de langues pour qu'il présente dans son Portfolio son parcours de formation, les traces
de son travail, ou encore l’évolution de sa pensée (créative notamment) et la réflexivité
sur ses apprentissages.
Or, ce choix pédagogique s'inscrit dans une longue tradition éducative (Molinié, 2013,
Vol. 9, n° 14, p. 143-162). On peut simplement rappeler que les Portfolios sont apparus
dans le monde scolaire nord-américain en réaction aux évaluations standardisées
centrées sur des compétences supposées pouvoir être repérées dans un seul produit fini.
Par conséquent, l’objectif principal d'un portfolio éducatif a d'abord été de pousser
l’élève à s’approprier ses propres travaux (remis pour évaluation à ses enseignants) afin
qu'il construise activement son apprentissage. A cela s'ajoute depuis peu l'importance
d'une dimension projective du portfolio (tourné vers un avenir personnel et
professionnel) devenue incontournable face à un public estudiantin.
Les enjeux d'insertion sont de mieux en mieux pris en compte en FLE et travaillés sous
deux angles :
- sous l'angle de l'insertion professionnelle avec le Français sur objectifs spécifiques
(voir par exemple Mangiante et Parpette 2004 ; Bertrand et Schaffner, 2008),
de l’UCP dans la culture japonaise et leur insertion professionnelle dans une activité en lien avec le Japon,
notamment dans une des 67 entreprises japonaises du Val d’Oise. Dans la troisième partie sont rassemblées
les enquêtes menées par trois étudiants auprès d'entrepreneurs installés dans le Val d'Oise. Ces personnes
travaillent dans la dimension internationale et construisent une relation économique privilégiée avec le Japon.
En contrepoint, la quatrième partie rassemble les entretiens menés par les étudiants au Japon (à Osaka, Kobé,
90
Kyoto et Tokyo) auprès de divers professionnels rencontrés dans les milieux de la culture, du français langue
étrangère et du journalisme.
En totale synergie avec ces deux approches, on peut travailler également sur le
développement du projet lui-même, lorsque l'étudiant de FLE ne sait pas ce qu'il fera
une fois sa mobilité terminée et qu'il est encore incertain.
C'est pourquoi la maquette (Molinié, 2008, p. 37, Vol. 4) qui a servi de base au
développement conjoint du PCIEMI prenait en compte :
Tout cela situe ce que nous avons (temporairement) nommé portfolio de seconde
génération (Molinié, 2011, Vol. 6) comme ne se référant pas exclusivement à l'
orientation du CECRL vers l'évaluation et la certification mais prenant ses références
plus en amont48 dans une démarche éducative et formative dont les
objectifs fondamentaux sont :
- heuristiques : il s'agit d'inciter les étudiants à construire des liens entre formation,
projet (personnel et professionnel) et développement de compétences (notamment
interculturelles),
- actionnels : il s'agit enfin de les accompagner dans des projets de valorisation de leurs
acquis interculturels et francophones, sur le marché du travail (local, national et
international).
48
Il est intéressant de noter que deux ans après la parution de son Contrepoint à notre ouvrage collectif de
2011, Anquetil préconise elle aussi qu'il faudrait « revenir aux sources mêmes du concept de Portfolio comme
mise en valeur de ses meilleurs travaux, de son cheminement vers la maturité (comme dans le domaine des
compétences artistiques) et de ses performances. Le Portfolio deviendrait ainsi un recueil personnel
d'expériences, de traces de projets de valeur, de parcours dans une langue-culture selon ses propres finalités et
capacités, un recueil que le candidat, guidé par son enseignant, propose comme base de dialogue avec
91
l'examinateur, dans la co-construction d'une certification de valeur internationale » (Anquetil, 2013, p. 86).
Visant une mobilité créatrice dans un monde globalisé, la démarche vise à créer une
combinatoire entre formation universitaire, FLE, projet d'insertion et développement de
compétences interculturelles. Pour cela, un portfolio idéal permettrait de combiner
l'ensemble des capacités communicatives et interculturelles ; de passer de l'expérience
mobilitaire à sa narration en langue étrangère autrement dit de la mise en intrigue
narrative à la socialisation des processus de construction d'identités plurilingues et
pluriculturelles.
Si le PCIEMI n'a été utilisé qu'auprès d'une cinquantaine d'étudiants japonais réunis
dans le cadre des Séminaires langue française et cultures francophones, il a aussi été
recontextualisé auprès des étudiants asiatiques (principalement chinois) inscrits dans le
DUFLES (Diplôme universitaire de français langue étrangère et de spécialité) que nous
avons créé à l'UCP (et qui est adossé à l’UFR LSH). Il est devenu une source d'inspiration
et un outil de formation d'une part, pour des étudiants de la spécialité FLE, formés à la
démarche Portfolio et souhaitant développer à leur tour un outil adapté à des étudiants,
apprenant le français dans un contexte spécifique et, d'autre part, pour des formateurs
exerçant dans le cadre des Cours Municipaux pour Adultes à la Mairie de Paris (Pouyé,
2011) (j'y reviendrai au chapitre 3).
Quant au second portfolio, le PCIEMI France-Japon (Vol. 11) co-développé avec trois
groupes d'étudiants français avant, pendant et après les séjours d'études organisés au
Japon, il a, depuis sa version publiée été moins diffusé que le premier. Sont en cause le
cloisonnement des territoires institutionnels et disciplinaires qui n'encouragent pas à
structurer un système accompagnant entre les divers partenaires impliqués dans la
gestion de la mobilité sortante au sein de l'université. Il nous faut donc, à l'avenir, mettre
en place un dispositif d'accompagnement de la mobilité sortante des étudiants français et
un nouveau dispositif de recherche. Ceci gagnerait à être réalisé en partenariat interne
avec le Centre de ressources en langues, le Services des Relations internationales et le
Service commun d’information et d’orientation (SCUIO) mais aussi, à l'externe, avec
d'autres Universités.
Cela nous conduisait à éprouver (et à faire éprouver) la différence qu'il y a « entre la
circulation des biens et des objets sur un marché économique et la mobilité des sujets
dans un espace international en co-construction permanente », (Molinié, Vol. 8, op. cit.)
et à soulever diverses questions éthiques. Premièrement, sur la finalité d’une formation
plurilingue et interculturelle : est-ce que cette finalité est de développer les ressources
(linguistiques, narratives, réflexives, interculturelles, etc..) des individus en vue de la
réalisation de leurs aspirations sociales ou bien d'accélérer leur profilage et leur
adaptabilité maximum aux contextes socio-économiques externes ?
A ce sujet, M. Anquetil, que j'avais invitée à porter un regard critique sur les démarches
mises en œuvre et les outils créées au cours de cette recherche (Vol. 6) en synthétise
divers éléments dans son Contrepoint. Elle repart des entretiens menés par trois
93
Compte tenu des limites objectives de mon action sur l'insertion dans l'emploi des
étudiants français dans un milieu professionnel franco-japonais, j'avais délimité
l'intervention sur un seul domaine d’activité, (à savoir, les métiers du français langue
étrangère au Japon et les métiers liés à la relation franco-japonaise dans le Val d'Oise) et
sur la mise en relation entre un panel d'étudiants (français et japonais), quelques
acteurs de l'université, de l’entreprise et des collectivités territoriales des deux régions.
94
Après avoir rapidement formé les étudiants sortants de l'UCP à la conduite d'entretiens
de recherche et au recueil de récits de vie thématisant (entre autres), les biographies
langagières, je leur avais fait mener des entretiens de compréhension auprès de
professionnels rencontrés dans les milieux francophones de la culture et du français
langue étrangère à Osaka, Kobé, et Kyoto49 (Molinié, 2010, Rapport n. p.). L'analyse des
entretiens montre que si des compétences plurilingues et interculturelles sont bien
développées par ces professionnels, ce développement est combiné à des processus
d'individuation et de distinction repérables dans les parcours et les choix de formation
atypiques, notamment. Cette combinatoire a contribué à leur orientation vers des
positions socio-professionnelles d'intermédiaires culturels, pro-actifs et impliqués dans
divers réseaux.
littératures francophones) et mis en ligne sur le site web conçu avec les étudiants impliqués dans le projet par
Jihane Ben Haissa (étudiante en master 2 Ingénierie de l’édition et communication à l'UCP) dans le cadre de
cette recherche. A la fin du stage de Jihane, ce site a malheureusement du être fermé.
faire (ou pas) quelque chose de cette mobilité devient un critère de sélection et donc un
paramètre d'accentuation des inégalités dans le développement de compétences
plurilingues et interculturelles.
La problématique des inégalités est posée dans d'autres champs disciplinaires. Dans le
cadre du Groupement d'intérêt scientifique (GIS) Pluralités linguistiques et culturelles
(PLC), T. Bulot m'a ainsi signalé les travaux que développent Kaufmann et Jemelin
(2004) en sociologie urbaine, nous invitant à distinguer déplacement et mobilité. Pour
ces sociologues, un déplacement dans l’espace devient mobilité lorsqu’il implique aussi
un changement social. La migration illustre ce phénomène puisqu’il faut au migrant être
en mesure de s’adapter au nouvel espace produit par son déplacement. La mobilité
recouperait ainsi trois dimensions qui correspondent à des conditions (champs du
possible), des aptitudes (motilité) et des mouvements (déplacements) (Maisons, 2009).
Comme l'expliquent Kaufmann et Jemelin, « le jonglage entre les modes de déplacement
(voiture, transport public, marche à pied dans les zones centrales...) et entre les formes
de déplacement (physiques, virtuels) est utilisé comme une ressource pour repousser
les incompatibilités spatio-temporelles auxquelles sont confrontés les acteurs. Ce
jonglage souvent inventif implique une accessibilité étendue aux réseaux de transports
et de télécommunication, [et] des compétences organisationnelles » (op.cit., p. 7).
Kaufmann, Schuler, Crevoisier et Rossel proposent en conclusion de leur étude de 2001,
de considérer que la mobilité renvoie à la motilité et constitue un capital (2001, p. 70).
En effet, « à la différence des capitaux culturels, économiques et social qui concernent
avant tout la position hiérarchique, la motilité renvoie aussi bien à la dimension
verticale qu'à la dimension horizontale de la position sociale » (ibidem). Inégalement
répartie, cette nouvelle forme de capital social « permet de différencier des modes de vie
à partir du rapport à l'espace et au temps ». C'est donc une ressource indispensable
« pour se jouer des frictions spatiales et temporelles multiples dans lesquelles chacun
d'entre nous est pris » et face auxquelles l'ingéniosité des solutions va conditionner la
96
Ces inégalités sociales et économiques sont perçues par les intervenants et chercheurs
qui travaillent au contact des étudiants et se trouvent au cœur d'une évolution
historique autour des enjeux de la mobilité. L'enjeu éducatif (citoyen et humaniste) issu
du paradigme interculturel est plus que jamais associé à un enjeu de développement du
capital social50 (Bourdieu, 1980) et du capital de mobilité comprenant, selon Murphy-
Lejeune (op. cit, 2008, p. 30) six composantes : l'histoire familiale, l'histoire personnelle,
les expériences de mobilité, les compétences linguistiques et culturelles, les expériences
antérieures d'adaptation et des traits personnels.
Difficiles à mesurer, (cf. par exemple, Delaunay, Fournier et Contreras, 2011) ces
capitaux permettent (si l'on sait s'en doter) de mieux s'affronter à ses pairs, dans une
lutte des places (De Gaulejac et Taboada Léonetti, 1994) mondialisée, où l'individu va
tenter de concilier ses aspirations personnelles et l'exigence structurelle de flexibilité qui
caractérise le capitalisme mondial51. Comme je l'écrivais dans la revue de la Société
japonaise de didactique du français :
En effet, en ce début de XXI° siècle, une relation spécifique se tisse entre cet
apprentissage et deux types de mobilités : sociale et territoriale. Ces deux types de
mobilités sont tout particulièrement demandées à nos jeunes contemporains,
travaillant dans un système économique dont la gestion se déterritorialise et se
mondialise avec les contradictions et la « casse » que cela génère tant sur le plan collectif,
50
« Le capital social est l'ensemble des ressources actuelles ou potentielles qui sont liées à la possession d'un
réseau durable de relations (...) permanentes et utiles. Ces liaisons sont irréductibles aux relations objectives
de proximité dans l'espace physique (géographique) ou même dans l'espace économique et social parce
qu'elles sont fondées sur des échanges inséparablement matériels et symboliques » (Bourdieu, 1980, p. 2-3).
51
cf Molinié, 2008, le salarié en crise
97
http://www.arianesud.com/cafesud/cafesud_2007_2008/cafesud_muriel_molinie_le_salarie_en_crise_une_re
construction_identitaire_fevrier_2008
(des entreprises ferment et se délocalisent alors qu’elles sont parfaitement rentables),
que sur le plan des destinées individuelles (lutte des places acharnée, impasses sociales
et existentielles liées au chômage, reconversions, ascensions/descensions sociales, etc…).
Une grande flexibilité est exigée des salariés qui doivent intérioriser les règles du jeu
économique mises en œuvre dans le cadre d’un système ultra-libéral. (Molinié, 2007b,
Vol. 8, n°16, p. 135-148).
L'incertitude sur le présent et sur l'avenir que je relevais à la fin des années 90 chez des
étudiants extra-européens (Molinié, 1997, Vol. 8, n°1, p. 4-16) a continué de s'exprimer
dans leurs productions orales et écrites, biographiques, graphiques et réflexives en
relation avec leur conscientisation d'une construction politique européenne. Les écrits
des étudiants en mobilité, en contexte universitaire, font apparaître un individu
incertain, même si les logiques et les discours institutionnels (construction d'un espace
européen de l'enseignement supérieur, programme Erasmus comme instrument de
coopération et de développement économique des pays concernés) euphémisent
l'insécurité et la précarité de l'avenir. C'est pourquoi, prenant en compte le paradigme
mobilitaire, un accompagnement au développement de compétences doit être proposé
aux étudiants en mobilité pour qu'ils conscientisent et développent tout
particulièrement leurs acquis plurilingues et interculturels en relation avec leur quête
existentielle et leur projet international (Molinié, 2009, Vol. 8, n° 19, p. 161-176).
52
Une pré-enquête menée par l'un des étudiants de l'équipe de recherche-action, Raymond Patel, auprès des
67 entreprises du Val d'Oise semble confirmer ce point (Molinié, 2010, n.p.).
Conclusion : contextualisations et co-construction
Intitulant celle-ci Un portfolio n’est pas un portefeuille… Réflexions sur l’humanisation des
« compétences » plurilingues et interculturelles, Blanchet défend tout d'abord « la solidité
et la pertinence scientifique et formative de la recherche-action situationnelle »
(Macaire, 2011) mise en œuvre qui permet notamment le croisement des diverses
expérienciations avec les enjeux de formation, de production d’outil didactique et
d’évaluation scientifique. Situant ce travail dans une démarche de contextualisation
(Blanchet, Moore et Asselah Rahal, 2009), il souligne que l'un des problèmes soulevé par
l’intervention didactique en contexte est l’évaluation des effets produits par tel ou tel
dispositif, problème qui renvoie à celui de l’évaluation des « compétences » linguistiques
et culturelles, complexifiée par l’option intégrative dite plurilingue et interculturelle.
Mais cette remarque le conduit à clarifier ce qui est en jeu ici : à savoir le fait qu'en
privilégiant un suivi longitudinal interne (qui permet la conscientisation du
cheminement personnel dans la mobilité et de l’expérience plurilingue et interculturelle
dans les interactions), l'équipe des enseignants-chercheurs ne tentait pas de faire
mesurer (aux étudiants) des performances décontextualisées à l’aune de normes
extérieures absolues. Ce dont il est question, dit-il, est plutôt de leur permettre de
s’approprier de façon réflexive, (et donc par le dialogue avec d’autres plutôt que seul
avec une grille), la signification du chemin parcouru. Pour ce faire, sont privilégiés
l’aspect longitudinal, la métaposition dialogique et la co-construction du portfolio
chemin faisant.
53
Pour reprendre quelques-uns des termes utilisés par les auteurs de l'appel à communication pour le colloque
international intitulé Contexte global et contextes locaux : tensions, convergences et enjeux en didactique des
langues (DILTEC, 23-24-25 janvier 2014, Sorbonne Nouvelle-Paris 3).
certaine conception de l’humain qu’ (il) ne saurait le réduire à être l’objet inerte et/ou
totalement prédéterminé que postulent artificiellement les démarches expérimentales ».
Il termine en soulignant que cet ouvrage peut contribuer au réexamen critique de la
notion d’interculturalité à réinsérer dans l’ensemble des processus positifs et négatifs,
complémentaires et conflictuels, des tensions dynamiques, liés à la rencontre de l’altérité
: le terme alterculturation (Blanchet et Coste, 2008) est alors proposé à la discussion ...
Pourtant, cette utilisation de l’écrit biographique dans mes travaux n’est pas une fin en
soi. Paraphrasant Chiss et substituant le terme biographie au concept de littératie, je
dirais pour souligner ce point que « reposant à sa manière la question épistémologique
des frontières disciplinaires, la biographie jouerait le rôle d'un « lieu conceptuel »,
horizon de fédération possible, de régulation en tout cas, pour les inscriptions plurielles
dans la recherche des travaux portant sur les processus du dire/écrire/représenter les
expériences historicisées du plurilinguisme et du pluriculturalisme » (Chiss, 2004 et
2012, p. 213).
L'expérience et l'histoire
Cette intervention a d'abord incité des étudiants étrangers à construire une posture
réflexive vis-à-vis de leur pluralité linguistique et culturelle. Elle devait progressivement
101
l’histoire coloniale de la France (voir en particulier, Spaëth, 2001), ceux de notre histoire
de l'immigration ou encore ceux de la mobilité internationale.
Une seconde manière de problématiser - et de didactiser - la question de l'identité bi-
/plurilingue s'est progressivement construite en DLC : non plus seulement comme un
entre deux langues/cultures mais comme un soi plurilingue dont la pluralité repose sur
un répertoire plurilingue assumé et aussi, une capacité de connexions via, notamment,
l'usage des TIC et autres moyens de communication portables. Comme l'exprime
Diminescu (2005), « mobilité et connectivité forment désormais un ensemble de base
dans la définition du migrant du XXI siècle. Ensemble ils agissent comme un vecteur qui
assure et conduit les lignes de continuité dans la vie des migrants et dans les rapports
que ceux-ci entretiennent avec leur environnement d’origine, d’accueil ou parcouru. Hier
: immigrer et couper les racines ; aujourd’hui : circuler et garder le contact » (non
paginé).
L'intervention didactique a dès lors pour objectif de travailler cette représentation d'un
soi plurilingue en relation (et en réseau) avec des altérités plurielles dans un espace
mondialisé (Molinié, 2014, à paraître).
Une partie de mes interventions sur le terrain didactique vise les rapports tissés par les
apprenants à la « langue » et à la « culture ». Il s'agit plus précisément, de déconstruire
avec eux une représentation des « langues et cultures » considérées comme objets
extérieurs à soi, objets d'apprentissage et non supports permettant une formation à la
fois académique et expérientielle. Il a été montré qu'atteindre cet objectif passait par un
processus de ré-interprétation des catégories langue et culture de trois manières.
Tout d'abord, en mettant ces catégories en relation avec la notion d'histoire : du sujet, de
son plurilinguisme, de son pluriculturalisme (diachronie).
- un moment différé : celui de la rencontre avec l'étranger à l'étranger, dans son pays !
l'image forgée - et les discours tenus - sur l'autre tombent souvent dans l'un des pièges si
souvent dénoncés :
- ils établissent un rapport de juxtaposition multiculturelle (et non de connexions
interculturelles entre les personnes et les groupes) ;
- ils n'admettent pas que l'autre puisse agir selon une formule culturelle singulière et
variable.
Face à cela, une méthode autobiographique en DLC défend une première idée simple, en
apparence : les représentations évoquées ci-dessus ne peuvent être déconstruites que si
l'individu prend conscience qu'il est lui-même au centre d'une structure d'affiliations à
la fois denses et variables et que, par conséquent, ce sont les différences qui
caractérisent la vie dans et entre les groupes : « les différences courent autant à
l'intérieur du groupe qu'à l'intérieur du sujet lui-même » (Camilleri, op.cit., p. 370). C'est
là que réside le véritable apprentissage d'une représentation plurielle de la dimension
socio-historique où la différence n'est pas hors de l'un mais en lui, y définissant une
unité dialectique qui intègre son contraire. La socialisation consiste donc à comprendre
que la société dans laquelle j'accueille où dans laquelle je suis accueilli n'est pas un tout
sans fissure qui n'admettrait la distance qu'entre elle et ce qui lui est extérieur. Au
contraire, la distance est une dimension ordinaire qui court au sein des sociétés autant
qu'entre elles.
Pour la plupart d'entre eux, les étudiants étrangers souhaitant faire l'expérience d'être
un(e) étranger(e) en France, de construire une compétence plurilingue et interculturelle
54
Il en est de même en termes d'appartenances traditionnelles dans la mesure où « sous l'impact de la
modernité, la segmentation des anciennes structures de cohérence permet (...) aux individus de devenir
sensibles aux modèles étrangers, lesquels renforcent la différenciation endogène et ainsi de suite » (ibidem, p.
374).
55
Je reprends ici volontairement les termes dans lesquels Vasseur et Arditty présentaient leurs conclusions en
1996. C'est d'ailleurs sur la base de ces travaux que j'avais construit le cours de maitrise FLE à Paris 5
Conscience d'apprenant, conscience d'enseignant.
56
Selon F. Jacques, le principe dialogique est le suivant : « une énonciation est émise en communauté de sens,
elle est produite bilatéralement de quelque manière entre les énonciateurs qui s'exercent à la bivocalité et au
106
double entendre (..). C'est originairement que le dire procède d'une relation interlocutive qui excède les
ressources même réflexives de l'ego pensant. Il suit qu'en toute rigueur on ne peut prendre la parole de
manière à l'avoir » (Jacques, 1982, p. 334).
en passant une année universitaire abroad, ont une position d'ouverture vis-à-vis de la
réflexivité. Ils possèdent une culture éducative qui les rend réceptifs aux approches
réflexives et biographiques et à une utilisation plurielle (multimodale) des supports
d'expression et de communication qui leurs sont proposés et sont preneurs de ce type
d'approche. Bonnet (2012) confirme que d'une certaine manière, ils voyagent pour
développer cet habitus réflexif57 qui va de pair avec le souhait d'un développement
personnel relevé dans de nombreuses études comme étant l'un des trois objectifs de la
mobilité étudiante choisie (cf. par exemple Murphy-Lejeune, 2008, op.cit) Sans cette
réceptivité, je n'aurais pas autant développé les potentialités de processus réflexifs
croisés (alter-réflexifs), qui questionnent les constructions identitaires des étudiants et
les mettent en réflexion sur leurs projets mobilitaires.
- c'est pourquoi, l'enseignant doit pouvoir intervenir dans cette situation, en proposant
un dispositif qui remplit les trois fonctions suivantes :
57
Même si j'ai analysé les résistances à ce type de démarche chez quelques étudiants, je note que de façon
massive, il y a adhésion à des démarches réflexives et expérientielles. Ce qui n'est pas étonnant compte tenu
des attentes qu'ont les étudiants des échanges vis-à-vis de leur séjour à l'étranger (cf. ci-dessus 2.1.3)
107
58
C'est le titre d'une intervention faite dans le cadre du Séminaire de D.E.A. de D. Véronique, Didactique et
acquisition le 3 mars 1999, reprise et développée dans le cours de maitrise à Paris 5 : conscience
d'apprenant/d'enseignant.
a) faciliter ce difficile passage d’un système de représentations à un autre,
(Trévise, 1992) grâce à des activités réflexives ayant une fonction d’aide à la
conscientisation et à la conceptualisation. Des tâches axées sur la réflexion personnelle,
les auto-explications, la traduction intérieure pour soi tels que les auto-enregistrements
et les journaux de bord, conquièrent donc leur place dans ce dispositif.
Cet entretien filmé de groupe a été fondamental car a pu être explicitée la difficulté de la
relation aux autres (les familles d’accueil) éprouvée par l’ensemble des étudiants, dans
sa dimension socio-affective. Jusqu’ici, leur représentation de la relation entre la pensée
et la communication était celle d’un continuum. Comme l'explique Trevise, « les
représentations du monde et du rapport de soi au monde chez l’apprenant adulte sont
forgées et s’expriment pendant un long moment prioritairement par les mots et les
agencements de la langue maternelle » (1992, p. 91). Or, en situation exolingue, ces
étudiants découvraient qu'une discontinuité s’instaurait entre leurs pensées et la
formulation de celles-ci pour nouer un dialogue avec les autres. Cette discontinuité était
pour eux synonyme de difficulté : celle d’établir une interaction sociale dans une langue
autre que celle dans laquelle leurs pensées s’étaient construites jusque-là. Le coût
affectif à ce stade de l'immersion était assez important. Le sentiment d’être bête ou
stupide parce qu’ils n’arrivaient pas à dire en LE ce qu’ils exprimaient en LM était
directement relié aux problématiques de face ou encore à la difficulté de co-construire
de manière satisfaisante les interactions propres à faire avancer leur construction
identitaire et leur recherche de rôles sociaux.
Un suivi de cet étudiant sur deux années allait s'avérer d'une grande richesse pour
découvrir les métamorphoses identitaires liées à la construction de son identité bilingue
et à ses processus d'acculturation. S'emparant des outils mis à sa disposition et
interprétant les consignes réflexives avec la totale liberté que laissait aux étudiants du
département de Langues et littératures romanes la notion de projet personnel, Allan allait
interpréter la consigne « racontez un épisode de votre vie en lien avec l'histoire de votre
pays » en filant la métaphore du Rhinocéros (de Ionesco). Mettant, a posteriori, en
intrigue l'épisode de son séjour en famille en France, il allait déconstruire l’amalgame
entre : être en relation avec les autres et être comme les autres59. Le suivi sur deux ans et
59
Dans son récit, en effet, parler avec les autres, dans leur langue est d’abord synonyme d'essayer de devenir
109
un rhinocéros. Or, ceci s’avère impossible car « J’étais quelqu’un qui veut conserver son originalité ». Cette
impossibilité génère le sentiment d’un blocage : « Je ne changeais pas. La langue ne devenait pas plus facile.
J’étais bloqué. Je ne pouvais pas parler français ». Le narrateur dessine un début de résolution à travers une
réflexion sur son identité américaine : « Ce n’est pas que j’ai besoin de devenir français, mais plutôt que je dois
l'analyse des travaux de ces étudiants m'ont conduite à proposer la notion de
bilinguisme congruent (Molinié, 2002, Vol. 8, n° 7, op. cit.)
Le cadre proposé, avec ses médiations sociales (un groupe, un intervenant, un espace et
une durée déterminée, un projet), symboliques (une langue, des références littéraires,
des concepts) et techniques (des magnétophones, des caméscopes, un banc de montage)
permettent ces mises en mouvements dans lesquels l'appropriation de la langue
étrangère représente à la fois une difficulté et la possibilité de sémiotiser des évidences
jusque-là non interrogées sur l'identité sociale et culturelle, la perception de soi/de
l'autre ; l'expérience alterculturelle en connexion avec son imaginaire et ses affects.
Disons en synthèse de ce point que mes travaux de recherche ont été développés dans le
cadre de formations pluridisciplinaires (articulant langue, littérature et pédagogie
interculturelle) conçues et conduites auprès d'étudiants étrangers, apprenant la langue
française dans des structures universitaires en France ou à l'étranger. Les productions
langagières proposées à ces étudiants devaient les inciter à relier en langue « cible »
l'ensemble des composantes de leur expérience bi/plurilingue et (inter)culturelle.
J’ai appris, en formation initiale, à utiliser les récits de vie dans la classe de FLE dans le
cadre d'une didactique des apprentissages culturels alors émergente. Un premier lien
entre didactique interculturelle et orientation biographique a en effet été construit dès
trouver le français en moi. Je dois risquer mon identité américaine », et sur son rapport à la culture étrangère
110
dont il découvre l’incontournable altérité : « Je ne m’étais pas permis à accepter la culture française comme
l’entité spéciale, différente et unique qu’elle est ». De cette acceptation, découlent une résolution et un plan
d’action : « Donc, si je veux avancer mes études en français... je dois permettre à ma vie américaine et à la
culture française d’habiter ensemble en moi » (Molinié, 2002, Vol. 8, n° 7, p. 63-71).
1986. Cette année là, Simone Lieutaud, Jean-Claude Beacco60 et Geneviève Zarate
publient deux ouvrages : Tours de France et Enseigner une culture étrangère. Dans leur
manuel de civilisation, Beacco et Lieutaud présentent l'entretien mené par S. Lieutaud
auprès de Monsieur Marcel en écrivant :
Le rappel de ces éléments montre le contexte dans lequel allaient être articulées deux
pratiques : une pratique biographique (de collectes de récits de vie par entretien) et une
pratique autobiographique. Au recueil des récits de locuteurs natifs des pays/langues
111
60
Jean-Claude Beacco alors Attaché Linguistique à Rome, préparait avec Simone Lieutaud de l'Alliance française
de Paris un manuel de civilisation Tours de France qui, à l'origine, était sous titré : Construire sa France. Il a
d'abord été refusé par l'éditeur pour son peu de succès éditorial et commercial.
d'accueil, allaient bientôt s'ajouter les récits de soi, énoncés par des migrants ou par des
étudiants de passage et locuteurs bilingues.
Cette double approche est plus que jamais pertinente pour que la notion d'intermédiaire
culturel puisse se traduire dans un cursus de formation62. Là encore, le texte de Byram,
Neuner, Zarate (1997, p. 24) éclaire a posteriori la marge de manœuvre que nous avions
pour inventer une « progression elle-même liée au passage, grâce à un effort de réflexion
sur soi-même, et à une confrontation avec ses propres valeurs, d'une vision des
phénomènes socioculturels perçus de l'intérieur à une vision analytique propre aux
sciences sociales, permettant de révéler le sens caché de certains faits qui vont de soi et
qui ne sont pas explicites dans les textes ».
Cette citation reflète assez bien ce que visait le dispositif pédagogique que je mettais en
place, dans une période marquée par une guerre en plein cœur de l'Europe (la guerre de
Croatie, ou guerre d'indépendance croate)63. C'était un dispositif dans lequel :
61
« Les buts d'un séjour dans le cadre scolaire sont multiples et non seulement linguistiques. Il y a d'abord
l'expérience de voyager sans les parents, d'éprouver le "choc culturel" (...), il y a la nécessité d'un travail
pratique, d'une coopération entre pairs, d'une autonomie et d'une confiance en soi (...). Nous touchons ici
surtout la question de la différence entre la vue du pays et de la culture acquise pendant un tel séjour et
l'image projetée dans les manuels et par les enseignants en classe (...). L'un des enseignants décrit la méthode
de la façon suivante : "nous voulions inventer une série d'activités qui aideraient les élèves (britanniques) à
acquérir une meilleure compréhension de la culture française. Ceci exigeait une observation minutieuse et une
volonté de chercher des structures, c'est-à-dire de ne pas simplement faire une collecte d'informations mais
d'apprendre à faire une enquête sur une autre culture » (Byram, 1994, p.118-119).
62
Les « bienfaits » de l'objectivation (défendue par Bourdieu comme pilier de la posture réflexive du
sociologue) étaient peu à peu entrés dans la littérature didactique (cf. notamment Porcher, 1986 et Zarate,
112
1986).
63
Cette guerre s'est déroulée entre 1990 et 1995 à l'issue de l'effondrement de la fédération yougoslave et a
opposé la République de Croatie nouvellement indépendante à l'armée populaire yougoslave et à une partie
des Serbes de Croatie.
- les étudiants conduisaient des entretiens biographiques auprès de francophones vivant
à Paris pour développer une capacité de compréhension de leurs vies en relation avec
un contexte (social, économique, culturel), une société et une histoire.
Le projet mené avec Gloria Paganini et Geneviève Zarate autour du savoir-voyager allait
être assez précurseur dans ce domaine (Molinié, 2000, Vol. 8, n° 3, p. 34-38).
Disons en synthèse que la recherche effectuée sur le récit de soi en contexte plurilingue et
pluriculturel fait apparaître le récit de parcours comme activité de co-production
langagière (en groupe) orientée vers la reconfiguration d'éléments situés dans le passé
et le présent de l'étudiant plurilingue. Le continuum passé - présent (la ligne de vie)
constitue la trame de ce qu'exprime (à l'oral et à l'écrit) l'étudiant, situé à la fois dans
une mobilité (il a quitté son système socio-éducatif familier) et une sédentarité (il est
provisoirement installé ici, dans le cadre d'un séjour d'études, dans un système éducatif
étranger, pour une durée déterminée).
champ une perception plus dialectique des processus de socialisation, des processus de
développement des ressources plurilingues/pluriculturelles et des processus de
formation (formelle et informelle) que vit l'adulte, apprenant de langues, cet individu
souvent engagé (successivement et parfois simultanément) dans des mobilités diverses,
entre deux ou plusieurs régions, langues et cultures, dans un monde lui-même en
mutation.
J'ai évoqué (supra) la dichotomie dans laquelle s'est longtemps trouvée prise la
115
question du rapport à l'autre (éloigné vs proche) dans la didactique des langues des
années 90. Cette dichotomie s'est-elle réfractée dans le clivage entre pédagogie des
échanges (avec l'autre éloigné) et pédagogie interculturelle (didactisant la relation
entre Français « de souche » et cet autre proche qu'est l'immigré) ? En tout cas, le
recours aux récits de vie et aux récits d'apprentissages apparaît comme outil
d'intervention permettant de relier (dans les consciences et les représentations
individuelles) ces deux figures de l'autre (proche/éloigné) artificiellement disjointes.
Mais il faut aller plus loin et resituer cette position dans une perspective historique et
politique. En effet, la reliance mise en œuvre (via diverses approches
autobiographiques, cf. les volumes 1, 2, 3 et 5) au sein de l'école ne peut pas grand-
chose sans l'appui d'une véritable politique linguistique et éducative. Krüger-Potraz
(2011, p. 174) montre ainsi à propos de l'Allemagne comment historiquement les
problématiques de l'Altérité sont superposées. Il y a l'Autre européen qui se fond de
plus en plus dans un nous : « L'Europe c'est l'extension du nous national » écrit-elle,
tandis que l'Autre spécifique provient quant à lui, d'un espace tiers (non-européen) et
son intégration reste problématique. En résumé, tant qu'il y a mobilité (circulation sans
sédentarisation) dans un espace européen ou mondial, l'interculturalité va de soi. Mais
à partir du moment où il y a installation, sédentarisation et insertion, cela peut devenir
un problème, notamment lorsque l'enfant est admis à se scolariser. C'est pourquoi,
Krüger-Potraz défend une option didactique de mise en lien des enjeux de cohésion
sociale à trois niveaux : national, européen et international. Considérant le projet
Comment apprendre la citoyenneté européenne ? Avec la pluralité des langues et des
cultures comme un véritable programme d'intervention, elle conclut que la citoyenneté
européenne ne peut pas s'arrêter aux frontières de l'Europe ni exclure les immigrés
issus de pays situés au-delà de ces frontières. Elle affirme donc que « l'éducation à
l'Europe et l'éducation et la formation interculturelles sont inéluctablement liées. La
perspective hiérarchique sur la diversité des langues et des cultures (...), renforce, crée
même, les conflits qui doivent ensuite faire l'objet d'un travail pédagogique. La
citoyenneté européenne ne peut réellement exister que si l'on adopte une perspective
globale. C'est le seul moyen de percevoir véritablement la réalité d'une Europe en
mouvement comme partie intégrante d'un monde en mouvement » (ibidem). C'est pour
aller dans ce sens que le programme ALC (les langues pour la cohésion sociale) du Centre
Européen pour les Langues Vivantes a notamment abouti à la publication du Cadre
116
européen pour les approches plurielles en éducation (CARAP) (Candelier et alii, 2007)
auquel j'ai apporté ma contribution.
Que peuvent de tels outils sinon tenter de circuler dans une série de paradoxes ?
Car, comme le résume G. Zarate (2008, p. 175) dans une belle formulation paradoxale,
« si le contexte démocratique est un pré-requis pour qu'un état valorise une approche
plurielle de l'appartenance, sans que celle-ci soit entendue comme une menace à la
cohésion nationale, il valorise la diversité comme un horizon d'attente que dément la
réalité de l'exclusion sociale ».
C'est également l’herméneutique de l’action proposée par Paul Ricœur (1989) qui a
considérablement enrichi ma capacité à théoriser l'activité d'apprentissage plurilingue
en groupes. Rappelons que pour Ricœur l’activité humaine est impénétrable et que le
monde vécu des personnes est incompréhensible. C’est à travers l’élaboration
individuelle et collective de textes narratifs qu’est clarifiée l’action humaine.
Corrélativement, la confrontation des individus aux textes narratifs leur permet de
développer une conception rationnelle de l’action. En résumé, pour Ricœur les textes
117
Si la question du temps et des temporalités a été centrale dans mon parcours, elle a
progressivement été mise en lien avec les questions d'espace. Je notais ainsi dans les
Actes publiés suite au Colloque de Rennes, Histoires de vie et dynamiques langagières :
Les histoires de vie donnent à lire une inventivité du sujet qui met en relation deux
niveaux de temporalité généralement disjoints. Une temporalité rythmée par les
faits relevant de l'histoire sociale collective et une temporalité rythmée par des faits
relevant de la vie psychique (...). Ces questions surgissent particulièrement lorsque se
posent deux problèmes : le problème spatial du déplacement et le problème cognitif de
l'appropriation d'une langue étrangère (Molinié, 2000b, Vol 8, n° 4, p. 39-46).
64
C'est le titre du Numéro de la Revue Glottopol qui paraîtra sous ma direction, en 2014.
65
La plupart du temps urbain même si nous avons eu, plus haut, un aperçu de la complexité de l'expérience du
séjour dans un espace villageois de l'ouest de la France
de s'approprier la diversité des lieux, d'habiter cette mobilité au point d'en faire un chez
soi ouvert sur l'altérité et la pluralité des mondes qui s'y rencontrent. Il s'agit donc de
créer des liens entre compétences littératiées, réflexivité et ressources créatives de
l'étudiant bi-/plurilingue. Au niveau de l'intervention, on sollicite les capacités à
représenter (par le geste, le corps, l'image, le dessin, la photo, le collage, la voix, le verbe,
etc.) les parcours et les expériences sociolinguistiques ainsi que le projet de formation
en relation avec une histoire et dans des situations. L'intervention s'avère inséparable
de processus de théorisation des liens entre le sujet de langage, ses apprentissages, sa
mise en mouvement (réflexive, affective, corporelle) en relation avec des
environnements éducatifs et de formation. C'est en 2009, dans l'ouvrage collectif
intitulé Le dessin réflexif : vers une herméneutique du sujet plurilingue (Vol. 5) qu’allaient
être coordonnés un premier ensemble de travaux menés sur les rapports entre dessin
et verbalisation des mobilités, par des chercheurs, intervenants auprès d'enfants et
d'adolescents migrants/en mobilité. Loin d’être considérées comme des observables
externes aux sujets plurilingues, mobilité et diversité étaient prises en compte en tant
que situations vécues dans leur dimension objective (sociale, contextuelle) et subjective
(psycho-affective et imaginaire), le langage et les langues permettant une médiation
entre ces deux dimensions.
66
La première journée du séminaire de recherche (sept. 2008) intitulée Dessin et destin : du tracé aux traces et
rassemblait V. Castellotti (Université François Rabelais-Tours), M. Terasako (Université Préfectorale d’Osaka), A.
Bergé (Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle) et S. Clerc (Université d’Avignon). La seconde journée du
séminaire (juin 2009) intitulée Dessin et destin : du tracé aux traces : Mobilités, plurilinguisme et francophonies,
120
a réuni V. Castellotti (Université François Rabelais-Tours) en collaboration avec D. Moore (S. Fraser University
de Vancouver) F. Leconte (Université de Rouen), C. Perregaux (Université de Genève), M. Molinié (Université de
Cergy-Pontoise) et H. Hososkawa (Université Waseda, Tokyo).
D’autre part, lorsque le langage devient porteur de sens y compris dans une autre
langue et, plus précisément, dans les langues de la mobilité, quelque chose s’accroît dans
la relation identité-altérité : on peut parler d’un gain d’intérité (si l’on se réfère à
Demorgon), ou encore d’une dialectique entre identité et ipseité (si l’on se réfère à
Ricœur) (Molinié, communication orale, juin 2009).
Privilégiant les dessins réalisés par des populations enfantines ou adolescentes, les
dessins d'adultes avaient momentanément été laissés de côté. J'annonçais alors dans la
Préface de l'ouvrage de 2009 qu'il conviendrait à l'avenir :
1-la transmission d'une consigne (...), 2- la réalisation du dessin (effectué seul et/ou
en binôme) par un enfant, un adolescent ou un adulte, 3- la conduite d'un entretien
d'exploration du dessin (entre le dessinateur et le praticien/chercheur ou entre pairs).
Ce dispositif permet 1°) de rendre visibles et de prendre acte des déterminants
sociolinguistiques et de leur circulation dans le milieu dans lequel vit l'acteur ; 2°) de
conduire des processus de verbalisation, de mutualisation, de conscientisation sur ces
schèmes et ces déterminants, 3°) d'ouvrir la voie à la remédiation et à la production de
nouvelles représentations (Blanchet et Chardenet, 2011, p. 450).
Figurant dans l'index notionnel et factuel du Guide coordonné par Blanchet et Chardenet,
la définition citée ci-dessus synthétise ce qui est dit du dessin réflexif dans les pages
121
En croisant par exemple les notions de territoires (la ville notamment, envisagée comme
articulation d'espaces plurilingues/pluriculturels) et les questions de parcours
appréhendés dans l'espace et dans le temps l'enjeu est aussi de faire émerger des
connaissances nouvelles sur le rapport qu'ont les sujets à un certain nombre de
changements. Il s'agit d'interroger les pratiques des sujets en mobilité dans un monde
mondialisé : autrement dit, leur expérience de la mondialisation, les représentations,
métaphores et discours qu'ils conjuguent pour donner sens à cette expérience. A
l'articulation de la sociolinguistique et d'une didactique qui se « structure en
permanence en rapport aux expériences d'acteurs considérés comme compétents, dans
la mesure où ils attribuent un sens et une structure aux actions » (Moore, Sabatier,
122
Jacquet et Masinda, 2009, p. 21), nous nous intéressons donc dans ce numéro de la revue
Glottopol en préparation, à la façon dont le récit (de soi, de sa migration, de la migration
du groupe, etc.) et la réflexivité se donnent à voir et pas seulement à lire.
- les formes au travers desquelles s'expriment les rapports de pouvoir et la lutte des
places pour accéder aux ressources (économiques, culturelles, cognitives, éducatives)
dans les espaces vécus et traversés : mobilités, pouvoir et empowerment.
- l'expression des liens entre projets de vie, histoires de langues et mobilité : les
dynamiques existentielles et leurs représentations, rêves, utopies, projections.
- les interactions entre l'acte de dessiner, modeler, filmer, sculpter etc... pour dire les
situations de migration, de plurilinguisme et d’interculturalité et la co-production de
connaissances sur le phénomène vécu, conscientisé, approfondi entre pairs, dans des
pratiques sociales et dans le cadre de projets éducatifs ou de formation
formelle/informelle.
Conclusion du chapitre 2
Au terme de ce second chapitre, il apparaît qu’un pan de ma recherche contribue par
certains de ses aspects à enrichir ce que Jean-Louis Chiss nomme le potentiel didactique
de la notion de littératie (Chiss, 2003, p. 157-158). Un potentiel que, dans un numéro
récent de Recherches et applications, le Français dans le Monde, Bouchard et Kadi
désignent comme « globalement, au delà des savoir-faire rédactionnels et lecturels, une
culture de l’écrit, qui permet à qui la possède de maîtriser le temps, l’espace, le monde
d’une manière spécifique » (Bouchard et Kadi, 2012, p. 11, je souligne). Cette formulation
est en écho avec mes propres interventions établissant des liens organiques entre le
voyage à l'étranger et sa sémiotisation dans des pratiques littératiées et multi-modales.
Par ailleurs, je partage le point de vue de Marquilló Larruy pour qui c’est le
développement du concept de communication qui a permis de redynamiser les
approches de l’écrit en permettant une meilleure compréhension de l’inscription sociale
des textes et donc, des situations d’écriture (Marquilló Larruy, 2012, p. 11) et, partant, à
élargir l’étude de ces situations pour englober aussi une diversité de pratiques de tous
les jours. Celles qui constituent pour Michel Dabène, les écrits (extra)ordinaires
(Dabène, 1990) qu’il convient de décrire et d’étudier, dans des perspectives
d’amélioration de l’action didactique et, ajouterai-je, dans l'objectif de se défaire de ce
124
Cet élargissement de la notion est cohérent avec le projet qui fonde chacune des
interventions didactiques présentées dans ce chapitre 2, à savoir, proposer aux sujets
apprenants d'une part, de produire de nouveaux objets de pensée (par le lire-dire-
écrire) et d'autre part, de représenter leur trajectoire et leur perception d'eux-mêmes
dans un espace mondialisé, dans des rapports sociaux complexes, dans des
identifications plurielles et en mouvement.
C'est l'un des aspects des écritures de soi traité dans ma thèse et approfondi plus
récemment dans un article intitulé Réflexivité et culture de l’écrit. Eléments pour une
conception réflexive de la littératie. Après avoir repris une partie de la genèse occidentale
des écritures de soi, je conclue cet article par ces mots :
Les écritures de soi ne naissent pas du seul rapport à l'intime ou au secret. Bien au
contraire, (l'ouvrage de Montaigne) continue d'évoquer une raison à la fois singulière
et citoyenne du monde, ni complète, ni transparente, ouverte à une pluralité
d'interprétations possibles. Non pas la rationalité du siècle des Lumières qui croyait
possible d'édifier un monde d'où tous les préjugés auraient disparu, mais une raison qui
pénètre dans la totalité de l'existence, y compris la perception sensible, la vie affective,
125
Si les Essais questionnent les liens entre littératie et réflexivité, c'est bien parce que
plus qu’un texte, ils constituent un dispositif permettant de tenter d’organiser
l'éphémère : lire-écrire afin d’élaborer ses savoirs et ses techniques tout en reliant les
fragments de son existence (Molinié, 2009, Vol. 9, n° 7, p. 56-83).
On le voit, si le lire-écrire occupe une place de choix dans mes interventions, cette place
est toujours située en continuité cognitive (Chiss, 2012a, p. 94) avec l'oral et avec toute
une gamme de modalités communicationnelles, expressives, dialogiques, réflexives.
C'est là, la fonction singulière qui est attribuée à la didactique des textes et de l'écrit
dans mes travaux de recherche en didactique des langues et des cultures.
126
Chapitre 3
Eduquer au plurilinguisme : une activité en
tension entre recherche et formation
Il importe désormais « de faire bénéficier notre propre système scolaire des cultures
que les élèves emmènent avec eux. La présence des élèves étrangers doit en effet être
considérée comme une grande richesse pour nos établissements, et non comme un
handicap. C’est pourquoi notre travail d’intégration, facilité par le français langue
seconde (FLS), est aussi un travail d’enrichissement de l’enseignement français même »
(De Gaudemar, Recteur de l’académie d’Aix-Marseille,
Exposé de Clôture de la Journée de réflexion sur FLE et FLS en France et à l’étranger,
Maison de l’Unesco, 15 mars 2002).
INTRODUCTION
Alors que le « plurilinguisme » est posé comme valeur et comme projet par les politiques
éducatives en relation avec les notions de cohésion sociale et de citoyenneté
européenne, il paraît important qu’une didactique de la pluralité puisse non seulement
« gérer » la diversité mais surtout en faire une ressource d’apprentissage, un objectif
éducatif et le socle de toute formation réflexive d’enseignant.
des entités définies une fois pour toutes et fermées sur elles-mêmes » (ibidem.).
Et pourtant...
La diversité interne à la société française bénéficie encore trop peu à ceux qui en sont les
premiers héritiers : élèves scolarisés et étudiants en formation, dont l’existence, les
pratiques sociales et le bagage linguistique se sont construits dans - et grâce à - ces
contacts.
Il s'agit donc de conduire les (futurs) praticiens vers des processus de compréhension et
de socioanalyse de leur plurilinguisme et de leur pluriculturalisme à travers un
mouvement réflexif et diverses formes sémiotiques :
- représentations graphiques
a) des parcours éducatifs dans un espace mondialisé (Molinié, 2006, voir
Vol. 9, n° 4, p. 28-38)
Est alors envisagée une troisième étape : la formation comme pratique de production de
dispositifs et de projets (on en verra des illustrations dans les volumes 10, 11 et 12). Ces
dispositifs et ces projets incluent une dimension professionnelle qui est la capacité à
accompagner les apprenants dans des dynamiques transformatives liées aux situations
fortement altéritaires67.
Mes recherches portent sur l'ensemble des démarches énumérées ci-dessus, mises en
œuvre dans deux contextes :
129
67
Cela apparaît clairement dans deux films que j'utilise beaucoup en formation : Comparons nos langues (N.
Auger, CRDP/SCEREN, Montpellier, 2005) et Je veux apprendre la France (D. Bouy, TGA, 2009).
- le contexte de la formation initiale pour des étudiants souhaitant devenir enseignants
de langues : que ce soit une langue vivante étrangère en France, le français à l'étranger
(FLE), le français en France68.
Sur ces terrains, la tâche est de convaincre les formateurs de prendre du recul et de se
confronter (collectivement) à leurs conditionnements, habitudes et représentations et
de les aider à mettre en place « une forme de recherche-action informelle ou ce que
d'autres appellent pratique réflexive » (Narcy-Combes, 2010, p.119-120).
Ce cheminement réflexif doit finalement leur permettre d' « accepter qu'existe en (eux)
un mouvement de balancier perpétuel entre la doxa et l'épistémé » pour que le bricolage
ne se fasse pas à l'aveuglette en croyant que les objets existent sous une forme certaine
alors qu'ils ne sont que des construits, des aides pour l'action et la réflexion qu'il
convient de valider à tout instant » (ibidem). On retiendra enfin la formule de Narcy-
Combes qui, ironisant sur la politique de l'autruche, indique qu'a contrario, mettre en
place une pratique réflexive, « c'est ne pas mettre la tête dans le sable, mais repérer les
obstacles, accepter nos limites et la médiation des autres » (op. cit, p. 120).
68
Dans ce cas, on tentera de faire valoir l'idée d'un continuum FLE/FLS/Français langue de scolarisation (cf.
aussi, note d'orientation des recherches à venir)
3.1. Former à l'intervention en contexte de pluralité des langues et
des cultures
En France, cette nécessité est d'autant plus criante que le contexte est une fois de plus,
assez paradoxal. Car, par bien des aspects, notre société présente une grande diversité
culturelle, dans un contexte global de développement des contacts internationaux. Mais,
par bien d'autres aspects, cette diversité française ne se traduit pas par un
développement de richesses (sociales, culturelles) pour l'ensemble des citoyens. Les
plus « divers » d'entre nous se trouvent plutôt confrontés à une série d’inégalités
sociales et éducatives.
L'un des axes d'une formation d'enseignants de FLE/S est donc d'aller y voir de plus
près de deux façons :
Mais ces considérations générales doivent, elles aussi, être resituées dans leur genèse.
espaces sociaux et culturels proches ou éloignés (en France ou dans des pays
anglophones, hispanophones, asiatiques, etc.) se pose pour eux la question du
continuum entre leur identité plurilingue personnelle et leur identité professionnelle
d'enseignants de langue. Diverses formes de biographisation de ce continuum peuvent
devenir un vecteur important de leur professionnalisation (on pourra lire par exemple,
le témoignage détaillé de Lankhorst, 2011, dans Vol. 6, p. 59-78).
69
Une expression produite par le discours médiatique construit autour de l’équipe de France de football et qui
mettait en exergue la contradiction entre « modèle républicain » et processus d’ethnicisation réciproque.
A la suite de Causa et Cadet (2006, p. 69 ; voir aussi Causa, 2012), on définit désormais
ce « répertoire didactique » comme un ensemble de savoirs et de savoir-faire
pédagogiques, dont dispose l’enseignant pour transmettre la langue cible dans une
situation d’enseignement/apprentissage donnée. Il se forge à partir de modèles
intériorisés et à partir de modèles proposés durant la formation, se modifie tout au long
de l’expérience enseignante et se situe à mi-chemin entre les modèles et la pratique de
classe en temps réel, ces deux pôles interagissant constamment entre eux.
Or, j'avais la conviction que, pour être en mesure de développer un répertoire didactique
intégrant la diversité linguistique et culturelle de ses élèves comme composante de son
enseignement, l’enseignant novice devait apprendre à connaître et à reconnaître par lui-
même et entre pairs, la variation linguistique et la pluralité culturelle constitutive 1) de
son identité sociale, 2) de celle de ses pairs et 3) de notre société, car :
Pour lutter contre ce qu’Etienne et Laffont (1999) ont nommé la « mêmerie » (qui
désigne l’obsession intégrationniste de la France à faire en sorte que l’Autre devienne le
même), seule une connaissance de ces différents niveaux (micro- et macro- sociaux)
permettra à nos étudiants de construire des ressources professionnelles sur lesquelles
prendre appui afin de co-développer la compétence plurilingue-pluriculturelle de leurs
élèves70, dans un contexte où, par ailleurs, l’Europe tente d’imposer une vision différente
des droits différentialistes de cet Autre… C'est pour travailler à l’articulation de ces deux
visions (française et européenne) que j’ai conçu en 2006 un Portfolio du praticien réflexif
(n.p.) qui n’a pas cessé d’évoluer au cours de ces sept dernières années (Vol. 9, Molinié
2013a, n° 14, p. 143-162).
70
Cette compétence désigne la capacité « à communiquer langagièrement et à interagir culturellement
133
possédée par un locuteur qui maîtrise, à des degrés divers, plusieurs langues et a, à des degrés divers,
l’expérience de plusieurs cultures tout en étant à même de gérer l’ensemble de ce capital langagier et
culturel » (1997, D. Coste, D. Moore, G. Zarate).
Une double insécurité : sociale et linguistique
71
D’après Notes et documents n° 37 de février 1998, 336 000 collégiens et lycéens étrangers sont scolarisés en
France. Leur répartition par Académie indique une forte majorité en Ile de France (Créteil : 13%, Paris : 13 %,
Versailles : 10,4 %), dans les académies frontalières de l’Est de la France, en Corse et en Guyane (20,7%).
d’insécurité linguistique définie comme la conscience qu’a le locuteur de l’écart existant
entre son parler et les usages normés d’une langue.
C'est la raison pour laquelle j'ai proposé à partir de 2005 à ces enseignants novices, un
projet de formation à la conduite d'entretiens compréhensifs et biographiques. Les
entretiens menés et transcris en 2006-2007 ont pu être réunis et publiés dans un recueil
intitulé « Récits de vie recueillis en Ile-de-France et dans ses alentours par les étudiants
en anthropologie de la diversité culturelle »72 (voir aussi, Vol. 9, 2007, n° 5 p. 39-45 et
2012b, n° 13, p. 134-142).
Parmi les quarante entretiens recueillis, transcris et rassemblés en sept chapitres et 172
pages, je citerai celui qu'a mené Noura (étudiante en LLCE anglais en 2006-2007) auprès
de Mme H73. Au cours de leur troisième entrevue, Mme H. confiait à sa jeune enquêtrice :
Avant j'avais peur de parler avec quelqu'un, un Français surtout, je me bloque toute
seule si je ne suis pas capable de répondre. Et, maintenant je comprends les choses et j'ai
assez de vocabulaire pour m'exprimer j'ai toujours un peu peur je ne sais pas pourquoi
depuis le début ; ça a diminué mais c’est encore là. Avant j'avais peur de sortir dehors si
on m'abordait dans la rue (Noura Hamouche, Histoires de migration et contextes post-
coloniaux, document de travail, 2006-2007).
72
Grâce à l'aide apportée par Elsa Brun, une étudiante ayant une carrière de documentaliste derrière elle et
une longue expérience de la pédagogie de projet. Etudiante et retraitée, elle a bien voulu consacrer le temps
nécessaire à cette publication.
135
73
Ce récit a été classé dans le chapitre intitulé « Histoires de migration et contextes post-coloniaux ». Le
Recueil se compose de 6 autres chapitres : « Histoires de vie - passages de milieux » ; « Ecarts culturels et
processus éducatifs » ; « Histoires de familles » ; « Cultures en contact » ; « Mutations urbaines » ; « Flux
migratoires contemporains ».
décennies : d'abord l'isolement vécu par une femme au foyer « ayant peur de sortir
dehors » par crainte qu'on lui adresse la parole dans la rue et qu'elle ne sache pas
répondre en français. Puis, dans un second temps, un isolement accru par un
déménagement qui comportait deux facettes. Une facette positive : le nouveau logement
est objectivement plus spacieux et permet de mieux accueillir le troisième enfant de
Mme H. ; une facette négative : il la coupe des relations de voisinage qui existaient dans
son habitat précédent, ce qu'elle exprime à l'aide d'une métaphore :
Depuis qu’on a déménagé et que j'ai eu mon troisième enfant, je me sens bien, je suis
contente avec mes enfants, excepté que où j'habite il n'y a pas de voisins, je suis seule
dans la maison la plupart du temps et ça ne me plaît pas beaucoup. Je voudrais être avec
les gens, au milieu des gens, j'ai l'impression d'être enterrée vivante (rires)74(ibidem).
Cet entretien a permis d'introduire dans le groupe en formation une réflexion sur les
notions de « réseau d'immigrés » (Katuszewski et Ogien, 1981) et de « réseau social »
(Biichlé, 2008) et sur les relations entre processus d'insertion, circulation dans ces
réseaux, points de contact avec des locuteurs francophones et apprentissage du français,
en particulier pour les femmes immigrées.
74
Il faudrait prendre le temps de comprendre ces « rires »... Comme on le voit la parole de Mme H. a été
totalement traduite dans le code de l'écrit. Cela est lié à une double correction. D'abord par Noura qui avertit le
lecteur et indique : « Son français étant un peu hésitant il est important de noter que lors de la retranscription
136
de cet entretien j’y ai apporté quelques corrections grammaticales et syntaxiques, afin que le récit soit plus
aisément compréhensible ». C'est ensuite l'étudiante volontaire pour constituer le volume du recueil qui a
effectué les ultimes "corrections".
Outre la compréhension contextualisée de la notion d'insécurité linguistique à travers
les incidences subjectives qu'a celle-ci sur Mme H., l'exploration de la notion de « réseau
d'immigrés » allait déclencher une activité de recherche complémentaire qui porterait
sur un autre type d'insécurité linguistique, pas seulement à l'égard de l'usage normé du
français mais à l'égard de la langue parlée au « pays natal ».
On s'est donc intéressé aux descendant(e)s de migrants, lorsque le voyage au pays leur
offre l’occasion de confronter la variété de langue qu’ils ont acquise en famille, en France
et celle que leurs pairs, n’ayant pas quitté le pays, pratiquent.
comme un vrai Marocain quelqu’un qui maîtrise l’arabe marocain dans toutes ses
subtilités. Ainsi, il n’est pas rare que des enfants d’immigrés ou des Marocains ayant
longtemps séjourné à l’étranger se voient rejetés (…) (ce qui peut les amener à préférer
parler le français qu’ils maîtrisent et qui a une valeur plus forte) parce qu’ils ne parlent
pas assez bien l’arabe marocain (Caubet, 2002, p. 118).
Ils développent alors une seconde forme d’insécurité linguistique, cette conscience
évaluative de l’écart entre leur parler et la norme du groupe des locuteurs parlant la
langue du - et au - pays (voir Deprez, 2002, p. 61).
C’est pourquoi j’ai accepté avec intérêt la proposition que m’a faite Véronique Castellotti
de participer au programme de travail conduit par M. Candelier75 dans le cadre du
deuxième programme à moyen terme du Centre européen des langues vivantes (CELV)
intitulé « Les langues pour la cohésion sociale : l’éducation aux langues dans une Europe
multilingue et multiculturelle » et du projet « A travers les langues et les cultures »
(2004 à 2007). Nous allions aborder collectivement la question de la formation, en
élaborant, entre autres, le « Kit de formation » qui serait ensuite (de 2008 à 2011) l'un
des vecteurs du Cadre de Référence pour les Approches Plurielles des Langues et des
137
75
Avec Antoinette Camilleri-Grima, Véronique Castellotti, Jean-François de Pietro, Ildiko Lörincz, Franz-Joseph
Meissner, Arthur Noguerol, Anna Schröder-Sura.
Cultures (CARAP, cf. http://carap.ecml.at). Le CARAP devait en effet permettre aux
futurs enseignants de valoriser le plurilinguisme des Européens de manière à fonder une
citoyenneté intégrative. Je tentais pour ma part, durant ces années de collaboration avec
Candelier et l'équipe du CARAP, d’effectuer des va-et-vient entre les approches plurielles
et mon « terrain » dans le Val d'Oise. Pour établir un lien entre les deux, la piste que j'ai
suivie a été de conduire nos étudiants/futurs enseignants vers une compréhension
personnalisée du fait qu'il était en leur pouvoir (en tant qu'enseignant) de permettre à
leurs futurs élèves 1) de reconnaître et de dépasser leur propre insécurité linguistique
dans une - ou plusieurs - langue(s) ou variétés de langues76 et 2) de reconnaître leur
répertoire plurilingue et pluriculturel (Molinié, 2005, voir vol. 9, n° 3, p. 22-27 et 2010,
voir Vol 9, n° 9, p. 96-110).
Pour reprendre les termes même du Guide pour l'élaboration des politiques linguistiques
éducatives en Europe (Beacco et Byram, 2007, p. 73) :
Entre 2008 et 2011, nous avons donc créé un référentiel, une banque de matériaux
didactiques et un Kit de formation, permettant aux enseignants de se constituer tout
« un arsenal de savoirs, savoir-faire et savoir-être » (ibidem.), afin d'utiliser la variation
linguistique et la diversité culturelle dans leurs classes, dans le cadre de leur
enseignement de langues et selon une approche plurielle à travers « des activités
d'enseignement-apprentissage qui impliquent à la fois plusieurs (= plus d'une) variétés
linguistiques et culturelles » (Candelier et alii, ibidem, p. 6).
Pour faire aboutir ce projet, un important travail de discussion autour des notions de
« compétence » et « ressource » a du être mené. Je ne reprends ici que la formulation
conclusive de cette discussion :
76
Plus spécifiquement, l’objectif de ce projet était de mettre en valeur le rôle que peut jouer l’éducation aux
138
Nous devons donc admettre que nous nous trouvons devant un continuum (entre
compétence et ressources) où toute délimitation reste partiellement arbitraire et renvoie
plus à la cohérence et à la pertinence didactique des ensembles constitués qu'à une
application de critères totalement objectivables(ibidem, p. 84).
Ce point est très important à mes yeux car il justifie l'insistance dans mes travaux de la
notion de « dispositif » permettant au moins d'esquisser ce continuum entre ressources
et compétences en recherchant « cohérence et pertinence didactique » dans des
« ensembles constitués ». Par dispositif, j'entends en effet, « un ensemble d'éléments
(méthodes, outils, procédures, routines, principes d'action) articulés ayant pour finalité
la production de compétences individuelles et collectives ; (ou encore) un ensemble de
moyens matériels et humains destinés à faciliter un processus d'apprentissage77 ».
Je partage avec Astier (et alii.)78, l'idée qu'un dispositif serait « un moyen de traiter un
écart (construit, constaté, déclaré, explicite, implicite…) entre une situation de départ et
une situation d’arrivée ». Cette idée prend appui sur la conviction suivante : « les
dispositifs de formation servent à transformer une réalité qui n’est pas satisfaisante en
une réalité qui peut devenir meilleure, grâce à un agencement efficace, efficient,
cohérent et pertinent » (ibidem).
77
Cette définition circule sur de nombreux sites spécialisés dans la formation et notamment la formation à
distance : http://www.tutofop.educagri.fr/ressources/Glossaire/# Voir aussi : http:// nf-
formations.com/glossaire_formation/68-detail-glossaire-formation-nf-formations.php?Id=28. Reprenant et
comparant diverses définitions du terme, Demaizière (2008) relève qu'il est difficile de trouver un concept ou
une perspective unificateurs derrière le terme dispositif tant les usages varient : « de l'outil envisagé isolément
ou bien présenté dans une séquence de formation au point de vue globalisant de l'ingénieur de formation, on
retrouve le terme à ces trois niveaux, chacun l'envisageant de manière privilégiée dans l'une des perspectives
selon sa culture. Un dispositif est-il composé de systèmes ou un système (de formation) s'appuie-t-il sur
139
différents dispositifs ? ».
78
Dans l'appel à communication pour le septième numéro de la revue TransFormations-Recherches en
éducation des adultes coordonné par Ph. Astier (Lyon 2), D. Faulx (Liège) et G. Leclercq (Lille 1) ayant pour
thème l’usage des dispositifs de formation (paru en 2012).
D'où, dans le récent appel à communication lancé par ces auteurs, une cascade de
questions qui constituent autant de pistes de recherche pour l'avenir :
Cette conviction a la force des allants de soi. Elle détermine en profondeur le
regard porté sur l’objet « dispositif ». Elle peut nous permettre d’élaborer un
questionnement suffisamment décalé pour éviter le parti pris : comment
l’existant est-il appréhendé ? Comment le souhaitable est-il défini (...) ? Est-il
présenté comme une évidence qui ne prête pas à discussion ? A-t-on au
contraire cherché à le détecter, à l’éclairer, à en débattre, à le valider par une
analyse des besoins, par une analyse des activités, par une analyse de
l’organisation ? Quels sont les dysfonctionnements pointés, les marges de
progressions souhaitées, les orientations prises, les savoirs, savoirs faire et
savoirs être valorisés, conseillés ? Quelles sont les représentations et les
conceptions encouragées ? Finalement, quels sont les buts, les objectifs et les
visées déclarés ? Comment sont traités les écarts entre le souhaitable et l’existant
? Cela a-t-il donné lieu à des renoncements, à des réorientations, à des impasses, à
des solutions, à des étonnements, à des désaccords ?
Y a-t-il un « qui » ou un « quoi » tenu pour responsable des réussites ou des
échecs ? Qu’entend-t-on par réussite, par échec ? Quel rôle jouent les
programmes, les référentiels d’activités, métiers, de compétences, de formation
dans la définition et le traitement des écarts ? Quels sont les genèses et les
développements identitaires, professionnels et académiques repérables chez les
usagers [de ces dispositifs] ?
Sans vouloir répondre ici à ces questions toutes plus stimulantes les unes que les autres,
je rappellerai deux constats qui m'ont convaincue de l'importance qu'il y a à créer des
dispositifs de formation au plurilinguisme/pluriculturalisme. Le premier est qu'en
France (et en Europe) les enseignants de langues (maternelle et étrangère) ne sont pas
encore suffisamment formés pour mailler leur enseignement avec la diversité sociale,
linguistique et culturelle de leurs élèves et pour faire de cette diversité un vecteur
d’apprentissage scolaire. Le second constat est qu'une trop faible prise en compte de la
variation socioculturelle et sociolinguistique de certains élèves dans leur cursus scolaire
formel contribue à leur non-réussite scolaire.
C'est pourquoi, employé pour mettre en lumière la dynamique des rôles sociaux,
l'entretien est plus qu'un recueil de données, il est un outil qui actualise la
transformation des représentations sociales. Elle conclut en théorisant la situation
d'entretien comme s'apparentant à un espace de transition propice à la médiation de
systèmes de valeurs (proches et distants, familiers et étrangers).
141
Tisser une toile de fond théorique pour soutenir l'écoute compréhensive.
79
Comme le souligne Blanchet (2012, p. 161) il s'agit donc bien ici de former nos étudiants à une didactique
« de terrain », car seule l’observation de celui-ci a « imposé la notion d'hétérogénéité des situations ». Or, on
verra plus bas, combien cette conception du terrain prend toute sa pertinence lorsque celui-ci est le lieu de
travail : la classe.
95) comment ce modèle devait être déconstruit afin de resituer la co-production des
discours autobiographiques dans une relation interpersonnelle. Cette déconstruction me
semblait nécessaire pour conduire l’enquêteur mais surtout l’enseignant à reconnaître
d’une part, leurs rôles d’intervenants exerçant un pouvoir symbolique (celui d’être cet
« autrui significatif » impliqué dans une co-construction du sens) et, d’autre part, une
responsabilité qui dépasse les limites classiquement assignées à la pratique éducative
(et, a fortiori, aux pratiques d’enquête). Ce faisant, on voit bien que le curseur se déplace
et que l'enjeu n'est pas tant de se contenter d'autobiographier un parcours que, partant
de cette première étape, d'en ouvrir la compréhension à une pluralité de regards dans
un mouvement alter-réflexif, où l’on « construit simultanément le soi et l'autre dans un
espace social historicisé en repérant des fragments du passé, en leur donnant du sens
dans une interprétation de l'histoire à la lumière du futur » (de Robillard, 2007, p. 107).
Avec la diffusion des Portfolios européens des langues, des biographies langagières et le
développement de toute une panoplie de démarches incitant les apprenants à élaborer
leurs représentations du plurilinguisme et à co-construire des discours ayant pour objet
leurs processus d’apprentissage (comme nous avons eu à cœur de le montrer en 2006,
cf. Vol. 1), on assiste au développement d’autres formes de réflexivité que la seule
métacognition à laquelle les étudiants de FLE sont formés via le cours intitulé
« apprentissage réflexif d'une langue inconnue » (ARLI) et son « Journal de bord des
apprentissages ». En effet, ce dispositif mis en œuvre dans les mentions FLE de Licence à
partir des années 90, développe bien un premier niveau de réflexivité, à savoir la
métacognition qui consiste en « retours du sujet sur ses opérations cognitives » et qui
peut « aboutir à un jugement (…) sur la qualité des activités mentales en question ou de
leur produit et éventuellement à une décision de modifier l’activité cognitive, son
produit ou même la situation qui l’a suscité » (Noël, 2002, p. 19). Mais cela ne suffit pas à
former des praticiens capables de faire face à l’ensemble des situations réflexives
existantes ou requises aujourd’hui par les processus d’enseignement et les processus
d’apprentissage.
C’est pourquoi, j’ai cherché (comme bien d’autres) des réponses complémentaires.
143
D’autres aspects de la réflexivité ont profondément marqué mes travaux à partir des
années 90-2000. D’abord, l’apport de Schön (1996) chez qui la réflexivité est ancrée
dans la pratique et désigne une réflexion qui porte sur celle-ci et qui a lieu pendant ou
après l’action en ayant pour visée d’en tirer des enseignements (pour ensuite valider ou
modifier la pratique). Cela a particulièrement été pris en compte dans le cadre d’une
intervention incitant une équipe de formateurs des Cours municipaux pour adultes de la
Ville de Paris à effectuer un retour réflexif sur leurs manières d’utiliser un portfolio
(intitulé Mon livret d’apprentissage du français) dans les cours de français pour étrangers
(j’y reviendrai plus bas, cf. également Vol. 12).
Une autre réponse est venue du lien entre littératie et réflexivité (Molinié, 2009a, cf. Vol.
9, n° 7, p. 56-83) auquel nous incitent Chabannne et Bucheton ou encore Vanhulle
(2002).
Une première étape ayant permis d’effectuer cette articulation a été le Colloque que
nous avons organisé avec J. David et M.-F. Bishop en 2005 (Autobiographie et réflexivité),
qui montrait en quoi la réflexivité désignait bien le lien dynamique entre langage et
pensée, entre pratique langagière située et activité cognitive. Chabanne (2006, p. 56-57)
a particulièrement indiqué en quoi l’écriture pouvait favoriser diverses opérations
réflexives en milieu scolaire. A commencer par une opération méta-linguistique car « si
l’écriture permet de retravailler la pensée qu’elle matérialise, elle permet aussi de
prendre conscience des signes eux-mêmes (…). Les écrits servent de réservoir de
solutions linguistiques pour les écrits ultérieurs comme si les réécritures successives
« cannibalisaient » les écrits précédents pour s’en nourrir. Ensuite, l’écrit favorise les
opérations de construction d’un « espace inter-subjectif » au sens où, oscillant entre
répétition et appropriation, il permet l’accès à la pensée des autres par le truchement
des formes sémiotiques qui la portent. Enfin, l’écriture impose une transformation du
sujet lui-même :
L’écriture, même quand elle n’a pas de fonction spéculaire dominante, comme dans le
journal ou l’autobiographie, permet au sujet de construire une image de soi, les émotions
qu’il exprime, qu’il figure ou structure ; ainsi que les modalités de sa relation à l’autre
(ibidem).
Ce propos doit être prolongé au-delà de la sphère scolaire et il est temps de dire un mot
sur le fait que pour nos étudiants en formation, manipuler des savoirs/connaissances,
c'est s'impliquer personnellement tout en prenant distance, c'est jongler avec les
144
postures du moi : en l'occurrence, les sujets sont ici à la fois des personnes avec
une histoire, des étudiants en train d'apprendre (et qui seront évalués) et de
futurs professionnels en train de concevoir leurs propres savoirs et références.
C'est insérer dans le même processus des cognitions, des affects et des volitions
(...). C'est dans ce tissu mental plurifonctionnel que peut s'exercer la créativité
intellectuelle (Vanhulle document non daté, p. 6).
La remarque de Vanhulle s'insère dans une série de travaux sur les fonctions
(identitaires, heuristiques, de mise à distance et de communication) propres à l'écriture
en formation (Calame, Gippet, Jorro et Penloup, 2000), fonctions qui reposent toujours
sur une proposition de base : s'exprimer selon des postures réflexives distinctes qui
concernent la personne, l'étudiant et le futur enseignant. C'est dans cette « triade
énonciative » que « je » peut s'exprimer sur des plans différents (Vanhulle, 2002, p. 236)
et complémentaires. Ainsi, « passer d'une posture à l'autre, c'est parvenir à la
congruence entre différents plans de l'identité, construire du sens entre les conceptions
propres, la théorie et la pratique » (ibidem, p. 237). Les propositions de Longuet et
Springer (2012, p. 269-275) vont dans le même sens.
Enfin, la dernière étape permettant d’aller dans le sens d’une articulation entre
réflexivité et formation, a été l’appropriation de l’hypothèse qui guide désormais mes
interventions et mes recherches : il s’agit de l’hypothèse d’une « réflexivité radicale »
(Taylor, 1989) qui serait l’une des principales caractéristiques de l’homme moderne,
poussant celui-ci à une réflexion permanente sur ses conduites, objectifs de vie et
moyens pour les réaliser (voir aussi la synthèse proposée par Bertucci, 2010, p. 43-55).
Il est certain que mes pratiques se sont développées en réponse à une demande
éducative et formative : celle d'augmenter les possibilités (individuelles et collectives)
d’articuler toujours plus dans le langage savoirs expérientiels et savoirs théoriques.
J'ai par exemple été régulièrement sollicitée depuis deux décennies pour accompagner
des adultes (en reprise d’études, en reconversion professionnelle, en situation
145
d’émigration, de tournant de vie, etc.) à biographier leur parcours dans une ou plusieurs
(variétés de) langues afin de renégocier « des définitions de soi » dans des activités,
notamment de travail (Dubar, 201080). J'écrivais ainsi en 2003, dans un ouvrage sur
l'autoformation comme fait social : « l'activité de langage désignée ici est véritablement
l'ouvrière de l'identité personnelle qui insère le sujet dans différents systèmes sociaux et
garantit la mobilité du sens » (Vol. 9, n° 2, p. 12-21 ; voir aussi n°1, p. 4-11 dans le même
volume)
A travers ces interventions, j’ai pu mesurer à quel point la demande adressée aux
enseignants-chercheurs d'accompagner des processus alter-réflexifs et de
biographisation n'est pas anecdotique. Bien au contraire, elle s'inscrit profondément
dans un contexte historique qualifié de post-modernité et/ou d'hyper-modernité
(Aubert) dans lequel des individus sont :
de plus en plus libérés à la fois des contraintes culturelles imposées par la religion, la
tradition et la moralité conventionnelle, et de contraintes structurelles, telles que la
classe, le statut, le genre et la famille nucléaire. Dans la mesure où les formes
traditionnelles perdent leur force contraignante, les individus peuvent, en principe,
réfléchir librement sur la vie qu'ils veulent mener et la façonner comme ils veulent.
L'identité personnelle devient une opération réflexive (Vandenberghe, 2006, p. 977).
Combien de fois ai-je constaté que lorsque l'on permet à nos étudiants d’expérimenter
(ne serait-ce qu'à travers un simple entretien de recherche), un rapport positif à
l’altérité, certains d'entre eux, particulièrement coupés des autres (parce que vivant eux-
mêmes une forme d’isolement dans « la plus haute des solitudes ») vont jusqu’à qualifier
de thérapeutique cette expérience réussie du lien social ! C'est ainsi, qu'en 2006, Tricia
découvrait grâce à son entretien enquête (mené auprès d’une jeune représentante des
étudiants dans une résidence universitaire du CROUS), qu’il lui était désormais possible
de sortir de l’isolement dans lequel elle s’était recluse depuis son arrivée des Antilles, en
banlieue parisienne. Elle écrivit : « sur le plan personnel, ce cours a été une thérapie avec
les autres. J’ai énormément apprécié ce cours car je pouvais discuter avec les autres du
146
80
http://www.scienceshumaines.com/identites-professionnelles-le-temps-du-bricolage_fr_1194.html
cours et des sujets qui intéressaient chacun » (Tricia Poinin, Evaluation du cours
d’anthropologie, 2006).
C'est ce qui me conduisit (entre autres) à conclure un article paru en 2007 (Vol. 7, n° 5,
p. 39-45), dans l'ouvrage collectif dirigé par Causa sur la formation initiale en FLE : « En
s’outillant pour commencer à penser la réalité sous l’angle de la complexité, [nos
étudiants] éprouvent leur capacité à envisager un agir professionnel en relation avec
l’autre ».
L'ouvrage que j'ai coordonné avec Emmanuelle Huver (Huver et Molinié, 2009, Vol. 3)
allait poursuivre ce travail de structuration des liens entre réflexivité et formation tout
en actant les convergences entre sociolinguistes et didacticiens des langues sur les
questions évoquées ci-dessus et plus particulièrement sur les thèmes suivants :
1) les liens entre activité de biographisation et processus d'appropriation des
langues/cultures ou encore processus de formation en DLC,
- les modalités d’émergence et d’appropriation d’une posture réflexive par une étudiante
inscrite dans un processus de construction professionnelle (Girardeau et Huver).
La réflexivité était envisagée sous différents angles : du côté des apprenants et des
intervenants, comme réflexion dans- et sur- l’action (Schön, op.cit.) du côté des
chercheurs, comme activité qui consiste à réfléchir à sa posture (De Robillard, 2007).
Mais est-ce bien aussi simple ? Il me semble qu'une distinction doit tout de même être
opérée entre deux approches de l’altérité et deux manières d’écouter celle-ci. Une
première écoute est orientée vers le pôle de l’hétéroformation (c’est-à-dire la formation
de celui qui écoute), grâce à l’obtention de données analysables (dans le cadre d’une
discipline) et évaluables selon les critères de sa communauté scientifique. Un second
type d’écoute est centré sur les effets formateurs que la co-production des discours
autobiographiques a sur les apprenants. En ce sens, elle est autoformative pour ces
derniers et évaluée à l’aune des apprentissages réalisés par ceux-ci. Cette distinction
montre que, pour passer de la première posture d’écoute à la seconde, il convient de
forger une compétence professionnelle fondée sur la prise en compte et l’analyse située
des implications (personnelles et institutionnelles) qu’ont les histoires langagières dans
148
la vie sociale et dans la vie affective d’un sujet ou d’un groupe en formation. La mise en
œuvre de cette compétence passe par la création du cadre pédagogique le plus adapté à
ce projet. Elle se fonde sur une éthique assumée et sur un code déontologique négocié
avec l’informateur et/ou l’apprenant et/ou le groupe. L’activité d’écoute ainsi mise en
œuvre, peut d’ailleurs être supervisée dans le cadre d’analyse de pratiques
professionnelles.
Il convient donc d’illustrer l'autre posture : où l'autoformation visée par le dispositif est
d'abord celle du narrateur.
On peut rappeler le point de vue de Moore (1993, p. 107), qui répond à cette
interrogation en expliquant que contrairement à l’opinion généralement admise, les
bilingues ne développent que rarement des compétences équivalentes dans leurs
différentes langues et que, par conséquent, « le bilinguisme généré par les situations de
contact de groupes et de langues entraîne la mise en place chez les individus de
compétences différentes dans chacun des codes en présence, en fonction des besoins de
communication et des domaines ».
149
81
Dans le cadre d'un cours intitulé « Français langue étrangère/seconde/de scolarisation » offert jusqu'en
2013 dans le Master enseignement des lettres de l'Université de Cergy-Pontoise. Ce cours était mutualisé
avec les étudiants du Master enseignement de l'anglais et du Master enseignement de l'espagnol.
Deux exemples montreront de nouveau l'intrication des faits qui créent des situations
paradoxales pour les individus qui les subissent. C'est ce dont témoigne, Lucie, étudiante
inscrite en Master 2 (Enseignement de l'espagnol), dans un essai rédigé par elle,
présenté en groupe et co-analysé avec celui-ci.
Personnellement dans ma famille la langue parlée était l'espagnol et j'ai appris le
français dans le même temps. Lorsque je me suis retrouvée au collège il m'a fallu faire un
choix de langue vivante 2 et là mon choix se dirigea naturellement sur l'espagnol, matière
dans laquelle je pensais pouvoir m'investir et m'épanouir.
Or mes autres camarades n'étaient pas dans le même contexte que moi et n'avaient donc
absolument aucune connaissance de l'espagnol. Le professeur que j'ai eu à l'époque s'est
rendu compte de mes capacités (…) et m'a ainsi rapidement mise à l'écart pendant 2 ans
car elle partait du principe qu'à ce niveau là je n'avais rien à apprendre et que seuls les
autres nécessitaient vraiment du travail dans cette langue.
Puis a mon arrivée au lycée j'ai eu un autre professeur qui non seulement ne
voulait pas que je participe à son cours du fait de mon niveau, mais qui en plus
m'isolait physiquement dans la classe ; c'est à dire qu'elle me donnait la place du fond
dans le coin et m'assignait la consigne de ne pas participer en classe et si j'avais l'audace
de lever la main elle me faisait signe de baisser la main et de laisser les autres travailler
et de rester la plus discrète possible sans me faire entendre. J'ai ainsi passé une année
sans pouvoir ni évoluer ni m'épanouir dans cette matière pendant encore une
année.
Cependant l'année d'après j'ai eu un professeur totalement différent qui lui ne m'a pas du
tout mise à l'écart mais qui au contraire me faisait participer activement et me
permettait ainsi de transmettre aussi une part de ma culture (et par conséquent de mon
identité) (...).
L'année suivante je me suis retrouvée encore une fois avec le même professeur qu'en
seconde et une nouvelle fois je me suis retrouvée au fond de la classe à me taire pendant
une année (...).
Plus tard lorsque dans le cadre de l'option SME, je suis retournée dans cet
établissement j'ai pu échanger avec d'autres professeurs du lycée sur les méthodes de ce
professeur. Ils m'ont ainsi tous dit que les élèves bilingues la mettaient mal à l'aise car
elle ne savait pas comment gérer ce bilinguisme, d'après eux elle se sentait comme en
danger du fait que je pouvais moi savoir d'autres choses qu'elle ne savait pas forcément
ou que je devienne trop présente dans son cours. Toujours d'après [eux] je n'ai pas été la
seule dans ce cas et d'autres élèves dans la même situation que moi s'étaient plaints à
l'époque de ses méthodes. (Lucie, 2010-2011, Document de travail rédigé dans le cadre
du cours « FLE/FLS/FLsco » à l'Université de Cergy-Pontoise).
Divers éléments ont pu être discutés en groupe, autour de ce texte. On a pu tout d'abord
s'interroger sur la position contradictoire de l’école au sujet du bilinguisme. En effet,
d'un côté, est mis en place un enseignement « précoce » de langue étrangère avec un
objectif de bilinguisme scolaire, c’est-à-dire de double monolinguisme. Mais, d’un autre
150
côté, le bilinguisme déjà présent dans une partie de sa population scolaire est jugé
inadapté au cadre scolaire, voire dérangeant, y compris dans le cadre d'un cours où est
enseignée la langue dans laquelle cet apprenant est compétent !
On a pu ensuite s'interroger sur le curriculum caché (Perrenoud82) qui est réservé aux
élèves bilingues car, écrit Lucie dans la suite de son texte, cet élève a un rôle important
et « son particularisme peut dérouter » le professeur. Mais l'on a surtout été conduit à
commenter la responsabilité de l'enseignante elle-même, car, souligne Lucie,
« l'intégration d'un élève bilingue en classe de langue vivante ne dépendra pas que de lui
mais également de son professeur qui lui permettra ou non de s'épanouir ».
Le bilinguisme peut être soit source de conflit au sein d'une classe de langue
vivante soit tout le contraire mais, dans les deux cas la question de l'identité de l'enfant
se pose car il doit soit composer avec ses deux identités culturelles pour ne former
qu'une seule et même personne, soit refouler une partie de ce qu'il est et c'est là que le
conflit identitaire apparaît et que les difficultés d'intégration interviennent (Lucie,
op.cit.).
Les problèmes soulevés par cette étudiante doivent être mis en écho avec l’enquête sur
la transmission familiale des langues (dite EHF : Enquête Histoire Familiale), menée par
l’Ined-Insee, (associée au recensement de 1999). Cette enquête a porté sur la
transmission familiale des langues et a bien montré que les migrants en réussite sociale
et économique, loin d’avoir abandonné leur propre langue, misent sur l’école (privée ou
publique), pour maintenir leur bilinguisme voire amplifier leur répertoire plurilingue. Le
facteur décisif reste donc celui de l’enseignement scolaire de la langue orale et écrite, au
collègue puis au lycée. Cet enseignement favorise le passage d’un modèle de langue
familial populaire, essentiellement oral, en une version plus académique, la
transformant en capital culturel valorisable sur le marché de l’emploi (Molinié, 2005,
voir Vol. 9, n° 3, p. 22-27). Ceci montre combien il est important de reconnaître ce
bilinguisme « déséquilibré » comme substrat à partir duquel peuvent s’élaborer des
compétences plurilingues reconnues et non comme handicap ou obstacle, empêchant
cette élaboration. Or, l'enseignante de Lucie a, à maintes reprises, empêché ses élèves de
construire leur identité bilingue et, ce faisant, elle a également empêché « notre propre
système scolaire (de bénéficier) des cultures que les élèves emmènent avec eux »
comme le souhaitait le Recteur de Gaudemar cité en exergue de ce chapitre.
151
82
Curriculum : le formel, le réel, le caché :
http://www.unige.ch/fapse/SSE/teachers/perrenoud/php_main/php_1993/1993_21.rtf
Que fait-on aujourd'hui pour que des étudiant(e)s comme Lucie ne soient pas elles/eux
aussi dans l'incapacité (comme le fut son enseignante d'espagnol au Collège) de se
mettre à l'écoute de leur terrain et des ressources bi-plurilingues/pluriculturelles de
celui-ci ?
Dans un article récent (Molinié, 2013a, Vol. 9, n° 14, p. 143-162), je reviens sur le
rapport que J.-M. Jolion, Président du Comité de suivi du master formation des
enseignants, a remis le 12 avril 2011 au Ministre de l'enseignement supérieur et de la
recherche. Il y décrit clairement le nœud de contradictions dans lequel se trouvent les
étudiants contraints de posséder les savoirs disciplinaires (valorisés par le concours) et
de bricoler les savoirs d'action83 (nécessités par le stage puis l'entrée dans le métier)
sans pouvoir travailler l'articulation de ces deux types de savoirs dans le cadre d'une
recherche (requise par le Master) qui, elle, fonctionne toujours globalement comme
étant au service d'une seule discipline et non le levier d'une réflexion transversale,
interdisciplinaire, voire d'une recherche-action.
Je me suis alors interrogée sur le coût à la fois social et humain de cette contradiction.
J'ai en effet été alertée par la notion de souffrance des étudiants en master mentionnée
par Jolion, (op. cit.), diagnostic qui constitue une première indication - en écho avec la
problématique de la souffrance au travail analysée par les psycho-dynamiciens du
travail - (cf. par exemple Dejours, 2012). Une indication corrélée à la chute des
inscriptions aux concours en 2010, 2011 et 201284. Ce qui me paraît important, c'est ce
que ce rapport évoque en filigrane : nos institutions universitaires sont profondément
marquées par des clivages qui dessinent autant de territoires et de partages des savoirs
(disciplinaires d'un côté, pédagogiques de l'autre).
83
Selon Barbier (2007, p. 49), un savoir d’action désigne la formulation par un acteur d’un énoncé relatif à
l’action professionnelle et considéré par lui comme élaboré dans celle-ci et bénéficiant d’une efficacité
particulière.
84
Dans une dépêche du Monde daté du 21/12/2010 il est dit que : « Les chiffres communiqués par le ministère
de l'éducation après les épreuves écrites, dites d'admissibilité, qui se sont terminées fin novembre, le montrent
: dans le second degré, 21 000 étudiants contre 38 249 lors de la précédente session ont passé ces épreuves ;
dans le premier degré, ils étaient 18 000, contre 34 952 précédemment ». Un an après, selon l'Express du
30/11/2011 : « En 2011, 18 734 candidats se sont présentés au concours des professeurs des écoles, pour 41
874 en 2009. Ce mouvement de désaffection s'observe aussi pour les professeurs du secondaire: à la rentrée
152
2011, 976 postes offerts aux concours externes n'ont pas pu être pourvus. Selon le Syndicat national des
enseignements du secondaire (Snes), en neuf ans, le nombre de candidats présents a chuté de 70% ». Enfin, la
désaffection est également notée en 2012.
Or, c'est bien dans ce contexte que nous devons réaffirmer une politique de formation
(notamment en FLE/FLS) affichant comme objectif de rendre les (futurs) enseignants
capables d'affronter la complexité pédagogique, leur permettant d'ajuster leurs
démarches au fil des situations, en recueillant du feedback sur leurs pratiques et en co-
analysant en permanence celles-ci. Une perspective d'autant plus indispensable que l'on
souhaite s'inscrire dans cette « nouvelle donne pour la didactique » qui, selon Daniel
Coste (2011), consiste à placer la pluralité, l’hétérogénéité et l’altérité au cœur même de
ses interrogations, tout en relevant un autre défi : celui d'éviter « l’implosion du
domaine ». D’où la nécessité « de cadrages épistémologiques plus affirmés et plus
explicites que naguère. D’où aussi la pertinence d’un point de vue « écologique » et
d’une approche compréhensive. D’où encore l’importance d’une implication et d’une
éthique du chercheur » (ibidem.).
C'est ce qui me conduit à évoquer comment dans ce contexte (le parcours FLE/S de
Licence de lettres et langues), les étudiants ont pu s'exercer à une autre forme de
créativité intellectuelle en répondant à la consigne « dessinez votre répertoire
plurilingue » et en décrivant/ interprétant celui-ci. Il me paraît d'autant plus d'actualité
de faire état de ces processus de formation en licence, que les futurs enseignants seront,
à l'avenir, recrutés dès la deuxième année de licence. Par ailleurs, on sait que des
« emplois d'avenir professeur86 » devraient être pourvus avec des jeunes issus des zones
sensibles, des DOM etc. Il est donc intéressant de prendre en compte l'approche
présentée ci-dessous en la référant, elle-aussi au contexte dans lequel je l’ai
expérimentée à Cergy-Pontoise87 :
85
Hélène Trocmé (1999, p. 75) en dit ceci : L'imagerie mentale double littéralement notre structure cognitive
d'une deuxième structure. Puisque nous savons maintenant qu'il est possible de doubler nos capacités
cognitives, la capacité d'imagerie doit faire partie des capacités à développer chez celui qui apprend. Il revient à
celui qui accompagne de le reconnaître et de s'y entrainer, pour entrainer à son tour l'apprenant. Il est temps
de ne plus avoir peur de l'imaginaire et de prendre conscience avec Y. Durand (1988, p. 283) que la pédagogie
de l'imaginaire est d'une utilité primordiale ».
153
86
cf. http://www.education.gouv.fr/cid61330/les-emplois-d-avenir)
87
Certains éléments de travail ont été présentés au Colloque du CRREF (Centre de Recherches et Ressources en
Education et Formation) intitulé « Contextualisations didactiques », organisé à l'Université des Antilles-Guyanes
par l'IUFM de Pointe-à-Pitre en novembre 2011.
Analyse de mon répertoire de langue
L'herbe représente le créole réunionnais qui est ma langue maternelle mais aussi ma
première langue de scolarisation. En effet je suis née à la Réunion tout comme ma mère
et à la maison nous parlions donc le créole (...). Le créole était également parlé à l'école
car bien que le français soit la langue officielle à cette époque (début des années 90) le
créole était encore très présent, notamment en maternelle car la plupart des enfants ne
parlaient que cette langue. Nous avons ensuite emménagé en métropole, où bien
évidemment j'ai été scolarisée, le français est alors devenu ma langue de scolarisation
(...). La fumée s'échappant de la cheminée est le patois normand dont j'ai quelques
notions (d'où la forme vaporeuse) car mon père est normand et mon grand père de qui je
suis très proche parle en patois (...). L'espagnol est symbolisé par un gros nuage noir car
c'est une langue que j'ai toujours trouvée extrêmement difficile à apprendre et qui me
rappelle de mauvais souvenirs notamment avec mon premier professeur d'espagnol qui
était quelqu'un de très autoritaire (...). Le nuage noir est chassé par le soleil représentant
l'anglais qui est une langue que j'aime énormément, car je la trouve très facile à
apprendre, c'est une matière dans laquelle j'ai toujours eu de bonnes notes, c'est une
langue qui me renvoie au voyage notamment à l'Australie et aux USA qui sont des pays
que je rêve de visiter mais également au Canada où j'ai vécu un an après mon DUT. Cette
langue me rappelle donc de très bons souvenirs. Enfin l'arc-en-ciel représente toutes les
langues que je souhaiterais parler, car ce sont des langues rares et j'aime l'idée de
pouvoir communiquer avec des gens venant de partout dans le monde » (Doriane,
Analyse de mon répertoire de langues, Université de Cergy-Pontoise, nov. 2011).
En permettant l’appui sur des préconceptions, « dans une perspective qui considère que
celles-ci fondent une connaissance première, nécessaire à l’intégration de données
nouvelles dans un nouveau contexte et, conséquemment, la construction de savoirs
nouveaux », (Moore et Castellotti, 2011, p. 122-123), le dispositif de formation
rapidement présenté ici, associait donc dessin et verbalisations (orales et écrites), afin
que puisse s'établir un continuum entre des moments de constitution du répertoire
plurilingue de chacun, des mises en mouvement d’un imaginaire (associé à ces
moments) et des processus d'élaboration de savoirs. Je souscris donc au commentaire de
Moore et Castellotti (ibidem), qui, revenant sur ce type de travail indiquent que « la
posture méthodologique est dès lors « exigeante » car elle appelle la prise en charge
conceptuelle de la complexité du social en entretissant intimement organisation sociale,
production de sens et historicité (Charmillot et Dayer, 2007, p. 133)».
88
Je rends compte de ce portrait dans Vol. 9, n° 3, 2005, p. 22-27.
b) met au travail les sujets à partir de leur expérience située, en mobilisant à la fois leur
réflexivité et leur imaginaire (Auger, Dervin et Suomela-Salmi, 2009), dans un cadre à la
fois clinique et critique de déconstruction de représentations sociales qui maintiennent
les étudiants/futurs enseignants dans des formes (discrètes mais efficientes)
d'insécurité linguistique et cognitive.
des rythmes, des mémoires, des lectures, des intelligences, des types de
compréhension ; [de l'] existence de quatre grammaires de la langue : deux grammaires
de la langue écrite (écriture et lecture), deux grammaires de la langue orale
(parole et écoute) ; [de la ] relation ininterrompue de l'action et de la perception qui,
l'une et l'autre, élaborent l'histoire de notre couplage à l'environnement ; accepter
d'admettre que notre perception crée notre vision du monde ; accepter de voir dans
l'erreur un écart à la norme demandée mais aussi un indice du processus suivi, de la
stratégie adoptée, de la ressource utilisée.
C’est ce qui ressort de la restitution qu’effectue Lankhorst89 (2011, à consulter dans Vol.
6, p. 75-76) à la fin d’un article dans lequel elle analyse a posteriori l’ensemble des acquis
de sa formation en didactique, qui l’a conduite non seulement à assister à des cours mais
aussi à faire des observations de classes de FLE, à co-construire avec ses pairs un
« Portfolio du praticien réflexif90 », à participer en tant que co-auteur à l’élaboration de
deux Portfolios destinés à des étudiants (entrants et sortants) en mobilité académique
internationale (cf. Vol. 10 et 11), à participer activement à un séjour d’études au Japon et
à s’exprimer dans le cadre d’une table ronde et d’une Journée d’étude à Osaka, etc. (cf.
89
M. Lankhorst était déjà professeur des écoles depuis une dizaine d’années et reprenait des études de FLE
tout en préparant un CAPES d’anglais.
90
Là encore, il y a eu à partir de 2006, création d’un Portfolio du Praticien réflexif (PPR) ad hoc qui n’a cessé
d’évoluer d’années en années. Puis lorsque le Portfolio européen pour les enseignants en langues en formation
initiale (PEPELF) est sorti, en 2007, avec ses 193 descripteurs de compétences, nous avons expérimenté celui-ci
156
en en réduisant progressivement l’utilisation à une opération d’extraction des 25% de descripteurs paraissant
les plus pertinents aux étudiants. Les descripteurs extraits ont alors nourri le volet 3 (intitulé auto-appréciation
des compétences) de leur propre PPR. Je partage la critique de Longuet et Springer (2012, p. 271) relative au
PEPELF.
Molinié, 2011, Vol. 8, n° 20, p. 177-189). Elle a donc (avec les autres étudiants de sa
promotion) fait une expérience formative reposant sur trois pôles :
- la formation coopérative.
Après avoir analysé cette série d’expériences, elle conclut son article de 2011, en se
projetant vers le futur :
Le travail mené en didactique du français langue étrangère nous a permis de nous lancer
dans un projet de bénévolat91 en alphabétisation avec un groupe de quinze travailleurs
maliens et mauritaniens résidant dans le Val d’Oise (…) dans un foyer ADEF92.
Nous comparons les attitudes communicationnelles et les coutumes dans les actes de
langage (se présenter, poser des questions, prendre rendez-vous par exemple) en France
et au Mali. Nous valorisons leurs compétences langagières en langue maternelle, leur
demandons de s’exprimer sur leur vie professionnelle, leur famille et leurs objectifs de
vie. Nous avons aussi mené des entretiens avant de commencer les cours pour
comprendre leur parcours de migration et tenter de prendre en compte leur identité.
Cette vision plus globale de l’enseignement d’une langue et d'une culture ne m’était pas
acquise avant d’entrer dans le parcours FLE de licence et de réaliser les différents
portfolios mentionnés dans cet article. J’ai acquis, en tant qu’enseignante, une nouvelle
confiance en moi et en l’apprenant.
157
91
Ce groupe de bénévoles était constitué de trois enseignantes et de deux étudiantes préparant les concours
de l'enseignement.
92
Association pour le Développement des Foyers, 70/72 rue du Général Schmitz 95300 Pontoise.
3.2. Démultiplier les capacités apprenantes : un projet porteur
d'avenir en didactique des langues et des cultures
Quand on lit dans son intégralité, le témoignage de Lankhorst, on voit de façon précise
comment elle a pu, dans le cadre de cette offre plurielle de formation mettre en place ce
qu’ Héber-Suffrin (2004, p. 29) nomme une « boucle des agirs complexifiés » et relier de
façon cohérente et congruente « la formation, l’action, la recherche, la communication,
l’évaluation et la mémoire, la projection, la coopération ».
Deux ans après la publication de notre ouvrage collectif sur les démarches Portfolio en
DLC (Vol. 6) j’ai souhaité revenir dans un article intitulé « Pour une formation à la
contextualisation sociodidactique en situation plurilingue : une recherche qualitative »
(Molinié, 2013a, Vol 9, n° 14, p. 143-162) sur la réflexion qu’avaient menées d’autres
étudiants (dans la même promotion que Lankhorst) et le sens qu'ils/elles conféraient
alors à leurs pratiques apprenantes et à leurs processus de professionnalisation. J’ai
notamment montré comment ces jeunes enseignants deviennent progressivement
capables de transférer dans les dispositifs pédagogiques ce qu'ils ont eux-mêmes
compris, vécu, mis en œuvre et co-analysé en formation initiale. Ayant éprouvé et
partiellement théorisé le fait que des compétences plurilingues et pluriculturelles sont
potentiellement présentes dans l'histoire, les expériences, les situations et événements
ordinaires et extra-ordinaires qui jalonnent l'existence de chacun, les praticiens formés
dans ce dispositif ont appris à considérer chaque «contexte dans sa complexité, sa
diversité, son mouvement ou ses inerties, se sont exercés à chercher tout en se formant
et ont commencé à formaliser leur implication pour mieux se distancer des objets qu'ils
investissent » (Guillaumin, 2002, p.12). C’est ainsi que se forment des enseignants
capables de mettre en cohérence les enjeux théoriques, didactiques et institutionnels de
leur métier, comme le montrent, dans un autre contexte, Jeanneret et Palud (2013) dans
leur ouvrage collectif Se Vivre entre les langues. Approches discursives et didactiques de la
biographie langagière.
Dans la postface de cet ouvrage (Molinié, 2013b, Vol. 9, n° 15, p. 163-170), je souligne le
158
4) De créer des dispositifs qui ne dissocient pas le moment de l’action et celui de l’écrit
universitaire, mais tout au contraire, incitent à la mise en relation de ces deux moments
de formation, par l’écriture et dans les textes.
5) De créer des liens entre deux types de processus : des processus de biographisation
d'une expérience d'acquisition des langues et des processus de socialisation conduits
par une personne en mobilité et/ou en migration, engagée dans une démarche
d'insertion dans la société d'émigration
93
Comme l'explique E. Wenger, créateur (avec Jean Lave) de la notion, « le concept de communauté de
pratiques n’existe pas de façon autonome. Il fait partie d’un cadre conceptuel plus large qui vise à une réflexion
sur la notion d’apprentissage du point de vue de sa dimension sociale. Cette perspective situe l’apprentissage,
ni à sa tête ni en dehors d’elle, mais dans la relation qui lie l’individu au monde, ce qui, pour les êtres humains,
équivaut à la personne sociale au sein même du monde social. Dans cette relation de participation, le social et
l’individuel se nourrissent l’un l’autre ». Article reproduit et traduit depuis http://wenger-
trayner.com/resources/publications/cops-and-learning-systems/ Accessible en version française sur
http://www.entreprisecollaborative.com/index.php/fr/articles/232-communautes-de-pratique-et-social-
learning-part-1
94
L’EFLE est un département de la Faculté des Lettres qui réunit deux espaces de pratiques : celui de la
recherche et celui de la formation. Ces deux espaces sont pensés en lien avec l’appropriation des langues et les
159
représentations que le sujets s’en font, mais le second est centré plus spécifiquement sur l’enseignement du
français à des étudant.e.s non francophones, originaires de la Suisse ou d’une quarantaine de pays (D’après
Jeannerte et Pahud, 2013, p. 13). L’EFLE abrite un groupe de recherche sur les biographies langagières (GReBL)
qui est à l’origine de l’ouvrage « Vivre entre les langues ».
6) D'étayer le projet du sujet agentif en contribuant au déconditionnement de
l’apprenant vis-à-vis d’une évaluation externe ressentie comme une sanction et en
encourageant sa responsabilisation vis-à-vis de ses propres processus d’apprentissage.
7) De favoriser une forte implication de l'enseignant centré sur la recherche de
cohérence entre appropriation de la langue, motivation personnelle et maillage avec les
contextes sociaux dans lesquels les étudiants vont circuler et déployer leurs ailes.
8) D'encourager cette recherche de cohérence en invitant les enseignants (pendant leur
formation), à établir des liens entre sphères personnelles et professionnelles à travers,
notamment, un travail approfondi sur leur propre biographie langagière.
9) D'enrichir le projet d'une didactique en tension qui favorise la production théorique
collaborative et prend en compte les effets de ses interventions sur des hommes et des
femmes réunis dans un cadre pédagogique, au sein d'institutions dont tous se sentent
les acteurs co-responsables.
Entre recherche et formation, les dispositifs rassemblés dans le projet « Vivre entre les
langues » confirment ainsi le fait que si une méthode biographique (Molinié, 2011b, Vol.
9, n° 10, p. 111-121) s'installe durablement en didactique des langues et des cultures,
c'est peut-être parce qu'elle contribue :
- d'une part, à faire acquérir aux étudiants « la capacité de donner une dimension
interprétative aux connaissances acquises » (Jeanneret et Pahud, op.cit.) sur les sociétés
d'origine et d'accueil,
- et d'autre part, à nourrir la capacité des enseignants à donner du sens à leur
métier, dans une réciprocité de regards.
Est ainsi affirmée la finalité de la recherche menée au sein de l'EFLE :
L'objectif global du recueil de données biographiques est de saisir les nouvelles
socialisations langagières en langue étrangère par la relation d'expériences. Plus que les
compétences langagières en soi, ce sont ainsi leurs transformations en dynamiques
impliquant le sujet qui constituent le cœur de nos réflexions, parce qu'elles contribuent à
ancrer pour les étudiant.e.s le français comme langue de construction de nouveaux
savoirs disciplinaires, de nouvelles conceptualisations dans les savoirs variés qu'ils sont
en train de s'approprier (ibidem, p. 14).
160
3.2.2. Contribuer à une organisation apprenante95
Tout cela participe me semble-t-il d'un mouvement plus ample de réflexion sur ce que
pourrait/devrait être une organisation apprenante dans le champ de l'éducation au
plurilinguisme et dans celui de la formation initiale/continue en DLC.
Je m'appuierai pour illustrer cette idée sur une intervention que j’ai menée dans un tout
un autre contexte, à savoir les Cours Municipaux pour adultes (désormais CMA) de la
Ville de Paris.
95
Pour Guy Pelletier et Claudie Solar, Professeurs en administration de l'éducation et en formation
des adultes, université de Montréal http://www.rezozero.net/apprendre/savoirs_p3.htm#deb, l’organisation
apprenante : a) réfère à l’apprentissage réalisé à différents niveaux collectifs de l’organisation, sinon dans
l’organisation tout entière ; il ne s’agit donc pas de la somme des apprentissages individuels ; b) fait preuve de
capacités de changement dans sa structure, dans sa culture, dans la conception du travail et dans les
représentations ; c) accroît la capacité des individus à apprendre ; d) requiert une large participation des
employés, et même des clients, dans la prise de décision, le dialogue et le partage de l’information ; e) promeut
une approche systémique et la construction d’une mémoire organisationnelle. Le concept d’organisation
apprenante s’appuie donc sur deux dimensions clés : l’apprentissage collectif (ou l’apprentissage des groupes
161
Suite à cette note, la Mairie de Paris a passé un marché avec un cabinet privé pour
élaborer un portfolio de l’apprenant intitulé « Mon livret d’apprentissage du français.
Paris sur le français » (désormais MLAF) destiné aux 15 000 usagers des différents
dispositifs de formation.
Les objectifs énoncés dans MLAF (Vicher, p. 5) sont de « valoriser mes savoir faire en
français, noter mes progrès, garder une trace écrite de mes cours, favoriser l’échange
avec mon formateur, me fixer un objectif, prendre en considération mes langues et mes
cultures, faire valoir mes compétences en français ». Pour Véronique Allam
(Responsable de la Délégation à la Politique de la Ville et à l’Intégration : DPVI) et
Hugues Pouyé que j’ai interrogés en 2009, le but de MLAF était non seulement d’être
« un outil de prise de conscience des savoirs déjà là et d’acquisition de nouvelles
compétences qui valorise le migrant et son multilinguisme » mais aussi « de créer un
élan commun autour de l’apprentissage du français et de permettre aux formateurs de
mieux connaître leurs publics ».
Prenant en compte, durant l’année 2008, les retours des utilisateurs (formateurs
chevronnés mais aussi bénévoles autodidactes), la DPVI et la DASCO ont constaté que
MLAF n’était pas encore suffisamment utilisé par les formateurs. Les entretiens de
recherche que j’ai moi-même effectués confirment ce point. Or, pour que l’outil Portfolio
(MLAF) bénéficie véritablement aux publics des CMA, il fallait qu’il soit mieux approprié
162
par les formateurs et qu’il devienne un vecteur permettant l’émergence d’une culture
professionnelle et curriculaire commune97.
Par conséquent MLAF devait être accompagné d’un guide de l’utilisateur qui permette à
chaque formateur d’en valoriser le potentiel dans les classes.
Les attentes des deux Directions vis-à-vis de ce futur guide d’utilisation étaient les
suivantes : « faire de MLAF un pont entre les formateurs, contextualiser les démarches à
travers des pistes d’utilisation très diversifiées, ouvrir sur divers usages, divers scenarii,
faire de MLAF quelque chose de vivant, éviter que le CECRL ne soit considéré que sous
l’aspect « grille d‘évaluation », mettre les descripteurs du CECRL en situation, relier
l’apprentissage à une motivation et à des projets, associer les savoirs aux savoir-faire,
corréler avec des activités pour pragmatiser, pour ancrer » (Synthèse personnelle des
entretiens menés en 2009 auprès de V. Allam et H. Pouyé).
C’est dans ce but que j’ai été sollicitée, pour mener une intervention que je présentais
comme une démarche de type « bottom up » calquée sur ce que D. Macaire présente et
explicite dans notre ouvrage collectif (Vol. 6, p. 115-117) en s’inspirant de Bazin (2006) :
163
97
AEFTI, ARFOG, CETEC A2F, Centre Alpha-Choisy, CMA, CS Le Picoulet, ENS Torcy, FORM.A, SJT Paris : ces
différents organismes sont soutenus par la Ville de Paris, soit en régie directe, soit parce qu’elle contribue à
leur financement.
Tableau 2 : Recherche-action situationnelle (d’après Bazin, 2006)
RECHERCHE-ACTION SITUATIONNELLE
Démarrage Provoquer une situation : réunion des acteurs autour d’une situation
commune dont ils définissent la problématique et les modalités collectives
de travail ; la négociation est permanente et fait partie de l’évaluation.
Rapport au temps et S’inscrit dans une logique de processus, c’est un work in progress qui s’auto-
analyse de la évalue et s’auto-forme de manière collective ; travail sur les représentations
connaissance sociales et le principe de construction de la réalité, feed-back (analyse du
retour des intéressés sur les documents produits).
Approche Systémique : complexité, la situation est plus que l’addition des éléments
épistémologique d’une qui la composent, c’est un système d’interactions et d’événements.
situation sociale Microsociologique : la situation est un analyseur de l’ensemble de la société.
Je souhaite ici revenir sur la notion de méthode collaborative que Pouyé (2011, p. 125-
142, Vol. 6) présente ainsi dans notre publication collective de 2011 :
Pour lui, il y a eu une méthode collaborative, car le Guide et le Recueil ont été réalisés :
dans un va-et-vient constant entre quatre types d’acteurs, l’institution Mairie de Paris
(six directions concernées et représentées dans les comités de pilotage) ; les
conceptrices (…) ; les formateurs, issus de l’ensemble des dispositifs relevant de la Mairie
de Paris (…) ont rédigé (…) les scenarii pédagogiques contenus dans le Guide de
l’utilisateur et enfin les destinataires de MLAF eux-mêmes, qui ont été sollicités au cours
des expérimentations, comme apprenants bien sûr mais aussi comme critiques.
98
Comme le terme « relais » l’indique, ces formateurs avaient été choisis et sollicités pour leur capacité à co-
165
produire le guide avec les intervenantes externes (Anne Vicher et moi-même) selon une démarche
collaborative et, ensuite, à former d’autres formateurs de la Ville à utiliser MLAF, à l’aide du Guide de
l’utilisateur (version papier, courte) et du Recueil d’expérimentations (version plus longue, en PDF sur
internet).
C’est pourquoi le Guide et le Recueil proposent des exemples d’utilisation diversifiés,
conjuguent savoirs fondamentaux et compétences transversales, établissent un lien
entre les différents cours de français à Paris. Ils montrent en quoi MLAF :
- permet de mieux connaître les apprenants et, par conséquent d’adapter les cours
à leurs besoins et à leurs profils,
- s’intègre aux formations et n’est pas un outil « rajouté » aux progressions des
formateurs, lève certains freins ou blocages,
- renforce les liens entre étudiants via la réalisation de tâches,
- incite à valoriser la présence des langues dans les groupes.
Le travail réflexif effectué par les formateurs-relais sur leurs propres pratiques et sur ce
qu’ils mettaient réellement en œuvre dans les classes leur a permis de réaliser que cet
outil favorisait le tissage de liens entre les apprentissages et la vie quotidienne, entre
diverses références culturelles mais aussi entre les mots et entre les langues elles-
mêmes. Ces mises en lien ont été illustrées par de nombreux moments pédagogiques. Je
cite quelques - uns de ceux dont le récit a été publié dans le Recueil (cf. Vol. 12) :
L’un d’entre eux – agent de surveillance au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris- a de
lui-même établi un lien avec l’exposition « Deadline » qui se tient en ce moment dans son
musée et qui réunit douze artistes dont l’œuvre est traversée par la mort et l’urgence de
créer. Tout comme Mano Solo qui, se sachant condamné, redouble de créativité et n’a
jamais quitté la scène française (extrait de : Récit de pratiques, Juliette Plihon, SJT Paris).
A1 : Automne ?
A2 : Economie
E : Non. Etre autonome. C’est un mot important, ça veut dire : « je peux le faire tout seul ».
166
A1 : A la maîtresse d’école.
Chaque apprenant remplit avec l’aide de l’enseignante la page 6 consacrée aux langues
qu’ils parlent en distinguant la langue parlée « à la maison » en France et « à la maison »
dans le pays d’origine et en distinguant également les cours de français donnés dans une
association de l’école. (20 minutes). (Extrait de : Récit de pratique, Christine Vilkitzki,
Centre Alpha Choisy, 29/11/09).
Tous ces exemples reflètent le lien étroit entre l’enseignement, l’apprentissage et les
conditions sociales dans lesquelles ils sont contextualisés. Le cours de langue évolue
donc vers quelque chose qui est assez proche de ce que Byram (2011, p. 256) appelle de
ses vœux : « un espace privilégié et interrogeant, où les apprenants peuvent acquérir
une meilleure perception de leurs cultures et de celles des autres » et où tous peuvent
accéder à une éducation aux droits de l’homme et à la citoyenneté démocratique et à
une combinaison interdisciplinaire d’études culturelles et de communication
interculturelle.
Conclusion du chapitre 3
Ce chapitre le confirme et l’illustre : les réponses apportées par mes travaux se situent
en tension entre recherche et formation et tentent d’instituer des dispositifs de
professionnalisation par la recherche.
contexte de pluralité des langues et des cultures. Il s’agissait de faire comprendre à des
étudiants/futurs enseignants de FLE/S, en quoi une notion issue de la sociolinguistique
(la notion d'insécurité linguistique) référait à la fois à des conditions objectives
d’existence (par exemple dans le contexte d’une vie en banlieue) et avait des incidences
subjectives profondes et durables (en France et au « pays natal ») sur une famille. Placée
dans une posture d’écoute des « sujets plurilingues » en tant qu’enseignant et chercheur,
l’étudiant en formation découvre alors qu’il y a sans nul doute moins de risques à
comprendre cette complexité qu’à rester sourd et aveugle vis-à-vis de la diversité et de
la « différence » (la sienne et celle des autres).
Les jalons éducatifs d'une didactique alter-réflexive sont ainsi proposés : il s’agit
d’outiller l’enseignant en lui montrant en quoi il peut construire un lien vivant avec son
terrain, celui-ci étant conçu comme « un ensemble de relations personnelles où « on
apprend des choses » et où « faire du terrain » c’est établir des relations personnelles
avec des gens » (Agier, 2004, p. 35). Mais il s’agit également de lui montrer en quoi, ce
contact vivant avec son terrain, va lui permettre de favoriser l’autonomie des
apprenants.
Nous avons vu que la création de ces médiations n’était pas elle non plus, magique et
168
qu’elle reposait d’une part sur des initiatives individuelles (venant de porteurs de
projets/porteurs de sens), en capacité de former des équipes, des réseaux ou encore des
« communautés de pratiques » tout en mobilisant les partenaires politiques.
Les travaux présentés ici ont donc contribué à ouvrir quelques espaces de formation-
action dans lesquels une professionnalisation par la recherche a été rendue possible, au
sein d’une université dont l’une des missions est « de faire émerger l’innovation, l’esprit
critique, les conceptualisations nouvelles, l’intelligence collective » (op. cit., p. 275) et de
former des praticiens en mesure d’entendre, de faire face et si possible, de satisfaire les
besoins des apprenants dans toute leur diversité.
169
CONCLUSION GÉNÉRALE
On l’a vu, l’un des choix que j’ai effectué a été de situer ma recherche au plus près de la
singularité des expériences apprenantes et (trans)formatives des acteurs et de
construire des connaissances (et donc ma notoriété d’universitaire) sans jamais
« trahir » le terrain mais en veillant à créer avec celui-ci une relation fondée sur la
170
Un autre choix, dans mon parcours de chercheur, a été de faire en sorte que les
apprentissages langagiers s’effectuent en cohérence avec le développement des identités
plurilingues/pluriculturelles des acteurs, de leurs répertoires plurilingues, de leur
sentiment de « sécurité » linguistique et par conséquent, de leur agentivité. Cette
articulation constante entre l’implication et la recherche m’a conduite à assumer la
posture clinique (indispensable à la mise en œuvre de toute méthode biographique),
entendue comme co-construction du savoir, validation du sens produit par les acteurs,
écoute plurielle, attention portée à l’altérité et à la complexité. Autant de pistes allant
vers une co-production des connaissances au service d’une capacité des acteurs à se
ressaisir de leur pouvoir d’action sur le monde.
Un choix tout aussi fondateur a été d’ouvrir et de coordonner (autant que possible), des
séminaires de recherches (puis d’en publier les travaux) de manière à enrichir la
confrontation entre une didactique des langues à l’épreuve de l’expérience et une
sociolinguistique à l’écoute des sujets plurilingues, de leurs parcours et de leurs
processus d’acculturation. Cela a été source de grandes satisfactions et je souhaite
m’inspirer de cette expérience pour la direction des thèses. Il s’agit là d’essayer de
dépasser la contradiction entre individualisme et coopération dans la recherche, en
créant des « espaces qui favorisent l’avènement du sujet chercheur dans un collectif
porteur d’une conception plurielle et polysémique de la démarche scientifique » (de
Gaulejac, 2013, p. 286).
Arrivée au terme de ce mémoire, s’est opérée dans l’écriture une clarification des
choix éthiques et des orientations épistémologiques qui m’aideront à assurer, à
l’avenir, une direction de recherche de qualité sur les pluralités linguistiques et
culturelles et d’accompagner de futurs doctorants vers les choix théoriques qui leur
seront utiles pour penser leurs objets de recherche mais aussi leurs propres
processus d’acculturation au contact de « la recherche ».
attendent de leur directeur/trice de thèse qu’il/elle les dirige sans les commander,
les oriente sans prescrire, les accompagne dans la construction de l’objet en
explicitant leurs choix, l’élaboration d’une problématique, la formalisation
d’hypothèses, la construction d’une démarche méthodologique, sa mise en œuvre
dans le choix du terrain, la relation avec les acteurs, le recueil et l’analyse des
observables, la confrontation avec l’écriture, etc. Je formule donc le vœu que cette
habilitation à diriger des recherches ouvre une nouvelle étape dans ma vie
d’enseignant-chercheur : une étape placée sous le signe de l’accompagnement de
doctorants engagés sur les chemins de la thèse.
173
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193
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS ______________________________________________________________________________ 2
PRÉSENTATION DU DOSSIER ________________________________________________________________ 3
SOMMAIRE ______________________________________________________________________________________ 4
Chapitre 1
Itinéraire de recherche : s'engager avec les autres et penser son implication________________ 10
INTRODUCTION_____________________________________________________________________________________ 10
1.2. Devenir un enseignant-chercheur réflexif : entre action située et savoir désingularisé ... une
troisième voie ? ___________________________________________________________________________________________ 27
1.2.1. L'interculturel : à notion passerelle, recherche interdisciplinaire __________________________ 27
Relier en permanence les deux niveaux (théoriques et pratiques) de l'action. _____________ 31
Devenir un chercheur réflexif : un processus d'autoformation ______________________________ 31
1.2.2. L'écrit : un processus de changement, un acte émancipateur ______________________________ 34
1.2.3. Correspondance, altérité et réflexivité : une éducation langagière à la communication
interculturelle __________________________________________________________________________________________ 37
1.2.4. Tensions et questions au cœur du travail de la thèse ________________________________________ 38
1.2.5. Récits de vie et prise en compte des trajectoires d'apprentissage et des contextes
plurilingues_____________________________________________________________________________________________ 41
1.2.6. Inventer une méthode biographique en DLC : les années d'auto-formation _______________ 42
Chapitre 2
Une mobilité formative en contextes : conjuguer plurilinguisme, réflexivité et littératie(s) 66
INTRODUCTION_____________________________________________________________________________________ 66
Chapitre 3
Éduquer au plurilinguisme : une activité en tension entre recherche et formation ________ 127
INTRODUCTION____________________________________________________________________________________127
3.1. Former à l'intervention en contexte de pluralité des langues et des cultures _________________131
3.1.1. Comprendre l'insécurité linguistique en contexte __________________________________________131
Une double insécurité : sociale et linguistique _______________________________________________134
« Avant j'avais peur de sortir dehors si on m'abordait dans la rue » _______________________135
Sensibiliser les étudiants/futurs enseignants à une didactique du plurilinguisme _______137
Concrétiser les liens entre sociolinguistique et didactique des langues dans la formation
des enseignants _________________________________________________________________________________140
Tisser une toile de fond théorique pour soutenir l'écoute compréhensive. ________________142
Fondements éducatifs d'une didactique alter-réflexive _____________________________________143
Réflexivité et formation : des convergences entre sociolinguistes et didacticiens ________147
Distinguer deux postures d'écoute ___________________________________________________________148
3.1.2. Pluralité, hétérogénéité et altérité : une nouvelle donne pour la didactique des langues 149
Territoires et clivages des savoirs : disciplinaires d'un côté, pédagogiques de l'autre ____149
Entretisser questions sociales, production de sens, pédagogie de l'imaginaire et historicité
___________________________________________________________________________________________________153
3.2. Démultiplier les capacités apprenantes : un projet porteur d'avenir en didactique des langues
et des cultures____________________________________________________________________________________________158
3.2.1. Mises en cohérence entre enjeux théoriques, didactiques et institutionnels _____________158
3.2.2. Contribuer à une organisation apprenante __________________________________________________161
Tableau 2 : Recherche-action situationnelle (d'après Bazin, 2006) _____________________164