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LA LECTURE ET LES RESSOURCES NUMÉRIQUES :
ÉTAT DES LIEUX DES PRATIQUES D'ENSEIGNEMENT
DANS LE SECONDAIRE EN FRANCE
Résumé
Il s'agit d'identifier les usages numériques déclarés des enseignants de français du secondaire, en
France, à partir de l'analyse d'un questionnaire distribué à une centaine de professeurs. L'étude
montre que les usages du numérique sont très importants, tant dans les pratiques privées que
professionnelles, les premières glissant vers les secondes. En outre, on constate que l'usage
professionnel réside essentiellement dans la phase de conception didactique, et que, dans les
pratiques de classe, les enseignants ont surtout recours à la présentation de ressources, via la
vidéoprojection. La séance de lecture, enfin, semble particulièrement affectée par ces pratiques
nouvelles, en particulier par des « entours du texte », documents présentés autour du texte étudié,
qui conduisent à une séance elle-même « multimodale et composite ».
Abstract
It is a question of identifying the declared digital uses of French secondary school teachers in
France. Based on the analysis of a questionnaire distributed to about 100 teachers, the study shows
that digital uses are very important both in private, and in professional practices, with the former
sliding towards the latter. In addition, it can be seen that professional use is essentially in the
didactic design phase, and that, in classroom practice, teachers mainly rely on the presentation of
resources via video projections. Finally, the reading session seems to be particularly affected by
these new practices, in particular by the « surrounding texts », documents presented around the text
studied, which leads to a « multimodal and composite » classroom session.
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Introduction
Notre recherche se propose d'étudier des pratiques réelles déclarées de professeurs de français
exerçant au secondaire, à l'heure où se dessinent de nouveaux plans numériques pour l'éducation1 et
où les différentes institutions présentent une politique volontariste de prise en compte des nouvelles
technologies dans le quotidien des classes, comme y insistent les nouveaux programmes du cycle
IV pour le collège, entrés en vigueur au 1er septembre 2016 :
[…] l’enseignement du français joue un rôle déterminant dans l’éducation aux médias et
à l’information : les ressources du numérique trouvent toute leur place au sein du cours
de français et sont intégrées au travail ordinaire de la classe, de même que la réflexion
sur leurs usages et sur les enjeux qu’ils comportent (EDUSCOL, 2015, p. 230).
Le contexte de cette étude s'appuie sur différents constats : tout d'abord, celui plutôt sociologique de
transformations qui s'articulent l'une l'autre, celles de la littératie (Kress, Van Lenteur) et celles des
pratiques culturelles sociales. À la suite des travaux du New London Group (Quet, 2011), il s'agit
d'identifier le passage d’une littératie critique2, qui tient compte des pluralités culturelles (sociales,
genres, générationnelles), à une multilittératie qui prend en charge la plurisémioticité des messages
plurimodaux (sons, images, gestes, espaces, mouvements). De manière connexe, il s'agit de prendre
conscience, comme le mentionnent Rogers et Schofield (2005), du fait qu'un enseignement qui
serait uniquement centré sur l’imprimé et les écrits scolaires, en négligeant l’expression artistique,
les influences populaires et les multimédias, notamment numériques, repousserait nos élèves en
marge de la société dans laquelle pourtant ils vivent et sont amenés à s'exprimer et se développer
comme individus.
Un second constat, didactique, doit être porté : celui d'une situation inédite de réception de la
littérature et du patrimoine, offerte par les ressources numériques dans les classes de français, bien
que nous ayons encore une connaissance superficielle de ces nouveaux contextes que les travaux de
Lacelle, Lebrun et Boutin ont notamment contribué à documenter dans l'espace francophone. Nous
pouvons en outre prolonger notre remarque en évoquant le plan pédagogique : il est clair que
l’introduction dans les classes d’une technologie nouvelle est l'occasion de nouvelles configurations
des gestes professionnels.
Analyser des pratiques effectives déclarées peut ainsi permettre une prise de mesure de modalités
d'enseignement de la lecture (nous entendons ce terme au sens large), d'évolutions de corpus, de
déplacements matériel, technologique et physique des relations d'enseignement, prise de mesure qui
nous parait pouvoir être utile, et ce, pour plusieurs raisons3 :
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- parce qu'elle permet la description, à un moment t, de l’appropriation d’un outil dans un
contexte professionnel, ainsi que l’examen d’une forme de créativité professionnelle, à la
fois en termes de corpus et de dispositifs didactiques ;
- parce qu'elle fait apparaitre des gestes professionnels spécifiques (Bucheton & Dezutter,
2008) ;
- parce qu'elle amène à articuler ces deux analyses à une réflexion engagée dans la perspective
de la formation.
En attirant l’attention sur des pratiques, des savoirs intégrés (Sennett, 2010), il est possible de fixer
des repères entre tradition et pratiques innovantes tant il est vrai que : « le désir des réformateurs de
faire faire les choses conformément à une norme absolue de qualité s’avère inconciliable avec les
normes de qualités fondées sur le savoir intégré (Sennett, 2010, p. 74) ». Sennett montre en effet
que, dans le cas d’impositions par le haut de normes sans doute justifiées, mais incompatibles avec
les aspirations et le savoir de l’artisan, celui-ci « est tiraillé dans des directions contradictoires » et
contreproductives. C’est la raison pour laquelle la pratique réelle des outils numériques et des
multimédias nous semble pouvoir fournir des indications pertinentes sur l’évolution du métier et le
sens à donner à la formation.
Il est tout d'abord nécessaire de documenter l'usage technologique des enseignants, et notamment
les effets de transfert entre leur usage personnel et leur usage professionnel. Il est également
nécessaire d'engager, d'une part, une réflexion sur les productions sémiotiques scolaires, leur
évolution, qui devrait — pour que l'école accompagne le mouvement sociétal — s'engager vers
davantage de multimodalité : en effet, les ressources/outils dont les professeurs de français
disposent pour construire des savoirs, des compétences ou des attitudes (pour reprendre la
terminologie en usage dans le socle commun) dans le contexte disciplinaire du français/lettres
peuvent ne pas être sans effet sur la réception des textes par les élèves, sur la représentation qu’ils
se construisent de la lecture dans le contexte scolaire. Dès lors, il s'agit d'étudier la manière dont ces
ressources affectent la séance de lecture, ce qui constituera notre dernier temps de réflexion.
I. Cadre théorique
Les travaux des historiens sur les usages et les pratiques de la lecture permettent d’analyser les
mutations auxquelles nous assistons aujourd’hui ; le monde numérique ouvre une révolution de la
lecture, mais celle-ci vient après d’autres mutations dont le rappel permet de relativiser ce que le
numérique fait aux textes et de mieux saisir les variations et les constantes dans les pratiques de
lecture. Chartier (2012) montre par exemple que la lecture au temps des humanistes se concrétise
dans des « carnets de lecture », que sont les cahiers de lieux communs, qui, après annotation dans
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les marges, copie d’éléments du texte sur des supports réutilisables — des tablettes en quelque sorte
— sont le lieu du transfert de citations catégorisées en classes et en thèmes, avant un réemploi dans
un nouveau discours. La pratique du copier-coller, dont on dit souvent qu’elle est la première
conséquence néfaste du recours à Internet par nos élèves ou nos étudiants, n'est peut-être pas très
éloignée de cet usage. De même, Chartier souligne comment, à la fin du Moyen-Âge, la lecture
silencieuse se substitue au modèle monastique de la lecture à haute voix, et ouvre ainsi un rapport
nouveau entre le lecteur et le texte qu’il appelle le modèle scolastique : le livre devient le lieu d’un
investissement intellectuel, parce que la possibilité de la réception individuelle, silencieuse, autorise
à la fois l’échange et le retrait réflexif. Puis, les historiens opposent le temps de la lecture intensive,
période durant laquelle peu de livres sont en circulation et qui réclame des lectures attentives et des
relectures savantes, et celui de la lecture extensive, temps des éditeurs où le livre se fait moins rare
et favorise la dispersion des intérêts. Enfin, les travaux issus de l'anthropologie ou de la sociologie
de la lecture-écriture montrent que les transformations techniques ou commerciales, comme le stylo
bille, la démocratisation des machines à écrire, ou les éditions de poche, modifient les usages
ordinaires de l’écrit en même temps que la création des œuvres littéraires et leur réception.
À chaque fois, la culture écrite a conféré des rôles inédits aux objets et aux pratiques
anciennes : des rôles inédits du rouleau à l’âge du codex, des rôles inédits de la
communication et de la publication manuscrite à l’âge de l’imprimé. C’est à partir de
cette perspective que l’on peut penser à la réorganisation de la culture de l’écrit que la
révolution numérique impose (Chartier, 2012, p. 50).
Dans ce contexte, la textualité numérique (Vandendorpe, 1997) ouvre ainsi une dernière révolution
(pour le moment) : le lecteur part désormais à la rencontre de « fragments décontextualisés », sans
« identité propre » : les discours ne sont plus inscrits dans des objets qui permettent de les classer,
de les situer ou de les hiérarchiser. Dans le cadre de nos préoccupations didactiques, et de
didactique de la littérature en particulier, il faut intégrer ces éléments à une réflexion sur un
enseignement du littéraire davantage appuyé sur des ressources numériques, et sur les objets
auxquels l’enseignement de la littérature doit désormais préparer.
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discursif unique, et enfin, intervention du lecteur dans sa lecture (via les commentaires ou les fan-
fictions) plutôt que distance sacralisée avec l'auteur :
Au lieu d'être cantonné à son rôle traditionnel de récepteur de l'oeuvre, le lecteur est
maintenant invité à intervenir activement dans les discours qui commentent et façonnent
la place d'une œuvre dans la culture (Vandendorpe, 2012, p. 79).
Mais le lecteur multimodal expert que décrit Vandendorpe n'est pas l'apprenti lecteur des classes; et
si les élèves possèdent des usages des technologies numériques et de leurs ressources, ils n'ont pas
forcément acquis les compétences lectorales nécessaires à l'appropriation de ces documents. De
plus, la facilitation de l'accès au texte, à l'information, permise par Internet, n'engage pas une
assimilation des savoirs disponibles : il semble plutôt que l'appréhension du savoir soit
complexifiée : elle l'est parce que les documents sont composites (Bautier, Crinon, Delarue et
Marin, 2012) et leurs sources segmentées, non hiérarchisées, mais également parce que
l'information est parcourue sans être forcément intégrée : « Ces nouvelles possibilités d'accès à
l'information développent des attitudes consommatrices chez les jeunes qui se lassent facilement
lors de leurs apprentissages scolaires et ont ainsi l'illusion d'acquérir des connaissances » (Poyet et
Develotte, 2011, p. 36).
Ainsi, le jeune lecteur n'est pas toujours plus actif dans la lecture sur écran, et celle-ci n'est pas —
loin de là — une lecture « intuitive ». Qu'en est-il alors de l'élève lecteur, comment se joue la
relation au savoir dans une configuration didactique avec le numérique ?
L'enseignement avec le numérique a déjà fait l'objet de travaux de recherches descriptives, qui
mettent en évidence les nouveaux savoirs professionnels sollicités (Thibert, 2012 ; Fourgous, 2012 ;
Charlier et Henri, 2010 ; Lefèvre, Melançon et Lefrançois, 2012) : les savoirs technologiques
(associés à l'équipement des classes), les savoirs pédagogiques (concernant les nouvelles façons de
mener la classe, les connaissances sur les nouveaux processus d'apprentissage à mettre en œuvre) et
les savoirs disciplinaires (évoluant eux-mêmes du fait des nouvelles textualités numériques et
multimodales). Ainsi, si les nouvelles technologiques présentent un potentiel didactique prometteur,
elles engagent aussi une maitrise complexe, de différents savoirs et de combinaisons de ces savoirs
entre eux. Certains travaux décrivent plus particulièrement (Charlier et Henri, 2010 ; Fourgous,
2012) les étapes de l'appropriation des TIC dans l'enseignement : la phase de découverte se
manifeste par l'utilisation personnelle des outils, celle d'adoption se signale par une utilisation
professionnelle du numérique qui n'occasionne pas de changement pédagogique, la phase
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d'appropriation est celle où se développe une pédagogie plus interactive, et enfin, la phase de
création présente une pédagogie innovante rendant l'élève plus acteur et créateur.
Mais on ne passe pas d'une étape à l'autre comme on saute des haies, et chaque nouvelle situation
pédagogique met l'enseignant face à un nouvel équilibre. Un état des lieux des usages pédagogiques
du numérique avait été réalisé en 2011, par Poyet et Develotte. Ils soulignaient le fait que l'usage
des TIC était souvent limité à une génération d'enseignants jeunes, et à une minorité active. Ils
concluaient sur le fait que ces nouveaux usages ne renouvèlent pas nécessairement l'approche
pédagogique (Thibert, 2012), et que l'intégration des technologies dans les usages professionnels est
en réalité très lente et laborieuse (Belisle, 2010), et ce, malgré les discours optimistes qui peuvent
être parfois tenus. Même lorsque l'approche pédagogique se veut constructiviste, la réalité montre
que le béhaviorisme s’accommode fort bien des TIC (Viens et Rioux, 2002, p. 19).
Cependant, de tels travaux, appuyés sur une étude écologique des pratiques effectives, n'ont pas été,
à notre connaissance, diffusés pour ce qui concerne l'enseignement de la lecture au secondaire, en
dehors des premières publications issues de nos observations (Brunel et Quet, 2016).
Dans l'espace de la classe, l'offre lectorale est également marquée par des innovations, comme le
souligne un rapport de l'IGEN de 2010, Le manuel scolaire à l'ère du numérique. En effet, dans
l'histoire de l'enseignement de la lecture, la question des corpus est centrale. Après l'évolution des
pratiques qu'a pu marquer le manuel scolaire, outil manipulable facilement par l’élève, organisé de
manière accessible, et appareillé didactiquement — nous avons tous en tête l'influence des
anthologies, tel le Lagarde et Michard — sur le corpus scolaire enseigné, après la facilité et
l'accessibilité nouvelles qu'a pu rendre possible le livre de poche, permettant aux élèves de travailler
des œuvres intégrales en classe, l'accès au texte par Internet constitue une nouvelle étape. Envisager
l'accès au texte par les voies numériques, ou encore un manuel numérisé, est une nouvelle façon de
s'inscrire dans la prolifération documentaire et ne fait donc qu’amplifier une tendance déjà amorcée.
À ceci s'ajoute l’appareillage de certaines œuvres sous des modes « enrichis », qui modifient l'accès
au texte et lui offrent de nouvelles périphéries, réseaux et prolongements, comme dans le cas de
Candide ou l'optimiste, de Voltaire, édité par la BNF (2012). Enfin, le corpus numérique présente
ses spécificités, définies plus haut, et ces nouveaux supports doivent faire l'objet d'un enseignement
adapté (Lebrun, Lacelle et Boutin, 2012). Or, comme le constate Crinon, elles sont encore fort
rarement enseignées :
Un immense chantier didactique est devant nous : concevoir des outils et des
progressions, « de la maternelle à l’université », pour permettre à un plus grand nombre
d’élèves d’accéder à la littératie étendue, en y incluant la littératie numérique (Crinon,
2012, p. 113).
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La conception de séances de lecture doit ainsi s’appuyer sur des outils et usages produits par les
nouvelles technologies (accès numérique au texte, appui sur les ressources textuelles enrichies) qui
modifient les pratiques et nécessitent dès lors un enseignement explicite de ces nouvelles formes
textuelles.
Mais, au-delà de l'offre des corpus, l'accès au texte par les voies numériques influence les dispositifs
didactiques : modifier le support, c'est changer sa didactisation, c'est modifier le scénario conçu
pour l'espace de la classe. Les supports, en évoluant, font aussi évoluer la façon d'enseigner.
Plusieurs travaux attestent de la réussite de propositions innovantes4, s'appuyant sur les réseaux de
communication du web, les ressources de l'écriture collaborative, l'utilisation des blogues.
Il est certain que les pratiques personnelles et professionnelles sont marquées par l'usage de ces
nouveaux outils de travail et de communication : travail de préparation et recherche de documents
sur Internet, échange de courriels et forum professionnel, exploitation des espaces numériques de
travail, usage du traitement de textes, conception de diaporamas, ou organisation nouvelle des salles
de cours; toutes ces ressources et tous ces outils conduisent à des adaptations ou à des innovations
didactiques.
Dans le cas de l’enseignement de la littérature, ces nouvelles ressources posent plusieurs types de
questions à notre discipline :
- des questions de corpus et de tissage des corpus, de culture et de références communs ;
- des questions d’organisation de la transmission, de progression, de programmation ;
- des évolutions de dispositifs et de scénarios didactiques.
Les travaux précurseurs de Crinon ou ceux de Lebrun, Lacelle et Boutin ont permis de cerner les
enjeux de l'enseignement des nouveaux supports numériques. Le texte composite, articulant
différents langages, constitue une source de complexité pour l'élève, qui doit dégager les liens
implicites associant les différents documents, puis les relier dans une compréhension synthétisée.
L'enseignant de français doit tenir compte de ces spécificités et enseigner les compétences qu'elles
engagent. L'équipe québécoise parle alors de compétences multimodales à construire, celles-ci étant
entendues comme la capacité à lire et à communiquer en combinant efficacement l’écrit, l’image et
l’audio sur des supports médiatiques variés (Lebrun et al., 2012). Ainsi, enseigner à lire des textes
multimodaux, c'est :
- faire identifier la cohérence de l'information entre texte et image ;
- saisir les effets de contigüité spatiale et temporelle entre les deux et les interpréter ;
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- faire identifier et comprendre les différents messages issus des différents modes ;
- s'entrainer à la constitution du sens par l'articulation de ces messages et selon une logique
qui n'est pas forcément linéaire.
Ces différentes opérations doivent faire l'objet d'apprentissages et d'activités ciblées dans le cadre
de séances de lecture du collège au lycée (Brunel et Quet, 2015). Ces chercheurs ont également
montré, par diverses expérimentations, la complexité et les spécificités d'un enseignement de ces
compétences, en lecture et production, mais également leur intérêt, y compris dans le
réinvestissement, dans des situations de lecture et de production plus classiques (Boublil et Crinon,
2016 ; Lebrun et Lacelle, 2012). De même, en production, de nouvelles compétences doivent être
développées : produire un document numérique, c’est apprendre à créer et à associer du texte, de
l'image animée ou non, du bruit, de la musique, de la « parole ». Il s'agit également de développer
une adaptabilité aux différents supports, le maillage entre écriture papier et écriture numérique, la
circulation entre différentes ressources matérielles, leur adéquation à des usages justifiés (Brunel et
Quet, 2015).
2.1. Problématique
Il s'agit alors, pour nous, d'identifier si, dans le cadre de pratiques courantes et dans les déclarations
des professeurs, l'usage des documents, ressources et outils est aujourd'hui sollicité et comment,
notamment dans la séance de lecture. L’enjeu de la recherche est d'étudier quelle est l'influence de
cette évolution dans les classes du secondaire, sur les pratiques d'enseignement des textes littéraires
dans le cadre scolaire.
Notre enquête vise ainsi, non pas à analyser des pratiques innovantes liées à ces nouveaux outils,
mais des pratiques ordinaires de l’usager, la manifestation de résistances, de glissements intuitifs
qui permettent de déplacer ou de décontextualiser l’emploi de tel ou tel « outil » (du cadre privé, par
exemple, au cadre professionnel, d’un contexte d’apprentissage à un autre), des adoptions
manifestes, plus ou moins communes au groupe étudié. À travers notre recueil de données, nous
cherchons à identifier certains phénomènes d’adoption de pratiques numériques dans
l’enseignement de la lecture et à caractériser — à partir de sources déclaratives — les « bougés » de
celui-ci, au secondaire.
Dans la séance de lecture en particulier, ces microprocessus se réalisent sur différents niveaux : sur
les techniques d'enseignement, les pratiques pédagogiques, mais également sur les supports
d'enseignement, les textes littéraires en particulier, et même, enfin, sur les objets d'enseignement, la
littérature, les savoirs littéraires. Comment alors se joue l'articulation de ces phénomènes entre eux,
sur quels aspects, dans quels domaines, les pratiques des enseignants sont-elles influencées par les
technologies numériques, et dans quelle proportion ?
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2.2. Terrain et recueil de données
Le recueil de données s'appuie sur la constitution et la passation d'un questionnaire, transmis lors
d'une journée de formation académique, auprès d'une centaine de professeurs volontaires de
l'académie de Lille. Les professeurs présents viennent de l'ensemble de l'académie, de zone urbaine
ou de zones plus périphériques, et enseignent à des publics variés. Ils ne sont pas forcément des
férus d'informatique ou des praticiens chevronnés, mais viennent le plus souvent par équipe
d'établissements. Aussi, toutes les générations d'enseignants sont représentées dans le panel des
90 enseignants ayant accepté de renseigner le questionnaire, ainsi que le montre ce tableau de
répartition :
21 % 35 % 28 % 13 % 3%
Parmi eux, 40 % enseignent en lycée, tandis que 60 % sont professeurs en collège. Le panel
interrogé est donc fort divers, et semble constituer un échantillon pertinent pour une enquête sur les
usages déclarés des enseignants.
Le questionnaire enquête sur les pratiques personnelles sollicitant des ressources numériques ainsi
que sur les pratiques professionnelles. Il repose sur onze questions, portant sur le matériel, les
ressources et documents numériques utilisés en usages personnel et professionnel (questions D1 et
2). Un second type de questions porte sur les pratiques d'enseignement (pratiques en amont et
pendant le cours, nature des séances, types d'activités, objectifs, type d'intérêt perçu — ou non —
du numérique : questions 3 à 11). Trois questions attendent des réponses courtes, cinq questions
sont des QCM, trois questions suggèrent des réponses plus développées, permettant de saisir plus
finement un usage, un choix didactique (questions 5, 9 et 10).
L'analyse du questionnaire donne lieu à deux types de traitement : l'un, quantitatif, a permis de
constituer un tableau statistique complet, codé, de dégager des tendances, des corrélations entre
différents items. L'autre, qualitatif, qu'il conviendra sans doute d'approfondir, permet d'étudier les
propositions pédagogiques des enseignants, ou encore d'explorer les références qu'ils citent
(logiciels, œuvres, outils), en relation à leurs objectifs et à leurs représentations sur les ressources
numériques.
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2.3 Questions de recherche
Dans cet article, l'étude se concentrera sur les usages du numérique des enseignants enquêtés, et
insistera particulièrement sur les pratiques de lecture littéraire. Il s'agira donc de poser
successivement deux questions :
- quels liens peut-on réaliser entre les différents publics d'enseignants, leurs usages personnels
et leurs pratiques professionnelles du numérique, au vu de notre recueil de données ?
- peut-on considérer que le numérique infléchisse leurs pratiques de lecture (en particulier de
littérature), et si oui, de quelle manière ?
Aucun enseignant n'indique qu'il ne possède pas de matériel informatique, et seuls 6 % d'entre eux
disent utiliser les outils informatiques très modérément5. L'usage est donc massif, et se développe
principalement dans trois directions : l'obtention des services les plus usuels (transports, recherches,
recettes de cuisine), la correspondance par courriel et les loisirs culturels (lecture, visionnage vidéo
ou écoute audio). Si l'on cherche à relier les usages personnels et professionnels, plusieurs
corrélations apparaissent : ainsi, plus de la moitié des enseignants qui présentent un usage personnel
fréquent ont aussi un usage professionnel fréquent de ces outils; 36 % se trouvent dans une situation
d'écart entre ces deux usages, et présentent une utilisation personnelle fréquente, tandis que leur
utilisation dans le cadre professionnel reste très modérée. Enfin, seuls 3 % des enseignants ont à la
fois un usage personnel et professionnel rare, voire nul, des technologies numériques. L'on perçoit
ainsi deux types de comportements majoritaires : l'un révèle une perméabilité des usages entre les
sphères professionnelle et personnelle, l'autre marque plutôt une césure entre un usage personnel
qui n'est pas réexploité dans le cadre professionnel. On pourrait lancer plusieurs hypothèses pour
expliquer cet écart : les usages privés des enseignants restent trop éloignés des pratiques
pédagogiques, leur familiarité avec l'outil est encore trop fragile pour être transférée dans la classe,
ou encore leur sentiment de sécurité, dans la classe, ne leur permet pas de prendre le risque d'y
introduire une pratique nouvelle. Ces hypothèses se trouvent corroborées par l'enquête menée, en
2011, sur les usages numériques des enseignants stagiaires, qui présentait, parmi les causes
possibles de l'absence d'intégration des TIC à la pratique professionnelle, la « difficulté à concilier,
pour le débutant, trop de nouveaux apprentissages et à assumer trop de postures insécures » (Brunel,
2013).
Quelques indicateurs socioprofessionnels peuvent venir préciser cette première approche :
l'intégration du critère d'âge, tout d'abord, permet de mettre en évidence le fait que la plupart des
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enseignants, qui déclarent des usages professionnels et personnels fréquents du numérique, ont entre
dix et trente ans d'ancienneté, comme le montre ce tableau :
44 enseignants (non- 10 18 12 4 3
réponses non intégrées)
Calcul en pourcentage 23 % 41 % 27 % 9% -
La répartition par âge permet également d'identifier le fait que l'entrée dans le métier, d'une
génération qui est pourtant née à l'ère du 2.0, nécessite une prise d'assurance professionnelle qui se
traduit par un usage mineur des technologies numériques dans la classe. De même, on note un faible
usage dans les pratiques professionnelle et personnelle des enseignants les plus anciens, qui peut
être lié à la fois à des pratiques pédagogiques solidement ancrées et ne sollicitant pas les TIC, et au
fait que ces enseignants se sentent moins familiers avec ces ressources, tant sur le plan privé que
professionnel.
L'analyse portée sur la répartition entre enseignants de collège ou de lycée est également
révélatrice : en effet, sur les 66 enseignants de collège, 46 % utilisent fréquemment les outils
numériques, tandis qu'ils sont près de 60 %, en lycée. Ces derniers seraient davantage utilisateurs de
numérique dans leurs pratiques personnelle et professionnelle que leurs collègues de collège, même
si les écarts ne sont pas criants. L'analyse plus précise des pratiques de classe déclarées pourrait
nous permettre d’émettre des hypothèses quant à l'explication de cette tendance : est-elle liée à
l'autonomie des lycéens, plus grande que celle des collégiens, ou encore à un type d'activités plus
fréquent en lycée ?
Les enseignants complètent, pour 80 d'entre eux, la question portant sur leurs usages du numérique
qu'ils pouvaient renseigner en classant par ordre d'importance des propositions offertes. Quatre leur
étaient soumises : la conception de documents, la diffusion de ressources issues d'Internet, la mise
en œuvre d'activités de recherche ou encore de la réalisation d'activités de production écrite en
classe. Lorsqu'ils hiérarchisent ces usages, 41 des enseignants considèrent comme pratique
principale celle de la conception de documents de cours. Pour 23 % d'entre eux, c'est la production
écrite des élèves qui constitue le premier intérêt de l'utilisation des TIC dans le cadre professionnel.
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Puis vient, pour 19 % des enseignants, la diffusion de documents issus d'Internet, et pour 17 % celui
d'activités de recherche ou de manipulation des élèves. Mais sans doute, le plus remarquable est le
fait que, très largement, les enseignants indiquent qu'ils cumulent de nombreux usages : seuls 6 %
des enseignants ne se limitent qu'à un seul usage des TIC, tandis que 66 %6 précisent qu'ils
emploient les quatre usages proposés et 28 % qu'ils utilisent deux à trois de ces ressources, et ce, y
compris parmi ceux qui les utilisent rarement. Cette diversité d'emploi, marque d'une adaptation de
l'outil à des objectifs didactiques divers, n'occulte pas le fait que la grande majorité des utilisations
se rapporte à la conception de documents. Le numérique est donc perçu, en premier lieu, comme
une ressource précieuse pour la préparation de la séance, au moment où l'enseignant n'est pas en
contact avec ses élèves. Ce type d'usages se réalise donc dans l'espace-bureau, et permet peut-être
une forme de transition entre des usages privés et des usages professionnels, par le biais des
documents préparatoires conçus hors de l'espace de la classe.
Il nous semble intéressant de corréler ces usages déclarés par notre panel d'enseignants avec les
outils que ceux-ci déclarent utiliser. Sur les 87 professeurs qui ont répondu à cette question, les
usages se répartissent comme suit, par ordre décroissant :
Outils utilisés % des enseignants utilisateurs
Vidéoprojecteur 91 %
Ordinateur de la classe 81 %
Salle en réseau 52 %
Internet 18 %
Tablettes 10 %
Si les réponses données par les enseignants ne sont pas indicatives de leur fréquence d'usage, elles
témoignent cependant de leurs options privilégiées. Il semble ainsi évident que le vidéoprojecteur
devient un outil central chez les professeurs qui possèdent un usage du numérique dans la classe. De
même, le cours sollicitant l'usage de l'ordinateur est extrêmement fréquent. Il semble que ces deux
outils, au moins, soient très largement intégrés dans les pratiques des enseignants utilisateurs
coutumiers des TIC, et soient les premiers à être utilisés par ceux qui en présentent un usage modéré
ou rare. On peut alors relier ces utilisations aux usages déclarés : l'ordinateur et le vidéoprojecteur
sont les outils adéquats pour la projection de documents conçus par le professeur, ou pour la
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diffusion de documents issus d'Internet, deux des trois usages principaux des enseignants. De
même, l'utilisation de la salle en réseau est nécessaire aux activités de production écrite des élèves.
La synthèse de ces éléments nous permet d'avancer quelques réponses à notre première question :
au vu de notre recueil de données, il existe un transfert entre l'usage du numérique à titre privé et
son usage professionnel. Ce transfert se manifeste notamment chez les enseignants, déjà
expérimentés, qui ont connu le développement de l'équipement numérique et d'Internet et l'ont
suivi. Ce transfert se manifeste également à travers le fait que les usages professionnels des
enseignants sont massivement ceux qui correspondent au temps de la conception didactique (hors
de la classe), qu'il s'agisse de conception de documents ou de sélection de sites ou documents sur
Internet, les manipulations en cours se résumant souvent ensuite à la diffusion, via certains outils
emblématiques, comme celui du vidéoprojecteur.
3.2.1. Situation de l'enseignement de la lecture par rapport aux autres domaines enseignés
Une première contextualisation est nécessaire pour d'étudier plus finement les activités de lecture
sollicitant le numérique réalisées par les enseignants. En effet, celles-ci ne sont pas majoritaires
dans les pratiques d'enseignement avec le numérique, comme le montre ce tableau :
Domaines du français sollicités Nombre de mentions des enseignants
Écriture 79
Langue 35
Lecture 34
Oral 11
Les enseignants semblent pratiquer largement l'écriture, les autres domaines de la discipline étant
abordés en proportion relativement équivalente. Or, tandis que, dans les pratiques traditionnelles, la
lecture est l'activité dominante du cours de français, on peut considérer qu'elle reste donc, le plus
souvent, pratiquée sans un usage des TIC, dans une forme scolaire plus traditionnelle (Vincent,
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1994). En revanche, une activité moins représentée dans le cours de français traditionnel se
développe : la recherche et la présentation de ressources documentaires, qui peut d'ailleurs, comme
nous le verrons, irriguer les activités de lecture. Comme nous le constatons, l'usage des TIC dans la
classe de français semble donc faire « bouger » la configuration de la discipline, faire émerger ou se
développer certaines activités, redéfinir les modalités de certaines autres, notamment dans le
domaine de la production écrite, même si, ici, notre tableau n'étant pas indicatif des fréquences
d'utilisation, nous ne pouvons apporter une analyse des proportions de ces évolutions. Néanmoins,
en ce qui concerne l'enseignement de la lecture, l'utilisation du numérique n'est pas anodine, et
l'utilisation de nouveaux savoir-faire, fondés sur de nouveaux dispositifs techniques (le
vidéoprojecteur et l'ordinateur notamment) et de nouveaux usages (la projection, la conception de
documents) sont bien de nature à produire des effets de sens influençant partiellement, faiblement
peut-être, mais réellement, la configuration de la séance de lecture puisque nous trouvons bien ici
une articulation de savoirs technologiques, pédagogiques nouveaux, voire disciplinaires.
Les présentes analyses, qualitatives, s'appuient sur les réponses développées des enseignants aux
questions portant sur les activités pédagogiques qu'ils mènent avec le numérique. Elles permettent
de dégager les pistes principales d'évolution des activités ou modalités pédagogiques que le
numérique fait évoluer ou suscite : la première tient aux modalités et gestes professionnels, la
seconde porte sur les corpus, la troisième, enfin, concerne de nouvelles pratiques de lecture.
Les enseignants sont nombreux à indiquer qu'ils utilisent le vidéoprojecteur pour favoriser la
concentration des regards des élèves et faciliter les manipulations collectives. À cette modalité de
projection correspondent des gestes professionnels nouveaux, qui paraissent plus efficaces : une
enseignante explique, par exemple, qu'elle recueille les remarques des élèves sur un mur interactif
du type Padlet. Plusieurs précisent qu'ils mettent en relation des termes et des idées du texte par des
effets de soulignements ou de colorisation. Ainsi, les activités de repérages semblent facilitées par
ces nouveaux gestes professionnels.
De même, les savoirs dispensés et le scénario didactique prévu peuvent être diffusés via un
dispositif de diaporama ou de Prezi, ou même un document texte (Q036). Dans ce cas, plusieurs
gestes professionnels apparaissent : celui qui consiste à accompagner les étapes de la lecture par la
fixation de savoirs, préconçus et diffusés au fur et à mesure du scénario pédagogique, comme dans
le cas de cette enseignante qui indique qu'ainsi le cours vidéoprojeté se déroule « au fur et à mesure
de la construction faite avec les élèves » (Q036) ; celui qui consiste à rédiger en commun et de
manière synchrone la synthèse de la lecture (Q046) ; ou encore au lycée, celui qui consiste, via le
diaporama, à soutenir la prise de notes des élèves en indiquant des mots-clés ou conclusions
importantes venant doubler le propos oral du professeur : « le support visuel permet de se
concentrer et facilite la prise de notes » (Q086). Le geste professionnel de l'enseignant se
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complexifie ainsi : l'échange oral sur le texte vient s'enrichir des interventions et apports des élèves,
tandis que la présentation du diaporama, diffusée, fixe les savoirs considérés comme absolument
incontournables.
Enfin, deux types de corpus sont cités par les enseignants : tout d'abord, les corpus littéraires, objet
de la séance de lecture. Dans le questionnaire, les enseignants ne citent pas précisément les textes
qu'ils étudient, sauf si ce sont des œuvres numériques ou ayant fait l'objet d'enrichissement
numérique. Ces œuvres — multimodales ou numériques — n'apparaissant que de manière
minoritaire (6 %). Il semble que l'on assiste à une grande stabilité des corpus étudiés en classe,
même si ceux-ci sont vidéoprojetés. On trouve tout de même quelques références aux œuvres
enrichies, notamment aux ressources proposées par la BNF, comme le Candide de Voltaire ou Le
livre des Merveilles, de Marco Polo (Q003, Q072, Q065, Q057). Certains enseignants indiquent
qu'ils proposent la lecture d'ebooks (Q014, Q057). D'autres présentent des œuvres numériques,
comme les cinépoèmes de Alfieri (Q033), ou le récit Tramway, de Saemmer (Q088). Les élèves
sont ainsi amenés, mais dans une faible proportion, à étudier des supports numériques ou
multimodaux. On peut alors interroger, avec Lebrun et Lacelle (2012), la place de l'étude de tels
documents dans le cours de français, sachant qu'ils présentent de réelles difficultés de lecture, mais
qu'ils sont aussi la principale lecture des jeunes générations. Saemmer promeut la lecture scolaire
des œuvres numériques contemporaines : « Grâce à son caractère multidisciplinaire, une lecture
analytique d’œuvres automatiquement générées, animées ou hypermédiatiques peut également
trouver sa place dans différents contextes pédagogiques » (Saemmer, 2010, p. 411).
L'autre pendant de la réflexion doit prendre en compte le contexte d'un monde éditorial encore
largement fondé sur le papier, et le cadre d'une institution scolaire qui valorise un patrimoine et des
œuvres reconnues, et donc publiées avant l'ère numérique.
Le second corpus qui émerge des réponses des enseignants concerne les textes et documents qui
viennent « à l'entour » du texte étudié : cet usage, souvent mentionné, se déploie dans différentes
directions : tout d'abord, on assiste à un emploi renouvelé des dictionnaires et encyclopédies, via
leur version en ligne. Ainsi, plus de 12 % des enseignants indiquent utiliser ces outils (lexilogos,
Wikipédia) pendant leur cours. Le souci d'éclaircir le sens des mots conduit, par exemple, à la
présentation visuelle d'éléments évoqués dans les textes dont les élèves n'ont pas la représentation
mentale. C'est ainsi que doit être comprise la démarche de cette enseignante :
J'utilise des photos que je prends de mon téléphone : il me sert à collecter des
informations autour de moi pour les présenter à l'occasion aux élèves. But : créer des
inférences entre ce que l'on étudie et le monde qui nous entoure. (Q059)
Surtout, les enseignants indiquent projeter des documents complémentaires pour préparer, faciliter
la lecture : ils soulignent l'intérêt de faire découvrir un document iconographique avant de faire
accéder au texte, de présenter des documents sur l'auteur ou sur le contexte (près de 15 %) ou même
des documentaires audios ou vidéos (16 %).
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3.2.3 Renouvèlement des pratiques de lecture
Au-delà de la démultiplication des documents, c'est la notion même de lecture (comme dispositif
didactique) qui évolue : ainsi, les enseignants notent régulièrement dans les questionnaires qu'ils
donnent à lire « un livre audio » (Matin Brun, Q047, Q065 ; Fables, Q031, Le dieu du carnage,
Q086). Par exemple, ce professeur de collège indique qu'il étudie La Parure, de Maupassant, en
texte, BD et version audio (Q056). De même, un extrait littéraire étudié donne systématiquement
lieu au visionnage de son adaptation filmique, si elle existe, une pièce de théâtre est souvent
associée à des vidéos de représentation (Q052 Q075Q086, Q087). L’activité de lecture trouve ainsi
une forme d'extension dans d'autres supports médias, qui le plus souvent procèdent de ce que
Lacelle et Lebrun (2015) nomment une transmodalisation (un changement de mode langagier de
l'oeuvre).
De plus, les enseignants considèrent les documents autour du texte comme des « aides » pour
« encadrer l'étude des textes », ce qui conduit au développement de pratiques de contextualisation.
Ce souci d’« accompagner les élèves » en préparant l'accès à un monde référentiel, à une période
historique, une pratique culturelle, un mouvement artistique, se trouve légitimé du fait que la vie
quotidienne des élèves se trouve de plus en plus éloignée des références portées par ces textes, et de
la langue littéraire employée. Dans le même temps, il est favorisé par la démultiplication de
supports illustratifs, sonores ou vidéos, animés, parfois déjà apprêtés pour un public jeune, de
nature à capter plus facilement leur intérêt. Le besoin des élèves rencontre ainsi une offre nouvelle,
qui semble combler certains écarts entre les mondes référentiels littéraires et celui des élèves.
Cependant, l'entrée dans la classe de ces nombreux documents complémentaires, disponibles sur
Internet et non hiérarchisés, engage de nouvelles difficultés : celle de gérer une multiplicité de
documents dans une séance, celle de faire coexister le texte littéraire et les documents périphériques
au risque de rendre périphérique l'objet littéraire, et celle, enfin, de faire de la séance de lecture un
survol de documents, dans une modalité de zapping beaucoup plus familière et tentante pour les
élèves que celle de l'étude approfondie. La séance de lecture ne semble donc pas évoluer vers une
séance de lecture de documents composites et multimodaux, mais vers une nouvelle configuration
de sa forme, qui devient elle-même composite et multimodale. On peut alors s'interroger sur cette
nouvelle forme scolaire : n’est-ce pas, à travers elle, l’objectif de la séance de lecture qui évolue ?
Ne doit-on pas se demander si le tissage des liens de sens entre les différents documents ne
constitue pas pour les élèves plus faibles une difficulté supplémentaire7? Ces questions sont sans
doute à examiner précisément, les complexités nouvelles à évaluer avec soin, pour que le choix
d’un abord ludique et attractif ne conduise pas à une difficulté d'apprentissage.
Enfin, de nouveaux dispositifs d'appropriation personnelle des lectures apparaissent : s'ils sont fort
minoritaires, ils relèvent tous cependant d'une tentative de trouver, avec le numérique, de nouvelles
ressources pour que les élèves s'investissent dans leurs lectures et dans leurs activités, comme sujets
didactiques et sujets-lecteurs. Un professeur indique ainsi que ces activités sont l'occasion de
réaliser « une lecture plus dynamique et l'occasion de créer un rapport privilégié entre le texte et
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l'élève » (QO88) : ainsi sont réalisées des expériences de journal de bord du lecteur numérique,
conçues de manière multimodale et consultable à distance par l'enseignant (Q03) ou de blogues et e-
twinning8 de lecture, où s'échangent des articles et des avis sur une œuvre (Q015) (Q028). La
conception d'anthologies permet également de procéder à des choix de lecteurs subjectifs et de les
restituer sous un format à la fois manipulable et esthétique (Q003, Q065). Ainsi, cette enseignante
de lycée propose de constituer une anthologie des poèmes d'Apollinaire sous la forme d'un
abécédaire (Q003). Plusieurs enseignants engagent également leurs élèves à réaliser des sélections
d'ouvrages, grâce à des forums de lecteurs ou des librairies en ligne, selon une pratique devenue
courante pour nombre de lecteurs. Enfin, une enseignante de lycée propose à ses élèves, via
Internet, de sélectionner eux-mêmes des extraits et de créer eux aussi leur groupement de
textes (Q077).
Ainsi, la séance de lecture, chez les enseignants qui emploient des ressources numériques dans ce
domaine (soit 1/3 du panel), se trouve affectée par ces usages qui produisent de nouveaux gestes
pédagogiques, de nouvelles ressources documentaires et textuelles, et de nouvelles pratiques dont
certaines peuvent modifier la « forme scolaire » traditionnelle de la séance de lecture, notamment
du fait de la prolifération des documents et textes qu'elle intègre.
Conclusion
Notre questionnement visait à identifier, dans les pratiques déclarées d'un échantillon de près d'une
centaine d'enseignants de français du secondaire, en France, l'usage du numérique : il s'agissait de
saisir des signes d'une appropriation, d'en repérer des manifestations récurrentes, et d'observer
comment celles-ci pouvaient être sources de créativité professionnelle. Pour avancer sur cette
réflexion, nous souhaitions d'abord mesurer précisément si les usages personnels influaient sur les
pratiques professionnelles, et comment ces transferts s'opéraient. Nous avons pu noter
qu'effectivement un mouvement de porosité très net s'opérait : les enseignants qui présentent des
pratiques personnelles régulières sont aussi ceux qui utilisent le plus le numérique dans leur usage
professionnel (plus de 50 % de notre échantillon) ; cependant, environ 36 % des enseignants ont un
usage personnel fréquent qui ne conduit que peu à un transfert dans l'usage professionnel. Surtout, il
est remarquable de noter que l'usage des professeurs correspond largement au temps de la
préparation des cours, et donc à un espace/temps intermédiaire entre la sphère privée et la sphère
professionnelle.
Nous souhaitions ensuite chercher à caractériser les évolutions déclarées des enseignements au sein
de la séance de lecture. En nuançant d'emblée le fait que la lecture n'est pas le domaine qui sollicite
le plus le numérique dans les pratiques enseignantes, nous pouvons tout de même identifier
quelques tendances précises : l'usage du numérique influence en effet les choix didactiques. Ainsi,
nous retiendrons le fait que le souci de la contextualisation semble plus largement pris en compte
(l'offre nouvelle rejoignant un besoin peut-être encore plus vif aujourd'hui), ainsi que celui de
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l'actualisation et de l'investissement du lecteur (dont le numérique renforce les effets en ce que son
attractivité améliore l'engagement du sujet didactique). Nous retiendrons surtout une tendance qui
nous semble se dessiner dans la conduite de la séance de lecture : celle du développement d'une
forme de séance centrée sur plusieurs supports, que nous nommerons, en référence à Crinon (2012)
et Lebrun et Lacelle (2012), « séance composite » ou « multimodale ». Celle-ci implique de
nouvelles compétences professionnelles, mais suscite également de nouveaux écueils et difficultés
auxquels la recherche devra s'intéresser dans une optique descriptive, mais également dans le
contexte de la formation des enseignants.
1
Nous faisons référence au plan numérique pour l'éducation, lancé en mai 2015 par F. Hollande, suite à la concertation
nationale pour le numérique éducatif. http://ecolenumerique.education.gouv.fr/plan-numerique-pour-l-education/
2
Nous faisons ici référence notamment aux travaux de A.Gregory er M.-A. Cahill, 2009, "Constructing critical literacy:
Self-reflexive ways for curriculum and pedagogy", dans Critical Literacy: Theories and Practices, 3(2), University of
Nottingham. Ou encore : Kostouli Triantafillia, 2009, Writing in Context(s) Textual practices and learning Processes in
sociocultural settings, Springer.
3
« Loin de servir d’abord un but [les technologies] commencent par explorer des univers hétérogènes que rien,
jusqu’ici, ne prévoyait, et derrière lesquels courent des fonctions nouvelles » (Bruno Latour, La fin des moyens, repéré à
http://www.bruno-latour.fr/sites/default/files/80-RESEAU-FIN-MOYENpdf.pdf, consulté le 20 Octobre 2015).
4
Nous renvoyons sur ce point notamment au site EDUSCOL « Les métamorphoses du livre et de la lecture à l'heure du
numérique » ou au livret correspondant, également en ligne, dans lequel de très nombreuses réalisations de classe
explorant de nouvelles pratiques didactiques sont présentées. http://eduscol.education.fr/pnf-lettres/
5
Plus précisément, à cette question, 82 % des enseignants indiquent avoir un usage très fréquent, 12 % ne répondent pas
à cet item, et 6 % indiquent un usage très modéré.
6
Ces chiffres ne tiennent pas compte des non-réponses, dans ce cas, 14 sur les 90 questionnaires.
7
Nous suivons ici et transposons Lacelle et Lebrun (2015) et Crinon (2012) dans leur évaluation de plus grande
complexité des textes composites, pour lesquels la nécessité de constituer des liens conceptuels entre les différents
messages est fort exigeante et différenciatrice.
8
Le dispositif e-twinning permet un échange avec des élèves étrangers.
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