LL10 Pacte Peau de Chagrin

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LL10

Introduction:

⇒ La Peau de Chagrin, publié par Honoré de Balzac en 1831 fait partie de la fresque
La Comédie humaine. Ce roman réaliste, écrit par un auteur romantique, met en
scène un objet fantastique dont la portée se veut philosophique. La dimension
fantastique est la plus saillante dans cette œuvre. Selon le théoricien de la
littérature Tzvetan Todorov, il s’agit de l’irruption soudaine du surnaturel dans le
quotidien. Le fantastique repose sur l’objet central du roman : la peau de chagrin, un
objet mystérieux qui détient le pouvoir d’exaucer les souhaits de son détenteur, mais
qui se réduit inéluctablement à chaque réalisation et réduit avec elle en même
temps, l’espérance de vie de son propriétaire.

⇒ Entré dans un magasin d'antiquités alors qu'il songeait au suicide, Raphaël de


Valentin est subjugué cette une Peau de chagrin à l'inscription mystérieuse. Le vieil
antiquaire le met longuement en garde contre la folie de pouvoir et vouloir tout, en
vain. Dans l'extrait analysé de la première partie du roman, Raphaël accepte le
pacte maléfique avec le Talisman
[Ceci, dit-il d’une voix éclatante en montrant la Peau de chagrin, est le pouvoir et le
vouloir réunis. Là sont vos idées sociales, vos désirs excessifs, vos intempérances,
vos joies qui tuent, vos douleurs qui font trop vivre ; car le mal n’est peut-être qu’un
violent plaisir. Qui pourrait déterminer le point où la volupté devient un mal et celui
où le mal est encore la volupté ? Les plus vives lumières du monde idéal ne
caressent-elles pas la vue, tandis que les plus douces ténèbres du monde physique
la blessent toujours ; le mot de Sagesse ne vient-il pas de savoir ? et qu’est-ce que la
folie, sinon l’excès d’un vouloir ou d’un pouvoir ? ]
[— Eh ! bien, oui, je veux vivre avec excès, dit l’inconnu en saisissant la Peau de
chagrin.
— Jeune homme, prenez garde, s’écria le vieillard avec une incroyable vivacité.
— J’avais résolu ma vie par l’étude et par la pensée ; mais elles ne m’ont même pas
nourri, répliqua l’inconnu. Je ne veux être la dupe ni d’une prédication digne de
Swedenborg, ni de votre amulette oriental, ni des charitables efforts que vous faites,
monsieur, pour me retenir dans un monde où mon existence est désormais
impossible.] [Voyons ! ajouta-t-il en serrant le talisman d’une main convulsive et
regardant le vieillard. Je veux un dîner royalement splendide, quelque bacchanale
digne du siècle où tout s’est, dit-on, perfectionné ! Que mes convives soient jeunes,
spirituels et sans préjugés, joyeux jusqu’à la folie ! Que les vins se succèdent toujours
plus incisifs, plus pétillants, et soient de force à nous enivrer pour trois jours ! Que la
nuit soit parée de femmes ardentes ! Je veux que la Débauche en délire et
rugissante nous emporte dans son char à quatre chevaux, par-delà les bornes du
monde, pour nous verser sur des plages inconnues : que les âmes montent dans les
cieux ou se plongent dans la boue, je ne sais si alors elles s’élèvent ou s’abaissent ;
peu m’importe ! Donc je commande à ce pouvoir sinistre de me fondre toutes les
joies dans une joie. Oui, j’ai besoin d’embrasser les plaisirs du ciel et de la terre dans
une dernière étreinte pour en mourir.]
Problématique : En quoi la Peau, objet fantastique, permet-elle à Balzac de délivrer
au lecteur une leçon philosophique (le choix de l’économie d’énergie )et une critique
sociale (critique de la dépense d’énergie destructrice) ?

Plan :
1/ La leçon de philosophie de l’antiquaire : Le choix de l’économie d’énergie
2/Le choix de Raphaël : le symptôme d’une société déréglée
3/ Le désir de Raphaël : la peinture d’une société matérialiste et corrompue.

Mouvement 1 :

⇒ Le texte dramatise l’exhibition de la Peau de chagrin dans les premières lignes:


les déictiques « ceci » et « là » et le gérondif « en montrant » donnent l’impression
que la peau est montrée à Raphaël et au lecteur. Ce geste est accompagné de la
voix de l’antiquaire qualifiée d’ « éclatante ». Le texte est une scène quasi théâtrale,
ces indications font penser à des didascalies. « Éclatant » signifie: qui veut frapper
l’oreille ou frapper l’esprit au sens figuré.

⇒ Le discours qui suit va frapper Raphaël et le lecteur, c’est une leçon de


philosophie. « Le pouvoir et le vouloir réunis » ces verbes substantivés associés par
la conjonction de coordination font apparaître la peau comme un objet fantastique :
elle a le « pouvoir » de satisfaire tous les désirs de son propriétaire.

⇒ L’énumération qui suit « Là sont vos idées sociales, vos désirs excessifs, vos
intempérances, vos joies qui tuent, vos douleurs qui font trop vivre » est une
condamnation des comportements excessifs, coûteux en énergie. C’est aussi une
façon de souligner le paradoxe de la Peau : elle permet de vivre intensément mais
apporte aussi la mort. Cela se traduit par les antithèses « joies qui tuent/ douleurs
qui font trop vivre ». Les déterminants possessifs « vos » montre que l’antiquaire se
désolidarise de ce mode de vie coûteux, qui est celui de ses contemporains . Il a
choisi une autre voie.

⇒ « Car », la conjonction de coordination de cause permet d’introduire le


raisonnement de l’antiquaire. Il emploie le présent de vérité générale et manie les
concepts comme un philosophe.
- « Le mal n’est peut être qu’un violent plaisir » antithèse
- « Qui pourrait déterminer le point où la volupté devient un mal et celui où le
mal est encore la volupté? » chiasme et interrogation directe
L’antiquaire grâce à ces formulations déconstruit les représentations et souligne les
paradoxes. Le plaisir consume, détruit lorsqu’il est intense.
⇒ L’antiquaire a choisi un autre système qu’il dessine avec le champ lexical du
savoir « les plus vives lumières du monde idéal, sagesse, savoir » Il oppose ce
lexique à celui du plaisir, du monde terrestre, matériel « monde physique, folie,
excès, vouloir, pouvoir » L’antiquaire condamne l’excès des désirs et des plaisirs
encouragés par la société et prône une vie de sagesse, tournée vers la
contemplation, vers le monde des idées. Il se présente en sage, qui met en garde
Raphaël contre le mode de vie dépensier en énergie qu’encourage la Peau…

Mouvement 2 :

⇒ « Eh, bien, oui, je veux vivre avec excès, dit l’inconnu » l’interjection et l’adverbe
d’affirmation montrent que malgré la mise en garde Raphaël exprime vivement son
désir de vivre dans l’excès, il choisit de dépenser son énergie vitale rapidement en
vivant intensément. Il n’est pas encore nommé à ce moment du roman, le lecteur est
encore face à un « inconnu » qui se dévoilera progressivement pour gagner en
épaisseur psychologique dans la deuxième partie.

⇒ Ce moment semble être la signature du Pacte, les paroles du personnage sont


accompagnées de son geste « en saisissant le peau de chagrin ». Le gérondif
marque l’acceptation des conditions du pacte: les désirs seront satisfaits mais la vie
sera brève.
⇒ L’antiquaire tente de protéger Raphaël : l’impératif exprime la défense. Le
complément circonstanciel de manière « avec une incroyable vivacité » illustre
l’efficacité de son système philosophique, le vieil homme possède une énergie vitale
remarquable pour un âge avancé.

⇒ Dans la phrase suivante, « J’avais résolu ma vie par l’étude et par la pensée; mais
elles ne m’ont même pas nourri » l’emploi du plus que parfait, du passé composé
met en exergue ce à quoi l’inconnu veut tourner le dos. Il a déjà utilisé beaucoup
d’énergie pour essayer de créer une œuvre, de vivre « par l’étude et par la pensée »
Le verbe « nourrir » renvoie aux réalités corporelles: il a vécu dans la misère, son
entreprise n’a été qu’un échec. L’opposition est marquée par la conjonction de
coordination « mais » et la négation lexicale « impossible » (préfixe négatif) : il
choisit une autre vie tournée vers le matérialisme.

⇒ « Je ne veux être la dupe…ni d’une prédication, ni de votre amulette oriental, ni


des charitables efforts » l’énumération, la négation répétée « ni », le lexique du
surnaturel montrent que Raphaël rejette à la fois la croyance mystique, le
merveilleux et la charité, vertu chrétienne, il paraît désabusé.
Raphaël rejette les conseils de l’antiquaire après avoir reconnu que la société ne
permettait pas de les suivre dignement.

Mouvement 3 :
⇒ La possession de la Peau semble provoquer l’agitation et l’exaltation du
personnage. Les exclamations, l’interjection « voyons! », la répétition du verbe
« vouloir », de l’expression du souhait par la conjonction « que » reprise quatre fois,
le geste « en serrant le talisman d’une main convulsive » sont des marques de son
excitation.

⇒ Les anaphores « je veux », « que » sont suivies du champ lexical de la débauche et


du plaisir. L’énumération tourne en gradation du « dîner » à « quelque bacchanale »
Le goût de l’excès est mis en relief par les superlatifs: « que les vins se succèdent
toujours plus incisifs, plus pétillants, et soient de force à nous enivrer pour trois
jours! » les hyperboles marquent la démesure des souhaits du personnage ennivré
de désirs.

⇒ La débauche est mise en scène dans une allégorie: « que la Débauche en délire et
rugissant nous emporte dans son char à quatre chevaux.. ». Enfin les antithèses
soulignent l’absurdité de ces désirs « que les âmes montent dans les cieux ou
plongent dans la boue » Le personnage mêle sans distinction plaisir terrestre et
spirituel, sans préoccupation morale, sans principes, sans valeurs.
Le dîner désiré est à l’image du siècle: il en reflète la corruption, la jeune génération
représentée par les convives a perdu ses valeurs. La spiritualité est réduite à des
traits d’esprit, la royauté au luxe, la bacchanale (autrefois fête religieuse) à l’ivresse.
Ces désirs n’ont pas de sens mais manifestent l’euphorie du personnage emporté
dans la griserie du plaisir immédiat, intense, brûlant l’énergie sans mesure.

⇒ « Donc je commande à ce pouvoir sinistre .. » « pour en mourir ». Dans ces


dernières phrases, le personnage anticipe sa fin dans une prolepse. Cette annonce
est prophétique: le personnage choisit le vouloir, devient propriétaire de la Peau, à
laquelle il adresse son premier souhait. ( sa mort est d’ores et déjà annoncée)
Raphaël représente une jeunesse corrompue, sans repères, ne trouvant de sens à sa
vie que dans le plaisir.

Conclusion: Le moment du « pacte » où Raphaël prend possession de la Peau dans


la boutique de l’antiquaire est une plongée dans le fantastique mais aussi l’occasion
d’une leçon philosophique sur l’énergie vitale que l’on peut décider de préserver ou
de dépenser sans compter. L’antiquaire, en sage, prône l’économie, la
contemplation, le savoir. Raphaël, lui, en représentant de sa génération choisira la
dépense, la Peau exaucera ses désirs, mais réduira sa vie. Ce passage fait le portrait
de cette génération corrompue, qui cherche éperdument le plaisir dans la vie
matérielle.
Le dîner chez Taillefer montrera la débauche de cette génération. Dans une salle
magnifiquement décorée, se presse une foule de jeunes gens blasés et cyniques
dont bien peu au fond sont promis à un bel avenir.

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