Éléments de Dissertation

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Classe de 1ère, 11 SIII Mme Lamblin, SJP23

" Peut-on vivre longtemps en dévorant ainsi sa vie à toute heure ? "
Balzac, Louis Lambert, 1832
L'édition de référence pour la pagination : Balzac, La Peau de chagrin, GF Flammarion (2013).

UN ROMAN PHILOSOPHIQUE POUR PENSER LA QUESTION DE L'ÉNERGIE VITALE

Le roman, outil de compréhension du monde


Balzac, dans la lignée de Walter Scott, fait du roman un outil de quête de vérité et de compréhension du
monde, chargé d'une « valeur philosophique9 ». Son ambition est colossale, encyclopédique : il s'agit de faire
l'expérience de la complexité essentielle de l'humain, de percer les secrets de la nature, de dévoiler les rouages et le
sens profond de la société, de rendre compte de la totalité du monde et de tous les possibles, afin d'en dégager l'unité.
Loin d'être un simple « conteur », il se veut « penseur » de la vie sociale et déplore que certains lecteurs ne voient dans
la Peau de chagrin qu'un divertissement, sans en comprendre la portée10.
Le récit sert ainsi de support à la réflexion, qui remonte des effets aux causes. Dès l'incipit du roman, le lecteur
est convié à prendre part à cette expérience, interpellé par le narrateur à propos du chapeau, réclamé à l'entrée du
tripot (p. 67). Cette incursion du commentaire dans le récit permet déjà de présenter des thèmes majeurs du roman
: le pacte diabolique, l'argent, la comédie sociale, la passion, la mort. Le lecteur est ainsi invité à analyser
attentivement chaque détail, potentiellement porteur de sens, qu'il soit accompagné ou non d'une digression.
Balzac va même jusqu'à mettre en scène son lecteur en utilisant la deuxième personne : le lecteur est invité à vivre
de l'intérieur le récit, à se l'approprier pour en faire le lieu d'un apprentissage. La fiction est ainsi conçue comme
un vaste champ d'expérimentation, où les personnages essaient pour nous une multiplicité de voies possibles.
Les Études philosophiques, variation autour du thème de l'énergie et de la pensée qui tue, en proposent de
multiples facettes en jouant sur les paramètres qui font varier les situations. Cette démultiplication de l'expérience est à
l'œuvre au sein même de La Peau de chagrin : le lecteur « se promène à l'intérieur du cerveau éprouvette de
Raphaël11 », et découvre la diversité des choix de vie opérés par les autres personnages. Raphaël lui-même fait
cette expérience dans le magasin de curiosités, où il « se personnifi[e] » (p. 90) et s'empare « de toutes les formules
d'existence » (p. 91) suggérées par les objets qui défilent sous ses yeux.

Supériorité du roman sur la science


Balzac prétend appliquer à l'humanité la démarche scientifique de Geoffroy Saint-Hilaire et de Cuvier 12 ; il se
veut poète scientifique, de même que dans un vibrant éloge il fait de Cuvier un scientifique poète (p. 94-96). Dans
La Peau de chagrin, dédiée à Félix Savary, mathématicien et astronome membre de l'Académie des sciences, la
science est pourtant mise en échec à deux reprises. Lorsque Raphaël consulte les plus grands savants au sujet de la
Peau, le zoologiste ne lui apprend rien, le physicien comme le chimiste échouent à la détendre comme à la détruire
; et lorsqu'il s'en remet à la médecine, aucune des analyses discordantes des trois éminents docteurs, imbus de
leurs théories, n'est pleinement satisfaisante. La science est impuissante, lacunaire, incapable de saisir la
profondeur du concept d'énergie vitale incarné par la Peau, et donc d'expliquer le fonctionnement de la vie 13. Le
roman, avec son immense liberté, son pouvoir de captation et sa puissance de séduction, prétend surpasser la
science par ses capacités supérieures de révélation et d'intellection.

Allégorie et magie au service du réalisme et de la réflexion


Balzac n'hésite pas à recourir à des procédés littéraires pour atteindre la vérité. Le récit est ainsi chargé
d'une portée allégorique : Fœdora représente la société (p. 405), la Peau est l'allégorie du capital d'énergie
vitale de Raphaël. Pour Balzac, « La Peau de chagrin devait formuler le siècle actuel, notre vie, notre égoïsme14. »

L'auteur convoque également le registre fantastique, à travers l'objet magique qu'est la Peau - talisman exauçant
les désirs, tantôt souple tantôt rigide, indestructible mais qui se rétracte inexorablement - ou encore dans la
description du magasin d'antiquités. Mais cette Peau extraordinaire contribue paradoxalement au réalisme de la peinture
de l'homme ordinaire en mettant en lumière l'action destructrice du désir : elle agit comme un miroir plus qu'elle ne
détermine le destin de Raphaël ; on pourrait d'ailleurs considérer que ses désirs ne se réalisent que par le fait de
simples coïncidences. Balzac joue avec les codes du genre, s'intéresse peu aux thèmes de la peur, du mystère ou du doute
qui caractérisent le fantastique, mais les fait ressurgir dans la banalité de la vie quotidienne 15. Le fantastique permet ainsi
de tirer le lecteur hors du confort que procure la reconnaissance d'un monde familier et normal : en le déstabilisant,
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il le pousse à engager une réflexion sur les ambiguïtés et le sens profond de la société, de l'humanité. C'est la société
parisienne elle-même qui se révèle alors monstrueuse et fantastique : une maison de jeu devient la sanglante place de
Grève, une orgie se transforme en champ de bataille.
L'invraisemblable, l'imagination, tout en participant du plaisir de la lecture, sont donc légitimés au nom de la
vérité : ils permettent à la raison d'accéder à l'invisible, à ce qui la dépasse. C'est ce qui permet à Philarète Chasles
d'écrire : « ce livre a tout l'intérêt d'un conte arabe, où la féerie et le scepticisme se donnent la main, où des
observations réelles et pleines de finesse sont enfermées dans un cercle de magie16 » (p. 427).

QUAND L'ÉNERGIE NOUS DÉTRUIT : LA PENSÉE QUI TUE

L'énergie selon Balzac : cette force vitale qui se consume


La question de l'énergie est centrale dans l'œuvre et la pensée de Balzac, qui s'intéresse aux phénomènes du
magnétisme, de l'électricité, de la thermodynamique, ainsi qu'à des théories telles que le mesmérisme et
l'illuminisme. Par énergie, Balzac désigne la force vitale ; c'est pour lui un fluide matériel, comparable à la
lumière, à l'électricité ou à la vapeur, qui se projette en mouvement : mouvement de la pensée et mouvement du
corps.
Dans la Physiologie du mariage, il explique que : « l'homme a une somme donnée d'énergie. [...] Cette force est
unique, et bien qu'elle se résolve en désirs, en passions, en labeurs d'intelligence ou en travaux corporels, elle
accourt là où l'homme l'appelle. » Selon l'auteur, l'énergie vitale, donnée en quantité limitée, n'est pas
renouvelable ; ce capital d'énergie, qui permet d'agir sur le monde et les êtres et que symbolise la Peau, s'appauvrit
au fur et à mesure qu'on le consomme : ainsi « la vie décroît en raison directe de la puissance des désirs ou de
la dissipation des idées17 » et la mort survient lorsque toute l'énergie est épuisée ; aussi Raphaël meurt-il lorsque
sa Peau est réduite à néant, conformément à l'avertissement de l'antiquaire au moment du pacte (p. 113).
L'inscription inscrite dans le cuir, formant une pointe tournée vers le bas, imite l'inéluctable amenuisement de
l'énergie, et l'inexorable approche de la mort.
Les images de la consomption, du bouillonnement et du feu intérieur sont récurrentes pour exprimer ce
processus : Raphaël dit par exemple sentir « dans [sa] poitrine un foyer qui [le] brûle » (p. 348), et souffre
d'après le médecin d'Aix d'une « combustion déjà trop rapide » (p. 370). La phtisie incarne cette progression de la
mort à l'œuvre dans un corps rongé de l'intérieur. On remarquera que le seul souhait de Raphaël qui ne se réalise pas
est celui de l'éternité : « Il désira vivre toujours » (p. 351).

Une énergie vivifiante et fatale

Selon Balzac, l'humanité est faite de pensées, de passions et de désirs18, qui témoignent de la quête d'absolu des
hommes. Ces manifestations de l'énergie vitale peuvent conférer à l'homme une puissance inégalée qui lui permet de
dépasser ses limites, d'accomplir l'impossible ; c'est ce que Raphaël explique à Fœdora quand il compare la
volonté à la vapeur (p. 207). Mais la pensée est aussi une puissance désorganisatrice et ravageuse : une idée peut
traverser une « âme comme l'acier d'un poignard perce une poitrine » (p. 321) ; le père de Raphaël, par exemple, meurt
d'une idée : celle d'avoir ruiné son fils adoré (p. 176). Les génies balzaciens, ces personnages débordant
d'énergie, sont généralement voués à l'échec, à la folie et à la mort. Raphaël ne fait pas exception : incapable de
canaliser son énergie et d'utiliser avec sagesse sa Peau, Raphaël passe d'un excès de dépense à un excès d'économie ;
il succombe dans un ultime élan de désir, foudroyé comme sous l'action de « terribles poisons » (p. 94). Balzac lui-
même, véritable forçat littéraire, se condamne à une mort prématurée par son mode de vie excessif19.
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Le jeu (p. 67-73)


• « Bouillonnants plaisirs de la vie des joueurs » (p. 68).
Plaisir
• « Une des plus terribles joies de ma vie » (p. 170).
Souffrance « Angoisses inexprimables»,« condamné [marchant] au supplice» (p. 171-172).
• Enfer gardé par un « triste Cerbère », peuplé de« démons humains».
Le tripot, lieu • Morts-vivants : « visages de plâtre, impassibles », « coeurs qui depuis longtemps avaient désappris de palpiter » ; « teint olivâtre » ;
de mort (p. 67- « cœurs glacés »
73) • Lieu de mise à mort place de Grève , « arène » qui procure le « plaisir de voir couler le sang à flots sans que les pieds du parterre
risquent d'y glisser.»
Le« système dissipationnel » : débauche et orgie
• Hédonisme : « faire de mon existence une longue partie de plaisir » (Euphrasie, p. 159) ; « tourbillon de plaisirs creux et réels tout à la
fois » (Raphaël, p. 267).
• Libération du corps qui « s'abandonne aux joies délirantes de la liberté. » (p. 149).
Plaisir • Références à Rabelais, qui célèbre le corps et la joie de vivre : « joyeuse vie à la Panurge » (p. 119), « fameux tronçon de chiere fie »
(p. 128), « Trine» (p. 148).
• Exemple du festin de Taillefer : luxe éclatant, mets raffinés, plaisir des sens (vue, goût, odorat, sexe) ; « jouissances excessives du
festin », sérail offrant des« séductions pour tous les yeux, des voluptés pour tous les caprices » (p. 150).
« Féerie digne d'un conte oriental » (p. 146) , « fantasmagories » de l'ivresse, « torpeurs enchanteresses », « sphère où tout est
Magie
merveilleux » (p. 270-271).
• « Nous vivons plus en un jour qu'une bonne bourgeoise en dix ans» (p. 159).
Intensité • Raphaël « J'aurai du moins épuisé, connu, dévoré mille existences » (p. 128) ; « perpétuelle étreinte de toute la vie » (p. 270) ;
« l'existence bouillonne et fuit comme un torrent. » (p. 271).
« Vous avez des heures ravissantes comme les caprices d'une jeune fille, des causeries délicieuses avec des amis, des mots qui peignent
Fécondité
toute une vie, des joies franches et sans arrière-pensée, des voyages sans fatigue, des poèmes déroulés en quelques phrases. » (p. 271).
Un art pour • Art réservé aux âmes fortes : « besoin d'opposer de violentes distractions à [une] existence si fort en dehors de la vie commune. » (p. 269).
l'homme • Lutte contre un « monstre admirable », « duel » (p. 270).
d'exception
• Rejet de toute épargne : « Donnez-moi des millions, je les mangerai ; je ne voudrais pas garder un centime pour l'année prochaine. »
Dépense
(Euphrasie, p. 158) , « vie d'un homme occupé à manger sa fortune » (Rastignac, p. 201). Endettement de Raphaël.
et excès
• Excès usants • « excès du plaisir» (p. 268) ; « user l'existence par le plaisir» (p. 263).
• « Autant rester libres, aimer ceux qui nous plaisent et mourir jeunes. » (p. 159).
Brièveté
• « Je mettais de l'amour-propre à me tuer promptement» (p. 268).
• Rastignac : « L'intempérance, mon cher ! est la reine de toutes les morts » : mieux vaut l'apoplexie que le pistolet, l'orgie que l'opium,
La belle mort ? l'ivresse que la noyade (p. 263).
• Euphrasie : « J'aime mieux mourir de plaisir que de maladie. » (p. 158).
• Corps malmené : « Ils ne peuvent pas seulement se mettre debout » ; nausées et vomissement : « prends garde à ton habit, ton voisin
pâlit» (p. 144).
• Régression intellectuelle et morale caricature du discours philosophique, moral, religieux et politique , interruptions intempestives,
Avilissement insultes, provocations, grossièreté (p. 132-145).
• Vice, notamment incarné par Aquilina et Euphrasie.
• Bestialité . « Les ressemblances animales inscrites sur les figures humaines [ ..] reparaissaient vaguement dans les gestes, dans les
habitudes du corps » (p. 146) ; « brutale satisfaction de la bête » (p. 271).
• Perspective d'avenir : l'hôpital (Aquilina p. 157).
• Débauche qui apparaît à Raphaël « dans toute la majesté de son horreur» (p. 268) ; « hideux spectacle » du réveil (p. 282).
La mort dans • Guerre et dévastation : « image d'un champ de bataille » (p. 160) ; « débris de tous les trésors intellectuels », « si cruel pillage » (p. 162) ;
toute « tout avait été dévasté, ravagé par le feu des passions» (p. 283).
sa laideur? • Maladie et mort : « jonchés de morts et de mourants » (p. 160) ; visages cadavériques des convives au réveil, « squelette du mal » (p.
282). Allégorie de « la Mort souriant au milieu d'une famille pestiférée », « miasmes d'une orgie » (p. 283).
• Enfer : « teinte infernale » (p. 160) ; « scène infernale », « rire satanique » de Taillefer (p. 283).
Désir et passion amoureuse
Raphaël, •Coeur« gonflé de désirs» (p. 169) • ambition, quête de l'amour, de la fortune et de la gloire. Importance du rêve et des fantasmes.
être de • Foedora : « symbole de tous [ses] désirs», « thème de [sa] vie » (p. 202).
désir
Force « Énergie qui ne s'effrayait ni des sacrifices, ni des tortures» (p. 178).
Intensité « Pendant la nuit je ne dormis pas, je devins son amant, je fis tenir en peu d'heures une vie entière, une vie d'amour» (p. 203).

• « Il suffit à un jeune homme de rencontrer une femme qui ne l'aime pas, ou une femme qui l'aime trop, pour que toute sa vie soit
dérangée. » (p. 264).
Désordre
• Métaphores de l'incendie (p. 192), de l'orage : « ouragans » (p. 77), « océan qui battait tempétueusement dans mon coeur» (p. 179).
• Agressivité qui se substitue à la fraternité (p. 216).
• Inquiétudes très prosaïques : chapeau déformé par la pluie, éclaboussures, habits mouillés ou tachés, bottes crottées.. « Ma passion
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s'était augmentée de tous ces petits supplices inconnus, immenses chez un homme irritable. » (p. 221).
Souffrance • Frustration et castration dues aux obstacles à la réalisation du désir: inexpérience, autorité paternelle, résistance de Fœdora.
• Aliénation : « ma passion grandit, je ne fus plus maître de moi » (p. 212).
• Torture : « souffrances inouïes » (p. 103), « tortures que je souffrais» (p. 245).
• La mise en échec du désir, facteur d'autodestruction : « impuissante énergie qui se dévorait elle-même » ; alternative « Fœdora ou la
Destruction mort 1 » (p. 211).
et mort • Désir mortifère : « lutte affreuse » (p. 238), « passion fatale qui me tuera » (p. 245) ; « Fœdora me tue, je veux mourir. La vie m'est
insupportable.» (p. 261).

ÉCONOMISER SON ÉNERGIE : LA VOIE DE LA SAGESSE ?

L'antiquaire, un modèle problématique20


Ne pas gaspiller ses forces en excès pour ménager sa longévité, tel est le programme que s'est fixé
l'antiquaire, directement inspiré du propre père de Balzac, Bernard-François, esprit original obnubilé par la santé et«
l'équilibre des forces vitales21 ».

La doctrine de l'antiquaire (p. 109-111)


• Vouloir : désir et passions ; associé au cœur.
Les trois facultés22 • Pouvoir : mouvement, moyen de réaliser ses désirs, jouissance des sens.
• Savoir, associé au cerveau.
• « Deux causes de mort» : « Vouloir nous brûle et Pouvoir nous détruit».
Le constat
• Fragilité du cœur et des sens, infaillibilité du cerveau.
• Sacrifice du Vouloir : tout dédaigner, tout attendre, seule ambition : voir.
La solution • Sacrifice du Pouvoir . rejet de l'excès, limitation au« jeu naturel [des] organes ».
• Au profit du Savoir : contemplation, mémoire, rêverie, imagination.
• Ataraxie : « perpétuel état de calme ».
• Longévité : robuste vieillard de cent deux ans, santé physique et mentale.
Bénéfices énoncés par
l'antiquaire • Bonheur : « jouissances intellectuelles », « mille voluptés idéales dépouillées de souillures terrestres », « plaisir de tout
embrasser, de tout voir».
• Liberté : savant affranchi vis-à-vis du temps et de l'espace.
Un modèle remis en question

Le prix à payer (p. 100) • Solitude et absence de plaisir (selon le narrateur) : « ce vieux génie habitait une sphère étrangère au monde où il vivait1
I seul, sans jouissances, parce qu'il n'avait plus d'illusion, sans douleur, parce qu'il ne connaissait plus de plaisirs. »
• Corps ascétique qui dit le renoncement au plaisir « petit vieillard sec et maigre », « visage étroit et pâle », « bras
décharné ,,, « large front ridé », « joues blêmes et creuses».
Un portrait inquiétant qui
• Mort-vivant : « espèce de fantôme » semblant « être sorti d'un sarcophage voisin », robe comparée à un « vaste linceul »,
pousse à la méfiance (p.
« face froide ».
98· 100)
• Ambivalence : Dieu ou diable ? Figure du sage et du tentateur. C'est l'image seule de Méphistophélès qui ressurgit dans
« L'Agonie ».

• Aveu de son erreur : « Je suis maintenant heureux comme un jeune homme. J'avais pris l'existence au rebours. Il y a
toute une vie dans une heure d'amour. »
Le reniement (p. 309)
• Revirement sérieux ou victime du pouvoir de la Peau ? Nouveau credo peu convaincant • oxymore « poupée pleine de vie
», ridicule qui suscite la raillerie.

La tentative de Raphaël de se consacrer au Savoir

Une expérience proche de celle proposée par


l'antiquaire
• Retraite, « vie monastique » (p. 237), « pauvre et solitaire » (p. 193).
Ascèse
• Réduction de « l'existence à ses vrais besoins, au strict nécessaire » (p. 184) ; « je diogénisais » (p. 193).
• « Exercice de la pensée », « recherche des idées », « contemplations tranquilles de la science » (p. 189) ; « j'ai observé, appris, écrit, lu
Savoir sans relâche » (p. 192).
• « Vie tranquille et studieuse » (p. 200).

« L'étude est si maternellement bonne », avec les « pures et douces joies dont elle nourrit ses enfants » (p. 186) ; « tant de plaisir », « je ne
Plaisir,
sais quoi de doux, d'enivrant comme l'amour », « ineffables délices », « bonheur », « joie supérieure aux autres joies terrestres », «
bonheur
divin plaisir» (p. 189-190).
• Éveil du regard : « l'étude prête une sorte de magie à tout ce qui nous environne » (p. 190) ; « merveilleux effets produits par la diète sur
Activité l'imagination » (p. 185) ; Raphaël découvre la dimension poétique du paysage urbain avec ses « singulières beautés » (p. 186). Élévation
créatrice dans les« hauteurs célestes» (p. 187).
• Deux œuvres . une comédie et une Théorie de la volonté.
Les failles
• Travail acharné : « travaillant nuit et jour sans relâche » (p. 189).
Excès
• Conséquences sur la santé . « ravages de la science », « traces de nuits passées à la lueur de la lampe studieuse » (p. 74), risque de
destructeur
« mourir pour vivre » (p. 184).

• Motivations : quête de la gloire et de l'amour, « excessive ambition » (p. 177), « immense amour-propre » (p. 182).
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Omniprésence 1 • Fantasmes érotiques, « visions dévorantes» (p. 193).


du désir • Passion parasite : opposition du « savant et de l'amoureux » ; la pensée de Fœdora « abattait ma plume, elle effarouchait la Science et
l'Etude, qui s'enfuyaient désolées » (p. 214-215).
L'échec
• Échec de !'écrivain : comédie jugée« véritable niaiserie d'enfant», traité passé inaperçu si ce n'est d'Émile (p. 191).
• Déception : « superfluité de [ses] fervents travaux » dans une telle société (p. 186) ; l"étude et la pensée « ne m'ont même pas nourri »
Déception et
(p. 112).
condamnation
• Mensonge risible : « ma vie a été une cruelle antithèse, un perpétuel mensonge » (p. 192) ; « Aujourd'hui je ris de moi » (p. 185).
• Métaphores : « prison » (p. 187), « sépulcre aérien » (p. 189) : contrainte, mode de vie contraire à la nature de Raphaël, absence de vie.
Un regret « la mansarde où j'avais mené la chaste vie d'un savant, une vie qui peut-être aurait été honorable, longue, et que je n'aurais pas dû quitter
pourtant pour la vie passionnée qui m'entraînait dans un gouffre. » (p. 264).
1

Les autres figures de l'économie

Vivre à l'écart de la société


Vie primitive de la« jeune fille d'Otaïti » . « vie simple de la nature », satisfaction des besoins primaires, calme,
Le sauvage (p. 90)
oisiveté,
« délices de la paresse » (p. 90).
• « Laisser-aller primordial », « routine de bonheur» des Auvergnats.
La vie rustique (p. 381-387) • Santé et longévité : vieillard de cent deux ans (comme l'antiquaire), qui se contente de« dormir, boire et manger. »
• Travail et ignorance.
• Étude, science et contemplation.
La vie monacale (p. 90)
•«Grasse vie des moines exempte de chagrins, exempte de plaisirs. »
Vivre en marge au cœur de la société

M. de Valentin, une vie laborieuse


• Auvergnat qui impose « une règle monacale » et despotique à son fils. 1
• Physique d"ascète qui rappelle l"antiquaire: « grand homme sec et mince, le visage en lame de couteau, le teint pâle.»
(p. 168-176)
• Défaite du travail et du sacrifice face au chagrin et à la mort.
I
• « Nature modeste ,,, « humble misère », « vie simplifiée».
Pauline et Mme Gaudin, une vie • « Paisible intérieur», « indéfinissable harmonie ».
modeste (p. 223-224) • Courage, abnégation et générosité « bon naturel », « travaux continus et gaiement supportés », « résignation
religieuse pleine de sentiments élevés ».
Se préserver dans la société
• Femme fatale beauté coquette, attitudes voluptueuses qui attisent le désir et suscitent des passions mortelles :
« Fœdora me tue, je veux mourir. »
• « Réserve constante», « modestie extraordinaire ».
• Égoïsme, indifférence,« froide insouciance» et« innocente cruauté».
• Mort du naturel, de l'humain en elle, avec refus du sentiment : « anomalie psychologique », « phénomène » « si
Fœdora, ou la mort (p. 202-262) contraire aux lois de la nature ».
• Femme artificielle. Motifs du masque et de la statue de marbre ou de bronze.
• Constamment associée au froid, à la glace et à la sécheresse.
• Matérialisme qui met l'argent et le bien-être avant l'humain : « avec de l"or nous pouvons toujours créer autour de
nous les sentiments qui sont nécessaires à notre bien-être. »
• Vanité de cette vie. Aveu : « l'existence est bien vide » ; Raphaël lui prédit une « vieillesse déserte, vide et triste. »

Parmi ces exemples, deux sont clairement des contre-modèles : le père de Raphaël pour la frustration qu'il a
occasionnée et pour son échec dramatique, Fœdora pour son inhumanité. Quant aux autres, ils impliquent d'importants
renoncements, notamment le sacrifice des ambitions de gloire, de richesse et de conquête amoureuse si chères à
Raphaël.

Vivre ou survivre à tout prix : préserver son énergie pour sauver sa peau
La brutale prise de conscience de la fugacité, de la précarité de sa vie au lendemain de l'orgie produit chez
Raphaël un renversement total. Dans un repli égoïste sur lui-même, le jeune malade enchaîne dans la troisième
partie plusieurs tentatives extrêmes pour retarder l'échéance de sa mort. Sa stratégie : l'isolement, pour se couper
des influences pathogènes de la société moderne, et la régression, au prix d'une déshumanisation. À l'inverse du
héros tragique, il ne sort pas grandi de sa vaine lutte contre le destin.

Des modèles d'existence instinctive pour n'avoir rien à désirer : le rejet de


l'humain
Le nourrisson « Jonathas, tu auras soin de moi comme d'un enfant au maillot» (p. 296).
I
• « Il veut vivre comme une vergétation, en vergétant » (p. 296).
• Raphaël se veut« tulipe » : « Voilà ma vie. Je vergète. » (p. 297), mais ne ressemble qu'à une « fleur étiolée » (p. 298).
Le végétal
• Recherche au Mont-Dore d'une« vie végétative»,« tranquille, spontanée, frugiforme comme celle d"une plante» (p. 380-
381). Il reste « des journées entières comme une plante au soleil » (p. 388).
La machine « Sorte d'automate » (p. 299), menant« la vie d'une machine à vapeur» (p. 300), s'adonnant à des « rêveries machinales» (p. 363).
Le minéral
I « Semblable à ces rochers insensibles » (p. 365).
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• « Devenir une des huîtres de ce rocher, sauver son écaille pour quelques jours de plus » (p. 387), passer sa journée « comme un lièvre au
gîte » (p. 388).
L'animal
• Effets de l'opium : « cet homme d'imagination si puissamment active s'abaissa jusqu'à la hauteur de ces animaux paresseux qui croupissent
au sein des forêts, sous la forme d'une dépouille végétale» (p. 397).

Une vie dégradée


• Abdication de sa volonté, de son génie, de son indépendance : « Il soumettait sa volonté, son intelligence, au grossier bon sens d'un vieux
Renoncement paysan à peine civilisé » (p. 299). « Il abdiquait la vie pour vivre, et dépouillait son âme de toutes les poésies du désir» (p. 299).
et • Impuissance paradoxale : « Prométhée enchaîné », « Napoléon déchu » (p. 299), « Raphaël avait pu tout faire, il n'avait rien fait. » (p.
impuissance 380).
•Castration:« chaste à la manière d'Origène, en châtrant son imagination» (p. 299).
• Regret : « Oh ! ma vie ! ma belle vie ! dit-il. Plus de bienfaisantes pensées ! plus d'amour ! plus rien ! » (p. 303).
• Égoïste : aucune empathie pour son professeur, abandon de Pauline, aucun souci des autres au point de se montrer indélicat et de manquer
de savoir-vivre à Aix.
Exacerbation
• Irascible : insulte Porriquet et Jonathas, condamne la joyeuse fête de village.
de défauts
• Avare de sa vie.
• Misanthrope : haine et dégoût de la société.
• Progrès de la maladie malgré les cures
Déchéance • Vieillesse prématurée : Raphaël avec « son masque de vieillard » entre en comparaison avec l'antiquaire (p. 306), puis est associé à
physique Jonathas : « deux vieillards également détruits » (p. 377).
• Mort-vivant : « jeune cadavre » (p. 300).

DÉPENSER, GASPILLER, CANALISER SON ÉNERGIE: QUELLES LEÇONS PEUT-ON TIRER DE LA


PEAU DE CHAGRIN?

Que faire de son capital d'énergie ? Une quête aporétique


La Peau de chagrin pose la question du « Comment vivre ? ». Une vie faite d'excès et de jouissances sera brève car
grande consommatrice d'énergie, tandis qu'une vie calme et sans passions assure la longévité, au risque de s'avérer
monotone et insipide. Vaut-il donc mieux vivre plus longtemps ou plus intensément ?
L'antiquaire adopte au début du roman la posture du vieux sage afin d'apporter sa réponse à cette problématique,
mais le lecteur est invité, par un « incessant balancement du pour et du contre23 », à s'interroger aussi bien sur
la valeur de cette position que sur celle des points de vue opposés. Aucun mode de vie n'apparaît alors pleinement
satisfaisant, entre « tuer les sentiments pour vivre vieux, ou mourir jeune en acceptant le martyre des passions »
(p. 162).
Le roman reste ambigu, marqué par une esthétique de l'oxymore et de l'antithèse24. Raphaël incarne dès sa
première apparition cette ambivalence : « les ténèbres et la lumière, le néant et l'existence s'y combattaient en
produisant tout à la fois de la grâce et de l'horreur» (p. 74) ; autre exemple, Émile oppose la« sagesse insensée » à la«
folle sagesse » (p. 162).
Balzac ne tranche pas et semble nous laisser dans une impasse. Faut-il alors sombrer dans le relativisme et le
scepticisme, et déclarer avec Raphaël : « Que nous vivions avec les sages ou que nous périssions avec les fous,
le résultat n'est-il pas tôt ou tard le même ? » (p. 163).
Les premières éditions du roman se clôturaient sur une « Moralité » citant Rabelais : « "/es Thélémites estre graznds
mesnagiers de leur peau et sobres de chagrins. " Admirable maxime ! - Insouciante ! - Égoïste ! - Morale éternelle !
». Balzac semblait ainsi conclure sur la supériorité de la modération, mais fallait-il le prendre au sérieux ? N'était-ce
qu'une plaisanterie, autour du titre de son roman ? Pourquoi la supprimer en 1833 ?
L'absence d'un apprentissage clair invite le lecteur à poursuivre l'enquête, en partant à la découverte d'autres
modèles proposés par La Comédie humaine.

La société, coupable d'un gaspillage énergétique dévastateur


La Peau de chagrin est porteuse d'une sévère critique contre la société de la monarchie de Juillet, règne de la
médiocrité, de l'individualisme, et de l'égoïsme, la « lèpre actuelle » (p. 139) qui conformément à la prédiction
d'Émile gagnera Raphaël devenu riche25. Les effets d'une telle société sur l'individu sont dévastateurs : les«
irritations mondaines [... ] rapetissent la plus belle âme et la réduisent à l'état de guenille » (p. 180).
Classe de 1ère, 11 SIII Mme Lamblin, SJP23

Paris, véritable chaudron en ébullition, « succursale de l'Enfer » (Me/math réconcilié), est le lieu du déchaînement de
toutes les passions d'une société surexcitée, asservie par le désir de paraître, de faire fortune, d'arriver, de consommer.
Raphaël, symbole de la jeune génération dans cette monarchie gouvernée par des gérontocrates bourgeois, est un «
véritable zéro social, inutile à l'État, qui n'en [a] aucun souci » (p. 80). La société, où l'argent a remplacé les valeurs
morales et spirituelles, valorise les cyniques, les « intrigants riches de mots et dépourvus d'idées » (p. 186), voire
les criminels (le banquier Taillefer), bien plus que le talent et l'énergie des génies, là où un autre Raphaël, l'artiste
italien, bénéficiait du soutien d'un mécène pour créer. Raphaël, pauvre, se heurte à la solitude et à l'indifférence du
monde, illustrées par les motifs du désert et de la froideur (p. 77, p. 367) réunis en Fœdora. Il se retrouve exposé à des
séductions révoltantes, sources de frustrations et de douleurs, car il est impuissant à canaliser les désirs immenses
suscités en lui. Vaincu par le désenchantement et le désespoir, son énergie reste inféconde et il finit par renoncer
à sa carrière de penseur et de poète, poussé à l'autodestruction par la débauche ou au suicide.

La religion, solution pour résoudre cette vaine débauche d'énergie ?


Dans le magasin d'antiquités, il existe un pendant à la Peau de chagrin : le portrait du Christ par le peintre
Raphaël (p. 101-102). Ce tableau témoigne des bienfaits de la religion, dont les vertus de douceur, de pardon, de
simplicité et de charité s'opposent directement aux maux d'une société égoïste. Cette « parole de vie » se dresse
face au chemin de mort dans lequel est engagé Raphaël, faute de n'avoir su rester dans sa chambre26 ! Pour Balzac,
la religion est la seule à pouvoir canaliser l'énergie, réguler la pensée et éviter le débordement des passions : «
Le christianisme, et surtout le catholicisme, étant un système complet de répression des tendances dépravées de
l'homme, est le plus grand élément de l'ordre social27. » Mais dans une société où la croyance s'est effondrée,
supplantée par le journalisme, religion moderne (p. 122), la religion est reléguée au rang des « souvenirs », et le
portrait n'échappe pas au mercantilisme froid de l'antiquaire, qui ne voit que sa valeur marchande.
Le christianisme serait-il le moyen de redonner du sens à une vie qui paraît bien vaine ? Comme le visiteur du
magasin de curiosités, qui après avoir traversé « trois salles gorgées de civilisation, de cultes, de divinités, de chefs-
d'œuvre, de royautés, de débauches, de raison et de folie » entassés sous la poussière de la boutique (p. 86), le lecteur
peut se demander, devant « tant d'univers en ruines, à quoi bon nos gloires, nos haines, nos amours » (p. 96). À
quoi bon ce gaspillage d'énergie ? Faut-il voir dans La Peau de chagrin, qui dénonce la vanité de la société, une
étape pédagogique dans un cheminement qui devrait conduire à une conversion ?

Le don de soi, une belle dépense d'énergie ?


Le personnage de Pauline offre une sorte de synthèse entre la modeste économie et l'intensité de la passion.
Habituée à une vie sobre par la misère, elle reste étrangère au tourbillon de la société une fois devenue riche.
Souvent présentée comme une « enfant », elle se range du côté du naturel, de la simplicité et de la pureté. Elle ne
nie pas le désir, s'ouvrant ainsi pleinement à la vie et au « bonheur d'aimer », auquel elle parvient - certes
provisoirement - à associer Raphaël (p. 322). Le « cœur à cœur » de ce « joli ménage de contrebande », vivant
comme dans une bulle, leur permet d'atteindre un bonheur idéal, la« volupté [... ] des anges».
Pauline valorise la dépense de soi dans un amour vrai et altruiste, qui accepte les sacrifices. En choisissant la vie,
humainement riche et intense, plutôt que la survie, elle accepte aussi la mort : « La mort ne m'effraie pas [...].
Qu'importe le nombre de jours, si, dans une nuit, dans une heure, nous avons épuisé toute une vie de paix et d'amour?»
(p. 349) ; « Je ne désire pas vivre vieille [... ]. Mourons jeunes tous deux, et allons dans le ciel les mains pleines de
fleurs » (p. 352).
Cependant une fois encore Balzac laisse planer l'ambiguïté. Pauline s'effraie lorsqu'elle perçoit en Raphaël « le
hideux squelette de la MORT » (p. 353) ; cette réalité concrète de la mort à l'œuvre chez le malade la bouleverse, au
point de recommander aussitôt à Raphaël de cesser leurs « folies ». D'ange protecteur elle est devenue le «
bourreau » (p. 326), et tue Raphaël bien malgré elle 28. Dans l'épilogue enfin, elle devient un être idéal, esprit de
feu, créature fluide insaisissable, « phénomène fugitif » qui s'évanouit, alors que sa rivale Fœdora, au contraire,
est« partout» (p. 403-405).
Le sens ultime de l'œuvre reste comme Pauline insaisissable : La Peau de chagrin, peinture des ravages de la
pensée chez l'individu ? Ou, au contraire, glorification du désir, qui fait de l'homme un être pleinement humain
Classe de 1ère, 11 SIII Mme Lamblin, SJP23

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