Éléments de Dissertation
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" Peut-on vivre longtemps en dévorant ainsi sa vie à toute heure ? "
Balzac, Louis Lambert, 1832
L'édition de référence pour la pagination : Balzac, La Peau de chagrin, GF Flammarion (2013).
L'auteur convoque également le registre fantastique, à travers l'objet magique qu'est la Peau - talisman exauçant
les désirs, tantôt souple tantôt rigide, indestructible mais qui se rétracte inexorablement - ou encore dans la
description du magasin d'antiquités. Mais cette Peau extraordinaire contribue paradoxalement au réalisme de la peinture
de l'homme ordinaire en mettant en lumière l'action destructrice du désir : elle agit comme un miroir plus qu'elle ne
détermine le destin de Raphaël ; on pourrait d'ailleurs considérer que ses désirs ne se réalisent que par le fait de
simples coïncidences. Balzac joue avec les codes du genre, s'intéresse peu aux thèmes de la peur, du mystère ou du doute
qui caractérisent le fantastique, mais les fait ressurgir dans la banalité de la vie quotidienne 15. Le fantastique permet ainsi
de tirer le lecteur hors du confort que procure la reconnaissance d'un monde familier et normal : en le déstabilisant,
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il le pousse à engager une réflexion sur les ambiguïtés et le sens profond de la société, de l'humanité. C'est la société
parisienne elle-même qui se révèle alors monstrueuse et fantastique : une maison de jeu devient la sanglante place de
Grève, une orgie se transforme en champ de bataille.
L'invraisemblable, l'imagination, tout en participant du plaisir de la lecture, sont donc légitimés au nom de la
vérité : ils permettent à la raison d'accéder à l'invisible, à ce qui la dépasse. C'est ce qui permet à Philarète Chasles
d'écrire : « ce livre a tout l'intérêt d'un conte arabe, où la féerie et le scepticisme se donnent la main, où des
observations réelles et pleines de finesse sont enfermées dans un cercle de magie16 » (p. 427).
Selon Balzac, l'humanité est faite de pensées, de passions et de désirs18, qui témoignent de la quête d'absolu des
hommes. Ces manifestations de l'énergie vitale peuvent conférer à l'homme une puissance inégalée qui lui permet de
dépasser ses limites, d'accomplir l'impossible ; c'est ce que Raphaël explique à Fœdora quand il compare la
volonté à la vapeur (p. 207). Mais la pensée est aussi une puissance désorganisatrice et ravageuse : une idée peut
traverser une « âme comme l'acier d'un poignard perce une poitrine » (p. 321) ; le père de Raphaël, par exemple, meurt
d'une idée : celle d'avoir ruiné son fils adoré (p. 176). Les génies balzaciens, ces personnages débordant
d'énergie, sont généralement voués à l'échec, à la folie et à la mort. Raphaël ne fait pas exception : incapable de
canaliser son énergie et d'utiliser avec sagesse sa Peau, Raphaël passe d'un excès de dépense à un excès d'économie ;
il succombe dans un ultime élan de désir, foudroyé comme sous l'action de « terribles poisons » (p. 94). Balzac lui-
même, véritable forçat littéraire, se condamne à une mort prématurée par son mode de vie excessif19.
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• « Il suffit à un jeune homme de rencontrer une femme qui ne l'aime pas, ou une femme qui l'aime trop, pour que toute sa vie soit
dérangée. » (p. 264).
Désordre
• Métaphores de l'incendie (p. 192), de l'orage : « ouragans » (p. 77), « océan qui battait tempétueusement dans mon coeur» (p. 179).
• Agressivité qui se substitue à la fraternité (p. 216).
• Inquiétudes très prosaïques : chapeau déformé par la pluie, éclaboussures, habits mouillés ou tachés, bottes crottées.. « Ma passion
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s'était augmentée de tous ces petits supplices inconnus, immenses chez un homme irritable. » (p. 221).
Souffrance • Frustration et castration dues aux obstacles à la réalisation du désir: inexpérience, autorité paternelle, résistance de Fœdora.
• Aliénation : « ma passion grandit, je ne fus plus maître de moi » (p. 212).
• Torture : « souffrances inouïes » (p. 103), « tortures que je souffrais» (p. 245).
• La mise en échec du désir, facteur d'autodestruction : « impuissante énergie qui se dévorait elle-même » ; alternative « Fœdora ou la
Destruction mort 1 » (p. 211).
et mort • Désir mortifère : « lutte affreuse » (p. 238), « passion fatale qui me tuera » (p. 245) ; « Fœdora me tue, je veux mourir. La vie m'est
insupportable.» (p. 261).
Le prix à payer (p. 100) • Solitude et absence de plaisir (selon le narrateur) : « ce vieux génie habitait une sphère étrangère au monde où il vivait1
I seul, sans jouissances, parce qu'il n'avait plus d'illusion, sans douleur, parce qu'il ne connaissait plus de plaisirs. »
• Corps ascétique qui dit le renoncement au plaisir « petit vieillard sec et maigre », « visage étroit et pâle », « bras
décharné ,,, « large front ridé », « joues blêmes et creuses».
Un portrait inquiétant qui
• Mort-vivant : « espèce de fantôme » semblant « être sorti d'un sarcophage voisin », robe comparée à un « vaste linceul »,
pousse à la méfiance (p.
« face froide ».
98· 100)
• Ambivalence : Dieu ou diable ? Figure du sage et du tentateur. C'est l'image seule de Méphistophélès qui ressurgit dans
« L'Agonie ».
• Aveu de son erreur : « Je suis maintenant heureux comme un jeune homme. J'avais pris l'existence au rebours. Il y a
toute une vie dans une heure d'amour. »
Le reniement (p. 309)
• Revirement sérieux ou victime du pouvoir de la Peau ? Nouveau credo peu convaincant • oxymore « poupée pleine de vie
», ridicule qui suscite la raillerie.
« L'étude est si maternellement bonne », avec les « pures et douces joies dont elle nourrit ses enfants » (p. 186) ; « tant de plaisir », « je ne
Plaisir,
sais quoi de doux, d'enivrant comme l'amour », « ineffables délices », « bonheur », « joie supérieure aux autres joies terrestres », «
bonheur
divin plaisir» (p. 189-190).
• Éveil du regard : « l'étude prête une sorte de magie à tout ce qui nous environne » (p. 190) ; « merveilleux effets produits par la diète sur
Activité l'imagination » (p. 185) ; Raphaël découvre la dimension poétique du paysage urbain avec ses « singulières beautés » (p. 186). Élévation
créatrice dans les« hauteurs célestes» (p. 187).
• Deux œuvres . une comédie et une Théorie de la volonté.
Les failles
• Travail acharné : « travaillant nuit et jour sans relâche » (p. 189).
Excès
• Conséquences sur la santé . « ravages de la science », « traces de nuits passées à la lueur de la lampe studieuse » (p. 74), risque de
destructeur
« mourir pour vivre » (p. 184).
• Motivations : quête de la gloire et de l'amour, « excessive ambition » (p. 177), « immense amour-propre » (p. 182).
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Parmi ces exemples, deux sont clairement des contre-modèles : le père de Raphaël pour la frustration qu'il a
occasionnée et pour son échec dramatique, Fœdora pour son inhumanité. Quant aux autres, ils impliquent d'importants
renoncements, notamment le sacrifice des ambitions de gloire, de richesse et de conquête amoureuse si chères à
Raphaël.
Vivre ou survivre à tout prix : préserver son énergie pour sauver sa peau
La brutale prise de conscience de la fugacité, de la précarité de sa vie au lendemain de l'orgie produit chez
Raphaël un renversement total. Dans un repli égoïste sur lui-même, le jeune malade enchaîne dans la troisième
partie plusieurs tentatives extrêmes pour retarder l'échéance de sa mort. Sa stratégie : l'isolement, pour se couper
des influences pathogènes de la société moderne, et la régression, au prix d'une déshumanisation. À l'inverse du
héros tragique, il ne sort pas grandi de sa vaine lutte contre le destin.
• « Devenir une des huîtres de ce rocher, sauver son écaille pour quelques jours de plus » (p. 387), passer sa journée « comme un lièvre au
gîte » (p. 388).
L'animal
• Effets de l'opium : « cet homme d'imagination si puissamment active s'abaissa jusqu'à la hauteur de ces animaux paresseux qui croupissent
au sein des forêts, sous la forme d'une dépouille végétale» (p. 397).
Paris, véritable chaudron en ébullition, « succursale de l'Enfer » (Me/math réconcilié), est le lieu du déchaînement de
toutes les passions d'une société surexcitée, asservie par le désir de paraître, de faire fortune, d'arriver, de consommer.
Raphaël, symbole de la jeune génération dans cette monarchie gouvernée par des gérontocrates bourgeois, est un «
véritable zéro social, inutile à l'État, qui n'en [a] aucun souci » (p. 80). La société, où l'argent a remplacé les valeurs
morales et spirituelles, valorise les cyniques, les « intrigants riches de mots et dépourvus d'idées » (p. 186), voire
les criminels (le banquier Taillefer), bien plus que le talent et l'énergie des génies, là où un autre Raphaël, l'artiste
italien, bénéficiait du soutien d'un mécène pour créer. Raphaël, pauvre, se heurte à la solitude et à l'indifférence du
monde, illustrées par les motifs du désert et de la froideur (p. 77, p. 367) réunis en Fœdora. Il se retrouve exposé à des
séductions révoltantes, sources de frustrations et de douleurs, car il est impuissant à canaliser les désirs immenses
suscités en lui. Vaincu par le désenchantement et le désespoir, son énergie reste inféconde et il finit par renoncer
à sa carrière de penseur et de poète, poussé à l'autodestruction par la débauche ou au suicide.