Abecedaire Du Cerveau
Abecedaire Du Cerveau
Abecedaire Du Cerveau
Ce chapitre offre un « abécédaire du cerveau ». Les contenus du présent rapport, détaillés dans les chapitres
suivants, sont ici résumés et présentés en ordre alphabétique sous formes de mots et concepts clés. On part donc de
Apprentissage et Bases neurales…, pour terminer avec Variabilité, W comme « travail » et XYZ. Le lecteur peut choisir
les entrées qui l’intéressent particulièrement, et se référer directement aux points correspondants de la publication,
dans les chapitres qui offrent un spectre à la fois plus large et plus précis des thèmes ici abordés. Ce chapitre est
pertinent pour toutes celles et tous ceux qui sont attirés par le carrefour entre « sciences de l’aprentissage et
recherche sur le cerveau » – qu’ils soient apprenants, parents, enseignants, chercheurs ou décideurs poltiques.
Apprentissage
Un être vivant est constitué d’un grand nombre de niveaux d’organisation. En conséquence, un même
processus peut se définir différemment en fonction du niveau auquel on se place. C’est le cas du processus
d’apprentissage, dont la définition varie selon la perspective de celui qui le décrit.
Du cellulaire au comportemental, la divergence des définitions rend compte du contraste entre les
neurosciences et les sciences de l’éducation. Pour les neuroscientifiques, l’apprentissage est un processus
cérébral en réaction à un stimulus, alliant perception, traitement et intégration de l’information. Pour les
éducateurs, il s’agit d’un processus actif conduisant à l’acquisition de connaissances et entraînant un
changement de comportement persistant, mesurable et spécifique.
Il apparaît utile, et même nécessaire, aujourd’hui, que les éducateurs (et, de manière générale, tout
individu impliqué dans l’éducation) acquièrent des connaissances quant aux bases scientifiques du
phénomène d’apprentissage.
Cerveau
Bien que jouant un rôle fondamental, le cerveau demeure partie d’un tout. L’individu n’est pas
réductible à cet organe car le cerveau est en constante interaction avec le reste du corps.
Le cerveau est l’organe siège des facultés mentales. Il assure, à la fois, les fonctions vitales en
contrôlant le rythme cardiaque, la température corporelle, la respiration, etc., et les fonctions dites «
supérieures » telles que le langage, le raisonnement ou encore la conscience.
1
Cet organe comprend deux hémisphères (gauche et droit) dont la surface se divise pour chacun en
lobes (occipital, pariétal, temporal et frontal) – voir une description plus complète dans le chapitre 2.
Les principaux composants du tissu cérébral sont les cellules gliales et nerveuses (neurones). Le
neurone est considéré comme l’unité fonctionnelle de base du cerveau, qualité conférée par son importante
interconnectivité et sa spécialisation en matière de communication. Les neurones sont organisés en réseaux
fonctionnels localisés dans différentes aires du cerveau.
Développement
Même s’il existe un large spectre de différences individuelles dans le développement cérébral, le
cerveau possède des caractéristiques en lien avec l’âge qui peuvent avoir d’importantes conséquences pour
l’apprentissage. Les scientifiques commencent à cartographier ces changements liés à la maturation, et à
comprendre comment la biologie et l’expérience interagissent pour guider le développement.
Comprendre le développement cérébral d’un point de vue scientifique pourrait avoir d’importantes
conséquences sur les pratiques éducatives. Au fur et à mesure que la science découvre les changements
cérébraux liés à l’âge, les éducateurs seront en mesure d’utiliser l’information disponible pour faire
significativement évoluer la didactique, de façon à la rendre plus efficace en s’assurant qu’elle entre
davantage en résonance avec l’âge des apprenants.
Émotions
Les aspects émotionnels ont longtemps été négligés au sein de l’éducation institutionnelle. Les récents
apports neuroscientifiques contribuent à remédier à cette carence, en démontrant la place de la dimension
émotionnelle dans les apprentissages (voir chapitre 3).
Les émotions, à dissocier des affects qui ne sont que leur interprétation consciente, relèvent de
phénomènes cérébraux et sont nécessaires à l’adaptation et à la régulation du comportement humain.
Ce sont des réactions complexes que l’on décrit généralement suivant trois composantes : un état
mental particulier, un changement physiologique et une impulsion à agir. Ainsi, face à une situation perçue
comme dangereuse, les réactions engendrées par cette situation seront simultanément : une activation
cérébrale spécifique du circuit dévolu à la peur, l’expression corporelle de la peur traduite par
l’accélération du pouls, la pâleur et la sudation, et une réaction de défense ou de fuite (« fight or flight »).
Chaque émotion correspond à une unité fonctionnelle distincte et possède son propre circuit cérébral,
impliquant des structures appartenant à ce qu’on appelle le système limbique (également appelé « siège des
émotions »), mais aussi des structures corticales, plus particulièrement le cortex préfrontal qui joue un rôle
capital dans la régulation des émotions. La maturation du cortex préfrontal intervient d’ailleurs de façon
particulièrement tardive dans le développement humain, puisque celle-ci ne prend fin qu’au cours de la
troisième décennie de la vie. L’adolescence cérébrale dure ainsi plus longtemps qu’on ne l’avait cru
jusqu’à une époque très récente. Ce phénomène contribue donc à expliquer certains comportements : le
cortex préfrontal ne peut compenser que tardivement, dans la vie d’un individu, les errements potentiels du
système limbique et ainsi remplir pleinement son rôle de régulateur des émotions.
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Un échange permanent rend indissociables les aspects physiologique, émotionnel et cognitif d’un
comportement. La force de ces liens explique l’incidence majeure qu’ont les émotions sur les
apprentissages. Une émotion perçue comme positive, associée à un apprentissage, facilitera la réussite,
tandis qu’une émotion perçue comme négative pourra induire l’échec.
Fonctions cognitives
Étudiées à différents niveaux, les fonctions cognitives bénéficient de la richesse d’un éclairage
pluridisciplinaire. Ainsi, les neurosciences, la neuroscience cognitive et la psychologie cognitive
cherchent-elles, de façon complémentaire, à comprendre ces processus.
La cognition se définit comme l’ensemble des processus qui permettent le traitement de l’information
et la constitution des connaissances. Ces processus sont appelés « fonctions cognitives ». Parmi elles, les
fonctions cognitives supérieures correspondent aux processus les plus élaborés assurés par le cerveau
humain. Elles ont émergé lors de la phase la plus récente de l’évolution du cerveau et ont leur siège
principal dans le cortex, structure particulièrement développée chez l’être humain (voir chapitre 2).
Parmi ces fonctions, on peut citer certains aspects de la perception, la mémoire, l’apprentissage mais
aussi le langage, le raisonnement, la planification et la prise de décision.
Génétique
On croit encore bien souvent à un lien causal simple entre génétique et comportement. Imaginer une
relation linéaire entre facteurs génétiques et comportements peut conduire à la dérive du déterminisme à
outrance. Un gène n’est pas un activateur de comportement : il ne s’agit que d’une séquence d’ADN
contenant les informations nécessaires à la production d’une protéine. L’expression du gène est variable et
dépend de nombreux facteurs, notamment environnementaux. La protéine, une fois synthétisée au sein
d’une cellule, y occupe une place précise et joue un rôle dans son fonctionnement. On peut alors dire que
les gènes affectent le fonctionnement, et par conséquent, modulent le comportement. Mais cette relation
non linéaire est complexe et les différents niveaux d’organisation s’influencent mutuellement.
Au fur et à mesure des avancées de la recherche, la frontière entre inné et acquis s’estompe, et ce
mythe en déconstruction laisse place à la relation indissociable qu’entretiennent facteurs génétiques et
environnementaux dans le développement cérébral.
Prédire des comportements sur une base génétique serait incomplet. Ainsi, toute approche s’appuyant
exclusivement sur la génétique se révèle-t-elle non seulement scientifiquement infondée, mais de plus
éthiquement contestable… et politiquement dangereuse.
Habiletés (« Skills »)
Le terme « skills » est très fréquemment employé en anglais lorsqu’on évoque les comportements et
les apprentissages.1 Un comportement se décompose en termes d’habiletés qui peuvent alors être définies
comme les « unités naturelles » du comportement.
1
. Pourtant, il ne possède aucune traduction littérale en français. On lui substitue, suivant le cas, «
compétence », « aptitude », « capacité » ou « habileté ». Le terme d’habileté dans le sens de la capacité
d’un individu à atteindre un but donné semble le plus à même de représenter la notion véhiculée par « skill
» (à ne pas confondre avec le sens commun de « qualité de celui qui est habile »). L’habileté se définit
donc comme une capacité à faire quelque chose de spécifique.
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Le langage peut, par exemple, se diviser en quatre « méta-habiletés » suivant la direction et le mode
de communication : compréhension orale, production orale, lecture et écriture. Mais chacune de ces «
méta-habiletés » se décompose à son tour en habiletés distinctes. La compréhension orale, par exemple,
comprend une dizaine d’habiletés parmi lesquelles la mémorisation à court terme des séquences sonores, la
discrimination des sonorités distinctives de la langue, la distinction des mots, ou encore l’identification des
classes grammaticales.
Chaque habileté correspond à une classe d’activités spécifique. Cela soulève les questions de
l’évaluation des acquis et de la distinction qui pourrait être faite entre habileté et connaissance.
Qu’attend-on des enfants? Des connaissances ou la maîtrise d’habiletés? Que veut-on « mesurer » lors
d’évaluations?
Intelligence
La notion d’intelligence est depuis toujours sujette à controverse. Un seul concept permet-il
d’englober toutes les facultés intellectuelles d’un individu? Ces facultés sont¬elles dissociables et
mesurables? Surtout, qu’indiquent-elles et que prédisent-elles du fonctionnement cérébral d’un individu et
de son comportement social?
Lorsqu’on parle d’intelligence, on évoque une aptitude. Aptitude verbale, aptitude spatiale, aptitude à
résoudre des problèmes ou même l’aptitude (très élaborée) à affronter la complexité. Mais tous ces aspects
négligent la notion de potentiel. Pourtant, l’éclairage neurobiologique sur les apprentissages et les
fonctions cognitives indique clairement que ces processus sont soumis à une évolution constante et sont
dépendants de multiples facteurs, notamment environnementaux et émotionnels. Ainsi, un environnement
stimulant devrait offrir à chacun la possibilité de développer des habiletés et donc d’évoluer.
Reposant sur des postulats a priori, les tests d’intelligence apparaissent comme trop restrictifs et
donc problématiques. Que dire alors de pratiques ou même de choix d’orientations fondés sur de fumeux «
calculs d’intelligence » ou sur des appartenances à de contestables « niveaux d’intelligence » ?
Longtemps oubliée par les éducateurs, cette citation retrouve sa place au cours du XXe siècle avec
l’avènement du constructivisme. Opposé aux théories centrées sur l’enseignant expert qui transmet un
savoir, ce courant défend une nouvelle conception de l’apprentissage : la construction des connaissances.
L’apprentissage est centré sur l’apprenant et repose sur l’évolution de connaissances antérieures, en
fonction de l’expérience, des envies et des besoins de chacun.
Ces bouleversements théoriques donnent ainsi naissance aux pratiques dites actives ou expérientielles
de l’apprentissage par l’action. On recherche une implication active de la part de l’apprenant qui interagit
avec son environnement matériel et humain, en se fondant sur l’idée que l’action entraîne un niveau
d’intégration de l’information plus profond que la perception. En effet, dans l’action, il y a nécessairement
opérationnalisation, c’est-à-dire mise en application de concepts. L’apprenant doit non seulement acquérir
des savoirs et des savoir-faire mais aussi pouvoir les opérationnaliser dans le cadre de situations concrètes.
L’apprenant se retrouve donc actif et son apprentissage en est d’autant plus performant.
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consolidées par l’expérience. Ces éléments scientifiques permettent d’étoffer les connaissances empiriques
ou intuitives accumulées, et d’expliquer les réussites ou les échecs de certaines pratiques.
Kafka
Franz Kafka, dans « Le Château », en décrivant les vains efforts du protagoniste pour atteindre ses
objectifs (« Il existe bien un but, mais pas de chemin vers ce but »: « Es gibt zwar ein Ziel, aber keinen
Weg zum Ziel ») nous dit tout le désespoir que peut ressentir l’individu face à une machine bureaucratique
sourde et aveugle. Dino Buzzati, dans « Le K», en mettant en scène la tragédie d’un malentendu, nous dit à
quel point il peut être triste, mais aussi dangereux, de comprendre certaines réalités trop tard…
Les résistances à la prise en compte des découvertes neuroscientifiques dans la réflexion sur les
politiques et les pratiques éducatives ne manquent pas, et sont de nature à décourager les meilleures
volontés. Qu’il s’agisse de simples incompréhensions, d’inerties mentales diverses et variées, du refus
catégorique de remettre en cause certaines « vérités », de réflexes corporatistes de défense des positions
acquises, ou de lourdeur bureaucratique, les obstacles qui se dressent devant tout effort transdisciplinaire
visant à l’émergence d’un nouveau champ, ou visant plus modestement à jeter une lumière nouvelle sur les
questions éducatives, ne manquent pas. En d’autres termes, de délicats problèmes de « gestion des
connaissances » se posent ici. Si un scepticisme constructif de bon aloi ne peut certes jamais nuire, tout
projet innovateur se trouve à un moment dans la position de « K» cherchant à atteindre le Château. De
telles difficultés ne doivent cependant pas faire baisser les bras. Et comme le disait Lao-Tseu : « le chemin,
c’est le but »…
Par ailleurs, les neurosciences fournissent, à leur corps défendant, la matière nécessaire au
développement de nombreux « neuromythes » fondés sur les malentendus, les mauvaises interprétations,
voire les distorsions des résultats de la recherche. Ces neuromythes, savamment entretenus dans l’esprit du
public par les médias, méritent d’être démasqués, explicités au citoyen et dissipés. De surcroît, les
neurosciences sont porteuses de nombreuses questions éthiques qui, dans des sociétés démocratiques, ne
peuvent être traitées que par le débat politique.
On peut se demander s’il serait acceptable dans toute réflexion éducative (au plus tard à moyen terme)
de ne pas tenir compte de ce que l’on sait aujourd’hui du fonctionnement cérébral. Est-il éthiquement
acceptable d’ignorer un champ de recherche pertinent et original capable d’éclairer d’une nouvelle lumière
les débats éducatifs?
Langage
Le langage est une fonction cognitive spécifiquement humaine et dédiée entre autres à la
communication. Il permet la mise en œuvre d’un système de symboles. Un nombre fini de symboles
arbitraires, dotés d’une sémantique, peut se combiner suivant des règles syntaxiques, et générer ainsi une
infinité d’énoncés. Un tel système sera alors considéré comme une langue. Les différentes langues
emploient des phonèmes, des graphèmes, des gestes et d’autres symboles pour représenter des objets, des
concepts, des émotions, des idées et des pensées.
Le langage est une des premières fonctions dont les bases cérébrales ont été mises en évidence. Ainsi
au XIXe siècle, deux chercheurs (Broca et Wernicke) ont démontré l’implication de certaines zones
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cérébrales dans les processus langagiers en étudiant des patients aphasiques. Depuis, de nombreuses études
confirment que les aires de Broca et de Wernicke appartiennent bien au circuit cérébral dévolu au langage
(voir chapitre 4).
Mémoire
Lors d’un apprentissage, une trace est laissée par le traitement et l’intégration des informations
perçues. Cette trace active la mémoire. Elle correspond au processus cognitif permettant de se souvenir
d’expériences passées, ce qui comprend aussi bien la phase d’acquisition (phase de constitution de la trace)
que la phase de remémoration de l’information (réactivation de cette trace). Plus une trace est réactivée,
plus elle sera « marquée ». Elle sera alors moins vulnérable et moins sujette à l’oubli.
La mémoire est construite par les apprentissages, et ceux-ci persistent grâce à elle. Ces deux processus
entretiennent un lien si profond que la mémoire est soumise aux mêmes facteurs d’influence que les
apprentissages. Ainsi la mémorisation d’un événement ou d’une information est-elle susceptible d’être
améliorée par un état émotionnel fort, un contexte remarquable, la motivation et l’attention portée par
l’individu à ce qui doit être mémorisé.
Apprendre une leçon revient souvent à savoir la réciter. Les apprentissages et leur évaluation
reposent généralement sur la restitution, et donc sur la mémorisation d’informations, au détriment de la
maîtrise d’habiletés ou même de la compréhension. La place accordée aux compétences de mémorisation
dans les apprentissages est-elle justifiée? Cette question, centrale quant aux problématiques éducatives,
commence à susciter l’intérêt des neuroscientifiques.
Neurone
Organisés en réseaux fortement interconnectés, les neurones ont des propriétés électriques et
chimiques leur permettant de propager un influx nerveux (voir chapitre 2, particulièrement le
graphique 2.1). Un potentiel électrique est véhiculé au sein de la cellule et un processus chimique transmet
de l’information d’une cellule à une autre. Ces cellules nerveuses sont donc spécialisées dans la
communication.
La propagation électrique interne à la cellule est unidirectionnelle. Des « inputs » sont reçus par le
neurone au niveau de ses dendrites ou de son corps cellulaire. En réponse à ces « inputs », le neurone
génère des potentiels d’action. La fréquence de ces potentiels est variable et fonction des « inputs ». Les
potentiels d’action se propagent alors le long de l’axone.
Une zone appelée synapse sert de jonction entre deux neurones. La synapse est composée de trois
éléments : la terminaison, la fente synaptique et la dendrite du neurone post-synaptique. Lorsque les
potentiels d’action atteignent la synapse, ils provoquent la libération d’une substance chimique, le
neurotransmetteur, qui traverse la fente synaptique. Cette activité chimique est modulable en fonction du
type et de la quantité du neurotransmetteur mais aussi du nombre de récepteurs impliqués. La quantité de
neurotransmetteurs libérés et le nombre de récepteurs impliqués répondent à l’expérience : c’est la base
cellulaire de la plasticité (voir ci-dessous). L’effet sur le neurone post-synaptique peut être de nature
excitatrice ou inhibitrice.
La combinaison des activités électriques et chimiques des neurones permet donc de transmettre et de
moduler des informations au sein des réseaux formés par ces cellules.
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Pour mieux comprendre le fonctionnement cérébral, les différentes techniques d’imagerie
fonctionnelle (IRMf, MEG, TEP, TO, etc.) (voir annexe B) sont utilisées pour visualiser et étudier
l’activité des changements de circulation sanguine induits par l’activité neuronale.
Les études portant sur la localisation des réseaux cérébraux ouvrent une grande porte vers la
compréhension des mécanismes d’apprentissage. Plus les techniques d’imagerie gagnent en résolution
spatiale et temporelle, plus les études sur la localisation sont précises, permettant ainsi une meilleure
compréhension du fonctionnement cérébral.
De telles périodes sont désignées sous le nom de « périodes sensibles » ou fenêtres d’opportunité, car
elles constituent pour les individus la période optimale pour un apprentissage donné. Elles sont la
conséquence du développement naturel mais nécessitent de l’expérience pour qu’un changement
(l’apprentissage) puisse être efficient. On parle alors d’« apprentissage attendant de recevoir de
l’expérience », comme par exemple pour le langage oral (voir chapitre 4), en opposition à l’« apprentissage
dépendant de l’expérience » qui peut, lui, se dérouler à tout moment de la vie. C’est le cas de
l’apprentissage du langage écrit.
Un apprentissage qui n’a pas eu lieu durant cette fenêtre d’opportunité n’est pas pour autant perdu. Il
reste possible tout au long de la vie, mais en dehors de ces fenêtres d’opportunité, il sera plus coûteux en
temps et en ressources cognitives, et son efficacité sera souvent moindre.
Une meilleure connaissance des périodes sensibles et des apprentissages qui leur sont associés est un
objectif crucial pour la recherche dans les années à venir. Une cartographie de plus en plus complète
permettra de développer les programmes éducatifs pour faire entrer en meilleure concordance
acquisitions et périodes sensibles. L’efficacité des apprentissages ne pourra qu’en être améliorée.
Plasticité
Le cerveau est capable d’apprendre parce qu’il est flexible (voir chapitre 2). Il « change » en réaction
aux stimulations de l’environnement. Cette flexibilité repose sur une de ses propriétés intrinsèques : la
plasticité.
Ce mécanisme opère au niveau des connexions synaptiques de différentes façons (voir chapitre 2,
graphique 2.1). Certaines synapses peuvent être générées (synaptogenèse), d’autres supprimées (élagage ou
« pruning »), leur efficacité peut être modulée, etc., en fonction des informations traitées et intégrées par le
cerveau.
Les « traces » laissées par les apprentissages et la mémorisation sont le fruit de ces modifications. La
plasticité est donc une condition nécessaire aux apprentissages, et demeure, en tant que propriété inhérente
du cerveau, opérante tout au long de la vie.
La notion de plasticité et ses implications sont particulièrement importantes. Les enseignants, les
décideurs politiques et tous les apprenants gagneront à comprendre pourquoi les apprentissages sont
possibles tout au long de la vie. La plasticité cérébrale est un argument majeur en faveur de
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l’« apprentissage tout au long de la vie ». Ne devrait-on pas, dès l’école primaire, enseigner aux enfants
comment et pourquoi ils sont capable d’apprendre?
Le cerveau, comme tout organe du corps, peut voir son fonctionnement optimisé par une bonne
hygiène de vie. De récents travaux se sont intéressés à l’incidence que pouvaient avoir l’alimentation ou
une activité physique sur les facultés cérébrales, notamment sur l’apprentissage, et sur la prévention de
certains troubles du comportement ou des apprentissages (voir chapitre 3). De même, une activité sportive
régulière a un effet bénéfique sur le fonctionnement cognitif humain en modifiant l’activité de certaines
régions cérébrales.
Le rôle du sommeil est également des plus déterminants (chapitres 3 et 6). Qui n’a pas fait
l’expérience d’un déficit de sommeil et s’est alors aperçu que le fonctionnement cognitif en est la première
victime? C’est en effet durant le sommeil que se déroulent certains processus impliqués dans la plasticité et
la consolidation des connaissances, des processus par conséquent déterminants pour la mémorisation et les
apprentissages.
Représentations
Sociales (interactions)
Les interactions sociales agissent tel un catalyseur des apprentissages. Sans interaction, un individu ne
peut ni apprendre, ni même se développer correctement. Face à un contexte social, ses apprentissages
seront d’autant plus performants que ce contexte sera riche et varié.
C’est en effet à partir de la découverte que s’amorcent les processus d’appropriation et de construction
de connaissances ou d’habiletés, et de la confrontation avec autrui que se développent les stratégies et
s’affine le raisonnement. Les interactions sociales sont donc une condition constituante, tant pour le
développement précoce des structures cérébrales que pour l’évolution normale des fonctions cognitives
(voir chapitre 3).
Quelle place laisse-t-on aux interactions entre apprenants au sein de l’éducation institutionnelle?
L’apparition des nouvelles technologies dans le secteur de l’éducation a engendré un bouleversement des
interactions en situation d’apprentissage. Quel impact peut avoir cette modification sur les
apprentissages?
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Toutes ces problématiques sont abordées par une discipline en pleine émergence, la neuroscience
sociale, qui traite des processus et comportements sociaux.
Ensemble, motivation et estime de soi sont essentielles à la réussite d’un apprentissage. Afin de
restituer à ces facteurs leur place au sein des structures d’apprentissage, le système du tutorat devient de
plus en plus présent. Il offre à l’apprenant un suivi individualisé et ainsi mieux adapté à ses besoins. Un
climat d’apprentissage plus personnel devrait alors aider à éveiller la motivation des apprenants, sans
oublier le rôle crucial des interactions sociales dans tout processus d’apprentissage. La personnalisation ne
doit pas conduire à l’isolation des apprenants.
La motivation joue un rôle primordial dans la réussite des apprentissages, notamment la motivation
intrinsèque. Tout individu apprend d’autant plus facilement qu’il le fait pour lui-même, avec l’envie de
comprendre.
Bien qu’il soit difficile, à l’heure actuelle, d’imaginer une approche éducative ciblant plus cette
motivation intrinsèque que celle centrée sur des systèmes de punitions/récompenses (« la carotte et le
bâton »), le bénéfice d’une telle approche serait tel qu’il est primordial que la recherche s’oriente vers ce
domaine.
Universalité
Le cerveau est plastique (voir chapitre 2). C’est une propriété intrinsèque. En permanence, il perçoit,
traite et intègre de l’information provenant de l’expérience individuelle, et subit alors des changements de
connectivité au sein de ses réseaux de neurones. Cette évolution constante est le fruit de son
fonctionnement normal, et implique une capacité d’apprentissage permanente. Cette propriété universelle a
pour corollaire le fait que l’être humain peut apprendre, et que son cerveau veut apprendre, tout au long de
la vie.
« Toute personne a droit à l’éducation » (Déclaration universelle des droits de l’homme, Nations
Unies, 10 décembre 1948, article XXVI). L’éducation régule les apprentissages pour que tous aient accès
aux fondamentaux que sont la lecture, l’écriture et le calcul (voir chapitres 4 et 5).
Des évaluations internationales tentent de vérifier l’égalité et la solidité des différents systèmes
éducatifs. Bien qu’il soit difficile de « mesurer » les acquis au travers des différences culturelles, elles
permettent une prise de conscience du besoin permanent de faire progresser l’éducation.
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Variabilité
L’expérience, qui joue un rôle fondamental dans le développement et la construction individuelle, est
propre à chacun et subjective. Les représentations, résultant de l’expérience, sont donc différentes d’un
individu à l’autre. L’expérience participe aussi à la construction de styles d’apprentissage préférentiels, qui
amènent l’apprenant à employer des stratégies d’apprentissage particulières suivant les situations.
Lors d’apprentissages spécifiques s’opèrent des changements, des passages d’un état à un autre. Or, la
diversité des expériences individuelles et des représentations implique des états initiaux différents pour
chacun. De plus, les modifications résultant de l’apprentissage varient suivant les motivations, interactions
et stratégies d’apprentissage. Ainsi, l’incidence d’un apprentissage diffère-t-il d’un individu à l’autre. On
parle alors de variabilité.
Les élèves d’une même classe qui suivent un même cours n’apprendront donc pas la même chose.
Leurs représentations des notions abordées seront différentes car ils ne disposent pas à la base des mêmes
acquis et ne partagent pas non plus le même style d’apprentissage. Ils ne feront donc pas évoluer leurs
représentations de la même façon. Ils garderont tous une trace de cet apprentissage, mais cette trace sera
différente et spécifique pour chaque individu.
Pour ne pas ignorer ces différences, les apprentissages doivent de plus en plus les intégrer. La
diversification des contenus, visant à une plus grande personalisation, est un objectif de plus en plus
important pour l’éducation.
La question sur les différences corticales entre hommes et femmes est fréquemment soulevée.
Pourtant aucun élément neuroscientifique ne permet de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.
W comme « travail »
Un travail colossal a été accompli ces dernières années pour faire émerger la neuroscience de
l’éducation, qui à son tour contribue à la naissance d’une science de l’apprentissage plus vaste et plus
transdisciplinaire (voir chapitre 7). Mais les efforts passés ne sont rien en comparaison de ce qui attend
ceux qui nous suivront sur ce terrain. On peut souhaiter qu’ils rencontrent dorénavant moins de résistances,
d’autant qu’ils auront à traiter une masse d’information beaucoup plus grande encore. Car il se trouve
que…
… XYZ
… l’histoire est loin d’être finie. Ce travail du CERI n’est que le début d’une aventure. Il appartient
maintenant à d’autres de s’engager sur cette route. Beaucoup l’ont déjà entrepris (voir chapitre 7). Gageons
qu’il reste beaucoup plus que trois lettres à écrire à propos de notre alphabet cérébral. Notre connaissance
du cerveau humain est à l’image du cerveau lui-même : en perpétuelle évolution…
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