Note TD
Note TD
Note TD
Les recours devant le juge administratif sont classiquement répartis en quatre grandes
catégories : le contentieux de l’excès de pouvoir, le recours de plein contentieux (ou de pleine
juridiction), le contentieux de l’interprétation et de l’appréciation de légalité et le contentieux
de la répression.
D’autres classification ont été avancées. C’est ainsi que Léon Duguit distinguait le contentieux objectif du contentieux
subjectif. Ce dernier rassemble les demandes portant sur la légalité d’un acte administratif : recours pour excès de pouvoir,
recours en appréciation de la légalité. Le contentieux subjectif couvre les litiges dans lesquels le demandeur cherche à obtenir
la reconnaissance d’un droit subjectif : dommages-intérêts, reconnaissance d’un droit personnel.
Construction prétorienne, le recours pour excès de pouvoir (REP) est l’action par lequel le
justiciable, appelé « requérant », demande au juge d’apprécier la légalité d’une décision
administrative et d’en prononcer l’annulation.
On indiquera cependant que, saisi de conclusions, en ce sens le juge de l’excès de pouvoir peut désormais adresser des
injonctions à l'administration et prononcer astreintes afin d'assurer l'exécution de ses décisions (articles L. 911-1 et L. 911-2 du
code de justice administrative). De telles conclusions conduisent le juge à statuer selon les règles du plein contentieux en se
plaçant à la date à laquelle il statue. De même, le juge de l’excès de pouvoir pourra condamner la partie perdante à payer les
frais d’avocat (article L. 761-1 du code de justice administrative).
Dans le cadre du REP, le requérant peut invoquer des moyens de droit (« cas d’ouverture du
recours pour excès de pouvoir ») que l’on rangera en deux grandes catégories : les moyens de
l’égalité externe et les moyens de l’égalité interne.
- le vice de procédure
Les procédures sont plus ou moins élaborées selon les cas. On note une tendance à limiter les
conséquences d’un vice de procédure : le juge ne prononce l’annulation de la décision que dans
l’hypothèse où le manquement a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la
décision retenue ou qu’il a privé les intéressés d’une garantie (CE, Ass., 23 déc. 2011,
Danthony et a., req. N°335033, Rec. Lebon, p. 649)
Les moyens de légalité interne sont rangés sous les rubriques suivantes :
- l’erreur de fait : la décision doit être annulée si elle repose sur des faits matériellement
inexacts. Par exemple : un préfet est mis en congé « sur sa demande », alors qu’il n'a jamais
formulé une telle demande (CE, 20 janv. 1922, Trépont, req. N° 68212, Rec., p. 65).
Par exemple : un agent prend une décision pour satisfaire un intérêt exclusivement privé,
indépendamment de toute considération d’intérêt général, ou pour nuire à un administré.
Effet du jugement prononcé par le juge de l’excès de pouvoir: l’annulation d'un acte
administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu.
A titre exceptionnel, il peut être dérogé au principe de l'effet rétroactif de l'annulation, lorsqu'il
« est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets
que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de
l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets » (CE 11 mai 2004,
Association AC !).
Le recours de pleine juridiction (ou recours de plein contentieux) vise à faire reconnaître par le
juge des droits aux personnes qui le saisissent. Il se caractérise par l'étendue accrue des pouvoirs
dont dispose le juge administratif qui peut notamment, dans le cadre d'un tel recours, substituer
sa décision à celle de l'administration.
Décisions fondamentales :
La principale caractéristique du recours de pleine juridiction est que le juge administratif peut,
dans ce cadre, non seulement annuler, le cas échéant, la décision qui lui est soumise, mais
également substituer son appréciation à celle de l'autorité dont l'action est mise en cause devant
lui. Par ailleurs, le juge peut être saisi en vue de reconnaître un droit subjectif au requérant,
aucune décision n'étant alors contestée devant lui.
Amené à se substituer, dans l'appréciation qu'il fait de la situation qui lui est soumise, à
l'administration, le juge de pleine juridiction se placera à la date du prononcé de sa décision.
Contrairement au juge de l'excès de pouvoir (qui apprécie la régularité de la décision qui lui est
soumise à la date à laquelle celle-ci a été prise), le juge de plein contentieux sera donc amené à
faire application d'une loi postérieure plus douce. On parle de rétroactivité in mitius.
De la même manière, le juge sera amené à prendre en considération les changements qui ont
affecté la situation factuelle du requérant.
À titre d'exemple, l'administré qui conteste devant le juge de plein contentieux une sanction qui
lui a été infligée par l'administration pourra voir celle-ci diminuée par le juge administratif si
une nouvelle loi est, entre-temps, intervenue pour diminuer la sanction applicable à ce
comportement.
La recevabilité
Contrairement aux recours pour excès de pouvoir, le requérant qui saisit le juge de pleine
juridiction ne pourra que rarement le faire sans avocat (CJA, art. R. 431-2 et R. 431-3 : pour les
tribunaux administratifs).
S'agissant de la recevabilité des moyens soulevés devant le juge de pleine juridiction, les vices
propres à la décision ayant donné lieu au contentieux seront dans la majorité des cas inopérants.
Le décret n° 2018_101 du 16 février 2018 prévoit, à titre expérimental, qu'à compter du 1er avril
2018 jusqu'au 18 novembre 2020 les contentieux de la fonction publique et certains litiges sur
les prestations sociales seront précédés d'une médiation préalable obligatoire sous peine
d'irrecevabilité du recours.
Appelé également plein contentieux « intégral » ou « ordinaire », le recours subjectif est le plus
répandu en matière de pleine juridiction. Les deux branches principales de ce contentieux
subjectif sont la responsabilité des personnes publiques et les litiges naissant de relations
contractuelles.
On retrouve ici l'idée selon laquelle ce type de recours vise à reconnaître au requérant un droit
pécuniaire vis-à-vis de l'administration.
Également appelé plein contentieux « de légalité », cette branche voit soumise au juge une
décision administrative, qui matérialise en quelque sorte la situation du requérant et dont la
légalité est contestée.
A la différence du REP où le juge ne peut qu’annuler la décision qui lui est soumise (ou rejeter
la requête), le juge du plein contentieux dispose des pouvoirs plus étendus. Saisi d’une demande
dirigée contre acte administratif, il peut le réformer, le modifier ou y substituer une nouvelle
décision. Le juge du plein contentieux peut aussi condamner l’administration à des dommages
et intérêts (responsabilité contractuelle ou délictuelle de l’administration).
Le recours de plein contentieux recouvre toute une série de recours qui peuvent être régies par
des règles contentieuses différentes selon les cas, notamment en ce qui concerne les règles de
recevabilité et les pouvoirs du juge.
- le contentieux électoral
- le contentieux fiscal
- les recours contre les sanctions administratives (CE, ass., 16 févr. 2009, n° 274000, Sté Atom)
Le plus souvent, les recours de plein contentieux sont soumis au ministère d’avocat (voir :
recours devant le tribunal administratif).
3) Le contentieux de l’interprétation et de l’appréciation de
légalité
Le juge administratif peut être saisi d’un recours où il se borne à indiquer la portée ou la légalité
d’une décision administrative sans en prononcer l’annulation.
4) Le contentieux de la répression
Le juge administratif, agissant comme un juge pénal, de sanctionner des comportements
répréhensibles en infligeant des sanctions pénales (amendes).
DOC 1 CJA
R421-2 :
- conditions du recours contre décision implicite de rejet ( devenu en ppe l’exception, mais la
liste des dérogations est très longues) : 2 mois à compter de la date de naissance de la décision
implicite de rejet
Il n’est pas trop de dire que la jurisprudence Lafarge laisse un souvenir impérissable à qui s’est
un jour heurté à l’étude de la distinction des recours en contentieux administratif.
Pour cause, l’étude de la distinction des recours en contentieux administratif conduit à retenir
que, par principe, la contestation de décisions administratives à objet pécuniaire relève du
recours de plein contentieux ou de pleine juridiction, puisqu’elle consiste pour les requérants à
requérir la condamnation de l’administration au versement d’une somme d’argent, et non
l’annulation pure d’un acte administratif.
Or à rebours de cette présentation classique, qui veut que les recours tendant à la
condamnation de l’administration au versement d’une somme d’argent relèvent du recours de
plein contentieux, la jurisprudence Lafage prévoit que la contestation de décisions à objet
pécuniaire peut, en certains cas, faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Pour ce faire,
le requérant doit alors requérir du juge l’annulation de la décision lui refusant une somme
d’argent, et non la condamnation de l’administration à lui verser cette somme d’argent.
Si, en ouvrant la voie du recours pour excès de pouvoir à la contestation des décisions à objet
pécuniaire, la jurisprudence Lafage a principalement été justifiée par la nécessité de permettre
aux requérants d’échapper, notamment pour les litiges d’un faible montant, à l’obligation du
ministère d’avocat qui prévaut en plein contentieux, elle n’en reste pas moins d’un maniement
délicat.
Pour répondre à cette question, le Conseil d’Etat commence tout d’abord par rappeler la règle
issue de la jurisprudence Lafage, et selon laquelle « la nature d’un recours exercé ( REP ou
PC) contre une décision à objet pécuniaire est fonction […] tant des conclusions de la demande
soumise à la juridiction que de la nature des moyens présentés à l’appui de ces conclusions ».
Le Conseil d’Etat rappelle ensuite que le principe issu de la jurisprudence Lafage se heurte aux
recours qui revêtent « par nature le caractère d’un recours de plein contentieux ».
Cela renvoie aux recours qui, même s’ils sont relatifs à la contestation d’une décision ayant un
objet pécuniaire, n’offrent pas aux requérants la possibilité d’opter pour un recours pour excès
de pouvoir en formulant différemment leur demande.
Relèvent ainsi par nature du recours de plein contentieux : la contestation de certaines décisions
à objet pécuniaire que la loi fait relever du plein contentieux et la contestation de différentes
décisions à objet pécuniaire, telles que les titres exécutoires[4] ou les ordres de versement[5],
qui sont désormais confondus en une seule et même catégorie : les titres de perception. Dans le
prolongement, le Conseil d’Etat considère également que le bénéfice de la jurisprudence Lafage
doit être écarté pour la contestation de décisions qui sont assimilables à des titres de
perception[6].
Toute la question était donc ici de savoir si la lettre informant un agent public que des retenues
sur son traitement vont être effectuées, en raison de l’exercice injustifié de son droit de retrait,
est au nombre des décisions à objet pécuniaire dont la contestation peut relever du recours pour
excès de pouvoir, et non du recours de plein contentieux, en fonction de la formulation de la
demande du requérant.
A cet égard, le Conseil d’Etat retient que « Si le recours dirigé contre un titre de perception
relève par nature du plein contentieux, la lettre informant un agent public de ce que des
retenues pour absence de service fait vont être effectuées sur son traitement ne peut à cet égard
être assimilée à une telle décision lorsqu’elle ne comporte pas l’indication du montant de la
créance ou qu’elle émane d’un organisme employeur qui n’est pas doté d’un comptable public.
Des conclusions tendant à l’annulation de cette décision et du rejet du recours gracieux formé
contre celle-ci doivent être regardées comme présentées en excès de pouvoir ».
Il faut donc en comprendre que la lettre informant un agent public que des retenues sur son
traitement vont être effectuées, en raison de l’exercice injustifié de son droit de retrait, ne peut
être assimilée à un titre de perception, si elle ne comporte pas le montant de la somme à prélever,
ou si elle émane d’un organisme qui ne dispose pas d’un comptable public.
En pareil cas, sa contestation ne relève donc pas par nature du recours de plein contentieux,
mais peut aussi relever du recours pour excès de pouvoir en application de la jurisprudence
Lafage. Autrement dit, dès lors que la décision en cause n’est pas assimilable à un titre de
perception, l’option offerte par la jurisprudence Lafage peut jouer pleinement.
Sur ce point, le Conseil d’Etat ne fait que rappeler la jurisprudence selon laquelle les
conclusions à fin d’injonction, qui résultent de la demande principale, ne sont pas de nature à
conférer à l’ensemble de la demande le caractère d’un recours de plein contentieux.
Pour cause, bien que les conclusions à fin d’injonction relèvent du plein contentieux, elles ne
doivent leur existence qu’à celle des conclusions au principal, et ne présentent donc qu’un
caractère accessoire par rapport à ces dernières. Dès lors, elles n’ont pas pour effet de faire
relever l’ensemble de la demande du plein contentieux puisque la nature du recours n’est
déterminée qu’au regard de la demande principale.
Ainsi, les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint à l’administration, à la suite de l’annulation
de sa décision à objet pécuniaire, de rembourser la somme illégalement prélevée ne sont pas de
nature à conférer à l’ensemble de la demande le caractère d’un recours de plein contentieux.
Tout l’intérêt de cette solution jurisprudentielle est de permettre de donner son plein effet à la
décision d’annulation du juge en l’accompagnant d’une injonction de faire pour
l’administration, sans que l’intérêt de la jurisprudence Lafage, qui consiste principalement à
contourner l’obligation du ministère d’avocat, ne soit perdu.
Le Conseil d’Etat reste donc ici plus ou moins fidèle à sa jurisprudence antérieure, dont il
résultait que l’erreur commise par un juge sur l’étendue de ses pouvoirs, en raison de la méprise
sur la nature du recours dont il est saisi, constitue un moyen d’ordre public[9].
Dans son avis, le Conseil d’Etat semble encore lier la commission d’une erreur par le juge sur
la nature du recours dont il est saisi à la méconnaissance de son office. En d’autres termes,
l’erreur sur la nature du recours implique a priori une méconnaissance de son office par le juge.
Pourtant, P. Ranquet, dans ses conclusions sur cet avis, suggérait au Conseil d’Etat d’apporter
une réponse innovante à cette question en se fondant sur l’« office effectif » du juge. Ce dernier
proposait en effet « d’apporter une opportune précision à la jurisprudence issue de la décision
[Lipinski du 27 avril 2007], et ce en ajoutant que l’erreur commise par le juge sur la nature du
contentieux doit être censurée d’office si elle a eu une incidence sur les réponses apportées aux
conclusions et moyens dont il était saisi, ou du moins si elle est susceptible d’en avoir eu
une »[10].
Pour P. Ranquet, il s’agirait de censurer d’office l’erreur commise par le juge sur la nature du
recours dont il est saisi, seulement lorsque cette erreur peut avoir des conséquences concrètes
sur l’issue du litige.
Si elle peut heurter les défenseurs de la distinction des recours en contentieux administratif, une
telle proposition repose pourtant sur des arguments indéniables en ce qui concerne la
contestation des décisions à objet pécuniaire.
D’une part, en ce qui concerne les règles qui leur sont applicables, les recours pour excès de
pouvoir et de plein contentieux ont connu au fil du temps un rapprochement. Notamment, alors
que la jurisprudence Lafage était justifiée par la volonté de faire échapper certains litiges à
l’obligation du ministère d’avocat, les recours de plein contentieux soustraits à cette obligation
se sont multipliés, faisant alors perdre à la jurisprudence Lafage une partie de son intérêt[11].
D’autre part, dans le cadre de la contestation d’une décision à objet pécuniaire, la saisine du
juge de l’excès de pouvoir ou du plein contentieux peut avoir la même issue. Comme le relève
P. Ranquet, « l’une comme l’autre voie permet d’examiner l’ensemble des questions de légalité
de la décision de retenue, y compris de légalité externe ; combinée à l’injonction de restituer
les retenues, leur annulation aura le même effet qu’on annule en excès de pouvoir la décision
proprement dite ou la lettre à l’agent concerné assimilée à un titre de perception ».
Sans reprendre clairement les termes de son rapporteur public et en continuant de lier, par
principe, l’erreur sur la nature du contentieux à la méconnaissance de l’étendue de son office
par le juge, le Conseil d’Etat a vraisemblablement souhaité sauver les apparences de la
distinction des recours pour excès de pouvoir et de plein contentieux.
Pour autant, et même si elle y paraît favorable, sa formule ne résout pas clairement la question
de savoir si le juge doit censurer d’office l’erreur sur la nature du contentieux, même si elle n’a
pas pour autant eu pour effet de conduire le juge à méconnaître son office ou qu’elle n’a pas eu
d’incidence sur l’issue du litige…
DOC 2 CE 8 janvier 1982 ALDANA : LE JUGE ADMINISTRATIF ET LE DROIT
D’ASILE
La Cour nationale du droit d’asile, compétente pour connaître des décisions relatives aux
demandes d’asile, est une juridiction administrative spécialisée statuant en premier et dernier
ressort sur les recours formés contre les décisions de l'Office français de protection des réfugiés
et apatrides (OFPRA).
Cette juridiction, placée sous le contrôle de cassation du Conseil d’Etat, a une compétence
nationale.
Elle est une juridiction de plein contentieux comme l’a reconnu le Conseil d’Etat depuis sa
décision Aldana Barrena du 8 janvier 1982.
Depuis le 1er janvier 2009, la Cour est rattachée, pour sa gestion, au Conseil d’Etat
et un mouvement de professionnalisation poussé a été lancé. Ce mouvement a
encore été renforcé par la loi du 29 juillet 2015, qui a notamment rénové
l’organisation de la cour (regroupement des formations
de jugement en chambres elles-mêmes regroupées en sections). En ce qui concerne
le droit au séjour et les conditions d’accueil des
demandeurs d’asile et des réfugiés, en revanche, l’administration agit non pas sous
le contrôle de la CNDA mais sous celui du juge administratif de droit commun
(tribunal administratif en première instance, cour administrative d’appel en appel).
En tant que juge du référé-liberté et juge de cassation des décisions rendues par la
CNDA et par le juge administratif de droit commun, le Conseil d’Etat protège
fortement le droit d’asile, qu’il reconnaît comme une liberté fondamentale au sens de
la loi du 30 juin 2000 (JRCE, 12 janvier 2001, Mme H.)
IMPORTANTE DECISION
l'importante décision ATOM du Conseil d'État du 16 février 2009, le contentieux des sanctions
que l'administration inflige à un administré (et non disciplinaires ou professionnelles) a
basculé dans le champ du recours de pleine juridiction. Cette jurisprudence a,
notamment, été appliquée par la suite au contentieux de retrait de points sur le permis de
conduire.
A la différence du REP où le juge ne peut qu’annuler la décision qui lui est soumise (ou rejeter
la requête), le juge du plein contentieux dispose des pouvoirs plus étendus. Saisi d’une demande
dirigée contre acte administratif, il peut le réformer, le modifier ou y substituer une nouvelle
décision. Le juge du plein contentieux peut aussi condamner l’administration à des dommages
et intérêts (responsabilité contractuelle ou délictuelle de l’administration).
L’un des pouvoirs exorbitants de l’administration se traduit par la capacité dont elle dispose
d’imposer des sanctions. Dans le domaine contractuel, en particulier, ce pouvoir a été élevé au
rang de principe général du droit. Mais, plus largement, elle dispose de cette capacité en
dehors du domaine contractuel, pour punir des administrés récalcitrants. Puisqu’il s’agit d’une
matière pénale, le contrôle du juge est fondamental. L’article 6§1 de la CEDH, pour ne citer
que lui, l’impose. Pendant longtemps, le domaine des sanctions a fait l’objet d’une forme de
recul révérencieux du juge. Mais par deux arrêts l’un de 2009 et l’autre de 2013, le Conseil
d’État a renforcé son contrôle sur les sanctions administratives.
Dans l’arrêt Société Atom, était en cause une sanction infligée par l’administration fiscale
pour avoir perçu des paiements en numéraires au-delà de la limite autorisée par la loi. La
société a contesté cette amende devant le Tribunal, puis la Cour, qui ont tous deux rejeté la
demande. Le Conseil d’État est alors saisi en cassation. Il constate que la Cour a méconnu
l’étendue de ses pouvoirs et censure le raisonnement qu’elle a suivi. L’arrêt de la Cour est
donc annulé et, statuant au fond, le Conseil abaisse le montant de l’amende infligée.
« […] en étendant le plein contentieux subjectif, le juge administratif statue alors directement
sur les droits du requérant […], sans s’intéresser aux « vices propres » de la décision de refus
[…] »
Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision par laquelle l’administration,
sans remettre en cause des versements déjà effectués, détermine les droits d’une personne
en matière d’aide ou d’action sociale, de logement ou au titre des dispositions en faveur des
travailleurs privés d’emploi, et sous réserve du contentieux du droit au logement opposable,
il appartient donc au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à
sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres
de la décision attaquée, mais d’examiner les droits de l’intéressé, en tenant compte de
l’ensemble des circonstances de fait qui résultent de l’instruction et, notamment, du dossier
qui lui est communiqué en application de l’article R. 772-8 du code de justice
administrative (CJA). Ce point est nettement exposé par l’arrêt n° 423001.
Il en va de même lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant ou ne
faisant que partiellement droit à une demande de remise gracieuse d’un indu d’une prestation
ou d’une allocation versée au titre de l’aide ou de l’action sociale, du logement ou en faveur
des travailleurs privés d’emploi. En ce cas, en tant que juge de plein contentieux, le juge
devra notamment examiner si une remise gracieuse totale ou partielle est susceptible d’être
accordée, en se prononçant lui-même sur la demande au regard des dispositions applicables et
des circonstances de fait dont il est justifié par l’une et l’autre parties à la date de sa propre
décision (voir sur ce point l’arrêt n°415040).
Cela s’applique aussi pour les cas de refus de prise en charge d’un jeune majeur par l’ASE .
En pareil cas, le juge va donc apprécier s’il lui appartient d’annuler, s’il y a lieu, cette
décision en accueillant lui-même la demande de l’intéressé s’il apparaît, à la date à laquelle il
statue, eu égard à la marge d’appréciation dont dispose le président du conseil départemental
dans leur mise en oeuvre, qu’un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance
des dispositions du code de l’action sociale et des familles (CASF) relatives à la protection de
l’enfance et en renvoyant l’intéressé devant l’administration afin qu’elle précise les modalités
de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement.
Le Conseil d’Etat l’a aussi appliqué aux recours portant sur une demande de carte de
stationnement pour personnes handicapées ou de carte mobilité inclusion mention
stationnement pour personnes handicapées.
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Principe selon lequel toute décision administrative peut faire l'objet d'un recours pour excès
de pouvoir
La loi du 17 août 1940 avait donné aux préfets le pouvoir de concéder à des tiers les
exploitations abandonnées ou incultes depuis plus de deux ans aux fins de mise en culture
immédiate. C'est en application de cette loi que, par deux fois sans compter un arrêté de
réquisition, les terres de la dame Lamotte avaient fait l'objet d'un arrêté préfectoral de
concession. Le Conseil d'État avait annulé à chaque fois ces décisions. Par un arrêté du 10
août 1944, le préfet de l'Ain avait de nouveau concédé les terres en cause. Mais une loi du 23
mai 1943, dont le but manifeste était de contourner la résistance des juges à l'application de la
loi de 1940, avait prévu que l'octroi de la concession ne pouvait "faire l'objet d'aucun recours
administratif ou judiciaire". Sur le fondement de cette disposition, le juge administratif aurait
dû déclarer le quatrième recours de la dame Lamotte irrecevable.
Le Conseil d'État ne retint pas cette solution en estimant qu'il existe un principe général du
droit selon lequel toute décision administrative peut faire l'objet, même sans texte, d'un
recours pour excès de pouvoir et que la disposition de la loi du 23 mai 1943, faute de l'avoir
précisé expressément, n'avait pas pu avoir pour effet d'exclure ce recours. Le même
raisonnement prévaut s'agissant du droit au recours en cassation (CE, 7 février 1947,
d'Aillières, n°79128).
Saisi d’une demande d’annulation du refus d’abroger un acte réglementaire, à quelle date le
juge doit-il se placer pour juger des règles à appliquer ?
Le principe à retenir pour l’essentiel est : e, lorsqu’il est saisi de conclusions aux fins d’annulation du
refus d’abroger un acte réglementaire, le juge de l’excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité
de l’acte réglementaire dont l’abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date
de sa décision.
Assemblée a détaillé son raisonnement et les conséquences qu’il convient d’en tirer.
Le Conseil d’État rejette les recours de Mme Calvin et de M. Stassen contre les mesures de
suspension provisoire prononcées à leur encontre par la présidente de l’Agence française de
lutte contre le dopage (AFLD).
Dans les décisions de ce jour, le Conseil d’État précise d’abord la façon dont le juge doit
traiter de telles demandes. Il lui revient non seulement de vérifier que la suspension était
justifiée lorsqu’elle a été prononcée par l’AFLD, mais aussi de s’assurer qu’à la date à
laquelle le juge rend sa décision, l’évolution des circonstances (nouveaux résultats
d’analyse, prolongement excessif de la mesure) ne justifie pas qu’il soit mis fin à la
suspension.
Dans ces deux affaires, les requérants soutenaient notamment que les dispositions du code du
sport qui permettent à la présidente de l’AFLD de prononcer de telles mesures de suspension
provisoires dans l’attente de la décision de la commission des sanctions, méconnaissaient le
droit au travail dès lors que les suspensions n’étaient pas limitées dans le temps.
Le Conseil d’État juge que la mesure de suspension ne revêt pas, contrairement à ce qui était
affirmé, un caractère immuable. En effet, le président de l’AFLD est tenu de lever la
suspension dans l’hypothèse où celle-ci se prolonge au-delà d’un délai raisonnable sans que la
commission des sanctions ne se soit prononcée ou s’il apparaît, notamment au regard
d’éléments nouveaux apportés par le sportif, que la mesure conservatoire n’est plus justifiée.
Par ailleurs, le Conseil d’État juge que les faits à l’origine des deux décisions sont établis et
que les suspensions, prises au terme de procédures régulières, sont justifiées. Il estime en
outre, conformément à la démarche rappelée plus haut, que les nouveaux éléments apportés
par M. Stassen depuis le prononcé de la suspension ne sont pas de nature à justifier qu’il y
soit mis fin.
Dans cette jurisprudence, le Conseil d’Etat valide la possibilité de saisir le juge de l’excès de
pouvoir de conclusions subsidiaires à fin d’abrogation de l’acte en cas de changement de
circonstances de fait ou de droit postérieur à l’acte.
Introduction.
A chaque décision du Conseil d’État sur l’office du juge de l’excès de pouvoir, il est commun
d’en revenir à la prédiction de Maurice Hauriou dans sa note sous l’arrêt Boussuge de 1912.
ACCROCHE Le recours pour excès de pouvoir, écrivait le doyen toulousain, est « comme
cette étoile temporaire des Gémeaux, que nous voyons dans le ciel, et dont l’exaltation
lumineuse a peut-être disparu déjà depuis des centaines d’années, tellement elle est loin de
nous. Nous l’admirons encore, et il n’est déjà plus, ou, du moins, il n’est plus qu’une pièce de
musée, un objet d’art délicat, une merveille de l’archéologie juridique ».
Il faut dire qu’au début du XXème siècle, l’admission de la tierce opposition dans le
contentieux de l’annulation avait de quoi surprendre : elle semblait vouloir dire que le recours
pour excès de pouvoir n’était plus un « procès fait à un acte » dont la noblesse s’épuisait dans
une stricte objectivité.
Plus d’un siècle plus tard, le recours pour excès de pouvoir est toujours là. Mais il a bien
changé : systématisation du pouvoir d’injonction, substitution de base légale ou de motifs,
modulation dans les temps de ses effets… Sans doute a-t-il appris des rudes leçons du Huron
de Rivero. Une forteresse, parmi d’autres, semblait pourtant résister à ce mouvement profond
qui prend corps autour de l’idée selon laquelle derrière l’acte attaqué, il y a des administrés :
le juge de l’excès de pouvoir plaçait toujours son office au moment de l’édiction de l’acte
contesté, sans considération aucune pour les circonstances postérieures. Ainsi, les
changements de circonstances de fait ou de droit affectant potentiellement l’acte ne
concernaient pas le juge et tout moyen en ce sens était inopérant. Dans pareil cas, il
revenait à l’administré de demander à l’administration d’abroger l’acte devenu illégal à
la suite de telles circonstances : tel est le sens de la jurisprudence Despujol de 1930
concernant les actes règlementaires.
Mais dans la décision ici commentée, qui portait sur la contestation par l’association ELENA
et d’autres de la liste des pays sûrs dressée par l’OFPRA, la Section du contentieux du
Conseil d’État a largement fissuré le mur d’enceinte de cette forteresse en jugeant,
conformément aux conclusions de la rapporteur publique Sophie Roussel, que :
« Lorsqu’il est saisi de conclusions tendant à l’annulation d’un acte réglementaire, le juge de
l’excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte à la date de son édiction. S’il le juge
illégal, il en prononce l’annulation.
Ainsi saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, le juge peut également l’être, à titre
subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif
d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à
son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu’un acte
règlementaire est susceptible de porter à l’ordre juridique. Il statue alors prioritairement
sur les conclusions à fin d’annulation.
Dans l’hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et où l’acte
n’aurait pas été abrogé par l’autorité compétente depuis l’introduction de la requête, il
appartient au juge, dès lors que l’acte continue de produire des effets, de se prononcer sur
les conclusions subsidiaires. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des
circonstances prévalant à la date de sa décision ».
Une telle évolution, si elle peut sembler majeure, n’en était pas moins attendue (I).
On la notera cependant pour le moment incomplète, car excluant les actes individuels et les
décisions d’espèce, avant d’en voir les conséquences pratiques (II).
Cela fait bien longtemps que le juge de l’excès de pouvoir n’est plus sourd aux sirènes du
temps qui passe : la jurisprudence Association AC ! est là pour le rappeler. Mais, si l’on
considère plus particulièrement la question du moment auquel le juge se place pour statuer, la
métamorphose est plus récente. C’est ainsi que dans une décision remarquée Association des
américains accidentels du 19 juillet 2019, le Conseil d’État avait estimé qu’il revenait au juge
de l’excès de pouvoir - au nom de « l’effet utile » de ses décisions -, saisi d’un recours en
annulation contre une décision de refus d’abroger un acte devenu illégal à la suite de
circonstances de fait ou de droit postérieures à son édiction, de se placer à la date à laquelle il
statuait pour trancher le litige. Une telle posture a prospéré dans le contentieux des décisions
de refus : on se souviendra par exemple de la retentissante jurisprudence Commune de
Grande-Synthe. Une telle évolution était précisément justifiée par le fait que la légalité
débattue dans un tel contentieux est, précisément, une « légalité pour l’avenir », comme le
souligne bien Sophie Roussel dans ses conclusions.
En ce qui concerne le contentieux des actes positifs, le mouvement était jusqu’à présent
cantonné au contentieux des mesures de suspension prononcées par l’Agence française de
lutte contre le dopage. Dans une décision Stassen du 28 février 2020, les 7ème et 2ème
chambres réunies avaient en effet jugé, à l’invitation du rapporteur public Guillaume Odinet
que « lorsqu’il est saisi d’un recours tendant à l’annulation d’une mesure de suspension
provisoire, prise à titre conservatoire sur le fondement de l’article L232-23-4 du Code du
sport, le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité de cette décision à la date de son
édiction et, s’il la juge illégale, en prononce l’annulation. Eu égard à l’effet utile d’un tel
recours, il appartient en outre au juge de l’excès de pouvoir, saisi de conclusions en ce sens,
d’apprécier la légalité de la décision à la date où il statue et, s’il juge qu’elle est devenue
illégale, d’en prononcer l’abrogation ». Si les motifs de l’arrêt Stassen n’étaient pas rédigés
dans ces termes généraux qui font les grands arrêts de principe, il demeure qu’ils laissaient
entrevoir Elena.
Une remarque avant d’envisager les conséquences pratiques : le lecteur attentif aura noté que
les motifs de la décision ici commentée ne traitent que des actes règlementaires, à l’exclusion
donc de tous les autres actes unilatéraux. Bien sûr, le Conseil d’État n’était ici saisi que d’un
acte règlementaire, mais on aurait pu imaginer qu’il opte pour une formulation plus générale,
incluant les actes non règlementaires. L’hypothèse est d’ailleurs envisagée par Sophie Roussel
dans ses conclusions. La rapporteure publique estime qu’une telle solution pourrait être
transposée aux actes non règlementaires, mais invite la Section à procéder « par touches
successives » et à garder pour des contentieux ultérieurs la question de l’applicabilité d’Elena
au recours contre des décisions individuelles ou d’espèce.
II - Conséquences pratiques.
Recevabilité. Il faut bien souligner, tant les conséquences sont importantes, que la
jurisprudence Elena n’ouvre pas de nouveaux moyens en excès de pouvoir, fondés sur les
changements de circonstances de fait ou de droit. Elle permet de formuler des conclusions
en abrogation subsidiaires à des conclusions principales en annulation. Dès lors, la
recevabilité de telles conclusions est subordonnée à la recevabilité des conclusions
principales. Elles ne sauraient, par ailleurs, être formulées à titre principal. Bref, toutes les
règles de recevabilité des conclusions subsidiaires s’appliquent.
Moyens invocables. Une question fondamentale doit être ici réglée. On sait qu’en excès de
pouvoir, les moyens sont cristallisés une fois le délai de contentieux échu, conformément à la
jurisprudence Intercopie. Néanmoins, une telle règle serait proprement inadaptée à des
conclusions en abrogation du fait de circonstances de fait ou de droit nouvelles, précisément
du fait de la possibilité que de telles circonstances n’interviennent après l’échéance du délai
de recours. Dès lors, les moyens au soutien de ces conclusions - qui se résumeront
nécessairement à l’exposé des circonstances nouvelles et à une confrontation de celles-ci à
l’acte contesté - pourront être invoqués jusqu’à la clôture de l’instruction et même pour la
première fois en appel.
Finalement, là où l’on peut penser qu’il s’agit d’un énième coup de canif au recours pour
excès de pouvoir, il semble plutôt, en témoignent les conclusions de Sophie Roussel, que
ce monument du contentieux administratif s’en trouve renforcé par l’acceptation que les
règles qui le régissent ne soient pas immuables, mais tout entières tournées vers la
finalité du REP telle qu’exprimée par l’arrêt Dame Lamotte : « assurer, conformément
aux principes généraux du droit, le respect de la légalité », lequel peut emprunter bien des
chemins.
CE ASS 13 juillet 2017 CZABAJ et CEDH 9 nov 2023+ CE 8 mars 2024+CE 11 mars
Czabaj ! Czabaj outragé (par la CEDH en 2023) ! Czabaj cassé (le 8 mars 2024) ! Czabaj
martyrisé ! Mais Czabaj libéré (de nouveau par le Conseil d’Etat le 11 mars 2024).
Enfin… libéré disons le vite. Car c’est retranché derrière les colonnes de Buren du Conseil
d’Etat, interdit de séjour ailleurs, que Czabaj vit, désormais, cloîtré. Mais avec, ce 11 mars
2024, un régime précisé en termes de délais de recours quand dans la vie d’une procédure,
une décision de la CADA a passé.
Czabaj !
Rappel pour les publicistes débutants : en vertu de la jurisprudence du même nom, les
actes individuels non notifiés ou mal notifiés ne peuvent-il plus être attaqués
indéfiniment (un délai — indicatif — d’un an pour engager un recours étant alors
appliqué par le juge mais avec des modulations au cas par cas, à compter du moment
où le requérant au su que cet acte avait été adopté, et ce au nom d’un principe de
sécurité juridique par ailleurs très en forme ces temps-ci).
CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n°387763
Czabaj outragé (par la CEDH en 2023) !
La CEDH a en effet estimé que c’était bien gentil, comme l’a fait le Conseil d’Etat en
2016, contre les termes clairs du Code de justice administrative, d’imposer ce délai
indicatif d’un an comme étant un maximum.. mais qu’au nom de ce même principe,
faute pour ce revirement de jurisprudence d’avoir eu des signes avant-coureur, au
minimum faut-il que les requérants antérieurs ou juste postérieurs à cette décision de
2016 ne se voient pas appliquer cette règle qu’ils ne pouvaient prévoir.
CEDH, 9 novembre 2023, Legros, n° 72173/17
Czabaj cassé (le 8 mars 2024) !
Car la cour de cassation a estimé le 8 mars dernier qu’il ne convenait pas au monde
judiciaire de se voir importer cet étrange produit contra legem qu’est l’arrêt Czabaj
Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560 et n° 21-21.230 [2 esp.], au Bull.
Czabaj martyrisé (par de nombreux commentateurs) !
Bon là voir mon résumé ici :c’est l’histoire d’un produit que le Conseil d’Etat a
concocté tout seul dans son coin alors que, pour le juge administratif, le bonheur
aurait pu résulter d’un simple coup de fil (une demande de modification de l’article
réglementaire du CJA eût suffi…). Puis voici qu’on découvre que ce produit inventé
sur-mesure s’exporte mal. Très mal. Faut dire que maltraiter à ce point le principe
de sécurité juridique (du point de vue du requérant) au nom du principe de sécurité
juridique (du point de vue de l’administration), c’était un peu fort de café.Il y a
quelques mois, c’était la CEDH qui n’en voulait pas (en tous cas pas sans délai de
prévenance). Maintenant, c’est la Cour de cassation qui refuse ce produit. Czabaj va
donc bien rester, au moins à court terme, un produit domestique, réservé au marché
intérieur qui est celui du juge administratif français. Et encore sans être applicable
aux affaires en cours avant cette décision… Mais dès que l’on ira sur les brisées du
juge judiciaire, adieu la décision Czabaj et ses commodités pour les
administrations.
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Faisons le point sur un naufrage qui a commencé par l’enfumage « Czabaj » et qui va
devoir se finir en opération débourbage, pour ne pas dire de déminage.
Bref, nous vivons en des temps où prévaut le principe de la sécurité juridique. Bref, celui de
la tranquillité pour les auteurs d’actes administratifs illégaux passé un certain délai.
Ainsi les actes individuels non notifiés ou mal notifiés ne peuvent-il plus être attaqués
indéfiniment (un délai — indicatif — d’un an pour engager un recours étant alors appliqué
par le juge mais
certains vices (de procédure et de forme) donnent lieu à moins d’annulation que de
par le passé depuis l’arrêt Danthony. Voir :
o CE Ass., 23 décembre 2011, Danthony, n°335033
o https://blog.landot-avocats.net/?s=danthony.
o pour un point général : Jurisprudence Danthony : 11 ans… et quel bilan ?
[VIDEO]
et nous pourrions détailler des évolutions analogues, en matière :
o d’autorisations environnementales. Pour un exemple frappant, voir :
CE, 27 septembre 2018, n° 420119,
o de liens entre illégalité du PLU et du Permis de construire ou d’affichage des
permis. Voir par exemple :
CE, 9 novembre 2018, SCI Valmore, req., n° 409872
Même mal affiché, un permis de construire ne peut pas être contesté
n’importe quand
o ou de marchés publics. Voir par exemple :
CE 3 octobre 2008, Smirgeomes, n° 305420 ;
CE Ass., 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n° 304802.
CAA Bordeaux, 23/06/2016, 14BX02263
etc.
Voir nos très nombreux articles de blogs et vidéos à ces sujets…
Dès lors, pour emprunter une formule vue sur twitter, brillamment concoctée (avec un brin
d’excès certes) par un confrère (#Grégory @sisyphe1801), la « sécurité juridique n’a plus de
limite »…. disons qu’elle en a de moins en moins. D’autant que la jurisprudence Czabaj, pour
ne s’en tenir qu’à elle, a connu depuis lors une croissance impressionnante.
A noter : le pli recommandé, même non retiré, fait courir le délai indicatif d’un an de la
jurisprudence Czabaj (CAA Nantes, 4 mars 2022, n° 21NT01507 ; voir ici cette décision et
notre article).
o
cet été, par un important avis contentieux, à publier en intégrale au recueil, le Conseil
d’Etat a posé que l’on peut avoir double ration de Czabaj (Conseil d’État, avis ctx,
12 juillet 2023; n° 474865, au recueil Lebon ; voir ici cet avis et notre article) :
o que le délai d’un an est bien interrompu par un recours administratif,
gracieux ou hiérarchique… avec même un possible départ d’un nouveau
délai indicatif d’un an si à l’issue dudit recours se trouve de nouveau une
décision non notifiée ou mal notifiée en termes de voies et délais de recours
(mais bon là cela fait un bis repetita un peu honteux pour l’administration )
o que la demande d’AJ interrompt également ce délai de la jurisprudence
Czabaj.
cet été toujours, le Conseil d’Etat a eu à répondre à une autre question : que se passe-t-
il si ensuite ledit requérant se trompe, lui aussi, et saisit, à tort le juge judiciaire ? Le
délai indicatif d’un an est-il interrompu par la saisine, erronée, de ce juge ?
La réponse de la Haute Assemblée à cette question est que le délai d’un an s’apprécie
avec pour date de fin la saisine du juge judiciaire… à charge pour le requérant de
saisir le juge administratif dans les deux mois à compter de la date où le juge judiciaire
s’est irrévocablement déclaré incompétent)
Voir ici cette décision et notre article : Conseil d’État, 5 juillet 2023, n° 465478, aux
tables du recueil Lebon
III. Czabaj, la discordance (avec une censure non du
principe, mais de son application immédiate. Ce qui
d’ailleurs ne manque pas de sel à plusieurs titres)
Mais voici que l’arrêt CZABAJ est, ensuite, écorné, en novembre 2023, d’un petit tour à
Strasbourg.
Devant la CEDH, en effet, des requêtes avaient été déposées relatives à l’application
immédiate en cours de procédures du revirement de jurisprudence relatif aux délais de recours
opéré par le Conseil d’État dans un arrêt du 13 juillet 2016. En application de cette
jurisprudence, les recours en annulation introduits par les requérants ont été jugés tardifs soit
par le tribunal administratif alors que la requête avait été enregistrée avant le 13 juillet 2016,
soit par la cour administrative d’appel.
1. Est-il contraire à la CEDH (Convention européenne des droits de l’homme) que l’on
méconnaisse ainsi le droit écrit. Dans l’affirmative, une telle violation relèverait-elle
de ce que peut censurer la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH ; institution
siégeant à Strasbourg et dépendant du Conseil de l’Europe) ?
2. Surtout, n’aurait-il pas fallu n’appliquer ce revirement de jurisprudence qu’aux cas
futurs (bref, appliquer une sorte de « jurisprudence AC! CE, Ass., 11 mai 2004,
Association AC! , n° 255886, rec. p. 197, GAJA 23e éd. 101) ?
La Cour considère que la définition, par voie prétorienne, d’une nouvelle condition de
recevabilité, fondée sur des motifs justifiant l’évolution de jurisprudence ayant conduit à
la création d’un « délai raisonnable » de recours, ne porte pas, alors même qu’elle est
susceptible d’affecter la substance du droit de recours, une atteinte excessive au droit
d’accès à un tribunal tel que protégé par l’article 6 § 1 de la Convention.
Et elle a répondu OUI à la seconde. OUI il aurait fallu des signaux, des informations
pour que cela ne s’applique pas sans transition aux litiges en cours, même les plus
récents.
dans ces questions de délais raisonnables, il est amusant de voir le temps mis à ce que
tout ceci aboutisse à un état du droit un peu stabilisé
c’est au nom de la sécurité juridique (du point de vue de la légalité des actes, du droit
à avoir confiance dans le droit applicable, en quelque sorte) que cette décision Czabaj
a été prise. Mais c’est, via le droit à un procès équitable de l’article 6 § 1, de la
CEDH… que cette jurisprudence Czabaj a été prise. Avec même si la CEDH ne le
formule pas ainsi, une règle de base : on ne change pas les règles du jeu en pleine
partie !
Bref, la sécurité juridique a justifié l’arrêt Czabaj, mais c’est la sécurité juridique
qui conduit à censurer son application immédiate.
c’est d’ailleurs en droit interne le Conseil d’Etat qui ces temps-ci s’est fait le chantre
de ce droit, toujours au nom de la sécurité juridique, à ce que les citoyens n’aient pas
de changement de règles sans délai suffisant pour s’adapter à ces nouvelles règles du
jeu :
o Ainsi que le rappellent les articles L. 221-5 et L. 221-6 du code des relations
entre le public et l’administration (CRPA), il incombe à l’autorité investie du
pouvoir réglementaire d’édicter, pour des motifs de sécurité juridique, les
mesures transitoires qu’implique, s’il y a lieu, une réglementation nouvelle. Il
en va ainsi en particulier lorsque l’application immédiate de celle-ci entraîne,
au regard de l’objet et des effets de ses dispositions, une atteinte excessive aux
intérêts publics ou privés en cause.
Ces principes, posés par le CRPA, résultent d’une jurisprudence désormais
constante et, même, exigeante (CE, Assemblée, 24 mars 2006, Société KPMG
et autres, n° 288460, rec. p. 154 ; CE, Section, 13 décembre 2006, Mme , n°
287845, rec. p. 540).
o le juge s’autorise lui-même à imposer, transitoirement, de telles transitions
juridiques au delà de ce qui était prévu ou avec plus d’étapes que prévu (y
compris si cela résulte de décisions de Justice et/ou de difficultés identifiées en
cours de mise en oeuvre : CE, 30 décembre 2021, n°434004 et autres, à
mentionner aux tables du recueil Lebon ;voir ici notre article).
o c’est au nom de ce principe par exemple qu’en 2022 le Conseil d’Etat avait
censuré l’application précipitée de la réforme de la procédure civile… en
précisant qu’un délai indicatif de 3 mois eût été nécessaire (ce qui est un indice
pour d’autre réformes)… et en semant, alors, le trouble dans le monde des
civilistes (Conseil d’État, 22 septembre 2022, n° 436939, à mentionner aux
tables du recueil Lebon ; voir ici cette décision et notre article)
o par deux décisions assez différentes, le Conseil d’Etat a appliqué ce principe
juridique en matière de réformes éducatives (4 février 2022, n° 457051
457052, d’une part, et n° 448017, d’autre part, à mentionner aux tables du
recueil Lebon dans les deux cas).
pour les contentieux à venir, cette décision de la CEDH ne changeait rien. La décision Czabaj est
validée dans son principe, ce n’est que son application trop rapide sans signes avant coureurs qui
est censurée.
Pour les contentieux passés, elle peut fortement influer, mais non sans quelques moyens de
défense pour l’administration :
o sur les affaires engagées par un requérant peu de temps après la décision de l’arrêt
CZABAJ et qui seraient encore pendantes, ou encore susceptibles de recours devant la
CEDH… l’irrecevabilité soulevée par l’administration et acceptée (ou susceptible de
l’être pour les affaires non encore jugées) par le juge, pour tardiveté, risque d’être
censurée
o pour les affaires en cours mais postérieures de plusieurs mois ou années par rapport à la
date de lecture de la décision Czabaj… l’administration en défense pourra s’appuyer sur
certaines formulations de la CEDH elle-même afin de rejeter pour tardif les recours de
requérants qui par exemple en 2017 ou 2018, ne pouvaient plus prétendre être légitimes à
ignorer « cette nouvelle règle du jeu »).
Avec en tous cas un effet « rebond », « rejeu »… résurgence pour d’anciens contentieux. Comme à la fin
de ces films à suspens où revient une source de frayeur que l’on croyait enterrée. Bref, pour certains
litiges, ce sera le retour de morts-vivants juridiques. La CEDH aurait du lire sa nouvelle décision le jour
d’Halloween. Pour faire raccord.
Elle estime, à rebours du Palais Royal, donc, que si une personne n’est pas régulièrement
informée des recours dont elle dispose pour contester “un titre exécutoire” sur lequel se fonde
l’État pour lui réclamer de l’argent, elle n’est pas contrainte de former son recours dans le
délai d’un an.
Elle avait, sur ce point, deux affaires à juger. Dans l’une, une commune avait réclamé à une
société le paiement d’une taxe locale. La commune a notifié trois titres exécutoires à cette
société. La Cour d’appel avait accepté d’importer le délai, raisonnable, d’un an dans sa
jurisprudence judiciaire au diapason du Conseil d’Etat.
Dans la seconde affaire, une communauté d’agglomération avait réclamé à une société le
paiement de factures d’eau. Elle a notifié deux titres exécutoires à cette société, qui les a
contestés devant le juge judiciaire. Cette Cour d’appel, elle, avait refusé d’utiliser Czabaj, et
elle avait donc accepté la recevabilité du recours de la société, dépassant pourtant le délai
d’un an, contre ces titres exécutoires ayant des voies et des délais de recours non ou mal
notifiés.
l’article R. 421-5 du code de justice administrative prévoit que les délais de recours
contre une décision administrative (individuelle en réalité ; les actes réglementaires
n’ayant pas à être notifiés) ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été
mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision…. article
donc, nullifié en quelque sorte par Czabaj (combiné avec un PGD diront les
défenseurs de Czabaj ; ce que je ne puis qu’être.. étant moi-même avocat de
collectivités publiques !).
l’article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales prévoit que le débiteur
d’une créance d’une collectivité locale dispose d’un délai de deux mois pour contester
celle-ci devant la juridiction compétente, à compter de la notification de ce titre.
… ce qui veut dire pour la Cour de cassation que ce délai ne court que s’il y a
notification en bonne et due forme.
La Cour de cassation, se fondant sur ces dispositions, et refusant, donc, de les combiner avec
un principe général du droit de sécurité juridique du point de vue la norme juridique en cause
et de l’administration… a posé de son côté comme étant un principe que le délai pour
engager une action en justice contre une décision quelle qu’elle soit (civile ou
administrative) ne peut commencer à courir que si deux informations ont été régulièrement
notifiées à l’intéressé – les voies de recours dont il dispose et le délai qui lui est accordé
pour agir.
Devant le juge judiciaire, la contestation d’un titre exécutoire passé le délai d’un an
reste donc acceptable (si les voies et délais de recours ont été non ou mal notifiés) car ce
même juge tient compte de règles de prescription qui, en tout état de cause, imposent
une limite dans le temps à l’exercice des voies de recours… .
Par exemple, précise la Cour de cassation, dans son communiqué, s’agissant des créances de
l’Etat, celles-ci ne pourront plus être réclamées à l’issue d’un délai de quatre ans.
Voici ces décisions :Cass. plén., 8 mars 2024, n° 21-12.560, au Bull. Cass. plén., 8 mars
2024, n° 21-21.230, au Bull.