Vse 195 0077

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COMPTABILITÉ POLITIQUE OU LE DROIT COMPTABLE AU SERVICE DE

L'INTÉRÊT GÉNÉRAL

El Mehdi Lamrani

ANDESE | « Vie & sciences de l'entreprise »

2013/3 N° 195 - 196 | pages 77 à 98


ISSN 2262-5321
Article disponible en ligne à l'adresse :
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VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE 77
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COMPTABILITE POLITIQUE OU LE DROIT COMPTABLE AU


SERVICE DE L’INTERET GENERAL
Par El Mehdi LAMRANI6
Docteur en Sciences de Gestion
CEDAG/Management (EA 1516)
Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité

Résumé :
A partir d’une réflexion sur le rôle de la normalisation et en mettant en exergue les
rapports de force qui la sous-tendent, nous faisons la description des enjeux de
pouvoir de la comptabilité. Nous soulignons ensuite le rôle de la recherche
comptable dans la promotion d’une comptabilité politique, en posant ainsi le
problème de l’interaction entre politique et droit comptable.
Cet article montre que la dimension politique est au cœur de la production de
l’information comptable et de sa normalisation. Son ambition est de contribuer au
débat sur la portée des valeurs que véhiculent non pas les données comptables
arithmétiques, mais les normes comptables internationales.
Conçues uniquement pour répondre aux besoins d’information des apporteurs de
capitaux, ces dernières véhiculent une représentation comptable de l’entreprise
prônée par le capitalisme financier.

Mots clés : Comptabilité, sciences politiques, normalisation comptable

Abstract:
By magnifying the role of standardization and highlighting the balance of powers
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which underlie it, we describe the power of the role of accounting in a firm. We then
emphasize the role accounting research plays in promoting an accounting policy in
outlining the issue of the interaction between policy and accounting law.
This paper illustrates that the policy dimension is at the core of accounting
information generation and standardization. It aspires to contribute to the debate
dealing with the impact of values conveyed not by the accounting arithmetical data
but by the international accounting standards.
Designed exclusively to meet the investors’ information needs, these accounting
standards convey an accounting perception of the firm imposed by security
capitalism.

Keywords : Accounting, humanities and social sciences, political science

6
Une première version de cet article a été présentée au colloque annuel 2012 de l’Association pour la
Recherche Interdisciplinaire sur le Management des Organisations (ARIMHE) et a été acceptée au
congrès annuel 2013 de l’Association Francophone de Comptabilité (AFC). L’auteur remercie les
réviseurs anonymes, de ces deux manifestations et ceux de la revue VSE pour leurs remarques et
conseils.
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INTRODUCTION
TRAITE DE COMPTABILITE POLITIQUE
« J’avoue que je ne suis pas enchanté de l’idéal de vie que nous présentent ceux qui croient
que l’état normal de l’homme est de lutter sans fin pour se tirer d’affaire, que cette mêlée où
l’on foule aux pieds, où l’on se coudoie, où l’on s’écrase, où l’on se marche sur les talons et
qui est le type de la société actuelle, soit la destinée la plus désirable pour l’humanité. »
John Stuart Mill (1848).

Les scandales comptables et financiers des années 2000 (Enron, WorldCom,


Ahold, Parmalat, Xerox, Vivendi Universal, etc.)7 ont suscité une grande inquiétude
dans les milieux économiques, financiers et politiques. Aux pertes financières de
milliers d’investisseurs s’ajoutent les pertes morales et sociales subies par
plusieurs milliers de salariés.
Avec la crise financière de 2008 et les plans sociaux qui se sont multipliés, la
confrontation des « valeurs comptables » et des « valeurs humaines » est plus que
jamais d’actualité. Ainsi, il nous semble qu’une « comptabilité nouvelle, témoin
d’une nouvelle conscience »8 ne pourrait échapper à l’exigence d’un retour de la
politique9 au sens aristotélicien10 du terme.

La comptabilité des entreprises contribue à façonner le fonctionnement


économique et à lui donner une forme à la fois précise et historiquement
changeante. Elle a un impact profondément structurant et construit l’entreprise en
la faisant exister comme un « tout » appréhendable.
En effet, la comptabilité n’est pas seulement un résultat des interactions
économiques. Elle est aussi un instrument puissant de cadrage de la réalité
économique, fournissant un cadre de pensée et des techniques de calcul qui
permettent d’analyser financièrement différents aspects de la vie.
Longtemps perçue en France comme une technique neutre, la comptabilité est,
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avant tout, une convention sociale, historiquement datée, évolutive au gré des
grands mouvements économiques, plus ou moins agitée par des pressions
contradictoires. Elle est destinée à produire des effets économiques et sociaux,
dont le plus important est d’apporter la confiance dans les transactions.
Le fait de l’envisager comme une « science11 » à part entière et comme une
discipline pose le problème des fondements du cadre conceptuel. Aussi bien en
France que dans les pays où la comptabilité bénéficie depuis longtemps d’un statut

7
Si la réponse judiciaire reste, pour chacune des affaires, essentiellement nationale, leurs causes
apparaissent éventuellement imputables à la matière comptable et à son traitement, de plus en plus
normalisé au plan mondial.
8
Schoun et al., (2012).
9
« C’est-à-dire l’art du commandement social, l’activité valorisée et valorisante dont l’unique dessein
est le Bien commun ». (Dieu, 2008, p. 5).
10
La politique représente pour Aristote la recherche des fins les plus hautes de l'homme qui, en tant
qu'animal politique, ne peut accéder à son humanité véritable que dans le cadre de la cité, dont la fin
n'est pas seulement de pouvoir vivre ensemble - savoir satisfaire ses besoins et s'entendre - mais
surtout de bien vivre, d'avoir une vie heureuse, c'est-à-dire vertueuse.
11
« L’idée même de science a suscité de vastes et complexes polémiques. Un accord assez général se
dégage cependant pour reconnaitre à la science quatre caractères : elle est un discours portant sur le
réel, contrôlable intersubjectivement, inachevé et donc révisable » (Denquin, 1992, p. 13).
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de discipline « noble », le cadre conceptuel a généralement fait référence à la


théorie économique plutôt qu’à des concepts philosophiques. Cette démarche est,
en cela, fidèle à la logique globale du management dans sa filiation avec la
rationalité instrumentale et la primauté des valeurs économiques. Ainsi, le fait de
porter un regard sur les enjeux sociaux et humains de la comptabilité, nous amène
à dépasser le cadre de l’économie telle qu’on l’entend aujourd’hui, une économie
financiarisée, pour l’intégrer dans le domaine de l’économie politique12.
Emprunter à l’économie politique13 pour fonder des éléments du socle conceptuel
de la comptabilité, voire de la totalité de ce cadre, suppose que l’on s’intéresse
franchement aux sciences humaines et sociales : la philosophie, l’histoire, la
politique, la géopolitique et les relations internationales.
Le champ philosophique distingue en effet classiquement quatre domaines :
l’esthétique, la métaphysique, l’éthique et la politique, en d’autres termes : le Beau,
le Vrai, le Bien, le Juste (Pesqueux et Noël, 2009). S’il est possible de puiser dans
chacun de ces domaines des éléments propres à consolider le fondement
conceptuel de la comptabilité, une exploration du domaine normatif sous l’angle de
la science politique14 permettrait d’appréhender certains problèmes posés par la
comptabilité.
Le « champ politique15 » permet d’analyser la régulation16 comptable internationale,
notamment européenne, dans une optique institutionnelle. Notre analyse se réfère
à des recherches menées en sciences politiques sur la question de l’évolution de
la place de la puissance publique.
Dans cette perspective, nous nous sommes interrogés sur le rôle de la politique17
en comptabilité pour mettre l’intérêt général au cœur du processus de
normalisation comptable et sur l’intérêt d’une comptabilité prenant en compte les
conséquences sociales, économiques et environnementales des choix issus de
cette dernière. Sans qu’elle soit pour autant une alter-comptabilité, son approche
dépasse les intérêts des individus et de l’organisation pour intégrer l’intérêt général
de la société. En ce sens, nous l’appellerons comptabilité politique18, considérant
que ce système normatif permettant aux différentes parties prenantes d’accéder à
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une information pertinente et fiable répondrait mieux à l’exigence de justice d’une

12
L’économie politique est selon l’expression d’Alfred Marshall, « une étude de l’humanité dans les
affaires ordinaires de la vie » (Barre et Teulon. 1997, p. 5).
13
« Les auteurs contemporains définissent l’économie politique comme étant : la science sociale qui
étudie les comportements humains devant des moyens rares sollicités par des fins multiples »
(Jacquemin et al., 2001, p. 3).
14
Au sens de « champ social d’intérêts collectifs contradictoires ou d’aspirations collectives
antagonistes que régule un pouvoir détenteur de coercition légitime » (Braud, 2011, p. 7).
15
Concept défini, en référence aux travaux de Bourdieu, par Frankel et Hojberg (2007, p. 8), comme
des « systèmes de relations structurés par des rapports de force entre des acteurs politiques et des
institutions ».
16
Par régulation comptable, nous entendons, à l’instar de Colasse (2005, p. 28), « le processus de
production, de mise en œuvre et de contrôle de l’application des normes comptables ; ce processus
peut se développer dans des espaces géopolitiques plus ou moins étendus et plus ou moins organisés,
à l’échelle d’un pays, d’un ensemble de pays ou du monde entier ».
17
« La politique comme l’art de gouverner les hommes vivant en société ». (Braud, 2011, p. 6).
18
« Comptabilité politique » non pas au sens de « comptabilité publique ». Pour nous : est politique ce
qui relève de l’intérêt général et de la fonction politique. Cette fonction peut être assumée non
seulement par les États, mais aussi par toute organisation dont la composition et le fonctionnement
garantissent a priori qu’elle œuvre pour l’intérêt général et non pour un intérêt particulier.
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société démocratique19. Il s’agirait donc d’une comptabilité humaniste, davantage


concernée par la condition humaine, mettant ainsi la technique, cette intelligence
de l’Homme, au service de l’humanité.
En raison de la primauté des valeurs économiques dans le processus de
normalisation actuel, nous nous appuyons sur le champ de l’économie politique qui
se réfère à la valeur sociale, en revisitant cette conception et en l’adaptant à la
comptabilité et à son droit (I). Nous démontrons que l’interdépendance de la
comptabilité et des systèmes économiques fait que la comptabilité et la politique
sont également imbriquées20 (II).

1. COMPTABILITE : LA SCIENCE, LA TECHNIQUE ET LE DROIT


Les travaux d’Hopwood (1974, 1976, 1983) relient la comptabilité au
développement de la démocratie industrielle et des diverses restructurations que
connaît la société au début des années 1970. En effet, la mise en parallèle d’une
lecture de l’évolution des régimes politiques et des organisations économiques
s’avère particulièrement instructive.

Ainsi, le champ de la comptabilité s’élargit par rapport aux conceptions prévalant


dans les années 1960 (Hopper et al., 2001). Ce n’est plus seulement un outil
technique, c’est également un phénomène organisationnel, social et donc politique
(Berland et Pezet, 2009). Ceci démontre bien que la comptabilité est une science
humaine qui reflète une société.

1.1. LES SCIENCES COMPTABLES SONT DES SCIENCES SOCIALES

Jean Fourastié en 1943 écrivait : « la comptabilité est généralement tenue pour


une connaissance utile, mais elle a aussi une solide réputation d’arbitraire, d’ennui,
d’obscurité, de pédantisme ; on ne lui reconnaît aucune place parmi les
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connaissances qui contribuent à la culture générale de l’homme ».
Il semble, cependant, aujourd’hui, qu’un intérêt renouvelé pour la comptabilité en
tant que pratique sociale ait refait surface. « On commence désormais à la voir
sous un autre jour, peut-être plus ambiguë mais à coup sûr plus attrayante,
presque fascinante, et en tout cas à découvrir et à redécouvrir »21.

Si on trouve dans la recherche en comptabilité les termes : « multipolaire »


(Colasse, 2011b), « colonisation » (Bessire, 2010 ; Berland et Pezet, 2009),
« souveraineté » (Pesqueux, 2010), « géopolitique » (Richard, 2005), « contrôle
démocratique » (Bessire, 2010) et « gouvernance », c’est que la comptabilité, en

19
L’ONG Global Transparency Initiative affirme, en ce sens, que le droit de « chercher, de recevoir et
de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées » - en tant que droit humain
fondamental énoncé par l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations
Unies (DUDH) - s’applique à la question des informations financières détenues par les entités publiques
et privées.
20
Voir les travaux des auteurs de l’ouvrage « Comptabilité, Société, Politique, Mélanges en l'honneur
de Bernard Colasse », et de l’ouvrage « Comptabilité, Contrôle et Société, Mélanges en l'honneur du
Professeur Alain Burlaud ».
21
Colasse (2012, p. 3).
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tant que science sociale, n’est plus simplement une science de gestion, mais
également une science politique.
En effet, « si une science sociale détermine sa prise de vue sur le monde, il n’en
reste pas moins que ses frontières avec les disciplines voisines sont malaisées à
tracer dans la mesure où l’objet de son étude reste la totalité humaine, complexe et
diverse. Chacune des sciences sociales organise sa propre causalité, mais
rencontre vite la stérilité si elle cultive un splendide isolement. Cependant, chacun
risque d’affaiblir son analyse si elle ne sait pas limiter son objet et se garder des
empiétements sur d’autres domaines. » (Barre et Teulon, 1997, p. 5).
Il convient ainsi de proposer une ou plusieurs définitions de la comptabilité,
éclairée par son appartenance aux sciences sociales.

1.1.1. Définitions de la comptabilité

La comptabilité peut être considérée comme l’ensemble des opérations


permettant, d’une part, d’enregistrer les flux réels et les flux monétaires de
l’entreprise, et d’autre part, d’établir les documents qui en découlent. En ce sens,
elle peut être définie comme « un système d’information qui traite de l’information
exprimée en monnaie »22. Elle est ainsi « la technique de l’établissement des
comptes. »23 Le compte est lui-même défini comme « l’état de ce qui est dû ou
reçu. ».
La comptabilité est la science qui a pour but « l’enregistrement en unités
monétaires des mouvements de valeurs économiques, en vue de faciliter la
conduite des affaires financières, industrielles et commerciales. »24. C’est « un
système d’organisation de l’information financière permettant de saisir, classer,
enregistrer des données de base chiffrées et de présenter des états reflétant une
image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l’entité à la
date de clôture. »25.
De ce point de vue, comme nous allons le voir par la suite, le droit comptable
regroupe « l’ensemble des dispositions légales et réglementaires qui conditionnent
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la technique comptable » : droit des documents comptables qui doivent être tenus
par les entreprises, droit des comptes eux-mêmes et des principes comptables et
droit de l’information comptable.
La comptabilité dont il est question ici est celle que l’on qualifie de « générale » ou,
à partir d’un terme qui témoigne de son américanisation (Colasse, 2004) et de sa
nouvelle orientation, de « financière » (financial accounting), ce qui exclut déjà la
comptabilité analytique, non encore saisie par le droit.

La comptabilité « financière » est donc un langage, enrichi de son histoire,


répondant à des conventions (Amblard, 2004), à des normes26 et à des principes
destinés à fournir une représentation de la situation économique et des résultats
de l’entreprise. Elle « n’est pas un objet technique autonome et passif ; elle

22
Bonnebouche et Grenier (2004).
23
Larousse pratique, dictionnaire du français au quotidien, Éditions Larousse, 2003.
24
Fourastié (1948).
25
L’article 120-1 du Plan Comptable Général 1999.
26
Selon Chantiri-Chaudemanche et al. (2012, p. 143), c’est « un texte émis par un organisme de
normalisation ayant une certaine autorité et proposant un traitement comptable sur un thème précis ».
Par ailleurs, la notion de norme comptable est d’acception plus large que la notion de règle.
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s’inscrit, elle est « encastrée » dans un contexte historique, économique et social


avec lequel elle interagit et sans lequel elle n’existerait pas » (Colasse et al., 2010,
p. 21).
La comptabilité est « un instrument de pouvoir par le monopole de l’information »27.
Elle est donc apparemment d’ordre technique et pourtant éminemment politique.

1.1.2. La comptabilité est une science sociale


e
Dès le XIX siècle, Max Weber faisait de la comptabilité le cœur de la rationalité de
l’économie capitaliste. Pour ce sociologue et économiste, la comptabilité joue un
rôle essentiel dans la rationalisation constitutive du capitalisme28 en contribuant à
former notre perception de la réalité économique. De même, Karl Marx considérait
la comptabilité comme le moyen central assurant le développement et la
reproduction des relations sociales liées au capitalisme (Chiapello, 2007). Ainsi, la
comptabilité devient un objet d’analyse fondamental pour les sciences sociales.

En effet, il revient aux sciences sociales d’étudier non seulement les conflits sous-
jacents et les contradictions qui caractérisent les nombreux problèmes comptables,
mais aussi de mettre à jour les potentiels organisationnels et sociaux de la
comptabilité.

Si « le comptable […] est le véritable économiste à qui une coterie de faux


littérateurs a volé son nom »29, on oublie en effet, trop souvent que la comptabilité
est également un objet d’étude central des débuts de la sociologie (Miller, 2007).
La comptabilité n’est, néanmoins, pas une science exacte, mais une science de
mesure, et le facteur humain y joue un rôle primordial.
La comptabilité façonne l’économie et la société. En ce sens, les sciences
comptables sont des sciences sociales. Cette évidence n’a été redécouverte30 que
depuis peu, après une longue période où son influence sociale avait été négligée.
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Il convient en conséquence de mettre en exergue l’évolution du droit comptable et
la diversité de ses sources.

1.2. UN DROIT COMPTABLE EN PLEINE MUTATION

Le droit comptable est une discipline relativement nouvelle, en pleine évolution, qui
cependant rassemble des éléments anciens, nés des exigences de rendre compte
et de garder trace des transactions, et ce, dès les premiers échanges. Puis, en
raison du développement industriel et de la nécessité du crédit, il a fallu élaborer et
rassembler un corps de techniques comptables. Mais, à mesure qu’une technique
progresse, elle appelle, pour ordonner sa fonction sociale, des règles juridiques.
C’est ainsi que s’est formé le droit comptable, en tant que discipline à part entière.

27
Lassègue (1996, p. 16).
28
Voir Richard (2005).
29
Proudhon (1846, 159).
30
Les chercheurs à l’origine de ce renouveau d’intérêt sont parfois étrangers au champ de la
comptabilité (Argyris, Hofstede, Callon, Fligstein ou encore Granovetter).
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Il convient de clarifier ce qu’est le droit comptable, pour ensuite exposer ses


sources de normalisation.

1.2.1. Le droit comptable : droit des comptes et droit des comptables

Le droit est « un système de règles et de solutions organisant la société au nom de


certaines valeurs sociales. Par exemple, le droit vise à la justice sociale ou bien
encore la sécurité. » (Bocquillon et al., 2012, p. 3). C’est un dispositif normatif, un
ensemble de règles sociales, qui gouverne les rapports sociaux, garanti et
sanctionné par l’intervention de la puissance publique.

Le droit comptable est la branche du droit privé qui régit les comptables et la
comptabilité. A cet égard, « le rattachement au droit privé, entendu comme
l’ensemble des lois gouvernant les rapports entre les citoyens est indiscutable »
(Lauzainghein et al., 2004). De fait, en réglant les missions comme les
responsabilités des professionnels de la comptabilité, en posant les conditions de
la valeur probatoire des comptes, comme de leur diffusion au bénéfice des
associés, des tiers ou des salariés, le droit comptable participe, sans conteste, du
droit privé. Mais ce serait une erreur de croire au caractère exclusif de son
rattachement. A l’intérieur du droit comptable, il y a de nombreuses plages de droit
public. C’est le cas, par exemple, des dispositions régissant l’Ordre des Experts
Comptables ou la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes, du droit
pénal comptable, ainsi que des relations qu’entretiennent le droit fiscal et le droit
comptable. Néanmoins, la tonalité générale est privatiste, et la plupart des règles
du droit comptable sont issues du droit civil ou du droit commercial, de sorte que
certains auteurs en font l’un des rameaux du droit des entreprises.

Aujourd’hui, il est communément admis (Colasse (2004) ; Burlaud et al. (1998) ;


Lauzeinghein et al. (2004)) que le droit comptable comporte deux composantes : le
droit comptable des comptes (appelé également droit de la comptabilité) et le droit
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comptable des comptables.
Le droit de la comptabilité réglemente l’élaboration, l’établissement et la
présentation des comptes des organisations publiques et privées. Il est
« l’ensemble des normes plus ou moins coercitives qui régissent la production, la
présentation et la diffusion de l’information comptable ». Le mot « norme »
(standards) est privilégié à celui de « règle ». En effet, ce dernier évoque plus
spécifiquement des contraintes imposées par l’État. Or les nombreuses contraintes
qui pèsent sur la comptabilité n’émanent pas de l’État, et émaneront probablement
de moins en moins de lui. Les normes comptables englobent donc les règles
émises par l’État mais ne se limitent pas à elles seules.
Le droit des comptables, quant à lui, s’attache à réglementer la profession
comptable. Il régit le comportement de ceux qui ont des comptes à rendre (les
dirigeants des entreprises en tant que responsables devant les tiers) et de ceux qui
font ces comptes (les comptables au sens étroit et les experts-comptables) et
enfin, de ceux qui les auditent (les commissaires aux comptes).

Il y a des interférences évidentes entre ces deux composantes du droit comptable.


Il va sans dire, par exemple, que la principale obligation générale faite aux
comptables est de respecter le droit de la comptabilité (obligation connue sous
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l’expression de « principe de régularité »). Mais, malgré ces interférences, nous ne


traiterons dans la suite de cet article que du droit de la comptabilité, notamment
ses sources.

1.2.2. Les sources nationales et internationales du droit comptable

La comptabilité est aujourd’hui pratiquée dans des entreprises multinationales


implantées sur des marchés ouverts. Il convient donc de préciser ce que l’on
entend par : droit comptable français, européen ou international.
Comme le souligne Colasse (2004), une analyse par les sources du droit
comptable semble particulièrement appropriée pour mieux comprendre la
naissance et l’évolution du droit comptable français.
En effet, d’un droit pyramidal d’essence étatique, bien dans la tradition française,
nous sommes passés, sous la pression conjointe des marchés financiers et de la
normalisation internationale, à un droit coutumier d’origine anglo-saxonne qui
procède pour l’essentiel de sources privées et qui tend à échapper au pouvoir de
sanction de l’État.
Selon Colasse (2010, p. 105), « la multiplicité de ces sources et son aplanissement
font du droit comptable une sorte de droit intermédiaire, une combinaison de droit
« dur » (Hard law), d’origine étatique, et de droit « mou » (Soft law), d’origine
paraétatique ou privée ; ce qui ne facilite pas toujours son application et sa
sanction et tend à en faire un droit « doux » , peu sanctionné, « flou », qu’il faut
interpréter ».

En effet, la réglementation comptable française s’est construite progressivement,


par ajout de différentes strates, ce qui a conduit à un ensemble plutôt confus et
disparate. Elle se rattachait dans un premier temps à une logique de type
normalisation industrielle. La principale source du droit comptable résidait en effet,
depuis 1947, dans le Plan comptable général (PCG), approuvé par simple arrêté
ministériel. Depuis la fin des années 1970, la réglementation comptable française
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s’est toutefois enrichie sous l’influence de la construction européenne. L’adoption
en 1978 de la 4ème directive comptable a en effet conduit le législateur français à
consacrer, pour la première fois, une loi à des dispositions comptables. Il s’agit de
la loi n° 83-353, du 30 avril 1983, dite « loi comptable », qui a notamment réformé
les articles 8 et suivants du Code de commerce. A partir de ce texte, le droit
comptable a connu un véritable « essor législatif ». Depuis, plusieurs textes de loi
ont traité, en totalité ou en partie, de problèmes de nature comptable.
En outre, face à ce foisonnement de sources, et compte tenu des nécessités
d’harmonisation internationale, une vaste réforme du processus de normalisation
comptable français a été entreprise depuis 1996. Ces réformes ont entraîné de
profondes mutations, analogues à celles constatées dans d’autres domaines du
droit économique.

À première vue, les relations qu’entretiennent la comptabilité et le droit sont à sens


unique : le droit comptable régit la comptabilité, laquelle traduit le plus fidèlement et
servilement les réalités juridiques. Cette vision tranchée fut longtemps dominante,
comme en témoigne l’image célèbre de la comptabilité algèbre du droit.
Satellite du droit, la comptabilité n’est que l’expression chiffrée du droit civil ou
commercial, et le bilan n’a qu’une fonction patrimoniale. Pareil asservissement
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appelait « la rébellion » et certains praticiens ont parfois préconisé de libérer, au


moins partiellement, la comptabilité du joug des réalités juridiques, afin de
privilégier la représentation des réalités économiques.
Ainsi, il ressort de l’examen de la comptabilité et de son droit que nous venons de
développer qu’au moins deux visions principales, diamétralement opposées, de la
comptabilité doivent être distinguées.
La comptabilité peut être envisagée, d’une part, comme l’acception des normes
comptables, relevant du droit, qui consistent en la production d’un jeu de chiffres
sûrs, certifiés, objectifs, formant un socle commun, répondant aux différents
besoins de tous les acteurs économiques. D’autre part, on peut envisager la
comptabilité comme indifférente au droit, servant de langage commun sur les
marchés de capitaux et donc se focalisant volontiers sur les variations de court
terme et le calcul de positions instantanées, volatiles par nature, et qui intéresse
surtout une catégorie d’investisseurs financiers.
Parmi les enjeux de la coexistence de ces deux visions, auxquelles correspondent
deux jeux de normes, figure la question du cadre conceptuel. Celui-ci est supposé
définir les objectifs de l’information comptable et préciser à quels utilisateurs la
comptabilité est destinée en premier lieu. En cela, le cadre conceptuel n’est pas
neutre. Comme le souligne Miller (1990, p. 23), celui-ci n’est pas une théorie
comptable intégrée, mais « un ensemble de déclarations politiques exprimées sous
la forme d’une théorie comptable ».
Or, un cadre conceptuel ne sert que lorsque la comptabilité n’est pas insérée dans
le droit. Un cadre conceptuel ne serait-il pas qu’une répétition du droit susceptible
d’introduire un décalage entre le droit, lequel possède une légitimité forte et
indubitable, et la comptabilité ?
Pour se prémunir contre un tel risque, Haas (2012) estime que nous n’avons pas
besoin de cadre conceptuel, et qu’en revanche, des principes fondamentaux
seraient utiles car ils permettraient de poser quelques définitions et garde-fous
salutaires.
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Dans ces conditions, afin d’aboutir à un compromis entre ces deux visions
divergentes, la politique, au sens aristotélicien du terme, a quelque chose à dire à
la comptabilité, notamment envisagée sous son aspect normatif, qui permettrait de
lui conférer des fonctions de discours, de représentation et d’interaction sociale.
Cette ambition demeure avant tout liée à une question d’intérêt général à un
moment où « sous l’empire de la gouvernance, la normativité perd sa dimension
verticale : il ne s’agit plus de se référer à une loi qui transcende les faits, mais
d’inférer la norme de la mesure des faits. » (Supiot, 2010, p. 78). Elle est l’enjeu
décisif qui peut faire de la comptabilité un outil au service de l’Homme, soucieux
des intérêts de l’ensemble des parties prenantes. Supiot (2010, p. 95) va plus loin
et fait même appel à l’esprit de Philadelphie. « La déclaration de Philadelphie qui
au sortir de la guerre avait entendu mettre l’économie et la finance au service des
principes de la dignité humaine et de la justice sociale ».

S’il faut bien mettre ou remettre le droit comptable et la normalisation au service de


l’intérêt général, particulièrement dans ce contexte de crise économique, la
comptabilité « doit, [néanmoins], échapper à la représentation simpliste d’un droit
comptable dicté par un législateur représentant les intérêts supérieurs de la nation
86 VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE
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et mis en œuvre par des professionnels dans le plus strict respect des
textes. » (Burlaud, 2012, p. 219).

2. DE LA POLITIQUE EN COMPTABILITE ET DE LA
COMPTABILITE EN POLITIQUE
« Non seulement les chiffres gouvernent le monde mais encore
montrent-ils comment il est gouverné. »
Goethe.

Notre postulat de départ est que, dans notre société, l’équilibre entre le droit et
l’économie se déplace au profit de cette dernière. Nous observerons ainsi
comment la comptabilité, que l’on a pu définir comme l’algèbre du droit, se
transforme peu à peu pour devenir une algèbre de l’économie.

Appréhendée comme une construction intellectuelle, la comptabilité remplit aussi


une fonction de légitimation31. La comptabilité dont il est question est aussi celle qui
reflète un système économique et une politique plus générale. Elle s’insère dans
un contexte historique, technique, économique et social.
Si le contexte organisationnel32 est souvent l’objet de l’étude de la comptabilité, « il
est possible de comprendre les évolutions des systèmes comptables en prenant en
compte les influences des structures sociales, des institutions et des idéologies »
(Berland et Pezet, 2009, p. 4).

Selon Berland et Pezet (2009, p. 4) « la comptabilité reflète l’essence du


capitalisme ». Les auteurs soulignent que « si les pressions sociales et politiques
changent, nous pouvons nous attendre à des changements dans les formes et la
philosophie des systèmes comptables. La comptabilité apparaît donc comme un
point de tension entre des considérations économiques et des considérations
sociales ». Elle « est un élément de mesure et de conflit entre les différentes
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parties de l’entreprise pour l’appropriation de la richesse produite »33. Richard
(2010, p. 3) montre que « ces rapports de force ont évolué dans l’espace et dans
le temps et ont conduit à différentes conceptions de la comptabilité ». L’auteur
distingue trois grandes classes de systèmes comptables : les systèmes
« capitalistes »34, « soviétiques »35 et « autogestionnaires »36. Il ne s’agit pas pour
nous ici d’étudier les dimensions sociales et idéologiques qui sont impliquées dans
le développement de la comptabilité. Ainsi, sans mésestimer le rôle de l’idéologie,
il convient de souligner ses enjeux sociaux et politiques. Les débats actuels sur les

31
Légitimer l’action des dirigeants de l’entreprise et le bien-fondé du système du marché, en fournissant
des critères d’évaluation de leur réussite et en les protégeant de la contestation. La possibilité de
modifier les indicateurs qui ne rempliraient plus leur fonction est toujours offerte (référence à la gestion
du résultat).
32
La comptabilité est influencée par le social autant qu’elle l’influence en retour (Hopwood, 1983). Par
conséquent, le contexte organisationnel n’est donc pas le seul contexte pertinent pour comprendre et
analyser la comptabilité.
33
Richard (2010, p. 3).
34
Qui calculent le résultat des propriétaires privés.
35
Qui montrent le résultat de la bureaucratie étatique.
36
Qui montrent le résultat du collectif de l’entreprise sous la forme d’une valeur ajoutée.
VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE 87
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normes comptables internationales donnent une idée de l’importance de ces


enjeux.

2.1. LA COMPTABILITE EST UNE SCIENCE POLITIQUE : POLITIQUE ET


GEOPOLITIQUE AU CŒUR DE LA NORMALISATION COMPTABLE

Depuis une trentaine d’années, des courants de plus en plus forts exigent une
harmonisation internationale des conventions et des systèmes comptables, mais
en quelques années, on est passé de cette exigence à celle d’une véritable
normalisation internationale37.
La normalisation comptable consiste à édicter des méthodes, des conventions38,
des règles et des principes communs qui sont censés s’imposer à toutes les
entités économiques. Non seulement elle doit offrir une certaine rationalité
apportant des gages de sérieux et de rigueur aux évaluations, mais elle doit fournir
aussi aux auditeurs légaux (commissaires aux comptes) les bases à partir
desquelles ils pourront fonder leur jugement sur la qualité de l’information
comptable délivrée aux tiers.
Autant dire que la normalisation est le pilier de tout le système comptable, en ce
sens qu’elle codifie le processus de production comptable, les mécanismes de
contrôle et de vérification, ainsi que les références sur lesquelles s’appuieront
ensuite les utilisateurs de l’information pour prendre leurs décisions.

Derrière les processus de normalisation comptable, il y a des agents économiques


qui ont leurs propres intérêts, leurs propres subjectivités et leurs objectifs
stratégiques, et qui souvent négocient pour arriver à des compromis acceptables
par tous. Par conséquent, ces processus n’obéissent pas strictement à des
logiques de rationalité.
Selon Capron (2007, p. 83), « Les caractères des systèmes économiques, les
traditions juridiques, la culture du monde des affaires, le niveau de développement,
l’organisation et le niveau de compétence de la profession comptable, voire les
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systèmes de relations sociales du travail, sont les principaux facteurs qui
déterminent ou influent sur la spécificité d’un système de normalisation
comptable ».
Dans cette optique, Colasse (2011b) évoque l’idée d’une « normalisation
comptable multipolaire » où chaque grande zone géopolitique a ses propres
normes comptables comme une alternative à un retour impossible aux normes
nationales.
Pour Colasse (2011b), l’histoire n’est pas finie et l’émergence de normes
universelles d’essence anglo-américaine n’est pas chose acquise. L’auteur
s’interroge sur la possibilité de voir naître un EASB (European Accounting
Standards Board) à la place de l’IASB qui deviendrait le seul organisme ayant
l’onction politique de l’Union européenne.
Cependant, il est nécessaire, même dans un contexte « d’après-crise », de
comprendre les comptes des entreprises partout dans le monde.

37
Les investisseurs internationaux voulant comparer avec un maximum de fiabilité les chiffres
comptables publiés par les entreprises, quel que soit leur pays d’origine ou d’exercice de leurs activités.
38
À propos de cette notion, voir Gomez et Jones (2000).
88 VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE
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Par ailleurs, la régulation comptable repose sur le socle bicéphale d’une légitimité
tant technique que politique. En mettant l’accent sur une analyse des institutions,
des acteurs privés et publics en présence, et de leur interrelation, nous
examinerons cette question sous l’angle de l’articulation de l’expertise et du
politique, telle qu’elle se manifeste au sein des instances de normalisation
nationales et internationales (2.1.1). Ensuite, nous soulignerons l’importance de la
recherche comptable dans « l’alimentation » du processus de normalisation (2.1.2).
La recherche comptable, en tant que recherche publique, est perçue comme une
boîte à outils pouvant favoriser la prise en compte de l’intérêt général et un
gisement en mesure de faire de l’information comptable et financière un bien
commun39.

2.1.1. Pour un contrôle social et politique des normes et une légitimité


politique des régulateurs comptables

Plusieurs travaux de recherche mettant en évidence la dimension politique en


comptabilité constatent que le travail du normalisateur n’est pas simplement de
résoudre un problème technique, mais de faire le choix entre plusieurs options
selon des critères autres que la « représentation fidèle » de l’activité des
entreprises.
En effet, l’instrument comptable, loin d’être neutre, contribue à façonner les
pratiques économiques et les rapports sociaux. Les normes comptables peuvent
être un outil de domination intellectuelle, voire de domination idéologique. Elles
permettent d’imposer indirectement une approche de l’entreprise ou une certaine
idée de la distribution des richesses au sein de la société. Elles attirent donc
l’attention des groupes d’intérêts sur des organismes normalisateurs. Ainsi, c’est le
processus même de normalisation qu’il faut « capter » pour pouvoir véhiculer ses
propres idées. Dans cette optique, des travaux antérieurs ont étudié les
interactions entre le normalisateur et les parties affectées par ses normes. On
distingue les études qui ont adopté une approche pluraliste, visant à localiser le
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pouvoir ou à décrire le lobbying à l’encontre des normalisateurs, de celles qui vont
plus loin et qui font référence explicitement à la sociologie du pouvoir.
Ainsi, Kwok et Sharp (2005) partent de la définition du pouvoir donné par Lukes
(1977) : « le pouvoir est la capacité d’influencer les conséquences », et identifient
les acteurs de la normalisation internationale, les opportunités, les contraintes et
les ressources dont disposent ces acteurs. A partir de deux études de cas, les
auteurs conclurent que les préparateurs des états financiers ont eu plus d’influence
sur l’IASB, mais que les autres acteurs ne se sentaient pas « perdants dans
l’affaire ».

39
Colasse (2005) a utilisé le terme de « bien collectif » défini comme « un bien que tout un chacun peut
se procurer et qui peut être « consommé » simultanément par plusieurs utilisateurs ; en raison de ces
caractéristiques, la production et l’échange d’un tel bien échappent aux lois du marché et doivent être
par conséquent régulés ». Colasse (2005), fait aussi référence à la définition de Lévêque (2004, p. 27),
pour qui « un bien est collectif quand il possède la double propriété de non-excluabilité et de non-
rivalité. ».
Burlaud (2012, p. 227) considère qu’il y a bien « rivalité entre les catégories d’utilisateurs qui ont des
besoins différents, mais officiellement il n’y a pas d’exclusion possible puisque l’information est
publique ».
VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE 89
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Dans le jeu de pouvoir politique et géopolitique de la comptabilité, les normes


comptables qui s’appliquent désormais aux entreprises européennes sont
élaborées par l’IASB, c'est-à-dire par un organisme international de droit privé. Ce
dernier est composé d’experts « présumés indépendants, mais qui partagent, au
sens de Foucault, la même épistémè »40, acquis majoritairement à une vision
boursière de l’entreprise et à un capitalisme de marchés financiers (Colasse,
2011c). Cela pose évidemment la question du contrôle politique et social de
l’élaboration et de l’adoption des normes comptables (Merckaert, 2012). Bien que
l’IASC/IASB se soit construit au cours du temps une légitimité procédurale, fondée
sur sa procédure de consultation (son due process), et une légitimité substantielle
fondée sur son cadre conceptuel, ces deux sources de légitimité demeurent très
fragiles (Burlaud et Colasse, 2011).

Tout en donnant l’illusion41 que les diverses parties prenantes peuvent participer à
l’élaboration des normes, dans les faits, le due process réserve cette élaboration
aux parties42 qui disposent d’importantes ressources financières et intellectuelles
requises pour une participation efficace. En ce sens, cette procédure n’est pas
démocratique. Elle est certes transparente, mais elle ne garantit pas une
participation équilibrée de toutes les parties prenantes43 (Le Manh-Bena, 2009).
Pour Burlaud et Colasse (2010, p. 160), le due process est « la voie formelle et
officielle du lobbying qui accompagne l’élaboration des normes comptables », or
par ailleurs, « le lobbying emprunte également d’autres voies, moins visibles que
celle-ci ».
Au demeurant, ouvrir le débat sur les normes internationales et leur cadre
conceptuel paraît aujourd’hui bien difficile, bien que beaucoup d’observateurs
estiment que la rigidité de l’IASB va conduire à des situations de blocage. Colasse
(2011a, 2011c) reproche à l’IASB de rechercher des solutions techniques à des
problèmes politiques. Il en appelle donc à un retour du politique dans la
normalisation comptable internationale (Burlaud et Colasse, 2010).
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Dans la mesure où la direction prise par l’internationalisation de la normalisation
comptable rend presque utopique la naissance d’une organisation politique
mondiale44 s’occupant de la comptabilité, à l’instar de l’Organisation mondiale de la
santé (ou du commerce), il convient probablement d’inventer de nouvelles formes
de contrôle social, s’appuyant sur des contre-pouvoirs issus de la société civile et
des processus délibératifs de type nouveau (Burlaud et Colasse, 2011).
Néanmoins, avec « le degré de technicité atteint aujourd’hui par les normes
comptables [et qui] constitue un redoutable handicap pour une appropriation
citoyenne des enjeux de la question comptable » (Capron, 2006, p. 124), il est peut
être judicieux de se tourner45 vers les théoriciens, les chercheurs en comptabilité.

40
Capron et Chiapello (2005).
41
Luthardt et Zimmermann (2009).
42
Colasse et Pochet (2008) mettent en avant le poids certain donné aux experts et notamment aux
grands cabinets d’audit.
43
Raffournier (2011, p. 169) considère que « cette procédure permet, au moins théoriquement, de
placer les groupes de pression à égalité et d’assurer une certaine transparence aux débats ».
44
Villepelet (2009).
45
Voir l’article de Hoarau (2010).
90 VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE
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2.1.2. La recherche comptable et les théories « politiques » de la comptabilité

Selon Bessire (2010, p. 61) « aucune science ne peut se détacher du politique, les
sciences de gestion ne font pas exception à cette règle. En intégrant la dimension
politique dans notre réflexion, nous encastrons délibérément le chercheur dans la
Cité. La recherche n’est pas neutre et prétendre le contraire, c’est déjà adopter en
soi une certaine position politique. ». En effet, la légitimité du normalisateur et le
rôle de l’État en tant que partie prenante dominante font l’objet d’un vif débat46 au
sein de la communauté académique en sciences comptables.
Invités à mener des analyses sur les besoins réels des utilisateurs des comptes,
les chercheurs en comptabilité financière sont conviés47, notamment à travers des
appels48 à contribution de l’ANC49, à être davantage associés aux consultations
lancées par l’IASB et ainsi à participer aux débats européens et internationaux.

Par ailleurs, il existe dans la littérature comptable plusieurs courants de recherche


académique intégrant la dimension politique de la comptabilité. Ainsi, la théorie50
« politico-contractuelle » de Watts et Zimmerman (1978) explique les choix
comptables des entreprises par trois principales motivations : (1) l’intérêt des
dirigeants qui peut les conduire à masquer des informations aux actionnaires ; (2)
l’intérêt de l’entreprise qui peut être contraire à celui des créanciers ; (3) la volonté
de diminuer les « coûts politiques », à savoir les coûts liés à des réglementations
ciblées (et notamment à la fiscalité) qui peuvent toucher certains secteurs ou
certaines entreprises. Notons que les deux premiers types de motivation
s’inscrivent dans une vision contractuelle de l’entreprise inspirée de la théorie de
l’agence.
Ces « coûts politiques » expliquent que certaines entreprises de grande taille (la
taille est souvent la variable opérationnelle utilisée pour mesurer les coûts
politiques dans les études empiriques), ou réalisant d’importants bénéfices, soient
tentées de mettre en œuvre des mécanismes pour diminuer leurs résultats publiés.
Elles espèrent ainsi réduire leur visibilité et dissuader les « politiques » de prélever
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une partie de la richesse créée.
En outre, dans le courant « critique51 » de la recherche comptable, porté par une
revue new-yorkaise d’inspiration néomarxiste (Critical Perspectives on
Accounting), le cadre de référence est la théorie des parties prenantes. Cette
dernière considère la comptabilité comme un outil devant répondre aux besoins de
tous ses utilisateurs (État, propriétaires, marchés financiers, créanciers, salariés,
analystes, etc.), et pas uniquement des actionnaires. Les normes comptables sont
alors analysées comme le résultat d’un consensus entre ces différents utilisateurs.

46
Voir Pigé (2012).
47
Haas (2012).
48
Site institutionnel de l’Autorité des Normes Comptables : http://www.anc.gouv.fr/
49
Pour un compte rendu des projets de l’ANC, voir Obert (2012).
50
L’expression « théorie comptable » comporte plusieurs sens. On peut en effet distinguer plusieurs
catégories de théories comptables (voir Colasse, 2009 ; Nikitin et Ragaigne, 2012).
51
Le courant « critique » considère que les marchés financiers représentent le pouvoir dominant. La
comptabilité est alors un instrument au service du capitalisme, construit par les dominants pour
défendre leurs intérêts et conforter leur domination. Dans cette perspective, des courants de recherche
alternatifs ont été proposés par Baxter et Chua (2003).
VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE 91
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Cependant, cette théorie dite « des parties prenantes », beaucoup plus complexe,
n’a pas l’opérationnalité normative qu’ont, au moins en apparence, la théorie de
l’agence ou la théorie des marchés efficients (Burlaud et Colasse, 2010).

À défaut d’un outillage théorique, selon Colasse (2011c), les théories « politiques »
de la comptabilité expliquent les raisons qui amènent les comptables à faire de la
politique.

2.2. LE COMPTABLE52, ACTEUR POLITIQUE (MALGRE LUI)

La réforme de la gouvernance publique (la « culture de résultat ») ou encore la


RSE (l’audit des rapports sur le développement durable, la fixation d’objectifs de
réduction des gaz à effet de serre) sont autant d’exemples qui illustrent une
« colonisation53 » de pans entiers de l’économie et de la société par la comptabilité.
Berry (2005, p. 3) considère que « le politique est l’impensé du management, et le
management l’impensé du politique ». Riveline (2006) souligne que la fonction du
politique est de rendre possible, c’est-à-dire socialement acceptable, ce qui est
nécessaire. Le nécessaire, c’est l’affaire du management, l’acceptable c’est celle
du politique. Chacun a besoin de l’autre.

L’idéal des sciences de gestion et des experts en management a longtemps été de


se rapprocher du modèle des sciences physiques, en énonçant des lois
universelles et des critères objectifs permettant de gouverner de façon rationnelle
les entreprises. Certes, celles-ci ont toujours eu partie liée avec le politique, et s’en
arrangeaient plus ou moins, mais ces ingérences étaient considérées comme des
pollutions que les progrès du libéralisme économique allaient éradiquer. Dans la
sphère politique, on regarde volontiers le management comme un art de moindre
importance. « L’intendance suivra ! » disait le général de Gaulle. Rival et Vidal
(2012) rappellent, en outre, que dans les campagnes électorales, les candidats qui
s’affichent comme bons gestionnaires ne rencontrent guère d’écoute.
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Cependant, il nous semble important de souligner que, de plus en plus, les
frontières se brouillent entre le monde du management et celui du politique. Ainsi,
la comptabilité (notamment publique) est devenue la forme dominante du discours
politique54. C’est une science intimement liée au champ du pouvoir qui se présente
volontiers comme le plus neutre et impartial des savoirs. Peut-elle vraiment être
présentée dans les habits du savoir neutre, objectif, non partisan et apolitique ?
C’est la fiction de la neutralité qui doit ici être interrogée comme fondement moral
de la puissance sociale et politique de la comptabilité, comme constitutif de son
inconscient politique.

52
Au sens large.
53
Terme utilisé par Power (1999) et Berland et al. (2009).
54
Bacot (2012) et Saulnier (2012).
92 VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE
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2.2.1. La comptabilité n’est pas politiquement neutre

« Mais l’objectivité n’est pas la neutralité. L’effort de compréhension n’a de sens que s’il
risque d’éclairer une prise de parti. Je prendrai donc parti pour finir. »
A. Camus, 1958.

Le développement de la comptabilité ces dernières années en France s’est


accompagné de sa complète dépolitisation, et s’est peut-être même fondé sur cet
apolitisme revendiqué.
Cependant, la comptabilité laisse, comme tout langage, des choix d’interprétation
et d’évaluation à ceux qui sont chargés de l’élaborer. Elle exige aussi des
estimations, des anticipations à l’exemple des amortissements, des
immobilisations, de la dépréciation des stocks ou de la constitution de provisions.
De ce point de vue, la comptabilité va dépendre des intentions stratégiques de
ceux qui sont chargés de l’élaborer, c'est-à-dire les dirigeants assistés de leurs
spécialistes internes et de leurs conseils externes.
Dans ce cadre, face aux limites des mécanismes de la gouvernance des
entreprises et des codes de déontologie, la nécessité d’un comportement éthique
responsable des dirigeants et des contrôleurs externes est plus que jamais
d’actualité (Lamrani, 2012). Cette éthique est indissociable d’une certaine
conscience politique et citoyenne. Ainsi, indépendamment de sa sensibilité
politique, un dirigeant (au sens large : administrateurs, etc.) ferait des choix
comptables soucieux ou non de l’environnement économique, social et
environnemental.
En effet, au-delà des chiffres, au-delà des normes, il y a les hommes et leurs
intentions : intention d’optimisation fiscale pour le dirigeant d’une PME ou intention
de séduire les investisseurs pour le dirigeant d’une grande société.
Par ailleurs, comme nous l’avons développé précédemment, la comptabilité est
« une technique, une responsabilité et un ensemble matériel de documents
comptables »55. Elle peut être considérée comme un outil au service du politique,
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un système d’information au service de la prise de décision. Pour autant, cet outil
n’est pas neutre56. Au niveau d’un Etat comme au niveau d’une entreprise, le
système de mesure et d’information peut influencer la décision.
La comptabilité définit ce qui est profitable et ce qui est coûteux. Elle est alors un
élément constitutif de son environnement social. La comptabilité contribue à définir
les finalités organisationnelles et sociales. En ce sens, elle est partisane. En effet,
elle met en avant un certain nombre d’intérêts au détriment d’autres, et véhicule,
malgré elle, un contenu politique. Ainsi, on peut parler57 d’une « comptabilité de
gauche » et d’une « comptabilité de droite », sans pour autant cautionner la
pertinence d’une instrumentalisation de la comptabilité à des fins politiciennes. La
comptabilité, et plus précisément la comptabilité internationale, doit rester un enjeu
politique58.

55
Jubé (2011).
56
Au sens de neutralité, absence d’intention.
57
Dans cette optique, Madelin et Peyrelevade (2012) évoquent une rigueur de gauche et une rigueur de
droite.
58
Les enjeux « politiques » des normes comptables internationales sont généralement examinés dans
le sens étymologique du mot « politique ». Ce dernier « qualifie ce qui concerne le gouvernement des
hommes, la chose politique » Burlaud et Colasse (2010, p. 173).
VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE 93
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Si la comptabilité est politiquement engagée, elle doit néanmoins bénéficier d’un


cadre institutionnel lui permettant, non pas d’être neutre, mais d’être au service de
tous, d’être enfin et surtout politique (au service de l’intérêt général).

2.2.2. La comptabilité politique ou la nécessité de faire avancer la


comptabilité

Les questions comptables ont, en effet, trait à la création et à la répartition de la


richesse au sein des sociétés contemporaines. Elles ont trait aussi à la façon dont
ces sociétés, et au sein de celles-ci, les entreprises, fonctionnent et sont
gouvernées. Elles concernent directement le citoyen en tant que consommateur,
producteur, salarié ou investisseur. Il s’agit moins, en dépit des apparences, de
questions techniques que de questions politiques. Les réponses qu’on leur donne
ne sont pas neutres, elles sont souvent des solutions fragiles à des conflits
d’intérêts. En ce sens, il y a un lien entre la comptabilité, entendue au sens large
comme l’art de rendre des comptes, et la démocratie.

On pourrait penser que jusqu’à la crise de 2007-2008, les politiques ne


s’intéressaient pas de près aux travaux de normalisation comptable internationale.
Pourtant, déjà en juillet59 2003, le président de la République française avait écrit à
Romano Prodi, président de la Commission européenne, pour lui demander de ne
pas approuver les normes internationales sur les instruments financiers, et de
revoir la place de la Commission dans le processus de normalisation. Cette
intervention avait semblé à l’époque particulièrement inhabituelle.
En novembre60 2008 et en avril61 2009, les déclarations finales des membres du
G20 réunis à Londres rendaient l’application globale des normes comptables
internationales (IFRS) responsable en partie de la crise financière actuelle. La
normalisation comptable a montré qu’elle pouvait, dans le contexte de la
mondialisation économique et de la globalisation financière, être une arme
redoutable.
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Dans cette perspective, tant en France qu’au niveau européen et au niveau
mondial, des propositions émanant d’institutions politiques ont été faites pour
réformer le processus de normalisation comptable internationale. Selon Burlaud et
Colasse (2010), si ce réveil des organisations gouvernementales et
intergouvernementales se confirme, il est possible que naisse une « comptabilité
politique62 », une comptabilité au service de l’action politique, encore que cette
expression soit un pléonasme, car « pour qui la connaît un peu, la comptabilité est
de part en part politique » (Burlaud et Colasse, 2010, p. 172).

59
Le 4 juillet 2003, dans un courrier adressé au président de la Commission européenne, Jacques
Chirac s’alarmait de ce que « certaines normes comptables en cours d’adoption dans l’Union
européenne risquaient de conduire à une financiarisation accrue de notre économie et à des méthodes
de direction privilégiant trop le court terme ». Il s’agissait en l’occurrence déjà des normes relatives aux
instruments financiers, les IAS 39 et 3 (remplacée par l’IFRS 7).
60
15 novembre.
61
2 avril.
62
Burlaud et Colasse (2010) sont, à notre connaissance, les premiers à utiliser cette expression.
94 VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE
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CONCLUSION :
LES SCIENCES COMPTABLES, SCIENCES DE GESTION, SONT DES
SCIENCES POLITIQUES

Avec plus de quatre mille ans d’histoire, la comptabilité est sans doute l’une des
disciplines les plus anciennes. Si elle reste toujours bien vivante, c’est parce
qu’elle s’est adaptée à son environnement et continue d’y jouer un rôle social
indispensable. La comptabilité, si elle veut servir l’intérêt général, doit fournir des
repères sûrs pour les décisions économiques. Elle n’est donc pas une pure
technique, loin s’en faut. Elle véhicule une certaine vision de l’entreprise, ce qui la
place au cœur des rapports économiques et sociaux entre l’entreprise et les
diverses parties prenantes (Chiapello 2005). C’est en cela qu’elle est politique et
c’est pour cette raison que sa normalisation exige une légitimité adéquate qui ne
peut être strictement procédurale ou substantielle.
Par ailleurs, comme nous l’avons développé, le débat concernant les fondements
théoriques et idéologiques de la normalisation comptable internationale est riche
d’enjeux multiples et invite l’enseignant-chercheur à se situer par rapport à eux. En
effet, selon la façon dont on tranche ce débat, on donne des orientations
différentes à l’enseignement et à la recherche comptables (Colasse, 2011c).

Cette réflexion théorique, plaidoyer pour une comptabilité soucieuse de l’intérêt


général, implique que l’on mobilise non seulement l’économie, mais aussi le droit,
l’histoire, la sociologie et les sciences politiques. Ceci ne peut se faire que dans le
cadre d’un projet interdisciplinaire permettant de mobiliser diverses disciplines, en
empruntant divers cadres théoriques63, pour questionner la légitimité du savoir
comptable et le sortir d’un « assujettissement disciplinaire »64 annonciateur de sa
mort.
L’accent, de plus en plus, mis non seulement sur le capital financier, mais aussi sur
le capital naturel et humain65 augure une salutaire transformation de la société et
de l’économie par la voie de la comptabilité66. Ceci constitue une clé pour ouvrir de
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nouvelles perspectives. Dans cette voie, nous avons « à garder le cap de la rigueur
scientifique et du développement des connaissances hors de tout discours
normatif, hors de toutes les certitudes partagées par les collectifs concernés nous
pressant de légitimer ce qu’ils voudraient poser comme un discours de vérité »
(Brasseur67, 2011, p. 1).

63
Colasse (1987, p. 42), « la normalisation comptable, du point de vue de ses institutions et de son
fonctionnement, relève davantage d’une recherche de nature sociologique ou sociopolitique que d’une
recherche purement comptable ».
64
Brasseur (2011, p. 2).
65
Voir Richard (2012).
66
Schoun et al., (2012).
67
A propos de l’éthique et du management.
VSE : VIE & SCIENCES DE L’ENTREPRISE 95
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