De La Science Et de La Démocratie
De La Science Et de La Démocratie
De La Science Et de La Démocratie
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4462-1
« Notre constitution politique n’a rien à envier aux lois qui régissent
nos voisins ; loin d’imiter les autres, nous donnons l’exemple à suivre.
Du fait que l’État, chez nous, est administré dans l’intérêt de la masse
et non d’une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie. En ce
qui concerne les différends particuliers, l’égalité est assurée à tous par
les lois ; mais en ce qui concerne la participation à la vie publique,
chacun obtient la considération en raison de son mérite, et la classe à
laquelle il appartient importe moins que sa valeur personnelle ; enfin
nul n’est gêné par la pauvreté ni par l’obscurité de sa condition sociale,
s’il peut rendre des services à la cité. La liberté est notre règle dans le
gouvernement de la république et, dans nos relations quotidiennes, la
suspicion n’a aucune place ; nous ne nous irritons pas contre le voisin,
s’il agit à sa tête ; enfin nous n’usons pas de ces humiliations qui, pour
n’entraîner aucune perte matérielle, n’en sont pas moins douloureuses
par le spectacle qu’elles donnent. La contrainte n’intervient pas dans
nos relations particulières ; une crainte salutaire nous retient de
transgresser les lois de la république ; nous obéissons toujours aux
magistrats et aux lois, et, parmi celles-ci, surtout à celles qui assurent
la défense des opprimés et qui, tout en n’étant pas codifiées, infligent à
celui qui les viole un mépris universel 1. »
Scientifique et démocrate
Depuis une dizaine d’années, j’observe, comme beaucoup d’autres, les
symptômes de dégradation de la pratique de la démocratie dans le monde.
La voyant avec effarement s’accélérer, je me suis demandé, comme
scientifique, en quoi la science pourrait servir la démocratie en crise.
Scientifique et démocrate, voilà ce que je suis. Biologiste, j’ai œuvré
pendant un demi-siècle dans la recherche scientifique, et suis profondément
imprégné de science. Citoyen, je suis viscéralement attaché à la démocratie
et aux valeurs humanistes dont elle est porteuse. Le lien entre les deux, qui
m’a fondé et construit ? C’est l’amour de la liberté : liberté de penser, de
rechercher et d’agir, mais toujours avec la volonté d’améliorer le bien
commun. Le monde du laboratoire n’a jamais été mon horizon exclusif. Par
la pensée, et un peu par l’action, je me suis toujours intéressé à la manière
dont la science pouvait servir la société. Progressivement, je me suis de plus
en plus attaché aux problèmes sociaux en tant que tels. Il m’est devenu
insupportable de constater la persistance de la pauvreté dans des pays
démocratiques aussi riches que la France, et l’ampleur de la misère qui fait
rage dans de nombreux pays du monde. Il y a là, à mes yeux, non seulement
une énorme faute contre la morale, mais aussi une formidable déviance du
cœur et de la raison. Ainsi, cet ouvrage ne tombe pas du ciel. Il fait suite à
deux livres sur l’altruisme 1, et à des années de travail sur des questions
sociales touchant notamment à la pauvreté et aux précarités 2.
Cette profession de foi exprime l’intention et l’âme de ce livre. La
science, même si elle implique de l’intuition, est, par méthode, ancrée dans
le rationnel. La démocratie exige, dans la conception et la réalisation de
l’action, forcément collective, une qualité de rapports humains dont la
dimension affective est un moteur puissant. Ma thèse est que l’injection de
raison, à l’aide de la méthode scientifique, peut servir les démocraties en
toutes circonstances, mais particulièrement dans les temps difficiles qu’elles
traversent. Je les décrirai plus loin. Le pire n’est pas certain, mais on ne
peut le contempler benoîtement en restant dans l’expectative. Les prophètes
de malheur n’ont pas toujours tort, et les lanceurs d’alerte ont souvent
raison. Cela dit, la situation est sérieuse, mais pas irréversible. Rien ne
justifierait de baisser les bras ou de sombrer dans le pessimisme. D’ailleurs,
à bien des égards, le monde va mieux. Même si la notion de progrès n’a pas
le vent en poupe, de grandes avancées ont eu lieu, et il est bon qu’on nous
le rappelle avec énergie 3. Néanmoins, la situation impose de revenir aux
principes démocratiques et d’en revoir les modes opératoires.
La complexité et la pensée
complexe
La pensée complexe
Pour utiliser la pensée complexe afin d’étudier la robustesse (et donc les
fragilités) de la démocratie, il faut préciser les conditions dans lesquelles la
complexité est abordable dans le champ social. Pourquoi la pensée
complexe, présentée ici comme inspirée des sciences dures, ne pourrait-elle
pas être utilisée dans le champ social ? La complexité des systèmes et
phénomènes sociaux serait-elle si grande qu’elle serait impossible à
appréhender ? Faudrait-il, alors, déléguer à quelques experts et dirigeants
« éclairés », ou doués d’une intuition supérieure, et bientôt à des
algorithmes, le soin de piloter nos affaires ?
L’évolution de la biologie invite à penser le contraire. Comme dans
d’autres sciences, la complexité n’y est pas tenue pour être ingérable. Avec
ses 100 000 milliards de cellules (chacune étant elle-même un objet d’une
extrême complexité), l’organisme humain est d’une complexité inouïe. Les
biologistes baissent-ils les bras pour autant ? Absolument pas. Les
algorithmes sont à leur service. Ils les développent et les exploitent. Grâce à
eux, ils affrontent la complexité du vivant assez tranquillement avec la
conviction que, tôt ou tard, ils en déchiffreront une bonne part sans jamais
la découvrir tout entière. De fait, de nombreux chercheurs 14 tentent
d’exploiter les théories de la complexité telles qu’elles se fabriquent dans
les sciences dures pour analyser des problèmes sociaux. Leur discipline est
encore assez peu développée, mais cela ne nous empêche pas d’adopter la
posture intellectuelle de la pensée complexe.
Par rapport aux sciences dures, les sciences humaines et sociales ont
évidemment leur spécificité. Ainsi, le statut du « fait » y est assurément
différent de celui du « fait » dans les sciences expérimentales dures, où la
reproductibilité et la prévisibilité sont des canons essentiels. Pour citer
Pirandello 15 : « Les faits sont comme des sacs ; quand ils sont vides, ils ne
tiennent pas debout. Pour qu’un fait tienne debout et qu’il ait un sens, il faut
d’abord y faire rentrer les motifs et les sentiments qui l’ont provoqué. »
Dans les « faits » des sciences humaines et sociales, il faut inclure les
motifs et les sentiments, donc l’histoire et les interprétations, les intentions,
les émotions et les passions, bref, l’humain et son côté irrationnel. Cela
suppose néanmoins de canaliser ses instincts, et notamment ceux qui, selon
16
Hans Rosling , nous font voir les choses pires qu’elles ne le sont, ce qui
biaise beaucoup d’analyses prétendues objectives.
Ces remarques n’impliquent pas que la pensée complexe, telle qu’on
l’utilise avec succès dans les sciences expérimentales, est inapplicable aux
questions sociales. On doit plutôt en déduire qu’il faut plus de rigueur
intellectuelle encore, et plus de perspicacité dans la définition, l’acquisition
et le traitement des données factuelles, en y introduisant avec un soin
particulier, des considérations « humaines », intentionnelles, ou
passionnelles, qui relèvent d’analyses qualitatives. Moyennant quoi, la
pensée complexe est parfaitement utilisable.
Les modes d’expérimentation, eux aussi, diffèrent : c’est la prise en
compte de l’expérience qui, dans les sciences humaines, est l’équivalent de
17
l’expérimentation dans les sciences dures . La collecte d’expériences est
donc, comme je l’ai affirmé plus haut (en lien avec la distinction faite entre
le « micro » et le « macro ») une condition indispensable de toute analyse
d’un objet social complexe. Ce point est tout à fait important.
L’ultraspécialisation qui confine les uns dans le champ du « micro » et les
autres dans celui du « macro » est délétère, et comme nous ne sommes plus
au temps où l’« honnête homme » maîtrisait les deux, il faut généralement
« jouer collectif ».
Enfin, comme je l’ai noté plus haut, le traitement de la complexité
implique de la modélisation. Modéliser un système consiste à construire une
représentation utile et utilisable, qui permette de compléter et de dépasser
l’intuition. Modéliser n’est pas sans risques. On peut être tenté d’exploiter
18
des analogies, comme celle entre le corps social et le corps humain , mais
elles ont d’évidentes limites. Modéliser sans disposer de données suffisantes
peut conduire à de grossières erreurs. On peut encore vouloir diminuer la
complexité du groupe social étudié en amoindrissant délibérément la
diversité de ses membres, de leurs comportements et de leurs interactions. Il
en va ainsi de la fiction de l’Homo œconomicus, qui désigne l’agent
économique « élémentaire » (c’est-à-dire chacun de nous). Il est censé être
pleinement informé, purement rationnel et agir exclusivement en fonction
de son intérêt propre 19. Cette définition se fonde sur une réduction drastique
(voire absurde, et malheureusement toujours enseignée) de la diversité des
comportements humains, qui permet ensuite la modélisation et la
mathématisation. En sociologie scientifique, la prudence s’impose donc
dans l’utilisation d’hypothèses réductrices fortes guidées par le vœu
légitime de traiter statistiquement ou mathématiquement les données.
La complexité du phénomène
démocratique
Bien souvent, nous sous-estimons la complexité inhérente à la
démocratie. Nous sommes si habitués à cette dernière qu’elle nous paraît
toute simple et, en quelque sorte, naturelle. Elle n’est ni l’une ni l’autre.
Sinon, pourquoi des milliers d’ouvrages lui seraient-ils consacrés ? Elle a
été acquise de haute lutte, et a évolué au cours des siècles. On peut aussi la
voir comme un phénomène social qui s’est répandu dans le monde à la
manière d’une épidémie, en donnant naissance à des démocraties de formes
diverses, dotées de singularités locales, historiques et culturelles. Il y a là
une certaine complexité, mais ce n’est pas de celle-là qu’il va être question
ici. Ce que je veux montrer, c’est que l’idée même de démocratie est
intrinsèquement complexe 24, et que les régimes politiques qui en dérivent
sont pénétrés de cette complexité première, et ce d’autant plus qu’ils gèrent
des sociétés de plus en plus complexes.
*
La trame de ce livre est donc simple : dans les pages qui suivent, je
montrerai d’abord que la démocratie en général, et nos démocraties prises
individuellement, sont dans la tourmente. Puis, je discuterai une à une les
cinq dimensions : finalités, valeurs, procédures, efficacité et planétarisation.
J’identifierai chaque fois les défauts de robustesse qui me paraissent les
plus pertinents, en m’efforçant de dégager et de proposer des pistes de
solutions. Pour finir, je reviendrai plus particulièrement sur le rôle que peut,
ou doit, jouer la science au service de la démocratie dans la période difficile
qu’elle traverse.
CHAPITRE 2
Inquiétudes
L’inquiétude monte dans les démocraties occidentales 1, tant se
multiplient les symptômes qui donnent à penser que la démocratie se
dégrade dans le monde entier, et que le phénomène n’est pas conjoncturel 2.
Aux États-Unis, elle a été avivée, fin 2016, par l’arrivée à la présidence
d’un Donald Trump dont l’élection n’a pas été le fruit du hasard : des
prémices de pathologie de la démocratie américaine avaient été
antérieurement relevées 3. En Angleterre, le Brexit a été voté en 2016 après
une campagne référendaire au cours de laquelle des hommes politiques
reconnaissent avoir menti aux citoyens. En France, en 2017, une campagne
électorale chaotique a finalement, mais de peu, écarté de la présidence de la
République des candidats des extrêmes aux idées populistes. En Italie, en
2018, une alliance improbable s’est installée entre populistes et extrême
droite. En Hongrie, depuis 2010, et en Pologne depuis 2015, des dirigeants
démocratiquement élus s’affranchissent des règles canoniques
fondamentales de la démocratie, en portant atteinte à la liberté de la presse
et à l’indépendance de la justice. Au Brésil, un candidat d’extrême droite a,
fin 2018, remporté haut la main l’élection présidentielle.
Voilà qui contraste singulièrement avec l’optimisme qui prévalait à la
fin du siècle dernier. Nul ne manque de citer l’ouvrage de Francis
Fukuyama dans lequel il concluait qu’avec la fin de la guerre froide, l’idéal
de la démocratie libérale était en voie de réalisation. Son opinion me semble
avoir évolué depuis 4. Il n’était pas le seul. Lorsqu’en 1999, on demanda à
Amartya Sen quel était à ses yeux l’événement le plus important du
e
XX siècle, il répondit : « Parmi la grande variété de faits et de
LA CROISSANCE DÉMOGRAPHIQUE
LA CRISE ENVIRONNEMENTALE
LE MANQUE D’EXEMPLARITÉ
DES DÉMOCRATIES OCCIDENTALES
Enfin, dans la plupart des pays qui, dans les dernières décennies, ont
connu un développement économique vigoureux, ce sont des
gouvernements autoritaires qui ont démarré le processus de la croissance.
En Corée du Sud, dont le niveau de vie était comparable à celui des pays
africains les plus pauvres, c’est un régime militaire qui l’a enclenchée dans
les années 1960. Son essor économique s’est produit sous un régime
autocratique puis dictatorial jusqu’en 1980. Il a aujourd’hui fait place à une
vraie démocratie. À plus petite échelle, Singapour est un autre exemple du
remarquable succès d’une dictature éclairée, celle de Lee Kwan Yew qui
dirigea le pays de 1965 à 1990, et en planifia le développement pour
quarante ou cinquante ans. Aujourd’hui, ultralibérale, la cité-État, qui se
compare à Venise dans sa grande et longue période de puissance et de
gloire, s’est parée d’habits démocratiques. Mais elle reste une démocratie
très « dirigée ».
La Chine apparaît à beaucoup comme un « modèle » de dictature
éclairée. Elle peut faire état de succès économiques remarquables, mais
aussi de progrès sociaux impressionnants. En quarante ans, le régime
communiste n’a-t-il pas sorti 600 millions de personnes de l’extrême
pauvreté ? N’est-il pas en train de mettre en place un immense système de
sécurité sociale ? Certes, cela s’est fait et continue à se faire au prix d’une
perte considérable de libertés individuelles (aujourd’hui encore plus
contraintes par un système de surveillance électronique inouï et
19
particulièrement inquiétant ), mais ces résultats sont indéniablement
positifs. Auraient-ils pu être atteints en si peu de temps sans un régime
autoritaire ? Je ne le crois pas, même s’il existe une argumentation
20
contraire . L’Inde « démocratique » est-elle un contre-exemple ? En dépit
de progrès technologiques importants, elle se développe moins vite que la
Chine, surtout au niveau des infrastructures, et ses progrès sociaux (avec
pour marqueurs le système des castes et le taux de pauvreté) me paraissent
inférieurs. Handicapée par la corruption, elle peut difficilement passer pour
un « modèle », et son président actuel, Ram Nath Kovind, a pris la route de
l’autoritarisme.
Bien entendu, celui-ci ne garantit pas l’essor économique. Mais il faut
reconnaître que les dictatures, éclairées ou non, peuvent, mieux que les
démocraties, garder un cap de long terme (pour du mieux, comme à
Singapour, ou du pire, comme au Venezuela), puisque les consultations
démocratiques favorisent le temps court et orientent les débats sur le mode
des oppositions plutôt que vers le consensus. En Russie, la réussite
économique est loin d’être au rendez-vous. Le sera-t-elle dans cette autre
démocrature qu’est devenue la Turquie ? Beaucoup de dictatures conduisent
leur pays à des échecs économiques retentissants. Souvent, la corruption
ronge des gouvernements d’oligarques qui ponctionnent les revenus de leur
pays au point de les faire basculer dans la catégorie des États faillis. C’est le
cas du Venezuela, jadis prospère, victime de l’idéologie et de
l’incompétence de dirigeants au départ démocratiquement élus.
Sur le continent africain, la croissance économique actuelle (5 % par an)
promet à ses habitants des jours meilleurs, mais elle est très hétérogène, et
ses bienfaits risquent d’être tempérés par la croissance démographique
(2,5 % par an). Les conditions de la modernisation de l’agriculture seront
critiques. Si elle est trop vite livrée à de grands entrepreneurs (même
africains), et mécanisée à grande échelle, cela créera des centaines de
millions de chômeurs, sans forcément mieux nourrir et faire vivre la
population. L’urbanisation croît de façon vertigineuse. En 2050, alors que
80 % de la population mondiale sera établie dans seulement six cents villes,
1,2 milliard d’Africains vivront probablement dans des mégapoles, en
majorité des bidonvilles. L’Afrique n’est pas la Chine, et il n’existe
évidemment, à l’échelle du continent africain, aucune autorité centrale forte
susceptible d’encadrer et de canaliser ces évolutions. On doit s’attendre à
d’énormes problèmes sociaux, accompagnés de phénomènes migratoires au
sein du continent, mais aussi vers l’extérieur, notamment vers l’Europe. Il
n’est que trop probable que la situation en Afrique sera très problématique
21
dans les prochaines décennies .
Je trouve fort utile la distinction qui est souvent faite entre nations à
tendance « libérale » et nations à tendance « communautaire ». Elle repose
sur deux versions de l’idée de liberté, qui a évolué depuis l’Antiquité
comme l’explique Benjamin Constant 22 : « [Les Anciens] admettaient
comme compatible avec ces libertés collectives l’assujettissement complet
de l’individu à l’autorité de l’ensemble. […] Le but des Anciens était le
partage du pouvoir social entre tous les citoyens d’une même patrie. C’est
là ce qu’ils nommaient liberté. Le but des Modernes est la sécurité des
jouissances privées ; et ils nomment liberté les garanties accordées par les
institutions à ces jouissances. » La version « libérale » de la liberté n’a
commencé à s’imposer en Occident qu’avec les Lumières. Sa diffusion a
d’ailleurs été freinée par l’économie florissante de l’esclavage, qui ne fut
aboli qu’en 1865 aux États-Unis.
À grands traits, les nations à tendance « libérale » mettent en avant
l’individu, sa liberté (d’où le qualificatif de libéral), et ses droits. Les
secondes privilégient le peuple considéré comme un tout ; l’individu vient
en second et se voit, au nom du peuple, assigner des devoirs plus que des
droits. Cette distinction est partout marquée par une empreinte historique
forte, en France 23, comme en Chine (on évoque souvent la culture
confucéenne), ou dans beaucoup de pays africains. Elle est reflétée dans les
conceptions des droits de l’Homme 24 et dans les régimes politiques adoptés
par des pays qui s’écartent plus ou moins de la démocratie comme certains
pays africains, et radicalement pour la Chine 25. Les démocraties entrent
évidemment dans le cadre des États à tendance « libérale », alors que les
États-nations non démocratiques sont souvent du type « communautaire ».
La dictature s’y installe plus facilement. Leurs constitutions (lorsqu’elles
existent) contiennent moins de contre-pouvoirs. Leurs dirigeants peuvent,
au nom du peuple, s’emparer du pouvoir et l’exercer de façon autoritaire.
Pour s’établir, le modèle démocratique a besoin d’un socle culturel
compatible. C’est en partie pourquoi la démocratie peine à s’installer dans
certains pays, notamment lorsqu’une culture et une architecture tribales ont
imprégné le tissu social, comme en Afghanistan, en Irak, et en Libye. De
même, les régimes autoritaires s’installent plus facilement dans certains
contextes culturels. Nous, les démocrates, nous devons donc nous faire à
l’idée que la démocratie n’est pas forcément ni spontanément un modèle
général, et que son universalité rêvée et prônée n’est pas évidente, et
suppose des changements culturels profonds.
EFFICACITÉ ET AUTORITÉ
L’INDIVIDUALISME
LE NATIONALISME
LE POPULISME
ADHÉSION
Comment un groupe se constitue-t-il ? Les comportements d’adhésion
répondent à trois attentes. i) Un sentiment de sécurité. Cela suppose que le
groupe ait des limites claires (règles d’entrée et de sortie, etc.), donc un
périmètre suffisamment défini pour garantir l’existence du groupe et lui
conférer des capacités protectrices. ii) Un sentiment d’égalité. Il s’exprime
par un désir de justice et est souvent accompagné de mécanismes bien
répertoriés de récompense et de punition. Dans la pratique, il vise surtout la
réduction des inégalités. Parmi les facteurs qui rendent les inégalités plus
acceptables figurent : la chance (gagner à la loterie), le travail (abondant et
reconnu), et l’utilité (accomplir quelque chose d’utile à la communauté). iii)
La confiance, fondée sur des expériences antérieures, et/ou des sentiments
positifs (comme l’empathie), et qui, le plus souvent, implique la réciprocité.
COHÉSION
L’IDENTITÉ
PERTE D’ÉGALITÉ
Un fort sentiment d’une perte d’égalité est alimenté par le fait que la
distribution des revenus et/ou de la richesse nationale entre les plus riches et
les plus pauvres évolue dans le sens d’une inégalité croissante. Cela est
montré par de nombreuses études menées en France 36 et dans plusieurs
pays 37. Les inégalités de patrimoine (pour partie cumulatives en raison des
héritages) sont plus marquées que les inégalités de revenus, et très
impressionnantes. Dans le monde, un dixième de la population possède plus
de 80 % du patrimoine mondial. A contrario, 70 % de la population n’en
détient que 3 %. Aux États-Unis, les 1 % les plus riches possèdent environ
60 % de la richesse nationale. En France, les 10 % les plus riches en
détiennent environ 40 %.
L’évolution de ces pourcentages montre que les plus riches deviennent
de plus en plus riches, et les pauvres de plus en plus pauvres. Cela n’exclut
pas qu’avec une élévation globale de niveau de vie, la condition des plus
défavorisés s’améliore, quoique moins vite que celle des riches. Par
conséquent, cette observation ne détruit pas formellement toute théorie du
« ruissellement » (héritage ultralibéral de Donald Reagan et Margaret
Thatcher). Toutefois, cette démonstration éclatante de la croissance des
inégalités nourrit légitimement les sentiments d’injustice et les
ressentiments qui l’accompagnent. C’est l’une des dimensions de la
mondialisation des inégalités 38, qui combine des différences de niveaux de
vie à l’intérieur des nations avec celles, tout aussi flagrantes, entre nations.
La notion d’égalité a de multiples facettes. Elle est particulièrement
compliquée et difficile 39. Par exemple, la culture du mérite est perçue
comme injustice et rupture d’égalité par certains syndicats qui luttent en
faveur de la promotion à l’ancienneté et contre la promotion au mérite. Ce
que relève Alain Finkielkraut à propos de l’école : « Stendhal disait que la
grande dispute du dix-neuvième siècle, c’était la querelle du rang contre le
mérite. La grande querelle qui enflamme le nôtre, c’est la dispute de la
diversité contre le mérite et ses classements […]. Qui dit mérite dit
classement, dit dissymétrie, dit hiérarchie. L’inégalité du mérite vaut peut-
être mieux que l’inégalité de la naissance, du rang ou de la fortune. Il
40
n’empêche que c’est encore de l’inégalité . »
Aux différences de richesse s’ajoutent les différences de statut social,
avec les inégalités réelles et symboliques qui les accompagnent, et leur
transcription dans de nouveaux clivages politiques et/ou sociaux. Le clivage
gauche/droite serait-il dépassé, remplacé par la distinction entre le « peuple
de quelque part » et les « gens de n’importe où » ? C’est-à-dire ceux qui
sont enracinés à une terre et attachés à la nation (des ruraux en quelque
sorte), et ceux qui appartiennent à une sorte de « Jet-set », qui vivent à
distance et voyagent d’un bout à l’autre de la planète ? Un analyste affine
41
cette dichotomie en distinguant quatre classes , qu’il associe à un
bouleversement des équilibres politiques en Occident. Il est vrai qu’ici et là
le bipartisme traditionnel éclate, avec pour conséquence plusieurs fois
observée de permettre ou de forcer des alliances populistes des extrêmes,
comme en Italie.
PERTE DE CONFIANCE
LA COLÈRE ET LA PEUR
Finalités
La dictature de la liberté
La liberté totale libère la force et ouvre aux plus forts la liberté
d’écraser les autres. Les rapports de force et de domination entre humains
existent et existeront toujours. Tout régime politique est censé les organiser.
Une démocratie se doit de le faire au bénéfice du peuple. C’est simple, clair,
évident, incontournable. Ces rapports de force s’établissent entre individus,
comme entre groupes sociaux, et pas seulement entre ces groupes de grande
taille, que nous appelons des « classes sociales », et que nous peinons
aujourd’hui à définir (les classes des travailleurs, des bourgeois, etc.). Ils
opèrent aussi dans des groupes plus petits, qui sont autant d’oligarchies.
Autrement dit, nous devons nous habituer à nous représenter les
sociétés, comme des réseaux d’architecture complexe (Figures 1 et 2, p. 19-
20) et à nous familiariser avec leur modularité. Nous devons les voir non
seulement comme des ensembles de points (les individus) ou comme des
réunions de quelques gros agrégats (les classes sociales), mais aussi comme
des mélanges de groupes de tailles variables, connexes et/ou chevauchants,
emboîtés ou non comme des poupées russes. Si nous projetons sur de tels
schémas les inévitables rapports de force, nous aboutissons bien à un
ensemble d’oligarchies, qui entretiennent entre elles des interactions
multiples et coexistent dans des combinaisons et des équilibres variés. Nous
pouvons, bien sûr, choisir le degré de résolution de notre analyse et
modifier l’acuité de notre regard. Et chacun verra midi à sa porte, l’un
estimant que le « lobby des énarques » (pour autant qu’il existe) ne
comprend rien au peuple et exerce sa puissance de façon imbécile, et l’autre
que les syndicats abusent de leur pouvoir de nuisance sans comprendre les
enjeux économiques. Et personne n’aura forcément totalement tort ou
totalement raison.
Une dictature ordinaire est un réseau social dans lequel un seul nœud (le
despote) a pris le contrôle de tous les autres. Dans une dictature
oligarchique, ce nœud est entouré par un petit nuage de points. En Chine, il
l’est par 90 millions de points (les membres du Parti communiste chinois),
soit 6 % de la population. Une démocratie fait coexister aussi pacifiquement
que possible ces oligarchies multiples et mouvantes, sans que telle ou telle
d’entre elles prenne le pouvoir sur les autres, de façon à respecter la
gouvernance par le peuple, qui les inclut toutes, et promouvoir ce qu’il
demande, c’est-à-dire, avant tout, son bien-être et la justice sociale. La
dictature de la liberté résulte de la libération des rapports de force qui
conduisent un sous-ensemble d’oligarchies à prendre le pas sur les autres,
ce que l’oligarchie des élus est censée réguler. Elle aboutit à une perversion
de la démocratie.
Les démocraties perverties
L’oligarchie des élus possède seule la légitimité de produire des règles
et de les faire appliquer. Ce faisant, elle est forcément en tension avec les
autres oligarchies, voire des combinaisons variables d’oligarchies alliées,
avec lesquelles elle est en discussion, en négociation, en connivence ou en
lutte. C’est l’essentiel de l’exercice du pouvoir politique.
Elle peut l’être aussi par abus de liberté, et cela conduit à une
interrogation lucide sur l’ultralibéralisme. Celui-ci prône un libéralisme
absolu où la liberté individuelle, l’économie de marché, et l’entreprise
privée sont exemptées du maximum de règles et de régulations par un État
aussi peu interventionniste que possible et réduit au strict minimum.
Réputée issue des travaux de l’économiste Friedrich Hayek (1899-1961), la
notion d’ultralibéralisme reste l’expression d’une tendance à la
dérégulation plutôt qu’une théorie pleinement constituée et invoquée
comme telle. De fait, elle est mise en avant par une oligarchie diffuse, qui
recouvre une partie de l’industrie de la finance. Très internationale, celle-ci
est rompue aux pratiques d’optimisation fiscale, qui font partie de ses
métiers. La croissance impressionnante de l’industrie financière correspond
à la multiplication des investissements fondés sur des emprunts. Dans cette
course en déséquilibre avant, la quasi-totalité de l’économie « réelle » se
trouve asservie à une industrie financière « virtuelle » qui engrange une
17
partie croissante de ses profits .
L’ultralibéralisme conduit, au nom de la liberté, à privilégier les
oligarchies de puissants et à enfoncer celles des faibles. Est-ce là la finalité
de la démocratie ? Est-ce là ce que ses fondateurs imaginaient ? Est-ce là ce
que les peuples veulent ? Non. Il faut appeler un chat un chat – ou, diraient
les Japonais : « Parler sans habiller ses dents » –, l’ultralibéralisme est
contraire à la démocratie. Il va jusqu’à se battre contre elle et il en est
l’ennemi. Il cherche à démanteler les services sociaux 18. N’est-il pas
symptomatique qu’il fasse si bon ménage avec presque tous les régimes
autoritaires de la planète, avec, en tête, la Chine et la Russie ? Son paravent
est une théorie du ruissellement de la richesse par le haut qui est largement
démentie par les faits. Sa devanture est faite d’un petit nombre de réussites
individuelles, certes extraordinaires, qui suscitent l’admiration et le rêve,
mais dont on ne mesure pas les contreparties ni l’impact sur les laissés pour
compte. Une de ses prétendues légitimités est celle de l’égalité des chances,
pour faire son chemin jusque dans le paradis fermé des ultra-riches. Il faut
reconnaître que ce ressort fonctionne chez une partie des gens. Il est vrai
que l’appétence pour la loterie ne tarit pas, même lorsqu’on sait qu’on a
beaucoup plus de chances de mourir le lendemain que de gagner le gros lot.
LA DÉMOCRATURE RUSSE
ET LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE
On peut avancer que la Russie de Vladimir Poutine illustre la perversion
de la démocratie par abus de pouvoir, et que les États-Unis de Donald
Trump figurent la perversion par l’ultralibéralisme. Cette mise en symétrie,
à laquelle la logique me conduit, me gêne. J’ai beaucoup d’affinité avec les
États-Unis et beaucoup d’estime pour certaines de leurs réalisations, et je
pense que les Français (et d’autres) doivent une immense reconnaissance à
tous ceux, et notamment aux Américains, qui nous ont aidés à nous libérer
du fléau nazi 19. Je tiens donc à affiner mon analyse.
Le cas de la Russie est celui de la déviation typique vers la dictature,
avec à sa tête une oligarchie bien identifiée. Mais y a-t-il la moindre
dictature aux États-Unis ? Quelle oligarchie est à la manœuvre ? En dépit de
ses excès et de son imprévisibilité, Donald Trump n’est pas un despote, ce
qu’aujourd’hui, les contre-pouvoirs constitutionnels ne permettraient pas.
Les États-Unis de Donald Trump ne sont pas le pendant de la Russie de
Vladimir Poutine. Ils ne sont encore que le laboratoire de l’ultralibéralisme.
Le projet ultralibéral n’y est pas entièrement réalisé, et son irréversibilité
n’est pas acquise. Il n’empêche que cela ne laisse pas d’inquiéter.
Ce n’est pas pur hasard si cela se produit dans un pays où l’idée de
liberté est, fondamentalement, réglée autrement qu’ailleurs, et où les coups
de balanciers sociaux sont d’une ampleur inhabituelle 20. Aux États-Unis, le
débat reste ouvert, en ce sens que l’aile gauche du Parti démocrate cherche
à faire évoluer le pays vers un État social. C’est là que se situe l’un des
profonds décalages qui existent entre ce grand pays et d’autres
démocraties occidentales, et c’est pourquoi le Parti démocrate américain
correspond à peu près au centre droit français. À mon sens, et cela se pose
de façon particulièrement aiguë depuis l’arrivée au pouvoir de Donald
Trump, l’avenir de la démocratie américaine, et, dans une certaine mesure,
l’avenir de la démocratie dans le monde se jouent sur son évolution vers un
État social 21.
AFFICHER LA FINALITÉ SOCIALE FAIT REMPART
CONTRE LA PERVERSION DE LA DÉMOCRATIE
Valeurs
L’altruisme
Le terme, tel qu’il apparaît en 1852 dans le Catéchisme positiviste
d’Auguste Comte, désignait une forme d’amour totalement désintéressé
envers autrui, qui mêlait les sentiments et la raison, et pouvait servir de
socle à une morale laïque. Un temps populaire, puis délaissé, l’altruisme a
resurgi, chargé d’une douzaine de sens différents 3. Aujourd’hui, il réinvestit
lentement les champs de la sociologie et de la philosophie politique, où il a
plutôt brillé par son absence 4. Son acception la plus courante aujourd’hui
tient l’altruisme pour « une disposition qui rend une personne encline à se
préoccuper avec bienveillance des autres ». À quoi on peut rajouter en
doses variables des ingrédients tels que : bonté, générosité, amour,
désintéressement absolu, etc. L’altruisme recouvre ainsi l’ensemble des
attitudes « positives » envers les autres, bien documentées, notamment par
Matthieu Ricard 5. Cette flexibilité de définition le rend adaptable à de
nombreuses situations, mais flou.
Je le définis ainsi : « L’altruisme consiste, pour l’individu, à veiller sur,
et à améliorer le bien-être des autres. »
De cette manière, je relie délibérément l’altruisme à la notion de bien-
être, que j’ai placée au cœur des finalités de la démocratie. Le bien-être
suppose un minimum de bien-faire de la part de chacun, qui suppose à son
tour de bonnes dispositions envers les autres, c’est-à-dire de la
bienveillance 6. Au centre du triangle du bien-être, du bien-faire et de la
7
bienveillance, se trouve donc l’altruisme .
L’altruisme est-il inné ou acquis ? Des recherches sur les animaux
donnent à penser que certains comportements « altruistes » ont été
sélectionnés au cours de l’évolution des espèces. À quoi s’ajoute un nombre
croissant d’observations sur les comportements coopératifs entre individus
de la même espèce ou d’espèces différentes : des bactéries forment des
biofilms, des arbres peuvent communiquer pour se défendre et coopérer, et
de nombreux organismes vivent en interdépendance facultative ou obligée
(symbiose). L’image se répand ainsi que le monde vivant est empreint d’un
certain « altruisme biologique », et qu’il est moins habité par la compétition
que par la coopération. C’est « L’autre loi de la jungle 8 ».
Et l’homme ? L’observation de comportements prosociaux chez des
enfants de moins de 18 mois suggère l’existence d’une composante altruiste
« innée » qui nourrirait des comportements coopératifs spontanés 9 . Chez
l’adulte, où les comportements coopératifs sont très étudiés, on fera la
distinction avec l’« altruisme biologique » observé chez les animaux, parce
qu’il faut faire la part des comportements qui engagent la conscience du
sujet. Beaucoup sont rapportés au don et à l’attente du don réciproque. Les
techniques de la psychologie expérimentale font largement appel à la
théorie des jeux, et plus particulièrement à la figure commune du « dilemme
10
du prisonnier » dont il existe de nombreuses variantes. Certaines
permettent d’évaluer les comportements altruistes d’individus dans de petits
groupes sociaux, et les paramètres psychosociaux qui les influencent.
Il est donc probable que les comportements altruistes ont une dimension
innée et une dimension acquise. Cela constitue une bonne et une mauvaise
nouvelle : d’un côté, nous avons probablement un fond d’altruisme (et
d’empathie), et on peut l’éduquer et le développer, au moins jusqu’à un
certain point ; de l’autre, on peut le manipuler jusqu’à l’anéantir, ce que
l’histoire des massacres d’hommes par des hommes a trop souvent montré.
On peut ajouter une composante « pharmacologique » : lorsque des
volontaires adultes inhalent de l’ocytocine (un neurotransmetteur qui
module l’attachement de la mère à l’enfant), ils font preuve de
comportements altruistes plus marqués et de tendances xénophobes
amoindries 11. Au total, l’altruisme n’est pas un « invariant » qui habiterait
également chacun d’entre nous. Il n’est pas totalement inné, mais nous
avons un fond d’altruisme qui peut être jusqu’à un certain point éduqué.
L’altruité
LE CARACTÈRE STRUCTURANT
DU CONCEPT D’ALTRUITÉ
S’INTERROGER SOI-MÊME
Développer l’altruisme
LA VOIE DE L’ÉDUCATION
25
Beaucoup pensent aujourd’hui que l’empathie (comme l’altruisme
dont elle est une composante) est pour partie innée, et qu’elle a été
sélectionnée au cours de l’évolution des espèces. L’idée que les
comportements humains ont été, au départ, plus coopératifs que compétitifs
peut être tenue pour encourageante, mais chacun sait qu’il faut encore battre
en brèche les postures, les émotions et les sentiments « négatifs », qu’il
s’agisse, entre autres, des poussées de violence, de pulsions sexuelles
incontrôlées, ou de sentiments racistes. L’éducation peut y contribuer de
façon puissante, mais chacun sait que l’école ne peut y suffire. L’éducation
familiale et la culture sont également capitales.
L’éducation a aussi ses limites : dans une population humaine
hétérogène, elle est forcément variable, et le degré auquel elle parvient à
contrôler les pulsions négatives n’est jamais total. Il existe et il existera
toujours des malfaiteurs, et certains comportements criminels (comme ceux
des prêtres pédophiles) illustrent et démontrent l’existence de bornes à ce
que l’éducation, la morale et la raison conjuguées peuvent produire. Cela
invite à se pencher aussi sur le versant normatif de la promotion de
l’altruisme, qui repose sur des règles à définir et à respecter, et donc sur des
devoirs auxquels les individus sont censés souscrire. Le devoir d’altruité
entre dans cette catégorie.
LA VOIE NORMATIVE
Si la conscience des devoirs a globalement diminué, elle n’est pas
perdue. Elle reste aiguë chez beaucoup, mais atrophiée chez un trop grand
nombre. Ce n’est pas la seule cause des dysfonctionnements sociaux dont
nous sommes les témoins plus ou moins impuissants. L’observance des
règles et devoirs du « vivre ensemble » varie depuis ceux qui payent leurs
impôts à l’euro près, à ceux qui sous-déclarent juste un peu, ou font de
l’optimisation fiscale légale, jusqu’à ceux qui trichent et organisent de
26
l’évasion illégale . On trouve dans toutes les démocraties des « passagers
clandestins » qui bénéficient de ses avantages sans payer leur écot à la
cause commune. Combien une démocratie peut-elle en tolérer sans dépérir ?
Quelques-uns sans doute (comme c’est le cas quand une population est
27
protégée d’un agent infectieux par la vaccination ). Moins il y en a, mieux
la démocratie se porte. Le respect des règles établies serait déjà une belle
amélioration, mais il faut sans aucun doute renforcer certains devoirs, et/ou
la conscience de devoirs qui permettraient à la démocratie de mieux vivre.
Ce n’est pas seulement une affaire de police qui réduirait au mieux le
« pas vu pas pris » dans un jeu de gendarmes et de voleurs incessant. On ne
va pas mettre des caméras de surveillance au-dessus de toutes les poubelles
pour s’assurer du tri sélectif des déchets. Nul ne souhaite que nos
démocraties pullulent de contrôles et deviennent des États policiers. Il faut
bien que chacun s’approprie ces règles de civilité. Cela se fera par
l’éducation, mais aussi par la mise en œuvre de quelques règles « semi-
formelles ».
LES QUASI-CONTRATS
28
On trouve ce terme , avec une certaine pluralité de sens, dans des
corpus juridiques nationaux peu utilisés. Il est à entendre comme un
engagement semi-formel, mais responsable, de deux parties, privées ou
publiques. Celles-ci peuvent être des individus, des groupes sociaux ou
même des États. La formule me paraît appropriée pour gérer les
engagements liés au devoir d’altruisme, individuel ou collectif.
L’engagement peut être couché par écrit sans constituer un document
pleinement légal, mais il peut être mis sous le regard de la loi si l’une des
parties trahit de façon outrageante et démontrable ses engagements.
Ces quasi-contrats n’ont pas à être systématiquement soumis à la loi et à
l’autorité de l’État, mais peuvent rester sous leurs ombrelles. Ils peuvent
mettre en jeu des aspects de la vie sociale qui n’ont pas à être complètement
formalisés dans des lois. Ils sont adaptés à la mise en pratique de
considérations éthiques et peuvent aider à transcrire dans les faits
l’« esprit » de la loi, en dépit des imperfections qui peuvent se présenter et
que continuent d’exploiter des citoyens peu scrupuleux. Ils sont un
renforcement de la parole donnée, qu’il est utile de contrôler dans des
contextes sociaux particuliers. Cette adaptation est conforme à l’idée
d’altruisme telle que je l’ai définie, puisque, dans ma formulation, celle-ci
élargit la responsabilité autodéterminée des individus et des groupes
sociaux. Les quasi-contrats pourraient donc aider à introduire le devoir
d’altruisme dans divers aspects de la vie sociale, sans accroître
excessivement le poids de la loi.
LA DÉONTOLOGIE
Les quasi-contrats ne sont pas très éloignés de la déontologie 29, qui peut
prendre la forme d’un engagement moral pris devant une communauté de
professionnels à laquelle l’individu appartient, et qui a édicté un certain
nombre de règles. Le serment d’Hippocrate des médecins en fournit un
exemple. Si un praticien le transgresse, la communauté peut l’exclure, et, en
cas de poursuites, il peut être traduit devant les tribunaux. Cela suppose une
organisation appropriée de la profession concernée.
Le solidarisme
34
Le solidarisme, élaboré par Léon Bourgeois , homme politique
important dans les années 1880-1920, est une théorie assez méconnue,
fondée sur le constat d’une carence des devoirs. Il l’exprima dans cette
formule vigoureuse : « La Révolution a fait la Déclaration des droits. Il
s’agit d’y ajouter la Déclaration des devoirs. »
Selon lui, la Révolution française a imprimé dans la République une
forme d’individualisme qui repose sur une idée erronée de la liberté. Sa
doctrine est celle de la « dette sociale » que chaque individu contracte à sa
naissance. Dans son livre majeur, Solidarité, publié en 1896, il s’efforce de
combiner l’individualisme libéral avec le collectivisme socialiste. Hostile à
l’idée de lutte des classes, il entend proposer une alternative capable
d’entrer en compétition avec un socialisme révolutionnaire de plus en plus
vigoureux. L’essence du solidarisme réside dans l’idée que l’homme vivant
en société, et ne pouvant vivre sans elle, est endetté vis-à-vis d’elle : « C’est
là que réside la base de ses devoirs, les obligations de sa liberté. […]
Souscrire à son devoir social n’est rien d’autre que l’acceptation d’une
obligation échangée contre un profit. »
Cette « dette sociale » est due par toute personne en compensation de ce
que la société lui fournit pour sa santé, son éducation, etc., qu’elle a
passivement reçue et qu’elle est tenue de lui rembourser. Elle est conçue
comme transgénérationnelle, et inclut une obligation de contribuer au
progrès de l’humanité. C’est seulement après qu’elle a remboursé sa dette
sociale qu’une personne peut se considérer comme complètement libre. Les
individus sont liés à la société par ce « quasi-contrat ». L’éducation (il fut
très attaché à l’enseignement d’une morale laïque à l’école) est censée
développer l’être social qui réside, au moins en germe, dans chacun de
nous.
Le « libéralisme altruiste »
Le « libéralisme altruiste » que je souhaite promouvoir veut corriger le
pêché originel du libéralisme par un développement de la responsabilité
individuelle, dont on trouve la source dans la conception de la liberté
« coconstruite » énoncée plus haut, et dans son corollaire : l’obligation
d’altruisme, qui, dans le champ purement logique, prend la forme d’un
devoir d’altruité. Dans cette conception, le terme de « libéralisme » n’est
porteur d’aucune connotation ultralibérale, ni d’aucune connivence avec le
libéralisme économique. Le libéralisme altruiste s’écarte radicalement de ce
dernier puisque l’altruisme n’est compatible ni avec les théories
économiques fondées sur l’idée d’Homo œconomicus, ni avec les modèles
où l’économie l’emporte sur le social, ni, a fortiori, avec l’économie
néolibérale. La faille du libéralisme ordinaire est de reposer sur un seul
pied, la liberté, alors que le libéralisme altruiste se tient sur deux pieds : la
liberté et l’altruité. J’ai décrit cette théorie (baptisée « altruitarisme ») dans
un autre ouvrage 35, et n’y reviens pas en détail. Je n’appelle pas
explicitement, comme beaucoup d’autres, à une réforme du capitalisme 36,
mais le libéralisme altruiste conduit à le réanalyser, ce qui sort du cadre de
cet essai.
Le libéralisme a été mis en question de nombreuses fois et de beaucoup
de manières. Même si, à ma connaissance, il n’a pas été explicitement
proposé de lui substituer un « libéralisme altruiste », l’idée de l’amender en
se fondant sur une conception différente de la liberté, et/ou sur certains
types d’obligations est loin d’être neuve. Par exemple, le
« contractualisme » du philosophe Thomas Scanlon met en avant la
nécessité de la discussion pour établir des standards moraux socialement
acceptables 37.
Le libéralisme altruiste se démarque du solidarisme par le rôle princeps
que ce dernier attribue à l’État. Le solidarisme est censé opérer de façon
descendante (top-down), confiant à l’État la responsabilité de définir les
cadres sociaux et moraux. À l’inverse, au travers de la notion d’altruité, le
libéralisme altruiste intervient à tous les niveaux de la construction sociale.
Il part des individus autonomes chargés d’une responsabilité explicite dans
l’autodétermination de leurs devoirs. Il les met en mesure d’intervenir sur la
gouvernance, voire de créer de nouvelles formes de gouvernance, et de
réformer des systèmes démocratiques pervertis par un libéralisme faussé
dès ses origines. Le cadre du libéralisme altruiste est donc doté d’une
armature solide mais souple et adaptable. Il intègre l’altruisme et sa
dimension rationnelle, l’altruité, sans laquelle il est impossible d’en
concevoir les règles.
CHAPITRE 5
Procédures
Le politique et le juridique
Les procédures associées à la vie démocratique sont diverses et je les
classe en deux catégories : celles qui concernent la gouvernance,
notamment dans le champ du politique et du juridique, et celles qui
touchent de plus près aux citoyens. Les premières sont pour la plupart
gravées dans le marbre, même s’il demeure des procédures informelles dont
je donnerai quelques exemples. Les secondes relèvent généralement de la
responsabilité individuelle, et beaucoup ne sont pas écrites.
Renforcer la loi ?
Si on prend acte avec moi de l’importance du devoir d’altruisme, on
peut s’interroger sur la possibilité et l’opportunité de l’introduire dans
certains aspects de la loi. Il élargit la notion de responsabilité individuelle et
implique des obligations. Faut-il légiférer contre des manquements au
devoir d’altruisme, en prenant acte des limites de l’autoanalyse, de
l’autodéclaration, de l’autoengagement et de l’autocontrôle, même lorsque
ceux-ci sont renforcés par les processus semi-formels évoqués ci-dessus ?
Pour fixer les idées, je prendrai quelques exemples. i) Ne pas voter est
un déni de démocratie. Faut-il rendre le vote obligatoire ? Il l’est dans
plusieurs pays. ii) Ne pas se vacciner implique dans de nombreux cas que
l’on peut transmettre une maladie infectieuse sans avoir été malade soi-
même (c’est la problématique des porteurs sains qui contaminent les autres,
y compris leurs enfants 6). Les vaccinations en cause devraient-elles être
obligatoires ? iii) Le puissant lobbying mis en place par les industriels
contre l’interdiction du tabac a été la cause indirecte de nombreux morts.
Aux États-Unis, des procès ont mis en cause les producteurs de cigarettes.
Faut-il aussi impliquer les lobbyistes dès lors que les preuves scientifiques
étaient telles qu’ils savaient forcément qu’ils participaient à une opération
dangereuse pour la santé publique ? iv) L’évasion fiscale paralégale,
permise par des montages qui exploitent consciemment des failles
juridiques, est-elle punissable ? Etc. Pour ma part, je répondrais oui à
certaines de ces questions mais pas forcément à toutes. Je ne dirai pas
lesquelles, parce que je n’utilise ces exemples que pour poser une
problématique, à laquelle, en vérité, je ne sais pas répondre.
Deux remarques pourtant. Si on allait dans ce sens, on devrait
s’intéresser au statut, souvent enviable, de l’ignorance. Le producteur de
cigarettes qui prétend ignorer les preuves de leur nocivité est en meilleure
posture que celui qui déclare les connaître. On a vu les bénéfices de la
posture d’ignorance dans les scandales sanitaires (sang contaminé, hormone
de croissance) qui ont secoué la France dans les années 1980 et 1990. Des
ignorants furent de facto déchargés de toute responsabilité, alors que des
personnes bien informées mais de bonne foi furent mises en examen. Peut-il
exister une obligation pour une personne d’acquérir un minimum
d’information ? Curieuse question à laquelle on serait tenté de répondre par
la négative, à ceci près qu’il existe une exception de poids : nul n’est censé
ignorer la loi. Autre remarque : La société est-elle mûre pour qu’on aille en
ce sens ? Comme Alain Supiot nous le rappelle justement, les normes et les
lois s’élaborent dans un cadre social donné : « La pérennité d’un système
juridique dépend de sa capacité à relier les conditions concrètes d’existence
de la société qu’il régit avec l’imaginaire normatif qui spécifie cette société.
C’est-à-dire, sa capacité à relier son être et son devoir être et à canaliser la
dynamique qu’ils entretiennent mutuellement 7. »
Ou assouplir la loi ?
Au lieu de compléter ou de durcir la loi écrite, ne vaudrait-il pas mieux
« l’assouplir » pour laisser plus de place à la jurisprudence ? De fait, des
processus semi-formels, comme les quasi-contrats, supposent une certaine
souplesse de la loi. Plus généralement, on peut se demander si, et comment,
le droit peut s’adapter à une complexité sociale qui, comme je l’ai montré,
croît rapidement. Face à celle-ci, il peut devenir de plus en plus difficile de
prévoir tous les cas possibles et d’ajuster les lois en conséquence dans des
délais de plus en plus courts.
On en trouve de beaux exemples avec les vides juridiques créés ou
révélés par les nouvelles technologies, notamment dans le domaine de
8
l’informatique . La capacité de se faufiler dans ces failles du droit (national
et international) est d’ailleurs tenue pour être une caractéristique, sinon une
condition, de l’« ubérisation » réussie, illustrée par le succès d’entreprises
qui suscitent autant d’admiration que de critiques acerbes. Cela pourrait
vouloir dire que le droit romain est moins capable de s’adapter à la
complexité croissante du monde que le droit anglo-saxon et sa pratique
jurisprudentielle (la soft law). Dans le droit international des affaires, ce
dernier domine, ce qui reflète des rapports de force économiques, mais
peut-être y a-t-il place pour une réflexion sur le rapport entre le droit romain
et la complexité croissante du monde.
Les règles ont un coût financier et social. Nous croulons sous les
réglementations, dont la barque est sans cesse alourdie. Les fréquentes
promesses d’allégement ne sont pas toujours suivies d’effet. Cela provoque
des pertes d’efficacité, et dégrade la perception que se font les citoyens de
leur démocratie. Ils les vivent comme des privations indues de liberté, ce
que certaines sont effectivement. Ce sentiment n’est pas étranger au
désamour pour l’Union européenne que beaucoup de ses ressortissants
éprouvent.
La mise en œuvre de nouvelles réglementations ne repose pas toujours
sur des faits établis, et le suivi de leurs effets et de leurs conséquences
directes et indirectes (leurs externalités) est trop souvent insuffisant, mal
fait, ou pas fait du tout. Certaines réglementations créent plus de problèmes
qu’elles n’en résolvent 9. Il y a là un véritable champ scientifique, très
largement en friche. C’est pourquoi je n’ai cessé de militer pour la création
d’une science de la réglementation (« Evidence Based Regulation ») 10, dans
le droit fil de l’introduction de la méthode scientifique dans la gestion des
actions de terrain, que j’expose plus loin.
L’information citoyenne
LE PLAISIR ET L’OBJECTIVITÉ
La « post-vérité »
L’Internet baisse les coûts de l’information à tous les niveaux, ce qui
met l’émission digitale de l’information à portée de tous. Les médias
conventionnels ont des charges, souvent élevées et peu compressibles,
comme celui de l’édition et de la distribution d’un journal édité sur papier.
Les journalistes de presse écrite, de radio et de télévision, et autres
personnels des entreprises médiatiques, publiques ou privées, sont
évidemment rémunérés. D’où une certaine régulation de la presse par les
contraintes financières, mais aussi par le monde de l’argent. Cela a donné
lieu, et peut encore donner lieu à des pressions ou à des interférences
coupables avec la liberté de la presse, puissamment limitées dans beaucoup
de cas par les journalistes et leur déontologie qui s’est développée dans un
milieu professionnel bien organisé. Rien de tel dans la plupart des réseaux
sociaux, presque totalement dépourvus aujourd’hui de règles contraignantes
qui limiteraient l’émission de nouvelles fausses et même dangereuses, le
tout sur fonds de « post-vérité ». L’émergence et la propagation du
phénomène de la « post-vérité » ont été très commentées. Je ne peux
qu’insister sur sa dimension profondément antiscientifique : la distinction
entre le « je sais » et le « je crois » est fondatrice de la connaissance
scientifique, et la confusion entre les deux est une source inépuisable
d’absurdités régressives.
Avec des informations non vérifiées et des nouvelles falsifiées (les
infox) qui circulent sur les réseaux sociaux, avec des campagnes de
communication intenses et professionnellement orchestrées menées par des
25
groupes de pression privés et parfois certains États, les sources de
désinformation sont surabondantes 26. Je rends hommage aux journalistes
qui font rempart contre cette avalanche d’inanités et de fausses nouvelles,
cette débauche de communication souvent ludique, parfois vulgaire. Les
systèmes d’information, leur économie, les marchés et les attentes du public
constituent un système complexe (qui lui aussi a sa robustesse et ses
fragilités), aujourd’hui stabilisé de façon peu satisfaisante, sur le mode
principal du plaisir et du temps court. Si des progrès doivent être faits, c’est
au niveau systémique qu’il faut les penser. Hommage doit aussi être rendu à
ceux qui, hors l’actualité, s’attachent à déterrer des faits cachés, souvent
mafieux, et à produire une documentation fiable, ce qui est essentiel à l’ère
proclamée de la « postvérité ».
Hommage aussi à Wikipédia, créée en 2001 27, qui est devenue la
première encyclopédie mondiale, avec 300 millions d’articles publiés dans
250 langues. Le site reçoit plus de 5 milliards de visites par an.
L’encyclopédie a ses imperfections, mais les articles, dans beaucoup de
domaines, sont parfaitement honnêtes et parfois d’une remarquable qualité.
C’est, à ma connaissance, le seul géant d’Internet à ne pas avoir monnayé
son information par la publicité ou la commercialisation des données de ses
utilisateurs. Ce n’est pas le cas de Google, Facebook, Twitter, entreprises
valorisées en Bourse à des centaines de milliards de dollars, alors que
Wikipédia continue sa route et son étonnante expansion, avec quelques
centaines d’employés, et moins d’une centaine de millions de dollars de
dons par an 28.
Le constat
Comme d’autres, je suis convaincu de la valeur intrinsèque, éthique,
théorique et pratique, de la discussion en démocratie, qui est par ailleurs
(chapitre 1) indispensable dans la pratique de la pensée complexe. Elle est
d’autant plus importante que, comme cela a déjà été souligné, une des
vertus inhérentes à la démocratie réside dans sa capacité d’éducation des
citoyens, inscrite dans les processus démocratiques eux-mêmes : pour que
ce cercle vertueux fonctionne, il faut qu’il y ait des échanges et une
discussion. De plus, le débat public n’est pas convenablement organisé pour
que l’on discute utilement des modalités d’amélioration de notre
démocratie. Or, à ce jour, je n’ai pas connaissance de propositions de mise
en œuvre qui me satisfassent.
L’élection de la représentation nationale, à des intervalles de plusieurs
années, est un mécanisme primitif et imprécis, en ce qu’il délègue la
fabrication des programmes de gouvernement aux futurs élus, censés avoir
perçu les attentes du peuple. Le référendum est praticable, mais
généralement exceptionnel et politisé, sauf à petite échelle comme la
« votation » en Suisse. Trop fréquent, il devient l’équivalent d’une
consultation par sondage et il est entaché du péché originel d’être trop
sensible au court terme, aux émotions et à l’air du temps. Les assises
nationales sur de grands thèmes comme l’éducation et la recherche ont leurs
mérites, mais ce sont des grands-messes où s’expriment individus et
groupes de pression qui défendent souvent leurs intérêts plutôt que l’intérêt
général, d’où résulte souvent un nivellement par la moyenne.
Au fond, nous dialoguons plus avec nos téléphones et nos ordinateurs
qu’avec nos semblables. La place considérable désormais occupée par les
réseaux sociaux façonne les opinions, mais sans discussions contradictoires
en face à face. Nos contacts directs avec nos congénères, surtout lorsqu’ils
se trouvent dans d’autres sphères (ou classes sociales), sont rares et
médiocres. Cela encourage les fractures sociales, et agrandit le fossé entre
les élites et le peuple, justement dénoncé par les populistes. Il est normal
que le débat politique soit polarisé. Il n’est pas normal qu’il soit envahi par
la mauvaise foi et la violence verbale. L’invective remplace trop souvent
l’argumentation, et celle-ci souffre d’une dispersion des arguments lorsque
le bipartisme se dilue dans le multipartisme, ce qui est plus fréquemment le
cas aujourd’hui. Le système médiatique confronté à la révolution
numérique peine à ajuster son modèle économique et son fonctionnement
sans tomber dans le piège de l’information immédiate.
Bref, on discute trop peu et on discute mal. Le débat démocratique est
défaillant. Il faut trouver de nouveaux moyens pour le revivifier, et réanimer
la discussion publique, qui est aujourd’hui insuffisante, et, par certains
aspects, malsaine.
Pourquoi discuter ?
Mais pourquoi discuter ? Si c’est pour établir, en politique, une position
de force en vue d’une élection, ce n’est pas tout à fait la même chose que si
on se met autour d’une table pour trouver la meilleure solution à un
problème donné. Dans le premier cas, on doit vaincre. Dans la
confrontation, on pourra s’inspirer des 38 stratagèmes d’Arthur
Schopenhauer dans L’Art d’avoir toujours raison 29. Puisqu’il s’agit
d’affirmer sa supériorité, la mauvaise foi et la malhonnêteté intellectuelle
peuvent avoir libre cours. Dans le second, les individus qui discutent
s’effacent devant le problème à régler et cherchent l’intérêt général plutôt
que le leur, avec l’idée qu’un consensus est possible. Le débat politique est
un mélange des deux. Par construction, il ne peut que l’être. Rassembler des
majorités politiquement disparates sur des objectifs déterminés est assez
rare, et ne fonde pas un mode de gouvernement ordinaire.
La polarisation politique est absolument nécessaire à la vie
démocratique. Il est normal et souhaitable que des femmes et des hommes
entrent en compétition pour exercer le pouvoir, et que, briguant des
mandats, ils s’exposent au débat public. Pourtant, elle ne sert pas toujours
l’intérêt général, dans le domaine de l’éducation par exemple. J’en conclus
qu’il faut organiser un deuxième niveau de discussion citoyenne, et la
fonder sur des groupes ayant pour objectif le consensus plutôt que la
polarisation politique. Ils aideraient à dégager des « majorités de projet ». Si
cela existait, le jeu politique se poursuivrait de la même manière, à ceci près
que les responsables politiques, instruits par les conclusions obtenues par
ces groupes (beaucoup mieux que par des sondages d’opinion ou l’écoute
des réseaux sociaux) prendraient leurs responsabilités dans des conditions
différentes. Je détaille maintenant cette proposition.
LES PRINCIPES
Efficacité
Les indicateurs
Questions d’indicateurs
Si on veut suivre l’efficacité de mesures touchant au bien-être et de la
justice sociale, il faut des indicateurs appropriés. Il en existe une batterie.
Leur définition, leur choix, leur interprétation, et leur mode d’agrégation
aboutissent forcément à des tableaux largement qualitatifs, souvent
difficiles à comparer. Nous voilà au cœur de la pensée complexe, loin des
classements simplistes (du type : index de démocratie, « classement de
Shanghai » des universités, dont je comprends mal le pouvoir de séduction).
Aller dans ce sens donnera lieu à d’abondantes discussions (ce qui est bien)
mais aussi à d’incessantes controverses (ce qui l’est moins). Cela renforce
l’impérative nécessité de corriger les déficiences du débat public.
Il faut échapper à l’usage trop exclusif du produit intérieur brut ou PIB,
qui mesure, de façon strictement économique, la richesse d’un pays 7, et du
revenu moyen par habitant qui en est déduit. Ces deux indicateurs ont leur
utilité. Mais pour décrire correctement le niveau de vie d’un pays et celui de
ses habitants, il faut prendre en compte bien d’autres facteurs. En faire
abstraction donne, de facto, une priorité à l’économique sur le social. Une
perversité de la course mondiale à la croissance des PIB nationaux est
d’ignorer la question de la gestion des biens communs planétaires.
Dès son accession au trône, en 1972, le jeune roi du Bhoutan, âgé de 16
ans, entreprit de créer un indice de Bonheur national brut (BNB), qui fut
inscrit dans la constitution en 2008 8. L’initiative fut accueillie avec un peu
d’ironie, mais le BNB a acquis une certaine respectabilité, parce qu’il
rejoignait la critique du PIB. Les indicateurs d’« efficacité » se sont
multipliés et perfectionnés 9. L’indicateur du développement humain
(IDH) 10 combine le PIB, l’espérance de vie à la naissance et l’accès à
l’éducation. Il est utilisé par le PNUD (Projet de Développement des
Nations unies) pour suivre l’évolution des pays en émergence. L’indicateur
de participation des femmes (IPF) et l’indicateur sexué du développement
humain (ISPH) servent à évaluer la situation des femmes et son évolution.
Un indicateur de santé sociale 11 utilise une quinzaine de variables rattachées
à cinq groupes d’âge. Ces indicateurs n’incorporent pas les préoccupations
environnementales qui se sont imposées depuis les années 1990, et pour
lesquelles de nombreux autres indicateurs ont été créés depuis. Ils ne
tiennent pas compte non plus du régime des libertés des citoyens 12.
Il y a plusieurs définitions de la pauvreté 13. Certaines tiennent compte
des facteurs de précarité 14, ou intègrent la pauvreté « subjective » (le fait de
se considérer comme pauvre), que des analystes relient à l’insécurité 15. La
définition des indicateurs de pauvreté 16 chiffrés n’est pas homogène :
l’usage de l’indicateur français aux États-Unis ferait passer le pourcentage
des pauvres de 14 à 25 %. En France, l’indicateur de l’extrême pauvreté est
17
référé à un revenu inférieur à 40 % du revenu national moyen . Il masque
des réalités très différentes. La situation d’une personne aux faibles revenus
n’est pas la même selon qu’elle possède, ou non, un logement, ou selon
qu’elle vit en milieu rural ou urbain. Cette inexorable queue de la courbe de
distribution des revenus 18 doit être analysée avec le reste de la courbe,
qu’on découpe souvent en dix tranches (les « déciles »), dont la déformation
documente les variations de pauvreté et de richesse. L’accroissement de la
pauvreté dans le dernier décile a un fort impact dans l’opinion et dans la vie
politique, surtout lorsqu’elle coïncide avec une augmentation de la richesse
dans le premier. Pour bien apprécier ces évolutions, il faut les analyser plus
avant, et, par exemple, distinguer et prendre en compte les revenus et le
patrimoine, et apprécier les conditions de vie. Il faut donc d’autres
indicateurs pour compléter le tableau complexe de la pauvreté, qu’un seul
paramètre est évidemment impuissant à décrire. Des statistiques trop
primaires sur la pauvreté égarent le public autant qu’elles l’informent.
LA RESPONSABILITÉ SINGULIÈRE,
MAIS PAS EXCLUSIVE, DU SECTEUR PUBLIC
Le secteur public est plus ou moins développé selon les pays, mais il
existe partout un noyau dur qui entoure le pouvoir exécutif et assure, au
plus haut niveau, la gestion de l’État. Ce noyau dur joue un rôle
considérable dans l’efficacité nationale. Ce concentré d’État fait face à des
problèmes extrêmement complexes. Sa qualité est essentielle. Il est censé
être exemplaire, efficace, non corrompu, et animé de l’idée de servir les
citoyens.
Il pilote des ministères aux administrations nombreuses, parfois
pléthoriques, dont l’architecture fonctionnelle est forcément complexe, et
dont le degré de centralisation ou de décentralisation affecte la qualité de
fonctionnement. Les administrations doivent pouvoir être évaluées et
accepter de l’être. Leur tendance naturelle à grossir jusqu’à l’obésité doit
être contenue. Mesurer et optimiser l’efficacité des administrations est un
enjeu d’importance nationale. On ironise beaucoup, et de façon souvent
injuste, à leur sujet, mais il est vrai qu’elles portent une responsabilité
particulière. Il en va de même pour les services publics, dont l’impact sur le
bien-être des citoyens est encore plus direct et évident. C’est le cas,
notamment, du système hospitalier public. Les entreprises publiques ou
parapubliques posent d’autres questions encore, s’agissant, par exemple, de
leur exposition à la juste concurrence. Le statut des personnels de la
fonction publique mérite, lui aussi, d’être examiné à l’aune de l’efficacité
sociale.
Partout, ou presque, de grands efforts sont faits pour moderniser les
systèmes publics et augmenter leur efficacité. Cela n’est pas toujours
reconnu, d’autant que, comme à l’habitude, les utilisateurs repèrent ce qui
ne marche pas, et sont aveugles à ce qui fonctionne bien ou mieux. L’État
doit se montrer plus particulièrement stratège, organisé et critique lorsqu’il
délègue l’exécution de service public au secteur privé. Il doit juger de
l’usage correct des fonds publics alloués (autant, on l’espère, que pour la
gestion de ses propres activités). L’évaluation de l’efficacité sociale (et
économique) des politiques publiques est un domaine critique, qui demande
de puissantes injections de science et de méthode scientifique. On en verra
un exemple ci-dessous.
Je ne m’engagerai pas dans une discussion sur les mérites respectifs du
public et du privé, ni sur le bon équilibre à trouver pour leur coexistence au
service du pays, mais je tiens à souligner une évolution récente du statut des
entreprises. En France, l’article 1832 du Code Napoléon stipule que : « la
société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un
contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en
vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en
résulter ». Autrement dit, une entreprise commerciale a pour seul objectif de
faire du profit au bénéfice exclusif de ses dirigeants et de ses actionnaires.
En 2019, un pas en avant a été fait avec la possibilité ouverte par la loi
PACTE d’organiser une entreprise commerciale à partir d’un projet
d’entreprise et pas du seul profit, et d’inscrire ce projet dans ses statuts. Il
devient possible d’institutionnaliser des objectifs de nature sociale, et de
tenir compte des externalités sociales, environnementales et éthiques des
activités de l’entreprise 32. De telles options existent aux États-Unis depuis
plusieurs années 33.
L’ARCHITECTURE DU SYSTÈME
LE SALAIRE UNIVERSEL
*
La démocratie implique la capacité de réfléchir et d’agir collectivement.
Elle doit se garder de fabriquer sa propre inefficacité. Bien sûr, les
représentants du peuple doivent rendre des comptes. Mais l’exécutif doit
rester capable de décider et d’agir. Il lui faut du pouvoir, non sur le peuple
qui le désigne, mais sur l’évolution des dispositifs sociaux dans l’intérêt
général. Cela ne va jamais sans difficultés, puisque le peuple, contrairement
aux prétentions des populistes, est une entité composite, complexe et
dynamique. Mais trop de contre-pouvoirs au bénéfice des individus, ou des
excès de complexification, de réglementation, d’administration, de
judiciarisation et autres, peuvent diminuer l’efficacité au point que le
« même » peuple fasse de cette impuissance « organisée » (c’est-à-dire fruit
d’une mauvaise organisation), un motif de se retourner contre la démocratie
elle-même. Le dosage est subtil et le peuple est juge, jusqu’à ce que des
ennemis de la démocratie s’emparent du pouvoir sur le peuple. L’efficacité
est bien une composante majeure de la robustesse d’une démocratie.
CHAPITRE 7
Planétarisation
La dimension politico-économique
Les théories politiques fournissent des cadres de réflexion
indispensables pour penser la chose publique. Je me concentre ici sur les
théories fondatrices des démocraties libérales 1, en me référant à
l’étymologie du terme « libéralisme », qui dérive du latin « liber »,
l’homme libre. Depuis, et même pendant la période des Lumières, le
libéralisme s’est ramifié et mêlé au libéralisme économique, dont il existe
plusieurs versions. Cela provoque de nombreuses confusions, d’autant que
le terme de libéralisme, culturellement connoté, n’a pas le même sens en
Angleterre, aux États-Unis et en France. Du coup, il est souvent glorifié ou
diabolisé hors de propos.
D’après ce qui précède, le libéralisme doit évoluer pour inscrire i) le
bien-être et la justice sociale en tête de ses finalités et ii) l’altruisme aux
côtés des valeurs fondamentales de liberté et d’égalité. Cela ancre plus
encore le libéralisme tel que je l’entends dans le cadre du « libéralisme
social », catégorie à laquelle appartient l’État providence. Or celui-ci,
aujourd’hui à bout de souffle, doit se renouveler pour trouver de nouvelles
modalités d’action légitimes au sein de démocraties modernisées. Je discute
d’abord l’hybridation malsaine du libéralisme et de l’économie, qui
finalement le domine et l’étouffe.
Libéralisme et économie :
la confusion des genres
L’ABSURDE INCOMPATIBILITÉ
ENTRE L’ÉCONOMIQUE ET LE SOCIAL
LA FRANCE
Et la France, jusqu’à quel point remplit-elle ses « devoirs » vis-à-vis des
autres ? Quelques chiffres (arrondis, annuels et portant sur 2016 ou 2017)
aident à cadrer le sujet. En France, le produit intérieur brut est de
2 000 milliards d’euros. La dette publique est du même ordre et les intérêts
se montent annuellement à environ 40 milliards (un peu moins que le
budget du ministère de l’Éducation nationale : 50 milliards, hors pensions).
La contribution de la France à l’Union européenne est de 20 milliards
d’euros. L’aide publique au développement en direction des pays pauvres
est de 8,5 milliards d’euros 31. Le flux des migrants est d’environ 200 000
32
par an , et certains experts le tiennent pour « rentable » à terme pour
l’économie du pays 33. La contribution à la lutte contre le réchauffement
climatique hors de nos frontières (selon l’accord de Paris) devrait atteindre
quelques milliards (5, 10 milliards ?) d’euros, pris pour partie sur l’aide
publique au développement 34. À la lecture de ces ordres de grandeur, je suis
tenté de conclure que la France, qui fait partie des pays plutôt généreux, ne
se ruine pas en remplissant (partiellement) les devoirs dont elle a, par elle-
même, décidé. Sauf erreur, le total lui coûte moins que le remboursement
des intérêts de la dette financière qu’elle a contractée, par laxisme politique
35
et budgétaire, qu’elle peine à diminuer et qui plombe ses marges de
manœuvre pour se rénover, y compris dans le champ social.
La gouvernance internationale
et supranationale
Les quelque deux cents nations, démocratiques ou pas, qui composent
l’ONU ont adhéré à une organisation dont le statut est profondément
démocratique, puisque chaque pays, petit ou grand, pauvre ou riche, faible
ou puissant, dispose d’une voix. Toutefois, pour toute décision majeure,
l’unanimité du Conseil de sécurité est requise. Chacun de ses membres
possède donc un droit de veto, et peut bloquer un système qui connaît
beaucoup de difficultés. Non seulement, dans le cas de la guerre de Syrie
par exemple, un seul pays (la Russie) a pu bloquer jusqu’à l’aide
humanitaire (qui ne pouvait parvenir à destination sans une trêve militaire),
mais encore (comme dans le cas du conflit israélo-palestinien) certaines
résolutions unanimes ne sont pas respectées 43.
L’ONU est une merveilleuse utopie, très difficilement réformable, tant il
est improbable que les pays du Conseil de sécurité renoncent à leur droit de
veto. Cela posé, l’ONU est un espace de dialogue international
indispensable, et sa création est une avancée essentielle dans la gestion des
affaires du monde. Où en serions-nous sans l’ONU ? Même si des
améliorations de ce système sont hautement souhaitables et activement
recherchées, son existence, une fois encore remise en question par le refus
du multilatéralisme de Donald Trump, est vitale. Je crains pourtant que
l’ONU projette sur la démocratie une image d’inefficacité qui comporte un
risque symbolique. Il en va de même pour l’Union européenne, pourtant
moins handicapée par la règle de l’unanimité, dans la mesure où, dès sa
création, plusieurs compétences nationales ont été transférées au niveau
supranational. Souvent, lorsqu’un système social est irréformable, on en
construit un autre, concurrent du premier, et on voit si, à l’expérience, les
deux coexistent et se complètent, ou si l’un d’eux est absorbé par l’autre ou
disparaît. À l’échelle de l’Europe, il se pourrait que la construction d’un
noyau dur de quelques nations prêtes à accepter la modification de certaines
règles soit le moyen de faire évoluer l’ensemble. Mais à l’échelle du
monde ? Cela étant, et bien que le système des Nations unies prête le flanc à
la critique, notamment du fait de sa faible efficacité opérationnelle (et d’un
rapport coût/bénéfices que certains jugent insuffisant), il est absolument
indispensable de le conserver et de le défendre. Ce que ne pourront faire les
nations démocratiques qu’en étant à la fois puissantes et exemplaires.
Telle est la conclusion inéluctable de ce chapitre : les démocraties n’ont
d’autre option que d’être doublement puissantes, économiquement et (ce
que l’on peut regretter) militairement. C’est une nécessité dans un monde
largement réglé par les intérêts économiques et les rapports de force, plutôt
que par la raison et les valeurs morales. Il faut encore qu’elles soient
exemplaires, parce qu’elles doivent (ou devraient) mettre en exergue ces
dernières et faire en sorte que l’aspiration à la démocratie prenne forme et
force là où elle n’existe pas. Or beaucoup de nations démocratiques ne le
sont pas aujourd’hui, et plusieurs n’en prennent pas le chemin. Il faudrait au
moins que, à côté des finalités et des valeurs, l’efficacité des démocraties
contribue à leur attractivité. Quant à l’Europe, elle devrait mieux prendre
conscience du fait que la plus grande concentration de pays démocratiques
au monde porte une responsabilité historique vis-à-vis de la démocratie en
tant que telle dans la conjoncture actuelle.
CHAPITRE 8
Mobiliser la science
et les intellectuels au service
de la démocratie
Même s’il croît dans les mêmes proportions que le reste, le champ de la
recherche fondamentale, comme celui de la recherche aval, va devoir se
réformer. Je me hasarde à avancer que, dans son ensemble, la science se
rapprochera du terrain et sera de ce fait plus « sociale ». Je m’explique.
La croissance de la population scientifique va induire une
diversification des sujets de recherche, stimulée par la volonté d’échapper à
une redondance déjà élevée (beaucoup de chercheurs travaillent aujourd’hui
sur des sujets proches, dont le choix n’est pas exempt d’effets de mode). La
recherche est une activité de type ascendant. Elle part des faits, du
contextuel, du « micro », avec l’idée de remonter vers le « macro ». C’est
d’ailleurs le rêve du chercheur de faire, au niveau « micro », une découverte
qui va illuminer le niveau « macro ». Cela arrive de temps à autre, et
produit une « grande » découverte. Incidemment, mal maîtrisée, cette
avidité d’atteindre l’universel a produit pas mal de fausses « lois », plus
nocives qu’utiles 5.
Plus diversifiée, la science deviendra plus « locale », et, par suite, plus
« sociale ». Les sciences humaines occuperont la place qui leur revient, et
qui doit croître. Mais les sciences « dures » elles-mêmes évolueront vers
des problématiques plus pointues, moins générales et plus proches des gens.
Je précise que, pour moi, ce n’est pas un mal : j’ai toujours pensé et
professé que la science est magnifique, mais qu’elle l’est autant et plus
lorsqu’elle « sert », dans le double sens d’être utile à quelque chose, et
d’être au service des autres.
Ce mouvement vers le social est déjà engagé. En biomédecine, les
capacités croissantes de séquençage des génomes de l’homme ont dévoilé
une énorme diversité génétique et des milliers de maladies génétiques rares,
qui n’affectent chacune qu’un petit nombre de personnes dans le monde.
Évidemment, il faut trouver les moyens de les soigner, ce qui occupe pas
mal de monde. De même, les singularités génétiques des individus, des
microbes qui les infectent ou des cancers dont ils sont atteints conduisent à
diversifier et adapter les traitements. Peu à peu, la médecine devient plus
« personnalisée ». Il faudra éviter qu’elle se déshumanise, et la
personnaliser plus avant, et ce d’autant plus qu’on sera mieux instruits des
liens, organiques et psychologiques, que le cerveau entretient avec le reste
du corps.
Plus de recherches locales, et plus de recherches à impact social, avec
cette autre conséquence importante de pousser à mieux définir et apprécier
les externalités de la science. Par exemple, je ne connais pas de pays où
l’enseignement est de qualité sans qu’il y ait la moindre recherche
scientifique. Même constat pour la médecine. Ainsi, dans la plupart des
pays en développement, les activités de recherche ne sont pas
hypercompétitives au niveau international, mais elles sont localement utiles
parce qu’elles tirent la culture vers le haut. La sociologie de la science
évolue et mérite plus que jamais d’être étudiée 6.
Quo vadimus ?
Allons-nous dans un mur ? Et à vive allure ? C’est tout à fait possible.
Si, comme je le pense, nos démocraties se dégradent, et si nous n’en
modifions pas les trajectoires, elles pourraient bien se détériorer plus
encore. L’avenir pourrait être pire que le tableau en demi-teinte que j’ai
dépeint jusqu’ici. Le risque existe. Pourquoi ? Parce que, à ce stade, j’ai
surtout cherché à identifier des défauts de robustesse existants qui
fragilisent nos démocraties aujourd’hui. Il me reste à me projeter dans le
futur, exercice incertain, voire périlleux, auquel j’ai décidé de me livrer
dans les quatre expériences de pensée qui suivent. Certaines recoupent des
17
réflexions évoquées par d’autres . Peu importe qu’elles paraissent farfelues
du moment qu’elles font réfléchir. Après tout, la science-fiction n’a-t-elle
pas souvent visé juste ? On va voir que cette démarche met en lumière un
autre risque de taille : le citoyen d’aujourd’hui a toutes chances de perdre
ses repères dans le monde de demain, et, par conséquent, de se trouver dans
l’incapacité d’exercer correctement sa citoyenneté.
Éduquer et s’éduquer
Dans la tempête,
ouvrir grands les yeux
FINALITÉS
VALEURS
PROCÉDURES
Règles et lois, de même que nombre de procédures informelles relèvent
de la troisième dimension, celle des procédures. Elles sont déjà très
organisées, mais certaines peuvent être améliorées. Le déficit majeur n’est
pas à chercher dans la représentation. Il est celui de la discussion. La
discussion démocratique ne peut être réduite à des dialogues superficiels, et
frappés du sceau absurde de l’immédiateté. Il ne peut suffire de parler à son
téléphone, d’utiliser son ordinateur, d’échanger sur les réseaux sociaux et de
glaner sur tel ou tel serveur des informations de toutes sortes. Cela est fort
utile et sans doute plaisant. Mais il faut encore parler à « l’autre », le
rencontrer physiquement, discuter, argumenter en face à face, à tous les
niveaux, dans la vie personnelle, professionnelle et démocratique. Cet accès
1
« à l’autre » est l’un des modes de réalisation de l’altruisme.
De surcroît, la discussion démocratique ne peut se nourrir que
d’oppositions qui renvoient souvent à d’obscures et mesquines luttes de
pouvoir. Sur certains sujets, il faut apprendre à chercher, à trouver et à
accepter le consensus. D’où la proposition d’installer sur le territoire
national un vaste réseau de discussion citoyenne, orientée vers la recherche
de consensus, fonctionnant en continu, plutôt que rythmé par les échéances
électorales, et se saisissant de tout problème d’importance citoyenne. On
peut l’imaginer de diverses manières : les débats pourraient se tenir dans les
mairies et/ou dans d’autres espaces publics ; une agence de l’État, et des
agences régionales pourraient dispenser les ressources nécessaires, aider à
organiser les questionnements, faciliter les échanges et les remontées
d’information, etc. Lâchons la bride à notre imagination, mais bâtissons un
dispositif de participation véritable à la vie citoyenne, qui accompagne un
changement de culture.
EFFICACITÉ
PLANÉTARISATION
Un autre récit ?
Notre récit actuel sur la démocratie est usé. Il en faut un nouveau, que
nous peinons à trouver. Ici et là, nos « intellectuels », de droite et de gauche,
s’interrogent. Beaucoup de considérations généreuses et intelligentes, peu
de propositions convaincantes 2. Certains font un mea culpa quand d’autres
livrent un aveu d’impuissance. Je m’aventure donc à résumer mon récit en
quelques lignes :
La démocratie que nous avons à rajeunir et à reconstruire doit être
fondée sur les valeurs de liberté, d’égalité, d’équité, d’altruisme et de
solidarité. Elle vise le bien-être de tous dans le cadre de l’intérêt général, et
recherche la justice sociale. Son régime politique est celui du libéralisme
altruiste. Elle s’efforce à l’efficacité sociale dans tous ses domaines
d’activité et vérifie à tout moment sa robustesse. Elle se construit et se
régénère à partir de sa base, c’est-à-dire à partir de citoyens responsables,
dans un mouvement ascendant respectueux de ses valeurs et de ses lois. Les
citoyens s’inscrivent dans une dynamique de la discussion, dont les fruits
sont continûment transmis à leurs représentants et dirigeants régulièrement
élus.
Encore une utopie ? Sans aucun doute, mais raisonnée et assumée.
N’était-il pas entendu dès le départ que nous avons besoin d’un nouveau
récit sur la démocratie, un récit capable de nous convaincre et de convaincre
les jeunes générations ? Ce récit n’est d’ailleurs pas si différent de celui de
Périclès que j’ai cité en exergue. On notera qu’aucun régime autoritaire ne
peut s’en emparer. Seul un régime démocratique est capable de faire face
sans violence aux évolutions que j’anticipe. Celles-ci sont donc à la fois un
défi et une chance pour la démocratie.
Se mettre au travail
Je ne doute pas que nous soyons nombreux à vouloir relever nos
manches et nous mettre à l’œuvre pour sauver nos démocraties du déclin ou
d’une mort annoncée. Mais par où commencer ? La tâche est rude. Il s’agit
de penser et de mettre en place, non pas un seul dispositif miraculeux, mais
un ensemble de changements qui ne se produiront pas tout seuls. Nul n’a la
naïveté de croire que, du jour au lendemain, tout un chacun va devenir
altruiste, se mettre à réfléchir, à se livrer à une introspection rationnelle de
bonne foi, discuter avec son voisin et faire émerger une nouvelle forme
d’auto-organisation sociale. Comme le rappelle justement Jürgen
Habermas : « Le problème de la faiblesse de la volonté n’est pas résolu par
la cognition morale 3. »
Ma conviction est qu’il est possible de commencer par expérimenter la
forme particulière de démocratie délibérative que j’ai évoquée plus haut,
dispositif dans lequel il faut impliquer les forces intellectuelles des nations 4.
N’est-ce pas un bel enjeu pour les élites, scientifiques et autres, que mettre
leurs savoirs et leurs compétences au service des citoyens ? Notamment
dans les groupes de discussion dont je suggère la mise en œuvre ? Ou par
n’importe quel autre moyen ? Et un bel objectif pour nous, intellectuels de
tous bords, chercheurs, universitaires, philosophes, sociologues, journalistes
qui commentons avec tant d’intelligence les affaires de ce monde ? N’est-ce
pas de notre ressort, et de notre responsabilité ? L’un des grands enjeux des
démocraties est aujourd’hui de mobiliser ces forces vives, trop isolées dans
le tissu social. Au fond, les démocraties se sont construites afin que les
révolutions ne soient plus nécessaires, et pour éviter de futures guerres
civiles et les bains de sang. Il est temps, dans la situation de plus en plus
complexe et difficile qui les attend, que se remobilisent les forces
d’évolution et non de révolution.
Nous sommes nombreux à aimer la démocratie, et à éprouver pour elle
un attachement indéfectible. Défendons ce formidable capital, pour
entraîner ceux dont la conviction vacille. Mais soyons bien conscients qu’il
y a une différence entre l’amour et les preuves de l’amour. Quelles preuves
donnons-nous, nous, les intellectuels, de notre attachement à la
démocratie ? Aidons à concevoir ces groupes de discussion, contribuons à
les animer, mélangeons-nous aux autres, et mettons-nous à leur service.
Continuons à produire du savoir et de la réflexion et à écrire des ouvrages
que nous espérons géniaux. C’est notre fonction première. Mais passons
aussi aux travaux pratiques et sortons de nos bureaux. Arrêtons de travailler
pour nous-même et notre modeste gloire. Allons à la rencontre des autres.
La nation démocratique attend plus de nous que des analyses et des rapports
sur ce qu’il faudrait faire, assortis d’injonctions aussi pertinentes
qu’inefficaces. Notre gloire demain ne viendra pas que de nos écrits et de
nos discours. Elle viendra aussi de notre participation à un travail
d’intelligence collective qui dégagera les récits de la future démocratie,
ceux qui nous enthousiasmeront et enthousiasmeront nos cadets.
La démocratie est le meilleur,
et non le moins pire des systèmes
Dans la réalité, nos démocraties sont très imparfaites, et, si, comme
aujourd’hui, elles sont à la peine, nous en sommes responsables. Les
dangers viennent d’abord de l’intérieur de nos démocraties, c’est-à-dire de
nous-mêmes. Beaucoup de signaux nous l’indiquent aujourd’hui : il faut
renouveler la démocratie, sans rien perdre de ses valeurs originelles, mais
en les complétant, en corrigeant ses défauts contemporains, et en l’adaptant
à un monde qui a changé, et qui va changer plus encore. Il y a urgence. Nos
démocraties ont dérivé jusqu’à un point qui réclame une intervention
rapide. En raison de l’évolution de leur environnement planétaire, les
difficultés auxquelles elles devront faire face vont croître. On s’en rend
compte aujourd’hui avec la question des migrants, mais ce n’est qu’un
problème parmi beaucoup d’autres. Il faut nous y préparer et préparer les
changements nécessaires.
Ces réflexions m’habitent depuis longtemps, et je suis heureux de les
livrer maintenant, tant je ressens l’urgence de la situation. La démocratie
est-elle plus à risque aujourd’hui qu’hier ? Sans doute. Y a-t-il d’autres
questions à traiter que celles que j’ai abordées ? Certainement. Mais il faut
d’urgence désamorcer, à l’intérieur même du système, les bombes de
l’individualisme, du populisme et du nationalisme, dont les tenants se
nourrissent à la fois des manquements et des fragilités internes aux
démocraties, et des succès, réels ou prétendus, des détracteurs non
démocratiques de la démocratie.
« La démocratie est le pire des systèmes à l’exception de tous les
autres. » Il faut mettre au rebut cette formule de Churchill, mille fois
rabâchée. Elle fait mouche. Elle est assez drôle, mais elle véhicule l’idée
pernicieuse que, quoi que l’on fasse, tous les systèmes politiques sont
mauvais, et que la démocratie vaut à peine mieux, sans même laisser à
entendre qu’elle est améliorable. Je l’affirme avec la plus grande
détermination : la démocratie est le meilleur des systèmes à condition de la
faire évoluer, de se saisir de sa complexité, d’en réaffirmer les finalités et
les valeurs, et d’en améliorer les procédures et l’efficacité dans un contexte
planétaire.
Notes
Introduction
1. Philippe Kourilsky, Le Temps de l’altruisme, Odile Jacob, 2009, et Le Manifeste de
l’altruisme, Odile Jacob, 2011.
2. www.resolis.org
3. Hans Rosling, Factfulness. Ten Reasons We’re Wrong About the World – and Why Things
Are Better Than You Think, Flatiron Books, 2018. Steven Pinker, Enlightenment Now, The
Case for Reason, Science, Humanism and Progress, Penguin, 2018.
4. C’est une méthode que j’ai toujours pratiquée dans mes activités de recherche et dans
mon enseignement au Collège de France.
5. Je me suis surtout efforcé d’éviter deux pièges culturels bien français, ceux
de l’autoflagellation, et de l’autosatisfaction. En France, la critique de tout et de rien est un
sport national. De façon surprenante, les sondages nous placent quasiment en tête des
peuples les plus pessimistes sur leur avenir, bien avant des nations pauvres ou très
défavorisées (Enquête BVA WIN Gallup 2015 et 2017). Toutefois, dans le même
mouvement, nous continuons de promouvoir l’universalisme à la française ; nous sommes,
au fond, très fiers de notre système et effarés à l’idée qu’il puisse être contesté. Nous ne
cessons de nous plaindre, en restant convaincus d’être dans le droit chemin et de pouvoir
l’indiquer à d’autres. C’est souvent l’appréciation de la distance qui sépare chacun de nous
du statut dont il estime devoir bénéficier qui nourrit notre hypochondrie récurrente, plus
que notre situation même. Cette ambition est louable, mais doit pouvoir s’inscrire dans la
recherche du bien public, sans conduire au pessimisme le plus noir.
6. Je réfute à l’avance l’étiquette de « scientiste » dont certains voudront peut-être
m’affubler. Je l’ai posé d’emblée et le réaffirmerai tout au long de mon texte : la science
n’est pas tout, la raison non plus, mais leurs vertus doivent être reconnues et utilisées à bon
escient. D’une certaine manière, je défends le savoir et la connaissance scientifiques,
certaines de leurs applications et les scientifiques eux-mêmes. D’aucuns pourront en tirer
argument pour douter de mon objectivité, me taxer de corporatisme, ou invoquer, au vu de
mes expériences passées dans le secteur privé (publiques sur la toile), des « conflits
d’intérêt ». Chacun en jugera. Mais je soulignerai qu’un amoureux de la démocratie peut
l’analyser sainement, et qu’un amoureux de la science, la pratiquer objectivement. C’est
une beauté de l’exercice de la raison, dont les scientifiques sont, en quelque sorte, des
professionnels, que de poser et de respecter les limites assignées à l’exercice réflexif.
7. Philippe Kourilsky, Le Jeu du hasard et de la complexité, Odile Jacob, 2014. J’y décris
et discute l’existence de ce vaste système des défenses naturelles. Il inclut l’apoptose, un
dispositif de mort programmée qui existe dans toutes les cellules du corps. Chacune est en
survie, et peut mourir ou se suicider en fonction des signaux qu’elle reçoit de son
environnement.
8. C’est l’estimation habituellement donnée pour le seul système immunitaire.
Chapitre 1
La complexité et la pensée complexe
1. Edgar Morin, Penser global, Flammarion, « Champs », 2016. Voir aussi Edgar Morin (et
deux citations de Pascal et Descartes) in R. Benkirane, La Complexité, vertiges et
promesses. Dix-huit histoires de sciences, Le Pommier, 2006.
2. Environ 10 milliards de neurones, et jusqu’à 1 million de milliards de synapses.
3. Liu Y. Y., Slotine J. J., Barabási A. L., « Controllability of complex networks », Nature,
2011, 473, p. 167-173.
4. Barabási A. L. et al., « Network Biology : Understanding the cell’s functional
organization », Nat. Rev. Genet., 2004, 5, 101-113.
5. In « Network science » Wikipédia, The Opte project Wikimedia.
6. Pour le meilleur et pour le pire. Les lois de Mendel n’ont été « redécouvertes » qu’en
1900. L’interprétation erronée qui fut faite du concept de gène a contribué, dans les années
1930, à la prospérité des théories eugénistes, qui ont faussement légitimé des
considérations racistes, et ne sont pas étrangères à la diffusion de l’idéologie nazie. Ce
n’est que dans les années 1960 qu’on a fermé, en Europe, tous les lieux où on stérilisait des
alcooliques et des malades mentaux.
7. Postface de Philippe Kourilsky sous forme d’un entretien avec Jacques Printz, dans
Jacques Printz et Daniel Krob, Introduction à la systémique, en préparation. Cette
discussion illustre la distance qui sépare la vision des systèmes complexes vus par un
biologiste et par un ingénieur.
8. C’est la propriété de « simplexité » (comme Alain Berthoz l’a joliment baptisée) que
l’on trouve dans toutes sortes d’objets et de situations. Alain Berthoz, La Simplexité, Odile
Jacob, 2009.
9. Comme d’ailleurs la physique classique et la physique quantique, la relativité partielle et
la relativité générale, etc.
10. En invoquant l’utilité, je suis bien conscient d’ajouter une autre dimension à l’activité
conceptuelle. J’y suis personnellement très attaché. Comme beaucoup, de façon générale, je
juge positivement les actions intellectuelles qui visent à permettre l’action. Cela revient, en
quelque sorte, à doter certaines idées de « modes d’emploi » (comme la Règle d’or évoquée
ci-dessus), qui font partie des attributs souhaitables des concepts complexes.
11. Cette logique, cohérente avec ce qui précède (rôle du hasard, absence de perfection), est
utile pour penser des systèmes complexes de toutes natures, y compris sociaux.
12. Il s’agit des théorèmes de Kolmogorov, qui enrichissent les deux théorèmes de Gödel.
13. Déjà cité in Philippe Kourilsky, Le Temps de l’altruisme, op. cit., p. 31 et issu de R.
Benkirane, La Complexité, vertiges et promesses, op. cit.
14. On trouve un nombre croissant d’articles scientifiques comme celui-ci : Ngonghala
C. N. et al., « Poverty, disease, and the ecology of complex systems », PLoS Biol., 2014, 12
(4), e1001827.
15. Luidi Pirandello, Six personnages en quête d’auteur, 1921.
16. Hans Rosling, Factfulness, op. cit. Cet ouvrage identifie dix instincts qui y contribuent,
par exemple, la tendance à dichotomiser puis à opposer. Il est intéressant qu’une partie des
remèdes proposés renvoie, dans une certaine mesure, à la pensée complexe.
17. J’emprunte cette phrase à Alain Supiot.
18. Par exemple, on peut s’amuser à établir un parallèle entre corps social et corps humain,
entre individus (les « agents » de la microéconomie et de la microsociologie) et cellules
constitutives de l’organisme ; entre grandes organisations publiques ou privées (corps de
l’État, entreprises) et organes (foie, reins) ; entre autoroutes et circulation sanguine ; entre
réseaux d’électricité et système nerveux ; entre police et système immunitaire, etc.
Certaines de ces analogies sont amusantes, mais imprécises et pas toujours bien fondées.
On doit en faire usage avec modération. Elles ne suffisent pas à faire un « modèle ».
19. Philippe Kourilsky, Le Temps de l’altruisme, op. cit., chapitre 10.
20. Le nombre des analphabètes a fortement diminué : 84 % des adultes en 2008, soit plus
de 4 milliards d’adultes, savaient lire et écrire.
21. Chiffres 2017, accroissement d’environ 5 % par an.
22. Par exemple, une voiture « autonome » est « bourrée » d’intelligence artificielle : elle
est supposée, de façon robuste, faire face aux hasards de son environnement. Cela exige
une gestion extrêmement poussée des informations recueillies par un grand nombre de
capteurs sur son environnement et les trajectoires qu’elle emprunte. La rigueur est
impérative.
23. À mon sens pleinement compatible avec celle de Jürgen Habermas, qui est une théorie
du jugement, donc cognitiviste, plutôt qu’une théorie de l’obligation. Jürgen Habermas, De
l’éthique de la discussion, Cerf, 1992, préface de Mark Hundayi, qui note : « L’implicite de
cette architecture (théorique de l’éthique de la discussion) est qu’on ne peut sauver
l’universalisme de la morale que si les questions pratiques sont susceptibles de vérité, c’est-
à-dire, si l’on peut, par de bonnes raisons, s’accorder rationnellement sur des prétentions à
la validité normatives. Pour Habermas, seul le cognitivisme garantit l’universalisme. »
24. La complexité d’une démocratie est-elle plus élevée que celle d’une dictature ? On peut
se poser la question en faisant appel à la théorie des contrôles. C’est surtout en termes
d’efficacité que ce sujet mérite d’être abordé.
25. Benjamin Constant, De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes, Mille et
Une Nuits, 2010.
26. Dominique Rousseau, Radicaliser la démocratie, Seuil, 2015. Pierre-Henri Tavoillot,
Comment gouverner un peuple-roi ?, Odile Jacob, 2019.
27. Dans cet espace à cinq dimensions, les démocraties réelles peuvent être
« cartographiées » dans toute leur diversité, selon leurs caractéristiques propres.
28. Pour Marcel Gauchet, la dynamique démocratique est la résultante de trois vecteurs, qui
relèvent : du politique (la notion d’un État qui n’est assujetti ni à un Dieu ni à un souverain
absolu) ; du juridique (la déclaration des droits de l’homme) ; et de l’historique (l’idée
d’inventer l’avenir par l’intelligence et le travail). Pour lui, ces vecteurs s’équilibrent tant
bien que mal, d’une façon qui varie dans l’histoire. Dans le langage de la complexité, on
traduirait en boucles d’action et de rétroaction, qui interviennent dans la robustesse du
système. Marcel Gauchet, L’Avènement de la démocratie, Gallimard, « NRF », 2017.
Chapitre 2
Avis de tempête mondial sur la démocratie
Chapitre 4
Valeurs
1. 1689, promulgation de la Déclaration des Droits qui instaure en Angleterre la monarchie
parlementaire ; 1787, signature de la Constitution des États-Unis ; et 1789, Révolution
française. La démocratie japonaise n’est formellement née qu’en 1945, non sans avoir, dans
les années 1920, fait l’expérience du pluralisme politique sous l’empereur Taishô.
2. Philippe Kourilsky, Le Manifeste de l’altruisme, op. cit.
3. Répertoriés par Serge-Christophe Kolm, in Serge-Christophe Kolm, Jean Mercier Ythier
(dir.), Handbook of the Economics of Giving, Altruism and Reciprocity, Elsevier, 2006,
p. 56.
4. Voir Serge Paugam, Le Lien social, PUF, « Que sais-je ? », 2008.
5. Matthieu Ricard, Plaidoyer pour l’altruisme. La force de la bienveillance, NiL, 2014.
6. On retrouve ici la théorie du « care » ou éthique de la sollicitude, élaborée dans
l’ouvrage de Carol Gilligan, In a Different Voice, Harvard University Press, 1982, et qui,
avant l’altruisme, a fait son chemin dans le débat public.
7. Altruisme auquel j’ai consacré deux ouvrages : Philippe Kourilsky, Le Temps de
l’altruisme, op. cit., et Le Manifeste de l’altruisme, op. cit.
8. Pablo Servigne, Gauthier Chapelle, L’Entraide, l’autre loi de la jungle , op. cit.
9. De telles observations sont suggestives mais faites dans des conditions expérimentales
particulières. On ne doit pas les surinterpréter. La tentation d’extrapoler et de prétendre que
certains comportements humains sont soumis à un déterminisme dicté par les gènes est
vivace. C’est exactement le type de généralisation indue qui a été utilisé pour faussement
légitimer les discriminations raciales et la pratique de l’eugénisme. L’idée d’un
« déterminisme partiel » fondé sur des phénomènes épigénétiques est séduisante, mais
difficile à établir chez l’homme.
10. « Théorie des jeux », Wikipédia. Voir Robert Axelrod, Comment réussir dans un monde
d’égoïstes, Odile Jacob, 2006.
11. Nina Marsh et al., « Oxytocin-enforced norm compliance reduces xenophobic outgroup
rejection », PNAS, 2017, 114 (35), p. 9314-9319.
12. Philippe Kourilsky, Le Temps de l’altruisme, op. cit., Le Manifeste de l’altruisme, op.
cit.
13. Amartya Sen, Development as Freedom, Alfred Knopf, 1999, tr. fr. Un nouveau modèle
économique. Développement, justice, liberté, Odile Jacob, 2000. Voir aussi du même
auteur, L’Idée de justice, Flammarion, 2009.
14. Amartya Sen, Un nouveau modèle économique, op. cit.
15. Ibid., p. 33.
16. L’existence possible ou probable d’une composante innée dans l’altruisme et/ou
l’éventail des sentiments qui contribuent à le constituer fournit une raison de plus pour en
identifier la dimension rationnelle, c’est-à-dire l’altruité.
17. Philippe Kourilsky, Le Temps de l’altruisme, op. cit. Voir aussi du même auteur :
« Altruity : Key to the fight against poverty », Field Actions Science Reports, 2012, numéro
spécial 4 : Fighting Poverty, between market and gift.
18. Hans Jonas, Le Principe responsabilité, Flammarion-Éditions du Cerf, 1995.
19. 1) L’altruisme est une somme d’altruité et de sentiments positifs. 2) Au droit à la liberté
correspond un devoir d’altruité. 3) L’exercice de l’altruité conduit à lutter pour l’égalité et
contre les inégalités. 4) La fraternité, à l’échelle collective, suppose l’exercice de
l’altruisme à l’échelle individuelle, donc de l’altruité. 5) L’idée de solidarité implique
l’altruisme, à l’échelle collective. On peut la penser comme un mélange d’altruité, de
sentiments positifs et de fraternité. 6) Le bien-être est la résultante pratique de ce qui
précède et implique donc l’altruité. 7) L’efficacité est légitimée à l’échelle de l’individu par
l’impératif d’altruité envers les autres, et à l’échelle collective, par l’inscription de l’altruité
dans la définition rationnelle des objectifs sociaux.
20. James Lovelock, Gaia, A New Look At Life On Earth, Oxford University Press, 1979.
21. Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique, La
Découverte, 2015.
22. Thierry Gaudin, Prospective des religions, Éditions Ovadia, 2006.
23. Dont Léon Bourgeois, qui fonde sur cette observation sa théorie du solidarisme (voir
chapitre 8).
24. Philippe Kourilsky, Le Manifeste de l’altruisme, op. cit. Cet aspect du devoir d’altruité
renvoie à la « réciprocité proportionnelle » d’Aristote, qui écrit dans l’Éthique à
Nicomaque : « Mais dans les relations d’échanges, le juste sous sa forme de réciprocité est
ce qui assure la cohésion des hommes entre eux, réciprocité toutefois basée sur une
proportion et non sur une stricte égalité. »
25. Alain Berthoz, Gérard Jorland (dir.), L’Empathie, Odile Jacob, 2004.
26. Résultat en France en 2016 : le manque à gagner annuel pour l’État est estimé à 60 à
80 milliards d’euros (jusqu’à 200 selon certains).
27. Dans le cas de la vaccination, les « passagers clandestins » sont ceux qui la refusent :
tant que leur proportion n’excède pas 5 à 20 % (selon les agents infectieux), la couverture
vaccinale est suffisante pour enrayer la propagation épidémique, et les non-vaccinés sont
indirectement à l’abri. Au-delà, la protection s’effondre.
28. Léon Bourgeois (plus loin) invoque un « quasi-contrat » entre l’individu et la société
dans sa théorie du solidarisme. C’est dans un sens un peu différent qu’il est utilisé ici.
29. Dont l’étymologie grecque est « connaissance, science du devoir ».
30. Philippe Kourilsky, Le Temps de l’altruisme, op. cit., Le Manifeste de l’altruisme, op.
cit.
31. Mireille Delmas-Marty (dir.), Libertés et droits fondamentaux, op. cit. Emmanuel
Decaux, Noémie Bienvenu, Les Grands Textes internationaux des droits de l’homme,
op. cit. Yves Madiot, Considérations sur les droits et les devoirs de l’homme, op. cit.
32. Philippe Kourilsky, Le Temps de l’altruisme, op. cit.
33. Philippe Kourilsky, Le Manifeste de l’altruisme, op. cit., chapitre 2, p. 39.
34. Voir Serge Paugam, Le Lien social, op. cit., chapitre 2. Jean-Fabien Spitz, Le Moment
républicain en France, Gallimard, 2005, chapitre IV. Jacques Mièvre, « Le solidarisme de
Léon Bourgeois », Cahiers de la Méditerranée, 2001, numéro 63 : Villes et solidarités,
p. 141-155.
35. J’ai proposé ce néologisme d’« altruitarisme », dérivé de l’« altruité », afin d’échapper
à la polysémie du libéralisme, source de nombreux malentendus qui alimentent des débats
souvent confus. Philippe Kourilsky, Le Manifeste de l’altruisme, op. cit., chapitre 11.
36. Gaël Giraud, Cécile Renouard (dir.), Vingt propositions pour réformer le capitalisme,
Flammarion, 2009.
37. Thomas Scanlon, What We Owe To Each Other, Harvard University Press, 2000.
Chapitre 5
Procédures
1. Pour rappel : la séparation des pouvoirs législatif, judiciaire et exécutif ; l’indépendance
de la justice ; la référence à une Constitution, vérifiée par un Conseil constitutionnel ou une
Cour suprême ; différents dispositifs électifs ; des modes de décision adaptés (à la majorité
simple, sauf pour la modification de textes fondamentaux) ; la liberté de la presse ; la
liberté d’expression, liberté d’association (conquête majeure du monde du travail). La
séparation des pouvoirs civils et religieux est la résultante de longues histoires nationales,
et n’est pas partout achevée (la reine d’Angleterre est Gouverneur suprême de l’Église
d’Angleterre ; Israël est une démocratie « confessionnelle », etc.). Contrairement à une
opinion assez répandue, les États-Unis sont, depuis 1791, un État laïc (en dépit de leur
devise : « In God we trust »). Lors de son investiture, le Président jure sur un livre, pas
forcément sur la Bible, bien que la plupart des présidents aient fait ce choix.
2. En se fondant sur des savoirs et des techniques de mieux en mieux éprouvés. Voir
Gustave Le Bon, Psychologie des foules, 1895 et Edwards Bernays, Propaganda. Comment
manipuler l’opinion en démocratie, Zones, 2007.
3. En 1995, Mona Sahlin fut obligée de démissionner de son poste de ministre du Travail
pour avoir réglé avec sa carte bancaire professionnelle quelques achats personnels, dont
deux barres de chocolat. D’où le nom d’« affaire Toblerone » donné à ce scandale. Une
enquête fut ouverte et révéla quelques autres irrégularités. L’opinion suédoise lui fut très
majoritairement hostile. Elle revint aux affaires plusieurs années plus tard. En France, un
scandale politico-financier entraîna la démission, en 2013, du ministre délégué au Budget,
Jérôme Cahuzac, pour une affaire d’évasion fiscale en Suisse et à Singapour après qu’il a
publiquement nié toute inconduite devant l’Assemblée nationale.
4. Comme le Premier ministre, Pierre Bérégovoy, en 1993. Béligh Nabli, La République du
soupçon. La vie politique au risque de la transparence, Le Cerf, 2018.
5. Steven Levitsky, Daniel Ziblatt, How Democracies Die, op. cit.
6. Un exemple frappant est celui de personnes asymptomatiques infectées sans le savoir par
le virus de la dengue, et qui, piquées par des moustiques, le leur transmettent. Ces
moustiques vont pouvoir piquer d’autres personnes et les infecter à leur tour. Veasna Duong
et al., « Asymptomatic humans transmit dengue virus to mosquitoes », PNAS, 2015, 112
(47), p. 14688-14693.
7. Alain Supiot, Grandeur et misère de l’État social, op. cit.
8. Mais pas seulement. Je me souviens avoir rencontré le dirigeant d’une grande entreprise
multinationale, qui, signe des temps, était partout accompagné de son directeur fiscal, et
non, comme par le passé de son directeur de la R&D. L’innovation avait changé de camp.
9. Ce qui renvoie à la question de la réversibilité du principe de précaution évoqué ci-
dessous.
10. Philippe Kourilsky, Isabelle Giri, « Safety standards : An urgent need for Evidence-
Based Regulation », SAPIENS, 2008, 1, p. 105-115 (www.sapiens-journal.org).
11. Philippe Kourilsky, Geneviève Viney, Le Principe de précaution, Rapport au Premier
ministre, Odile Jacob-La Documentation française, 2000. Philippe Kourilsky, Du bon
usage du principe de précaution, Odile Jacob, 2002.
12. Voir, par exemple, dans Philippe Kourilsky, La Science en partage, Odile Jacob, 1998.
Voir aussi Gérald Bronner, Étienne Géhin, L’Inquiétant Principe de précaution, PUF,
« Quadrige », 2010.
13. Par exemple en matière de doses de radioactivité. La dose maximale annuelle autorisée
pour un travailleur dans une centrale nucléaire est de 20 mSievert, le double de ce qu’on
reçoit pendant un seul scanner du bassin. Les liquidateurs de Fukushima ont, pour la
plupart, reçu entre 20 et 100 mSievert. Les suicides de personnes, souvent âgées, évacuées
de leurs maisons dans un (trop ?) vaste périmètre après l’accident nucléaire dépassent de
très loin le nombre des 6 morts liés à des accidents de chantier non liés à la radioactivité.
Sources : IPSN, UNSCEAR, OMS.
14. La malhonnêteté intellectuelle est tristement banale. Je n’aurais pas dû en être surpris
puisque j’en avais fait l’expérience pendant l’élaboration du rapport. Nous avions
auditionné un militant écologiste avec qui nous avions dialogué de façon parfaitement
raisonnable et même agréable. Comme je m’en réjouissais en le raccompagnant à la porte,
il éclata de rire en me disant : « Vous savez bien qu’une fois franchie cette porte, je dirai
exactement le contraire. » Je me sentis bien naïf, et aurais dû en tirer les conséquences.
15. Jean de Kervasdoué, La Peur est au-dessus de nos moyens. Pour en finir avec le
principe de précaution, Plon, 2011. Gérald Bronner, La Planète des hommes. Réenchanter
le risque, PUF, 2014.
16. Hans Jonas, Le Principe responsabilité, op. cit.
17. Voir la rubrique : Abstention électorale en France, Wikipédia. En France, depuis 2014,
les votes blancs sont comptabilisés mais ne sont pas considérés comme des suffrages. On
estime souvent que, s’ils l’étaient, cela réduirait l’abstention.
18. Avec un dispositif de grands électeurs qui l’a amené à la présidence avec 48,2 % des
voix, contre 51,8 % à Hillary Clinton.
19. Magalie Hass, « Les citoyens moins attachés à la démocratie selon les sondages :
commentaire », Médiapart, 9 février 2019.
20. Philippe Kourilsky, Le Temps de l’altruisme, op. cit., Le Manifeste de l’altruisme, op.
cit.
21. D’autant que j’ai déjà publié un ouvrage sur l’information scientifique : Philippe
Kourilsky, La Science en partage, op. cit. Il n’a pas vieilli, et s’agissant de l’information à
usage politique et citoyen, les conclusions sont plus sévères encore.
22. Facebook : environ 2 milliards d’utilisateurs actifs par mois (données 2016-2017).
23. Il existe aussi un marché privé d’informations confidentielles. Voir par exemple, en
France, La Lettre de l’Expansion.
24. Brice Couturier sur France Culture.
25. Certains de ces groupes de pression sont mieux dotés qu’on l’imagine. Par exemple,
l’association loi 1901 L214, qui milite contre la maltraitance des animaux (et sans doute
pour l’arrêt de la consommation de viande), déclarait en 2018 avoir entre vingt et cinquante
salariés, et il semble qu’elle ait reçu des fonds américains. Greenpeace-France, avec un
budget d’environ 20 millions d’euros, emploie une centaine de salariés, et mobilise de
nombreux bénévoles.
26. Gérald Bronner, La Démocratie des crédules, PUF, 2013.
27. Par Jimmy Wales et Larry Sanger, sous l’égide de la fondation Wikimedia.
28. www.shareparis.com/encyclopedie-libre-histoire-de-wikipedia/
29. Arthur Schopenhauer, L’Art d’avoir toujours raison, Mille et Une Nuits, 1998.
30. J’ai participé en 2005 à un groupe de travail sur la dette publique de la France, présidé
par Michel Pébereau sous l’égide du ministre de l’Économie, qui a œuvré, avec succès, sur
ce mode (Commission Pébereau, La France face à sa dette, Robert Laffont, 2006). Les
conférences de consensus citoyennes, expérimentées depuis les années 1980, sont moins
nombreuses, et fonctionnent assez différemment.
31. Ils sont régulièrement utilisés en médecine depuis 1977 aux États-Unis, et maintenant
ailleurs. Leurs résultats sont rassemblés dans des bases de données régulièrement remises à
jour, comme la bibliothèque Cochrane (www.cochranelibrary.com).
32. Dominique Rousseau, Radicaliser la démocratie, op. cit. Il propose de créer des
conventions d’une quinzaine de citoyens possiblement tirés au sort, « pour délibérer
et produire une proposition normative sur un sujet d’intérêt général », et une Assemblée
sociale délibérative, qui disposerait du pouvoir d’exprimer l’intérêt général.
33. Michel Wieviorka estime que nous faisons face à un épuisement des clivages, qui, en
pratique, met fin au principe de conflictualité qui a nourri la vie démocratique jusqu’à
présent. Selon lui, l’offre politique est devenue insuffisante. Le discours politique,
traditionnellement dirigé vers les grandes masses, peine à toucher les individus dans un
cadre où l’individualisme passe avant le communautaire. Les identités collectives se
construisent à partir des individus plutôt que l’inverse. Conclusion logique : pour rétablir
du lien social, il faut inventer de nouvelles formes de conflits. Michel Wieviorka
(contributeur), Régis Meyran (interviewer), Face au Mal. Le conflit sans la violence,
Textuel, 2018. À ceci près que la recomposition des paysages politiques selon l’analyse de
Thibault Muzergues (La Quadrature des classes, op. cit.) semble suffire à les ressusciter.
34. Will Kymlika, Les Théories de la justice, une introduction, op. cit.
35. Comme une Agence nationale du débat citoyen, dotée des ressources suffisantes.
36. Quelques sites dans les villes de Brescia, San Mauro Torinese, Sasso Marconi et
Varese : http://www.comune.brescia.it/news/2017/settembre/Pagine/Piazza-
Filosofica.aspx ; http://www.comune.sanmaurotorinese.to.it/it/news/sportello-di-ascolto-
filosofico ; https://www.varesenews.it/2017/03/il-filosofo-che-riceve-in-comune/605373/ ;
http://www.comune.sassomarconi.bologna.it/servizi/notizie/notizie_fase02.aspx?ID=6645.
Chapitre 6
Efficacité
1. La notion d’efficacité est sans doute culturellement plus adaptée à un pays comme les
États-Unis, où est né « l’altruisme efficace », évoqué plus loin.
2. L’efficacité est distincte de l’efficience. Celle-ci évalue les résultats obtenus en fonction
des ressources utilisées. Si deux avions effectuent le même trajet dans le même temps, ils
sont également efficaces, mais si l’un consomme moins de carburant que l’autre, il est plus
efficient.
3. Il va de soi que les performances d’un pays sont pour partie fonction de la qualité de son
organisation pour atteindre un objectif de long terme. Mais on n’appréciera pas de la même
manière l’efficacité de l’État russe pour la modernisation de son armée (une finalité de
puissance) ou pour l’amélioration de la condition sanitaire de ses ressortissants (une finalité
de bien-être). Avec les mêmes budgets, un pays peut faire plus ou moins bien, et, en ce
sens, être considéré comme plus ou moins « efficace », mais cela dépend des finalités
choisies.
4. L’analyse des risques est souvent négligée. L’histoire renseigne plus sur les dangers (les
risques réalisés) que sur les risques hypothétiques. Anticiper les dangers en puissance et
apprécier leur probabilité de se réaliser est un exercice typique de pensée complexe, dans
lequel on doit laisser courir l’imagination avant d’en reprendre les rennes par la raison. On
entre ici dans la problématique du principe de précaution. Il faut même prendre en compte
l’hypothèse d’avoir à faire face à des situations imprévisibles, donc de préparer des plans
d’urgence spécifiques qui, semble-t-il, ont fait défaut dans la gestion de la catastrophe de
Fukushima en 2011.
5. Voir Amartya Sen, La Démocratie des autres, op. cit. « La participation politique a une
valeur intrinsèque pour la vie humaine et le bien-être des personnes » ; « La démocratie a
une valeur instrumentale ou pratique importante en amplifiant l’écoute accordée aux gens
lorsqu’ils expriment et défendent leurs revendications à l’attention des politiques (y
compris pour des nécessités économiques) » ; « La politique de la démocratie donne aux
citoyens une chance d’apprendre les uns par les autres et aide la société à donner forme à
ses valeurs et à ses priorités. » Il en tient pour preuve de l’efficacité instrumentale le fait
qu’aucune démocratie n’a connu de famine dans les dernières décennies. Amartya Sen,
Poverty and Famines, an Essay on Entitlement and Deprivation, Clarendon Press, 1991,
avec une analyse par Matthieu Clément, « Amartya Sen’s socio-economic analysis of
famines : Scope, limitations and extensions », Cahiers du GREThA, no 2009-25.
6. De ce point de vue, il sera intéressant de suivre, en France, le devenir des députés de la
majorité issus de la société civile et élus en 2017. Nouveaux en politique, beaucoup, disent-
ils, s’y sont investis avec la motivation d’être « efficaces ».
7. En incluant les richesses non nationales implantées sur le sol national, ce que ne fait pas
le PNB, ou Produit National Brut. PIB et PNB font partie des comptes de la nation.
8. Le BNB repose sur quatre piliers : un développement économique et social durable et
équitable ; la préservation et la promotion des traditions culturelles du pays ; la sauvegarde
de l’environnement ; une bonne gouvernance.
9. Comme l’indicateur de bien-être économique de Osberg et Sharpe. Voir Lars Osberg,
Andrew Sharpe, « The index of economic well-being », Challenge, 2010, 53 (4), p. 25-42.
Voir Index of Economic Well-Being, www.csls.ca, accessible sur le site de l’Insee.
10. Développé en 1990 par Amartya Sen et Mahbub ul Haq. Voir commentaire d’Amartya
Sen, « L’indice de développement humain », Revue du MAUSS, 2003, 21 (1), p. 259-260.
11. Il s’agit de l’indicateur de santé sociale créé en 1980 par Marc et Marque-Luisa
Miringoff.
12. Amartya Sen, Un nouveau modèle économique, op. cit.
13. Georg Simmel, Les Pauvres (1907), PUF, 2018.
14. Le Père Joseph Wresinski en a donné une définition précise qui figure dans le rapport
Grande pauvreté et précarité économique et sociale, adopté par le Conseil économique et
social (Journal officiel, Avis et rapport du CES, p. 25).
15. Nicolas Duvoux, Adrien Papuchon, « Qui se sent pauvre en France ? Pauvreté
subjective et insécurité sociale », Revue française de sociologie, 2018, 59 (4), p. 607-645.
Je cite un extrait : « La pauvreté subjective apparaît donc, d’un point de vue sociologique,
comme un indicateur d’insécurité, tandis que la pauvreté monétaire, qui mesure la part de
la population disposant d’un niveau de vie nettement inférieur à la médiane, constitue un
indicateur d’inégalité », p. 607.
16. Nicolas Duvoux, Les Inégalités sociales, op. cit. On trouve notamment dans cet
ouvrage un exposé très accessible et très précis sur les indicateurs, leurs vertus et leurs
limites.
17. Au seuil de pauvreté le plus bas – niveau fixé par l’Insee à 40 % du niveau de vie
médian des Français, soit 667 euros. En 2014, ce niveau de vie concerne 2,1 millions de
personnes.
18. Observatoire des inégalités, www.inegalites.fr.
19. Joseph Stiglitz, Amartya Sen, Jean-Paul Fitoussi, Rapport de la Commission sur la
mesure des performances économiques et du progrès social, La Documentation française,
2009. Voir aussi Joseph Stiglitz, Amartya Sen, Jean-Paul Fitoussi, Vers de nouveaux
systèmes de mesure. Performances économiques et progrès social, Odile Jacob, 2009.
20. Ce sont plutôt des têtes de chapitre. Par exemple, insécurité physique et économique
pourraient être traitées séparément. Au total, je dénombre, pour ma part, une quinzaine de
champs pertinents.
21. Bruno Falissard, Mesurer la subjectivité en santé. Perspective méthodologique et
statistique, Masson, 2008.
22. Will Kymlika, Les Théories de la justice, une introduction, op. cit.
23. Jacques-Bénigne Bossuet, De l’éminente dignité des pauvres, présenté par Alain
Supiot, Mille et une Nuits, 2015.
24. www.24601.fr/sl/1970010137-discours-sur-la-misere/
25. 23e Rapport sur l’état du mal logement en France, Fondation Abbé Pierre, 2018.
26. ATD-Quart Monde, En finir avec les idées fausses sur la pauvreté, Éditions Quart
monde, 2017.
27. Un exemple : la fermeture de lits d’hôpitaux psychiatriques depuis les années 1960
(voir Inspection générale des affaires sociales, Rapport de l’IGAS Organisation et
fonctionnement du dispositif de soins psychiatriques, soixante ans après la circulaire du
15 mars 1960, 2017) sans que des solutions de rechange aient été mises en place, a mis à la
rue un certain nombre de malades mentaux. Aujourd’hui, de nombreux SDF (sans domicile
fixe) souffrent de problèmes psychiatriques, sans que l’on sache bien si c’est leur condition
qui en est la cause (voir le cas de l’Italie avec la loi 180).
28. Notamment les rapports « PISA » de l’OCDE. Voir aussi l’enquête TIMSS sur les
mathématiques et les sciences en CM1.
29. Selon l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (2016), www.anici.gouv.fr.
30. Plusieurs rapports remis au ministre de l’Éducation nationale sont disponibles. Jean-
Marc Monteil, Pascal Huguet, Réussir ou échouer à l’école : une question de contexte ?,
PUG, 2013.
31. La pratique est courante aux États-Unis. C’est, en matière fiscale en France, l’enjeu du
« verrou de Bercy ».
32. Daniel Hurstel, in Gaël Giraud, Cécile Renouard (dir.), Vingt propositions pour
réformer le capitalisme, op. cit., p. 45.
33. Il s’agit de statuts tels que les constituency statutes et des B-corporations (benefit
corporations).
34. Après l’américaine Walmart (2,3 millions de salariés), deux entreprises chinoise et
taiwanaise, et bien avant le plus grand groupe français (Sodexo : 420 000, chiffres 2015).
35. Les réformes engagées en France sous la présidence d’Emmanuel Macron vont dans ce
sens.
36. Les statistiques ethniques ou « raciales » sont interdites en France par la loi de 1978, ce
que le Conseil constitutionnel a confirmé en 2007. Des exceptions sont néanmoins
possibles, sous l’égide de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil).
37. Je reprends ici des éléments d’un article publié dans le Journal RESOLIS : Pour une
approche systémique de la pauvreté, numéro spécial sur la pauvreté, décembre 2016.
38. Voir préconisation 11 dans Philippe Kourilsky, Optimiser l’action de la France pour
l’amélioration de la santé mondiale. Le cas de la surveillance et de la recherche sur les
maladies infectieuses (Mme Dominique Kerouedan rapporteur, rapport aux ministres des
Affaires étrangères, de la Recherche, et de la Santé et des Solidarités), La Documentation
française, 2006.
39. Science de l’action de terrain que je me suis efforcé de mettre en pratique, d’abord avec
la proposition de créer la revue Field Actions Science Reports au sein de l’Institut Veolia,
www.institutveolia.org, puis au sein de l’association loi 1901 RESOLIS, www.resolis.org
qui sera ré-évoquée plus loin.
40. Peter Singer, L’Altruisme efficace, Les Arènes, 2018. L’ouvrage renvoie à la rubrique
« Altruisme efficace » de Wikipédia pour la définition suivante : « Une philosophie et un
mouvement social qui consistent à utiliser une démarche scientifique pour trouver les
moyens les plus efficaces de rendre le monde meilleur. » Le mouvement, né aux États-
Unis, est maintenant implanté en France. Cette version militante de l’altruisme, nourrie
d’éthique pratique, et imprégnée d’altruité, a un pouvoir de mobilisation par l’exemple qui
peut susciter un certain optimisme. Elle exprime la même préoccupation que celle qui
m’occupe, mais principalement au niveau de la philanthropie individuelle, alors que mon
approche accorde une grande importance à la dimension sociale systémique.
41. C’est une approche d’observation que suit ainsi l’association RESOLIS, qui est
différente, mais complémentaire de l’approche d’expérimentation menée brillamment par
Esther Duflo avec son « poverty action lab », www.povertyactionlab.org. Abhijit
V. Banerjee, Esther Duflo, Repenser la pauvreté, Seuil, 2012.
42. Dans une démarche apparentée à la revue par les pairs selon les pratiques scientifiques.
43. www.resolis.org.
44. Henri Rouillé d’Orfeuil, Transition agricole et alimentaire. La revanche des territoires,
Éditions Charles Léopold Meyer, 2018.
45. Journal RESOLIS, numéro 16 : La Pauvreté en France, 2016, et Journal RESOLIS,
numéro 20 : L’Accès aux droits sociaux, 2018.
46. Viviane Tchernonog, Lionel Prouteau, « Évolutions et transformations des
financements publics des associations », Revue française d’administration publique, 2017,
163 (3), p. 531-542.
47. Philippe Kourilsky, « Altruity : Key to the fight against poverty », art. cit. Philippe
Kourilsky, « Une science de l’action de terrain pour lutter contre la pauvreté », in Pierre
Rosanvallon (dir.), Science et démocratie, Odile Jacob, « Collège de France », 2014.
48. C’est un segment du secteur de l’économie sociale et solidaire, dont le périmètre
demanderait à être mieux défini, qui est censée représenter au moins 7 % de l’économie et
11 % de l’emploi en France. L’efficacité de l’ensemble de ce dispositif social représente un
enjeu considérable à l’échelle nationale.
49. On peut dresser un parallèle avec l’économie et la question de l’auto-organisation des
marchés grâce à la « main invisible » invoquée par Adam Smith, notion qui a été quelque
peu surexploitée et dévoyée. Une analyse critique figure dans l’article « Main invisible » de
Wikipédia.
50. Nicolas Duvoux, Les Inégalités sociales, op. cit.
51. Défendu dès la fin des années 1980 par Philippe Van Parijs, « Why surfers should be
Fed : The liberal case for an unconditionnal basic income », Philosophy and Public Affairs,
1991, 20 (2), p. 101-131.
52. Théorisée notamment par André Gorz, Bâtir la civilisation du temps libéré, Les Liens
qui Libèrent, 2013. Adeline Barbin, André Gorz, Travail, économie et liberté, CNDP, 2013.
53. Journal RESOLIS numéro 20 : Accès aux droits sociaux, op. cit.
54. En 2017, il y avait environ 1,8 million de bénéficiaires du Revenu de solidarité active,
et le non-recours est estimé à environ 30 %. Les taux varient selon les types de prestations
sociales. Voir Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore),
https://odenore.msh-alpes.fr.
55. André Gorz, Bâtir la civilisation du temps libéré, op. cit., p. 50.
Chapitre 7
Planétarisation
1. Francisco Vergara, Les Fondements philosophiques du libéralisme, La Découverte, 2002.
2. André Gorz, Bâtir la civilisation du temps libéré, op. cit., p. 19.
3. Dominique Meda, La Mystique de la croissance. Comment s’en libérer, Flammarion,
2013.
4. Il s’agit de la productivité globale des facteurs, ou PGF, qui « représente la capacité d’un
pays à créer des richesses autrement qu’en accumulant les facteurs de production (capital et
travail) mais en les combinant de la façon la plus efficace possible […] tout ce qui fait
qu’avec le même nombre d’euros de capital et le même nombre de salariés une entreprise
va quand même produire davantage d’une année sur l’autre », Patrick Artus, Marie-Paule
Virard, Croissance zéro, Fayard, 2015, p. 33-34.
5. À vrai dire, je me demande parfois si l’Internet, tout en créant de nouvelles attentes et de
nouveaux besoins, pourrait provoquer une baisse des salaires, correspondant à la mise à
disposition quasi-gratuite d’une quantité énorme d’information et de services jusqu’alors
payants (comme le GPS à partir d’un « smartphone »).
6. André Gorz, Bâtir la civilisation du temps libéré, op. cit.
7. Thomas Picketty, Le Capital au XXIe siècle, Seuil, 2013.
8. Alain Badiou, Marcel Gauchet, Que faire ?, op. cit.
9. Alain Supiot, L’Esprit de Philadelphie, op. cit.
10. Karl Polanyi, La Grande Transformation, Gallimard, 1983. Voir aussi la synthèse
historique, instruite par l’œuvre de Fernand Braudel, faite par Henri Rouillé d’Orfeuil dans
Transition agricole et alimentaire, La revanche des territoires, op. cit.
11. Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Fayard, « Pluriel », 2012.
12. Steven Levitsky, Daniel Ziblatt, How Democracies Die, op. cit.
13. Mécénat en France : 7,5 milliards d’euros pour une population de 67 millions
d’habitants (contre 327 millions aux États-Unis). Le montant des prestations sociales en
France dépasse 700 milliards.
14. Par exemple, je salue l’extraordinaire travail fait par la Fondation Gates à l’intérieur et
à l’extérieur des frontières américaines dans le domaine de la santé.
15. S’agissant de gouvernance vis-à-vis de la « tragédie des communs », on se référera aux
travaux qui ont valu le prix Nobel à Elinor Orstrom et à ses huit principes généraux que
l’on trouve à l’origine d’une diversité de normes et de conventions. Voir par exemple :
Camilo Cardenas, Rajiv Sethi, « Elinor Ostrom : par-delà la tragédie des communs », La
Vie des idées, 11 octobre 2016 (http://www.laviedesidees.fr/Elinor-Ostrom-par-dela-la-
tragedie-des-communs.html). Et ce contrairement à l’influente théorie de Hardin, largement
critiquée depuis sa publication en 1968.
16. Amartya Sen, L’Économie est une science morale, La Découverte, 2004.
17. Ce qui ne manque pas de vertus et d’efficacité (voir la taxe carbone) mais n’épuise pas
le sujet.
18. Nicholas Stern, The Economics of Climate Change : The Stern Review, Cambridge
University Press, 2007. Nicholas Stern, Gérer les changements climatiques, croissance,
développement, équité. Leçon inaugurale au Collège de France, Fayard, 2010.
19. Mais nous acceptons depuis des années de payer une écotaxe sur les appareils ménagers
que nous achetons, pour pourvoir à leur recyclage.
20. Comme Danone, et les laboratoires Pierre Fabre. Dans ce dernier cas, le fondateur a
placé son entreprise sous l’égide d’une Fondation d’utilité publique qui en est l’actionnaire
majoritaire.
21. François Perroux, Économie et société : contrainte, échange, don, PUF, 1960, p. 1 et 9.
22. Abhijit V. Banerjee, Esther Duflo, Repenser la pauvreté, op. cit.
23. La prévalence de l’hépatite C en Égypte est la plus élevée au monde, très probablement
en raison d’une campagne de vaccination mal gérée dans les années 1950-1980. Dans
certaines tranches d’âge, elle atteint 30 %. Le Sovaldi, médicament remarquablement
efficace mis en circulation en 2015, a fait l’objet de la part de l’entreprise pharmaceutique
Gilead d’une politique de prix différenciés : moins de 1 000 dollars en Égypte versus plus
de 60 000 dollars aux États-Unis. Beaucoup de vaccins pédiatriques sont vendus à moindre
prix dans les pays à faible revenu.
24. Observatoire des inégalités (www.inegalites.fr). François Bourguignon,
La Mondialisation de l’inégalité, op. cit.
25. Philippe Kourilsky, Le Temps de l’altruisme, op. cit. ; Le Manifeste de l’altruisme,
op. cit.
26. Cela fait sens : ces libertés sont pour beaucoup accordées par la société, et encadrées
par le droit du travail, les règles de la concurrence, etc. Ce sont, pour une bonne part, des
constructions sociales. Elles sont éloignées du droit « naturel » à la liberté dont jouissent
les individus. Néanmoins, il n’y a pas d’objection de principe à leur attribuer un équivalent
des « libertés individuelles », et donc à concevoir des « libertés collectives », avec leur
pendant nécessaire, des devoirs d’altruisme (d’altruité) collectifs.
27. Sylvain Kahn, Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945, PUF, 2011.
28. Alain Supiot (dir.), Au-delà de l’emploi, Flammarion, 2016.
29. Michel Aglietta, Nicolas Leron, La Double Démocratie. Une Europe politique pour la
croissance, Seuil, 2017.
30. Jean-François Billeter, Demain l’Europe, Allia, 2019.
31. De l’ordre de 0,4 % au lieu des 0,7 % ciblés.
32. François Heran, Parlons immigration en trente questions, La Documentation française,
2012 et Migrations et sociétés, Leçon inaugurale au Collège de France, Fayard, 2018.
33. On pourra lire à ce sujet plusieurs rapports publiés par l’OCDE, ainsi que des articles
de presse, comme « L’immigration. Quels coûts et quels bénéfices pour les pays
d’accueil ? », Ladepeche.fr, 07 juillet 2018. On se souvient que l’Allemagne a accueilli
environ 1 million de migrants, dont l’intégration, plutôt bien préparée, semble progresser
favorablement, avec un solde financier jugé positif, mais des conséquences électorales
négatives pour la chancelière.
34. À quoi il faut ajouter notamment le coût d’opérations militaires en principe
conjoncturelles (plus de 1 milliard d’euros en 2017).
35. Jean-Marc Daniel, Le Gâchis français, Tallandier, 2017.
36. L’Inde, Israël et le Pakistan n’ont pas signé le traité de non-prolifération des armes
nucléaires, mais, à un certain niveau de développement, ont décrété un moratoire unilatéral.
La Corée du Nord l’a signé, s’en est retirée, l’a réaccepté tout en développant son
programme jusqu’en 2018. Israël entretient un certain flou, mais posséderait 150 ogives
nucléaires.
37. Je précise que j’ai été proche d’EDF et président de Conseil scientifique de cette
entreprise.
38. Il est vrai que le bombardement « punitif » de Dresde par les Alliés en 1945 a fait
presque autant de morts que dans l’une des deux villes japonaises.
39. Selon la Federation of American Scientists, le stock d’armes nucléaires est début 2018
de l’ordre de 14 000 têtes de tous types, dont environ 9 300 sont sous contrôle des forces
militaires et susceptibles d’être montées sur des vecteurs. Environ 3 600 têtes sont en
permanence déployées sur les vecteurs stratégiques des États-Unis, de la Russie, de la
France et du Royaume-Uni. Environ 150 bombes tactiques sont déployées par les États-
Unis sur six bases en Europe, la Turquie, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie et la Belgique.
Après avoir atteint un pic de plus de 70 000 têtes nucléaires vers la fin de la guerre froide,
le nombre d’armes nucléaires a régulièrement diminué depuis en raison des réductions
importantes opérées par les États-Unis et la Russie, qui possèdent encore à eux deux 93 %
des stocks mondiaux.
40. Atlas des religions 2018, Rue des écoles-Le Monde.
41. Par exemple, il existe des paradis fiscaux d’œuvres d’art, stockées dans des entrepôts
souterrains dans les aéroports de Genève et de Singapour.
42. Chiffres 2014, source : Rapport de l’UNDC 2016.
43. Ironie sinistre : en 2018, le système de rotation des pays membres a amené la Syrie à la
présidence du comité chargé de la surveillance des armes chimiques.
Chapitre 8
Mobiliser la science et les intellectuels au service
de la démocratie
1. Et sans doute à peu près aussi nombreux (650 000 emplois dans l’industrie de la culture
en France). D’après un rapport de 2014, celle-ci, loin d’être économiquement
improductive, contribuerait sept fois plus au PIB national que ne le fait l’industrie
automobile.
2. Sa recherche agronomique ayant été dévastée de façon durable par la priorité donnée par
Staline, pour des raisons idéologiques, à Trofim Lyssenko sur un généticien compétent,
Nikolaï Vavilov, qui constitua une des premières banques de semences au monde.
3. Dans le domaine de la biologie, des colloques rassemblent jusqu’à 10 000 à
20 000 chercheurs. Medline, une base de données très complète, comprend 25 millions
d’articles (2017) et s’enrichit d’environ 1 million d’articles par an. Chaque article expose
de façon dense le travail de plusieurs chercheurs pendant un à trois ans. La lecture, souvent
aride, peut demander des heures, sinon des jours. Mon domaine, l’immunologie, couvre
5 % de la base (soit 50 000 articles nouveaux par an). Il faut encore s’informer dans des
domaines connexes (biologie du développement, évolution, etc.).
4. Dont la biomédecine, envahie par nombre de nouvelles revues de qualité douteuse.
5. En biologie, l’eugénisme ; en économie, Homo œconomicus, etc.
6. Pierre Bourdieu, Les Usages sociaux de la science, pour une sociologie clinique du
champ scientifique, INRA Éditions, 1997.
7. Le capital-risque a été inventé, à la fin des années 1940, par Georges Doriot (1899-
1987), un Français émigré aux États-Unis, aux relations controversées avec les services
secrets pendant la Seconde Guerre mondiale, professeur à Harvard spécialisé dans le
management, plus tard créateur de l’INSEAD.
8. Jack W. Scannell, Alex Blanckley, Helen Boldon, Brian Warrington, « Diagnosing the
decline pharmaceutical R&D efficiency », Nature Reviews. Drug Discovery. 2012, 11 (3),
p. 191-200.
9. Il s’agit du Sovaldi (sofosbuvir), véritable cas d’école, tant du point de vue de sa
découverte (il guérit complètement dans 90 % des cas) que de son coût de mise sur le
marché par le laboratoire Gilead après le rachat, pour 11 milliards de dollars, d’une
« biotech » d’une centaine d’employés, Pharmasset, ce pour quoi Gilead dut lourdement
s’endetter.
10. Philippe Kourilsky, « Ombres chinoises sur les médicaments et les vaccins »,
Le Monde, 2004.
11. Notamment : Cour internationale de justice (créée en 1945 pour traiter des différends
entre États souverains), Unesco (fin 1945), Unicef (1946), OMS (1948), puis Haut
Commissariat pour les réfugiés (fin 1950). Au total, un peu moins d’une quarantaine de
structures fonctionnelles dépendent du système des Nations unies.
12. Par exemple, la pollution croissante des océans par des déchets de plastique, que des
effets de vortex concentrent dans des zones qui peuvent être aussi grandes que la France.
Voir Institut Veolia, « Le défi des plastiques dans les océans », 2018
(https://www.institut.veolia.org/sites/g/files/dvc2551/files/document/2018/12/Synthese_Co
mite_de_prospective_2018_-_Institut_Veolia_-_Le_defi_des_plastiques.pdf). Des débris de
satellites et de fusées commencent à ceinturer la planète Terre.
13. Au niveau fédéral, et en raison de l’élection de Donald Trump, mais des États comme la
Californie et plusieurs autres sont alignés sur la défense de l’environnement.
14. Un cas de convergence est celui des associations de lutte contre le sida, comme Act Up,
qui ont joué un rôle très important dans la lutte contre le fléau, en accord avec les
chercheurs, au point qu’en France l’association participe à des essais cliniques. Un cas de
divergence concerne les OGM, défendus par la très grande majorité des scientifiques, y
compris par les Académies des sciences de France et des États-Unis, et qui sont diabolisés
par des ONG comme Greenpeace.
15. Par exemple, en France, le rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre sur le logement ;
les rapports d’Amnesty international, d’Oxfam et d’autres.
16. Le GIEC a été créé en 1988 sous l’égide de l’Organisation météorologique mondiale, et
du PNUE (Programme des Nations unies pour l’environnement, lui-même créé en 1972).
17. Yval Noah Harari, 21 leçons pour le XXIe siècle, op. cit.
18. André Gorz, Bâtir la civilisation du temps libéré, op. cit.
19. Michael Walzer, Spheres of Justice, Basic Books, 1983, chapitre 7, p. 184
(tr. fr., Sphères de justice, Seuil, 2013). Je cite sans traduire : « Unlike money, office,
education and political power, free time is not a dangerous good. It does not easily convert
into other goods ; it can not be used to dominate other distributions… Used for the display,
not the acquisition of wealth and power. »
20. Patrick Artus, Marie-Paule Virard, Croissance zéro, op. cit., p. 33-34.
21. Stanislas Dehaene, Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines, Odile
Jacob, 2018.
22. Une équipe américaine fit de même peu après. Bien sûr, les embryons n’ont pas été
réimplantés, mais le débat éthique est relancé sur l’élimination de défauts génétiques graves
et aujourd’hui impossibles à traiter. La technique « CRISPR » d’édition des génomes est
opérationnelle depuis 2005 environ. Elle est remarquablement puissante, et ouvre des
perspectives qui s’ajoutent à celles des cellules souches pour compenser ou corriger des
déficits pathologiques. Mais, en 2018, la Cour de justice de l’UE a considéré que les
organismes modifiés par cette approche doivent obéir à la réglementation sur les OGM, ce
qui limitera considérablement de nombreuses innovations en Europe.
23. Philippe Kourilsky, Les Artisans de l’hérédité, Odile Jacob, 1987.
24. Bertrand Badie, Dominique Vidal, Le Retour des populismes. L’état du monde 2019, La
Découverte, 2018.
25. Michel Serres, in R. Benkirane, La Complexité, vertiges et promesses, op. cit.
26. Raffaele Simone, Si la démocratie fait faillite, op. cit.
27. Puisque la France se distingue par un enseignement de philosophie dans le secondaire,
pourquoi ne pas l’orienter vers la question des droits et des devoirs ?
28. À cet égard, on peut s’interroger sur les effets de l’apprentissage des langues à
caractères complexes (comme le japonais et le chinois), sur la pratique de la discussion
contradictoire (comme dans les écoles talmudiques), ou encore sur l’enseignement des
questions plutôt que des réponses (qui différencie, par exemple, certains enseignements
religieux).
29. François Taddei, Apprendre au XXIe siècle, Calmann-Lévy, 2018.
30. Au sein du CRI ou Centre de recherches interdisciplinaires (www.cri-paris.org). Voir
François Taddei, Apprendre au XXIe siècle, op. cit.
31. À São Paulo, la même crise a failli se reproduire en 2018 ; cette situation provient
notamment d’un phénomène de sécheresse induit par la déforestation de l’Amazonie. La
ville du Cap, en Afrique du Sud, est elle aussi menacée de pénurie, de même que Las Vegas
et les villes du sud de la Californie. Il faut savoir que les centrales thermiques qui
produisent de l’électricité ont besoin d’eau (évidemment non potable) pour être refroidies.
En cas de pénurie, la priorité est évidemment donnée à la survie de la population, ce qui
entraîne le ralentissement ou l’arrêt de l’activité économique (industrielle et agricole).
Conclusion
1. Paul Ricœur, Soi-même comme un autre, Seuil, 1990.
2. Denis Lafay (dir.), Pour une véritable communauté humaine, Éditions de L’aube, 2017.
Cet ouvrage rassemble et organise des entretiens avec plus de soixante-dix personnalités de
tous bords.
3. Jürgen Habermas, De l’éthique de la discussion, Éditions du Cerf, 1992, p. 169.
4. Agathe Cagé, Faire tomber les murs entre intellectuels et politiques, Fayard, 2018.
Remerciements
https://www.odilejacob.fr/newsletter
TABLE
Introduction
Chapitre 1 - La complexité et la pensée complexe
La pensée complexe
La complexité du phénomène démocratique
Chapitre 3 - Finalités
Chapitre 4 - Valeurs
Chapitre 5 - Procédures
Le politique et le juridique
Les indicateurs
Chapitre 7 - Planétarisation
La dimension politico-économique
L’altruisme dans l’écosystème international
Conclusion
Notes
Remerciements
Z-Access
https://wikipedia.org/wiki/Z-Library
ffi
fi