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UNIVERSIT DE 'AN-CHAMS

FACULT AL-ALSUN
DPARTEMENT DE FRANAIS

THSE DE DOCTORAT

LE FRANAIS DES CITS D'APRS LE ROMAN


"BOUMKOEUR" DE RACHID DJADANI

PRSENTE PAR
RANIA ADEL HASSAN AHMED
MATRE-ASSISTANTE AU DPARTEMENT DE FRANAIS

SOUS LA DIRECTION DE
PROF. DR. MONA AHMED ABDEL-AZIZ
PROFESSEUR DE LINGUISTIQUE AU DPARTEMENT DE FRANAIS

PROF. DR. ELWEYA SOLIMAN EL-HAKIM


PROF-ADJOINT AU DPARTEMENT DE FRANAIS

2005
Abstract

Nom de la chercheuse: Rania Adel Hassan Ahmed


Titre de la thse: Le franais des cits d'aprs le roman "Boumkoeur" de Rachid
Djadani
Grade: Doctorat Al-Alsun en langue franaise

Universit de 'An-Chams
Facult Al-Alsun
Dpartement de franais

L'anne de la promotion: 1998


L'anne de l'obtention du grade de magistre: 2002
L'anne de l'obtention du grade de doctorat: 2005

La thse vise mettre l'accent sur une varit de la langue franaise qui ne
cesse de gagner du terrain et qui, par la suite, suscite beaucoup de remous. Le franais
contemporain des cits est un parler qui reflte l'influence des facteurs sociaux
notamment la pauvret, l'isolement et la violence sur le comportement langagier des
banlieusards.

L'tude de ce parler est insparable de l'tude du contexte social de la cit et de


son histoire. Les caractristiques de ce parler sont essentiellement lexicales. La langue
des banlieues puise dans divers procds smantiques et formels qui sont l'objet
d'tude de la thse.
Rsum

Les annes quatre-vingt-dix ont tmoign de l'closion d'un parler, notamment


entre les jeunes, que les linguistes sont convenus d'appeler le franais contemporain
des cits (FCC). Ce parler fut un phnomne de mode, raison pour laquelle les
mdias, la musique et la littrature ont eu recours son lexique, contribuant de la
sorte sa vulgarisation et sa propagation. Si les banlieues taient le lieu d'origine de
cette varit, le FCC les a dpasses et s'il tait essentiellement pratiqu par les jeunes
des cits, il est devenu commun tous les adolescents, couches sociales confondues,
et mme des adultes.
Les fins du FCC varient en fonction des interlocuteurs; elles peuvent tre identitaires,
cryptiques ou ludiques. Les usagers de ce parler tentent soit d'affirmer leur
appartenance une couche sociale marginalise, soit de rendre leurs discours
mystiques devant un intrus, soit de suivre l'air du temps.

La thse braque la lumire dans la premire partie sur la conjoncture sociale


des cits et sur le vcu de leurs habitants. Les banlieues sont, vrai dire, des lieux de
rclusion et des ghettos de frustration. La violence juvnile lie la cit traduit la
dsorientation des adolescents.

Dans la deuxime partie, nous avons essay de souligner les procds de


formation lexicale qui sont d'ordre smantique.
Ces procds sont principalement: l'argot, les marques transcodiques et la mtaphore.
Des termes vieux, anglais ou arabes, des termes o il y a un glissement de sens
surgissent et envahissent le FCC.

Dans la troisime partie, nous avons tenu tudier les procds formels de
formation lexicale qui sont le verlan, l'abrviation, la drivation et la composition. Les
usagers du FCC prfrent renverser l'ordre des syllabes du mot, supprimer une syllabe
au dbut ou la fin du terme ou utiliser des suffixes et des prfixes notamment
populaires.

La thse tudie ce parler travers un roman de Rachid Djadani, Boumkoeur,


dont les vnements se droulent dans les banlieues et qui constitue un rquisitoire
contre la socit.
Introduction
"Au moment o disparaissent le corse,
le breton, l'argot de Pantruche, se cre
sous nos oreilles un nouveau franais,
mixage de voix francophones, langue
d'un nouveau terroir: celui des cits de
transit, des bidonvilles et des terrains
vagues. "1

Depuis une quinzaine d'annes, un phnomne linguistique n'a cess de


polariser l'attention vu sa vitalit et son dynamisme: c'est la propagation d'un parler
qui a t baptis le franais contemporain des cits (FCC) ou, tout court, la langue des
cits. Ce parler dont l'apparition date des annes quatre-vingt-dix semble tre une
extension du franais des jeunes qui avait connu une forte diffusion dans les annes
quatre-vingts et qui tendait dvelopper "sa composante (dominante) priphrique,
ethnoculturelle"2
La crise des banlieues a contribu donner au FCC une dimension sans prcdent et a
permis de tmoigner d'une "convergence sociolinguistique gnrationnelle dans la
connaissance et l'emploi de certaines formes lexicales, repres comme priphriques
d'un point de vue normatif"3. C'est ainsi que la langue de la rue qui "se pose en
opposition au franais soutenu que l'on apprend l'cole"4, a commenc imposer
son lexique et dicter l'volution de la langue franaise. Cette langue de la rue a
tendu son ventail partout. Elle est sortie des tours pour se rpandre dans les six
coins de l'Hexagone.

Le FCC constitue un champ de renouvellement de la langue franaise qui tait


prcd par un autre avec lequel il se croise, savoir le franais branch. Si le FCC
est n dans les banlieues, le franais branch a vu le jour dans les bistrots, les cafs
parisiens de mode et les botes de nuit frquents par ceux qui s'habillent new wave
dans les annes quatre-vingts. Si "brancher sur", c'est tre au courant de, en relation
avec, le franais branch est caractris par les termes et les tournures les plus en
vogue, voire "dans le vent". Parler franais branch, c'est tre au got du jour, c'est
suivre la phrasologie du temps. Un vritable coup de pouce a t donn ce mot par
le prsident Franois Mitterand qui n'a pas hsit l'employer au cours d'un entretien
avec le journaliste Yves Mouroussi en 1985. Cette anne mme a tmoign de
l'apparition de l'expression a me branche qui signifie a me plat. Ce qui prouve que
"[. . .] les branchs ne constituent pas une classe sociale prcise: le serveur d'un
restau du quartier des Halles peut tre aussi branch que le patron du journal
Actuel"5

Les usagers du franais branch ne forment point un groupe homogne clos. Ce sont
essentiellement les gens qui aiment lire les quotidiens, assister des spectacles et

1
SEGUIN, Boris et TEILLARD, Frdric, Les Cfrans parlent aux Franais, chronique de la langue
des cits, Paris, Point Virgule, Calmann-Lvy, 1996, pp. 82-83.
2
BOYER, Henri, "Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, enqutes Montpellier, Paris,
Lille" in Langage et socit, n: 95, mars 2001, Paris, Maison des Sciences de l'homme, p. 76.
3
Ibid., p. 85.
4
CERTA, Pascale, Le franais d'aujourd'hui, une langue qui bouge, France, une codition Radio
France et Balland/Jacob-Duvernet, 2001, pp. 12-13.
5
BOYER, Henri, "Le jeune tel qu'on le parle" in Langage et socit, n: 70, dcembre 1994, Paris,
Maison des sciences de l'homme, p. 86.
suivre la mode. Il s'agit donc des intellectuels certes mais aussi des cadres et des
professionnels issus de la couche moyenne qui emploient cette varit relance par la
publicit.

Une dcennie aprs l'closion du franais branch, c'est au tour du FCC de


s'panouir. La localisation sociogographique l'emporte et les auteurs s'intressent
nous livrer une chronique de la langue des cits et nous proposer le "dico" de la
banlieue.

A l'heure actuelle, le FCC pntre progressivement dans la langue commune,


transmis par les mdias et le rap. On tmoigne donc d'un panouissement de la culture
des cits qui est foncirement pluriethnique et hybride. Cette culture se manifeste
travers l'art que ce soit le cinma, la tlvision ou la production littraire des ouvrages
dits beurs. Nous assistons par la suite un renouvellement de la culture et de la langue
franaises grce aux apports venus d'ailleurs. "La base de cette renaissance culturelle
est une dynamique de mtissage et de r-appropriation linguistique dont les sources
se trouvent dans les zones urbaines de la France d'aujourd'hui"6.
Il nous a donc paru impossible de fermer les yeux sur ce parler qui fait tache d'huile.
La tlvision a, de son ct, contribu efficacement donner un coup de pouce cette
langue, et nombre de speakers et d'missions populaires ont donn la parole au menu
peuple, et ce sous prtexte d'ter les tabous et de faire bouger les choses. En
s'insinuant dans le quotidien des gens, la tlvision est parvenue diffuser des mots et
des tournures familires. Des entorses ont t faites la langue et se sont gnralises.
Tout ce qui est dit la tlvision est cout par des millions, rpt et utilis.
"On peut le constater tous les jours tant ils ont l'habitude, via le
petit cran, de rentrer dans nos salons, les politiques ne rechignent
pas pimenter de ppites argotodes ou branchouillardes leur
classique langue de bois"7
Pour sa part, la publicit ne va pas tarder mettre cette langue au got du jour.
La naissance en masse de plusieurs expressions en sera le rsultat. Certaines seront
phmres, alors que d'autres seront intgres la langue. La publicit a, pour ainsi
dire, prsent un modle de parler qui sera adopt par tous, notamment par les jeunes
des classes moyennes. Ceux-ci trouveront bon et la mode de "tchatcher banlieue".
"D'autant que, comme le rvlait dj le sondage Mdiamtrie de 1996, 88% des
jeunes pensent que la pub est un moyen d'tre au courant de ce qui est nouveau"8

La presse crite a galement eu sa part dans la promotion du FCC. En


accordant un intrt ce parler, la presse l'a domestiqu, le rendant comprhensible
aux adultes qui taient, auparavant, incapables de le dchiffrer. "On le prsente
comme une curiosit linguistique complexe certes, mais parfaitement convenable et
mme utile"9.
Ce faisant, sous la pression mdiatique, une poigne de mots ont vu le jour, se
sont diffuss et ont fait leur apparition dans les dictionnaires. "Parler tic, c'est donc

6
GEESEY, Particia, "Code, camouflage et verlan, l'innovation linguistique dans Ils disent que je suis
une beurette et Salut Cousin" in Algrie:nouvelles critures, tudes littraires maghrbines, n: 15, sous
la direction de Charles BONN, Paris, L'Harmattan, 1999, p. 145.
7
MERLE, Pierre, Le prt parler, Paris, Plon, 1999, p. 9.
8
Ibid., p. 173.
9
BOYER, Henri, "Le jeune tel qu'on le parle", p. 89.
employer ces mots et formules pidmiques, coqueluches qui tendent faire leur lit
dans le langage courant depuis le dbut de la dcennie"10

Tous ces facteurs se sont conjugus pour survaloriser ce langage et pour


augmenter l'engouement et la fascination des gens pour le FCC. Et si ce franais est
essentiellement une cration des jeunes des banlieues, beaucoup d'adultes se sont
intresss l'apprendre et l'utiliser, par volont, non seulement, de retrouver la
jeunesse perdue pour toujours, mais aussi de s'identifier, par sympathie, aux cits.
"Ce qui est dcrit comme un phnomne de diffusion n'est autre
chose que le processus rsultant de la lutte de concurrence qui
conduit chaque agent, au travers d'innombrables stratgies
d'assimilation et de dissimilation (par rapport ceux qui sont situs
devant et derrire lui dans l'espace social et dans le temps)
changer sans cesse de proprits substantielles"11, comme la
prononciation ou les tours de syntaxe.
Certes, en contrlant la langue franaise et en la ptrissant, l'habitant de la cit
"tire parti de sa faiblesse [. . .] en jouant de la stratgie proprement
symbolique de la provocation et du tmoignage pour arracher des
ripostes, symboliques ou non, impliquant une reconnaissance"12
Et nous nous demandons: comment la cit laisse-t-elle son empreinte sur les
sujets parlants? d'o provient l'importance qu'a acquise le franais banlieusard?
Quelles sont les raisons qui ont men sa conscration? De quoi sera-t-il qualifi? de
varit, de dialecte, de sabir? Et o sont puises ses sources?
C'est afin de pouvoir rpondre ces questions que nous avons choisi d'tudier ce
franais. Notre choix est motiv par plusieurs facteurs:
Tout d'abord, le systme ducatif en France, aprs avoir dvaloris pendant
des annes toutes les formes d'expression qui sont cartes du bon usage et de la
langue lgitime, a rcemment reconnu l'inefficience de cette mthodologie. Le fait de
rejeter et de marginaliser tout enfant qui ne parle pas bien le franais a prouv ses
revers. Le systme ducatif a ainsi commenc se pencher sur les variantes releves
chez les tudiants russissant mal afin d'ajuster l'enseignement. Il a donc saisi
l'importance de prendre en considration toute altrit de la langue de l'Autre afin de
mieux le connatre. Cette prise en considration permettrait l'ascension sociale aux
jeunes des classes dfavorises ne possdant pas la langue standard.
Partant, les formes langagires des enfants de la cit doivent tre tudies et analyses
afin de les aider. Il faut s'habituer apprhender les carts par rapport la norme
comme une htrognit essentielle et non pas comme une illgitimit bannir. En
tudiant la langue de l'Autre, on tend l'intgrer la socit.
"Il s'agit de pouvoir viter l'instauration de rapports d'exclusion au
nom des sacro-saints "ils ne parlent pas franais", "il n'y a que des

10
MERLE, Pierre, Le prt parler, p. 57.
11
BOURDIEU, Pierre, Ce que parler veut dire, l'conomie des changes linguistiques, Paris, Fayard,
1982, p. 57
12
Ibid., p. 144.
mots grossiers dans ces parlers", et autres "on ne sait plus parler
franais dans les banlieues""13.
Le second facteur est que:
"cette langue non standard a acquis un droit de cit dont atteste la
lecture des titres des journaux et de magazines, des romans,
documents et dictionnaires de toutes sortes ou l'coute de la radio
et de la tlvision"14.
Nous ne pouvons plus donc la ngliger.

Troisimement, il ne faut pas sous-estimer ce langage en marge, comme certains se


plaisent le croire.
Il est "au contraire tonnamment fertile. C'est un volcan bouillonnant dont la lave
serait faite de mtaphores et de ppites linguistiques. Une alchimie des mots
concocte par des sorciers de la langue et des acrobates de la rhtorique [. . .]. Une
chose est sre: en banlieues, l'imagination est au pouvoir"15

Quatrimement, il nous a paru tentant d'initier tout francophone une varit de la


langue qui ne cesse de gagner du terrain mais qui est mconnue hors de l'Hexagone.
Tout francophone doit la savoir, mme s'il n'a pas l'intention de la parler sous peine
d'tre mal vu. "L'tranger a eu accs chez lui au franais central, celui de la langue
crite. Il croit en arrivant en France, savoir le franais trs trs bien. Mais il y a
toujours des piges qui le guettent"16.

Par consquent, l'tude du FCC s'inscrit dans la sociolinguistique, discipline


qui a vu le jour au cours des annes soixante et qui comme son nom l'indique a deux
composantes fondamentales, la langue et la socit. En ce sens qu'elle s'intresse
tudier le rapport ou la corrlation entre les variables linguistiques et les paramtres
sociaux. Elle accorde un intrt particulier et une attention considrable au sujet
parlant dont le langage porte l'indice de son origine et de son niveau social. Toutes les
varits remarques dans une communaut linguistique ne sont que le reflet de la
structure sociale. Les pratiques langagires d'un individu sont influences par le
contexte social aussi bien que par les reprsentations qui s'y trouvent. Parler, c'est
choisir entre plusieurs variables linguistiques d'ordre phonique, lexical ou syntaxique.
Un choix qui est la traduction du systme socioculturel du locuteur.

Nous avons de mme choisi d'tudier ce franais partir d'une oeuvre littraire
romanesque, savoir Boumkoeur, et ce, tant donn que le roman est "une biographie
et une chronique sociale (et) on a toujours pu montrer que la chronique sociale
refltait plus ou moins la socit de l'poque"17.

13
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De l'argot traditionnel au franais contemporain des cits" in La
Linguistique, Argots et Argotologie, vol 38/2002-1, Paris, PUF, p. 13.
14
ANTOINE, Fabrice, "Des mots et des oms, verlan, troncation et recyclage formel dans l'argot
contemporain" in Cahiers de lexicologie, n: 72, 1998-1, sous la direction de Bernard QUEMEDA,
Paris, Didier rudition, L'Institut national de la langue franaise, p. 47.
15
BOYER, Henri, "Nouveau franais, parler jeune ou langue des cits?" in Langue franaise, Les mots
des jeunes, Observations et hypothses, n: 114, juin 1997, Paris, Larousse, Bordas, pp. 11-12.
16
DUNETON, Claude, "Une langue deux faces" in Lexiques, coordonn par Amr Helmy Ibrahim,
Paris, Hachette, 1999, p. 195.
17
GOLDMANN, Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964, pp. 33-34.
Au cours du XXme sicle, deux courants de pense se sont affronts: le premier est
celui des formalistes purs qui voyaient que toute production artistique ne pouvait tre
juge que selon les qualits esthtiques, le second est celui des sociologues purs qui
estimaient que les structures qui sous-tendaient la cration artistique traduisaient la
ralit historique et en constituaient un lment.
La sociologie littraire a, de son ct, tent de trouver un compromis entre
l'apprciation esthtique rserve la critique et la perception sociologique de la
littrature. Elle s'est acharne dmontrer la corrlation entre la production littraire
et la conscience collective du groupe qui l'a cre. Pour la sociologie des faits
littraires, il existe derrire l'crivain tout le groupe dont il fait partie. Toute oeuvre
est donc sociologiquement significative. De toute vidence, il est trs difficile que le
roman soit fond sur la pure cration individuelle sans aucun fondement dans la
socit. De tout temps, on disait que la littrature est le miroir de la socit. Elle est
mme
"l'aboutissement un niveau de cohrence trs pouss des
tendances propres la conscience de tel ou tel groupe, conscience
qu'il faut concevoir comme une ralit dynamique oriente vers un
certain tat d'quilibre"18
Nous nous sommes base sur l'approche de Goldmann qui a conu le rapport entre
l'art et la socit en terme de reflet.
Ajoutons cela que si les romans se divisent en roman hros problmatique bas sur
la vie individuelle et roman non biographique correspondant la dissipation de
l'individualisme; entre les deux, il y a une
"priode de transition beaucoup plus varie et plus riche en types
de cration romanesque, ne du fait que, d'une part, la disparition
du fondement conomique et social de l'individualisme, ne permet
plus aux crivains de se contenter du personnage problmatique
comme tel sans le relier une ralit qui lui est extrieure et que,
d'autre part, l'volution conomique, sociale et culturelle, n'est pas
encore assez avance pour crer les conditions d'une cristallisation
dfinitive du roman sans hros et sans personnage"19
Et c'est dans ce type intermdiaire que vient se placer Boumkoeur, premier roman de
Rachid Djadani, paru en 1999. Comdien, boxeur, crivain, Djadani est un franais
d'origine algro-soudanaise. Il fait partie des auteurs des annes quatre-vingt-dix qui
ont donn un nouveau tournant la littrature dite beur. Cette littrature, parue dans
les annes quatre-vingts, souligne que nous avons affaire un groupe d'crivains
ayant des caractre ethnique et social singuliers. C'est une littrature apprhende
selon les origines de ses auteurs, ce qui est un peu regrettable puisqu'il s'agit d'une
vision trs rductrice de classification. C'est galement une littrature qui proccupe
l'opinion gnrale car elle dvoile la complexit et les ingalits sociales
contemporaines.
Les auteurs beurs, tout en voquant un thme qui leur est cher, l'immigration, le
traitent diffremment. Ils ne signalent plus le retour mythique au pays d'origine, mais
prsentent des hros qui souffrent de l'exclusion au mme titre du reste de la
population. Leur problmatique principale est la place de l'individu dans la socit
franaise.
18
Ibid., p. 41.
19
GOLDMANN, Lucien, Op.cit., pp. 85-86.
En ralit, Djadani est un jeune de banlieue dont la vie ne prsageait rien
d'exceptionnel.
"Tte crame et fringues hip hop, ce jeune lascar, vous l'auriez
fourr dans la catgorie des rappeurs au mieux et au pire des
racailles. Ceux qui ne parlent pas en franais correct, c'est peine
qu'ils savent lire, vous pensez. Pourtant Rachid a pondu un roman
qui est venu percuter les oeuvres de Marguerite Yourcenar dans les
rayons des librairies"20
Avec plus de 90.000 exemplaires vendus, Boumkoeur est un best-seller, "les mdias
se sont ru sur ce phnomne de banlieue qui vend plus que les prix Goncourt"21
Boumkoeur est une quasi-autobiographie de l'auteur, c'est l'adolescence peine
romance de Djadani, qui est voque; d'o la concidence entre les valeurs
vhicules dans le roman et la socit des cits. L'autobiographie a toujours t
apprhende comme l'expression d'un processus social historiquement dat. Le
protagoniste Yaz est un double de Djadani, c'est le prototype de la plupart des jeunes
des cits-dortoirs. Il est mme le symbole et l'incarnation de toute une gnration ne
dans la "galre".
Yaz a 21 ans, et habite l'une des tours des cits; il mne une vie d'enfer entre un pre
pauvre et chmeur, une mre soumise, un frre qui fait du trafic de drogue et une
soeur indcente. Il avait, en outre, un frre qui a trouv la mort suite une overdose
de stupfiants. Le rve de Yaz est prcis: exister. Chose qui n'est pas aussi simple que
nous pouvons le croire. Il doit lutter et combattre. Pour donner un sens sa vie, il
dcide d'crire une chronique de la cit avec l'aide d'un voyou, Grzi. Toutefois,
l'affaire tourne mal et le hros devient vite victime d'une escroquerie commise par son
copain. Ce dernier prtend qu'il a tu un garon la sortie de l'cole et demande Yaz
de passer quelques jours avec lui dans une cave, le temps de demander une ranon la
famille de Yaz qui croyait son enlvement. La police dvoile l'affaire: Grzi est jug
et Yaz reprend sa vie monotone.
Boumkoeur est ainsi le roman des moeurs de la banlieue, c'est un rcit sous forme de
flashes de la vie de Djadani, de drames familiaux et de brouilles tragiques. Il
slectionne les scnes qui vont droit au coeur et qui traduisent la cit avec ses ennuis.
"[. . .] le premier roman de Rachid Djadani se veut avant tout un
tmoignage brut, sans fioriture ni jugement, la chronique d'une cit
ordinaire si l'on peut dire. Mme s'il s'agit d'une fiction, son
scnario puise largement dans les expriences personnelles de son
auteur [. . .]"22
Djadani nous livre des scnes authentiques de la socit adonne au culte du mal,
loin de l'image de la jungle urbaine vulgarise par les mdias. Il est pris entre deux
volonts: tmoigner et produire. Il se rapproprie son histoire, la change et la
reformule.
"[. . .] la chronique des parcours, le tableau des existences
s'enrichit, se complexifie pour mettre nu, travers la diversit et

20
MADANI, Karim, "Lascar crivain, rencontre de Rachid Djalani auteur de Boumkoeur" in
http://www.inventaire-invention.com/Archives/madani_djailani.htm
21
MADANI, Karim, "Lascar crivain, rencontre de Rachid Djalani auteur de Boumkoeur" in
http://www.inventaire-invention.com/Archives/madani_djailani.htm
22
Anonyme:" La cit dort" in www.campushec.com/Archives2001-
2002/Culture/signe_cite/boumkoeur.htm
l'originalit des personnages, des pans entiers de la socit
franaise dans son rapport son pass colonial, l'histoire de
l'immigration, dans son rapport elle-mme"23
Son but est de dfendre les faibles et de critiquer la dite dmocratie franaise. "La
politique est bonne lorsqu'elle se fait par de vrais bonhommes qui ne se nourrissent
pas de la misre de leur frre pour se redorer le blason"24. Tout en rejetant un rel
traumatisant, Djadani a soulign la volont des jeunes de crer un monde vivable au-
dessus des problmes. Il nous prsente les cits et leurs jeunes pris entre les principes
rpublicains et la ralit discriminatoire, entre une France qui leur est hostile et un
pays d'origine mythique, entre le racolage lectoral et l'engrenage du chmage.
Boumkoeur est un roman qui cherche mettre nu un monde o croupissent la
violence et les mauvais coups, reproduisant ainsi l'image misrabiliste des jeunes. Par
le biais d'un esprit critique afft, il fait un regard cru sur la France, un rquisitoire
contre la socit et le monde carcral. En un mot, c'est un roman qui a l'effet d'un
coup de poing.

Pour raliser son but, Djadani fait paratre Yaz comme un tmoin scripteur ou un
nonceur psychosocial. On ne doit pas le considrer comme une subjectivit.
"L'nonceur psychosocial runit en lui-mme tous les types
d'usages de la langue en fonction des situations [. . .]. Il est la
fois, selon les circonstances, le locuteur qui prononce et
l'nonciateur qui agit, tout comme il est la fois, quand ce n'est pas
lui qui parle, l'allocutaire auquel sont adresss les mots et le
destinataire des actes de langage [. . .]"25.
Boumkoeur est un livre qui transmet le vcu et le quotidien des cits, c'est un roman
plein de moments de vie. Le texte joue avec les discours de banlieue afin de crer un
espace linguistique et littraire, et acquiert une allure familire et amusante. L'criture
est par l mme vivante et jeune.
"Une criture d'apparence facile, mais o l'on (res)sent dj une
vraie plume, un vrai talent et une vraie maturit. Pas facile d'crire
[. . . ] mais trs agrable de lire du Djadani. Pour le ton Rachid
Djadani. Drle, alerte et rempli de vie. Un ton qui nous donne
envie de lire, un ton qui fait tourner les pages et qui nous rend
triste d'tre dj arriv la fin"26
On a mme dit que Djadani est un crivain qui sait faire l'quilibre entre "le jeu et la
vrit, le rire et le coup de poing l'estomac, la blague et l'motion, (il est)
imprvisible, lyrique, insolent, grave"27
A travers Boumkoeur, Djadani s'en prend une socit dominante "laquelle cherche
construire des frontires culturelles dites et non-dites"28. Ce faisant, la

23
HARZOUNE, Mustapha, "Littrature: les chausse-trapes de l'intgration" in
http://www.adri.fr/HM/articles/1231/1231a.html
24
DJAIDANI, Rachid in www.tactikollectif.org/politic/politic.htm
25
HAGEGE, Claude, L'Homme de paroles, contribution linguistique aux sciences humaines, Paris,
Fayard, 1996, pp. 243-244.
26
Anonyme: "Boumkoeur de Rachid Djadani" in http://www.les-
marcheurs.net/~pole_lecture/sauton/Chroniques/Djaidani.html
27
REMOND, Alain, "L'Apostropheur" in Tlrama, n: 2565, 10/03/1999.
28
GEESY, Patricia, Op.cit., pp. 146-147.
sophistication littraire a cd la place la dsinvolture langagire. En traitant une
socit priphrique, il a opt pour une langue elle aussi priphrique. Il s'est loign
dlibrment de la langue officielle pour puiser son parler dans l'argot et le verlan
ainsi que dans les pratiques hybrides. C'est comme s'il accordait la langue franaise
un nouveau souffle. Ainsi, Djadani fait-il preuve dans Boumkoeur "d'une matrise de
la langue, du rythme des phrases, d'une capacit malaxer les mots pour en faire
jaillir l'image, le sens, le sentiment voulus"29. L'criture de Boumkoeur est pour ainsi
dire une criture qui pourrait tre tiquete de dcentre: c'est une criture qui
reconstruit la langue autrement.
"[. . .] il y aura une double rfraction de l'une sur l'autre -de la
forme sur la valeur et de la valeur sur la forme- et cette
birfringence des deux parties du Message cause par l'Ecriture
fonde le dcentrage. L'Ecriture travaille le Message dans sa forme,
en mme temps par la langue (grce elle) et contre elle (en la
dformant). C'est dans ce tourniquet tautologique caractristique
de la langue, la fois cause et effet de soi-mme, que le dcentrage
de l'Ecriture et partant de la Littrature est lui-mme
tautologique"30
Il faut donc s'attendre de nouvelles formes langagires, des pratiques linguistiques
innovantes, des crations lexicales qui "fleureraient bon l'exotisme social des cits
et exhaleraient quelques fragrances mditerranennes"31. Boumkoeur est donc un
rpertoire du franais des cits. Nous allons essayer de saisir la mise en texte littraire
du parler urbain.

Notre approche thorique est dans une large mesure inspire par les travaux du
linguiste Jean-Pierre GOUDAILLIER32. C'est sur le plan lexical que nous allons
centrer notre tude et ce tant donn qu'
" l'heure actuelle, on ne dispose pas de suffisamment
d'informations sur les particularits phonologiques,
morphologiques ou syntaxiques du franais parl par les jeunes des
cits"33.
L'objectif de la thse est de relever des faits linguistiques attests et de tenter de les
rfrer la sociologie de leur nonciateur. Il s'agit de montrer et d'analyser la
corrlation entre les faits linguistiques et les pratiques langagires d'une part et le
statut social du locuteur ou plus gnralement sa taxinomie sociologique (ge, lieu de
rsidence, profil professionnel, origine) de l'autre. La thse souligne les particularits
sociolinguistiques et l'extralinguistique social. Les analyses sociologiques et
sociolinguistiques se recoupent ainsi et se compltent.

Notre travail est divis en trois parties. Dans la premire, nous allons jeter la lumire
sur la sociologie de la cit et son rapport avec la sociolinguistique urbaine. Dans les
29
HARZOUNE, Mustapha, Op.cit., p.4.
30
LARONDE, Michel, L'Ecriture dcentre, la langue de l'autre dans le roman contemporain, Paris,
L'Harmattan, 1996, pp. 10-11.
31
HARZOUNE, Mustapha, Op.cit., p.4.
32
Jean-Pierre GOUDAILLIER est professeur de linguistique l'Universit Ren-Descartes, Paris V et
directeur du centre de Recherches Argotologiques CARGO.
33
LIOGIER, Estelle,"Quelles approches thoriques pour la description du franais parl par les jeunes
des cits" in La Linguistique, Argots et Argotologie, vol 38/ 2002-1, Paris, PUF, p. 46.
deuxime et troisime parties, nous allons nous intresser aux termes les plus
employs dans ce franais.
Et puisque le FCC est en perptuelle mutation et incessant renouvellement, il nous a
paru pratique de ne pas se contenter d'un relev formel des termes mais d'axer notre
tude sur les procds de formation lexicale. Si les termes naissent et disparaissent et
si des variations d'ordre diatopique peuvent paratre, les procds restent invariables.
Ces procds sont de deux types: le premier smantique et le second formel. Chaque
procd sera tudi dans une partie qui lui sera consacre.
Et afin de discerner ce qui relve de la langue de ce qui relve du style et de s'assurer
que les termes employs font vraiment partie de la langue des cits, nous avons eu
recours des ouvrages lexicologiques, des interviews avec des jeunes originaires
des cits ainsi qu' des films sur les jeunes des banlieues. Les dictionnaires de
rfrence sont Le Dictionnaire de l'argot franais et de ses origines34, Comment tu
tchatches? Dictionnaire du franais contemporain des cits35, sans oublier Les
Cfrans parlent aux Franais, chronique de la langue des cits36. Nous avons
galement estim ncessaire de voir le film Le ciel, les oiseaux et ta mre, de Djamel
Bensalah ralis en 1999 et celui de L'esquive de Abdellatif Kechiche ralis en 2004.

34
COLIN, Jean-Paul, MEVEL, Jean-Pierre et LECLERE, Christinan, Le Dictionnaire de l'argot
franais et de ses origines, dition Larousse-Bordas, 2me dition, 1999.
35
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, Comment tu tchatches? Dictionnaire du franais contemporain des
cits, prface de Claude HAGEGE, Paris, dition Maisonneuve et Larose, 2001.
36
SEGUIN Boris et TEILLARD, Frdric, Op.cit., 1996.
Premire Partie
Rflexes sur les cits
L'immigration est un phnomne social important touchant plusieurs pays du
monde notamment la France. Celle-ci est un pays ouvert l'immigration en gnral et
celle des Arabes maghrbins en particulier. L'Algrie tait la premire des pays du
Maghreb tre conquise en 1830 et tait considre comme tant un des dpartements
franais; la Tunisie et le Maroc taient des protectorats respectivement en 1881 et
1912.

Les immigrs arabes ont toujours jou un rle important mais


malheureusement mconnu dans l'industrie franaise. La main-d'oeuvre immigre a
t employe dans les secteurs dlaisss par la main-d'oeuvre nationale, il s'ensuit que
les salaires moyens des immigrs taient infrieurs ceux des Franais, cart d une
diffrence de qualification entre les deux populations productives.
Bien plus, ils taient les premires victimes de la rduction des emplois et ont souvent
travers des crises de chmage plus aigus que le chmage des Franais. Les
immigrs regrettaient toujours les pratiques discriminatoires l'embauche.

Cet tat de choses a men les immigrs habiter des taudis peu confortables et
vivre dans les cits comme des marginaux. Le lieu de leur habitation est rvlateur
de leur niveau conomique.
Les conditions pcuniaires lamentables des immigrs les ont empchs d'abandonner
les HLM pour un habitat pavillonnaire. Ils sont donc rests pigs dans ces habitats et
un processus de ghettosation a eu lieu.

Dprims, indcis, tiraills entre deux mondes, se trouvant au carrefour et au creuset


de deux socits, souffrant d'une ambivalence culturelle, les fils des immigrs
tombent assez souvent dans la dlinquance et l'chec scolaire. Toutefois, il leur arrive
de dvelopper des formes langagires considres comme marginales pour afficher
leur rvolte contre la socit dominante.
Premier Chapitre
Vision sociologique
"Lunique principe commun
lensemble des habitants dmunis de
la banlieue est bien, semble-t-il, la
frustration, lamertume nes
daspirations consommatrices et
statuaires sans cesse contrecarres
par la contrainte conomique, la
situation de dpendance et la
stigmatisation du quartier37

Pauvret, violence, dlinquance, racisme. Telles sont les grandes


caractristiques marquant les cits sur lesquelles l'actualit a braqu les projecteurs
dans les annes quatre-vingts et quatre-vingt-dix. Bien que prsentes depuis des
dizaines dannes, les banlieues nont attir l'attention que vers la fin du XXme sicle.
Les mdias se sont intresss au cours des deux dernires dcennies du sicle pass
reflter les vnements qui ont eu lieu dans les zones sensibles, et par l, ils ont
permis toutes les couches de la population franaise de mieux connatre ces
quartiers et leurs habitants. Stigmatises, critiques, places sous le signe du mal, les
cits nont fait depuis quanimer les discours.

La cit est en effet souvent prsente avant tout comme un espace


anomique, incontrlable. Ses habitants sont dcrits comme des groupes
part, que la prcarit a loigns des normes de comportement et des rgles
de conduite acceptes. Dans cette reprsentation dominante, le manque et
la dviance sont troitement associs, les populations de la banlieue sont
vues sous langle double de la misre quelles subissent et, pour partie
dentre elles tout au moins, du danger quelles reprsentent pour lordre
social. La banlieue est la fois pitoyable et menaante, on la plaint et on
la craint dans le mme temps 38

Cette condamnation htive des banlieues est due ce que les cits sont toujours
considres comme les sanctuaires de la violence et dinscurit. Mais pour avoir une
image plus objective, loin des prjugs et des strotypes vulgariss par les mdias, il
importe d'tudier lhistorique des cits. Celles-ci se sont imposes et ont connu un
dveloppement anarchique et chaotique au fil des annes.

Cest depuis le XIXme sicle que la France a tmoign dune vague dexode
rural due la rvolution industrielle. Rsultat : dcroissance de la population
travaillant dans lagriculture. [. . .] elle est estime prs de 70% en 1789, elle nest
plus que de 55% vers 1850 39
Cest cette poque l quont commenc dferler sur la France les vagues
dimmigration pour combler sa pnurie en main doeuvre. A ce moment,
l'immigration tait libre et de peu d'importance, toutefois elle ne cessait de s'acclrer.

37
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Amre banlieue, les gens des grands ensembles, Paris, Grasset et
Fasquelle, Le Monde de lducation, 2000, p. 49.
38
Ibid., p. 9.
39
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, La socit franaise, Paris, Dalloz et Armand
Colin, 2001, p. 37.
Des Belges essentiellement des Wallons sont venus travailler dans les filatures du
Nord.
Ds 1905, plusieurs centaines de travailleurs algriens ont t embauchs dans la
rgion marseillaise comme salaris dans les raffineries et les huileries. Il s'agit
essentiellement d'une main-d'oeuvre kabyle qui tait cense remplacer les ouvriers
grvistes italiens. C'est partir de Marseille, que va s'effectuer la monte de certains
Kabyles vers les mines et les industries de Paris. Progressivement, les dplacements
vont se faire non plus en direction des villes ctires et des stations balnaires, mais
vers les villes et les rgions industrielles.
A Paris, ces salaris sont employs dans le btiment, les industries chimiques, les
chemins de fer et le mtropolitain. Le courant migratoire fut renforc en 1913 grce
un arrt du Gouverneur Gnral supprimant le permis de voyage. Les immigrs se
regroupaient par villages ou par rgions et construisaient des rseaux de solidarit. Ils
ont form ce qu'on pourrait appeler une contre-socit qui avait ses points de repre,
ses coutumes et traditions et ses interdits. Ce qui a plus ou moins empch leur
complte intgration la socit d'accueil.

La Premire Guerre mondiale va promouvoir la deuxime vague


dimmigration. Objectif : rpondre au besoin accru pendant la guerre douvriers
chargs de fabriquer des armes. Aprs la guerre, les immigrs ont combl les gouffres
dus la perte des milliers d'hommes dans la guerre.
En 1931, la France tait le premier pays d'immigration, devanant mme en cela les
Etats-Unis. A l'poque, les trangers ont jou un rle trs important dans la
reconstruction de l'appareil productif. En tte des migrants figuraient les Italiens qui
taient pour la plupart des travailleurs manuels mais dont plusieurs taient des exils
politiques fuyant le rgime fasciste. Les Italiens se sont vite intgrs la socit
franaise. Les Polonais ont, de leur ct, travaill dans le secteur agricole de la rgion
du Nord. Nanmoins, ils taient plus attachs leurs particularismes culturel et
religieux, ce qui a frein leur intgration. On a remarqu chez eux peu de mariages
mixtes et peu de naturalisations. Les Espagnols l'poque taient essentiellement des
agriculteurs et ceux qui ont travaill dans le secteur industriel se sont intresss
surtout la cramique, aux mines et au terrassement, leurs pouses taient des
femmes de mnage. Les Espagnols se sont concentrs en Aquitaine et Languedoc.

La troisime vague a concid avec la fin de la Seconde Guerre mondiale et


avait pour but la reconstruction de la France et la compensation des pertes humaines.
On a recens en 1946, 1.740.000 trangers, en 1954, 1.765.000 et en 1962, 2.170.000;
et on a tmoign en 1945 de la cration de l'Office national d'immigration (ONI)
charg de l'organisation des travailleurs et de leurs regroupements familiaux. A
l'poque, Italiens et Espagnols constituaient presque la moiti de la population
immigre. Progressivement, l'immigration de ces groupes a stagn au profit des
Maghrbins et des Portugais qui acceptaient d'effectuer les emplois les plus rebutants,
les plus ingrats et les moins pays.
Ds 1945, les travailleurs algriens ont retrouv le chemin de la France pour tre
affects aux mines, la sidrurgie et aux industries mcaniques, chimiques et textiles.
L'immigration s'est ensuite acclre avec la dcolonisation et l'entre en vigueur en
janvier 1958 du trait de Rome, qui a instaur le principe de libre circulation des
personnes.
Sous la Ve Rpublique on peut parler dune quatrime vague
dimmigration qui correspond aux transformations politiques et
conomiques du monde. [. . .] Durant cette priode, les Italiens sont
relays par de nouvelles nationalits : ce sont les Portugais, dont le
nombre est multipli par quinze entre 1962 et 1982, les Maghrbins, les
Africains dAfrique noire, les rfugis du sud-est asiatique 40.

Et ce d'autant plus que les accords d'Evian de 1962 ont permis la libre
circulation entre la France et l'Algrie. Les Maghrbins en gnral ont occup trois
rgions principales qui sont la rgion parisienne, la rgion Rhne/Alpes et la rgion
Provence/Cte d'Azur. Ils travaillaient dans l'industrie de l'automobile, les btiments
et le commerce.
La France avait toujours voulu que ces migrations soient temporaires et
conjoncturelles, nanmoins, sous l'effet du regroupement familial, elles sont devenues
dfinitives.
La crise conomique a pouss le gouvernement franais rexaminer sa politique
migratoire et l'a incit suspendre l'immigration des travailleurs en 1974.
Afin de saisir l'ampleur du problme, essayons de voir les chiffres de l'immigration.

Combien d'trangers en Il y a en France 6,3 millions d'trangers


France ? "lgaux" et environ 800 000 clandestins.
Sur ce total, 60% sont Africains et moins de
20% europens. Sachez qu'il n'y avait en France
que 1 million d'trangers en 1914.
Les flux migratoires Depuis 1983, il y a plus de 90 000 naturaliss en
France par an, dont 35% de Maghrbins et 25%
d'Africains. A titre de comparaison, de 1870
1914, on a naturalis en moyenne 7000
trangers par an, tous d'origine europenne.
Comparaison europenne En France, les trangers reprsentent 12,3% de
la population, dont prs de 10% des non
europens.
En Grande Bretagne, cette part est de 3,3%, en
Espagne de 1%, en Grce de 0,6%, en Irlande de
2,4%, au Portugal de 1%, etc.
Au total l'ensemble des pays europens ne
comptent que 2,3% d'trangers non europens.
O sont-ils en France ? Il y a en Bretagne 1% d'trangers.
Ils reprsentent Paris 17% de la population.
Ce taux passe plus de 20% en Seine-Saint-
Denis.
Que font-ils ? Parmi la population active, 1,5 millions sont
trangers:
- 334 000 occupent des emplois d'ouvriers,
- 414 000 occupent des emplois d'ouvriers
qualifis,

40
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., pp. 46-47.
- 793 000 occupent des emplois "suprieurs".

Le nombre de chmeurs parmi cette population


active est de 400 000, soit un taux de 26% !

Ce taux passe 31% pour les non europens,


51% pour les moins de 25 ans maghrbins ou
africains et 65% pour les jeunes femmes de
ces pays tiers.

30% des lves parisiens sont trangers.

28% des condamns emprisonns sont des


trangers. Ce pourcentage atteint 45% dans
toutes les prisons de la rgion parisienne.
Combien a La moiti des RMistes sont trangers. Cela
cote ? reprsente 19 milliards de francs par an.

Les indemnits chmage cotent prs de 48


milliards de francs.

Les allocations familiales sont de 25 milliards


de francs.41

Ces flux migratoires doubls par une forte industrialisation nont men qu
renforcer lurbanisation.
En un sicle, les proportions se sont inverses: en 1872, la population
urbaine reprsentait 31% de la population totale, en 1982, 69%. On peut
considrer quaujourdhui 80% de la population vit en zone urbaine ou
priurbaine et ce mouvement nest sans doute pas achev 42
Preuve de lampleur de lurbanisation, entre 1946 et 1975, plus de 17 millions de
personnes supplmentaires sont venues vivre dans les villes, accentuant le problme
de l'habitation.
Le problme de logement a paru au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui
avait caus le bombardement et l'extermination de plusieurs villes, le problme s'est
aggrav avec le retour des pieds-noirs, l'exode rural, la croissance dmographique et
la vtust des logements.
Les cits, tout en constituant des ples dattraction pour les migrants qui espraient y
trouver un eldorado, nont fait que semer le dsordre.
"[. . .] Les enceintes tablies successivement autour des villes craquent de
toutes parts, les faubourgs empitent sur les boulevards circulaires, et ce
nest mme plus de faubourg dont il faut parler mais de banlieue. Ces
banlieues prolifrent de tous cts la priphrie des grandes villes et

41
http://www.france-avenir.com/dossiers/10.htm
42
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 37.
mme des cits moyennes. On a pu comparer cette extension incontrle
un phnomne de cancrisation avec la multiplication rapide et anarchique
des cellules. La surface urbaine stale 43.
Ds 1958, plusieurs ordonnances et dcrets ont prcis les modalits de
rnovation et dtermin les zones urbaniser par priorit (ZUP). Ces dmarches ont
t soutenues en 1963 par la DATAR (dlgation l'amnagement du territoire et
l'action rgionale) qui a voulu renforcer l'ossature urbaine du pays.
En 1966, l'Etat a cr la Direction de l'quipement charge de dpcher des
spcialistes aux rgions amnager. Toutefois, les mesures entreprises par l'Etat se
sont heurtes la chert des terrains et au cot lev de la construction; on a donc
commenc assister la dilution du rle tatique dans le rglement de la crise
d'habitat. Les grands ensembles n'ont pas galement satisfait ceux qui cherchaient un
domicile loyer abordable cause de la mdiocrit des quipements, l'insuffisance
des moyens de transport ayant, en plus, accentu l'isolement.

Figure 2
On a donc commenc parler de cits-dortoirs qui se sont multiplies la priphrie
de la ville et qui se sont mues en immenses agglomrations douvriers non qualifis
et de chmeurs qui sont la recherche illusoire dun travail lucratif. Il en a rsult une
pousse anarchique des banlieues o les quipements collectifs comme les coles, les
crches, et la voierie font dfaut. L'Etat a cherch construire rapidement sans penser
humaniser ces espaces de vie. Ceux-ci taient mal penss et peu amnags.
Les grands ensembles dhabitat collectif tablis par les tayloristes au milieu du XXme
sicle sont devenus la fin du sicle des ghettos, des champs dexclusion, un monde
la quarantaine, des espaces de rclusion.
Les rnovations urbaines chassent les pauvres du centre des villes
franaises. Ils y trouvaient peu de confort mais bien des commodits.
Faute dautres possibilits, les ZUP deviennent leur univers [. . .]. Le
monde des ZUP est dautant plus dur quil nest conu que pour habiter
loin des autres, loin du centre des villes, loin des quartiers les plus
attrayants, dans le voisinage des champs de betteraves ou de terrains
vagues sans posie 44
Si un plan de construction a t lanc en 1971, il tait essentiellement ax sur la
rhabilitation du centre ville. On a tmoign d'un laxisme en matire d'urbanisation
des quartiers priphriques. De nos jours, les cits et les banlieues sont des lieux qui
appartiennent l'espace urbain, mais qui sont plus distantes, par rapport aux

43
Ibid., pp. 727-728.
44
FREMONT, Armand, France gographie dune socit, Paris, Flammarion, 1988, pp. 172-173.
faubourgs, de la ville. Ce sont des lieux qui rsistent plus ou moins l'emprise de la
ville et qui se voient rarement reconnatre une identit.

La banlieue a rarement de nom,"on parle de la banlieue Nord (ou Sud) ou


de la grande banlieue (ou de la proche banlieue). C'est que la banlieue ne
constitue pas pleinement un lieu de ville: la banlieue est considre
comme un espace relativement anonyme [. . .] situ dans la dpendance
d'une ville"45.

Les cits sont gnralement strictement rsidentielles sans activit conomique ni


vocation culturelle. Ce sont, par les diffrentes dsignations qui leur sont accordes,
des lieux de stigmatisation: quartiers mal fams, quartiers en crise, quartiers en
difficult.

Figure 3

Evoquant le diagramme de la ville conue par l'Ecole de Chicago, Louis-Jean Calvet


nous prsente les cercles concentriques refltant la structure de la ville thorique:

1-Le loop
2-Aire de transition

45
LAMIZET, Bernard, "Qu'est-ce qu'un lieu de ville?" in Marges linguistiques, n: 3, mai 2002, Saint-
Chamas, MLMS diteur, p. 196.
3-Logements des ouvriers
4-Aire rsidentielle
5-Zone des banlieusards46

Ceci dit, les banlieues sont les zones les plus loignes du centre et par l elles
constituent des lots isols o sont concentrs tous les problmes qui naugurent rien
de bon.

Figure 4

Dj, larchitecture des cits reflte la morosit de la vie. Il sagit de tours de bton
uniformes, construites sans aucun souci de beaut esthtique. Les habitats sont honnis,
dgrads et malsains, les faades dimmeuble endommages, les cages descaliers
souilles et les vitres casses. Les conditions dinsalubrit prdominent, les espaces
verts sont rduits et substitus par le bton.
Excrments de chiens sur les trottoirs, sacs poubelles descendus ds le
matin et ventrs dans la journe par les animaux la recherche de
nourriture, invendus des puces et des marchs tranant par terre : le
quartier est sale, le quartier pue, parce que les gens sen foutent. De mme
le bruit est mis en cause : dans les immeubles, les enfants dbordent des
appartements trop petits et parfois insalubres et jouent sur les paliers et
dans les escaliers. On dnonce le sans-gne de certains locataires, la
musique coute fort volume tard le soir, les alles et venus toute
heure de la nuit. Le bruit du dehors envahit galement les appartements :
bruit dune circulation dense autour de la place, bruit des bars et des
restaurants, bruits nocturnes enfin de tous ceux qui tranent sur la place 47
Dans ces cits, les habitants partagent la pauvret, et le sentiment d'tre des rprouvs,
des marginaux et des exclus. "Ces populations dfavorises, semblent avoir perdu
toute vellit de contestation, et toute possibilit d'intgration digne dans une
collectivit originale"48. Le manque de moyens les pousse se replier sur elles-
mmes, se trouver dans l'impossibilit de sortir des catgories pauprises et de
grimper l'chelle sociale. D'o le sentiment de frustration.
"Entre un groupe d'appartenance objectif qui ne peut tre considr
comme un groupe de rfrence acceptable (celui des pauvres, ou encore

46
Cf. CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, Paris,
Payot et Rivages, 1994, p. 23.
47
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., pp. 266-267.
48
Ibid., p. 39.
celui des habitants de la cit), et un groupe de rfrence inaccessible (celui
des catgories moyennes), se creuse un cart intolrable l'origine d'une
trs forte frustration et d'une fragilisation accentue de l'estime de soi"49
La distanciation des habitants des cits de la socit centrale ne fait qu'augmenter et
avec elle l'autocritique et l'animosit l'gard d'une socit qui les a oublis. Ils
refusent d'tre tiquets de menu peuple, tout en tant conscients qu'ils ne peuvent
rien faire ni pour s'en sortir ni pour appartenir la classe laquelle ils aspirent. Et
comment s'en sortir, quand on vit dans la dpendance et quand on est au mieux un
ouvrier et au pire un chmeur.
"[. . .] la spcificit du travail ouvrier tend donc dcrotre, et avec elle
l'exprience d'une identit professionnelle distincte, dans la mesure o
certains savoir-faire ouvriers ont t largement disqualifis par le
perfectionnement machiniste et robotique [. . .]"50
Les ouvriers sont incapables d'aller de pair avec l'volution de la socit et sont
victimes au mme titre des chmeurs de la crise d'emploi; on leur fait grief d'tre
incapables de se soumettre la discipline industrielle.
"[. . .] Ne rien possder en propre, pas mme une tiquette professionnelle,
tre ainsi entirement soumis au march du travail, sans aucune dfense,
n'tre qu'un figurant susceptible de tenir tous les emplois et toutes les
places, avoir le sentiment aigu de sa vulnrabilit sociale et
professionnelle, c'est tre plus que dmuni, c'est ne pas mme avoir une
image sociale dans laquelle se reconnatre"51
Le chmage est d principalement aux faits suivants: l'insuffisant taux d'expansion
qui ne permet pas la cration d'emplois nouveaux, la demande en ingnieurs et cadres
moyens et non pas en ouvriers, l'immobilit de la main d'oeuvre et finalement, la
disqualification technique et professionnelle des jeunes. Pour pallier ce handicap
conomique, les pouvoirs publics tentent de fournir des allocations aux chmeurs.
"En 1994, le nombre des bnficiaires du RMI tait de l'ordre de 765.000,
contre 670.000 un an plus tt. Le cot du RMI est de plus en plus lourd
pour l'Etat (16.5 milliards de francs en 1993) qui prend en charge
l'intgralit de l'allocation et certaines dpenses lies l'insertion, mais
aussi pour les conseils gnraux, lgalement tenus de participer certaines
dpenses"52

Toutefois, l'assistance a ses revers: restriction de budget, procdure bureaucratique,


ingalit de la distribution, etc. Elle ne rsout pas le problme mais apporte seulement
quelques remdes dont l'efficacit est mise en doute. Le sentiment d'infriorit
conomique est doubl d'une sous-estimation politique.
"[. . .] Les gens de la banlieue dnoncent aussi leur absence de
reprsentativit: les lus ne les coutent pas, les mprisent, ne pensent

49
Ibid., pp. 41-42.
50
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 33.
51
LAKS, Bernard, "Langage et pratiques sociales, tude sociolinguistique d'un groupe d'adolescents"
in L'usage de la parole, n:46, Actes de la Recherches en sciences sociales, 1983, p.87.
52
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 432.
qu'aux lections venir dont dpendent le succs et la prennit de leur
carrire [. . .]"53
La cit est rarement au coeur du dbat politique, et ne figure point dans la priorit des
autorits. Par contre, elle n'est signale que comme source d'inscurit sociale et de
menaces. Les habitants endossent le stigmate de leur milieu social qui devient pour
eux un lieu de honte. Ils se sentent dvaloriss, d'autant plus que
"[. . .] la domination la plus cruellement ressentie rside sans doute en
effet dans l'amalgame volontiers effectu entre pauvret et indignit,
pauvret et incapacit, pauvret et immoralit"54
Tant que la cit est signe de la prcarit sociale, le poids d'tre "habitant de cit" pse
sur eux et s'entrelace avec les contraintes conomiques et politiques qui les
asphyxient. Ds qu'un banlieusard signale son adresse, il est dvisag, scrut de haut
en bas, mal vu et devient forcment un "rat" aux yeux de ses interlocuteurs.

Qui plus est, l'isolement et l'touffement par le nombre sont prendre en


considration. Il y a une "asociabilit" de mnages et un miettement du tissu
relationnel. Ce manque de convivialit est flagrant entre les banlieusards eux-mmes.
Les relations du voisinage sont rduites et "les habitants dcrivent un systme HLM,
une vie HLM, caractriss par le chacun-pour-soi, l'absence de contact, le repli, la
froideur"55. C'est comme si en limitant leurs relations, en gardant une distance entre
eux, ils tentent de se dmarquer de leur lieu de rsidence, c'est une stratgie qu'ils
adoptent pour se dbarrasser de cette image ngative associe la banlieue. Ils
dcrivent mme la cit comme s'ils n'en font pas partie.
"En refusant le contact avec un univers jug dgrad, ils peuvent croire
encore la possibilit d'y chapper. Le refuge que constitue la sphre
prive est un bouclier contre l'acceptation du malheur, le renoncement et
finalement la rgression"56.
Toutes ces peines sont partages par les banlieusards, toutes origines confondues.
Nanmoins, les immigrs arabes et les Noirs africains assurent souffrir d'un problme
supplmentaire: savoir le racisme, notamment dans la distribution des logements et
dans les embauches, le Franais de souche tant le plus souvent plus privilgi qu'eux.
Ils se plaignent des mesures discriminatoires et vexatoires, se voient lss et estiment
que l'aide sociale se fait d'une faon arbitraire et slective. Dans chaque rue ou
immeuble, il y a un quota pour les mnages immigrs qu'il ne faut pas dpasser, sous
prtexte d'un "rquilibrage social" et d'une "mixit ethnique".
"Il est craindre en effet que la constitution d'un tel patchwork ne
conduise au final une aggravation de l'exclusion et de l'isolement des
populations pauvres immigres en en dstabilisant les rseaux de
sociabilit"57.
Les cits sont, au vrai sens du terme, des repoussoirs.

53
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p.306.
54
Ibid., p. 58.
55
Ibid., p. 80.
56
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 200.
57
.Ibid., p. 293.
"[. . .] Les immigrs sont tout particulirement victimes de l'infriorit
culturelle. La population maghrbine est presque invariablement assigne,
en termes de savoir-vivre, de moralit, de comptences culturelles, au
dernier barreau de l'chelle hirarchique qui segmente les grands
ensembles. Ainsi les Arabes sont les ploucs de la cit et les principaux
responsables de l'inscurit qui y rgne [. . .]"58
L'immigr est donc le bouc missaire de toutes les souffrances, il est toujours assis au
banc des accuss, montr du doigt, suspect de vivre aux crochets des Franais. Dans
les annes quatre-vingts, le Front national a jet sur les immigrs la responsabilit de
tous les maux sociaux et a multipli le discours xnophobe.
"La carte de la dlinquance et de la criminalit en France concide bien,
quelques petites nuances prs, avec celle des rgions de forte immigration.
Quelles que soient les prcautions prises, les statistiques concernant la
population carcrale le confirment. Les trangers constituent plus du quart
des dtenus dans les prisons franaises"59
Ce faisant, le sentiment d'insatisfaction n'pargne mme pas les Franais qui ont du
mal supporter leur rapprochement spatial des immigrs qui travers leurs
regroupements ont su former un clan de force. Ils ont essay travers des intrts
communs de dvelopper
"un sentiment d'appartenance communautaire, du moins un entre-soi
chaleureux, fond sur une similarit des expriences et des rfrences
culturelles et sur un ancrage un quartier dont la stigmatisation perue
pourtant semble au final assez faiblement altrer l'identit personnelle"60
Parmi les banlieusards, ce sont les jeunes qui ont su, peut-on dire, s'adapter le mieux
leurs conditions de vie. Loin des Franais dmunis et des immigrs qui imputent leur
chec au racisme, les jeunes des cits sont les seuls qui affirment leur attachement la
banlieue.
"[. . .] premier territoire explor, appropri, le quartier dans un monde
inconnu, a jou le rle d'un vritable refuge [. . .], le quartier, la cit, la
tour, sortes de zones protges, de zones tampon sont les repres solides et
palpables d'une appartenance par ailleurs souvent floue [. . .]"61
Les jeunes revendiquent cet espace comme tant leur propre territoire et tentent de
s'en emparer, d'y tendre leur contrle, de le possder. Au lieu de la considrer
comme une prison, les jeunes tendent voir dans la cit un refuge, c'est leur terrain
conquis o ils sont protgs par leurs ans de toute violence extrieure. Ils
transforment leur espace social en une arne de lutte contre toutes difficults.
Ils cherchent galement partir de leur cit crer une culture interstitielle, une
culture de la rue caractrise par une certaine tenue vestimentaire, par le banditisme et
le trafic et ce par opposition la culture lgitime dominante.
"Ils sont les acteurs d'une culture interstitielle extrmement conflictuelle
mais fort productive de ce point de vue, ils se disent de nulle part parce

58
Ibid., p. 114.
59
FREMONT, Armand, Op.cit., p. 169.
60
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., pp. 124-125.
61
Ibid., p. 128.
qu'ils ne se sentent pas reconnus socialement mais crent leur propre
espace social et linguistique"62.
Pour les garons, chaussures dlaces, casquettes visires vers l'arrire, jeans
dchirs, sweat-shirts avec capuchon, lunettes de soleil noires ou verres
rflchissants et baskets de marque. Pour les filles, anneaux aux oreilles, vtements
moulants, chancrs, pantalon taille basse, bagues dans tous les doigts, cheveux
colors, grands pendentifs.
"Le style le plus outr, largement inspir de la mode hip-hop noire
amricaine, le plus connu aussi parce qu'il a t largement mdiatis et
rcupr, est trs marqu par son caractre voyant, avec les survtements
en tissus satins aux couleurs criardes et fluorescentes, son caractre
dmesur avec les pantalons et les tee-shirts ultralarges, ou bien mme son
caractre provocant avec les treillis militaires et les rangers"63
Les quartiers centraux de Paris comme le Forum des Halles ou la Gare du Nord sont
les lieux les plus frquents par les jeunes qui habitent les grands ensembles de la
banlieue. Les jeunes y trouvent les magasins de mode, les cinmas et les discothques
qui peuvent satisfaire leur volont de se dmarquer des classes populaires auxquelles
ils appartiennent.
"La casquette, aujourd'hui de marque Nike, et visse sur le crne,
s'accompagne de baskets de mme marque ou avec le logo Adidas aux
pieds et les lascars "jeunes des cits et quartiers franais contemporains"
se dsignent comme des casquettes-baskets par opposition aux costards-
cravates, ceux qui sont en dehors de la cit, ceux qui sont en place, dans la
place, ont un travail, sont arrivs socialement"64

Figure 5

Les cits franaises des annes quatre-vingt-dix sont, peut-on dire, calques sur le
modle des ghettos noirs amricains; les jeunes de la France semblent copier le style
vestimentaire mais aussi les salutations, la musique et la danse. Les salutations des
jeunes se font l'amricaine: c'est par claquement face face du plat de la main que
se droule le salut. La musique techno rassemble les jeunes dans les ftes et le rap est

62
BULOT, Thierry, Langues en villes: une signalisation sociale des territoires in
http://membres.lycos.fr/bulot/
63
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, Paris, Poches Odile Jacob, 2001, p.
352.
64
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De l'argot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 8.
"devenu, en France, pour des adolescents venus de milieux ou de quartiers
dfavoriss, un moyen d'expression et de contestation, en mme temps
que d'identification, le champ rap tant galement un discours social"65.
Le rap construit des types sociaux refltant les interactions quotidiennes, on y trouve
le citoyen, le rappeur et le pouvoir. Il joue un rle symbolique et reproduit les
problmes d'intgration des jeunes. Le rap se base essentiellement sur le rythme, mais
galement sur le texte qui traduit les revers du ghetto. Signe de sa valeur, plusieurs
groupes musicaux comme Public Ennemy, Suprme NTM et les marseillais de IAM
ont vu le jour et ont contribu promouvoir les spectacles de breakdance.
Ajoutons cela que
"60% d'entre eux ne se branchent sur la bande FM que pour couter
chansonnettes et musiques la mode. [. . .] Ils sont 65% se gaver
pendant le week-end de films et de sries amricaines"66
Composantes de la culture de la rue, les tags et les graffitis sont remarquables et font
partie intgrante de cette mouvance. Il s'agit d'une faon symbolique pour accaparer
les milieux publics. Les graffitis envahissent les murs des tours, les cages des
escaliers, les halls des immeubles, les portes des ascenseurs, les stations du mtro. Ils
sont flagrants et ne peuvent pas passer pour inaperus. "C'est un moyen efficace pour
exprimer la haine et la colre et pour atteindre autrui- qui plus est anonymement,
c'est--dire sans risque de reprsailles"67

Figure 6

Mais pourquoi la haine et la colre? En effet, la vie que mnent les jeunes de la cit ne
peut que les conduire la violence et la dlinquance. L'cole publique, qui tait
autrefois une voie pour l'ascension sociale, ne l'est plus. Elle a perdu sa capacit de
donner des repres aux jeunes. Les perspectives du chmage presque invitables et
d'orientation vers les filires techniques soulignent le dysfonctionnement du systme
scolaire. L'cole a livr les jeunes eux-mmes. Sans avenir, ayant des parents
dpasss, chmeurs, ne trouvant rien faire, tranant toute la journe, entretenant des
relations frivoles, se livrant des amusements vulgaires, leur seule proccupation est
le banditisme.

65
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 648.
66
SINGER, Christian, "L'Adokapi" in http://anatheme.com/crits/adolescents-ados-jeunes.htm
67
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 212.
"Le chmage concerne environ 10% de la population des 15-24 ans. Alors
mme qu'ils ne sont pas au chmage, les jeunes qui occupent un emploi
prouvent fortement le sentiment de la prcarit de ce dernier: en cas
crise, ils sont avec les immigrs et les femmes les premiers dont
l'entreprise se dessaisit"68
La violence est partie prenante du paysage urbain, elle est due la rclusion et se
transforme en une faon de vivre. Elle constitue le plus grand risque pour les
adolescents et les pradolescents
"pour lesquels ds l'ge de 12 ou 13 ans existe la tentation de quitter
l'cole pour la rue. [. . .] Aller dans la rue, par dsoeuvrement ou par
inclination, s'y faire agresser ou s'y faire entraner, tel est le danger qui
(les) guette"69
Tant qu'ils sont classs inactifs, les jeunes sont en proie la dlinquance. Et l
s'affermit de plus en plus l'assimilation faite entre le banlieusard, la violence et le
conflit avec la police. La brutalit est l aussi rpute l'immigr et sa progniture:
bien qu'il soit n en France, l'enfant des parents immigrs ne jouit que de la moiti du
statut de droit et se voit, d'emble, montr du doigt comme un criminel, il est toujours
sur la sellette. Cette drive sgrgative le pousse en contrepartie l'adhsion une
bande, adhsion ralise comme une contre-attaque au monde extrieur qui le
subvertit. Cette violence peut tre considre comme une rvolte communautariste
contre les Occidentaux en gnral et les Franais en particulier. La socit a trahi les
immigrs et ne leur a accord ni libert, ni galit, ni fraternit.
"Les jeunes se sentent humilis par les soupons systmatiques des
policiers, et se disent choqus par les fouilles (qui sont un dshonneur en
public) et les brutalits langagires, le plus souvent fortes connotations
racistes [. . .]"70
La rpression adopte par la police franaise ne rsout pas la violence, mais par contre
l'augmente. Pour remonter leur ego, pour confirmer la mauvaise rputation qui leur
est attribue, les jeunes multiplient leurs actes vindicatifs. Ils matrisent de moins en
moins leur agressivit. C'est une violence aveugle qui attaque n'importe qui et
n'importe quand. D'o la rcurrence des meutes, des affrontements entre jeunes et
adultes, de l'holp-up, des rackets sur certains endroits, des vols et des dgradations des
biens publics. Ces actes de banditisme sont une forme de rsistance, de confrontation
avec la socit centrale, de cration d'une certaine autonomie et d'insurrection.
Les jeunes voient que le banditisme est une rponse logique un monde qui leur est
hostile et qui ne cesse de les agresser. Ils y voient une forme de reprsailles contre un
univers qui leur est inaccessible. Leur comportement est un genre de "vandalisme
vengeur destin emmerder une socit qui les prend pour des cons"71. Dans les
cits, la "combine" est ncessaire si on ne veut pas se laisser craser. Le dialogue n'a
pas lieu, les rancoeurs s'aggravent et les griefs se multiplient, vu que les jeunes font
rgner la peur.

68
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 48.
69
LAKS, Bernard, Op.cit., p. 76.
70
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 84.
71
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 156.
Dmonstration du penchant juvnile pour la force, les sports du combat et les arts
martiaux sont trs rpandus dans les cits et ne cessent de recruter de plus en plus des
jeunes. En tte de ces sports, trne la boxe.
"L'engagement physique qu'elle suppose l'entranement et plus encore
sur le ring est tout fait conforme aux valeurs de force, de courage,
d'agressivit et de virilit, qui prdominent dans la mentalit de la culture
des rues"72
La boxe est non seulement une preuve de robustesse mais galement une source
pcuniaire. Les banlieusards prfrent surtout la boxe thae qui, mme si elle
"ne procure certainement pas encore des revenus suffisants pour en vivre,
du moins offre-t-(elle) des jeunes particulirement dmunis en capital
conomique, social et scolaire, pour qui le monde du travail est, il faut
bien le souligner, quasi totalement ferm, des possibilits de revenus
lgaux et immdiats presque uniques"73

Plus les jeunes pratiquent les arts martiaux, ou plus ils s'engagent dans des actes qui
dfient la loi, plus ils sont admirs et reconnus et plus ils ont du prestige. C'est la
transgression des normes sociales et les activits dlictueuses qui les valorisent.
D'autant plus que les exploits agonistiques sont relats par les filles qui se trouvent
prises par cette force masculine.

Dans les cits, les nerfs flambent et l'usage de la violence est de rgle en cas d'atteinte
physique, d'offenses verbales ou de ragots. Les affrontements se gnralisent
outrance propageant terreur et chaos. Un petit malentendu peut facilement prendre des
allures catastrophiques et devenir une escalade verbale qui se termine par une bagarre
collective o les armes blanches sont permises.
"L'usage dtourn des bombes lacrymognes comme armes offensives [. .
.] est devenu trs frquent dans ce genre de circonstances et beaucoup
d'adolescents en possdent une"74.
La majorit des jeunes dtiennent des armes pour influencer leur entourage. Les rixes
comprennent trois acteurs essentiels: les protagonistes, ceux qui alimentent la querelle
et ceux qui calment les bagarreurs. Tous entrent en lice dans la rixe et peuvent
changer de rles. Un sparateur maladroit peut vite devenir un protagoniste et vice
versa. En un mot, les jeunes sont donc des fauteurs de troubles.
"Lorsqu'une altercation clate entre deux pairs, les autres membres du
groupe interviennent d'abord en jugeant sur-le-champ de la gravit de
l'affront, de l'injure ou du dommage subi et en l'exprimant de manire
rituelle (Han!Han!) ou par des commentaires explicites (a m'aurait pas
plu, Hein!, c'est grave! C'est mortel). Ils jugent par la mme occasion de
l'opportunit de la bagarre et enjoignent au besoin les adversaires en
dcoudre, en engrainant et en mettant la pression, soit verbalement [. . .]
soit mme physiquement"75.

72
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 331.
73
Loc.cit.
74
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 252.
75
Ibid., p. 256.
Les relations interpersonnelles entre les adolescents sont marques par la force
physique, symbole de l'exercice du pouvoir sur les ennemis ou sur les petits. "Les
adolescents intgrs au groupe sont assurs en cas de menace ou de besoin, de
trouver un soutien rapide et efficace auprs de leurs pairs"76

La faiblesse des coles en tant qu'institutions de surveillance et de punition devient un


facteur stimulant la frquence des bagarres. Pour mieux saisir la dimension du
phnomne, il est indispensable de souligner que les chefs des tablissements
scolaires doivent intervenir une trentaine de fois par an pour rgler les conflits entre
les lycens, et ce sans compter les innombrables empoignades et querelles
quotidiennes.

Si certains jeunes s'engagent dans la violence qu'ils considrent comme un moyen de


lutte contre la socit, d'autres choisissent une autre fuite: celle de la toxicomanie. Et
si nous pouvons qualifier les premiers d'actifs, mme si cette activit est mise en
doute puisque ngative, les seconds sont trop passifs.
Ils se divisent en deux groupes: ceux qui consomment la drogue et ceux qui en sont
des trafiquants.
"Selon les statistiques de l'Institut national de la sant et de la recherche
mdicale INSERM, en 1983, 7.3% des garons et 3.1% des filles du
groupe de 15-20 ans consommaient de l'alcool en quantit importante [. .
.]. 11.2% des garons et 3% des filles du mme groupe consomment du
tabac en quantit importante [. . .]. Enfin les toxiques comprenant le
recours la drogue, 8% des garons et 6% des filles du groupe considr
en ayant fait usage en 1983."77
Toutes les soires des jeunes sont arroses et sont l'occasion de la consommation du
haschisch ou de hrone. Mais pour avoir l'argent ncessaire, certains se sont livrs
la vente de la drogue. Ils ont choisi de se procurer de l'argent d'une faon frauduleuse.
Cette activit reflte la face clandestine de la vie des jeunes banlieusards.
L'argent de la drogue est dpens dans les sorties et les achats, il autorise les extra et
parat tre justifi par la raret des opportunits lgales de gagne-pain.
Le trafic n'est pour eux qu'un moyen pour "se dpanner". Il est impensable pour ces
jeunes de rester inactifs face au manque pcuniaire.
"Les facilits du deal appartiennent une priode trouble de latence,
pendant laquelle il n'est gure possible de se projeter dans l'avenir, elles
colmatent la dsillusion du chmage sans que les plaisirs de la
consommation ne parviennent faire oublier l'envie d'entrer dans la vie et
de se calmer. Cette parenthse entre la sortie de l'cole et le premier
emploi, qui parat de plus en plus longue, est d'ailleurs vcue
douloureusement"78
La majorit des jeunes taient une certaine phase de leur vie "dealer", phase
ncessaire mme s'ils sont conscients qu'elle constitue un signe de dchance et de
dlinquance. C'est leur petit business: acheter du "shit" et le revendre, rien n'est plus
simple.
Ce faisant, la drogue dure reprsente

76
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages., p. 294.
77
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 650.
78
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 181.
"un ple d'attirance-rpulsion parce que la drogue constitue une
confrontation au danger et des domaines inconnus, une rupture avec la
vie quotidienne. Mme si elle est officiellement interdite, elle est
considre par certains jeunes comme une exprience initiatique"79

L'univers des cits a donc ses revers, il a un poids lourd qui pse sur les
banlieusards; les trafics courants, les vols la tire qui peuvent choquer ceux qui
vivent l'extrieur sont des incidents banals l'intrieur. Les jeunes sont dpossds
de leur jeunesse, ils sont troubls par un prsent ennuyeux et un avenir incertain. Les
conditions d'accs un emploi puis un logement tant difficiles, les jeunes se
laissent abattre ou au contraire rsistent.

En somme, c'est la culture de la rue qui prvaut chez les jeunes de la cit et qui
est marque par la pratique de la violence et par des activits qui peuvent tre
qualifies de dlictueuses. Cette culture fait dornavant partie de la culture franaise
contemporaine et en constitue une composante marquante et mme un ple de
diffusion. Mais cette culture interstitielle n'a-t-elle pas d'autre composante, notamment
langagire? C'est ce que nous allons savoir dans le chapitre suivant.

79
BORDET, Jolle, Les jeunes de la cit, collection le Sociologue, Paris, PUF, 1999, p. 52.
Deuxime Chapitre
Approche sociolinguistique
"La socit et la culture ne sont
pas prsentes avec la langue et
ct de la langue, mais prsentes
dans la langue"80

Outre le style vestimentaire, les tags, le chmage, la dlinquance juvnile, la


culture de la rue a une composante qu'il ne faut pas perdre de vue, savoir la langue.
En effet, tous ces facteurs ne sont pas sans incidence sur les formes linguistiques.
Les jeunes de la cit, dans le cadre de leur rvolte contre la socit centrale, rejettent
un enseignement "charg de symbolisme social, celui du franais et de la
littrature"81. Ils s'insurgent contre la langue standard et tendent crer un parler qui
leur est propre. Ils refusent les normes sociales et langagires dominantes.
Ce faisant, ils ont donn naissance un nouveau langage qui est motiv par l'esprit
d'appartenance un groupe social mpris et stigmatis. C'est dans la cit que se
forme un nouveau langage, signe d'une socit sanctionne. Du fait que la cit est un
univers conflictuel, une fracture linguistique au mme titre qu'une fracture sociale
apparat. La pratique linguistique des banlieusards est dans une large mesure carte
de la langue officielle, et ce cause des facteurs extralinguistiques qui ont contribu
former un march linguistique part. Les locuteurs ne possdant pas la langue
standard sont exclus en fait des univers sociaux o elle est sollicite.
"Les jeunes ne peuvent que se sentir dphass par rapport l'univers de
la langue circulante, cette forme vhiculaire du franais qui voque pour
eux la langue acadmique, celle de l'autorit, du pouvoir dont ils se
sentent exclus. Ce sentiment est d'autant plus fort, qu'ils se trouvent dans
bien des cas en situation d'chec scolaire. Il ne leur reste plus alors qu'
faire usage de la langue franaise en tordant les mots dans tous les sens,
en les coupant, en les renversant [. . .]"82

Pour les banlieusards, adopter la langue dominante c'est nier leur identit sociale de
domins. Par contre, opter pour un franais marginal, c'est afficher leur position dans
la hirarchie sociale.
"[. . .] La pratique linguistique communique invitablement outre
l'information dclare une information sur la manire (diffrentielle) de
communiquer, c'est--dire sur le style expressif, qui peru et apprci par
rfrence l'univers des styles thoriquement ou pratiquement
concurrents, reoit une valeur sociale et une efficacit symbolique"83.
Ils puisent leur langage dans un march linguistique sanctionn puisque diffrent du
march de la culture lgitime. Leur change linguistique est, par la suite, non
seulement destin tre dchiffr et compris mais il est aussi porteur de leur stigmate
social. Il est une forme de lutte

80
BAYLON, Christian, Sociolinguistique: socit, langue et discours, Paris, Nathan, 1991, pp. 31-32.
81
LESIGNE, Hubert, Les banlieues, les profs et les mots, France, Gallimard jeunesse, collection Page
Blanche, 1999, p. 257.
82
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "Les mots de la fracture linguistique" in Revue des deux mondes,
numro hors srie, mars 1996, pp. 116-117.
83
BOURDIEU, Pierre, Op.cit., p. 60.
"pour le monopole du pouvoir de faire voir et de faire croire, de faire
connatre et de faire reconnatre, d'imposer la dfinition lgitime des
divisions du monde social et par l, de faire et de dfaire les groupes"84
Tant que la socit leur barre la route, les banlieusards malaxent sa langue. Plus ils
sont ancrs dans les cits, plus ils ont recours une langue parle qui les distingue.
Puisque "parler, a classe son homme"85, les habitants des cits feront de leur langue
une rfrence au milieu socio-conomique dont ils sont issus. "Bien souvent ces
personnes subissent au quotidien une galre (ou violence) sociale, que reflte leur
expression verbale, au mme titre que leur violence ractive"86.

La cit se trouve ainsi transforme en un ghetto linguistique, les banlieusards


notamment les adolescents faonnent la langue leur gr pour la rendre une arme de
rsistance toute tutelle extrieure. Ils s'approprient la langue pour en extraire une
autre la fois diffrente de la forme vhiculaire et des parlers vernaculaires
ancestraux. Du fait que les cits sont les rsidences des communauts immigres, une
interlangue refltant la mosaque linguistique a vu le jour.
"Cette interlangue, structure htrogne aux facettes multiples [. . .]
devient l'outil de communication de populations qui considrent tort ou
raison tre au ban du lieu, de la socit et de ses relais habituels, de la
langue circulante"87
Et si l'on parle de mosaque linguistique, c'est parce que l'on doit prendre en
considration que Franais de souche, Franais d'origine trangre, immigrs arabes
et africains, trangers naturaliss et rapatris cohabitent ensemble. Ils communiquent
travers un parler vhiculaire interethnique entre le franais et leur langue d'origine.88
Nous devons insister sur l'adjectif vhiculaire, tant donn qu'il traduit la circulation
et la diffusion de ce parler entre les banlieusards. Ceux-ci introduisent des marques
identitaires pour souligner leur diffrenciation. En effet, plus le foss gographique,
conomique et social entre les communauts banlieusardes et le reste de la population
grandit, plus la discrimination linguistique est vidente.
"[. . .] La langue utilise dans les banlieues pourrait videmment
contribuer un mouvement de non intgration, puisqu'elle se situe d'ores
et dj en porte faux par rapport la langue circulante"89
La migration a en consquence sa contrepartie linguistique puisque les immigrants,
qu'ils soient de l'intrieur (de la campagne) ou de l'extrieur (les trangers), viennent
en ville avec leurs langues et composent ainsi un milieu urbain fortement
plurilingue90. Le parler urbain est, par la suite, jalonn par la vhicularit et les formes
grgaires, ou en d'autres termes, par un mixage du franais et d'autres langues.
"Si la ville unifie linguistiquement pour des raisons d'efficacit
vhiculaire, elle ne peut rduire ce besoin identitaire. Les parlers urbains

84
Ibid., p. 137.
85
NOEL, Dany, "Parler comme du monde ou parler comme tout le monde: rapport la langue et
appartenance de classe" in Langage et socit, n: 12, juin 1980, Paris, Maison des sciences de l'homme,
p. 7.
86
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De l'argot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 9.
87
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "Les mots de la fracture linguistique", p. 115.
88
Ibid., p. 116.
89
ID., Comment tu tchatches? Dictionnaire du franais contemporain des cits, p. 9.
90
Cf. CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, p. 56.
sont sans cesse travaills par ces deux tendances la vhicularit et
l'identit, parce que la ville est la fois un creuset, un lieu d'intgration et
une centrifuge qui acclre la sparation entre diffrents groupes"91.
Ce parler urbain s'est vu attribuer plusieurs dnominations. Certains linguistes parlent
d'"argot des cits" ou "argot de banlieue". Un argot qui constitue
"la manifestation contemporaine la plus importante d'une varit de
franais qui au cours des dernires dcennies tout comme les diverses
populations qui l'ont parle, a perdu tout d'abord son caractre rural, par
la suite de toute indexation ouvrire, voire proltaire, pour devenir le
mode d'expression de groupes sociaux insrs dans un processus
d'urbanisation"92
Mais pour d'autres,
"le franais parl dans les cits dborde largement du domaine de l'argot
et s'apparente davantage une varit de franais, prsentant un certain
nombre de variables linguistiques grce auxquelles un groupe social (les
jeunes des cits) se distingue du groupe dominant"93
Nanmoins, Estelle LIOGIER estime que le langage des cits n'a pas encore atteint un
degr de stabilisation qui le rend une varit: il s'agit tout simplement de stratgies
discursives.94
De mme, certains minimisent sa porte sociologique en l'assimilant un langage de
jeunes, tant donn que ce sont ces derniers qui l'ont conu et produit. Pour Louis-
Jean CALVET, titre d'exemple, ce parler urbain ne peut tre considr comme une
langue indpendante, une langue part entire mais il est tout simplement une forme
de langue. Il est le point de convergence du milieu ambiant urbain, de la fonction
vhiculaire et identitaire de la langue.95

Quoi qu'il en soit, ce qui est sr c'est que le franais des cits du fait de sa dynamique
est sorti des cits et a connu une extension remarquable. Il est essentiellement le
langage des jeunes chez qui la crativit langagire et la volont d'innovation sont de
grande envergure.
"Chez les jeunes [. . .], il y a cette mme volont de construire un langage
qui leur est propre, de se forger une langue identitaire, le we-code par des
transformations diverses par opposition un they code, plus exactement
en se rappropriant les langues des origines"96
Ce sont donc les jeunes qui ont donn le coup d'envoi ce parler et qui ne cessent de
le propager au-del de leur cit, ce qui ne manque pas d'influencer toute la
communaut linguistique.
"La ville est la quintessence du plurilinguisme, elle draine les diffrentes
situations linguistiques du pays. Point de convergence des migrations et

91
CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, p. 13.
92
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, Comment tu tchatches? Dictionnaire du franais contemporain des
cits, p. 9.
93
LIOGIER, Estelle, Op.cit., p. 45.
94
Cf. Ibid., p. 51.
95
Cf. CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, pp. 73-74.
96
MELLIANI, Fabienne, La langue du quartier, appropriation de l'espace et identits urbaines chez
les jeunes issus de l'immigration maghrbine en banlieue rouennaise, Paris, L'Harmattan, 2000, p.86.
donc des diffrentes langues du pays, elle est un lieu d'observation
privilgi pour le linguiste, o l'on voit merger des langues d'intgration.
Les solutions linguistiques que la ville apporte la communication
sociale ont toutes les chances de s'imposer l'ensemble du pays: telle une
pompe, la ville aspire du plurilinguisme et recrache du monolinguisme et
elle joue ainsi un rle fondamental dans l'avenir linguistique de la rgion
ou de l'Etat"97
Ce sont les jeunes de la cit qui dictent les nouvelles tendances de la langue franaise,
"les quadras et autres quinquas n'arrtent pas de leur piquer leur sabir. Comme s'ils
avaient besoin de Viagra lexical pour doper leur Larousse"98.

Ds qu'elles sont cres, les nouvelles locutions sont vulgarises par les publicits et
les mdias. "C'est mme devenu un mtier: capteur de mots et de signes peine sortis
de l'oeuf"99
Nanmoins, tout ce qui est invent ne sera pas forcment intgr la langue, la
transgression est tantt stigmatise et rejete, tantt accepte.
Bref, le franais des cits est une des formes de la rsistance des banlieusards
contre le systme en place. Il est li essentiellement la communaut des jeunes qui
sont attachs la banlieue et qui essayent partir de leur territoire d'imposer leur
parler. Ce dernier constitue une des composantes de la culture des cits, une culture
base sur l'opposition entre le centre et la priphrie. La banlieue est au confluent de
certains particularismes que reflte son langage: le fort taux d'immigration notamment
d'origine maghrbine, la crise conomique et le rtrcissement du march du travail
dont les rpercussions touchent tous les habitants et spcialement les jeunes et
finalement la violence dans les grands ensembles priphriques.

"Ainsi, en France dans les annes quatre-vingt-dix, les bandes de jeunes,


essentiellement de Blacks et de Beurs, dveloppent-elles leur culture
interstitielle dans quatre directions:
-une direction musicale, comme le rap des groupes de banlieue Paris,
Lyon ou Marseille,
-une direction graphique, dans la production de tags et de graffes,
-une direction vestimentaire, dans l'ostentation d'une tenue (casquette de
base-ball, survtement, chaussures de basket..) imite de celle des jeunes
Noirs amricains,
-une direction linguistique enfin, dans le phras et la prononciation trs
particuliers des Beurs ou dans l'utilisation de formes argotiques comme le
verlan"100

L'tude du FCC relve du domaine de la sociolinguistique urbaine. Celle-ci s'intresse


au parler des jeunes urbains appartenant des groupes pluriethniques. Le

97
CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, p. 130.
98
MALAURIE, Guillaume, "Tchatchez-vous cfran? Parlez vous franais", in Le Nouvel Observateur
Hebdo, n: 1771, 15/10/98, in
http://archives.nouvelobs.com/recherche/article.cfm?id=82916&mot=&mm=01&mm
99
Loc.cit.
100
CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, p. 29.
sociolinguiste s'attache analyser ces parlers qui relvent essentiellement de l'oral et
qui ne cessent d'voluer. Il tudie les marqueurs linguistiques, les indicateurs
sociolectaux inhrents au statut social, au lieu d'origine et au mode de vie du groupe
urbain. Les cits et les banlieues sont devenues avec l'urbanisation croissante un lieu
"o s'expriment des conflits, o des problmes de communication trouvent
des solutions vhiculaires in vivo, et de nombreuses tudes vont alors l(e)
prendre comme un indicateur des mouvements en cours"101
La sociolinguistique urbaine, discipline en pleine construction, s'intresse tudier les
repres sociaux et linguistiques dvelopps par une communaut urbaine. Pour elle,
tout parler urbain est soumis une double influence, l'une d'en haut: le parler de la
ville, et l'autre d'en bas: les parlers ruraux qui sont plutt connots ngativement.
La sociolinguistique urbaine accorde un intrt particulier l'altrit due la
convergence des vecteurs urbanisation o la culture urbaine laisse son empreinte sur
les matrices discursives, socialisation o les tensions sociales sont mises en mots et
habitus qui inscrit les pratiques langagires dans un rapport de dominance.

"Une sociolinguistique urbaine est avant tout celle de l'urbanisation


sociolinguistique. [. . .] Il s'agit de poser que l'valuation et
l'identification des formes dites et/ou perues comme spcifiques un
espace urbain donn concourent le produire, l'organiser tout autant
que les structures socio-spatiales"102
Cette discipline, qui s'intresse au rapport entre la langue et ses discours
pilinguistiques d'une part et l'espace social de l'autre, a trois objets d'tude. Le
premier est "la mise en mots de la covariance entre la structure spatiale signifiante et
la stratification sociolinguistique"103, en ce sens qu'elle examine les discours
soulignant l'appropriation de l'espace urbain par un groupe social. Le deuxime est le
contexte social des discours, c'est--dire les traits caractrisant le groupe social urbain.
Et le troisime est
"l'efficacit sociale des discours sur l'espace urbanis et spcifiquement le
double processus selon lequel l'espace concourt modeler les
comportements linguistiques et langagiers [. . .] des sujets d'une part, et
d'autre part comment ce discours contribue faonner l'espace social et
la mobilit spatio-linguistique"104
Partant, les travaux de la sociolinguistique urbaine sont fonds sur la construction
identitaire aussi bien que sur les pratiques langagires. Les espaces urbaniss
soulignent comment les pratiques langagires contribuent crer un espace identitaire
complexe. Le fait d'tre d'une cit, titre d'exemple, signifie souffrir des conflits,
endurer et subir l'exclusion des minorits sociales.
Dans la perspective de la sociolinguistique urbaine, l'espace est conu comme une aire
la fois matrielle et symbolique o les groupes sociaux affichent des attitudes plus
ou moins homognes. Il est

101
ID., "La sociolinguistique et la ville, hasard ou ncessit?" in Marges linguistiques, n:3, mai 2002,
p. 48
102
BULOT, Thierry, "La double articulation de la spatialit urbaine: espaces urbaniss et lieux de
villes", in http://marg.lng.free.fr/documents/04_ml052002_bulot_t/04_ml052002_bulot_t.pdf
103
Loc.cit.
104
Loc.cit.
"la combinaison de plusieurs (c'est--dire au moins deux) lments -des
lieux- qui sont des repres galement matriels ou symboliques
concourant la smiotisation sociale de l'aire gographique citadine"105.
Ce sont les lieux qui donnent des repres sur les tensions intrinsques du groupe
social, et qui fournissent des renseignements sur l'identit de l'espace citadin. L'espace
est considr comme
"une matrice discursive fondant des rgularits plus ou moins
consciemment licites, vcues ou perues par ses divers acteurs;
rgularits sans doute autant macro-structurelles (entre autres
l'organisation sociale de l'espace) que plus spcifiquement linguistiques et
langagires"106.
L'espace est la fois social, linguistique et discursif. Il "rend compte des rapports
complexes entre socialisation, lien social versus langue et pratiques langagires"107 et
il est de ce fait marqu par les langues qui y sont prsentes.

Cette branche de la sociolinguistique est en et de crise.


"En crise parce qu'elle nat de la sociolinguistique et traverse donc son
premier questionnement identitaire en s'interrogeant sur ce qui la cre et
la constitue, ce qui la relie sa science fondatrice et ce qui l'en
diffrencie. De crise parce qu'elle reflte, comme la sociolinguistique en
gnral, une socit qui l'est tout autant et parce que les valeurs qui la
sous-tendent (et guident ceux qui la font progresser) amnent dpasser
l'observation du changement social et s'interroger quant un
engagement politique"108.
La sociolinguistique urbaine n'est, en effet, qu'une branche rcente de la
sociolinguistique qui a vu le jour Los Angeles lors d'une runion tenue du 11 au 13
mai 1964, runion qui a tent d'tablir les bases scientifiques de cette discipline et d'en
dfinir le champ. Pour les pionniers de la sociolinguistique, celle-ci doit s'intresser
aux tudes synchroniques et diachroniques, aux usages linguistiques ainsi qu'aux
variations. La runion a, de mme, soulign les domaines d'application de cette
discipline considre comme un diagnostic des structures sociales, comme tude du
facteur sociohistorique et comme aide la planification.

Mais si la sociolinguistique s'est affirme dans la seconde moiti du XXme sicle, rien
n'empche que ses origines remontent une priode antrieure. Plusieurs linguistes
ont contribu par leurs travaux frayer le chemin cette discipline. Ainsi nous parat-
il ncessaire de jeter la lumire sur l'pistmologie de cette discipline.
En 1892, l'universit de Chicago tait la premire universit amricaine avoir, ds sa
fondation, un dpartement d'anthropologie et de sociologie. Ce qui a fait que tous les
linguistes embauchs dans ce dpartement ont pris la ville de Chicago comme
laboratoire et se sont intresss l'tude des migrations et des problmes d'intgration.

105
CALVET, Louis-Jean, "La sociolinguistique et la ville, hasard ou ncessit?", p. 48.
106
BULOT, Thierry, "L'essence sociolinguistique des territoires urbains: un amnagement linguistique
de la ville" in Cahiers de sociolinguistique, n: 6, Rennes, Presse universitaires de Rennes, 2001, p. 6.
107
ID., "La double articulation de la spatialit urbaine: espaces urbaniss et lieux de villes", in
http://marg.lng.free.fr/documents/04_ml052002_bulot_t/04_ml052002_bulot_t.pdf
108
ID., "La sociolinguistique urbaine: une sociolinguistique de crise? Premires considrations" in
Marges linguistiques, n: 3, mai 2002, p. 1.
Pour l'Ecole de Chicago, la ville est une entit qui a une vie qui lui est propre et dans
laquelle, l'individu joue le rle d'un tmoin de la ralit sociale. L'individu et la ville
sont la fois centres et sources du changement social.
La sociolinguistique est, par la suite, ne de la volont de s'opposer la grammaire
gnrative qui concevait les faits de langue indpendamment des phnomnes
sociaux.

De son ct, le linguiste franais Antoine MEILLET (1886-1936) dans Linguistique


historique et linguistique gnrale109 a mis l'accent sur le rapport entre une langue et
une socit. Il a considr le langage comme un fait social et a assign la
linguistique gnrale le rle de prciser la structure linguistique qui est relative une
structure sociale particulire. Pour ce linguiste, il faut prendre en considration la
double dtermination que la langue est un fait social et un systme o tout se tient. Il
divergeait avec Saussure sur le fait que la langue devait tre tudie et envisage pour
elle-mme et en elle-mme. Il a reproch au linguiste suisse de rduire la langue une
abstraction en la sparant de la ralit sociale qui lui est extrieure.
Pour Meillet qui devait beaucoup au sociologue Emile Durkheim, l'tude de la langue
implique une approche interne et externe de ses faits aussi bien qu'une approche
diachronique et synchronique.

La communication sociale a ensuite reu une impulsion grce aux travaux des deux
linguistes amricains John GUMPERZ et Dell HYMES110. Pour le premier, la
communication est un processus social complexe, qui englobe bien d'autres
composantes qu'un metteur et un rcepteur. Il s'est intrss en particulier la
conversation et aux interactions. Pour lui, chaque individu ou groupe dispose d'un
rpertoire verbal compos de varits linguistiques, rgionales ou sociales. Dans les
situations d'interaction verbale, les interlocuteurs choisissent des stratgies
communicationnelles selon leurs prsupposs respectifs et leur connaissance ingale
de certains indices dans la conversation. Ce sont les indices contextuels qui
contribuent indiquer la manire dont les noncs doivent tre interprts et compris.

Gumperz tablit ainsi une distinction entre les interactions personnelles et les rseaux
ferms d'une part et les interactions transactionnelles et les rseaux ouverts de l'autre.
Le premier type regroupe des individus qui se connaissent et qui entretiennent des
relations troites, alors que le second se caractrise par la co-prsence des gens lis
par des relations professionnelles ou des gens n'ayant pas en commun un systme de
valeurs et de connaissances. Il souligne dans ses travaux que c'est en fonction des
ractions du rcepteur que le locuteur dcide d'adopter une certaine forme langagire
pour tre compris et pour faire passer son message.
En tant qu'ethnographe de la communication, ce linguiste s'est attach mettre en
relief la diversit culturelle: les mmes lments de communication ne sont pas
interprts de la mme faon par des interlocuteurs ayant des prsupposs
socioculturels varis.

109
Cf. MEILLET, Antoine, Linguistique historique et linguistique gnrale, 2me volume, Paris,
Klincksieck, 1921-1936, pp. 16-18.
110
Cf. GUMPERZ, John et HYMES, Dell, The ethnography of communication, Washington, American
Anthropological Association, 1964.
Les travaux de Gumperz111 ont prouv que les variables sociolinguistiques ne sont pas
des units isoles et que l'emploi d'une variable est li l'apparition d'autres variables.
Utilises des fins communicatives, ces variables sont considres comme des signes
qui permettent l'interprtation et le dchiffrement de l'nonc.

Paralllement aux travaux de Gumperz, Hymes112 a dvelopp le concept de


"comptence de communication", selon lequel, il faut savoir un ensemble de
connaissances grammaticales et surtout sociales pour pouvoir produire et interprter
avec succs le sens d'une communication. La connaissance de la langue est
insuffisante si on ne sait pas comment s'en servir selon le contexte social. Il a accord
une importance la situation ou au contexte social et a estim que tout jeu de langage
tait en relation avec les circonstances extrieures. Il a soulign que dans le cadre
d'une ethnographie de la parole, l'tude de la parole, processus cognitif, devait se faire
en se basant sur la linguistique aussi bien que sur la psychologie.
"L'ethnographie de la communication a montr la diversit des
performances verbales et des fonctions sociales de la parole ainsi que les
normes sociales et culturelles qui les rgissent. Elle s'est attache
dcrire le rpertoire linguistique des membres d'une communaut ainsi
que les caractristiques des situations de communication o ce dernier
peut se dployer"113.
Hymes a propos un modle intitul SPEAKING pour tudier la communication
comme il la concevait. Ce modle se composait d'un cadre spatio-temporel ou
psychologique, de participants, d'une finalit (le but ou le rsultat de l'activit de
communication), d'actes (soit le thme du message, soit sa forme le plus souvent
expressive), d'une tonalit (proche de la composante prcdente mais s'intresse aux
plans linguistiques et paralinguistiques de l'activit langagire), d'instruments (canaux
de communication), de normes (d'interaction et d'interprtation) et finalement du
genre (ou type d'activit du langage qu'il s'agit d'un conte, d'un chant ou d'une
lettre).114
Au moment o Gumperz et Hymes taient considrs comme des figures de proue de
la communication sociale ou de l'ethnographie de la communication, Basil
BERNSTEIN115 menait en Grande-Bretagne des tudes sur le rapport entre la
structure sociale et l'usage du langage (les formes langagires). Bernstein avait pour
ambition de synthtiser des courants thoriques diffrents, mais qui s'intressaient
tous la nature sociale de la langue, ainsi qu' la nature linguistique de la ralit
sociale. L'hritage thorique de ce linguiste s'tablit sur trois plans. Le premier est
macro-sociologique: l'influence de Durkheim et de Marx sur Bernstein tait
indniable. Il a surtout lou chez Durkheim son effort visant tablir une relation
entre les ordres symboliques, les relations sociales et la structuration de l'exprience.
Chez Marx, il a retenu "l'analyse du dveloppement et du changement des structures

111
Cf. GUMPERZ, John, Engager la conversation, introduction la sociolinguistique interactionnelle,
traduit par Michel DARTAVELLE, Martine GILBERT, Isaac JOSEPH, Paris, Minuit, 1989.
112
Cf. HYMES, Dell, Vers la comptence de communication, Paris, CREDIF-HATIER, 1984.
113
DUCROT, Oswald, SCHAEFFER, Jean-Marie, Nouveau dictionnaire encyclopdique des sciences
du langage, Paris, Seuil, 1995, p. 123.
114
Cf. BACHMANN, Christian, LINDENFELD, Jacqueline, SIMONIN, Jacky, Langage et
communications sociales, Paris, Hatier-Crdif, 1981, pp. 73-76.
115
Cf. BERNSTEIN, Basil, Langage et classes sociales, codes sociolinguistiques et contrle social,
traduit par J-C. CHAMBORDERON, Paris, Minuit, 1973.
symboliques, ainsi que leur subordination aux relations de pouvoir fondes sur le
systme productif et inscrites dans la structure de classe"116.
Sur le plan micro-sociologique, Bernstein a assimil la thorie de la construction
sociale du moi de G.H. Mead, qui lui a permis de souligner le rapport entre le rle
(ple social), l'esprit (ple subjectif), et la parole (ple linguistique ou symbolique).
Sur le plan sociolinguistique, Bernstein a beaucoup apprci les ides des
anthropologues culturalistes notamment Sapir et Whorf qui tait l'origine du
principe de relativit linguistique. Ce faisant, il a tent de transposer l'hypothse des
diffrences entre cultures aux diffrences entre strates sociales.
Ce linguiste a critiqu la psychanalyse qui a nglig le rle du langage comme un
oprateur actif de modelage social.
Bernstein a estim que les comptences linguistiques taient relatives aux expriences
psychologiques et sociales des interlocuteurs. Ceux-ci ont des codes diffrents compte
tenu de leur classe sociale et des expriences qu'ils ont acquises au cours de leur vie.
Au cours de son travail, il a cherch dnaturaliser les diffrences de russite
l'cole en prouvant qu'elles relevaient plus de l'inadquation entre la langue enseigne
l'cole et celle que l'enfant apprenait chez lui, que de la possession d'une excellence
naturelle.
Pour ce linguiste anglais, nous pouvons distinguer deux codes: le code restreint, celui
des classes dfavorises, et le code labor des classes suprieures. Les deux codes
divergeaient au niveau linguistique, au niveau psychologique aussi bien qu'au niveau
comportemental. Parmi les caractristiques de la langue des classes dfavorises
figuraient les suivantes:

"1- Phrases courtes, grammaticalement simples souvent non termines,


syntaxe pauvre.
2- Usage simple et rptitif des conjonctions ou des locutions conjonctives [. .
.].
3- Usage rare des propositions subordonnes [. . .].
4- Incapacit s'en tenir un sujet dfini pendant un nonc, ce qui facilite la
dsorganisation du contenu de l'information.
5- Usage rigide et limit des adjectifs et des adverbes."117

Par contre, le code labor se caractrise par la frquence des phrases subordonnes,
le choix pertinent des adjectifs et la signification explicite des propositions.
Il a toujours insist sur le fait que les checs scolaires des enfants appartenant aux
classes populaires ne sont pas dus leur handicap, mais au fait qu'ils n'ont accs qu'
un seul code linguistique restreint. Pour lui, ces enfants taient capables d'avoir
recours des variantes labores, mais que les situations sociales dans lesquelles ce
recours tait possible taient rares. Pour remdier ce problme, il a suggr
d'apprendre ces enfants des modes de comportement langagiers autres que ceux qui
vhiculaient dans leur entourage familial. Il a ainsi encourag le dveloppement des
recherches en sociologie de l'ducation, afin d'adapter les professeurs une diversit
de modes d'expression.

116
Cf. http://www.melissa.ens-cachan.fr/article.php3?id_article=244
117
BERNSTEIN, Basil, Op.cit., p. 40.
Progressivement, l'opposition binaire entre les deux codes a t conteste et
les linguistes ont vu qu'il s'agit plutt d'un continuum.
"Ce qu'il est possible de retenir parmi les travaux (de Bernstein), dans la
perspective de l'tude des marques d'usage du vocabulaire, c'est que la
reprsentation et l'intriorisation de l'ordre social s'oprent
principalement par l'intermdiaire de formes de langage diversifies et
que celles-ci sont relies la diffrence des situations et modes
d'apprentissage, socialisation et inculcation morales, communication
psychologique, exprimentation cognitive"118
Tous ces chercheurs ont fray, sans nul doute, la voie la sociolinguistique et ont
contribu lui donner le statut de science. Toutefois, cette discipline doit beaucoup au
linguiste amricain William LABOV119, fondateur de l'cole variationniste.
"La sociolinguistique variationniste a dcrit toutes les formes de
variations constates qui ne sont pas d'ordre strictement individuel. Elle a
montr qu'il existe une variation sociale, qui s'exprime par la
stratification sociale d'une variable linguistique, et une variation
stylistique qui apparat lors des changements de registres de discours (du
formel au familier) par un mme locuteur"120
L'htrognit se lit sur les deux plans: "interindividuelle" et "intra-individelle".
Labov a, effectivement, prolong les travaux de Meillet tout en changeant de
mthodes: si Meillet a tudi les langues mortes, Labov, a quant lui, opt pour une
science de terrain.
Pour Labov, la langue est un systme caractris par la variabilit, et la premire
donne dans le fonctionnement de la langue est son htrognit. Labov a estim que
pour comprendre l'volution d'un changement dans la langue, il tait indispensable
d'tudier la vie sociale de la communaut o il s'est produit. Et ce tant donn que la
socit reprsente une pression immanente et active qui s'exerce constamment sur la
langue. Le langage est, par la suite, outil de communication, mais galement un
marqueur d'identit. C'est le milieu de socialisation plus que le milieu familial qui a
une influence sur les pratiques langagires. Dornavant, la sociolinguistique va
s'intresser l'tude des pratiques qui ne sont pas conformes la norme.

Labov a accord un intrt particulier aux changes verbaux et a soumis l'tude la


prononciation de certains phonmes l'le de Martha's Vineyard, la stratification
sociale New York et le parler des jeunes Noirs. Dans la premire tude, il s'est
attach dcrire la prononciation de deux diphtongues /ay/ et /aw/ et a essay de
trouver le lien entre la centralisation de ces deux phonmes et l'origine ethnique des
locuteurs ou leur attitude l'gard de l'le. A New York, il a opt pour l'tude du /r/ en
position postvocalique dans trois grands magasins et a tent d'expliquer cette
prononciation par la stratification sociale. A Harlem, il a tudi le parler des ghettos
urbains ou plutt le vernaculaire noir amricain. Il a soulign que l'chec scolaire des
Noirs est d au conflit qui opposait la culture des rues, laquelle ils taient attachs,
aux valeurs scolaires. Il a considr leur parler comme un dialecte, une varit de
l'anglais, et plus tard comme un crole.

118
LESIGNE, Hubert, Op.cit., p. 16.
119
Cf. les ouvrages de LABOV, William, Sociolinguistique, Paris, Minuit, 1976 et Le parler ordinaire,
la langue dans les ghettos noirs des Etats-Unis, traduit par Alain KIHM, Paris, Minuit, 1978.
120
DUCROT, Oswald, SCHAEFFER, Jean-Marie, Op.cit., p. 121.
Toutefois, cette hypothse est discutable puisque le crole qui tait considr comme
point de dpart est ambigu: le linguiste n'a jamais dat ce crole ni prcis ses
locuteurs.

Par ailleurs, il a mis en valeur la notion d'"inscurit linguistique" qui poussait les
membres de la petite bourgeoisie adopter des formes de prestige mme s'ils ne les
matrisaient pas parfaitement. Pour Labov, l'inscurit linguistique donne lieu
l'hypercorrection, phnomne qui dsigne une volont d'application excessive d'une
rgle imparfaitement matrise. Il a ainsi mis en exergue la ncessit d'tudier le
langage au sein des relations sociales.

Ce linguiste amricain a mis l'accent sur la dfinition de la communaut linguistique


qui reprsente
"un groupe de locuteurs qui partagent un ensemble d'attitudes sociales
envers la langue: non pas des individus qui parlent de la mme faon, qui
pratiquent les mmes variantes, mais des gens qui ont les mmes
sentiments ou les mmes attitudes linguistiques, qui jugent ces variantes
de la mme faon"121
Le mrite revient Labov dans l'tablissement d'un rapport entre le travail de terrain
et la langue. Il a t un nergique dfenseur de la ncessit d'une position thique dans
les enqutes d'observation. Bien plus, il a prn deux autres principes, celui de la
rectification, qui consistait tre prt s'opposer des propos de sens commun
errons mais couramment tenus et celui de la dette encourue, qui obligeait tout
chercheur aider la communaut qu'il a tudie si jamais elle avait besoin. Raison
pour laquelle, il a accept d'intervenir devant un tribunal, aux cts de parents d'lves
qui estimaient que la distance entre l'anglais standard et le vernaculaire noir amricain
constituait pour les enfants une "barrire linguistique" aboutissant une
discrimination. Il a essay de convaincre le tribunal que ce vernaculaire constituait
une varit linguistiquement distincte de l'anglais standard et qu'il incombe aux coles
de l'enseigner.

Outre Labov, J.A. FISHMAN122 a jou un rle ne pas ngliger dans la promotion de
la sociolinguistique. Pour lui, la microsociolinguistique concerne la situation et les
interlocuteurs, alors que la macrosociolinguistique englobe des lments plus
gnraux tels que la ralit sociale.
Il a group les situations en domaines ou contextes institutionnels qui dictaient les
relations linguistiques. Ces domaines sont au nombre de cinq: la famille, les amis, la
religion, l'cole et le travail. Dans chaque domaine, il existe trois facteurs majeurs: le
rle des interlocuteurs, l'espace ou le lieu et le temps de l'interaction. Fishman a repris
l'ide dj formule par Gumperz de "rseaux de relations". Il y a ceux qui sont
ferms o existe une seule varit et ceux qui sont ouverts et admettent la prsence de
plusieurs varits. Les types d'interaction sont soit d'ordre personnel soit d'ordre
transactionnel.

Ce parcours pistmologique nous a permis de distinguer les diffrences entre


les deux points de vue amricain et europen concernant la sociolinguistique,

121
http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/sy/sy_288_p0.html
122
Cf. FISHMAN. J, Sociolinguistique, Paris, Nathan/Labor, 1971.
"D'un ct, on raisonnait plutt en termes de catgories
socioprofessionnelles peu ou mal dfinies (middle class, upper working
class, lower working class, etc), de l'autre on raisonnait plus volontiers en
rfrence la sociologie d'origine marxiste, en mettant l'accent sur les
conflits de classes, sur leurs intrts divergents, avec une tendance au
binarisme (proltariat/ capitalistes, domins/dominants, etc). Il en
dcoulera du ct amricain une tendance vers les typologies froides,
coupes de toute analyse des rapports de force, face une
sociolinguistique europenne, en particulier celle que l'on qualifiera de
native, plus encline voir les faits sociaux concrets derrire les faits de
langue [. . .]"123
De par ce qui prcde, nous remarquons qu'abstraction faite de la voie choisie, tous
les linguistes s'unissent sur le fait que le domaine principal de la sociolinguistique est
la langue considre comme une activit socialement localise. Elle s'intresse aux
diffrences sociales qui se refltent dans les divers niveaux de langue: niveau soutenu
ou de prestige vs niveau familier stigmatis.
A cet gard, il convient de souligner que si la notion de registre renvoie la capacit
des locuteurs de changer leurs conduites langagires en fonction des situations de
communication et leur comptence d'oprer des choix entre les diffrentes strates
lexicales, celle de niveau parat plus adapte notre tude. Le niveau correspond la
ralit de variantes sociolectales ainsi qu'aux habitus langagiers dominants. Il renvoie

"une stratification des parlures en usage dans le corps social, qui peuvent
tre l'objet d'valuation de la part de chacun, et dont l'observation et
l'interprtation relvent d'une approche sociolinguistique"124.
Ce qui laisse entendre que niveau rfre aux indices lexicaux ayant rapport aux
paramtres socio-culturels et l'chelle linguistique gradue qui sous-tend une
attitude pjorative-mliorative, ce qui est en opposition avec le registre qui est neutre
cet gard.125

Dans notre tude, nous allons nous baser sur l'approche de la sociolinguistique
co-variationniste tablie par Bernard LAKS qui a cherch ignorer volontairement les
diffrences perceptibles entre les agents. La sociolinguistique co-variationniste
"quand ayant construit des groupes, des classes ou des couches sociales
(plus ou moins) homognes, entreprend d'en dcrire les pratiques
linguistiques, subsistant ainsi aux locuteurs effectifs de l'enqute un
locuteur moyen, sans histoire et sans corps, reprsentant idal d'un
groupe social construit comme homogne. Sans s'interroger sur leur
pertinence, le traitement co-variationniste dtruit les diffrences
linguistiques et sociales que toute enqute fait apparatre entre deux
locuteurs appartenant la mme classe"126

123
CALVET, Louis-Jean, "La sociolinguistique et la ville, hasard ou ncessaire?", pp. 46-47.
124
LESIGNE, Hubert, Op.cit., pp. 47-48.
125
Cf. MULLER, Bodo, Le franais d'aujourd'hui, Paris, Klincksieck, 1985, p. 17.
126
LAKS, Bernard, Op.cit., p. 79.
Deuxime partie
Les procds smantiques de formation
lexicale
Quels sont les termes les plus employs en FCC et comment sont-ils forms?
C'est afin de rpondre ces deux questions que nous allons tudier la cration lexicale
dans ce parler.
Toute formation lexicale s'appuie sur deux composantes principales: la
premire concerne la signification du terme et la seconde s'intresse sa forme. En
d'autres termes, l'une est smantique, alors que l'autre est formelle.
Les procds smantiques s'intressent tudier la signification des signes,
leur partie conceptuelle, leur contenu. Ce faisant, ils groupent toute une panoplie du
vieil argot, de langues des communauts immigres sans oublier les figures de style.
Premier Chapitre
L'argot
"Il y a dans lutilisation mme de
largot, un plaisir qui est dj un
premier rsultat, une manire de se
moquer du non-initi, et donc dj
une tromperie en soi, une premire
tape vers la tromperie, une premire
satisfaction. [. . .]. Faire partie de la
Maison, de la Famille ou dun Ordre,
est en soi dj une force, sinon un
pouvoir127

Largot est un terme que nous entendons frquemment de nos jours, mais qui
demeure, force de subir une volution de sens, opaque aux yeux de plusieurs. Pour
certains, cest tout code incomprhensible que le profane peine comprendre, pour
dautres, cest le langage particulier un groupe professionnel. Il entre galement en
confusion avec la langue populaire ou encore avec le jargon. Face cet tat de choses,
il nous parat ncessaire voire indispensable denlever toute ambigut, relative ce
terme, ne du foisonnement des dfinitions qui lui ont t confres au fil des annes.
L'origine du terme est assez obscure, mais provient probablement du verbe argoter,
c'est--dire mendier. Au dpart, vers le XVme sicle, largot tait la langue des
brigands qui visait exclure les intrus et par suite, il tait incomprhensible aux non-
initis. Fonction cryptique oblige.

"Cest une langue trs code avec des termes qui nont rien voir avec le
franais, souvent dorigine trangre, parfois mme dorigine grecque
jusquau XIXme sicle. Cest une langue qui nest pas comprise de celui
qui parle le franais central. Cest la langue des bagnes, des prisons avec
des termes extrmement prcis, par exemple arton pour le pain"128.

Lapparition de largot, lpoque, tait due aux confrries des truands qui ont t
cres dans les grandes villes, notamment Paris. Elles taient appeles Cours des
Miracles ,
"car, lorsque voleurs et truands (quon nomme sabouleux, drilles et autres
narquois) y regagnent leur logis aprs une bonne journe de vol ou de
rapine, ils oublient les diverses infirmits et affections qui leur ont permis
dapitoyer le passant ou de lattirer dans un coin sombre pour le soulager
de sa bourse. Entendez que, une fois rentr dans son cloaque, le faux
bossu se redresse, le faux aveugle voit [. . .] comme par miracle"129

127
BECKER-HO, Alice, Les princes du jargon, un facteur nglig aux origines de largot des classes
dangereuses, Paris, Gallimard, 1993, p. 138.
128
DUNETON, Claude, Op.cit., p. 195.
129
MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, Toulouse, Les Essentiels Milan, 1997, p. 6.
Peu aprs et prcisment au XVIIme sicle, les voleurs ont form une
corporation qui leur tait propre et qui avait son baragouin. Ctait le Royaume de
lArgot.130

Au XIXme sicle, Paris fit peau neuve et commena sorganiser grce


lclairage qui a chang le mode de vie des habitants. Ce qui a tmoign dun
brassage des diffrentes couches sociales, brassage dont la consquence linguistique
fut lenchevtrement de la langue des bourgeois et de celle du menu peuple.
"Dautant que les transformations voulues par le baron Haussmann (1809-
1891), qui devient prfet de la Seine en 1853, vont dtruire nombre de
vieux repaires et autres ddales hrits des anciennes cours des Miracles.[.
. .]. Le fait, donc, que le bourgeois pourrait tre amen ctoyer la pgre
(ou le simple rdeur) plus facilement quauparavant contribuera aussi, et
de manire non ngligeable cette mode argotique."131
A lpoque, parler argot, cest suivre lair du temps. Cest la mode canaille.
Ajoutons cela que via la prostitution, le parler des pripatticiennes est venu truffer
celui des clients, pour la plupart bourgeois. Ce qui a fait que "vers 1880, le terme
argot tend(ait) dsigner un peu tout ce qui nest pas officiel. Cest une confusion un
petit peu regrettable."132

Au XXme sicle, ce fut au tour de la Premire Guerre mondiale (1914-1918)


de niveler les strates sociales. Larme n'a fait que rapprocher tous les Franais,
renforcer leur solidarit sur tous les niveaux mme sur celui des pratiques langagires
et frayer le chemin un change entre largot et la langue populaire. Certains termes
argotiques ont commenc sortir de leur bunker, tre connus, se vulgariser pour
finir par tre parls par le peuple et non seulement par les gueux.
En effet, l'argot alimente la langue populaire en lexique; chroniquement, l'argot
prcde le franais populaire et en constitue le premier stade. Ce qui explique
lentrelacement entre l'argot et la langue populaire avec laquelle il est en perptuelle
osmose. Les deux sont des classifications de pratiques linguistiques divergentes de la
langue standard.

Ces facteurs sociaux ont t doubls par dautres facteurs littraires. Cest Franois
Villon que revient le mrite de rdiger ses ballades dans le parler de la Coquille, un
argot dune confrrie de malandrins 133. De loral, largot passe lcrit, la
littrature. Une avant-garde dauteurs a donn, vraiment, largot droit de cit. Souci
de ralisme oblige. N'oublions pas "La vie gnreuse des Mercelots, gueux et
Boesmiens" de Pchon de Ruby, dite en 1596 et qui constituait un glossaire de
l'argot des merciers. L'ouvrage tait suivi du "Jargon de l'argot rform" d'Olivier
Chreau en 1628 et de la "Response et complaicte au grand coesre" en 1630.
"Mais cest surtout partir de Vidocq que les crivains vont sintresser
la question. A commencer par Balzac lorsquil fera parler Vautrin dans
Splendeurs et misres des courtisanes. Hugo ne sera pas en resteDans

130
Cf. Ibid., p.8.
131
Ibid., p.11.
132
DUNETON, Claude, Op.cit., p. 196.
133
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De largot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 6.
les Misrables, le passage qui concerne largot est toujours vrai, toujours
actuel"134.

Il ne faut pas perdre de vue Molire dont les serviteurs et les laquais parlaient la
langue de la rue. Lintroduction de largot en littrature n'a fait quaugmenter les
chances de sa survie. Certains auteurs y ont recours pour faire parler des personnages
de la lie de la population, alors que dautres le mettent la bouche du narrateur ou du
hros.
Ainsi la littrature a-t-elle cess d'tre le champ dun style recherch, soutenu et
cultiv, un style qui scartait, la plupart du temps, de la langue courante mais qui
tait dict par la finalit esthtique de lart. La conception de la littrature a subi une
transformation. De cultive quelle tait, elle est devenue maille dexpressions
familires, de termes populaires, de rgionalisme, de vulgarisme et dargot. Il suffit de
jeter un coup doeil sur la production littraire dune oeuvre qui remonte aux XVIme
et XVIIme sicles et sur un roman crit au XIXme sicle pour tmoigner de la
divergence linguistique entre les deux littratures.
" Plus prs de nous, les auteurs de la Srie noire, comme Auguste le
Breton et surtout un vritable styliste comme Albert Simonin, ont donn
largot une part entire dans la chose crite. Reste Louis-Ferdinand
Cline, lcrivain franais le plus novateur du XXme sicle. A proprement
parler, il ncrit pas en argot, mais il construit son oeuvre dans le mme
mouvement que le crateur anonyme de la rue et des culs de basse fosse.
Cline prend les termes dargot que sa jeunesse parisienne lui a donns
tout chauds, il les malaxe, les transforme, les transpose au gr de sa petite
musique. Il invente, bien sr, il dforme, il se fout des rgles. Il travaille la
langue comme Rodin le marbre"135
Loeuvre de Raymond Queneau illustrait galement la mutation laquelle tait
expose la littrature franaise.
A cet gard, il nous incombe de faire la distinction entre la littrature en argot
caractrise par la profusion de ce niveau et son emploi par le narrateur aussi bien que
par tous les personnages, et largot dans la littrature o son usage est limit,
sporadique. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une dose rduite enchsse dans le bon
style et surtout marque par une distanciation de la part de lauteur.136

Ce faisant, la littrature a donn un coup de pouce largot, le rendant moins


hermtique aux yeux des Franais et des francophones en gnral, et par suite, plus
us. Cest ce que nous appelons la dmocratisation de largot.
Ceci dit, largot a subi un changement de fonction. A force de gagner du terrain, de se
rpandre comme une trane de poudre, il a perdu son caractre principal pertinent
son apparition : son sotrisme. Il est donc devenu plus mouvant. Des termes qui
taient considrs comme argotiques sont devenus populaires et les populaires furent

134
BOUBARD, Alphonse, prface de la premire dition du Dictionnaire de largot franais et de ses
origines et cite dans la deuxime dition, Op.cit., p. VII.
135
BOUBARD, Alphonse, prface de la premire dition du Dictionnaire de largot franais et de ses
origines, et cite dans la deuxime dition, Op.cit., p. VII.
136
Cf. FRANCOIS, Denise, "La littrature en argot et largot dans la littrature" in Communication et
Langages, n : 25, 1er trimestre 1975, le Centre dtude et de promotion de la lecture, Paris, d Retz, pp.
9-25.
qualifis de familiers et ainsi de suite. Les frontires entre les diffrents niveaux ont
cess d'tre des cloisons tanches. Ce qui a favoris lapparition de largot commun.
"Les argots et la langue populaire se rejoignaient et cest une des raisons
qui ont permis aux termes des argotiers, des jargonneux de tel ou tel petit
mtier de passer du statut dargot particulier celui dargot commun avant
mme de transiter par la langue populaire vers la langue familire puis
vers la langue franaise circulante [. . .]"137.
Cest cette extension de la dfinition de largot qui nous intresse. Si au dbut, largot
tait le langage des malfaiteurs, des voleurs, des coupeurs de bourse, des bas-fonds,
des hors-la-loi et si son objectif primordial tait dtre cryptique afin de protger ceux
qui le parlent et dexclure tous ceux qui ne font pas partie du groupe; de nos jours, la
situation a beaucoup chang. Ce parler, cette langue verte, ce langage de la rue nest
plus lapanage exclusif des escrocs.
Ceci dit, largot dsigne actuellement soit largot des mtiers, o des termes chargs
de connotations viennent remplacer la terminologie officielle ; soit toute langue de
spcialit indchiffrable aux yeux du non-spcialiste (au mme titre du jargon) ; soit
le bas langage, la langue des groupes marginaliss.138 Dans cette dernire acception,
nous remarquons que largot subit un glissement fonctionnel : la fonction cryptique
est relgue au second lieu cdant sa place aux fonctions identitaires. Dans ce cas, il
s'agit de ce que les linguistes ont appel "argot commun". C'est un parler familier
driv de l'argot. C'est mi-chemin de l'argot et du jargon proprement dit, d'o sa
dsignation par "jargot" par Marc SOURDOT.
"De son origine, il a gard certains traits formels qui font quon peut
parler dun argot commun comme dun slang qui puise dans les divers
argots et qui est pratiqu, indpendamment de toute appartenance un
groupe social, par une large fraction de la population. Plutt que de parler,
dans ce cas, dargot commun, nous prfrons utiliser la notion de jargot
pour rendre compte de cette activit, rservant [. . .] argot commun et
jargon commun aux produits lexicaux issus des diffrentes activits
dargot et de jargon. Dans le jargot ainsi dfini, on ne retrouvera plus trace
de volont cryptique. Il se caractrisera, au contraire, par une prminence
des fonctions ludiques et connivencielles. Contrairement aux jargons et
aux argots, le jargot peut tre laffaire de tout un chacun, sans souci de
rfrence particulire aux besoins dun groupe dtermin. Cest pourquoi
dans le jargot, la notion de connivence, si elle est importante, doit tre
nanmoins entendue au sens le plus large. Elle fonctionne comme un
indice de reconnaissance pour tous ceux qui se retrouvent dans une faon
de dire, comme ils peuvent se retrouver dans une mode vestimentaire ou
esthtique"139.
Largot commun est donc moins opaque et plus diffus et l les mdias
contribuent dune manire efficace sa propagation, " la diffrence des jargons et
des argots que leurs spcificits tiennent lcart des grands moyens de diffusion. Un
quotidien comme Libration, par exemple, semble tre la fois un centre daccueil et

137
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, Comment tu tchatches ? Dictionnaire du franais contemporain des
cits, p. 13.
138
Cf. MULLER, Bodo, Op.cit., p. 213.
139
SOURDOT, Marc, "Argot, jargon et jargot" in Langue franaise, n: 90, Paris, Larousse-Bordas,
1991, pp. 24-25.
dlaboration de cette activit linguistique, tout autant quun moyen de trs large
diffusion, du moins dans les grandes villes et en rgion parisienne"140.

Les journalistes de certains quotidiens ou hebdomadaires exploitent escient largot


au nom de la libert intellectuelle et morale. Si largot proprement dit tait autrefois
centripte, celui daujourdhui, le plus souvent commun, est centrifuge grce aux
chanes mdiatiques. Il est devenu un vivier exploit par la langue commune.

Notre roman est dot dune vaste nbuleuse argotique qui relve de ce que Marc
SOURDOT a appel le jargot. Toutefois, nous allons nous contenter de le dsigner
par argot commun faute de trouver jargot dans le dictionnaire. Il sagit de termes plus
ou moins rpandus qui nont pas perdu la tare de leur origine et qui sont employs par
les jeunes pour deux raisons. En premier lieu, pour souligner lappartenance des
protagonistes un certain milieu social, savoir les cits et les banlieues. Il sagit
dun sociolecte qui cherche la contre lgitimit linguistique pour afficher le dgot
des adolescents quant une socit qui les dlaisse. En second lieu, pour suivre la
mode langagire mise au got du jour grce aux mdias.
"[. . .] Il demeure que largot des cits se caractrise par sa fonction
symbolique : llaboration dun langage commun est destine avant tout
cimenter la connivence lintrieur du groupe en mme temps quil exclut
celui qui nen fait pas partie"141.
Cest ce que les linguistes ont appel la fonction identitaire.
"Les fonctions identitaires jouent pleinement leur rle et la revendication
langagire de jeunes et de moins jeunes qui se situent en marge des
valeurs dites lgitimes [. . .] est avant tout lexpression dune jeunesse
confronte un ordre socio-conomique de plus en plus ingalitaire,
notamment en matire daccs au travail. Les fonctions crypto-ludiques
noccupent plus dsormais la premire place, ce que rcapitule le tableau
ci-aprs."142

Importances des fonctions linguistiques exerces


Argots de mtiers/ argots sociologiques contemporains

Argots de mtiers Argots sociologiques


1/ Fonctions crypto- 1/ Fonctions identitaires
ludiques
2/ Fonctions identitaires 2/ Fonctions crypto-ludiques

Le franais contemporain des cits regorge de termes dorigine argotique qui ont un
attrait particulier chez les jeunes, notamment chez les lycens soucieux de contredire
les normes du franais standard et dexprimer leur mcontentement.

140
Ibid., p. 25.
141
LIOGIER, Estelle, Op.cit., p. 43.
142
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De largot traditionnel au franais contemporain des cits", pp 13-
14.
"Il est le reflet langagier de la crise didentit que connat surtout la
jeunesse scolaire et tudiante, plus ou moins marginalise par rapport aux
circuits dintgration traditionnels. Confronte la massification des
enseignements secondaires et suprieurs, lapprofondissement du foss
des gnrations, la dvalorisation des diplmes et aux menaces de
dclassement, une importante partie de la jeunesse manifeste son dsarroi,
voire son anxit, notamment par le recours un signum de classe, ici
sociolinguistique, cest--dire des signes dappartenance un corps
cherchant se dfinir et saffirmer, se situer par rapport des systmes de
valeurs sociales et symboliques."143
Ceci dit, lhomognisation de la conjoncture sociale des protagonistes a men une
relative homognisation de leur comportement linguistique. Ils utilisent les mmes
units lexicales dorigine argotique.
Le hros Yaz dcrit la vie doisivet et de dsoeuvrement quil mne en ces termes :
"Comme je suis au chmage, il est prfrable que je ne reste pas trop
longtemps au plumard. Mon Daron, mon reup, mon pre a vite fait de
criser : cinq ans de chomedu, au palmars. Jai stopp lcole seize
piges, maintenant jai vingt et un hivers, avec limpression den avoir
le double tellement le temps stationne." (B. p. 10)144
Dans ce paragraphe, nous pouvons relever plusieurs termes en argot comme
plumard , daron , chomedu et piges , qui signifient respectivement lit, pre,
chmage et annes.
Le premier est driv de plume et remonte au XIXme sicle. Le deuxime provient
probablement du croisement de baron et de dam qui signifiait seigneur en
ancien franais. Autrefois, et plus prcisment vers 1791-1792, le peuple dsignait le
roi et la reine de France par daron et daronne. Les deux termes peuvent signifier, entre
autres, les matres et les patrons tenanciers de maison close.145
Chmedu et sa variante graphique chmdu, qui ont t drivs de chme vers le
milieu du XXme sicle, peuvent dsigner soit le chmage, soit le chmeur.
Le terme pige est un dverbal de piger et dsigne soit anne, soit ge. Un
parasynonyme de pige , balai . "Je nai plus dix-sept balais, pourtant, japprcie
autant que Grzi le coup de crayon des yeux brids."(B. pp.26-27). Balai date de
1976.

Toutefois, le terme le plus rpt parmi ceux-ci dans le roman est celui de daron .
"Mon Daron maurait tu. Une chose quil ne pardonne pas, cest bien le vol" (B. p.
14), soulignait le narrateur intradigtique aux policiers qui lont arrt en flagrant
dlit.

Plus tard, Yaz, confiant aux lecteurs ses soucis dit:


"Je nai pas envie quil arrte sa chorgraphie, a me permet de
mvader, doublier quen ce moment la baraque, cest dur depuis
que le Daron est en chmage. Dcidment, a devient lune des seules
choses qui se transmettent de pre en fils. Mon Daron sans emploi

143
LESIGNE, Hubert, Op.cit., p. 66.
144
L'abrviation B rfre au corpus: DJAIDANI, Rachid, Boumkoeur, Paris, ditions du Seuil, 1999.
145
Cf. CERTA, Pascale, Op.cit., p.13.
depuis peu, trois ans environ, a du mal supporter que Maman mne
la danse la casbah, ils narrtent pas de sembrouiller. Cest
infernal." (B. p. 24)
Le pre ne veut pas que Yaz soit comme lui, il lui espre un meilleur avenir, ce qui le
pousse tre exigeant et svre avec son enfant : "Je mesquive, jentends mon
Daron gueuler : espce de voyou, il aurait d te tuer, cingl de ta race!" (B. p.159).
Il ne cesse de se moquer de son petit. "Comme lui racontait Maman, mon ge dj
bien avanc, je faisais encore pipi au lit. Ce qui me valut dtre rebaptis par mon
Daron Le Pisseur"(B. p. 107)

Le terme daron est dispers dans notre corpus et est rarement remplac par
pre . "Ce mme jour, mon grand brother Aziz mit en garde le Daron : il le
tuerait sil relevait la main sur elle."(B. p. 25) et plus tard la mme page
"A cette poque, le Daron travaille encore [. . .]. A la maison, nous le
savons tous : ce nest ni lge ni la fin de son alcoolisme qui ont stopp
les violences abusives du Daron, mais mon brother Aziz qui la K-
Otis jusquaux burnes dans ses lans" (B. p. 25).

Tous les rcits narrant les scnes familiales et les rixes conjugales comprennent le
terme daron . "Alors, pour esquiver les coups, Hamel avait cr un langage qui
lui permettait dentrer dans la casbah sans que le Daron sen aperoive." (B. p. 35).
Ce terme, relevant du vieil argot, va de pair avec la personnalit du pre. Cest en
quelque sorte un homme que nous craignons autant que nous avons piti de lui.
Chmeur, g, ayant perdu un de ses garons, il est incapable de se matriser et sa
nervosit npargne aucun membre de sa famille. Sa femme, sa fille et ses deux fils
subissent tous les effets de sa colre.
Les disputes domestiques jalonnent le quotidien de la famille vu lincommunicabilit
entre parents et enfants.
"Le Daron a foutu Mimi le chat dans un sac tanche et plouff.. !! dans
le fleuve qui a comme terminus la mer il la balanc. La sister
haineuse a lev la voix contre le Daron"(B. p.124).
La premire gnration narrive pas comprendre celle des enfants avec qui elle nest
pas sur la mme longueur donde. "Maman et le Daron se sont fchs avec Sonia, ils
naiment pas le got de la taxidermie" (B. p. 124).
Lattitude agressive du pre et ses reproches perptuels peuvent tre dus l'ducation
rigide dont il tait victime lors de son enfance.
"La boxe tait rserve aux bandits, et pour rendre ma mauviette de
Daron, homme, ils nhsitaient pas le droiter. En sang, il rentrait
la casbah" (B. p. 89).

Outre le terme Daron , le protagoniste a eu recours au terme frangin qui


signifie frre et qui remonte au dbut du XIXme sicle. Lauteur la employ pour
faire rfrence son petit frre qui tait victime du flau nfaste de la drogue.
"Rien faire, Hamel se dchirait, se croyant labri dune OD. Le
Daron lavait radi de son propre sang, il na jamais cherch
comprendre comment et pourquoi le frangin tait devenu malade de
toxicomanie." (B. p. 35)

Et plus tard,
"Mon ge est de vingt et un hivers, je porte un jean 501, un pull bleu,
sur mon poignet droit une gourmette en argent avec le prnom
dHamel, mon dfunt petit frangin, jhabite au 12e tage dune des
tours de la cit, je suis au chmage" (B. pp. 78-79).
En greffant des termes relevant du vieil argot sur leurs discours, les habitants des cits
notamment les jeunes affichent leur volont de contredire la langue standard et par
suite la socit bourgeoise. Cest un moyen mme de dvoiler leur colre, leur
insatisfaction voire leur mpris. Ils trouvent refuge dans des productions linguistiques
qui exploitent le vieil argot pour prouver leur ancrage social aussi bien quidentitaire :
les cits. Largot nest donc pas mort, il se renouvelle et se rajeunit travers le
franais contemporain des cits.
"Cest bien cette exubrance de la cration lexicale, ainsi quelle peut
natre au sein des groupes marginaliss ou qui se marginalisent, qui
constitue la vritable paradoxe dune part, des parlers quil convient
dsormais de dsigner par argots traditionnels, vieil argot, et dautre part
des parlers contemporains des cits"146
Parmi les autres termes argotiques en vogue dans les cits et rpandus dans le
roman, celui de mec qui dsigne un homme ou un individu quelconque. Il
semploie parfois comme terme damiti. Son usage est attest depuis le dbut du
XIXme sicle. Il dsigne dans notre corpus :
- Soit Grzi, lami du protagoniste. "Grzi est un mec trange, par instants il se
comporte comme si jtais sa meuf [. . . ]" (B. p.70)

- Soit lhomme que Grzi prtend avoir assassiner. "[. . .] moi je vais pas te parler
la Molire pour te dire que jai tu un mec" (B. p. 45)

- Soit les habitants des banlieues qui constituent l'entourage des deux protagonistes.
"[. . .] les mecs du quartier ont tu le temps en compagnie dun big
poste lazer, qui tire son alimentation de linterrupteur du hall
dimmeuble" (B. p. 19)
"Yaz, pour me faire pardonner, jai pris le temps de dicter Kurtis
les aventures des mecs du quartier, toi je lgue toutes ces histoires
vcues et immortalises sur ces bouts de papier [. . .]" (B. p. 157)
- Soit le mdecin qui est venu ausculter Grzi en prison.
"Une vraie grand-mre, ce mec gnraliste de la mdecine qui avait
t trs piquant le jour de ma prise de sang HIV aux analyses top
secret" (B. p. 156)

146
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, Comment tu tchatches ?, Dictionnaire du franais contemporain des
cits, p. 16.
- Soit les prisonniers avec lesquels Grzi est enferm. Ce sont les collgues de cellule
et cest cette dernire dsignation qui fait tache dhuile dans le roman.
"On sy retrouve enferm dix mecs, certains gardent leur caleon, la
peur du coup de la savonnette tandis que dautres ne se lavent que les
cheveux, sans mouiller leurs corps" (B. p. 147)
"Je veux changer de cellule, les mecs sont pas sympa avec moi" (B. p.
136).
"Y a des mecs qui prparent des mauvais coups pour quand ils seront
sortis" (B. p. 138)
Le terme est dans ce cas assorti dune connotation pjorative, il sagit des dlinquants
et des malfaiteurs que la prison na pu rprimander et dont les conduites et
comportements sont immoraux. La preuve en est le terme coup qui est aussi
argotique. Il signifie une entreprise plus ou moins dlictueuse et semble tre li la
notion de dlit. En prison, les bagarres sont de rgle et les dtenus sont des fauteurs de
trouble.

Dans ce contexte, lunivers carcral impose ses termes argotiques, dont celui
de maton . Ce terme dsigne le gardien de prison, il vient du verbe (mater)
signifiant regarder, pier. Son emploi dans ce sens est attest depuis la moiti du
XXme sicle. Il pourrait signifier entre autres, le Mouchard de la Sret, le policier ou
le dtenu espionnant pour le compte de lAdministration. La rcurrence de ce terme
est manifeste dans Boumkoeur . Nous le trouvons dans le discours o Grzi raconte
Yaz ses aventures en prison.
"Cette bote en carton scotche contre la porte permet galement au
maton de dposer le courrier que les potes lui envoient et aussi a
vite au gardien de demander si on a du courrier envoyer, car si tu
cris tu laisses dans la bote ta lettre et direct le maton la ramasse
(B. p. 145)
Et plus tard Le maton avant dentrer dans la cellule a scotch mon
nom sur la porte en dessous de celui de Kurtis qui est vraiment trs
intressant comme mec [. . .]" (B. p. 147).
Le maton est le responsable de scurit lintrieur du bagne . Cest le surveillant
charg de ne pas quitter des yeux les dtenus et dassurer le calme et lordre. En cas
de dispute, cest lui de sparer les parties antagonistes et davoir recours, si
ncessaire, la force. Toutefois, il lui arrive de fermer les yeux sur certains problmes.
"Quand y a embrouille, les mecs forment un bouclier, le maton de la
gurite ne voit rien. Ou, des fois, il fait en sorte de ne rien voir,
surtout si celui qui se fait balafrer est un pointeur. En zonzon, on
naime pas les violeurs, l-dessus les matons et les prisonniers ont le
mme combat : pas de piti, certains prisonniers ont des enfants
lextrieur, chaque mme est un peu leur mme." (B. pp. 137-138).

Remarquons que lauteur insre, partout, des termes argotiques qui conviennent au
parler des dtenus. Embrouille signifie une bagarre, un conflit, une situation
illgale, cest un dverbal de embrouiller avec une forte influence de litalien
(imbroglio), au sens de situation confuse. Les diffrentes acceptions argotiques du
terme ont paru dans les annes 50 du XXme sicle. Pointeur est un homme port
par les plaisirs sexuels, notamment en milieu carcral, c'est le violeur. Il est driv de
(pointer) au sens de possder sexuellement. Mme est lquivalent argotique de
joli adolescent ou enfant et est probablement driv dune racine
onomatopique expressive.

Entre dtenus, la prison nest quun "trou", une "cage" voire une "taule". "Maintenant,
je crois que tu nes pas aveugle, tu as bien devin, cest Grzi qui tcrit du trou." (B.
p. 126). Cette acception remonte 1725.

"Dans ma cage aux toilettes turques pour tuer le temps et langoisse jai fait trois
kilomtres de cent pas et quelques pompes" et dans la mme page "Ils mont fait
galrer dans une autre cage en attendant dtre face mes juges qui sans piti
allaient men foutre pour vingt-quatre mois." (B. p. 129).
Cette image de lenfermement est bien vieille et remonte au Moyen Age.

"Alors, coute, mon anniversaire cest dans trois jours, on va crire les histoires que
tu veux, ensuite je vais en taule." (B. p. 61) et plus tard : "Ils mont suicid
retardement en menfermant dans cette taule qui est vraiment lcole du crime et du
vice." (B. p. 128)
Ce terme parat driver de (tle), pierre paisse servant de revtement et aussi terme
dialectal dsignant la table manger. Il dsigne la prison depuis la fin du XIXme
sicle. Il peut galement signifier la maison close, ou tout local o on vit, dort, mange
et travaille.
Nous avons, dautre part, relev un terme faisant partie du champ drivationnel de
taule , savoir taulard qui signifie dtenu et dont lattestation crite date de 1915.
"Lorsquun taulard taborde avant de se prsenter, il te demande
comment sont les femmes lextrieur, bien sr tu lui dis quelles sont
bonnes [. . .]" (B. p.136).
Sadressant Yaz, Grzi qui purge une peine dit:
"Tu pourras, je crois, concrtiser ton travail grce aux archives de ma
mmoire crites lclat de cette encre noire, symbole de lespoir du
taulard que je suis ici-bas" (B. p. 157).
Le "taulard" se trouve perscut et humili par tout le monde sauf par le Pre qui vient
faire une messe chaque dimanche. "Avec le Pre, cest le seul moment o tu ressens
que tu nes plus un taulard, il est respectueux." (B. p. 152).
Le terme est charg de lide de lemprisonnement, doffense et de rpugnance. "Je
commence avoir une barbe du taulard." (B. p.88).

En prison, les dtenus sont forcs de faire la "douane":


"Quand la 226 a reu le savon, le plus calme des deux gorilles me
demanda de ne pas lcher le cordeau, il allait faire une douane, cest-
-dire qu la tte du yoyo il y a un poids et qu la queue il y a de la
bouffe et quand le mec de la 218 lcha son colis, le mec de ma cellule
tapa dans la gamelle, ctaient des ptes au sucre, tout se passe une
vitesse folle." (B. p.140).
La douane est la dme perue par le prpos la fouille sur ce qui entre en fraude.
Cest un dtournement subversif du terme usuel et date de 1930.

De son "trou", Grzi nous livre une description de la prison avec ses dlinquants et
son lexique. Outre les substantifs, lunivers carcral a galement prescrit le verbe
cantiner qui veut dire acheter des vivres la cantine de la prison, ou verser une
partie de ses gains pour sassurer le ncessaire. Do limportance de largent pour
rendre la vie supportable.
"Les toilettes sont trs proprement mises lcart grce un rideau
spcialement conu pour cela, condition davoir assez dargent dans
son pcule pour pouvoir le cantiner" (B. p. 135) et plus tard "Sous
loeilleton aveugl, il a accroch une bote qui lui permet de mettre les
feuilles cantiner qui sont de toutes les couleurs et chaque couleur
reprsente le jour o lon veut recevoir ses provisions." (B. p. 145).
Les parties du corps en franais standard ont t presque souvent remplaces par leur
quivalent argotique. Le nez nest quun pif . "Une fois dehors, le vent glacial na
pas tard me faire rougir le pif, pas une silhouette dans les parages" (B. p. 39). Ce
terme remonte au dbut du XIXme sicle.

Les cheveux se muent en "tifs": "en ce qui concerne mes tifs, je me suis ras car je
nai jamais aim lhritage" (B. p. 60). Le terme vient sans doute du dauphinois
(tifo), cest--dire paille et date de 1883.

En ce qui concerne la bouche, elle devient la gueule . Lisons la description du


boxeur,
"sa chemise blanche tait dj tache du sang des autres pauvres qui
pour vivre se tapent sur la gueule dans cette discipline si ingrate du
noble art" (B. p. 100)
Se dcrivant, suite une rixe, Yaz dit: "jai la plus belle, la plus frache et la
plus grande des cicatrices sur ma gueule" (B. p. 120).
La "gueule" est la partie la plus touche chez Grzi par les coups,
"Aprs quarante huit heures passes en garde vue, jai tout avou
ces rapaces de keufs qui coups de pied et de poing mont peint la
gueule dun bleu hmatom"(B. p. 127).
Tous les personnages du roman ont une "gueule" et non pas une bouche. Evoquant la
femme de lhomme quil prtend avoir tu, Grzi dit: "Elle avait ameut tout le lyce.
Elle aussi fermait pas sa gueule" (B. p. 48).
La distinction entre ce terme ancien et souvent populaire et largot proprement dit est
difficile. La gueule est issue du latin (gula) c'est--dire gosier ou gorge et sappliquait
dabord en ancien franais lhomme avant de rfrer aux animaux.
Ce terme entre dans la locution se foutre de la gueule de quelquun qui signifie
se moquer d'une personne . Grzi relatant lhumiliation et les vexations
lintrieur de la prison dit "Le flic pour se foutre de ma gueule ma demand de
sourire, mais je ne lui ai pas offert ce plaisir." (B. p. 128).
La mme expression est employe lorsque Yaz est all voir le marabout sorcier pour
le gurir, "je me demande ce quil pouvait bien penser, si a se trouve, il se foutait
de ma gueule" (B. p. 109). Lexpression remonte 1730.

Une drivation verbale du terme a t employe, savoir gueuler .


"Par contre, le Daron maintenant quest-ce quil gueule, mais tant
que a ne laisse pas de bleus, Maman trouve le moyen de le faire taire
[. . .]" (B. p. 25).
Sagissant toujours du pre, nous lisons, "La lumire resurgit, jai tout enfum, je
mesquive, jentends mon pre gueuler : espce de voyou [. . .]" (B. p. 159).
Le verbe signifie vocifrer, crier trs fort et remonte la moiti du XVIIme sicle.
Cest un verbe trs rpandu aujourdhui dans des contextes non ou peu argotiques, au
mme titre du substantif dont il est issu.

Autre drivation verbale: engueuler qui veut dire rprimander et injurier. Ce verbe
qui a fait son apparition vers 1783 est pass aujourd'hui dans lusage familier. Le
verbe correspond lide de la violence verbale du fait de la force sonore du discours.
"Quand je suis entr pour la premire fois de ma vie dans une salle de
boxe, je mtais fait engueuler, je ne tapais pas assez fort sur ce vieux
sac rapport du Mexique qui est mort depuis" (B. p. 91), raconte le
pre.

Nous avons galement relev dautres parties du corps qui ont t dsignes par
des termes argotiques et qui sont relatives la sexualit. Ce qui les revt dune
certaine vulgarit. Cest le cas de trou de balle qui signifie lanus et qui remonte au
XIXme sicle. Dcrivant une pripatticienne, Yaz dit "[. . .] son trou de balle tait
bouche par une beute [. . .]" (B. p. 86).
Le sexe de la femme est, de mme, dsign par con .
"Le pistonnage de mon magma dans son con ocanique sera rythm
par les tambours de lamour jusquau compte rebours du jet final
qui sera plus violent que Big Bang" (B. p. 55).
Le terme vient du latin (cunnus) qui avait le mme sens. Lusage de ce vieux terme
franais est si rpandu quil se dtache, chez certains, de son origine argotique.
Toutefois, il demeure charg d'une connotation trs pjorative.
"[. . .] Con est un de ces termes qui, bien que trs frquent dans tous les
milieux, constitue un strotype sociolinguistique assez unanimement
condamn, 20% des tmoins seulement le situant dans la zone du familier.
Preuve quil a gard, au-del de son origine sexuelle, toute la charge
injurieuse de son unique syllabe et quil est toujours aussi pourchass dans
le corps social."147
Ce faisant, le terme en tant quadjectif est une injure signifiant stupide. Il sapplique
aux anims aussi bien quaux inanims et ce ds la premire moiti du XIXme sicle.
"Je sais, cest con comme jeu, mais a me faisait passer du temps" (B. p. 110).
Se blmant, Yaz dit: "con je suis" (B. p. 56) et Grzi lemploie pour qualifier la
femme de sa victime "Sa meuf, la conne, chialait me suppliant de ne pas tirer." (B. p.
48)

Lexpression la con signifie ridicule, sans intrt. Grzi voulant se dculpabiliser


dit " ma sortie, je trouverai un bon travail et je te rembourserai largent claqu
dans la ranon de ce kidnapping la con" (B. p. 129)

Le terme connard fait galement son apparition en sa qualit de nom et dadjectif.


Aprs lacte dassassinat quil prtend avoir commis, Grzi se demande : "pourquoi
jai fait a ? Maintenant ma vie est foutue, pourquoi je suis un connard comme
a ?" (B. p. 42).
Dans les matchs de boxe, lentraneur encourage son sportif vaincre son concurrent
en l'assommant par la main droite.
"Il lui arrive de lui parler, il lencourage pour quelle (la main) soit
dvastatrice au contact du menton de lautre connard et cest avec un
baiser quil conclura la crmonie du bandage" (B. p. 98).
En prison, les dtenus lemploient pour sinterpeller : "certains mecs me crient :
protge ton cul, connard !" (B. p. 134).
Ce terme est compos de con qui a un sens assez fort et du suffixe pjoratif (ard).
Il peut aussi tre d une altration de cornard au sens de cocu ou stupide.

Nous avons galement relev le substantif connerie . "Si je russis mon bouquin
avec mes conneries et celles des autres, je minscris direct au gymnasium" (B. p.
29). Le terme est employ pour rfrer tout acte, pense ou parole stupide. Ce terme
trs usit demeure exclu du bon usage.

Lanus de la femme est, par ailleurs, dsign par le terme fion . "Parat y a de la
femme, grave mortel. On raconte que pour prendre des formes elles se mettent les
fils dans le fion" (B. p. 29). Lorigine de ce terme est inconnue mais parat remonter
au XIXme sicle. La citation comprend deux autres termes qui sont d'un usage trs
rpandu en FCC: "mortel", adjectif ayant deux acceptions contradictoires: bon et
mauvais et "grave", adjectif qui a subi un changement de classe grammaticale en
devenant un adverbe polysmique: il signifie soit nul soit beaucoup.

147
LESIGNE, Hubert, Op.cit., p.199.
En ce qui concerne le pnis de lhomme, il est substitu par plusieurs quivalents
argotiques, tels que bite , queue , zob , chibre et ququette . Mais cest
bite qui se trouve le plus employ. Urinant au lit, la mre de Yaz a d lamener
chez le marabout.
"Ce jour l, je neus pas limpression que ce vieux sorcier marabout
puisse faire quoi que ce soit pour le problme qui mhabitait, moi et
ma bite." (B. p. 107).
Etant chez le marabout sorcier, Yaz imagine le dialogue suivant :
"-Tas un slip sous ta robe ?
- Non, car jai une petite bite, que je lui faisais me rpondre" (B. p. 110).

Parlant de Favielitto qui a perdu six doigts lors dune fausse manoeuvre larme,
Yaz dit "souvent les Gremlins le taquinent et lui disent quil les a perdus en se
branlant avec sa bite gone" (B. pp. 49-50).
Le terme vient probablement de lancien franais abiter au sens de toucher. Il
remonte au XVIme sicle.

Pour sa part, la queue constitue un emploi spcialis et humain dun terme


s'appliquant l'animal et remonte galement au XVIme sicle.
Pour faire lamour avec les modles et les mannequins, Yaz doit tre riche : largent
passe avant la sexualit. "Le jour o jaurai une femme des magazines, a voudra
dire jai la tune, la queue a vient aprs [. . .]" (B. p. 52).

Evoquant les dtenus qui se livrent des actes sexuels, la pdophilie, Grzi dit:
"Quand je repense au mchant gorille qui avait mis la mousse du
savon de Marseille sur sa queue pour pouvoir senfiler son prservatif
qui tait trop mince pour son gros zob denculeur, parat-il que le
savon de Marseille est un parfait lubrifiant [. . .]" (B. p. 150).
Outre queue , la citation comporte zob qui lui est un parasynonyme mais qui
constitue un emprunt de larabe maghrbin et nous allons ltudier ultrieurement148.

Le roman comprend galement le terme ququette qui remonte au XIXme sicle.


Parlant de Napolon, un habitant de la cit, Yaz souligne qu'
"il habite au 6e tage de la tour 123, il nest plus mari depuis le jour
o sa femme la cocufi avec un immigr la ququette trs fonce"
(B. p. 62).

Quant chibre , son origine est obscure, mais peut tre lie lallemand "schieber"
au sens de pousseur. En prison, le sexe est un moyen dvasion.

148
Voir p. 131.
"Le bout du chibre tout huileux je commenais avoir des chaleurs et
sentir des crispations au niveau de mes membres infrieurs jusqu
mes dix petits orteils" (B. p. 143-144).
Nanmoins, les deux noms argotiques qui ont, au vrai sens de terme, tendu leur
ventail sur Boumkoeur sont couilles et cul . Le premier signifie le testicule, il
est driv du latin vulgaire colea. Ce terme fameux est employ depuis le Moyen Age
comme symbole de virilit. Dcrivant le local qui lui sert de refuge, Yaz souligne: "A
bbord, il y a trois piles de tracts format A4, leves au mme niveau que mes
couilles, cest--dire un mtre de hauteur" (B. p. 74).
Le mme terme a t employ par Grzi : les jeunes des cits se trouvent de la sorte
souds, au niveau social, par la pauvret et le dsoeuvrement et, au niveau
linguistique, par le mme parler.
"Dans le car btail, jtais empoign par cette salope de paire de
menottes. Impossible de me gratter le pif ou les couilles aprs quun
moustique ma tranquillement piqu mon sang" (B.. p. 130).
Imaginant le jour de la libration des prisonniers, Grzi dit:
"Certains vont aussitt se faire dorloter par des prostitues bien
intentionnes, puis ils se tapent un bon restaurant avec le meilleur
vin. Enfin les couilles vides et lestomac bien plein, le plus dur reste
faire, les retrouvailles avec la famille qui ta pleur chaque jour alors
que toi goste tu lavais dj oublie ds le premier jour de ton
entre." (B. p. 153).
Le terme entre dans les locutions avoir des couilles qui signifie tre viril et
courageux et ne pas avoir de couilles qui souligne la lchet. Ces deux locutions
datent du XVIIIme sicle.
Voulant se suicider, Grzi met le canon sur le gosier et se demande "jai les couilles
ou jai pas les couilles de menvoyer en lair ? [. . .] jai pas les couilles, mais de
toute faon je suis dj mort" (B. p. 59). Il nest pas si audacieux pour prendre une
telle dcision.

La locution avoir les couilles a t employe pour dcrire le comportement


enthousiaste des boxeurs. "La majorit dentre nous avons nos couilles bien pleines,
pas question de coucher avant un combat, sinon il y a risque de finir sous les
genoux" (B. p. 92).

Passons maintenant cul qui signifie la partie basse et charnue du tronc humain et
qui remonte, linstar de couille , au Moyen Age.
Yaz emploie ce terme plusieurs reprises. "Une fois lembrouille de mes vieux
esquive, me voil le cul sur la rampe descalier" (B. p. 30). Et plus tard, "la porte
claque derrire moi, je pose mon cul sur la rampe et jatterris plus rapidement que
Flash au rez de chausse." (B. pp. 56-57). Dcrivant la cave o il se cache avec
Grzi, le hros dit "le lit, une maigre chaise en ferraille que mon cul a vite fait de
rchauffer aux 37 degrs rglementaires" (B. p. 64).
Le terme fut galement utilis lors de la description du Grzi "il me rejoint, posant
son cul sur la chaise la plus pourrie, la ferrailleuse." (B. p. 104), et lors de la
description du pre vaincu "Il se releva comme un seul homme quand il prit
conscience quil avait le cul par terre, dj trop tard, a faisait au moins vingt
secondes qui staient coules." (B. p. 102).

Le terme a t employ par le Daron lui mme qui soulignait son effroi lors dun
match de boxe: "je sens mme la transpiration qui a transform ma raie du cul en
gouttire" (B. p. 99).

En prison, les photos des femmes notamment nues constituent un plaisir. Grzi nous
livre une image de la cellule de deux prisonniers en ces termes:
"Leur univers est trs classique. Une tl couleur branche sur le
cble, un poste laser, des posters de cul accrochs sur les quatre murs,
un bureau avec plus de stylos quun bachelier pourrait en rver" (B.
pp. 134-135).

Au milieu du XXme sicle, ce terme est devenu une interjection ngative et


mprisante. Yaz y a recours pour sinsurger contre le chmage.
"Mon cul !mme lANPE na rien pu pour moi, avec ces stages deux
demi-centimes qui ne servent rien, part faire croire aux parents
quils vont trouver un emploi leur fiston comme futur smicard" (B.
p. 10).

Le terme entre dans la locution trou du cul qui signifie un personnage ou une chose
insupportable et imbcile. "Le mitard, ici, cest considr comme tant le trou du cul
de la zonzon" (B. p.133).

Notre corpus est bourr de termes drivs de cul . Cest le cas de encul ,
enculeur et enculer . Le premier dsigne un homosexuel passif et semploie de
faon uniquement injurieuse. Il date de 1860.
Il fait une carrire honorable dans ce registre jusqu nos jours, o il est
facile de constater que la frquence de son emploi, particulirement chez
les jeunes, crot et embellit au point de le rendre presque banal. 149
Il peut tre utilis au sens figur comme insulte. Comme cest le cas de Yaz qui y a
recours pour qualifier son pote Grzi qui ne lui donne pas un coup de main.
"[. . .] et je ne sais pas pourquoi je me sens chuter comme si sur le
ring je mtais ramass une froce droite qui me met K-O. Le Grzi,
lencul, ne tente pas de me retenir" (B. pp. 114-115).
De mme, Grzi lemploie soit pour dsigner sa victime imaginaire: "Ct encul
mavait foutu un coup de boule en tratre qui ma pt mes deux dents de devant"

149
MERLE, Pierre, Le prt--parler, p. 148.
(B. p. 47); soit pour rfrer Yaz: "Je tai tout racont, fais pas lencul, faut que tu
maides"; (B. p. 49) et il insiste le rpter un peu plus tard "[. . .] fais pas lencul !
Aide-moi Yaz" (B. p. 50).

Encul semploie au sens propre pour dsigner les homosexuels en prison. "Cest
une rgle on aime et respecte les enculeurs, mais pas les mmes faveurs pour les
enculs" (B. p. 144).
En prison, les enculs subissent lhumiliation, la honte et le rejet, alors que les
enculeurs nhsitent pas se montrer.
"Le mchant gorille sortit sa glace travers la cage, il appela la 218
avec le reflet de son miroir il put voir son interlocuteur qui lui aussi
grce sa glace pouvait voir la tronche denculeur du mchant gorille
qui ne se cachait pas pour faire comprendre la 218 quil avait bien
pris son pied, tandis que le pauvre gentil gorille pleurait de chaudes
larmes avec pour moi un regard trs attendrissant" (B. p. 144)
Lenculeur est lantonyme de encul , cest l'homosexuel actif et lexpression
prendre son pied signifie prendre du plaisir quelque chose, se donner du bon
temps, prouver lorgasme.
Le verbe enculer signifie soit sodomiser soit tromper. Dcrivant les tatouages qui
couvrent les corps des "taulards", Grzi souligne:
"jai fini par comprendre : un point, lemblme du solitaire, trois
points, mort aux vaches, cinq points, seul entre quatre murs, dix
points, jencule la justice jusquau bout des doigts, je lai sur ma
peau" (B. p. 147).
Le verbe entre dans la locution va te faire enculer utilise lors des situations de
colre pour insulter une personne qui nous a nervs, comme nous lavons vu avec
Grzi mis hors de lui quand Yaz na pas assimil rapidement ce quil a dit. "Va te
faire enculer, je suis calme, si tu comprends pas ce que je te dis, moi je vais pas te
parler la Molire pour te dire que jai tu un mec" (B. p. 45).

Le franais contemporain des cits est une langue crue, o la pudeur et la puret font
dfaut et o la sexualit foisonne. Ce faisant, plusieurs verbes relatifs lacte sexuel
ont t relevs, comme titre dexemple le verbe baiser qui signifie possder
sexuellement, du point de vue de lhomme. Cest un verbe rotique qui a fait son
apparition ds le XIIme sicle et est pass du sens gnral, porter les lvres sur une
partie du corps dautrui pour manifester concrtement une relation affective, la
possession amoureuse.
Dcrivant la pripatticienne, Yaz dit "On la baisait comme une chienne enrage
[. . .]" (B. p. 86).
Lacte de baiser suffit lui seul accrotre la valeur de lhomme aux yeux des dtenus.
"Lorsquun taulard [. . .] te dit ten as bais ? , bien sr, tu lui
confirmes "Oui", aprs a on se prsente." (B. p. 136).
Le dverbal baise signifie faire lamour et est trs en vogue aujourdhui bien quil
soit ancien (fin XIXme sicle). "Il faut dire, cest un beau gosse, a aide pour la
baise, surtout si en plus a lui rapporte des ppettes" (B. p. 12)
Autre verbe sensuel: galocher qui signifie embrasser sur la bouche en entremlant
la langue sur celle du ou de la partenaire. Le verbe vient de rouler une galoche. Il
parat vers les annes soixante-dix du XXme sicle.
"Pourtant je ne demande pas grand-chose compar cette belle au
bois dormant, qui, elle, rclamait un bon baiser sur la bouche pour
sortir de son coma. Elle sest fait galocher par un prince charmant, ils
se marirent et eurent beaucoup denfants" (B. p. 72).
Bander est galement un verbe connotation sensuelle, il signifie prouver un
dsir sexuel, tre excit, passionn ou tre en rection. C'est un emploi spcialis et
absolu d'un vieux verbe signifiant tendre. Parlant de la fille qui figure la une des
magazines, Yaz souligne: "son sexe, juste dy penser, me fait rver et bander pour
elle plus dur quun coup de poing de Mike Tyson" (B. p. 54).

Lexpression coup de queue rfre au cot. "Mon grand brother Aziz ne passe la
maison quentre deux coups de queue capote, daprs ses dires [. . . ]." (B. pp. 79).
Dans la citation, nous avons remarqu lemploi de ladjectif capote driv du
substantif capote qui dsigne le prservatif masculin et qui comporte l'ide de
recouvrir et de protger. Nous trouvons ce terme dans la description de la prostitue.
"Quand on a crach, elle a vid les rservoirs de nos capotes lintrieur dun
bocal et toute lumire elle sest tire" (B. p. 86).

Lhomosexualit qui trouve dans la prison un terrain fertile pour se propager a


galement impos des verbes qui lui sont propres comme par exemple entuber et
passer la casserole .
"Aprs avoir assist cette scne je ne dormais que dun oeil, cette
nuit-l javais pas envie de passer la casserole. Dans les yeux, je te le
dis, Yaz si le gros mchant gorille mavait entub je laurais tu aprs
lui avoir bouff ses couilles jusqu la racine" (B. pp 144-145).
Passer la casserole signifie subir passivement un rapport sexuel. Il est bas sur un
jeu de terme avec le verbe sauter. Entuber signifie sodomiser.

Nous ne devons pas perdre de vue lexpression se faire mettre par quelquun qui
signifie tre possd sexuellement par lui et qui remonte au XIXme sicle. Evoquant
le dtenu encul, Grzi comprend pourquoi il nallait jamais en promenade, "tous
savaient quil se faisait mettre [. . .]. Cest une rgle on aime et respecte les
enculeurs, mais pas les mmes faveurs pour les enculs." (B. p. 144).

Lhomosexualit peut tre substitue par la pdrastie. "En prison, mme seul tu te
sens mal accompagn, certains vitent mme de se mater dans les glaces par peur
davoir se frquenter" (B. pp. 136-137). Le verbe se frquenter signifie se
masturber. Cest un emploi trs intime du verbe usuel, lacception courtiser est
plus rgionale voire plus rurale quargotique.

Un parasynonyme de se frquenter , se branler paru vers la fin du XVIIme sicle


et qui est une spcialisation dun vieux verbe signifiant agiter, secouer. "Souvent les
Gremlins le taquinent et lui disent quil les (ses doigts) a perdus en se branlant avec
sa bite gone" (B. pp. 49-50).
Le substantif branlette , paru vers la premire partie du XXme sicle, a t
galement utilis :
"Mais au final cest toujours pareil, cest mon poignet qui a cram mon fantasme et
mouill les draps dune semence de sperme sacrifie par le rve. . .une branlette" (B.
p. 55).
En prison, la masturbation est trs frquente. "[. . .] on entendait certains mecs crier
vers la 202:- Soire branlette!" (B. p. 143)

Le FCC comporte, par ailleurs, des termes grossiers dont le plus important est
merde qui est venu se greffer sur les discours de Yaz. "Je suis dans la mme
merde. Nul nest cens ignor les lois. Je le cache, donc je suis complice aux yeux
de la justice [. . .]" (B. p. 64) et galement "mais le sport a demande beaucoup de
sacrifices pour se sortir de sa merde" (B. p. 63).
Dans ces deux citations, merde signifie un incident ou une affaire plus ou moins
grave, une situation difficile ou une chose mprisable.
Depuis le XIIme sicle, le terme est utilis comme une interjection exprimant le
mcontentement comme dans "Merde ! vas-y, allume, Yaz (B. p. 34) ou Merde !
les piles de la pendule ont t rackettes pour son walkman, plus aucune notion du
temps" (B. p. 44).
Ce terme est aujourdhui si rpandu qu'il est devenu plus familier qu'argotique. Il
vient du latin "merda" au sens dexcrment et a donn le verbe merder. "[. . .]
j'essayais d'effacer la noirceur des casseroles, la chauffe avait merd" (B. p. 142).

Parmi les verbes lis smantiquement la merde figure celui de chier qui signifie
dfquer.
"-O tu vas ?
-Je vais chier, a va me faire du bien" (B. p. 70).
Le verbe vient du latin (cacare), verbe trs ancien qui remonte au Moyen Age. "Je ne
sais pas comment la belle au bois dormant faisait pour se retenir, javoue l-dessus
elle a t hyper-forte : mille ans sans chier, cest du boulot" (B. p. 72).
Par suite, les toilettes, les latrines et les WC sont des chiottes. Le terme date de
1787. "Contrairement ma prcdente cellule, le chiotte nest pas recouvert par le
rideau spcialement conu pour cela." (B. p. 146).
Chier a galement une autre acception dans Il ny a pas chier . Lexpression
signifie assez hsit.
"Me faire emballer par Grzi, non merci, surtout quaujourdhui il
parat un peu nerveux, pas rassur, comme sil avait appris une
mauvaise nouvelle, y a pas chier [. . .]" (B. p. 33).

Si le FCC emploie chier la place de dfquer, il substitue pisser uriner .


Cette formation expressive du bas latin date de 1180. Le pre disait "Ne jamais
monter sur le ring avec une envie de pisser ou de chier, un bon coup au bide
pourrait te forcer la main abandonner et je nai jamais abandonn" (B. p. 95).
Le verbe se rpte partout et semploie pour lhomme aussi bien que pour lanimal.
"Un an plus tard, je ne pissais plus au lit" (B. p. 113) nous avoue Yaz propos de sa
visite au marabout-sorcier. Nous trouvons galement cette forme verbale dans: "Le
chat a piss dans ma chambre, a pue grave [. . .]" (B. p. 52).

Le substantif, la pisse, paru vers le XIXme sicle, est de mme utilis. "Les poubelles
perces, la pisse et le sang se dchargent ici comme des champignons" (B. p. 20).
En prison, les cellules sont insalubres et provoquent la nause. "Ils mont peine
laiss dormir dans cette garde vue qui puait la pisse et la moisissure de crachats"
(B. p. 127) et "tout seul dans ma cellule, avec [. . .] un matelas quil a fallu choisir
rapidement et qui ont tous plus ou moins de grosses taches de pisse, de sang et de
sperme" (B. p.131).
Mais, il faut tout de mme se donner la peine de rendre les cellules propres.
"Aprs la fouille des matons, il a fallu refaire le mnage pour que la
cellule retrouve son ct nickel, elle rvle qui l'habite. Elle se doit
d'tre propre si tu ne veux pas passer pour un crado vis--vis des
autres dtenus qui ont vite fait de te coller une sale rputation" (B. p.
142).
Crado signifie sale, alors que nickel s'emploie comme adjectif invariable pour
dsigner une chose reluisante de propret.

De ce qui prcde, nous assurons que la culture qui prdomine les cits est une culture
des rues o les gros mots, les termes relatifs au sexe, la scatologie, l'obscnit
prdominent. Ceux-ci prennent place dans les diffrents changes verbaux, que ce soit
dans les relations conviviales, entre pairs de copain, ou dans les relations
conflictuelles, comme les rixes et les bagarres. Les interjections argotiques qui sont
d'accoutume accompagnes de gestes de main sont entendues quotidiennement dans
les tablissements scolaires, les halls des immeubles, les mtros et bien sr dans les
rues des banlieues.

Les jeunes de cit sont bien dans leur peau en employant des termes crus mme de
susciter le dgot chez les puristes. Ils y sont habitus et ne les trouvent gure
choquants. Ils y ont recours dans leur quotidien et apprcient leur usage.
"En dautres termes, les termes sales sont bons prcisment parce quils
sont mauvais et parce que leurs auteurs savent trs bien quils suscitent le
dgot et la rpulsion chez les partisans des bonnes manires"150.
Lobscnit de largot sexuel et des termes grossiers nous pousse aborder une autre
forme dindcence : les insultes avec en tte "putain", "pute".
"Il y a un phnomne tout fait atypique dans ce langage, cest le manque
dinventivit dans le domaine autrefois si foisonnant de linjure.
Entendons-nous bien : on sinjurie et on sinsulte toujours allgrement, en
banlieue, au ailleurs, au volant de sa voiture, dans les stades, dans la rue,
partout et tout le temps. Mais on le fait de manire traditionnelle"151.
A commencer par putain , nous pouvons assurer que ce terme archaque dsigne la
prostitue ou la femme dbauche. Toutefois, ds le dbut du XXme sicle, il est
employ comme formule qui exprime soit le mpris, soit simplement limpatience et
la mauvaise humeur (putain de); ou comme interjection exprimant le dpit et la
surprise.
Narrivant pas croire la disparition du torticolis, Yaz dit : "putain, je ny crois pas,
ma tte sest dbloque [. . .]" (B. p. 82)

Un parasynonyme de putain qui a paru vers 1230: pute . Face Grzi qui le
prcipite et le supplie de laider, Yaz rpond "je ne suis pas ta pute, je rflchis
[. . .]" (B. p. 50).
Lexpression fils de pute semploie comme injure ou comme interjection
emphatique, surtout dans le midi de la France et provient probablement de fils de
putain que nous avons vu un peu plus haut. "Javais jur la vie de ma mre que si
je le trouvais en dehors de sa cit, je le tuerais, ce fils de pute" (B. p. 47).
Il nexiste pas de grande diffrence entre les deux termes qui tendent se substituer.
Dcrivant les balades en prison, Grzi met en relief son dgot : "[. . .] je pourrais
encore ten crire des pages mais il faut la vivre pour la comprendre, cette pute de
promenade qui se finit toujours trop vite" (B. p. 139).

En ce qui concerne salope , il signifie essentiellement une femme incapable d'avoir


une relation stable, qui cherche simplement l'assouvissement du dsir sexuel et non
pas le mariage. C'est une femme ayant des moeurs sexuels condamnables, le terme
tend sapprocher du sens de putain de et ce dans lexpression salope de . Le
terme est driv de ladjectif (salop) issu de sale et de (hoppe), variante de huppe,
oiseau rput trs nglig de sa personne. "Dans le car btail, jtais empoign par
cette salope de paire de menottes" (B.p. 130).
Sinscrit toujours dans le cadre de ces injures le terme ptasse qui dsigne la femme
vulgaire, la prostitue dbutante ou occasionnelle. Le terme est driv de pteux et
du suffixe pjoratif (asse). Il remonte au XIXme sicle. Soulignant lengouement des
femmes pour les hommes arms, Yaz dit: "Elles en raffolent, les ptasses aiment les
chauds [. . .]" (B. p. 26).

150
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 163.
151
MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, p. 23.
Il parat que les insultes sont, pour la plupart du temps, adresses contre le genre
fminin, la preuve en est lusage dune autre injure: pouffiasse . Le terme signifie
galement une prostitue, une femme peu avenante, une fille infidle en amour et
actuellement une femme quelconque. Grzi emploie ce terme, ressenti comme
particulirement misogyne, pour qualifier la tlvision en panne "Cette pouffiasse,
elle ne veut pas fonctionner, cest pas cool, cest lheure de mon Dragon Ball Z" (B.
p. 26).

De son ct, gonzesse semploie pour dsigner soit une femme soit une matresse.
Il est le fminin de gonze driv de litalien (gonzo), cest--dire individu stupide.
"Tes bizarre, toi, pourquoi tu pleures comme une gonzesse ?" (B. p. 38).

Passons maintenant aux insultes qui ont t adresses aux hommes. Nous allons
commencer par enfoir qui signifie limbcile ou le malfaisant. Cest un participe
pass substantiv d'un verbe qui veut dire souiller dexcrments. Ce terme qui date de
1905 est revenu fortement la mode dans les annes quatre-vingts. Yaz lemploie
pour qualifier son ami "Lenfoir ma fait un coup de bluff, le chargeur tait vide"
(B. p. 63).

Salaud se dit dun individu malhonnte, hypocrite, ignoble. Il est driv de sale et
du suffixe (aud). Il a paru vers la fin du XVIIIme sicle. Ce terme aujourdhui trs
rpandu et presque familier a t popularis vers 1946 par Sartre, en un sens
idologique (le bourgeois qui se donne bonne conscience). Le fminin salaude est
dsuet, la forme usuelle est salope. Sentant des remords, Grzi confesse son crime
Yaz. "Cest sr, jai t un vrai salaud, mais aujourdhui je paye entre quatre murs
toute la mchancet que je tai fait subir dans la cave du 123." (B. p. 127).

Dans le franais contemporain des cits, le fou nest quun cingl. C'est un adjectif
driv du participe pass du verbe cingler. Il a fait son apparition vers 1825 et est
pass dans lusage courant. Pour dserter larme, Yaz a d prtendre la folie.
"Larme, jirai jamais, faire la guguerre, ce nest pas trop mon kif. [. . .] quand
jai fait mes trois jours, jai jou au cingl pour ne pas tre incorpor" (B. p. 50).

Le fou et le drang sont de mme dsigns par le terme naze . Il est driv de nase
qui signifie un coulement morveux et pathologique chez les chevaux. Pour Grzi, si
Yaz ne jouit pas de la grce de la libert, il doit tre un "naze". "Mais il ne faut pas
prendre ses rves pour des ralits, je suis en zonzon. Jespre que toi tu en profites,
sinon tes vraiment un gros naze" (B. p. 150).

Le tar est aussi un terme argotique qui signifie un dfavoris par la nature,
surtout sur le plan intellectuel. Tel tait ltat de Grzi quand il a commis son crime.
"Jsais pas, ils mont rendu tar, sans faire exprs cest parti tout seul.
Mais cest sa faute. Il ma provoqu comme si jtais une baltringue,
tu vois, en plus, y avait des meufs qui me mataient" (B. p. 48).
Le terme baltringue signifie un individu peureux, trange au milieu et, par voie de
consquence, de peu dutilit pour certaines tches. Terme que nous trouvons dans:
"Je sais, le fait de ne pas avoir t crapule dans une bande de
mchants garons lui laisse forcment croire que je suis une
baltringue, une taroupette, une trompette, un crtin." (B. pp. 50-51).
Un parasynonyme de baltringue, flipette. "[. . .] j'tais bon pour la prison
perpte si je restais clou au sol, alors j'ai tap la fuite comme une flipette" (B. p.
49). Le flipette est la personne peureuse qui se laisse impressionner et qui ne relve
pas de dfi.

Lirrespect des engagements rend toute personne un lcheur , c'est le cas du pre de
Grzi qui la abandonn.
"Lavantage que jaurai, compar au rcidiviste qui ma racont sa
sortie, cest que moi jaurai pas supporter le regard pesant de mon
lcheur de pre, auquel je ne ressemble gure daprs ma mre qui
sest fait avorter de lui" (B. p. 155).
Quand ils veulent dsigner un individu peureux, les adolescents le nomment le
trouillard, terme form de trouille , cest--dire peur et driv de lancien franais
truilier au sens de broyer, et du suffixe pjoratif (ard).
Bien qu'il ne soit pas trop convaincu, Yaz a accept de rpondre aux demandes du
marabout-sorcier pour ne pas tre tax de "trouillard": "Je ne lui faisais pas
confiance mais comme Maman laimait, je ne voulais pas le vexer, et par la mme
occasion, je ne souhaitais pas quil simagine que jtais un trouillard" (B. p. 108).

Malgr leur profusion et leur foisonnement, les insultes manquent d'innovation et


d'inspiration. Celles d'hier sont toujours prsentes, elles n'ont pas t devances et
sont aujourd'hui exploites. Mais leur effet est par l attnu, car force d'tre
rptes, les insultes ont perdu plus ou moins leur charge.
Toutefois, " travers les insultes et le langage de loffense, on comprend
donc bien quel point la parole peut servir darme efficace, si symbolique
soit-elle, dans les relations sociales adolescentes. Efficace quand elle est
utilise directement, cest--dire de face, en prsence de linterlocuteur [. .
.]"152.
Les affronts verbaux sont multiples en cette varit de la langue franaise et
constituent une concrtisation de la rvolte des jeunes contre la langue standard. Cest
une arme qui dfend leur identit sociale. Les insultes et les injures constituent parfois
des vannes, cest--dire des

152
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 216.
"remarques virulentes, de plaisanteries dsobligeantes et de moqueries
changes sur le ton de lhumour entre personnes qui se connaissent ou du
moins font preuve dune certaine complicit"153
Les jeunes de la cit aiment plaisanter, rigoler et rire mme si ces ricanements se font
au dtriment de leur apparence physique et de leurs comportements. A titre dexemple,
Yaz qualifiait sa soeur de numro . "Sonia, ma sister, elle aussi est un vrai numro
[. . .] je me vois mal lui raconter comment les mecs me chambrent, quand ils la
miment quatre pattes" (B. p. 80).
Le numro est lindividu original ou extravagant. Il date de 1901. Chambrer
cest se moquer de, railler, mettre quelqu'un en posture ridicule. Il est driv de
(chambre) au sens de lieu clos o peuvent sexercer des contraintes.

Et si Sonia est un numro, Aziz, quant lui, est un gigolo, cest--dire un jeune
homme entretenu par une femme gnralement plus ge de lui. "Gigolo ? mon
brother ? Peut-tre ?" (B. p. 12). Le terme vient de (gigolette) et du suffixe populaire
(o), il est pass dans lusage courant.

Tout individu ridicule ou grotesque nest quun guignol . Tel est le cas de Grzi
qui prtend tre tomb sur une somme dargent cache dans une cave. "Cest mon
cadeau danniversaire, Yaz, quil me salive avec son accent moins ridicule que celui
des guignols de linfo et leur racaille de marionnettes" (B. p. 106).
Cest un emploi dvalorisant du nom propre Guignol, clbre marionnette lyonnaise
qui guigne, cest--dire jette des regards furtifs droite et gauche.

Le malfaisant, lindividu mdiocre ou nul nest quun bouffon. Ntant pas


convaincu par l'efficacit du cachet que lui a donn le marabout, Yaz sen dbarrasse.
"Lorsque je sortis de ma consultation, je tombai sur un copain et lui
expliquant mon aventure, il fut tellement impressionn quil macheta
mon grigri. Comme ctait un bouffon, jacceptai la pigeonnade en
change dun petit pactole" (B. p. 113).
Quant lhomme de rien, il est tax de bidon . "[. . .] je tends mon salut avec une
poigne de main de taroupette, je suis un bidon [. . .]" (B. p. 32). Le terme remonte
la fin du XIXme sicle. Nanmoins, lexpression cest bidon signifie, depuis 1920,
cest absolument faux."Dans le procs- verbal, tas pu ten rendre compte, lhistoire
que mon pre stait fait serr par les keufs, cest bidon [. . .]" (B. p. 148).

Il arrive que les jeunes et les adolescents fassent circuler des rumeurs et des ragots
soit par rigolade soit par tromperie ou escroquerie. Do limportance du baratin
auquel a eu recours Grzi. "Son pre navait jamais t interpell par les keufs de la
police nationale comme son walkman lavait soi-disant bav. Encore du baratin
stratgique." (B. p. 119).

153
Ibid., p. 173.
Le "baratin" est un discours mensonger qui cherche tromper, berner quelquun; il
est driv du provenal barat, c'est--dire march frauduleux. Ce sens usuel tend
devenir familier. Baver signifie parler, dire des choses peu agrables entendre. La
parole mauvaise, mchante est assimile la bave. Ce verbe remonte la fin du
XIXme sicle.
Le terme baratin fut employ comme adjectif dans: "Ses oreilles naves
mitraillaient son enregistreur crbral de la tchatche baratine que les gars du
quartier composaient pour le dstabiliser." (B. pp. 84-85)

Par ailleurs, dans les cits, les bagarres, le vandalisme et les actes vindicatifs sont de
coutume et jalonnent le quotidien des habitants. "La remorque qui abritait notre
bureau sur le parking a t dvalise, puis crame" (B. p. 120). Cramer signifie
brler et vient de lancien provenal (cramar).
En raction cet attentat, Yaz opte pour une dmonstration de force. "Marre de subir,
jai remont mes manches, le dos rond et les poings castagneurs, je suis parti la
rencontre des jaloux" (B. p. 120). Le castagneur, paru vers 1974, est lindividu
vindicatif, le bagarreur.

Dans les cits et les banlieues, les adolescents tissent entre eux des rseaux
dinterrelation rgis par la petite dlinquance, le vol et le banditisme. Do lusage du
terme braquage signifiant attaque main arme. "La soire sera sans suspense, on
verra des jeunes basans, bien friss, faire soit des braquages soit senfoncer des
piquouzes dans les veines jusqu lOD" (B. p. 24).

La forme verbale est utilise dans "je lai braqu : il a commenc vocifrer, bien
que je lui dise de faire ses excuses et comme a je classais laffaire" (B. p. 48). Et
plus tard "Mimi le chat convoyeur stait fait braquer par Grzi" (B. p. 123).
Lorigine du verbe est obscure mais sans doute lie au terme bras. Il a paru vers la
seconde moiti du XXme sicle, plus prcisment vers 1980.

La varit du FCC opte plutt pour taxer et chiper au lieu de soustraire.


Taxer signifie voler, drober ou obliger quelquun verser de largent. Ce verbe,
par rapport au lexique argotique signal dans le roman, est rcent puisquil ne remonte
quaux deux dernires dcennies du XXme sicle.
Evoquant le complot planifi par Grzi et dont il a t victime, Yaz souligne "javais
t son otage et par la mme occasion sa poule aux oeufs dor car aprs avoir russi
avoir le beur il ne se priva pas taxer largent du beurre" (B. p. 116).

En ce qui concerne chiper , il veut dire prendre sans payer, soctroyer. Il vient de
chipe au sens de rognure dtoffe. "Lorsque je chipais des pices jaunes dans la
bourse du Daron, cest Hamel le petit frre qui copait" (B. p. 35). Ecoper est
attest depuis 1867 dans le sens de recevoir, de subir quelque chose de dsagrable
notamment une condamnation. Il vient du sens mouiller lcope utilis par les
jardiniers et il est pass aujourdhui dans la langue familire.
Un parasynonyme de coper, paru au milieu du XXme sicle, se ramasser .
"[. . .] et je ne sais pas pourquoi je me sens chuter comme si sur le ring
je mtais ramass une froce droite qui me met K-O [. . .] Un paf,
bim bam da boum nuclaire fait ma tte sur le btard de sol qui me
nique toutes mes connexions" (B. pp. 114-115).
Niquer signifie endommager, dtriorer. Toutefois, il peut galement signifier
possder sexuellement, tromper ou coter.

Mais la violence peut dborder et atteindre les meurtres. "Je ntais plus le chef de
ma chair, sa meuf et lui paniquaient, pleuraient en face de moi, javais limpression
quil me suppliait de les buter" (B. p. 49). Buter ou butter , cest tuer. Il date de
1821.

Un parasynonyme argotique de buter, effacer . "Si Grzi mavait effac, Maman se


serait teinte" (B. p. 119). Effacer veut dire assommer, il sagit dun emploi
euphmique du verbe usuel et date de 1867.

Dans ce rseau de corruption et de dlinquance, malheur celui qui dnonce ses potes,
en dautres termes malheur celui qui moucharde . "Les parents stonnent de
mon matriel vestimentaire, ils ne savent pas que cest largent dAziz. Je lui ai
promis de ne pas moucharder. Moi jempoche" (B. p. 80).
Moucharder est attest dans ce sens depuis 1893, il est issu de (mouchard) et du
suffixe pjoratif (-ard). Le mouchard est un indicateur de police, un dlateur, un
oeilleton permettant de voir lintrieur dune cellule ou un appareil servant exercer
une surveillance ou un contrle sur des machines et des camions.

Face aux problmes, beaucoup de jeunes sombrent dans lalcool et certains en abusent
au point de devenir des poivrots . Le "poivrot" est livrogne. Il est issu de (poivre)
au sens d'eau-de-vie et date de 1867.
"Je suis vert, mais vert de peine, pour une nouvelle victime de la
socit qui sera punie davoir commis un meurtre cause [. . .] dun
poivrot, facho comme un rat, qui possde chez lui une vritable
armurerie [. . .]" (B. p. 61).
Un quivalent argotique divresse cuite . "A la mort de grand-pre, il sest tap
une cuite, nous a racont Maman [. . .]" (B. p. 103). Cuite date de 1864 et est
pass aujourdhui dans lusage familier.

Labus dalcool se double dun autre flau non point moins nfaste, savoir la drogue.
Dans ce monde de dlinquants et de voyous, presque la majorit des jeunes ont connu
lexprience dtre soit des revendeurs soit des toxicomanes. A limage de ce que la
tlvision diffuse, les jeunes de la cit reconnaissent avoir eu recours la drogue pour
svader de la ralit et se lancer dans des hallucinations joviales. "La soire sera
sans suspense, on verra des jeunes basans, bien friss, faire soit des braquages soit
senfoncer des piquouzes dans les veines jusqu lOD" (B. p. 24).
Piquouze est, depuis le dbut du XXme sicle, lquivalent argotique de piqre de
drogue. Il est driv de (piquer) et du suffixe argotique (ouse).

Plus le jeune se sent dprim, plus il a recours la drogue. Se rfrant Grzi, Yaz dit
"il la (lallumette) frotte sur le sol, la flamme jaillit, il ralimente la braise de son
ptard qui sest pris une pause" (B. p. 38). Ptard est lquivalent argotique de
cigarette de haschisch, il vient de (pter) et du suffixe pjoratif (-ard). Son emploi est
attest depuis les annes quatre-vingts.

Ce terme a une autre acception galement argotique que nous distinguons dans la
description de Gipsy. "[. . .] les cheveux grisonnants dun demi-sicle, son visage
ple incrust de rides en ptard confirmaient ce quil tait, un homme libre" (B. p.
83).
Lexpression en ptard signifie, ds les annes vingt, en colre.

Exploitant, en effet, toutes les acceptions de ce terme argotique, Yaz l'emploie pour
dsigner, cette fois-ci, le revolver ou le pistolet. "[. . .] il est logique de bander sur
ptard avant de chercher te faire des bombes de meufs" (B. p. 26). Ce qui veut dire
quil faut tre bien arm si tu veux gagner les coeurs des femmes.

Dans les cits o le dsoeuvrement trne, o la misre rgne, o le banditisme bat son
plein et o la drogue trouve un terrain fertile pour se propager, largent est un moyen
mme dassurer lintgration la socit centrale. Do son importance. Les jeunes
tentent tout prix de sen doter, mme si cest par voie illgale : la vente de la drogue.
Cest ce que le frre an de Yaz a fait en dpit de lopposition et de linsatisfaction de
ses parents.
"LorsquAziz est de retour, il balance des tunes mes parents qui refusent de les
empocher, pourtant on ne roule pas sur lor" (B. p. 12).
Tune veut dire une pice ou une somme de cinq francs et par extension largent en
gnral. Au XVIIme sicle, il dsignait laumne mais cest partir du XIXme sicle
quil sappliquait la pice de monnaie et de 1987 largent. Ce terme a t rpt
plusieurs reprises. "Il acheta les babioles et avec la tune, Grzi minvita au Mac Do"
(B. p.16).
Cest la "tune", scrivant galement thune, qui permet aux jeunes des sorties aussi
bien que des femmes. "Le jour o jaurai une femme des magazines, a voudra dire
jai la tune [. . .]" (B. p. 52).
Et cest dans lintention de gagner de largent que Yaz veut crire un livre. "Cest
toutes ces aventures que je vais raconter, pour me faire des tunes gogo, pour que
a change" (B. p.18).
Autre quivalent argotique dargent, oseille , terme qui date de 1878 mais dont
lorigine est un peu obscure. "Comme cest toujours les mecs de lextrieur qui
prennent loseille en racontant des histoires ou en faisant des films" (B. p.18).
Le pre du protagoniste essayait de lui trouver un travail pendant les vacances pour
parvenir augmenter son salaire. "[. . .] le Daron mavait pistonn dans sa bote pour
que je puisse me faire un peu doseille, ou, disons plutt pour que mon paye gonfle
sa fiche de salaire" (B. p.76).
Toutefois, malgr son extrme pauvret, la famille rejette largent illicite de Aziz.
"Son oseille ne fusionnera pas avec leur petit budget" (B. p.12).

Les balles et les ppettes signifient galement largent. "Tout joyeux il en sort
cinq, dix, quinze, vingt billets de cinq cents francs, soit dix mille balles quil tale
sur la ronde table" (B. p. 105) et plus tard "la liasse de dix mille balles dans laquelle
il noyait son regard, ctait la ranon que ma famille lui remit, dune faon assez
folle" (B. p.116).
Balle rfre la monnaie dune livre ou dun franc. Elle est base sur leffigie que
porte la monnaie plutt que sur sa forme circulaire. Le terme remonte 1655.
Notons que ce terme fait partie de la locution cest de la balle signifiant cest super.
"Cest sr, cest pas de la balle, comme dit Kurtis, qui narrte pas de me rpter
que nos pomes sont caca. [. . .]" (B. pp.150-151). Au XIXme sicle, l'expression (a
fait ma balle) signifiait cela me convient, a vaut le coup pour moi.

A cet gard, Pascale CERTA assure que:


"la rue adopte toujours des expressions et des tics de langage. Dans les
annes 80, quelque part tait en vogue. Dbut 90, tout fait envahit les
conversations : le oui acquiesce, le tout fait cautionne. Cette fin de sicle
est marque par de la balle. Ponctuer ses phrases par de la balle, cest
aller dans le sens du mieux, du super, du trs bien. Rien de nouveau dans
cette balle qui au XVIIme sicle dsignait une pice de monnaie par
rapprochement la balle de marchandise, donc une valeur. On disait
alors : faire de la balle de quelquun. Au XIXme sicle, a fait ma balle
signifiait galement a me convient, a va, a vaut le coup. . . {Sur la vie
de ma mre, ctte meuf cest de la balle !}. Autre mouvement de mode,
puissant, synonyme de trop, mortel, trs bien, formidable, dcoiffant et
fata"154.
Ppettes signifient de mme des pices de monnaie. Le terme s'emploie surtout au
pluriel, et constitue depuis 1867 un diminutif de "ppe". "Il faut dire cest un beau
gosse, a aide pour la baise, surtout si en plus a lui rapporte des ppettes" (B.
p.12).

Ce faisant, nous ne pouvons dire que:

154
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 14.
quant largent, le nerf de la guerre, cest le terme qui a (un) grand
nombre de synonymes : carburant, ppettes, pze, tune, sou, ou encore
pognon, un driv rgional de poigner qui signifiait dans le temps saisir
avec la main 155.
Outre le langage de lunivers carcral, les affronts verbaux, les gros mots, le FCC
comporte toute une gamme de lexique qui touche tous domaines et qui abordent tous
sujets. Prenant titre dexemple, le lexique du travail qui comprend les termes taf,
boulot et les verbes sacquer et bosser. Evoquant son frre an qui mne un
travail noir, Yaz dit:
"Aziz leur tchatche que la socit pour laquelle il travaille ne veut pas le dclarer, le
taf au black explique largent liquide, ils nen ont que faire, ils veulent voir des
fiches de paye" (B. p.12).
Taf est un quivalent argotique de travail, son origine est obscure mais peut tre
une apocope de tafouilleux, au sens de chiffonnier ou celui qui fouille dans les tas.

Le boulot dsigne galement le travail quon effectue. Lorigine du terme est de


mme obscure mais peut tre drive de boulotter au sens de aller son train puis de
travailler. "[. . .] javoue l- dessus elle a t hyper-forte : mille ans sans chier, cest
du boulot" (B. p.72).

Le lieu o nous travaillons nest quune "bote", terme pjoratif donn divers
tablissements ou locaux : cabaret, cachot, thtre, atelier, lyce ou collge.
"Pendant les vacances, le Daron mavait pistonn dans sa bote pour
que je puisse me faire un peu doseille ou, disons plutt, pour que ma
paye gonfle sa fiche de salaire. Les compagnons taient vraiment des
bosseurs [. . .] il cassait les murs de bton arm en bouffant la
poussire. Il piochait le sol [. . .]" (B. p.76).
L'argot se multiplie dans la citation. Le verbe pistonner signifie favoriser
quelquun. Il a paru vers le milieu du XIXme sicle, il vient de (piston) au sens de
protection ou de recommandation de quelquun dinfluent. Piocher signifie
travailler durement et remonte au dbut du XIXme sicle. Bosseur se dit de
quelquun qui travaille beaucoup, qui aime le travail. La forme verbale bosser est
de mme employe.
"Depuis que jai arrt les cours de lEducation nationale ou depuis
que les cours de lEducation nationale mont sacqu, je nai pas
vraiment eu loccasion de bosser, pas assez dexprience comme
disent les boss" (B. p.10)
Le verbe constitue un abrgement de la vieille locution (bosser du dos) qui est attest
dans louest de la France au sens de se courber sur un travail. Le verbe dsigne en
gnral un travail honnte et non pas une activit du milieu. Il est plus populaire
quargotique.
Quant au verbe sacquer il signifie congdier, cest une variation picarde de
lancien franais sachier qui voulait dire tirer du fourreau, secouer. Il date de 1867.

155
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 9.
Plaquer quant lui signifie abandonner un travail et son usage dans ce sens est
attest peu avant 1544. "Il (Aziz) sest fait plaquer et donc na plus aucune rentre
dargent" (B. p.124).

Quand on na plus de travail et quon ne sait quoi faire, on se met glander .


"Pendant quil nettoyait le bec de la plume royale, moi, je glandais dans son lieu
mystique" (B. p.110), narre Yaz. Le verbe est driv de (gland) au sens dimbcile et
date de 1941.

Le FCC trouve un plaisir particulier semer largot partout. Lhabillement et les


vtements en gnral ne sont plus dsigns que par sapes . Grzi raconte le jour de
la libration du prisonnier en ces termes:
"Respirer un bon coup avant doser frapper la porte de ton vrai
chez-toi, tarranger une dernire fois le col de ta chemise, loigner de
toi ton sac plastique plein de tes sapes en gros en marqueur noir les
matons ont marqu ton numro dcrou et le nom de la prison qui ta
hberg ces dernires annes" (B. p.154).
Yaz lui-mme lemploie : "Problme, mon oeil droit reste ferm [. . .] le gauche me
fait constater que mes sapes sont recouvertes du rouge de mon sang" (B. p. 87) et
parlant de son copain, il dit "Je me demande o il a pu foutre toutes ses sapes" (B.
p.64).
La forme verbale saper est galement employe. "Le naturel revient souvent au
galop, je me la pte hip-hop, me sape rappeur [. . .]" (B. p.32). Lorigine du verbe est
inconnue, mais provient probablement du franc-comtois (dessaper) au sens de (essorer
le linge).

Le costume se trouve dsign par costard. "Un animateur en costard-cravate, aux


accents du Sud, faisait gagner des lots" (B. p.16).

Le pantalon ou la culotte deviennent des frocs. Le terme vient du francique qui a


donn lallemand rock au sens de tenue."[. . .] bien aim, tu possdes le respect, cela
tapporte la cote avec les meufs, tas comme deux zobs quand le flingue se cale
ton froc", raconte Yaz (B. p.26).
Evoquant le comportement aimable du Pre par rapport celui des matons , Grzi
dit: "cest pas lui qui te ferait baisser ton froc et qui te plierait genoux pour
observer si ton anus ne dissimule pas de chichon [. . .]" (B. p.152).

Un parasynonyme de frocs, "fute". "Trop dans ma prcipitation, j'ai oubli mon


bonnet LA, mais mon pyjama sous mon fut compense" (B. p. 32). L'origine du terme
qui a comme variante futal est obscure mais provient probablement de l'allemand
"futte" au sens d'tui.
Les souliers et les chaussures, quant eux, sont dsigns par pompes . "Me voici
dj dans ma paire de pompes dont je tairai la marque, il ny a pas de sponsoring
dans mon histoire [. . .]" (B. p.30)
Pompe est une ellipse de pompe aspirante et dsigne lorigine des chaussures en
mauvais tat, qui prennent leau par la semelle. Le terme est employ par Grzi aussi
bien que par Yaz.
"Face face ton pre, ton regard baiss, tu fixes tes pompes de prisonnier [. . .]"
(B. p.154).
"Boum boum boum font mes coups de pompe contre la chne de porte du squat
[. . .]" (B. p.57).

Par ailleurs, le terme pompe a figur dans une autre acception: "L, comme le
soleil arrive, on trouve des mecs torse nu, les pompes sculptent leur corps et les
records se vrifient." (B. p.138).
Dans cette citation, il signifie un mouvement de culture physique assez pnible,
consistant dans la position plat ventre, faire monter et descendre alternativement le
haut du corps raidi, par la seule force des bras.

Un parasynonyme de "pompe" au sens de chaussures, grolles . Dcrivant Grzi,


Yaz dit "Il est relax, je remarque vraiment un corps dathlte sous sa nouvelle
carapace, mme sans ses groles, il a toujours cinq centimtre de plus au-dessus de
ma tte" (B. p.63). Grolles vient dun terme occitan issu du latin populaire (grolla)
et remonte au XIIIme sicle.

La matire plastique se nomme en FCC plastoc . "Dun shoot, le torchon atterrit


dans la corbeille en plastoc jaune" (B. p.43). Il sagit dune suffixation populaire
avec jeu de mots probable sur toc.
Le toc en argot signifie ce qui est faux, imit et par l dsagrable, laid et mauvais.
Evoquant les tatouages, Grzi dit "des symboles il y en a et crois-moi pas en toc" (B.
p.148). Cest un emploi spcialis de lonomatope qui voque le son mat du cuivre,
du doubl (par opposition au son plein que rend le mtal prcieux). Il date de 1835.

La malchance nest que la poisse , terme qui date de 1909. "De toute faon, dans
ce domaine, il a t vaccin, il est mme tomb dedans quand il tait tout petit. Grzi,
cest lOblix de la poisse" (B. p.113).

Le logement peut tre dsign soit par piaule soit par bahut. "Dommage, les
portes des chambres ne sont pas multivitrages parce que mes vieux font dborder
leur voix jusque dans ma piaule" (B. p.29). Le terme vient de lancien franais (pier),
cest--dire boire et remonte 1835.
"Je lai suivi en douce et jai vu o tait son bahut" (B. p.47). Le terme vient d'une
forme hypothtique (ba-ul) au sens de coffre ; lide est celle dun volume plus ou
moins humainement habitable. Il date de 1864.

Lhpital en argot est dsign par "hosto". "Depuis mon retour de lhosto, au rveil,
je nai plus le barreau [. . .]" (B. p. 124) et "le deuil de mon petit frre, je le passai
lhosto loin des miens" (B. p.37).
Il est issu du latin (hospitale) qui produit en franais htel et hpital. Il a de
nombreuses variantes de forme telles que hostau et hostiau.

Le groupe nominal des clopinettes s'emploie au sens de rien du tout. "Couper du


carton toute la journe pour des clopinettes, non merci, surtout qu'il y en a trop qui
se sont fait sauter des bouts de doigts" (B. p. 152)

Dautre part, parmi les verbes les plus usits dans le FCC figure celui de foutre . Ce
dernier a bon nombre dacceptions dont les plus importantes sont :
- mettre comme dans : "Le Daron a foutu Mimi le chat dans un sac tanche et
plouff ! !dans le fleuve qui a comme terminus la mer, il la balanc" (B. p. 124);
"Je me demande o il a pu foutre toutes ses sapes. Il ne va tout de mme pas aller
chez les keufs dans son habit vert" (B. p.64)

- donner ou faire comme dans:


"Ct encul mavait foutu un coup de boule en tratre qui ma pt mes deux dents
de devant" (B. p. 47);
"Le projectile lui a foutu un K-O, il ne sentit pas le coup [. . .]" (B. p.101);
"[. . .] foutre une saillie un talon, il faudrait que je prenne du poids, ou que
japprenne mieux viser les chats de notre jungle." (B. p. 80).
Le verbe vient du latin (futuere) employ essentiellement pour rfrer la possession
sexuelle, le sens de mettre et donner parat vers 1789 et celui de faire vers 1893.
Si autrefois, "ce verbe foutre tait extrmement vulgaire, trs choquant.
Maintenant, non seulement ce nest plus vulgaire, mais mis part les gens
qui ont fait des tudes particulires, si vous faites une enqute auprs des
moins de quarante ans, trs peu dentre eux savent que foutre signifie
baiser. [. . .] De nos jours, le sens dorigine est compltement attnu
(quest ce que tu fous l ?) est senti comme une variante familire de
(quest ce que tu fais l ?)"156
La forme pronominale, paru vers 1883, est galement employe au sens de mettre .
"Pendant que lartiste de la bande contemple son graphisme, les autres
tranquillement se foutent dans le cerveau la fume rauque du joint" (B. p.19);

156
DUNETON, Claude, Op.cit., pp. 194-195.
"[. . .] je prfre garder cette vrit enfouie en moi, la premire dose quHamel sest
foutue dans les veines, cest dans la poche dAziz quil la trouve" (B. p.80).

Le substantif foutage est employe dans lexpression le foutage de la gueule ,


parue vers 1730, et qui souligne la moquerie. "Tu te reois un boulon qui te traverse
le crne, tout a parce que la fois dernire en promenade tu as ri trop fort et quun
dtenu la interprt comme tant le foutage de sa gueule [. . .]" (B. p.152).

Ladjectif foutu mrite galement dtre signal. "Pourquoi jai fait a ?


maintenant ma vie est foutue, pourquoi je suis un connard comme a ?" (B. p.42),
se demande Grzi. Ladjectif porte un jugement dprciatif plus nettement argotique
que son parasynonyme fichu. Il signifie galement vou une mort certaine.

Autre verbe argotique : jaser, signifiant parler trop ou faire une dnonciation. "Ce
privilge, dans le quartier fit jaser les gars tout frachement dtachs de leurs
cachots. Ils mavaient vu en train de chialer comme une madeleine [. . .]" (B. p.15).
Le verbe provient dun radical onomatopique qui est le mme que celui de gazouiller
et remonte 1867. La citation comporte chialer qui signifie pleurer, geindre, il fait
partie des verbes dialectaux dorigine onomatopique et date de 1847.

Au lieu dutiliser le verbe comprendre , les adolescents des zones sensibles


prfrent celui de piger . "Les jeunes prsent se sont ghettoriss avec leur
mixage oral qui les laissent sur la touche de lintgration. Nayant rien pig, je fais
comme lcole" (B. p.45).
Le verbe vient dun terme dialectal issu du bas latin (pedicus), cest--dire prendre au
pige; lacception de comprendre n'a pris naissance que vers 1835.

Dans les quartiers, les banlieues et les zones, on ne mange pas, mais plutt on
bouffe. La forme verbale est dorigine onomatopique, voque le gonflement des
joues et remonte au XVIme sicle. "Tes condamn bouffer la gamelle que la
prison te donne et tes oblig daccepter les affaires que la prison toffre." (B. p.153).
Par suite, la nourriture nest que la bouffe, terme qui date davant 1926. Concernant
la bouffe, Pascale CERTA assure que
"son apparition remonte au dbut des annes vingt, dj dans le sens de
nourriture. Alors jug grossier, il attend les annes soixante pour entrer
dans le langage de tous les jours. Aujourdhui, il ne choque plus personne,
saffiche sur les tee-shirts, au cinma et mme la devanture des
restaurants."157.
Parmi les autres verbes argotiques filer et se dfiler . Le premier est
polysmique et quivaut depuis 1835 des verbes exprimant la direction ou le
mouvement (donner, mettre, jeter, envoyer), alors que le second signifie se cacher,

157
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 20.
cest un emploi spcialis du verbe militaire, sans doute issu du bizutage consistant
faire dfiler sous une table les nouveaux arrivants, il remonte 1860.

"Une fois quil enfile son uniforme


sa frousse se dfile et il te file une fouille
mme sur prsentation de tes pices didentit [. . .]" (B. p.84)

Et "Le jour 1, comme tes stress, le mdecin te file des cachetons qui te calment. Le
mdecin ma aussi fil des clous de girofle pour camer ma rage de dents." (B.
p.156). Les cachetons sont les cachets pharmaceutiques.

Le verbe chatouiller , quant lui, signifie manoeuvrer, agir sur. "L-bas, petit, lui
disait Ben, au Mexique, la boxe est une religion, sils te voyaient chatouiller le sac
comme tu le chatouilles, crois-moi, tu serais la honte du pays" (B. p.89). Lorigine
du verbe nest pas assez claire, mais peut tre drive d'une formation onomatopique.

Coltiner signifie porter une lourde charge. "Le poison javellis de Grzi ma
coltin des ulcres. La fracheur du got de fraise est passe mais ils sont rests." (B.
p.121).
Le verbe est issu du (coltin) et date de 1835, le coltin est le fort des halles ou un
travail pnible.

Quand les ados veulent partir ou sen aller, ils emploient le verbe dgager . "Un
jour prochain, moi aussi je dgagerai de cette cit aux couleurs bonbons. Du
courage, il me faudra pour affronter le monde extrieur" (B. p.125).

En FCC, le verbe tlphoner se trouve le plus souvent substitu par bigophoner .


"Il paratrait que la sister fugueuse travaillerait comme caissire dans une suprette.
De temps autre, elle bigophone Maman qui en cachette garde le contrat" (B.
p.125). Le verbe est issu de bigophone et utilis depuis 1954.

En cas de pril, les jeunes se planquent, cest--dire se cachent pour chapper un


danger. Le verbe date de 1843. "Je me planque avec mon pote Grzi qui a commis
une btise la sortie dune cole" (B. p.79).

Quand on est inquiet, quon plonge dans lanxit, on caille. "On raconte que pour
prendre des formes, elles se mettent les fils dans le fion, est-ce une obligation ?
Trop, cest grave. Je caille" (B. p.29).
Le verbe est galement employ pour souligner la froideur. "Cest mortel comme il
caille, jai limpression dtre dans mon frigidaire" (B. p.9). Le verbe est bas sur
limage du sang qui caille dans les veines soit du froid soit danxit.
Le verbe palper semploie en FCC pour signifier fouiller, il date de 1884. "Mains
prises, je suis dans limpossibilit de palper les objets qui mentourent" (B. p.74).

Quand on veut obtenir une information dune personne et qu'on linterroge


longuement et plus ou moins nergiquement, on la cuisine . "Grzi semble lcher
plus de termes, il est moins tracass. Je peux commencer le cuisiner, mais en vain,
il nest pas dupe" (B. pp.44-45).

Quand gober , il signifie aimer ou apprcier, il remonte 1846. Racontant


comment le chien Triple K a t tu, Yaz dit "[. . .] les Gremlins soufflrent des
boulettes de viande hache, lune aprs lautre, Triple K les goba, hlas, pour lui,
toutes taient gaves de mort-aux-rats" (B. p.62).
La forme pronominale du verbe existe au sens d'attraper. "Un porc ne pourrait vivre
l sans avoir craindre de se gober un mauvais microbe" (B. p.20).

Un parasynonyme de se gober , choper . "Javais chop une fivre" (B. p.74) et


plus tard "[. . .] alors si mes doigts pas propres de quelques jours samusent la
doigter avec insistance, je risquais de me choper une gangrne" (B. p.88).
Le verbe est issu de (coper) au sens de trbucher, de faire un faux pas.

Quand on plaisante, quon veut rire et samuser, on rigole . "Il a rigol quand je lui
ai confess mon projet dcrire un livre" (B. p.122). Cest un croisement de rire et du
vieux verbe (galer) au sens de samuser. Il est actuellement pass dans lusage
familier.

De son ct, le verbe pter signifie en argot clater, craquer. "Ct encul mavait
foutu un coup de boule en tratre qui ma pt mes deux dents de devant" (B. p.47).
Il est issu de (pet), issu du latin peditum. Cette acception remonte 1585.
Ce mme verbe entre dans la locution se la pter qui signifie se la jouer, crner ou
frimer. "Aux premires questions tous lvent la main question de se la pter
gangster, mais aux secondes tous tapent le cameraman qui n'a pas senti le guet-
apens se renfermer" (B. p. 21); et plus tard "Le naturel revient souvent au galop, je
me la pte hip-hop, me sape rappeur [. . .]" (B. p. 32).

Le participe prsent du verbe s'emploie, d'autre part, comme adjectif. "Le dernier soir
dans leur cellule, un samedi, le premier du mois, le plus chaud des plus chauds
dans toute la prison, minuit ptante, un cho de voix s'chappa de toutes les
cellules [. . .]" (B. p. 143). Minuit ptante signifie minuit prcise.
Au lieu de dire coucher ou dormir , les banlieusards prfrent dire pioncer .
"Si lui il pionce, moi aussi je vais me taper un somme" (B. p.64). Cest une variante
de (piausser), issu de peau, au sens de lit fait de peaux de bte.

Tripoter signifie manipuler un objet de faon la fois rpte et distraite. Il vient


de (tripot) au sens ancien de mange, et date de 1611. "Je tripote le cocard, a ne me
fait pas mal [. . .] jarrte de la peloter sinon elle risquerait de me faire hurler,
mme de sinfecter" (B. pp.87-88).
La citation regroupe dautres termes argotiques: peloter , cest caresser
sensuellement, il a paru vers 1780, cocard est l'oeil tumfi, il vient de (coque) au
sens de coup, contusion, ou d(oeil la coque), cest--dire gros oeil bouffi.

Finalement, le verbe gazer signifie agresser avec une bombe lacrymogne. "[. . .]
Elle (Sonia) l'a regrett: en pensant se parfumer, elle s'est gaze. Par mfiance,
j'avais recouvert ma bombe lacrymogne d'une tiquette de dodorant" (B. p. 53).
C'est un verbe polysmique qui peut galement signifier, se vanter, se moquer de
quelqu'un, courir, ou mme puer.

Passons maintenant aux expressions dominant le FCC et dont la plus employe est
poil signifiant tout nu. "Bonjour lhygine de certaines hynes qui nassument pas
de saccepter sans survt-baskets, de toute faon mme poil comme des vers, ils
restent habills de tatouages volont" (B. p.147).
"Il tait dans les rangs des professionnels, il a tir dans la catgorie des welters 67
kilos en slip la pese ou poil pour gommer les grammes en trop" (B. p.88).
Lexpression a paru vers 1858 et peut tre employe comme apostrophe plus ou
moins injurieuse.

Mais si poil signifie tout nu, dun poil signifie de presque rien. "Une fois jen
ai vis un, il tait pile sur ma ligne de mire, je lai rat dun poil, tant mieux, ctait
le chat de ma sur" (B. p.81).
Ladverbe pile dans la citation signifie exactement, il peut former avec poil une
expression ayant le mme sens. A propos de la remorque, nous entendons: "son
volume est pile poil celui dun bureau" (B. p.18). Cette expression a pris naissance
vers 1995.

Quant la locution adverbiale que dalle , elle signifie rien du tout . "Un petit
zoomage dans la fente de ma bote aux lettres, y a que dalle, bonne nouvelle pas de
nouvelle" (B. p.31). Cette locution est devenue trs populaire avec le verbe
comprendre et ses synonymes. "[. . .] le plus vieux des gorilles qui avait les plus
mchants nerfs me demande de faire un drapeau avec une feuille cantiner,
bouche be javais pig que dalle, ils comprirent de suite jtais un primaire" (B.
p.195).
En ce qui concerne avoir la dalle , cest une locution qui a paru vers 1960 pour
signifier avoir faim. "Pas le temps de prendre une douche, jai la dalle, dans la
cuisine rien mettre sous la dent" (B. p.52).

Faisant allusion au crime dans lequel Grzi est impliqu et qui risque de se
compliquer davantage, Yaz a eu recours lexpression tourner au vinaigre qui
signifie finir mal. "Grzi les frquente trop souvent mon got, mais il est oblig sil
ne veut pas se trouver seul et sans renfort les jours o a tournerait au vinaigre
pour lui" (B. p.27). Lexpression nest pas rcente et date de 1894.

Un de ces quatre matins est une expression voulant dsigner un de ces jours. Elle
remonte la premire moiti du XXme sicle. "[. . .]. Sans la solidarit des voisins,
on serait carrment dshydrat lun de ces quatre matins" (B. p.27).

Le fait de svanouir se traduit en argot et en FCC par la chute dans les pommes .
Lexpression date de 1889. ". En urgence, on me dposa de nouveau sur le billard
pour stopper lhmorragie aggrave par ma chute dans les pommes. Le deuil de
mon petit frre, je le passe lhosto loin des miens" (B. p.37).

Tomber dans les vapes signifie de mme svanouir. "Un jour aprs un violent
combat, Maman tomba dans les vapes en sang" (B. p.24).
Lexpression dans les vapes tout court signifie tre hbt, sous leffet soit dune
drogue soit dun choc physique ou moral. Elle remonte 1935. "La gueule encore
dans les vapes, et la voix mollardeusement rauque du rveil" (B. p.68).

Quand on napprcie pas trop une situation ou une chose, on emploie cest pas le
pied qui veut dire "ce nest pas agrable". "Voir un pote dans cet tat, cest pas le
pied" (B. p.43). Cest une expression qui date de 1973.

Le FCC emploie a fait un bail pour dire "il y a bien longtemps". "a fait un bail
que je ne mtais pas vu. Il faudra absolument que jaille chez le coiffeur [. . .]" (B.
p.88). Cest un dverbal de bailler au sens de dormir. Ce terme trs ancien (XIIme
sicle) correspond lide de dure garantie, do longue dure.

Quand les jeunes en ont assez, ils ont recours en avoir marre . "Je viens avec toi,
jen ai marre de rester ici me glander" (B. p. 70) et "jai bien envie daller faire un
petit tour dans le quartier pour pirater des histoires, dailleurs, jy vais marre de
tenir la chandelle Grzi et sa cigarette magique" (B. p.38).

Se prendre la tte c'est s'ennuyer, s'irriter: "Mais comme mon Daron est encore en
train de se prendre la tte avec la Maman mon sujet, c'est pas le moment de sortir
de ma chambrette" (B. p. 28).
Depuis le dbut des annes 80, l'expression prendre la tte fait un tabac.
On se prend la tte quand c'est difficile, nos mmes nous prennent la
tte quand ils ne sont pas sages, on a une prise de tte avec le patron,
chaque jour des exemples viennent illustrer cette locution. Prise de tte,
prise de bec ou encore prise de nerf, le sens identique renvoie la
dfinition de nerver qui signifie littralement: ter les nerfs [. . .]158
Lexpression mort aux vaches constitue un juron anarchiste qui date de 1879. "Jai
fini par comprendre un point, lemblme du solitaire, trois points, mort aux vaches,
cinq points seul entre quatre murs [. . .]" (B. p.147).

Pour sa part, la locution verbale avoir de la chatte signifie avoir de la chance. Elle
correspond la forme populaire avoir du cul, l'argot avoir du fion, compte tenu du
fait que chatte dsigne en argot le sexe fminin. "On a de la chatte, pour ne pas dire
de la chance, que notre culture-cit n'ait t inspire par le baiser sur la bouche
la mode des goulags de nos camarades russes" (B. pp. 32-33)

Quand on est en colre, en mauvaise humeur, on se met en rogne . "Napolon se


met en rogne" (B. p.123). Le substantif est un dverbal de (rogner) et remonte 1501.

Quant aux adjectifs les plus rpandus, citons chouette . "Cest une chouette fille
quils me disent, rveurs" (B. p.125). Ladjectif marque une apprciation logieuse, il
vient de lancien franais choter, cest--dire faire la coquette. Il date de 1825.

Un autre adjectif accompagnant ironiquement certains substantifs, "pteux". "Le


cameraman de la TV a mme pens distribuer quelques 8/6 pour les bouches les
plus pteuses, lalcool crache mieux le verlan." (B. p.21). Ladjectif est issu de
bonne pte au sens de brave type. Il date de 1895.

Le "riquiqui" est tout ce qui est minuscule ou mesquin, il remonte 1867. "Jy ai
mme install mes initiales avec un riquiqui morceau de carrelage que jai dgraf
du sol" (B. p.127).

Glauque exprime une apprciation fortement ngative. Cest un emploi intensif et


pjoratif de ladjectif usuel. Il date de 1984. "La cage de Napolon est trs glauque"
(B. p. 73)

De par ce qui prcde, nous affirmons que largot fait parade dun style de vie, il
dcrit le vocabulaire de lunivers carcral, de la sexualit, des insultes en vogue et de
la dviance, il sentoure du halo des domaines du mauvais aloi. Nanmoins il a une
place de choix dans le FCC, il le truffe. Le primat de la langue franaise standard se
trouve donc amenuis. Le souci de bien dire et de parler comme il faut est rvolu. Les
habitants des cits emploient une langue argotique dpouille de tout ornement

158
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 15.
classique. Les units employes nont pour la plupart rien de bien nouveau. Il sagit
de termes anciens ressuscits dans les banlieues malfames pour souligner la rupture
avec la socit moderne. La langue circulante dans les zones sensibles procde un
recyclage de largot, en rutilisant les termes anciens, dsuets, en sommeil depuis des
annes et en les remettant au got du jour pour crer une certaine connivence. "[. . .]
les vocables argotiques d'avant-hier devenant souvent les termes chtis d'aprs-
demain".159
Le FCC, par la forte teneur argotique qu'elle comprend, constitue une varit de la
langue franaise qui manifeste une identit intracommunautaire dissidente
(gnrationnelle, elle est essentiellement utilise par les jeunes, et sociale, elle est
principalement la langue des cits). L'argot dans Boumkoeur est une variation
diastratique puisqu'il est employ par les adolescents banlieusards qui exploitent les
termes anciens.
Puisque largot est toujours conu comme tant une langue en marge, il conviendra
mieux reflter leur proccupation quotidienne, traduire les vicissitudes des cits,
contourner la forme acadmique et transgresser les normes. Les banlieusards parlent
leste et cru, c'est le moins quon puisse dire. Cest un argot contestataire qui passe
une familiarit courante mais son origine demeure toutefois argotique. Les dchirures
sociales et langagires sont profondes et indissociables. Bref, dclassements social et
linguistique vont de pair.

159
GILDER, Alfred, Et si l'on parlait franais?, prface de Claude HAGEGE, Paris, Le cherche midi
diteur, 1993, p. 183.
Deuxime Chapitre
Les marques transcodiques
"Lidentit se fonde en ralit sur une
ethnicit invente ou reconstruite,
cest--dire bricole partir
dlments emprunts la modernit
du pays daccueil et au pass
mythique et fantasm des origines"160

La langue est-elle un systme ferm sur soi ? Concevons-nous une langue qui
ne se nourrit que de ses propres origines ? Existe-t-il un conflit ou plutt un contact
entre les langues ? A lheure de la mondialisation et des technologies de linformation,
les langues seront-elles labri des invasions lexicales ?
En effet, la rponse ces questions rside dans les marques transcodiques "c'est--
dire (l)es marques [. . .] qui renvoient d'une manire ou d'une autre la rencontre de
deux ou plusieurs systmes linguistiques"161 dans un seul discours. Ces marques
englobent trois phnomnes linguistiques: les emprunts, les alternances et les
interfrences entre lesquels nous allons essayer de cerner les diffrences.

En effet, le phnomne le plus important de ces marques est celui de lemprunt.


Prsent depuis longtemps, il concerne toutes les langues et est d essentiellement soit
la proximit gographique soit aux conqutes de colonisation. Tant quil y a contact,
il y a emprunt. Lemprunt nest donc qu"un lment dune langue intgre au
systme linguistique dune autre langue"162.

Ce faisant, "il y a emprunt linguistique quand un parler A utilise et finit


par intgrer une unit ou un trait linguistique qui existait prcdemment
dans un parler B (dit langue source) et que A ne possdait pas ; lunit ou
le trait emprunts sont eux-mmes qualifis demprunts"163.
Ce phnomne est troitement li lvolution des langues diverses et il nest pas
exclusif aux temps modernes. Evoquant le cas de lhexagonal, Alfred GILDER assure
que
"latinis pendant des sicles, italianis au seizime, hellnis au dix-
neuvime, anglicis outrance au vingtime, le franais na cess dtre
une langue demprunt, comme beaucoup dautres"164.
Si le franais sest nourri au cours des sicles dautres langues, il est
actuellement soumis la vague dferlante des anglicismes. Ce qui a fait couler de
lencre. Citons titre dexemple le verveux polmiste Etiemble qui a dfendu la
langue franaise et sest lev contre la domination culturelle et par suite langagire
des Anglo-saxons et des Yankees. Pour lui, les deux guerres mondiales ont jou un
rle ne pas ngliger dans lasservissement de lhexagonal langlais. "Pour

160
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 88.
161
BOYER, Henri, Plurilinguisme: contact ou conflit de langues, Paris, L'Harmattan, 1997, p. 25.
162
HAMERS, Josiane F et BLANC, Michel, Bilingualit et bilinguisme, 2me dition, Bruxelles, Pierre
Mardaga, 1983, p. 451.
163
DUBOIS, Jean, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1994, p.
177.
164
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 155.
triompher de lAllemagne, sil faut que la France abandonne sur les champs de
bataille outre des millions de cadavres, le cadavre de sa langue [. . .]"165

Depuis, ce sont la domination conomique, la suprmatie technique et la


prpondrance politique, non plus de la Grande-Bretagne mais des Etats-Unis, qui
font briller langlais aux yeux des Franais. Cest par snobisme que les Hexagonaux
trouvent un plaisir incruster les anglicismes dans leurs discours.
"Au XXme sicle, le dveloppement massif et exponentiel des sciences et
de la technologie vient des Etats-Unis surtout et non plus du Royaume-
Uni. Or, la technologie se vend et lacheteur nacquiert pas seulement des
contenus, des concepts ou des outils mais aussi, bon gr mal gr, les mots
qui leur servent demballage"166.
Pour lauteur, tout ce qui est anglais se vend bien puisquil connote lide d'opulence
et de prestige. Ce qui nest pas sans impact sur les jeunes chez qui laspiration
transcender les cloisons sociales est forte. "Emailler le texte de mots anglais, a fait
terriblement chic, a connote laisance se mouvoir dans le monde des paillettes, du
luxe et de linnovation et cest aussi trs ludique et trs jeune"167

Parler anglais, cest faire partie de llite, voire se donner lillusion de faire partie de
la haute bourgeoisie.
"On sent chez le cadre ou le lycen qui manie langlais le bonheur de
faire partie des lus, les locuteurs les plus comptents, donc les plus
privilgis, suscitent lenvie de ceux qui pataugent lourdement dans la
langue des dieux (dieux du commerce, du stade, de lInternet, du show-
biz), les moins comptents subissent aussi le poids des complexes et des
frustrations, tout comme ceux qui nagure ne savaient pas lire le latin et
le grec"168.
Au snobisme et la motivation ludique vient sajouter une autre raison pour la
propagation des anglicismes, savoir le tourisme
"qui attire [. . .] des trangers dont la portion la plus compacte est anglo-
saxonne, clientle riche, dont la prsence incite certaines branches de
commerce (htellerie, magasins de luxe) et des quartiers entiers de Paris
parler anglais (English spoken), se parer denseignes en anglais,
crer des noms de marque en anglais, parfois mme afficher leurs prix
en livres et en dollars"169
Finalement, il ne faut pas perdre de vue quil existe un autre motif, purement
linguistique, pour lexpansion de langlais.
"Langlais est une langue morphologie relativement pauvre, dans
laquelle la nologie fonctionne par conversion et composition, plutt que
par drivation. Le stock lexical natif (dorigine anglo-saxonne) est en

165
ETIEMBLE, Parlez-vous franglais ? Paris, Folio, Gallimard, 1991, p. 269.
166
YAGUELLO, Marina, "X comme XXL, la place des anglicismes dans la langue", in Tu parles?!, le
franais dans tous ses tats, sous la direction de CERQUIGLINI, Bernard, CORBEIL, Jean-Claude,
PEETERS, Benot, Paris, Flammarion, 2000, p. 354.
167
YAGUELLO, Marina, "X comme XXL, la place des anglicismes dans la langue", p. 361.
168
Ibid., p. 355.
169
ETIEMBLE, Op.cit., p. 293.
grande partie monosyllabique, donc lger manier. De plus, les
ressources de la mtaphore et de la mtonymie prennent le pas sur les
formations savantes [. . .]. Do un lexique fondamentalement imag,
concret et dpourvu dopacit"170
Toutes ces raisons se sont entrelaces pour permettre des irruptions et des
incrustations des termes anglais. Ce qui ne manque pas de provoquer les puristes
soucieux de sauvegarder le patrimoine franais, et exasprs de linertie et de
lapathie de lAcadmie franaise.
"Poursuivant, et parfois prcdant lvolution du langage, le dictionnaire
populaire qui essaime tous vents, apporte chaque anne sa cuve
danglicismes. Gardienne de notre langue, lAcadmie franaise ne peut
pas la rgenter. La digue, qui servant de rempart, a rompu. Et venant
dOutre-Atlantique, des cercles hupps, autant que des tripots sordides, la
vague dferlante a dbord. Les mots ailleurs submergent notre langue
dsormais sans frontires ni douanes ni francisation"171
Ces linguistes ont le coeur rong de voir la langue de Molire une langue copieuse,
dpendante dune autre et par l asservie et menace. En revanche, dautres voient
dans ces cris dalarme une exagration qui na aucune raison dtre, tant que la
plupart des termes emprunts langlo-amricain se trouvent intgrs la texture de
la langue franaise et ne sont plus sentis comme trangers.

Mais vrai dire, la monte des anglicismes dans le franais est inquitante. Ils
s'introduisent partout et ont la part du lion des emprunts. Les jeunes trouvent un
plaisir greffer les termes emprunts langlais sur leurs discours.

Certaines units lexicales peuvent tre empruntes telles quelles, cest--dire sans
subir aucune modification, ne serait-ce quun changement de prononciation conforme
la phontique franaise. Dans ce cas, il sagit demprunt pur, simple ou direct.172
Cest le cas de cool au sens de dtendu, tranquille, ouvert autrui. L'origine du
terme est hippie et son apparition dans lcrit date de 1975. Yaz lemploie pour
qualifier sa soeur: "Ma soeur, elle sappelle Sonia. Elle est cool, elle a vingt-quatre
ans, ma grande soeur, seule fille de la famille" (B. p. 11), et pour dcrire son tat
lors dun rve "cette nuit- l, javais t transmut en une sorte de super-hros qui
sauvait la pelle. Etre un super-homme, cest cool [. . .]" (B. p. 28).

Le mme adjectif invariable est employ par Grzi, ce qui prouve sa frquence chez
les adolescents. "De toute faon, il ne me restait plus quune nuit passer dans cette
cellule, ensuite je serais, je lespre, avec des prisonniers plus cool que ces deux
gorilles [. . .]" (B. pp. 142).
A propos de la tlvision, il dit : "cette pouffiasse, elle ne veut pas fonctionner, cest
pas cool, cest lheure de mon Dragon Ball Z" (B. p.26).

Le dtendu peut galement tre dsign par relax .

170
YAGUELLO, Marina, "X comme XXL, la place des anglicismes dans la langue", p. 356.
171
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 34.
172
Cf. VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Procds smantiques et lexicaux en franais branch"
in Langue franaise, n : 90, Paris, Larousse, Bordas, 1991, pp. 69-70.
"Il est relax, je remarque vraiment un corps dathlte sous sa nouvelle
carapace, mme sans ses grles, il a toujours cinq centimtres de plus
au-dessus de ma tte. Il aurait fait du sport avec ses 1 mtre 85 et 70
kilos environ, un crack il aurait t" (B. p.63).
Ladjectif a paru vers 1955, il peut tre employ comme adverbe (relaxe) pour
signifier doucement. Le crack est un individu remarquable par sa comptence, son
talent, cest un terme anglais dsignant essentiellement un bon cheval de course.
L'emprunt date de 1918.

Pour sa part, ladjectif hard vient parfois remplacer dur. Evoquant lhomosexualit
qui se pratique dans les prisons, Grzi dit: "Puis arriva un silence dune heure
trente, soit la dure dun film X, qui ce soir- l tait vraiment hard, merci Canal"
(B. p.143).
Hard signifie excessif, tendu, qui cre langoisse, il dsigne certaines activits
dures comme le hard rock, le cinma et la pornographie. Cest un anglicisme hippy,
un terme trs en vogue dans les annes quatre-vingts.

Le FCC substitue black noir et lemploie pour qualifier les anims aussi bien que
les inanims. "a peut paratre clich de dire quil tait black africain, mais cest la
vrit vraie" (B. p.107).
Le terme se dit dune personne de race noire, cest une dsignation non pjorative qui
a comme variante blackos et blackie . Il a paru vers 1982. Bien avant "black" ont
exist "ngre" et "homme de couleur" qui avaient des connotations escalvagistes.
"Mais black, on le voit, ne dsigne pas nimporte quel Noir. Cest plutt le
Noir jeune et branch. Rapidement, ladjectif black, toujours en franais,
va dsigner tout ce qui appartient la mouvance noire jeune et branch.
[. . .] Et black, a claque ! on va dailleurs trs vite sapercevoir que ce
mot en franais fait beaucoup de rfrence une culture qu une
couleur"173
Le terme a connu une grande expansion au point de faire partie de la langue courante.
Par extension, Yaz lapplique des choses. "Puis il me tend un black sac plastique
verrouill triple noeud, je le ttonne sa demande afin de dcouvrir ce quil
dissimule" (B. p.105).

"Aziz leur tchatche que la socit pour laquelle il travaille ne veut pas le dclarer, le
taf au black explique largent liquide [. . .]. (B. p.12).

"[. . .] Grzi le superstitieux sortira lune des tiges, la noircie avec la flamme de son
zippo [. . ., puis il rintroduira la tige black dans le paquet" (B. p.33).

La variante blackos a galement fait son apparition lors de la description de la


pripatticienne. "On la baisait comme une chienne enrage, sa main droite tenait
une beute [. . .] enfin sa poupoune jouait au yoyo, avec une beute de blackos" (B.
p.86).

173
MERLE, Pierre, Le prt parler, pp. 103-104.
Les jeunes en signe de protestation et de rbellion trouvent dans les tags une forme
dexpression assez efficace. Le tag est un graffiti reprsentant la signature stylise
du jeune qui la dessin. En anglais, il signifie marque ou tiquette, il a paru vers
1988.
"Linvasion des gribouillis sur les murs ne sattnue pas, partout o une surface
peut laisser sexprimer une mine le tag apparat" (B. p.31).

Et un peu plus tard "Je dcouvris une criture particulire mais belle. Elle tait
encore moins lisible que les tags qui squattent les murs du quartier" (B. p.110).

Les anglicismes paraissent dans le domaine du travail puisque l'emploi de job est
aujourd'hui familier: "Ce matin je me suis vad de mon lit avant que le Daron ne
me surprenne dans mon sommeil. Il me faut absolument trouver un job" (B. pp.
116-117)
Nous distinguons aussi le terme boss: "[. . .] je nai pas vraiment eu loccasion de
bosser, pas assez dexprience comme disent les boss" (B. p. 10).
"Ce sont de vrais boss des bacs sable, qui prfrent kiffer sur un gun plutt que
baver sur une jolie fille qui leur sourit" (B. p. 26).
Le boss est soit un patron dentreprise (comme dans la premire citation) soit un
chef de bande (comme dans la seconde). Il est issu de lamricain boss au sens de
chef dquipe ou datelier. Il date de 1869.

Comme d'autres anglicismes, nous pouvons citer: le flash qui est un brusque
blouissement avec monte de couleurs au visage sous leffet rapide de la drogue, une
sensation ou une motion vive. Il est dorigine onomatopique (clat, clair) et
appartient essentiellement au vocabulaire hippie.
"Le projectile lui a foutu un K-O, il ne sentit pas le coup, cest un norme flash qui
semble traverser son corps, lui pompant toute son nergie hypervitamine" (B.
p.101).

Le bizness est galement un des emprunts directs relevs. A propos du receleur de


la tour 123, nous lisons: "Les jeunes du quartier ne sont pas son meilleur vin chaud,
mais il ne crache jamais sur les opportunits du bizness" (B. p. 16).
Le bizness , qui a comme variantes bisness et biseness est une activit plus
ou moins officielle cense rapporter de largent. Il est emprunt langlo-amricain
business, cest--dire affaires, depuis la fin du XIXme sicle.

Le look est lapparence extrieure, ce terme anglais est dj acclimat au niveau


familier depuis le dbut des annes quatre-vingts. "Je prfre rflchir plutt que de
me friter, mais mon physique y est pour beaucoup, malgr mon look de rappeur"
(B. pp. 50-51)

Les Etats-Unis, quant eux, sont plutt nomms les States , terme qui constitue un
abrgement de United States. "Cest mon voeu qui sest exauc, je vais pouvoir faire
une grave fte, et me payer un voyage aux States" (B. p. 105) et plus tard "Javais
dj achet un billet davion pour les States." (B. p. 127)

N'oublions pas cash signifiant argent liquide, mais qui est employ dans le sens de
(immdiatement), (sur le champ)."Je voulais quil sexcuse davoir eu ce
comportement. Cest cash quil me remit en place", a dit Yaz (B. p.104). Le fait que
l'argent en espces est immdiatement disponible est l'origine de l'utilisation
adverbiale de ce terme au sens de tout de suite.

Grzi la galement utilis : "Tu marques ton nom en zonzon, il te faut savoir quil
te faudra toujours revenir le faire disparatre, comme jai pas envie de revenir aprs
ma peine, cest cash que jai dsintgr mon blas." (B. p.142).

Autre anglicisme: squat . Ce terme a fait son apparition en franais pour dsigner le
logement vide occup illgalement par des sans-abri. "Euh. . .tinquite, on est
toujours dans la cave 123 dans un squat que jai amnag" (B. p.41), dit Grzi.
Pour sa part, Yaz dit "Jattends que le sommeil me pique, je le provoque en
comptant les moutons, ils ont vite fait de foutre la pagaille dans mes comptes,
envahissant lespace vert du squat" (B. pp. 64-65)

On rencontre galement la forme verbale squatter . "Je dcouvris une criture


particulire mais belle. Elle tait encore moins lisible que les tags qui squattent les
murs du quartier" (B. p. 110)
"Aziz depuis son allergie a perdu beaucoup de ses muscles et squatte son plumard
24/24" (B. p. 124)
La forme verbale signifie occuper un logement vide. Elle vient de langlais (to squat),
au sens de se blottir. Cette forme fait partie de lemprunt remodel o une terminaison
verbale franaise vient sajouter la forme anglaise.

Notons galement le verbe racketter . "Merde ! les piles de la pendule ont t


rackettes pour son walkman" (B. p. 44). Racketter cest soumettre au (racket)
qui signifie soit une escroquerie soit une association de malfaiteurs se livrant
lextorsion de fonds des commerants par le recours la violence arme. Le terme
anglais dont il est issu signifiait au dbut vacarme avant de rfrer lescroquerie.
Nanmoins, racketter figure dans la citation suivante au sens de (ter, enlever).
"Mimi le chat convoyeur stait fait braquer par Grzi. Une seule flche aura suffi
lui racketter ses neuf vies" (B. p.123)

Le lexique de la drogue est le plus souvent emprunt langlais, comme cest le cas
de deal .
"Jaurais bien aim faire un baby-foot au local des jeunes, le maire la supprim, il
pensait que ce ntait pas un lieu de loisirs, mais un lieu dchanges, pour ne pas
dire un lieu de deal" (B. p. 10)
Le deal est la vente de drogue, il a paru vers 1980. Ce terme a permis lapparition
du substantif dealeur et du verbe dealer .
"Gigolo, mon brother ? peut-tre. Il fut un temps o il tait dealeur, mais il sest
rang, dealer cest du bnf sur terre, mais a se paye toujours en enfer" (B. p. 12)
Le dealeur , qui scrit galement dealer [diloer] est le revendeur de drogue,
cest un abrgement de langlais drug dealer. Le verbe dans sa forme transitive
souligne lacte de vendre la drogue. Dans ce cas, le verbe subit une restriction par
rapport son origine anglaise qui signifie distribuer ou vendre en gnral.
"En effet, il faut insister sur le fait que lemprunt par la langue daccueil
se fait toujours par spcialisation du sens de la langue source, cest ce
phnomne qui permet aux emprunts leur prcision smantique"174
En revanche, le verbe dans sa forme intransitive signifie marchander. Cest cette
deuxime acception qui figure dans : "Docilement, il (Gipsy, alias le musico-pote)
se posait au coin caftria et dealait ses pomes contre des orangeades glaces" (B.
p. 83)

Autre anglicisme relatif la drogue joint . "Pendant que lartiste de la bande


contemple son graphisme, les autres tranquillement se foutent dans le cerveau la
fume rauque du joint" (B. p. 19).
"Le joint, cest les vacances en 3D, la grande vasion vers des voyages loin de soi"
(B. p. 34)
Le "joint" est la cigarette de haschisch. C'est un terme emprunt au slang anglais en
1970, le sens premier est larticulation, la jointure. L'ide sur laquelle repose le terme
est que la cigarette fume collectivement cre un lien entre les fumeurs. Ce terme
connat de nos jours une grande vogue.

Quant la shooteuse , cest la seringue drogue. Parlant de son frre toxicomane,


Yaz dit "malgr nos efforts, sans cesse replongeait la shooteuse dans le bleu de ses
rseaux veineux." (B. p. 34)
Le terme vient de shooter driv de shoot , terme anglais signifiant injection de
drogue, notamment dhrone. Il a paru vers 1960.

En FCC, le haschisch nest que le shit .


"Lavantage du quartier cest quici les prix sont toujours au rabais,
lexception bien sr de la came et du shit, leurs grammes sont comme
lessence et le tabac, au tarif national, mais cest un autre dbat" (B. p.
22)
Le shit envahit non seulement les cits mais aussi les "bagnes". "Au retour de la
promenade, les gardiens navaient rien trouv nous reprocher dans notre cellule,
pourtant le shit tait prsent et les lanires du yoyo aussi" (B. p. 140)
Le terme vient du slang amricain ayant pour sens merde . Il a donc subi un
changement de sens en passant au franais.

La dope signifie de mme la drogue.


"Les parents stonnent de mon matriel vestimentaire, ils ne savent pas
que cest largent dAziz. Je lui ai promis de ne pas moucharder. Moi
jempoche. Jai pas le choix, si je veux tre la page du quartier. Cest
pas moi qui vend la dope" (B. p. 80)
Le terme est un dverbal de (doper). "Je reprends mon souffle et siffle mon ombre,
qui dope comme Carl Lewis me rejoint" (B. p. 57)
Le verbe signifie faire absorber une drogue un athlte ou un cheval afin
damliorer sa performance. Langlais to dope signifie droguer et lemprunt date

174
GAUDIN, Franois, GUESPIN, Louis, Initiation la lexicologie franaise, de la nologie aux
dictionnaires, Bruxelles, ditions Duculot, 2000, p. 297.
de 1913. Le verbe peut tre employ au sens figur : augmenter la puissance, donner
un regain de dynamisme quelquun.
"Jingurgite quelques figues et dattes du pays, des bonnes vitamines qui me dopent
comme jaime" (B. p. 95)

Le verbe sniffer signifie galement absorber de la drogue par le nez. Il est driv
de sniff au sens de reniflement. Toutefois, lauteur lemploie au sens figur lors de
la description de sa mre suite une "pagaille". "A linstant o on lui fit sniffer de
leau de Cologne Maman retrouva ses esprits, avec des sanglots jaillis de sa
douleur" (B. p. 25)

Le verbe speeder signifie droguer quelquun de faon le survolter. Il vient de


speed qui en argot anglais signifie amphtamines utilises comme drogue.
Lemprunt date de 1981.
Lauteur la nanmoins utilis au sens figur de (inciter, dpcher). "Il disait souvent
chaque instant a attendu son temps, alors pour pondre le pome, une orangeade
glace ntait pas de trop pour speeder son coup de crayon" (B. p. 84)

Dans les exemples susmentionns, les emprunts se rpartissent en emprunts directs et


emprunts remodels o le substantif anglais a permis la formation de verbe comme
speeder et sniffer , o le substantif a permis la cration de nom comme
shooteuse , o le verbe a permis la formation d'un verbe terminaison franaise
comme squatter , o le terme a chang de sens comme shit ou a subi une
restriction dusage comme c'est le cas de deal.
Dans ce cas, les linguistes estiment que lemprunt constitue un enrichissement de la
langue tant que "langlais agit souvent comme catalyseur qui permettait la cration
de mots nouveaux sur des rgles franaises"175

Ce faisant, ces exemples se sont intgrs la langue franaise et il nous est facile de
les trouver dans les dictionnaires. Lemprunt est masqu, en ce sens quil nest plus
tranger ni loeil ni loreille.
Nanmoins, nous avons relev dautres anglicismes qui ne font pas partie du franais
mais que lauteur a voulu imposer aux discours des jeunes. Ce sont des anglicismes
inutiles dont Djadani aurait bien pu se passer mais travers lesquels il a soulign le
dsir de paratre excessif des banlieusards. Dans ce cas, les termes sont flagrants et
frappants. Au lieu de parler d'emprunt, il vaut mieux parler d'alternance codique.
L'alternance est une stratgie de communication par laquelle un individu ou une
communaut utilise dans le mme change ou le mme nonc deux varits
nettement distinctes ou deux langues diffrentes. Le ou les interlocuteurs peuvent tre
experts dans les deux langues, c'est le cas de l'alternance de comptence. S'ils ne le
sont pas, il s'agira d'alternance d'incomptence.

175
VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Procds smantiques et lexicaux en franais branch", p.
70.
Types d alternances codiques176

inter-intervention intra-intervention

inter-acte intra-acte

segmental unitaire

insert incise

L'alternance est soit entre les "actes de parole" conus comme phrases, soit
l'intrieur de l'acte. Dans ce dernier cas, l'alternance peut porter sur un segment
(segmentale) ou sur un item (unitaire). Dans l'alternance unitaire, le terme peut tre
trait comme faisant partie de la langue dominante (insert). S'il ne l'est pas, il est
considr comme une incise.
L'alternance codique est galement intitule "code-switching". Elle n'intervient pas
d'une manire fortuite mais elle est dlibre et intentionnelle. Elle parat surtout dans
les situations informelles et les changes entre pairs. L'importance de l'alternance
rside dans sa valeur polyphonique et dans la rupture discursive qu'elle cause. Elle
signale soit le changement de l'interlocuteur, soit la recherche d'un terme prcis, soit
l'insistance et l'emphase177. Et c'est cette dernire fonction que nous trouvons dans
notre roman. Les protagonistes optent pour certains termes anglais, non pas parce
qu'ils ne trouvent pas leurs quivalents franais, mais pour se montrer et pour
influencer leur entourage.

Du fait que Boumkoeur est bas essentiellement sur les diffrents types de
discours, des alternances intra-actes unitaires sous forme d'insert ont t releves. Les
anglicismes sont ainsi traits syntaxiquement comme s'ils taient des termes franais.
Les inserts se rapprochent des emprunts avec pour seule diffrence que les premiers
relvent de la parole alors que les seconds relvent de la langue. Cest le cas, titre
dexemple, de brother et sister , les quivalents anglais de frre et soeur ,
rpts plusieurs reprises tout au long du roman.
"Ce mme jour, mon grand brother Aziz mit en garde le Daron : il le tuerait sil
relevait la main sur elle" (B. p. 25).
"Mon grand brother Aziz ne passe la maison quentre deux coups de queue
capote [. . .] " (B. pp. 79-80).
"Le brother a beau essay de les convaincre, chaque fois, cest pareil, ngatif. Son
oseille ne fusionnera pas avec leur petit budget" (B. p. 12).

Sonia, quant elle, est plutt dsigne par sister que par soeur.
"Il paratrait que la sister fugueuse travaillait comme caissire dans une suprette"
(B. p. 125).

176
DABENE, Louise, Repres sociolinguistiques pour l'enseignement des langues, les situations
plurilingues, Vanves, Hachette FLE, Collection Rfrences, 1994, p. 95.
177
DABENE, Louise, Op.cit., p. 96.
"Le Daron a foutu Mimi le chat dans un sac tanche et plouff ! !dans le fleuve qui
a comme terminus la mer, il la balanc. La sister haineuse a lev la voix contre le
Daron" (B. p. 124).
"Sonia, ma sister, elle aussi est un vrai numro" (B. p. 80)

La famille est son tour dsigne par family . "Tout ce quil savait, cest que son
fils tait un drogu, un voyou et par la mme occasion le dshonneur de notre
family" (B. p.35)
"Hormis ma family, personne naurait t perturb par cette tragdie. Je ne suis
quune victime parmi dautres" (B. p. 120)
Le recours langlo-amricain dans ces emprunts, pour superflu quil soit, est dict
par le mpris des banlieusards notamment des adolescents pour le franais standard
qui leur offre des quivalents pour ces anglicismes aussi bien que par le prestige de
langlais qui le fait miroiter aux yeux des Franais.

Sinscrit dans ce cadre, le terme gun employ au lieu de fusil, revolver ou pistolet.
"Ce sont de vrais boss des bacs sable, qui prfrent kiffer sur un gun plutt que
baver sur une jolie fille qui leur sourit" (B. p. 26)

Insrer les anglicismes dans les discours, cest se voir valoriser et se surestimer tout
en se moquant de lhexagonal. Dans la culture de la rue, le salut se fait par shake .
"Il me tend son poing, pour le shake, dsormais cest poing contre poing
que a se passe, le salut, cest lvolution de la culture-cit pompe dans
les ghettos noirs amricains. La poigne de main traditionnelle est
rserve aux dmods" (B. p. 32)
En revanche, en prison le shake est absent. "La poigne de main est suivie dun
regard intense, cest la marque du respect de lautre. Ici plus quailleurs, a a son
importance. Pas de shake" (B. p. 138)

Lombre nest que le shadow .


"Les peignoirs viennent de senvoler, laissant apparatre de vrais corps
dathltes qui bougent dans tous les coins du ring, faisant du shadow
pour montrer leurs diffrentes palettes de coups" (B. p. 93).
Lassassin devient pour Yaz un killer . "[. . .], il (Grzi) aurait aim avoir comme
grand frre Tony Montana, aussi jaurais bien aim lavoir comme brother, ce
killer" (B. p. 44).

Et lor se mue en gold . Evoquant la fille mtisse quil a aime et qui la quitt pour
devenir athlte olympique, Yaz dit "Le saut en longueur me la prise tout jamais,
une comptition de plus et une vitesse gold supplmentaire" (B. p. 67).

Au lieu de dire le meilleur, Yaz prfre lusage du best of . "[. . .], mais avant a, il
me livrera le best of du carnet de bord de sa mmoire" (B. p. 51).
"Les histoires du quartier du best of de la mmoire de Grzi partent en fume" (B.
p. 158).

La formule de bienvenue est substitue par les protagonistes par le terme welcome
employ deux reprises. "Ses lvres gnreusement baveuses afficheront un sourire
de welcome mon pnis sculpt dans une coule de lave volcanique [. . .]" (B. p.
54).
Cette alternance codique a paru une autre fois sous forme d'incise:
"Welcome, nous a cri un gardien qui nous a ouvert les portes de nos minuscules
cages mtalliques aux couleurs fades" (B. p. 130).

Les motocyclistes deviennent des bikers . "Un duo de Congolais traverse le


quartier sur un ptaradant 103 chopper kit [. . .], les deux bikers dune trentaine
dannes ont des visages sympatoches" (B. pp. 22-23).

Le franc-tireur est plutt dsign par sniper. "[. . .] je vole vers le 123 et je m'y
dpose sans qu'un sniper cach derrire ses rideaux ne m'ait vu pour m'abattre
d'un coup d'oeil" (B. p. 57)

Au lieu d'avoir recours au terme franais lyrique, le protagoniste opte pour l'emploi
de son quivalent anglais. "[. . .] le collgue s'est sodomis les orifices avec des
couteurs qui jaculent des lyrics explicites [. . .]" (B. p. 58)

Les souliers qui taient dsigns par pompes se muent parfois en shoes . "Mes
shoes empchent le bon fonctionnement de ma circulation sanguine, je dgrafe mes
lacets" (B. p. 81).
"Grzi est la parfaite reproduction de Gremlin, big shoes aux pieds, survt bleu pas
trop serr et pas trop large [. . .]" (B. p 44).
Ladjectif big signifie grand. Nous le trouvons galement dans "[. . .] les mecs du
quartier ont tu le temps en compagnie dun big poste laser qui tire son
alimentation de linterrupteur du hall dimmeuble" (B. p.19).

"Comme je nai rien contre les fraises, cest une big gorge que jengloutis" (B. p.
114)

"Entre deux big mac et une gorge de coca sans glaons, nous trinquions la
paille, il me raconta sa vie dans la cit [. . .] " (B. p. 16)
Mac est le nom des sandwichs qui sont servis et offerts chez Mac Donald's, le
magasin amricain le plus renomm de fast-food. Remarquons que ladjectif big
demeure invariable comme en anglais, il ne change point de forme qu'il soit employ
avec un nom fminin ou un nom pluriel.

Parmi les anglicismes que lauteur a composs Mister Clean pour Monsieur
Propret , priphrase du pre qui tait ouvrier.
"Les rares fois o le Daron a mis ses pieds lcole, ce fut avec sa
socit Jan Brinos Frres Associs qui le transforma en Mister Clean
des coups dponge sur les plafonds saccags par les graffitis aux jets de
Karcher pour faire dguerpir les fromages camembert, les crachats, la
pure, etc" (B. p. 122).
A ct des alternances intra-actes unitaires, les alternances intra-actes segmentales ont
t de mme utilises. Les segments peuvent tre des propositions, des expressions ou
des groupes d'adjectifs.
Au lieu de dire pas de commentaire ou aucun commentaire , Yaz a prfr
l'usage de lexpression No comment . "Ce nest pas drle ce que jai ide dcrire,
mais je le pense alors je le dis. Grzi aurait t un champion au ball-trap sur cible
mouvante. No comment" (B. p. 63)

La proposition Are you ready ? signifie tes-vous prt ? . "Je me prpare


taper une pointe : Are you ready ?" (B. p. 57)

Nous avons relev Fuck the racism qui est une formule de rejet du racisme dont
souffre la plupart des banlieusards notamment les immigrs. Ceux-ci se sentent
exclus, marginaliss, ngligs et perscuts par la socit centrale. "[. . .] je prends de
llan puis la manire du bic orange, pour ne pas dire Eric Cantona, je shoote
grands coups de Fuck the racism les trois piles de tracts [. . .]" (B. p. 83)

De mme, top secret a t utilis pour dsigner ce qui est trs confidentiel. "Une
vraie grand-mre, ce mec gnraliste de la mdecine qui avait t trs piquant le
jour de ma prise de sang HIV aux analyses top secret" (B. p. 156)
Dans les restaurants de fast-food, le protagoniste mange des plats anglais. "Fini le
sandwich l'huile de vidange, je me suis fait un nouveau pote, Ronald le roi du
hamburger la viande english Creutzfeld-Jacob" (B. p. 74)

Si dans les cas prcdemment cits, l'alternance codique prserve le caractre distinct
des deux langues, nous avons remarqu quelques cas o il y avait un mlange entre
les deux codes. Dans ce cas, il vaut mieux parler d'interfrence ou de code mixing.
"On dit qu'il y a interfrence quand un sujet bilingue utilise dans une langue-cible A
un trait phontique, morphologique, lexical ou syntaxique caractristique de la
langue B"178.
Selon les linguistes Josiane F. Hamers et Michel Blanc, l'interfrence dsigne des
problmes d'apprentissage dans lesquels l'apprenant transfre le plus souvent
inconsciemment et de faon inapproprie des lments et des traits d'une langue
connue dans la langue cible179.
"L'interfrence est un croisement involontaire entre deux langues. A grande chelle,
l'interfrence dnote l'acquisition incomplte d'une langue seconde"180
Les interfrences sont donc des alternances d'incomptence. Elles constituent "les
traces ngatives d'une contamination d'un idiome par un autre"181. L'interfrence est
donc un phnomne individuel et accidentel.
Les interfrences dans Boumkoeur sont surtout syntaxiques, une dsinence franaise
peut venir s'ajouter un morphme anglais. C'est le cas du "shake" employ comme
verbe du premier groupe. "Yaz, arrte de rflchir, tu me shakes ou tu veux me
coller un vent" (B. p. 32)

Il en est de mme pour le terme funkie . "[. . .] mais jaime pas le rap de varits,
qui me parle de bouger de l et qui me dit de me balancer les bras en lair parce que
ma vie est funkie" (B. p. 79).
Funky est une catgorie de jeunes, des annes quatre-vingts, amateurs de musique
noire amricaine et de patins roulettes quils pratiquent avec un baladeur sur la tte.

178
KANNAS, Claude, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1994, p.
252.
179
CF. HAMERS, Josiane F et BLANC, Michel, Op.cit, p. 452.
180
HAGEGE, Claude, L'enfant aux deux langues, Paris, ditions Odile Jacob, 1996, p. 239.
181
DABENE, Louise, Op.cit, p. 87.
Le terme vient de funky music, type musical proche du disco. Bien que le terme
constitue un adjectif invariable, lauteur a remplac le (y) par le (ie): les jeunes tentent
de plier les anglicismes aux rgles de la syntaxe franaise.

Dans d'autres phrases, c'est la construction du morphme anglais qui est incompatible
avec la structure franaise. "Alors c'est en pivert que s'est transmut mon pied droit
qui martle la doors d'un rythme endiabl [. . .]" (B. p. 58). Preuve d'une
incomptence en anglais, Yaz met la marque du pluriel au terme "door", qui veut dire
porte, bien qu'il soit singulier.

"Grzi ne dit mot sur la plaie qui est colle tel un pin's sur mon arcade" (B. p. 104).
Yaz ajoute la marque de possession (s), quoique inutile, au terme "pin" utilis au lieu
de celui d'pingle.

Au lieu de dire tout court "spider" pour araigne, Yaz a employ "spiderman". En
anglais, spider est laraigne et man est lhomme. Le terme nous rappelle le
film amricain ayant le mme titre et dont le hros avait des dons surnaturels. Ce qui
prouve que les mdias inspirent ce parler.
"Le courage me manque pour craser une spiderman qui a tent de mempoisonner
en cachette [. . .]" (B. p. 80)
"Il nest pas impossible que la spiderman prisonnire de mon index gauche se soit
conduite en tratre mon gard, [. . .]" (B. p. 77)
Le fait demployer spiderman peut tre interprt de deux faons. Soit par
emphatisation et ironie: Djadani essaye de rduire un peu la dose de misre contenue
dans le roman, il veut de la sorte rendre Boumkoeur moins pessimiste et plus agrable
la lecture. Dans ce cas, spiderman est considr comme une alternance de
comptence. Soit par volont de dmontrer que les banlieusards emploient tort et
travers langlo-amricain, cest--dire sans le matriser, ils ne font que garnir leurs
discours danglicismes dont ils ne connaissent pas le vritable sens. Cest comme
pour dire "[. . .] nous jargonnons en bas-anglais parce que nous ne savons pas le haut
franais. Matrisant mal lun comme lautre, nous les mlangeons, sans vergogne"182.
Dans ce cas, il s'agira d'une interfrence.
Finalement, notons l'interfrence suivante: "Pour faire passer son temps dans ses
oreilles au rythme de ses cassettes de R.A.P "for me pour speek in english", je vais
prendre le dictionnaire de Sonia" (B. pp. 53-54). Nous remarquons que l'emploi de la
prposition franais "pour" est injustifiable et que le verbe speak est crit d'une faon
incorrecte, la phrase devait tre "for me speak in english".

Dans ces exemples, les anglicismes ne comblent aucune lacune lexicale franaise et
lauteur aurait pu les supplanter par leurs quivalents franais. Si lemprunt est
enrichissant et mlioratif, les alternances et surtout les interfrences sont plutt
dvalorisantes et pjoratives. Do la protestation de certains linguistes qui qualifient
ces marques de xnisme tant donn qu'elles correspondent une utilisation
individuelle et non pas collective. "Le xnisme demeure un mot tranger mentionn
dans son propre code"183.

182
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 67.
183
GAUDIN, Franois, GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 296.
A ce stade, puisque les anglicismes sont perus comme trangers, on se demande si
lauteur aurait d les traduire en franais pour quils soient assimils par les lecteurs ?
En effet, les anglicismes cits ne sont pas assez spcialiss, ambigus ou rares pour tre
incomprhensibles. Ils sont dordre gnral et mme les unilingues peuvent bien les
comprendre ou au moins dduire leur signification par le contexte.
Mais le plus important nest pas si les lecteurs les comprennent ou pas mais plutt
sils vont les accepter ou pas ?
A une poque dune mondialisation synonyme damricanisation, dune
superpuissance sassignant le rle dun soldat, dune guerre tentant dimposer une
vision unipolaire sous couvert de la lutte contre le terrorisme, nous pensons que la
langue ne sera pas labri de ces mutations. Les dfenseurs de la langue franaise
sont de plus en plus provoqus par cette invasion qui na aucune raison dtre dautant
plus quelle nest pas intgre au tissu franais.
"Quon le veuille ou pas, le pentagonal, cest la pire des invasions, la plus
insidieuse, la plus intolrable en ce quelle exprime la servitude
volontaire, la plus novice en ce quelle arrache quelque chose notre
personnalit profonde, la plus dangereuse parce quelle nous dcervle en
nous obligeant parler, penser, vivre, se comporter autrement ; la
plus mortelle parce qu force de ne pouvoir sen dfaire elle aline
lindividu malgr lui. Parler franricain cest attenter la libert de
lesprit. Cest admettre quil faut renoncer la beaut franaise l o elle
pouvait encore trouver refuge. Cest renoncer notre culture"184
Pour ce linguiste, le pentagonal est bas sur une trilogie indissociable : domination
conomique, vassalit culturelle et subordination linguistique. Pour pallier ce
problme, Etiemble propose:
"Drivons donc et suffixons la franaise, en supprimant les licences
langagires des marchands et en proscrivant tous les suffixes et prfixes
amricains (-ing, -er, -rama, -matic, super-, etc). Dans les cas dsesprs,
traduisons le mot yanqui. Ne soyons pas moins attachs notre langue
que ceux qui en swahili, adaptent jet plane en eropleni ya aina ya jeti
(aroplane du genre jet)."185
Par ailleurs, les anglicismes pour nombreux quils soient ne constituent pas les
seules marques transcodiques. Bien quils tendent leur ventail sur le roman, nous
avons relev dautres termes notamment dorigine arabe. Ce sont les arabismes. Si
nous considrons le rapport entre les deux langues, nous dcouvrirons que les
emprunts que doit le franais larabe sont multiples.
"Il y a trois poques successives demprunt larabe. Tout dabord, le
Moyen Age a marqu la supriorit de la science et de la technique arabe
[. . .]. La deuxime phase est celle de la conqute dAlgrie par larme
franaise. [. . .] Vient ensuite le rle des enfants immigrs. Ceux-ci ont
fait connatre aux Franais des termes relatifs la religion musulmane,
comme charia et bien dautres"186

184
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 63.
185
ETIEMBLE, Op.cit., p. 374.
186
REY, Alain, "Lemprunt langlais est indispensable" in Al Ahram Hebdo, n : 243, 5-11 mai 1999,
p. 16.
Parmi les termes arabes les plus rpts figure casbah . "[. . .] Hamel avait cr un
langage qui lui permettait dentrer dans les casbahs sans que le Daron nen
aperoive" (B. p. 35)

"Mon Daron sans emploi depuis peu, trois ans environ, a du mal supporter que
Maman mne la danse la casbah, ils narrtent pas de sembrouiller. Cest
infernal" (B. p. 24)

"Jaurais d penser prendre mes moufles en daim et mon bonnet Los Angeles.
Mais je navais pas le temps, oblig de sortir de la casbah rapidement" (B. pp.9-10)
La casbah introduite en franais depuis le XIXme sicle est la maison, le local
dhabitation. Le terme vient de larabe [qasaba] au sens de forteresse. C'est un terme
polysmique et peut signifier, entre autres, maison close ou cabaret interdit la
troupe.

Le cad , quant lui, est le personnage le plus important dans le milieu, le chef de
bande.
"[. . .] Il y a des rgles qui se transmettent, les cads tapprennent : bien
arm tu possdes le respect, cela tapporte la cote avec les meufs [. . .]
les cads te le rptent, il est logique de bander sur ptard avant de
chercher te faire des bombes de meufs" (B. p. 26)
"Y a des mecs qui prparent des mauvais coups pour quand ils seront
sortis. Pas question de tasseoir o tu veux, certaines places sont
rserves certains cads et sils ty trouvent, cest direct une droite sur
ta face" (B. pp. 138-139)
Le terme signifie galement un personnage remarquable dans un domaine
quelconque: il est issu de larabe [qa' id] au sens de chef et peut tre parfois employ
ironiquement.

Autre arabisme, le bled :


"Au bled, les gants raccrochs, la blessure ne sarrangera gure. Pour le
gurir, on lenvoya en France dans un centre hospitalier spcialis dans
les cerveaux. [. . .]. Mon Daron ce jour nest plus jamais retourn au
bled, le voyage cote trop cher" (B. pp. 102-103)
"[. . .] je riais gorge dploye lorsque Maman me racontait des
histoires sur les sorciers marabouts du bled, soi-disant quils taient
capables de te faire dire des choses que tu ne pensais pas [. . .]" (B.
p.55).
Le bled est le pays, la localit le plus souvent isole. Il vient de larabe classique
(bilad) qui a donn en arabe maghrbin (bled) au sens de terrain, pays. C'est par
l'intermdiaire de l'argot militaire d'Afrique du Nord que ce terme est pass en argot
commun. Lemprunt date de 1866.

Le kif constitue de mme un arabisme. "Larme, jirai jamais, faire la guguerre


nest pas trop mon kif" (B. p. 50).
Le kif est un mlange de chanvre indien et de tabac. Il vient de larabe Kayf (arabe
maghrbin kif) signifiant plaisir ou euphorie. Lemprunt date de 1885. Cet arabisme a
donn naissance la forme verbale (kiffer).
"Il y a une poigne d'annes, les jeunes se disaient encore je t'aime.
Aujourd'hui, ils se kiffent ou se captent. [. . .] le verbe kiffer fait alors son
apparition, il signifie aimer. Dclinable souhait, il donne kiffant, c'est--
dire chouette, agrable ou super"187
Le zetlah au sens de haschisch est un autre terme emprunt l'arabe dialectal
maghrbin (ztla). Ce dernier signifie le tabac priser, chiquer et par extension la
drogue. "[. . .] c'est pas lui qui te ferait baisser ton froc et qui te plierait genoux
pour observer si ton anus ne dissimule pas de chichon, shit zetlah [. . .]" (B. p. 152)

Le zob est galement un terme argotique dorigine arabe.


"Quand je repense au mchant gorille qui avait mis la mousse du savon
de Marseille sur sa queue pour pouvoir senfiler son prservatif qui tait
trop mince pour son gros zob denculeur, parat-il que le savon de
Marseille est un parfait lubrifiant [. . .]" (B.p. 150)
Le zob , qui a comme variante de forme "zeb" signifie le pnis, il est issu de larabe
maghrbin (zebbi) driv de larabe classique (zubb). Lemprunt remonte au XIX me
sicle.

Notons galement le terme "lascar" employ en FCC au sens de gars de la cit ou de


vaurien. "J'ai rien voir avec ces bandits. Je ne suis qu'un lascar qui a t trop
influenc par la rputation des grands frres du quartier" (B. p. 128)
"Le gardien de retour, j'observai qu'il n'tait gure plus vieux que les deux lascars
de la cellule" (B. p. 135)
Ce terme est pass du persan (laskar) au sens de soldat par l'intermdiaire de l'arabe.

Passons maintenant aux verbes dorigine arabe: "mon pre a engross ma mre et
hop il sest barr, elle ne voulait pas avorter" (B. p. 148)
Le verbe se barrer signifie partir rapidement. Il vient de larabe (barra) au sens de
dehors. Il tait autrefois employ par les soldats dAfrique et les malfaiteurs italiens.

Cependant, comme c'est le cas avec les anglicismes, Djadani a introduit un terme en
arabe qui nest pas intgr la langue franaise, savoir shitan , cest--dire diable.
"La crmonie de la tige effectue, Grzi avec une autre baguette
tabac commencera le bricolage manuel du dcoupage au collage, en
passant par le filtrage finalis par le brlage du caca de shitan qui dj
dgage une odeur paradisiaque pendant le mlange" (B. pp.33-34).
Le caca de shitan est une mtaphore dnotant la drogue. L'apparition du terme
arabe fait partie des alternances de comptence. La langue arabe constitue pour les
immigrs et leurs enfants la langue vernaculaire, la langue verbale du foyer. C'est un
moyen capable de garantir la communication et l'entente familiales.
Les linguistes ont divis les pratiques langagires en langue d'origine en quatre
catgories:

187
CERTA, Pascale, Op.cit., pp. 16-17.
- La pratique intense: le sujet affirme parler la langue d'origine avec ses parents
et lors de ses sjours dans le pays d'origine.
- La pratique moyenne: le sujet mentionne l'usage alternatif des langues selon
les situations.
- La pratique non-rciproque: le sujet comprend la langue d'origine que parlent
ses parents mais reconnat ne pas la parler.
- La pratique nulle: l'usage de la langue d'origine a presque totalement disparu
du milieu familial188.
Rien dans le roman nous permet de savoir le niveau de la pratique de Yaz en langue
arabe, toutefois, le peu d'alternance des termes arabes nous mne croire qu'il s'agit
d'une pratique non-rciproque. La bilingualit de Yaz est donc une bilingualit
dominante, en ce sens que la comptence dans une langue (le franais) est suprieure
la comptence dans l'autre langue (l'arabe)189. C'est un bilinguisme asymtrique tant
qu'il y a une ingalit dans l'emploi des deux codes, l'un est plus privilgi que l'autre.
Mais puisque le franais est plus pratiqu que l'arabe, qu'est-ce qui a pouss le
protagoniste dire diable en arabe?
En effet, Yaz a voulu de la sorte afficher sa cohsion avec la culture orientale.
"Si la langue est une dimension saillante de cette identit, le locuteur peut
utiliser des marques linguistiques propres son groupe d'appartenance
pour affirmer son identit culturelle et se distinguer de son
interlocuteur"190
Il s'agit d'une adaptation divergente.
"La divergence est une stratgie de communication importante pour un
locuteur qui dsire se diffrencier psychologiquement de son interlocuteur
en tant que membre d'un autre groupe ethnolinguistique"191
Parmi les autres langues auxquelles le franais a emprunt des termes,
lespagnol. Le terme le plus employ en FCC est celui de tchatche . "Puis il
desserre ltau de sa tchatche et commence se parler haute voix" (B. p. 42) et
plus tard "Toute sa tchatche na pas dans mes oreilles aucun sens, il y a du gitan, de
larabe, du verlan et un peu de franais" (B. p. 45)
La tchatche est lhabilet parler, le bagout volubile, il vient de lespagnol
chacharear qui signifie bavarder et qui a pntr largot algrois.
"Si le mot se dit depuis quelques temps du ct de Marseille, il a t
import en rgion parisienne par les rapatris dAfrique du Nord au
dbut des annes soixante, sans percer alors vritablement dans la langue
de tous les jours. Bref ds le dbut des annes quatre-vingt, a va
tchatcher et non plus causer dans le poste, comme on le fait sur les
stations classiques. La diffrence est dimportance. En effet, si le verbe
causer fait penser au rigide causerie, le verbe tchatcher contient
implicitement lide dun bouillonnement volubile, incessant, sympathique
(on dirait aujourdhui convivial) et bouillon 192.

188
Cf. VERMES, Genevive et BOUTET, Josiane, France, pays multilingue, Tome 2, Paris,
L'Harmattan, 1987, p. 67.
189
Cf. HAMERS, Josiane F et BLANC, Michel, Op.cit, p. 447.
190
Ibid., p. 185.
191
Loc.cit.
192
MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, p.18.
Le terme a donn le verbe tchatcher qui a paru dans les annes quatre-vingts. "Aziz
leur tchatche que la socit pour laquelle il travaille ne veut pas le dclarer [. . .]"
(B. p. 12).
Quant celui qui matrise parfaitement la diction, qui est invincible dans les joutes de
vannes, qui est reconnu et apprci et parfois mme craign par ses pairs, c'est le
tchatcheur.

Autre emprunt lespagnol ngro .


"[. . .] je suis vert, mais vert de peine, pour une nouvelle victime de la
socit qui sera punie davoir commis un meurtre cause [. . .] dun
poivrot, facho comme un rat, qui possde chez lui une vritable
armurerie pour se protger du bicot et du ngro" (B. p. 61)
Le ngro est une dsignation raciste du Noir et remonte la premire moiti du
XIXme sicle.

Notons galement le terme godemichet . "Mais il ne faut pas non plus que je me
fasse une parano, y aurait vraiment un problme si javais eu la gaule sur un
godemichet [. . .]" (B. pp. 55-56)
Le godemichet ou godemich est un phallus postiche utilis par les femmes
pour se procurer le plaisir sexuel. Il vient de lespagnol (gaudameci) par le catalan,
renforc sans doute par le latin mdival (gaude michi), au sens de rjouis-moi. Il date
du XVIme sicle.

Concernant les emprunts l'allemand, nous avons relev les substantifs schmitt et
flic ainsi que le verbe schlinguer .
Schmitt signifie gendarme, il est driv de lalsacien qui l'a emprunt de l'allemand
schmied au sens de forgeron: c'est le forgeron qui fait des menottes dont se sert le
policier. Grzi, aprs avoir assomm son ami, prsente ses excuses en ces termes: "Je
tavais pas vu sortir, la vie de ma mre, jai cru que ttais un keuf, un cond, un
schmit" (B. p.41). Lorigine du terme cond , qui figure dans la citation, est obscure,
mais provient peut-tre du portugais conde au sens de compte ou gouverneur. Il
semployait en 1844 pour dsigner le commissaire de police et ds 1906 pour rfrer
lagent de la Sret.

Sachant que son crime est dvoil et qu'il est balanc, c'est--dire dnonc, Grzi crie
"Ils m'ont balanc, les flics savent que c'est moi" (B. p. 68). Le "flic" est un membre
de la police ou de la gendarmerie quel que soit son rang. Il vient de l'allemand
(Fliege), c'est--dire policier, le surnom de fligue dard ( pe courte) a paru en
1836 chez Vidocq appliqu des sergents de ville par des voleurs juifs. Ce terme trs
rpandu a partiellement perdu son caractre pjoratif, puisqu'on dit le premier flic de
France pour dsigner le ministre de l'intrieur.

Quant au verbe schlinguer , qui scrit galement chlinguer, il signifie sentir


mauvais. Il vient de lallemand (schlingen) au sens davaler. "Le chat a piss dans ma
chambre, a pue grave sans parler de moi je schlingue, a fait longtemps que je nai
pas vu savonnette et eau" (B. p. 52).
De ce qui prcde, nous soulignons que le FCC porte lempreinte de
nombreuses marques transcodiques qui sont parfois argotiques. Linfluence la plus
remarquable est celle de langlais, influence qui tend saccrotre pour des raisons
conomiques, sociologiques et linguistiques. L'anglais contamine le franais et le
truffe, ce qui ne manque pas de provoquer les puristes. Langlais bourre la cervelle du
franais et constitue un bafouillage qui souille et qui pourrit. Cest un "franglais" plus
dominateur que jamais. Pour saisir l'ampleur du problme, nous avons recens le
nombre des emprunts, des alternances et des interfrences en anglais et nous les avons
compars ceux d'autres langues.

Anglais Arabe Espagnol Allemand

78.57% 12.85% 4.28% 4.28%

Si nous prenons en considration les emprunts larabe et lespagnol, nous serons


amens qualifier cette varit de mtisse au mme titre que les cits.

"Plus que jamais, le langage des jeunes joue la carte de la mixit,


inventant une langue commune tous, trangers rsidant en France,
Franais dorigine trangre et Cfrans (Franais de souche)."193
Par le biais de ces marques transcodiques, le FCC est considr comme une
interlangue qui "devient ds lors loutil de communication de communauts qui
considrent tort ou raison tre au ban du lieu, de la socit et de ses relais
habituels, de la langue circulante"194
Cette interlangue est utilise des fins identitaires. Mme si les enfants des
banlieusards immigrs sont ns sur la terre franaise, leur origine vient dailleurs, et
mme sils ne matrisent pas la langue des anctres, ils sont conscients de son rle
symbolique. Do leur attachement certains termes notamment arabes. Ils ont tiss
des pratiques hybrides et se sont servis dune langue mtisse. La langue dorigine est
donc rinvestie dans les changes langagiers.
Bref, "ce langage de nous -cette faon de parler spcifique avec ses
alternances de langue selon les vnements de langage- nous lavons
dnomm parler vhiculaire interethnique pour lopposer la fois au
franais scolaire ou vhiculaire et au vernaculaire intra-familial. Ce
dernier nous parat lvidence beaucoup plus marqu par la langue
dorigine mme si parents comme enfants pratiquent les usages alterns
des deux codes que les jeunes qualifient de mlange"195.

193
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 11.
194
GOUDAILLIER, Jean-Pierre,"Comment tu me tchatches ? un parler interethnique", in Qantara, n :
30, hiver 98-99, Paris, Insitut du Monde Arabe, p. 53.
195
BILLIEZ, Jacqueline, "Parler vhiculaire interethnique de groupes dadolescents en milieu urbain",
in Actes du colloque international Des langues et des villes, Dakar, 15-17 dcembre 1990, publis en
1992, p. 117.
Troisime Chapitre
La mtaphore
"Si la mtaphore consiste en un
rapprochement de deux ralits
htrognes, ce rapprochement est
possible parce quil y a une relation
danalogie, de similarit entre ces deux
ralits. Le motif est lensemble des traits
communs qui permet de faire le lien entre
ces deux ralits et qui rend pertinent ce
qui ne ltait pas premire vue"196

Figure de la ressemblance, la mtaphore joue un rle indniable dans la


formation lexicale du FCC. Do la ncessit de braquer la lumire sur ce procd
intrt smantique. A lencontre de la comparaison, la mtaphore est une figure o la
prsence dun compar et dun comparant dans lnonc nest pas obligatoire. Cest le
contexte qui nous aide par la suite la reprer.
"Ainsi, la mtaphore, au lieu de comporter le trio compar/mot de
comparaison/comparant [. . .], ne prsente le plus souvent quune forme
rduite au seul comparant. Ce dernier sinsre alors dans le contexte
linguistique ou extra-linguistique o le discours est produit comme un
objet venu dailleurs [. . .]"197
La mtaphore se trouve axe sur le mlange des diffrents champs smantiques et par
l fait partie des tropes , cest--dire les figures de signification qui font changer le
sens des mots. Et l rside un autre point de diffrence avec la comparaison. Alors
que celle-ci est base sur un rapprochement entre deux mots ayant un rapport de
ressemblance, la mtaphore sappuie sur un remplacement dun mot par un autre en
vertu de ce quils ont en commun.
"Cest dailleurs ce que signale le nom mme de la figure, o mta,
indique un dplacement et phore, lide de porter : il sagit dun transport,
dun transfert, de la translation du mot mtaphorique dans un contexte qui
lui est a priori tranger"198.
Ce qui constitue un enrichissement du contenu de lnonc puisque la mtaphore offre
le sens de deux mots en un seul. Le rapport entre les deux mots mis en jeu peut tre
clair, explicite ou par contre lointain et original.
"La mtaphore sera bonne cest--dire associable, naturelle, etc quand le
ct semblable de lobjet administr par la mtaphore sera tel quil
surpasse par son impression ou mme empche, lveil des cts de
lobjet par o il diffre de lautre quon veut exprimer. La mtaphore sera
gigantesque, trange, etc non seulement quand la ressemblance est fausse
ou bien faible, mais encore quand elle est tellement associe aux autres

196
COGARD, KARL, Introduction la stylistique, France, Champs Universit, Flammarion, 2001, p.
321.
197
BACRY, Patrick, Les figures de style, France, Belin, Luon, 1992, pp. 42-43.
198
Ibid., p. 47.
cts diffrents, ou ceux-ci tellement nombreux, que ce sont ceux-ci qui
sveillent dans lesprit plutt que le rapport commun"199
Dans les mtaphores, le rapport entre le comparant et le compar nest pas
dinclusion, comme dans la synecdoque, ou dappartenance, comme dans la
mtonymie, mais il est similaire voire analogique.
"Il sagit dune zone dintersection qui est sentie (intuitivement) plus que
dduite (logiquement). A dit B ou B dit A suivant le schma :

Ni A ni B ne sont inclus lun dans lautre. Ni A ni B ne sont impliqus


lun par lautre par succession habituelle ou causalit. Simplement, A et B
ont une partie commune"200
Certaines mtaphores relvent de la crativit de lauteur, de sa stylistique, de sa
volont de provoquer un effet chez le lecteur, alors que dautres sont lexicalises et
intgres la langue. Cest ce dernier genre qui nous intresse et dont nous citons,
titre d'exemple, galre .
"Une galre de plus comme tant dautres jours dans ce quartier o les tours sont
tellement hautes que le ciel semble avoir disparu" (B. p. 9)

"Jai toujours voulu crire sur les ambiances et les galres du quartier et jai toutes
les cartes en main" (B. p. 11)

"A dix-sept ans, avoir une amoureuse, ctait pour moi, jeune des cits, le moyen
dtre occup autre chose que la galre" (B. pp. 65-66)

"Le plus galre, cest le rgime et sabstenir des gonzesses et celles qui vont dfiler
en string paillettes sur le ring entre chaque round ne sont pas des mauvais coups"
(B. p. 94)

La galre est une situation difficile, marque par la malchance et par l pnible
supporter. Le terme semploie comme adjectif au sens de pnible. Cest une
rsurgence dun emploi mtaphorique remontant aux Fourberies de Scapin de
Molire (1671). Elle est trs en vogue aujourdhui dans le parler branch des jeunes
gens.

Le terme a galement donn naissance une forme verbale. "Ils m'ont fait galrer
dans une autre cage en attendant d'tre face mes juges qui sans piti allaient
m'en foutre pour vingt-quatre mois" (B. p. 129)

La galre a, de mme, permis la formation du nom galrien. "Mme Gipsy, le


galrien des souches rocailleuses, n'est pas son poste" (B. p. 39). Le "galrien" est
une personne qui a des ennuis.

199
BECCARIA, Cesare, Recherches concernant la nature du style, Paris, dition Rue dULM, 2001, p.
65.
200
THERON, Michel, Russir le commentaire stylistique, Paris, Ellipses, 1992, pp. 73-74.
Un terme assez proche de la galre, la pure :
"Les rares fois o le Daron a mis ses pieds lcole, ce fut avec sa
socit Jan Brinos Frres Associs qui le transforma en Mister Clean
des coups dponge sur des plafonds saccags par les graffitis aux jets
de Karcher pour faire dguerpir les fromages camembert, les
crachats, la pure, etc" (B. p. 122)
La pure cest la misre, la malchance, le dcouragement. Cest un emploi
mtaphorique du mot usuel, lide dominante est celle du milieu troubl, pais o on
patauge.
Les diffrentes parties du corps se trouvent dsignes par des mtaphores comme
celle du bec . "La mise en scne ne serait rien sans les oinjs au bec et les gros
plans des seringues contaminantes, tous les clichs misreux rassembls pour le
scoop" (B. p. 21). Le terme signifie bouche et est bas sur le franchissement des
frontires entre lhumain et linhumain.

Les dents, quant elles, sont plutt nommes crocs : "[. . .] je me moquais pas mal
davoir lclat de ses crocs dans le miroir de mon regard" (B. p. 17). Il sagit
toujours dune mtaphore animalisante qui remonte au XVIIIme sicle.

Les grandes oreilles deviennent des feuilles de chou . "Ouf, je suis sauv, le
sifflement de Grzi me perce les feuilles de chou" (B. p. 30). Cest un emploi
mtaphorique et emphatique du mot usuel et date du XIXme sicle.

La tte est plutt dsigne soit par boule , soit par tronche . Le premier terme a
figur plus que le second. "Je comprends de suite : cest un coup de crosse qui ma
caboss la boule" (B. p. 42) et la mme page "cest sur le mur quil sexprime le
plus violemment, coups de tte [. . .] il a la tte dure, a fait au moins dix coups de
boule contre la cloison porteuse, il ne saigne mme pas" (B. p. 42)
Le fait de dire coup de tte ensuite coup de boule est un repre mme de prvenir
toute ambigut probable de la part du lecteur. La mtaphore est base sur une
analogie de forme et remonte la fin du XVIIIme sicle, le coup de boule quant
lui date de 1892.

Le terme tronche est employ dans la description des prisonniers: "[. . .] il put voir
son interlocuteur qui lui aussi grce sa glace pouvait voir la tronche denculeur
du mchant gorille [. . .]" (B. p. 144), du pre: "[. . .] il (Hamel) servait de punching-
ball un boxeur de pacotille qui, je crois, stait fait clater la tronche dans une
bagarre de bar [. . .]" (B. p. 103), et finalement de Napolon:
"Cest un homme dune cinquantaine dannes, la tronche si rougie
par le vin quon croirait quil dbarque de la plante groseille [. . .].
Napolon a toujours cru que son chien tait mort contamin aprs
quil a dchiquet le mollet joufflu de Gipsy le musico-pote" (B. p.
62)
La tronche est drive du tronc et dsigne depuis le XVIme sicle la tte.
Actuellement, elle peut dsigner, entre autres, une personne intelligente ou savante.
La citation comporte galement joufflu qui signifie en argot le postrieur et qui
date du XIXme sicle. Cest un transfert spatial humoristique des rondeurs du visage
celles du postrieur.

Les seins de la femme deviennent des nichons . "Et enfin la cerise sur le gteau :
une tirelire en forme de nichon" (B. p. 16)

"Satle avait des petits nichons la Miou-Miou qui devenaient piquants comme les
dards dune rose" (B .p 66)
Cest une image douillette de seins nichs dans le soutien-gorge ou de lenfant nich
contre sa mre et ttant. Elle date du XIXme sicle.

Quant lanus, il devient rondelle . "[. . .] dans le squat, il ny a quun lit. On ne


sait jamais, sil est impulsif, pas envie davoir un perage de rondelle" (B. p. 53)
Cette mtaphore date du XIXme sicle et entre dans les locutions casser ou
dfoncer la rondelle quelquun signifiant le sodomiser.

Dans ce contexte, nous avons relev le terme pipe qui constitue une mtaphore de
la fellation. "Le gentil gorille fit une pipe au mchant. Etre face cette vrit me
mettait mal laise" (B. p. 143)
"[. . .] mon pnis sculpt dans une coule de lave volcanique tellement brlante que
si le diable mavait fait une pipe il se serait carbonis" (B. pp. 54-55)
La mtaphore date de la premire moiti du XXme sicle. Le terme peut dsigner,
entre autres, la cigarette ou le visage.

Nanmoins, la cigarette peut galement tre nomme en FCC tige . C'est un emploi
mtaphorique datant de 1977 du mot dsignant lorigine un axe vgtal.
"[. . .] Grzi le superstitieux sortira lune des tiges, la noircira avec la
flamme se son zippo, les yeux ferms et fera un voeu quil gardera
secret dans son coeur, puis il rintroduira la tige black dans le paquet
[. . .]" (B. p. 33)
"-Ma dernire tige a exauc mon voeu.
Une superstition veut que lorsquon achte un paquet de cigarettes,
un voeu peut tre fait linstant o lon noircit lune des tiges. " (B. p.
105).
Les mtaphores sont abondantes dans cette varit et prouvent que le FCC ne doit
jamais tre considr comme un sous-systme superficiel, dnu de tout travail.
Et ce parce qu "une mtaphore ne se donne pas en effet demble, son
apparition est source dembarras et de gne pour le lecteur ou lauditeur
qui doit effectuer un calcul interprtatif , destin rsoudre lattribution
insolite faite par la mtaphore. Toute mtaphore implique donc une
temporalit, qui est celle de lactivit dinterprtation"201
Le travail dploy dans les mtaphores savre vident dans les termes dcrivant les
personnes. Le crampon est un individu importun et tenace comme celui qui
saccroche sa proie et ne la lche plus. "[. . .] jaurais aim filmer une partie de foot

201
COGARD, Karl, Op.cit., pp. 323-324.
sur le terrain dsert par lherbe partie en fume cause des trop nombreux
crampons qui lont foule" (B. p. 22)

La poire est une personne nave, facile duper. La mtaphore est base sur la
similitude entre le fruit de forme allonge et la suggestion dun visage et dun
individu crdule, peut-tre cause de ltroitesse du cerveau. La mtaphore date de
1888.
"Il tait une fois une bonne poire qui avait une capacit folle avaler tous les
bobards de son entourage. Il sappelait Yaz" (B. p. 115)

Le taupe qui constitue un mammifre qui creuse des galeries dans le sol pour
chasser les insectes et les vers devient une mtaphore du dtenu qui creuse un tunnel
pour svader. "Grzi a appuy sur une dtente qui le transforma en taupe de
taulard" (B. p. 50)

Le moulin paroles est une personne trs bavarde, mais Yaz lemploie pour rfrer
sa langue, ou sa bouche. Mtaphore base sur la forme circulaire de la bouche et de
lappareil moudre, faire du bl.
"Sans me dire quoi que ce soit, il menvoya une poigne de sel sur le visage, je
faillis pousser un cri, de justesse, je me taisais, sans quoi je me serais fendu mon
moulin paroles en deux" (B. p. 110)

La minette est une jeune fille la mode. "Davance je sais que les minettes
intresses par des stages du glisse seront trs bien accueillies [. . .]" (B. p. 31). La
mtaphore est base sur lanalogie entre la douceur fline et les filles, elle appartient
au langage jeune et branch.

En FCC, le gteau se dit dune chose facile raliser.


"On ma dit que Napolon le receleur de gadgets possdait des fusils
de chasse pour se protger. Jai attendu quil aille promener son
chien. Ctait du gteau" (B. p. 47).
"[. . .] mais face un mec qui te sourit et qui te dit quil habite en
zonzon depuis quinze piges, tout de suite, tu deviens raliste et tu te
dis que toi, ta peine cest du gteau [. . .]" (B. p. 156)
Le terme peut galement rfrer au gain ou largent en gnral.

Au lieu de dire voiture, la mtaphore utilise est caisse . "Le parking est immense,
pas loin de mille quatre cents caisses sont gares lorsque les ouvriers sortent du
boulot" (B. p. 27). La mtaphore dsignait autrefois lavion. On dit fond de
caisse pour trs vite .

Le billard est la table dopration, par analogie avec lide de la surface plane. "En
urgence, on me dposa de nouveau sur le billard pour stopper lhmorragie
aggrave par ma chute dans les pommes" (B. p. 37)

Le projectile darme feu se mue en pruneau par analogie de forme et de couleur


avec le nom du fruit. "a mavait bien surpris quil ait le courage de se foutre le
canon sous la langue. Le calibre des pruneaux me semble assez inoffensif, mais
bien viss dans loeil, ils doivent terrasser."(B. pp. 63-64)
Dans ce contexte, les balles sont des bastos. "Le fusil canon sci que Grzi avait
drob ne crachait pas de bastos, mais des flchettes capables de faire rver un
diplodocus [. . .]" (B. p. 118). Le terme vient de Bastos, pre et fils, fabricants de
cigarettes Alger. Il est donc bas sur une analogie de forme entre les cigarettes et la
cartouche de cigarettes de la marque Bastos d'une part et les balles d'un fusil d'autre
part. Le terme date de 1916.

Quand nous disons yoyo , nous dsignons une mtaphore de la transmission dun
objet dune cellule une autre par le moyen dune ficelle. La mtaphore sappuie sur
le mot dsignant un jeu denfant caractre alternatif et est employe plusieurs
reprises.
"Si jamais ils remarquent que tu les a dchirs pour en faire de fines
lanires qui te serviront faire des yoyos, l aussi tu risques daller
au mitard" (B. p. 139)
"Quand la 226 a reu le savon, le plus calme des deux gorilles me
demanda de ne pas lcher le cordeau, il allait faire une douane cest-
-dire qu la tte du yoyo il y a un poids et qu la queue il y a de la
bouffe [. . .]" (B. p. 140)
"Au retour de la promenade, les gardiens navaient rien trouv nous
reprocher dans notre cellule, pourtant le shit tait prsent et les
lanires du yoyo aussi" (B. p. 140)
Tout objet de forme circulaire ou semi-circulaire se voit dsign par camembert .
"Au mitard, il sera limit une promenade par jour et il y tournera en triangle,
cest les promenades camembert" (B. p. 139)

Evoquant le plaisir sexuel quil trouvait avec Satle et qui lui manque prsent, Yaz
dit "finies, les gteries, elle ne se vissera plus en moi" (B.p. 67). Le substantif
gteries est une mtaphore du supplment rotique, de la fantaisie ou de la faveur.

Mal barr , signifiant avoir des perspectives dchec, est une mtaphore issue du
sens maritime de barrer, cest--dire diriger une embarcation. " [. . .]. Comme ses
mains ne tiennent ni la selle ni les hanches de son collgue chauffeur, il se sent mal
barr" (B. pp. 22-23).
Bon nombre de verbes sont galement bass sur des emplois mtaphoriques comme
griller au sens de dnoncer et embarquer au sens darrter.
"[. . .] ils sont sortis de lombre avec des kilomtres de bande
magntique qui me grillent en train de ngocier ta ranon avec tes
parents. A peine mon pied avait-il franchi lextrieur du quartier que
je me faisais embarquer par les inspecteurs [. . .]" (B. p. 127)
Le verbe griller constitue un emploi mtaphorique reposant sur la notion de
chaleur, do souvent lide de danger imminent ou de malfaisance, alors que celui
dembarquer est bas sur la terminologie maritime.

Le verbe gerber devient une mtaphore de vomir, provenant de la gerbe des feux
dartifice. "Aprs de nombreux tourbillonnements, une envie de gerber me grimpe
la gorge. Il y a un paquet de temps, je mtais senti dans ce mme tat [. . .]" (B. pp.
73-74)
Le verbe cracher employ la forme ngative ne pas cracher sur quelque chose
signifie lapprcier. La forme affirmative au sens de mpriser est rare et moins
argotique. Evoquant le receleur de la tour 123, Napolon, Yaz souligne que "les
jeunes du quartier ne sont pas son meilleur vin chaud, mais il ne crache jamais sur
les opportunits de leur bizness" (B. p. 16)
A la forme intransitive, le verbe signifie jaculer. "Quand on a crach, elle a vid les
rservoirs de nos capotes l'intrieur d'un bocal et toute lumire elle s'est tire"
(B. p. 86). C'est un emploi mtaphorique qui dvalorise le produit excrt.

Goinfrer devient une mtaphore de la fourniture financire abondante. Cest un


emploi mtaphorique partir du sens (manger voracement). Il parat qu'il y a toujours
un lien entre la nourriture et largent puisqu'on dit "gagner son pain". "Mon grand
brother Aziz [. . .] essaye de goinfrer Maman de rallonges pcuniaires pour les fins
de mois trs difficiles" (B. pp. 79-80).

Quant senfiler , il signifie consommer ou absorber voracement. "Son allergie la


beaucoup diminu et toutes les protines quil senfile ne le stabilisent pas plus" (B.
p. 125)

Trinquer signifie subir un dommage, souffrir. "Le Daron tait manoeuvre, un


ouvrier non qualifi. A chaque anne qui passait, cest son tat de sant qui
trinquait" (B. p. 76)

Moisir signifie attendre longtemps et semploie toujours dans un contexte ngatif :


le temps gte les gens comme il gte les choses. "En ce qui concerne mes tifs, je me
suis ras car je nai jamais aim lhritage. [. . .] Qui va moisir en prison ? Cest
pas toi, cest moi" (B. pp. 60-61)

Quand on se fait injurier, on se fait "incendier". Mtaphore du verbe usuel base sur
lintensit des gros mots. "Grzi mincendie de mots pas trop sympa, vous ou toi
dimaginer" (B. p. 31)

Dbourrer est une mtaphore de dfquer, le verbe signifie essentiellement


(dbarrasser de sa bourre). "Sous ltoile dfunte, il y a un tabouret sur lequel je me
dpose, avec lgret, car dbourr dun bronze" (B. p. 73). Le bronze est par la
suite une rfrence la couleur de lexcrment humain.

Deux parasynonymes de briser et abattre bass sur des emplois mtaphoriques


expressifs : dessouder et dgommer .
"-Merci, monsieur, de mavoir laiss la vie. . . Et cest comment que
tas fait pour me dessouder le cerveau ?
Avec un regard danimal bless Grzi baisse les yeux quand je lui
repose la question.
-Comment tas fait pour me dessouder le cerveau ?" (B. p 41)
A propos de laraigne, nous lisons:
"Le venin de la bestiole ne tardera pas sacharner me dgommer
les connexions du cerveau pour me rendre ensuite concern par les
gains records du Tlthon [. . .]" (B. pp. 77-78)
Le verbe est essentiellement technique et signifie (dbarrasser quelque chose de sa
gomme).

Le discours, o Grzi raconte son ami Yaz ses expriences de dtenu, comprend
beaucoup de termes argotiques relatifs linternement, dont nous citons enfoncer .
"Le procureur ma enfonc. Jai pris deux piges fermes." (B. p.126).
Enfoncer signifie inculper dans un procs, charger un prvenu devant laudience. Il
sagit dun emploi spcialis et humain dun verbe sappliquant lorigine des
choses. Cette acception a paru vers 1847.

Le verbe "emballer" est un verbe connotation sexuelle: il signifie sduire un


partenaire et il est ax sur la considration de la personne comme un objet. Il date de
1935. "Me faire emballer par Grzi, non merci, surtout, qu'aujourd'hui il parat un
peu nerveux, pas rassur, [. . .]" (B. p. 33)

En ce qui concerne les expressions, nous avons pu distinguer avoir la gaule et


avoir la trique , toutes deux signifiant tre en rection.
"Mais il ne faut pas non plus que je me fasse une parano, y aurait vraiment un
problme si javais eu la gaule sur un godemichet ou sur une carrosserie de ferrari"
(B. pp.55-56). Il sagit dune analogie de forme et de rigidit.
"Du haut de mon lit superpos, le corps recouvert par mon drap je souriais, javais
tellement la trique quon aurait cru que mon drap blanc tait habit par un
fantme" (B. p. 143)

Dans tous les exemples susmentionns, nous remarquons que dans les mtaphores,
nous appliquons un nom spcifique dune chose une autre grce la similarit entre
les deux et la collusion de deux champs smantiques.
Mais si la mtaphore est une figure de ressemblance, la mtonymie est une figure de
voisinage qui joue sur "lassociation [. . .] de ralits qui ont pour caractristique de
pouvoir se trouver tout naturellement dans le mme contexte"202
Elle se base ainsi sur le glissement de sens entre des lments voisins dans le discours
banal, cest--dire sur des mots appartenant le plus souvent au mme domaine. Do
un rapport de contigut donn par la langue.
Ainsi la mtonymie se situe-t-elle sur laxe syntagmatique, en ce sens quelle "opre
sur des termes qui sattirent, qui offrent entre eux des combinaisons pontentielles et
qui prsentent, disions-nous, une cohrence smantique"203. Mais la contrainte
syntaxique pse sur la mtonymie puisque les mots doivent avoir la mme nature
grammaticale par souci de respect de la syntaxe.
La relation entre le mot de base et celui qui le substitue est celle du contenant pour le
contenu, de linstrument pour lagent, du lieu dorigine pour le produit, de la matire
pour lobjet qui en est fait, de la cause pour leffet. "Il sagit dune extension de sens
base sur les liens constants qui unissent les rfrents"204
La mtonymie est le plus souvent employe pour abrger ou varier lexpression ou
pour mettre laccent sur un des lments smantiques du terme. Toutefois, elle
"nintresse somme toute les crivains que dune manire plus ou moins pisodique

202
BACRY, Patrick, Op.cit., p. 80.
203
Ibid., p. 87.
204
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 309.
(puisque leffet quelle produit reste malgr tout plus limit que celui de limage
mtaphorique)"205.
Ce faisant, les mtonymies lexicalises dans la langue sont beaucoup moins rduites
que les mtaphores. Raison pour laquelle, nous navons pu relever quune seule
mtonymie lexicalise, savoir gamelle . "Tes condamn bouffer la gamelle
que la prison te donne et tes oblig daccepter les affaires que la prison toffre" (B.
p. 153). La gamelle est une mtonymie du repas, emploi issu du rcipient dans
lequel on met la nourriture du soldat ou du dtenu.

Avec ce chapitre concernant les figures de sens, nous achevons les procds
smantiques de formation lexicale. Ceux-ci s'tant avrs efficaces et significatifs, il
importe alors de parachever par l'tude des procds formels de cration lexicale.

205
BACRY, Patrick, Op.cit., pp. 96-97.
Troisime Partie
Les procds formels de formation lexicale
Qui dit smantique dit formel, puisque les deux constituent la pile et la face
d'une mme monnaie. Les procds formels s'intressent surtout au signifiant,
l'image acoustique du signe, son ct matriel. Ceci dit, les procds formels
tudient la dformation du type verlanesque, l'apocope, l'aphrse, le redoublement
hypocoristique et les nologismes.
Mais est-ce que tous ces procds sont employs avec la mme frquence? Y en a-t-il
certains qui sont plus exploits que d'autres?
C'est ce que nous allons essayer de dceler dans la partie suivante.
Premier Chapitre
Le verlan
"[. . .] Un discours maill de
verlan est peru comme un
discours en franais mais
nanmoins incomprhensible do
la frustration et la droute de
linterlocuteur non initi"206

Genre de cryptage, recyclage formel, inversion des syllabes ou des phonmes


dun terme. Rien de mieux ne peut caractriser le verlan qui a suscit beaucoup
d'intrt dans les annes quatre-vingts. Phnomne linguistique prsent depuis
longtemps mais faisant tache dhuile dans le langage contemporain, le verlan est
"a form of French slang that consists of playing around with syllables [. .
.] verlan is actively spoken in France -many verlan words have become so
common place that they are used in everyday French"207
Le terme lui-mme le prouve. Il s'agit d'un changement de lordre des syllabes de
lenvers :
Lenvers lenvers verslen verlen verlan.

Le verlan est bel et bien ancien, puisquune forme telle que sans six sous (cest--
dire pauvre) avait fait son apparition, au Moyen Age, pour remplacer un sans
souci .
Au XVIme sicle, les Bourbons se disaient Bonbours et le verlan permettait aux
potes libertins dviter les termes indcents et sans vergogne concernant le sexe.
"A ce stade quimporte lorthographe dautant plus que le verlan tend la
simplifier de faon radicale : qu devient k, s devant ou entre deux voyelles
devient z et les lettres muettes sont souvent supprimes"208
Au XVIIme sicle, Voltaire a puis son nom dans cette jonglerie familire : Voltaire
est linversion de Airvault, nom de la ville voisine de celle de son grand-pre. Plus
tard, vers le XVIIIme sicle, Louis XV tait dsign par Sequinzouil 209.
Dynamique au cours de la Seconde Guerre mondiale, le verlan tait exploit pour
drouter les Allemands210.

A ct du verlan, ont, autrefois, exist dautres formes de travestissement telles que le


largonji des loucherbems, le javanais et le cadogan. Le premier est un code spcial
aux bouchers. Le loucherbem signifie le boucher, mais la premire consonne [b]
substitue par une autre [l] parat la fin du terme suivie de [ m] et formant de la sorte
une syllabe supplmentaire. Le terme mme de largonji est une altration de jargon,
base galement sur un remplacement de la consonne initiale par une autre.

206
MELA, Vivienne, "Verlan 2000" in Langue franaise, Les mots des jeunes, observations et
hypothses, n : 114, juin 1997, Paris, Larousse, p. 29.
207
Le verlan est une forme de largot franais sappuyant sur un jeu avec les syllabes. Il est
activement parl en franais - beaucoup de mots verlaniss sont devenus trs familiers au point dtre
employs dans le franais quotidien in http : //french.about.com/library/vocab/bl-verlan.htm
208
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 9.
209
Cf. MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, pp. 48-49.
210
Cf. ANTOINE, Fabrice, Op.cit., pp.45-46.
Le javanais, quant lui, introduit des syllabes comme la (av) ou la (va) aprs chaque
groupe consonantique prononc dans un terme. La cadogan se base sur linsertion du
son (dg) aprs les voyelles dun terme.

Toutefois, ces genres de codage nont pas survcu comme la fait le verlan qui est
toujours l "parce quil a su bouger et sadapter, prouvant aussi quil ntait pas
quun gadget mais bien un lment vivant et en perptuelle volution de la langue"211.
De clandestin, subreptice, cach, le verlan est devenu public, mritant lappellation du
Roi de la rue. Autrefois lapanage des dlinquants, des toxicomanes, des dviants, le
verlan est actuellement pratiqu par la majorit des adolescents.
"De nos jours, les cits ont remplac les fortifs, les truands et les apaches
ont cd la place aux bandes de jeunes dsargentes et sans perspectives
qui trompent leur ennui en tirant des portefeuilles dans le mtro"212
Exclusif aux cits dans les annes soixante-dix, le verlan parat dans la rgion
parisienne vers la moiti des annes quatre-vingts, relanc par la publicit et les
mdias.
"En effet, depuis la fin des annes quatre-vingts, le verlan a t port
lattention du grand public lorsque les feux de lactualit se sont tourns
vers les banlieues chaudes et les observateurs de la jeunesse ont constat
quil y avait une langue et une culture propres aux cits dshrites. Cette
langue et cette culture se sont diffuses parmi les franges les moins
intgres de la jeunesse parisienne et mme plus loin jusquaux grands
lyces et aux universits. Pourtant le verlan na rien perdu de son pouvoir
de mystification car nombreux sont les non-initis que ce jeu droute et
drange encore"213
Longvit et expansion caractrisent donc ce verlan inoxydable qui au fil des sicles a
subi, linstar de largot, un glissement fonctionnel. En effet, la fonction essentielle
du verlan tait la mystification, notamment lorsquil sagissait dune activit illgale
ou dun sujet tabou. "Il cherchait dissimuler ce que la langue lendroit exprime
clairement mais il cherche aussi donner libre expression ce dont lautre langue
nose parler"214
Ce paramtre socioculturel tait donc un moyen mme de voiler l'ide tout en ne
portant pas atteinte la pudeur.
Progressivement, le verlan est devenu un signe de reconnaissance du groupe qui
lexploite.
"On peut mettre laccent sur les stratgies langagires de dfense et
dagression ; en ce sens, les procdures du verlan agissent comme des
mcanismes de subversion linguistique et de construction de normes
dviantes. Mais peut-tre est-il possible den dchiffrer une positivit :
une affirmation de groupe et, au-del, une tentative dlaboration

211
MERLE, Pierre, Le prt parler, pp. 168-169.
212
MELA, Vivienne, "Parler verlan : rgles et usages" in Langage et socit, n : 45, septembre 1998,
Paris, Maison des sciences de lHomme, p. 47.
213
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", p. 16.
214
ID., "Verlan, langage du miroir" in Langages, n : 101, 1991, Paris, pp.73-74.
identitaire. Langage de clture, certes, mais aussi instrument de
reconnaissance"215
Ainsi, le verlan rpond-il un besoin dappartenir une certaine communaut en
coupure avec la socit centrale et la culture majoritaire. Dans les cits surtout, le
procd de verlanisation permet de rendre la ralit vcue moins pessimiste et plus
supportable.

"Le lien au rfrent serait plus lche et la prgnance de celui-ci moins


forte, lorsque le signifiant est invers, verlanis : parler du togu, de la
tci, du tierquar et non pas du ghetto, de la cit, du quartier o lon habite
serait un exemple parmi dautres de cette pratique"216
Il sagit donc daffirmer une certaine distanciation par rapport la socit et la
langue standard, celle des bourgeois. Composant de lidentit sociale, il est lune des
formes de lexpression de la rvolte et de la diffrence. Diffrence entre la crme de la
socit et ceux qui sont peu instruits, entre les jeunes et les adultes ou entre les
autochtones et les immigrs.
"Mme sous une forme dulcore, le verlan fonctionne comme signe
dappartenance un groupe en rvolte contre les valeurs adultes. Les
collgiens sen servent pour marquer leur adhsion la culture banlieue
qui semble aujourdhui la plus vivante et la plus attirante pour les
jeunes"217
Pour les adolescents, cest un moyen qui leur permet de se venger de "la langue de
lcole, de malmener cet objet si difficile matriser quest le franais standard qui
refuse aux lves le droit la fantaisie et la crativit"218

Par ailleurs, le verlan a une fonction ludique notamment chez les jeunes qui trouvent
une satisfaction verlaniser et par l contourner les mots qui peuvent tre mal vus
par les parents heureusement non initis ce code assez drle. En ayant recours
cette pratique discursive, les "ados" se sentent plus forts et plus durs que leurs parents,
ce qui ne manque pas de les rjouir.
Les adultes, pour leur part, tentent de sinitier cette dformation des termes afin de
paratre jeunes . Parler verlan, cest retrouver voire rcuprer la phase la plus active
de notre vie, savoir la jeunesse.
"Ds lors que le verlan se trouve estampill langage des jeunes, on en
dduit que parler verlan revient parler jeune donc tre encore jeune,
mme si on ne lest plus vraiment. Do les tentatives, parfois pathtiques
de certains adultes pour causer ljeune"219.

215
BASIER, Luc et BACHMANN, Christian, "Le verlan dcole ou langues des keums ?" in Mots, n :
8, 1984, Paris, p. 184.
216
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De largot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 18.
217
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", p. 32.
218
Ibid., p. 31.
219
MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, p. 53.
Quil ait une fonction cryptique, identitaire, ludique, le verlan est au mieux de sa
forme mme si plusieurs le considrent comme une violence, une agression la
langue.
A force dtre diffuss, certains termes verlaniss se sont banaliss et se sont insrs
"dans les dictionnaires, certes, mais aussi et surtout dabord, dans les textes divers,
chansons, sketches, BD, romans, eux-mmes relays par la publicit"220. Ce faisant, le
verlan a connu une certaine stabilisation. Ses termes sont devenus la porte de toutes
les couches sociales et par suite plus transparents, moins hermtiques et moins
opaques. Exasprs par cette ralit, les utilisateurs du verlan ne cessent de renouveler
leurs procds visant brouiller les pistes pour les bizuths. Cest ce quon appelle le
verlan du verlan.221
Revenons pour le moment au verlan proprement dit. En effet, cette pratique
langagire ne touche quune partie de la production verbale et porte essentiellement
plus sur les noms et les adjectifs que sur les verbes.
"Une analyse rapide du lexique montre que le verlan sert surtout pour
parler de bagarre, de sexe, de drogue, de vol. Les verbes daction, de
mouvement sont nombreux tandis que les termes faisant rfrence aux
activits intellectuelles sont absents. Les seuls sentiments voqus en
verlan sont lnervement (jtais vnere), la honte (javais la tehon) et la
piti (il fait tiep) ou alors la joie mais uniquement dans lexpression cest
pas la waj "222
Sagit-il dans le verlan dune inversion alatoire de lordre des syllabes ? Ou existe-t-
il au contraire des rgles rgissant ce cryptage ?
En effet, la verlanisation dun terme est une tche qui peut tre qualifie de dlicate.
Tout dabord, le verlan est ax sur le respect de la structure de la phrase franaise et
"ceux qui veulent faire du verlan en inversant la fois tous les mots et lordre des
mots se trompent sur la nature du verlan"223.

De mme, les utilisateurs du verlan sont toujours la qute dun terme mlodieux qui
rsonne et qui soit beau loreille.
"[. . .] un terme qui a reu le consensus du groupe peut tre accept mme
sil nest pas strictement conforme la rgle principale. De la mme
manire, un terme mme sil est bien form peut tre rejet sil na pas
reu laval du groupe"224
Le verlan figure le plus souvent dans les situations informelles, cest--dire entre pairs
de copains et sappuie gnralement sur des termes argotiques. Ce qui veut dire
quargot et verlan sont indissociables : lun est smantique et lautre formel. Le FCC
exploite le cryptage sur les deux plans.
La frquence et la rsurgence du verlan dans les discours des jeunes constituent
lindice de la dviance du locuteur aussi bien que de son intgration la culture de la

220
ANTOINE, Fabrice, Op.cit., p. 50.
221
Cf. MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, p. 55.
222
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", p. 31.
223
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 86.
224
ID.,"Parler verlan : rgles et usages", pp. 53-54.
rue. Plus le jeune se sent "voyou", plus il emploie ce codage. Raison pour laquelle
cest plus chez Grzi que chez Yaz que nous trouvons un grand nombre de termes
verlaniss.

Les rgles de permutation en verlan diffrent en fonction du nombre de syllabes du


terme. A commencer par les monosyllabes, il nous incombe de faire la distinction
entre les monosyllabes ferms et les monosyllabes ouverts.
Comme exemple de monosyllabes ferms, nous avons relev meuf verlan de
femme, reup verlan de pre, cheulou verlan de louche et keuf verlan de flic.
Meuf , en particulier, maille la majorit des discours de Yaz. "Aziz, lui, cest tout
le contraire, il part vivre chez les meufs" (B. p. 12)

"Grzi est un mec trange, par instants, il se comporte comme si jtais sa meuf
[. . .]" (B. p. 70)

Le terme fait, de mme, son apparition dans les discours de Grzi. "Je ntais plus le
chef de ma chair, sa meuf et lui paniquaient, pleuraient en face de moi, javais
limpression quil me suppliait de les buter" (B. p. 49)

"Une fois sch et chang vraiment tu te sens trop bien, la seule chose quil me
faudrait pour bien digrer ma douche ce serait une femme, une vraie, pas une meuf
comme il y en a plein la cit" (B. p. 149).

Concernant reup et cheulou , nous les avons relevs dun discours de Yaz.
"Mon Daron, mon reup, mon pre a vite fait de criser : cinq ans de chomedu, au
palmars" (B. p. 10)

"Il avait cru dur comme fer ce baratin de cheulou, nous demandant si la femme
avait laiss un numro de tlphone ou une adresse" (B. p. 86)

Nous nous demandons quelles sont les transformations qui ont touch ces termes ? En
effet, la rgle est la mme pour les trois. Ceux-ci, des monosyllabes ferms CVC
(consonne, voyelle, consonne) se sont mus en dissyllabes par le renforcement et la
prononciation du (e) muet final. Ayant t amenes la forme CVCV, les syllabes des
termes ont t inverses. Ensuite, a t applique la rgle de troncation qui a donn
lieu la forme finale du terme verlanis.
Ainsi, femme [fam] passe par [fam] et [mfa] avant darriver [moef]. Selon les
statistiques tablies par Henri BOYER, "meuf" figure dans 51% des discours des
jeunes rencontrs Montpellier, 31% Lille et 60% Paris225.

225
Cf. BOYER, Henri, "Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, enqute Montpellier, Paris,
Lille", p. 81.
Le terme pre [p 4r] est galement transform en un dissyllabe [p 4r ], invers [rp4]
et tronqu [roep]. Il en est de mme avec louche [lu] renforc en [lu] et invers
[lu].

Passons maintenant keuf qui est employ plusieurs reprises notamment par
Grzi. "Pour la tte, excuse-moi, jai cru que ttais un keuf [. . .] je tavais pas vu
sortir, la vie de ma mre, jai cru que ttais un keuf, un cond, un schmit" (B. p. 41)

"Dans le procs verbal, tas pu ten rendre compte, lhistoire que mon pre stait
fait serr par les keufs, cest bidon [. . .]"(B. p. 148)

"Aprs quarante huit heures passes en garde vue, jai tout avou ces rapaces
de keufs qui coups de pied et de poing mont peint la gueule dun bleu hmatom"
(B. p. 127)

Yaz lutilise son tour. "Mon Daron maurait tu. Une chose quil ne pardonne pas
cest bien le vol. Pour lui la transpiration paye le travail des objets, tout cela aux
keufs je lexpliquais, tremblotant [. . .]" (B. p. 14)

Lanalyse de keuf est assez proche des exemples prcdents. Si le terme de base,
flic [flik] ne se termine pas par un (e) muet qui pourrait tre renforc, nous rglons ce
problme en ajoutant un schwa penthtique. "Le schwa, selon les rgles de
prononciation du franais devient [] en syllabe ouverte et [oe] en syllabe ferme"226

Dans notre exemple, le monosyllabe devient un dissyllabe [fli/k], ensuite il subit les
rgles de permutation [k/fli] et de troncation [koef].
Ce terme figure toujours selon les statistiques de Boyer dans 37% des discours
enregistrs Montpellier, 40% Lille et 49% Paris227.

En verlan, la troncation est une rgle facultative mais qui


"sapplique des mots qui se terminent par la suite obstruante liquide
voyelle et consiste effacer la voyelle finale et la liquide qui la prcde [.
. .] cette rgle peut sappliquer partout, mais elle est applique plus
particulirement aux dissyllabes forms par adjonction du schwa, les
rduisant ainsi de nouveau des monosyllabes ferms. La troncation
sapplique des substantifs, plus rarement des adjectifs"228

226
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 78.
227
Cf. BOYER, Henri," Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, enqute Montpellier, Paris,
Lille", p. 81.
228
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 83.
MELA assure que les voyelles arrondies [o], [u] et [y] aussi bien que les voyelles
nasales rsistent mieux la troncation que les [a] et [ ]. La preuve en est le terme
"louche" vu plus haut.

Mais chaque rgle ses exceptions, nous avons remarqu que certains monosyllabes
ferms ne subissent pas forcment cette addition du schwa. Cest le cas de (or)
verlanis en ro o il y a eu une simple substitution de la consonne et de la voyelle.
"Tu sais, lorsquils mont foutu en garde vue, ils mont fait retirer ma bagouze en
ro, mes lactes et mon cordon de survt [. . .]" (B. p. 128)

Concernant les monosyllabes ouverts, citons celui de oinjs , verlan de "joint". "La
mise en scne ne serait rien sans les oinjs au bec et les gros plans de seringues
contaminantes [. . .]" (B. p. 21)
En effet, la rgle applique aux monosyllabes ferms est ici inconvenable. Dans joint
[ w ], la consonne qui constituait lattaque est passe en position finale transformant le
terme en un monosyllabe ferm.
"Tous ces monosyllabes sont btis sur le modle C(SV)V, la coupure est
dans tous les cas effectue droite du premier phonme, qui est une
consonne -le bloc reste est compos du son vocalique [. . .]. Etant en
prsence de deux blocs, on applique la rgle utilise dans les autres cas
dantposition du bloc reste "229
Cette rgle est applique dans le cas du pronom tonique moi [mwa] verlanis en ouam
[wam]. Grzi en sadressant Yaz dit Scuse ouam (B. p. 113) pour excuse-moi.
Le groupe (semi consonne+voyelle) figure au dbut du terme et est suivi du son
consonantique.

Notons galement dans le cadre des monosyllabes ouverts (chaud) et (vue) verlaniss
au auch [o] et uv [yv]. Grzi souligne que son pre est "en garde uv [. . .]
cest trop auch [. . .]" (B. p. 69)
Les deux termes sont de type CV qui devient VC. "La structure syllabique du mot
verlanis est le miroir [. . .] du mot de dpart"230
Cest le discours de Grzi, matrisant ce cryptage lenvers, qui foisonne de termes
verlaniss qui peuvent frler lincomprhensibilit. Yaz lavoue et Grzi en est bien
conscient.
"[. . .] je m'efforce de ne plus tchatcher verlan, mais quand je suis
nerv il rinvestit ma langue. Mon verlan compar celui des mecs
comme Grzi, cest niveau CP. Leur verlan eux cest niveau bac +10
dans luniversit de lcole de la rue", dit Yaz (B. p. 58).
Grzi, son tour, dit "c'est mon pote de cellule qui crit ce que je lui dicte avec le
moins de verlan possible pour que tu puisses comprendre le sens profond de toutes
mes phrases" (B. p. 126)

229
ANTOINE, Fabrice, Op.cit., p. 57.
230
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De largot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 17.
Il est donc naturel que nous trouvions des phrases o les monosyllabes et les
polysyllabes se ctoient.
"Scuse ouam. Jte lpare depuis lheure touta et tisgra tu me mets dans le enve.
Tes sr que a va ieum dans ta chetron Yaz ? Y a pas de blme sinon jte laisse
mirdor" (B. p. 113)
Grzi voulait dire son copain : (excuse-moi. Je te parle depuis tout lheure et gratis
tu me mets dans le vent. Tes sr que a va mieux dans ta tronche Yaz ? Y a pas de
problme sinon je te laisse dormir).
Dans cette citation, la rgle des monosyllabes ouverts est vidente dans ouam ,
verlan de moi, enve verlan de vent [v] et ieum , verlan de mieux [mj].
Les deux verbes verlaniss sont : parler et dormir. Le premier, bien quemploy la
premire personne du prsent de lindicatif [parl], se trouve verlanis comme sil est
linfinitif [parle] [lepar]. Et ce, parce quen verlan, la dsinence
verbale tombe. Ce qui veut dire que nous ne disposons que dune seule forme quels
que soient les temps et les modes du verbe.
"[. . .] En gnral seul linfinitif et le participe pass sont en verlan, cette forme a
dailleurs tendance devenir invariable et on entend [. . .] : jen ai [reti] tir une et
jen [reti] tire une [. . .]"231
Le second, tant quil est linfinitif, ne subit quune simple inversion de ses deux
syllabes.
Dans les dissyllabes, "il semble plus simple de considrer alors que le
verlan sappuie sur un comptage des suites de consonnes et de voyelles du
mot de dpart pour ensuite oprer une transposition. La consonne qui suit
la premire voyelle (sauf sil sagit dune liquide suivie dune autre
consonne) est toujours prise comme point de dpart du mot cod"232
Dans notre exemple, tant quune liquide [r] suit la premire voyelle, les deux
deviennent insparables.
C1 V1 L C2 V2 C3 C2 V2 C3 C1 V1 L
d o r m i r m i r d o r
p a r l e r l e r p a r

Vient ensuite le dissyllabe gratis [gratis], verlanis en tisgra [tisgra], suivant la


rgle explique un peu plus haut : la consonne situe aprs la premire voyelle est le
point de dpart du terme verlanis.
Le terme "tronche" [tr] a t invers en chetron [tro]. Cest un monosyllabe
ferm transform en un dissyllabe par le renforcement de la prononciation de (e) muet
final. Il na subi aucune troncation linstar de "louche".
Passons maintenant la locution tout lheure , verlanise en lheure touta.

231
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 85.
232
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", pp. 17-18.
En effet, "trois possibilits se prsentent pour le codage des trisyllabes. La
premire suit la rgle gnrale et rcrit le mot partir de la deuxime
consonne en balayant droite puis en revenant gauche pour aligner les
lments [. . .]. La deuxime possibilit consiste r-crire partir de C3
comme premier lment [. . .]. La troisime possibilit consiste r-crire
partir de C3 dans lordre inverse"233

MELA prsente comme exemple de la premire possibilit (golori), verlan de rigolo,


de la deuxime possibilit (tvri), verlan de vrit et de la troisime (gaitupor),
verlan de portugais.

Dans le roman, tout lheure [tu/ta/loer] sest mu en lheure touta [loer/tu/ta], cest-
-dire que Grzi a commenc par la troisime syllabe et en a repris ensuite la premire
et la deuxime.

C'est Grzi qui insre le verlan partout. Dcrivant son tat lamentable en zonzon , il
dit : "il faudra absolument que jaille chez le coiffeur, raser ma touffe de veuch la
sosie des JacksonFive. Je commence avoir une barbe de taulard"(B. p. 88)
Veuch nest, en effet, que le verlan de cheveux. Le (e) final tant muet est
escamot.

En prison, un des dtenus dit "Eh, la 212, pcho le yoyo" (B. p. 140). Le verbe
limpratif pcho est la verlanisation de choper au sens dattraper.
Il est galement employ par Grzi, "les keufs, ils ont pcho mon reupe pour le
menra au stepo, en garde uv. Om ma lanceba, cest trop auch [. . .]" (B. p. 69)
La traduction de la phrase serait : les flics, ils ont chop mon pre pour le ramener au
poste en garde vue. On ma balanc, cest trop chaud.
Le terme "poste", dissyllabique par renforcement du (e) muet final, sest transform
en stepo et ce en commenant par la consonne qui suit la premire voyelle.

Concernant les verbes, nous avons remarqu lusage de menra , verlan de ramener
et lanceba , verlan de balancer.
Le codage du premier peut sexpliquer de trois faons diffrentes. Soit [ra/m/ne] est
dcoup en trois syllabes et invers [m/ne/ra], le (e) muet tant en premire syllabe
est transform en e ouvert [ 4] et le [e] est supprim. Soit que ce verbe est rduit un
dissyllabe par suppression du (e) muet situ entre le m et le n. [ra/mne] est ensuite
invers et le [e] change de position et de timbre pour viter la succession des
consonnes. Soit que la verlanisation du verbe est axe sur la forme du prsent de
lindicatif [ra/m4n]. Cette dernire hypothse bien quelle contredise la rgle gnrale
semble tre la plus plausible et la plus proche de la phonie du terme cod.

233
Ibid., p. 22.
"Balancer" tant trisyllabique a subi une coupure partir de sa deuxime syllabe qui
est venue se placer en tte du terme, suivie de la troisime syllabe puis de la premire.

Grzi prenait parfois certaines liberts dans la verlanisation des termes. N'a-t-il pas dit
" [. . .] c'est pas lui qui te ferait baisser ton froc et qui te plierait genoux pour
observer si ton anus ne dissimule pas de chichon, shit zetlah [. . .]"(B. p. 152). En
effet, c'est le contexte qui nous permet de comprendre la signification de "chichon" et
de savoir qu'il s'agit du haschisch. Le verlan devait tre "chicha", mais Grzi a chang
le son final par ludisme.

Parmi les autres termes verlaniss qui mritent d'tre signals, citons celui de
"caillera": "Maintenant, je peux me la jouer caillera" (B. p. 120), a dit Yaz en
dcrivant le changement qui a touch sa personnalit aprs la duperie de Grzi.
La forme non verlanise est galement employe. "C'est mon cadeau d'anniversaire,
Yaz, qu'il me salive avec son accent moins ridicule que celui des guignols de l'info
et leur racaille de marionnettes" (B. p. 106)
"Le grand quartier o il y a que des papas, le quartier jeune o il y a que des
racailles, et le quartier mineur o il y a que des Gremlins" (B. pp. 133-134)
"Au ple oppos du bouffon, sur laxe des positions par rapport la
culture des rues, se trouve le personnage emblmatique de la caillera
[racaille]. Ce terme dsigne dans la rhtorique adolescente les dlinquants
affirms, les voyous notoires, ou dune manire plus gnrale tous les
membres intgrs la culture des rues"234
Le terme a une forte connotation pjorative puisquil dsigne le plus malfaiteur, le
plus escroc, le plus gangster qui fait peur et qu'on craint.
"Il vient du latin radere qui signifie raser. Il a donn en portugais,
espagnol et catalan rascar, c'est--dire gratter et prend un sens ngatif vers
la fin du XVIIe sicle, probablement en raison des raclures qu'il dsignait,
rsidus du grattage et du rasage. Ce sont les jeunes des cits qui ont remis
ce mot la mode pour se dsigner eux-mmes, pour signifier leur
appartenance une mme famille. Cela dit, malheur celui qui ose les
traiter de racaille!"235
Boris SEGUIN et Frdric TEILLARD insistent sur le fait que
"la racaille c'est d'abord un look: dmarche tordue (fausse dmarche,
dhanchement avec les jambes lgrement flchies, un peu cartes, les
bras et les paules se balancent de droite gauche, parfois le dos est
vot). [. . .] La racaille parle fort, en verlan avec un accent. Elle utilise
beaucoup de gros mots. La racaille coute du rap et n'a peur de rien ni de
personne"236

234
LEPOURTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p.143.
235
CERTA, Pascale, Op.cit., pp. 15-16.
236
SEGUIN, Boris et TEILLARD, Frdric, Op.cit., p. 209.
Mais tant que Yaz nest pas un verlanisateur professionnel, il lui arrive denfreindre
les rgles des inversions. "Grzi !ouvre cest Yaz..ziva vrirou la teport. . .cest Yaz
que jte dis, fais pas le baltringue"(B. p. 58)
Sil a bien fait dans ziva pour vas-y et vrirou pour ouvrir, le verlan tant le
plus souvent calqu sur linfinitif, il a dit teport pour porte. Il aurait d dire tout
simplement "tepor".

Tous les exemples que nous avons signals sont des formes du verlan simple. Mais il
existe un verlan plus complexe o le terme subit plus d'inversions successives. Cest
le cas de beur . "Javais t son otage et par la mme occasion sa poule aux oeufs
dor car aprs avoir russi avoir le beur il ne se priva pas taxer largent du
beurre" (B. p. 116)
Le beur est le jeune Arabe n en France de parents immigrs ; terme trs rpandu
en France depuis 1980 et employ pour dsigner de faon non raciste les jeunes
Maghrbins immigrs dits de la deuxime gnration .
Selon les statistiques de Boyer, ce terme figure dans 28% des discours enregistrs
Montpellier, 38% Lille et 49% Paris237. Le terme vient donc de "arabe" [arab].
Arabe est pass successivement par arabeu, beuara, beuraa avant d'arriver beur
[boer]. Ce dernier tant trop connu subit une permutation et on parle aujourdhui de
reub.

Nous avons galement relev lusage de beute .


"On la baisait comme une chienne enrage, sa main droite tenait une
beute, sa main gauche la mme chose, sa bouche tait en conversation
avec une beute, son trou de balle tait bouch par une beute, enfin sa
poupoune jouait au yoyo avec une beute de blackos" (B. p. 86)
Beute est le verlan de teube qui signifie pnis et qui est le verlan de bite. Bite est
devenue biteu, ensuite teubi, teub [toeb] et enfin beute [boet].

Finalement, outre ce verlan phontique, il y a un verlan purement orthographique. "Le


zen ouvert, lodeur me rapproche de la cave petits pas" (B. p. 71)
Le zen est le verlan de nez. Ce verlan "consiste permuter les consonnes initiales
et finales comme le blackslang ou certaines formes de cant anglais o boy devient yob
et pog devient gop"238. Ce verlan sappuie donc sur la graphie du terme.

Le verlan est donc une langue vernaculaire, un procd dencodage revitalis qui
porte sur les formes graphiques et phoniques du terme. Il bouscule les rgles du
franais standard et chamboule la prononciation des termes. Il touche des termes du
vocabulaire gnral aussi bien que des termes argotiques. Certains termes verlaniss

237
Cf. BOYER, Henri, "Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, Enqutes Montpellier, Paris,
Lille", p. 81.
238
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 79.
se sont stabiliss, ont acquis un droit de cit et sont systmatiquement employs, alors
que dautres ne le sont pas encore.
Cest un code qui peut tre qualifi de fantaisiste. Do sa frquence chez les jeunes
qui y trouvent un reflet de leur vie secoue. Cest aussi sous peine de paratre ridicule
ou d'tre hors du coup, qu'on emploie le verlan. Quil soit utilis des fins cryptiques,
identitaires ou ludiques, le verlan traduit la passion de mijoter des manigances devant
un intrus. Quand le verlan est mme dgarer le lecteur, lauteur intervient pour
lorienter grce au franais conventionnel.
En entendant le verlan, notre esprit doit rester en veil, ce qui veut dire quil implique
un effort de la part du locuteur aussi bien que de la part du destinataire.
Cest un des tics du langage qui fixe lair du temps et son emploi ostentatoire vient
baliser lnonc et associer la mlodie de la phrase un nouveau patron prosodique.
Cest une refonte du signifiant.
Bon nombre de caractristiques marquent ce procd. Du fait de sa structure, le verlan
a donn naissance des suites de consonnes qui occupent la position initiale et quon
ne trouve pas en franais standard telles que les /st/ et /rt/. Le nombre des polysyllabes
verlaniss est infrieur celui des dissyllabes et des monosyllabes puisque cette
varit prfre les termes raccourcis. Bien plus, la liaison entre les termes nexiste pas,
ce qui donne un rythme plus ou moins saccad la phrase.
"Le verlan nie la conjugaison et la dclinaison, anantit la structure
morphologique qui permet dtablir des liens entre les mots [. . .] et
accorde la voyelle [oe] une importance nouvelle. Le verlan apparat
donc comme un jeu complexe qui se cache derrire la formule simpliste
dinversion des syllabes. Sa forme mme exprime bien cette culture de rue
dapparence superficielle mais qui est fait dun mtissage subtil des
cultures en contact dans nos banlieues"239

239
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", pp. 33-34.
Deuxime Chapitre
L'abrviation
"Labrviation possde deux
sources bien distinctes : la
troncation et la siglaison. Au sein
du groupe, la troncation semble
constituer, par rapport la
siglaison, un mode de cration
familier et productif240

Qui dit troncation, dit apocope et aphrse. Deux procds qui jalonnent le
FCC et qui, pour antonymes quils soient, sont bass sur un changement phontique
qui consiste en la suppression dun ou de plusieurs phonmes ou syllabes. Dans
lapocope, la chute de ces phonmes concerne la fin dun terme, alors que dans
laphrse, elle porte sur le dbut du terme. Ces deux procds sont bel et bien
anciens et ont contribu la formation de bon nombre de termes franais. Les articles
dfinis (le) et (la) sont, titre dexemple, drivs du dmonstratif latin illum et illam
par aphrse et apocope.241

De nos jours, les termes tronqus ont tendance remplacer les termes pleins dont ils
sont issus et sont plus tolrs quauparavant. "[. . .] La frontire entre langue
surveille et langue non-surveille est devenue beaucoup plus floue, et parler la
langue de tous les jours nest plus forcment peru comme parler popu"242

Par rapport laphrse, lapocope semble tre nanmoins plus claire et moins
ambigu dautant quelle "prserve en partie lidentit du mot, alors que la seconde
rend plus difficile sa reconnaissance"243
Lapocope rpond au besoin dconomie, du moindre effort et du raccourcissement.
Mais la coupure obit-elle une logique ? Malheureusement non. "Labrgement
semble alors livr une grande libert do il parat fort difficile de dgager des lois,
lancienne rgle de la coupure au prfixe ntant plus par exemple quun procd
occasionnel"244
Ce faisant, nous pouvons trouver des termes abrgs termins par une voyelle et
dautres par une consonne.
A commencer par les noms qui se terminent par une voyelle, nous avons relev
lusage plusieurs reprises de pote par Yaz:
"Je me planque avec mon pote Grzi qui a commis une btise la sortie dune
cole" (B. p. 79)
"Voir un pote dans cet tat, cest pas le pied" (B. p. 43)

240
MELLIANI, Fabienne, Op.cit., p. 100.
241
Cf. DUBOIS, Jean, Op.cit., p. 43.
242
ANTOINE, Fabrice, Op.cit., p. 47.
243
SOURDOT, Marc, "La dynamique du franais des jeunes : sept ans de mouvement travers deux
enqutes (1987-1994)" in Langue franaise, Les mots des jeunes, Observations et hypothses, n : 114,
juin 1997, Paris, Larousse, Bordas, p. 76.
244
VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Parlez-vous branch ?" in Europe, n : 738, volume 68,
1990, p. 40.
Et aussi par Grzi : "Pourquoi tu me regardes comme a ? Je tai rveill ? a va
mieux, mon pote ?" (B. p. 44)
"Cest mon pote de cellule qui crit ce que je lui dicte avec le moins de verlan
possible pour que tu puisses comprendre le sens profond de toutes mes phrases" (B.
p. 126)
"Heureusement, il y avait la promenade o jy ai vu pas mal de potes de la cit qui
ont t surpris de me voir" (B. p. 136)

Le "pote" est essentiellement lami, le camarade. Cest une apocope de poteau. Mais
grce au slogan touche pas mon pote brandi lors de la Marche des Beurs,
"les antiracistes de 1985 vont donner vritablement ce mot, pourtant
solidement ancr dans la langue populaire, une signification parallle
diffrente. A partir de l en effet et pratiquement jusqu nos jours [. . .]
le pote sera aussi, sans pour autant perdre son sens premier, le beur ou le
jeune immigr potentiellement victime du racisme beauf"245.
La came est une autre apocope polysmique. Tantt elle est labrviation de
camra, comme dans la citation suivante. "Lnumration des options de la came ne
mont pas convaincu, ses batteries taient plat, dommage, jaurais aim filmer
une partie de foot [. . .]" (B. p. 22)
Tantt, elle est un abrgement pjoratif de camelote, cest--dire drogue, cocane.
"Ce nest plus le cas de mon petit frre Hamel qui a fait le pas vers des vacances
trop coteuses. . .la came" (B. p. 34)
"Lavantage du quartier cest quici les prix sont toujours au rabais, lexception
bien sr de la came et du shit, leurs grammes sont comme lessence et le tabac, au
tarif national [. . .]" (B. p. 22)

"Avant ma mre faisait ma chambre pour ne pas dire quelle la dfaisait, faon
perquisition amricaine, la recherche de la came dHamel" (pp. 52-53)

Le bide est lapocope de bidon au sens de ventre. Do son emploi par lentraneur
de boxe : "Toujours face un droitier, tourner sur ta gauche et ne pas oublier quil
a un bide pour saper ses forces, cest aussi l quil faut taper" (B. p. 97),

par le pre "Ne jamais monter sur le ring avec une envie de pisser ou de chier, un
bon coup au bide pourrait te forcer la main abandonner et je nai jamais
abandonn" (B. p. 95),

et par Yaz "Je suis transport dans ses bras, qui me larguent lhorizontale sur
mon bide creux" (B. p. 87).

245
MERLE, Pierre, Le prt--parler, p. 26.
Au lieu de dire sommeil, Yaz opte pour la forme tronque somme . "Si lui il pionce,
moi aussi je vais me taper un somme" (B. p. 64).

Le fait de dire flingue , pour larme feu, au lieu de flingot sinscrit galement dans
le cadre de lapocope.
"[. . .] bien arm tu possdes le respect, cela tapporte la cote avec les
meufs, tas comme deux zobs quand le flingue se cale ton froc [. . .] les
cads te le rptent, il est logique de bander sur ptard avant de chercher
te faire des bombes de meufs" (B. p. 26)
La citation comporte galement le terme bombes qui constitue une apocope de
bombance et signifie fte ou orgie.

Le blason qui signifie le nom, le prnom ou le surnom se rduit blase . "Tu


marques ton nom en zonzon, il te faut savoir quil te faudra toujours revenir le faire
disparatre, comme jai pas envie de revenir aprs ma peine, cest cash que jai
dsintgr mon blase" (B. p. 142)

Les comptitions sont dsignes tout court par compte . "Dommage, la tour 123
est plante juste en face, elle me cache le terrain de foot sur lequel rgulirement 80
et 125 de comptes tracent des pointes" (B. p. 30). Dans la citation foot est une
apocope de football.

Laluminium est rduit alu . "Il (le VTT) tait sublime, cadre alu, jantes
btons, quip shimano, la marque prestige du freinage et une fourche
suspension avant" (B. p. 14)

Le fait de dire baby est un abrgement de baby-foot qui est un football de table
comportant des figurines que lon actionne laide de tiges mobiles.
"[. . .] le local des jeunes occupait les rcrations de nos vies, entre un engagement
au baby, peut-tre un coup de bluff au poker et une ngociation des trois bandes au
billard" (B. p. 83)

"C'est dommage, je me dbrouillais pas trop mal au baby, en plus les parties taient
gratuites" (B. p. 10)

La condamnation vie devient pour Grzi une condamnation perpte au lieu de


perptuit . "Jai mme pas entendu les dtonations, vite compris, jtais bon
pour la prison perpte si je restais clou au sol [. . .]" (B. p. 49)
"Jai commenc lire et crire grce un papa du grand quartier qui est en
zonzon pour perpte cause du meurtre de la femme et de lamant" (B. p. 148)

Signalons galement en douce apocope de en douceur , cest--dire en cachette,


en confidence. "Je lai suivi en douce et jai vu o tait son bahut" (B. p. 47)

Les adjectifs sont galement soumis l'apocope. "Sympathique" se mue, titre


d'exemple, en sympa . "Grzi mincendie de mots pas trop sympa, vous ou toi
dimaginer" (B. p. 31)

"Cette semaine jai fait du thtre, ctait sympa dtre dans la peau dun autre,
lespace dun court instant" (B. p. 151)

"Kurtis lui va la messe tous les dimanches matin, pourtant il na pas la foi mais le
Pre est sympa, il nous parle pas de religion mais de Dieu" (B. pp. 151-152)

"Je veux changer de cellule, les mecs sont pas sympa avec moi" (B. p. 136)

Notons, outre ces apocopes, celles qui se terminent par la voyelle [o] et qui sont plus
nombreuses.
Le professionnel, celui qui exerce son mtier avec une trs grande comptence est un
pro . "Je ne tricherai pas, on est pas des pros dans ce genre de taf, et alors!" (B. p.
17)

"Ce fut son premier et dernier combat de boxe pro, daprs ses dires" (B. p. 101)

Le toxicomane devient le toxico . "Je ne suis pas un toxico mais mes poings aussi
peuvent traverser les feuilles cristallises" (B. p. 123)

"La phobie intgriste du Daron, ctait dtre contamin par le monstre Hamel qui
pour lui tait forcment siden puisque toxico" (B. p. 36)

Les informations sont simplement dsignes par infos . Ce terme est aujourdhui
trs rpandu et tend sortir de largot journalistique pour devenir familier. "Daprs
Grzi, aux infos cest notre aventure qui fait louverture" (B. p. 69)

"Cest mon cadeau danniversaire, Yaz, quil me salive avec son accent moins
ridicule que celui des gignols de linfo et leur racaille de marionnettes" (B. p. 106)
Les abdominaux deviennent les abdos .
"Il a, comme le veut le rglement, vrifi si mes doigts, mes dents, mes yeux et mes
abdos sont oprationnels, cest positif" (B. p. 91)

"Ben la constat, le mangeur de Chili tait trs afft, ses abdos formaient une
tablette de chocolat, ses biceps faisaient le double des miens" (B. p. 90)

Le suppo , quant lui, est la forme abrge de suppositoire. "[. . .] tout de suite tu
deviens raliste et tu te dis que toi, ta peine, cest du gteau, qui va passer comme
un suppo la poste" (B. p. 156)

La paranoa qui est une attitude agressive et un dlire de perscution devient


parano . "Mais il ne faut pas non plus que je me fasse une parano [. . .]" (B. pp.
55)

Quand on compose sur-le-champ, sans prparation, on fait des impros plutt que
des improvisations. "Ils se sont mis chanter et faire des impros au rythme de
leurs battements de mains [. . .]" (B. p. 19)

Notons galement le microphone qui devient micro. "Un animateur en costard-


cravate, aux accents du Sud, faisait gagner des lots. Son micro rpandait des
questions sur la grande surface" (B. p. 16)

Lapocope s'applique galement des termes emprunts langlais comme Mac


Donalds. "Il acheta les babioles et avec la tune, Grzi minvita au Mac Do" (B. p.
16)

Dans les cas dj cits, la voyelle [o] fait partie de la syllabe aprs laquelle a eu lieu la
troncation. En revanche, dans dautres termes ce son vient sajouter la syllabe
tronque comme c'est le cas de facho . Le facho nest en effet que labrgement
de fasciste, cest--dire ractionnaire. Cette apocope a paru vers 1968.
"Napolon nest pas un facho comme les autres" (B. p. 62), "[. . .] cause dun
poivrot, facho comme un rat [. . .]" (B. p. 61), et encore "[. . .] de toute faon, cest
bien connu, les fachos bandent mou" (B. p. 75)

Evoquant sa soeur Sonia, Yaz dit : "Elle na pas t rglo. Elle a pass au bcher
toutes les muses de ma collection de Play Boy" (B. p. 123)
Le rglo est un individu loyal. Il se dit aussi dune chose conforme au rglement,
la norme. Cest lapocope de rglementaire.
Le dico tend de plus en plus supplanter dictionnaire. "Con je suis. Le dico que je
tiens vient dtre projet trois cents lheure contre le miroir qui me fixe cest
sept ans de malheur assur" (B. p. 56)

"[. . .] Le niveau des mots que jutilise nest pas assez chic, avec les mots complexes
du dico, jaurai lair dtre un intello pour les gens qui me liront [. . .]" (B. p. 54)
La citation comporte galement lapocope dintellectuel, intello , paru vers la fin
des annes soixante-dix.
"Lutilisation des finales en -o et -os, hrites probablement de largot et
qui servent former bon nombre dabrviations dado toxico en passant
par latino (latino-amricain) afro, crado ou redhibos : ces finales en -o
ou en -os servent dailleurs souvent marquer davantage lappartenance
un groupe langagier que le raccourcissement : ainsi pour musicos ou
ramollo 246
Passons maintenant lapocope qui se termine par une consonne. "Y en a qui
naiment pas quon leur dise tu, comme les flics ou les profs lcole [. . .]" (B. p.
32). Prof est labrgement de professeur.

Le survtement devient survt notamment chez Grzi qui relate son vcu en prison.
"[. . .] ceux qui nont pas dargent, on leur offre un survt de la prison, sans rayures,
avec une paire de chaussettes en plastique [. . .]" (B. p. 138)
"[. . .] ils mont fait retirer ma bagouze en ro, mes lacets et mon cordon de survt,
soi-disant ctait pour me dissuader de me pendre" (B. p. 128)

Le pre boxeur de Yaz lutilise galement : "Je mintroduis dans un survt coton et
un pull en laine" (B. p. 96).

Le matin est abrg en mat . "Il doit tre dans les coups de dix heures du mat car
le facteur fait sa tourne des tours" (B. p. 117)

Le maximum est rduit max . "[. . .] la prison est une exprience de bonhomme
condition de ne pas y mettre deux fois les pieds, ma dit lun des papas qui, lui a
pris le max" (B. p. 155). Le max rfre la peine draconienne que va purger ce
dtenu.

Bnf et biz sont les raccourcissements de bnfice et bizness. "Le biz, cest
son nerf de guerre. Gigolo, mon brother ? Peut-tre. Il fut un temps o il tait
dealeur, mais il sest rang, dealer cest du bnf sur terre, a se paye toujours en
enfer" (B. p. 12)

246
VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Parlez-vous branch ?", p.40.
Lindic dsigne l'indicateur de police. "Jtais devenu un indic, et aujourdhui
encore cette sale rputation me gratte la peau" (B. p. 15)

Le terme "appartement" tant long est rduit appart . "[. . .] ils ne me laissent
mme pas entrer dans leur cellule pour ne pas dire dans leur appart" (B. p. 134).

Le film documentaire est tronqu en doc. "La camra, belle aubaine, est
rquisitionne. Grzi m'a peut-tre convaincu de faire un doc" (B. pp21-22)

Si dans tous les exemples cits, le dbut du terme est conserv avec l'apocope, dans
laphrse, ce sont les premiers phonmes de lunit lexicale qui sont au contraire
supprims. Ce faisant, elle opacifie son sens et rend plus difficile le dcodage de
lnonc 247

Dans notre corpus, ce procd nest pas aussi rpandu que lapocope, les termes crs
par aphrse sont peu. Citons titre dexemple, guez . "Depuis ce malaise, je nai
jamais plus ingurgit un guez-frites, dire quauparavant je pensais avoir un
estomac en cuir"(B. p. 74). Guez nest que laphrse de merguez.

Le bicot sinscrit de mme dans le cadre de ce procd. "[. . .] et aussi cause


dun poivrot, facho comme un rat qui possde chez lui une vritable armurerie pour
se protger du bicot et du ngro" (B. p. 61)
Le bicot est une dsignation raciste de lArabe, c'est un abrgement de arbicot,
terme argotique signifiant Arabe. Lemploi de ce terme dans un contexte raciste est
gnralement influenc par le sens de (bique) et (bicot) cest--dire chvre et chevreau.

Grzi a eu recours laphrse en disant "Y a pas de blme sinon jte laisse mirdor"
(B. p. 113). Blme est la forme tronque de problme.

En prison, il utilise plusieurs reprises le terme mitard .


"[. . .] si je refusais de me plier ce passage obligatoire, je risquais daller au
mitard. Le mitard ici, cest considr comme tant le trou du cul de la zonzon" (B. p.
133)

"Celui-ci aura le privilge de passer sept jours au mitard, motif meneur de la


promenade. Au mitard, il sera limit une promenade par jour et il y tournera en
triangle [. . .]" (B. p. 139)
Le mitard est la cellule, le cachot disciplinaire, cest une aphrse de cachemitte,
jeu de main chaude pris par calembour comme synonyme de cachot.

247
SOURDOT, Marc, "Largotologie : entre forme et fonction" in La Linguistique, Argots et
Argotologie, vol 38/ 2002-1, Paris, PUF, p. 37.
Laphrse peut saccompagner dun autre procd, savoir le redoublement
hypocoristique. Ce phnomne est vident dans zonzon . "Mais il ne faut pas
prendre ses rves pour des ralits, je suis en zonzon. Jespre que toi tu en profites,
sinon tes vraiment un gros naze" (B. p. 150)

"Franchi toutes les murailles de la forteresse, le fourgon sarrta au coeur de la


zonzon" (B. p. 130)

"a va faire deux mois que japprends vivre dans cette zonzon" (B. p. 126)

La zonzon est la prison. Le terme est forg par troncation de la premire syllabe
ensuite par redoublement de la seconde. Ce terme tant polysmique peut galement
signifier un systme permettant lcoute tlphonique par redoublement de la dernire
syllabe de (liaison).

Cette mme rgle est applique gogo. "C'est toutes ces aventures que je vais
raconter, pour me faire des tunes gogo, pour que a change" (B. p. 18). Le
gogo est l'individu crdule et naf. La formation du terme peut accepter deux
interprtations. Soit il est driv de la suppression de la premire syllabe de nigaud et
du redoublement de la seconde. Soit il est form du redoublement de la premire
syllabe de gobeur et de la suppression de la seconde.

Le redoublement peut paratre indissociable de laphrse comme par exemple le


terme zizi dsignant le pnis et qui est dorigine enfantine. "Maman me confirmait
que le meilleur recours pour moi et mon zizi serait celui du soin traditionnel" (B. p.
108)

Finalement, il nous parat important de souligner que laphrse et l'apocope touchent


la locution prpositive ( cause de) qui devient "cause". Cette troncation a entran un
changement de sa structure grammaticale. Au lieu d'tre suivie d'un substantif, elle est
employe comme (parce que), c'est--dire qu'elle introduit une proposition. "Mes
parents ne laimaient pas cause sa mre tait une ancienne prostitue qui depuis
stait recycle dans le minitel rose" (B. p. 66)

Le second procd dabrviation est la siglaison: les sigles sont essentiellement


forms de lettres initiales et leur usage augmente grande vitesse.
"Aujourdhui le besoin de disposer de dnominations courtes et le got
pour les lexmes ont conduit gnraliser la cration dacronymes, de
sigles prononcs de faon exclusivement syllabaire [. . .]"248

248
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 293.
Si les sigles ne sont pas assez rcents puisque sous Louis XIV, on utilisait RCAR
pour dsigner la religion catholique apostolique romaine et RPR pour la religion
prtendument rforme, de nos jours le recours abusif aux sigles savre inluctable.

"La pratique abrviative symbolise le sicle de lurgence, de la


complication extrme, de lphmre, de la complexit croissante, le
besoin de parler vite en termes abstraits, en mots nouveaux. Faute de
glossaire dans sa poche, et ce jour, leur signification peut vous
chapper"249

Les sigles parsems dans Boumkoeur varient entre des sigles assez connus, rpertoris
mme dans les dictionnaires et des sigles fonctions ludique ou identitaire relevant de
largot.
Pour le premier type de sigles, nous pouvons distinguer ceux qui sont bass sur des
anglicismes et ceux qui sont axs sur le franais. Sinscrit dans le premier groupe la
NASA. "Leurs casques sont trop bizarres, on croirait des prototypes de la NASA,
gros et blanc fluorescent" (B. p. 23)
Il sagit de labrviation de National Aeronautics and Space Administration. Cest un
organisme amricain fond en 1958 et charg de diriger et de coordonner les
recherches aronautiques et spatiales civiles aux Etats-Unis.

De mme, nous pouvons citer SOS. "Ce jeune homme, donc, eut la malchance de
rpondre prsent au SOS que lui lana un jour un Gremlin du quartier se nommant
Grzi, alias le camlon" (B. p. 115)
Le SOS est un signal de dtresse mis par radiotlgraphie par les navires ou les
avions en danger. Cest labrviation de Save Our Souls. Ce sigle est adopt par les
associations daide sociale: "[. . .] jaime pas SOS Racisme, ils viennent dans nos
quartiers uniquement quand cest primetime sur le dos de nos cadavres qui font de
laudimat" (B. p. 79)

Le K-O qui signifie (knock-out) et qui semploie pour dcrire une personne puise
par un effort ou assomme par un choc violent, est rpt plusieurs reprises. "[. . .]
et je ne sais pas pourquoi je me sens chuter comme si sur un ring je mtais
ramass une froce droite qui me met K-O" (B. pp. 114-115)

"Le projectile lui a foutu un K-O, il ne sentit pas le coup [. . .]" (B. p. 101)

"Mais ne jamais penser que lon peut gagner par K-O, a dstabilise" (B. p. 97)

249
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 46.
Si lon renverse le K-O, on obtiendra OK, sigle renomm et trs usit. "OK, si tu
penses ne pas avoir besoin de dormir, sache que je respecte ton choix. As-tu soif ?"
(B. p. 114)

"Il rclame un sourire et cest OK ils ont tous deux leur protge-dents, le combat
peut commencer" (B. pp. 94-95)

"Jai toute ma vie pour men souvenir, mais sil te plat laisse-moi oublier trois ou
quatre jours, OK !" (B. p. 61)
OK est labrviation de (oll Korrect), orthographe fautive de (all correct), cest--dire
daccord, entendu.

Le WC signifie la toilette, cest une abrviation de Water-Closet, prononce


initialement WC [dublvese] mais qui peut tre nonce VC tout court [vese]. "Jai le
ventre vide et une envie de me vider au double VC" (B. p. 28)

Pour dfavoriss quils soient, les jeunes du quartier sattachent leur "look" ou
apparence extrieure, ils tentent mme dacheter des articles imports. "Trop dans ma
prcipitation, jai encore oubli mon bonnet LA, mais mon pyjama sous mon fut
compense." (B. p. 32). LA rfre Los Angeles.

Notons finalement 3D, abrviation de "three dimension". "Le joint, cest les vacances
en 3D, la grande vasion vers des voyages loin de soi" (B. p. 34).

Passons maintenant aux sigles qui s'appuient sur le franais. Du fait que les
vnements se droulent dans une banlieue, la HLM a t signale. "Gipsy est un
mystre pour chacun dentre nous, les HLM ntaient pas encore construites quil
vivait ici" (B. p. 39)
La HLM est lhabitation loyer modr, immeubles construits sous limpulsion des
pouvoirs publics et dont les logements sont destins aux familles revenus modestes.

Etant donn que les meutes sont de coutume dans ces zones sensibles, il est habituel
de voir les membres de la CRS. "Ils auraient fait appel mes services Saint-
Bernard, cest pas la hache que les CRS auraient tranch la porte de lglise,
mais avec un bazooka" (B. p. 57)
La CRS est la Compagnie Rpublicaine de Scurit. Cest une force mobile de police
cre en France en 1945 et charge de maintenir lordre. Il est noter que ce sigle est
employ, par ironie, par les gamins de la cit pour rfrer Car Rempli de Singes,
nanmoins il figure dans notre corpus dans son sens initial.
De son ct, le GIGN est un groupe dintervention de la gendarmerie nationale. "[. . .]
je me faisais embarquer par les inspecteurs qui taient sans renfort de GIGN sans
quoi jaurais t trou" (B. p. 127)

Ce sont les Renseignements gnraux (RG) qui ont permis de dvoiler laffaire de la
prise dotage de Yaz. "Tu sais, tu as eu beaucoup de chance que les RG aient mis
ton tlphone sur coute pour essayer de serrer ton grand frre [. . .]" (B. p. 126)

Dans les cits, le chmage est si fort que les jeunes ne peuvent pas sen sortir.
"Mme lANPE na rien pu pour moi, avec ces stages deux demi-
centimes qui ne servent rien, part faire croire aux parents quils vont
trouver un emploi leur fiston comme futur smicard"(B. p. 10)
LANPE est lAgence nationale pour lemploi, alors que "smicard" est un terme forg
partir de SMIC, qui est le salaire minimum interprofessionnel de croissance.
Faisant preuve d'une crativit fertile, les "ados" des banlieues ont donn ANPE un
autre sens. Pour eux, c'est le sigle de Arabe nourri par l'Etat. Mais, comme c'est le cas
de CRS, le sigle de l'ANPE est utilis dans le roman au sens premier.

Dans ce contexte, il ne faut pas perdre de vue le RMI ou le Revenu minimum


dinsertion qui est une allocation accorde aux pauvres et aux chmeurs. "Et enfin
jaime bien les grands frres du quartier qui prfrent toucher leur RMI plutt
quenfiler des rangers pour surveiller des magasins [. . .]" (B. p. 79)

Pour les gamins de la banlieue, le VTT est un bien quils ne peuvent pas soctroyer ou
se permettre davoir, moins quils ne le volent comme a fait Yaz. "A toute allure,
jenfourchais le VTT aux vitesses carrment bien huiles" (B. p. 14). Le VTT est
labrgement du vlo tout terrain.

Dans les cits, rares sont les jeunes qui parviennent faire des tudes universitaires.
La majorit d'eux ont le CAP. Le CAP nest que le certificat daptitude
professionnelle, diplme dcern la fin des tudes de lenseignement technique
court.
"Je suis entr aussi vite que je suis sorti. Jai ramen le fusil chez un
pote qui passe un CAP de mtallier, il ma sci le canon et comme il
avait un pote en CAP de menuisier, il ma aussi raccourci la crosse" (B.
p. 47)

Dans ces quartiers chauds, les jeunes ont tendance entendre le Rap qui constitue un
moyen de se dfouler, dextrioriser les peines. "Pour faire passer son temps dans
ses oreilles au rythme de ses cassettes de RAP for me pour speek in english , je
vais prendre le dictionnaire de Sonia [. . .]" (B. p. 54)
Le rap est un style de musique, paru dans les ghettos noirs amricains dans les annes
soixante-dix, fond sur la rcitation chante de textes souvent rvolts et radicaux,
scands sur un rythme rptitif et sur une trame musicale composite.

Et si certains jeunes trouvent dans la musique un moyen pour s'chapper de la vie


amre, d'autres se jettent dans l'extrmisme. D'o l'apparition des sigles FIS et GIA.
"Qui fait rgulirement ses prires dans les mosques clandestines o rgnent les
membres du FIS et du GIA ?" (B. p. 21)
Le FIS est le Front islamique du salut, parti politique algrien fond en 1989.
Principal parti politique, il est dissous en 1992 aprs lannulation des lections
lgislatives dont il avait remport le premier tour en dcembre 1991. Pour sa part, le
GIA est le groupe islamique arm.

Le SVP est labrviation de sil vous plat. "Jespre quil na pas eu la malchance
de trouver la tune du voeu de sa cigarette magique lintrieur de la cave du
sorcier marabout du 21e tage porte gauche entrez sans frapper SVP" (B. p. 106)

"Je pense quil va devenir ncessaire que jaille rendre visite au docteur sorcier
marabout du 21e tage porte gauche entrez sans frapper SVP" (B. p. 124)

LUV rfre au rayon ultraviolet. "Le Daron en peignoir grimpe sur la table de notre
cuisine, ses mollets sont ceux dun coq bronz sous UV" (B. p. 99)

LEDF se trouve employ pour rfrer lElectricit de France, tablissement public


franais caractre industriel et commercial. Cr en 1946, il est charg de surveiller
la production et le transport de lnergie lectrique en France.
"Un, deux, trois pas, me voici tter et appuyer sur le bouton, la lumire ne vient
pas, croire quelle est coince dans un embouteillage lintrieur des fils EDF"
(B. p. 40)

Dans la description de son pre boxeur, Yaz a eu recours au sigle SDI en rfrence au
punching-ball, le sac que le sportif est cens frapper. "Lui, tait convaincu, le Daron
ne serait jamais boxeur car il avait peur des coups, et navait aucun punch lorsquil
frappait le vieux sac SDI rapport du Mexique" (B. p. 89). La SDI est la stratgie de
dfense initiative.

Parmi les sigles les plus connus, TV qui signifie tlvision. "[. . .] un cameraman de
la TV est venu demander aux jeunes qui tiennent les murs sil pouvait leur poser
des questions" (B. p. 21)

"Le cameraman de la TV devait avoir une colonne vertbrale blinde dhernies


discales" (B. p. 22)
"Dans notre structure, Grzi a tenu imposer une mini-TV quun grand du
quartier lui a vendue pour pas un rond. Dailleurs, tout notre matos est TDC, cest-
-dire tomb du camion par accident" (B. p. 18)
Dans la dernire citation, nous pouvons distinguer les deux types de sigle : la TV fait
partie des sigles rpertoris dans les dictionnaires, alors que TDC relve de largot, ce
qui explique la raison pour laquelle Djadani a tenu lexpliciter. Il signifie tout
simplement vol et cest par ironie que lauteur a ajout par accident .

LOD fait galement partie des sigles relevant de largot, cest labrgement de
overdose . "La soire sera sans suspense, on verra des jeunes basans bien friss,
faire soit des braquages soit senfoncer des piquouzes dans les veines jusqu lOD"
(B. p. 24)

"Rien faire, Hamel se dchirait, se croyant labri dune OD" (B. p. 35)

Les sigles argotiques sont assez opaques et mme de drouter l'auditeur et de


brouiller les pistes chez les lecteurs. Cest le cas de OM.
"Dans une cave de trs modeste superficie on dcouvre un lit de qualit
relativement bonne, les quatre murs gris, secs dhumidit sont habills
de quelques posters de lOM et de sexe, sur lun deux sont pendus une
horloge fige dans le temps et un clat de miroir ne refltant plus les
mes" (B. p. 46)
A force de chercher dans le dictionnaire, nous ne trouvons pour OM que soit Ondes
moyennes soit Ordre des minimes, alors que Yaz dsigne tout simplement
lOlympique de Marseille.

Cest le cas galement de FC. "Ma paire de chaussettes aux couleurs du FC Nantes
laissent apparatre mes deux orteils [. . .]" (B. p. 82). Le FC signal dans les
dictionnaires est fils de la charit , alors que le protagoniste dsigne le Football
Club de Nantes.

Le RAS est aussi un sigle polysmique. "Clic, clic, clic, clic, clic fait le chant des
barreaux frapps par une barre de mtal. Cest OK, RAS quil doit penser quand les
barreaux rsonnent les syllabes de la prison" (B. p. 153)
Ici il sagit de l'abrviation de "Rien signaler", alors que certains peuvent penser de
prime abord au Rseau daides spcialises.

Le DAS est galement un sigle assez hermtique puisque cest la DAS, Direction de
lAction Sociale, et non pas le DAS que nous entendons. Cest le contexte qui nous
aide dduire quil sagit du verlan du sida, puisque le HIV, the human immuno-
deficiency virus, causeur de la maladie, est signal.
"Une vraie grand-mre, ce mec gnraliste de la mdecine qui avait t
trs piquant le jour de ma prise de sang HIV aux analyses top secret.
Ecoute ce qua crit Kurtis ce sujet :
[. . .] protge toi et le DAS naura pas laudace
de te prsenter son HIV pour tachever, si
tas pig protge-toi, protgez-vous car
aujourdhui on meurt aussi damour" (B. p. 156)

Finalement, un sigle plein de charge injurieuse mrite d'tre comment, c'est celui de
NTM.
"Alors cest en pivert que sest transmut mon pied droit qui martle la
doors dun rythme endiabl, comme quoi le foot, mme si je ntais que
remplaant, a peut servir pour se faire entendre, lorsque le collgue
sest sodomis les orifices avec des couteurs qui jaculent des lyrics
explicites dans ses oreilles dpendantes du Suprme NTM"(B. p. 58)
Il sagit de labrgement de la formule nique ta mre base sur llision du pronom
personnel sujet (je). Le verbe niquer que nous avons dj vu dans la partie concernant
l'argot signifie ici possder sexuellement et parat driv de l'arabe maghrbin "vi nik"
en sens de (il cote). L'expression nique ta mre est trs usite dans la culture de la
rue et rythme la plupart des discours.
"Vers 1995-1996, on sest, parat-il, bien amus, dans les cours dcole,
avec ces insultettes en kit. L encore, il sagit dimportation directe en
provenance des Etats-Unis o le phnomne de linsulte ritualise
canalise contre un parent est bien connu"250
Ce sont "des vannes rfrences qui visent indirectement, cest--dire par parents
interposs, les personnes insultes"251. Pour les collgiens et les lycens, cest un
exercice rigolard o ils vannent la mre dautrui. Cette vanne procure aux
interlocuteurs un plaisir du fait que le dialogue se transforme en un affrontement
verbal public.
Un coup de pouce a t donn cette formule injurieuse par la musique rap dont les
textes sont puiss dans cette agression verbale. Un groupe musical a mme t baptis
Suprme NTM et lanimateur de tlvision Arthur a publi un livre intitul Ta mre252
qui
"constitue aujourdhui un nouveau fonds inpuisable dans lequel les
adolescents puisent abondamment. La circulation des vannes sort du
contexte culturel local pour devenir un phnomne de dimension
nationale"253
Ceci dit, siglaison et troncation se croisent dans les discours des jeunes en gnral et
de ceux des cits en particulier. Dsir dconomie certes mais aussi les motifs
ludiques et certainement identitaires sont prsents.

250
MERLE, Pierre, Le prt parler, p. 151.
251
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 174.
252
Cf, Arthur, Ta mre, Michel Lafon, Paris, 1995.
253
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 202.
La troncation que ce soit par aphrse ou par apocope constitue un procd trs
productif en FCC. Lapocope et laphrse constituent des figures de diction qui
changent le nombre de syllabes des termes, rendant les trisyllabes et les dissyllabes
des monosyllabes. Mais cest une arme double tranchant, si une certaine familiarit
en dcoule puisque le langage est senti plus "sympa" et plus vif, les lexmes tronqus
risquent parfois de ne pas tre compris. Cest le cas galement des sigles. Ceux-ci sont
dun usage si rpandu quils npargnent ni les termes soutenus ni les termes
argotiques et quils se sont mus en des racines permettant la cration des
nologismes drivationnels.
Mais labrviation traite dans ce chapitre est contrebalance par lallongement via
prfixe et suffixe que nous allons tudier dans le chapitre suivant.
Troisime Chapitre
La drivation et la composition
"Le systme lexical possde une
grammaire qui permet la
production d'units prvisibles et
motives: c'est la logique de la
drivation. Pour le franais, on
entend par drivation la
production de mots construits par
suffixation et par prfixation"254

Procd de formation lexicale, la drivation a permis la cration de nouveaux


mots et a contribu au renouvellement du vocabulaire. C'est une opration qui
consiste adjoindre un affixe un mot donn qu'on appelle base ou radical. En
franais, les affixes sont soit des prfixes, units le plus souvent non autonomes
places avant le mot, soit des suffixes, lments non autonomes placs la fin d'un
mot donn.

Il existe cependant une autre diffrence importante entre prfixe et suffixe. Le premier
conserve la plupart du temps la classe grammaticale du radical, alors que le second la
modifie gnralement. Pour les prfixes, dfaire est un verbe de faire, survtement un
nom comme vtement, dsquilibr un adjectif comme quilibr. En revanche, si raser
est un verbe, rasoir est un nom.255

D'autre part,
"le suffixe est toujours coll au mot de base, alors que certains prfixes
peuvent possder un reste d'autonomie, qui se manifeste par exemple par
un trait d'union ou une apostrophe: le surquipement- le sous-
quipement/ entr'ouvrir ou entrouvrir. En particulier, les prfixes qui
viennent de prpositions ne sont pas toujours colls (entre, sous,
contre)"256.

A commencer par les prfixes les plus usits en FCC, nous avons remarqu la
rcurrence des prfixes d'intensit, notamment "super", "hyper", "ultra" et "extra".
Super indique un trs haut degr d'excellence. "Cette nuit l, j'avais t transmut
en une sorte de super-hros qui sauvait la pelle. Etre un super-homme c'est cool
[. . .]"(B. p. 28)
Ce prfixe s'est gnralis: il est devenu au cours des deux dernires dcennies du
millnaire pass un adjectif autonome trs en vogue dans le parler jeune.
Selon Henri BOYER, ce prfixe superlatif figure dans 100% des discours des jeunes
Montpellier, 93% Lille et 95% Paris.257

Hyper est l'homologue grec du "super" latin, c'est un prfixe employ comme
quivalent de (extrmement). "Je ne sais pas comment la belle au bois dormant

254
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 255.
255
Ibid., p. 256.
256
L'article "La formation du vocabulaire (morphologie lexicale)" in
http://home.nordnet.fr/~bbouillon/Univ/Ling/Fichiers/morhpolex.htm
257
Cf. BOYER, Henri, "Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, Enqutes Montpellier, Paris,
Lille", p. 81.
faisait pour se retenir, j'avoue l-dessus elle a t hyper-forte: mille ans sans chier,
c'est du boulot" (B. p. 72)

"Le projectile lui a foutu un K-O, il ne sentit pas le coup, c'est un norme flash qui
sembla traverser son corps, lui pompant toute son nergie hypervitamine" (B. p.
101)
Ce prfixe est remis l'honneur dans les annes quatre-vingts dans le parler minet.
Toujours selon Henri BOYER, il est employ dans 71% des discours des adolescents
rencontrs Montpellier, 44% Lille et 56% Paris.258

Ajoutons galement extra qui dsigne une apprciation extrmement positive. "Il
(le walkman) a un son d'agonie, c'est l'extra-plat sony, fractur au plus profond de
ses options technologiques" (B. p. 69).
Il parat dans 66% des discours enregistrs Montpellier, 60% Lille et 50%
Paris.259
Par ailleurs, il peut tre employ comme apocope de (extraordinaire) et est considr
dans ce cas comme adjectif.
Notons de mme le prfixe ultra qui constitue un prfixe de renforcement. "Elle
voulait devenir avocate, son crne c'tait un stock de matire grise ultravitamine"
(B. p. 67)

Or, si les prfixes prfrs par les jeunes sont mlioratifs, les suffixes paraissent plutt
pjoratifs. Parmi les suffixes employs, (os) et (ard) semblent tre les plus frquents.
"PAF!!!A cet endroit prcis, notre poids moyen a pli son Mexicanos" (B. p. 97)

"[. . .] enfin sa poupoune jouait au yoyo, avec une beute de blackos" (B. p. 86)

"D'ailleurs tout notre matos est TDC, c'est--dire tomb du camion, par accident"
(B. p. 18)

Ce suffixe parat donner un effet particulier de mode, de jeunesse et d'exotisme.


"[. . .] une finale espagnole perue et emprunte (emprunt morphmatique
car la prononciation est bien franaise avec accentuation de la syllabe os)
comme suffixe, on ne peut pas ne pas songer la mode hispanique qui a
dferl sur la France prcisment au milieu des annes 80. L'Hexagone
dcouvrait alors la nouvelle Espagne et une certaine presse franaise
tait sduite par la Movida, ce mouvement socioculturel multiforme,
manifestation exubrante d'une nouvelle modernit espagnole, d'origine
avant tout madrilne. Dans le mme temps, l'imagerie traditionnelle (la
fte andalouse et le flamenco, la mythologie tauromachique) tait
revisite, en particulier par des productions mdiatiques (publicit,
missions de tlvision. . .)"260
Le FCC que Henri Boyer considre comme priphrique au sens gographique
comme au sens social du terme fait un usage pidmique de ce suffixe, d'autant plus
que cette terminaison "offre [. . .] l'immense avantage de ne pas tre ressentie a

258
Cf. Loc.cit.
259
Cf. Loc.cit.
260
BOYER, Henri, "Le statut de la suffixation en os" in Langue franaise, Les mots des jeunes,
Observations et hypothses, n: 114, juin 1997, Paris, Larousse, Bordas, p. 39.
priori, [. . .] comme spcialement vulgaire ou pjorative"261. Ce suffixe a de surcrot
une particularit expressive: l'ironie et la plaisanterie. Il redonne une jeunesse aux
mots uss, ce qui le rend revitalisant.

Le suffixe (ard), quant lui, est senti comme plus franais, plus argotique et semble
tre plus productif. Il vient s'ajouter le plus souvent des termes dj argotiques
comme "trouillard", "plumard", "smicard" et "connard" que nous avons tudis dans
les chapitres prcdents262.
Quant au "bobard", c'est une affirmation niaise, le plus souvent mensongre ou
malveillante. Le terme est driv d'un radical onomatopique (bob) qui voque le
mouvement de lvres, d'o avec le suffixe pjoratif (ard), l'ide de fausset.
"Il tait une fois une bonne poire qui avait une capacit folle avaler tous les
bobards de son entourage: il s'appelait Yaz" (B. p. 115).

Le suffixe s'ajoute galement vice et moelle: "vicelard" signifie dprav: "A poil,
sous le regard vicelard de certains matons qui chronomtraient la dure, pas plus
de deux minutes par corps" (B. p. 131), alors que "mollard" veut dire crachat:
"Grzi est enrhum et balance ses mollards dans la porcherie" (B. p. 20)
"Sans doute me prend-il pour un cascadeur, inutile de lui expliquer que j'ai gliss
sur un de mes mollards peau de banane" (B. p. 104).
"[. . .] il y a bien sr des suffixes dprciatifs, ard hrit de l'ancien
franais, s'est install en franais comme suffixe pjoratif de noms ou
d'adjectifs, construits sur des noms (corne, salop, etc) ou de verbes
(brailler, traner, etc): d'o braillard, cornard, froussard, salopard, etc.
on vitera de confondre ce suffixe son homonyme qui permet de
construire des noms locatifs (banlieusard, savoyard). Paralllement
ard, dprciatif souvent construire des noms masculins, le franais
dispose de asse qui possde une valeur comparable pour les noms
fminins"263

Le suffixe (asse) parat dans "ptasse" et "pouffiasse", tous deux dsignant une femme
vulgaire, une prostitue dbutante ou occasionnelle, une femme nglige ou peu
avenante264.
Le suffixe est de mme vident dans caillasse dsignant en franais des cits une
fille ou une femme quelconque, nanmoins Grzi l'emploie comme terme d'insulte.
"- Je ne pleure pas, j'ai une poussire dans l'oeil.
-Viens, je vais te la retirer, ta caillasse" (B. p. 38)

Autre terminaison argotique (ouze). "Tu sais, lorsqu'ils m'ont foutu en garde vue,
ils m'ont fait retirer ma bagouze en ro, mes lacets et mon cordon de survt [. . .]" (B.
p. 128)

"La soire sera sans suspense, on verra des jeunes basans, bien friss, faire soit
des braquages soit s'enfoncer des piquouzes dans les veines jusqu' l'OD" (B. p. 24)

261
MERLE, Pierre, Le prt parler, p. 29.
262
Voir respectivement pp. 89, 66, 178, 76.
263
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 274.
264
Voir p. 87.
"Comme disait Ben, quand tu es sur le ring, rien ne doit tre nglig, ta tenue elle
seule brillera plus fort qu'une partouse d'toiles, tu t'offres en spectacle, c'est toi la
star quel que soit ton niveau" (B. p. 94)
Ce suffixe est venu s'ajouter (bague), (piqres) et (parties) pour leur confrer une
valeur nettement dprciative.

Notons galement les suffixes (ton) et (toche):


"Le jour 1, comme t'es stress, le mdecin te file des cachetons qui te calment" (B.
p. 156)

"Les mdecins n'ont pas pu faire grand-chose pour moi, leurs cachetons
multicolores se gobaient dans les trombes d'eau que mes vulves libraient le soir
dans mon sommeil" (B. p. 108)

"Les deux bikers d'une trentaine d'annes ont des visages sympatoches [. . .]" (B.
pp. 22-23)
Les deux terminaisons ont revtu les deux termes (cachets et sympathiques) d'une
nuance d'humour mle de ddain.

Dans le contexte de la drivation, nous avons estim ncessaire de braquer la lumire


sur le procd de cration lexicale connu sous le nom de nologisme. De par
l'ethnologie du terme, no signifie nouveau et logos mot. Un mot est donc peru
comme nologisme
"tant qu'il est encore mal lexicalis, soit qu'il apparaisse trop rcent aux
oreilles des locuteurs, ou bien qu'il soit d'usage limit. [. . .]. S'il se
maintient dans le lexique (et n'est pas seulement un effet de mode), les
locuteurs n'auront, au bout d'un temps variable, plus l'intuition de sa
nouveaut. C'est quand le nologisme est acquis par un assez grand
nombre de locuteurs qu'on peut dire qu'il est lexicalis. Dans ce cas, il
commence gnralement tre admis par certains dictionnaires"265
Le mot "nologisme" n'est point rcent, il existait ds le XVIIme sicle mais il
affrontait plusieurs empchements qui bridaient son essor.
"Au XVIIme, sicle de Vaugelas, de la cration de l'Acadmie, les forces
qui dictent des normes cherchent figer la langue, restreindre les
capacits nologiques du franais par des prescriptions. Le
renouvellement est en effet intrusion du mouvement, menace pour l'usage
dominant, celui de la cour. Le mot nouveau interdit le figement, la
description d'un tat de langue immuable et parfait: si le franais est
vraiment ce modle de clart que le monde doit alors nous envier, il ne
saurait tre subverti par des crations incontrles"266
Au XVIIIme sicle, le mot nologisme s'employait pour dsigner une forme de
prciosit, toutefois, " l'aube du XIXe , nologisme prend le sens d'emploi d'un mot
nouveau ou d'un sens nouveau d'un mot mais ses conditions pjoratives demeurent"267

265
Un article de Wikipdia, l'encyclopdie libre in http://fr.wikipedia.org/wiki/Nologisme
266
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit, p. 236.
267
Ibid., p. 235.
Il faudra attendre la deuxime moiti du XXme sicle pour voir se dbrider les tudes
concernant les nologismes.
"Dans le domaine des tudes francophones, la nologie prend un aspect
officiel alors que le pouvoir politique prend les premires mesures lui
permettant de concrtiser sa volont d'quiper la langue franaise en
termes scientifiques et techniques, face la domination de l'anglo-
amricain. C'est partir des annes 1980 que se met en place une activit
assidue et concerte de nologie officielle au plan de la francophonie"268
Au dbut de sa cration, le nologisme constitue un fait du discours en ce sens qu'il
est considr comme une forme virtuelle possible, mais ensuite il se mue en un fait de
langue aprs son acceptation, sa parfaite lexicalisation et son intgration l'usage.
La nologie se divise en deux types: la nologie formelle marque par l'innovation
la fois sur les plans du signifiant et du signifi et la nologie smantique qui n'est pas
facilement perue tant donn qu'elle touche le sens seulement.
"En pratique, le reprage de nologismes s'opre par le recours un
corpus d'exclusion. On considre alors comme nologiques les units qui
ne sont pas recenses dans les ouvrages lexicographiques existants,
dictionnaires, lexiques, recueils de mots nouveaux"269
Dans son roman, Djadani a eu recours certaines formes virtuelles qui ne sont pas
encore attestes dans les dictionnaires. Elles sont la marque de sa personnalit, de sa
cration individuelle spontane. Il s'agit de son idiolecte. Toutefois, la plupart de ces
mots respectent le principe de formation de la langue franaise, ce qui laisse entendre
que les chances de leur survie sont grandes. L'intrt que nous avons port ces
nologismes rside dans le fait qu'ils tmoignent de la comptence des jeunes
banlieusards forger des mots nouveaux.
"Des termes sonnant juste, ns d'un brin de logique, d'une pince de
posie et de quelques notes d'humour comme si la langue franaise avait
besoin de ce bol d'oxygne pour se librer du poids de trop de
conservatisme"270
Les nologismes crs par Djadani regroupent des substantifs, des verbes, des
adjectifs et des adverbes.
A commencer par les noms, nous avons relev l'emploi de "zbrage". "C'tait une
police 12%. Pour Sonia 'a t direct l'hpital, pour moi un zbrage sur tout le
corps avec la ceinture de cuir de mon Daron" (B. p. 53)
Le "zbrage" est driv du verbe (zbrer) qui signifie marquer des raies, des lignes
sinueuses.

Pour dsigner le sexe fminin et au lieu de dire zizi ou zigounette, Djadani a form
"zizounette". "Dans un plumard brod d'toiles je me vois la doigtant avec Index et
Majeur, deux splologues confirms, agilement ils dfricheront et dgivreront la
source de sa zizounette" (B. p. 54)

A partir du verbe mitonner signifiant prparer quelque chose peu peu et avec soin,
l'auteur a form "mitonnage" pour rfrer aux histoires inventes par les jeunes de la

268
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit, p. 235.
269
Ibid., p. 249.
270
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 73.
cit pour tromper Gipsy. "Il n'tait jamais la page, croyant dur comme fer ce
genre de mitonnage" (B. p. 85)

De mme il a cr "pigeonnade" partir du verbe pigeonner qui signifie tromper ou


duper. "[. . .] il fut tellement impressionn qu'il m'acheta mon grigri. Comme c'tait
un bouffon, j'acceptai la pigeonnade en change d'un petit pactole" (B. p. 113)

Parmi les substantifs djadaniens, nous avons remarqu l'usage de "zyeutement"


(form partir de yeux) au sens de regard. "Mais au deuxime zyeutement, je vois se
dcamoufler de la blancheur du tissu un objet plus froce qu'un simple morceau de
bois [. . .]" (B. p. 42)

La focalisation est dsigne par zoomage (cr partir du zoom de la camra). "Un
petit zoomage dans la fente de ma bote aux lettres. Y a que dalle [. . .]" (B. p. 31)

Concernant les verbes, il a forg partir de (K-O), (bunker), (ventouse) les formes
verbales, "K-Otiser", "bunkriser" et "ventouser".
"[. . .] ce n'est ni l'ge ni la fin de son alcoolisme qui ont stopp les
violences abusives du Daron, mais mon brother Aziz qui l'a K-Otis
jusqu'aux burnes dans ses lans" (B. p. 25)

"Et force d'insister me voil sonn par un coup de bourre qui me


foudroie me laissant sur le cul, K-Otis" (B. p. 40)

"L'unique entre, je vais la bunkriser avec tout ce qui me passe sous la


main" (B. p. 57)

"Elle (l'araigne) n'est pas morte et me regarde avec de gros yeux, elle
ne crie pas. La moiteur de mon doigt semble l'avoir ventouse, comme
prisonnire" (B. p. 73)

"K-Otiser" est au sens d'puiser, "bunkriser" de dfoncer et "ventouser" de coller ou


fixer.

Signalons galement "tourniquetter" form partir de tourniquet et employ au sens


de tourner. "Il tourniquette sur lui-mme dans le sens inverse des aiguilles d'une
montre" (B. p. 73)

Le verbe "droiter" signifiant frapper par la main droite a galement fait son apparition.
"La boxe tait rserve aux bandits, et pour rendre ma mauviette de Daron homme,
ils n'hsitaient pas le droiter. En sang, il rentrait la casbah" (B. p. 89)

D'autre part, Djadani a cr le verbe "dolipraner". "J'ai un got de terre dans la


bouche, mes mains ont cess de me dolipraner mon mal de crne" (B. p. 81)
Le verbe est form partir de Doliprane qui est le nom d'un mdicament remdiant
les maux de tte.

L'expression sen battre les couilles nexiste pas dans le dictionnaire,


mais il parat que Djadani la travaille partir de cest de la couille en
btons qui signifie, cest sans intrt, sans valeur. "Et puis les longues
tartines on sen bat les couilles" (B.p. 17). Ce qui veut dire que les
jeunes sont bien conscients de la valeur du temps et quils napprcient
gure les bavardages. Le terme "tartines" signifie un dveloppement oral
ou crit d'une longueur souvent juge ennuyeuse.

Les nologismes n'ont pargn ni adjectifs ni adverbes. La preuve en est l'adjectif


"lapeuse". "Pour ces desses, ma langue lapeuse, puisera toute sa salive" (B. p. 52)
L'adjectif est driv du verbe (laper), qui signifie boire coups de langue en parlant
des animaux, et du suffixe (eur).
L'auteur a de mme cr "kit" avec le sens de (en kit). "Un duo de Congolais
traverse le quartier sur un ptaradant 103 chopper kit" (B. p. 22). (En kit) dsigne
un ensemble d'lments vendus avec un plan de montage et que l'on peut assembler
soi-mme.

Pour ce qui est de l'adverbe, nous avons relev la cration de "flinement" partir de
(flin). "La ranon solidement pendue autour de son cou allait flinement de
l'expditeur au receveur qui la pchait avant que Mimi n'aille commettre son pch
clin" (B. p. 116)

Outre la nologie par drivation, la nologie par composition est galement employe
mais un degr diffrent. Elle est base soit sur l'agglutination d'une unit le plus
souvent tronque une autre autonome comme (coproduit), soit sur la juxtaposition
ou la succession de deux ou plusieurs lexmes, soit sur des propositions figes comme
un je ne sais quoi.
"[. . .] on peut retrouver quelques -uns des procds courants:
-adjectif + nom: spcial-cul.
-adverbe+ verbe: le mieux-disant culturel.
-adjectif+ adjectif: punky-funky (anglicisme).
Le moyen de composition le plus prolifique en franais branch semble
l'alliance nom+ nom"271.
Les mots composs fonctionnent comme un seul nom, titre d'exemple un va-et-vient
sont deux verbes traits comme un nom commun, et sont bass sur le principe
d'insparabilit des lments constitutifs.
Boumkoeur regorge en effet de mots composs mais nous avons choisi de ne signaler
que ceux qui peuvent faire partie du FCC.
Sur le modle de l'agglutination d'une apocope et d'une unit autonome, Djadani a
cr "cameshit" pour rfrer la drogue. "[. . .] on remarque vite fait si les matons
ont fait une fouille la recherche de stupfiants cameshit qui sont la prison ce
qu'est l'argent l'extrieur" (B. p. 139)

271
VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Procds smantiques et lexicaux en franais branch", p.
71.
Parmi les mots composs par juxtaposition, la "culture-cit". "Il me tend son poing,
pour le shake, dsormais c'est poing contre poing que a se passe, le salut, c'est
l'volution de la culture-cit pompe dans les ghettos noirs amricains" (B. p. 32)

"On a de la chatte, pour ne pas dire de la chance que notre culture-cit n'ait t
inspire par le baiser sur la bouche la mode des goulags de nos camarades russes"
(B. pp. 32-33). La "culture-cit" rfre au mode de vie rpandu dans les banlieues.

De mme, Djadani a cr le "maton chef". "A mon arrive, on m'a encore pris en
photo avec une autre ardoise et un autre numro, celui de mon crou: le 286743 H.
Ne jamais m'en sparer, m'a dit le maton chef" (B. p. 131)

Notons galement un "suce-boule". "Le Daron dit Matre lorsqu'il s'adresse la


personne de Napolon. a me gne. J'ai honte quand il se rabaisse comme un suce-
boule" (B. p. 122)
Le mot forg signifie un pdophile et ce tant donn que boule signifie en FCC le
postrieur.

Sur le modle de la proposition fige, il a cr en veux-tu en voil. "C'est


dommage, ils auraient t oublis dans les cachots du mitard, j'aurais hrit de leur
cellule avec toutes ses options: tl, radio, posters de cul en veux-tu en voil, bouffe
ras bords [. . .]" (B. pp. 140-141). L'expression souligne les biens que quelqu'un
essaye de dtourner son profit, ses convoitises.

Bref, drivation et composition rivalisent d'ardeur dans la cration lexicale. La


nologie par drivation et par composition a permis l'apparition de diffrentes parties
du discours. Dans les deux procds, l'origine de la nologie est manifeste et permet
d'en dduire le sens. Les nologies que nous avons cites ne sont, pour le moment,
que des hapax qui viennent s'insrer dans le tissu de la langue franaise. Le motif de
leur apparition est surtout ludique.
"Ces quelques exemples permettent de montrer l'existence d'une
comptence lexicale qui comprend en fait deux secteurs:
-une comptence drivationnelle, permettant de faire jouer les rgles et
-un savoir lexical conventionnel, li aux connaissances sur les mots et aux
contraintes limitant l'application des rgles"272
Il nous incombe enfin de faire la distinction entre la crativit et l'usure. La premire
est un phnomne de mode et concerne des innovations lexicales qui peuvent tre d'un
caractre phmre. "Tout autre est l'effet de l'usure qui touche des formes dont
l'origine, la fonction ou le sens ne sont plus bien perus"273
Dans l'usure, il s'agit de mots communment admis et utiliss par la plupart de la
communaut linguistique. Il s'agit de mots non lexicaliss dans les ouvrages de
rfrence, non pas du fait qu'ils sont des nologismes, mais parce qu'ils relvent plutt
du code oral. Nous avons estim ncessaire de souligner certains de ces termes qui
sont employs dans le langage quotidien sans pour autant tre rpertoris. C'est le cas
de "bonda" qui signifie fesses. "D'avance, je sais que les minettes intresses par des

272
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 262.
273
YAGUELLO, Marina, Petits faits de langue, Paris, Seuil, 1998, p. 9.
stages de glisse seront trs bien accueillies [. . .] condition qu'elles aient un gros
bonda" (B. p. 31).

Les jeunes utilisent, d'autre part, "zippo" pour dire briquet. "[. . .] Grzi le
superstitieux sortira l'une des tiges, la noircira avec la flamme de son zippo" (B. p.
33).

Au lieu de dire les baskets Nike, ils emploient "virgules": "Mon jean tombe
parfaitement sur les virgules, ma dmarche s'lance" (B. p. 31) et plus tard "Je
comprends maintenant pourquoi j'avais l'impression d'avoir des glaons
l'intrieur de mes virgules, lorsque le froid s'infiltrait" (B. p. 82).

Les jets d'eau sont des jets de "karcher". "[. . .] des coups d'ponge sur les plafonds
saccags par les graffitis aux jets de karcher pour faire dguerpir les fromages
camembert [. . .]" (B. p. 122)

Le verbe "dicaver" employ au sens de regarder fait galement partie des termes dont
l'origine est inconnue. "Ils me dicavent, me matent, me regardent, l'oeil serr" (B. p.
120)

Ce faisant, nous pouvons affirmer, sans crainte, que nous assistons une intgration
l'crit de certains lments de la langue parle. L'crit prsente de plus en plus une
image ne serait-ce qu'approximative du langage oral. Il y a, par la suite, un change
entre les deux codes selon la situation de communication.
"Le jeu de l'expressivit "intra-franaise" fait sa richesse et son
originalit: changements constants de registres, de niveaux et de codes
linguistiques franco-franais; ce qui donne vivacit et tension au texte"274

274
BONN, Charles, Littratures des immigrations, un espace littraire mergent, Tome 1, Paris,
L'Harmattan, 1995, p. 48.
Conclusion
"Quels qu'en soient les vecteurs:
mdias, musique rap, cinma,
littrature, humoristes, la
diffusion/ propagation d'lments
des sociolectes urbains est
aujourd'hui un fait bien tabli"275

Le franais contemporain des cits ne peut en aucun cas tre sous-estim. C'est
un chantier peine ouvert, mais c'est galement un parler qui constitue en soi un
phnomne et qui doit tre pris en considration. Les linguistes le considrent comme
un lment du patrimoine linguistique culturel. Investi dans les films, vhicul par les
mdias et rcupr par les jeunes, le FCC a dpass les frontires des cits. Son
volution s'impose comme une vidence. Il a une visibilit importante et il est utilis
malgr les rserves des bien-pensants. Le FCC a pris les devants et mme ses
dtracteurs choqus, au dbut, ont fini par l'accepter, le tolrer et l'adopter. C'est un
parler qu'on aime et qu'on corrige, qu'on attaque et qu'on utilise, qu'on rprimande et
qu'on admire.
"Les sentiments [son] gard seraient en quelque sorte situs sur un
continuum, qui aurait pour ples, d'une part, une attitude apologtique
dont les tenants ne tarissent pas d'loges sur la crativit et la posie de la
langue des cits, d'autre part, un rejet vigoureux et offusqu, se fondant
sur un respect obsessionnel de la norme dite lgitime"276
Ce langage est la marque d'un lieu de relgation et d'enfermement, de stigmatisation,
du brouillage et du malaise social et psychologique. Le FCC parat dans un march
appropri par les domins et exprime l'habitus de toute une classe sociale. C'est le
langage de l'exclusion, voire de l'auto-exclusion.
Dans la socit franaise, les habitants des cits ont forg une culture d'opposition
l'ordre tabli et l'importance de leur parler rside dans son rle symbolique identitaire.
Le dit groupe a forg son propre parler pour assurer l'interaction, et ce parler, son
tour, constitue son identit. D'o la rciprocit.
Le profil social des habitants, leur proximit et la ressemblance de leur mode de vie
ont permis l'mergence du FCC. Les habitants des cits, tant des gaux sociaux mais
d'origine raciale diffrente, ont cr un code qui ne va pas vers le standard, vers le
franais guind. Ils ont opt pour converger vers un ple, ne serait-ce que grgaire,
pour se dmarquer du groupe dominant. Ils rsistent, travers leur parler,
l'hgmonie des classes dominantes et s'appuient sur leur connaissance partage.

De nos jours, le priphrique est devenu le centre de la cration lexicale et le


facteur urbain est devenu capital dans l'volution linguistique. La cit, base insulaire
des banlieusards, est une microsocit et un lieu de cration d'un code porteur de
stigmate social. Ainsi, la cit est-elle une entit sociale qui rpercute les codes
identitaires des groupes qui la composent.

275
BILLIEZ, Jacqueline et TRIMAILLE, Cyril, "Plurilinguisme, variations, insertion scolaire et
sociale" in Langage et socit, n: 98, dcembre 2001, p. 116.
276
Ibid., pp. 116-117.
Pratiqu essentiellement par les jeunes issus de l'immigration qui passent leur
journe traner et voler, le FCC est employ des fins identitaires juvniles. Les
adolescents dvalorisent le vocabulaire soutenu et survalorisent les mots familiers,
relchs et argotiques. Les banlieusards tiennent utiliser le FCC pour afficher leur
appartenance un groupe minoritaire, celui des cits, aussi bien que pour reflter
leurs maux. C'est comme s'ils essayent d'inverser le rapport de force: ils ont un
langage qui leur est propre et qui, s'il n'est pas mconnu des Franais de souche, n'est
pas au moins bien matris par eux. Ces derniers tentent de s'en emparer pour des fins
ludiques ou pour suivre la mode: le phnomne de l'encanaillement du bourgeois a
toujours exist.

Si nous nous sommes penche sur la conjoncture sociale des cits pour
souligner l'image quasi monolithique du tissu social des ensembles urbains, et si nous
avons dcrit le quotidien des habitants et leur mode de vie, c'est dans le but de pouvoir
saisir dans quelle mesure leur langage reprsente une stratgie de rsistance la
contrainte conomique, la dvalorisation sociale, une vie sans chappatoire et peu
scurisante, leur condamnation collective et la claustration. Nous avons essay de
jeter la lumire sur l'altrit linguistique que reprsente le FCC pour en savoir les
sources d'inspiration inpuisables. Les particularits du franais des banlieues sont
surtout lexicales. Procds smantiques et formels se ctoient.
C'est l'argot qui constitue la principale source du franais des cits. Des formes
argotiques d'une extrme richesse lexicale pour certains domaines comme la
dlinquance, le sexe et les insultes ont t repres. Le recours l'argot est une
stratgie de contournement des tabous sociaux, une forme de transgression langagire.
L'argot actuel est un signum social en rupture avec la fonction de l'argot traditionnel,
langue des gueux. L'argot des mtiers a disparu au profit de l'argot sociologique. Les
argotisants ne sont plus les classes dangereuses mais les classes dfavorises perues
comme criminognes.
La prsence des survivances de l'argot est un gage d'authenticit du discours. La
datation des lexmes a prouv que l'argot ne meurt pas, il connat des hauts et des bas,
se dplace, fait peau neuve, se calme, couve sous la braise puis rejaillit. L'abondance
des synonymies et des polysmies est un trait caractristique de l'argot.

Le FCC est galement une mosaque de marques transcodiques notamment


d'emprunts l'anglais et l'arabe. C'est le creuset du franais vhiculaire et des
langues ancestrales vernaculaires, d'o sa dsignation par interlangue. Il reflte une
socit multiraciale et multiculturelle. En traitant les anglicismes et les arabismes,
nous nous sommes intresse aux units marques, c'est--dire non conformes la
norme. L'emprunt est soit direct -l'unit tant adopte telle qu'elle est- soit indirect,
l'unit se pliant aux exigences de la langue franaise, c'est--dire qu'elle se francise.
Ce sont les anglicismes qui prvalent et ils n'ont aucune raison de ne pas l'tre,
puisque les Etats-Unis constituent la seule superpuissance sur la plante. L'anglais est
la langue trangre surreprsente dans Boumkoeur. Il ne fait pas l'objet d'un
commentaire mtadiscursif du fait qu'il est comprhensible par l'ensemble de la
socit franaise. C'est le signe de notre re amricanise. Le franais est, donc,
assailli par les envahisseurs anglo-amricains. La diffusion massive des anglicismes
relatifs la drogue souligne la solidarit que tissent les banlieusards franais avec les
minorits amricaines.
L'apparition, par contre, des arabismes traduit l'attachement des beurs au pays
d'origine aussi bien qu' leurs particularismes racial et religieux, mme si ces
particularismes sont minoriss par la socit centrale. Les jeunes adoptent une langue
mi-chemin du franais et de l'arabe dialectal. Ils insrent dans leurs interactions
certaines units arabes qui paraissent sous forme de marques transcodiques qui
caractrisent leurs pratiques langagires.
"Il y a donc un double mouvement: utilisation de la langue de rfrence
(franais, they code) comme base (notamment de nologie) et emprunt
d'lments vernaculaires qui sont en quelque sorte vhiculariss, mis dans
un "pot commun langagier"277.
L'intrusion de certains termes arabes marque la volont d'mailler le langagier de
l'identitaire. L'emprunt, d aux migrations, rend le franais banlieusard comme une
sorte de patchwork. La polyphonie urbaine ne du brassage linguistique constitue
l'une des consquences de la cohabitation de plusieurs ethnies dans les cits.

Mtaphore et mtonymie sont au coude--coude, mais avec une prdominance


de la mtaphore. Celle-ci tablit un lien entre le concret et l'abstrait et substitue un
terme un autre en l'absence de tout mot introduisant une comparaison. La mtaphore
joue plus sur l'axe paradigmatique, alors que la mtonymie privilgie l'axe
syntagmatique. Ces deux figures prouvent que le FCC est un parler o la crativit,
l'inventivit, la libration ne font pas dfaut. Il a des vertus expressives et il organise
un va-et-vient permanent entre la sphre de l'anim et celle de l'inanim.

Le verlan, de son ct, constitue la composante la plus dynamique des


procds formels. C'est une forme de l'autodrision, mais l'encontre de ce que nous
pouvons croire, l'inversion des phonmes se fait selon des rgles et en fonction du
nombre de syllabes du terme concern. Ce sont les adolescents des banlieues qui
paraissent tre les verlanisateurs les plus comptents et les plus producteurs. Ils jouent
avec les sons et les syllabes et n'hsitent mme pas parfois enfreindre les rgles pour
garer leur entourage. Conscients qu'ils sont le centre d'intrt des jeunes des classes
moyennes et que leur langage est hyper-mdiatis, les adolescents les plus dfavoriss
renouvellent constamment leur lexique en reverlanisant les termes dj verlaniss.

Dans la mme intention de brouiller les pistes devant les intrus, les jeunes
banlieusards abrgent les termes soit en escamotant les premires syllabes d'un terme,
soit en en supprimant les dernires. En d'autres termes, la troncation guette les mots
longs et les apocopes et les aphrses donnent au FCC un rythme saccad et rapide et
rendent ce parler plus familier.

La siglaison contribue galement prononcer un groupe de mots en un


moindre temps mais ncessite, par contre, un effort de rflexion de la part de
l'auditeur au cas o le sigle ne serait pas assez connu. Ce phnomne touche tous les
niveaux de la langue franaise et mme la langue anglaise.

Finalement, on ne peut parler d'un langage en perptuelle mutation sans


imaginer la dimension nologique, en d'autres termes, la cration de mots nouveaux.
Cette cration se fait conformment la grammaire franaise soit par drivation soit
par composition.

277
BILLIEZ, Jacqueline et TRIMAILLE, Cyril, "Plurilinguisme, variations, insertion scolaire et
sociale", p. 115.
L'tude des diffrents procds de formation lexicale a permis d'tablir les
ensembles parasynonymiques des termes les plus usits considrs sous l'angle des
marqueurs sociolinguistiques et nous avons essay d'en souligner les variantes de
forme. Nous nous sommes intresse essentiellement ce qui relve de la langue et ce
n'est que dans le chapitre concernant le nologisme que nous avons mis l'accent sur ce
qui relve du style.

De tout ce qui prcde, nous pouvons affirmer que le franais des banlieues
converge vers la spontanit et la mtaphorisation, c'est un rendement la fois fruste
et puissant. Il n'est point alatoire ou asystmatique. Loin d'tre du sabir, c'est un
sociolecte, ou en d'autres termes un dialecte social stigmatis. C'est une forme de la
subordination de la forme du discours la forme de la relation sociale.

Si pour qu'il y ait une varit, il doit y avoir une spcificit de certains traits
linguistiques dmarqus du franais standard notamment en ce qui concerne le
phonique et le lexical, nous pouvons assurer que le FCC constitue une varit du
franais. Phontiquement, l'augmentation du nombre du [oe] dans le verlan et la
prononciation glottale du [r] le marquent. Le lexical est galement spcifique. Les
procds hrditaires sont employs mais avec une varit des sources. Le
grammatical est galement touch par l'apparition des formes verbales non
conjugues sous l'effet du verlan.
Cette varit est essentiellement valeur identitaire et cohsive et est forme des
marqueurs et des strotypes. La violence verbale manifeste la connaissance d'un
savoir social et d'une comptence langagire.

Bref, le FCC est une production symbolique lie aux conditions sociales. Il est
form de mots dchirs et dchirants l'instar des cits: il verbalise la dsorientation,
la perte de repre et le cumul des handicaps. C'est une dsinvolture consciente
l'gard des normes prescriptives, c'est aussi une contestation des modles de l'cole,
des manipulations linguistiques qui sont imposes. Il traduit le sentiment de
"dphasage" des jeunes des cits. C'est un discours revendicatif qui reflte la violence
pulsionnelle des laisss-pour-compte. Il impose aux banlieusards une vision unique de
leur monde, vhicule leurs penses, et les soude linguistiquement. Son
renouvellement incessant rend difficile son tude puisque la diachronie prime
certaines units et fait paratre d'autres. Il fait partie de la culture interstitielle de la rue
qui comprend, entre autres, un look particulier, une musique techno et des graffitis.

L'apparition de cette varit dans la littrature montre que les crivains beurs
s'engagent dans la pragmatique de l'action. C'est une volont de revendication qui a
pouss ces auteurs, perus comme "diffrents", retracer leur itinraire. Ils veulent
transmettre les discours et les parlers non pas des lecteurs mais de leur groupe social.
Ils essayent de mettre l'accent sur les problmes des jeunes issus de l'immigration.
Entre deux langues, l'arabe et le franais, deux cultures, l'une orientale et l'autre
occidentale, deux ples d'appartenance, la socit d'accueil et celle d'origine, les beurs
subissent une acculturation.
Dans Boumkoeur, Rachid Djadani nous invite une lecture de l'histoire de la France
contemporaine. Il a tent de perptuer les traits caractristiques de son groupe et de
transmettre la forme orale du langage au discours crit. Il a soulign la perversion du
linguistique par le social. C'est une transposition romanesque du parler urbain
travers laquelle Djadani a tabli des relations de solidarit avec les groupes
marginaliss. Il a considr la diffrence sociale comme une ralit qu'il faut accepter
et partager. Il a non seulement repris des termes en voie de standardisation mais il a
cr de nouveaux lexmes poursuivant en cela le caractre dynamique du langage
oral.
L'crivain beur a russi mettre en texte une identit plurielle cohrente en marge des
modles dominants. Ce qui laisse penser que les immigrs et leurs descendants sont
en voie de devenir des acteurs de changements sociaux. Et c'est ce qui nous permet
galement de prvoir que la langue de la rue d'aujourd'hui participe d'une manire
effective l'laboration de la langue de demain et dtermine ses orientations.
Orientation Bibliographique

I- Le corpus:

- DJAIDANI, Rachid, Boumkoeur, Paris, ditions du Seuil, 1999.

II- Les ouvrages thoriques d'ordre linguistique:

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- BAYLON, Christian, Sociolinguistique: socit, langue et discours, Paris, Nathan,


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III-Les ouvrages d'ordre littraire:

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-MATHIEU, Martine, Littratures autobiographiques de la francophonie, Paris,


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- MERAD, Ghani, La littrature algrienne d'expression franaise, Paris, ditions


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IV- Les ouvrages d'ordre sociologique:

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- DEBBASCH, Charles, et PONTIER, Jean-Marie, La socit franaise, Paris,


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- DECROSSE, Anne, L'esprit de socit, Lige, Pierre Mardaga, 1993.

- FERMONT, Armand, France, gographie d'une socit, Paris, Flammarion, 1988.

- VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Amre banlieue, les gens des grands ensembles,


Grasset et Fasquelle, Paris, Le Monde de l'ducation, 2000.

IV- Les articles:

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dans l'argot contemporain" in Cahiers de lexicologie, sous la direction de Bernard
QUEMEDA, n: 72, 1998-1, Paris, Didier rudition.

- AUZANNEAU, Michelle, BENTO, Margaret, FAYOLLE, Vincent, "De la diversit


lexicale dans le rap au Gabon et au Sngal" in La Linguistique, Argots et
argotologie, vol 38/2002-1, Paris, PUF.
- BASIER, Luc et BACHMANN, Christian, "Le verlan, argot d'cole ou langue des
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- BILLIEZ, Jacqueline, "Parler vhiculaire interethnique de groupes d'adolescents en


milieu urbain" in Actes du colloque international Des langues et des villes, Dakar, 15-
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- BILLIEZ, Jacqueline et TRIMAILLE, Cyril, "Plurilinguisme, variations, insertion


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- BONNARD, Henri, "Argot" extrait du Grand Larousse de la langue franaise, 1971


et cit dans Dictionnaire de l'argot franais et de ses origines, Jean-Paul COLIN,
Jean-Pierre MEVEL, Christian LECLERE, Paris, Larousse-Bordas, 1999.

- BOUBARD, Alphonse, prface la premire dition du Dictionnaire de l'argot


franais et de ses origines, et cite dans la deuxime dition Jean-Paul COLIN, Jean-
Pierre MEVEL, Christian LECLERE, Paris, Larousse-Bordas, 1999.

- BOYER, Henri:
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* "Le statut de la suffixation en os" in Langue franaise, les mots des jeunes,
observations et hypothses, n: 114, juin 1997, Paris, Larousse, Bordas.
* "Nouveau franais, parler jeune ou langue des cits?" in Langue franaise, les mots
des jeunes, observations et hypothses, n: 114, juin 1997, Paris, Larousse, Bordas.
* "Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, enqutes Montpellier, Paris,
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l'homme.

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* "La sociolinguistique urbaine: une sociolinguistique de crise? Premires
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la ville" in Cahiers de sociolinguistique, n: 6, 2001, Rennes, Presse universitaires de
Rennes.

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* "L'argot comme variation diastratique, diatopique, diachronique" in Langue
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- CHAULET ACHOUR, Christiane, "Contes priphriques: Tassadit Imache et


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- LIOGIER, Estelle, "Quelles approches thoriques pour la description du franais


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- REMOND, Alain, "L'Apostropheur" in Tlrama, n: 2565 du 10/03/1999.

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* "La dynamique du franais des jeunes, sept ans de mouvement travers deux
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* "L'argotologie: entre forme et fonction" in La Linguistique, Argots et argotologie,
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- VERDELHAN-BOURGADE, Michle:
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* "Procds smantiques et lexicaux en franais branch" in Langue franaise, n: 90,
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- YAGUELLO, Marina, "X comme XXL, la place des anglicismes dans la langue" in
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Jean-Claude, KLINKENBERG, Jean-Marie, PEETERS, Benot, Flammarion, Paris,
2000.

V- Les dictionnaires:

- ACHOUR, Christiane, Dictionnaire des oeuvres algriennes en langue franaise,


Paris, L'Harmattan, 1990.

- COLIN, Jean-Paul, MEVEL, Jean-Pierre et LECLERE, Christian, Le Dictionnaire


de l'argot franais et de ses origines, Paris, dition Larousse-Bordas, 2me dition,
1999.

- DUBOIS, Jean, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris,


Larousse, 1994.
- DUCROT, Oswald, SCHAEFFER, Jean-Marie, Nouveau dictionnaire
encyclopdique des sciences du langage, Paris, Seuil, 1995.

- GOUDAILLIER, Jean-Pierre, Comment tu tchatches?, dictionnaire du franais


contemporain des cits, prface de Claude HAGEGE, Paris, Maisonneuve et Larose,
2001.

- KANNAS, Claude, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris,


Larousse, 1994.

VI-Les sites d'internet:

A) Sites consacrs Rachid Djadani:


- Anonyme, "Bienvenue dans le coeur des cits in
http://euroloq.free.fr/pages/visitesthematiques/pauvrete/articles/litt&cine/cour.htm

- Anonyme: "Boumkoeur de Rachid Djadani" in http://www.les-


marcheurs.net/~pole_lecture/sauton/Chroniques/Djaidani.html

- Anonyme: "La cit dort" in www.campushec.com/Archives2001-


2002/Culture/signe_cite/boumkoeur.htm

- Anonyme: "Rachid Djaidani- Boumkoeur" in


http://rapanization.free.fr/site/chroniks/boumkoeur.htm

- Anonyme: www.theatrecentaure.lu/spec/spec05.html

- DJAIDANI, Rachid, in www.tactikollectif.org/politic/politic.htm

- ELBADAWI, Souef, "Qui veut son respect, s'en donne les moyens" in
www.africultures.com/revue_africultures/articles/affiche_article.asp?no=1684

- HARZOUNE, Mustapha, "Littrature: les chausse-trapes de l'intgration" in


http://www.adri.fr/HM/articles/1231/1231a.html

- MADANI, Karim, "Lascar crivain, rencontre de Rachid Djailani auteur de


Boumkoeur in http://www.inventaire-invention.com/Archives/madani_djailani.htm

B) Sites consacrs au franais des cits


-Anonyme: membres.lycos.fr/vanicaramel/RepertoirePages/crit_d.htm

- Anonyme: "Verlan, French slang" in http://french.about.com/library/vocab/bl-


verlan.htm

- BBC, march 26, 2002, "Parlez-vous verlan?" in


http://globalpolicy.org/globaliz/cultural/2002/0326verlan.htm

- CHAPOUTIER, Katia,"La langue des djeuns" in


http://www.rectoverso.org/materiau/profs/textes/argot_djeuns.htm
- GARCIA, Daniel et MALAURIE, Guillaume, "Verlan cherche deuxime souffle,
entretien avec Pierre MERLE, Alain REY, Henriette WALTER" in le Nouvel
observateur hebdo, n: 1771, du 15/10/98 in
http://archives.nouvelobs.com/recherche/article.cfm?id=82918&mot=francais%20des..

- GARCIA, Daniel, "Faut-il vraiment un interprte? in le Nouvel observateur hebdo, n:


1771, du 15/10/98 in
http://archives.nouvelobs.com/recherche/article.cfm?id=83028&mot=francais%20des

- HOUSSIN, Monique, "Caifran, Langue des cits, langue des costumes-cravates" in


http://www.regards.fr/archives/2000/200003/index.html
- JAMIN, Mikal, "Introduction l'argot: argot et verlan" in
http://www.sunderland.ac.uk/%7Eos0tmc/teci/verlan.htm

- MALAURIE, Guillaume, "Tchatchez-vous cfran? Parlez-vous franais?" in le


Nouvel observateur hebdo, n: 1771, du 15/10/98 in
http://archives.nouvelobs.com/recherche/article.cfm?id=82916&mot=&mm=01&mm.
..

- REY, Fanny, "L'invit" in


http://www.vousnousils.fr/page.php?P=data/ca_vous_parle/l_invite/&key=itm_20030
409_120930_jean-pierre_goudaillier_professe.txt

- ROUFF, Katia, "La langue des cits est-elle frquentable?" in http://www.lien-


social.com/archives/dossiers2002/603a610/608-1.htm

- SINGER, Christian, "L'Adokapi" in http://anatheme.com/crits/adolescents-ados-


jeunes.htm

C) Sites consacrs la linguistique


- BULOT, Thierry:
* "La double articulation de la spatialit urbaine: espaces urbaniss et lieux de villes",
in http://marg.lng.free.fr/documents/04_ml052002_bulot_t/04_ml052002_bulot_t.pdf

* "Langues en villes: une signalisation sociale des territoires" in


http://membres.lycos.fr/bulot/

- Anonyme: "La formation du vocabulaire (morphologie lexicale)" in


http://home.nordnet.fr/~bbouillon/Univ/Ling/Fichiers/morhpolex.htm

- http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/sy/sy_288_p0.html

- http://www.melissa.ens-cachan.fr/article.php3?id_article=244

- Wikipdia, l'encyclopdie libre in http://fr.wikipedia.org/wiki/Nologisme

D) Site consacr l'immigration:


- http://www.france-avenir.com/dossiers/10.htm
Les annexes
Glossaire du franais contemporain des cits

Glossaire du franais contemporain des cits

-A la con: sans intrt


-A perpte: perptuit
-A poil: tout nu
-Abdo: abdomen
-Alu: aluminium
-Appart: appartement
-ANPE: l'agence nationale pour l'emploi/Arabe nourri par l'Etat
-Avoir la dalle: avoir faim
-Avoir la gaule: tre en rection
-Avoir la trique: tre en rection
-Avoir les couilles: tre courageux
-Bagne: prison
-Bagouze: bague
-Bahut: logement
-Baiser: possder sexuellement
-Balancer: dnoncer
-Balles: argent
-Baltringue: individu de peu d'utilit
-Bander: prouver un dsir sexuel
-Baratin: discours mensonger
-Bastos: balles d'une arme feu
-Baver: parler
-Bec: bouche
-Bnf: bnfice
-Beur: arabe
-Beute: bite
-Bicot: dsignation raciste de l'Arabe
-Bide: ventre
-Bidon: homme de rien
-Billard: table d'opration
-Bite: pnis
-Biz: bizness, affaires
-Bizness: affaires
-Black, blackos: noir
-Bled: pays
-Blme: problme
-Bote: terme pjoratif dsignant un tablissement ou un local
-Boss: patron
-Bosser: travailler
-Bosseur: celui qui travaille beaucoup
-Bouffe: nourriture
-Bouffer: manger
-Bouffon: individu mdiocre, malfaisant
-Boule: tte
-Boulot: travail
-Branlette: masturbation
-Braquage: attaque main
-Buter: tuer
-a fait un bail: a fait longtemps
-Cage: prison
-Cad: chef de bande, personne remarquable
-Cailler: tre inquiet/ faire froid
-Caillera: racaille
-Caisse: voiture
-Came: camra/camelote
-Capote: prservatif masculin
-Casbah: maison
-Cash: argent liquide/immdiatement
-Castagneur: individu vindicatif
-C'est de la balle: c'est super
-C'est pas le pied: ce n'est pas agrable
-Chambrer: se moquer
-Chaud: auch
-Cheulou: louche
-Chialer: pleurer, geindre
-Chibre: pnis
-Chier: dfquer
-Chiottes: toilette
-Chiper: s'octroyer
-Chmedu: chmage
-Cingl: fou
-Con: le sexe de la femme et par extension injure signifiant stupide
-Cond: policier
-Connard: stupide
-Connerie: stupidit
-Cool: dtendu, tranquille
-Costard: costume
-Couilles: testicule
-Coup de queue: cot
-Cramer: brler
-Crampon: individu importun et tenace
-Crocs: dents
-CRS: Compagnie Rpublicaine de scurit/car rempli de singes
-Cuisiner: interroger quelqu'un longuement
-Cuite: ivresse
-Cul: la partie basse et charnue du tronc humain/ interjection ngative et mprisante
-Dans les vapes: hbt
-Daron: pre
-Deal: vente de drogue
-Dealer: vendeur de drogue
-Dealer: vendre la drogue/ngocier un prix
-Dbourrer: dfquer
-Dgager: partir
-Dgommer: abattre
-Dessouder: briser
-Dico: dictionnaire
-Doc: documentaire
-Dope: drogue
-D'un poil: de presque rien
-Ecoper: subir quelque chose de dsagrable
-Effacer: tuer
-Emballer: sduire un partenaire sexuel
-Embarquer: arrter
-Embrouille: bagarre, conflit
-En douce: en douceur
-En ptard: en colre
-Encul: homosexuel passif
-Enculer: sodomiser
-Enculeur: homosexuel actif
-Enfoir: imbcile
-Enfoncer: inculper dans un procs
-Engueuler: rprimander
-Entuber: sodomiser
-Facho: fasciste
-Feuilles de chou: oreilles
-Fils de pute: interjection emphatique
-Fion: l'anus de la femme
-Flash: brusque blouissement
-Flic: policier
-Flingue: arme feu
-Foutre: mettre/donner/faire
-Frangin: frre
-Froc: pantalon
-Galre: situation difficile supporter
-Galocher: embrasser sur la bouche
-Gteau: chose facile raliser
-Gteries: supplment rotique
-Gerber: vomir
-Gigolo: jeune homme entretenu par une femme
-Glander: n'avoir rien faire
-Gober: aimer et apprcier
-Godemichet: phallus postiche servant donner un plaisir sexuel
-Gogo: individu crdule et naf
-Gonzesse: femme quelconque ou matresse
-Griller: dnoncer
-Grolles: chaussures
-Gueule: bouche
-Gueuler: vocifrer
-Guignol: individu grotesque
-Hard: excessif, dur/obscne, cru
-Hosto: hpital
-Ieum: mieux
-Il n'y a pas chier: assez hsit
-Impro: improvisations
-Incendier: injurier
-Indic: indicateur
-Infos: informations
-Jaser: parler trop
-Job: travail
-Joint: cigarette de haschisch
-Keuf: flic
-Kif: mlange de chanvre indien et de tabac
-Kiffer: aimer
-Lanceba: balancer
-Lascar: jeune des cits
-Le foutage de la gueule: la moquerie
-Look: apparence extrieure
-Mat: matin
-Maton: gardien de prison
-Max: maximum
-Mec: homme
-Merde: affaire grave, situation difficile/ interjection de colre
-Meuf: femme
-Micro: microphone
-Minette: jeune fille la mode
-Mirdor: dormir
-Mitard: cellule de prison
-Moisir: attendre longtemps
-Moucharder: dnoncer
-Moulin paroles: personne trs bavarde
-Naze: drang
-Ne pas avoir les couilles: tre lche
-Ne pas cracher sur quelque chose: l'apprcier
-Ngro: noir
-Nichons: seins
-Niquer: endommager/ possder sexuellement/coter
-NTM: nique ta mre
-Numro: individu extravagant
-OD: overdose
-Oinjs: joints
-Oseille: argent
-Ouam: moi
-Parano: paranoa
-Passer la casserole: subir passivement un rapport sexuel
-Pcho: choper
-Ppettes: argent
-Ptard: cigarette de haschisch/ revolver
-Ptasse: femme vulgaire ou prostitue dbutante
-Pter: clater, craquer
-Piaule: logement
-Piausser: dormir
-Pif: nez
-Piger: comprendre
-Piges: annes
-Piquouze: piqre de drogue
-Pisser: uriner
-Pistonner: favoriser quelqu'un
-Plaquer: abandonner le travail
-Plastoc: plastique
-Plumard: lit
-Pointeur: violeur
-Poire: personne nave
-Poisse: malchance
-Poivrot: ivrogne
-Pompes: souliers/ mouvement consistant dans la position plat ventre faire monter
et descendre alternativement le haut du corps, par la seule force des bras
-Pote: ami, copain
-Pouffiasse: femme peu avenante
-Prendre son pied: prouver l'orgasme
-Pro: professionnel
-Pure: misre, malchance, dcouragement
-Putain: prostitue ou femme dbauche
-Pute: prostitue
-Que dalle: rien du tout
-Ququette: pnis
-Queue: pnis
-Racketter: soumettre l'extorsion
-RAS: rien signaler
-Rglo: rglementaire
-Reup: pre
-Ro: or
-Rondelle: anus
-Sacquer: congdier
-Salaud: individu malhonnte, ignoble
-Salope: femme peu recommandable par ses moeurs, ses actes et son comportement
-Saper: habiller
-Sapes: vtements
-Schmitt: policier
-Se branler: se masturber
-Se faire mettre par quelqu'un: tre possd sexuellement par quelqu'un
-Se foutre de la gueule de quelqu'un: se moquer de quelqu'un
-Se frquenter: se masturber
-Se planquer: se cacher
-Shit: haschisch
-Shooteuse: seringue de drogue
-Sniffer: absorber la drogue par le nez
-Somme: sommeil
-Speeder: droguer quelqu'un de faon le survolter
-Squat: sorte de logement occup illgalement
-Squatter: se blottir
-States: les Etats-Unis
-Stepo: poste
-Suppo: suppositoire
-Survt: survtement
-Taf: travail
-Tar: dfavoris mental
-Taulard: dtenu
-Taule: prison
-Taxer: voler
-Tchatche: bagout volubile, habilet parler
-TDC: tomb du camion
-Tifs: cheveux
-Tige: cigarette
-Toc: faux, imit
-Tourner au vinaigre: finir mal
-Toxico: toxicomane
-Trinquer: souffrir
-Tronche: tte
-Trou de balle: l'anus
-Trou: prison
-Trouillard: individu peureux
-Tune, thune: argent
-Un de ces quatre matins: un de ces jours
-Uv: vue
-Veuch: cheveux
-Yoyo: transmission d'un objet d'une cellule l'autre par une ficelle
-Zen: nez
-Ziva: vas-y
-Zizi: pnis
-Zob: pnis
-Zonzon: prison

Glossaire des notions


linguistiques

Alternance: l'usage dans un mme nonc de deux langues diffrentes que ce soit par
comptence (alternance de comptence) ou par erreur (alternance d'imcomptence).

Aphrse: changement phontique consistant en la chute d'un ou de plusieurs


phonmes ou syllabes initiaux d'un mot.

Apocope: changement phontique consistant en la chute d'un ou de plusieurs


phonmes ou syllabes la fin d'un mot.

Argot: dialecte social qui dsignait autrefois le langage des malfaiteurs, leur jargon
secret et qui par extension dsigne actuellement le vocabulaire propre un groupe
social qui se veut en opposition avec les autres. Il a pour principal objectif de ne pas
tre compris que par les initis ou de marquer l'appartenance un certain groupe.

Dialecte: 1- dialecte rgional, un systme de signes et de rgles combinatoires de


mme origine qu'un autre systme considr comme la langue, mais n'ayant pas
acquis le statut culturel et social de cette langue indpendamment de laquelle il s'est
dvelopp. (Exemples: le francien, le picard)
2- dialecte social, un systme de signes et de rgles utilis dans un groupe social
donn ou par rfrence ce groupe.
Emprunt: l'intgration d'un lment linguistique d'une langue un autre systme
linguistique. L'emprunt est li au prestige dont jouit une langue ou le peuple qui la
parle.

Langue vhiculaire: langue servant la communication entre des communauts ayant


des langues maternelles diffrentes. C'est une langue utilise d'une manire privilgie
pour l'intercommunication et l'intercomprhension.

Langue vernaculaire: un systme linguistique spcifique employ dans la rgion et la


communaut d'origine. C'est la langue maternelle de cette rgion ou de cette
communaut.

Lexique: selon la lexicographie, le lexique est soit le livre comprenant la liste des
termes utiliss par un auteur ou par une science, soit un dictionnaire bilingue qui met
en parallle des units lexicales de deux langues.
Comme terme gnral de la linguistique, il dsigne l'ensemble des units formant le
vocabulaire, la langue d'une communaut ou d'un locuteur.

Mtaphore: figure de rhtorique base sur l'emploi d'un mot concret pour exprimer
une notion abstraite et ce en l'absence des mots introduisant la comparaison.

Mtonymie: figure de rhtorique consistant dsigner un objet ou une notion par un


terme autre que celui qu'il faudrait utiliser, les deux termes tant lis par une relation
de cause effet, de matire objet, de contenant au contenu ou de la partie au tout.

Nologisme: un nouveau mot construit et non hrit d'un tat plus ancien de la langue.
Il est considr comme tel tant qu'il est encore mal lexicalis, qu'il est rcent aux
oreilles des locuteurs ou qu'il est d'usage limit.

Niveaux de langue: rpartition du lexique de la langue en plusieurs rpertoires en


fonction de la norme. Les niveaux vont du "littraire" jusqu'au "vulgaire" ou
"argotique" en passant par "familier" ou "populaire".

Norme: la conformit un usage donn comme commun et standard dans une


communaut linguistique.

Phonme: unit minimale distinctive de la phonologie. Si deux sons sont utiliss pour
opposer deux mots comme [t] et [d] dans toit [twa] et doigt [dwa], ces deux sons
constituent deux phonmes. Si leur opposition n'entrane pas la cration de deux
termes diffrents, ils constituent un seul phonme, comme les diffrentes ralisations
du [r].

Sabir: langage mixte gnralement usage commercial parl autrefois en Afrique du


Nord et dans le Levant par des groupes ayant des langues maternelles diffrentes. Les
sabirs sont des langues d'appoint, ayant une structure grammaticale mal caractrise et
un lexique pauvre limit aux besoins qui les ont fait natre et qui assurent leur survie.

Sociolinguistique: discipline linguistique qui a pour tche de dcrire les diffrentes


varits qui coexistent au sein d'une communaut linguistique en les mettant en
rapport avec les structures sociales. Elle s'intresse souligner la dpendance du
linguistique par rapport au social.

Terme: 1- en syntaxe, c'est un mot qui assume dans une phrase une fonction
dtermine.
2- il s'emploie parfois comme synonyme de mot ou d'item lorsqu'il s'agit de dcrire
une structure.
3- en terminologie, c'est une unit signifiante constitue d'un mot ou de plusieurs mots
qui dsigne une notion de faon univoque l'intrieur d'un domaine.

Variante: une forme d'expression diffrente d'une autre, mais n'entranant pas de
changement de contenu.

Variation: 1- phnomne par lequel une langue dtermine n'est jamais une poque
donne dans un lieu et dans un groupe social donns identique ce qu'elle est une
autre poque, dans un autre lieu, dans un autre groupe social.
2- synonyme de variante et parfois de variante libre, terme qui rfre aux units
linguistiques interchangeables dans tous les contextes.

Verlan: inversion de l'ordre des syllabes ou des phonmes d'un terme en fonction du
nombre des syllabes qu'il renferme (exemple: meuf pour femme)

Xnisme: unit lexicale constitue par un mot d'une langue trangre et dsignant une
ralit propre la culture des locuteurs de cette langue. Le xnisme, force d'tre
utilis, peut devenir un prgrinisme ensuite un emprunt.

Table des illustrations

Figure 1:------------------------------------------------p. XI
Les Sarcelles dans le Val d'Oise (1999)

Figure 2:------------------------------------------------p. 21
En 1966, Saint-Denis constituait le troisime
bidonville de la rgion parisienne.

Figure 3:-------------------------------------------------p. 22
En 1945, un quartier pavillonnaire inond
dans la banlieue parisienne

Figure 4:-------------------------------------------------p. 23
Rpartition de la banlieue parisienne

Figure 5:------------------------------------------------p. 30
Le groupe de rap IAM

Figure 6:-------------------------------------------------p. 31
Les tags et les graffitis Grenoble
Table des matires

- Introduction-------------------------------------- pp. 1-13

-Premire partie----------------------------------pp. 14-56


Rflexions sur les cits

* Premier chapitre:
Vision sociologique ------------------------------- pp. 15-37

* Deuxime chapitre:
Approche sociolinguistique---------------------- pp. 38-56

-Deuxime partie-------------------------------pp. 57-148


Procds smantiques de formation lexicale

* Premier chapitre:
L'argot-----------------------------------------------pp. 58-109

* Deuxime chapitre:
Les marques transcodiques--------------------pp. 110-136

* Troisime chapitre:
La mtaphore------------------------------------pp. 137- 148

-Troisime partie-----------------------------pp. 149- 196


Procds formels de formation lexicale

* Premier chapitre:
Le verlan------------------------------------------pp. 150- 165

* Deuxime chapitre:
L'abrviation------------------------------------- pp. 166-183

* Troisime chapitre:
La drivation et la composition------------pp. 184- 196

- Conclusion-------------------------------------pp. 197-203

- Orientation bibliographique-----------pp. 204- 215


- Annexes:---------------------------------------pp. 216- 233

*Glossaire du franais
contemporain des cits------------------------pp. 216- 222
*Glossaire des notions linguistiques-------pp. 223- 225
*Index thmatique------------------------------pp. 226- 228
*Index onomastique ---------------------------pp. 229-232
*Table des illustrations----------------------- p. 233

-Table des matires -------------------------pp. 234-235

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