Adel 3
Adel 3
Adel 3
FACULT AL-ALSUN
DPARTEMENT DE FRANAIS
THSE DE DOCTORAT
PRSENTE PAR
RANIA ADEL HASSAN AHMED
MATRE-ASSISTANTE AU DPARTEMENT DE FRANAIS
SOUS LA DIRECTION DE
PROF. DR. MONA AHMED ABDEL-AZIZ
PROFESSEUR DE LINGUISTIQUE AU DPARTEMENT DE FRANAIS
2005
Abstract
Universit de 'An-Chams
Facult Al-Alsun
Dpartement de franais
La thse vise mettre l'accent sur une varit de la langue franaise qui ne
cesse de gagner du terrain et qui, par la suite, suscite beaucoup de remous. Le franais
contemporain des cits est un parler qui reflte l'influence des facteurs sociaux
notamment la pauvret, l'isolement et la violence sur le comportement langagier des
banlieusards.
Dans la troisime partie, nous avons tenu tudier les procds formels de
formation lexicale qui sont le verlan, l'abrviation, la drivation et la composition. Les
usagers du FCC prfrent renverser l'ordre des syllabes du mot, supprimer une syllabe
au dbut ou la fin du terme ou utiliser des suffixes et des prfixes notamment
populaires.
Les usagers du franais branch ne forment point un groupe homogne clos. Ce sont
essentiellement les gens qui aiment lire les quotidiens, assister des spectacles et
1
SEGUIN, Boris et TEILLARD, Frdric, Les Cfrans parlent aux Franais, chronique de la langue
des cits, Paris, Point Virgule, Calmann-Lvy, 1996, pp. 82-83.
2
BOYER, Henri, "Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, enqutes Montpellier, Paris,
Lille" in Langage et socit, n: 95, mars 2001, Paris, Maison des Sciences de l'homme, p. 76.
3
Ibid., p. 85.
4
CERTA, Pascale, Le franais d'aujourd'hui, une langue qui bouge, France, une codition Radio
France et Balland/Jacob-Duvernet, 2001, pp. 12-13.
5
BOYER, Henri, "Le jeune tel qu'on le parle" in Langage et socit, n: 70, dcembre 1994, Paris,
Maison des sciences de l'homme, p. 86.
suivre la mode. Il s'agit donc des intellectuels certes mais aussi des cadres et des
professionnels issus de la couche moyenne qui emploient cette varit relance par la
publicit.
6
GEESEY, Particia, "Code, camouflage et verlan, l'innovation linguistique dans Ils disent que je suis
une beurette et Salut Cousin" in Algrie:nouvelles critures, tudes littraires maghrbines, n: 15, sous
la direction de Charles BONN, Paris, L'Harmattan, 1999, p. 145.
7
MERLE, Pierre, Le prt parler, Paris, Plon, 1999, p. 9.
8
Ibid., p. 173.
9
BOYER, Henri, "Le jeune tel qu'on le parle", p. 89.
employer ces mots et formules pidmiques, coqueluches qui tendent faire leur lit
dans le langage courant depuis le dbut de la dcennie"10
10
MERLE, Pierre, Le prt parler, p. 57.
11
BOURDIEU, Pierre, Ce que parler veut dire, l'conomie des changes linguistiques, Paris, Fayard,
1982, p. 57
12
Ibid., p. 144.
mots grossiers dans ces parlers", et autres "on ne sait plus parler
franais dans les banlieues""13.
Le second facteur est que:
"cette langue non standard a acquis un droit de cit dont atteste la
lecture des titres des journaux et de magazines, des romans,
documents et dictionnaires de toutes sortes ou l'coute de la radio
et de la tlvision"14.
Nous ne pouvons plus donc la ngliger.
Nous avons de mme choisi d'tudier ce franais partir d'une oeuvre littraire
romanesque, savoir Boumkoeur, et ce, tant donn que le roman est "une biographie
et une chronique sociale (et) on a toujours pu montrer que la chronique sociale
refltait plus ou moins la socit de l'poque"17.
13
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De l'argot traditionnel au franais contemporain des cits" in La
Linguistique, Argots et Argotologie, vol 38/2002-1, Paris, PUF, p. 13.
14
ANTOINE, Fabrice, "Des mots et des oms, verlan, troncation et recyclage formel dans l'argot
contemporain" in Cahiers de lexicologie, n: 72, 1998-1, sous la direction de Bernard QUEMEDA,
Paris, Didier rudition, L'Institut national de la langue franaise, p. 47.
15
BOYER, Henri, "Nouveau franais, parler jeune ou langue des cits?" in Langue franaise, Les mots
des jeunes, Observations et hypothses, n: 114, juin 1997, Paris, Larousse, Bordas, pp. 11-12.
16
DUNETON, Claude, "Une langue deux faces" in Lexiques, coordonn par Amr Helmy Ibrahim,
Paris, Hachette, 1999, p. 195.
17
GOLDMANN, Lucien, Pour une sociologie du roman, Paris, Gallimard, 1964, pp. 33-34.
Au cours du XXme sicle, deux courants de pense se sont affronts: le premier est
celui des formalistes purs qui voyaient que toute production artistique ne pouvait tre
juge que selon les qualits esthtiques, le second est celui des sociologues purs qui
estimaient que les structures qui sous-tendaient la cration artistique traduisaient la
ralit historique et en constituaient un lment.
La sociologie littraire a, de son ct, tent de trouver un compromis entre
l'apprciation esthtique rserve la critique et la perception sociologique de la
littrature. Elle s'est acharne dmontrer la corrlation entre la production littraire
et la conscience collective du groupe qui l'a cre. Pour la sociologie des faits
littraires, il existe derrire l'crivain tout le groupe dont il fait partie. Toute oeuvre
est donc sociologiquement significative. De toute vidence, il est trs difficile que le
roman soit fond sur la pure cration individuelle sans aucun fondement dans la
socit. De tout temps, on disait que la littrature est le miroir de la socit. Elle est
mme
"l'aboutissement un niveau de cohrence trs pouss des
tendances propres la conscience de tel ou tel groupe, conscience
qu'il faut concevoir comme une ralit dynamique oriente vers un
certain tat d'quilibre"18
Nous nous sommes base sur l'approche de Goldmann qui a conu le rapport entre
l'art et la socit en terme de reflet.
Ajoutons cela que si les romans se divisent en roman hros problmatique bas sur
la vie individuelle et roman non biographique correspondant la dissipation de
l'individualisme; entre les deux, il y a une
"priode de transition beaucoup plus varie et plus riche en types
de cration romanesque, ne du fait que, d'une part, la disparition
du fondement conomique et social de l'individualisme, ne permet
plus aux crivains de se contenter du personnage problmatique
comme tel sans le relier une ralit qui lui est extrieure et que,
d'autre part, l'volution conomique, sociale et culturelle, n'est pas
encore assez avance pour crer les conditions d'une cristallisation
dfinitive du roman sans hros et sans personnage"19
Et c'est dans ce type intermdiaire que vient se placer Boumkoeur, premier roman de
Rachid Djadani, paru en 1999. Comdien, boxeur, crivain, Djadani est un franais
d'origine algro-soudanaise. Il fait partie des auteurs des annes quatre-vingt-dix qui
ont donn un nouveau tournant la littrature dite beur. Cette littrature, parue dans
les annes quatre-vingts, souligne que nous avons affaire un groupe d'crivains
ayant des caractre ethnique et social singuliers. C'est une littrature apprhende
selon les origines de ses auteurs, ce qui est un peu regrettable puisqu'il s'agit d'une
vision trs rductrice de classification. C'est galement une littrature qui proccupe
l'opinion gnrale car elle dvoile la complexit et les ingalits sociales
contemporaines.
Les auteurs beurs, tout en voquant un thme qui leur est cher, l'immigration, le
traitent diffremment. Ils ne signalent plus le retour mythique au pays d'origine, mais
prsentent des hros qui souffrent de l'exclusion au mme titre du reste de la
population. Leur problmatique principale est la place de l'individu dans la socit
franaise.
18
Ibid., p. 41.
19
GOLDMANN, Lucien, Op.cit., pp. 85-86.
En ralit, Djadani est un jeune de banlieue dont la vie ne prsageait rien
d'exceptionnel.
"Tte crame et fringues hip hop, ce jeune lascar, vous l'auriez
fourr dans la catgorie des rappeurs au mieux et au pire des
racailles. Ceux qui ne parlent pas en franais correct, c'est peine
qu'ils savent lire, vous pensez. Pourtant Rachid a pondu un roman
qui est venu percuter les oeuvres de Marguerite Yourcenar dans les
rayons des librairies"20
Avec plus de 90.000 exemplaires vendus, Boumkoeur est un best-seller, "les mdias
se sont ru sur ce phnomne de banlieue qui vend plus que les prix Goncourt"21
Boumkoeur est une quasi-autobiographie de l'auteur, c'est l'adolescence peine
romance de Djadani, qui est voque; d'o la concidence entre les valeurs
vhicules dans le roman et la socit des cits. L'autobiographie a toujours t
apprhende comme l'expression d'un processus social historiquement dat. Le
protagoniste Yaz est un double de Djadani, c'est le prototype de la plupart des jeunes
des cits-dortoirs. Il est mme le symbole et l'incarnation de toute une gnration ne
dans la "galre".
Yaz a 21 ans, et habite l'une des tours des cits; il mne une vie d'enfer entre un pre
pauvre et chmeur, une mre soumise, un frre qui fait du trafic de drogue et une
soeur indcente. Il avait, en outre, un frre qui a trouv la mort suite une overdose
de stupfiants. Le rve de Yaz est prcis: exister. Chose qui n'est pas aussi simple que
nous pouvons le croire. Il doit lutter et combattre. Pour donner un sens sa vie, il
dcide d'crire une chronique de la cit avec l'aide d'un voyou, Grzi. Toutefois,
l'affaire tourne mal et le hros devient vite victime d'une escroquerie commise par son
copain. Ce dernier prtend qu'il a tu un garon la sortie de l'cole et demande Yaz
de passer quelques jours avec lui dans une cave, le temps de demander une ranon la
famille de Yaz qui croyait son enlvement. La police dvoile l'affaire: Grzi est jug
et Yaz reprend sa vie monotone.
Boumkoeur est ainsi le roman des moeurs de la banlieue, c'est un rcit sous forme de
flashes de la vie de Djadani, de drames familiaux et de brouilles tragiques. Il
slectionne les scnes qui vont droit au coeur et qui traduisent la cit avec ses ennuis.
"[. . .] le premier roman de Rachid Djadani se veut avant tout un
tmoignage brut, sans fioriture ni jugement, la chronique d'une cit
ordinaire si l'on peut dire. Mme s'il s'agit d'une fiction, son
scnario puise largement dans les expriences personnelles de son
auteur [. . .]"22
Djadani nous livre des scnes authentiques de la socit adonne au culte du mal,
loin de l'image de la jungle urbaine vulgarise par les mdias. Il est pris entre deux
volonts: tmoigner et produire. Il se rapproprie son histoire, la change et la
reformule.
"[. . .] la chronique des parcours, le tableau des existences
s'enrichit, se complexifie pour mettre nu, travers la diversit et
20
MADANI, Karim, "Lascar crivain, rencontre de Rachid Djalani auteur de Boumkoeur" in
http://www.inventaire-invention.com/Archives/madani_djailani.htm
21
MADANI, Karim, "Lascar crivain, rencontre de Rachid Djalani auteur de Boumkoeur" in
http://www.inventaire-invention.com/Archives/madani_djailani.htm
22
Anonyme:" La cit dort" in www.campushec.com/Archives2001-
2002/Culture/signe_cite/boumkoeur.htm
l'originalit des personnages, des pans entiers de la socit
franaise dans son rapport son pass colonial, l'histoire de
l'immigration, dans son rapport elle-mme"23
Son but est de dfendre les faibles et de critiquer la dite dmocratie franaise. "La
politique est bonne lorsqu'elle se fait par de vrais bonhommes qui ne se nourrissent
pas de la misre de leur frre pour se redorer le blason"24. Tout en rejetant un rel
traumatisant, Djadani a soulign la volont des jeunes de crer un monde vivable au-
dessus des problmes. Il nous prsente les cits et leurs jeunes pris entre les principes
rpublicains et la ralit discriminatoire, entre une France qui leur est hostile et un
pays d'origine mythique, entre le racolage lectoral et l'engrenage du chmage.
Boumkoeur est un roman qui cherche mettre nu un monde o croupissent la
violence et les mauvais coups, reproduisant ainsi l'image misrabiliste des jeunes. Par
le biais d'un esprit critique afft, il fait un regard cru sur la France, un rquisitoire
contre la socit et le monde carcral. En un mot, c'est un roman qui a l'effet d'un
coup de poing.
Pour raliser son but, Djadani fait paratre Yaz comme un tmoin scripteur ou un
nonceur psychosocial. On ne doit pas le considrer comme une subjectivit.
"L'nonceur psychosocial runit en lui-mme tous les types
d'usages de la langue en fonction des situations [. . .]. Il est la
fois, selon les circonstances, le locuteur qui prononce et
l'nonciateur qui agit, tout comme il est la fois, quand ce n'est pas
lui qui parle, l'allocutaire auquel sont adresss les mots et le
destinataire des actes de langage [. . .]"25.
Boumkoeur est un livre qui transmet le vcu et le quotidien des cits, c'est un roman
plein de moments de vie. Le texte joue avec les discours de banlieue afin de crer un
espace linguistique et littraire, et acquiert une allure familire et amusante. L'criture
est par l mme vivante et jeune.
"Une criture d'apparence facile, mais o l'on (res)sent dj une
vraie plume, un vrai talent et une vraie maturit. Pas facile d'crire
[. . . ] mais trs agrable de lire du Djadani. Pour le ton Rachid
Djadani. Drle, alerte et rempli de vie. Un ton qui nous donne
envie de lire, un ton qui fait tourner les pages et qui nous rend
triste d'tre dj arriv la fin"26
On a mme dit que Djadani est un crivain qui sait faire l'quilibre entre "le jeu et la
vrit, le rire et le coup de poing l'estomac, la blague et l'motion, (il est)
imprvisible, lyrique, insolent, grave"27
A travers Boumkoeur, Djadani s'en prend une socit dominante "laquelle cherche
construire des frontires culturelles dites et non-dites"28. Ce faisant, la
23
HARZOUNE, Mustapha, "Littrature: les chausse-trapes de l'intgration" in
http://www.adri.fr/HM/articles/1231/1231a.html
24
DJAIDANI, Rachid in www.tactikollectif.org/politic/politic.htm
25
HAGEGE, Claude, L'Homme de paroles, contribution linguistique aux sciences humaines, Paris,
Fayard, 1996, pp. 243-244.
26
Anonyme: "Boumkoeur de Rachid Djadani" in http://www.les-
marcheurs.net/~pole_lecture/sauton/Chroniques/Djaidani.html
27
REMOND, Alain, "L'Apostropheur" in Tlrama, n: 2565, 10/03/1999.
28
GEESY, Patricia, Op.cit., pp. 146-147.
sophistication littraire a cd la place la dsinvolture langagire. En traitant une
socit priphrique, il a opt pour une langue elle aussi priphrique. Il s'est loign
dlibrment de la langue officielle pour puiser son parler dans l'argot et le verlan
ainsi que dans les pratiques hybrides. C'est comme s'il accordait la langue franaise
un nouveau souffle. Ainsi, Djadani fait-il preuve dans Boumkoeur "d'une matrise de
la langue, du rythme des phrases, d'une capacit malaxer les mots pour en faire
jaillir l'image, le sens, le sentiment voulus"29. L'criture de Boumkoeur est pour ainsi
dire une criture qui pourrait tre tiquete de dcentre: c'est une criture qui
reconstruit la langue autrement.
"[. . .] il y aura une double rfraction de l'une sur l'autre -de la
forme sur la valeur et de la valeur sur la forme- et cette
birfringence des deux parties du Message cause par l'Ecriture
fonde le dcentrage. L'Ecriture travaille le Message dans sa forme,
en mme temps par la langue (grce elle) et contre elle (en la
dformant). C'est dans ce tourniquet tautologique caractristique
de la langue, la fois cause et effet de soi-mme, que le dcentrage
de l'Ecriture et partant de la Littrature est lui-mme
tautologique"30
Il faut donc s'attendre de nouvelles formes langagires, des pratiques linguistiques
innovantes, des crations lexicales qui "fleureraient bon l'exotisme social des cits
et exhaleraient quelques fragrances mditerranennes"31. Boumkoeur est donc un
rpertoire du franais des cits. Nous allons essayer de saisir la mise en texte littraire
du parler urbain.
Notre approche thorique est dans une large mesure inspire par les travaux du
linguiste Jean-Pierre GOUDAILLIER32. C'est sur le plan lexical que nous allons
centrer notre tude et ce tant donn qu'
" l'heure actuelle, on ne dispose pas de suffisamment
d'informations sur les particularits phonologiques,
morphologiques ou syntaxiques du franais parl par les jeunes des
cits"33.
L'objectif de la thse est de relever des faits linguistiques attests et de tenter de les
rfrer la sociologie de leur nonciateur. Il s'agit de montrer et d'analyser la
corrlation entre les faits linguistiques et les pratiques langagires d'une part et le
statut social du locuteur ou plus gnralement sa taxinomie sociologique (ge, lieu de
rsidence, profil professionnel, origine) de l'autre. La thse souligne les particularits
sociolinguistiques et l'extralinguistique social. Les analyses sociologiques et
sociolinguistiques se recoupent ainsi et se compltent.
Notre travail est divis en trois parties. Dans la premire, nous allons jeter la lumire
sur la sociologie de la cit et son rapport avec la sociolinguistique urbaine. Dans les
29
HARZOUNE, Mustapha, Op.cit., p.4.
30
LARONDE, Michel, L'Ecriture dcentre, la langue de l'autre dans le roman contemporain, Paris,
L'Harmattan, 1996, pp. 10-11.
31
HARZOUNE, Mustapha, Op.cit., p.4.
32
Jean-Pierre GOUDAILLIER est professeur de linguistique l'Universit Ren-Descartes, Paris V et
directeur du centre de Recherches Argotologiques CARGO.
33
LIOGIER, Estelle,"Quelles approches thoriques pour la description du franais parl par les jeunes
des cits" in La Linguistique, Argots et Argotologie, vol 38/ 2002-1, Paris, PUF, p. 46.
deuxime et troisime parties, nous allons nous intresser aux termes les plus
employs dans ce franais.
Et puisque le FCC est en perptuelle mutation et incessant renouvellement, il nous a
paru pratique de ne pas se contenter d'un relev formel des termes mais d'axer notre
tude sur les procds de formation lexicale. Si les termes naissent et disparaissent et
si des variations d'ordre diatopique peuvent paratre, les procds restent invariables.
Ces procds sont de deux types: le premier smantique et le second formel. Chaque
procd sera tudi dans une partie qui lui sera consacre.
Et afin de discerner ce qui relve de la langue de ce qui relve du style et de s'assurer
que les termes employs font vraiment partie de la langue des cits, nous avons eu
recours des ouvrages lexicologiques, des interviews avec des jeunes originaires
des cits ainsi qu' des films sur les jeunes des banlieues. Les dictionnaires de
rfrence sont Le Dictionnaire de l'argot franais et de ses origines34, Comment tu
tchatches? Dictionnaire du franais contemporain des cits35, sans oublier Les
Cfrans parlent aux Franais, chronique de la langue des cits36. Nous avons
galement estim ncessaire de voir le film Le ciel, les oiseaux et ta mre, de Djamel
Bensalah ralis en 1999 et celui de L'esquive de Abdellatif Kechiche ralis en 2004.
34
COLIN, Jean-Paul, MEVEL, Jean-Pierre et LECLERE, Christinan, Le Dictionnaire de l'argot
franais et de ses origines, dition Larousse-Bordas, 2me dition, 1999.
35
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, Comment tu tchatches? Dictionnaire du franais contemporain des
cits, prface de Claude HAGEGE, Paris, dition Maisonneuve et Larose, 2001.
36
SEGUIN Boris et TEILLARD, Frdric, Op.cit., 1996.
Premire Partie
Rflexes sur les cits
L'immigration est un phnomne social important touchant plusieurs pays du
monde notamment la France. Celle-ci est un pays ouvert l'immigration en gnral et
celle des Arabes maghrbins en particulier. L'Algrie tait la premire des pays du
Maghreb tre conquise en 1830 et tait considre comme tant un des dpartements
franais; la Tunisie et le Maroc taient des protectorats respectivement en 1881 et
1912.
Cet tat de choses a men les immigrs habiter des taudis peu confortables et
vivre dans les cits comme des marginaux. Le lieu de leur habitation est rvlateur
de leur niveau conomique.
Les conditions pcuniaires lamentables des immigrs les ont empchs d'abandonner
les HLM pour un habitat pavillonnaire. Ils sont donc rests pigs dans ces habitats et
un processus de ghettosation a eu lieu.
Cette condamnation htive des banlieues est due ce que les cits sont toujours
considres comme les sanctuaires de la violence et dinscurit. Mais pour avoir une
image plus objective, loin des prjugs et des strotypes vulgariss par les mdias, il
importe d'tudier lhistorique des cits. Celles-ci se sont imposes et ont connu un
dveloppement anarchique et chaotique au fil des annes.
Cest depuis le XIXme sicle que la France a tmoign dune vague dexode
rural due la rvolution industrielle. Rsultat : dcroissance de la population
travaillant dans lagriculture. [. . .] elle est estime prs de 70% en 1789, elle nest
plus que de 55% vers 1850 39
Cest cette poque l quont commenc dferler sur la France les vagues
dimmigration pour combler sa pnurie en main doeuvre. A ce moment,
l'immigration tait libre et de peu d'importance, toutefois elle ne cessait de s'acclrer.
37
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Amre banlieue, les gens des grands ensembles, Paris, Grasset et
Fasquelle, Le Monde de lducation, 2000, p. 49.
38
Ibid., p. 9.
39
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, La socit franaise, Paris, Dalloz et Armand
Colin, 2001, p. 37.
Des Belges essentiellement des Wallons sont venus travailler dans les filatures du
Nord.
Ds 1905, plusieurs centaines de travailleurs algriens ont t embauchs dans la
rgion marseillaise comme salaris dans les raffineries et les huileries. Il s'agit
essentiellement d'une main-d'oeuvre kabyle qui tait cense remplacer les ouvriers
grvistes italiens. C'est partir de Marseille, que va s'effectuer la monte de certains
Kabyles vers les mines et les industries de Paris. Progressivement, les dplacements
vont se faire non plus en direction des villes ctires et des stations balnaires, mais
vers les villes et les rgions industrielles.
A Paris, ces salaris sont employs dans le btiment, les industries chimiques, les
chemins de fer et le mtropolitain. Le courant migratoire fut renforc en 1913 grce
un arrt du Gouverneur Gnral supprimant le permis de voyage. Les immigrs se
regroupaient par villages ou par rgions et construisaient des rseaux de solidarit. Ils
ont form ce qu'on pourrait appeler une contre-socit qui avait ses points de repre,
ses coutumes et traditions et ses interdits. Ce qui a plus ou moins empch leur
complte intgration la socit d'accueil.
Et ce d'autant plus que les accords d'Evian de 1962 ont permis la libre
circulation entre la France et l'Algrie. Les Maghrbins en gnral ont occup trois
rgions principales qui sont la rgion parisienne, la rgion Rhne/Alpes et la rgion
Provence/Cte d'Azur. Ils travaillaient dans l'industrie de l'automobile, les btiments
et le commerce.
La France avait toujours voulu que ces migrations soient temporaires et
conjoncturelles, nanmoins, sous l'effet du regroupement familial, elles sont devenues
dfinitives.
La crise conomique a pouss le gouvernement franais rexaminer sa politique
migratoire et l'a incit suspendre l'immigration des travailleurs en 1974.
Afin de saisir l'ampleur du problme, essayons de voir les chiffres de l'immigration.
40
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., pp. 46-47.
- 793 000 occupent des emplois "suprieurs".
Ces flux migratoires doubls par une forte industrialisation nont men qu
renforcer lurbanisation.
En un sicle, les proportions se sont inverses: en 1872, la population
urbaine reprsentait 31% de la population totale, en 1982, 69%. On peut
considrer quaujourdhui 80% de la population vit en zone urbaine ou
priurbaine et ce mouvement nest sans doute pas achev 42
Preuve de lampleur de lurbanisation, entre 1946 et 1975, plus de 17 millions de
personnes supplmentaires sont venues vivre dans les villes, accentuant le problme
de l'habitation.
Le problme de logement a paru au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qui
avait caus le bombardement et l'extermination de plusieurs villes, le problme s'est
aggrav avec le retour des pieds-noirs, l'exode rural, la croissance dmographique et
la vtust des logements.
Les cits, tout en constituant des ples dattraction pour les migrants qui espraient y
trouver un eldorado, nont fait que semer le dsordre.
"[. . .] Les enceintes tablies successivement autour des villes craquent de
toutes parts, les faubourgs empitent sur les boulevards circulaires, et ce
nest mme plus de faubourg dont il faut parler mais de banlieue. Ces
banlieues prolifrent de tous cts la priphrie des grandes villes et
41
http://www.france-avenir.com/dossiers/10.htm
42
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 37.
mme des cits moyennes. On a pu comparer cette extension incontrle
un phnomne de cancrisation avec la multiplication rapide et anarchique
des cellules. La surface urbaine stale 43.
Ds 1958, plusieurs ordonnances et dcrets ont prcis les modalits de
rnovation et dtermin les zones urbaniser par priorit (ZUP). Ces dmarches ont
t soutenues en 1963 par la DATAR (dlgation l'amnagement du territoire et
l'action rgionale) qui a voulu renforcer l'ossature urbaine du pays.
En 1966, l'Etat a cr la Direction de l'quipement charge de dpcher des
spcialistes aux rgions amnager. Toutefois, les mesures entreprises par l'Etat se
sont heurtes la chert des terrains et au cot lev de la construction; on a donc
commenc assister la dilution du rle tatique dans le rglement de la crise
d'habitat. Les grands ensembles n'ont pas galement satisfait ceux qui cherchaient un
domicile loyer abordable cause de la mdiocrit des quipements, l'insuffisance
des moyens de transport ayant, en plus, accentu l'isolement.
Figure 2
On a donc commenc parler de cits-dortoirs qui se sont multiplies la priphrie
de la ville et qui se sont mues en immenses agglomrations douvriers non qualifis
et de chmeurs qui sont la recherche illusoire dun travail lucratif. Il en a rsult une
pousse anarchique des banlieues o les quipements collectifs comme les coles, les
crches, et la voierie font dfaut. L'Etat a cherch construire rapidement sans penser
humaniser ces espaces de vie. Ceux-ci taient mal penss et peu amnags.
Les grands ensembles dhabitat collectif tablis par les tayloristes au milieu du XXme
sicle sont devenus la fin du sicle des ghettos, des champs dexclusion, un monde
la quarantaine, des espaces de rclusion.
Les rnovations urbaines chassent les pauvres du centre des villes
franaises. Ils y trouvaient peu de confort mais bien des commodits.
Faute dautres possibilits, les ZUP deviennent leur univers [. . .]. Le
monde des ZUP est dautant plus dur quil nest conu que pour habiter
loin des autres, loin du centre des villes, loin des quartiers les plus
attrayants, dans le voisinage des champs de betteraves ou de terrains
vagues sans posie 44
Si un plan de construction a t lanc en 1971, il tait essentiellement ax sur la
rhabilitation du centre ville. On a tmoign d'un laxisme en matire d'urbanisation
des quartiers priphriques. De nos jours, les cits et les banlieues sont des lieux qui
appartiennent l'espace urbain, mais qui sont plus distantes, par rapport aux
43
Ibid., pp. 727-728.
44
FREMONT, Armand, France gographie dune socit, Paris, Flammarion, 1988, pp. 172-173.
faubourgs, de la ville. Ce sont des lieux qui rsistent plus ou moins l'emprise de la
ville et qui se voient rarement reconnatre une identit.
Figure 3
1-Le loop
2-Aire de transition
45
LAMIZET, Bernard, "Qu'est-ce qu'un lieu de ville?" in Marges linguistiques, n: 3, mai 2002, Saint-
Chamas, MLMS diteur, p. 196.
3-Logements des ouvriers
4-Aire rsidentielle
5-Zone des banlieusards46
Ceci dit, les banlieues sont les zones les plus loignes du centre et par l elles
constituent des lots isols o sont concentrs tous les problmes qui naugurent rien
de bon.
Figure 4
Dj, larchitecture des cits reflte la morosit de la vie. Il sagit de tours de bton
uniformes, construites sans aucun souci de beaut esthtique. Les habitats sont honnis,
dgrads et malsains, les faades dimmeuble endommages, les cages descaliers
souilles et les vitres casses. Les conditions dinsalubrit prdominent, les espaces
verts sont rduits et substitus par le bton.
Excrments de chiens sur les trottoirs, sacs poubelles descendus ds le
matin et ventrs dans la journe par les animaux la recherche de
nourriture, invendus des puces et des marchs tranant par terre : le
quartier est sale, le quartier pue, parce que les gens sen foutent. De mme
le bruit est mis en cause : dans les immeubles, les enfants dbordent des
appartements trop petits et parfois insalubres et jouent sur les paliers et
dans les escaliers. On dnonce le sans-gne de certains locataires, la
musique coute fort volume tard le soir, les alles et venus toute
heure de la nuit. Le bruit du dehors envahit galement les appartements :
bruit dune circulation dense autour de la place, bruit des bars et des
restaurants, bruits nocturnes enfin de tous ceux qui tranent sur la place 47
Dans ces cits, les habitants partagent la pauvret, et le sentiment d'tre des rprouvs,
des marginaux et des exclus. "Ces populations dfavorises, semblent avoir perdu
toute vellit de contestation, et toute possibilit d'intgration digne dans une
collectivit originale"48. Le manque de moyens les pousse se replier sur elles-
mmes, se trouver dans l'impossibilit de sortir des catgories pauprises et de
grimper l'chelle sociale. D'o le sentiment de frustration.
"Entre un groupe d'appartenance objectif qui ne peut tre considr
comme un groupe de rfrence acceptable (celui des pauvres, ou encore
46
Cf. CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, Paris,
Payot et Rivages, 1994, p. 23.
47
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., pp. 266-267.
48
Ibid., p. 39.
celui des habitants de la cit), et un groupe de rfrence inaccessible (celui
des catgories moyennes), se creuse un cart intolrable l'origine d'une
trs forte frustration et d'une fragilisation accentue de l'estime de soi"49
La distanciation des habitants des cits de la socit centrale ne fait qu'augmenter et
avec elle l'autocritique et l'animosit l'gard d'une socit qui les a oublis. Ils
refusent d'tre tiquets de menu peuple, tout en tant conscients qu'ils ne peuvent
rien faire ni pour s'en sortir ni pour appartenir la classe laquelle ils aspirent. Et
comment s'en sortir, quand on vit dans la dpendance et quand on est au mieux un
ouvrier et au pire un chmeur.
"[. . .] la spcificit du travail ouvrier tend donc dcrotre, et avec elle
l'exprience d'une identit professionnelle distincte, dans la mesure o
certains savoir-faire ouvriers ont t largement disqualifis par le
perfectionnement machiniste et robotique [. . .]"50
Les ouvriers sont incapables d'aller de pair avec l'volution de la socit et sont
victimes au mme titre des chmeurs de la crise d'emploi; on leur fait grief d'tre
incapables de se soumettre la discipline industrielle.
"[. . .] Ne rien possder en propre, pas mme une tiquette professionnelle,
tre ainsi entirement soumis au march du travail, sans aucune dfense,
n'tre qu'un figurant susceptible de tenir tous les emplois et toutes les
places, avoir le sentiment aigu de sa vulnrabilit sociale et
professionnelle, c'est tre plus que dmuni, c'est ne pas mme avoir une
image sociale dans laquelle se reconnatre"51
Le chmage est d principalement aux faits suivants: l'insuffisant taux d'expansion
qui ne permet pas la cration d'emplois nouveaux, la demande en ingnieurs et cadres
moyens et non pas en ouvriers, l'immobilit de la main d'oeuvre et finalement, la
disqualification technique et professionnelle des jeunes. Pour pallier ce handicap
conomique, les pouvoirs publics tentent de fournir des allocations aux chmeurs.
"En 1994, le nombre des bnficiaires du RMI tait de l'ordre de 765.000,
contre 670.000 un an plus tt. Le cot du RMI est de plus en plus lourd
pour l'Etat (16.5 milliards de francs en 1993) qui prend en charge
l'intgralit de l'allocation et certaines dpenses lies l'insertion, mais
aussi pour les conseils gnraux, lgalement tenus de participer certaines
dpenses"52
49
Ibid., pp. 41-42.
50
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 33.
51
LAKS, Bernard, "Langage et pratiques sociales, tude sociolinguistique d'un groupe d'adolescents"
in L'usage de la parole, n:46, Actes de la Recherches en sciences sociales, 1983, p.87.
52
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 432.
qu'aux lections venir dont dpendent le succs et la prennit de leur
carrire [. . .]"53
La cit est rarement au coeur du dbat politique, et ne figure point dans la priorit des
autorits. Par contre, elle n'est signale que comme source d'inscurit sociale et de
menaces. Les habitants endossent le stigmate de leur milieu social qui devient pour
eux un lieu de honte. Ils se sentent dvaloriss, d'autant plus que
"[. . .] la domination la plus cruellement ressentie rside sans doute en
effet dans l'amalgame volontiers effectu entre pauvret et indignit,
pauvret et incapacit, pauvret et immoralit"54
Tant que la cit est signe de la prcarit sociale, le poids d'tre "habitant de cit" pse
sur eux et s'entrelace avec les contraintes conomiques et politiques qui les
asphyxient. Ds qu'un banlieusard signale son adresse, il est dvisag, scrut de haut
en bas, mal vu et devient forcment un "rat" aux yeux de ses interlocuteurs.
53
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p.306.
54
Ibid., p. 58.
55
Ibid., p. 80.
56
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 200.
57
.Ibid., p. 293.
"[. . .] Les immigrs sont tout particulirement victimes de l'infriorit
culturelle. La population maghrbine est presque invariablement assigne,
en termes de savoir-vivre, de moralit, de comptences culturelles, au
dernier barreau de l'chelle hirarchique qui segmente les grands
ensembles. Ainsi les Arabes sont les ploucs de la cit et les principaux
responsables de l'inscurit qui y rgne [. . .]"58
L'immigr est donc le bouc missaire de toutes les souffrances, il est toujours assis au
banc des accuss, montr du doigt, suspect de vivre aux crochets des Franais. Dans
les annes quatre-vingts, le Front national a jet sur les immigrs la responsabilit de
tous les maux sociaux et a multipli le discours xnophobe.
"La carte de la dlinquance et de la criminalit en France concide bien,
quelques petites nuances prs, avec celle des rgions de forte immigration.
Quelles que soient les prcautions prises, les statistiques concernant la
population carcrale le confirment. Les trangers constituent plus du quart
des dtenus dans les prisons franaises"59
Ce faisant, le sentiment d'insatisfaction n'pargne mme pas les Franais qui ont du
mal supporter leur rapprochement spatial des immigrs qui travers leurs
regroupements ont su former un clan de force. Ils ont essay travers des intrts
communs de dvelopper
"un sentiment d'appartenance communautaire, du moins un entre-soi
chaleureux, fond sur une similarit des expriences et des rfrences
culturelles et sur un ancrage un quartier dont la stigmatisation perue
pourtant semble au final assez faiblement altrer l'identit personnelle"60
Parmi les banlieusards, ce sont les jeunes qui ont su, peut-on dire, s'adapter le mieux
leurs conditions de vie. Loin des Franais dmunis et des immigrs qui imputent leur
chec au racisme, les jeunes des cits sont les seuls qui affirment leur attachement la
banlieue.
"[. . .] premier territoire explor, appropri, le quartier dans un monde
inconnu, a jou le rle d'un vritable refuge [. . .], le quartier, la cit, la
tour, sortes de zones protges, de zones tampon sont les repres solides et
palpables d'une appartenance par ailleurs souvent floue [. . .]"61
Les jeunes revendiquent cet espace comme tant leur propre territoire et tentent de
s'en emparer, d'y tendre leur contrle, de le possder. Au lieu de la considrer
comme une prison, les jeunes tendent voir dans la cit un refuge, c'est leur terrain
conquis o ils sont protgs par leurs ans de toute violence extrieure. Ils
transforment leur espace social en une arne de lutte contre toutes difficults.
Ils cherchent galement partir de leur cit crer une culture interstitielle, une
culture de la rue caractrise par une certaine tenue vestimentaire, par le banditisme et
le trafic et ce par opposition la culture lgitime dominante.
"Ils sont les acteurs d'une culture interstitielle extrmement conflictuelle
mais fort productive de ce point de vue, ils se disent de nulle part parce
58
Ibid., p. 114.
59
FREMONT, Armand, Op.cit., p. 169.
60
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., pp. 124-125.
61
Ibid., p. 128.
qu'ils ne se sentent pas reconnus socialement mais crent leur propre
espace social et linguistique"62.
Pour les garons, chaussures dlaces, casquettes visires vers l'arrire, jeans
dchirs, sweat-shirts avec capuchon, lunettes de soleil noires ou verres
rflchissants et baskets de marque. Pour les filles, anneaux aux oreilles, vtements
moulants, chancrs, pantalon taille basse, bagues dans tous les doigts, cheveux
colors, grands pendentifs.
"Le style le plus outr, largement inspir de la mode hip-hop noire
amricaine, le plus connu aussi parce qu'il a t largement mdiatis et
rcupr, est trs marqu par son caractre voyant, avec les survtements
en tissus satins aux couleurs criardes et fluorescentes, son caractre
dmesur avec les pantalons et les tee-shirts ultralarges, ou bien mme son
caractre provocant avec les treillis militaires et les rangers"63
Les quartiers centraux de Paris comme le Forum des Halles ou la Gare du Nord sont
les lieux les plus frquents par les jeunes qui habitent les grands ensembles de la
banlieue. Les jeunes y trouvent les magasins de mode, les cinmas et les discothques
qui peuvent satisfaire leur volont de se dmarquer des classes populaires auxquelles
ils appartiennent.
"La casquette, aujourd'hui de marque Nike, et visse sur le crne,
s'accompagne de baskets de mme marque ou avec le logo Adidas aux
pieds et les lascars "jeunes des cits et quartiers franais contemporains"
se dsignent comme des casquettes-baskets par opposition aux costards-
cravates, ceux qui sont en dehors de la cit, ceux qui sont en place, dans la
place, ont un travail, sont arrivs socialement"64
Figure 5
Les cits franaises des annes quatre-vingt-dix sont, peut-on dire, calques sur le
modle des ghettos noirs amricains; les jeunes de la France semblent copier le style
vestimentaire mais aussi les salutations, la musique et la danse. Les salutations des
jeunes se font l'amricaine: c'est par claquement face face du plat de la main que
se droule le salut. La musique techno rassemble les jeunes dans les ftes et le rap est
62
BULOT, Thierry, Langues en villes: une signalisation sociale des territoires in
http://membres.lycos.fr/bulot/
63
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, Paris, Poches Odile Jacob, 2001, p.
352.
64
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De l'argot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 8.
"devenu, en France, pour des adolescents venus de milieux ou de quartiers
dfavoriss, un moyen d'expression et de contestation, en mme temps
que d'identification, le champ rap tant galement un discours social"65.
Le rap construit des types sociaux refltant les interactions quotidiennes, on y trouve
le citoyen, le rappeur et le pouvoir. Il joue un rle symbolique et reproduit les
problmes d'intgration des jeunes. Le rap se base essentiellement sur le rythme, mais
galement sur le texte qui traduit les revers du ghetto. Signe de sa valeur, plusieurs
groupes musicaux comme Public Ennemy, Suprme NTM et les marseillais de IAM
ont vu le jour et ont contribu promouvoir les spectacles de breakdance.
Ajoutons cela que
"60% d'entre eux ne se branchent sur la bande FM que pour couter
chansonnettes et musiques la mode. [. . .] Ils sont 65% se gaver
pendant le week-end de films et de sries amricaines"66
Composantes de la culture de la rue, les tags et les graffitis sont remarquables et font
partie intgrante de cette mouvance. Il s'agit d'une faon symbolique pour accaparer
les milieux publics. Les graffitis envahissent les murs des tours, les cages des
escaliers, les halls des immeubles, les portes des ascenseurs, les stations du mtro. Ils
sont flagrants et ne peuvent pas passer pour inaperus. "C'est un moyen efficace pour
exprimer la haine et la colre et pour atteindre autrui- qui plus est anonymement,
c'est--dire sans risque de reprsailles"67
Figure 6
Mais pourquoi la haine et la colre? En effet, la vie que mnent les jeunes de la cit ne
peut que les conduire la violence et la dlinquance. L'cole publique, qui tait
autrefois une voie pour l'ascension sociale, ne l'est plus. Elle a perdu sa capacit de
donner des repres aux jeunes. Les perspectives du chmage presque invitables et
d'orientation vers les filires techniques soulignent le dysfonctionnement du systme
scolaire. L'cole a livr les jeunes eux-mmes. Sans avenir, ayant des parents
dpasss, chmeurs, ne trouvant rien faire, tranant toute la journe, entretenant des
relations frivoles, se livrant des amusements vulgaires, leur seule proccupation est
le banditisme.
65
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 648.
66
SINGER, Christian, "L'Adokapi" in http://anatheme.com/crits/adolescents-ados-jeunes.htm
67
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 212.
"Le chmage concerne environ 10% de la population des 15-24 ans. Alors
mme qu'ils ne sont pas au chmage, les jeunes qui occupent un emploi
prouvent fortement le sentiment de la prcarit de ce dernier: en cas
crise, ils sont avec les immigrs et les femmes les premiers dont
l'entreprise se dessaisit"68
La violence est partie prenante du paysage urbain, elle est due la rclusion et se
transforme en une faon de vivre. Elle constitue le plus grand risque pour les
adolescents et les pradolescents
"pour lesquels ds l'ge de 12 ou 13 ans existe la tentation de quitter
l'cole pour la rue. [. . .] Aller dans la rue, par dsoeuvrement ou par
inclination, s'y faire agresser ou s'y faire entraner, tel est le danger qui
(les) guette"69
Tant qu'ils sont classs inactifs, les jeunes sont en proie la dlinquance. Et l
s'affermit de plus en plus l'assimilation faite entre le banlieusard, la violence et le
conflit avec la police. La brutalit est l aussi rpute l'immigr et sa progniture:
bien qu'il soit n en France, l'enfant des parents immigrs ne jouit que de la moiti du
statut de droit et se voit, d'emble, montr du doigt comme un criminel, il est toujours
sur la sellette. Cette drive sgrgative le pousse en contrepartie l'adhsion une
bande, adhsion ralise comme une contre-attaque au monde extrieur qui le
subvertit. Cette violence peut tre considre comme une rvolte communautariste
contre les Occidentaux en gnral et les Franais en particulier. La socit a trahi les
immigrs et ne leur a accord ni libert, ni galit, ni fraternit.
"Les jeunes se sentent humilis par les soupons systmatiques des
policiers, et se disent choqus par les fouilles (qui sont un dshonneur en
public) et les brutalits langagires, le plus souvent fortes connotations
racistes [. . .]"70
La rpression adopte par la police franaise ne rsout pas la violence, mais par contre
l'augmente. Pour remonter leur ego, pour confirmer la mauvaise rputation qui leur
est attribue, les jeunes multiplient leurs actes vindicatifs. Ils matrisent de moins en
moins leur agressivit. C'est une violence aveugle qui attaque n'importe qui et
n'importe quand. D'o la rcurrence des meutes, des affrontements entre jeunes et
adultes, de l'holp-up, des rackets sur certains endroits, des vols et des dgradations des
biens publics. Ces actes de banditisme sont une forme de rsistance, de confrontation
avec la socit centrale, de cration d'une certaine autonomie et d'insurrection.
Les jeunes voient que le banditisme est une rponse logique un monde qui leur est
hostile et qui ne cesse de les agresser. Ils y voient une forme de reprsailles contre un
univers qui leur est inaccessible. Leur comportement est un genre de "vandalisme
vengeur destin emmerder une socit qui les prend pour des cons"71. Dans les
cits, la "combine" est ncessaire si on ne veut pas se laisser craser. Le dialogue n'a
pas lieu, les rancoeurs s'aggravent et les griefs se multiplient, vu que les jeunes font
rgner la peur.
68
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 48.
69
LAKS, Bernard, Op.cit., p. 76.
70
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 84.
71
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 156.
Dmonstration du penchant juvnile pour la force, les sports du combat et les arts
martiaux sont trs rpandus dans les cits et ne cessent de recruter de plus en plus des
jeunes. En tte de ces sports, trne la boxe.
"L'engagement physique qu'elle suppose l'entranement et plus encore
sur le ring est tout fait conforme aux valeurs de force, de courage,
d'agressivit et de virilit, qui prdominent dans la mentalit de la culture
des rues"72
La boxe est non seulement une preuve de robustesse mais galement une source
pcuniaire. Les banlieusards prfrent surtout la boxe thae qui, mme si elle
"ne procure certainement pas encore des revenus suffisants pour en vivre,
du moins offre-t-(elle) des jeunes particulirement dmunis en capital
conomique, social et scolaire, pour qui le monde du travail est, il faut
bien le souligner, quasi totalement ferm, des possibilits de revenus
lgaux et immdiats presque uniques"73
Plus les jeunes pratiquent les arts martiaux, ou plus ils s'engagent dans des actes qui
dfient la loi, plus ils sont admirs et reconnus et plus ils ont du prestige. C'est la
transgression des normes sociales et les activits dlictueuses qui les valorisent.
D'autant plus que les exploits agonistiques sont relats par les filles qui se trouvent
prises par cette force masculine.
Dans les cits, les nerfs flambent et l'usage de la violence est de rgle en cas d'atteinte
physique, d'offenses verbales ou de ragots. Les affrontements se gnralisent
outrance propageant terreur et chaos. Un petit malentendu peut facilement prendre des
allures catastrophiques et devenir une escalade verbale qui se termine par une bagarre
collective o les armes blanches sont permises.
"L'usage dtourn des bombes lacrymognes comme armes offensives [. .
.] est devenu trs frquent dans ce genre de circonstances et beaucoup
d'adolescents en possdent une"74.
La majorit des jeunes dtiennent des armes pour influencer leur entourage. Les rixes
comprennent trois acteurs essentiels: les protagonistes, ceux qui alimentent la querelle
et ceux qui calment les bagarreurs. Tous entrent en lice dans la rixe et peuvent
changer de rles. Un sparateur maladroit peut vite devenir un protagoniste et vice
versa. En un mot, les jeunes sont donc des fauteurs de troubles.
"Lorsqu'une altercation clate entre deux pairs, les autres membres du
groupe interviennent d'abord en jugeant sur-le-champ de la gravit de
l'affront, de l'injure ou du dommage subi et en l'exprimant de manire
rituelle (Han!Han!) ou par des commentaires explicites (a m'aurait pas
plu, Hein!, c'est grave! C'est mortel). Ils jugent par la mme occasion de
l'opportunit de la bagarre et enjoignent au besoin les adversaires en
dcoudre, en engrainant et en mettant la pression, soit verbalement [. . .]
soit mme physiquement"75.
72
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 331.
73
Loc.cit.
74
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 252.
75
Ibid., p. 256.
Les relations interpersonnelles entre les adolescents sont marques par la force
physique, symbole de l'exercice du pouvoir sur les ennemis ou sur les petits. "Les
adolescents intgrs au groupe sont assurs en cas de menace ou de besoin, de
trouver un soutien rapide et efficace auprs de leurs pairs"76
76
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages., p. 294.
77
DEBBASCH, Charles et PONTIER, Jean-Marie, Op.cit., p. 650.
78
VILLECHAISE-DUPONT, Agns, Op.cit., p. 181.
"un ple d'attirance-rpulsion parce que la drogue constitue une
confrontation au danger et des domaines inconnus, une rupture avec la
vie quotidienne. Mme si elle est officiellement interdite, elle est
considre par certains jeunes comme une exprience initiatique"79
L'univers des cits a donc ses revers, il a un poids lourd qui pse sur les
banlieusards; les trafics courants, les vols la tire qui peuvent choquer ceux qui
vivent l'extrieur sont des incidents banals l'intrieur. Les jeunes sont dpossds
de leur jeunesse, ils sont troubls par un prsent ennuyeux et un avenir incertain. Les
conditions d'accs un emploi puis un logement tant difficiles, les jeunes se
laissent abattre ou au contraire rsistent.
En somme, c'est la culture de la rue qui prvaut chez les jeunes de la cit et qui
est marque par la pratique de la violence et par des activits qui peuvent tre
qualifies de dlictueuses. Cette culture fait dornavant partie de la culture franaise
contemporaine et en constitue une composante marquante et mme un ple de
diffusion. Mais cette culture interstitielle n'a-t-elle pas d'autre composante, notamment
langagire? C'est ce que nous allons savoir dans le chapitre suivant.
79
BORDET, Jolle, Les jeunes de la cit, collection le Sociologue, Paris, PUF, 1999, p. 52.
Deuxime Chapitre
Approche sociolinguistique
"La socit et la culture ne sont
pas prsentes avec la langue et
ct de la langue, mais prsentes
dans la langue"80
Pour les banlieusards, adopter la langue dominante c'est nier leur identit sociale de
domins. Par contre, opter pour un franais marginal, c'est afficher leur position dans
la hirarchie sociale.
"[. . .] La pratique linguistique communique invitablement outre
l'information dclare une information sur la manire (diffrentielle) de
communiquer, c'est--dire sur le style expressif, qui peru et apprci par
rfrence l'univers des styles thoriquement ou pratiquement
concurrents, reoit une valeur sociale et une efficacit symbolique"83.
Ils puisent leur langage dans un march linguistique sanctionn puisque diffrent du
march de la culture lgitime. Leur change linguistique est, par la suite, non
seulement destin tre dchiffr et compris mais il est aussi porteur de leur stigmate
social. Il est une forme de lutte
80
BAYLON, Christian, Sociolinguistique: socit, langue et discours, Paris, Nathan, 1991, pp. 31-32.
81
LESIGNE, Hubert, Les banlieues, les profs et les mots, France, Gallimard jeunesse, collection Page
Blanche, 1999, p. 257.
82
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "Les mots de la fracture linguistique" in Revue des deux mondes,
numro hors srie, mars 1996, pp. 116-117.
83
BOURDIEU, Pierre, Op.cit., p. 60.
"pour le monopole du pouvoir de faire voir et de faire croire, de faire
connatre et de faire reconnatre, d'imposer la dfinition lgitime des
divisions du monde social et par l, de faire et de dfaire les groupes"84
Tant que la socit leur barre la route, les banlieusards malaxent sa langue. Plus ils
sont ancrs dans les cits, plus ils ont recours une langue parle qui les distingue.
Puisque "parler, a classe son homme"85, les habitants des cits feront de leur langue
une rfrence au milieu socio-conomique dont ils sont issus. "Bien souvent ces
personnes subissent au quotidien une galre (ou violence) sociale, que reflte leur
expression verbale, au mme titre que leur violence ractive"86.
84
Ibid., p. 137.
85
NOEL, Dany, "Parler comme du monde ou parler comme tout le monde: rapport la langue et
appartenance de classe" in Langage et socit, n: 12, juin 1980, Paris, Maison des sciences de l'homme,
p. 7.
86
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De l'argot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 9.
87
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "Les mots de la fracture linguistique", p. 115.
88
Ibid., p. 116.
89
ID., Comment tu tchatches? Dictionnaire du franais contemporain des cits, p. 9.
90
Cf. CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, p. 56.
sont sans cesse travaills par ces deux tendances la vhicularit et
l'identit, parce que la ville est la fois un creuset, un lieu d'intgration et
une centrifuge qui acclre la sparation entre diffrents groupes"91.
Ce parler urbain s'est vu attribuer plusieurs dnominations. Certains linguistes parlent
d'"argot des cits" ou "argot de banlieue". Un argot qui constitue
"la manifestation contemporaine la plus importante d'une varit de
franais qui au cours des dernires dcennies tout comme les diverses
populations qui l'ont parle, a perdu tout d'abord son caractre rural, par
la suite de toute indexation ouvrire, voire proltaire, pour devenir le
mode d'expression de groupes sociaux insrs dans un processus
d'urbanisation"92
Mais pour d'autres,
"le franais parl dans les cits dborde largement du domaine de l'argot
et s'apparente davantage une varit de franais, prsentant un certain
nombre de variables linguistiques grce auxquelles un groupe social (les
jeunes des cits) se distingue du groupe dominant"93
Nanmoins, Estelle LIOGIER estime que le langage des cits n'a pas encore atteint un
degr de stabilisation qui le rend une varit: il s'agit tout simplement de stratgies
discursives.94
De mme, certains minimisent sa porte sociologique en l'assimilant un langage de
jeunes, tant donn que ce sont ces derniers qui l'ont conu et produit. Pour Louis-
Jean CALVET, titre d'exemple, ce parler urbain ne peut tre considr comme une
langue indpendante, une langue part entire mais il est tout simplement une forme
de langue. Il est le point de convergence du milieu ambiant urbain, de la fonction
vhiculaire et identitaire de la langue.95
Quoi qu'il en soit, ce qui est sr c'est que le franais des cits du fait de sa dynamique
est sorti des cits et a connu une extension remarquable. Il est essentiellement le
langage des jeunes chez qui la crativit langagire et la volont d'innovation sont de
grande envergure.
"Chez les jeunes [. . .], il y a cette mme volont de construire un langage
qui leur est propre, de se forger une langue identitaire, le we-code par des
transformations diverses par opposition un they code, plus exactement
en se rappropriant les langues des origines"96
Ce sont donc les jeunes qui ont donn le coup d'envoi ce parler et qui ne cessent de
le propager au-del de leur cit, ce qui ne manque pas d'influencer toute la
communaut linguistique.
"La ville est la quintessence du plurilinguisme, elle draine les diffrentes
situations linguistiques du pays. Point de convergence des migrations et
91
CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, p. 13.
92
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, Comment tu tchatches? Dictionnaire du franais contemporain des
cits, p. 9.
93
LIOGIER, Estelle, Op.cit., p. 45.
94
Cf. Ibid., p. 51.
95
Cf. CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, pp. 73-74.
96
MELLIANI, Fabienne, La langue du quartier, appropriation de l'espace et identits urbaines chez
les jeunes issus de l'immigration maghrbine en banlieue rouennaise, Paris, L'Harmattan, 2000, p.86.
donc des diffrentes langues du pays, elle est un lieu d'observation
privilgi pour le linguiste, o l'on voit merger des langues d'intgration.
Les solutions linguistiques que la ville apporte la communication
sociale ont toutes les chances de s'imposer l'ensemble du pays: telle une
pompe, la ville aspire du plurilinguisme et recrache du monolinguisme et
elle joue ainsi un rle fondamental dans l'avenir linguistique de la rgion
ou de l'Etat"97
Ce sont les jeunes de la cit qui dictent les nouvelles tendances de la langue franaise,
"les quadras et autres quinquas n'arrtent pas de leur piquer leur sabir. Comme s'ils
avaient besoin de Viagra lexical pour doper leur Larousse"98.
Ds qu'elles sont cres, les nouvelles locutions sont vulgarises par les publicits et
les mdias. "C'est mme devenu un mtier: capteur de mots et de signes peine sortis
de l'oeuf"99
Nanmoins, tout ce qui est invent ne sera pas forcment intgr la langue, la
transgression est tantt stigmatise et rejete, tantt accepte.
Bref, le franais des cits est une des formes de la rsistance des banlieusards
contre le systme en place. Il est li essentiellement la communaut des jeunes qui
sont attachs la banlieue et qui essayent partir de leur territoire d'imposer leur
parler. Ce dernier constitue une des composantes de la culture des cits, une culture
base sur l'opposition entre le centre et la priphrie. La banlieue est au confluent de
certains particularismes que reflte son langage: le fort taux d'immigration notamment
d'origine maghrbine, la crise conomique et le rtrcissement du march du travail
dont les rpercussions touchent tous les habitants et spcialement les jeunes et
finalement la violence dans les grands ensembles priphriques.
97
CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, p. 130.
98
MALAURIE, Guillaume, "Tchatchez-vous cfran? Parlez vous franais", in Le Nouvel Observateur
Hebdo, n: 1771, 15/10/98, in
http://archives.nouvelobs.com/recherche/article.cfm?id=82916&mot=&mm=01&mm
99
Loc.cit.
100
CALVET, Louis-Jean, Les voix de la ville, introduction la sociolinguistique urbaine, p. 29.
sociolinguiste s'attache analyser ces parlers qui relvent essentiellement de l'oral et
qui ne cessent d'voluer. Il tudie les marqueurs linguistiques, les indicateurs
sociolectaux inhrents au statut social, au lieu d'origine et au mode de vie du groupe
urbain. Les cits et les banlieues sont devenues avec l'urbanisation croissante un lieu
"o s'expriment des conflits, o des problmes de communication trouvent
des solutions vhiculaires in vivo, et de nombreuses tudes vont alors l(e)
prendre comme un indicateur des mouvements en cours"101
La sociolinguistique urbaine, discipline en pleine construction, s'intresse tudier les
repres sociaux et linguistiques dvelopps par une communaut urbaine. Pour elle,
tout parler urbain est soumis une double influence, l'une d'en haut: le parler de la
ville, et l'autre d'en bas: les parlers ruraux qui sont plutt connots ngativement.
La sociolinguistique urbaine accorde un intrt particulier l'altrit due la
convergence des vecteurs urbanisation o la culture urbaine laisse son empreinte sur
les matrices discursives, socialisation o les tensions sociales sont mises en mots et
habitus qui inscrit les pratiques langagires dans un rapport de dominance.
101
ID., "La sociolinguistique et la ville, hasard ou ncessit?" in Marges linguistiques, n:3, mai 2002,
p. 48
102
BULOT, Thierry, "La double articulation de la spatialit urbaine: espaces urbaniss et lieux de
villes", in http://marg.lng.free.fr/documents/04_ml052002_bulot_t/04_ml052002_bulot_t.pdf
103
Loc.cit.
104
Loc.cit.
"la combinaison de plusieurs (c'est--dire au moins deux) lments -des
lieux- qui sont des repres galement matriels ou symboliques
concourant la smiotisation sociale de l'aire gographique citadine"105.
Ce sont les lieux qui donnent des repres sur les tensions intrinsques du groupe
social, et qui fournissent des renseignements sur l'identit de l'espace citadin. L'espace
est considr comme
"une matrice discursive fondant des rgularits plus ou moins
consciemment licites, vcues ou perues par ses divers acteurs;
rgularits sans doute autant macro-structurelles (entre autres
l'organisation sociale de l'espace) que plus spcifiquement linguistiques et
langagires"106.
L'espace est la fois social, linguistique et discursif. Il "rend compte des rapports
complexes entre socialisation, lien social versus langue et pratiques langagires"107 et
il est de ce fait marqu par les langues qui y sont prsentes.
Mais si la sociolinguistique s'est affirme dans la seconde moiti du XXme sicle, rien
n'empche que ses origines remontent une priode antrieure. Plusieurs linguistes
ont contribu par leurs travaux frayer le chemin cette discipline. Ainsi nous parat-
il ncessaire de jeter la lumire sur l'pistmologie de cette discipline.
En 1892, l'universit de Chicago tait la premire universit amricaine avoir, ds sa
fondation, un dpartement d'anthropologie et de sociologie. Ce qui a fait que tous les
linguistes embauchs dans ce dpartement ont pris la ville de Chicago comme
laboratoire et se sont intresss l'tude des migrations et des problmes d'intgration.
105
CALVET, Louis-Jean, "La sociolinguistique et la ville, hasard ou ncessit?", p. 48.
106
BULOT, Thierry, "L'essence sociolinguistique des territoires urbains: un amnagement linguistique
de la ville" in Cahiers de sociolinguistique, n: 6, Rennes, Presse universitaires de Rennes, 2001, p. 6.
107
ID., "La double articulation de la spatialit urbaine: espaces urbaniss et lieux de villes", in
http://marg.lng.free.fr/documents/04_ml052002_bulot_t/04_ml052002_bulot_t.pdf
108
ID., "La sociolinguistique urbaine: une sociolinguistique de crise? Premires considrations" in
Marges linguistiques, n: 3, mai 2002, p. 1.
Pour l'Ecole de Chicago, la ville est une entit qui a une vie qui lui est propre et dans
laquelle, l'individu joue le rle d'un tmoin de la ralit sociale. L'individu et la ville
sont la fois centres et sources du changement social.
La sociolinguistique est, par la suite, ne de la volont de s'opposer la grammaire
gnrative qui concevait les faits de langue indpendamment des phnomnes
sociaux.
La communication sociale a ensuite reu une impulsion grce aux travaux des deux
linguistes amricains John GUMPERZ et Dell HYMES110. Pour le premier, la
communication est un processus social complexe, qui englobe bien d'autres
composantes qu'un metteur et un rcepteur. Il s'est intrss en particulier la
conversation et aux interactions. Pour lui, chaque individu ou groupe dispose d'un
rpertoire verbal compos de varits linguistiques, rgionales ou sociales. Dans les
situations d'interaction verbale, les interlocuteurs choisissent des stratgies
communicationnelles selon leurs prsupposs respectifs et leur connaissance ingale
de certains indices dans la conversation. Ce sont les indices contextuels qui
contribuent indiquer la manire dont les noncs doivent tre interprts et compris.
Gumperz tablit ainsi une distinction entre les interactions personnelles et les rseaux
ferms d'une part et les interactions transactionnelles et les rseaux ouverts de l'autre.
Le premier type regroupe des individus qui se connaissent et qui entretiennent des
relations troites, alors que le second se caractrise par la co-prsence des gens lis
par des relations professionnelles ou des gens n'ayant pas en commun un systme de
valeurs et de connaissances. Il souligne dans ses travaux que c'est en fonction des
ractions du rcepteur que le locuteur dcide d'adopter une certaine forme langagire
pour tre compris et pour faire passer son message.
En tant qu'ethnographe de la communication, ce linguiste s'est attach mettre en
relief la diversit culturelle: les mmes lments de communication ne sont pas
interprts de la mme faon par des interlocuteurs ayant des prsupposs
socioculturels varis.
109
Cf. MEILLET, Antoine, Linguistique historique et linguistique gnrale, 2me volume, Paris,
Klincksieck, 1921-1936, pp. 16-18.
110
Cf. GUMPERZ, John et HYMES, Dell, The ethnography of communication, Washington, American
Anthropological Association, 1964.
Les travaux de Gumperz111 ont prouv que les variables sociolinguistiques ne sont pas
des units isoles et que l'emploi d'une variable est li l'apparition d'autres variables.
Utilises des fins communicatives, ces variables sont considres comme des signes
qui permettent l'interprtation et le dchiffrement de l'nonc.
111
Cf. GUMPERZ, John, Engager la conversation, introduction la sociolinguistique interactionnelle,
traduit par Michel DARTAVELLE, Martine GILBERT, Isaac JOSEPH, Paris, Minuit, 1989.
112
Cf. HYMES, Dell, Vers la comptence de communication, Paris, CREDIF-HATIER, 1984.
113
DUCROT, Oswald, SCHAEFFER, Jean-Marie, Nouveau dictionnaire encyclopdique des sciences
du langage, Paris, Seuil, 1995, p. 123.
114
Cf. BACHMANN, Christian, LINDENFELD, Jacqueline, SIMONIN, Jacky, Langage et
communications sociales, Paris, Hatier-Crdif, 1981, pp. 73-76.
115
Cf. BERNSTEIN, Basil, Langage et classes sociales, codes sociolinguistiques et contrle social,
traduit par J-C. CHAMBORDERON, Paris, Minuit, 1973.
symboliques, ainsi que leur subordination aux relations de pouvoir fondes sur le
systme productif et inscrites dans la structure de classe"116.
Sur le plan micro-sociologique, Bernstein a assimil la thorie de la construction
sociale du moi de G.H. Mead, qui lui a permis de souligner le rapport entre le rle
(ple social), l'esprit (ple subjectif), et la parole (ple linguistique ou symbolique).
Sur le plan sociolinguistique, Bernstein a beaucoup apprci les ides des
anthropologues culturalistes notamment Sapir et Whorf qui tait l'origine du
principe de relativit linguistique. Ce faisant, il a tent de transposer l'hypothse des
diffrences entre cultures aux diffrences entre strates sociales.
Ce linguiste a critiqu la psychanalyse qui a nglig le rle du langage comme un
oprateur actif de modelage social.
Bernstein a estim que les comptences linguistiques taient relatives aux expriences
psychologiques et sociales des interlocuteurs. Ceux-ci ont des codes diffrents compte
tenu de leur classe sociale et des expriences qu'ils ont acquises au cours de leur vie.
Au cours de son travail, il a cherch dnaturaliser les diffrences de russite
l'cole en prouvant qu'elles relevaient plus de l'inadquation entre la langue enseigne
l'cole et celle que l'enfant apprenait chez lui, que de la possession d'une excellence
naturelle.
Pour ce linguiste anglais, nous pouvons distinguer deux codes: le code restreint, celui
des classes dfavorises, et le code labor des classes suprieures. Les deux codes
divergeaient au niveau linguistique, au niveau psychologique aussi bien qu'au niveau
comportemental. Parmi les caractristiques de la langue des classes dfavorises
figuraient les suivantes:
Par contre, le code labor se caractrise par la frquence des phrases subordonnes,
le choix pertinent des adjectifs et la signification explicite des propositions.
Il a toujours insist sur le fait que les checs scolaires des enfants appartenant aux
classes populaires ne sont pas dus leur handicap, mais au fait qu'ils n'ont accs qu'
un seul code linguistique restreint. Pour lui, ces enfants taient capables d'avoir
recours des variantes labores, mais que les situations sociales dans lesquelles ce
recours tait possible taient rares. Pour remdier ce problme, il a suggr
d'apprendre ces enfants des modes de comportement langagiers autres que ceux qui
vhiculaient dans leur entourage familial. Il a ainsi encourag le dveloppement des
recherches en sociologie de l'ducation, afin d'adapter les professeurs une diversit
de modes d'expression.
116
Cf. http://www.melissa.ens-cachan.fr/article.php3?id_article=244
117
BERNSTEIN, Basil, Op.cit., p. 40.
Progressivement, l'opposition binaire entre les deux codes a t conteste et
les linguistes ont vu qu'il s'agit plutt d'un continuum.
"Ce qu'il est possible de retenir parmi les travaux (de Bernstein), dans la
perspective de l'tude des marques d'usage du vocabulaire, c'est que la
reprsentation et l'intriorisation de l'ordre social s'oprent
principalement par l'intermdiaire de formes de langage diversifies et
que celles-ci sont relies la diffrence des situations et modes
d'apprentissage, socialisation et inculcation morales, communication
psychologique, exprimentation cognitive"118
Tous ces chercheurs ont fray, sans nul doute, la voie la sociolinguistique et ont
contribu lui donner le statut de science. Toutefois, cette discipline doit beaucoup au
linguiste amricain William LABOV119, fondateur de l'cole variationniste.
"La sociolinguistique variationniste a dcrit toutes les formes de
variations constates qui ne sont pas d'ordre strictement individuel. Elle a
montr qu'il existe une variation sociale, qui s'exprime par la
stratification sociale d'une variable linguistique, et une variation
stylistique qui apparat lors des changements de registres de discours (du
formel au familier) par un mme locuteur"120
L'htrognit se lit sur les deux plans: "interindividuelle" et "intra-individelle".
Labov a, effectivement, prolong les travaux de Meillet tout en changeant de
mthodes: si Meillet a tudi les langues mortes, Labov, a quant lui, opt pour une
science de terrain.
Pour Labov, la langue est un systme caractris par la variabilit, et la premire
donne dans le fonctionnement de la langue est son htrognit. Labov a estim que
pour comprendre l'volution d'un changement dans la langue, il tait indispensable
d'tudier la vie sociale de la communaut o il s'est produit. Et ce tant donn que la
socit reprsente une pression immanente et active qui s'exerce constamment sur la
langue. Le langage est, par la suite, outil de communication, mais galement un
marqueur d'identit. C'est le milieu de socialisation plus que le milieu familial qui a
une influence sur les pratiques langagires. Dornavant, la sociolinguistique va
s'intresser l'tude des pratiques qui ne sont pas conformes la norme.
118
LESIGNE, Hubert, Op.cit., p. 16.
119
Cf. les ouvrages de LABOV, William, Sociolinguistique, Paris, Minuit, 1976 et Le parler ordinaire,
la langue dans les ghettos noirs des Etats-Unis, traduit par Alain KIHM, Paris, Minuit, 1978.
120
DUCROT, Oswald, SCHAEFFER, Jean-Marie, Op.cit., p. 121.
Toutefois, cette hypothse est discutable puisque le crole qui tait considr comme
point de dpart est ambigu: le linguiste n'a jamais dat ce crole ni prcis ses
locuteurs.
Par ailleurs, il a mis en valeur la notion d'"inscurit linguistique" qui poussait les
membres de la petite bourgeoisie adopter des formes de prestige mme s'ils ne les
matrisaient pas parfaitement. Pour Labov, l'inscurit linguistique donne lieu
l'hypercorrection, phnomne qui dsigne une volont d'application excessive d'une
rgle imparfaitement matrise. Il a ainsi mis en exergue la ncessit d'tudier le
langage au sein des relations sociales.
Outre Labov, J.A. FISHMAN122 a jou un rle ne pas ngliger dans la promotion de
la sociolinguistique. Pour lui, la microsociolinguistique concerne la situation et les
interlocuteurs, alors que la macrosociolinguistique englobe des lments plus
gnraux tels que la ralit sociale.
Il a group les situations en domaines ou contextes institutionnels qui dictaient les
relations linguistiques. Ces domaines sont au nombre de cinq: la famille, les amis, la
religion, l'cole et le travail. Dans chaque domaine, il existe trois facteurs majeurs: le
rle des interlocuteurs, l'espace ou le lieu et le temps de l'interaction. Fishman a repris
l'ide dj formule par Gumperz de "rseaux de relations". Il y a ceux qui sont
ferms o existe une seule varit et ceux qui sont ouverts et admettent la prsence de
plusieurs varits. Les types d'interaction sont soit d'ordre personnel soit d'ordre
transactionnel.
121
http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/sy/sy_288_p0.html
122
Cf. FISHMAN. J, Sociolinguistique, Paris, Nathan/Labor, 1971.
"D'un ct, on raisonnait plutt en termes de catgories
socioprofessionnelles peu ou mal dfinies (middle class, upper working
class, lower working class, etc), de l'autre on raisonnait plus volontiers en
rfrence la sociologie d'origine marxiste, en mettant l'accent sur les
conflits de classes, sur leurs intrts divergents, avec une tendance au
binarisme (proltariat/ capitalistes, domins/dominants, etc). Il en
dcoulera du ct amricain une tendance vers les typologies froides,
coupes de toute analyse des rapports de force, face une
sociolinguistique europenne, en particulier celle que l'on qualifiera de
native, plus encline voir les faits sociaux concrets derrire les faits de
langue [. . .]"123
De par ce qui prcde, nous remarquons qu'abstraction faite de la voie choisie, tous
les linguistes s'unissent sur le fait que le domaine principal de la sociolinguistique est
la langue considre comme une activit socialement localise. Elle s'intresse aux
diffrences sociales qui se refltent dans les divers niveaux de langue: niveau soutenu
ou de prestige vs niveau familier stigmatis.
A cet gard, il convient de souligner que si la notion de registre renvoie la capacit
des locuteurs de changer leurs conduites langagires en fonction des situations de
communication et leur comptence d'oprer des choix entre les diffrentes strates
lexicales, celle de niveau parat plus adapte notre tude. Le niveau correspond la
ralit de variantes sociolectales ainsi qu'aux habitus langagiers dominants. Il renvoie
"une stratification des parlures en usage dans le corps social, qui peuvent
tre l'objet d'valuation de la part de chacun, et dont l'observation et
l'interprtation relvent d'une approche sociolinguistique"124.
Ce qui laisse entendre que niveau rfre aux indices lexicaux ayant rapport aux
paramtres socio-culturels et l'chelle linguistique gradue qui sous-tend une
attitude pjorative-mliorative, ce qui est en opposition avec le registre qui est neutre
cet gard.125
Dans notre tude, nous allons nous baser sur l'approche de la sociolinguistique
co-variationniste tablie par Bernard LAKS qui a cherch ignorer volontairement les
diffrences perceptibles entre les agents. La sociolinguistique co-variationniste
"quand ayant construit des groupes, des classes ou des couches sociales
(plus ou moins) homognes, entreprend d'en dcrire les pratiques
linguistiques, subsistant ainsi aux locuteurs effectifs de l'enqute un
locuteur moyen, sans histoire et sans corps, reprsentant idal d'un
groupe social construit comme homogne. Sans s'interroger sur leur
pertinence, le traitement co-variationniste dtruit les diffrences
linguistiques et sociales que toute enqute fait apparatre entre deux
locuteurs appartenant la mme classe"126
123
CALVET, Louis-Jean, "La sociolinguistique et la ville, hasard ou ncessaire?", pp. 46-47.
124
LESIGNE, Hubert, Op.cit., pp. 47-48.
125
Cf. MULLER, Bodo, Le franais d'aujourd'hui, Paris, Klincksieck, 1985, p. 17.
126
LAKS, Bernard, Op.cit., p. 79.
Deuxime partie
Les procds smantiques de formation
lexicale
Quels sont les termes les plus employs en FCC et comment sont-ils forms?
C'est afin de rpondre ces deux questions que nous allons tudier la cration lexicale
dans ce parler.
Toute formation lexicale s'appuie sur deux composantes principales: la
premire concerne la signification du terme et la seconde s'intresse sa forme. En
d'autres termes, l'une est smantique, alors que l'autre est formelle.
Les procds smantiques s'intressent tudier la signification des signes,
leur partie conceptuelle, leur contenu. Ce faisant, ils groupent toute une panoplie du
vieil argot, de langues des communauts immigres sans oublier les figures de style.
Premier Chapitre
L'argot
"Il y a dans lutilisation mme de
largot, un plaisir qui est dj un
premier rsultat, une manire de se
moquer du non-initi, et donc dj
une tromperie en soi, une premire
tape vers la tromperie, une premire
satisfaction. [. . .]. Faire partie de la
Maison, de la Famille ou dun Ordre,
est en soi dj une force, sinon un
pouvoir127
Largot est un terme que nous entendons frquemment de nos jours, mais qui
demeure, force de subir une volution de sens, opaque aux yeux de plusieurs. Pour
certains, cest tout code incomprhensible que le profane peine comprendre, pour
dautres, cest le langage particulier un groupe professionnel. Il entre galement en
confusion avec la langue populaire ou encore avec le jargon. Face cet tat de choses,
il nous parat ncessaire voire indispensable denlever toute ambigut, relative ce
terme, ne du foisonnement des dfinitions qui lui ont t confres au fil des annes.
L'origine du terme est assez obscure, mais provient probablement du verbe argoter,
c'est--dire mendier. Au dpart, vers le XVme sicle, largot tait la langue des
brigands qui visait exclure les intrus et par suite, il tait incomprhensible aux non-
initis. Fonction cryptique oblige.
"Cest une langue trs code avec des termes qui nont rien voir avec le
franais, souvent dorigine trangre, parfois mme dorigine grecque
jusquau XIXme sicle. Cest une langue qui nest pas comprise de celui
qui parle le franais central. Cest la langue des bagnes, des prisons avec
des termes extrmement prcis, par exemple arton pour le pain"128.
Lapparition de largot, lpoque, tait due aux confrries des truands qui ont t
cres dans les grandes villes, notamment Paris. Elles taient appeles Cours des
Miracles ,
"car, lorsque voleurs et truands (quon nomme sabouleux, drilles et autres
narquois) y regagnent leur logis aprs une bonne journe de vol ou de
rapine, ils oublient les diverses infirmits et affections qui leur ont permis
dapitoyer le passant ou de lattirer dans un coin sombre pour le soulager
de sa bourse. Entendez que, une fois rentr dans son cloaque, le faux
bossu se redresse, le faux aveugle voit [. . .] comme par miracle"129
127
BECKER-HO, Alice, Les princes du jargon, un facteur nglig aux origines de largot des classes
dangereuses, Paris, Gallimard, 1993, p. 138.
128
DUNETON, Claude, Op.cit., p. 195.
129
MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, Toulouse, Les Essentiels Milan, 1997, p. 6.
Peu aprs et prcisment au XVIIme sicle, les voleurs ont form une
corporation qui leur tait propre et qui avait son baragouin. Ctait le Royaume de
lArgot.130
Ces facteurs sociaux ont t doubls par dautres facteurs littraires. Cest Franois
Villon que revient le mrite de rdiger ses ballades dans le parler de la Coquille, un
argot dune confrrie de malandrins 133. De loral, largot passe lcrit, la
littrature. Une avant-garde dauteurs a donn, vraiment, largot droit de cit. Souci
de ralisme oblige. N'oublions pas "La vie gnreuse des Mercelots, gueux et
Boesmiens" de Pchon de Ruby, dite en 1596 et qui constituait un glossaire de
l'argot des merciers. L'ouvrage tait suivi du "Jargon de l'argot rform" d'Olivier
Chreau en 1628 et de la "Response et complaicte au grand coesre" en 1630.
"Mais cest surtout partir de Vidocq que les crivains vont sintresser
la question. A commencer par Balzac lorsquil fera parler Vautrin dans
Splendeurs et misres des courtisanes. Hugo ne sera pas en resteDans
130
Cf. Ibid., p.8.
131
Ibid., p.11.
132
DUNETON, Claude, Op.cit., p. 196.
133
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De largot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 6.
les Misrables, le passage qui concerne largot est toujours vrai, toujours
actuel"134.
Il ne faut pas perdre de vue Molire dont les serviteurs et les laquais parlaient la
langue de la rue. Lintroduction de largot en littrature n'a fait quaugmenter les
chances de sa survie. Certains auteurs y ont recours pour faire parler des personnages
de la lie de la population, alors que dautres le mettent la bouche du narrateur ou du
hros.
Ainsi la littrature a-t-elle cess d'tre le champ dun style recherch, soutenu et
cultiv, un style qui scartait, la plupart du temps, de la langue courante mais qui
tait dict par la finalit esthtique de lart. La conception de la littrature a subi une
transformation. De cultive quelle tait, elle est devenue maille dexpressions
familires, de termes populaires, de rgionalisme, de vulgarisme et dargot. Il suffit de
jeter un coup doeil sur la production littraire dune oeuvre qui remonte aux XVIme
et XVIIme sicles et sur un roman crit au XIXme sicle pour tmoigner de la
divergence linguistique entre les deux littratures.
" Plus prs de nous, les auteurs de la Srie noire, comme Auguste le
Breton et surtout un vritable styliste comme Albert Simonin, ont donn
largot une part entire dans la chose crite. Reste Louis-Ferdinand
Cline, lcrivain franais le plus novateur du XXme sicle. A proprement
parler, il ncrit pas en argot, mais il construit son oeuvre dans le mme
mouvement que le crateur anonyme de la rue et des culs de basse fosse.
Cline prend les termes dargot que sa jeunesse parisienne lui a donns
tout chauds, il les malaxe, les transforme, les transpose au gr de sa petite
musique. Il invente, bien sr, il dforme, il se fout des rgles. Il travaille la
langue comme Rodin le marbre"135
Loeuvre de Raymond Queneau illustrait galement la mutation laquelle tait
expose la littrature franaise.
A cet gard, il nous incombe de faire la distinction entre la littrature en argot
caractrise par la profusion de ce niveau et son emploi par le narrateur aussi bien que
par tous les personnages, et largot dans la littrature o son usage est limit,
sporadique. Dans ce dernier cas, il s'agit d'une dose rduite enchsse dans le bon
style et surtout marque par une distanciation de la part de lauteur.136
134
BOUBARD, Alphonse, prface de la premire dition du Dictionnaire de largot franais et de ses
origines et cite dans la deuxime dition, Op.cit., p. VII.
135
BOUBARD, Alphonse, prface de la premire dition du Dictionnaire de largot franais et de ses
origines, et cite dans la deuxime dition, Op.cit., p. VII.
136
Cf. FRANCOIS, Denise, "La littrature en argot et largot dans la littrature" in Communication et
Langages, n : 25, 1er trimestre 1975, le Centre dtude et de promotion de la lecture, Paris, d Retz, pp.
9-25.
qualifis de familiers et ainsi de suite. Les frontires entre les diffrents niveaux ont
cess d'tre des cloisons tanches. Ce qui a favoris lapparition de largot commun.
"Les argots et la langue populaire se rejoignaient et cest une des raisons
qui ont permis aux termes des argotiers, des jargonneux de tel ou tel petit
mtier de passer du statut dargot particulier celui dargot commun avant
mme de transiter par la langue populaire vers la langue familire puis
vers la langue franaise circulante [. . .]"137.
Cest cette extension de la dfinition de largot qui nous intresse. Si au dbut, largot
tait le langage des malfaiteurs, des voleurs, des coupeurs de bourse, des bas-fonds,
des hors-la-loi et si son objectif primordial tait dtre cryptique afin de protger ceux
qui le parlent et dexclure tous ceux qui ne font pas partie du groupe; de nos jours, la
situation a beaucoup chang. Ce parler, cette langue verte, ce langage de la rue nest
plus lapanage exclusif des escrocs.
Ceci dit, largot dsigne actuellement soit largot des mtiers, o des termes chargs
de connotations viennent remplacer la terminologie officielle ; soit toute langue de
spcialit indchiffrable aux yeux du non-spcialiste (au mme titre du jargon) ; soit
le bas langage, la langue des groupes marginaliss.138 Dans cette dernire acception,
nous remarquons que largot subit un glissement fonctionnel : la fonction cryptique
est relgue au second lieu cdant sa place aux fonctions identitaires. Dans ce cas, il
s'agit de ce que les linguistes ont appel "argot commun". C'est un parler familier
driv de l'argot. C'est mi-chemin de l'argot et du jargon proprement dit, d'o sa
dsignation par "jargot" par Marc SOURDOT.
"De son origine, il a gard certains traits formels qui font quon peut
parler dun argot commun comme dun slang qui puise dans les divers
argots et qui est pratiqu, indpendamment de toute appartenance un
groupe social, par une large fraction de la population. Plutt que de parler,
dans ce cas, dargot commun, nous prfrons utiliser la notion de jargot
pour rendre compte de cette activit, rservant [. . .] argot commun et
jargon commun aux produits lexicaux issus des diffrentes activits
dargot et de jargon. Dans le jargot ainsi dfini, on ne retrouvera plus trace
de volont cryptique. Il se caractrisera, au contraire, par une prminence
des fonctions ludiques et connivencielles. Contrairement aux jargons et
aux argots, le jargot peut tre laffaire de tout un chacun, sans souci de
rfrence particulire aux besoins dun groupe dtermin. Cest pourquoi
dans le jargot, la notion de connivence, si elle est importante, doit tre
nanmoins entendue au sens le plus large. Elle fonctionne comme un
indice de reconnaissance pour tous ceux qui se retrouvent dans une faon
de dire, comme ils peuvent se retrouver dans une mode vestimentaire ou
esthtique"139.
Largot commun est donc moins opaque et plus diffus et l les mdias
contribuent dune manire efficace sa propagation, " la diffrence des jargons et
des argots que leurs spcificits tiennent lcart des grands moyens de diffusion. Un
quotidien comme Libration, par exemple, semble tre la fois un centre daccueil et
137
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, Comment tu tchatches ? Dictionnaire du franais contemporain des
cits, p. 13.
138
Cf. MULLER, Bodo, Op.cit., p. 213.
139
SOURDOT, Marc, "Argot, jargon et jargot" in Langue franaise, n: 90, Paris, Larousse-Bordas,
1991, pp. 24-25.
dlaboration de cette activit linguistique, tout autant quun moyen de trs large
diffusion, du moins dans les grandes villes et en rgion parisienne"140.
Notre roman est dot dune vaste nbuleuse argotique qui relve de ce que Marc
SOURDOT a appel le jargot. Toutefois, nous allons nous contenter de le dsigner
par argot commun faute de trouver jargot dans le dictionnaire. Il sagit de termes plus
ou moins rpandus qui nont pas perdu la tare de leur origine et qui sont employs par
les jeunes pour deux raisons. En premier lieu, pour souligner lappartenance des
protagonistes un certain milieu social, savoir les cits et les banlieues. Il sagit
dun sociolecte qui cherche la contre lgitimit linguistique pour afficher le dgot
des adolescents quant une socit qui les dlaisse. En second lieu, pour suivre la
mode langagire mise au got du jour grce aux mdias.
"[. . .] Il demeure que largot des cits se caractrise par sa fonction
symbolique : llaboration dun langage commun est destine avant tout
cimenter la connivence lintrieur du groupe en mme temps quil exclut
celui qui nen fait pas partie"141.
Cest ce que les linguistes ont appel la fonction identitaire.
"Les fonctions identitaires jouent pleinement leur rle et la revendication
langagire de jeunes et de moins jeunes qui se situent en marge des
valeurs dites lgitimes [. . .] est avant tout lexpression dune jeunesse
confronte un ordre socio-conomique de plus en plus ingalitaire,
notamment en matire daccs au travail. Les fonctions crypto-ludiques
noccupent plus dsormais la premire place, ce que rcapitule le tableau
ci-aprs."142
Le franais contemporain des cits regorge de termes dorigine argotique qui ont un
attrait particulier chez les jeunes, notamment chez les lycens soucieux de contredire
les normes du franais standard et dexprimer leur mcontentement.
140
Ibid., p. 25.
141
LIOGIER, Estelle, Op.cit., p. 43.
142
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De largot traditionnel au franais contemporain des cits", pp 13-
14.
"Il est le reflet langagier de la crise didentit que connat surtout la
jeunesse scolaire et tudiante, plus ou moins marginalise par rapport aux
circuits dintgration traditionnels. Confronte la massification des
enseignements secondaires et suprieurs, lapprofondissement du foss
des gnrations, la dvalorisation des diplmes et aux menaces de
dclassement, une importante partie de la jeunesse manifeste son dsarroi,
voire son anxit, notamment par le recours un signum de classe, ici
sociolinguistique, cest--dire des signes dappartenance un corps
cherchant se dfinir et saffirmer, se situer par rapport des systmes de
valeurs sociales et symboliques."143
Ceci dit, lhomognisation de la conjoncture sociale des protagonistes a men une
relative homognisation de leur comportement linguistique. Ils utilisent les mmes
units lexicales dorigine argotique.
Le hros Yaz dcrit la vie doisivet et de dsoeuvrement quil mne en ces termes :
"Comme je suis au chmage, il est prfrable que je ne reste pas trop
longtemps au plumard. Mon Daron, mon reup, mon pre a vite fait de
criser : cinq ans de chomedu, au palmars. Jai stopp lcole seize
piges, maintenant jai vingt et un hivers, avec limpression den avoir
le double tellement le temps stationne." (B. p. 10)144
Dans ce paragraphe, nous pouvons relever plusieurs termes en argot comme
plumard , daron , chomedu et piges , qui signifient respectivement lit, pre,
chmage et annes.
Le premier est driv de plume et remonte au XIXme sicle. Le deuxime provient
probablement du croisement de baron et de dam qui signifiait seigneur en
ancien franais. Autrefois, et plus prcisment vers 1791-1792, le peuple dsignait le
roi et la reine de France par daron et daronne. Les deux termes peuvent signifier, entre
autres, les matres et les patrons tenanciers de maison close.145
Chmedu et sa variante graphique chmdu, qui ont t drivs de chme vers le
milieu du XXme sicle, peuvent dsigner soit le chmage, soit le chmeur.
Le terme pige est un dverbal de piger et dsigne soit anne, soit ge. Un
parasynonyme de pige , balai . "Je nai plus dix-sept balais, pourtant, japprcie
autant que Grzi le coup de crayon des yeux brids."(B. pp.26-27). Balai date de
1976.
Toutefois, le terme le plus rpt parmi ceux-ci dans le roman est celui de daron .
"Mon Daron maurait tu. Une chose quil ne pardonne pas, cest bien le vol" (B. p.
14), soulignait le narrateur intradigtique aux policiers qui lont arrt en flagrant
dlit.
143
LESIGNE, Hubert, Op.cit., p. 66.
144
L'abrviation B rfre au corpus: DJAIDANI, Rachid, Boumkoeur, Paris, ditions du Seuil, 1999.
145
Cf. CERTA, Pascale, Op.cit., p.13.
depuis peu, trois ans environ, a du mal supporter que Maman mne
la danse la casbah, ils narrtent pas de sembrouiller. Cest
infernal." (B. p. 24)
Le pre ne veut pas que Yaz soit comme lui, il lui espre un meilleur avenir, ce qui le
pousse tre exigeant et svre avec son enfant : "Je mesquive, jentends mon
Daron gueuler : espce de voyou, il aurait d te tuer, cingl de ta race!" (B. p.159).
Il ne cesse de se moquer de son petit. "Comme lui racontait Maman, mon ge dj
bien avanc, je faisais encore pipi au lit. Ce qui me valut dtre rebaptis par mon
Daron Le Pisseur"(B. p. 107)
Le terme daron est dispers dans notre corpus et est rarement remplac par
pre . "Ce mme jour, mon grand brother Aziz mit en garde le Daron : il le
tuerait sil relevait la main sur elle."(B. p. 25) et plus tard la mme page
"A cette poque, le Daron travaille encore [. . .]. A la maison, nous le
savons tous : ce nest ni lge ni la fin de son alcoolisme qui ont stopp
les violences abusives du Daron, mais mon brother Aziz qui la K-
Otis jusquaux burnes dans ses lans" (B. p. 25).
Tous les rcits narrant les scnes familiales et les rixes conjugales comprennent le
terme daron . "Alors, pour esquiver les coups, Hamel avait cr un langage qui
lui permettait dentrer dans la casbah sans que le Daron sen aperoive." (B. p. 35).
Ce terme, relevant du vieil argot, va de pair avec la personnalit du pre. Cest en
quelque sorte un homme que nous craignons autant que nous avons piti de lui.
Chmeur, g, ayant perdu un de ses garons, il est incapable de se matriser et sa
nervosit npargne aucun membre de sa famille. Sa femme, sa fille et ses deux fils
subissent tous les effets de sa colre.
Les disputes domestiques jalonnent le quotidien de la famille vu lincommunicabilit
entre parents et enfants.
"Le Daron a foutu Mimi le chat dans un sac tanche et plouff.. !! dans
le fleuve qui a comme terminus la mer il la balanc. La sister
haineuse a lev la voix contre le Daron"(B. p.124).
La premire gnration narrive pas comprendre celle des enfants avec qui elle nest
pas sur la mme longueur donde. "Maman et le Daron se sont fchs avec Sonia, ils
naiment pas le got de la taxidermie" (B. p. 124).
Lattitude agressive du pre et ses reproches perptuels peuvent tre dus l'ducation
rigide dont il tait victime lors de son enfance.
"La boxe tait rserve aux bandits, et pour rendre ma mauviette de
Daron, homme, ils nhsitaient pas le droiter. En sang, il rentrait
la casbah" (B. p. 89).
Et plus tard,
"Mon ge est de vingt et un hivers, je porte un jean 501, un pull bleu,
sur mon poignet droit une gourmette en argent avec le prnom
dHamel, mon dfunt petit frangin, jhabite au 12e tage dune des
tours de la cit, je suis au chmage" (B. pp. 78-79).
En greffant des termes relevant du vieil argot sur leurs discours, les habitants des cits
notamment les jeunes affichent leur volont de contredire la langue standard et par
suite la socit bourgeoise. Cest un moyen mme de dvoiler leur colre, leur
insatisfaction voire leur mpris. Ils trouvent refuge dans des productions linguistiques
qui exploitent le vieil argot pour prouver leur ancrage social aussi bien quidentitaire :
les cits. Largot nest donc pas mort, il se renouvelle et se rajeunit travers le
franais contemporain des cits.
"Cest bien cette exubrance de la cration lexicale, ainsi quelle peut
natre au sein des groupes marginaliss ou qui se marginalisent, qui
constitue la vritable paradoxe dune part, des parlers quil convient
dsormais de dsigner par argots traditionnels, vieil argot, et dautre part
des parlers contemporains des cits"146
Parmi les autres termes argotiques en vogue dans les cits et rpandus dans le
roman, celui de mec qui dsigne un homme ou un individu quelconque. Il
semploie parfois comme terme damiti. Son usage est attest depuis le dbut du
XIXme sicle. Il dsigne dans notre corpus :
- Soit Grzi, lami du protagoniste. "Grzi est un mec trange, par instants il se
comporte comme si jtais sa meuf [. . . ]" (B. p.70)
- Soit lhomme que Grzi prtend avoir assassiner. "[. . .] moi je vais pas te parler
la Molire pour te dire que jai tu un mec" (B. p. 45)
- Soit les habitants des banlieues qui constituent l'entourage des deux protagonistes.
"[. . .] les mecs du quartier ont tu le temps en compagnie dun big
poste lazer, qui tire son alimentation de linterrupteur du hall
dimmeuble" (B. p. 19)
"Yaz, pour me faire pardonner, jai pris le temps de dicter Kurtis
les aventures des mecs du quartier, toi je lgue toutes ces histoires
vcues et immortalises sur ces bouts de papier [. . .]" (B. p. 157)
- Soit le mdecin qui est venu ausculter Grzi en prison.
"Une vraie grand-mre, ce mec gnraliste de la mdecine qui avait
t trs piquant le jour de ma prise de sang HIV aux analyses top
secret" (B. p. 156)
146
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, Comment tu tchatches ?, Dictionnaire du franais contemporain des
cits, p. 16.
- Soit les prisonniers avec lesquels Grzi est enferm. Ce sont les collgues de cellule
et cest cette dernire dsignation qui fait tache dhuile dans le roman.
"On sy retrouve enferm dix mecs, certains gardent leur caleon, la
peur du coup de la savonnette tandis que dautres ne se lavent que les
cheveux, sans mouiller leurs corps" (B. p. 147)
"Je veux changer de cellule, les mecs sont pas sympa avec moi" (B. p.
136).
"Y a des mecs qui prparent des mauvais coups pour quand ils seront
sortis" (B. p. 138)
Le terme est dans ce cas assorti dune connotation pjorative, il sagit des dlinquants
et des malfaiteurs que la prison na pu rprimander et dont les conduites et
comportements sont immoraux. La preuve en est le terme coup qui est aussi
argotique. Il signifie une entreprise plus ou moins dlictueuse et semble tre li la
notion de dlit. En prison, les bagarres sont de rgle et les dtenus sont des fauteurs de
trouble.
Dans ce contexte, lunivers carcral impose ses termes argotiques, dont celui
de maton . Ce terme dsigne le gardien de prison, il vient du verbe (mater)
signifiant regarder, pier. Son emploi dans ce sens est attest depuis la moiti du
XXme sicle. Il pourrait signifier entre autres, le Mouchard de la Sret, le policier ou
le dtenu espionnant pour le compte de lAdministration. La rcurrence de ce terme
est manifeste dans Boumkoeur . Nous le trouvons dans le discours o Grzi raconte
Yaz ses aventures en prison.
"Cette bote en carton scotche contre la porte permet galement au
maton de dposer le courrier que les potes lui envoient et aussi a
vite au gardien de demander si on a du courrier envoyer, car si tu
cris tu laisses dans la bote ta lettre et direct le maton la ramasse
(B. p. 145)
Et plus tard Le maton avant dentrer dans la cellule a scotch mon
nom sur la porte en dessous de celui de Kurtis qui est vraiment trs
intressant comme mec [. . .]" (B. p. 147).
Le maton est le responsable de scurit lintrieur du bagne . Cest le surveillant
charg de ne pas quitter des yeux les dtenus et dassurer le calme et lordre. En cas
de dispute, cest lui de sparer les parties antagonistes et davoir recours, si
ncessaire, la force. Toutefois, il lui arrive de fermer les yeux sur certains problmes.
"Quand y a embrouille, les mecs forment un bouclier, le maton de la
gurite ne voit rien. Ou, des fois, il fait en sorte de ne rien voir,
surtout si celui qui se fait balafrer est un pointeur. En zonzon, on
naime pas les violeurs, l-dessus les matons et les prisonniers ont le
mme combat : pas de piti, certains prisonniers ont des enfants
lextrieur, chaque mme est un peu leur mme." (B. pp. 137-138).
Remarquons que lauteur insre, partout, des termes argotiques qui conviennent au
parler des dtenus. Embrouille signifie une bagarre, un conflit, une situation
illgale, cest un dverbal de embrouiller avec une forte influence de litalien
(imbroglio), au sens de situation confuse. Les diffrentes acceptions argotiques du
terme ont paru dans les annes 50 du XXme sicle. Pointeur est un homme port
par les plaisirs sexuels, notamment en milieu carcral, c'est le violeur. Il est driv de
(pointer) au sens de possder sexuellement. Mme est lquivalent argotique de
joli adolescent ou enfant et est probablement driv dune racine
onomatopique expressive.
Entre dtenus, la prison nest quun "trou", une "cage" voire une "taule". "Maintenant,
je crois que tu nes pas aveugle, tu as bien devin, cest Grzi qui tcrit du trou." (B.
p. 126). Cette acception remonte 1725.
"Dans ma cage aux toilettes turques pour tuer le temps et langoisse jai fait trois
kilomtres de cent pas et quelques pompes" et dans la mme page "Ils mont fait
galrer dans une autre cage en attendant dtre face mes juges qui sans piti
allaient men foutre pour vingt-quatre mois." (B. p. 129).
Cette image de lenfermement est bien vieille et remonte au Moyen Age.
"Alors, coute, mon anniversaire cest dans trois jours, on va crire les histoires que
tu veux, ensuite je vais en taule." (B. p. 61) et plus tard : "Ils mont suicid
retardement en menfermant dans cette taule qui est vraiment lcole du crime et du
vice." (B. p. 128)
Ce terme parat driver de (tle), pierre paisse servant de revtement et aussi terme
dialectal dsignant la table manger. Il dsigne la prison depuis la fin du XIXme
sicle. Il peut galement signifier la maison close, ou tout local o on vit, dort, mange
et travaille.
Nous avons, dautre part, relev un terme faisant partie du champ drivationnel de
taule , savoir taulard qui signifie dtenu et dont lattestation crite date de 1915.
"Lorsquun taulard taborde avant de se prsenter, il te demande
comment sont les femmes lextrieur, bien sr tu lui dis quelles sont
bonnes [. . .]" (B. p.136).
Sadressant Yaz, Grzi qui purge une peine dit:
"Tu pourras, je crois, concrtiser ton travail grce aux archives de ma
mmoire crites lclat de cette encre noire, symbole de lespoir du
taulard que je suis ici-bas" (B. p. 157).
Le "taulard" se trouve perscut et humili par tout le monde sauf par le Pre qui vient
faire une messe chaque dimanche. "Avec le Pre, cest le seul moment o tu ressens
que tu nes plus un taulard, il est respectueux." (B. p. 152).
Le terme est charg de lide de lemprisonnement, doffense et de rpugnance. "Je
commence avoir une barbe du taulard." (B. p.88).
De son "trou", Grzi nous livre une description de la prison avec ses dlinquants et
son lexique. Outre les substantifs, lunivers carcral a galement prescrit le verbe
cantiner qui veut dire acheter des vivres la cantine de la prison, ou verser une
partie de ses gains pour sassurer le ncessaire. Do limportance de largent pour
rendre la vie supportable.
"Les toilettes sont trs proprement mises lcart grce un rideau
spcialement conu pour cela, condition davoir assez dargent dans
son pcule pour pouvoir le cantiner" (B. p. 135) et plus tard "Sous
loeilleton aveugl, il a accroch une bote qui lui permet de mettre les
feuilles cantiner qui sont de toutes les couleurs et chaque couleur
reprsente le jour o lon veut recevoir ses provisions." (B. p. 145).
Les parties du corps en franais standard ont t presque souvent remplaces par leur
quivalent argotique. Le nez nest quun pif . "Une fois dehors, le vent glacial na
pas tard me faire rougir le pif, pas une silhouette dans les parages" (B. p. 39). Ce
terme remonte au dbut du XIXme sicle.
Les cheveux se muent en "tifs": "en ce qui concerne mes tifs, je me suis ras car je
nai jamais aim lhritage" (B. p. 60). Le terme vient sans doute du dauphinois
(tifo), cest--dire paille et date de 1883.
Autre drivation verbale: engueuler qui veut dire rprimander et injurier. Ce verbe
qui a fait son apparition vers 1783 est pass aujourd'hui dans lusage familier. Le
verbe correspond lide de la violence verbale du fait de la force sonore du discours.
"Quand je suis entr pour la premire fois de ma vie dans une salle de
boxe, je mtais fait engueuler, je ne tapais pas assez fort sur ce vieux
sac rapport du Mexique qui est mort depuis" (B. p. 91), raconte le
pre.
Nous avons galement relev dautres parties du corps qui ont t dsignes par
des termes argotiques et qui sont relatives la sexualit. Ce qui les revt dune
certaine vulgarit. Cest le cas de trou de balle qui signifie lanus et qui remonte au
XIXme sicle. Dcrivant une pripatticienne, Yaz dit "[. . .] son trou de balle tait
bouche par une beute [. . .]" (B. p. 86).
Le sexe de la femme est, de mme, dsign par con .
"Le pistonnage de mon magma dans son con ocanique sera rythm
par les tambours de lamour jusquau compte rebours du jet final
qui sera plus violent que Big Bang" (B. p. 55).
Le terme vient du latin (cunnus) qui avait le mme sens. Lusage de ce vieux terme
franais est si rpandu quil se dtache, chez certains, de son origine argotique.
Toutefois, il demeure charg d'une connotation trs pjorative.
"[. . .] Con est un de ces termes qui, bien que trs frquent dans tous les
milieux, constitue un strotype sociolinguistique assez unanimement
condamn, 20% des tmoins seulement le situant dans la zone du familier.
Preuve quil a gard, au-del de son origine sexuelle, toute la charge
injurieuse de son unique syllabe et quil est toujours aussi pourchass dans
le corps social."147
Ce faisant, le terme en tant quadjectif est une injure signifiant stupide. Il sapplique
aux anims aussi bien quaux inanims et ce ds la premire moiti du XIXme sicle.
"Je sais, cest con comme jeu, mais a me faisait passer du temps" (B. p. 110).
Se blmant, Yaz dit: "con je suis" (B. p. 56) et Grzi lemploie pour qualifier la
femme de sa victime "Sa meuf, la conne, chialait me suppliant de ne pas tirer." (B. p.
48)
Nous avons galement relev le substantif connerie . "Si je russis mon bouquin
avec mes conneries et celles des autres, je minscris direct au gymnasium" (B. p.
29). Le terme est employ pour rfrer tout acte, pense ou parole stupide. Ce terme
trs usit demeure exclu du bon usage.
Lanus de la femme est, par ailleurs, dsign par le terme fion . "Parat y a de la
femme, grave mortel. On raconte que pour prendre des formes elles se mettent les
fils dans le fion" (B. p. 29). Lorigine de ce terme est inconnue mais parat remonter
au XIXme sicle. La citation comprend deux autres termes qui sont d'un usage trs
rpandu en FCC: "mortel", adjectif ayant deux acceptions contradictoires: bon et
mauvais et "grave", adjectif qui a subi un changement de classe grammaticale en
devenant un adverbe polysmique: il signifie soit nul soit beaucoup.
147
LESIGNE, Hubert, Op.cit., p.199.
En ce qui concerne le pnis de lhomme, il est substitu par plusieurs quivalents
argotiques, tels que bite , queue , zob , chibre et ququette . Mais cest
bite qui se trouve le plus employ. Urinant au lit, la mre de Yaz a d lamener
chez le marabout.
"Ce jour l, je neus pas limpression que ce vieux sorcier marabout
puisse faire quoi que ce soit pour le problme qui mhabitait, moi et
ma bite." (B. p. 107).
Etant chez le marabout sorcier, Yaz imagine le dialogue suivant :
"-Tas un slip sous ta robe ?
- Non, car jai une petite bite, que je lui faisais me rpondre" (B. p. 110).
Parlant de Favielitto qui a perdu six doigts lors dune fausse manoeuvre larme,
Yaz dit "souvent les Gremlins le taquinent et lui disent quil les a perdus en se
branlant avec sa bite gone" (B. pp. 49-50).
Le terme vient probablement de lancien franais abiter au sens de toucher. Il
remonte au XVIme sicle.
Evoquant les dtenus qui se livrent des actes sexuels, la pdophilie, Grzi dit:
"Quand je repense au mchant gorille qui avait mis la mousse du
savon de Marseille sur sa queue pour pouvoir senfiler son prservatif
qui tait trop mince pour son gros zob denculeur, parat-il que le
savon de Marseille est un parfait lubrifiant [. . .]" (B. p. 150).
Outre queue , la citation comporte zob qui lui est un parasynonyme mais qui
constitue un emprunt de larabe maghrbin et nous allons ltudier ultrieurement148.
Quant chibre , son origine est obscure, mais peut tre lie lallemand "schieber"
au sens de pousseur. En prison, le sexe est un moyen dvasion.
148
Voir p. 131.
"Le bout du chibre tout huileux je commenais avoir des chaleurs et
sentir des crispations au niveau de mes membres infrieurs jusqu
mes dix petits orteils" (B. p. 143-144).
Nanmoins, les deux noms argotiques qui ont, au vrai sens de terme, tendu leur
ventail sur Boumkoeur sont couilles et cul . Le premier signifie le testicule, il
est driv du latin vulgaire colea. Ce terme fameux est employ depuis le Moyen Age
comme symbole de virilit. Dcrivant le local qui lui sert de refuge, Yaz souligne: "A
bbord, il y a trois piles de tracts format A4, leves au mme niveau que mes
couilles, cest--dire un mtre de hauteur" (B. p. 74).
Le mme terme a t employ par Grzi : les jeunes des cits se trouvent de la sorte
souds, au niveau social, par la pauvret et le dsoeuvrement et, au niveau
linguistique, par le mme parler.
"Dans le car btail, jtais empoign par cette salope de paire de
menottes. Impossible de me gratter le pif ou les couilles aprs quun
moustique ma tranquillement piqu mon sang" (B.. p. 130).
Imaginant le jour de la libration des prisonniers, Grzi dit:
"Certains vont aussitt se faire dorloter par des prostitues bien
intentionnes, puis ils se tapent un bon restaurant avec le meilleur
vin. Enfin les couilles vides et lestomac bien plein, le plus dur reste
faire, les retrouvailles avec la famille qui ta pleur chaque jour alors
que toi goste tu lavais dj oublie ds le premier jour de ton
entre." (B. p. 153).
Le terme entre dans les locutions avoir des couilles qui signifie tre viril et
courageux et ne pas avoir de couilles qui souligne la lchet. Ces deux locutions
datent du XVIIIme sicle.
Voulant se suicider, Grzi met le canon sur le gosier et se demande "jai les couilles
ou jai pas les couilles de menvoyer en lair ? [. . .] jai pas les couilles, mais de
toute faon je suis dj mort" (B. p. 59). Il nest pas si audacieux pour prendre une
telle dcision.
Passons maintenant cul qui signifie la partie basse et charnue du tronc humain et
qui remonte, linstar de couille , au Moyen Age.
Yaz emploie ce terme plusieurs reprises. "Une fois lembrouille de mes vieux
esquive, me voil le cul sur la rampe descalier" (B. p. 30). Et plus tard, "la porte
claque derrire moi, je pose mon cul sur la rampe et jatterris plus rapidement que
Flash au rez de chausse." (B. pp. 56-57). Dcrivant la cave o il se cache avec
Grzi, le hros dit "le lit, une maigre chaise en ferraille que mon cul a vite fait de
rchauffer aux 37 degrs rglementaires" (B. p. 64).
Le terme fut galement utilis lors de la description du Grzi "il me rejoint, posant
son cul sur la chaise la plus pourrie, la ferrailleuse." (B. p. 104), et lors de la
description du pre vaincu "Il se releva comme un seul homme quand il prit
conscience quil avait le cul par terre, dj trop tard, a faisait au moins vingt
secondes qui staient coules." (B. p. 102).
Le terme a t employ par le Daron lui mme qui soulignait son effroi lors dun
match de boxe: "je sens mme la transpiration qui a transform ma raie du cul en
gouttire" (B. p. 99).
En prison, les photos des femmes notamment nues constituent un plaisir. Grzi nous
livre une image de la cellule de deux prisonniers en ces termes:
"Leur univers est trs classique. Une tl couleur branche sur le
cble, un poste laser, des posters de cul accrochs sur les quatre murs,
un bureau avec plus de stylos quun bachelier pourrait en rver" (B.
pp. 134-135).
Le terme entre dans la locution trou du cul qui signifie un personnage ou une chose
insupportable et imbcile. "Le mitard, ici, cest considr comme tant le trou du cul
de la zonzon" (B. p.133).
Notre corpus est bourr de termes drivs de cul . Cest le cas de encul ,
enculeur et enculer . Le premier dsigne un homosexuel passif et semploie de
faon uniquement injurieuse. Il date de 1860.
Il fait une carrire honorable dans ce registre jusqu nos jours, o il est
facile de constater que la frquence de son emploi, particulirement chez
les jeunes, crot et embellit au point de le rendre presque banal. 149
Il peut tre utilis au sens figur comme insulte. Comme cest le cas de Yaz qui y a
recours pour qualifier son pote Grzi qui ne lui donne pas un coup de main.
"[. . .] et je ne sais pas pourquoi je me sens chuter comme si sur le
ring je mtais ramass une froce droite qui me met K-O. Le Grzi,
lencul, ne tente pas de me retenir" (B. pp. 114-115).
De mme, Grzi lemploie soit pour dsigner sa victime imaginaire: "Ct encul
mavait foutu un coup de boule en tratre qui ma pt mes deux dents de devant"
149
MERLE, Pierre, Le prt--parler, p. 148.
(B. p. 47); soit pour rfrer Yaz: "Je tai tout racont, fais pas lencul, faut que tu
maides"; (B. p. 49) et il insiste le rpter un peu plus tard "[. . .] fais pas lencul !
Aide-moi Yaz" (B. p. 50).
Encul semploie au sens propre pour dsigner les homosexuels en prison. "Cest
une rgle on aime et respecte les enculeurs, mais pas les mmes faveurs pour les
enculs" (B. p. 144).
En prison, les enculs subissent lhumiliation, la honte et le rejet, alors que les
enculeurs nhsitent pas se montrer.
"Le mchant gorille sortit sa glace travers la cage, il appela la 218
avec le reflet de son miroir il put voir son interlocuteur qui lui aussi
grce sa glace pouvait voir la tronche denculeur du mchant gorille
qui ne se cachait pas pour faire comprendre la 218 quil avait bien
pris son pied, tandis que le pauvre gentil gorille pleurait de chaudes
larmes avec pour moi un regard trs attendrissant" (B. p. 144)
Lenculeur est lantonyme de encul , cest l'homosexuel actif et lexpression
prendre son pied signifie prendre du plaisir quelque chose, se donner du bon
temps, prouver lorgasme.
Le verbe enculer signifie soit sodomiser soit tromper. Dcrivant les tatouages qui
couvrent les corps des "taulards", Grzi souligne:
"jai fini par comprendre : un point, lemblme du solitaire, trois
points, mort aux vaches, cinq points, seul entre quatre murs, dix
points, jencule la justice jusquau bout des doigts, je lai sur ma
peau" (B. p. 147).
Le verbe entre dans la locution va te faire enculer utilise lors des situations de
colre pour insulter une personne qui nous a nervs, comme nous lavons vu avec
Grzi mis hors de lui quand Yaz na pas assimil rapidement ce quil a dit. "Va te
faire enculer, je suis calme, si tu comprends pas ce que je te dis, moi je vais pas te
parler la Molire pour te dire que jai tu un mec" (B. p. 45).
Le franais contemporain des cits est une langue crue, o la pudeur et la puret font
dfaut et o la sexualit foisonne. Ce faisant, plusieurs verbes relatifs lacte sexuel
ont t relevs, comme titre dexemple le verbe baiser qui signifie possder
sexuellement, du point de vue de lhomme. Cest un verbe rotique qui a fait son
apparition ds le XIIme sicle et est pass du sens gnral, porter les lvres sur une
partie du corps dautrui pour manifester concrtement une relation affective, la
possession amoureuse.
Dcrivant la pripatticienne, Yaz dit "On la baisait comme une chienne enrage
[. . .]" (B. p. 86).
Lacte de baiser suffit lui seul accrotre la valeur de lhomme aux yeux des dtenus.
"Lorsquun taulard [. . .] te dit ten as bais ? , bien sr, tu lui
confirmes "Oui", aprs a on se prsente." (B. p. 136).
Le dverbal baise signifie faire lamour et est trs en vogue aujourdhui bien quil
soit ancien (fin XIXme sicle). "Il faut dire, cest un beau gosse, a aide pour la
baise, surtout si en plus a lui rapporte des ppettes" (B. p. 12)
Autre verbe sensuel: galocher qui signifie embrasser sur la bouche en entremlant
la langue sur celle du ou de la partenaire. Le verbe vient de rouler une galoche. Il
parat vers les annes soixante-dix du XXme sicle.
"Pourtant je ne demande pas grand-chose compar cette belle au
bois dormant, qui, elle, rclamait un bon baiser sur la bouche pour
sortir de son coma. Elle sest fait galocher par un prince charmant, ils
se marirent et eurent beaucoup denfants" (B. p. 72).
Bander est galement un verbe connotation sensuelle, il signifie prouver un
dsir sexuel, tre excit, passionn ou tre en rection. C'est un emploi spcialis et
absolu d'un vieux verbe signifiant tendre. Parlant de la fille qui figure la une des
magazines, Yaz souligne: "son sexe, juste dy penser, me fait rver et bander pour
elle plus dur quun coup de poing de Mike Tyson" (B. p. 54).
Lexpression coup de queue rfre au cot. "Mon grand brother Aziz ne passe la
maison quentre deux coups de queue capote, daprs ses dires [. . . ]." (B. pp. 79).
Dans la citation, nous avons remarqu lemploi de ladjectif capote driv du
substantif capote qui dsigne le prservatif masculin et qui comporte l'ide de
recouvrir et de protger. Nous trouvons ce terme dans la description de la prostitue.
"Quand on a crach, elle a vid les rservoirs de nos capotes lintrieur dun
bocal et toute lumire elle sest tire" (B. p. 86).
Nous ne devons pas perdre de vue lexpression se faire mettre par quelquun qui
signifie tre possd sexuellement par lui et qui remonte au XIXme sicle. Evoquant
le dtenu encul, Grzi comprend pourquoi il nallait jamais en promenade, "tous
savaient quil se faisait mettre [. . .]. Cest une rgle on aime et respecte les
enculeurs, mais pas les mmes faveurs pour les enculs." (B. p. 144).
Lhomosexualit peut tre substitue par la pdrastie. "En prison, mme seul tu te
sens mal accompagn, certains vitent mme de se mater dans les glaces par peur
davoir se frquenter" (B. pp. 136-137). Le verbe se frquenter signifie se
masturber. Cest un emploi trs intime du verbe usuel, lacception courtiser est
plus rgionale voire plus rurale quargotique.
Le FCC comporte, par ailleurs, des termes grossiers dont le plus important est
merde qui est venu se greffer sur les discours de Yaz. "Je suis dans la mme
merde. Nul nest cens ignor les lois. Je le cache, donc je suis complice aux yeux
de la justice [. . .]" (B. p. 64) et galement "mais le sport a demande beaucoup de
sacrifices pour se sortir de sa merde" (B. p. 63).
Dans ces deux citations, merde signifie un incident ou une affaire plus ou moins
grave, une situation difficile ou une chose mprisable.
Depuis le XIIme sicle, le terme est utilis comme une interjection exprimant le
mcontentement comme dans "Merde ! vas-y, allume, Yaz (B. p. 34) ou Merde !
les piles de la pendule ont t rackettes pour son walkman, plus aucune notion du
temps" (B. p. 44).
Ce terme est aujourdhui si rpandu qu'il est devenu plus familier qu'argotique. Il
vient du latin "merda" au sens dexcrment et a donn le verbe merder. "[. . .]
j'essayais d'effacer la noirceur des casseroles, la chauffe avait merd" (B. p. 142).
Parmi les verbes lis smantiquement la merde figure celui de chier qui signifie
dfquer.
"-O tu vas ?
-Je vais chier, a va me faire du bien" (B. p. 70).
Le verbe vient du latin (cacare), verbe trs ancien qui remonte au Moyen Age. "Je ne
sais pas comment la belle au bois dormant faisait pour se retenir, javoue l-dessus
elle a t hyper-forte : mille ans sans chier, cest du boulot" (B. p. 72).
Par suite, les toilettes, les latrines et les WC sont des chiottes. Le terme date de
1787. "Contrairement ma prcdente cellule, le chiotte nest pas recouvert par le
rideau spcialement conu pour cela." (B. p. 146).
Chier a galement une autre acception dans Il ny a pas chier . Lexpression
signifie assez hsit.
"Me faire emballer par Grzi, non merci, surtout quaujourdhui il
parat un peu nerveux, pas rassur, comme sil avait appris une
mauvaise nouvelle, y a pas chier [. . .]" (B. p. 33).
Le substantif, la pisse, paru vers le XIXme sicle, est de mme utilis. "Les poubelles
perces, la pisse et le sang se dchargent ici comme des champignons" (B. p. 20).
En prison, les cellules sont insalubres et provoquent la nause. "Ils mont peine
laiss dormir dans cette garde vue qui puait la pisse et la moisissure de crachats"
(B. p. 127) et "tout seul dans ma cellule, avec [. . .] un matelas quil a fallu choisir
rapidement et qui ont tous plus ou moins de grosses taches de pisse, de sang et de
sperme" (B. p.131).
Mais, il faut tout de mme se donner la peine de rendre les cellules propres.
"Aprs la fouille des matons, il a fallu refaire le mnage pour que la
cellule retrouve son ct nickel, elle rvle qui l'habite. Elle se doit
d'tre propre si tu ne veux pas passer pour un crado vis--vis des
autres dtenus qui ont vite fait de te coller une sale rputation" (B. p.
142).
Crado signifie sale, alors que nickel s'emploie comme adjectif invariable pour
dsigner une chose reluisante de propret.
De ce qui prcde, nous assurons que la culture qui prdomine les cits est une culture
des rues o les gros mots, les termes relatifs au sexe, la scatologie, l'obscnit
prdominent. Ceux-ci prennent place dans les diffrents changes verbaux, que ce soit
dans les relations conviviales, entre pairs de copain, ou dans les relations
conflictuelles, comme les rixes et les bagarres. Les interjections argotiques qui sont
d'accoutume accompagnes de gestes de main sont entendues quotidiennement dans
les tablissements scolaires, les halls des immeubles, les mtros et bien sr dans les
rues des banlieues.
Les jeunes de cit sont bien dans leur peau en employant des termes crus mme de
susciter le dgot chez les puristes. Ils y sont habitus et ne les trouvent gure
choquants. Ils y ont recours dans leur quotidien et apprcient leur usage.
"En dautres termes, les termes sales sont bons prcisment parce quils
sont mauvais et parce que leurs auteurs savent trs bien quils suscitent le
dgot et la rpulsion chez les partisans des bonnes manires"150.
Lobscnit de largot sexuel et des termes grossiers nous pousse aborder une autre
forme dindcence : les insultes avec en tte "putain", "pute".
"Il y a un phnomne tout fait atypique dans ce langage, cest le manque
dinventivit dans le domaine autrefois si foisonnant de linjure.
Entendons-nous bien : on sinjurie et on sinsulte toujours allgrement, en
banlieue, au ailleurs, au volant de sa voiture, dans les stades, dans la rue,
partout et tout le temps. Mais on le fait de manire traditionnelle"151.
A commencer par putain , nous pouvons assurer que ce terme archaque dsigne la
prostitue ou la femme dbauche. Toutefois, ds le dbut du XXme sicle, il est
employ comme formule qui exprime soit le mpris, soit simplement limpatience et
la mauvaise humeur (putain de); ou comme interjection exprimant le dpit et la
surprise.
Narrivant pas croire la disparition du torticolis, Yaz dit : "putain, je ny crois pas,
ma tte sest dbloque [. . .]" (B. p. 82)
Un parasynonyme de putain qui a paru vers 1230: pute . Face Grzi qui le
prcipite et le supplie de laider, Yaz rpond "je ne suis pas ta pute, je rflchis
[. . .]" (B. p. 50).
Lexpression fils de pute semploie comme injure ou comme interjection
emphatique, surtout dans le midi de la France et provient probablement de fils de
putain que nous avons vu un peu plus haut. "Javais jur la vie de ma mre que si
je le trouvais en dehors de sa cit, je le tuerais, ce fils de pute" (B. p. 47).
Il nexiste pas de grande diffrence entre les deux termes qui tendent se substituer.
Dcrivant les balades en prison, Grzi met en relief son dgot : "[. . .] je pourrais
encore ten crire des pages mais il faut la vivre pour la comprendre, cette pute de
promenade qui se finit toujours trop vite" (B. p. 139).
150
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 163.
151
MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, p. 23.
Il parat que les insultes sont, pour la plupart du temps, adresses contre le genre
fminin, la preuve en est lusage dune autre injure: pouffiasse . Le terme signifie
galement une prostitue, une femme peu avenante, une fille infidle en amour et
actuellement une femme quelconque. Grzi emploie ce terme, ressenti comme
particulirement misogyne, pour qualifier la tlvision en panne "Cette pouffiasse,
elle ne veut pas fonctionner, cest pas cool, cest lheure de mon Dragon Ball Z" (B.
p. 26).
De son ct, gonzesse semploie pour dsigner soit une femme soit une matresse.
Il est le fminin de gonze driv de litalien (gonzo), cest--dire individu stupide.
"Tes bizarre, toi, pourquoi tu pleures comme une gonzesse ?" (B. p. 38).
Passons maintenant aux insultes qui ont t adresses aux hommes. Nous allons
commencer par enfoir qui signifie limbcile ou le malfaisant. Cest un participe
pass substantiv d'un verbe qui veut dire souiller dexcrments. Ce terme qui date de
1905 est revenu fortement la mode dans les annes quatre-vingts. Yaz lemploie
pour qualifier son ami "Lenfoir ma fait un coup de bluff, le chargeur tait vide"
(B. p. 63).
Salaud se dit dun individu malhonnte, hypocrite, ignoble. Il est driv de sale et
du suffixe (aud). Il a paru vers la fin du XVIIIme sicle. Ce terme aujourdhui trs
rpandu et presque familier a t popularis vers 1946 par Sartre, en un sens
idologique (le bourgeois qui se donne bonne conscience). Le fminin salaude est
dsuet, la forme usuelle est salope. Sentant des remords, Grzi confesse son crime
Yaz. "Cest sr, jai t un vrai salaud, mais aujourdhui je paye entre quatre murs
toute la mchancet que je tai fait subir dans la cave du 123." (B. p. 127).
Dans le franais contemporain des cits, le fou nest quun cingl. C'est un adjectif
driv du participe pass du verbe cingler. Il a fait son apparition vers 1825 et est
pass dans lusage courant. Pour dserter larme, Yaz a d prtendre la folie.
"Larme, jirai jamais, faire la guguerre, ce nest pas trop mon kif. [. . .] quand
jai fait mes trois jours, jai jou au cingl pour ne pas tre incorpor" (B. p. 50).
Le fou et le drang sont de mme dsigns par le terme naze . Il est driv de nase
qui signifie un coulement morveux et pathologique chez les chevaux. Pour Grzi, si
Yaz ne jouit pas de la grce de la libert, il doit tre un "naze". "Mais il ne faut pas
prendre ses rves pour des ralits, je suis en zonzon. Jespre que toi tu en profites,
sinon tes vraiment un gros naze" (B. p. 150).
Le tar est aussi un terme argotique qui signifie un dfavoris par la nature,
surtout sur le plan intellectuel. Tel tait ltat de Grzi quand il a commis son crime.
"Jsais pas, ils mont rendu tar, sans faire exprs cest parti tout seul.
Mais cest sa faute. Il ma provoqu comme si jtais une baltringue,
tu vois, en plus, y avait des meufs qui me mataient" (B. p. 48).
Le terme baltringue signifie un individu peureux, trange au milieu et, par voie de
consquence, de peu dutilit pour certaines tches. Terme que nous trouvons dans:
"Je sais, le fait de ne pas avoir t crapule dans une bande de
mchants garons lui laisse forcment croire que je suis une
baltringue, une taroupette, une trompette, un crtin." (B. pp. 50-51).
Un parasynonyme de baltringue, flipette. "[. . .] j'tais bon pour la prison
perpte si je restais clou au sol, alors j'ai tap la fuite comme une flipette" (B. p.
49). Le flipette est la personne peureuse qui se laisse impressionner et qui ne relve
pas de dfi.
Lirrespect des engagements rend toute personne un lcheur , c'est le cas du pre de
Grzi qui la abandonn.
"Lavantage que jaurai, compar au rcidiviste qui ma racont sa
sortie, cest que moi jaurai pas supporter le regard pesant de mon
lcheur de pre, auquel je ne ressemble gure daprs ma mre qui
sest fait avorter de lui" (B. p. 155).
Quand ils veulent dsigner un individu peureux, les adolescents le nomment le
trouillard, terme form de trouille , cest--dire peur et driv de lancien franais
truilier au sens de broyer, et du suffixe pjoratif (ard).
Bien qu'il ne soit pas trop convaincu, Yaz a accept de rpondre aux demandes du
marabout-sorcier pour ne pas tre tax de "trouillard": "Je ne lui faisais pas
confiance mais comme Maman laimait, je ne voulais pas le vexer, et par la mme
occasion, je ne souhaitais pas quil simagine que jtais un trouillard" (B. p. 108).
152
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 216.
"remarques virulentes, de plaisanteries dsobligeantes et de moqueries
changes sur le ton de lhumour entre personnes qui se connaissent ou du
moins font preuve dune certaine complicit"153
Les jeunes de la cit aiment plaisanter, rigoler et rire mme si ces ricanements se font
au dtriment de leur apparence physique et de leurs comportements. A titre dexemple,
Yaz qualifiait sa soeur de numro . "Sonia, ma sister, elle aussi est un vrai numro
[. . .] je me vois mal lui raconter comment les mecs me chambrent, quand ils la
miment quatre pattes" (B. p. 80).
Le numro est lindividu original ou extravagant. Il date de 1901. Chambrer
cest se moquer de, railler, mettre quelqu'un en posture ridicule. Il est driv de
(chambre) au sens de lieu clos o peuvent sexercer des contraintes.
Et si Sonia est un numro, Aziz, quant lui, est un gigolo, cest--dire un jeune
homme entretenu par une femme gnralement plus ge de lui. "Gigolo ? mon
brother ? Peut-tre ?" (B. p. 12). Le terme vient de (gigolette) et du suffixe populaire
(o), il est pass dans lusage courant.
Tout individu ridicule ou grotesque nest quun guignol . Tel est le cas de Grzi
qui prtend tre tomb sur une somme dargent cache dans une cave. "Cest mon
cadeau danniversaire, Yaz, quil me salive avec son accent moins ridicule que celui
des guignols de linfo et leur racaille de marionnettes" (B. p. 106).
Cest un emploi dvalorisant du nom propre Guignol, clbre marionnette lyonnaise
qui guigne, cest--dire jette des regards furtifs droite et gauche.
Il arrive que les jeunes et les adolescents fassent circuler des rumeurs et des ragots
soit par rigolade soit par tromperie ou escroquerie. Do limportance du baratin
auquel a eu recours Grzi. "Son pre navait jamais t interpell par les keufs de la
police nationale comme son walkman lavait soi-disant bav. Encore du baratin
stratgique." (B. p. 119).
153
Ibid., p. 173.
Le "baratin" est un discours mensonger qui cherche tromper, berner quelquun; il
est driv du provenal barat, c'est--dire march frauduleux. Ce sens usuel tend
devenir familier. Baver signifie parler, dire des choses peu agrables entendre. La
parole mauvaise, mchante est assimile la bave. Ce verbe remonte la fin du
XIXme sicle.
Le terme baratin fut employ comme adjectif dans: "Ses oreilles naves
mitraillaient son enregistreur crbral de la tchatche baratine que les gars du
quartier composaient pour le dstabiliser." (B. pp. 84-85)
Par ailleurs, dans les cits, les bagarres, le vandalisme et les actes vindicatifs sont de
coutume et jalonnent le quotidien des habitants. "La remorque qui abritait notre
bureau sur le parking a t dvalise, puis crame" (B. p. 120). Cramer signifie
brler et vient de lancien provenal (cramar).
En raction cet attentat, Yaz opte pour une dmonstration de force. "Marre de subir,
jai remont mes manches, le dos rond et les poings castagneurs, je suis parti la
rencontre des jaloux" (B. p. 120). Le castagneur, paru vers 1974, est lindividu
vindicatif, le bagarreur.
Dans les cits et les banlieues, les adolescents tissent entre eux des rseaux
dinterrelation rgis par la petite dlinquance, le vol et le banditisme. Do lusage du
terme braquage signifiant attaque main arme. "La soire sera sans suspense, on
verra des jeunes basans, bien friss, faire soit des braquages soit senfoncer des
piquouzes dans les veines jusqu lOD" (B. p. 24).
La forme verbale est utilise dans "je lai braqu : il a commenc vocifrer, bien
que je lui dise de faire ses excuses et comme a je classais laffaire" (B. p. 48). Et
plus tard "Mimi le chat convoyeur stait fait braquer par Grzi" (B. p. 123).
Lorigine du verbe est obscure mais sans doute lie au terme bras. Il a paru vers la
seconde moiti du XXme sicle, plus prcisment vers 1980.
En ce qui concerne chiper , il veut dire prendre sans payer, soctroyer. Il vient de
chipe au sens de rognure dtoffe. "Lorsque je chipais des pices jaunes dans la
bourse du Daron, cest Hamel le petit frre qui copait" (B. p. 35). Ecoper est
attest depuis 1867 dans le sens de recevoir, de subir quelque chose de dsagrable
notamment une condamnation. Il vient du sens mouiller lcope utilis par les
jardiniers et il est pass aujourdhui dans la langue familire.
Un parasynonyme de coper, paru au milieu du XXme sicle, se ramasser .
"[. . .] et je ne sais pas pourquoi je me sens chuter comme si sur le ring
je mtais ramass une froce droite qui me met K-O [. . .] Un paf,
bim bam da boum nuclaire fait ma tte sur le btard de sol qui me
nique toutes mes connexions" (B. pp. 114-115).
Niquer signifie endommager, dtriorer. Toutefois, il peut galement signifier
possder sexuellement, tromper ou coter.
Mais la violence peut dborder et atteindre les meurtres. "Je ntais plus le chef de
ma chair, sa meuf et lui paniquaient, pleuraient en face de moi, javais limpression
quil me suppliait de les buter" (B. p. 49). Buter ou butter , cest tuer. Il date de
1821.
Dans ce rseau de corruption et de dlinquance, malheur celui qui dnonce ses potes,
en dautres termes malheur celui qui moucharde . "Les parents stonnent de
mon matriel vestimentaire, ils ne savent pas que cest largent dAziz. Je lui ai
promis de ne pas moucharder. Moi jempoche" (B. p. 80).
Moucharder est attest dans ce sens depuis 1893, il est issu de (mouchard) et du
suffixe pjoratif (-ard). Le mouchard est un indicateur de police, un dlateur, un
oeilleton permettant de voir lintrieur dune cellule ou un appareil servant exercer
une surveillance ou un contrle sur des machines et des camions.
Face aux problmes, beaucoup de jeunes sombrent dans lalcool et certains en abusent
au point de devenir des poivrots . Le "poivrot" est livrogne. Il est issu de (poivre)
au sens d'eau-de-vie et date de 1867.
"Je suis vert, mais vert de peine, pour une nouvelle victime de la
socit qui sera punie davoir commis un meurtre cause [. . .] dun
poivrot, facho comme un rat, qui possde chez lui une vritable
armurerie [. . .]" (B. p. 61).
Un quivalent argotique divresse cuite . "A la mort de grand-pre, il sest tap
une cuite, nous a racont Maman [. . .]" (B. p. 103). Cuite date de 1864 et est
pass aujourdhui dans lusage familier.
Labus dalcool se double dun autre flau non point moins nfaste, savoir la drogue.
Dans ce monde de dlinquants et de voyous, presque la majorit des jeunes ont connu
lexprience dtre soit des revendeurs soit des toxicomanes. A limage de ce que la
tlvision diffuse, les jeunes de la cit reconnaissent avoir eu recours la drogue pour
svader de la ralit et se lancer dans des hallucinations joviales. "La soire sera
sans suspense, on verra des jeunes basans, bien friss, faire soit des braquages soit
senfoncer des piquouzes dans les veines jusqu lOD" (B. p. 24).
Piquouze est, depuis le dbut du XXme sicle, lquivalent argotique de piqre de
drogue. Il est driv de (piquer) et du suffixe argotique (ouse).
Plus le jeune se sent dprim, plus il a recours la drogue. Se rfrant Grzi, Yaz dit
"il la (lallumette) frotte sur le sol, la flamme jaillit, il ralimente la braise de son
ptard qui sest pris une pause" (B. p. 38). Ptard est lquivalent argotique de
cigarette de haschisch, il vient de (pter) et du suffixe pjoratif (-ard). Son emploi est
attest depuis les annes quatre-vingts.
Ce terme a une autre acception galement argotique que nous distinguons dans la
description de Gipsy. "[. . .] les cheveux grisonnants dun demi-sicle, son visage
ple incrust de rides en ptard confirmaient ce quil tait, un homme libre" (B. p.
83).
Lexpression en ptard signifie, ds les annes vingt, en colre.
Exploitant, en effet, toutes les acceptions de ce terme argotique, Yaz l'emploie pour
dsigner, cette fois-ci, le revolver ou le pistolet. "[. . .] il est logique de bander sur
ptard avant de chercher te faire des bombes de meufs" (B. p. 26). Ce qui veut dire
quil faut tre bien arm si tu veux gagner les coeurs des femmes.
Dans les cits o le dsoeuvrement trne, o la misre rgne, o le banditisme bat son
plein et o la drogue trouve un terrain fertile pour se propager, largent est un moyen
mme dassurer lintgration la socit centrale. Do son importance. Les jeunes
tentent tout prix de sen doter, mme si cest par voie illgale : la vente de la drogue.
Cest ce que le frre an de Yaz a fait en dpit de lopposition et de linsatisfaction de
ses parents.
"LorsquAziz est de retour, il balance des tunes mes parents qui refusent de les
empocher, pourtant on ne roule pas sur lor" (B. p. 12).
Tune veut dire une pice ou une somme de cinq francs et par extension largent en
gnral. Au XVIIme sicle, il dsignait laumne mais cest partir du XIXme sicle
quil sappliquait la pice de monnaie et de 1987 largent. Ce terme a t rpt
plusieurs reprises. "Il acheta les babioles et avec la tune, Grzi minvita au Mac Do"
(B. p.16).
Cest la "tune", scrivant galement thune, qui permet aux jeunes des sorties aussi
bien que des femmes. "Le jour o jaurai une femme des magazines, a voudra dire
jai la tune [. . .]" (B. p. 52).
Et cest dans lintention de gagner de largent que Yaz veut crire un livre. "Cest
toutes ces aventures que je vais raconter, pour me faire des tunes gogo, pour que
a change" (B. p.18).
Autre quivalent argotique dargent, oseille , terme qui date de 1878 mais dont
lorigine est un peu obscure. "Comme cest toujours les mecs de lextrieur qui
prennent loseille en racontant des histoires ou en faisant des films" (B. p.18).
Le pre du protagoniste essayait de lui trouver un travail pendant les vacances pour
parvenir augmenter son salaire. "[. . .] le Daron mavait pistonn dans sa bote pour
que je puisse me faire un peu doseille, ou, disons plutt pour que mon paye gonfle
sa fiche de salaire" (B. p.76).
Toutefois, malgr son extrme pauvret, la famille rejette largent illicite de Aziz.
"Son oseille ne fusionnera pas avec leur petit budget" (B. p.12).
Les balles et les ppettes signifient galement largent. "Tout joyeux il en sort
cinq, dix, quinze, vingt billets de cinq cents francs, soit dix mille balles quil tale
sur la ronde table" (B. p. 105) et plus tard "la liasse de dix mille balles dans laquelle
il noyait son regard, ctait la ranon que ma famille lui remit, dune faon assez
folle" (B. p.116).
Balle rfre la monnaie dune livre ou dun franc. Elle est base sur leffigie que
porte la monnaie plutt que sur sa forme circulaire. Le terme remonte 1655.
Notons que ce terme fait partie de la locution cest de la balle signifiant cest super.
"Cest sr, cest pas de la balle, comme dit Kurtis, qui narrte pas de me rpter
que nos pomes sont caca. [. . .]" (B. pp.150-151). Au XIXme sicle, l'expression (a
fait ma balle) signifiait cela me convient, a vaut le coup pour moi.
154
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 14.
quant largent, le nerf de la guerre, cest le terme qui a (un) grand
nombre de synonymes : carburant, ppettes, pze, tune, sou, ou encore
pognon, un driv rgional de poigner qui signifiait dans le temps saisir
avec la main 155.
Outre le langage de lunivers carcral, les affronts verbaux, les gros mots, le FCC
comporte toute une gamme de lexique qui touche tous domaines et qui abordent tous
sujets. Prenant titre dexemple, le lexique du travail qui comprend les termes taf,
boulot et les verbes sacquer et bosser. Evoquant son frre an qui mne un
travail noir, Yaz dit:
"Aziz leur tchatche que la socit pour laquelle il travaille ne veut pas le dclarer, le
taf au black explique largent liquide, ils nen ont que faire, ils veulent voir des
fiches de paye" (B. p.12).
Taf est un quivalent argotique de travail, son origine est obscure mais peut tre
une apocope de tafouilleux, au sens de chiffonnier ou celui qui fouille dans les tas.
Le lieu o nous travaillons nest quune "bote", terme pjoratif donn divers
tablissements ou locaux : cabaret, cachot, thtre, atelier, lyce ou collge.
"Pendant les vacances, le Daron mavait pistonn dans sa bote pour
que je puisse me faire un peu doseille ou, disons plutt, pour que ma
paye gonfle sa fiche de salaire. Les compagnons taient vraiment des
bosseurs [. . .] il cassait les murs de bton arm en bouffant la
poussire. Il piochait le sol [. . .]" (B. p.76).
L'argot se multiplie dans la citation. Le verbe pistonner signifie favoriser
quelquun. Il a paru vers le milieu du XIXme sicle, il vient de (piston) au sens de
protection ou de recommandation de quelquun dinfluent. Piocher signifie
travailler durement et remonte au dbut du XIXme sicle. Bosseur se dit de
quelquun qui travaille beaucoup, qui aime le travail. La forme verbale bosser est
de mme employe.
"Depuis que jai arrt les cours de lEducation nationale ou depuis
que les cours de lEducation nationale mont sacqu, je nai pas
vraiment eu loccasion de bosser, pas assez dexprience comme
disent les boss" (B. p.10)
Le verbe constitue un abrgement de la vieille locution (bosser du dos) qui est attest
dans louest de la France au sens de se courber sur un travail. Le verbe dsigne en
gnral un travail honnte et non pas une activit du milieu. Il est plus populaire
quargotique.
Quant au verbe sacquer il signifie congdier, cest une variation picarde de
lancien franais sachier qui voulait dire tirer du fourreau, secouer. Il date de 1867.
155
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 9.
Plaquer quant lui signifie abandonner un travail et son usage dans ce sens est
attest peu avant 1544. "Il (Aziz) sest fait plaquer et donc na plus aucune rentre
dargent" (B. p.124).
Par ailleurs, le terme pompe a figur dans une autre acception: "L, comme le
soleil arrive, on trouve des mecs torse nu, les pompes sculptent leur corps et les
records se vrifient." (B. p.138).
Dans cette citation, il signifie un mouvement de culture physique assez pnible,
consistant dans la position plat ventre, faire monter et descendre alternativement le
haut du corps raidi, par la seule force des bras.
La malchance nest que la poisse , terme qui date de 1909. "De toute faon, dans
ce domaine, il a t vaccin, il est mme tomb dedans quand il tait tout petit. Grzi,
cest lOblix de la poisse" (B. p.113).
Le logement peut tre dsign soit par piaule soit par bahut. "Dommage, les
portes des chambres ne sont pas multivitrages parce que mes vieux font dborder
leur voix jusque dans ma piaule" (B. p.29). Le terme vient de lancien franais (pier),
cest--dire boire et remonte 1835.
"Je lai suivi en douce et jai vu o tait son bahut" (B. p.47). Le terme vient d'une
forme hypothtique (ba-ul) au sens de coffre ; lide est celle dun volume plus ou
moins humainement habitable. Il date de 1864.
Lhpital en argot est dsign par "hosto". "Depuis mon retour de lhosto, au rveil,
je nai plus le barreau [. . .]" (B. p. 124) et "le deuil de mon petit frre, je le passai
lhosto loin des miens" (B. p.37).
Il est issu du latin (hospitale) qui produit en franais htel et hpital. Il a de
nombreuses variantes de forme telles que hostau et hostiau.
Dautre part, parmi les verbes les plus usits dans le FCC figure celui de foutre . Ce
dernier a bon nombre dacceptions dont les plus importantes sont :
- mettre comme dans : "Le Daron a foutu Mimi le chat dans un sac tanche et
plouff ! !dans le fleuve qui a comme terminus la mer, il la balanc" (B. p. 124);
"Je me demande o il a pu foutre toutes ses sapes. Il ne va tout de mme pas aller
chez les keufs dans son habit vert" (B. p.64)
156
DUNETON, Claude, Op.cit., pp. 194-195.
"[. . .] je prfre garder cette vrit enfouie en moi, la premire dose quHamel sest
foutue dans les veines, cest dans la poche dAziz quil la trouve" (B. p.80).
Autre verbe argotique : jaser, signifiant parler trop ou faire une dnonciation. "Ce
privilge, dans le quartier fit jaser les gars tout frachement dtachs de leurs
cachots. Ils mavaient vu en train de chialer comme une madeleine [. . .]" (B. p.15).
Le verbe provient dun radical onomatopique qui est le mme que celui de gazouiller
et remonte 1867. La citation comporte chialer qui signifie pleurer, geindre, il fait
partie des verbes dialectaux dorigine onomatopique et date de 1847.
Dans les quartiers, les banlieues et les zones, on ne mange pas, mais plutt on
bouffe. La forme verbale est dorigine onomatopique, voque le gonflement des
joues et remonte au XVIme sicle. "Tes condamn bouffer la gamelle que la
prison te donne et tes oblig daccepter les affaires que la prison toffre." (B. p.153).
Par suite, la nourriture nest que la bouffe, terme qui date davant 1926. Concernant
la bouffe, Pascale CERTA assure que
"son apparition remonte au dbut des annes vingt, dj dans le sens de
nourriture. Alors jug grossier, il attend les annes soixante pour entrer
dans le langage de tous les jours. Aujourdhui, il ne choque plus personne,
saffiche sur les tee-shirts, au cinma et mme la devanture des
restaurants."157.
Parmi les autres verbes argotiques filer et se dfiler . Le premier est
polysmique et quivaut depuis 1835 des verbes exprimant la direction ou le
mouvement (donner, mettre, jeter, envoyer), alors que le second signifie se cacher,
157
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 20.
cest un emploi spcialis du verbe militaire, sans doute issu du bizutage consistant
faire dfiler sous une table les nouveaux arrivants, il remonte 1860.
Et "Le jour 1, comme tes stress, le mdecin te file des cachetons qui te calment. Le
mdecin ma aussi fil des clous de girofle pour camer ma rage de dents." (B.
p.156). Les cachetons sont les cachets pharmaceutiques.
Le verbe chatouiller , quant lui, signifie manoeuvrer, agir sur. "L-bas, petit, lui
disait Ben, au Mexique, la boxe est une religion, sils te voyaient chatouiller le sac
comme tu le chatouilles, crois-moi, tu serais la honte du pays" (B. p.89). Lorigine
du verbe nest pas assez claire, mais peut tre drive d'une formation onomatopique.
Coltiner signifie porter une lourde charge. "Le poison javellis de Grzi ma
coltin des ulcres. La fracheur du got de fraise est passe mais ils sont rests." (B.
p.121).
Le verbe est issu du (coltin) et date de 1835, le coltin est le fort des halles ou un
travail pnible.
Quand les ados veulent partir ou sen aller, ils emploient le verbe dgager . "Un
jour prochain, moi aussi je dgagerai de cette cit aux couleurs bonbons. Du
courage, il me faudra pour affronter le monde extrieur" (B. p.125).
Quand on est inquiet, quon plonge dans lanxit, on caille. "On raconte que pour
prendre des formes, elles se mettent les fils dans le fion, est-ce une obligation ?
Trop, cest grave. Je caille" (B. p.29).
Le verbe est galement employ pour souligner la froideur. "Cest mortel comme il
caille, jai limpression dtre dans mon frigidaire" (B. p.9). Le verbe est bas sur
limage du sang qui caille dans les veines soit du froid soit danxit.
Le verbe palper semploie en FCC pour signifier fouiller, il date de 1884. "Mains
prises, je suis dans limpossibilit de palper les objets qui mentourent" (B. p.74).
Quand on plaisante, quon veut rire et samuser, on rigole . "Il a rigol quand je lui
ai confess mon projet dcrire un livre" (B. p.122). Cest un croisement de rire et du
vieux verbe (galer) au sens de samuser. Il est actuellement pass dans lusage
familier.
De son ct, le verbe pter signifie en argot clater, craquer. "Ct encul mavait
foutu un coup de boule en tratre qui ma pt mes deux dents de devant" (B. p.47).
Il est issu de (pet), issu du latin peditum. Cette acception remonte 1585.
Ce mme verbe entre dans la locution se la pter qui signifie se la jouer, crner ou
frimer. "Aux premires questions tous lvent la main question de se la pter
gangster, mais aux secondes tous tapent le cameraman qui n'a pas senti le guet-
apens se renfermer" (B. p. 21); et plus tard "Le naturel revient souvent au galop, je
me la pte hip-hop, me sape rappeur [. . .]" (B. p. 32).
Le participe prsent du verbe s'emploie, d'autre part, comme adjectif. "Le dernier soir
dans leur cellule, un samedi, le premier du mois, le plus chaud des plus chauds
dans toute la prison, minuit ptante, un cho de voix s'chappa de toutes les
cellules [. . .]" (B. p. 143). Minuit ptante signifie minuit prcise.
Au lieu de dire coucher ou dormir , les banlieusards prfrent dire pioncer .
"Si lui il pionce, moi aussi je vais me taper un somme" (B. p.64). Cest une variante
de (piausser), issu de peau, au sens de lit fait de peaux de bte.
Finalement, le verbe gazer signifie agresser avec une bombe lacrymogne. "[. . .]
Elle (Sonia) l'a regrett: en pensant se parfumer, elle s'est gaze. Par mfiance,
j'avais recouvert ma bombe lacrymogne d'une tiquette de dodorant" (B. p. 53).
C'est un verbe polysmique qui peut galement signifier, se vanter, se moquer de
quelqu'un, courir, ou mme puer.
Passons maintenant aux expressions dominant le FCC et dont la plus employe est
poil signifiant tout nu. "Bonjour lhygine de certaines hynes qui nassument pas
de saccepter sans survt-baskets, de toute faon mme poil comme des vers, ils
restent habills de tatouages volont" (B. p.147).
"Il tait dans les rangs des professionnels, il a tir dans la catgorie des welters 67
kilos en slip la pese ou poil pour gommer les grammes en trop" (B. p.88).
Lexpression a paru vers 1858 et peut tre employe comme apostrophe plus ou
moins injurieuse.
Mais si poil signifie tout nu, dun poil signifie de presque rien. "Une fois jen
ai vis un, il tait pile sur ma ligne de mire, je lai rat dun poil, tant mieux, ctait
le chat de ma sur" (B. p.81).
Ladverbe pile dans la citation signifie exactement, il peut former avec poil une
expression ayant le mme sens. A propos de la remorque, nous entendons: "son
volume est pile poil celui dun bureau" (B. p.18). Cette expression a pris naissance
vers 1995.
Quant la locution adverbiale que dalle , elle signifie rien du tout . "Un petit
zoomage dans la fente de ma bote aux lettres, y a que dalle, bonne nouvelle pas de
nouvelle" (B. p.31). Cette locution est devenue trs populaire avec le verbe
comprendre et ses synonymes. "[. . .] le plus vieux des gorilles qui avait les plus
mchants nerfs me demande de faire un drapeau avec une feuille cantiner,
bouche be javais pig que dalle, ils comprirent de suite jtais un primaire" (B.
p.195).
En ce qui concerne avoir la dalle , cest une locution qui a paru vers 1960 pour
signifier avoir faim. "Pas le temps de prendre une douche, jai la dalle, dans la
cuisine rien mettre sous la dent" (B. p.52).
Faisant allusion au crime dans lequel Grzi est impliqu et qui risque de se
compliquer davantage, Yaz a eu recours lexpression tourner au vinaigre qui
signifie finir mal. "Grzi les frquente trop souvent mon got, mais il est oblig sil
ne veut pas se trouver seul et sans renfort les jours o a tournerait au vinaigre
pour lui" (B. p.27). Lexpression nest pas rcente et date de 1894.
Un de ces quatre matins est une expression voulant dsigner un de ces jours. Elle
remonte la premire moiti du XXme sicle. "[. . .]. Sans la solidarit des voisins,
on serait carrment dshydrat lun de ces quatre matins" (B. p.27).
Le fait de svanouir se traduit en argot et en FCC par la chute dans les pommes .
Lexpression date de 1889. ". En urgence, on me dposa de nouveau sur le billard
pour stopper lhmorragie aggrave par ma chute dans les pommes. Le deuil de
mon petit frre, je le passe lhosto loin des miens" (B. p.37).
Tomber dans les vapes signifie de mme svanouir. "Un jour aprs un violent
combat, Maman tomba dans les vapes en sang" (B. p.24).
Lexpression dans les vapes tout court signifie tre hbt, sous leffet soit dune
drogue soit dun choc physique ou moral. Elle remonte 1935. "La gueule encore
dans les vapes, et la voix mollardeusement rauque du rveil" (B. p.68).
Quand on napprcie pas trop une situation ou une chose, on emploie cest pas le
pied qui veut dire "ce nest pas agrable". "Voir un pote dans cet tat, cest pas le
pied" (B. p.43). Cest une expression qui date de 1973.
Le FCC emploie a fait un bail pour dire "il y a bien longtemps". "a fait un bail
que je ne mtais pas vu. Il faudra absolument que jaille chez le coiffeur [. . .]" (B.
p.88). Cest un dverbal de bailler au sens de dormir. Ce terme trs ancien (XIIme
sicle) correspond lide de dure garantie, do longue dure.
Quand les jeunes en ont assez, ils ont recours en avoir marre . "Je viens avec toi,
jen ai marre de rester ici me glander" (B. p. 70) et "jai bien envie daller faire un
petit tour dans le quartier pour pirater des histoires, dailleurs, jy vais marre de
tenir la chandelle Grzi et sa cigarette magique" (B. p.38).
Se prendre la tte c'est s'ennuyer, s'irriter: "Mais comme mon Daron est encore en
train de se prendre la tte avec la Maman mon sujet, c'est pas le moment de sortir
de ma chambrette" (B. p. 28).
Depuis le dbut des annes 80, l'expression prendre la tte fait un tabac.
On se prend la tte quand c'est difficile, nos mmes nous prennent la
tte quand ils ne sont pas sages, on a une prise de tte avec le patron,
chaque jour des exemples viennent illustrer cette locution. Prise de tte,
prise de bec ou encore prise de nerf, le sens identique renvoie la
dfinition de nerver qui signifie littralement: ter les nerfs [. . .]158
Lexpression mort aux vaches constitue un juron anarchiste qui date de 1879. "Jai
fini par comprendre un point, lemblme du solitaire, trois points, mort aux vaches,
cinq points seul entre quatre murs [. . .]" (B. p.147).
Pour sa part, la locution verbale avoir de la chatte signifie avoir de la chance. Elle
correspond la forme populaire avoir du cul, l'argot avoir du fion, compte tenu du
fait que chatte dsigne en argot le sexe fminin. "On a de la chatte, pour ne pas dire
de la chance, que notre culture-cit n'ait t inspire par le baiser sur la bouche
la mode des goulags de nos camarades russes" (B. pp. 32-33)
Quant aux adjectifs les plus rpandus, citons chouette . "Cest une chouette fille
quils me disent, rveurs" (B. p.125). Ladjectif marque une apprciation logieuse, il
vient de lancien franais choter, cest--dire faire la coquette. Il date de 1825.
Le "riquiqui" est tout ce qui est minuscule ou mesquin, il remonte 1867. "Jy ai
mme install mes initiales avec un riquiqui morceau de carrelage que jai dgraf
du sol" (B. p.127).
De par ce qui prcde, nous affirmons que largot fait parade dun style de vie, il
dcrit le vocabulaire de lunivers carcral, de la sexualit, des insultes en vogue et de
la dviance, il sentoure du halo des domaines du mauvais aloi. Nanmoins il a une
place de choix dans le FCC, il le truffe. Le primat de la langue franaise standard se
trouve donc amenuis. Le souci de bien dire et de parler comme il faut est rvolu. Les
habitants des cits emploient une langue argotique dpouille de tout ornement
158
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 15.
classique. Les units employes nont pour la plupart rien de bien nouveau. Il sagit
de termes anciens ressuscits dans les banlieues malfames pour souligner la rupture
avec la socit moderne. La langue circulante dans les zones sensibles procde un
recyclage de largot, en rutilisant les termes anciens, dsuets, en sommeil depuis des
annes et en les remettant au got du jour pour crer une certaine connivence. "[. . .]
les vocables argotiques d'avant-hier devenant souvent les termes chtis d'aprs-
demain".159
Le FCC, par la forte teneur argotique qu'elle comprend, constitue une varit de la
langue franaise qui manifeste une identit intracommunautaire dissidente
(gnrationnelle, elle est essentiellement utilise par les jeunes, et sociale, elle est
principalement la langue des cits). L'argot dans Boumkoeur est une variation
diastratique puisqu'il est employ par les adolescents banlieusards qui exploitent les
termes anciens.
Puisque largot est toujours conu comme tant une langue en marge, il conviendra
mieux reflter leur proccupation quotidienne, traduire les vicissitudes des cits,
contourner la forme acadmique et transgresser les normes. Les banlieusards parlent
leste et cru, c'est le moins quon puisse dire. Cest un argot contestataire qui passe
une familiarit courante mais son origine demeure toutefois argotique. Les dchirures
sociales et langagires sont profondes et indissociables. Bref, dclassements social et
linguistique vont de pair.
159
GILDER, Alfred, Et si l'on parlait franais?, prface de Claude HAGEGE, Paris, Le cherche midi
diteur, 1993, p. 183.
Deuxime Chapitre
Les marques transcodiques
"Lidentit se fonde en ralit sur une
ethnicit invente ou reconstruite,
cest--dire bricole partir
dlments emprunts la modernit
du pays daccueil et au pass
mythique et fantasm des origines"160
La langue est-elle un systme ferm sur soi ? Concevons-nous une langue qui
ne se nourrit que de ses propres origines ? Existe-t-il un conflit ou plutt un contact
entre les langues ? A lheure de la mondialisation et des technologies de linformation,
les langues seront-elles labri des invasions lexicales ?
En effet, la rponse ces questions rside dans les marques transcodiques "c'est--
dire (l)es marques [. . .] qui renvoient d'une manire ou d'une autre la rencontre de
deux ou plusieurs systmes linguistiques"161 dans un seul discours. Ces marques
englobent trois phnomnes linguistiques: les emprunts, les alternances et les
interfrences entre lesquels nous allons essayer de cerner les diffrences.
160
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 88.
161
BOYER, Henri, Plurilinguisme: contact ou conflit de langues, Paris, L'Harmattan, 1997, p. 25.
162
HAMERS, Josiane F et BLANC, Michel, Bilingualit et bilinguisme, 2me dition, Bruxelles, Pierre
Mardaga, 1983, p. 451.
163
DUBOIS, Jean, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1994, p.
177.
164
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 155.
triompher de lAllemagne, sil faut que la France abandonne sur les champs de
bataille outre des millions de cadavres, le cadavre de sa langue [. . .]"165
Parler anglais, cest faire partie de llite, voire se donner lillusion de faire partie de
la haute bourgeoisie.
"On sent chez le cadre ou le lycen qui manie langlais le bonheur de
faire partie des lus, les locuteurs les plus comptents, donc les plus
privilgis, suscitent lenvie de ceux qui pataugent lourdement dans la
langue des dieux (dieux du commerce, du stade, de lInternet, du show-
biz), les moins comptents subissent aussi le poids des complexes et des
frustrations, tout comme ceux qui nagure ne savaient pas lire le latin et
le grec"168.
Au snobisme et la motivation ludique vient sajouter une autre raison pour la
propagation des anglicismes, savoir le tourisme
"qui attire [. . .] des trangers dont la portion la plus compacte est anglo-
saxonne, clientle riche, dont la prsence incite certaines branches de
commerce (htellerie, magasins de luxe) et des quartiers entiers de Paris
parler anglais (English spoken), se parer denseignes en anglais,
crer des noms de marque en anglais, parfois mme afficher leurs prix
en livres et en dollars"169
Finalement, il ne faut pas perdre de vue quil existe un autre motif, purement
linguistique, pour lexpansion de langlais.
"Langlais est une langue morphologie relativement pauvre, dans
laquelle la nologie fonctionne par conversion et composition, plutt que
par drivation. Le stock lexical natif (dorigine anglo-saxonne) est en
165
ETIEMBLE, Parlez-vous franglais ? Paris, Folio, Gallimard, 1991, p. 269.
166
YAGUELLO, Marina, "X comme XXL, la place des anglicismes dans la langue", in Tu parles?!, le
franais dans tous ses tats, sous la direction de CERQUIGLINI, Bernard, CORBEIL, Jean-Claude,
PEETERS, Benot, Paris, Flammarion, 2000, p. 354.
167
YAGUELLO, Marina, "X comme XXL, la place des anglicismes dans la langue", p. 361.
168
Ibid., p. 355.
169
ETIEMBLE, Op.cit., p. 293.
grande partie monosyllabique, donc lger manier. De plus, les
ressources de la mtaphore et de la mtonymie prennent le pas sur les
formations savantes [. . .]. Do un lexique fondamentalement imag,
concret et dpourvu dopacit"170
Toutes ces raisons se sont entrelaces pour permettre des irruptions et des
incrustations des termes anglais. Ce qui ne manque pas de provoquer les puristes
soucieux de sauvegarder le patrimoine franais, et exasprs de linertie et de
lapathie de lAcadmie franaise.
"Poursuivant, et parfois prcdant lvolution du langage, le dictionnaire
populaire qui essaime tous vents, apporte chaque anne sa cuve
danglicismes. Gardienne de notre langue, lAcadmie franaise ne peut
pas la rgenter. La digue, qui servant de rempart, a rompu. Et venant
dOutre-Atlantique, des cercles hupps, autant que des tripots sordides, la
vague dferlante a dbord. Les mots ailleurs submergent notre langue
dsormais sans frontires ni douanes ni francisation"171
Ces linguistes ont le coeur rong de voir la langue de Molire une langue copieuse,
dpendante dune autre et par l asservie et menace. En revanche, dautres voient
dans ces cris dalarme une exagration qui na aucune raison dtre, tant que la
plupart des termes emprunts langlo-amricain se trouvent intgrs la texture de
la langue franaise et ne sont plus sentis comme trangers.
Mais vrai dire, la monte des anglicismes dans le franais est inquitante. Ils
s'introduisent partout et ont la part du lion des emprunts. Les jeunes trouvent un
plaisir greffer les termes emprunts langlais sur leurs discours.
Certaines units lexicales peuvent tre empruntes telles quelles, cest--dire sans
subir aucune modification, ne serait-ce quun changement de prononciation conforme
la phontique franaise. Dans ce cas, il sagit demprunt pur, simple ou direct.172
Cest le cas de cool au sens de dtendu, tranquille, ouvert autrui. L'origine du
terme est hippie et son apparition dans lcrit date de 1975. Yaz lemploie pour
qualifier sa soeur: "Ma soeur, elle sappelle Sonia. Elle est cool, elle a vingt-quatre
ans, ma grande soeur, seule fille de la famille" (B. p. 11), et pour dcrire son tat
lors dun rve "cette nuit- l, javais t transmut en une sorte de super-hros qui
sauvait la pelle. Etre un super-homme, cest cool [. . .]" (B. p. 28).
Le mme adjectif invariable est employ par Grzi, ce qui prouve sa frquence chez
les adolescents. "De toute faon, il ne me restait plus quune nuit passer dans cette
cellule, ensuite je serais, je lespre, avec des prisonniers plus cool que ces deux
gorilles [. . .]" (B. pp. 142).
A propos de la tlvision, il dit : "cette pouffiasse, elle ne veut pas fonctionner, cest
pas cool, cest lheure de mon Dragon Ball Z" (B. p.26).
170
YAGUELLO, Marina, "X comme XXL, la place des anglicismes dans la langue", p. 356.
171
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 34.
172
Cf. VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Procds smantiques et lexicaux en franais branch"
in Langue franaise, n : 90, Paris, Larousse, Bordas, 1991, pp. 69-70.
"Il est relax, je remarque vraiment un corps dathlte sous sa nouvelle
carapace, mme sans ses grles, il a toujours cinq centimtres de plus
au-dessus de ma tte. Il aurait fait du sport avec ses 1 mtre 85 et 70
kilos environ, un crack il aurait t" (B. p.63).
Ladjectif a paru vers 1955, il peut tre employ comme adverbe (relaxe) pour
signifier doucement. Le crack est un individu remarquable par sa comptence, son
talent, cest un terme anglais dsignant essentiellement un bon cheval de course.
L'emprunt date de 1918.
Pour sa part, ladjectif hard vient parfois remplacer dur. Evoquant lhomosexualit
qui se pratique dans les prisons, Grzi dit: "Puis arriva un silence dune heure
trente, soit la dure dun film X, qui ce soir- l tait vraiment hard, merci Canal"
(B. p.143).
Hard signifie excessif, tendu, qui cre langoisse, il dsigne certaines activits
dures comme le hard rock, le cinma et la pornographie. Cest un anglicisme hippy,
un terme trs en vogue dans les annes quatre-vingts.
Le FCC substitue black noir et lemploie pour qualifier les anims aussi bien que
les inanims. "a peut paratre clich de dire quil tait black africain, mais cest la
vrit vraie" (B. p.107).
Le terme se dit dune personne de race noire, cest une dsignation non pjorative qui
a comme variante blackos et blackie . Il a paru vers 1982. Bien avant "black" ont
exist "ngre" et "homme de couleur" qui avaient des connotations escalvagistes.
"Mais black, on le voit, ne dsigne pas nimporte quel Noir. Cest plutt le
Noir jeune et branch. Rapidement, ladjectif black, toujours en franais,
va dsigner tout ce qui appartient la mouvance noire jeune et branch.
[. . .] Et black, a claque ! on va dailleurs trs vite sapercevoir que ce
mot en franais fait beaucoup de rfrence une culture qu une
couleur"173
Le terme a connu une grande expansion au point de faire partie de la langue courante.
Par extension, Yaz lapplique des choses. "Puis il me tend un black sac plastique
verrouill triple noeud, je le ttonne sa demande afin de dcouvrir ce quil
dissimule" (B. p.105).
"Aziz leur tchatche que la socit pour laquelle il travaille ne veut pas le dclarer, le
taf au black explique largent liquide [. . .]. (B. p.12).
"[. . .] Grzi le superstitieux sortira lune des tiges, la noircie avec la flamme de son
zippo [. . ., puis il rintroduira la tige black dans le paquet" (B. p.33).
173
MERLE, Pierre, Le prt parler, pp. 103-104.
Les jeunes en signe de protestation et de rbellion trouvent dans les tags une forme
dexpression assez efficace. Le tag est un graffiti reprsentant la signature stylise
du jeune qui la dessin. En anglais, il signifie marque ou tiquette, il a paru vers
1988.
"Linvasion des gribouillis sur les murs ne sattnue pas, partout o une surface
peut laisser sexprimer une mine le tag apparat" (B. p.31).
Et un peu plus tard "Je dcouvris une criture particulire mais belle. Elle tait
encore moins lisible que les tags qui squattent les murs du quartier" (B. p.110).
Les anglicismes paraissent dans le domaine du travail puisque l'emploi de job est
aujourd'hui familier: "Ce matin je me suis vad de mon lit avant que le Daron ne
me surprenne dans mon sommeil. Il me faut absolument trouver un job" (B. pp.
116-117)
Nous distinguons aussi le terme boss: "[. . .] je nai pas vraiment eu loccasion de
bosser, pas assez dexprience comme disent les boss" (B. p. 10).
"Ce sont de vrais boss des bacs sable, qui prfrent kiffer sur un gun plutt que
baver sur une jolie fille qui leur sourit" (B. p. 26).
Le boss est soit un patron dentreprise (comme dans la premire citation) soit un
chef de bande (comme dans la seconde). Il est issu de lamricain boss au sens de
chef dquipe ou datelier. Il date de 1869.
Comme d'autres anglicismes, nous pouvons citer: le flash qui est un brusque
blouissement avec monte de couleurs au visage sous leffet rapide de la drogue, une
sensation ou une motion vive. Il est dorigine onomatopique (clat, clair) et
appartient essentiellement au vocabulaire hippie.
"Le projectile lui a foutu un K-O, il ne sentit pas le coup, cest un norme flash qui
semble traverser son corps, lui pompant toute son nergie hypervitamine" (B.
p.101).
Les Etats-Unis, quant eux, sont plutt nomms les States , terme qui constitue un
abrgement de United States. "Cest mon voeu qui sest exauc, je vais pouvoir faire
une grave fte, et me payer un voyage aux States" (B. p. 105) et plus tard "Javais
dj achet un billet davion pour les States." (B. p. 127)
N'oublions pas cash signifiant argent liquide, mais qui est employ dans le sens de
(immdiatement), (sur le champ)."Je voulais quil sexcuse davoir eu ce
comportement. Cest cash quil me remit en place", a dit Yaz (B. p.104). Le fait que
l'argent en espces est immdiatement disponible est l'origine de l'utilisation
adverbiale de ce terme au sens de tout de suite.
Grzi la galement utilis : "Tu marques ton nom en zonzon, il te faut savoir quil
te faudra toujours revenir le faire disparatre, comme jai pas envie de revenir aprs
ma peine, cest cash que jai dsintgr mon blas." (B. p.142).
Autre anglicisme: squat . Ce terme a fait son apparition en franais pour dsigner le
logement vide occup illgalement par des sans-abri. "Euh. . .tinquite, on est
toujours dans la cave 123 dans un squat que jai amnag" (B. p.41), dit Grzi.
Pour sa part, Yaz dit "Jattends que le sommeil me pique, je le provoque en
comptant les moutons, ils ont vite fait de foutre la pagaille dans mes comptes,
envahissant lespace vert du squat" (B. pp. 64-65)
Le lexique de la drogue est le plus souvent emprunt langlais, comme cest le cas
de deal .
"Jaurais bien aim faire un baby-foot au local des jeunes, le maire la supprim, il
pensait que ce ntait pas un lieu de loisirs, mais un lieu dchanges, pour ne pas
dire un lieu de deal" (B. p. 10)
Le deal est la vente de drogue, il a paru vers 1980. Ce terme a permis lapparition
du substantif dealeur et du verbe dealer .
"Gigolo, mon brother ? peut-tre. Il fut un temps o il tait dealeur, mais il sest
rang, dealer cest du bnf sur terre, mais a se paye toujours en enfer" (B. p. 12)
Le dealeur , qui scrit galement dealer [diloer] est le revendeur de drogue,
cest un abrgement de langlais drug dealer. Le verbe dans sa forme transitive
souligne lacte de vendre la drogue. Dans ce cas, le verbe subit une restriction par
rapport son origine anglaise qui signifie distribuer ou vendre en gnral.
"En effet, il faut insister sur le fait que lemprunt par la langue daccueil
se fait toujours par spcialisation du sens de la langue source, cest ce
phnomne qui permet aux emprunts leur prcision smantique"174
En revanche, le verbe dans sa forme intransitive signifie marchander. Cest cette
deuxime acception qui figure dans : "Docilement, il (Gipsy, alias le musico-pote)
se posait au coin caftria et dealait ses pomes contre des orangeades glaces" (B.
p. 83)
174
GAUDIN, Franois, GUESPIN, Louis, Initiation la lexicologie franaise, de la nologie aux
dictionnaires, Bruxelles, ditions Duculot, 2000, p. 297.
de 1913. Le verbe peut tre employ au sens figur : augmenter la puissance, donner
un regain de dynamisme quelquun.
"Jingurgite quelques figues et dattes du pays, des bonnes vitamines qui me dopent
comme jaime" (B. p. 95)
Le verbe sniffer signifie galement absorber de la drogue par le nez. Il est driv
de sniff au sens de reniflement. Toutefois, lauteur lemploie au sens figur lors de
la description de sa mre suite une "pagaille". "A linstant o on lui fit sniffer de
leau de Cologne Maman retrouva ses esprits, avec des sanglots jaillis de sa
douleur" (B. p. 25)
Ce faisant, ces exemples se sont intgrs la langue franaise et il nous est facile de
les trouver dans les dictionnaires. Lemprunt est masqu, en ce sens quil nest plus
tranger ni loeil ni loreille.
Nanmoins, nous avons relev dautres anglicismes qui ne font pas partie du franais
mais que lauteur a voulu imposer aux discours des jeunes. Ce sont des anglicismes
inutiles dont Djadani aurait bien pu se passer mais travers lesquels il a soulign le
dsir de paratre excessif des banlieusards. Dans ce cas, les termes sont flagrants et
frappants. Au lieu de parler d'emprunt, il vaut mieux parler d'alternance codique.
L'alternance est une stratgie de communication par laquelle un individu ou une
communaut utilise dans le mme change ou le mme nonc deux varits
nettement distinctes ou deux langues diffrentes. Le ou les interlocuteurs peuvent tre
experts dans les deux langues, c'est le cas de l'alternance de comptence. S'ils ne le
sont pas, il s'agira d'alternance d'incomptence.
175
VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Procds smantiques et lexicaux en franais branch", p.
70.
Types d alternances codiques176
inter-intervention intra-intervention
inter-acte intra-acte
segmental unitaire
insert incise
L'alternance est soit entre les "actes de parole" conus comme phrases, soit
l'intrieur de l'acte. Dans ce dernier cas, l'alternance peut porter sur un segment
(segmentale) ou sur un item (unitaire). Dans l'alternance unitaire, le terme peut tre
trait comme faisant partie de la langue dominante (insert). S'il ne l'est pas, il est
considr comme une incise.
L'alternance codique est galement intitule "code-switching". Elle n'intervient pas
d'une manire fortuite mais elle est dlibre et intentionnelle. Elle parat surtout dans
les situations informelles et les changes entre pairs. L'importance de l'alternance
rside dans sa valeur polyphonique et dans la rupture discursive qu'elle cause. Elle
signale soit le changement de l'interlocuteur, soit la recherche d'un terme prcis, soit
l'insistance et l'emphase177. Et c'est cette dernire fonction que nous trouvons dans
notre roman. Les protagonistes optent pour certains termes anglais, non pas parce
qu'ils ne trouvent pas leurs quivalents franais, mais pour se montrer et pour
influencer leur entourage.
Du fait que Boumkoeur est bas essentiellement sur les diffrents types de
discours, des alternances intra-actes unitaires sous forme d'insert ont t releves. Les
anglicismes sont ainsi traits syntaxiquement comme s'ils taient des termes franais.
Les inserts se rapprochent des emprunts avec pour seule diffrence que les premiers
relvent de la parole alors que les seconds relvent de la langue. Cest le cas, titre
dexemple, de brother et sister , les quivalents anglais de frre et soeur ,
rpts plusieurs reprises tout au long du roman.
"Ce mme jour, mon grand brother Aziz mit en garde le Daron : il le tuerait sil
relevait la main sur elle" (B. p. 25).
"Mon grand brother Aziz ne passe la maison quentre deux coups de queue
capote [. . .] " (B. pp. 79-80).
"Le brother a beau essay de les convaincre, chaque fois, cest pareil, ngatif. Son
oseille ne fusionnera pas avec leur petit budget" (B. p. 12).
Sonia, quant elle, est plutt dsigne par sister que par soeur.
"Il paratrait que la sister fugueuse travaillait comme caissire dans une suprette"
(B. p. 125).
176
DABENE, Louise, Repres sociolinguistiques pour l'enseignement des langues, les situations
plurilingues, Vanves, Hachette FLE, Collection Rfrences, 1994, p. 95.
177
DABENE, Louise, Op.cit., p. 96.
"Le Daron a foutu Mimi le chat dans un sac tanche et plouff ! !dans le fleuve qui
a comme terminus la mer, il la balanc. La sister haineuse a lev la voix contre le
Daron" (B. p. 124).
"Sonia, ma sister, elle aussi est un vrai numro" (B. p. 80)
La famille est son tour dsigne par family . "Tout ce quil savait, cest que son
fils tait un drogu, un voyou et par la mme occasion le dshonneur de notre
family" (B. p.35)
"Hormis ma family, personne naurait t perturb par cette tragdie. Je ne suis
quune victime parmi dautres" (B. p. 120)
Le recours langlo-amricain dans ces emprunts, pour superflu quil soit, est dict
par le mpris des banlieusards notamment des adolescents pour le franais standard
qui leur offre des quivalents pour ces anglicismes aussi bien que par le prestige de
langlais qui le fait miroiter aux yeux des Franais.
Sinscrit dans ce cadre, le terme gun employ au lieu de fusil, revolver ou pistolet.
"Ce sont de vrais boss des bacs sable, qui prfrent kiffer sur un gun plutt que
baver sur une jolie fille qui leur sourit" (B. p. 26)
Insrer les anglicismes dans les discours, cest se voir valoriser et se surestimer tout
en se moquant de lhexagonal. Dans la culture de la rue, le salut se fait par shake .
"Il me tend son poing, pour le shake, dsormais cest poing contre poing
que a se passe, le salut, cest lvolution de la culture-cit pompe dans
les ghettos noirs amricains. La poigne de main traditionnelle est
rserve aux dmods" (B. p. 32)
En revanche, en prison le shake est absent. "La poigne de main est suivie dun
regard intense, cest la marque du respect de lautre. Ici plus quailleurs, a a son
importance. Pas de shake" (B. p. 138)
Et lor se mue en gold . Evoquant la fille mtisse quil a aime et qui la quitt pour
devenir athlte olympique, Yaz dit "Le saut en longueur me la prise tout jamais,
une comptition de plus et une vitesse gold supplmentaire" (B. p. 67).
Au lieu de dire le meilleur, Yaz prfre lusage du best of . "[. . .], mais avant a, il
me livrera le best of du carnet de bord de sa mmoire" (B. p. 51).
"Les histoires du quartier du best of de la mmoire de Grzi partent en fume" (B.
p. 158).
La formule de bienvenue est substitue par les protagonistes par le terme welcome
employ deux reprises. "Ses lvres gnreusement baveuses afficheront un sourire
de welcome mon pnis sculpt dans une coule de lave volcanique [. . .]" (B. p.
54).
Cette alternance codique a paru une autre fois sous forme d'incise:
"Welcome, nous a cri un gardien qui nous a ouvert les portes de nos minuscules
cages mtalliques aux couleurs fades" (B. p. 130).
Le franc-tireur est plutt dsign par sniper. "[. . .] je vole vers le 123 et je m'y
dpose sans qu'un sniper cach derrire ses rideaux ne m'ait vu pour m'abattre
d'un coup d'oeil" (B. p. 57)
Au lieu d'avoir recours au terme franais lyrique, le protagoniste opte pour l'emploi
de son quivalent anglais. "[. . .] le collgue s'est sodomis les orifices avec des
couteurs qui jaculent des lyrics explicites [. . .]" (B. p. 58)
Les souliers qui taient dsigns par pompes se muent parfois en shoes . "Mes
shoes empchent le bon fonctionnement de ma circulation sanguine, je dgrafe mes
lacets" (B. p. 81).
"Grzi est la parfaite reproduction de Gremlin, big shoes aux pieds, survt bleu pas
trop serr et pas trop large [. . .]" (B. p 44).
Ladjectif big signifie grand. Nous le trouvons galement dans "[. . .] les mecs du
quartier ont tu le temps en compagnie dun big poste laser qui tire son
alimentation de linterrupteur du hall dimmeuble" (B. p.19).
"Comme je nai rien contre les fraises, cest une big gorge que jengloutis" (B. p.
114)
"Entre deux big mac et une gorge de coca sans glaons, nous trinquions la
paille, il me raconta sa vie dans la cit [. . .] " (B. p. 16)
Mac est le nom des sandwichs qui sont servis et offerts chez Mac Donald's, le
magasin amricain le plus renomm de fast-food. Remarquons que ladjectif big
demeure invariable comme en anglais, il ne change point de forme qu'il soit employ
avec un nom fminin ou un nom pluriel.
Parmi les anglicismes que lauteur a composs Mister Clean pour Monsieur
Propret , priphrase du pre qui tait ouvrier.
"Les rares fois o le Daron a mis ses pieds lcole, ce fut avec sa
socit Jan Brinos Frres Associs qui le transforma en Mister Clean
des coups dponge sur les plafonds saccags par les graffitis aux jets de
Karcher pour faire dguerpir les fromages camembert, les crachats, la
pure, etc" (B. p. 122).
A ct des alternances intra-actes unitaires, les alternances intra-actes segmentales ont
t de mme utilises. Les segments peuvent tre des propositions, des expressions ou
des groupes d'adjectifs.
Au lieu de dire pas de commentaire ou aucun commentaire , Yaz a prfr
l'usage de lexpression No comment . "Ce nest pas drle ce que jai ide dcrire,
mais je le pense alors je le dis. Grzi aurait t un champion au ball-trap sur cible
mouvante. No comment" (B. p. 63)
Nous avons relev Fuck the racism qui est une formule de rejet du racisme dont
souffre la plupart des banlieusards notamment les immigrs. Ceux-ci se sentent
exclus, marginaliss, ngligs et perscuts par la socit centrale. "[. . .] je prends de
llan puis la manire du bic orange, pour ne pas dire Eric Cantona, je shoote
grands coups de Fuck the racism les trois piles de tracts [. . .]" (B. p. 83)
De mme, top secret a t utilis pour dsigner ce qui est trs confidentiel. "Une
vraie grand-mre, ce mec gnraliste de la mdecine qui avait t trs piquant le
jour de ma prise de sang HIV aux analyses top secret" (B. p. 156)
Dans les restaurants de fast-food, le protagoniste mange des plats anglais. "Fini le
sandwich l'huile de vidange, je me suis fait un nouveau pote, Ronald le roi du
hamburger la viande english Creutzfeld-Jacob" (B. p. 74)
Si dans les cas prcdemment cits, l'alternance codique prserve le caractre distinct
des deux langues, nous avons remarqu quelques cas o il y avait un mlange entre
les deux codes. Dans ce cas, il vaut mieux parler d'interfrence ou de code mixing.
"On dit qu'il y a interfrence quand un sujet bilingue utilise dans une langue-cible A
un trait phontique, morphologique, lexical ou syntaxique caractristique de la
langue B"178.
Selon les linguistes Josiane F. Hamers et Michel Blanc, l'interfrence dsigne des
problmes d'apprentissage dans lesquels l'apprenant transfre le plus souvent
inconsciemment et de faon inapproprie des lments et des traits d'une langue
connue dans la langue cible179.
"L'interfrence est un croisement involontaire entre deux langues. A grande chelle,
l'interfrence dnote l'acquisition incomplte d'une langue seconde"180
Les interfrences sont donc des alternances d'incomptence. Elles constituent "les
traces ngatives d'une contamination d'un idiome par un autre"181. L'interfrence est
donc un phnomne individuel et accidentel.
Les interfrences dans Boumkoeur sont surtout syntaxiques, une dsinence franaise
peut venir s'ajouter un morphme anglais. C'est le cas du "shake" employ comme
verbe du premier groupe. "Yaz, arrte de rflchir, tu me shakes ou tu veux me
coller un vent" (B. p. 32)
Il en est de mme pour le terme funkie . "[. . .] mais jaime pas le rap de varits,
qui me parle de bouger de l et qui me dit de me balancer les bras en lair parce que
ma vie est funkie" (B. p. 79).
Funky est une catgorie de jeunes, des annes quatre-vingts, amateurs de musique
noire amricaine et de patins roulettes quils pratiquent avec un baladeur sur la tte.
178
KANNAS, Claude, Dictionnaire de linguistique et des sciences du langage, Paris, Larousse, 1994, p.
252.
179
CF. HAMERS, Josiane F et BLANC, Michel, Op.cit, p. 452.
180
HAGEGE, Claude, L'enfant aux deux langues, Paris, ditions Odile Jacob, 1996, p. 239.
181
DABENE, Louise, Op.cit, p. 87.
Le terme vient de funky music, type musical proche du disco. Bien que le terme
constitue un adjectif invariable, lauteur a remplac le (y) par le (ie): les jeunes tentent
de plier les anglicismes aux rgles de la syntaxe franaise.
Dans d'autres phrases, c'est la construction du morphme anglais qui est incompatible
avec la structure franaise. "Alors c'est en pivert que s'est transmut mon pied droit
qui martle la doors d'un rythme endiabl [. . .]" (B. p. 58). Preuve d'une
incomptence en anglais, Yaz met la marque du pluriel au terme "door", qui veut dire
porte, bien qu'il soit singulier.
"Grzi ne dit mot sur la plaie qui est colle tel un pin's sur mon arcade" (B. p. 104).
Yaz ajoute la marque de possession (s), quoique inutile, au terme "pin" utilis au lieu
de celui d'pingle.
Au lieu de dire tout court "spider" pour araigne, Yaz a employ "spiderman". En
anglais, spider est laraigne et man est lhomme. Le terme nous rappelle le
film amricain ayant le mme titre et dont le hros avait des dons surnaturels. Ce qui
prouve que les mdias inspirent ce parler.
"Le courage me manque pour craser une spiderman qui a tent de mempoisonner
en cachette [. . .]" (B. p. 80)
"Il nest pas impossible que la spiderman prisonnire de mon index gauche se soit
conduite en tratre mon gard, [. . .]" (B. p. 77)
Le fait demployer spiderman peut tre interprt de deux faons. Soit par
emphatisation et ironie: Djadani essaye de rduire un peu la dose de misre contenue
dans le roman, il veut de la sorte rendre Boumkoeur moins pessimiste et plus agrable
la lecture. Dans ce cas, spiderman est considr comme une alternance de
comptence. Soit par volont de dmontrer que les banlieusards emploient tort et
travers langlo-amricain, cest--dire sans le matriser, ils ne font que garnir leurs
discours danglicismes dont ils ne connaissent pas le vritable sens. Cest comme
pour dire "[. . .] nous jargonnons en bas-anglais parce que nous ne savons pas le haut
franais. Matrisant mal lun comme lautre, nous les mlangeons, sans vergogne"182.
Dans ce cas, il s'agira d'une interfrence.
Finalement, notons l'interfrence suivante: "Pour faire passer son temps dans ses
oreilles au rythme de ses cassettes de R.A.P "for me pour speek in english", je vais
prendre le dictionnaire de Sonia" (B. pp. 53-54). Nous remarquons que l'emploi de la
prposition franais "pour" est injustifiable et que le verbe speak est crit d'une faon
incorrecte, la phrase devait tre "for me speak in english".
Dans ces exemples, les anglicismes ne comblent aucune lacune lexicale franaise et
lauteur aurait pu les supplanter par leurs quivalents franais. Si lemprunt est
enrichissant et mlioratif, les alternances et surtout les interfrences sont plutt
dvalorisantes et pjoratives. Do la protestation de certains linguistes qui qualifient
ces marques de xnisme tant donn qu'elles correspondent une utilisation
individuelle et non pas collective. "Le xnisme demeure un mot tranger mentionn
dans son propre code"183.
182
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 67.
183
GAUDIN, Franois, GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 296.
A ce stade, puisque les anglicismes sont perus comme trangers, on se demande si
lauteur aurait d les traduire en franais pour quils soient assimils par les lecteurs ?
En effet, les anglicismes cits ne sont pas assez spcialiss, ambigus ou rares pour tre
incomprhensibles. Ils sont dordre gnral et mme les unilingues peuvent bien les
comprendre ou au moins dduire leur signification par le contexte.
Mais le plus important nest pas si les lecteurs les comprennent ou pas mais plutt
sils vont les accepter ou pas ?
A une poque dune mondialisation synonyme damricanisation, dune
superpuissance sassignant le rle dun soldat, dune guerre tentant dimposer une
vision unipolaire sous couvert de la lutte contre le terrorisme, nous pensons que la
langue ne sera pas labri de ces mutations. Les dfenseurs de la langue franaise
sont de plus en plus provoqus par cette invasion qui na aucune raison dtre dautant
plus quelle nest pas intgre au tissu franais.
"Quon le veuille ou pas, le pentagonal, cest la pire des invasions, la plus
insidieuse, la plus intolrable en ce quelle exprime la servitude
volontaire, la plus novice en ce quelle arrache quelque chose notre
personnalit profonde, la plus dangereuse parce quelle nous dcervle en
nous obligeant parler, penser, vivre, se comporter autrement ; la
plus mortelle parce qu force de ne pouvoir sen dfaire elle aline
lindividu malgr lui. Parler franricain cest attenter la libert de
lesprit. Cest admettre quil faut renoncer la beaut franaise l o elle
pouvait encore trouver refuge. Cest renoncer notre culture"184
Pour ce linguiste, le pentagonal est bas sur une trilogie indissociable : domination
conomique, vassalit culturelle et subordination linguistique. Pour pallier ce
problme, Etiemble propose:
"Drivons donc et suffixons la franaise, en supprimant les licences
langagires des marchands et en proscrivant tous les suffixes et prfixes
amricains (-ing, -er, -rama, -matic, super-, etc). Dans les cas dsesprs,
traduisons le mot yanqui. Ne soyons pas moins attachs notre langue
que ceux qui en swahili, adaptent jet plane en eropleni ya aina ya jeti
(aroplane du genre jet)."185
Par ailleurs, les anglicismes pour nombreux quils soient ne constituent pas les
seules marques transcodiques. Bien quils tendent leur ventail sur le roman, nous
avons relev dautres termes notamment dorigine arabe. Ce sont les arabismes. Si
nous considrons le rapport entre les deux langues, nous dcouvrirons que les
emprunts que doit le franais larabe sont multiples.
"Il y a trois poques successives demprunt larabe. Tout dabord, le
Moyen Age a marqu la supriorit de la science et de la technique arabe
[. . .]. La deuxime phase est celle de la conqute dAlgrie par larme
franaise. [. . .] Vient ensuite le rle des enfants immigrs. Ceux-ci ont
fait connatre aux Franais des termes relatifs la religion musulmane,
comme charia et bien dautres"186
184
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 63.
185
ETIEMBLE, Op.cit., p. 374.
186
REY, Alain, "Lemprunt langlais est indispensable" in Al Ahram Hebdo, n : 243, 5-11 mai 1999,
p. 16.
Parmi les termes arabes les plus rpts figure casbah . "[. . .] Hamel avait cr un
langage qui lui permettait dentrer dans les casbahs sans que le Daron nen
aperoive" (B. p. 35)
"Mon Daron sans emploi depuis peu, trois ans environ, a du mal supporter que
Maman mne la danse la casbah, ils narrtent pas de sembrouiller. Cest
infernal" (B. p. 24)
"Jaurais d penser prendre mes moufles en daim et mon bonnet Los Angeles.
Mais je navais pas le temps, oblig de sortir de la casbah rapidement" (B. pp.9-10)
La casbah introduite en franais depuis le XIXme sicle est la maison, le local
dhabitation. Le terme vient de larabe [qasaba] au sens de forteresse. C'est un terme
polysmique et peut signifier, entre autres, maison close ou cabaret interdit la
troupe.
Le cad , quant lui, est le personnage le plus important dans le milieu, le chef de
bande.
"[. . .] Il y a des rgles qui se transmettent, les cads tapprennent : bien
arm tu possdes le respect, cela tapporte la cote avec les meufs [. . .]
les cads te le rptent, il est logique de bander sur ptard avant de
chercher te faire des bombes de meufs" (B. p. 26)
"Y a des mecs qui prparent des mauvais coups pour quand ils seront
sortis. Pas question de tasseoir o tu veux, certaines places sont
rserves certains cads et sils ty trouvent, cest direct une droite sur
ta face" (B. pp. 138-139)
Le terme signifie galement un personnage remarquable dans un domaine
quelconque: il est issu de larabe [qa' id] au sens de chef et peut tre parfois employ
ironiquement.
Passons maintenant aux verbes dorigine arabe: "mon pre a engross ma mre et
hop il sest barr, elle ne voulait pas avorter" (B. p. 148)
Le verbe se barrer signifie partir rapidement. Il vient de larabe (barra) au sens de
dehors. Il tait autrefois employ par les soldats dAfrique et les malfaiteurs italiens.
Cependant, comme c'est le cas avec les anglicismes, Djadani a introduit un terme en
arabe qui nest pas intgr la langue franaise, savoir shitan , cest--dire diable.
"La crmonie de la tige effectue, Grzi avec une autre baguette
tabac commencera le bricolage manuel du dcoupage au collage, en
passant par le filtrage finalis par le brlage du caca de shitan qui dj
dgage une odeur paradisiaque pendant le mlange" (B. pp.33-34).
Le caca de shitan est une mtaphore dnotant la drogue. L'apparition du terme
arabe fait partie des alternances de comptence. La langue arabe constitue pour les
immigrs et leurs enfants la langue vernaculaire, la langue verbale du foyer. C'est un
moyen capable de garantir la communication et l'entente familiales.
Les linguistes ont divis les pratiques langagires en langue d'origine en quatre
catgories:
187
CERTA, Pascale, Op.cit., pp. 16-17.
- La pratique intense: le sujet affirme parler la langue d'origine avec ses parents
et lors de ses sjours dans le pays d'origine.
- La pratique moyenne: le sujet mentionne l'usage alternatif des langues selon
les situations.
- La pratique non-rciproque: le sujet comprend la langue d'origine que parlent
ses parents mais reconnat ne pas la parler.
- La pratique nulle: l'usage de la langue d'origine a presque totalement disparu
du milieu familial188.
Rien dans le roman nous permet de savoir le niveau de la pratique de Yaz en langue
arabe, toutefois, le peu d'alternance des termes arabes nous mne croire qu'il s'agit
d'une pratique non-rciproque. La bilingualit de Yaz est donc une bilingualit
dominante, en ce sens que la comptence dans une langue (le franais) est suprieure
la comptence dans l'autre langue (l'arabe)189. C'est un bilinguisme asymtrique tant
qu'il y a une ingalit dans l'emploi des deux codes, l'un est plus privilgi que l'autre.
Mais puisque le franais est plus pratiqu que l'arabe, qu'est-ce qui a pouss le
protagoniste dire diable en arabe?
En effet, Yaz a voulu de la sorte afficher sa cohsion avec la culture orientale.
"Si la langue est une dimension saillante de cette identit, le locuteur peut
utiliser des marques linguistiques propres son groupe d'appartenance
pour affirmer son identit culturelle et se distinguer de son
interlocuteur"190
Il s'agit d'une adaptation divergente.
"La divergence est une stratgie de communication importante pour un
locuteur qui dsire se diffrencier psychologiquement de son interlocuteur
en tant que membre d'un autre groupe ethnolinguistique"191
Parmi les autres langues auxquelles le franais a emprunt des termes,
lespagnol. Le terme le plus employ en FCC est celui de tchatche . "Puis il
desserre ltau de sa tchatche et commence se parler haute voix" (B. p. 42) et
plus tard "Toute sa tchatche na pas dans mes oreilles aucun sens, il y a du gitan, de
larabe, du verlan et un peu de franais" (B. p. 45)
La tchatche est lhabilet parler, le bagout volubile, il vient de lespagnol
chacharear qui signifie bavarder et qui a pntr largot algrois.
"Si le mot se dit depuis quelques temps du ct de Marseille, il a t
import en rgion parisienne par les rapatris dAfrique du Nord au
dbut des annes soixante, sans percer alors vritablement dans la langue
de tous les jours. Bref ds le dbut des annes quatre-vingt, a va
tchatcher et non plus causer dans le poste, comme on le fait sur les
stations classiques. La diffrence est dimportance. En effet, si le verbe
causer fait penser au rigide causerie, le verbe tchatcher contient
implicitement lide dun bouillonnement volubile, incessant, sympathique
(on dirait aujourdhui convivial) et bouillon 192.
188
Cf. VERMES, Genevive et BOUTET, Josiane, France, pays multilingue, Tome 2, Paris,
L'Harmattan, 1987, p. 67.
189
Cf. HAMERS, Josiane F et BLANC, Michel, Op.cit, p. 447.
190
Ibid., p. 185.
191
Loc.cit.
192
MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, p.18.
Le terme a donn le verbe tchatcher qui a paru dans les annes quatre-vingts. "Aziz
leur tchatche que la socit pour laquelle il travaille ne veut pas le dclarer [. . .]"
(B. p. 12).
Quant celui qui matrise parfaitement la diction, qui est invincible dans les joutes de
vannes, qui est reconnu et apprci et parfois mme craign par ses pairs, c'est le
tchatcheur.
Notons galement le terme godemichet . "Mais il ne faut pas non plus que je me
fasse une parano, y aurait vraiment un problme si javais eu la gaule sur un
godemichet [. . .]" (B. pp. 55-56)
Le godemichet ou godemich est un phallus postiche utilis par les femmes
pour se procurer le plaisir sexuel. Il vient de lespagnol (gaudameci) par le catalan,
renforc sans doute par le latin mdival (gaude michi), au sens de rjouis-moi. Il date
du XVIme sicle.
Concernant les emprunts l'allemand, nous avons relev les substantifs schmitt et
flic ainsi que le verbe schlinguer .
Schmitt signifie gendarme, il est driv de lalsacien qui l'a emprunt de l'allemand
schmied au sens de forgeron: c'est le forgeron qui fait des menottes dont se sert le
policier. Grzi, aprs avoir assomm son ami, prsente ses excuses en ces termes: "Je
tavais pas vu sortir, la vie de ma mre, jai cru que ttais un keuf, un cond, un
schmit" (B. p.41). Lorigine du terme cond , qui figure dans la citation, est obscure,
mais provient peut-tre du portugais conde au sens de compte ou gouverneur. Il
semployait en 1844 pour dsigner le commissaire de police et ds 1906 pour rfrer
lagent de la Sret.
Sachant que son crime est dvoil et qu'il est balanc, c'est--dire dnonc, Grzi crie
"Ils m'ont balanc, les flics savent que c'est moi" (B. p. 68). Le "flic" est un membre
de la police ou de la gendarmerie quel que soit son rang. Il vient de l'allemand
(Fliege), c'est--dire policier, le surnom de fligue dard ( pe courte) a paru en
1836 chez Vidocq appliqu des sergents de ville par des voleurs juifs. Ce terme trs
rpandu a partiellement perdu son caractre pjoratif, puisqu'on dit le premier flic de
France pour dsigner le ministre de l'intrieur.
193
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 11.
194
GOUDAILLIER, Jean-Pierre,"Comment tu me tchatches ? un parler interethnique", in Qantara, n :
30, hiver 98-99, Paris, Insitut du Monde Arabe, p. 53.
195
BILLIEZ, Jacqueline, "Parler vhiculaire interethnique de groupes dadolescents en milieu urbain",
in Actes du colloque international Des langues et des villes, Dakar, 15-17 dcembre 1990, publis en
1992, p. 117.
Troisime Chapitre
La mtaphore
"Si la mtaphore consiste en un
rapprochement de deux ralits
htrognes, ce rapprochement est
possible parce quil y a une relation
danalogie, de similarit entre ces deux
ralits. Le motif est lensemble des traits
communs qui permet de faire le lien entre
ces deux ralits et qui rend pertinent ce
qui ne ltait pas premire vue"196
196
COGARD, KARL, Introduction la stylistique, France, Champs Universit, Flammarion, 2001, p.
321.
197
BACRY, Patrick, Les figures de style, France, Belin, Luon, 1992, pp. 42-43.
198
Ibid., p. 47.
cts diffrents, ou ceux-ci tellement nombreux, que ce sont ceux-ci qui
sveillent dans lesprit plutt que le rapport commun"199
Dans les mtaphores, le rapport entre le comparant et le compar nest pas
dinclusion, comme dans la synecdoque, ou dappartenance, comme dans la
mtonymie, mais il est similaire voire analogique.
"Il sagit dune zone dintersection qui est sentie (intuitivement) plus que
dduite (logiquement). A dit B ou B dit A suivant le schma :
"Jai toujours voulu crire sur les ambiances et les galres du quartier et jai toutes
les cartes en main" (B. p. 11)
"A dix-sept ans, avoir une amoureuse, ctait pour moi, jeune des cits, le moyen
dtre occup autre chose que la galre" (B. pp. 65-66)
"Le plus galre, cest le rgime et sabstenir des gonzesses et celles qui vont dfiler
en string paillettes sur le ring entre chaque round ne sont pas des mauvais coups"
(B. p. 94)
La galre est une situation difficile, marque par la malchance et par l pnible
supporter. Le terme semploie comme adjectif au sens de pnible. Cest une
rsurgence dun emploi mtaphorique remontant aux Fourberies de Scapin de
Molire (1671). Elle est trs en vogue aujourdhui dans le parler branch des jeunes
gens.
Le terme a galement donn naissance une forme verbale. "Ils m'ont fait galrer
dans une autre cage en attendant d'tre face mes juges qui sans piti allaient
m'en foutre pour vingt-quatre mois" (B. p. 129)
199
BECCARIA, Cesare, Recherches concernant la nature du style, Paris, dition Rue dULM, 2001, p.
65.
200
THERON, Michel, Russir le commentaire stylistique, Paris, Ellipses, 1992, pp. 73-74.
Un terme assez proche de la galre, la pure :
"Les rares fois o le Daron a mis ses pieds lcole, ce fut avec sa
socit Jan Brinos Frres Associs qui le transforma en Mister Clean
des coups dponge sur des plafonds saccags par les graffitis aux jets
de Karcher pour faire dguerpir les fromages camembert, les
crachats, la pure, etc" (B. p. 122)
La pure cest la misre, la malchance, le dcouragement. Cest un emploi
mtaphorique du mot usuel, lide dominante est celle du milieu troubl, pais o on
patauge.
Les diffrentes parties du corps se trouvent dsignes par des mtaphores comme
celle du bec . "La mise en scne ne serait rien sans les oinjs au bec et les gros
plans des seringues contaminantes, tous les clichs misreux rassembls pour le
scoop" (B. p. 21). Le terme signifie bouche et est bas sur le franchissement des
frontires entre lhumain et linhumain.
Les dents, quant elles, sont plutt nommes crocs : "[. . .] je me moquais pas mal
davoir lclat de ses crocs dans le miroir de mon regard" (B. p. 17). Il sagit
toujours dune mtaphore animalisante qui remonte au XVIIIme sicle.
Les grandes oreilles deviennent des feuilles de chou . "Ouf, je suis sauv, le
sifflement de Grzi me perce les feuilles de chou" (B. p. 30). Cest un emploi
mtaphorique et emphatique du mot usuel et date du XIXme sicle.
La tte est plutt dsigne soit par boule , soit par tronche . Le premier terme a
figur plus que le second. "Je comprends de suite : cest un coup de crosse qui ma
caboss la boule" (B. p. 42) et la mme page "cest sur le mur quil sexprime le
plus violemment, coups de tte [. . .] il a la tte dure, a fait au moins dix coups de
boule contre la cloison porteuse, il ne saigne mme pas" (B. p. 42)
Le fait de dire coup de tte ensuite coup de boule est un repre mme de prvenir
toute ambigut probable de la part du lecteur. La mtaphore est base sur une
analogie de forme et remonte la fin du XVIIIme sicle, le coup de boule quant
lui date de 1892.
Le terme tronche est employ dans la description des prisonniers: "[. . .] il put voir
son interlocuteur qui lui aussi grce sa glace pouvait voir la tronche denculeur
du mchant gorille [. . .]" (B. p. 144), du pre: "[. . .] il (Hamel) servait de punching-
ball un boxeur de pacotille qui, je crois, stait fait clater la tronche dans une
bagarre de bar [. . .]" (B. p. 103), et finalement de Napolon:
"Cest un homme dune cinquantaine dannes, la tronche si rougie
par le vin quon croirait quil dbarque de la plante groseille [. . .].
Napolon a toujours cru que son chien tait mort contamin aprs
quil a dchiquet le mollet joufflu de Gipsy le musico-pote" (B. p.
62)
La tronche est drive du tronc et dsigne depuis le XVIme sicle la tte.
Actuellement, elle peut dsigner, entre autres, une personne intelligente ou savante.
La citation comporte galement joufflu qui signifie en argot le postrieur et qui
date du XIXme sicle. Cest un transfert spatial humoristique des rondeurs du visage
celles du postrieur.
Les seins de la femme deviennent des nichons . "Et enfin la cerise sur le gteau :
une tirelire en forme de nichon" (B. p. 16)
"Satle avait des petits nichons la Miou-Miou qui devenaient piquants comme les
dards dune rose" (B .p 66)
Cest une image douillette de seins nichs dans le soutien-gorge ou de lenfant nich
contre sa mre et ttant. Elle date du XIXme sicle.
Dans ce contexte, nous avons relev le terme pipe qui constitue une mtaphore de
la fellation. "Le gentil gorille fit une pipe au mchant. Etre face cette vrit me
mettait mal laise" (B. p. 143)
"[. . .] mon pnis sculpt dans une coule de lave volcanique tellement brlante que
si le diable mavait fait une pipe il se serait carbonis" (B. pp. 54-55)
La mtaphore date de la premire moiti du XXme sicle. Le terme peut dsigner,
entre autres, la cigarette ou le visage.
Nanmoins, la cigarette peut galement tre nomme en FCC tige . C'est un emploi
mtaphorique datant de 1977 du mot dsignant lorigine un axe vgtal.
"[. . .] Grzi le superstitieux sortira lune des tiges, la noircira avec la
flamme se son zippo, les yeux ferms et fera un voeu quil gardera
secret dans son coeur, puis il rintroduira la tige black dans le paquet
[. . .]" (B. p. 33)
"-Ma dernire tige a exauc mon voeu.
Une superstition veut que lorsquon achte un paquet de cigarettes,
un voeu peut tre fait linstant o lon noircit lune des tiges. " (B. p.
105).
Les mtaphores sont abondantes dans cette varit et prouvent que le FCC ne doit
jamais tre considr comme un sous-systme superficiel, dnu de tout travail.
Et ce parce qu "une mtaphore ne se donne pas en effet demble, son
apparition est source dembarras et de gne pour le lecteur ou lauditeur
qui doit effectuer un calcul interprtatif , destin rsoudre lattribution
insolite faite par la mtaphore. Toute mtaphore implique donc une
temporalit, qui est celle de lactivit dinterprtation"201
Le travail dploy dans les mtaphores savre vident dans les termes dcrivant les
personnes. Le crampon est un individu importun et tenace comme celui qui
saccroche sa proie et ne la lche plus. "[. . .] jaurais aim filmer une partie de foot
201
COGARD, Karl, Op.cit., pp. 323-324.
sur le terrain dsert par lherbe partie en fume cause des trop nombreux
crampons qui lont foule" (B. p. 22)
La poire est une personne nave, facile duper. La mtaphore est base sur la
similitude entre le fruit de forme allonge et la suggestion dun visage et dun
individu crdule, peut-tre cause de ltroitesse du cerveau. La mtaphore date de
1888.
"Il tait une fois une bonne poire qui avait une capacit folle avaler tous les
bobards de son entourage. Il sappelait Yaz" (B. p. 115)
Le taupe qui constitue un mammifre qui creuse des galeries dans le sol pour
chasser les insectes et les vers devient une mtaphore du dtenu qui creuse un tunnel
pour svader. "Grzi a appuy sur une dtente qui le transforma en taupe de
taulard" (B. p. 50)
Le moulin paroles est une personne trs bavarde, mais Yaz lemploie pour rfrer
sa langue, ou sa bouche. Mtaphore base sur la forme circulaire de la bouche et de
lappareil moudre, faire du bl.
"Sans me dire quoi que ce soit, il menvoya une poigne de sel sur le visage, je
faillis pousser un cri, de justesse, je me taisais, sans quoi je me serais fendu mon
moulin paroles en deux" (B. p. 110)
La minette est une jeune fille la mode. "Davance je sais que les minettes
intresses par des stages du glisse seront trs bien accueillies [. . .]" (B. p. 31). La
mtaphore est base sur lanalogie entre la douceur fline et les filles, elle appartient
au langage jeune et branch.
Au lieu de dire voiture, la mtaphore utilise est caisse . "Le parking est immense,
pas loin de mille quatre cents caisses sont gares lorsque les ouvriers sortent du
boulot" (B. p. 27). La mtaphore dsignait autrefois lavion. On dit fond de
caisse pour trs vite .
Le billard est la table dopration, par analogie avec lide de la surface plane. "En
urgence, on me dposa de nouveau sur le billard pour stopper lhmorragie
aggrave par ma chute dans les pommes" (B. p. 37)
Quand nous disons yoyo , nous dsignons une mtaphore de la transmission dun
objet dune cellule une autre par le moyen dune ficelle. La mtaphore sappuie sur
le mot dsignant un jeu denfant caractre alternatif et est employe plusieurs
reprises.
"Si jamais ils remarquent que tu les a dchirs pour en faire de fines
lanires qui te serviront faire des yoyos, l aussi tu risques daller
au mitard" (B. p. 139)
"Quand la 226 a reu le savon, le plus calme des deux gorilles me
demanda de ne pas lcher le cordeau, il allait faire une douane cest-
-dire qu la tte du yoyo il y a un poids et qu la queue il y a de la
bouffe [. . .]" (B. p. 140)
"Au retour de la promenade, les gardiens navaient rien trouv nous
reprocher dans notre cellule, pourtant le shit tait prsent et les
lanires du yoyo aussi" (B. p. 140)
Tout objet de forme circulaire ou semi-circulaire se voit dsign par camembert .
"Au mitard, il sera limit une promenade par jour et il y tournera en triangle,
cest les promenades camembert" (B. p. 139)
Evoquant le plaisir sexuel quil trouvait avec Satle et qui lui manque prsent, Yaz
dit "finies, les gteries, elle ne se vissera plus en moi" (B.p. 67). Le substantif
gteries est une mtaphore du supplment rotique, de la fantaisie ou de la faveur.
Mal barr , signifiant avoir des perspectives dchec, est une mtaphore issue du
sens maritime de barrer, cest--dire diriger une embarcation. " [. . .]. Comme ses
mains ne tiennent ni la selle ni les hanches de son collgue chauffeur, il se sent mal
barr" (B. pp. 22-23).
Bon nombre de verbes sont galement bass sur des emplois mtaphoriques comme
griller au sens de dnoncer et embarquer au sens darrter.
"[. . .] ils sont sortis de lombre avec des kilomtres de bande
magntique qui me grillent en train de ngocier ta ranon avec tes
parents. A peine mon pied avait-il franchi lextrieur du quartier que
je me faisais embarquer par les inspecteurs [. . .]" (B. p. 127)
Le verbe griller constitue un emploi mtaphorique reposant sur la notion de
chaleur, do souvent lide de danger imminent ou de malfaisance, alors que celui
dembarquer est bas sur la terminologie maritime.
Le verbe gerber devient une mtaphore de vomir, provenant de la gerbe des feux
dartifice. "Aprs de nombreux tourbillonnements, une envie de gerber me grimpe
la gorge. Il y a un paquet de temps, je mtais senti dans ce mme tat [. . .]" (B. pp.
73-74)
Le verbe cracher employ la forme ngative ne pas cracher sur quelque chose
signifie lapprcier. La forme affirmative au sens de mpriser est rare et moins
argotique. Evoquant le receleur de la tour 123, Napolon, Yaz souligne que "les
jeunes du quartier ne sont pas son meilleur vin chaud, mais il ne crache jamais sur
les opportunits de leur bizness" (B. p. 16)
A la forme intransitive, le verbe signifie jaculer. "Quand on a crach, elle a vid les
rservoirs de nos capotes l'intrieur d'un bocal et toute lumire elle s'est tire"
(B. p. 86). C'est un emploi mtaphorique qui dvalorise le produit excrt.
Quand on se fait injurier, on se fait "incendier". Mtaphore du verbe usuel base sur
lintensit des gros mots. "Grzi mincendie de mots pas trop sympa, vous ou toi
dimaginer" (B. p. 31)
Le discours, o Grzi raconte son ami Yaz ses expriences de dtenu, comprend
beaucoup de termes argotiques relatifs linternement, dont nous citons enfoncer .
"Le procureur ma enfonc. Jai pris deux piges fermes." (B. p.126).
Enfoncer signifie inculper dans un procs, charger un prvenu devant laudience. Il
sagit dun emploi spcialis et humain dun verbe sappliquant lorigine des
choses. Cette acception a paru vers 1847.
Dans tous les exemples susmentionns, nous remarquons que dans les mtaphores,
nous appliquons un nom spcifique dune chose une autre grce la similarit entre
les deux et la collusion de deux champs smantiques.
Mais si la mtaphore est une figure de ressemblance, la mtonymie est une figure de
voisinage qui joue sur "lassociation [. . .] de ralits qui ont pour caractristique de
pouvoir se trouver tout naturellement dans le mme contexte"202
Elle se base ainsi sur le glissement de sens entre des lments voisins dans le discours
banal, cest--dire sur des mots appartenant le plus souvent au mme domaine. Do
un rapport de contigut donn par la langue.
Ainsi la mtonymie se situe-t-elle sur laxe syntagmatique, en ce sens quelle "opre
sur des termes qui sattirent, qui offrent entre eux des combinaisons pontentielles et
qui prsentent, disions-nous, une cohrence smantique"203. Mais la contrainte
syntaxique pse sur la mtonymie puisque les mots doivent avoir la mme nature
grammaticale par souci de respect de la syntaxe.
La relation entre le mot de base et celui qui le substitue est celle du contenant pour le
contenu, de linstrument pour lagent, du lieu dorigine pour le produit, de la matire
pour lobjet qui en est fait, de la cause pour leffet. "Il sagit dune extension de sens
base sur les liens constants qui unissent les rfrents"204
La mtonymie est le plus souvent employe pour abrger ou varier lexpression ou
pour mettre laccent sur un des lments smantiques du terme. Toutefois, elle
"nintresse somme toute les crivains que dune manire plus ou moins pisodique
202
BACRY, Patrick, Op.cit., p. 80.
203
Ibid., p. 87.
204
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 309.
(puisque leffet quelle produit reste malgr tout plus limit que celui de limage
mtaphorique)"205.
Ce faisant, les mtonymies lexicalises dans la langue sont beaucoup moins rduites
que les mtaphores. Raison pour laquelle, nous navons pu relever quune seule
mtonymie lexicalise, savoir gamelle . "Tes condamn bouffer la gamelle
que la prison te donne et tes oblig daccepter les affaires que la prison toffre" (B.
p. 153). La gamelle est une mtonymie du repas, emploi issu du rcipient dans
lequel on met la nourriture du soldat ou du dtenu.
Avec ce chapitre concernant les figures de sens, nous achevons les procds
smantiques de formation lexicale. Ceux-ci s'tant avrs efficaces et significatifs, il
importe alors de parachever par l'tude des procds formels de cration lexicale.
205
BACRY, Patrick, Op.cit., pp. 96-97.
Troisime Partie
Les procds formels de formation lexicale
Qui dit smantique dit formel, puisque les deux constituent la pile et la face
d'une mme monnaie. Les procds formels s'intressent surtout au signifiant,
l'image acoustique du signe, son ct matriel. Ceci dit, les procds formels
tudient la dformation du type verlanesque, l'apocope, l'aphrse, le redoublement
hypocoristique et les nologismes.
Mais est-ce que tous ces procds sont employs avec la mme frquence? Y en a-t-il
certains qui sont plus exploits que d'autres?
C'est ce que nous allons essayer de dceler dans la partie suivante.
Premier Chapitre
Le verlan
"[. . .] Un discours maill de
verlan est peru comme un
discours en franais mais
nanmoins incomprhensible do
la frustration et la droute de
linterlocuteur non initi"206
Le verlan est bel et bien ancien, puisquune forme telle que sans six sous (cest--
dire pauvre) avait fait son apparition, au Moyen Age, pour remplacer un sans
souci .
Au XVIme sicle, les Bourbons se disaient Bonbours et le verlan permettait aux
potes libertins dviter les termes indcents et sans vergogne concernant le sexe.
"A ce stade quimporte lorthographe dautant plus que le verlan tend la
simplifier de faon radicale : qu devient k, s devant ou entre deux voyelles
devient z et les lettres muettes sont souvent supprimes"208
Au XVIIme sicle, Voltaire a puis son nom dans cette jonglerie familire : Voltaire
est linversion de Airvault, nom de la ville voisine de celle de son grand-pre. Plus
tard, vers le XVIIIme sicle, Louis XV tait dsign par Sequinzouil 209.
Dynamique au cours de la Seconde Guerre mondiale, le verlan tait exploit pour
drouter les Allemands210.
206
MELA, Vivienne, "Verlan 2000" in Langue franaise, Les mots des jeunes, observations et
hypothses, n : 114, juin 1997, Paris, Larousse, p. 29.
207
Le verlan est une forme de largot franais sappuyant sur un jeu avec les syllabes. Il est
activement parl en franais - beaucoup de mots verlaniss sont devenus trs familiers au point dtre
employs dans le franais quotidien in http : //french.about.com/library/vocab/bl-verlan.htm
208
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 9.
209
Cf. MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, pp. 48-49.
210
Cf. ANTOINE, Fabrice, Op.cit., pp.45-46.
Le javanais, quant lui, introduit des syllabes comme la (av) ou la (va) aprs chaque
groupe consonantique prononc dans un terme. La cadogan se base sur linsertion du
son (dg) aprs les voyelles dun terme.
Toutefois, ces genres de codage nont pas survcu comme la fait le verlan qui est
toujours l "parce quil a su bouger et sadapter, prouvant aussi quil ntait pas
quun gadget mais bien un lment vivant et en perptuelle volution de la langue"211.
De clandestin, subreptice, cach, le verlan est devenu public, mritant lappellation du
Roi de la rue. Autrefois lapanage des dlinquants, des toxicomanes, des dviants, le
verlan est actuellement pratiqu par la majorit des adolescents.
"De nos jours, les cits ont remplac les fortifs, les truands et les apaches
ont cd la place aux bandes de jeunes dsargentes et sans perspectives
qui trompent leur ennui en tirant des portefeuilles dans le mtro"212
Exclusif aux cits dans les annes soixante-dix, le verlan parat dans la rgion
parisienne vers la moiti des annes quatre-vingts, relanc par la publicit et les
mdias.
"En effet, depuis la fin des annes quatre-vingts, le verlan a t port
lattention du grand public lorsque les feux de lactualit se sont tourns
vers les banlieues chaudes et les observateurs de la jeunesse ont constat
quil y avait une langue et une culture propres aux cits dshrites. Cette
langue et cette culture se sont diffuses parmi les franges les moins
intgres de la jeunesse parisienne et mme plus loin jusquaux grands
lyces et aux universits. Pourtant le verlan na rien perdu de son pouvoir
de mystification car nombreux sont les non-initis que ce jeu droute et
drange encore"213
Longvit et expansion caractrisent donc ce verlan inoxydable qui au fil des sicles a
subi, linstar de largot, un glissement fonctionnel. En effet, la fonction essentielle
du verlan tait la mystification, notamment lorsquil sagissait dune activit illgale
ou dun sujet tabou. "Il cherchait dissimuler ce que la langue lendroit exprime
clairement mais il cherche aussi donner libre expression ce dont lautre langue
nose parler"214
Ce paramtre socioculturel tait donc un moyen mme de voiler l'ide tout en ne
portant pas atteinte la pudeur.
Progressivement, le verlan est devenu un signe de reconnaissance du groupe qui
lexploite.
"On peut mettre laccent sur les stratgies langagires de dfense et
dagression ; en ce sens, les procdures du verlan agissent comme des
mcanismes de subversion linguistique et de construction de normes
dviantes. Mais peut-tre est-il possible den dchiffrer une positivit :
une affirmation de groupe et, au-del, une tentative dlaboration
211
MERLE, Pierre, Le prt parler, pp. 168-169.
212
MELA, Vivienne, "Parler verlan : rgles et usages" in Langage et socit, n : 45, septembre 1998,
Paris, Maison des sciences de lHomme, p. 47.
213
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", p. 16.
214
ID., "Verlan, langage du miroir" in Langages, n : 101, 1991, Paris, pp.73-74.
identitaire. Langage de clture, certes, mais aussi instrument de
reconnaissance"215
Ainsi, le verlan rpond-il un besoin dappartenir une certaine communaut en
coupure avec la socit centrale et la culture majoritaire. Dans les cits surtout, le
procd de verlanisation permet de rendre la ralit vcue moins pessimiste et plus
supportable.
Par ailleurs, le verlan a une fonction ludique notamment chez les jeunes qui trouvent
une satisfaction verlaniser et par l contourner les mots qui peuvent tre mal vus
par les parents heureusement non initis ce code assez drle. En ayant recours
cette pratique discursive, les "ados" se sentent plus forts et plus durs que leurs parents,
ce qui ne manque pas de les rjouir.
Les adultes, pour leur part, tentent de sinitier cette dformation des termes afin de
paratre jeunes . Parler verlan, cest retrouver voire rcuprer la phase la plus active
de notre vie, savoir la jeunesse.
"Ds lors que le verlan se trouve estampill langage des jeunes, on en
dduit que parler verlan revient parler jeune donc tre encore jeune,
mme si on ne lest plus vraiment. Do les tentatives, parfois pathtiques
de certains adultes pour causer ljeune"219.
215
BASIER, Luc et BACHMANN, Christian, "Le verlan dcole ou langues des keums ?" in Mots, n :
8, 1984, Paris, p. 184.
216
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De largot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 18.
217
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", p. 32.
218
Ibid., p. 31.
219
MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, p. 53.
Quil ait une fonction cryptique, identitaire, ludique, le verlan est au mieux de sa
forme mme si plusieurs le considrent comme une violence, une agression la
langue.
A force dtre diffuss, certains termes verlaniss se sont banaliss et se sont insrs
"dans les dictionnaires, certes, mais aussi et surtout dabord, dans les textes divers,
chansons, sketches, BD, romans, eux-mmes relays par la publicit"220. Ce faisant, le
verlan a connu une certaine stabilisation. Ses termes sont devenus la porte de toutes
les couches sociales et par suite plus transparents, moins hermtiques et moins
opaques. Exasprs par cette ralit, les utilisateurs du verlan ne cessent de renouveler
leurs procds visant brouiller les pistes pour les bizuths. Cest ce quon appelle le
verlan du verlan.221
Revenons pour le moment au verlan proprement dit. En effet, cette pratique
langagire ne touche quune partie de la production verbale et porte essentiellement
plus sur les noms et les adjectifs que sur les verbes.
"Une analyse rapide du lexique montre que le verlan sert surtout pour
parler de bagarre, de sexe, de drogue, de vol. Les verbes daction, de
mouvement sont nombreux tandis que les termes faisant rfrence aux
activits intellectuelles sont absents. Les seuls sentiments voqus en
verlan sont lnervement (jtais vnere), la honte (javais la tehon) et la
piti (il fait tiep) ou alors la joie mais uniquement dans lexpression cest
pas la waj "222
Sagit-il dans le verlan dune inversion alatoire de lordre des syllabes ? Ou existe-t-
il au contraire des rgles rgissant ce cryptage ?
En effet, la verlanisation dun terme est une tche qui peut tre qualifie de dlicate.
Tout dabord, le verlan est ax sur le respect de la structure de la phrase franaise et
"ceux qui veulent faire du verlan en inversant la fois tous les mots et lordre des
mots se trompent sur la nature du verlan"223.
De mme, les utilisateurs du verlan sont toujours la qute dun terme mlodieux qui
rsonne et qui soit beau loreille.
"[. . .] un terme qui a reu le consensus du groupe peut tre accept mme
sil nest pas strictement conforme la rgle principale. De la mme
manire, un terme mme sil est bien form peut tre rejet sil na pas
reu laval du groupe"224
Le verlan figure le plus souvent dans les situations informelles, cest--dire entre pairs
de copains et sappuie gnralement sur des termes argotiques. Ce qui veut dire
quargot et verlan sont indissociables : lun est smantique et lautre formel. Le FCC
exploite le cryptage sur les deux plans.
La frquence et la rsurgence du verlan dans les discours des jeunes constituent
lindice de la dviance du locuteur aussi bien que de son intgration la culture de la
220
ANTOINE, Fabrice, Op.cit., p. 50.
221
Cf. MERLE, Pierre, Argot, verlan et tchatches, p. 55.
222
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", p. 31.
223
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 86.
224
ID.,"Parler verlan : rgles et usages", pp. 53-54.
rue. Plus le jeune se sent "voyou", plus il emploie ce codage. Raison pour laquelle
cest plus chez Grzi que chez Yaz que nous trouvons un grand nombre de termes
verlaniss.
"Grzi est un mec trange, par instants, il se comporte comme si jtais sa meuf
[. . .]" (B. p. 70)
Le terme fait, de mme, son apparition dans les discours de Grzi. "Je ntais plus le
chef de ma chair, sa meuf et lui paniquaient, pleuraient en face de moi, javais
limpression quil me suppliait de les buter" (B. p. 49)
"Une fois sch et chang vraiment tu te sens trop bien, la seule chose quil me
faudrait pour bien digrer ma douche ce serait une femme, une vraie, pas une meuf
comme il y en a plein la cit" (B. p. 149).
Concernant reup et cheulou , nous les avons relevs dun discours de Yaz.
"Mon Daron, mon reup, mon pre a vite fait de criser : cinq ans de chomedu, au
palmars" (B. p. 10)
"Il avait cru dur comme fer ce baratin de cheulou, nous demandant si la femme
avait laiss un numro de tlphone ou une adresse" (B. p. 86)
Nous nous demandons quelles sont les transformations qui ont touch ces termes ? En
effet, la rgle est la mme pour les trois. Ceux-ci, des monosyllabes ferms CVC
(consonne, voyelle, consonne) se sont mus en dissyllabes par le renforcement et la
prononciation du (e) muet final. Ayant t amenes la forme CVCV, les syllabes des
termes ont t inverses. Ensuite, a t applique la rgle de troncation qui a donn
lieu la forme finale du terme verlanis.
Ainsi, femme [fam] passe par [fam] et [mfa] avant darriver [moef]. Selon les
statistiques tablies par Henri BOYER, "meuf" figure dans 51% des discours des
jeunes rencontrs Montpellier, 31% Lille et 60% Paris225.
225
Cf. BOYER, Henri, "Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, enqute Montpellier, Paris,
Lille", p. 81.
Le terme pre [p 4r] est galement transform en un dissyllabe [p 4r ], invers [rp4]
et tronqu [roep]. Il en est de mme avec louche [lu] renforc en [lu] et invers
[lu].
Passons maintenant keuf qui est employ plusieurs reprises notamment par
Grzi. "Pour la tte, excuse-moi, jai cru que ttais un keuf [. . .] je tavais pas vu
sortir, la vie de ma mre, jai cru que ttais un keuf, un cond, un schmit" (B. p. 41)
"Dans le procs verbal, tas pu ten rendre compte, lhistoire que mon pre stait
fait serr par les keufs, cest bidon [. . .]"(B. p. 148)
"Aprs quarante huit heures passes en garde vue, jai tout avou ces rapaces
de keufs qui coups de pied et de poing mont peint la gueule dun bleu hmatom"
(B. p. 127)
Yaz lutilise son tour. "Mon Daron maurait tu. Une chose quil ne pardonne pas
cest bien le vol. Pour lui la transpiration paye le travail des objets, tout cela aux
keufs je lexpliquais, tremblotant [. . .]" (B. p. 14)
Lanalyse de keuf est assez proche des exemples prcdents. Si le terme de base,
flic [flik] ne se termine pas par un (e) muet qui pourrait tre renforc, nous rglons ce
problme en ajoutant un schwa penthtique. "Le schwa, selon les rgles de
prononciation du franais devient [] en syllabe ouverte et [oe] en syllabe ferme"226
Dans notre exemple, le monosyllabe devient un dissyllabe [fli/k], ensuite il subit les
rgles de permutation [k/fli] et de troncation [koef].
Ce terme figure toujours selon les statistiques de Boyer dans 37% des discours
enregistrs Montpellier, 40% Lille et 49% Paris227.
226
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 78.
227
Cf. BOYER, Henri," Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, enqute Montpellier, Paris,
Lille", p. 81.
228
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 83.
MELA assure que les voyelles arrondies [o], [u] et [y] aussi bien que les voyelles
nasales rsistent mieux la troncation que les [a] et [ ]. La preuve en est le terme
"louche" vu plus haut.
Mais chaque rgle ses exceptions, nous avons remarqu que certains monosyllabes
ferms ne subissent pas forcment cette addition du schwa. Cest le cas de (or)
verlanis en ro o il y a eu une simple substitution de la consonne et de la voyelle.
"Tu sais, lorsquils mont foutu en garde vue, ils mont fait retirer ma bagouze en
ro, mes lactes et mon cordon de survt [. . .]" (B. p. 128)
Concernant les monosyllabes ouverts, citons celui de oinjs , verlan de "joint". "La
mise en scne ne serait rien sans les oinjs au bec et les gros plans de seringues
contaminantes [. . .]" (B. p. 21)
En effet, la rgle applique aux monosyllabes ferms est ici inconvenable. Dans joint
[ w ], la consonne qui constituait lattaque est passe en position finale transformant le
terme en un monosyllabe ferm.
"Tous ces monosyllabes sont btis sur le modle C(SV)V, la coupure est
dans tous les cas effectue droite du premier phonme, qui est une
consonne -le bloc reste est compos du son vocalique [. . .]. Etant en
prsence de deux blocs, on applique la rgle utilise dans les autres cas
dantposition du bloc reste "229
Cette rgle est applique dans le cas du pronom tonique moi [mwa] verlanis en ouam
[wam]. Grzi en sadressant Yaz dit Scuse ouam (B. p. 113) pour excuse-moi.
Le groupe (semi consonne+voyelle) figure au dbut du terme et est suivi du son
consonantique.
Notons galement dans le cadre des monosyllabes ouverts (chaud) et (vue) verlaniss
au auch [o] et uv [yv]. Grzi souligne que son pre est "en garde uv [. . .]
cest trop auch [. . .]" (B. p. 69)
Les deux termes sont de type CV qui devient VC. "La structure syllabique du mot
verlanis est le miroir [. . .] du mot de dpart"230
Cest le discours de Grzi, matrisant ce cryptage lenvers, qui foisonne de termes
verlaniss qui peuvent frler lincomprhensibilit. Yaz lavoue et Grzi en est bien
conscient.
"[. . .] je m'efforce de ne plus tchatcher verlan, mais quand je suis
nerv il rinvestit ma langue. Mon verlan compar celui des mecs
comme Grzi, cest niveau CP. Leur verlan eux cest niveau bac +10
dans luniversit de lcole de la rue", dit Yaz (B. p. 58).
Grzi, son tour, dit "c'est mon pote de cellule qui crit ce que je lui dicte avec le
moins de verlan possible pour que tu puisses comprendre le sens profond de toutes
mes phrases" (B. p. 126)
229
ANTOINE, Fabrice, Op.cit., p. 57.
230
GOUDAILLIER, Jean-Pierre, "De largot traditionnel au franais contemporain des cits", p. 17.
Il est donc naturel que nous trouvions des phrases o les monosyllabes et les
polysyllabes se ctoient.
"Scuse ouam. Jte lpare depuis lheure touta et tisgra tu me mets dans le enve.
Tes sr que a va ieum dans ta chetron Yaz ? Y a pas de blme sinon jte laisse
mirdor" (B. p. 113)
Grzi voulait dire son copain : (excuse-moi. Je te parle depuis tout lheure et gratis
tu me mets dans le vent. Tes sr que a va mieux dans ta tronche Yaz ? Y a pas de
problme sinon je te laisse dormir).
Dans cette citation, la rgle des monosyllabes ouverts est vidente dans ouam ,
verlan de moi, enve verlan de vent [v] et ieum , verlan de mieux [mj].
Les deux verbes verlaniss sont : parler et dormir. Le premier, bien quemploy la
premire personne du prsent de lindicatif [parl], se trouve verlanis comme sil est
linfinitif [parle] [lepar]. Et ce, parce quen verlan, la dsinence
verbale tombe. Ce qui veut dire que nous ne disposons que dune seule forme quels
que soient les temps et les modes du verbe.
"[. . .] En gnral seul linfinitif et le participe pass sont en verlan, cette forme a
dailleurs tendance devenir invariable et on entend [. . .] : jen ai [reti] tir une et
jen [reti] tire une [. . .]"231
Le second, tant quil est linfinitif, ne subit quune simple inversion de ses deux
syllabes.
Dans les dissyllabes, "il semble plus simple de considrer alors que le
verlan sappuie sur un comptage des suites de consonnes et de voyelles du
mot de dpart pour ensuite oprer une transposition. La consonne qui suit
la premire voyelle (sauf sil sagit dune liquide suivie dune autre
consonne) est toujours prise comme point de dpart du mot cod"232
Dans notre exemple, tant quune liquide [r] suit la premire voyelle, les deux
deviennent insparables.
C1 V1 L C2 V2 C3 C2 V2 C3 C1 V1 L
d o r m i r m i r d o r
p a r l e r l e r p a r
231
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 85.
232
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", pp. 17-18.
En effet, "trois possibilits se prsentent pour le codage des trisyllabes. La
premire suit la rgle gnrale et rcrit le mot partir de la deuxime
consonne en balayant droite puis en revenant gauche pour aligner les
lments [. . .]. La deuxime possibilit consiste r-crire partir de C3
comme premier lment [. . .]. La troisime possibilit consiste r-crire
partir de C3 dans lordre inverse"233
Dans le roman, tout lheure [tu/ta/loer] sest mu en lheure touta [loer/tu/ta], cest-
-dire que Grzi a commenc par la troisime syllabe et en a repris ensuite la premire
et la deuxime.
C'est Grzi qui insre le verlan partout. Dcrivant son tat lamentable en zonzon , il
dit : "il faudra absolument que jaille chez le coiffeur, raser ma touffe de veuch la
sosie des JacksonFive. Je commence avoir une barbe de taulard"(B. p. 88)
Veuch nest, en effet, que le verlan de cheveux. Le (e) final tant muet est
escamot.
En prison, un des dtenus dit "Eh, la 212, pcho le yoyo" (B. p. 140). Le verbe
limpratif pcho est la verlanisation de choper au sens dattraper.
Il est galement employ par Grzi, "les keufs, ils ont pcho mon reupe pour le
menra au stepo, en garde uv. Om ma lanceba, cest trop auch [. . .]" (B. p. 69)
La traduction de la phrase serait : les flics, ils ont chop mon pre pour le ramener au
poste en garde vue. On ma balanc, cest trop chaud.
Le terme "poste", dissyllabique par renforcement du (e) muet final, sest transform
en stepo et ce en commenant par la consonne qui suit la premire voyelle.
Concernant les verbes, nous avons remarqu lusage de menra , verlan de ramener
et lanceba , verlan de balancer.
Le codage du premier peut sexpliquer de trois faons diffrentes. Soit [ra/m/ne] est
dcoup en trois syllabes et invers [m/ne/ra], le (e) muet tant en premire syllabe
est transform en e ouvert [ 4] et le [e] est supprim. Soit que ce verbe est rduit un
dissyllabe par suppression du (e) muet situ entre le m et le n. [ra/mne] est ensuite
invers et le [e] change de position et de timbre pour viter la succession des
consonnes. Soit que la verlanisation du verbe est axe sur la forme du prsent de
lindicatif [ra/m4n]. Cette dernire hypothse bien quelle contredise la rgle gnrale
semble tre la plus plausible et la plus proche de la phonie du terme cod.
233
Ibid., p. 22.
"Balancer" tant trisyllabique a subi une coupure partir de sa deuxime syllabe qui
est venue se placer en tte du terme, suivie de la troisime syllabe puis de la premire.
Grzi prenait parfois certaines liberts dans la verlanisation des termes. N'a-t-il pas dit
" [. . .] c'est pas lui qui te ferait baisser ton froc et qui te plierait genoux pour
observer si ton anus ne dissimule pas de chichon, shit zetlah [. . .]"(B. p. 152). En
effet, c'est le contexte qui nous permet de comprendre la signification de "chichon" et
de savoir qu'il s'agit du haschisch. Le verlan devait tre "chicha", mais Grzi a chang
le son final par ludisme.
Parmi les autres termes verlaniss qui mritent d'tre signals, citons celui de
"caillera": "Maintenant, je peux me la jouer caillera" (B. p. 120), a dit Yaz en
dcrivant le changement qui a touch sa personnalit aprs la duperie de Grzi.
La forme non verlanise est galement employe. "C'est mon cadeau d'anniversaire,
Yaz, qu'il me salive avec son accent moins ridicule que celui des guignols de l'info
et leur racaille de marionnettes" (B. p. 106)
"Le grand quartier o il y a que des papas, le quartier jeune o il y a que des
racailles, et le quartier mineur o il y a que des Gremlins" (B. pp. 133-134)
"Au ple oppos du bouffon, sur laxe des positions par rapport la
culture des rues, se trouve le personnage emblmatique de la caillera
[racaille]. Ce terme dsigne dans la rhtorique adolescente les dlinquants
affirms, les voyous notoires, ou dune manire plus gnrale tous les
membres intgrs la culture des rues"234
Le terme a une forte connotation pjorative puisquil dsigne le plus malfaiteur, le
plus escroc, le plus gangster qui fait peur et qu'on craint.
"Il vient du latin radere qui signifie raser. Il a donn en portugais,
espagnol et catalan rascar, c'est--dire gratter et prend un sens ngatif vers
la fin du XVIIe sicle, probablement en raison des raclures qu'il dsignait,
rsidus du grattage et du rasage. Ce sont les jeunes des cits qui ont remis
ce mot la mode pour se dsigner eux-mmes, pour signifier leur
appartenance une mme famille. Cela dit, malheur celui qui ose les
traiter de racaille!"235
Boris SEGUIN et Frdric TEILLARD insistent sur le fait que
"la racaille c'est d'abord un look: dmarche tordue (fausse dmarche,
dhanchement avec les jambes lgrement flchies, un peu cartes, les
bras et les paules se balancent de droite gauche, parfois le dos est
vot). [. . .] La racaille parle fort, en verlan avec un accent. Elle utilise
beaucoup de gros mots. La racaille coute du rap et n'a peur de rien ni de
personne"236
234
LEPOURTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p.143.
235
CERTA, Pascale, Op.cit., pp. 15-16.
236
SEGUIN, Boris et TEILLARD, Frdric, Op.cit., p. 209.
Mais tant que Yaz nest pas un verlanisateur professionnel, il lui arrive denfreindre
les rgles des inversions. "Grzi !ouvre cest Yaz..ziva vrirou la teport. . .cest Yaz
que jte dis, fais pas le baltringue"(B. p. 58)
Sil a bien fait dans ziva pour vas-y et vrirou pour ouvrir, le verlan tant le
plus souvent calqu sur linfinitif, il a dit teport pour porte. Il aurait d dire tout
simplement "tepor".
Tous les exemples que nous avons signals sont des formes du verlan simple. Mais il
existe un verlan plus complexe o le terme subit plus d'inversions successives. Cest
le cas de beur . "Javais t son otage et par la mme occasion sa poule aux oeufs
dor car aprs avoir russi avoir le beur il ne se priva pas taxer largent du
beurre" (B. p. 116)
Le beur est le jeune Arabe n en France de parents immigrs ; terme trs rpandu
en France depuis 1980 et employ pour dsigner de faon non raciste les jeunes
Maghrbins immigrs dits de la deuxime gnration .
Selon les statistiques de Boyer, ce terme figure dans 28% des discours enregistrs
Montpellier, 38% Lille et 49% Paris237. Le terme vient donc de "arabe" [arab].
Arabe est pass successivement par arabeu, beuara, beuraa avant d'arriver beur
[boer]. Ce dernier tant trop connu subit une permutation et on parle aujourdhui de
reub.
Le verlan est donc une langue vernaculaire, un procd dencodage revitalis qui
porte sur les formes graphiques et phoniques du terme. Il bouscule les rgles du
franais standard et chamboule la prononciation des termes. Il touche des termes du
vocabulaire gnral aussi bien que des termes argotiques. Certains termes verlaniss
237
Cf. BOYER, Henri, "Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, Enqutes Montpellier, Paris,
Lille", p. 81.
238
MELA, Vivienne, "Verlan, langage du miroir", p. 79.
se sont stabiliss, ont acquis un droit de cit et sont systmatiquement employs, alors
que dautres ne le sont pas encore.
Cest un code qui peut tre qualifi de fantaisiste. Do sa frquence chez les jeunes
qui y trouvent un reflet de leur vie secoue. Cest aussi sous peine de paratre ridicule
ou d'tre hors du coup, qu'on emploie le verlan. Quil soit utilis des fins cryptiques,
identitaires ou ludiques, le verlan traduit la passion de mijoter des manigances devant
un intrus. Quand le verlan est mme dgarer le lecteur, lauteur intervient pour
lorienter grce au franais conventionnel.
En entendant le verlan, notre esprit doit rester en veil, ce qui veut dire quil implique
un effort de la part du locuteur aussi bien que de la part du destinataire.
Cest un des tics du langage qui fixe lair du temps et son emploi ostentatoire vient
baliser lnonc et associer la mlodie de la phrase un nouveau patron prosodique.
Cest une refonte du signifiant.
Bon nombre de caractristiques marquent ce procd. Du fait de sa structure, le verlan
a donn naissance des suites de consonnes qui occupent la position initiale et quon
ne trouve pas en franais standard telles que les /st/ et /rt/. Le nombre des polysyllabes
verlaniss est infrieur celui des dissyllabes et des monosyllabes puisque cette
varit prfre les termes raccourcis. Bien plus, la liaison entre les termes nexiste pas,
ce qui donne un rythme plus ou moins saccad la phrase.
"Le verlan nie la conjugaison et la dclinaison, anantit la structure
morphologique qui permet dtablir des liens entre les mots [. . .] et
accorde la voyelle [oe] une importance nouvelle. Le verlan apparat
donc comme un jeu complexe qui se cache derrire la formule simpliste
dinversion des syllabes. Sa forme mme exprime bien cette culture de rue
dapparence superficielle mais qui est fait dun mtissage subtil des
cultures en contact dans nos banlieues"239
239
MELA, Vivienne, "Verlan 2000", pp. 33-34.
Deuxime Chapitre
L'abrviation
"Labrviation possde deux
sources bien distinctes : la
troncation et la siglaison. Au sein
du groupe, la troncation semble
constituer, par rapport la
siglaison, un mode de cration
familier et productif240
Qui dit troncation, dit apocope et aphrse. Deux procds qui jalonnent le
FCC et qui, pour antonymes quils soient, sont bass sur un changement phontique
qui consiste en la suppression dun ou de plusieurs phonmes ou syllabes. Dans
lapocope, la chute de ces phonmes concerne la fin dun terme, alors que dans
laphrse, elle porte sur le dbut du terme. Ces deux procds sont bel et bien
anciens et ont contribu la formation de bon nombre de termes franais. Les articles
dfinis (le) et (la) sont, titre dexemple, drivs du dmonstratif latin illum et illam
par aphrse et apocope.241
De nos jours, les termes tronqus ont tendance remplacer les termes pleins dont ils
sont issus et sont plus tolrs quauparavant. "[. . .] La frontire entre langue
surveille et langue non-surveille est devenue beaucoup plus floue, et parler la
langue de tous les jours nest plus forcment peru comme parler popu"242
Par rapport laphrse, lapocope semble tre nanmoins plus claire et moins
ambigu dautant quelle "prserve en partie lidentit du mot, alors que la seconde
rend plus difficile sa reconnaissance"243
Lapocope rpond au besoin dconomie, du moindre effort et du raccourcissement.
Mais la coupure obit-elle une logique ? Malheureusement non. "Labrgement
semble alors livr une grande libert do il parat fort difficile de dgager des lois,
lancienne rgle de la coupure au prfixe ntant plus par exemple quun procd
occasionnel"244
Ce faisant, nous pouvons trouver des termes abrgs termins par une voyelle et
dautres par une consonne.
A commencer par les noms qui se terminent par une voyelle, nous avons relev
lusage plusieurs reprises de pote par Yaz:
"Je me planque avec mon pote Grzi qui a commis une btise la sortie dune
cole" (B. p. 79)
"Voir un pote dans cet tat, cest pas le pied" (B. p. 43)
240
MELLIANI, Fabienne, Op.cit., p. 100.
241
Cf. DUBOIS, Jean, Op.cit., p. 43.
242
ANTOINE, Fabrice, Op.cit., p. 47.
243
SOURDOT, Marc, "La dynamique du franais des jeunes : sept ans de mouvement travers deux
enqutes (1987-1994)" in Langue franaise, Les mots des jeunes, Observations et hypothses, n : 114,
juin 1997, Paris, Larousse, Bordas, p. 76.
244
VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Parlez-vous branch ?" in Europe, n : 738, volume 68,
1990, p. 40.
Et aussi par Grzi : "Pourquoi tu me regardes comme a ? Je tai rveill ? a va
mieux, mon pote ?" (B. p. 44)
"Cest mon pote de cellule qui crit ce que je lui dicte avec le moins de verlan
possible pour que tu puisses comprendre le sens profond de toutes mes phrases" (B.
p. 126)
"Heureusement, il y avait la promenade o jy ai vu pas mal de potes de la cit qui
ont t surpris de me voir" (B. p. 136)
Le "pote" est essentiellement lami, le camarade. Cest une apocope de poteau. Mais
grce au slogan touche pas mon pote brandi lors de la Marche des Beurs,
"les antiracistes de 1985 vont donner vritablement ce mot, pourtant
solidement ancr dans la langue populaire, une signification parallle
diffrente. A partir de l en effet et pratiquement jusqu nos jours [. . .]
le pote sera aussi, sans pour autant perdre son sens premier, le beur ou le
jeune immigr potentiellement victime du racisme beauf"245.
La came est une autre apocope polysmique. Tantt elle est labrviation de
camra, comme dans la citation suivante. "Lnumration des options de la came ne
mont pas convaincu, ses batteries taient plat, dommage, jaurais aim filmer
une partie de foot [. . .]" (B. p. 22)
Tantt, elle est un abrgement pjoratif de camelote, cest--dire drogue, cocane.
"Ce nest plus le cas de mon petit frre Hamel qui a fait le pas vers des vacances
trop coteuses. . .la came" (B. p. 34)
"Lavantage du quartier cest quici les prix sont toujours au rabais, lexception
bien sr de la came et du shit, leurs grammes sont comme lessence et le tabac, au
tarif national [. . .]" (B. p. 22)
"Avant ma mre faisait ma chambre pour ne pas dire quelle la dfaisait, faon
perquisition amricaine, la recherche de la came dHamel" (pp. 52-53)
Le bide est lapocope de bidon au sens de ventre. Do son emploi par lentraneur
de boxe : "Toujours face un droitier, tourner sur ta gauche et ne pas oublier quil
a un bide pour saper ses forces, cest aussi l quil faut taper" (B. p. 97),
par le pre "Ne jamais monter sur le ring avec une envie de pisser ou de chier, un
bon coup au bide pourrait te forcer la main abandonner et je nai jamais
abandonn" (B. p. 95),
et par Yaz "Je suis transport dans ses bras, qui me larguent lhorizontale sur
mon bide creux" (B. p. 87).
245
MERLE, Pierre, Le prt--parler, p. 26.
Au lieu de dire sommeil, Yaz opte pour la forme tronque somme . "Si lui il pionce,
moi aussi je vais me taper un somme" (B. p. 64).
Le fait de dire flingue , pour larme feu, au lieu de flingot sinscrit galement dans
le cadre de lapocope.
"[. . .] bien arm tu possdes le respect, cela tapporte la cote avec les
meufs, tas comme deux zobs quand le flingue se cale ton froc [. . .] les
cads te le rptent, il est logique de bander sur ptard avant de chercher
te faire des bombes de meufs" (B. p. 26)
La citation comporte galement le terme bombes qui constitue une apocope de
bombance et signifie fte ou orgie.
Les comptitions sont dsignes tout court par compte . "Dommage, la tour 123
est plante juste en face, elle me cache le terrain de foot sur lequel rgulirement 80
et 125 de comptes tracent des pointes" (B. p. 30). Dans la citation foot est une
apocope de football.
Laluminium est rduit alu . "Il (le VTT) tait sublime, cadre alu, jantes
btons, quip shimano, la marque prestige du freinage et une fourche
suspension avant" (B. p. 14)
Le fait de dire baby est un abrgement de baby-foot qui est un football de table
comportant des figurines que lon actionne laide de tiges mobiles.
"[. . .] le local des jeunes occupait les rcrations de nos vies, entre un engagement
au baby, peut-tre un coup de bluff au poker et une ngociation des trois bandes au
billard" (B. p. 83)
"C'est dommage, je me dbrouillais pas trop mal au baby, en plus les parties taient
gratuites" (B. p. 10)
"Cette semaine jai fait du thtre, ctait sympa dtre dans la peau dun autre,
lespace dun court instant" (B. p. 151)
"Kurtis lui va la messe tous les dimanches matin, pourtant il na pas la foi mais le
Pre est sympa, il nous parle pas de religion mais de Dieu" (B. pp. 151-152)
"Je veux changer de cellule, les mecs sont pas sympa avec moi" (B. p. 136)
Notons, outre ces apocopes, celles qui se terminent par la voyelle [o] et qui sont plus
nombreuses.
Le professionnel, celui qui exerce son mtier avec une trs grande comptence est un
pro . "Je ne tricherai pas, on est pas des pros dans ce genre de taf, et alors!" (B. p.
17)
"Ce fut son premier et dernier combat de boxe pro, daprs ses dires" (B. p. 101)
Le toxicomane devient le toxico . "Je ne suis pas un toxico mais mes poings aussi
peuvent traverser les feuilles cristallises" (B. p. 123)
"La phobie intgriste du Daron, ctait dtre contamin par le monstre Hamel qui
pour lui tait forcment siden puisque toxico" (B. p. 36)
Les informations sont simplement dsignes par infos . Ce terme est aujourdhui
trs rpandu et tend sortir de largot journalistique pour devenir familier. "Daprs
Grzi, aux infos cest notre aventure qui fait louverture" (B. p. 69)
"Cest mon cadeau danniversaire, Yaz, quil me salive avec son accent moins
ridicule que celui des gignols de linfo et leur racaille de marionnettes" (B. p. 106)
Les abdominaux deviennent les abdos .
"Il a, comme le veut le rglement, vrifi si mes doigts, mes dents, mes yeux et mes
abdos sont oprationnels, cest positif" (B. p. 91)
"Ben la constat, le mangeur de Chili tait trs afft, ses abdos formaient une
tablette de chocolat, ses biceps faisaient le double des miens" (B. p. 90)
Le suppo , quant lui, est la forme abrge de suppositoire. "[. . .] tout de suite tu
deviens raliste et tu te dis que toi, ta peine, cest du gteau, qui va passer comme
un suppo la poste" (B. p. 156)
Quand on compose sur-le-champ, sans prparation, on fait des impros plutt que
des improvisations. "Ils se sont mis chanter et faire des impros au rythme de
leurs battements de mains [. . .]" (B. p. 19)
Dans les cas dj cits, la voyelle [o] fait partie de la syllabe aprs laquelle a eu lieu la
troncation. En revanche, dans dautres termes ce son vient sajouter la syllabe
tronque comme c'est le cas de facho . Le facho nest en effet que labrgement
de fasciste, cest--dire ractionnaire. Cette apocope a paru vers 1968.
"Napolon nest pas un facho comme les autres" (B. p. 62), "[. . .] cause dun
poivrot, facho comme un rat [. . .]" (B. p. 61), et encore "[. . .] de toute faon, cest
bien connu, les fachos bandent mou" (B. p. 75)
Evoquant sa soeur Sonia, Yaz dit : "Elle na pas t rglo. Elle a pass au bcher
toutes les muses de ma collection de Play Boy" (B. p. 123)
Le rglo est un individu loyal. Il se dit aussi dune chose conforme au rglement,
la norme. Cest lapocope de rglementaire.
Le dico tend de plus en plus supplanter dictionnaire. "Con je suis. Le dico que je
tiens vient dtre projet trois cents lheure contre le miroir qui me fixe cest
sept ans de malheur assur" (B. p. 56)
"[. . .] Le niveau des mots que jutilise nest pas assez chic, avec les mots complexes
du dico, jaurai lair dtre un intello pour les gens qui me liront [. . .]" (B. p. 54)
La citation comporte galement lapocope dintellectuel, intello , paru vers la fin
des annes soixante-dix.
"Lutilisation des finales en -o et -os, hrites probablement de largot et
qui servent former bon nombre dabrviations dado toxico en passant
par latino (latino-amricain) afro, crado ou redhibos : ces finales en -o
ou en -os servent dailleurs souvent marquer davantage lappartenance
un groupe langagier que le raccourcissement : ainsi pour musicos ou
ramollo 246
Passons maintenant lapocope qui se termine par une consonne. "Y en a qui
naiment pas quon leur dise tu, comme les flics ou les profs lcole [. . .]" (B. p.
32). Prof est labrgement de professeur.
Le survtement devient survt notamment chez Grzi qui relate son vcu en prison.
"[. . .] ceux qui nont pas dargent, on leur offre un survt de la prison, sans rayures,
avec une paire de chaussettes en plastique [. . .]" (B. p. 138)
"[. . .] ils mont fait retirer ma bagouze en ro, mes lacets et mon cordon de survt,
soi-disant ctait pour me dissuader de me pendre" (B. p. 128)
Le pre boxeur de Yaz lutilise galement : "Je mintroduis dans un survt coton et
un pull en laine" (B. p. 96).
Le matin est abrg en mat . "Il doit tre dans les coups de dix heures du mat car
le facteur fait sa tourne des tours" (B. p. 117)
Le maximum est rduit max . "[. . .] la prison est une exprience de bonhomme
condition de ne pas y mettre deux fois les pieds, ma dit lun des papas qui, lui a
pris le max" (B. p. 155). Le max rfre la peine draconienne que va purger ce
dtenu.
Bnf et biz sont les raccourcissements de bnfice et bizness. "Le biz, cest
son nerf de guerre. Gigolo, mon brother ? Peut-tre. Il fut un temps o il tait
dealeur, mais il sest rang, dealer cest du bnf sur terre, a se paye toujours en
enfer" (B. p. 12)
246
VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Parlez-vous branch ?", p.40.
Lindic dsigne l'indicateur de police. "Jtais devenu un indic, et aujourdhui
encore cette sale rputation me gratte la peau" (B. p. 15)
Le terme "appartement" tant long est rduit appart . "[. . .] ils ne me laissent
mme pas entrer dans leur cellule pour ne pas dire dans leur appart" (B. p. 134).
Le film documentaire est tronqu en doc. "La camra, belle aubaine, est
rquisitionne. Grzi m'a peut-tre convaincu de faire un doc" (B. pp21-22)
Si dans tous les exemples cits, le dbut du terme est conserv avec l'apocope, dans
laphrse, ce sont les premiers phonmes de lunit lexicale qui sont au contraire
supprims. Ce faisant, elle opacifie son sens et rend plus difficile le dcodage de
lnonc 247
Dans notre corpus, ce procd nest pas aussi rpandu que lapocope, les termes crs
par aphrse sont peu. Citons titre dexemple, guez . "Depuis ce malaise, je nai
jamais plus ingurgit un guez-frites, dire quauparavant je pensais avoir un
estomac en cuir"(B. p. 74). Guez nest que laphrse de merguez.
Grzi a eu recours laphrse en disant "Y a pas de blme sinon jte laisse mirdor"
(B. p. 113). Blme est la forme tronque de problme.
247
SOURDOT, Marc, "Largotologie : entre forme et fonction" in La Linguistique, Argots et
Argotologie, vol 38/ 2002-1, Paris, PUF, p. 37.
Laphrse peut saccompagner dun autre procd, savoir le redoublement
hypocoristique. Ce phnomne est vident dans zonzon . "Mais il ne faut pas
prendre ses rves pour des ralits, je suis en zonzon. Jespre que toi tu en profites,
sinon tes vraiment un gros naze" (B. p. 150)
"a va faire deux mois que japprends vivre dans cette zonzon" (B. p. 126)
La zonzon est la prison. Le terme est forg par troncation de la premire syllabe
ensuite par redoublement de la seconde. Ce terme tant polysmique peut galement
signifier un systme permettant lcoute tlphonique par redoublement de la dernire
syllabe de (liaison).
Cette mme rgle est applique gogo. "C'est toutes ces aventures que je vais
raconter, pour me faire des tunes gogo, pour que a change" (B. p. 18). Le
gogo est l'individu crdule et naf. La formation du terme peut accepter deux
interprtations. Soit il est driv de la suppression de la premire syllabe de nigaud et
du redoublement de la seconde. Soit il est form du redoublement de la premire
syllabe de gobeur et de la suppression de la seconde.
248
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 293.
Si les sigles ne sont pas assez rcents puisque sous Louis XIV, on utilisait RCAR
pour dsigner la religion catholique apostolique romaine et RPR pour la religion
prtendument rforme, de nos jours le recours abusif aux sigles savre inluctable.
Les sigles parsems dans Boumkoeur varient entre des sigles assez connus, rpertoris
mme dans les dictionnaires et des sigles fonctions ludique ou identitaire relevant de
largot.
Pour le premier type de sigles, nous pouvons distinguer ceux qui sont bass sur des
anglicismes et ceux qui sont axs sur le franais. Sinscrit dans le premier groupe la
NASA. "Leurs casques sont trop bizarres, on croirait des prototypes de la NASA,
gros et blanc fluorescent" (B. p. 23)
Il sagit de labrviation de National Aeronautics and Space Administration. Cest un
organisme amricain fond en 1958 et charg de diriger et de coordonner les
recherches aronautiques et spatiales civiles aux Etats-Unis.
De mme, nous pouvons citer SOS. "Ce jeune homme, donc, eut la malchance de
rpondre prsent au SOS que lui lana un jour un Gremlin du quartier se nommant
Grzi, alias le camlon" (B. p. 115)
Le SOS est un signal de dtresse mis par radiotlgraphie par les navires ou les
avions en danger. Cest labrviation de Save Our Souls. Ce sigle est adopt par les
associations daide sociale: "[. . .] jaime pas SOS Racisme, ils viennent dans nos
quartiers uniquement quand cest primetime sur le dos de nos cadavres qui font de
laudimat" (B. p. 79)
Le K-O qui signifie (knock-out) et qui semploie pour dcrire une personne puise
par un effort ou assomme par un choc violent, est rpt plusieurs reprises. "[. . .]
et je ne sais pas pourquoi je me sens chuter comme si sur un ring je mtais
ramass une froce droite qui me met K-O" (B. pp. 114-115)
"Le projectile lui a foutu un K-O, il ne sentit pas le coup [. . .]" (B. p. 101)
"Mais ne jamais penser que lon peut gagner par K-O, a dstabilise" (B. p. 97)
249
GILDER, Alfred, Op.cit., p. 46.
Si lon renverse le K-O, on obtiendra OK, sigle renomm et trs usit. "OK, si tu
penses ne pas avoir besoin de dormir, sache que je respecte ton choix. As-tu soif ?"
(B. p. 114)
"Il rclame un sourire et cest OK ils ont tous deux leur protge-dents, le combat
peut commencer" (B. pp. 94-95)
"Jai toute ma vie pour men souvenir, mais sil te plat laisse-moi oublier trois ou
quatre jours, OK !" (B. p. 61)
OK est labrviation de (oll Korrect), orthographe fautive de (all correct), cest--dire
daccord, entendu.
Pour dfavoriss quils soient, les jeunes du quartier sattachent leur "look" ou
apparence extrieure, ils tentent mme dacheter des articles imports. "Trop dans ma
prcipitation, jai encore oubli mon bonnet LA, mais mon pyjama sous mon fut
compense." (B. p. 32). LA rfre Los Angeles.
Notons finalement 3D, abrviation de "three dimension". "Le joint, cest les vacances
en 3D, la grande vasion vers des voyages loin de soi" (B. p. 34).
Passons maintenant aux sigles qui s'appuient sur le franais. Du fait que les
vnements se droulent dans une banlieue, la HLM a t signale. "Gipsy est un
mystre pour chacun dentre nous, les HLM ntaient pas encore construites quil
vivait ici" (B. p. 39)
La HLM est lhabitation loyer modr, immeubles construits sous limpulsion des
pouvoirs publics et dont les logements sont destins aux familles revenus modestes.
Etant donn que les meutes sont de coutume dans ces zones sensibles, il est habituel
de voir les membres de la CRS. "Ils auraient fait appel mes services Saint-
Bernard, cest pas la hache que les CRS auraient tranch la porte de lglise,
mais avec un bazooka" (B. p. 57)
La CRS est la Compagnie Rpublicaine de Scurit. Cest une force mobile de police
cre en France en 1945 et charge de maintenir lordre. Il est noter que ce sigle est
employ, par ironie, par les gamins de la cit pour rfrer Car Rempli de Singes,
nanmoins il figure dans notre corpus dans son sens initial.
De son ct, le GIGN est un groupe dintervention de la gendarmerie nationale. "[. . .]
je me faisais embarquer par les inspecteurs qui taient sans renfort de GIGN sans
quoi jaurais t trou" (B. p. 127)
Ce sont les Renseignements gnraux (RG) qui ont permis de dvoiler laffaire de la
prise dotage de Yaz. "Tu sais, tu as eu beaucoup de chance que les RG aient mis
ton tlphone sur coute pour essayer de serrer ton grand frre [. . .]" (B. p. 126)
Dans les cits, le chmage est si fort que les jeunes ne peuvent pas sen sortir.
"Mme lANPE na rien pu pour moi, avec ces stages deux demi-
centimes qui ne servent rien, part faire croire aux parents quils vont
trouver un emploi leur fiston comme futur smicard"(B. p. 10)
LANPE est lAgence nationale pour lemploi, alors que "smicard" est un terme forg
partir de SMIC, qui est le salaire minimum interprofessionnel de croissance.
Faisant preuve d'une crativit fertile, les "ados" des banlieues ont donn ANPE un
autre sens. Pour eux, c'est le sigle de Arabe nourri par l'Etat. Mais, comme c'est le cas
de CRS, le sigle de l'ANPE est utilis dans le roman au sens premier.
Pour les gamins de la banlieue, le VTT est un bien quils ne peuvent pas soctroyer ou
se permettre davoir, moins quils ne le volent comme a fait Yaz. "A toute allure,
jenfourchais le VTT aux vitesses carrment bien huiles" (B. p. 14). Le VTT est
labrgement du vlo tout terrain.
Dans les cits, rares sont les jeunes qui parviennent faire des tudes universitaires.
La majorit d'eux ont le CAP. Le CAP nest que le certificat daptitude
professionnelle, diplme dcern la fin des tudes de lenseignement technique
court.
"Je suis entr aussi vite que je suis sorti. Jai ramen le fusil chez un
pote qui passe un CAP de mtallier, il ma sci le canon et comme il
avait un pote en CAP de menuisier, il ma aussi raccourci la crosse" (B.
p. 47)
Dans ces quartiers chauds, les jeunes ont tendance entendre le Rap qui constitue un
moyen de se dfouler, dextrioriser les peines. "Pour faire passer son temps dans
ses oreilles au rythme de ses cassettes de RAP for me pour speek in english , je
vais prendre le dictionnaire de Sonia [. . .]" (B. p. 54)
Le rap est un style de musique, paru dans les ghettos noirs amricains dans les annes
soixante-dix, fond sur la rcitation chante de textes souvent rvolts et radicaux,
scands sur un rythme rptitif et sur une trame musicale composite.
Le SVP est labrviation de sil vous plat. "Jespre quil na pas eu la malchance
de trouver la tune du voeu de sa cigarette magique lintrieur de la cave du
sorcier marabout du 21e tage porte gauche entrez sans frapper SVP" (B. p. 106)
"Je pense quil va devenir ncessaire que jaille rendre visite au docteur sorcier
marabout du 21e tage porte gauche entrez sans frapper SVP" (B. p. 124)
LUV rfre au rayon ultraviolet. "Le Daron en peignoir grimpe sur la table de notre
cuisine, ses mollets sont ceux dun coq bronz sous UV" (B. p. 99)
Dans la description de son pre boxeur, Yaz a eu recours au sigle SDI en rfrence au
punching-ball, le sac que le sportif est cens frapper. "Lui, tait convaincu, le Daron
ne serait jamais boxeur car il avait peur des coups, et navait aucun punch lorsquil
frappait le vieux sac SDI rapport du Mexique" (B. p. 89). La SDI est la stratgie de
dfense initiative.
Parmi les sigles les plus connus, TV qui signifie tlvision. "[. . .] un cameraman de
la TV est venu demander aux jeunes qui tiennent les murs sil pouvait leur poser
des questions" (B. p. 21)
LOD fait galement partie des sigles relevant de largot, cest labrgement de
overdose . "La soire sera sans suspense, on verra des jeunes basans bien friss,
faire soit des braquages soit senfoncer des piquouzes dans les veines jusqu lOD"
(B. p. 24)
"Rien faire, Hamel se dchirait, se croyant labri dune OD" (B. p. 35)
Cest le cas galement de FC. "Ma paire de chaussettes aux couleurs du FC Nantes
laissent apparatre mes deux orteils [. . .]" (B. p. 82). Le FC signal dans les
dictionnaires est fils de la charit , alors que le protagoniste dsigne le Football
Club de Nantes.
Le RAS est aussi un sigle polysmique. "Clic, clic, clic, clic, clic fait le chant des
barreaux frapps par une barre de mtal. Cest OK, RAS quil doit penser quand les
barreaux rsonnent les syllabes de la prison" (B. p. 153)
Ici il sagit de l'abrviation de "Rien signaler", alors que certains peuvent penser de
prime abord au Rseau daides spcialises.
Le DAS est galement un sigle assez hermtique puisque cest la DAS, Direction de
lAction Sociale, et non pas le DAS que nous entendons. Cest le contexte qui nous
aide dduire quil sagit du verlan du sida, puisque le HIV, the human immuno-
deficiency virus, causeur de la maladie, est signal.
"Une vraie grand-mre, ce mec gnraliste de la mdecine qui avait t
trs piquant le jour de ma prise de sang HIV aux analyses top secret.
Ecoute ce qua crit Kurtis ce sujet :
[. . .] protge toi et le DAS naura pas laudace
de te prsenter son HIV pour tachever, si
tas pig protge-toi, protgez-vous car
aujourdhui on meurt aussi damour" (B. p. 156)
Finalement, un sigle plein de charge injurieuse mrite d'tre comment, c'est celui de
NTM.
"Alors cest en pivert que sest transmut mon pied droit qui martle la
doors dun rythme endiabl, comme quoi le foot, mme si je ntais que
remplaant, a peut servir pour se faire entendre, lorsque le collgue
sest sodomis les orifices avec des couteurs qui jaculent des lyrics
explicites dans ses oreilles dpendantes du Suprme NTM"(B. p. 58)
Il sagit de labrgement de la formule nique ta mre base sur llision du pronom
personnel sujet (je). Le verbe niquer que nous avons dj vu dans la partie concernant
l'argot signifie ici possder sexuellement et parat driv de l'arabe maghrbin "vi nik"
en sens de (il cote). L'expression nique ta mre est trs usite dans la culture de la
rue et rythme la plupart des discours.
"Vers 1995-1996, on sest, parat-il, bien amus, dans les cours dcole,
avec ces insultettes en kit. L encore, il sagit dimportation directe en
provenance des Etats-Unis o le phnomne de linsulte ritualise
canalise contre un parent est bien connu"250
Ce sont "des vannes rfrences qui visent indirectement, cest--dire par parents
interposs, les personnes insultes"251. Pour les collgiens et les lycens, cest un
exercice rigolard o ils vannent la mre dautrui. Cette vanne procure aux
interlocuteurs un plaisir du fait que le dialogue se transforme en un affrontement
verbal public.
Un coup de pouce a t donn cette formule injurieuse par la musique rap dont les
textes sont puiss dans cette agression verbale. Un groupe musical a mme t baptis
Suprme NTM et lanimateur de tlvision Arthur a publi un livre intitul Ta mre252
qui
"constitue aujourdhui un nouveau fonds inpuisable dans lequel les
adolescents puisent abondamment. La circulation des vannes sort du
contexte culturel local pour devenir un phnomne de dimension
nationale"253
Ceci dit, siglaison et troncation se croisent dans les discours des jeunes en gnral et
de ceux des cits en particulier. Dsir dconomie certes mais aussi les motifs
ludiques et certainement identitaires sont prsents.
250
MERLE, Pierre, Le prt parler, p. 151.
251
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 174.
252
Cf, Arthur, Ta mre, Michel Lafon, Paris, 1995.
253
LEPOUTRE, David, Coeur de banlieue, codes, rites et langages, p. 202.
La troncation que ce soit par aphrse ou par apocope constitue un procd trs
productif en FCC. Lapocope et laphrse constituent des figures de diction qui
changent le nombre de syllabes des termes, rendant les trisyllabes et les dissyllabes
des monosyllabes. Mais cest une arme double tranchant, si une certaine familiarit
en dcoule puisque le langage est senti plus "sympa" et plus vif, les lexmes tronqus
risquent parfois de ne pas tre compris. Cest le cas galement des sigles. Ceux-ci sont
dun usage si rpandu quils npargnent ni les termes soutenus ni les termes
argotiques et quils se sont mus en des racines permettant la cration des
nologismes drivationnels.
Mais labrviation traite dans ce chapitre est contrebalance par lallongement via
prfixe et suffixe que nous allons tudier dans le chapitre suivant.
Troisime Chapitre
La drivation et la composition
"Le systme lexical possde une
grammaire qui permet la
production d'units prvisibles et
motives: c'est la logique de la
drivation. Pour le franais, on
entend par drivation la
production de mots construits par
suffixation et par prfixation"254
Il existe cependant une autre diffrence importante entre prfixe et suffixe. Le premier
conserve la plupart du temps la classe grammaticale du radical, alors que le second la
modifie gnralement. Pour les prfixes, dfaire est un verbe de faire, survtement un
nom comme vtement, dsquilibr un adjectif comme quilibr. En revanche, si raser
est un verbe, rasoir est un nom.255
D'autre part,
"le suffixe est toujours coll au mot de base, alors que certains prfixes
peuvent possder un reste d'autonomie, qui se manifeste par exemple par
un trait d'union ou une apostrophe: le surquipement- le sous-
quipement/ entr'ouvrir ou entrouvrir. En particulier, les prfixes qui
viennent de prpositions ne sont pas toujours colls (entre, sous,
contre)"256.
A commencer par les prfixes les plus usits en FCC, nous avons remarqu la
rcurrence des prfixes d'intensit, notamment "super", "hyper", "ultra" et "extra".
Super indique un trs haut degr d'excellence. "Cette nuit l, j'avais t transmut
en une sorte de super-hros qui sauvait la pelle. Etre un super-homme c'est cool
[. . .]"(B. p. 28)
Ce prfixe s'est gnralis: il est devenu au cours des deux dernires dcennies du
millnaire pass un adjectif autonome trs en vogue dans le parler jeune.
Selon Henri BOYER, ce prfixe superlatif figure dans 100% des discours des jeunes
Montpellier, 93% Lille et 95% Paris.257
Hyper est l'homologue grec du "super" latin, c'est un prfixe employ comme
quivalent de (extrmement). "Je ne sais pas comment la belle au bois dormant
254
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 255.
255
Ibid., p. 256.
256
L'article "La formation du vocabulaire (morphologie lexicale)" in
http://home.nordnet.fr/~bbouillon/Univ/Ling/Fichiers/morhpolex.htm
257
Cf. BOYER, Henri, "Le franais des jeunes vcu/vu par les tudiants, Enqutes Montpellier, Paris,
Lille", p. 81.
faisait pour se retenir, j'avoue l-dessus elle a t hyper-forte: mille ans sans chier,
c'est du boulot" (B. p. 72)
"Le projectile lui a foutu un K-O, il ne sentit pas le coup, c'est un norme flash qui
sembla traverser son corps, lui pompant toute son nergie hypervitamine" (B. p.
101)
Ce prfixe est remis l'honneur dans les annes quatre-vingts dans le parler minet.
Toujours selon Henri BOYER, il est employ dans 71% des discours des adolescents
rencontrs Montpellier, 44% Lille et 56% Paris.258
Ajoutons galement extra qui dsigne une apprciation extrmement positive. "Il
(le walkman) a un son d'agonie, c'est l'extra-plat sony, fractur au plus profond de
ses options technologiques" (B. p. 69).
Il parat dans 66% des discours enregistrs Montpellier, 60% Lille et 50%
Paris.259
Par ailleurs, il peut tre employ comme apocope de (extraordinaire) et est considr
dans ce cas comme adjectif.
Notons de mme le prfixe ultra qui constitue un prfixe de renforcement. "Elle
voulait devenir avocate, son crne c'tait un stock de matire grise ultravitamine"
(B. p. 67)
Or, si les prfixes prfrs par les jeunes sont mlioratifs, les suffixes paraissent plutt
pjoratifs. Parmi les suffixes employs, (os) et (ard) semblent tre les plus frquents.
"PAF!!!A cet endroit prcis, notre poids moyen a pli son Mexicanos" (B. p. 97)
"[. . .] enfin sa poupoune jouait au yoyo, avec une beute de blackos" (B. p. 86)
"D'ailleurs tout notre matos est TDC, c'est--dire tomb du camion, par accident"
(B. p. 18)
258
Cf. Loc.cit.
259
Cf. Loc.cit.
260
BOYER, Henri, "Le statut de la suffixation en os" in Langue franaise, Les mots des jeunes,
Observations et hypothses, n: 114, juin 1997, Paris, Larousse, Bordas, p. 39.
priori, [. . .] comme spcialement vulgaire ou pjorative"261. Ce suffixe a de surcrot
une particularit expressive: l'ironie et la plaisanterie. Il redonne une jeunesse aux
mots uss, ce qui le rend revitalisant.
Le suffixe (ard), quant lui, est senti comme plus franais, plus argotique et semble
tre plus productif. Il vient s'ajouter le plus souvent des termes dj argotiques
comme "trouillard", "plumard", "smicard" et "connard" que nous avons tudis dans
les chapitres prcdents262.
Quant au "bobard", c'est une affirmation niaise, le plus souvent mensongre ou
malveillante. Le terme est driv d'un radical onomatopique (bob) qui voque le
mouvement de lvres, d'o avec le suffixe pjoratif (ard), l'ide de fausset.
"Il tait une fois une bonne poire qui avait une capacit folle avaler tous les
bobards de son entourage: il s'appelait Yaz" (B. p. 115).
Le suffixe s'ajoute galement vice et moelle: "vicelard" signifie dprav: "A poil,
sous le regard vicelard de certains matons qui chronomtraient la dure, pas plus
de deux minutes par corps" (B. p. 131), alors que "mollard" veut dire crachat:
"Grzi est enrhum et balance ses mollards dans la porcherie" (B. p. 20)
"Sans doute me prend-il pour un cascadeur, inutile de lui expliquer que j'ai gliss
sur un de mes mollards peau de banane" (B. p. 104).
"[. . .] il y a bien sr des suffixes dprciatifs, ard hrit de l'ancien
franais, s'est install en franais comme suffixe pjoratif de noms ou
d'adjectifs, construits sur des noms (corne, salop, etc) ou de verbes
(brailler, traner, etc): d'o braillard, cornard, froussard, salopard, etc.
on vitera de confondre ce suffixe son homonyme qui permet de
construire des noms locatifs (banlieusard, savoyard). Paralllement
ard, dprciatif souvent construire des noms masculins, le franais
dispose de asse qui possde une valeur comparable pour les noms
fminins"263
Le suffixe (asse) parat dans "ptasse" et "pouffiasse", tous deux dsignant une femme
vulgaire, une prostitue dbutante ou occasionnelle, une femme nglige ou peu
avenante264.
Le suffixe est de mme vident dans caillasse dsignant en franais des cits une
fille ou une femme quelconque, nanmoins Grzi l'emploie comme terme d'insulte.
"- Je ne pleure pas, j'ai une poussire dans l'oeil.
-Viens, je vais te la retirer, ta caillasse" (B. p. 38)
Autre terminaison argotique (ouze). "Tu sais, lorsqu'ils m'ont foutu en garde vue,
ils m'ont fait retirer ma bagouze en ro, mes lacets et mon cordon de survt [. . .]" (B.
p. 128)
"La soire sera sans suspense, on verra des jeunes basans, bien friss, faire soit
des braquages soit s'enfoncer des piquouzes dans les veines jusqu' l'OD" (B. p. 24)
261
MERLE, Pierre, Le prt parler, p. 29.
262
Voir respectivement pp. 89, 66, 178, 76.
263
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 274.
264
Voir p. 87.
"Comme disait Ben, quand tu es sur le ring, rien ne doit tre nglig, ta tenue elle
seule brillera plus fort qu'une partouse d'toiles, tu t'offres en spectacle, c'est toi la
star quel que soit ton niveau" (B. p. 94)
Ce suffixe est venu s'ajouter (bague), (piqres) et (parties) pour leur confrer une
valeur nettement dprciative.
"Les mdecins n'ont pas pu faire grand-chose pour moi, leurs cachetons
multicolores se gobaient dans les trombes d'eau que mes vulves libraient le soir
dans mon sommeil" (B. p. 108)
"Les deux bikers d'une trentaine d'annes ont des visages sympatoches [. . .]" (B.
pp. 22-23)
Les deux terminaisons ont revtu les deux termes (cachets et sympathiques) d'une
nuance d'humour mle de ddain.
265
Un article de Wikipdia, l'encyclopdie libre in http://fr.wikipedia.org/wiki/Nologisme
266
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit, p. 236.
267
Ibid., p. 235.
Il faudra attendre la deuxime moiti du XXme sicle pour voir se dbrider les tudes
concernant les nologismes.
"Dans le domaine des tudes francophones, la nologie prend un aspect
officiel alors que le pouvoir politique prend les premires mesures lui
permettant de concrtiser sa volont d'quiper la langue franaise en
termes scientifiques et techniques, face la domination de l'anglo-
amricain. C'est partir des annes 1980 que se met en place une activit
assidue et concerte de nologie officielle au plan de la francophonie"268
Au dbut de sa cration, le nologisme constitue un fait du discours en ce sens qu'il
est considr comme une forme virtuelle possible, mais ensuite il se mue en un fait de
langue aprs son acceptation, sa parfaite lexicalisation et son intgration l'usage.
La nologie se divise en deux types: la nologie formelle marque par l'innovation
la fois sur les plans du signifiant et du signifi et la nologie smantique qui n'est pas
facilement perue tant donn qu'elle touche le sens seulement.
"En pratique, le reprage de nologismes s'opre par le recours un
corpus d'exclusion. On considre alors comme nologiques les units qui
ne sont pas recenses dans les ouvrages lexicographiques existants,
dictionnaires, lexiques, recueils de mots nouveaux"269
Dans son roman, Djadani a eu recours certaines formes virtuelles qui ne sont pas
encore attestes dans les dictionnaires. Elles sont la marque de sa personnalit, de sa
cration individuelle spontane. Il s'agit de son idiolecte. Toutefois, la plupart de ces
mots respectent le principe de formation de la langue franaise, ce qui laisse entendre
que les chances de leur survie sont grandes. L'intrt que nous avons port ces
nologismes rside dans le fait qu'ils tmoignent de la comptence des jeunes
banlieusards forger des mots nouveaux.
"Des termes sonnant juste, ns d'un brin de logique, d'une pince de
posie et de quelques notes d'humour comme si la langue franaise avait
besoin de ce bol d'oxygne pour se librer du poids de trop de
conservatisme"270
Les nologismes crs par Djadani regroupent des substantifs, des verbes, des
adjectifs et des adverbes.
A commencer par les noms, nous avons relev l'emploi de "zbrage". "C'tait une
police 12%. Pour Sonia 'a t direct l'hpital, pour moi un zbrage sur tout le
corps avec la ceinture de cuir de mon Daron" (B. p. 53)
Le "zbrage" est driv du verbe (zbrer) qui signifie marquer des raies, des lignes
sinueuses.
Pour dsigner le sexe fminin et au lieu de dire zizi ou zigounette, Djadani a form
"zizounette". "Dans un plumard brod d'toiles je me vois la doigtant avec Index et
Majeur, deux splologues confirms, agilement ils dfricheront et dgivreront la
source de sa zizounette" (B. p. 54)
A partir du verbe mitonner signifiant prparer quelque chose peu peu et avec soin,
l'auteur a form "mitonnage" pour rfrer aux histoires inventes par les jeunes de la
268
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit, p. 235.
269
Ibid., p. 249.
270
CERTA, Pascale, Op.cit., p. 73.
cit pour tromper Gipsy. "Il n'tait jamais la page, croyant dur comme fer ce
genre de mitonnage" (B. p. 85)
La focalisation est dsigne par zoomage (cr partir du zoom de la camra). "Un
petit zoomage dans la fente de ma bote aux lettres. Y a que dalle [. . .]" (B. p. 31)
Concernant les verbes, il a forg partir de (K-O), (bunker), (ventouse) les formes
verbales, "K-Otiser", "bunkriser" et "ventouser".
"[. . .] ce n'est ni l'ge ni la fin de son alcoolisme qui ont stopp les
violences abusives du Daron, mais mon brother Aziz qui l'a K-Otis
jusqu'aux burnes dans ses lans" (B. p. 25)
"Elle (l'araigne) n'est pas morte et me regarde avec de gros yeux, elle
ne crie pas. La moiteur de mon doigt semble l'avoir ventouse, comme
prisonnire" (B. p. 73)
Le verbe "droiter" signifiant frapper par la main droite a galement fait son apparition.
"La boxe tait rserve aux bandits, et pour rendre ma mauviette de Daron homme,
ils n'hsitaient pas le droiter. En sang, il rentrait la casbah" (B. p. 89)
Pour ce qui est de l'adverbe, nous avons relev la cration de "flinement" partir de
(flin). "La ranon solidement pendue autour de son cou allait flinement de
l'expditeur au receveur qui la pchait avant que Mimi n'aille commettre son pch
clin" (B. p. 116)
Outre la nologie par drivation, la nologie par composition est galement employe
mais un degr diffrent. Elle est base soit sur l'agglutination d'une unit le plus
souvent tronque une autre autonome comme (coproduit), soit sur la juxtaposition
ou la succession de deux ou plusieurs lexmes, soit sur des propositions figes comme
un je ne sais quoi.
"[. . .] on peut retrouver quelques -uns des procds courants:
-adjectif + nom: spcial-cul.
-adverbe+ verbe: le mieux-disant culturel.
-adjectif+ adjectif: punky-funky (anglicisme).
Le moyen de composition le plus prolifique en franais branch semble
l'alliance nom+ nom"271.
Les mots composs fonctionnent comme un seul nom, titre d'exemple un va-et-vient
sont deux verbes traits comme un nom commun, et sont bass sur le principe
d'insparabilit des lments constitutifs.
Boumkoeur regorge en effet de mots composs mais nous avons choisi de ne signaler
que ceux qui peuvent faire partie du FCC.
Sur le modle de l'agglutination d'une apocope et d'une unit autonome, Djadani a
cr "cameshit" pour rfrer la drogue. "[. . .] on remarque vite fait si les matons
ont fait une fouille la recherche de stupfiants cameshit qui sont la prison ce
qu'est l'argent l'extrieur" (B. p. 139)
271
VERDELHAN-BOURGADE, Michle, "Procds smantiques et lexicaux en franais branch", p.
71.
Parmi les mots composs par juxtaposition, la "culture-cit". "Il me tend son poing,
pour le shake, dsormais c'est poing contre poing que a se passe, le salut, c'est
l'volution de la culture-cit pompe dans les ghettos noirs amricains" (B. p. 32)
"On a de la chatte, pour ne pas dire de la chance que notre culture-cit n'ait t
inspire par le baiser sur la bouche la mode des goulags de nos camarades russes"
(B. pp. 32-33). La "culture-cit" rfre au mode de vie rpandu dans les banlieues.
De mme, Djadani a cr le "maton chef". "A mon arrive, on m'a encore pris en
photo avec une autre ardoise et un autre numro, celui de mon crou: le 286743 H.
Ne jamais m'en sparer, m'a dit le maton chef" (B. p. 131)
272
GAUDIN, Franois et GUESPIN, Louis, Op.cit., p. 262.
273
YAGUELLO, Marina, Petits faits de langue, Paris, Seuil, 1998, p. 9.
stages de glisse seront trs bien accueillies [. . .] condition qu'elles aient un gros
bonda" (B. p. 31).
Les jeunes utilisent, d'autre part, "zippo" pour dire briquet. "[. . .] Grzi le
superstitieux sortira l'une des tiges, la noircira avec la flamme de son zippo" (B. p.
33).
Au lieu de dire les baskets Nike, ils emploient "virgules": "Mon jean tombe
parfaitement sur les virgules, ma dmarche s'lance" (B. p. 31) et plus tard "Je
comprends maintenant pourquoi j'avais l'impression d'avoir des glaons
l'intrieur de mes virgules, lorsque le froid s'infiltrait" (B. p. 82).
Les jets d'eau sont des jets de "karcher". "[. . .] des coups d'ponge sur les plafonds
saccags par les graffitis aux jets de karcher pour faire dguerpir les fromages
camembert [. . .]" (B. p. 122)
Le verbe "dicaver" employ au sens de regarder fait galement partie des termes dont
l'origine est inconnue. "Ils me dicavent, me matent, me regardent, l'oeil serr" (B. p.
120)
Ce faisant, nous pouvons affirmer, sans crainte, que nous assistons une intgration
l'crit de certains lments de la langue parle. L'crit prsente de plus en plus une
image ne serait-ce qu'approximative du langage oral. Il y a, par la suite, un change
entre les deux codes selon la situation de communication.
"Le jeu de l'expressivit "intra-franaise" fait sa richesse et son
originalit: changements constants de registres, de niveaux et de codes
linguistiques franco-franais; ce qui donne vivacit et tension au texte"274
274
BONN, Charles, Littratures des immigrations, un espace littraire mergent, Tome 1, Paris,
L'Harmattan, 1995, p. 48.
Conclusion
"Quels qu'en soient les vecteurs:
mdias, musique rap, cinma,
littrature, humoristes, la
diffusion/ propagation d'lments
des sociolectes urbains est
aujourd'hui un fait bien tabli"275
Le franais contemporain des cits ne peut en aucun cas tre sous-estim. C'est
un chantier peine ouvert, mais c'est galement un parler qui constitue en soi un
phnomne et qui doit tre pris en considration. Les linguistes le considrent comme
un lment du patrimoine linguistique culturel. Investi dans les films, vhicul par les
mdias et rcupr par les jeunes, le FCC a dpass les frontires des cits. Son
volution s'impose comme une vidence. Il a une visibilit importante et il est utilis
malgr les rserves des bien-pensants. Le FCC a pris les devants et mme ses
dtracteurs choqus, au dbut, ont fini par l'accepter, le tolrer et l'adopter. C'est un
parler qu'on aime et qu'on corrige, qu'on attaque et qu'on utilise, qu'on rprimande et
qu'on admire.
"Les sentiments [son] gard seraient en quelque sorte situs sur un
continuum, qui aurait pour ples, d'une part, une attitude apologtique
dont les tenants ne tarissent pas d'loges sur la crativit et la posie de la
langue des cits, d'autre part, un rejet vigoureux et offusqu, se fondant
sur un respect obsessionnel de la norme dite lgitime"276
Ce langage est la marque d'un lieu de relgation et d'enfermement, de stigmatisation,
du brouillage et du malaise social et psychologique. Le FCC parat dans un march
appropri par les domins et exprime l'habitus de toute une classe sociale. C'est le
langage de l'exclusion, voire de l'auto-exclusion.
Dans la socit franaise, les habitants des cits ont forg une culture d'opposition
l'ordre tabli et l'importance de leur parler rside dans son rle symbolique identitaire.
Le dit groupe a forg son propre parler pour assurer l'interaction, et ce parler, son
tour, constitue son identit. D'o la rciprocit.
Le profil social des habitants, leur proximit et la ressemblance de leur mode de vie
ont permis l'mergence du FCC. Les habitants des cits, tant des gaux sociaux mais
d'origine raciale diffrente, ont cr un code qui ne va pas vers le standard, vers le
franais guind. Ils ont opt pour converger vers un ple, ne serait-ce que grgaire,
pour se dmarquer du groupe dominant. Ils rsistent, travers leur parler,
l'hgmonie des classes dominantes et s'appuient sur leur connaissance partage.
275
BILLIEZ, Jacqueline et TRIMAILLE, Cyril, "Plurilinguisme, variations, insertion scolaire et
sociale" in Langage et socit, n: 98, dcembre 2001, p. 116.
276
Ibid., pp. 116-117.
Pratiqu essentiellement par les jeunes issus de l'immigration qui passent leur
journe traner et voler, le FCC est employ des fins identitaires juvniles. Les
adolescents dvalorisent le vocabulaire soutenu et survalorisent les mots familiers,
relchs et argotiques. Les banlieusards tiennent utiliser le FCC pour afficher leur
appartenance un groupe minoritaire, celui des cits, aussi bien que pour reflter
leurs maux. C'est comme s'ils essayent d'inverser le rapport de force: ils ont un
langage qui leur est propre et qui, s'il n'est pas mconnu des Franais de souche, n'est
pas au moins bien matris par eux. Ces derniers tentent de s'en emparer pour des fins
ludiques ou pour suivre la mode: le phnomne de l'encanaillement du bourgeois a
toujours exist.
Si nous nous sommes penche sur la conjoncture sociale des cits pour
souligner l'image quasi monolithique du tissu social des ensembles urbains, et si nous
avons dcrit le quotidien des habitants et leur mode de vie, c'est dans le but de pouvoir
saisir dans quelle mesure leur langage reprsente une stratgie de rsistance la
contrainte conomique, la dvalorisation sociale, une vie sans chappatoire et peu
scurisante, leur condamnation collective et la claustration. Nous avons essay de
jeter la lumire sur l'altrit linguistique que reprsente le FCC pour en savoir les
sources d'inspiration inpuisables. Les particularits du franais des banlieues sont
surtout lexicales. Procds smantiques et formels se ctoient.
C'est l'argot qui constitue la principale source du franais des cits. Des formes
argotiques d'une extrme richesse lexicale pour certains domaines comme la
dlinquance, le sexe et les insultes ont t repres. Le recours l'argot est une
stratgie de contournement des tabous sociaux, une forme de transgression langagire.
L'argot actuel est un signum social en rupture avec la fonction de l'argot traditionnel,
langue des gueux. L'argot des mtiers a disparu au profit de l'argot sociologique. Les
argotisants ne sont plus les classes dangereuses mais les classes dfavorises perues
comme criminognes.
La prsence des survivances de l'argot est un gage d'authenticit du discours. La
datation des lexmes a prouv que l'argot ne meurt pas, il connat des hauts et des bas,
se dplace, fait peau neuve, se calme, couve sous la braise puis rejaillit. L'abondance
des synonymies et des polysmies est un trait caractristique de l'argot.
Dans la mme intention de brouiller les pistes devant les intrus, les jeunes
banlieusards abrgent les termes soit en escamotant les premires syllabes d'un terme,
soit en en supprimant les dernires. En d'autres termes, la troncation guette les mots
longs et les apocopes et les aphrses donnent au FCC un rythme saccad et rapide et
rendent ce parler plus familier.
277
BILLIEZ, Jacqueline et TRIMAILLE, Cyril, "Plurilinguisme, variations, insertion scolaire et
sociale", p. 115.
L'tude des diffrents procds de formation lexicale a permis d'tablir les
ensembles parasynonymiques des termes les plus usits considrs sous l'angle des
marqueurs sociolinguistiques et nous avons essay d'en souligner les variantes de
forme. Nous nous sommes intresse essentiellement ce qui relve de la langue et ce
n'est que dans le chapitre concernant le nologisme que nous avons mis l'accent sur ce
qui relve du style.
De tout ce qui prcde, nous pouvons affirmer que le franais des banlieues
converge vers la spontanit et la mtaphorisation, c'est un rendement la fois fruste
et puissant. Il n'est point alatoire ou asystmatique. Loin d'tre du sabir, c'est un
sociolecte, ou en d'autres termes un dialecte social stigmatis. C'est une forme de la
subordination de la forme du discours la forme de la relation sociale.
Si pour qu'il y ait une varit, il doit y avoir une spcificit de certains traits
linguistiques dmarqus du franais standard notamment en ce qui concerne le
phonique et le lexical, nous pouvons assurer que le FCC constitue une varit du
franais. Phontiquement, l'augmentation du nombre du [oe] dans le verlan et la
prononciation glottale du [r] le marquent. Le lexical est galement spcifique. Les
procds hrditaires sont employs mais avec une varit des sources. Le
grammatical est galement touch par l'apparition des formes verbales non
conjugues sous l'effet du verlan.
Cette varit est essentiellement valeur identitaire et cohsive et est forme des
marqueurs et des strotypes. La violence verbale manifeste la connaissance d'un
savoir social et d'une comptence langagire.
Bref, le FCC est une production symbolique lie aux conditions sociales. Il est
form de mots dchirs et dchirants l'instar des cits: il verbalise la dsorientation,
la perte de repre et le cumul des handicaps. C'est une dsinvolture consciente
l'gard des normes prescriptives, c'est aussi une contestation des modles de l'cole,
des manipulations linguistiques qui sont imposes. Il traduit le sentiment de
"dphasage" des jeunes des cits. C'est un discours revendicatif qui reflte la violence
pulsionnelle des laisss-pour-compte. Il impose aux banlieusards une vision unique de
leur monde, vhicule leurs penses, et les soude linguistiquement. Son
renouvellement incessant rend difficile son tude puisque la diachronie prime
certaines units et fait paratre d'autres. Il fait partie de la culture interstitielle de la rue
qui comprend, entre autres, un look particulier, une musique techno et des graffitis.
L'apparition de cette varit dans la littrature montre que les crivains beurs
s'engagent dans la pragmatique de l'action. C'est une volont de revendication qui a
pouss ces auteurs, perus comme "diffrents", retracer leur itinraire. Ils veulent
transmettre les discours et les parlers non pas des lecteurs mais de leur groupe social.
Ils essayent de mettre l'accent sur les problmes des jeunes issus de l'immigration.
Entre deux langues, l'arabe et le franais, deux cultures, l'une orientale et l'autre
occidentale, deux ples d'appartenance, la socit d'accueil et celle d'origine, les beurs
subissent une acculturation.
Dans Boumkoeur, Rachid Djadani nous invite une lecture de l'histoire de la France
contemporaine. Il a tent de perptuer les traits caractristiques de son groupe et de
transmettre la forme orale du langage au discours crit. Il a soulign la perversion du
linguistique par le social. C'est une transposition romanesque du parler urbain
travers laquelle Djadani a tabli des relations de solidarit avec les groupes
marginaliss. Il a considr la diffrence sociale comme une ralit qu'il faut accepter
et partager. Il a non seulement repris des termes en voie de standardisation mais il a
cr de nouveaux lexmes poursuivant en cela le caractre dynamique du langage
oral.
L'crivain beur a russi mettre en texte une identit plurielle cohrente en marge des
modles dominants. Ce qui laisse penser que les immigrs et leurs descendants sont
en voie de devenir des acteurs de changements sociaux. Et c'est ce qui nous permet
galement de prvoir que la langue de la rue d'aujourd'hui participe d'une manire
effective l'laboration de la langue de demain et dtermine ses orientations.
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- Anonyme: www.theatrecentaure.lu/spec/spec05.html
- ELBADAWI, Souef, "Qui veut son respect, s'en donne les moyens" in
www.africultures.com/revue_africultures/articles/affiche_article.asp?no=1684
- http://fr.encyclopedia.yahoo.com/articles/sy/sy_288_p0.html
- http://www.melissa.ens-cachan.fr/article.php3?id_article=244
Alternance: l'usage dans un mme nonc de deux langues diffrentes que ce soit par
comptence (alternance de comptence) ou par erreur (alternance d'imcomptence).
Argot: dialecte social qui dsignait autrefois le langage des malfaiteurs, leur jargon
secret et qui par extension dsigne actuellement le vocabulaire propre un groupe
social qui se veut en opposition avec les autres. Il a pour principal objectif de ne pas
tre compris que par les initis ou de marquer l'appartenance un certain groupe.
Lexique: selon la lexicographie, le lexique est soit le livre comprenant la liste des
termes utiliss par un auteur ou par une science, soit un dictionnaire bilingue qui met
en parallle des units lexicales de deux langues.
Comme terme gnral de la linguistique, il dsigne l'ensemble des units formant le
vocabulaire, la langue d'une communaut ou d'un locuteur.
Mtaphore: figure de rhtorique base sur l'emploi d'un mot concret pour exprimer
une notion abstraite et ce en l'absence des mots introduisant la comparaison.
Nologisme: un nouveau mot construit et non hrit d'un tat plus ancien de la langue.
Il est considr comme tel tant qu'il est encore mal lexicalis, qu'il est rcent aux
oreilles des locuteurs ou qu'il est d'usage limit.
Phonme: unit minimale distinctive de la phonologie. Si deux sons sont utiliss pour
opposer deux mots comme [t] et [d] dans toit [twa] et doigt [dwa], ces deux sons
constituent deux phonmes. Si leur opposition n'entrane pas la cration de deux
termes diffrents, ils constituent un seul phonme, comme les diffrentes ralisations
du [r].
Terme: 1- en syntaxe, c'est un mot qui assume dans une phrase une fonction
dtermine.
2- il s'emploie parfois comme synonyme de mot ou d'item lorsqu'il s'agit de dcrire
une structure.
3- en terminologie, c'est une unit signifiante constitue d'un mot ou de plusieurs mots
qui dsigne une notion de faon univoque l'intrieur d'un domaine.
Variante: une forme d'expression diffrente d'une autre, mais n'entranant pas de
changement de contenu.
Variation: 1- phnomne par lequel une langue dtermine n'est jamais une poque
donne dans un lieu et dans un groupe social donns identique ce qu'elle est une
autre poque, dans un autre lieu, dans un autre groupe social.
2- synonyme de variante et parfois de variante libre, terme qui rfre aux units
linguistiques interchangeables dans tous les contextes.
Verlan: inversion de l'ordre des syllabes ou des phonmes d'un terme en fonction du
nombre des syllabes qu'il renferme (exemple: meuf pour femme)
Xnisme: unit lexicale constitue par un mot d'une langue trangre et dsignant une
ralit propre la culture des locuteurs de cette langue. Le xnisme, force d'tre
utilis, peut devenir un prgrinisme ensuite un emprunt.
Figure 1:------------------------------------------------p. XI
Les Sarcelles dans le Val d'Oise (1999)
Figure 2:------------------------------------------------p. 21
En 1966, Saint-Denis constituait le troisime
bidonville de la rgion parisienne.
Figure 3:-------------------------------------------------p. 22
En 1945, un quartier pavillonnaire inond
dans la banlieue parisienne
Figure 4:-------------------------------------------------p. 23
Rpartition de la banlieue parisienne
Figure 5:------------------------------------------------p. 30
Le groupe de rap IAM
Figure 6:-------------------------------------------------p. 31
Les tags et les graffitis Grenoble
Table des matires
* Premier chapitre:
Vision sociologique ------------------------------- pp. 15-37
* Deuxime chapitre:
Approche sociolinguistique---------------------- pp. 38-56
* Premier chapitre:
L'argot-----------------------------------------------pp. 58-109
* Deuxime chapitre:
Les marques transcodiques--------------------pp. 110-136
* Troisime chapitre:
La mtaphore------------------------------------pp. 137- 148
* Premier chapitre:
Le verlan------------------------------------------pp. 150- 165
* Deuxime chapitre:
L'abrviation------------------------------------- pp. 166-183
* Troisime chapitre:
La drivation et la composition------------pp. 184- 196
- Conclusion-------------------------------------pp. 197-203
*Glossaire du franais
contemporain des cits------------------------pp. 216- 222
*Glossaire des notions linguistiques-------pp. 223- 225
*Index thmatique------------------------------pp. 226- 228
*Index onomastique ---------------------------pp. 229-232
*Table des illustrations----------------------- p. 233