L'Enseignement de La Traduction Médicale Un Double Défi
L'Enseignement de La Traduction Médicale Un Double Défi
L'Enseignement de La Traduction Médicale Un Double Défi
Hannelore Lee-Jahnke
Meta : journal des traducteurs / Meta: Translators' Journal, vol. 46, n° 1, 2001, p. 145-153.
URI: http://id.erudit.org/iderudit/003445ar
DOI: 10.7202/003445ar
Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir.
Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique
Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à
Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents
hannelore lee-jahnke
Université de Genève, Genève, Suisse
RÉSUMÉ
Quel est l’intérêt particulier que présente la traduction médicale en situation d’enseigne-
ment universitaire ? Qu’est-ce qui a changé dans ce domaine au fil du temps ? De quels
facteurs nouveaux doit tenir compte le professeur en prodiguant cette discipline ? Voilà
quelques questions auxquelles nous tentons de répondre en nous basant sur notre propre
expérience en situation d’enseignement universitaire.
ABSTRACT
What is the relevance of medical translation in a university-level course? What has
changed in this field over the years? What new elements should be taken into account
when teaching the course? These are some of the questions that we shall attempt to
answer from our own experience in university teaching.
MOTS-CLÉS/KEYWORDS
traduction médicale, enseignement de la traduction médicale, textes scientifiques, termi-
nologie médicale, phraséologie médicale
1. Introduction
Nombreuses sont les études qui ont été consacrées à l’enseignement de la traduction
et à la problématique inhérente à cette discipline (Delisle 1997). Les spécificités des
langues de spécialités et notamment celles du langage médical ont fait et font égale-
ment de plus en plus l’objet d’ouvrages de référence. Il suffit dans ce contexte de
penser au numéro spécial de la présente revue de 1986 qui s’intitulait « Traduction et
terminologie médicales », mais aussi à une des dernières parutions de l’American
Translators Association : Translation and Medicine (1998).
3.2. La motivation
Comme tout enseignement aux adultes exige de la motivation, une première tâche
que doit accomplir le professeur est de susciter cette motivation pour une matière —
de prime abord — difficile. Comment ? D’une part, cela présuppose de bien connaître
le marché, avec tous ses points forts, ses nouveautés aussi — et il y en a. D’autre part,
les particularités des couples de langues sont à expliciter.
Cela suppose, par ailleurs, de bien connaître le groupe d’étudiants. Il faut se
demander — et la question a déjà été posée à différentes reprises, notamment par
Gile (1986 : 26) — qui sont les meilleurs traducteurs médicaux : les traducteurs avec
des connaissances en médecine ou bien les médecins avec des connaissances
traductologiques ? En ce qui concerne la Suisse et l’Allemagne, on peut dire que la
tendance va plutôt vers le traducteur avec des connaissances en langage médical3.
La motivation des étudiants s’accroît également grâce à une meilleure connais-
sance — pour ne pas dire approfondie — de la matière. Pour y parvenir, une solide
introduction aux méandres du langage médical avec toutes ses difficultés est indispen-
sable. Pour ce faire, nous disposons d’excellents ouvrages, faits par des spécialistes,
qui ne facilitent pas seulement l’apprentissage en classe mais qui permettent égale-
ment un travail individuel à l’apprenant4.
Nous avons également pu constater que la motivation est augmentée, et de beau-
coup, par un enseignement interdisciplinaire que la faculté de médecine de l’Univer-
sité de Genève nous accorde parfois. Les étudiants en traduction se retrouvent avec
les étudiants en médecine dans des petits groupes de travail qui relèvent du tutorial.
Une participation active aux questions-réponses s’avère des plus utiles pour les uns
et pour les autres.
de préciser les objectifs d’un tel enseignement, de mettre en relief les difficultés inhé-
rentes à cette langue de spécialité et d’employer des modèles d’enseignement qui
lient théorie et pratique.
Ces cours visent nécessairement un triple but :
a) connaître la structure des textes dans les langues impliquées,
b) maîtriser la langue spécialisée,
c) s’approprier les connaissances d’au moins un domaine.
En ce qui concerne l’allemand, comme d’autres langues d’ailleurs, la terminolo-
gie est fortement imprégnée par des termes d’origine grecque ou latine. Toutefois, il
s’agit, par ailleurs, d’attirer l’attention des étudiants au fait qu’un certain nombre de
notions « germanisées » sont devenues des termes techniques. En outre, avec l’évolu-
tion de l’anglais comme lingua franca, nombre de mots anglais ont trouvé leur place
dans la langue de spécialité, notamment en ce qui concerne les domaines de pointe,
tels que l’imagerie par résonance magnétique.
Du point de vue de la traduction, il convient d’attirer l’attention des étudiants
sur le fait que texte source et texte cible peuvent varier considérablement en lon-
gueur. Cela est vrai notamment dans le couple de langues anglais-allemand5.
En outre, l’étudiant doit développer une vigilance particulière à l’égard des faux
amis qui le guettent, surtout dans le domaine des affixes.
4. Les difficultés
Tout pédagogue et psychologue sait qu’on ne maîtrise la peur qu’en se familiarisant
avec ce qui nous afflige. Il est donc primordial, dès le départ, d’attirer l’attention des
étudiants sur un certain nombre de difficultés de la traduction médicale, difficultés
auxquelles nous avons en partie déjà fait allusion.
4.1. La terminologie
Dans bien des cas, le grec et le latin régissent encore le langage médical. C’est un fait
historique bien établi. C’est là en général où les étudiants en traduction, qui très
souvent ne maîtrisent plus ces langues, prennent peur. L’approche développée par
Maurice Rouleau (1994), c’est-à-dire de diviser ces mots et d’analyser leur contenu,
est des plus utiles : elle permet de familiariser petit à petit l’apprenti traducteur avec
la matière et de le mettre en confiance. Ce genre d’exercice doit être effectué à répé-
tition et certainement chaque fois qu’un domaine nouveau est abordé.
Puisque la traduction médicale est basée sur des connaissances cognitives spéci-
fiques que normalement seul le spécialiste maîtrise et que son objectif premier est
l’information, nous devons être vigilants face aux domaines qui se chevauchent et
qui rendent la compréhension difficile, un point déjà traité en 1990 par Amal
Jammal.
La condition sine qua non à cela est l’usage des textes parallèles, de la documen-
tation sous toutes ses formes et des nouveaux outils à notre disposition. Nous y
reviendrons plus loin.
148 Meta, XLVI, 1, 2001
a) sur papier (Index Medicus, mis à jour annuellement, existe également sous forme élec-
tronique),
b) en ligne par Internet,
c) sur cédérom (la banque de données complète comporte de 10 à 18 disques selon l’édi-
teur).
L’utilisation de cet outil extrêmement précieux pour le traducteur spécialisé en
médecine qu’est Medline passe par la connaissance de son fonctionnement. L’étu-
diant devrait d’abord savoir qu’un article peut être recherché :
a) par mots-clés dans le titre, par le nom de l’auteur ou l’institut où l’étude a été effectuée ;
b) à l’aide d’un thésaurus de titres médicaux : le MeSH (Medical Subject Heading).
Les étudiants apprécient les exemples pratiques de recherche. Pour cela, il faut savoir
un certain nombre d’abréviations telles que :
ab = résumé (abstract)
au = auteur (author)
jn = revue (journal)
me = terme du MeSH (MeSH-term)
ti = mot dans le titre (word in title)
tw = mot dans le texte (word in text)
ui = identificateur unique (unique identifier)
yr = année de parution (year of publication)
Admettons qu’on cherche un article qui concerne le suivi (follow up) des patients et
qui a paru dans le British Medical Journal ; il s’agit de faire la recherche suivante :
a) taper follow up.ti, ce qui donne probablement des centaines de titres ;
b) taper British Medical Journal.jn, ce qui donne à nouveau de nombreux articles ;
c) combiner a) et b), ce qui va aboutir à l’article recherché.
Un autre cas de figure peut être que vous voulez familiariser vos étudiants à un
certain domaine médical et donc recherchez de la documentation. Disons que ce soit
sur le diabète. Il va d’abord falloir insérer la notion, c’est-à-dire diabetes mellitus, sans
spécifier le domaine. Puis on vous demandera si vous voulez tous les articles ou seu-
lement certains exemples spécifiques. La banque fournit alors tous les sous-titres. Le
même résultat peut s’obtenir tout simplement en tapant ceci :
*diabetes mellitus/
L’astérisque indique le mot-clé de l’article et la barre, l’expression du MeSH.
Parfois, la recherche ne donne rien ou presque. Cela peut vouloir dire que la
banque ne contient pas d’article pertinent mais, ce qui est encore plus probable, c’est
que la recherche a été menée d’une façon trop exclusive en se référant aux sous-titres.
Il s’agit donc de toujours indiquer aux apprenants de chercher d’après les mots-clés
dans le texte. Voyons l’exemple suivant : vous cherchez de la documentation à propos
du rôle de l’Aspirine dans le traitement de l’infarctus du myocarde. Vous avez alors
les possibilités suivantes :
• Myocardial infarction/pc ou Myocardial infarction/dt et aspirin/tu
Cette recherche vous donnera tous les articles de Medline qui traitent de l’emploi de
l’Aspirine dans le traitement de l’infarctus du myocarde. Cela peut, de nos jours,
renvoyer à plus de 200 articles, fait qui ne résout pas forcément les problèmes liés à la
l’enseignement de la traduction médicale : un double défi ? 151
NOTES
1. La typologie des textes de Susanne Göpferich permet d’abord une identification exacte du genre de
texte et donne ensuite la possibilité de bien choisir le registre de langue.
2. Voir aussi le schéma sur la traduction scientifique de Rosemarie Gläser (1998).
3. Nous avons examiné cette problématique dans Lee-Jahnke (1998b).
4. Nous pensons surtout à l’ouvrage de Maurice Rouleau.
5. Voir également l’exemple que nous avons donné dans l’article précité.
6. Nous pensons notamment dans le domaine germanophone au livre d’Ursula Spranger (1990).
7. IMRAD = Introduction, Materials or Methods, Results and Discussion.
8. Voir dans Eurospin Quarterly ou bien dans le no 13 de Parallèles.
9. Voir aussi le vol. 315 du British Medical Journal (19 juillet 1997).
10. Depuis 1981. Adresse Web : <http://dsweb.krinfo.ch/test>
11. À titre d’exemple : Aidsline, Allied and Alternative Medicine, American Medical Association Jour-
nals, BioBusiness, Cancerlit, Current Contents Search, Forensic Science, Health News Daily,
Immunoclones, The Lancet, Medical Toxicology and Health, Meditec, Medline.
12. Il faut avoir accès à Datastar sous Windows 3.1 (ou plus récent) avec au moins 16 Mo de mémoire
vive.
13. Cette banque porte le nom de l’épidémiologue Archie Cochrane qui, en 1972, trouvait important de
constituer un registre central pour les essais cliniques.
14. L’original anglais s’intitule Principles of Internal Medecine.
15. L’original anglais s’intitule Physiology.
16. Ce compendium est aussi accessible sur le Web : <http://www.kompendium.ch/app/search_f.cfm>.
RÉFÉRENCES
Delisle, J. (1997) : La traduction raisonnée, Ottawa, Presses de l’Université d’Ottawa.
Ganong, W. F. (1974) : Physiologie, Berlin, Springer Verlag.
Gile, D. (1986) : « La traduction médicale doit-elle être réservée aux seuls traducteurs médecins ? »,
Meta, 31-1, p. 26-31.
Gläser, R. (1998) : “Fachsprachen und Funktionalstile. Art. 16”, HSK-Fachsprachen, pp. 199-208.
Göpferich, S. (1995) : “A Pragmatic Classification of LSP Texts in Science and Technology,” Tar-
get, 7-2, pp. 305-326.
Greenhalgh, T. (1997) : “How to Read a Paper,” British Medical Journal, 315.
Harrison, T. R. (1987) : Principles of Internal Medicine, 11th ed., New York and Montreal,
McGraw-Hill.
Jammal, A. (1990) : « L’étude des langues des spécialités médicales », Meta, 35-1, p. 50-54.
Jones, R. and A.-L. Kinmonth (1995) : Critical reading for primary care, Oxford, Oxford Univer-
sity Press.
Lee-Jahnke, H. (1998) : « La traduction médicale : un défi ? », Traduire, 1.
Lee-Jahnke, H. (1998) : “Training in Medical Translation,” ATA Monograph X, pp. 81-93.
Parallèles (1991) : Atelier de traduction sur la résonance magnétique nucléaire, Genève, ETI,
no 13.
Rouleau, M. (1994) : La traduction médicale, Brossard, Linguatech.
Schefe, P. (1981) : Zur Funktionalität der Wissenschaftssprache — Am Beispiel der Medizinischen
Wissenschaftssprache, München, Theo Bungarten, pp. 356-371.
Spranger, U. (1990) : Abkürzungen in der Medizin und ihren Randgebieten, Stuttgart, Fischer
Verlag.
Schweizerisches Arzneimittelkompendium (1996), Basel, Documed.
Van Hoof, H. (1993) : « Histoire de la traduction médicale en Occident », Cahiers de l’Institut
linguistique de Louvain, 19-1/2.
Wilss, W. (1996) : Übersetzungsunterricht, Tübingen, Gunter Narr.
Ylönen, S. (1993) : “Stilwandel in wissenschaftlichen Artikeln der Medizin. Zur Entwicklung der
Textsorte “Originalarbeiten” in der Deutschen Medizinischen Wochenschrift 1884-1989”,
Fachtextpragmatik. Forum für Fachsprachenforschung (H. Schröder, ed.), Tübingen, Gunter
Narr, pp. 81-98.