Séance 6 Lecture Linéaire-1

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Séance 6 : Lecture linéaire 2 « Deux mondes opposés »

La peau de chagrin, Balzac

« Et comment pouvais-je lutter…pour arriver promptement au drame »

Objectifs : -Etudier la mise en relief de deux mondes opposés

-Analyser le caractère de Raphaël

Dans La Peau de Chagrin, roman publié pour la première fois en 1831,


Honoré de Balzac dépeint les ravages du désir. Dans la deuxième partie du
roman, « La femme sans cœur », Raphaël de Valentin fait à son ami Émile le récit
de sa vie. Désargenté après la mort de son père, il vit dans une modeste
mansarde
d’étudiant et a fait la connaissance de la Comtesse Foedora, riche et belle
veuve.
Tombé sous le charme de sa beauté, de sa richesse, de son mystère, il souffre
du gouffre social qui le sépare de la Comtesse. En quoi cet extrait révèle-t-il la
force de caractère de Raphaël ? Dans un premier temps, Raphaël fait le constat
de deux mondes incompatibles : celui de Foedora et le sien. Dans un second
temps, il saura transcender sa rage pour conquérir l’objet de son cœur

I. Raphaël et Foedora : deux mondes incompatibles (de « Et comment


pouvais-je lutter » à « son corsage tentateur »)

a) Une torture intérieure

-La question rhétorique qui ouvre le passage témoigne de la torture intérieure


de Raphaël: «Et comment pouvais-je lutter …».(l.1)
-Après avoir été une source d’émerveillement, la rencontre avec Foedora s’avère
être une source de souffrance.
-Ainsi, l’autoportrait que Raphaël dresse est peu flatteur comme l’indique
l’énumération d’adjectifs péjoratifs « moi, faible, grêle, mis simplement, pâle et
hâve comme un artiste en convalescence d’un ouvrage »(l.1-2).
-Le champ lexical de la maladie (« faible », « grêle », « pâle », « hâve », «
convalescence » l.1-2) le dépeint comme une personne inapte à évoluer dans le
monde de la Comtesse. Il se présente presque comme un antihéros, incapable
d’être choisi par celle qu’il aime.
b) Le contraste entre Raphaël et les prétendants

-Le contraste entre Raphaël et les prétendants de Foedora est frappant : ces
derniers sont décrits comme « bien frisés, jolis, pimpants, cravatés à
désespérer toute la Croatie, riches, armés de tilburys et vêtus d’impertinence
»(l.2-3)
-Les adjectifs simples et bisyllabiques dressent le portrait de jeunes gens
superficiels et immatures, habillés comme des poupons : « bien frisés, jolis,
pimpants »(l.2-3) .
-L’assonance en « i » restitue le clinquant de cet entourage amical : « bien
frisés, jolis, pimpants, cravatés à désespérer toute la Croatie, riches, armés de
tilburys et vêtus d’impertinence ».

-Le cynisme de Raphaël se lit dans la métaphore « armés de tilburys» : la


voiture des prétendants (le tilbury est une sorte de cabriolet), et donc l’argent,
constitue une arme de séduction (« armés »).
-Il se lit également dans le zeugme (une figure de style qui consiste à relier à
un même mot au moins deux termes incompatibles sur le plan de la
sémantique ou de la syntaxe. Ces mots sont liés syntaxiquement par un terme
qui n'est pas répété) « vêtus d’impertinence » (l.3-4) qui montre la fougue des
prétendants, prêts à tout.

c) Un héros romantique

-En rentrant à son domicile, son exclamation « Foedora ou la mort » (l.4) fait de
lui un héros romantique, prêt à tout sacrifier pour un idéal.
-Lorsqu’il ajoute « Foedora, c’est la fortune » (l.4-5), l’attribut « fortune » est
à comprendre de façon polysémique : la fortune désigne à la fois la richesse et
le hasard, la chance (cf latin : fortuna, ae, f). Raphaël place la Comtesse au
carrefour de sa destinée.
-Ainsi les souvenirs de la soirée lui reviennent pêle-mêle : du mobilier aux
vêtements en passant par la démarche de Foedora. Tout a séduit Raphaël, ce que
confirment les multiples expansions du nom (« beau », « gothique », « à la Louis
XIV », « gracieuses », « séduisante » l.5-7…).
-L’adjectif épithète « tentateur»(l.7) qui qualifie le corsage de la Comtesse est
particulièrement révélateur du danger sous-jacent.
II. De la rage à la prise de décision (de « Quand j’arrivai dans ma
mansarde nue » à « pour arriver promptement au drame »

a) Un contraste saisissant

-Le contraste est d’autant plus saisissant lorsque Raphaël rentre dans sa «
mansarde nue, froide ». La comparaison comique qui suit (« aussi mal peignée
que la perruque d’un naturaliste » l.8) témoigne de sa lucidité cynique : les «
images du luxe de Foedora » (l.9) ne peuvent cohabiter avec sa pauvreté.
-Ou si ces deux plans cohabitent, la souffrance atteint son paroxysme. Ainsi, le
champ lexical du crime fait craindre l’irruption de la violence : « mauvais
conseiller », « les crimes », « en frissonnant de rage »(l.10).
-Naît alors progressivement un personnage de plus en plus complexe : révolté
contre le contraste insoutenable entre sa pauvreté et la richesse entourant la
Comtesse, Raphaël de Valentin valorise néanmoins sa situation. En effet, le terme
« misère » (l.11) est qualifié d’adjectifs mélioratifs « décente et honnête» (l.11);
le terme «mansarde» de «féconde»(l.11).
-Sans idéaliser la pauvreté dont il souffre autant mentalement que physiquement
(« tout affamé » l.13), Raphaël reconnaît qu’elle est le terreau de la créativité et
du travail intellectuel (« féconde »l.11).

b) Un sentiment de révolte

-La révolte de Raphaël se traduit par le champ lexical de la religion,


omniprésent
: « je maudis », « Dieu », « diable », « imprécations »(l.14-15)
-Devant une telle injustice, il cherche à trouver un responsable : « Je demandai
compte à Dieu, au diable, à l’état social, à mon père, à l’univers entier »(l.12) .
-L’énumération et l’accélération du rythme restitue la rage aveugle du
personnage. Raphaël apparaît comme un héros romantique, solitaire et incompris
de tous.
-Mais cette injustice permet au personnage de s’affirmer : « bien résolu de
séduire Foedora »(l.14). Cette conclusion résonne comme un défi à relever. Le
participe passé « résolu » souligne la détermination orgueilleuse de Raphaël.
-La métaphore « Ce coeur de femme était un dernier billet de loterie chargé de
ma fortune »(l.14-15) fait écho à son goût immodéré pour le jeu. Sont mis sur le
même plan l’amour d’une femme et le gain.
-Le hasard lié à la loterie et à l’amour ne l’arrête donc pas : Raphaël fait le
choix conscient de s’y soumettre.
-Le narrateur-personnage rompt son récit par une ellipse temporelle (« je te
ferai grâce de mes premières visites chez Foedora »l.15), il souhaite « arriver
promptement au drame »(l.16). L’ellipse et le terme « drame » relance l’attention
du lecteur en annonçant un événement fatal.

Le parcours de Raphaël dans Paris rappelle celui qui l’a mené au


magasin d’antiquités. Là aussi désespéré, il ne songe qu’à une solution :
l’amour de Foedora ou la mort. La rencontre avec la Comtesse fait naître
dans le personnage des sentiments contradictoires. D’une part, il est sous le
charme du luxe, d’une belle femme ; d’autre part, cela le renvoie à sa
propre condition misérable et son peu de chance de séduire la Comtesse.
Mais cet extrait révèle la force de caractère de Raphaël : certes
torturé par cette injustice, condamné à accepter son statut social, il
transcende sa rage pour aller jusqu’au bout de son destin. Mais c’est aussi
faire preuve d’orgueil que d’outrepasser sa condition et vouloir assouvir son
désir, à tout prix. C’est cet orgueil et ce désir violent qui perdront Raphaël,
dont le destin sera plus tard attaché à la Peau de chagrin.

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