Herm 048 0135
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Amérique Latine
Paula Capra
Dans Hermès, La Revue 2007/2 (n° 48), pages 135 à 144
Éditions CNRS Éditions
ISSN 0767-9513
ISBN 9782271065308
DOI 10.4267/2042/24114
© CNRS Éditions | Téléchargé le 11/06/2023 sur www.cairn.info (IP: 197.239.80.85)
Paula Capra
Mathilde Charpentier
Thierry Paquot
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Geneviève Jacquinot-Delaunay
Bernard Dagenais
Anne-Marie Laulan
Jacques Perriault
H48_05_Partie3.fm Page 137 Mercredi, 24. octobre 2007 1:40 13
Paula Capra
Doctorante en Sciences de l’information et de la communication
Université Paris X
L’ORIGINALITÉ DE LA COMMUNICATION
PARTICIPATIVE EN AMÉRIQUE LATINE
Paula Capra
technologiques et la planification familiale. Mais il faut se rappeler que le cadre dans lequel on voulait
utiliser la communication en tant qu’instrument de « modernisation » était celui de la période natio-
nale-populiste, lorsque le continent cherchait à parvenir au développement national grâce à des États
forts et intégrateurs et à travers l’industrialisation et la réforme agraire. La dialectique tradition-
modernité orientera durant cette période toutes les théories de la communication en Amérique latine.
À la fin des années 1960, plusieurs auteurs latino-américains commencèrent à remettre en cause
le système social que leurs prédécesseurs semblaient cautionner. Le point de départ était l’éloignement
par rapport à leurs méthodologies. Pour Ramiro Beltrán (2000a, p. 92) « questionner le modèle
d’investigation de la diffusion implique dans ce cas défier les hypothèses dans lequel il paraît s’établir »,
parmi elles, le pouvoir que donnait la communication, en marge des conditions politiques et socio-
économiques. Ce nouveau courant, en cohérence avec la théorie de la dépendance, s’opposait à une
vision unique du progrès et questionnait la non-neutralité des médias de masse, les rapports inégaux
Nord-Sud, ainsi que la domination économique et culturelle, aussi bien extérieure qu’intérieure.
Un des premiers auteurs de la rupture est Paulo Freire, qui dans Pédagogie de l’opprimé (1970) défie
le modèle classique de communication et propose un centrage à partir de la réalité du sujet. Son
modèle cherche à agir sur la domination sociale à partir de la déconstruction des principes verticalistes
par lesquels elle se soutient. Il s’agit d’organiser la population en groupes qui discutent de leur propre
réalité pour ensuite agir sur celle-ci. Son œuvre donnera naissance aux réflexions sur la communication
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diversifiés, plusieurs auteurs sont néanmoins d’accord pour les identifier comme des projets non lucra-
tifs (Lopez Vigil, 1997), favorisant la démocratisation et le changement social (Peppino, 1999 ;
Kaplún, 1985) et se basant sur la « rentabilité socioculturelle » comme logique commune de fonc-
tionnement (Roncagliolo, 1996). Mais d’autres cherchent à dépasser le discours incantatoire sur les
processus participatifs pour s’interroger sur leur rôle réel dans la démocratisation des sociétés latino-
américaines (Alfaro, 2000 ; Huesca, 1995). Pour Rosa Maria Alfaro, dans la communication partici-
pative, l’enfermement dans une communauté territoriale, cohérente par elle-même, ne fournit pas la
possibilité d’influencer la société au sens large. Alors, dans quels contextes et sous quelles conditions
la « communication » parvient-elle à contribuer à la démocratisation ?
En Bolivie, pays pionnier avec la Colombie pour la radio populaire, depuis les années 1980, des
chercheurs tels que Alfonso Gumucio Dragón (1982) ou Gridvia Kuncar et Fernando Lozada (1983)
font des études systématiques sur les expériences radiophoniques locales, souvent vieilles de plus de
trente ans. Des études postérieures privilégieront les processus de « citoyennisation », notamment
celles dues à Carlos Camacho (2001). Malgré cela, il reste encore des lacunes dans la recherche, qui
semble se situer loin derrière la praxis.
Paula Capra
De son côté, le syndicat paysan n’arrivait pas à maintenir ses projets de radiodiffusion : un exemple
emblématique fut le don de matériel, effectué par la congrégation des Oblats en 1971, qui resta peu
de temps entre les mains du syndicat paysan (Beltrán, 2005). Deux facteurs sont essentiels pour la
compréhension de ce phénomène : le contexte de l’alliance entre militaires et paysans ; les divisions
existant dans les communautés paysannes. Durant cette période, les syndicats étaient certes des
instances nationales, mais de faible poids et vassales du parti au pouvoir. Ce ne sera qu’après l’émer-
gence du « katarisme » (1973) et dans le contexte d’une recherche d’autonomie par rapport à l’État
et aux partis politiques, qu’apparaîtront, au début des années 1980, les premières radios communau-
taires rurales (et, en 1983, la première radio du syndicat paysan).
D’après Xavier Albo (2002, p. 121-124), les kataristes montèrent initialement sur la scène poli-
tique par le biais de leurs propres programmes qu’ils présentaient dans une radio commerciale, mais
ils furent rapidement bâillonnés par la dictature militaire de Hugo Banzer (1971-1978). Mais le
courant le moins radical du mouvement bénéficia de l’appui des ONG et de certains secteurs de
l’Église catholique, ainsi que des méthodistes, et il obtint finalement une écoute démultipliée grâce
à ses programmes en langue aymara, notamment ceux diffusés sur Radio San Gabriel (1979)2. Parmi
leurs diverses demandes, ces paysans exigeaient la reconnaissance de leurs autorités traditionnelles, la
hausse des prix de leurs productions agricoles et le droit à la possession d’émetteurs de radio.
En effet, le mouvement social katariste identifie deux sources dans la domination : l’économique
et la culturelle. D’après Genaro Condori (2002), les fondateurs des radios communautaires, cons-
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Le modèle participatif
Une des techniques dominantes dans le modèle participatif est le « micro ouvert », qui fait partie
d’une dynamique dans laquelle le récepteur est un participant. Cela va de la participation directe dans
les émissions jusqu’à la lecture du courrier des auditeurs, qui contient toutes sortes de propositions,
de demandes ou de déclarations. Il y avait un décalage entre les radios syndicales et communautaires
et les radios catholiques, du fait que les premières utilisaient un format participatif direct, tandis que
les secondes suivaient différentes étapes de sélection et de recadrage des messages. Or, au milieu des
années 1970, les radios éducatives liées à l’Église catholique abandonnèrent leur attitude d’assistanat
au profit d’une démarche plus partenariale. Ce changement se produisit justement du fait que les
auditeurs devinrent des protagonistes de la radio. On utilisa la stratégie de l’open source journalism, qui
cherche à faire de chaque citoyen un journaliste et de chaque récepteur une source d’informations. Par
exemple, à la Radio San Gabriel, les speakers abandonnent régulièrement leurs studios pour participer
aux travaux collectifs de leurs communautés rurales et recruter des collaborateurs volontaires
(reporters populaires), qui vont eux-mêmes collecter des informations et les transmettre aux diverses
stations locales connectées en réseau. Cette dynamique n’est pas éloignée des processus politiques qui
se font jour dans les campagnes boliviennes et qui sont à la racine de la diffusion de l’idéologie kata-
riste. Si au commencement le modèle privilégié est inspiré de Radio Sutantenzas (1947), la première
radio éducative catholique d’Amérique latine, elles s’adapteront à partir des années 1970 à la demande
croissante des auditeurs qui souhaitaient un rôle plus actif de l’Église dans le changement social.
Les pratiques participatives, en faisant appel à des sentiments d’appropriation et d’identification,
constituent un élément central dans la légitimité des espaces délibératifs que la radio incarne. Les
radios des mines ont un fonctionnement similaire, car une grande partie de leur programmation en
direct se fait à partir de la rue ou des mines, par la méthode du micro ouvert et à travers un réseau de
radios qui n’a pas cessé de fonctionner durant les moments de crise, de répression et de dictature.
Cependant, bien que durant les années 1970 les différences entre les radios se soient atténuées à cause
de la similitude des techniques utilisées, des formes d’organisation et des types de programmation,
deux métaphores aident à exprimer la différence d’approche qui subsistait entre les radios catholiques
et les radios communautaires et syndicales : les premières aspiraient à « donner la voix aux sans-
voix », tandis que les secondes voulaient « prendre la parole ». Les radios catholiques portent encore
un héritage « assistancialiste », tandis que les radios syndicales se reconnaissent comme instruments
de l’organisation et de la lutte sociale.
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Paula Capra
NOTES
1. La première radio populaire en Bolivie apparaît en 1947 dans la mine Siglo XX. En 1956, les mineurs auront déjà créé et
relié en réseau 30 radios, administrées et financées par leurs propres moyens. Voir Sandra Aliaga (2000).
2. Radio affiliée au réseau Erbol (Educación radiofónica boliviana). Association d’inspiration catholique fondée en 1967, elle
regroupe 80 radios reliées en réseau.
3. Interview de José Luís Gutierrez représentant pour la Bolivie de l’Association mondiale des radios communautaires
(Amarc), décembre 2006, La Paz.
4. Interview de Karina Herrera, auteur de Las Radios sindicales y mineras en Bolivia hoy (La Paz, 2006), décembre 2006, La Paz.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Paula Capra
REYES MATTA, F., Comunicación alternativa y búsquedas democráticas, Santiago du Chili, Ilet, 1983.
RONCAGLIOLO, R., « Libertad de expresión radiofónica », Revista latinoamericana de comunicación Chasquí, n° 56, 1996,
p. 48-51.
SCHRAMM, W., Mass Media and National Development, Stanford University Press, 1964.
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