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Sophie Aubert-Baillot
Dans Cahiers philosophiques 2017/4 (N° 151) , pages 29 à 43
Éditions Vrin
ISSN 0241-2799
ISBN 9782711660025
DOI 10.3917/caph1.151.0029
© Vrin | Téléchargé le 27/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 88.169.243.101)
L’HÉRITAGE ARISTOTÉLICIEN
DE LA RHÉTORIQUE STOÏCIENNE
Sophie Aubert-Baillot
L
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DOSSIER APERÇUS DE LA PENSÉE STOÏCIENNE
Portique, nous nous permettons de renvoyer à S. Aubert, Per dumeta. Recherches sur la rhétorique des Stoïciens
à Rome, de ses origines grecques jusqu’à la fin de la République, Paris 4, 2006, thèse inédite, p. 371-400.
■■ 4. DL, VII, 42 (= SVF, II, 48 = LS 31 A) ; Quintilien, Institution Oratoire, II, 15, 34-35 (= SVF, I, 491 = II, 292).
Sur ce point, l’ouvrage de H. Gomperz, Sophistik und Rhetorik. Das Bildungsideal des εὖ λέγειν in seinem
Verhältnis zur Philosophie des V. Jahrhunderts, Leipzig-Berlin, 1912 (= Darmstadt, 1965) demeure précieux.
Cf. Pseudo Andronicos, Περὶ παθῶν, p. 243, 52 Gl.-Th. (= SVF, III, 267). Quintilien, IO, II, 15, 34 (= SVF, I, 491
= II, 292) attribue expressément cette définition à Chrysippe, qui l’aurait empruntée à Cléanthe : scientia recte
dicendi. Voir encore Sextus Empiricus, Adversus Mathematicos, II, 6 (= SVF, II, 294) ; Anonymi, Prolegomena
in Hermogenis Status, in RhG, VII, p. 8 Walz (= SVF, II, 293).
■■ 5. G. Moretti, Acutum dicendi genus. Brevità, oscurità, sottigliezze e paradossi nelle tradizioni retoriche degli
Stoici, Bologne, 1995, p. 13. L’expression est reprise à son compte par J.-B. Gourinat, La dialectique des stoïciens,
Paris, Vrin, 2000, p. 42. On la trouve également sous la plume de C. Imbert, Logique et langage dans l’ancien
stoïcisme. Essai sur le développement de la logique grecque (thèse dactylographiée), Paris, 1975, p. 647, et
de M. Alexandre, « Le travail de la sentence chez Marc Aurèle. Philosophie et rhétorique », in Formes brèves.
De la γνώμη à la pointe, métamorphoses de la sententia, La Licorne, Poitiers, 1979, p. 125-158 (p. 157).
■■ 6. Cicéron, Orator, 113-114 (cité en partie en SVF, I, 75) ; De Finibus, II, 17 (= SVF, I, 75) ; Quintilien, IO,
II, 20, 7 (cité en partie en SVF, I, 75) ; Sextus Empiricus, AM, II, 6-7 (cité en partie en SVF, I, 75 et II, 294
ainsi qu’en LS 31 E).
■■ 7. DL, VII, 42 (= SVF, II, 48 = LS 31 A).
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en réalité à « dire ce qui est vrai et ce qui convient » 8 : ainsi définie, la
rhétorique stoïcienne semble peu armée pour satisfaire aux exigences de
la pratique oratoire. Réservée au sage mais inapte à persuader un auditoire
d’insensés par essence rétifs à la cause philosophique, ne condamne-t-elle
pas ses tenants à un quasi-mutisme qui met en péril le système lui-même ?
La proximité – voire la confusion – des deux pans de la logique favorise de
surcroît un idéal de minimalisme stylistique donnant lieu dans les faits à un
mode d’expression décharné, heurté et rebutant, qui ne peut, selon Cicéron,
qu’inviter à se taire 9.
Dans son refus d’en appeler aux passions, conçues comme des maladies
de l’âme, et d’adopter pour but la persuasion à l’instar du sophiste Gorgias
ou, plus tard, d’Aristote 10, la rhétorique stoïcienne paraît rejeter toutes
les caractéristiques de l’art oratoire traditionnel et s’apparenter moins à
la rhétorique des rhéteurs qu’à la dialectique des philosophes. Reprenant
l’idéal platonicien du Phèdre d’une indissociabilité entre art authentique de
la parole et attachement à la vérité 11, elle semble se placer aux antipodes de
la conception aristotélicienne d’une rhétorique ayant trait aux opinions et au
probable, d’autant qu’elle se définit non seulement comme un art (τέχνη), mais
aussi comme une science qui, tout en partant des notions communes et des
opinions admises, s’élève à la certitude et à la connaissance du vrai : aussi
est-elle une vertu du sage, que de nombreux paradoxes stoïciens présentent
comme le seul orateur véritable 12.
Paradoxalement, un écart aussi ample entre la doctrine rhétorique du
Portique et celle d’Aristote nous semble attester une connaissance précise de
la Rhétorique de la part des Stoïciens, quoiqu’ils cherchent le plus souvent
à s’en démarquer vigoureusement tout en reprenant à leur compte une
terminologie aristotélicienne comme pour mieux reconnaître leur dette. À
défaut de pouvoir en examiner tous les aspects, nous nous concentrerons sur
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■■ 8. Alexandre d’Aphrodise, in Aristotelis Topica, p. 1, 8-14 Wallies (= SVF, II, 124 = LS 31 D) : τ[ὸ] τὰ ἀληθῆ
καὶ τὰ προσήκοντα λέγειν.
■■ 9. Cicéron, Fin., IV, 7 (= SVF, I, 492 = II, 288).
■■ 10. Platon, Gorgias, 453 a : le sophiste éponyme soutient, selon Socrate, que « la rhétorique est ouvrière de
persuasion » (πειθοῦς δημιουργός ἐστιν ἡ ῥητορική). Aristote la définit quant à lui comme « la capacité de
discerner dans chaque cas ce qui est potentiellement persuasif » (Rhétorique, I, 2, 1355 b 26 : […] δύναμις
περὶ ἕκαστον τοῦ θεωρῆσαι τὸ ἐνδεχόμενον πιθανόν, trad. fr. P. Chiron).
■■ 11. Platon, Phèdre, 260 e.
■■ 12. Philodème, Rhétorique, II, p. 210, 25-213, 30, col. VII-IX Sudhaus (= SVF, III Diog. 117) ; Alexandre
d’Aphrodise, in Arist. Top., p. 134, 13-16 Wallies (= SVF, III, 594) ; Lucien, Les sectes à l’encan, § 20 (=
SVF, III, 622) ; Stobée, Ecl., II, 7, 5b12 ; p. 67, 13-16 W. (= SVF, III, 654) ; Plutarque, De Tranquillitate Animi,
472 a (= SVF, III, 655).
■■ 13. Plutarque, St. Rep., XXVIII, 1047 a (= SVF, II, 297 = LS 31 H).
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DOSSIER APERÇUS DE LA PENSÉE STOÏCIENNE
Rhétorique et dialectique
Indissociables l’une de l’autre, la rhétorique et la dialectique voient leurs
définitions le plus souvent couplées, comme c’est le cas dans l’exposé de
doxographie stoïcienne livré par Diogène Laërce au livre VII des Vies et
doctrines des philosophes illustres :
Quant à la partie logique, certains disent qu’elle se divise en deux sciences : la
rhétorique et la dialectique […]. La rhétorique est la science du bien parler dans
le discours continu (περὶ τὸν ἐν διεξόδῳ λόγον), et la dialectique, la science de
discuter correctement dans le discours fait de questions et de réponses (περὶ τὸν
ἐν ἐρωτήσει καὶ ἀποκρίσει λόγον) 14.
■■ 14. DL, VII, 41-42 (= SVF, II, 48 = LS 31 A) : Τὸ δὲ λογικὸν μέρος φασὶν ἔνιοι εἰς δύο διαιρεῖσθαι ἐπιστήμας,
εἰς ῥητορικὴν καὶ εἰς διαλεκτικήν […]. Τήν τε ῥητορικὴν ἐπιστήμην εἶναι τοῦ εὖ λέγειν περὶ τὸν ἐν διεξόδῳ
λόγον καὶ τὴν διαλεκτικὴν τοῦ ὀρθῶς διαλέγεσθαι περὶ τὸν ἐν ἐρωτήσει καὶ ἀποκρίσει λόγον (trad. LS,
retouchée). Pour un exposé similaire mais plus succinct, voir Pseudo-Andronicos, Περὶ παθῶν, p. 243, 52
Gl.-Th. (= SVF, III, 267) : « La dialectique est la science de bien discuter ; la rhétorique est la science du bien
parler » (διαλεκτικὴ δὲ ἐπιστήμη τοῦ εὖ διαλέγεσθαι, ῥητορικὴ δὲ ἐπιστήμη τοῦ εὖ λέγειν).
■■ 15. La Rhétorique d’Aristote s’ouvre en effet sur la célèbre déclaration selon laquelle « la rhétorique est le
pendant de la dialectique » (ἡ ῥητορική ἐστιν ἀντίστροφος τῇ διαλεκτικῇ : Rhét., I, 1, 1354 a 1). Absent des
SVF, le témoignage de Sopater, Scholia ad Hermogenis status siue artem rhetoricam, in RhG, V, p. 15, 15-16
Walz (= FDS 47) selon lequel « les Stoïciens l’appellent (sc. la rhétorique) le pendant de la dialectique » (Οἱ
δὲ Στωϊκοὶ ἀντίστροφον τῇ διαλεκτικῇ αὐτὴν καλοῦσιν), isolé et tardif, nous semble sujet à caution. De
toute évidence, les philosophes du Portique connaissaient la phrase d’Aristote, et s’ils n’ont employé nulle part
ailleurs le terme d’ἀντίστροφος alors qu’il semblait s’imposer pour désigner les rapports qu’entretenaient les
deux parties de la logique, c’est pour se distinguer délibérément, nous semble-t-il, de la théorie du Stagirite.
■■ 16. Aristote, Rhét., I, 2, 1356 a 25-27 et 30-31 : συμβαίνει τὴν ῥητορικὴν οἷον παραφυές τι τῆς διαλεκτικῆς
εἶναι καὶ τῆς περὶ τὰ ἤθη πραγματείας, ἣν δίκαιόν ἐστι προσαγορεύειν πολιτικήν […]· ἔστι γὰρ μόριόν
τι τῆς διαλεκτικῆς καὶ ὁμοίωμα (trad. fr. P. Chiron).
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À l’inverse, les Stoïciens exploitent jusqu’à leurs conséquences extrêmes la
contiguïté et les affinités de la rhétorique et de la dialectique, en distinguant
ces disciplines non pas d’après leur champ d’action, mais du seul point de
vue de leur mode opératoire. Le fond est identique, la forme seule diffère.
Envisagés séparément, les deux pans de la logique sont définis comme des
« sciences du bien parler », ce qui revient à dire le vrai : le modèle platonicien
du Gorgias n’est plus de mise, qui cantonnait l’une au domaine de l’opinion,
et assurait à l’autre la maîtrise de la vérité. Lorsque rhétorique et dialectique
sont couplées en revanche, il convient d’insister sur la continuité du discours
(περὶ τὸν ἐν διεξόδῳ λόγον) propre à l’une, l’échange de questions et réponses
(περὶ τὸν ἐν ἐρωτήσει καὶ ἀποκρίσει λόγον) propre à l’autre, en vertu d’une
opposition sans doute empruntée à l’Académicien Xénocrate 17. Même dans
ce cas toutefois, on ne saurait oublier leur unité de nature, puisque toutes
deux portent sur le λόγος, conçu à la fois comme discours et argumentation 18.
Assumant à leur manière l’héritage du Phèdre platonicien qui voulait
ramener à un seul et même art, placé sous l’égide de la vérité, discussions
privées et harangues publiques 19, les Stoïciens se voient déchirés entre une
conception extensive de la rhétorique et une approche plus traditionnelle de
celle-ci, qui lui assigne pour domaines d’exercice les procès, les délibérations
ou les célébrations, à la manière d’Aristote 20, en la cantonnant aux affaires
publiques, loin de toute préoccupation spéculative. En témoigne la division
canonique de la rhétorique stoïcienne en trois parties, à savoir la délibérative,
la judiciaire et l’encomiastique (τὸ μὲν γὰρ αὐτῆς εἶναι συμβουλευτικόν, τὸ δὲ
δικανικόν, τὸ δὲ ἐγκωμιαστικόν) 21. En réalité, lorsqu’elle est examinée seule,
à l’écart de la dialectique, la rhétorique fait l’objet d’analyses qui tendent à
renforcer sa spécificité par rapport à l’autre pan de la logique tout en limitant
du même coup son champ d’application, que Zénon avait voulu à l’origine le
plus large possible, au point qu’il se confondît avec le domaine de la prose
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■■ 17. Cf. Sextus Empiricus, AM, II, 6 (= SVF, II, 294). On perçoit ici l’influence d’un modèle socratique de la
dialectique comme argumentation rationnellement conduite, par questions et réponses. Cette dialectique
telle que la concevait Zénon évolua par la suite vers une science portant sur tout le discours rationnel, à
l’instigation de Chrysippe selon A. A. Long, « Dialectic and the Stoic sage », in J.-M. Rist (ed.), The Stoics,
Berkeley-Los Angeles-Londres, University of California Press, 1978, p. 101-124 (p. 104-109).
■■ 18. Anonymi, Proleg. in Hermog. Status, in RhG, VII, p. 8 Walz (cité partiellement en SVF, II, 293) : « Les
uns en effet ont qualifié <la rhétorique> de science d’après une perspective méliorative, en la définissant
comme la “science du bien parler” : ce sont les Stoïciens. Par “bien parler” ils entendaient “dire le vrai” »
(οἱ μὲν γὰρ αὐτὴν ἐκάλεσαν ἐπιστήμην ἀπὸ τοῦ μείζονος, ὁριζόμενοι « ἐπιστήμη τοῦ εὖ λέγειν », οἱ
Στωϊκοί· τὸ δὲ εὖ λέγειν ἔλεγον τὸ ἀληθῆ λέγειν) ; Alexandre d’Aphrodise, in Arist. Top., p. 1, 10-12
Wallies (= SVF, II, 124 = LS 31 D) : « Les philosophes du Portique définissent la dialectique comme la science
du bien parler, en plaçant le bien parler dans le fait de dire ce qui est vrai et ce qui convient » (οἱ μὲν ἀπὸ
τῆς Στοᾶς ὁριζόμενοι τὴν διαλεκτικὴν ἐπιστήμην τοῦ εὖ λέγειν, τὸ δὲ εὖ λέγειν ἐν τῷ τὰ ἀληθῆ καὶ τὰ
προσήκοντα λέγειν εἶναι τιθέμενοι).
■■ 19. Platon, Phèdre, 261 a-e : « La rhétorique en général ne serait-elle pas une psychagogie – un art de
conduire les âmes – qui s’exerce par la parole, non seulement dans des tribunaux et dans toutes les autres
assemblées publiques, mais encore dans des réunions privées […] ? » (261 a : Ἆρ’ οὖν οὐ τὸ μὲν ὅλον ἡ
ῥητορικὴ ἂν εἴη τέχνη ψυχαγωγία τις διὰ λόγων, οὐ μόνον ἐν δικαστηρίοις καὶ ὅσοι ἄλλοι δημόσιοι
σύλλογοι, ἀλλὰ καὶ ἐν ἰδίοις […], trad. fr. P. Vicaire).
■■ 20. Aristote, Rhét., I, 3, 1358 b 7-8.
■■ 21. DL, VII, 43 (= SVF, II, 295 = LS 31 A).
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DOSSIER APERÇUS DE LA PENSÉE STOÏCIENNE
■■ 22. C. Atherton, « Hand over Fist : The Failure of Stoic Rhetoric », CQ, 38, 1988, p. 392-427 (p. 399) émet
toutefois des réserves à ce sujet.
■■ 23. Plutarque, St. Rep., XXVIII, 1047 a (= SVF, II, 297 = LS 31 H) : trad. D. Babut.
■■ 24. Quintilien, IO, II, 15, 35 (= SVF, II, 292).
■■ 25. Aristote, Rhét., III, 9, 1409 a 24-27.
■■ 26. Cf. P. Chiron, Un rhéteur méconnu : Démétrios (Pseudo-Démétrios de Phalère). Essai sur les mutations
de la théorie du style à l’époque hellénistique, Paris, Vrin, 2001, p. 67 ; et « La période chez Aristote », in
P. Büttgen, S. Diebler, M. Rashed (éds.), Théories de la phrase et de la proposition, Paris, Presses de l’École
Normale Supérieure, 1999, p. 103-130.
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[elle] ne saurait atteindre l’unité que procure la réalisation parfaite, par le
mouvement d’une forme immanente : sa fin n’est pas inscrite dans son cours. Elle
reste « ouverte », sans cesse prête à s’augmenter d’un élément supplémentaire qui
ne lui fera rien gagner en cohésion 27.
Il convient néanmoins de relever l’ambiguïté de la métaphore qu’utilise
Aristote pour mieux illustrer sa conception de la période. Si dans le participe
εἰρομένη, l’image est celle de la couture, de l’association de pièces entre
elles, comme dans le cas des chaînons entrelacés d’un collier, P. Chiron
indique la confusion possible avec la métaphore du tressage qui sous-tend
la λέξις κατεστραμμένη, dans la mesure où le verbe εἴρειν peut aussi signifier
« entrelacer » et même « tresser » 28. Il est possible que dans sa définition
de la rhétorique comme l’« art qui s’occupe de l’ornementation du discours
continu et de son ordre », Chysippe ait choisi en connaissance de cause
une expression aristotélicienne (εἰρομένος λόγος) qui traduisait son goût
pour une prose rugueuse, mal dégrossie et non périodique. On pourrait
toutefois défendre une autre hypothèse selon laquelle le Stoïcien aurait
exploité l’ambiguïté du participe εἰρομένος ou tout simplement récusé le
clivage instauré par le Stagirite entre les deux λέξεις ; il aurait donc conçu
le discours « cousu », « continu » propre à l’art oratoire à la manière d’un
entrelacement, traduit dans la Rhétorique aristotélicienne par la λέξις
κατεστραμμένη.
Cette suggestion nous semble trouver une
confirmation dans l’exposé de la théorie stoïcienne
Selon Chrysippe, du destin, à laquelle Chrysippe consacra de nombreuses
le destin est le analyses. Selon lui, le destin ou εἱμαρμένη (littéralement
nom appliqué à « ce qui a été attribué par le sort », « fixé par le
l’univers destin ») est le nom appliqué à l’univers (ὁ κόσμος)
dans la mesure où de toute éternité, il régit tout
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■■ 32. DL, VII, 43 (= SVF, II, 295 = LS 31 A) : trad. R. Goulet, retouchée.
■■ 33. Cf. J. Brunschwig, « Proof defined », in M. Schofield, M.F. Burnyeat, J. Barnes (eds.), Doubt and Dogmatism.
Studies in Hellenistic epistemology, Oxford, Clarendon Press, 1980, p. 161-181 (p. 125-160) ; J. Barnes, « Proof
destroyed », in ibid., p. 161-181. Voir Quintilien, IO, XII, 2, 25 (= SVF, II, 25).
■■ 34. Contrairement à C. Atherton, « Hand over fist », art. cit., p. 398, n. 16, nous ne pensons pas que l’absence
de la preuve soit due au hasard des transmissions manuscrites.
■■ 35. Plutarque, St. Rep., VIII, 1034 e (= SVF, I, 50 = LS 31 L).
■■ 36. Aristote, Rhét., III, 13, 1414 b 1 ; III, 13, 1414 b 9 ; III, 17, 1418 b 5.
■■ 37. Ibid., III, 13, 1414 b 1.
■■ 38. Aristote se souvient ici de la division dialectique en question et démonstration (Analytica Priora, II, 12,
62 a 21 ; II, 16, 65 a 36 ; I, 1, 24 a 11) et en fait l’application à la rhétorique.
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il s’agit d’exposer les faits de façon exhaustive et détaillée ; la seconde l’est
également, de sorte que sa place ne saurait se justifier dans un discours – qu’il
soit délibératif ou épidictique – où l’on cherche à prouver une thèse de façon
positive 39. Dans ces conditions, les seules parties indispensables (ἀναγκαῖα)
et propres au sujet (ἴδια) que retient Aristote sont la proposition (un genre,
genus, dont la narration est l’espèce, species : si celle-ci peut être omise,
celui-là ne le peut) 40 et la preuve, qui subsume la catégorie des réfutations
(τὰ γὰρ πρὸς τὸν ἀντίδικον τῶν πίστεών έστι) 41. Les parties du discours les
plus nombreuses que l’on puisse recenser sont donc l’exorde (προοίμιον), la
proposition (πρόθεσις), la preuve (πίστις) et la péroraison (ἐπίλογος).
Le plan-type du discours rhétorique stoïcien tient lieu de reflet inversé,
pour ainsi dire, à une telle partition oratoire : seules les deux parties jugées
secondaires par Aristote sont conservées, soit l’exorde et la péroraison,
tandis que la proposition et la preuve sont supplantées respectivement par
la narration (διήγησις) et la réfutation (τὰ πρὸς τοὺς ἀντιδίκους), toutes deux
dotées d’une position subalterne dans la Rhétorique du Stagirite 42. Au-delà du
désir affiché de se démarquer d’un tel ouvrage, quelle justification pouvaient
bien avancer les Stoïciens à l’appui d’une telle innovation ? Nous examinerons
plus particulièrement le cas emblématique de la
réfutation pour tâcher de comprendre la raison de
cet écart par rapport à la tradition aristotélicienne.
Zénon proclamait
Tout d’abord, il est intéressant que la rhétorique
l’inutilité d’une
judiciaire serve de modèle aux scolarques de l’Ancien
confrontation
Portique – qu’il s’agisse de Zénon ou de Chrysippe –
des points de vue
pour définir les modalités d’une argumentation de
dans un contexte
qualité, adaptée à des auditeurs à la sagesse encore
judiciaire
chancelante. En plus d’une alliance intime entre
rhétorique et philosophie, l’insistance stoïcienne sur
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pouvait être tranchée sans plus attendre 44. Zénon entendait sans doute soutenir
que le juge, s’il se rapprochait de la sagesse et possédait un talent dialectique,
ne devait pas avoir besoin d’en passer par la confrontation de points de vue
opposés pour découvrir la vérité d’une opinion, étant donné son aptitude à
évaluer une opinion en elle-même, par exemple en percevant immédiatement
ses déficiences logiques, ce qui équivaut précisément à une réfutation.
Cela étant, il semble que la division canonique du discours mentionnée par
Diogène Laërce ne porte pas la griffe du fondateur du Portique, mais plutôt
de son successeur Chrysippe, fort attentif à la vocation critique primordiale
de la dialectique et accusé par Plutarque d’être plus habile à réfuter ses
propres thèses qu’à les défendre, au point de fournir lui-même des armes à
son adversaire néo-académicien Carnéade 45. Telle un poulpe dévorant ses
tentacules, la dialectique chrysippéenne subvertit, selon l’auteur du traité Sur
les notions communes, la prénotion que nous avons de la preuve, et détruit ses
propres principes 46. Au-delà de l’outrance polémique, les affinités du procédé
réfutatif avec la dialectique – domaine dans lequel Zénon, à l’inverse de
Chrysippe, avait « beaucoup moins travaillé que les Anciens 47 » – contribuent
à expliquer l’absence de la démonstration (ἀπόδειξις) positive dans le plan-
type du discours rhétorique stoïcien.
De son côté, Chrysippe ne rejetait pas absolument la discussion des thèses
adverses mais estimait qu’il est possible d’en faire un bon usage pédagogique 48.
Au lieu de « plaider » (μὴ μετὰ συνηγορίας) pour les thèses contraires à celles
que l’on soutient, on peut montrer leurs défauts, détruire leur apparence de
vérité (διαλύοντας αὐτῶν τὸ πιθανόν), bref les réfuter et immuniser ainsi encore
mieux les disciples contre l’aporie, contrairement aux suggestions d’Aristote
prescrivant des exercices de gymnastique dialectique susceptibles de secouer
les assentiments déjà faibles des disciples et de saper les bases nécessaires à
l’apprentissage des dogmes philosophiques.
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La concision stoïcienne
Présente en creux dans les trois modes de structuration successifs auxquels
est soumise la rhétorique stoïcienne – qu’il s’agisse soit de la division en « lieux »,
avec l’accent porté sur l’action oratoire (ὑπόκρισις) contrairement à ce que
préconisait la Rhétorique du Stagirite 51, soit de la tripartition de la rhétorique
en sections délibérative, judiciaire et encomiastique (ἐγκωμιαστικόν), mettant
en valeur la singularité de la troisième d’entre elles par rapport au genre de
discours épidictique (ἐπιδεικτικόν) d’Aristote 52, soit enfin du découpage du
discours rhétorique soulignant la primauté de la réfutation sur la preuve,
comme nous venons de l’analyser – la figure d’Aristote semble décidément
centrale dans la réflexion oratoire menée par le Portique. Elle incarne en
effet, sinon un repoussoir, du moins un modèle théorique incontournable
par rapport auquel il importe de prendre position, et ce point nous semble
corroboré par l’analyse des vertus du discours qu’avaient répertoriées les
premiers philosophes stoïciens.
Les vertus du discours sont au nombre de cinq : la grécité, la clarté, la concision,
la convenance, l’élaboration. La grécité est donc le mode d’expression qui consiste
à s’exprimer sans faute, en respectant l’usage technique et non livré au hasard. La
clarté est l’expression qui consiste à présenter la pensée de façon intelligible. La
concision est l’expression qui consiste à n’employer que les mots nécessaires pour L’héritage aristotéliciende la rhétorique stoïcienne
rendre manifeste l’objet du discours. La convenance est l’expression qui consiste
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■■ 51. DL, VII, 43 (= SVF, II, 295 = LS 31 A) : « Il existe aussi une division de la rhétorique en invention, élocution,
disposition et action » (εἶναι δ’ αὐτῆς τὴν διαίρεσιν εἴς τε εὕρεσιν καὶ εἰς τὴν φράσιν καὶ εἰς τὴν τάξιν
καὶ εἰς τὴν ὑπόκρισιν : trad. R. Goulet).
■■ 52. Ibid., VII, 42 (= SVF, II, 295 = LS 31 A) ; Cf. Aristote, Rhét., I, 3, 1358 b 8.
■■ 53. DL, VII, 59 (= SVF, III Diog. 24) : Ἀρεταὶ δὲ λόγου εἰσὶ πέντε· ἑλληνισμὸς, σαφήνεια, συντομία, πρέπον,
κατασκευή. Ἑλληνισμὸς μὲν οὖν ἐστι φράσις ἀδιάπτωτος ἐν τῇ τεχνικῇ καὶ μὴ εἰκαίᾳ συνηθείᾳ. Σαφήνεια
δέ ἐστι λέξις γνωρίμως παριστᾶσα τὸ νοούμενον. Συντομία δέ ἐστι λέξις αὐτὰ τὰ ἀναγκαῖα περιέχουσα
πρὸς δήλωσιν τοῦ πράγματος. Πρέπον δέ ἐστι λέξις οἰκεία τῷ πράγματι. Κατασκευὴ δέ ἐστιν λέξις
ἐκπεφευγυῖα τὸν ἰδιωτισμόν.
■■ 54. Cf. S. Aubert, Per dumeta, op. cit., p. 174-277.
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DOSSIER APERÇUS DE LA PENSÉE STOÏCIENNE
S’il est faux de voir dans la concision une innovation radicale du Portique,
en rupture avec la tradition athénienne, puisque bien souvent, en guise de
captatio beneuolentiae, les orateurs attiques promettaient à leur auditoire
d’être brefs, les Stoïciens ont bel et bien étendu le domaine de la συντομία.
Dans la tradition antérieure, la concision n’est l’apanage que de certaines
sections du discours : la narration – dont les autres traits caractéristiques sont
la clarté et la vraisemblance – mais aussi les parties de l’épilogue consacrées
à la récapitulation de l’affaire 58 ou à l’appel à la pitié
du public 59. Ailleurs, la brièveté est permise partout
où elle est appropriée : une conclusion de plaidoirie La dette des
interminable, par exemple, desservirait l’avocat, lasserait Stoïciens à
le public et insinuerait que celui-ci est trop stupide l’égard des
pour se rappeler ce qui a été dit précédemment. En Péripatéticiens
revanche, pour le Portique, la concision est toujours est indéniable
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philosophes lui semblaient courtes, il répondit qu’il fallait même que leurs
syllabes, si possible, soient brèves 60. En revanche, Chrysippe était un auteur
fort prolixe, dont Galien ou Sextus critiquent le style diffus et la tendance à
revenir plusieurs fois sur le même argument au cours d’un seul ouvrage ou
bien dans plusieurs de ses sept cent cinq livres 61. Une telle discordance entre
■■ 55. Aristote, Rhét., III, 5, 1407 a 19-1407 b 25 (sur la correction) ; III, 2, 1404 b 2 (sur la clarté) ; III, 7,
1408 a 10-1408 b 19 (sur la convenance).
■■ 56. Cicéron, Orator, 79 ; Cf. Simplicius, in Aristotelis Categoria, p. 10, 30-31 Kalbfleisch.
■■ 57. DL, VII, 59 (= SVF, III Diog. 24).
■■ 58. Quintilien, IO, VI, 1, 2.
■■ 59. Ad Herennium, II, 50 ; Cicéron, De Inuentione, I, 109.
■■ 60. DL, VII, 20 (= SVF, I, 328).
■■ 61. Galien, Placita Hippocratis et Platonis, III, 4, 7 ; p. 192 De Lacy (= SVF, II, 902) ; Alexandre d’Aphrodise
(De Fato, 35 = SVF, II, 1003) déplore lui aussi la longueur des raisonnements des Stoïciens, la surabondance
des termes ainsi que la structure obscure de leurs arguments. Voir encore DL, VII, 180 (= SVF, II, 1), sur les
sept cent cinq ouvrages de Chrysippe.
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les deux scolarques souligne que la concision n’était pas dans la doctrine du
Portique un absolu et ne pouvait pas l’être : elle était toutefois un préférable
à privilégier dans les contextes où elle était appropriée. L’intention primant
toujours sur la matérialité de l’acte aux yeux des Stoïciens, ces derniers devaient
envisager des cas où un discours plus étoffé était nécessaire à la défense d’une
cause juste, mais délicate à plaider, en vertu d’une casuistique mettant en
balance la forme et l’enjeu du discours ; pourtant, les textes ne laissent guère
entrevoir d’ouverture en ce sens : tout se passe comme si le style factuel et
décharné était un impératif inconditionnel.
Malgré son laconisme, la description des cinq vertus stylistiques implique
que toutes étaient requises en même temps dans un bon discours ; la concision
ne pouvait abolir les quatre autres et devait s’ajouter à elles, coexister avec elles,
selon des modalités que les textes ne nous ont pas conservées précisément 62.
Le lien de la concision à la clarté est notamment problématique, puisque
dans la tradition rhétorique, la première est envisagée tantôt comme un
auxiliaire de la seconde, notamment dans le de Inuentione 63, tantôt – ce qui
est plus fréquent – comme un obstacle 64. Cicéron distingue d’ailleurs deux
sortes de brièveté, l’une, positive, qui évite toute redondance (cum uerbum
nullum redundat), l’autre, négative, qui « n’emplo[ie] que le nombre de mots
strictement nécessaire » (sin tum est breuitas, cum tantum uerborum est
quantum necesse est), au risque souvent de nuire au récit en le rendant obscur
et en lui ôtant sa qualité la plus importante : « son charme, son aptitude à
persuader » (ut [narratio] iucunda et ad persuadendum accomodata sit) 65.
Le parallèle entre le second versant de la breuitas et la définition stoïcienne
de la συντομία est évident, même si cette dernière introduit un ajout significatif
par rapport à l’esquisse qu’en fournissait Cicéron, puisqu’elle n’englobe
« que les mots nécessaires pour rendre manifeste l’objet du discours » (λέξις
αὐτὰ τὰ ἀναγκαῖα περιέχουσα πρὸς δήλωσιν τοῦ πράγματος). Ainsi définie, la
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■■ 62. Nous ne sommes pas d’accord sur ce point avec G. Moretti, Acutum dicendi genus, op. cit., p. 31, selon
qui l’ajout de la concision met en péril la définition de la rhétorique. Il n’existe pas de contradiction entre
cette vertu et la définition de la rhétorique comme discours sous une forme développée et continue ; même
sous cette forme, le propos du Stoïcien reste concis. Voir encore ead., « Suscitare o no le passioni ? Il ruolo
di Publio Rutilio Rufo », in L. Calboli Montefusco (ed.), Papers on Rhetoric, vol. IV, Rome, Herder, 2002,
p. 205-222 (p. 207).
■■ 63. Cicéron, Inu., I, 29, à propos de la narration. Cf. De Or., III, 202, sur la brachylogie.
■■ 64. Cf. H. Lausberg, Elemente der literarischen Rhetorik, Münich, 19632 (1949), § 407-408.
■■ 65. Cicéron, De Or., II, 326.
■■ 66. Aristote, Rhét., III, 16, 1416 b 30-1417 a 1 : Νῦν δὲ γελοίως τὴν διήγησίν φασι δεῖν εἶναι ταχεῖαν
[…]. Οὐδὲ γὰρ ἐνταῦθά ἐστι τὸ εὖ ἢ τὸ τάχυ ἢ τὸ συντόμως, ἀλλὰ τὸ μετρίως· τοῦτο δ’ ἐστὶ τὸ λέγειν
ὅσα δηλώσει τὸ πρᾶγμα ἢ ὅσα ποιήσει ὑπολαβεῖν γεγονέναι. Ibid., III, 1414 a 24-26 : « En effet, à quoi
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DOSSIER APERÇUS DE LA PENSÉE STOÏCIENNE
tiendra que le style soit nécessairement clair, exempt de banalité, mais convenable ? C’est que s’il est diffus,
il manquera de clarté ; il en ira de même s’il est concis (σύντομος), mais il est évident que ce qui sied, c’est
le juste milieu (τὸ μέσον) » (τίνος γὰρ ἕνεκα δεῖ σαφῆ καὶ μὴ ταπεινὴν εἶναι ἀλλὰ πρέπουσαν ; Ἄν τε
γὰρ ἀδολεσχῇ, οὐ σαφής, οὐδὲ ἂν σύντομος, ἀλλὰ δῆλον ὅτι τὸ μέσον ἁρμόττει).
■■ 67. Nous rejoignons tout à fait sur ce point la conclusion qu’avait tirée P. Vander Waerdt de son étude des
théories politiques stoïciennes : « In fact, Diogenes’work marks an important change in his predecessors’critical
attitude towards philosophical rivals, as he now reformulates Stoic philosophy in a variety of fields so as to
incorporate their contributions » (in « Politics and Philosophy in Stoicism. A Discussion of A. Erskine, The
Hellenistic Stoa : Political Thought and Action », OSAPh, 9, 1991, p. 185-211 – ici, p. 207-208).
■■ 68. Plutarque, St. Rep., XXVIII, 1047 b (= SVF, II, 298 = LS 31 H).
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pourraient sans doute pas se permettre des proficientes qui, faute de posséder
le jugement sûr du sage, seraient cantonnés dans un premier temps à un style
sec et factuel pour éradiquer en eux toute tentation de cultiver l’amour de la
parole pour elle-même. C’est pourquoi le silence et la concision font figure
de préférables, du moins pour les progressants, particulièrement exposés aux
sirènes du bavardage intempestif. On ne saurait encore une fois considérer
la concision comme un absolu, car elle ne peut être souhaitable en toutes
circonstances, ou face à tous les publics ; elle l’est d’une manière générale,
de même que les autres vertus stylistiques qu’elle n’annule donc pas, mais
avec lesquelles elle s’harmonise dans tout bon discours.
Pour conclure, l’héritage aristotélicien est bel et bien présent dans la
doctrine oratoire du Portique, mais sous une forme paradoxale et en creux.
En refusant d’assigner pour but à l’art oratoire la persuasion, en conférant
une signification originale à la proximité entre rhétorique et dialectique, en
étendant le champ d’application de la première à l’ensemble des discours
continus sans la cantonner au domaine politique, en adoptant une division
du discours profondément différente de celle qu’avait proposée le Stagirite,
en définissant leur vertu stylistique la plus remarquable, la concision, à
la manière de la juste mesure aristotélicienne, bref en procédant à une
subversion systématique et minutieuse des théories et de la terminologie
exposées dans la Rhétorique, les Stoïciens reconnaissent implicitement qu’il
leur est impossible de ne pas définir, jusque dans les moindres détails, leur
propre doctrine oratoire par rapport à celle de ce glorieux prédécesseur, mais
ils s’en distinguent ouvertement afin de mieux s’inspirer de la conception
platonicienne de la rhétorique telle qu’elle est exposée dans le Phèdre.
Sophie Aubert-Baillot
L’héritage aristotéliciende la rhétorique stoïcienne
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