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ABSTRACT. —This article deals with the definition of economic sociology. Our
ambition is first to show that this question is far from being closed, contrarily to the posi-
tion we could adopt after a superficial reading of the New Economic sociology’s works.
Three different definitions are presented. This article points theirs difficulties out and
their consequences on the institutional position of economic sociology and on the fron-
tier between economics and sociology.
Introduction
2. Plusieurs ouvrages ont en effet été consacrés ces dernières années à la présenta-
tion de ce courant. Pour nous en tenir aux principaux (et en privilégiant ceux disponibles
en langue française), nous citerons : N. Smelser et R. Swedberg, 1994 ; R. Swedberg,
1994 (1987) ; R. Swedberg, 1996b ; R. Swedberg, 2003 ; P. Steiner, 2005 (1999) ;
B. Lévesque, G. Bourque et E. Forges, 2001 ; C. Trigilia, 2002 (1998).
3. En renvoyant le lecteur intéressé par les tentatives plus anciennes de sociologie
économique à l’ouvrage de J.-J. Gislain et P. Steiner (1995) et à celui de R. Swedberg
(1994), ainsi qu’à son texte de 1991.
4. On retrouve la critique adressée par M. Granovetter à O. Williamson dans la
plupart de ses textes. Pour une première présentation nous renvoyons le lecteur au texte
de 1985 de M. Granovetter (2000, chap. 2).
Peut-on définir la sociologie économique ? 309
6. On trouve cette idée notamment chez H. Sidgwick lorsqu’il écrit dans le Pal-
grave l’entrée « Economic science and economics » (qui – cela mérite d’être souligné – a
été reprise comme telle dans le New Palgrave, la bible théorique actuelle. Notons
qu’il n’y a pas d’entrée « Economics » dans cet ouvrage, pas plus que d’entrée politi-
cal economy). Cette dualité est également soulignée par D. Hausman (1992, p. 6, voir
infra).
7. On trouve enfin une troisième définition qui est un mélange des deux précéden-
tes, conformément à l’attitude adoptée aujourd’hui par beaucoup d’économistes ; ainsi,
R. Swedberg (1996, p. IX), par exemple, définit-il l’économie comme l’étude des « acti-
vités de production, de répartition et d’échange de biens et de services rares ».
312 Isabelle This Saint-Jean
B - La « perspective sociologique »
probable que le rapport à l’empirie n’est pas le même dans les deux
disciplines, il n’en reste pas moins qu’un risque se dessine toutefois
ici. Celui qui consisterait à tomber dans le « stéréotype » que
dénonce à juste titre P.-M. Menger selon lequel « la (bonne)
sociologie serait par vocation gardienne de l’analyse réaliste et cri-
tique de la société, tandis que la théorie économique immergée
dans la fiction de ses modèles irréalistes, et de son axiomatique de
l’acteur rationnel, n’aurait que la pseudo-neutralité positiviste
d’une science adossée au capitalisme triomphant » (1997, p. 421)11.
Tournons-nous donc vers une autre interprétation de cette notion
de « perspective sociologique ».
Selon une seconde interprétation, cette expression désignerait tou-
tes les méthodes spécifiques utilisées couramment par les sociolo-
gues. Telle est par exemple la définition que l’on trouve au début
de l’ouvrage de P. Steiner consacré à la sociologie économique :
« La sociologie économique étudie les faits économiques en appor-
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11. S’il visait par ces mots certains sociologues, les économistes sont eux aussi par-
fois capables de propos excessifs. Ainsi L. Lévy-Garboua écrivait-il : « Les chercheurs en
sciences sociales ont donc le choix entre une perception sensorielle de la réalité [celle des
sociologues] et la perception rationnelle commune à toutes les sciences [et en particulier
à l’économie], qui se donne pour objet des concepts dépouillés et dépourvus d’ambiguïté
et qui construit avec eux des représentations stylisées, complexes et souvent peu intuiti-
ves de la même réalité. (...) Le sociologue a été formé à éprouver des sensations. Il a
développé en lui un cinquième sens qui le fait participer intensément à la réalité qu’il
observe. Avec ce dernier, il va s’efforcer de comprendre la totalité du réel, de restituer au
lecteur les sensations même que les acteurs sociaux ont éprouvées. Il a atteint son but le
jour où il est enfin capable de résumer la réalité pleine de nuances par des typologies de
mots et de concepts, assez simples pour être mémorisés et assez denses pour être immé-
diatement reconnus pour essentiels et pour vrais par son lecteur. L’œuvre sociologique se
propage par l’adhésion de ses lecteurs, transformés en disciples, à une sorte de vérité révélée » (1988,
p. 289, nous soulignons).
314 Isabelle This Saint-Jean
C - Un curieux mélange
12. Le lecteur pourra notamment se référer aux pages 3-5 pour une présentation
des principales analyses économiques antérieures à la publication de cet ouvrage.
13. Nous renvoyons ici le lecteur à Swedberg (1994 (1987), p. 50-54).
14. En outre, une telle dichotomie entre d’un côté un « objet » et de l’autre des
« méthodes » pourrait laisser penser que ces phénomènes « économiques » auxquels on
« applique » la perspective sociologique seraient des « faits donnés » à celui qui les étudie.
Telle paraît en effet être parfois la position des auteurs. Ne faudrait-il pas alors leur oppo-
ser une grande partie de l’épistémologie moderne : celle qui nous rappelle que les faits ne
sont jamais « donnés », mais toujours « construits », « imprégnés de théorie » ? On pour-
rait ici multiplier les références et les citations. On trouve en effet cette thèse longuement
développée par P. Duhem (1906, 2e partie, chap. 4), par exemple, avant de devenir un
lieu commun de l’épistémologie moderne, puisqu’on peut la repérer notamment chez
G. Bachelard (1934), K. Popper (1934) ou plus tardivement chez T. Kuhn (1962).
Peut-on définir la sociologie économique ? 315
II - La notion d’encastrement
A - Première tentative
Tournons-nous donc vers une nouvelle définition de la socio-
logie économique.
Pour cela revenons un instant sur l’article de 1985 de M. Gra-
novetter qui est, sinon le texte fondateur de la Nouvelle Sociologie
économique, du mois celui qui « allait devenir le texte le plus
connu de la sociologie économique contemporaine » (R. Swed-
berg, 1997, p. 239). On y trouve trois propositions théoriques ; rap-
pelons-les ici – même si elles sont bien connues de la plupart des
lecteurs – dans la version que Granovetter en donne en 199215. Ce
dernier écrit ainsi :
« 1 / La poursuite d’objectifs économiques s’accompagne en
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15. Il existe des différences entre le texte de 1985 et les versions ultérieures qu’il
faudrait probablement étudier de manière systématique. Nous mentionnerons ici simple-
ment le fait que l’idée de « construction sociale », qui jouera un rôle fondamental par la
suite, n’apparaît pas dans l’article de 1985. De même dans son article de 1990, il ne pré-
sente plus que deux thèses : la première et la troisième (2000, p. 103)
16. Notons que N. Smelser et R. Swedberg construisent un tableau qui, selon eux,
résume les différences théoriques principales entre la sociologie économique et
l’économie « mainstream », en s’appuyant pour l’essentiel sur les deux premières proposi-
tions de Granovetter (auxquelles ils ajoutent des différences d’ordre méthodologique ou
qui concernent les traditions intellectuelles des deux disciplines) (1994, p. 4 ; on trouve
une première version assez différente de ce tableau dans Swedberg, 1994 (1987)).
316 Isabelle This Saint-Jean
17. Sur cet emprunt, on pourra consulter P. Rème (2000) et P. Steiner (2002).
18. Cette position correspond, pensons-nous, à celle adoptée par P. Steiner (2002,
p. 36).
19. Nous ne nous prononcerons pas ici sur la définition que l’on peut donner de
cette expression, ni sur sa pertinence.
Peut-on définir la sociologie économique ? 317
B - Second essai
L’épisode est bien connu, mais rappelons-le tout de même rapi-
dement, car il est important pour notre entreprise. Dès la fin des
années 1980 et le début des années 1990, plusieurs auteurs de la
sociologie économique ont en effet adressé une série de critiques
assez virulentes à la notion d’encastrement et à la « thèse faible » de
Granovetter.
20. Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer le lecteur à I. This Saint-Jean
(2002).
21. Nous partageons ici totalement le point de vue de P. Steiner lorsqu’il critique les
définitions du « paradigme de la sociologie économique en opposition au paradigme de la
théorie néoclassique », qu’il repère notamment chez Swedberg (1994) et Swedberg et
Smelser (1994, p. 4-8). Il écrit ainsi que la définition d’un paradigme est un « exercice bien
périlleux. (...) L’exercice est doublement périlleux lorsque le paradigme de la sociologie
économique est défini a contrario du paradigme de la théorie néoclassique » (1997, p. 84).
22. Explicitement revendiquée, depuis au moins J. S. Mill (2003 (1836) et 1988
(1836)).
23. Il affirme que « puisque les phénomènes sociaux sont ainsi profondément
connexes, leur étude réelle ne saurait donc être jamais rationnellement séparée (...). Toute
étude isolée des divers éléments sociaux est donc par la nature de la science, profondément
irrationnelle, et doit demeurer essentiellement stérile, à l’exemple de notre économie poli-
tique, fût-elle même mieux cultivée » (A. Comte, 1995 (1839), p. 117-118).
318 Isabelle This Saint-Jean
24. La culture est ici définie comme « les représentations collectives communes »
qui peuvent par exemple venir limiter ce que les individus désirent acheter ou vendre.
Elle influe par le biais de « croyances et des idéologies – considérées comme données –
ou des systèmes de règles formelles » (S. Zukin et P. DiMaggio, 1990, p. 17).
25. On retrouve ici une partie des critiques adressée à la nouvelle sociologie écono-
mique de Granovetter par J.-L. Laville (1997). Pour une réponse de ce dernier, voir Gra-
novetter, 2000, Introduction.
26. À chacune de ces nouvelles formes d’encastrement correspondent autant de
nouvelles critiques adressées à la théorie économique.
27. D’autres y verront probablement à juste titre le signe de son absence de défini-
tion précise (voir par exemple Rème, 2000).
Peut-on définir la sociologie économique ? 319
30. Terme qu’elle utilise lorsqu’elle présente les travaux de Granovetter (par
exemple, 1988, p. 629).
31. Notons que c’est par exemple la définition retenue par C. Trigilia : « Dans un
premier temps, nous pouvons définir le champ de la sociologie économique comme
étant caractérisé par un ensemble d’études et de recherches visant à approfondir les rapports
d’interdépendance entre les phénomènes économiques et sociaux » (2002, p. 13).
Peut-on définir la sociologie économique ? 321
32. Même s’il parle d’ « articulation » et non pas d’ « interrelation ». En tout état de
cause il ne parle plus ici d’ « encastrement ».
33. Nous avons légèrement corrigé la traduction que nous proposions à l’époque
pour être plus près du texte anglais.
34. Il faut souligner ici que Bourdieu est le seul auteur contemporain cité par Grano-
vetter, à l’exception de White qui a été, selon ses propres termes, son « mentor » et a
« exer[cé] une influence intellectuelle décisive » sur ses travaux (2000, p. 33). Notons à ce
propos qu’en dépit des critiques assez violentes adressées par P. Bourdieu à Granovetter et à
la théorie des réseaux ce dernier affirmait que sa pensée était « extrêmement proche – dans sa
conception et dans son esprit – de la sociologie économique francophone et, notamment,
du remarquable article de Bourdieu ». Et, même si ce point mériterait une argumentation
approfondie, nous pensons pouvoir affirmer que « l’anthropologie économique » déve-
loppée par Bourdieu (telle qu’il la développe dans différents textes, notamment dès ses pre-
miers travaux sur l’Algérie (1958, 1963 ; Bourdieu et Sayad, 1964, ou dans Bourdieu et Pas-
seron, 1964, et plus longuement dans son article de 1997 et dans Les structures sociales de
l’économie (2000)) doit avoir sa place dans la sociologie économique contemporaine.
322 Isabelle This Saint-Jean
Conclusion
RÉFÉRENCES
35. Il s’agit notamment des modèles dits de « taches solaires » (voir par exemple
Azariadis et Guesnerie, 1982).
36. Nous avons tenté de le montrer dans This Saint-Jean (2004).
324 Isabelle This Saint-Jean
Comte A., 1995 (1839), Cours de philosophie positive, leçons 47 à 51, réédi-
tées sous le titre Leçons de sociologie, Paris, Garnier-Flammarion.
Duhem P., 1989 (1906), La théorie physique. Son objet. Sa structure, Paris,
Jules Vrin, seconde édition revue et corrigée.
Gislain J.-J. et Steiner P., 1995, La sociologie économique 1890-1920, Paris, PUF.
Granovetter M., 1982, Economic Decisions and Social Structure, première ver-
sion non publiée de l’article de 1985 (chap. 2 de la trad. franç.).
Granovetter M., 1985, « Economic action and social structure : The pro-
blem of embeddedness », American Journal of Sociology, 91 (November),
p. 481-510 (chap. 2 de la trad. franç.).
Granovetter M., 1990, « The old and the new economic sociology ; A his-
tory and an agenda », in R. Friedland et A. F. Robertson (eds.), Beyond
the Marketplace, Aldine de Gruter (chap. 5 de la trad. franç.).
Granovetter M., 1992, « Economic institutions as social constructions : A
framework for analysis », Acta Sociologica, 35, p. 3-11 ; repris dans
R. Swedberg (ed.), 1996, Economic Sociology, et traduction « Les institu-
tions économiques comme constructions sociales : un cadre d’ana-
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