Lésions Pigmentées Vulvaires

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Formation médicale continue Ann Dermatol Venereol

2006;133:717-23

Clinique
Lésions pigmentées vulvaires
C. RENAUD-VILMER (1, 2), B. CAVELIER-BALLOY (2, 3)

L
es lésions pigmentées vulvaires concerneraient 10 à
12 p. 100 des femmes de couleur blanche [1, 2] et sont
généralement de découverte fortuite. Bien qu’elles
soient le plus souvent bénignes, leur présence nécessite d’éli-
miner un mélanome et de proposer au moindre doute une
biopsie ou une biopsie-exérèse si la lésion est de petite taille.
Au plan histologique, on distingue les lésions avec prolifé-
ration mélanocytaire, avec ou sans thèque, et les lésions sans
prolifération mélanocytaire, mais dues à une surcharge mé-
lanique des kératinocytes et/ou à une incontinence pigmen-
taire dermique superficielle.
Cependant, pour le clinicien, il est plus pratique de classer
ces lésions pigmentées selon leur présentation clinique et
nous proposons de distinguer les lésions uniques maculo-pa-
puleuses ou tumorales, qui correspondent à des entités clai-
rement définies, et les lésions multiples, au sein desquelles
on distinguera les pigmentations symétriques et asymétri- Fig. 1. Lentigo chez une femme de 28 ans.
ques.
Dans la série de Rock [1], les lésions pigmentées les plus
fréquentes sont représentées, par ordre de décroissance, par des kératinocytes basaux hyperpigmentés et une hyperplasie
les lentigos, les nævus nævo-cellulaires (NC) et les mélano- mélanocytaire sans atypie. L’évolution de ces lésions est béni-
ses ou lentigines vulvaires. gne, mais il est difficile de les distinguer cliniquement
d’authentique nævus NC dont on ne se sait pas le devenir. On
L’accumulation de sang dans certaines lésions tumorales
peut proposer une surveillance clinique chez une jeune fem-
(endométriose, lymphangiome, kyste muqueux ou muci-
me régulièrement suivie en gynécologie, mais il semble plus
neux…) peut donner une impression clinique de pigmenta-
prudent d’en faire l’exérèse systématiquement si la lésion me-
tion, mais ne sera pas traitée dans cette revue.
sure plus de 5 mm et/ou après 40-50 ans pour éliminer un
nævus NC ou un mélanome débutant.
Les lésions pigmentées uniques Les nævus nævo-cellulaires
LES LÉSIONS AVEC PROLIFÉRATION MÉLANOCYTAIRE Un nævus NC vulvaire a été observé chez 2,3 p. 100 des pa-
tientes de la série de Rock [1]. Ils reproduisent toutes les varié-
Le lentigo tés anatomo-cliniques des nævus NC cutanés (fig. 2).
Le lentigo vulvaire est la lésion pigmentée vulvaire la plus fré- Cependant, certains nævus NC vulvaires peuvent présenter
quente [1], en particulier chez la femme jeune. Cliniquement, des particularités histologiques portant sur leur composante
il s’agit d’une macule isolée, de pigmentation homogène bru- intra-épithéliale pouvant poser un problème de diagnostic
ne ou noire, de petite taille, de forme ronde ou ovale (fig. 1). histologique avec un mélanome à extension horizontale dé-
Le diagnostic est confirmé par l’examen histologique qui butant [3-6] (fig. 3). Ils sont appelés nævus NC de type
montre un épiderme acanthosique avec des crêtes allongées, « génital » et doivent être reconnus. Ils se caractérisent histo-
logiquement par la présence de thèques intra-épithéliales par-
(1) Spécialiste des centres anticancéreux, centre René-Huguenin, 25, rue Dailly,
ticulières par leur grande taille, leur confluence et leur
92210 Saint-Cloud. extension aux annexes. Sur le plan cytologique, elles sont sou-
(2) Service de Dermatologie (Pr Dubertret), Hôpital Saint-Louis, 1, rue Vellefaux, vent constituées de grands mélanocytes, parfois poussiéreux,
75475 Paris Cedex 10.
(3) Service de Pathologie (Pr Janin), Hôpital Saint-Louis, 1, rue Vellefaux, à noyau parfois irrégulier et nucléolé, sans migration mélano-
75475 paris Cedex 10. cytaire pagétoide. L’architecture reste symétrique avec matu-
Tirés à part : C. RENAUD-VILMER, à l’adresse ci-dessus. ration de la composante dermique et il y a peu ou pas de
E-mail : [email protected] mitose. Cliniquement, la lésion est le plus souvent petite et

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Fig. 2. Nævus nævo-cellulaire chez une femme de 48 ans.


Fig. 3. Mélanome acro-lentigineux débutant chez une femme de 58 ans.

récentes [8-10] car diagnostiqués à un stade tardif. Ils peuvent


être révélés par des saignements, un prurit localisé, la palpa-
tion par la patiente d’un nodule ou d’une masse. Il siège le
plus souvent sur les petites lèvres et la face interne des gran-
des lèvres (50 à 65 p. 100) [7, 9-11]. Comme sur le reste du re-
vêtement cutané, toutes les formes anatomo-cliniques
peuvent être observées, avec une grande prédominance des
mélanomes à extension horizontale de type superficiel exten-
sif (SSM) ou acro-lentigineux (AL). Ces deux types sont par-
fois difficiles à différencier histologiquement, expliquant la
prédominance de l’un ou l’autre type selon les séries [12, 13].
Le mélanome acro-lentigineux est volontiers multifocal et
sera traité dans le chapitre des lésions planes asymétriques.
Certains mélanomes vulvaires restent inclassables [7], sans
conséquence sur le pronostic et leur prise en charge.
Fig. 4. Mélanome vulvaire chez une femme de 78 ans. Le meilleur indice pronostique est l’épaisseur mesurée en
millimètres (indice de Breslow) auquel on peut adjoindre la
présence ou l’absence d’ulcération. Le niveau d’invasion his-
asymétrique. Son pronostic serait bénin, cependant aucune tologique selon Clark n’est pas toujours évalué, car les pa-
étude prospective n’a été réalisée et leur surveillance clinique pilles conjonctives peuvent être difficiles à délimiter sur les
est difficile du fait de leur localisation. Enfin, il peut être dif- muqueuses. Chung et al. [14] ont suggéré l’utilisation en
ficile de les distinguer d’un authentique mélanome débutant, zone muqueuse d’un grade de Clark « modifié » qui évalue
et les mélanomes vulvaires surviennent dans 10 à 32 p. 100 le niveau d’atteinte histologique et l’épaisseur, mais en prati-
des cas sur un nævus NC préexistant [7]. Pour ces raisons une que courante seul l’indice de Breslow est utilisé.
biopsie-exérèse systématique de ces nævus NC vulvaires nous Le pronostic des mélanomes vulvaires dans les séries pu-
semble indiquée, d’autant que, étant donné leur petite taille, bliées est défavorable en raison de l’épaisseur élevée de la tu-
il n’y a pas de séquelle cicatricielle. meur lors du diagnostic. La survie moyenne à 5 ans est
estimée de 30 à 60 p. 100 selon les séries [8-10, 12, 13], et les
Les mélanomes vulvaires auteurs insistent sur la nécessité d’un diagnostic précoce,
Les mélanomes vulvaires représentent 5 à 10 p. 100 des can- justifiant la surveillance ou la biopsie (exérèse) de toute lé-
cers vulvaires, et 3 à 5 p. 100 des mélanomes de la femme sion pigmentée unique ou multifocale douteuse.
(fig. 4). Ils représentent le deuxième cancer vulvaire après les La prise en charge de ces mélanomes repose sur les mê-
carcinomes épidermoides. L’âge moyen des patientes se si- mes règles thérapeutiques que pour ceux survenant sur les
tue autour de 60 ans. Ils sont souvent épais (l’épaisseur sites cutanés. Le traitement de référence est chirurgical avec
moyenne est de 2,8 mm à 4,75 mm dans les séries les plus une marge de 1 à 3 cm selon l’épaisseur de l’indice de

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Breslow. La recherche d’un ganglion sentinelle peut être pro-


posée dans le cadre d’étude. Sinon, un curage ganglionnaire
inguino-crural ne sera proposé qu’en cas d’atteinte ganglion-
naire clinique et/ou radiologique. L’échographie des aires de
drainages inguino-crurales est un examen intéressant tant
au moment du bilan d’extension initial, qu’ultérieurement
lors des surveillances cliniques post-thérapeutiques (confé-
rence de consensus Mélanome 2005).

LES LÉSIONS SANS PROLIFÉRATION MÉLANOCYTAIRE


Les carcinomes baso-cellulaires tatoués (CBC)
Les CBC sont des tumeurs rares à ce niveau, et ne survien-
nent que sur le versant cutané, pileux de la vulve. Ils prennent
volontiers un aspect pigmenté (CBC tatoué). Ce type clinique
n’a aucune signification pronostique particulière. Au plan
histologique, il se caractérise par une prolifération épithéliale
intra-dermique de cellules basaloïdes formant une bordure Fig. 5. Maladie de Bowen chez une femme de 64 ans.
palissadique. Une biopsie est nécessaire pour les distinguer
d’un mélanome. Le traitement repose sur l’exérèse chirurgi-
cale avec une marge de 3 à 5 mm selon la taille de la lésion. HPV non oncogène, sexuellement transmissible. Elles peu-
vent prendre un aspect pigmenté sans signification particu-
La maladie de Bowen (MB) lière du fait d’une hyperpigmentation des kératinocytes. Leur
Cette entité clinique correspond au plan histologique à une présence impose un double bilan : un bilan de l’infection à
néoplasie intra-épithéliale sévère, liée à une prolifération de HPV (voir MB) et un bilan IST (infection sexuellement trans-
kératinocytes atypiques, parfois dyskératosiques et mitotiques, missible). Leur traitement n’élimine pas l’infection à HPV
étagée sur toute la hauteur de l’épithélium dont l’architecture qui reste à l’état latent dans les muqueuses ano-génitales
est désorganisée. Cette lésion est appelée VIN 3 indifférenciée (en moyenne de 6 à 12 mois pour les HPV non oncogènes)
par les Anglo-Saxons. Elle est due à une infection à papilloma- avant d’être éliminée spontanément par l’hôte [16].
virus oncogène (HPV 16 le plus souvent), sexuellement trans- Les papuloses bowenoides (PB)
missible. Des koilocytes liés à l’infection à HPV peuvent être
observés en surface. La MB survient généralement chez les Les PB surviennent chez les femmes jeunes et sont dues à une
femmes ménopausées, sous forme d’une lésion unique s’éten- infection à HPV oncogène (généralement HPV16) sexuelle-
dant lentement de façon centrifuge, en réalisant une plaque ou ment transmissible. Elles se manifestent cliniquement par des
plage leucoplasique ou érythroplasique (érythroplasie de papules multiples, prenant un aspect proche des condylomes,
Queyrat), qui peut s’associer à des zones pigmentées notam- alors qu’au plan histologique elles correspondent à une néo-
ment chez les femmes de pigmentation foncée. Cette pigmen- plasie intra-épithéliale sévère étagée identique à celle de la MB
tation est liée à des dépôts mélaniques intra-kératinocytaires et appelée aussi VIN 3 indifférenciée par les Anglo-Saxons.
(fig. 5). En fonction de l’âge et l’état général de la patiente, on Leur caractère parfois pigmenté est dû comme dans la MB à la
proposera un bilan de l’extension de l’infection à HPV ; en ef- présence de mélanine dans les kératinocytes (fig. 6).
fet une autre localisation peut être présente dans 30 p. 100 des Leur présence impose, chez ces jeunes femmes, le même
cas au niveau du col, du vagin et du canal anal (si rapports bilan que celui des condylomes dont elles partagent l’évolu-
sexuels anaux). L’évolution, bien que lente, se fait vers un car- tion généralement bénigne (bilan de l’extension de l’infec-
cinome épidermoide invasif. Le traitement repose sur l’exérè- tion à HPV et bilan IST). Cependant, quand les lésions sont
se chirurgicale avec une marge de 5 mm. Une surveillance est particulièrement profuses, on recherchera une immunodéfi-
par la suite nécessaire du fait de persistance de l’HPV dans les cience sous-jacente et dans ce cas, une transformation en car-
muqueuses ano-génitales [15, 16]. cinome épidermoide invasif est possible (10 p. 100 des PB).
Une biopsie (si besoin multiple) de toute zone douteuse
(ulcération, bourgeonnement, zone érythroplasique et/ou in-
Les lésions pigmentées multiples ou multifocales durée) doit être réalisée avant toute décision thérapeutique.
Leur prise en charge repose sur leur destruction superficiel-
LES LÉSIONS PAPULEUSES OU TUMORALES le au laser CO2. L’imiquimod est en cours d’expérimentation
dans cette indication. Une surveillance dermatologique et gy-
Les condylomes génitaux pigmentés
nécologique est nécessaire du fait de la persistance de l’infec-
Les condylomes représentent les tumeurs vulvaires bénignes tion à HPV oncogène dans les muqueuses de l’ensemble du
les plus fréquentes. Elles sont induites par une infection à tractus génital [5, 16].

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Fig. 7. Pigmentation ethnique.


Fig. 6. Papulose bowenoide.

Les kératoses séborrhéiques ne dans les kératinocytes basaux, avec un allongement des
Les kératoses séborrhéiques (KS) de la région génitale sur- crêtes épithéliales, sans hyperplasie mélanocytaire. On distin-
viennent sur les zones pileuses des grandes lèvres et sont gue selon leur topographie et les anomalies viscérales
maintenant considérées le plus souvent comme des condylo- associées : le syndrome de Peutz-Jeghers-Touraine (lentiginose
mes vieillis au sein desquels les koilocytes (signe de réplica- péri-orificielle avec atteinte des muqueuses génitales et bucca-
tion virale de l’HPV au sein des kératinocytes) sont absents ou les et associée à une polypose digestive pouvant se compliquer
peu nombreux, mais ou l’on retrouve de l’HPV à l’état latent d’hémorragies, d’invagination, et d’une transformation
[17, 18]. Selon l’âge de la patiente, un bilan de l’infection à cancéreuse) ; le syndrome des lentigines multiples : les lentigines
HPV sera proposé (frottis, colposcopie…). Leur destruction sont symétriques et diffuses sur tout le corps et atteignent tou-
est préférable. tes les muqueuses, ce syndrome est caractérisé par l’existence
d’anomalies cardiaques ; le syndrome LEOPARD : Lentigines,
LÉSIONS PLANES anomalies Électrocardiographiques, hypertélorisme Oculaire,
sténose Pulmonaire, Anomalies génitales, Retard statural,
Les pigmentations symétriques Deafness (surdité) et aussi le syndrome de NAME et le syndrome
– les pigmentations ethniques : elles sont décrites chez les de LAMB regroupés sous le terme de complexe de Carney, et
femmes de phototype IV et V et réalisent des plages pigmen- le syndrome de Bannayou-Piley-Ruvalcaba.
tées symétriques prédominant sur les petites lèvres (fig. 7). – L’acanthosis nigricans et la maladie de Dowling-Degos :
Au plan histologique ces lésions correspondent à une sur- l’acanthosis nigricans est une dermatose rare dont le diagnos-
charge mélanique des kératinocytes basaux de l’épithélium tic est clinique, réalisant des plages pigmentées avec un
sans hyperplasie mélanocytaire. épaississement cutané à l’origine d’une surface rugueuse.
– Les pigmentations d’origine endocrinienne (maladie L’atteinte débute puis prédomine au niveau des grands plis
d’Addison, maladie de Cushing…) : il s’agit d’une pigmenta- et peut s’étendre à la vulve. Une atteinte vulvaire isolée est
tion cutanéo-muqueuse plus ou moins diffuse qui ne pose possible. L’histologie est évocatrice avec une acanthose, une
pas de problème de diagnostic différentiel, et fait en général papillomatose et une hyperpigmentation basale sans hyper-
partie d’un ensemble de signes spécifiques du trouble endo- plasie mélanocytaire Cette affection peut révéler un désordre
crinien sous-jacent. endocrinien sous-jacent, mais aussi correspondre à un
– Les lentigines ou « lentiginoses » cutanéo-muqueuses des syndrome paranéoplasique et doit faire rechercher un adéno-
syndromes poly-malformatifs : on est en présence de multi- carcinome viscéral sous-jacent. La maladie de Dowling-Degos
ples lentigines de 1 à 2 mm de diamètre pouvant atteindre tout est une génodermatose réalisant une pigmentation réticulée
le corps et les muqueuses buccales et génitales. Au niveau de des plis parfois associée à des lésions hyperkératosiques fol-
la vulve, les lésions sont volontiers disposées de façon symé- liculaires d’aspect comédonien, et une atteinte vulvaire sous
trique. La gravité de ces syndromes est liée aux lésions non cu- forme de lentiginose a été décrite [19]. L’aspect histologique
tanées associées, malformatives ou tumorales, qui doivent est évocateur avec une acanthose endophytique, un renfle-
être recherchées dès que le diagnostic est évoqué. Au plan his- ment des crêtes épidermiques et une basale festonnée et pig-
tologique, les lentigines correspondent à un dépôt de mélani- mentée.

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Les pigmentations asymétriques génitale ou macules pigmentées atypiques et proposent une sur-
Ce type de lésion doit faire craindre en premier lieu un méla- veillance de ces lésions bien qu’aucun cas n’était associé à un
nome acro-lentigineux et faire réaliser une biopsie sur la ou mélanome lors du diagnostic. L’évolution de ces lésions, avec
les zones les plus foncées. Sinon, trois autres diagnostics peu- hyperplasie mélanocytaire, est aujourd’hui inconnue. Cepen-
vent être évoqués : les pigmentations post-inflammatoires et dant, en l’absence de suivi à long terme de ces observations, on
post-traumatiques et une entité encore mal définie appelée ne peut exclure un mélanome acro-lentigineux débutant biop-
mélanose ou lentiginose génitale. Toutes ces lésions pigmen- sié en périphérie. Ainsi, en l’absence d’autres localisations,
tées correspondent à la même image histologique avec un dé- buccales ou unguéales, il semble licite, dans un premier
pôt mélanique au niveau des cellules basales de l’épithélium, temps, de proposer une surveillance clinique à l’aide de photo-
sans prolifération mélanocytaire, souvent associé à une in- graphies pour être sûr de la stabilité des lésions et de l’absence
continence pigmentaire dermique superficielle. L’épithélium de modification qui imposerait une nouvelle biopsie pour éli-
est le siège d’une acanthose avec des bourgeons trapus et non miner tout mélanome acro-lentigineux débutant (voir chapitre
effilés comme dans les lentigines. En l’absence de lésion as- mélanome acro-lentigineux). Les mélanoses vulvaires isolées
sociée sur les autres muqueuses, il est difficile de les distin- sont aussi difficiles à distinguer d’une pigmentation post-
guer (fig. 8). inflammatoire ; seul l’interrogatoire permettra de retrouver
– La maladie de Laugier-Hunziker vulvaire ou mélanose une maladie inflammatoire pré-éxistante.
génitale : La maladie de Laugier a été initialement décrite sur – Les pigmentations post-inflammatoires et post-traumati-
les muqueuses et les lèvres buccales. Il s’agit de lésions macu- ques : ces pigmentations sont superposables au plan histolo-
leuses grises, bleuâtres, brunâtres ou noires. Puis, secondaire- gique à la mélanose de Laugier. Les pigmentations post-
ment, on a rattaché à cette entité des pigmentations inflammatoires : toute lésion vulvaire associée à un processus
longitudinales en bande des ongles et des lésions du même inflammatoire peut être suivie d’une pigmentation post-in-
type clinique et histologique au niveau de la vulve, du vagin et flammatoire résiduelle. Les sujets à peau pigmentée sont da-
du pénis. Au niveau de la vulve (et du pénis), les lésions réali- vantage exposés. Le lichen plan pigmentogène est une
sent des macules de taille variable de pigmentation plus ou variante du lichen plan au cours de laquelle les lésions appa-
moins régulière, volontiers multiples et alors disposées de fa- raissent d’emblée pigmentées, mais toute lésion de lichen
çon asymétrique, le plus souvent sur les petites lèvres et les fa- plan génital peut laisser une pigmentation résiduelle. Le
ces internes des grandes lèvres (fig. 9). Cette entité est lichen scléreux génital peut être aussi à l’origine de taches
généralement diagnostiquée chez l’adulte jeune et est d’évolu- pigmentées, grisâtres ou brunâtres, qui apparaissent généra-
tion bénigne [20-22]. Lorsque les lésions vulvaires sont isolées lement tardivement dans l’évolution. Cet aspect pigmenté
on parle de mélanose vulvaire et il faut alors éliminer un méla- peut survenir au décours du traitement (fig. 10). L’érythème
nome acro-lentigineux. Mais l’histologie est a priori rassurante pigmenté fixe : cette entité peut se localiser de façon isolée au
puisqu’elle ne montre habituellement pas d’hyperplasie méla- niveau des muqueuses génitales. Les lésions réalisent une ou
nocytaire. Cependant, d’exceptionnelles observations de lé- plus rarement plusieurs plages grisâtres, fixes. L’interroga-
sions génitales cliniquement identiques à ces mélanoses, mais toire recherchera une phase bulleuse ou inflammatoire et le
associées à un certain degré d’hyperplasie mélanocytaire ont médicament responsable (tétracycline, phénothiazine, sulfa-
été rapportées [23-25]. Les auteurs parlent alors de lentiginose mides, barbituriques, etc.). Les récidives, lors de la reprise du

Fig. 8. Mélanose ou pigmentation post-inflammatoire chez une femme de 50 ans. Fig. 9. Mélanose vulvaire chez une femme de 50 ans.

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Fig. 10. Pigmentation post-inflammatoire sur lichen scléreux. Fig. 12. Mélanome acro-lentigineux multi-focal chez une femme de 72 ans.

médicament responsable, surviennent toujours au même si- sieurs sites n’est pas rare (22 p. 100 dans la série de Vers-
te. Les pigmentations post-traumatiques : tout traumatisme, au chraegen) [9] et les récidives locales sont fréquentes malgré
niveau des muqueuses génitales peut s’accompagner secon- des exérèses bien conduites. Lotem et al. [26] ont montré la
dairement d’une pigmentation résiduelle (fig. 11). Un traite- présence d’une hyperplasie mélanocytaire atypique dans la
ment par laser CO2 peut favoriser de telles lésions. Il faut muqueuse génitale non pigmentée de ces patientes, suggé-
savoir reconnaître les pigmentations symétriques situées en rant que ces mélanomes génitaux multifocaux sont le résul-
avant du vestibule (11 heures et 13 heures) sous forme de pe- tat d’une anomalie des mélanocytes de toute la muqueuse
tites plages de quelques millimètres, secondaires au trauma- génitale. Les récidives sont intra-épithéliales et l’extension à
tisme physiologique de l’accouchement sans notion de la muqueuse vaginale n’est pas rare [26-29]. Le diagnostic
traumatisme franc. différentiel avec les mélanoses et les lentiginoses vulvaires
– Les mélanomes acro-lentigineux : cette forme anatomo- est parfois difficile. Au plan histologique, dans les formes dé-
clinique peut se présenter sous l’aspect de plages pigmentées butantes, l’examen histologique peut être faussement rassu-
planes multifocales asymétriques (fig. 12). L’atteinte de plu- rant, en ne montrant qu’une hyperplasie mélanocytaire sans
atypie si la biopsie a été faite en périphérie des lésions ou sur
une zone peu pigmentée. Pour cette raison, toute pigmenta-
tion vulvaire asymétrique plus ou moins étendue doit être
surveillée, même si le diagnostic histologique initial est ras-
surant. Il ne faut pas hésiter à refaire une biopsie, si besoin
multiple, si les lésions se modifient. Au plan thérapeutique,
certains auteurs [26] proposent pour ce type de mélanome, si
l’état de la patiente permet une survie prolongée, des moda-
lités chirurgicales différentes à savoir une vulvectomie totale
plutôt qu’une exérèse des lésions avec une marge de 1 à 3 cm
selon l’épaisseur de Breslow.

Conclusion

Une meilleure connaissance des lésions pimentées génitales


devrait permettre un dépistage plus précoce des mélanomes
vulvaires et donc d’en améliorer leur pronostic, actuellement
Fig. 11. Pigmentation post-traumatique. encore très sombre du fait d’un retard de leur prise en char-

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