Horace
Horace
Horace
HORACE.
Ô Ciel ! Qui vit jamais une pareille rage !
Crois-tu donc que je sois insensible à l'outrage,
Que je souffre en mon sang ce mortel déshonneur ?
Aime, aime cette mort qui fait notre bonheur,
5 Et préfère du moins au souvenir d'un homme
Ce que doit ta naissance aux intérêts de Rome.
CAMILLE.
Rome, l'unique objet de mon ressentiment !
Rome, à qui vient ton bras d'immoler mon amant !
Rome qui t'a vu naître, et que ton cœur adore !
10 Rome enfin que je hais parce qu'elle t'honore !
Puissent tous ses voisins ensemble conjurés
Saper ses fondements encore mal assurés !
Et si ce n'est assez de toute l'Italie,
Que l'Orient contre elle à l'Occident s'allie ;
15 Que cent Peuples unis des bouts de l'Univers
Passent pour la détruire, et les monts, et les mers !
Qu'elle-même sur soi renverse ses murailles,
Et de ses propres mains déchire ses entrailles !
Que le courroux du ciel allumé par mes vœux
20 Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,
Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,
Voir le dernier Romain à son dernier soupir,
Moi seule en être cause, et mourir de plaisir !
HORACE.
Ainsi reçoive un châtiment soudain
Quiconque ose pleurer un ennemi romain !
Résumé de la pièce :
La tragédie Horace s’appuie sur un épisode de l’Histoire romaine de Tite-Live (Ier siècle av.
J.C - Ier siècle ap. J.-C.). Sous le règne du roi Tulle (= Tullus Hostilius, troisième roi de Rome,
VIIe siècle av. J.-C.), Rome et sa voisine Albe sont en guerre. De nombreuses familles des deux
cités sont liées par le mariage ou par les sentiments. C’est le cas des Horaces (Rome) et des
Curiaces (Albe). Pour éviter une sanglante bataille, on s’accorde à désigner des champions dans
chaque cité, issus de ces deux familles : trois frères de part et d’autre.
Mais le Romain Horace est marié à Sabine, sœur de Curiace ; tandis que Curiace est amant de
Camille, sœur d’Horace. Alors que Curiace, Sabine et Camille sont horrifiés par la cruauté de
la situation, Horace, encouragé par son père, le vieil Horace, ne cache pas son enthousiasme
d’avoir à défendre l’honneur de Rome.
Situation : Deux des trois Horaces sont morts. Le survivant, grâce à une ruse, faisant semblant
de fuir, a réussi à tuer les trois Curiaces. Célébré par Rome tout entière comme le sauveur de la
patrie, il s'attend à être honoré par sa sœur Camille. Cette dernière, amante de l'un des Curiaces,
emportée par la douleur d'avoir perdu l'homme qu'elle aimait, manifeste sa colère auprès de son
frère, meurtrier de son amant.
Mouvements :
1. v. 1 à 6 : Horace, outragé par l’attitude de Camille, l’exhorte à honorer Rome
2. v. 7 à 24 : imprécations de Camille, qui exprime sa haine envers Rome
3. v. 25 à 28 : la crise atteint son paroxysme et Horace tue Camille
Analyse linéaire :
*Ces imprécations très rhétoriques provoquent une accélération dramatique de l'action : Horace
tue sa sœur, comme le montrent les didascalies. Leur présence s'explique par des considérations
esthétiques. La règle de la bienséance classique interdisait en effet de montrer un meurtre sur
scène. Corneille prend donc soin de bien indiquer que Camille est blessée « derrière le théâtre »,
ce qui signifie « dans les coulisses ».
*Ce meurtre, Horace l'accomplit calmement, puisqu'il a fait preuve de « patience » et que c'est
maintenant « la raison » qui l'emporte. En effet, pour lui, Camille, ayant choisi le camp ennemi,
mérite de mourir. À défaut d'être moralement acceptable, le meurtre de Camille est, pour
Horace, logique. La « raison » d'Horace (v. 25) s'oppose à la passion de Camille pour Curiace.
Pour Horace, l'important est de préférer la vertu morale à l'amour, l'honneur à la passion.
* Dans les deux derniers vers, Horace lance à son tour des imprécations contre tous les ennemis
de Rome (l'expression « ennemi romain » signifiant « ennemi de Rome »).
Conclusion
Par cet assassinat, l'action tragique se trouve relancée (on a d'ailleurs reproché à Corneille de
ne pas respecter l'unité d'action). Le statut d'Horace change : de sauveur de Rome, il devient
criminel. Son fratricide souille sa jeune gloire.
Au dernier acte, Horace sera acquitté lors de son procès grâce à un plaidoyer du vieil Horace
qui défend l'honneur (et donc son fils) contre la passion amoureuse représentée par Camille.
La crise familiale, ici poussée à son paroxysme avec le fratricide, n'est pas sans rappeler la
fondation même de Rome, qui repose sur un autre fratricide, puisque, pour devenir le premier
roi de Rome, Romulus a tué son frère Rémus.
Questions de grammaire :
Nous avons une phrase complexe comprenant deux verbes conjugués mais trois
propositions : en effet l'originalité ici est que la principale, « Rome enfin » ne comporte pas de
verbe : il s'agit donc d'une phrase nominale (le noyau de la phrase n'est pas un verbe, mais le
nom « Rome »). La phrase contient ensuite une proposition relative (« que je hais ») et une
proposition circonstancielle.
Une proposition circonstancielle est une proposition déplaçable et supprimable, comme
un complément circonstanciel. En effet, la phrase « Rome enfin que je hais ! » reste correcte.
De même si l'on écrit « Rome enfin que, parce qu'elle t'honore, je hais ! ».
Nous avons ici une propositions subordonnée circonstancielle de cause, introduite par
la conjonction de subordination « parce que », suivie d'un verbe est à l'indicatif.