Dissertation 1 Corrigée
Dissertation 1 Corrigée
Dissertation 1 Corrigée
les mentalités qui peuvent être autant d’obstacles à l’expression de ses idées ?
La littérature d’idées s’oppose à celle de « l’art pour l’art », en vogue au XIXe siècle et s’est surtout
développée au XXe siècle. Plusieurs écrivains s’inscrivent ainsi dans cette conception de sortir du champ de la
littérature pour mieux s’engager. Nous pouvons citer, entre autres, Simone de Beauvoir, célèbre pour son livre
Le Deuxième sexe, important dans l’histoire de la littérature féministe, ou encore la philosophe Simone Weil
qui démissionna de son métier d’institutrice pour aller travailler aux côtés d’ouvriers.
Nous pouvons toutefois nous demander, à l’instar de Sartre, comment un écrivain peut faire subsister ses
opinions à travers le temps et les mentalités, qui peuvent être autant d’obstacles à l’expression des idées,
d’autant que l’écrivain engagé s’expose, en révélant ses opinions, aux critiques, ces dernières pouvant même
mettre fin à sa carrière, comme ce fut le cas pour Olympe de Gouges avec la Déclaration des droits de la
femme et de la citoyenne (1791).
Nous expliquerons dans un premier temps l’impuissance relative de la littérature d’idées, puis comment la
littérature engagée peut tout de même faire évoluer en partie les mentalités et enfin, comment la littérature
est une ressource quand il s’agit de peindre la complexité de l’homme.
Tout d’abord, les mœurs évoluent peu à peu grâce aux nombreuses œuvres inscrites dans leur époque,
mais surtout novatrices et visionnaires. Il aura ainsi fallu deux siècles avant que l’abolition de la peine de mort
soit finalement acquise. Cette avancée, éclairée par les philosophes des Lumières, sera un changement pour la
société acquis par degrés. À différentes époques, ce progrès passera notamment par l’abolition de la torture,
le rejet du bagne, l’uniformisation du mode d’exécution capitale. Ce n’est que le 18 septembre 1981 que
l’abolition de la peine de mort sera définitivement prononcée, grâce au discours que Robert Badinter tiendra
devant l’Assemblée Nationale. L’abolition de la peine de mort est pour Robert Badinter une nécessité morale. Il
déclara dans son discours qu’être contre la peine de mort, c’est disposer du pouvor de la «raison». Grâce à ses
arguments issus des ouvrages progressistes (Voltaire, Lamartine, Victor Hugo, ou encore Albert Camus), le
projet de loi portant sur l’abolition de la peine de mort sera enfin adopté par 363 voix pour et 117 contre. Ce
projet humaniste aura mis du temps à être adopté, mais grâce à la persévérance des écrivains et grâce au
temps laissé à la maturation de ces idées nouvelles, les mentalités évoluent néanmoins. Effectivement, la
remise en question de conceptions admises permettra toujours à la société de changer peu à peu. Certaines
pratiques politiques et juridiques sont réévaluées, comme cela fut le cas pour l’esclavage, dont Montesquieu a
été l’un des principaux initiateurs de l’abolition (pensons à son célèbre texte ironique de De l’esprit des lois).
Les auteurs parviennent également à modifier « leur » monde à leur échelle, dans l’actualité. C’est le cas
de Zola, le défenseur le plus médiatique, comme on ne le disait pas à l’époque, de la cause de Dreyfus,
injustement accusé d’espionner la France en faveur de l’Allemagne (1894-1899). Zola, l’auteur de l’article
J’accuse ! (1898), rappelle dans un premier temps les circonstances de cette affaire, la découverte du
bordereau et la condamnation de Dreyfus. Il revient ensuite sur la révélation de la trahison du commandant
Esterhazy, avant d’accuser les ministres de la Guerre, les officiers de l’État-major et les experts en écriture, afin
de retourner l’accusation et d’acquitter l’innocent pour dénoncer le véritable coupable : le commandant
Esterhazy. De la même manière et à une autre époque, le cas évoqué dans le Traité sur la Tolérance de Voltaire
(1764) permet la réhabilitation de Jean Calas. Celui-ci est faussement accusé et exécuté, malgré l’absence de
preuves, pour avoir assassiné son fils afin éviter qu’il ne se convertît au catholicisme. Le contexte historique est
alors encore fortement marqué par les guerres de Religion des siècles précédents. Voltaire prend appui sur
cette affaire et rappelle alors dans son traité que la tolérance devrait être naturelle pour les hommes, et
dénonce le climat d’intolérance inhérent à la religion chrétienne. Ainsi nous avons pu constater que les
mentalités ont évolué à travers le temps grâce aux œuvres de la littérature engagée. Voltaire suivit un combat
similaire avec l’affaire François-Jean Lefebvre de La Barre (1766). Ce chevalier a été condamné à la mort pour
blasphème et sacrilège par le tribunal d’Abbeville, puis par la Grand-Chambre du Parlement de Paris. Voltaire
prend la défense du chevalier pour la réhabilitation de sa mémoire. Grâce à leurs ouvrages ou discours, les
écrivains arrivent ainsi à contribuer à la régénérescence politique et sociale de leur époque. Ils arrivent à
toucher les esprits, de façon qu’ils changent, à leur échelle, leur monde.
Enfin, pensons à la valeur performative du langage : le fait de présenter une notion nouvelle que l’on
nomme au public, rend assurément la conviction plus réelle, voire concrète. Certains ouvrages comme le Code
civil (1804), permettent de transformer ces faits en droit certifiés par l’État. Le Code civil est un texte
regroupant plus de 36 lois et 2281 articles ; ces derniers sont consacrés aux personnes, aux biens et à la
propriété. Quelques années auparavant, la célèbre Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, texte
définissant la base constitutionnelle en matière de droits humains en 1789, a permis de rendre concrètes les
conceptions issues des Lumières, et ainsi de les exposer au peuple. En 1791, la première phrase de la DDFC
d’Olympe de Gouges donne le ton : « Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent
d’être constituées en assemblée nationale ». Ainsi le discours de l’autrice se veut inscrit dans le débat politique
et exige plusieurs réalisations éminemment concrètes et perceptibles dans la vie de tous les jours, dans la
mesure où les femmes seraient dorénavant représentées dans les instances politiques. En 2005, l’auteur
antillais Aimé Césaire continue de clamer dans un entretien publié : Nègre je suis, nègre je resterai, pour mieux
réaffirmer le concept de négritude qu’il a lui-même inventé dans les années 1930 (Cahier d’un retour au pays
natal, 1939). Selon le poète, ce n’est pas en cherchant à effacer la part d’Histoire -même la plus tragique-
constitutive de notre identité que l’on parvient à s’épanouir et à vivre libre.
Nous l’avons vu, l’engagement en littérature produit des effets inégaux. Considérons à présent que la
littérature, en prenant de la distance par rapport aux évènements ou au quotidien des hommes, peut
constituer une véritable ressource quand il s’agit de peindre la complexité de l’homme.
Tout d’abord, un regard extérieur porté par une femme ou un homme de littérature est important pour
inviter le lecteur à être sensible à la singularité des expériences. Par exemple, plus que le Préambule de la
DDFC, c’est tout le parcours social et politique d’Olympe de Gouges qui rappelle que les femmes peuvent
autant que les hommes représenter la nation. Elle déclare donc que la DDHC n’a pas tenu ses promesses
d’égalité envers les femmes et décide donc d’écrire une nouvelle déclaration, qui reprend presque terme à
terme les concepts sociaux pour en faire des requêtes féministes. Mais le deuxième texte extérieur à la
déclaration pastiche, le Postambule, s’adresse directement aux femmes, et parle à tous les féministes, avec
une sensibilité non feinte que l’on devine, quand nous repensons à son parcours de jeune veuve, puisqu’elle y
considère que les femmes subissent d’injustes traitements, en osant même cette comparaison discutable par
ailleurs : « Cependant la raison peut-elle se dissimuler que tout autre chemin à la fortune soit fermé à la
femme que l’homme achète comme l’esclave sur les côtes d’Afrique ? »
De même, la littérature se fait miroir de l’humanité en nous offrant notre propre spectacle. En effet le
monde apparaît comme une caricature d’une salle de spectacles abritant les spectateurs, les acteurs et le
décor, comme l’annoncent ces vers de William Shakespeare dans Comme il vous plaira : « Le monde entier est
un théâtre, / Et tous, hommes et femmes, n’en sont que des acteurs. / Et notre vie durant nous jouons
plusieurs rôles ». Les hommes sont à la fois acteurs car l’être humain se définit comme un être d’action, et
spectateurs, quand ils observent l’action des autres dans le but de s’instruire ou de reproduire. De même la
série romanesque La Comédie Humaine, de Balzac, représente la réalité sociale et la nature humaine dans
toute sa complexité et sa variété. Il expose la représentation sociale des mœurs, des idéaux, des ambitions,
des vices et des vertus de la société sous la Restauration. Balzac crée dans son ouvrage des types humains
saisissants de vérité. Certains de ses personnages représentent exactement les caractères humains, comme
Grandet, un tyran domestique avare ou Goriot, une représentation touchante de la paternité. De plus, certains
ouvrages poétiques marquent les sensibilités par leur aspect subjectif et personnel. Les fleurs du mal de
Charles Baudelaire (1857), demeure une œuvre populaire, dont les thèmes principaux (l’amour, le voyage, le
spleen, l’angoisse, l’extase sensorielle) sont populaires auprès des adolescents de toute époque car les sujets
abordés ne cessent d’intriguer à cet âge. Par exemple un être en pleine découverte de l’amour et cherchant à
s’évader physiquement comme mentalement appréciera À une passante ou L’invitation au voyage.
Enfin, la littérature d’idées brille dans les genres argumentaires secondaires, idéalement représentés par
les Fables de la Fontaine. L’imaginaire littéraire y est une ressource quand il s’agit de peindre les défauts des
hommes. Ces récits originaux ou issus de l’Antiquité nous servent de modèles de morale applicables dans la
société. Dans Le Corbeau et le Renard, Jean de la Fontaine montre qu’il faut savoir garder la raison lorsque
quelqu’un nous flatte. En effet, dans cette fable, le corbeau, fier et orgueilleux, se fait duper par le renard, car
celui-ci le flatte et réussit par la ruse à prendre son fromage tombé du bec du corbeau sans que celui-ci s’en
aperçoive. Ces deux animaux représentent deux catégories sociales : le corbeau, en position dominante et en
possession d’un bien, représente la noblesse, tandis que le renard, en position inférieure et sans possession,
peut incarner le peuple. Dans cette fable, le corbeau est vaniteux puisqu’il veut montrer à quel point il est
beau, tandis que le vol et le mensonge sont représentés par le renard ; mais c’est bien le corbeau arrogant qui
est raillé et c’est le renard qui sort gagnant. Ainsi La Fontaine montre que la supériorité sociale ne fait pas tout
et critique la vanité humaine. La comédie de mœurs peut être rattachée à cette catégorie d’oeuvres qui
cherchent à nous convaincre tout en nous divertissant. Effectivement, L’école des femmes (1663) de Molière
avertit le public au sujet de la complexité de la notion de tromperie, mais délivre aussi un message à propos de
la condition des femmes mariées sans leur consentement. En effet, cette dernière illustre le fait que certains
hommes craignent de se faire tromper par leur épouse, mais non de leur être infidèle. Dans Tartuffe (1669),
Molière dénonce l’hypocrisie religieuse et les personnes qui détournent la religion pour servir leurs intérêts
personnels.
À la question de savoir si un écrivain peut faire subsister ses opinions à travers le temps, il faut noter que
l’expression des idées se heurte souvent aux modes de pensée et mentalités de l’époque. Néanmoins, la
littérature engagée, en marquant peu à peu les esprits, peut faire évoluer certaines mentalités comme le
démontrent certains écrits précités. Il faudra surtout explorer les genres non spécifiquement argumentatifs et
lire dans ces miroirs singuliers de la société pour prendre de la distance et pourquoi pas réfléchir différemment
et par soi-même.
À l’heure du changement climatique, des déplacements de populations au niveau mondial, certains
auteurs, comme Pierre Rabhi, ou militants, comme Greta Thunberg, ne nous démontrent-ils pas l’urgence de
faire évoluer en profondeur les modes de pensée et de comportement acquis depuis les débuts de l’ère
industrielle ? Devant le caractère urgent des réponses à apporter, quelle place accorder aux œuvres littéraires,
face à la déferlante communicationnelle des réseaux sociaux ?