SES Actions Publiques
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Objectifs d’apprentissage
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Quelle action publique pour l’environnement ?
II....... Comprendre que l’action publique pour l’environnement articule différentes échelles
(locale, nationale, européenne, mondiale). .................................................................... 13
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Quelle action publique pour l’environnement ?
A - Les biens communs comme le climat nécessitent des négociations et accords internation-
aux ................................................................................................................................ 34
Complément pour le professeur : Bien commun, bien collectif, bien public mondial ...............35
Compléments pour le professeur : La gestion des biens communs ...........................................36
B - Les défis posés par les stratégies de passager clandestin ............................................ 37
C - Les défis posés par les inégalités de développement entre les pays ........................... 38
Tableau 4 : Répartition géographique des émissions de CO2 dans le monde (en Mt CO2)..........39
Compléments pour le professeur : Développement et forte pression environnementale au Nord,
sous-développement et faible pression environnementale au Sud ...........................................40
Compléments pour le professeur : L’importance des transferts financiers Nord-Sud ..................41
Bibliographie ................................................................................................................... 42
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Introduction
Si la hausse des températures constitue bien évidemment une menace très sérieuse, il est im-
portant de comprendre que les problèmes environnementaux ne se limitent pas à cette théma-
tique. L’épuisement des ressources naturelles, la pollution de l’air et de l’eau, la diminution de
la biodiversité avec l’extinction de nombreuses espèces, sont autant de défis relatifs à la pro-
tection de l’environnement. Le vaste champ recouvert par la notion d’environnement rend
souvent difficile d’en donner une définition précise. En France, la loi du 2 février 1995 (dite
loi Barnier, du nom du Ministre de l’environnement de l’époque) en a cependant proposé
une définition qui est encore celle utilisée par le Code de l’environnement français : « les es-
paces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, les espèces animales et végétales, la
diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent »2. La loi Barnier précise par ail-
leurs que cet environnement doit être considéré comme le patrimoine commun de la nation
ce qui justifie de veiller à sa sauvegarde et de contribuer à sa protection.
Cette prise de conscience autour des enjeux environnementaux a connu une accélération à
partir des années 1970, notamment suite à la publication en 1972 du rapport The Limits to
Growth (surnommé « Rapport Meadows ») qui alerta sur l’insoutenabilité du mode de pro-
duction occidental. Si l’intervention publique dans le domaine de l’environnement ne date pas
de la fin du XXème siècle, elle s’est en revanche largement diversifiée et élargie ces cinquante
dernières années, à la fois dans les thématiques abordées (sauvegarde des paysages, protection
de la biodiversité, lutte contre le réchauffement climatique), dans les outils mobilisés (taxa-
tion, marchés de quotas) ainsi que dans les échelles de son intervention (avec le développe-
ment d’une action au niveau supranational). Cette complexification de l’action publique en
matière environnementale résulte en partie de la mobilisation d’acteurs de plus en plus nom-
breux et divers (mouvements citoyens, entreprises, ONG). L’action publique peut être définie
comme « l’action menée par une autorité publique (seule ou en partenariat) afin de traiter
une situation perçue comme un problème »3. Le développement d’une action publique dans
le domaine de l’environnement suppose donc au préalable que les enjeux environnementaux
soient présentés comme des problèmes publics. C’est seulement ensuite que les autorités pub-
liques peuvent tenter d’y apporter une réponse sous la forme de politiques environnementales
mobilisant des outils divers (normes, taxes, subventions) et se déployant à différentes échelles
(locale, nationale, mondiale). Le bilan de ces politiques s’avère cependant souvent mitigé ;
de nombreuses données récentes en témoignent, et ce alors même que le nombre des poli-
tiques environnementales mises en œuvre n’a fait que croître ces dernières décennies. Ainsi,
entre 1970 et 2010, le total mondial des émissions de gaz à effet de serre (GES) responsables
du réchauffement climatique a continué d’augmenter. Le taux d’extinction des espèces a lui
atteint un niveau sans précédent et cette tendance risque de s’accélérer : environ 1 million
d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction4. En 2016, la produc-
tion de déchets plastiques s’élevait à plus de 310 millions de tonnes dont environ un tiers se
retrouve dans la nature, polluant sols, rivières et océans5. L’action publique environnementale
se heurte en effet à de nombreuses difficultés, qui sont à la fois liées aux limites mêmes des
instruments mobilisés et aux défis particuliers posés par la nécessité d’agir collectivement à
l’échelle internationale.
L’action publique environnementale désigne l’action déployée par les pouvoirs publics dans
le domaine environnemental afin de répondre à un problème public mis à l’agenda politique.
Pour qu’un sujet comme celui de l’environnement puisse devenir un problème public, il faut
donc que celui-ci soit pris en charge par des individus ou des institutions qui commencent à
le discuter dans l’espace public. Un enjeu qui restait jusque-là cantonné à des intérêts partic-
uliers et privés est imposé dans l’espace public via des acteurs qui en font ressortir l’impor-
tance et la dimension problématique. Tout problème public est donc construit en ce sens :
il résulte d’un processus qui en a fait un sujet d’attention et de débats, et qui cherche à con-
vaincre les autorités publiques qu’une intervention est nécessaire.
L’objectif est en effet de faire en sorte que le problème public soit mis à l’agenda politique. On
parle de « mise à l’agenda politique » lorsque les pouvoirs publics s’emparent d’un problème
qui est mis en débat et devient alors susceptible de faire l’objet d’une décision politique. Ainsi
le conflit autour du projet de ligne TGV a débouché sur la mise en place de la circulaire Bi-
anco de 1992. Le texte précise que désormais les grands projets nationaux d’infrastructures
ne pourront être mis en œuvre « qu’après un large débat auquel doivent participer tous les
partenaires concernés »6. Peu de temps après, la loi Barnier de 1995 renforcera ce principe de
concertation des citoyens en créant la Commission nationale du débat public (CNDP) et en
donnant aux associations environnementales la possibilité de s’en saisir pour pouvoir contest-
er tout projet d’aménagement du territoire.
1982) joue un rôle majeur. La seconde étape, celle du « blaming », va consister à attribuer
la responsabilité de ce problème à divers acteurs, à la fois les « pollueurs » (industriels, con-
structeurs automobiles) mais également les autorités politiques qui sont accusées de ne pas
agir sur la pollution atmosphérique urbaine. Enfin, le « claiming » va consister à revendiquer
l’instauration de normes publiques concernant la pollution atmosphérique ainsi que la mise
en œuvre de mesures pour faire respecter ces normes, notamment en agissant sur la circu-
lation routière.
Si les pouvoirs publics jouent évidemment un rôle important dans la mise en place des poli-
tiques environnementales, ils peuvent être aussi impliqués dans la phase qui précède l’action
publique. En effet, la création d’institutions publiques spécifiquement dédiées aux questions
environnementales participe à la construction des enjeux environnementaux comme prob-
lèmes publics. En France, on peut ainsi penser au Ministère de la protection de la nature et de
l’environnement, créé en janvier 1971 et confié alors à Robert Poujade. Les compétences de
ce ministère se sont depuis élargies : à la protection de la nature, ont par exemple été ajoutées
les questions de la qualité de vie ou du développement durable. Son rôle a aussi été renforcé
par la création de plusieurs institutions publiques qui lui sont rattachées : c’est le cas par ex-
emple des Directions Régionales de l’Environnement (DIREN), créées en 1991 pour assurer
la mise en œuvre des programmes à l’échelon régional, ou de l’Agence de l’Environnement et
de la Maîtrise de l’Energie (ADEME) qui remplit diverses fonctions comme le développement
de campagnes de communication pour informer et sensibiliser le public.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
actions déployées par Greenpeace à propos de l’extinction de certaines espèces animales. Dès
1999, l’association avait mené plusieurs campagnes afin d’alerter sur la diminution des stocks
de thon rouge en Méditerranée. La mobilisation de l’ONG, accompagnée par d’autres associ-
ations, a permis l’adoption de plusieurs mesures au début des années 2010, telle l’instauration
de quotas de pêche.
La mobilisation des citoyens sur les questions environnementales s’est accentuée ces dernières
années. Leur contribution à la construction des enjeux environnementaux comme problème
public prend souvent la forme d’actions collectives qui participent à la diffusion des prob-
lématiques environnementales. On peut par exemple penser aux récentes mobilisations de la
jeunesse à propos du réchauffement climatique. En 2018, la décision de la jeune suédoise Gre-
ta Thunberg de faire une grève des cours pour protester contre l’inaction dans le domaine
du climatique a eu un écho international. De manière moins pacifique, l’organisation Extinc-
tion Rebellion, créée en 2018, a pour objectif de susciter un mouvement mondial de désobéis-
sance civile pour freiner les désastres écologiques actuels ; ses actions concernent aussi bien la
destruction des paysages (blocage de plusieurs sites de production de l’entreprise Lafarge en
octobre 2020) que la pollution engendrée par les vols aériens intérieurs (mobilisation sur les
pistes de l’aéroport d’Orly à Paris en juin 2020).
La mobilisation des citoyens peut parfois prendre la forme d’une véritable expérience poli-
tique comme cela s’est vu avec la création de la Convention Citoyenne pour le Climat. Initiée
par le gouvernement en 2019, celle-ci a permis de regrouper 150 citoyens tirés au sort qui ont
pendant plusieurs mois débattu et préparé des projets de loi pour lutter contre le changement
climatique. Si une grande partie des citoyens de la Convention estiment aujourd’hui que la
réponse apportée à leurs propositions est largement insuffisante, certaines de leurs idées ont
néanmoins été intégrées au projet de loi « Climat et Résilience » discuté par les parlemen-
taires en 2021 (comme la suppression de certaines lignes aériennes intérieures par exemple).
d) Les entreprises
La place des entreprises dans les politiques environnementales est un objet de controverses.
Leur rôle dans certaines catastrophes technologiques majeures (Seveso en 1976, Bhopal en
1984, Tchernobyl en 1986, Fukushima en 2011) et de façon plus générale dans la pollution
atmosphérique globale en ont souvent fait les principales cibles des défenseurs de l’environne-
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Quelle action publique pour l’environnement ?
ment. Dans le domaine industriel, nombreuses sont celles qui s’opposent à la mise en œuvre
de mesures environnementales plus strictes qu’elles considèrent comme autant d’obstacles à
leur compétitivité. Cependant, depuis les années 1990, il convient de noter qu’un nombre
croissant d’entreprises font évoluer leurs stratégies afin de tenir davantage compte des en-
jeux environnementaux. La notion de « Responsabilité Sociétale des Entreprises » (RSE) s’est
ainsi diffusée ces dernières années pour désigner la démarche volontaire d’entreprises qui
cherchent à intégrer des préoccupations sociales et environnementales dans leurs activités.
Si, pour certaines entreprises, les mesures ainsi déployées restent superficielles et s’inscriv-
ent surtout dans une logique publicitaire (greenwashing ou écoblanchissement), elles peuvent
aussi prendre la forme d’engagements importants et réguliers : augmentation de la part des
déchets recyclés ou des sources d’énergie renouvelable, optimisation des déplacements pour
réduire le nombre de kilomètres parcourus, approvisionnement auprès de fournisseurs et pro-
ducteurs écoresponsables, etc.
Ce n’est que relativement récemment que les partis politiques sont devenus des acteurs impor-
tants des débats portant sur l’écologie ; ceux spécialisés dans les questions environnementales
n’ont émergé dans la plupart des pays européens qu’à partir des années 1970. En France par
exemple, le parti des Verts a été créé en 1984 et est devenu Europe écologie les Verts (EELV)
en 2009. Leurs résultats électoraux ont cependant été fluctuants selon les élections : René
Dumont, premier candidat écologiste à l’élection présidentielle, n’obtient ainsi que 1,34% des
voix en 1974. Depuis, le vote écologiste a progressé, d’abord aux élections présidentielles, mais
surtout aux élections municipales (en 2020, EELV a ainsi remporté plusieurs grandes villes
françaises telles que Lyon, Bordeaux, Strasbourg, Poitiers ou encore Grenoble), et aux élec-
tions européennes (en 2019, EELV obtient la troisième place avec plus de 13% des voix). Ces
succès permettent au parti écologiste de renforcer sa présence dans les institutions politiques
et donc sa capacité à influencer les politiques environnementales, que ce soit à l’échelon local
ou européen. L’arrivée de l’écologiste Eric Piolle à la tête de la métropole de Grenoble lors
des municipales de 2014 a par exemple été suivi de mesures importantes, tel le passage d’une
grande partie des cantines à l’alimentation biologique. En Allemagne, le parti des Verts a joué
un rôle crucial dans la promotion de la sortie du nucléaire civil dès les années 1990.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
L’influence des partis écologistes ne se limite pas à leur participation à l’exercice du pouvoir.
Ne pas conquérir de mandats électoraux n’empêche pas ces partis de jouer un rôle incon-
testable dans la construction des problèmes publics et dans la mise à l’agenda politique des
questions environnementales. En France, ils ont par exemple participé activement à la mise
en discussion des effets controversés des OGM sur la santé et l’environnement. Il convient
aussi de noter que les autres partis consacrent une partie toujours plus importante de leurs
programmes aux questions élections environnementales. En France, c’est surtout à partir de
la campagne présidentielle de 2007 que l’environnement est apparu dans les propositions
de la plupart des candidats. Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal avaient par exemple signé
avant le premier tour de l’élection présidentielle, le « Pacte écologique » proposé par Nicolas
Hulot et diverses organisations environnementales, qui contenait notamment la promesse
d’organiser un Grenelle de l’environnement.
f ) Les experts
Un expert est une personne qui est considérée comme légitime pour juger de quelque chose
en raison de ses connaissances. Dans le domaine environnemental, les experts scientifiques
ont acquis très rapidement un rôle crucial, qu’il s’agisse de la prise de conscience des enjeux,
la préconisation des mesures ou l’évaluation des actions publiques déployées. En France, les
premiers mouvements de protection de la nature sont d’ailleurs nés dans le sillage de réflex-
ions scientifiques. Dès le XIXème siècle, des zoologistes travaillant sur les animaux et leurs
écosystèmes furent parmi les premiers à s’inquiéter des conséquences du développement de la
société industrielle sur les espèces végétales et animales. Le français Isidore Geoffroy Saint-
Hilaire fonde ainsi en 1854 la Société impériale zoologique d’acclimatation qui deviendra en
1960 la Société nationale de protection de la nature. Tout au long du XXème siècle, les rap-
ports des spécialistes de la faune et de la flore (entomologistes, biologistes, ornithologues, etc.)
ont participé à la prise de conscience des effets de l’activité humaine sur les écosystèmes. Les
scientifiques ont également joué un rôle crucial dans la construction du réchauffement clima-
tique comme problème public, notamment au niveau international : les travaux du Groupe
d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), créé en 1988, ont ainsi permis
de fournir des évaluations détaillées sur le changement climatique, ses causes, ses conséquenc-
es et les moyens d’y faire face. Les experts jouent donc souvent un rôle de lanceurs d’alerte et
participent ainsi à la prise de conscience des enjeux environnementaux en interpelant déci-
deurs politiques et citoyens. Leurs compétences renforcent la crédibilité de leurs messages et
contribuent à en faire des acteurs majeurs de la construction des questions environnemental-
es comme problème public. Enfin, leurs travaux fournissent également une base sur laquelle
peuvent s’appuyer les mouvements de citoyens, les partis politiques, et les associations.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
On peut également dire quelques mots des médias qui, s’ils ne sont pas des « acteurs de l’en-
vironnement » au sens propre du terme, fournissent des moyens de relais aux autres acteurs
précédemment cités. En effet la presse écrite, la télévision, les sites Internet et les réseaux so-
ciaux sont autant d’outils par lesquels les citoyens, les associations et les scientifiques peuvent
diffuser leurs messages. En informant les citoyens et en relayant certains évènements liés aux
questions environnementales (inondations, canicules, fonte des banquises, disparition de
certaines espèces, etc.), les médias participent à la prise de conscience et à la diffusion de ces
enjeux dans l’espace public. On peut par exemple penser au documentaire réalisé par Davis
Guggenheim sur la base d’une présentation faite par l’homme politique américain Al Gore
(Une vérité qui dérange). Cette dernière visait à sensibiliser à la cause du réchauffement
climatique, et la diffusion du documentaire à partir de 2006 a effectivement reçu un large
écho dans l’espace public. À une autre échelle, il en va de même des nombreux reportages
diffusés par l’émission de télévision française « Cash Investigation » lorsqu’ils dénoncent les
pratiques de certaines multinationales (Climat : le grand bluff des multinationales, 2016) ou
les conséquences de l’industrie de la pêche thonière sur les ressources halieutiques (Pêche
industrielle : gros poissons en eaux troubles, 2019).
Lorsque les acteurs impliqués partagent la même vision d’un enjeu, cela peut les inciter à
s’associer. L’organisation du Grenelle de l’environnement en 2007 constitue à cet égard un ex-
emple important de coopération à l’échelle nationale. Celui-ci s’est déroulé entre juillet et oc-
tobre 2007 et a réuni des acteurs variés : associations environnementales réunies au sein du
collectif « Alliance pour la planète » (Greenpeace, WWF, Ecologie sans frontières...), syndi-
cats patronaux et salariés, collectivités locales, État. Ces concertations ont permis d’aboutir
à l’adoption de deux lois (Grenelle 1 en 2009 et Grenelle 2 en 2010) ratifiant des engage-
ments dans plusieurs secteurs : développement des énergies renouvelables, augmentation
de la part de l’agriculture biologique dans la surface agricole, réduction de l’usage des pesti-
cides, développement des transports collectifs urbains, etc. Si le contenu de ces lois a pu par
la suite décevoir et susciter des critiques, il n’en demeure pas moins que ce genre d’initiatives
peut constituer de véritables opportunités pour faire progresser la cause environnementale.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Pour fonctionner, toute stratégie de coopération nécessite cependant que plusieurs condi-
tions soient réunies. Cela suppose par exemple de procéder à un « cadrage » de l’enjeu de la
lutte. On entend par là le processus par lequel les acteurs doivent d’abord se mettre d’accord
quant à la vision du problème et les solutions qui peuvent y être apportées. C’est cette étape
qui permet ensuite aux acteurs impliqués d’agir de façon conjointe et organisée. Le Pacte
national contre le gaspillage alimentaire lancé en 2012 illustre parfaitement ce processus
de cadrage8. Celui-ci a reposé sur l’organisation de concertations pluriannuelles entre une
centaine d’acteurs très variés : administrations publiques nationales (comme le Ministère
de l’Agriculture et le Ministère de l’Environnement), collectivités locales, syndicats d’agri-
culteurs, représentants des industries agroalimentaires, associations environnementales, etc.
L’objectif de ces réunions est de permettre aux divers acteurs de s’engager volontairement en
faveur d’actions permettant de réduire de moitié le gaspillage alimentaire d’ici 2025. Mais
pour y parvenir, les acteurs impliqués ont d’abord procédé à un travail de cadrage du prob-
lème concerné ; il a fallu par exemple adopter une définition commune du gaspillage, choisir
quels seraient les indicateurs utilisés pour le mesurer, et décider de la nature des actions de
sensibilisation qui seraient menées.
Mais la coopération n’est pas toujours possible autour des problèmes environnementaux. Bien
souvent, les questions environnementales sont source de conflit car elles mettent en jeu des
intérêts divergents. En France, dès la fin des années 1960, des conflits locaux éclatent à la suite
de la mobilisation d’acteurs qui se réclament de la préservation de l’environnement et des pa-
ysages et qui s’opposent à des projets d’aménagement du territoire : installations industrielles,
sites d’enfouissement de déchets, projets d’infrastructures (routes, autoroutes, barrages…).
Les exemples récents de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, du barrage de Sivens ou des
déchets nucléaires de Bure rappellent que les questions environnementales émergent souvent
dans l’espace public à l’occasion du rejet d’une décision des autorités publiques. Les actions
déployées peuvent alors prendre la forme de mesures défensives, telle l’occupation d’un site
comme cela s’est vu avec la ZAD (« Zone à défendre ») mise en place sur le lieu prévu pour
l’installation du nouvel aéroport de Notre-Dame-Des-Landes. Mais la mobilisation peut aussi
être plus offensive à travers des activités de sabotage - comme lorsqu’en 2016 les opposants
à l’enfouissement des résidus nucléaires à Bure décident d’abattre les enceintes en béton du
chantier.
8 Marie Mourad, « La lutte contre le gaspillage alimentaire en France et aux Etats-Unis. Mise
en cause, mise en politique et mise en marché des excédents alimentaires », Thèse Sciences Po, 2018.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Les relations conflictuelles ne prennent pas toujours la forme d’actions directement déployées
sur le terrain. Le conflit peut également prendre une forme plus symbolique. C’est la straté-
gie à laquelle a par exemple eu recours l’association « Les Amis de la Terre » en 2008 avec la
création du prix Pinocchio décerné aux entreprises accusées de pratiques mensongères en
matière environnementale. Enfin, le conflit prend également la forme de diverses actions de
lobbying des différentes parties prenantes des questions environnementales, dont des insti-
tutions politiques comme le Parlement européen sont le théâtre. Les conflits d’intérêt autour
des effets des pesticides ont par exemple été au cœur de nombreuses controverses, qui durent
encore aujourd’hui. La question de l’autorisation ou au contraire de l’interdiction de certains
de ces produits a ainsi vu s’opposer d’un côté des associations de défense de l’environnement
(comme celles mobilisées sur l’avenir des abeilles et pollinisateurs), de l’autre des représen-
tants du monde agricole et de l’industrie agrochimique.
Mais l’action publique environnementale doit souvent être adaptée aux spécificités locales.
Tout pays est en effet composé d’espaces très hétérogènes qui diffèrent à la fois par la nature
des écosystèmes qui y sont présents, les caractéristiques géographiques du milieu, mais aussi
les traditions et la culture de leurs habitants. En Bretagne par exemple, où les élevages de vi-
ande industriels sont parmi les plus nombreux de l’Hexagone, c’est surtout la thématique de
9 https://www.legifrance.gouv.fr/contenu/menu/droit-national-en-vigueur/constitution/chart-
ede-l-environnement.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Par leur nature, les problématiques environnementales dépassent les frontières puisqu’elles
peuvent affecter plusieurs pays, voire l’ensemble de la planète ; elles nécessitent donc un trait-
ement politique à l’échelle internationale. La disparition de la couche d’ozone à cause des chlo-
rofluorocarbures (CFC) ou le réchauffement climatique provoqué par l’émission de gaz à effet
de serre (GES), constituent par exemple des risques globaux face auxquels les États se doivent
d’apporter une réponse coordonnée. La prise de conscience de l’existence de ces risques et de
la nécessité d’y répondre par une action mondiale s’est faite progressivement. Plusieurs ini-
tiatives sont prises dès le milieu du XXème siècle. On peut citer par exemple la création de
l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) en 1948, laquelle constitue la
première union environnementale à l’échelle mondiale, réunissant à la fois des gouvernements
et des organisations de la société civile.
Mais c’est surtout au début des années 1970, particulièrement à la suite de l’avertissement lancé
par le Club de Rome en 1972 (rapport Meadows) que l’action internationale va se dévelop-
per. En alertant sur plusieurs enjeux environnementaux globaux (raréfaction des ressources
non renouvelables, épuisement des sols, conséquences de la pollution), ce rapport participe à
ce que soit organisée à Stockholm une conférence de l’ONU (Organisation des Nations Unies)
qui prend le nom de « Premier sommet mondial de la terre » ; cette conférence propose un
certain nombre de recommandations pour développer une action internationale en matière
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Quelle action publique pour l’environnement ?
environnementale et elle donne naissance au Programme des Nations unies pour l’environne-
ment (PNUE) qui doit coordonner les actions de l’ONU et soutenir celles des gouvernements.
C’est également l’ONU qui sera à l’origine de la création d’une Commission mondiale sur
l’environnement et le développement, présidée par la Première Ministre norvégienne, Mme
Brundtland, et dont les conclusions seront publiées en 1987 dans le rapport Notre avenir à
tous (surnommé « Rapport Brundtland »). Celui-ci participe à la popularisation du concept
de « développement durable » et donne une nouvelle impulsion à l’action publique internatio-
nale : création du Groupe intergouvernemental des experts sur le climat (GIEC) en 1988, créa-
tion du Fonds pour l’environnement mondial en 1990, Conférence de Rio en 1992 (surnom-
mée Sommet de la Terre de Rio). Cette dernière a joué un rôle particulièrement important
dans l’action publique environnementale internationale puisque c’est à cette occasion qu’est
créée la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
Les pays signataires s’engagent alors à se réunir chaque année à l’occasion des Conférences
des Parties (« COP » pour le terme anglais Conferences of the Parties), la première ayant eu
lieu en Allemagne en 1995. En 1997, lors de la troisième COP, 38 pays industrialisés s’enga-
gent à travers le protocole de Kyoto à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de
5,2% par rapport aux niveaux de 1990 d’ici 2008-2012. La COP21 qui s’est déroulée à Paris en
2015 a également donné lieu à la signature d’un accord par 168 pays afin de contenir l’éléva-
tion des températures en-dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels.
Si les bilans de ces accords doivent être nuancés (voir partie IV), il n’empêche que cer-
taines actions internationales ont eu un effet significatif sur la protection de l’environne-
ment. C’est par exemple le cas du protocole de Montréal signé en 1987 par 24 pays et la
Communauté Économique Européenne afin d’interdire la production et l’usage de gaz
nocif pour la couche d’ozone, principalement le chlorofluorocarbone (CFC). En 2009,
on comptait désormais 196 pays signataires, ce qui en a fait le premier protocole inter-
national ayant été ratifié universellement.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
En matière environnementale, des mesures importantes ont également été prises à l’échelle de
l’Union européenne, laquelle a d’ailleurs été qualifiée par l’économiste Éloi Laurent de « pi-
onnière du leadership climatique »10. En effet, l’engagement européen en matière environne-
mentale s’est affirmé très tôt. Les institutions européennes ont été à l’origine de nombreuses
initiatives visant à agir dans des domaines variés portant à la fois sur les enjeux du réchauffe-
ment climatique et sur la protection de la biodiversité. Le Conseil européen de 2007 a par ex-
emple été l’occasion de mesures environnementales ambitieuses qu’on résume avec l’expres-
sion du « 20-20-20 » : d’ici à 2020, il s’agissait de réduire d’au moins 20% les émissions de GES,
d’atteindre 20% d’énergies renouvelables dans la consommation énergétique et d’améliorer de
20% l’efficacité énergétique. En 2014, l’Union européenne a renouvelé ses objectifs à l’hori-
zon 2030 à travers l’adoption d’un nouveau « paquet énergie-climat » : réduire d’au moins
40% des émissions de GES par rapport à 1990, porter à 27% la part d’énergies renouvelables
dans le mix énergique et améliorer d’au moins 27% l’efficacité énergétique. Mais, au-delà de
ces engagements, l’Union européenne se révèle particulièrement active dans la promulgation
de lois et de directives qui ont une valeur contraignante pour les États membres, dont elle in-
fluence ainsi la politique environnementale. Les nombreuses études accusant certains insec-
ticides d’être responsables de l’effondrement des populations d’insectes pollinisateurs ont par
exemple conduit l’Union européenne à interdire en 2018 l’usage de trois néonicotinoïdes, in-
secticides jugés particulièrement dangereux pour les abeilles.
10 Éloi Laurent, « La politique climatique européenne : vers une nouvelle ambition ? » in L’écon-
omie européenne 2018 (pp.56-68), OFCE éd., La Découverte, Collection Repère, 2018
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Les enjeux environnementaux nécessitent une diversité de réponses à la fois sur le plan glob-
al et sur le plan local, ce qui constitue une difficulté particulière pour la mise en œuvre des
politiques environnementales. L’action publique doit articuler ces différentes échelles afin que
chaque problème soit traité à l’échelon le plus pertinent. Il s’agit également de faire en sorte
que les actions menées à ces différents niveaux ne soient pas contradictoires mais puissent au
contraire se compléter afin de renforcer la politique environnementale. Aujourd’hui et face au
phénomène du réchauffement climatique, la nécessité de « penser global » et « d’agir local » en
articulant les différents niveaux de l’action publique paraît plus que jamais nécessaire. À cet
égard, deux logiques ont pu être mises en œuvre dans les différents accords internationaux :
- Dans l’approche descendante (surnommée « top down »), une décision est prise
collectivement au niveau international avant d’être appliquée au niveau de chaque pays,
lequel doit alors s’efforcer de respecter l’engagement pris à travers la mise en œuvre
de politiques nationales. L’ordre émane donc du haut avant d’être appliqué aux échelons
inférieurs par les autorités concernées. C’est cette logique qui a été au cœur du
protocole de Kyoto de 1997 : les engagements sont juridiquement contraignants pour
les pays dits de l’Annexe I (pays développés et pays en transition vers l’économie de
marché) qui doivent réduire de 5,2% les émissions de gaz à effet de serre (GES) entre
1990 et 2008-2012.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Tableau 2 : Accord de Paris et Protocole de Kyoto : deux articulations différentes entre les
différents échelons de l’action publique environnementale
Cette articulation entre le global et le local a pour conséquence une perte de centralité de
l’État. En effet, d’un côté les objectifs sont de plus en plus fixés au niveau supranational à
travers les engagements internationaux ou les normes imposées par la politique européenne.
De l’autre, la mise en œuvre des mesures devant permettre d’atteindre ces objectifs donne
un rôle prépondérant aux collectivités territoriales et à la mobilisation des acteurs locaux
(associations, entreprises, citoyens, etc.). L’État n’apparaît donc plus comme l’acteur central
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Quelle action publique pour l’environnement ?
de l’action publique environnementale. Celle-ci est avant tout mise en œuvre par les conseils
régionaux, départementaux et municipaux, lesquels ont une meilleure connaissance du terri-
toire, peuvent adapter la politique aux spécificités locales et mobiliser les acteurs concernés.
Les collectivités locales ont à cet égard été invitées à créer des Agendas 21 (plans d’action
pour l’environnement pour le XXIème siècle) qui reposent sur une collaboration avec les
habitants, les organisations locales et les entreprises privées. Les agendas 21 locaux prennent
la forme de chartes dans lesquelles les collectivités définissent puis mettent en œuvre des
plans d’action inspirés des principes du développement durable tout en tenant compte des
spécificités territoriales (nouveaux plans d’urbanisme, gestion des déchets, politiques des
transports, mix-énergétique…)
On est en présence de ce que les économistes appellent une situation d’externalités négatives :
l’activité d’un agent (celui qui émet des GES) a des conséquences négatives sur les activités
d’autres agents (ceux qui seront victimes du réchauffement climatique), sans que cela ne soit
pris en compte par le marché. Cela s’explique par le fait que les agents économiques prennent
des décisions en évaluant uniquement les coûts privés de leurs actions, alors que les questions
environnementales font apparaître un coût social (celui supporté par l’ensemble de la collec-
tivité) qui lui est généralement bien supérieur. Ainsi une entreprise qui émet du CO2 en pro-
duisant ne tiendra pas compte du coût social engendré par ces émissions, mais seulement des
coûts de production dont elle doit s’acquitter. De même, l’essence a un coût privé supporté par
le ménage au moment de faire un plein ; mais ce coût est bien inférieur au coût social engendré
par la consommation du carburant (risques pour la santé des particules fines dégagées, émis-
sions de CO2 qui participent au réchauffement climatique). Le coût social de la production de
l’entreprise ou de la consommation d’essence d’un ménage est donc supérieur au coût privé,
mais les agents n’en tenant pas compte, ils sont incités à produire ou consommer trop (et donc
trop polluer) par rapport à ce qui serait souhaitable du point de vue environnemental.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Pour lutter contre ces externalités négatives, les pouvoirs publics disposent d’une large gamme
d’instruments qui doivent permettre de ramener le niveau de production ou de consomma-
tion à ceux fixés par les objectifs environnementaux.
« [L’exemple] que nous utiliserons tout au long de ce chapitre met en présence deux entrepris-
es produisant au fil de l’eau : l’une (A) fabrique du cuir pour un producteur de chaussures et
pollue la rivière ; l’autre (B) fabrique de la bière en aval de A et a besoin d’eau pure pour net-
toyer ses cuves de fermentation. Nous considérons que la quantité de pollution (les tonnes de
tanins rejetés dans la rivière) varie proportionnellement à la quantité de cuir produite ; que
B traite l’eau qu’elle consomme et que ce coût de purification varie en fonction de la quantité
de tanins déversés par A dans la rivière. La figure 1 montre comment la présence d’une exter-
nalité met en échec la main invisible. La droite Bm représente le bénéfice marginal de A. La
droite Ce est le coût marginal externe. C’est le préjudice que subit l’entreprise de bière B. Il est
égal au coût marginal de purification de l’eau dont on suppose qu’il augmente linéairement
avec la quantité de cuir produite, qui est représentée en abscisse. Cherchant à maximiser son
profit, la tannerie produit jusqu’au point où son bénéfice marginal devient nul. Elle produira
la quantité q0 et son profit total sera égal à la surface OPq0. [...] Du point de vue de l’intérêt
général, qui se réduit ici au bien-être de deux agents, cette situation n’est pas optimale car la
richesse totale n’est pas maximisée pour q=q0 mais pour q=q* [...] Pour que la poursuite de
l’intérêt privé de A conduise spontanément au niveau optimal q*, le coût externe doit être pris
en compte par A ; il doit être soustrait à son bénéfice marginal. Dans ce cas, on dit qu’il y a
internalisation des effets externes. »
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Pour limiter les émissions de GES responsables du réchauffement climatique, les pouvoirs
publics peuvent d’abord recourir à la réglementation, c’est-à-dire à un ensemble de mesures
(lois, décrets, règlements) qui contraignent les agents à adopter certains comportements. Dans
le domaine environnemental, cela passe souvent par l’édiction de normes qui s’imposent aux
producteurs et aux consommateurs, et dont le non-respect doit entraîner des sanctions ad-
ministratives, pénales ou financières. Plusieurs types de normes peuvent être déployés :
Cependant, la réglementation est un instrument qui comporte plusieurs limites, ce qui fait
qu’elle n’est pas toujours la solution la plus adaptée. D’abord, l’efficacité de l’instrument régle-
mentaire peut être limitée par les techniques de fraude développées par les agents économiques
afin de contourner les normes imposées. L’affaire du dieselgate qui a éclaté en 2015 a ainsi
souligné les limites des normes européennes sur les émissions des constructeurs automobiles.
Plusieurs groupes dont l’allemand Volkswagen ont ainsi reconnu avoir équipé certains de leurs
véhicules de logiciels permettant de fausser pendant plusieurs années les résultats des tests an-
tipollution, et donc de ne pas respecter les quantités d’émissions imposées par les normes eu-
ropéennes. Pour éviter de tels comportements, la réglementation doit reposer sur un système
de contrôle et de sanctions qui peut s’avérer difficile à mettre en place selon le nombre d’activ-
ités concernées. D’autre part, les effets bénéfiques de la norme peuvent être annulés par l’ap-
parition d’un effet rebond – c’est ce qu’on appelle le paradoxe de Jevons. L’idée en est que les
gains environnementaux obtenus grâce à l’amélioration de l’efficacité énergétique de certains
biens (la diminution de la quantité d’énergie utilisée grâce à l’utilisation de nouvelles technol-
ogies) peuvent être annulés par une augmentation des usages de ces mêmes biens. Ainsi, la
production de véhicules consommant moins d’énergie s’est accompagnée d’une baisse du coût
pour les consommateurs, laquelle a encouragé une augmentation du nombre de véhicules en
circulation et une hausse des distances parcourues. Cela permet d’expliquer l’augmentation
des émissions de GES liées au transport routier dont témoigne le graphique ci-dessous.
Graphique 1 : Émissions de GES des transports dans l’UE à 27 (en Mt CO2 éq)
Source : Ministère de la Transition Écologique, « Chiffres clés du climat. France, Europe et Monde »,
Édition 2021
Enfin, une autre limite importante de la réglementation concerne son efficacité économique.
En effet, une norme s’applique de façon uniforme à tous les pollueurs sans tenir compte des
différences de coûts relatifs entre les agents économiques. Or, se mettre en conformité avec la
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Quelle action publique pour l’environnement ?
norme engendre des coûts de dépollution (changer les procédés de production, trouver des
techniques alternatives) qui dépendent des caractéristiques des agents et du secteur dans le-
quel ils opèrent. Ceux pour lesquels ces coûts ne sont pas trop élevés vont pouvoir réduire
leurs émissions sans difficulté, ce qui n’est pas nécessairement le cas de ceux pour lesquels ces
coûts seront importants. La réduction des émissions se fera donc à un coût total qui aurait pu
être moindre si l’on avait pris en compte les différences des agents économiques, ceux ayant les
coûts les plus faibles réduisant leurs émissions davantage que ceux dont les coûts sont élevés.
C’est principalement en raison de cette limite de l’outil réglementaire que les économistes
préfèrent souvent l’utilisation d’autres instruments qui ne reposent pas sur la contrainte mais
sur l’incitation.
a) La taxation
La taxation est un instrument économique qui peut être utilisé dans le cadre d’une politique
environnementale cherchant à lutter contre le réchauffement climatique. Elle consiste pour les
pouvoirs publics à modifier la structure relative des prix via l’introduction d’une taxe assise
sur des produits dont la production et l’utilisation entraîne des émissions de GES. L’objectif
est ainsi d’augmenter les prix des produits en question afin de modifier les comportements des
agents économiques, producteurs et consommateurs, qui sont alors incités à se tourner vers
des produits et technologies moins polluants.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, de nombreux pays ont dével-
oppé de tels instruments avec la mise en place de taxes carbone. Celles-ci sont ap-
parues dès les années 1990 dans plusieurs pays scandinaves comme la Suède. Au 1er
mai 2020, on comptabilisait à travers le monde 31 taxes carbone11.
En France c’est en 2014 qu’une taxe carbone a été adoptée sous la forme d’une « contribution
climat énergie » (CCE). Celle-ci est payée à la fois par les ménages et par les entreprises lors
de l’achat de produits utilisés comme combustibles ou la production d’électricité, activités
fortement émettrices en GES. Son prix est alors fixé à 7 euros la tonne de CO2 mais il était
prévu de l’augmenter progressivement : 22 euros en 2016, 44,60 euros en 2018, 86,20 euros
en 2022 et 100 euros en 2030. Cela pèse sur le prix final de divers produits comme l’essence,
le gazole, le fioul ou encore le gaz naturel. Ainsi, l’augmentation de la taxe carbone de 22 eu-
ros la tonne de CO2 en 2016 à 30,5 euros en 2017 avait entraîné une hausse du prix de l’es-
sence de 1,95c€/L12. En augmentant le prix de l’énergie, la taxe carbone cherche donc à en-
courager une plus grande sobriété énergétique : baisse de l’usage de la voiture, plus grande
utilisation des énergies renouvelables, meilleure isolation des logements, utilisation d’appa-
reils et de processus de production moins consommateurs d’énergie…
La taxation est un instrument qui comporte plusieurs avantages. Elle doit d’abord permettre
de diminuer les émissions de GES à un coût moindre par rapport à ce qui est obtenu avec
l’instrument réglementaire. En effet, contrairement à ce qui se passe dans le cas d’une norme,
les agents économiques ne sont pas obligés de réduire leurs émissions polluantes, ce qui per-
met de tenir compte des différences de coûts de dépollution. Ainsi, les agents dont le coût de
dépollution est inférieur au nouveau coût entraîné par la mise en place de la taxe sont incités
11 Ministère de la transition écologique, « Chiffres clés du climat. France, Europe et monde.
Edition 2021 ».
12 Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer, en charge des relations interna-
tionales sur le climat, « Fiscalité environnementale, un état des lieux », janvier 2017
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Quelle action publique pour l’environnement ?
à mettre en œuvre des mesures de dépollution (utiliser d’autres modes de transport, d’au-
tres techniques de production moins énergivores par exemple) ; ceux pour lesquels les coûts
de dépollution sont trop élevés préféreront au contraire s’acquitter du montant de la taxe et
continueront à polluer. Par rapport à la réglementation, l’effort de réduction des émissions
sera donc plus important pour ceux qui ont des coûts de dépollution faibles et moindre pour
ceux qui ont des coûts élevés ; le coût total de la baisse de la pollution sera donc inférieur ; les
réductions d’émissions se feront là où elles sont les moins chères, ce qui permet d’atteindre
à la fois l’efficacité environnementale et l’efficacité économique. Pour baisser leurs coûts, les
entreprises sont de plus incitées à trouver des techniques de production plus respectueuses
de l’environnement, ce qui favorise le développement des innovations vertes.
D’autre part, un autre avantage couramment évoqué à propos de la taxation concerne les re-
cettes fiscales qu’elle génère. En effet, la fiscalité environnementale peut être à l’origine d’un
« double dividende », c’est-à-dire procurer simultanément deux bienfaits. Le premier a trait à
la réduction de la pollution et des dommages provoquée par celle-ci, le second à l’utilisation
des recettes fiscales dont on peut espérer d’autres bénéfices : diminuer le poids d’autres impôts
(comme ceux pesant sur les revenus du travail), financer des infrastructures de transport, sub-
ventionner la recherche dans des technologies alternatives ou encore procéder à une redistri-
bution en faveur des ménages les plus pauvres. Cela permet donc de lutter contre le réchauffe-
ment climatique tout en minimisant l’effet récessif qui peut découler d’une augmentation de
la fiscalité sur l’activité économique et la production de richesses.
Si les avantages de la taxation sont réels, cet instrument n’est pas non plus sans limites. Une
première difficulté réside dans le choix du montant de la taxe. Avec un montant trop faible,
la taxe n’aura aucun effet incitatif et l’impact environnemental sera donc nul. Certains écon-
omistes considèrent ainsi que la plupart des écotaxes ont des taux bien trop faibles. Inverse-
ment, un niveau de taxation trop élevé peut entraîner des effets négatifs sur la croissance et
l’emploi en réduisant le pouvoir d’achat des ménages (qui risquent de diminuer leur consom-
mation) et en augmentant les coûts des entreprises (particulièrement celles dont les activités
sont exigeantes en énergie). Dans cette perspective, et en l’absence d’harmonisation interna-
tionale, la taxation risque aussi de créer des distorsions de concurrence entre entreprises ; l’ex-
istence d’une taxe carbone dans un pays peut pénaliser les entreprises nationales par rapport
à leurs concurrentes étrangères qui ne connaissent pas la même contrainte. La perte de com-
pétitivité qui en résulte peut entraîner un ralentissement de l’activité économique voire des
phénomènes de délocalisation - les entreprises cherchant à s’installer sur des territoires où la
fiscalité environnementale est moins sévère. On parle alors de « fuite carbone » : les effets at-
tendus des mesures environnementales sont annulés au niveau mondial car les émissions de
gaz à effet serre sont simplement déplacées dans d’autres territoires. Pour limiter ce risque,
une solution pourrait être la mise en place d’une taxe au niveau international, mais celle-ci
soulève des problèmes de souveraineté qui la rendent difficilement envisageable.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
D’autre part, la taxation fait face à une difficulté majeure : celle de son acceptabilité. Cette lim-
ite est apparue en pleine lumière en France en 2018 avec le mouvement de contestation dit
des « gilets jaunes », celui-ci ayant été déclenché initialement par le relèvement programmé
de la taxe carbone. En effet, la taxe carbone est souvent considérée comme injuste car elle
pèse davantage sur les ménages les plus modestes et les ménages ruraux (cf. graphique ci-des-
sous). Pour les premiers, cela s’explique par le poids plus important des dépenses énergétiques
dans le budget total alors même que leurs marges de manœuvre sont plus réduites. En outre
ces mêmes ménages ont en général des équipements énergivores (vieux véhicules, logements
mal isolés) et sont donc très exposés aux hausses du coût de l’énergie. Pour les ménages ru-
raux, cela s’explique par les moindres possibilités de substitution en termes de transport, les
transports collectifs étant bien moins développés dans les campagnes par rapport aux villes.
On peut ainsi dire que la taxe carbone est régressive, puisqu’elle frappe davantage les plus
modestes : en 2020, le passage de la taxe carbone à 55€/tCO2 aurait un impact deux fois
plus important sur les 10% de ménages les plus pauvres que sur les 10% de ménages les plus
riches (la nouvelle taxe carbone totale représentant 0,31% du revenu des 10% des ménages
les plus pauvres contre 0,12% du revenu des ménages les plus riches).
Tableau 3 : Impact de la hausse de taxe carbone selon différentes catégories de ménages en
2020 avec réponses comportementales (passage de 44,60€/tCO2 à 55€/tCO2)
Source : Audrey Berry et Éloi Laurent, « Taxe Carbone, le retour à quelles conditions ? », Sciences Po
OFCE, Working Paper n°6, 2019.
Cet effet régressif de la taxe carbone peut venir contrarier son application : à la suite du mou-
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Quelle action publique pour l’environnement ?
vement des gilets jaunes, le gouvernement avait ainsi décidé en novembre 2018 de maintenir
la taxe au niveau de 44,60 euros la tonne de CO2 (là où la hausse initialement prévue devait
l’amener au prix de 55 euros la tonne de CO2).
Le marché de quotas d’émission, aussi appelé marché des droits à polluer, constitue un autre
type d’instrument économique que peuvent utiliser les pouvoirs publics dans le cadre de la
politique climatique. Il consiste pour ces derniers à fixer un plafond maximum d’émissions au-
torisées et à distribuer un certain nombre de quotas correspondant à l’objectif fixé. Un quota
correspond au droit d’émettre une certaine quantité de gaz à effet de serre (GES). C’est ensuite
le libre fonctionnement du marché, via les échanges de quotas entre entreprises qui permet
de déterminer le prix du carbone. Les entreprises qui polluent trop par rapport au nombre de
quotas qui leur a été initialement alloué doivent alors racheter les quotas manquants à celles
qui ont au contraire pollué moins, et disposent donc de quotas en excédent. Cette rencontre
entre l’offre et la demande de quotas aboutit à la fixation du prix du quota. En l’absence de
comportements vertueux du point de vue environnemental, on observe alors une hausse de
la demande de quotas qui doit en faire augmenter le prix. Plus ce prix s’élève, plus le coût de
la pollution augmente, ce qui doit inciter les entreprises à modifier leurs comportements en
recourant à des procédés de production moins polluants et en développant des innovations
vertes.
L’idée de recourir au marché pour internaliser les externalités négatives est issue des travaux
de l’économiste Ronald Coase. Dans un article intitulé « Le problème du coût social » (1960),
celui-ci critique la taxe pigouvienne et montre que sous certaines conditions (droits de pro-
priété parfaitement définis, coûts de transaction nuls), la solution marchande peut être
préférée à l’intervention étatique. L’idée de Coase n’est cependant pas de faire comme si les
coûts de transactions étaient systématiquement nuls (hypothèse difficilement envisageable),
mais de comparer, au cas par cas, ce que coûterait l’intervention de l’État (via la mise en place
d’une taxe par exemple) et ce que coûterait le passage par le marché. La solution à retenir doit
être celle qui permet de minimiser les coûts de transaction. Si la négociation directe entre
pollueurs et pollués s’avère moins coûteuse, il faut ainsi privilégier le recours au marché. Il
faut cependant noter que les marchés de permis d’émissions négociables qui existent actu-
ellement ne sont qu’une application indirecte du théorème de Coase car la négociation n’y
a pas lieu entre pollueurs et pollués, mais seulement entre les pollueurs (les entreprises re-
sponsables des émissions de gaz à effet de serre).
27
Quelle action publique pour l’environnement ?
Les premiers marchés de droits à polluer ont vu le jour à la fin des années 1970, notamment
aux États-Unis avec le Clean Air Act qui constituait un système de permis négociables sur les
émissions de dioxyde de souffre. Au 1er mai 2020, on comptabilisait ainsi 30 marchés de quo-
tas échangeables à travers le monde13. La liste s’est encore élargie dernièrement avec l’entrée
en vigueur au 1er février 2021 du système chinois d’échanges de quotas d’émissions de car-
bone ; initialement prévu pour 2017, ce marché prend la suite des sept marchés régionaux qui
avaient déjà été expérimentés par le pays à partir de 2013.
Source : Institute for Climate Economics (I4CE), « Panorama mondial des prix du carbone en 2017»,
Paris, Octobre 2017.
Le marché du carbone européen a lui été lancé en 2005 à travers la mise en place du sys-
tème européen d’échange de quotas d’émissions (SEQE ou EU ETS pour European Union
Emissions Trading Scheme). Celui-ci concerne principalement les centrales électriques
ainsi que les industries lourdes européennes (aciéries, cimenteries, verreries…), soit près
de 11 000 installations industrielles responsables de presque la moitié du total des émis-
sions de GES dans l’Union européenne. Lors de sa première phase de fonctionnement
(2005-2007), les quotas d’émission ont été distribués gratuitement aux entreprises con-
cernées ; toutefois, depuis 2013, une partie en a été mise aux enchères.
Les marchés de droits à polluer présentent des avantages assez similaires à la taxation, puis-
qu’ils cherchent également à créer des incitations via la mise en place d’un prix du carbone.
Tout comme la taxe, ils permettent de tenir compte des différences de coûts de dépollution
entre les agents économiques qui ont le choix entre polluer (et acheter des quotas) ou bien
dépolluer (et revendre les quotas excédentaires). Il est donc plus efficace, économiquement
parlant, que la réglementation : il encourage les réductions d’émission là où elles sont les moins
coûteuses. Par ailleurs, là où la fiscalité ne permet pas de savoir quel sera le niveau de pollu-
tion final (celui-ci dépend en effet de la manière dont les agents économiques modifieront ou
non leurs comportements), le marché de quotas permet de connaître à l’avance le niveau final
de pollution (il est fixé par le nombre de quotas distribués initialement).
13 Ministère de la transition écologique, « Chiffres clés du climat. France, Europe et
monde. Edition 2021 ».
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Malgré ces avantages, le marché des droits à polluer présente plusieurs faiblesses. Tout d’abord,
un tel instrument ne peut couvrir qu’une partie seulement des émissions de GES car il sup-
pose un système de contrôle rigoureux (pour s’assurer que les agents respectent bien les droits
détenus). Il est donc difficilement généralisable à l’ensemble des agents émetteurs, étant don-
né leur nombre et leur diversité. D’autre part, pour que le dispositif fonctionne, il faut que la
quantité totale de quotas distribuée soit assez faible, afin que l’offre n’excède pas la demande et
que le prix reste suffisamment élevé pour inciter les agents à modifier leurs comportements.
Ce risque est apparu clairement dans le cas du marché du carbone européen : les allocations
de permis trop généreuses lors des premières phases de fonctionnement du marché ont con-
duit à un effondrement du prix du carbone ; alors que le prix du quota était de l’ordre de 30
euros la tonne de CO2 en 2008, celui-ci a ensuite fortement chuté comme en témoigne le
graphique ci-dessous. La réduction des allocations et la modification de certaines règles de
fonctionnement du marché ont d’ailleurs permis par la suite de faire remonter le prix.
Graphique 2 : Évolution du prix du quota de CO2 sur le marché européen entre 2008 et
2020
Source : Ministère de la Transition Écologique, « Chiffres clés du climat. France, Europe et Monde »,
Édition 2021.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
S’il est certain que le progrès scientifique à lui seul ne pourra pas résoudre tous les problèmes
environnementaux, il peut donc bien y contribuer de manière importante. On parle d’« in-
novations vertes » pour désigner l’ensemble des produits, services, procédés ou méthodes qui
permettent de diminuer l’impact de l’activité humaine sur l’environnement (réduire les émis-
sions de GES et la production de déchet, préserver la biodiversité, stopper l’épuisement des
ressources naturelles, etc.). Or les efforts en innovations vertes, même s’ils ont progressé au
cours des deux dernières décennies, restent insuffisants par rapport à ce qu’il serait souhai-
table pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique.
« Comment expliquer le faible taux historique d’innovations vertes ? Pourquoi est-il probable
que le secteur privé, laissé à lui-même, ne soit pas capable de générer suffisamment d’innova-
tions environnementales ? On peut avancer quatre explications.
Une première raison tient à ce que les économistes qualifient d’« externalité environne-
mentale », autrement dit au fait que les producteurs, qui cherchent à maximiser leur profit,
ne sont pas tenus de prendre en compte dans leurs choix de production et d’investissement les
dommages qu’ils font subir au climat. Ils n’ont, dans ce cadre, aucun intérêt de court terme à
réduire leur pollution et à innover seuls.
Une deuxième raison a trait à ce qu’on qualifie d’externalité de connaissance : dans une
situation de laisser-faire, les entreprises ont tendance à orienter leurs efforts d’innovation en
direction des secteurs dans lesquels elles disposent déjà d’un avantage technologique. Elles
innovent, autrement dit, dans les domaines dans lesquels elles sont déjà bonnes. La plupart
du temps, il s’agit malheureusement de secteurs émetteurs de CO2.
Troisièmement, l’innovation est souvent freinée à cause d’un problème d’appropriabilité :
les entreprises rechignent à innover si elles ne peuvent pas bénéficier pleinement des retom-
bées financières de leurs découvertes. Cet effet est susceptible de jouer un grand rôle pour les
technologies vertes, car celles-ci sont particulièrement complexes et impliquent des processus
cumulatifs au cours desquels les retombées sont importantes. Les nouvelles technologies envi-
ronnementales courent le risque d’être insuffisamment protégées par le droit traditionnel des
brevets, si celui-ci n’est pas renforcé par des mécanismes d’appropriation complémentaires.
Enfin, un dernier obstacle à l’innovation n’est autre que la difficulté d’accéder à des fi-
nancements adéquats, en raison de l’imperfection des marchés financiers. Cette contrainte
est d’autant plus forte pour les innovations environnementales que celles-ci sont, d’un point
de vue technique, particulièrement risquées – notamment les plus radicales d’entre elles. Leur
commercialisation présente en outre des risques élevés en raison des conditions de marché
actuellement incertaines. L’addition des incertitudes techniques et commerciales pèse lourde-
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Source : Philippe Aghion, Davis Hemous, Reinhilde Veugelers, « Quelles politiques pour
encourager l’innovation verte ? », La Découverte, Regards croisés sur l’économie n°6, 2009/2.
De nombreux pays ont ainsi créé des financements publics pour inciter les entreprises à dével-
opper des innovations vertes. En France c’est par exemple le cas de l’ADEME (Agence de
l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, créée en 1991) qui accompagne et finance les
projets de transition écologique des entreprises. Le Programme des Investissements d’Avenir
(PIA) que l’agence a développé à partir de 2010 a par exemple pour objectif d’encourager la
capacité d’innovations vertes des entreprises à travers divers outils financiers, dont les sub-
ventions. Il a ainsi permis de soutenir de nombreux projets au cours desquels de nouvelles
technologies propres ont pu être développées et commercialisées. On peut citer par exemple
le cas de la société PVI (Power Vehicle Innovation) qui, grâce aux subventions accordées par
l’ADEME, a pu mettre au point une innovation majeure avec le bus WATT System : un service
de bus électrique bénéficiant d’un système de recharge ultra-rapide et à faibles émissions.
Tout comme les outils précédemment cités, les subventions à l’innovation verte présentent
à la fois des avantages et des inconvénients. En tant qu’outil économique incitatif, la sub-
vention a l’avantage de ne pas contraindre les agents économiques et donc de tenir compte
de leurs différences ; elle laisse à ceux qui le peuvent la possibilité d’innover, tandis que les
autres renonceront simplement à la subvention. Mais la mise en pratique de cet instru-
ment fait face à une difficulté importante : le coût que représentent les subventions pour les
pouvoirs publics ; leur financement nécessite en effet de trouver de nouvelles recettes, ce
qui peut s’avérer plus ou moins difficile selon le contexte économique et social.
Finalement, du fait de leurs avantages et leurs inconvénients respectifs, il semble que les dif-
férents instruments présentés précédemment doivent avant tout être utilisés de façon com-
plémentaire, en choisissant au cas par cas l’instrument qui s’adaptera le mieux aux caractéris-
tiques de la situation envisagée (type de pollution, nombre d’acteurs concernés, coûts de
transaction, etc.). Là où par exemple la réglementation paraîtra parfaitement légitime en cas
de dommages environnementaux importants et irréversibles, les instruments économiques
incitatifs pourront être privilégiés dans d’autres situations en raison de leur plus grande effi-
cacité économique.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
Dans un rapport daté de 2019, le Conseil d’Analyse Economique14 revient ainsi sur le mou-
vement des gilets jaunes et formule plusieurs recommandations afin d’améliorer l’accept-
abilité sociale de la taxe carbone. Pour assurer l’équité de la mesure et donc son acceptabilité
politique, il préconise par exemple que la taxe soit accompagnée de mesures de transferts en
faveur des ménages les plus modestes, de dispositifs d’aide à la conversion des équipements
les plus polluants mais aussi de subventions à l’innovation verte. Cela ayant pour fin que les
technologies vertes soient plus accessibles et plus abordables, facilitant les changements de
comportements pour les ménages.
Au-delà de leurs limites propres, les instruments présentés précédemment peuvent aussi par-
fois se heurter aux dysfonctionnements de l’action publique elle-même. Ceux-ci peuvent
prendre plusieurs formes :
l’application d’une loi) ne sont pas mis en place. C’est aussi le cas lorsque les directives
européennes ne sont pas appliquées au niveau national ou seulement avec beaucoup
de retard. Cela peut d’ailleurs entraîner des condamnations de la part de la Cour de
justice de l’Union européenne. La France a par exemple été condamnée en octobre
2019 pour avoir dépassé de manière systématique et permanente les seuils de pollution
atmosphérique fixés par la directive européenne de 2008 relative à la qualité de l’air
ambiant. Le dépassement de ces seuils dans plusieurs agglomérations françaises
provient du fait que la directive de 2008 n’a visiblement pas entraîné en France les
mesures nécessaires et suffisantes à la réduction de la pollution atmosphérique.
- Enfin, l’inefficacité de l’action publique fait référence à une situation où, malgré
les mesures mises en application, les résultats obtenus ne sont pas ceux attendus. Cette
inefficacité peut provenir d’un nombre trop important d’exceptions intégrées dans la
loi, et qui finissent par nuire à sa finalité. C’est notamment un problème posé par la
taxe carbone qui comporte de nombreuses niches fiscales sous la forme d’exonérations
ou de taux réduits pour certains secteurs (aviation, poids lourds, transport maritime,
agriculture, etc.). L’inefficacité peut aussi provenir de la résistance des acteurs
concernés. L’échec de l’écotaxe poids lourds en est un bon exemple. Ce projet avait
donné naissance à l’adoption d’une écotaxe en 2009 ; celle-ci devait concerner les
véhicules de plus de 3,5 tonnes utilisant les routes nationales. Le projet est alors
confirmé dans la loi sur les infrastructures de transport de 2013 mais il rencontre dès
lors une opposition croissante de la part des transporteurs. Le refus des poids lourds
de s’équiper du boîtier d’enregistrement, les manifestations et blocages, la destruction
de portiques par le mouvement des Bonnets rouges, ont finalement eu raison du
projet : le gouvernement y renonce à l’automne 2014.
L’inefficacité de l’action publique souligne une difficulté récurrente à laquelle sont con-
frontées les politiques publiques environnementales : le fait de devoir concilier des intérêts
divers où la protection de l’environnement est loin d’être la seule préoccupation. L’expression
de ces différents intérêts prend la forme d’activités de lobbying qui peuvent contrecarrer la
mise en œuvre des moyens permettant de lutter contre le réchauffement climatique. Les
projets environnementaux se heurtent ainsi souvent à l’opposition de groupes d’intérêt or-
ganisés qui n’hésitent pas pour cela à mobiliser de multiples moyens (prises de contact avec
les décideurs politiques, recours aux scientifiques pour légitimer leurs demandes, sensibil-
isation de l’opinion publique à travers les médias). En France, les différentes personnalités
qui se sont succédé au Ministère de l’environnement ont ainsi souvent regretté une faible
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Quelle action publique pour l’environnement ?
marge de manœuvre en raison de l’influence trop grande des lobbies industriels. C’est d’ail-
leurs cette raison qui avait été avancée par Nicolas Hulot, alors Ministre de la transition
écologique et solidaire, pour justifier sa démission du gouvernement d’Edouard Philippe
en août 2018. Qu’il s’agisse du milieu de la chasse, de l’énergie, de l’agriculture ou de l’agro-
chimie, les groupes de pression disposent en effet de multiples moyens pour faire entendre
leurs intérêts, lesquels sont souvent contraires aux intérêts environnementaux, et influencer
les décisions politiques. Les reculs du gouvernement concernant l’interdiction du glyphosate
en France ont ainsi été dénoncés par plusieurs associations environnementales comme des
concessions faites au lobby agricole, composé à la fois des firmes de l’agrochimie, de l’in-
dustrie agroalimentaire et de la FNSE, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants
agricoles. Dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique, plusieurs ONG
ainsi que les Verts européens avaient également dénoncé l’influence du lobby automobile
dans la fixation des nouvelles normes d’émissions de CO2 adoptées à Bruxelles en 2017 ;
alors que plusieurs défenseurs de l’environnement souhaitaient un objectif de réduction d’au
moins 40% d’ici 2030, la Commission européenne avait fixé un objectif de réduction de 30%
des émissions des véhicules d’ici à 2030. Cette cible avait été jugée insuffisante par plusieurs
associations environnementales ; celles-ci avaient en outre regretté que la plupart de leurs
propositions n’ait pas été retenue, telle l’instauration de quotas obligatoires de véhicules à
émissions nulles ou faibles.
La science économique, notamment depuis les travaux de Paul Samuelson (« The Pure The-
ory of Public Expenditure », 1954), a développé des outils permettant de distinguer plusieurs
catégories de biens à partir de deux critères : la rivalité et l’excluabilité. Les biens communs
sont définis comme des biens à la fois rivaux (leur consommation par un agent entraîne une
réduction de la consommation des autres usagers) et non excluables (il est impossible ou
difficile, pour des raisons techniques ou politiques, d’empêcher leur consommation par des
agents qui refuseraient d’en payer le prix). Ainsi définis, les biens communs représentent une
vaste catégorie dans laquelle il est possible d’intégrer les ressources naturelles, souvent dis-
ponibles en quantité limitée mais dont l’accès est difficilement contrôlable (ressources ha-
lieutiques, ressources forestières, etc.). L’enjeu du changement climatique recouvre également
des problématiques liées à la rivalité (la détérioration du climat via les émissions de GES d’un
agent altère le bien-être des autres agents) et à la non exclusion (il est techniquement difficile
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Quelle action publique pour l’environnement ?
L’utilisation du terme « bien commun » pour faire référence au climat suscite des discussions.
On peut en effet considérer la stabilité du climat (et donc le réchauffement climatique) com-
me un bien collectif (bien non rival et non excluable dans la typologie de Samuelson) dans la
mesure où il n’est pas possible d’empêcher quelqu’un de profiter de la stabilité des tempéra-
tures (non excluabilité) et où son utilisation par un agent n’en prive pas les autres (non rival-
ité). Pour Samuelson, les biens collectifs (comme l’éclairage public) ont vocation à devenir
des biens publics (biens produits par la puissance publique) car, en raison de leur caractère
non excluable, aucun agent privé n’est incité à les produire. Pour Samuelson, les pouvoirs
publics doivent donc s’occuper de produire ces biens et de les financer grâce aux prélève-
ments obligatoires. Mais la préservation de la stabilité des températures, tout en présentant
les caractéristiques des biens collectifs (non exclusion et non rivalité) ne correspond pas à
un bien public national car aucun État ne peut l’assurer à lui seul. C’est ici que peut être mo-
bilisée la notion de « bien public mondial » défini par Charles Kindleberger comme « l’en-
semble des biens accessibles à tous les États qui n’ont pas nécessairement un intérêt individuel
à les produire »16. On pourra donc considérer que, comme le disent plusieurs économistes :
« Si le climat est un bien commun, la lutte contre le réchauffement climatique revêt donc les
caractéristiques d’un bien public mondial »17.
Les défis particuliers posés par ce type de biens ont été mis en avant dès les années 1960 par
l’écologue américain Garrett Hardin. Prenant l’exemple d’un pâturage ouvert à tous, Har-
din montre l’existence d’une « tragédie des biens communs » : du fait de leur caractère rival
et non-excluable, ces derniers ont tendance à être surexploités et sont à terme menacés de
disparition. Le phénomène du réchauffement climatique illustre parfaitement cette tragédie
: l’atmosphère est surexploitée par les agents économiques qui y rejettent massivement leurs
émissions de GES depuis la révolution industrielle. L’enjeu est alors de trouver des solutions
permettant d’éviter aux biens communs ce destin tragique. Dans le cas du changement clima-
tique, comme il est impossible pour un État d’assurer à lui seul la stabilité des températures sur
terre, la solution ne peut passer que par le développement de négociations entre les pays afin
d’aboutir à des accords internationaux environnementaux.
Le problème posé par la « tragédie des biens communs » a fait l’objet de nombreuses réflex-
ions et propositions, d’abord par Garrett Hardin lui-même qui envisageait deux possibil-
ités : la privatisation ou l’intervention des pouvoirs publics. Mais ces deux solutions ne sont
pas les seules envisageables. Dans un ouvrage célèbre paru en 1990 (Gouvernance des biens
communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles), la politologue et écono-
miste américaine Elinor Ostrom procède à un état des lieux de nombreux cas concrets pour
rappeler l’existence d’une autre possibilité. Elle montre que les agents sont parfois capables
de mettre en place des institutions appropriées pour organiser la préservation des ressources
naturelles. Ces « arrangements institutionnels » ne reposent ni sur une solution privée, ni
sur une solution publique, mais sur une solution collective développée par les usagers eux-
mêmes. Il existe donc diverses possibilités pour organiser la gestion des biens communs et
empêcher que ces derniers ne connaissent la tragédie menant à leur surexploitation et à leur
disparition. Cependant, dans le cas du climat, certaines de ces solutions semblent peu ap-
propriées. En effet, alors que la privatisation est difficilement envisageable, la mise en place
d’arrangements institutionnels semble également impossible. Ostrom convenait d’ailleurs
elle-même que cette manière de gérer les biens communs ne pouvait convenir à toutes les
situations, notamment car elle nécessite une connaissance mutuelle forte et une confiance
élevée entre les usagers. Si cela peut adéquatement fonctionner à l’échelon local, lorsque la
ressource implique un nombre limité d’agents, ce modèle est difficilement transposable au
cas de biens publics mondiaux (voir encadré précédent). Pour assurer la stabilité du climat
en luttant contre le réchauffement climatique, l’organisation d’une intervention des pouvoirs
publics au niveau international semble donc être la seule solution envisageable.
La question du changement climatique a donc été progressivement introduite sur la scène in-
ternationale, notamment à la suite de la publication du premier rapport d’évaluation du GIEC
en 1990. La signature lors du Sommet de la Terre de Rio (1992) de la Convention-cadre des
Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la mise en place des COP (voir
partie II) a permis aux pays signataires de se réunir régulièrement pour tenter de trouver des
accords permettant de lutter contre le réchauffement climatique (Protocole de Kyoto en 1997,
Accord de Paris en 2015, etc.). Ces négociations et accords s’organisent autour d’un objec-
tif ultime qui a été fixé par la CCNUCC : stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre
(GES) dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation du système climatique.
Or, à cet égard, les chiffres récents ne sont guère encourageants18 : les émissions de GES ont
ainsi progressé de plus de 65% entre 1990 et 2018. Les accords internationaux éprouvent donc
des difficultés à atteindre les objectifs environnementaux fixés par la CCNUCC.
C’est que la coopération internationale fait face à un défi caractéristique des situations où des
biens communs sont en jeu : le problème du passager clandestin. En effet, les caractéristiques
de rivalité et de non excluabilité favorisent l’apparition de comportements de passagers clan-
destins : les agents économiques peuvent bénéficier de la lutte collective contre le réchauffe-
ment climatique tout en y contribuant peu voire pas du tout. Chaque État a ainsi intérêt à
ce que ce soient les autres pays qui réduisent leurs émissions de GES : il pourra ainsi prof-
iter de la stabilité des températures sans avoir à supporter les coûts liés au développement de
politiques climatiques. Les négociations internationales concernant le réchauffement clima-
tique se heurtent donc à cette tentation pour chaque pays de retarder son engagement afin de
bénéficier des efforts entrepris par le reste de la communauté internationale.
C’est ce qui peut expliquer que, malgré les nombreuses négociations internationales qui se
sont succédé depuis le sommet de Rio (1992), les résultats en termes de réductions d’émissions
soient si longs à apparaître. En effet, plusieurs pays ont au cours des dernières années adopté
des comportements de passager clandestin, créant du même coup la menace d’un « effet dom-
ino » : devant la mauvaise volonté de certains, un nombre croissant de pays refuseraient alors
de s’engager. Ainsi, la décision des États-Unis de ne pas ratifier le Protocole de Kyoto (1997)
avait largement compliqué les négociations en entraînant notamment le retrait de l’Australie –
celle-ci ne ratifiera finalement le Protocole qu’en 2007. De même, la préparation de la seconde
phase du Protocole de Kyoto (2013-2020) avait vu plusieurs États se retirer successivement.
Dès 2010, le Japon avait par exemple annoncé sa volonté de ne pas participer à la deuxième
phase du Protocole ; peu de temps après, le Canada (2011) et la Russie (2012) annonçaient
également leur retrait. De façon analogue, en 2017, la décision de l’administration de Donald
Trump de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris (2015) avait suscité de nombreuses craint-
es quant aux autres défections que celle-ci pourrait provoquer. Si, dans ce dernier cas, il ne
semble pas y avoir eu d’effet domino, ce genre de comportements demeure bien un obstacle
à l’efficacité des négociations internationales. Le fait de conclure des accords qui n’impliquent
pas les pays fortement émetteurs de GES (les États-Unis contribuant à eux seuls par exemple
à plus de 13% des émissions mondiales de CO2) est une limite importante à l’efficacité des ac-
cords internationaux pour la préservation de l’environnement.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
C - Les défis posés par les inégalités de développement entre les pays
Un des autres défis qui vient contraindre les négociations internationales concerne les inégal-
ités de développement entre les pays. Dans le domaine de la politique climatique, celles-ci font
référence à deux constats mis en avant par de nombreuses études, notamment celles du GIEC :
- D’un côté, les États les moins développés sont ceux qui risquent d’être le plus
frappés par le réchauffement climatique, ce qui s’explique à la fois par les plus faibles
moyens dont ils disposent pour s’adapter mais aussi par la situation géographique d’un
certain nombre d’entre eux (pays du Sud plus exposés à la hausse des températures,
petits États insulaires vulnérables face à la montée des eaux).
- De l’autre côté, il est désormais établi que les États les plus riches ont une
responsabilité plus importante dans la quantité actuelle de GES accumulée dans
l’atmosphère. C’est le principe dit de la « responsabilité historique » des pays
développés : le développement économique et industriel de ces derniers est le principal
responsable de la dégradation du climat et de l’environnement mondial. Si les chiffres
varient selon la période ou encore le type de GES considéré, de nombreuses données
semblent en témoigner. Les pays développés auraient ainsi émis 77% du CO2 d’origine
fossile durant la période 1850-2000 contre seulement 23% pour les pays en
développement19.
Les inégalités de développement entre pays risquent donc d’engendrer une double sanction
pour les États les plus pauvres : alors qu’ils font partie de ceux qui ont le moins contribué au
problème du réchauffement climatique actuel, ils sont également ceux qui risquent d’en sub-
ir le plus les conséquences. L’idée que les pays développés auraient à cet égard une « dette
écologique » à l’égard des pays en développement s’est ainsi introduite dans les négociations in-
ternationales. C’est ce qui a conduit à ce que soit intégré dans la Convention-cadre des Nations
unies sur les changements climatiques (CCNUCC) puis dans le Protocole de Kyoto (1997) le
principe de « responsabilité commune mais différenciée ». Celui-ci établissait alors une dis-
tinction entre d’un côté, les pays dits de l’Annexe I (pays développés et pays en transition vers
l’économie de marché), pour lesquels l’engagement de réduire de 5,2% les émissions entre
1990 et 2008-2012 se voulait juridiquement contraignant ; et de l’autre, les pays en dévelop-
pement qui étaient exemptés de toute réduction contraignante, leurs émissions de GES étant
considérées comme inéluctables pour pouvoir se rapprocher du niveau de développement
économique et social du Nord. Cependant, ce compromis a très vite été remis en question
face à la forte augmentation des émissions des pays en développement, notamment des pays
19 Moïse Tsayem Demaze, « Le Protocole de Kyoto, le clivage Nord-Sud et le défi du
développement durable », L’Espace géographique, Vol.38, Belin, 2009/2.
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émergents. Le tableau ci-dessous montre par exemple que les émissions de CO2 de la Chine
ont augmenté de 369,5% entre 1990 et 2018 (cette dernière est d’ailleurs devenue le premier
émetteur mondial de CO2 en 2007). En 2018, les émissions de la Chine représentaient 29,7%
des émissions mondiales de CO2, contre 13,9% pour les États-Unis et 8,1% pour l’Union eu-
ropéenne à 27.
Tableau 4 : Répartition géographique des émissions de CO2 dans le monde (en Mt CO2)
Source : D’après le Ministère de la transition écologique, « Chiffres clés du climat. France, Europe et
monde, édition 2021 »
Les négociations qui ont succédé à la première phase du protocole de Kyoto ont bien cherché
à impliquer davantage les pays en développement dans les efforts de réduction. Cependant,
celles-ci se sont souvent heurtées aux réticences des pays du Sud, qui s’appuient sur les divers
indicateurs montrant que la pression environnementale des pays développés reste encore au-
jourd’hui bien plus forte que celle des pays en développement.
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Quelle action publique pour l’environnement ?
« L’empreinte écologique est définie comme étant la surface totale nécessaire, d’une part à
la production de la nourriture et de fibres et, d’autre part, à l’absorption des déchets prove-
nant de la consommation d’énergie. Il mesure les besoins d’utilisation de l’espace et des res-
sources naturelles par les sociétés humaines et confronte ces besoins avec la capacité de ces
espaces à supporter l’utilisation humaine et à se renouveler [...] Ainsi conçu, cet indicateur
nous paraît pertinent pour renseigner sur la pression humaine exercée sur les ressources en-
vironnementales dans le monde. L’empreinte écologique a été vulgarisée par le World Wide
Fund for Nature (WWF) qui l’utilise depuis 1998 comme base pour le rapport ‘‘planète vi-
vante’’. Ce rapport établit un classement des pays et offre un aperçu de l’environnement tel
qu’il est sollicité pour la satisfaction des besoins de la population (EE) en comparaison avec
les disponibilités environnementales ‘‘naturelles’’ (biocapacité). Les dernières statistiques sur
l’empreinte écologique des pays ont été publiées en 2008 et rendent compte des mesures rela-
tives à la situation de l’année 2005 (WWF, 2008). D’après ces données, l’empreinte écologique
mondiale était de 17,5 milliards d’hectares globaux, soit en moyenne 2,3hg/personne, alors
que la biocapacité mondiale était de 13,6 milliards d’hectares globaux, soit en moyenne
2,1hg/personne. La demande mondiale en ressources vivantes procurées par la Terre est donc
supérieure de près de 30% à la capacité d’offre et de régénération de la Terre. L’empreinte
écologique d’un habitant des pays développés est plus de six fois supérieure à celle d’un ha-
bitant des pays en développement. L’empreinte moyenne d’un habitant des États-Unis est de
9,4 hg, alors que celle d’un habitant de la France est de 4,9 hg. »
Source : Moïse Tsayem Demaze, « Le Protocole de Kyoto, le clivage Nord-Sud et le défi
du développement durable », L’Espace géographique, Belin, Vol.38, 2009/2.
Tout l’enjeu des négociations est alors d’inciter les pays en développement, notamment les
pays émergents, à participer à la lutte contre le réchauffement climatique, et ce en assurant une
répartition équitable des efforts de réduction des émissions. C’est cette difficulté qui a prin-
cipalement joué dans l’enlisement des négociations à la suite du Protocole de Kyoto (1997).
Ainsi, dès la Conférence de Bali (2007), les discussions ont principalement opposé d’un côté
les États-Unis et le Japon qui rejetaient tout accroissement de l’effort de réduction des émis-
sions des pays industrialisés, de l’autre des pays émergents tels la Chine qui refusaient de se
voir imposer un objectif de réduction. Il fallut finalement attendre la Conférence de Copen-
hague (2009) pour que les pays émergents finissent par accepter de prendre des engagements ;
la Chine par exemple s’engagea à améliorer de 40 à 45% l’efficacité énergétique de sa produc-
tion d’ici 2020. Cependant, malgré ces quelques avancées, la Conférence de Copenhague a
principalement été perçue comme un nouvel échec puisqu’elle n’a pas permis de renouveler et
d’étendre le dispositif contraignant de Kyoto. En effet, pour obtenir la participation des pays
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en développement, la COP de Copenhague (2009) et celle de Paris (2015) ont abandonné l’ap-
proche « top down » qui avait été privilégiée jusqu’alors pour lui préférer une approche « bot-
tom up » (voir partie II) : les efforts de réduction n’ont plus aucune valeur contraignante mais
reposent sur les engagements volontaires des États. Avec un tel dispositif, il y a de grandes
chances pour que les réductions d’émissions demeurent bien inférieures à ce qui serait sou-
haitable pour agir contre le réchauffement climatique. Ainsi dans l’état actuel des engagements
annoncés par les pays, les évaluations de différents experts évoquent une augmentation des
températures proche de 3°C, là où le seuil de danger estimé par le GIEC est de 2°C.
Les Conférences de Copenhague (2009) et de Paris (2015) ont également montré l’impor-
tance des transferts financiers Nord-Sud dans les négociations internationales autour du
changement climatique. Ces derniers ont joué un rôle important pour obtenir la partici-
pation des pays en développement. Lors de la COP15 (2009), les pays développés se sont
engagés à fournir de nouvelles ressources d’un montant de 30 milliards de dollars pour la
période 2010-2012 et à mobiliser ensuite 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour aider
les efforts de réduction d’émissions des GES des pays en développement (c’est le Fonds vert
pour le climat qui a été créé dans cet objectif en 2010). Ces promesses ont été renouvelées
lors de la COP21 (2015) qui prévoit la poursuite de cet objectif de mobilisation annuelle de
100 milliards de dollars jusqu’en 2025, avant d’en augmenter le montant à partir de cette date.
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