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Livre Vert de l’ARES

Manifeste en faveur d’un enseignement durable en sciences


sociales
Table des matières

Introduction ..................................................................................................................................................... iv
Présentation des Objectifs de développement durable : ................................................................................ vi
I) L’engagement du monde académique dans le développement durable : une volonté affichée ... 5
A) Le monde de l’enseignement supérieur a affiché sa volonté de soutenir le développement
durable à plusieurs reprises ................................................................................................................................... 5
1) L’engagement de l’IAU ............................................................................................................. 5
2) Les volontés proclamées du Ministère ................................................................................... 10
B) Des dispositifs ont déjà été mis en place… ............................................................................... 12
1) La naissance du plan vert ........................................................................................................ 12
2) Le label DD&RS ..................................................................................................................... 13
3) La traduction dans les SDVE .................................................................................................. 14
C) … Mais cette volonté ne se traduit pas assez dans les faits ....................................................... 15
1) Le manque de formations liées au DD en Sciences sociales ................................................. 15
2) Le développement durable ne doit plus être une variable d’ajustement............................... 16
3) La réponse des étudiants : le manifeste pour un enseignement supérieur durable et la
manifeste étudiant pour un réveil écologique. ............................................................................................... 18
II) La transition au durable : un processus holistique ....................................................................... 20
A) Le développement durable doit devenir un objet d’enseignement commun aux sciences
sociales 20
1) La gestion durable des organisations : un aspect souvent mis de côté .................................. 20
2) La finance éthique : mettre nos capacités au service du bien commun ................................ 28
3) Le droit de l’environnement, une discipline mise au ban...................................................... 30
4) Santé, urbanisme… Le développement durable est l’occasion de s’ouvrir à d’autres disciplines
31
B) Cette approche transversale doit également se ressentir dans les façons d’apprendre .......... 34
1) Une constitution écologique ?................................................................................................. 34
2) Comment rendre son enseignement plus durable ................................................................. 39
3) Quelles solutions supplémentaires pour une politique académique durable ? .................... 43
Annexes ........................................................................................................................................................... 45
Annexe 1 : Graphiques .............................................................................................................................. 45
Graphique 1 : Orientations stratégiques des établissements d’ESR pour le développement durable
.............................................................................................................................................................................. 45
Graphique 2 : L’approche disciplinaire des ODD .............................................................................. 45
Graphique 3 : Le niveau de traitement structurel des objectifs de développement durable ............. 46
Graphique 4 : L’approche dimensionnelle du développement durable dans les établissements
d’enseignement supérieur .................................................................................................................................... 46
Graphique 5 : les bénéfices et coûts de la labellisation DD&RS ........................................................ 47
Graphique 6 : la norme ISO 26000 ..................................................................................................... 48
Annexe 2 : Retranscription du discours de Frédérique Vidal devant le GIEC le 16 Mars 2018 ........... 49
Annexe 3 : extrait du Schéma Directeur de la Vie Etudiante en Auvergne (2018-2020) ....................... 52

ii
iii
Introduction

Si notre monde devait se regarder dans un miroir, ce qu’il verrait ne lui plairait
certainement pas. Réchauffement climatique, disparitions massives d’espèces animales et
végétales, explosion des inégalités… Ces dernières années, les défis auxquels l’humanité doit faire
face se sont accrus, en nombre et en intensité. Or, la plupart de ces maux ont un dénominateur
commun : l’humanité et son modèle d’organisation économique et sociétale. Aujourd’hui, nous
avons les moyens techniques d’arrêter tout cela. Nous pourrions résoudre la crise climatique.
Nous pourrions corriger les inégalités. Nous pourrions engager le monde dans une dynamique
plus durable et plus vertueuse. Mais si nous le pouvons, pourquoi ne le faisons-nous pas ?
Il n’y a pas de bonne réponse à cette question. D’aucuns argueront des dangers du
développement durable sur la croissance. D’autres diront qu’un tel changement ne saurait se faire
du jour au lendemain, qu’il faut être patient. Que les bonnes choses nécessitent le temps de la
maturation…

Le 8 Octobre 2018, le GIEC (un groupement international de chercheurs sur le


réchauffement climatique) a sorti un rapport extrêmement alarmant : si nous ne réagissons pas
maintenant, nous ne réussirons jamais à maintenir le réchauffement climatique sous la barre des
+1,5°C. Dans le même temps, le 1% le plus riche de la population mondiale possède 50% des
revenus mondiaux. Et cette hausse généralisée des inégalités risque d’avoir des effets délétères
sur la stabilité interne des pays et la croissance future.

Nous, étudiants en sciences sociales, nous engageons pour un enseignement supérieur


qui accepte de se transformer, de transformer ses pratiques et ses usages dans un intérêt public.
Pour un enjeu aussi crucial pour notre survie collective à moyen-terme, la réponse du monde
académique n’est pas à la hauteur. « Soyez le changement que vous souhaitez voir dans le
monde » : tel doit désormais être notre credo. Engageons-nous ensemble pour un monde plus
durable, plus inclusif, moins inégalitaire. Engageons-nous ensemble car nous sommes les moteurs
du changement.

Jusqu’ici, la réponse des universités à la problématique du développement durable n’a


pas été à la hauteur des enjeux. De nombreux dispositifs ont déjà été mis en place, comme le

iv
Plan Vert en 2009, ou l’accessibilité accrue offerte aux personnes en situation de handicap, mais
pouvons-nous sérieusement affirmer qu’aujourd’hui notre enseignement supérieur est durable ?
Oui, des choses sont (parfois) mises en place. Mais ces réponses sont encore trop
partielles. Comment ose-t-on prétendre défendre le développement durable, ou s’insérer dans
une démarche de transition lorsque seuls 3,75% 1des masters en DEG ont trait au développement
durable !

L’objet de ce Livre Vert est d’offrir des réponses, des pistes de réflexion et d’améliorations
afin que nous puissions ensemble, enseignants, étudiants, associations, élus, engager les
formations en sciences sociales dans la voie du développement durable. Cela doit passer tant par
les actions des universités que par le fond et la forme de nos enseignements.
Les questions environnementales, d’inclusivité des enseignements, du cadre légal et
économiques de nos vies doivent pouvoir être discutées librement, et notre volonté à travers ce
Livre Vert est de permettre à un maximum d’entre vous de se saisir, dès aujourd’hui, de ces
questions.

1
Chiffre issu de www.carto-master.org avec les mots clés « développement durable » et « environnement »

v
Présentation des Objectifs de développement durable :
Les objectifs de développement durable (ODD) sont en vigueur depuis 2015. Outil créé
par l’ONU afin de remplacer les objectifs du millénaire pour le développement (qui couvraient
la période 2000 – 2015), les ODD sont au nombre de 17.

Centrés autour d’un développement qui ne concentre tout à la fois sur la réussite
économique, le bien-être social et le respect de l’environnement, ils permettent de donner des
indications et des priorités aux gouvernements pour mettre en place des politiques vertueuses.
Toutefois, ces objectifs sont déclinables dans toutes les couches de la société, pour permettre à
toute organisation voulant s’ancrer dans une démarche durable de savoir vers où et vers quoi aller

vi
I) L’engagement du monde académique dans le développement durable : une
volonté affichée

A) Le monde de l’enseignement supérieur a affiché sa volonté de soutenir le


développement durable à plusieurs reprises

Depuis plusieurs années, le monde de l’enseignement supérieur évolue et prend position


en faveur du développement durable. Ces engagements sont portés à plusieurs échelles : à
l’international avec l’International Association of Universities, qui dès 2016 s’est engagé à œuvrer
pour que les établissements d’enseignement supérieur soient des leaders dans le changement
durable de la société. Au niveau national, on a vu ces dernières années un changement de
paradigme fort. Tour à tour, ce sont le Ministère de l’Enseignement Supérieur (MESRI), la
Conférence des Présidents d’Université (CPU) et la Conférence des Grandes Ecoles (CGE) qui
se sont engagés, mettant en œuvre une batterie de dispositifs visant à faire du développement
durable une priorité sur les campus. Enfin, au plus proche de nous, les étudiants se sont
largement saisis de la question. Cette volonté de changement dans la société s’est traduite par la
publication en 2013 du Manifeste pour un enseignement supérieur durable, coporté par le
Réseau français des étudiants français engagés pour le développement durable (REFEDD) et la
FAGE.
On peut donc constater que, quelle que soit l’échelle, le monde académique au sens le
plus large a une réelle volonté de contribuer à la transformation de la société pour la rendre
durable et vivable pendant des années encore. Toutefois, les niveaux d’engagement des acteurs
sont variables. D’une part parce que tous ne jouent pas le jeu, et d’autre part parce que leurs
moyens ne sont pas égaux.

1) L’engagement de l’IAU

L’International Association of Universities a fait, et ce depuis des années, du


Développement Durable l’un de ses quatre grands principes. Cet engagement a conduit à la
création d’ESDD (Enseignement Supérieur pour le Développement Durable), un organisme
affilié à l’IAU et dont la seule mission est d’engager durablement les membres de l’IAU dans une
logique de développement durable.
Dans leur vision, les établissements d’enseignement supérieur doivent réellement être les
fers de lance de la transition durable ; ils sont des acteurs clé pour parvenir aux objectifs de
développement durable à l’horizon 2030. Et comment ne pas les comprendre ? L’enseignement

5
supérieur concerne de plus en plus de personnes, forme les leaders, les cadres, les spécialistes…
de demain qui, quels que soient leurs métiers, devront avoir une approche durable. De plus, ils
ont un rôle extrêmement important à jouer au niveau de la recherche : les universités doivent
continuer d’être à la pointe de l’innovation pour aider la société à changer.
Il ne faudrait cependant pas limiter le rôle des établissements d’enseignement supérieur
à celui de la formation des leaders de demain. Les mots d’Angelo Riccaboni, directeur du groupe
de travail ESDD de 2012 à 2016 sont en ce sens extrêmement révélateurs :
« L’Enseignement supérieur pour le développement durable a un rôle clé dans notre
accomplissement des objectifs de développement durable. Il joue un rôle central dans le
changement des modes de vie et de pensée des gens, et il est un outil essentiel dans la lutte contre
les phénomènes négatifs tels que la pauvreté, la mortalité infantile, le chômage ou le manque
d’éducation. L’ESDD est essentiel pour façonner des valeurs communes et améliorer l’inclusion
sociale, en prenant l’engagement de n’abandonner personne, en particulier les groupes
vulnérables comme les femmes, les personnes en situation de handicap, les minorités ethniques,
etc. »
L’une des autres volontés de l’IAU est d’offrir un cadre structurant aux établissements
d’enseignement supérieur, afin de leur permettre de juger elle-même de leur niveau de
soutenabilité. L’établissement de ce cadre passe notamment par une inscription de la mission de
développement durable dans les statuts et missions des institutions mais pas que. Il passe
également par l’instauration de critères d’évaluation permettant d’analyser les actions d’un
établissement au prisme des 17 objectifs de développement durable. A priori, on pourrait être
tentés de penser que les établissements d’enseignement supérieur ne sont concernés que par
l’objectif n°4 « éducation de qualité ». Ce serait là une grave erreur : que ce soit en tant
qu’établissement contribuant à former les personnes y étudiant ou y travaillant, en tant
qu’institution devant être pleinement intégrée dans les politiques urbaines, en tant qu’organisme
permettant la recherche et l’innovation, une université ou une école peut s’impliquer d’une
manière ou d’une autre dans chacun des 17 objectifs de développement durable. Aussi, orienter
les politiques universitaires vers la participation à chacun de ces objectifs doit devenir une
nécessité absolue – et c’est la voie qu’emprunte actuellement l’IAU.

Dans leur rapport de 2017 sur les performances en matière de développement durable
de leurs membres, l’IAU pose un certain nombre de constats. Le premier est la relative
méconnaissance de ce qu’est le développement durable. En effet, à la question « qu’est-ce que le
développement durable ? », les réponses étaient tournées à 84% vers les problématiques

6
environnementales et à 52% sur la lutte concrète contre le changement climatique. La dimension
sociétale n’est mentionnée, en comparaison, que dans 68% des réponses tandis que la dimension
économique n’est pas mentionnée en tant que tel (« Autres » = 28%). Ainsi, bien que l’IAU fasse
du développement durable une priorité, on peut constater que ses établissements membres ne
maîtrisent que guère le sujet…
Toutefois, cette méconnaissance n’empêche pas les universités répondantes de s’engager
dans le développement durable – ou du moins de le considérer fortement. En effet, 69% des
membres de l’IAU connaissent la « whole institution approach », une approche du
développement durable inclusive, intégrant toutes les parties prenantes de l’institution. Ces
parties prenantes peuvent être facilement identifiées, comme les enseignants, les étudiants et les
personnels. D’autres tout aussi importantes le sont un peu moins facilement ; c’est le cas
notamment des structures d’éducation pré-supérieur locales, les citoyens, les collectivités
territoriales et les entreprises du bassin socio-économique local. L’inclusion de toutes ces parties
prenantes est absolument nécessaire pour intégrer son établissement dans une démarche de
développement durable. D’abord car cette mise en commun des compétences de chacun est le
corollaire à la création d’une véritable synergie locale, permettant l’application de politiques
inscrites dans le développement durable. Ensuite car ce changement doit se faire dans une
réflexion globale, qui se concrétisera via des actions locales (à toutes les échelles concernées).
Mais, malgré cette connaissance des enjeux d’une approche inclusive et globale, seuls 45%
des établissements ont d’ores et déjà entamé le travail d’adoption et d’application de cette
approche. Ainsi, notre devoir en tant qu’étudiants engagés est de se mobiliser par tous les moyens,
de tenter de de peser sur le fléchage des politiques universitaires, afin que nos universités se
réveillent enfin et s’inscrivent dans une démarche plus durable, plus globale.

Au-delà de l’inclusivité de leurs démarches, les établissements d’enseignement supérieur


travaillent également sur le développement durable à travers leurs activités « régaliennes » :
l’enseignement et la recherche. Afin de mieux connaître la manière dont l’engagement en faveur
du développement durable, on peut passer ces activités à travers le prisme des objectifs de
développement durable définis par l’ONU.
Cette première subdivision permet de montrer que tous les objectifs de développement
durable ne sont pas traités avec le même sérieux par les établissements d’enseignement supérieur,
comme on peut le voir dans le graphique 1 de l’annexe 1. Sans surprise, l’objectif le plus couvert
par les établissements d’ESR est celui pour une éducation de qualité. En effet, ce dernier est un
objectif récurrent pour un établissement d’enseignement supérieur. Viennent à la suite l’objectif

7
« santé et bien-être » puis l’objectif « travail décent et croissance économique ». La participation
des établissements d’enseignement supérieur à ces deux objectifs de développement durable peut
être expliquée notamment par leur activité de recherche (en santé par exemple), et le fait que la
formation diplômante offre une sécurité sur le marché du travail.
De l’autre côté, certains objectifs semblent être quelque peu délaissés. Le plus flagrant est
l’objectif de réduction des inégalités qui est plus de deux fois moins investi par les institutions que
celui sur une éducation de qualité. L’une des explications que l’on peut avancer est que si les
établissements n’intègrent pas ce combat dans leurs missions, avec par exemple des bourses
conséquentes pour les étudiants venant de milieux défavorisés ou des frais d’inscription bas, ils
ne pourront pas lutter efficacement contre les inégalités. Les autres objectifs les moins investis
par les établissements d’enseignement supérieur sont ceux pour lesquels notre action ne peut pas
être directe, comme la protection et le maintien de la vie aquatique et terrestre ou le fait d’avoir
une production et une consommation durable. Ce dernier est toutefois à mitiger, car nos
institutions peuvent avoir une démarche de consommation durable importante. En changeant
leurs propres habitudes de consommation, les universités pourraient renforcer leur rôle de leader
dans le secteur du développement durable et inspirer leurs communautés d’étudiants à faire de
même !

Une fois cette segmentation effectuée, on peut l’analyser de trois manières différentes :
disciplinaire, structurelle et dimensionnelle.
L’approche disciplinaire a pour but d’identifier si les activités liées aux objectifs de
développement durable sont effectuées de manière transdisciplinaire, disciplinaire, ou en
combinant les deux. En ce qui concerne les membres de l’IAU, la répartition est celle indiquée
dans le graphique 2 de l’annexe 1.
Le premier constat que l’on peut poser est qu’en majorité les établissements
d’enseignement supérieur adoptent une combinaison des deux. Cela implique de travailler sur
les objectifs de développement durable tant dans les enseignements en droit, en gestion, en
économie… qu’à travers une approche globale et structurelle visant à donner de la cohérence aux
enseignements. On peut le voir notamment sur les questions d’égalité de genre ou de qualité de
l’éducation, deux objectifs intimement transversaux et nécessitant une approche
multidisciplinaire.
L’autre constat est que le maintien de la vie aquatique est le seul objectif de
développement durable à être plus étudié de manière disciplinaire que de manière transversale.

8
Pourtant, la défense du monde marin nécessite un engagement fort, qui soit porté à travers
plusieurs disciplines.

Une autre manière d’aborder l’implication des établissements d’enseignement supérieur


et de voir l’approche structurelle de l’approche durable, c’est-à-dire voir si elle se fait au niveau
des enseignements / de la recherche d’un professeur, d’une faculté ou d’une école, de l’institution
tout entière ou à plusieurs niveaux de cette dernière (un groupe de professeurs dans des facultés
séparées ou une partie des facultés de l’établissement par exemple). Les résultats pour l’IAU sont
en graphique 3 de l’annexe 1.
On peut voir très vite que de nombreuses institutions ont d’ores et déjà adopté une
approche globale (au niveau de l’institution) des problèmes. Sans surprise, ce sont les objectifs
d’égalité des genres et de qualité de l’éducation qui sont le plus adoptés au niveau de l’institution
toute entière.
En revanche, ces données font aussi naître un léger sentiment d’inquiétude. En effet, les
ODD les moins abordés par les établissements d’enseignement supérieur sont également ceux
où la part occupée par des actions de professeurs individuels est la plus importante. En terme de
réduction des inégalités par exemple, les initiatives individuelles comptent pour 14% du total
tandis qu’elles ne représentent qu’1,7% des actions menées au titre de la lutte contre les inégalités
de genre.

Enfin, l’étude dimensionnelle se base sur le type d’activités menées : enseignement,


recherche, opérations, de campus ou multiscalaires. Par « opérations », l’IAU entend des projets
ponctuels animés par des membres de l’établissement. Vous pourrez retrouver les données en
graphique 4 de l’annexe 1.
Le constat ici est plus rapide que pour les autres niveaux de traitement. La majorité des
établissements ont opté pour une approche multiscalaire, c’est-à-dire qu’ils travaillent sur les
problématiques liées au développement durable au moins dans deux domaines à la fois. C’est
une excellente chose : la clé pour une transition durable réussie est d’intégrer la réflexion à toutes
les échelles afin de provoquer une synergie des changements.
Toutefois, certains éléments sont encore problématiques : sur les sujets « faibles » de
l’enseignement supérieur (inégalités, vie marine…) la part des établissements ne faisant que de la
recherche sur le sujet est encore trop importante, notamment vis-à-vis de ceux ne faisant que de
l’enseignement dessus (de 2 à 6 fois plus). De même, l’indicateur multiscalaire est trompeur de
par sa composition : les enseignants chercheurs tendent à enseigner dans les mêmes domaines

9
que ceux dans lesquels ils font leur travail de recherche ; aussi, un établissement peut rentrer dans
cette dernière catégorie même si ce travail n’est le fruit que d’un seul enseignant-chercheur en
son sein (cf. l’approche structurelle).

On l’a vu, la façon d’appréhender le développement durable est diverse à travers le


monde. Toutefois, les établissements d’enseignement supérieur semblent prendre le bon
chemin. Afin de s’assurer que ce cap soit maintenu et la cadence accélérée, l’IAU a publié une
série de recommandations. Le premier est que les établissements fassent d’eux-mêmes leurs
rapports d’activité sous le prisme des ODD et qu’ils encouragent plus fortement leurs membres
à s’inscrire dans la démarche durable.
Le second est que les leaders au sein des universités devraient pousser pour intégrer toutes
les parties prenantes dans l’élaboration des stratégies et des indicateurs de performance liés au
développement durable.
Enfin le dernier est de casser le cloisonnement existant entre les initiatives liées au
développement durable. La collaboration et la confiance sont les seuls clés d’une transition
durable réussie et réellement inclusive.

2) Les volontés proclamées du Ministère

En France également, la communauté de l’enseignement supérieur s’est engagée en


faveur du développement durable. Ainsi, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la
Recherche et de l’Innovation (MESRI) s’est clairement positionné, depuis le Grenelle de
l’environnement en 2009, en faveur de l’intégration du processus de développement durable dans
les universités.
Cette implication a d’abord été très forte sur le volet environnemental. Par effet de mode,
ou à cause des limitations auxquelles font face les universités, c’est d’abord sur cette dimension
là qu’elles ont été amené à plancher. Et de fait, depuis 2009 les universités sont obligées de se
doter d’un « Plan vert », une marche à suivre pour les établissements en matière de performance
environnementale. Le MESRI a également mis en place en 2013 un « Label Développement
durable & Responsabilité sociétale », permettant aux établissements d’enseignement supérieur
respectant un certain nombre de conditions de se faire labelliser et ainsi pouvoir mettre en avant
leur volonté de faire du développement durable une de leur priorité. Ce label a été accompagné
par la création du CIRSES (Collectif pour l’Intégration de la Responsabilité Sociétale et du

10
développement durable dans l’Enseignement Supérieur), qui est l’opérateur du processus de
labellisation.
La volonté de faire des établissements d’enseignement supérieur a été maintenue par
l’exécutif actuel. En effet, lors d’un discours devant le GIEC, la Ministre de l’Enseignement
Supérieur et de l’Innovation, madame Frédérique Vidal, a réaffirmé la position du ministère. Et
ses mots sont sans équivoque :
« […] Pour préparer l’avenir, il est donc impératif de produire et de publier des
connaissances nouvelles dans une dynamique de science ouverte. Nous devons soutenir le
continuum des savoirs : de la recherche fondamentale à la recherche sociétale, des pays du Nord
aux pays du Sud. Des scientifiques de tous les horizons sont mobilisés : il est donc indispensable
qu’ils aient accès à une matière première scientifique commune. […] Car les défis à relever sont
nombreux et exigent une recherche libre. Les processus de fonte des glaciers sont mal compris
et mal représentés, ce qui nécessite la combinaison de l’observation in situ, comme de
l’observation à distance et de la modélisation. Dans l’océan comme dans l’atmosphère, les
processus physiques et dynamiques les moins bien décrits se situent à des échelles inférieures à
la centaine de kilomètres, notamment dans les couches limites. Au-delà, il faut penser à
l’articulation entre les questions climatiques et les enjeux sociétaux : le processus de formation et
de vieillissement des particules atmosphériques devra être associé à l’étude de certaines
pathologies respiratoires, les évènements hydrologiques extrêmes ne pourront être dissociés de
la vulnérabilité du littoral et du territoire.

Les changements climatiques nous signifient, de façon parfois brutale, que nous sommes
engagés dans une communauté de destin. Nous sommes tous concernés, nous avons tous un rôle
à jouer […]. Au-delà, et mon ministère y est particulièrement attaché, il est essentiel d’apporter
tout notre soutien à la formation et à l’éducation des jeunes et des populations, au transfert des
connaissances et des compétences permettant à chacun, dans chaque pays, de s’engager dans des
actions et des innovations qui préserveront l’avenir commun de notre planète commune. » 2

Toutefois, la dimension environnementale est loin d’être la seule sur laquelle les
universités peuvent avoir un rôle à jouer. La dimension sociale semble pourtant être mise en
retrait, voir oubliée, en comparaison. Déjà car, on l’a vu, les problématiques de réduction des

2
Extraits du discours de Frédérique Vidal devant le GIEC, 16/03/2018. Voir la retranscription complète en
annexe 2.

11
inégalités, de villes et communautés durables… ne sont pas particulièrement traitées par les
universités (nous y reviendrons plus tard). Mais également car les universités françaises ne traitent
que rarement des problématiques d’innovation sociale, laissant l’initiative à d’autres acteurs
(notamment associatifs).
Des points positifs sont cependant à noter, mais il s’agit principalement de campagnes de
sensibilisation et/ou de prévention en tout genre : campagne contre les violences sexistes et
sexuelles, contre l’homophobie, prévention sur le handicap, contre le bizutage… Il y a donc une
réelle volonté de faire mieux et d’améliorer l’environnement autour des études. Le ministère
n’est simplement pas le premier sur le front.

B) Des dispositifs ont déjà été mis en place…

Au-delà des annonces et des déclarations, on ne peut juger la volonté d’une personne ou
d’une institution qu’à l’aune de ses actions. En France, qu’est-ce que la communauté universitaire
a mis en place pour favoriser le développement durable ? Quels dispositifs ont été créés pour
garantir un avenir vivable à tous ? Et surtout, ces dispositifs répondent-ils aux exigences que
posent le défi climatique, la société d’hyper consommation et les inégalités explosant ?
Nous allons nous intéresser à trois dispositifs mis en place ou pouvant être mis en place
dans les Universités, que sont les Plans Vert, les schémas directeurs de la vie étudiante (SDVE)
ou le Label développement durable et responsabilité sociétale.

1) La naissance du plan vert

Le Plan Vert a été institué par l’article 55 de la loi n°2009-967, aussi appelée Loi Grenelle
1, qui impose à tous les établissements d'enseignement supérieur la mise en place d'une démarche
de développement durable au travers d'un Plan Vert, et de pouvoir solliciter une labellisation sur
la base de critères de développement durable. Ces critères, définis par la Conférence des
Présidents d’Université et la Conférence des Grandes Ecoles, ont été promulgués en 2010 au
sein du référentiel national Plan Vert.

Mais qu’est-ce que c’est concrètement que le Plan Vert ?

12
C’est un outil, un guide servant à la mise en place d’une politique d’établissement en
matière de développement durable. Le Plan Vert doit rassembler toutes les orientations et projets
de l’établissement qui lui permettront de s’inscrire dans le développement durable.
Toutefois, beaucoup d’observateurs considèrent le Plan Vert comme une fumisterie, une
vaine tentative de green washing de la part de nombreux établissements d’enseignement
supérieur. En effet, bien que les établissements soient obligés de mettre en place un Plan Vert,
rien dans la loi ne les contraint à le respecter. Vous voyez le problème ? C’est donc notre rôle à
nous, étudiants, associatifs, élus, que d’interpeller nos universités pour demander l’application de
leurs Plans Verts qui, rappelons-le, ont obligatoirement été écrits.

2) Le label DD&RS

Afin d’accompagner et d’inciter les Universités à mettre en place les actions prévues dans
leur Plan Vert, le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche a poussé en 2013 à
la création du Collectif pour l’Intégration de la Responsabilité Sociétale et du développement
durable dans l’Enseignement Supérieur (CIRSES). Ce collectif a trois missions :
- Accompagner les personnes en charge du développement durable et/ou de la
responsabilité sociétale dans les établissements d’enseignement supérieur ;
- Contribuer au rayonnement des démarches de développement durable et de
responsabilité sociétale des établissements de l’enseignement supérieur ;
- Etre la référence en matière de pratiques sur le développement durable et la
responsabilité sociétale dans l'Enseignement Supérieur et la Recherche français.
De plus, le CIRSES est devenu l’opérateur officiel du Label Développement Durable et
Responsabilité Sociétale. Ce label est décerné pour 4 ans et repose sur une démarche d’auto-
évaluation des établissements en fonction d’objectifs de performance en matière de
développement durable ayant été fixés par la CPU et la CGE. Si l’établissement remplit un certain
nombre de prérequis (faire partie d’une conférence, avoir réalisé une autoévaluation avec le
référentiel DD&RS depuis moins d’un an, prouver que l’établissement s’est activé engagement
dans une démarche d’application du Plan Vert…), il peut alors candidater à l’éligibilité du label.
L’intérêt pour les établissements est évidemment d’en retirer un bénéfice. Le site Internet
du Label DD&RS3 l’exprime d’ailleurs de manière très claire dans un tableau coût – avantages

3
http://label-ddrs.org/

13
reproduit en graphique 5 de l’annexe 1. On peut donc ainsi voir que les bénéfices potentiels
d’une telle labellisation ne présentent que des intérêts pour les établissements.
Et, en effet, la CPU nous apprend4 que les Universités ne se sont jamais autant engagées
dans le développement durable. D’une part le Haut Conseil à l’Evaluation de la Recherche et de
l’Enseignement Supérieur (HCERES), l’organe chargé de contrôler les performances des
établissements d’enseignement supérieur, a pris pour la première fois explicitement en compte
le développement durable dans les référentiels « établissement » et « coordination territoriale »
de la vague E. Par exemple, l’un des indicateurs était « la stratégie institutionnelle prend en
considération les problématiques de responsabilité sociétale, notamment en matière d’éthique et
de parité H/F, et celles de développement durable, notamment en matière de gestion
environnementale ».
De plus, le nombre d’établissements adhérant au CIRSES a cru de manière importante
ces dernières années : 65 en 2014, 89 en 2015 et 124 en 2016 ! On peut donc constater que la
focale des établissements s’est déplacée progressivement sur les questions de développement
durable Cela a poussé la CPU à sortir en 2017 un guide de bonne pratique en respect des
Objectifs de Développement Durable. Intitulé « Objectifs de développement durable, quelles
contributions des métiers de l’enseignement supérieur et de la recherche en France », ce guide
passe, entre autres, 14 métiers de l’enseignement supérieur au filtre des ODD, examinant quels
sont les enjeux sociétaux de chacun, les principaux ODD auxquels ils contribuent, les défis à
relever ainsi que des propositions d’actions concrètes à mener.
Finalement, il apparaît que dans la logique de concurrence accrue dans laquelle se trouve
notre enseignement supérieur, la labellisation soit un pis-aller permettant tout de même
l’implémentation du développement durable sur nos campus.

3) La traduction dans les SDVE

En accompagnement du Plan Vert, un autre outil peut permettre la promotion du


développement durable sur les campus. Cet outil est le schéma directeur de vie étudiante
(SDVE). Le SDVE est un texte de planification, coécrit par les parties prenantes du projet et
notamment les élus étudiants, détaillant les engagements de la communauté universitaire
(université et CROUS) en matière de politique de vie étudiante pendant 5 ans.

4
« 2017 : la montée en puissance du développement durable et de la responsabilité sociétale dans l'ESR »,
communiqué de presse de la CPU, 14 Novembre 2017

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A la différence du Plan Vert, les communautés ont tendance à appliquer le contenu des
SDVE. C’est donc un outil de choix pour nous, étudiants engagés qui souhaitons engager nos
campus dans le développement durable. Nous devons être le premier vecteur de la
démocratisation des campus durables. Par nos événements, nos campagnes de sensibilisation,
notre travail d’éducation populaire, notre action en conseil… Toutes les facettes de notre
engagement d’associatifs militants doivent nous permettre de promouvoir le développement
durable.
Ainsi, si nous accompagnons nos Universités et nos CROUS vers l’organisation d’une vie
étudiante durable, respectueuse de l’environnement, inclusive, épanouissante… lors de la
rédaction des SDVE, alors nous pourrons agir concrètement et pousser nos établissements à
s’engager dans cette voie.
On peut par exemple prendre le SDVE de l’Université Clermont Auvergne (cf. annexe
3). Son thème n°14 est on ne peut plus explicite : Développement Durable. En son sein sont
amenées quatre propositions :
- Sensibiliser les étudiants au développement durable et favoriser leur participation
- Accompagner les étudiants dans leurs changements de pratiques
- Favoriser le développement durable à travers les réhabilitations des résidences
- Améliorer la communication entre les instances universitaires et le CROUS

La présence du développement durable dans les SDVE est déjà une bonne chose.
Cependant, on a déjà insisté sur le fait que le développement durable devait être un processus
holistique. Nous devons donc ambitionner que le développement durable soit intégré
systématiquement dans tous les axes et tous les thèmes des SDVE à venir ! Notre vie de campus
peut, à tous les niveaux, devenir plus respectueuse de l’environnement et plus inclusive. Elle peut
contribuer à réduire les inégalités, en promouvant par exemple un accès à la culture, classique ou
à contre-courant, à tous. Elle doit contribuer à la formation personnelle et à l’émancipation de
tous. Et nous devons être en tout instant les premiers promoteurs de cette démarche.

C) … Mais cette volonté ne se traduit pas assez dans les faits

1) Le manque de formations liées au DD en Sciences sociales

Comme on a pu le voir précédemment, les formations inscrites dans le développement


ne représentent que 3,75% des formations en DEG. C’est, évidemment, beaucoup trop peu. Ce

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manque de formations est préjudiciable à plus d’un titre : en effet, cela montre que malgré
l’intérêt croissant que portent les universités portent au développement durable, les formations
proposées (du moins dans le domaine des sciences sociales) ne s’alignent pas encore avec ces
intérêts-là. Pourtant, les étudiants semblent être demandeurs de formations plus en adéquation
avec leurs valeurs – dont le développement durable.

Comment peut-on expliquer cela ?

Il semblerait qu’il y ait, aujourd’hui, un véritable problème de mise en relation entre offre
et demande en matière de formations. D’un côté, des étudiants demandeurs de formations
correspondant avec leurs valeurs, comme on a pu le voir avec le Manifeste Etudiant pour un
Enseignement Supérieur Durable ou le Manifeste pour un réveil écologique. Et de l’autre, des
formations précisément inscrites dans le domaine du développement durable qui ne font pas le
plein.
Cet effarant constat tient au fait que, le développement durable étant assez absent des
formations de licence, les étudiants ne connaissent pas ce domaine. Ils ne candidatent donc pas,
soit par manque d’informations sur les Masters pouvant être proposés, soit dans un phénomène
d’autocensure, en se disant que puisqu’on n’a jamais fait de développement durable on ne peut
pas commencer en Master.
Or, puisque peu d’étudiants candidatent, les universités reçoivent un message « négatif »
vis-à-vis de leurs formations : puisqu’elles ne remplissent pas on ne va pas en faire des têtes de
gondole et donc moins les mettre en avant que d’autres formations plus cotées. Cependant, en
faisant ça on réduit encore la visibilité donnée aux formations en développement durable, et donc
le nombre de candidats potentiels. Un peu le serpent qui se mord la queue…

C’est pourquoi nous demandons deux choses : que le développement durable soit intégré
dans toutes les formations en sciences sociales au cours de la licence, afin que chacun puisse, au
cours de son cursus, s’y éprouver et déterminer si le domaine lui convient. Et que ces formations
cessent d’être vues comme des formations de second rang, ou du moins des formations « moins
prioritaires », afin de renforcer la communication autour de ces dernières. Elles pourraient ainsi
devenir des arguments renforçant le pouvoir d’attraction et l’image de marque des établissements.

2) Le développement durable ne doit plus être une variable d’ajustement

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Afin de compléter cette logique, il faut que nous sortions de la vision qui fait voir le
développement durable, l’économie sociale et solidaire… Comme des variables d’ajustement
budgétaires des universités.
Cette affirmation également semble aller à l’encontre de ce qu’on a pu voir en termes de
volonté des établissements. Il faut pourtant rappeler que les établissements connaissent une forte
pression budgétaire les limitant dans ce qu’ils peuvent proposer. Ainsi, lorsque les universités
doivent supprimer des formations pour libérer de la masse salariale, elles vont régulièrement se
tourner vers celles qui ont du mal à remplir. Or, on l’a dit plus haut, les formations dans le
développement durable sont régulièrement victimes de difficultés à remplir. Elles seront donc
vues comme non-rentables et, par extension, inutiles ou susceptibles de disparaître.

La logique est la même au niveau du financement de la transition durable. Les Universités,


n’étant pas forcées de suivre leur Plan Vert, ont tendance à ne pas sacraliser le budget dédié au
développement durable. Ainsi, les vice-présidents en charge du développement durable et/ou de
la responsabilité sociétale au sein des établissements se voient souvent réduits à la portion congrue
du budget des universités. De plus, si des restrictions budgétaires sont appliquées également aux
services universitaires, alors le développement durable est là aussi l’un des domaines les plus
susceptibles d’être réduits.
En effet, un président d’université aura plus de facilité à faire des économies sur son
enveloppe budgétaire dédiée au développement durable que sur les crédits de recherche ou
d’enseignement, ou que de licencier des personnels administratifs, ou bien que de réduire les
services proposés à ses étudiants. Le tout étant de bien figurer dans les classements
(inter)nationaux pour être attractifs et attirer des financements supplémentaires.

Il faut donc que dans ce domaine, les étudiants continuent à se mobiliser. Nous devons,
ensemble, associatifs, élus ou sans engagements universitaires nous mobiliser pour faire changer
les choses. Il est temps de demander aux universités une sacralisation des budgets alloués au
développement durable et aux formations liées. Et il est temps de demander à l’Etat un
investissement massif pour transformer nos campus en lieux de vie et d’expression durable. En
respect avec l’environnement, et qui permettent la créativité, l’expression et l’émancipation de
chacun.

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3) La réponse des étudiants : le manifeste pour un enseignement supérieur
durable et la manifeste étudiant pour un réveil écologique.

Au milieu de ces grandes orientations données à l’enseignement supérieur par le monde


professionnel (ministère et universités), les étudiants aussi se sont mobilisés pour faire entendre
leur voix et marquer leur soutien au développement durable.
Le symbole principal de cette volonté des étudiants de s’engager en faveur du
développement durable est le REFEDD : le Réseau Français des Etudiants pour le
Développement Durable. Créée en 2007, ce réseau d’associations est le premier promoteur du
développement durable dans le monde estudiantin.

Le REFEDD « marche sur deux jambes » : d’un côté ils ont une action concrète de terrain
par rapport au développement durable. Organisation d’événements responsables, coordination
nationale (comme la semaine étudiante du développement durable), stands de sensibilisation…
Et de l’autre un volet plaidoyer, représentation et négociation avec les ministères. Un modèle qui
n’est pas sans rappeler… celui du réseau de la FAGE ! En effet, le REFEDD s’ancre dans le
mouvement des organisations de transformation sociale, appliquant au quotidien les positions
qu’il promeut à la société, entraînant la société avec lui.
Ces deux organisations étudiantes ne sont pas proches que sur leurs modes de
fonctionnement. En 2015, elles cosignèrent le « Manifeste pour un enseignement supérieur
durable ». Ce dernier se divise en deux parties. La première pose le constat du manque
d’implication du monde de l’enseignement supérieur français dans le développement durable,
affirmant que seul un tiers des établissements français avaient mis en place une démarche de
développement durable. Une proportion qui n’a que guère évolué depuis 3 ans…
La seconde avance des propositions visant à intégrer plus largement le développement
durable au sein de l’enseignement supérieur français. Au nombre de quatre, elles couvrent
(presque) tous les domaines de l’ESR :
- Le développement durable doit être considéré comme un enjeu stratégique de
l’enseignement supérieur ;
- Le développement durable doit être pleinement intégré au sein du fonctionnement
des établissements et des campus ;
- Le développement durable doit être pleinement intégré dans les enseignements
dispensés ;

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- Les étudiants, en tant que partie-prenante, doivent être pleinement associés à cette
démarche.

Ces quatre propositions marquent un réel tournant dans l’engagement des étudiants, en
affirmant clairement nos revendications et la nécessité pour les étudiants d’être intégrés aux
processus de réflexion et de mise en place du développement durable. Nous les avons reprises,
adaptées, enrichies pour mieux coller au contexte des études en sciences sociales. Ce n’est donc
pas être une surprise si nos propositions recoupent celles déjà exprimées par le REFEDD et la
FAGE.

Une autre initiative étudiante, plus récente, a vu le jour en se concentrant sur l’aspect
écologique (encore une fois) du développement durable : le manifeste pour un réveil écologique.
L’objet de ce manifeste est simple : réaffirmer la nécessité d’un changement de modèle
sociétal, demander à ce que les entreprises centrent leurs missions sur l’écologie et le progrès
social et environnemental, et s’engager à ne travailler que dans des entreprises respectant ces
conditions. Cette nouvelle forme d’engagement, hautement symbolique, est le reflet d’une
génération consciente que le poids de l’avenir pèse sur ses épaules.

Notre génération.

Au-delà de ces engagements très politiques, les étudiants apportent au quotidien des
réponses et des engagements durables sur les campus. Le premier moteur de cet engagement est
le monde associatif, qui compte depuis longtemps en ses rangs des acteurs du développement
durable. On a déjà cité le REFEDD, qui compte tout de même 119 ( !) associations membres et
qui s’illustre chaque année en organisant la Semaine Etudiante du Développement Durable, et
dont les associations membres ont une action quotidienne de promotion du développement
durable. Mais de nombreuses autres associations étudiantes ont à cœur ces missions de
développement durable et contribuent, même si ce n’est que ponctuellement, à en faire la
promotion et à sensibiliser leurs pairs à ces questions.
Cet engagement-là doit être encouragé et valorisé, tant par les étudiants eux-mêmes que
par les structures les encadrant. L’enjeu est d’offrir à toutes et tous un avenir serein, pérenne, et
vivable.

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II) La transition au durable : un processus holistique

A) Le développement durable doit devenir un objet d’enseignement commun aux


sciences sociales

1) La gestion durable des organisations : un aspect souvent mis de côté

On ne le répètera jamais assez, le développement durable est un processus qui doit être
inclus à tous les niveaux de la société ; le monde de l’entreprise ne fait pas exception. Que ce soit
dans leurs missions, leurs process, leur gestion des personnels… Les entreprises doivent faire plus
d’efforts pour intégrer le développement durable en leur sein. Cela doit passer notamment par
leur responsabilité sociétale et leur façon de manager leurs équipes.

Le 9 mars 2018, le gouvernement reçoit le rapport réalisé notamment par Jean-


Dominique Senard, président du groupe Michelin, et Nicole Notat, ancienne secrétaire générale
de la CFDT et présidente de Vigeo-Eiris, concernant la mission « Entreprise et Intérêt Général
». Ce rapport a pour objectif d’alimenter le projet de loi PACTE (Plan d’Action pour la
Croissance et la Transformation des Entreprises), et à pour figure de proue la dimension sociale
et environnementale des entreprises. Selon ce rapport, toute entreprise a une « raison d'être » qui
dépasse les exigences de rendement à court terme. L’idée est d’intégrer les problématiques
sociales et environnementales sur le long terme. De ce fait, ce rapport vise à inciter les entreprises
à "mieux partager la valeur créée et à repenser leur place dans la société".
Globalement, il n’y a pas en France de norme qui définisse des standards de performance
RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), et l'utilité sociale et environnementale de
l'entreprise n'est que peu reconnue dans le droit français, alors que 51 % des Français considèrent
qu’une entreprise doit être utile pour la société dans son ensemble. En revanche, il existe des
obligations en matière d’information du public. Les entreprises soumises aux lois Grenelle
doivent ainsi effectuer un reporting extra financier contenant entre autres leurs émissions de CO2
et d’autres indices de performance économique, environnementale et sociale qui constitue un
véritable incitatif pour responsabiliser les dirigeants d’entreprises.

L’idée que les entreprises doivent faire de la RSE, doivent être responsables, prend ses
racines dans les travaux de certains managers américains dans les années 1950, notamment

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Howard Bowen qui publie en 1953 un ouvrage intitulé La responsabilité sociale du businessman
dans lequel il explique pourquoi les entreprises ont intérêt à être plus responsable et donne la
première définition reconnue de la RSE, à savoir qu’elle consiste à « poursuivre les politiques de
prendre les décisions ou de suivre les orientations qui sont désirables en termes d’objectifs et de
valeurs de notre société ». Ces managers partent du postulat que si les entreprises se concentraient
davantage sur leur impact sociétal et moins sur leurs profits, elles en tireront bénéfice.
Par exemple, si une entreprise gère mieux son impact sur l’environnement, elle fera des
économies à long terme en évitant de devoir gérer des catastrophes naturelles. Avec le
développement des préoccupations environnementales, mais aussi sociales et économiques dans
la 2ème moitié du 20ème siècle et avec la mondialisation, la responsabilité des entreprises devient
un enjeu de plus en plus important. De plus en plus de consommateurs deviennent critique vis-
à-vis des entreprises et veulent que ces dernières respectent mieux les lois, l’environnement et
soient plus responsables en général.
C’est pourquoi de nos jours, cette responsabilisation commence véritablement à
s’imposer dans les modes de fonctionnement des entreprises. Dans sa communication sur la RSE
de 2011, la Commission Européenne précise : « Afin de s’acquitter pleinement de leur
responsabilité sociale, il convient que les entreprises aient engagé, en collaboration étroite avec
leurs parties prenantes, un processus destiné à intégrer les préoccupations en matière sociale,
environnementale, éthique, de droits de l’homme et de consommateurs dans leurs activités
commerciales. »

Cependant, il est vite apparu que pour donner du crédit et de la cohérence à la RSE, il
fallait la codifier. L’ISO 26000 présente des lignes directrices pour tout type d’organisation
cherchant à assumer la responsabilité des impacts de ses décisions et activités. Cet ISO définit 7
questions centrales qui sont autant de thématiques à prendre en considération au sein des
organisations dans la perspective et la promotion d’un développement durable (cf. graphique 6
annexe 1).

Aussi, chaque organisation est libre de cheminer à son rythme dans la mise en œuvre de
ces actions ou de les adapter à leur contexte propre. Si on associe beaucoup la RSE à la protection
de l’environnement, ce n’est donc pas le seul domaine où elle intervient. Économique, sociale,
culturelle et même éducative : la RSE est présente dans tous les domaines. D’ailleurs, de nos
jours, on constate une réelle prise de conscience des consommateurs envers ces problématiques
sociétales avec l’avènement de l’agriculture biologique ou du commerce équitable notamment.

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En effet, en 1995 moins de 100 000 ha étaient engagés tandis qu’en 2017 c’est plus d’1,2 millions
d’hectares qui sont certifiés bio et 65 000 fermes et entreprises engagées. De même pour le
commerce équitable, ce dernier est en pleine expansion. A lui seul, le label Fair Trade/Max
Havelaar rassemble aujourd’hui 1,6 millions de producteurs et travailleurs à travers le monde et
1411 organisations coopératives, alors qu’il n’existait pas il y a 25 ans.

Néanmoins, les problématiques environnementales sont malgré tout centrales dans le


cadre de la RSE. De plus en plus d’entreprises introduisent les préoccupations écologiques et
responsables dans leurs systèmes de gestion internes, afin de réduire leurs déchets, leurs
consommations de ressources ou leurs impacts sur l’environnement. La norme ISO 14001 a
d’ailleurs été spécialement créée afin d’aider les entreprises à mettre en place un système de
management environnemental dans le cadre de la RSE.
Cette norme propose ainsi des objectifs et moyens concrets, tels que mettre un place un
programme de réduction des déchets papiers et de recyclage, favoriser les transports non-
polluants via un plan de déplacement d’entreprise ou encore mettre le principe d’écoconception
des produits au centre des chaînes de production.

Toutefois l’aspect social est tout aussi prépondérant que l’aspect environnemental, et les
propositions d’action que peuvent mener les entreprises sont nombreuses ! Le mécénat de
compétence (ou pro bono), c’est-à-dire la mise à disposition des salariés pour aider des
associations, est une des principales idées proposées. Les dirigeants d’entreprises ont aussi la
possibilité de participer à des programmes humanitaires, d’établir une charte éthique contre la
corruption, de prendre soin de l’ergonomie au travail ou encore de participer à des programmes
d’inclusion sociale.
Enfin, le dernier aspect de la RSE est culturel. En effet, les entreprises doivent prendre
en main le développement de la culture, cette fois en mettant en place un mécénat culturel pour
soutenir des musées ou expositions, ou encore mettre en avant des associations artistiques et
sportives. Cependant, le mécénat n’est pas le seul moyen d’action des entreprises dans le domaine
culturel ! Devenir partie prenante de la médiation culturelle, c’est également autoriser ses locaux
à accueillir des expositions, des concerts, des performances… qui peuvent tout aussi bien être
ouverts aux employés qu’au grand public.

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La RSE regroupe donc l’ensemble des pratiques mises en place par les entreprises dans
le but de respecter les principes du développement durable, c’est-à-dire être économiquement
viable, avoir un impact positif sur la société mais aussi mieux respecter l’environnement.
Ces nouvelles dispositions représentent toutefois une obligation de moyens pour les
entreprises, pas une obligation de résultats. Elles doivent donc montrer qu’elles ont bien pris en
considération les différents éléments sans pour autant avoir d’objectifs imposés. Rappelons que
pour beaucoup d’entrepreneurs, c’est l’amour du métier et l’aventure humaine qui devancent les
objectifs financiers ; or, engager sa structure dans le développement durable c’est s’engager dans
une aventure humaine, collective et sociétale majeure.
La RSE devient véritablement un instrument de management, de communication et de
développement pour les entreprises. Pour poursuivre ces objectifs, de nombreux outils se
développent pour permettre aux entreprises de mieux quantifier leurs performances et leurs
actions en matière de développement durable. Par exemple, les entreprises utilisent désormais
l’ACV (Analyse de Cycle de Vie) pour quantifier leurs émissions de gaz à effet de serre et leurs
impacts sur l’environnement. D’autres outils se développent pour mieux prendre en compte les
attentes des parties prenantes, pour mieux communiquer.

Cette transformation de la société, cette tendance que nous devons accompagner, nous
devons nécessairement l’intégrer dans nos enseignements. Il est aujourd’hui aberrant de
continuer à enseigner un modèle dépassé, celui d’un système qui fait primer la performance
économique sur tout le reste. Nous devons collectivement sortir de ce modèle, nous engager dans
une voie meilleure et plus respectueuse des Hommes et de l’environnement.
Les managers de demain doivent être formés à la gestion d’entreprise en connaissance de
cause. La RSE doit devenir l’un des axes incontournables de l’enseignement en sciences de
gestion, et elle doit l’être de manière transversale. Elle doit impliquer toutes les dimensions de la
gestion : financière, humaine, productive… Notre préservation collective y est conditionnée.

Le développement durable et la RSE doivent être vus et compris comme des processus
holistique. A ce titre, la gestion des personnels doit s’intégrer dans un mouvement sociétal, aller
vers une société du bien-vivre, et surtout du bien-vivre ensemble. C’est l’un des enjeux des
nouvelles formes de management : permettre à chacun de s’épanouir dans son environnement
professionnel et d’arrêter de subir l’aliénation que peuvent générer de (trop) nombreuses
entreprises et administrations.

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Ces nouvelles formes de management, on peut grossièrement les rassembler en deux
catégories : le management « doux », ou de changement, et le passage à un management
horizontal.

Le management doux a commencé à apparaître et à se répandre à partir de la fin des


années 90. En rupture avec le management tel qu’on se le représente majoritairement
aujourd’hui, qui est un management taylorien, d’objectifs, focalisé sur la performance… le
management doux vise à transformer l’entreprise de l’intérieur.
Cette transformation a plusieurs objectifs : le premier est, évidemment, d’améliorer la
performance économique de l’entreprise. Toutefois, les théoriciens du management doux
(comme le Dr Saad al Barak5) mettent l’accent sur le fait que la performance économique ne fait
pas tout. Ou tout du moins ne doit pas être l’objectif direct d’un manager. La priorité pour toute
personne encadrant des salariés doit être de connaître ses hommes, d’être proches
émotionnellement d’eux, pour à la fois faire remonter de la base les changements nécessaires
dans la structure de l’entreprise et implémenter au sein de cette même base les volontés de
changement de la direction.
Dans une telle structure, un manager n’est plus un opérateur direct mais un intermédiaire
entre la direction et les salariés. Il doit pouvoir tout à la fois maintenir son travail de prévision, de
supervision et de stratégie opérationnelle tout en devenant le premier relais des hommes et des
femmes avec lesquels il travaille. Ce travail implique de sortir du logiciel de pensée réduisant la
tâche du gestionnaire à la réalisation de plans et de process. Dans le management doux, le
manager retrouve lui aussi sa place d’être humain.

Pour Saad al Barak, les managers peuvent rentrer dans deux catégories : transactionnels
ou transformationnels.
Les premiers sont des managers plutôt au sens du management « dur », traditionnel : leur
talent réside dans leur capacité à mettre en place des process, des systèmes et un état d’esprit
corporate. Ils sont bons pour rendre leur entreprise plus efficace, ils savent faire faire.
Les seconds sont au contraire plus originaux, leur force réside dans leur capacité à
innover, à transformer leur environnement en quelque chose de nouveau ; ce type de manager
va permettre à l’entreprise de changer (de phase, de structure, d’envergure…).

5
Ingénieur et homme d’affaire Koweïtien, ancien directeur de l’entreprise de télécommunications Zain

24
Ces deux types de managers ont pendant longtemps été opposés. L’enjeu du management
doux est de permettre une synthèse de ces manières de manager. Nous devons collectivement
être capable de nous dire « Certes il faut des process pour permettre de cadrer le travail de nos
employés et aller vers notre objectif, mais ce travail ne doit pas être fait en laissant de côté les
individus. Nous devons prendre l’avis de toutes les parties prenantes, impliquer tout le monde
dans ce changement et transformer ceux qui étaient des opérateurs, qui subissaient les
changements que nous leur imposions, en constructeurs de leur cadre de travail futur. »

Cette révolution managériale doit aller de pair avec un changement des manières
d’accompagner le travail. On connaît le rôle des comités d’entreprise qui offrent des services en
dehors du travail aux employés des entreprises. Ce rôle d’offre de services doit aujourd’hui
dépasser ce cadre.
Les grandes entreprises du secteur technologique, et notamment Google, peuvent être
considérées comme des exemples. Malgré un système managérial très dur, avec des exigences de
performance très élevées, la majorité des employés de Google se déclarent heureux. Comment
cela peut-il être possible ?
Nous avons tous déjà entendu parler un jour ou l’autre du plaisir que l’on peut prendre à
travailler à Google : des tables de ping-pong en libre-service, un toboggan qui permet de naviguer
entre les étages, des encas et confiseries gratuitement et à foison… Ces extravagances attrapent
l’œil et font rêver l’esprit, mais toutes les entreprises n’ont pas les moyens de se les offrir. Il
semblerait pourtant que ce ne sont pas les principaux éléments du bonheur des employés de
Google. Mais quoi alors ? La réponse se trouve peut-être dans une étude de 2011 analysant l’effet
des programmes de bien-être sur la productivité et le bien-être des salariés.6
Cette étude montre quelque chose de finalement assez prévisible : être en bonne santé et
en bonne forme physique améliore le bien-être et la productivité au travail. En revanche, elle
montre aussi que c’est lorsque de tels programmes de remise en forme sont institués dans une
entreprise, et que tous les employés doivent donc s’y soumettre, qu’ils fonctionnent le mieux.
Alors, comment a fait Google ?
Leur démarche réside, contrairement aux apparences, dans la simplicité des incitations
mises en place. La première se trouve au niveau du snacking : les produits sains (barres de
céréales non sucrées, fruits…) sont placés dans des récipients transparents et facilement visibles,
alors que les confiseries sont plus dissimulées. Ainsi, un employé aura plus tendance à attraper

6
Effectiveness of a worksite wellness program on health behaviors and personal health (2011), R.M. Merill,
A. Anderson & S.M. Thygerson, Journal of Occupational and Environmental Medicine

25
une banane qu’une barre chocolatée. De même, les produits proposés dans le restaurant
d’entreprise sont organisés par un code couleur selon leur qualité nutritive. Ce qui n’est pas bon
pour la santé sera codé en rouge, alors que des produits de meilleure qualité seront labellisés en
vert. Des incitations un peu plus insidieuses, comme le fait de proposer des réductions sur la
mutuelle d’entreprises aux salariés ayant effectué un certain nombre d’heures d’activité physique
durant le mois, permettent également à Google d’avoir un plus grand nombre d’employés faisant
du sport. Ceci est d’autant plus vrai qu’ils mettent à disposition des salles de sport au sein de
l’entreprise ou, pour les filiales n’ayant pas la place, des abonnements au rabais dans des salles
de sport partenaires.
Ainsi, en s’assurant que ses employés soient en forme, en bonne santé et surtout heureux,
Google a développé une stratégie managériale permettant d’atteindre leurs objectifs élevés tout
en s’assurant le bien-être, la réussite et la fidélité de ses employés.

Toutefois, ces innovations managériales viennent toujours du haut pour aller vers la base ;
c’est une approche que l’on qualifie de « Top-Down ». L’autre type de révolution managériale
est d’inverser le rapport hiérarchique : passer d’une organisation verticale à une organisation
horizontale.
Mais pourquoi un manager accepterait de sacrifier son autorité pour la partager avec ses
collègues ? Eh bien simplement en acceptant les règles d’une entreprise plus démocratique.
Le management horizontal redéfinit la structure hiérarchique d’une entreprise en
aplanissant les relations entre individus au sein de la structure productive. Dans ce système, le
manager passe d’un rôle de décideur à un rôle d’accompagnateur. A la manière du management
doux, il se recentre sur les préoccupations directes de son équipe, les écoute et les fait participer.
La différence étant que là, les idées et les décisions sont prises collectivement : que l’on soit
ingénieur ou ouvrier, une nouvelle direction de l’entreprise va tous nous concerner. Aussi, il est
logique que la réflexion autour de ces nouvelles directions soient prises ensemble, afin de pouvoir
prendre en compte les avis et préoccupations de chacun.
Dans une société réclamant plus de démocratie, qui se fie de plus en plus à l’intelligence
collective, il serait anormal que le monde de l’entreprise ne réponde pas à ces aspirations. On
peut donc légitimement demander à ce que le management horizontal et la démocratie
d’entreprise se répandent bien plus qu’aujourd’hui.

On peut distinguer deux manières d’organiser ce management horizontal : à l’intérieur


des unités de production ou à l’échelle de l’entreprise.

26
Au niveau de l’unité de production, les décisions sont prises collectivement au sein de
l’unité et les décisions ne peuvent concerner que ce qui va directement toucher les salariés de
ladite unité : modèle organisationnel, rythmes de travail, rôle de chacun…
Au niveau de l’entreprise, il s’agit de changer de modèle pour passer du modèle capitaliste
traditionnel, où les propriétaires du capital prennent toutes les grandes décisions, à un modèle
plus proche du modèle coopératif dans lequel tous les employés sont impliqués dans le processus
de prise de décision.
Un premier pas dans cette direction a été effectué dans la Loi Travail de 2016 avec le
référendum d’entreprise. Ce dernier permet à des représentants du personnel, ou à 30% des
salariés dans les entreprises trop petites pour avoir des délégués du personnel, de proposer un
référendum d’entreprise dont l’exécution devra être assurée par l’employeur.
Ces référendums d’entreprise ont été largement contestés lors des manifestations contre
le Loi Travail car ils permettaient l’inversion des normes ; c’est-à-dire que le texte du référendum
primait sur les conventions collectives et le texte de loi. Nous ne traiterons pas ici de la pertinence
d’un tel dispositif, afin de nous concentrer sur les perspectives purement en matière de
démocratie dans l’entreprise.
Impliquer les personnels dans l’orientation stratégique de l’entreprise, implication
permise par le référendum d’entreprise, permet de les souder autour du projet de l’entreprise,
qui devient alors leur projet. Rendre aux salariés le fruit de leur travail, en l’occurrence en leur
permettant d’être décisionnaire sur leur activité professionnelle et l’usage fait de son fruit, permet
de casser l’aliénation dont beaucoup sont victimes. Ce faisant, on contribue à réduire la souffrance
au travail, à réduire le nombre de syndromes d’épuisement professionnel (ou burn-out) et à
améliorer la productivité des salariés en donnant du sens à leur activité.
Tout cela est d’autant plus vrai dans le monde des entreprises coopératives de production
(SCOP, SCIC7). En effet, faire des salariés les garants de la pérennité de l’entreprise en en faisant
des copropriétaires est la solution la plus radicale pour les unir autour d’un projet commun et
appliquer un management horizontal.

Toutes ces formes de management ne sont hélas que trop rarement vues dans nos
universités. Il est temps que les nouvelles formes de management se fassent une place, qu’on
parle aux étudiants des coopératives, mutuelles et autres acteurs de l’Economie Sociale et
Solidaire essayant de réintégrer la démocratie dans les entreprises. Il est temps que les dirigeants

7
SCOP : Société Coopérative et Participative ; SCIC : Société Coopérative d’Intérêt Collectif

27
se rendent compte que la source de leurs profits peut venir de gestes simples rendant les gens
heureux. Eduquer au développement durable, c’est éduquer au bien-vivre ensemble. Quel
meilleur endroit que son lieu de travail pour l’appliquer concrètement ?

2) La finance éthique : mettre nos capacités au service du bien commun

Enfin, il reste un dernier volet de la gestion des organisations devant se convertir au


développement durable ; celui de la finance. Fort heureusement, ce mouvement a déjà débuté
avec ce qu’on appelle la finance éthique.
On connaît tous les travers que l’on peut reprocher au monde de la finance : il accroît les
inégalités, est déconnecté de l’économie réelle, favorise les énergies fossiles, ne cherche que le
profit immédiat sans considération pour le coût social… Et toutes ces remarques sont légitimes.
Cependant, il existe d’autres formes de finance, moins connues, qu’on appelle finance éthique.
Le but de cette nouvelle finance est de recommencer un financement par objet et non plus selon
des critères de rentabilité. Rassemblée au sein des investissements socialement responsables
(ISR), la finance éthique est actuellement en plein développement.

En quoi la finance éthique est-elle différente de la finance traditionnelle ?

La première chose à noter est que les ISR sont des placements, comme on peut les
connaître dans n’importe quelle banque, mais qui diffèrent sur leur finalité : là où dans un
placement classique on n’aura des informations que sur la rentabilité, le degré de risque… Les
ISR offrent ces mêmes renseignements. Cependant, ils offrent en sus la finalité de l’investissement
effectué.
Ainsi, la finance éthique contribue à redonner du sens à la finance, en la redirigeant vers
ce pour quoi elle a été inventée à la base : se servir de l’épargne des agents économiques pour
financer les projets d’autres agents. Pas à créer virtuellement encore plus d’agent grâce à des
dérivés de produits financiers ou des micro transactions, comme c’est trop souvent le cas
aujourd’hui. De plus, ces ISR sont toujours orientés vers des projets à utilité sociale. Cette « autre
» finance se propose de répondre à une urgence éthique : construire un système économique et
financier qui soit plus juste et davantage soucieux d’un bien commun

28
Aujourd’hui la finance éthique n’est pas assez présente, que ce soit dans les produits
proposés par les banques à leurs clients ou en proportion du total des investissements réalisés 8.
Or, son développement ne tient qu’à l’implication des consommateurs et des financiers de
demain.

Car oui, les consommateurs ne pourront pas, ici, être les seuls à faire changer les
pratiques. Il est aujourd’hui nécessaire d’introduire l’éthique au sein des outils utilisés par les
financiers. On a pour coutume de dire qu’un outil est neutre, que seul l’usage est vrai a de
l’importance. Or, ce qui est vrai pour un marteau ne saurait l’être pour la finance ! Là où le
marteau existe de manière concrète et a des effets tangibles, les outils de la finance ont été créés
ex-nihilo pour gérer une masse monétaire n’ayant pas plus de réalité concrète.
Les outils de gestion financière, loin d’être uniquement des aides à la prise de décisions
(fussent-elles inspirées par des valeurs respectables), apparaissent bien davantage comme des
transmetteurs de représentations scientifiques élaborées par la théorie financière, représentations
pouvant inclure des modélisations mathématiques très abstraites. Or, ces modèles ont été
construits avec un présupposé théorique : la maximisation des profits, issue du système capitaliste.
On ne peut donc pas, ou difficilement, lutter contre la finance traditionnelle et son manque de
morale avec les outils qu’elle nous a fournis.
Par exemple, élaborer un modèle de risque de crédit ne signifie pas juste entreprendre
une description des risques que prennent les banques lorsqu’elles octroient un crédit, mais
construire un objet théorique qui va modifier les pratiques du risque de crédit. C’est pourquoi
les sociologues des sciences considèrent qu’il n’y a pas de « réalité financière », car l’objet d’étude
n’est pas concret mais créé par sa propre théorie.

Un réveil collectif des acteurs de la finance solidaire est nécessaire. Ce réveil doit être
multiscalaire : il doit concerner la promotion des produits financiers solidaires, il doit concerner
la formation des financiers de demain qui devront être formés aux enjeux et méthodes de la
finance solidaire. Et, surtout, il faut un réveil des chercheurs en finance sensibles à ces thèmes :
nous avons besoin de vous pour mettre au point des outils financiers éthiques, permettant un réel
épanouissement de la finance éthique et solidaire.
Puis, une fois que ces nouveaux outils auront été créés, il faudra que nous travaillions
ensemble à la réforme du cadre légal encadrant les produits financiers. Ces derniers sont

8
En 2014, 6 milliards d’euros dédiés aux ISR contre 3000 milliards pour des produits traditionnels

29
strictement encadrés au niveau européen notamment par les directives 2014/65/UE, qui vise à
faire tendre les échanges financiers vers un idéal tel que défini par la théorie classique, et
2009/138/CE qui imposent des règles de calcul des réserves validant la théorie financière
classique.
Voilà les conditions nécessaires pour que la finance retrouve sa place : celle d’un service
aux entrepreneurs, qui finance des projets concrets et utiles. Nous devons nous doter de nos
propres outils, créer nos propres réseaux de diffusion, et enfin faire changer le cadre légal pour
permettre à la finance éthique de vivre en toute tranquilité.

3) Le droit de l’environnement, une discipline mise au ban

Le premier constat que l’on peut poser quant au droit de l’environnement, c’est que la
matière souffre de son intitulé. Le droit de l’environnement est cloisonné, différencié des autres
disciplines juridiques, alors que son intérêt réside dans sa transversalité.
Cela se traduit d’abord dans le nombre de formations proposées en la matière. Les Master
2 spécialisés en droit de l’environnement représentent 2% des Master 2 en droit en France. 16
mentions de Master 2 sur 723 possible. A titre de comparaison, le droit des affaires au sens large
concerne 140 Master 2, soit un peu plus de 19%9. Dès lors, on peut se poser la question de
pourquoi un tel désamour ?

La réponse est simple : parce que le droit de l’environnement est aujourd’hui mis au ban
des disciplines juridiques. On l’aborde rarement avant le niveau Master, ce qui fait que nombre
d’étudiants juristes n’auront pas de réelle formation en droit de l’environnement comme ils ont
pu en recevoir dans la plupart des autres domaines.
On peut pousser le paradoxe encore plus loin : la majorité de ces formations sont
d’excellente qualité, faisant intervenir des spécialistes de haut niveau, mais ne remplissent
pourtant pas. Pourquoi ça ? Tout simplement car, comme on l’a dit, il n’y a presque pas de droit
de l’environnement dans les études de 1er cycle. Si les étudiants ne sont pas au courant que, d’une,
cette matière existe et, de deux, qu’on peut faire un Master dedans alors cela risque de poser
problème. Evidemment, le nombre de candidatures sera limité à un petit nombre d’étudiants
pour qui faire un Master en droit de l’environnement correspond plus à un idéal militant qu’à un
choix de formation lambda. Il faut souligner ici que la notion d’idéal militant n’a rien de péjoratif,

9
Source : www.carto-master.org

30
elle correspond à la volonté d’accorder ses études avec ses idéaux. On pourrait, pour grossir le
trait, dire que c’est le même type de choix qui pousse à devenir assistant social : on le fait
généralement par conviction que ce métier sera utile plus que pour autre chose.
Ainsi la première faiblesse du droit de l’environnement est le manque de visibilité dont il
souffre, et qui a des conséquences néfastes sur l’orientation des étudiants. Il y a pourtant des
pistes concrètes d’amélioration qui existent !

Il faudrait aujourd’hui transformer cette approche. Inclure le droit de l’environnement


dans toutes les autres disciplines juridiques, tout en continuant à proposer des parcours
spécialisés, lui permettrait de revenir au centre des préoccupations juridiques, à l’instar du droit
international il y a quelques années. Il aurait ainsi droit à la place qui lui revient.
Cette transformation du droit de l’environnement et de la façon qu’on a, collectivement,
de l’envisager pourrait aboutir à une revalorisation de son image. Augmentation du nombre de
formations, hausse des ressources lui étant affecté dans le domaine de la recherche, possibilité
d’avoir plus de contrats CIFRE pour les doctorants… Voilà ce vers quoi nous devrions tendre.
De plus le droit de l’environnement, comme le reste du développement durable, a une
dimension holistique. De la même manière que le droit des contrats et des obligations est un
must-have des formations de licence en économie-gestion, le droit de l’environnement devrait
devenir une discipline basique des sciences sociales. Car, au même titre que la comptabilité, il
façonne la manière d’être des entreprises et des citoyens, change le cadre de pensée et a un impact
sur les comportements sociaux. Plus il sera (re)connu, plus son impact sera important dans le
reste des sciences sociales.

4) Santé, urbanisme… Le développement durable est l’occasion de s’ouvrir à


d’autres disciplines

Les différentes filières des sciences sociales sont des formations permettant un très grand
nombre de débouchées. En effet, ces études apprennent à apprendre, permettent une grande
capacité d’adaptation et donnent des qualités rédactionnelles et relationnelles. Ainsi, de
nombreux domaines sont attribués à ces filières tels que les domaines de santé et d’urbanisme.
Qu’en est-il alors de l’enseignement du développement durable dans ces domaines et à
quel état de conscientisation en est-on ?

31
En effet, il parait compliqué de concilier santé et développement durable, la santé étant
un domaine ne pouvant quasiment pas faire de concessions énergétiques. Cependant, le constat
reste néanmoins que la pollution est préjudiciable pour la santé. La pollution de l’air a des impacts
importants sur la santé puisqu’elle est à l’origine de nombreuses maladies et de décès prématurés,
notamment les maladies cardiovasculaires. Alors si le domaine médical doit soigner, il a
également pour mission de s’assurer de la prévention des maladies.
C’est ainsi que les hôpitaux certifiés Haute Qualité Environnementale (HQE)
commencent à apparaitre en France. Leur priorité reste le soin aux patients mais tout en intégrant
dans leur process la préservation de l’environnement. Quelques établissements en France
choisissent de relever le défi même si les économies qui en résultent restent très relatives. Le 29
avril 2008 un référentiel pour la certification d’une démarche HQE spécifique aux établissements
de santé apparait sous l’impulsion de la caisse des dépôts et consignations ainsi que la Mission
Nationale d’Appui à l’Investissement Hospitalier (MAINH), sur fond de texte législatif issu du
Grenelle de l’environnement. Ce dernier ayant était validé par l’Agence Nationale d’Appui à la
Performance des établissements de santé et médicosociaux (ANAP) ainsi que par le ministère de
la santé.
Ce référentiel reprend les thèmes de l’écoconstruction, l’éco-gestion, le confort et la santé.
Au cœur des priorités hospitalières on retrouve le choix des produits, des systèmes et des
procédés de construction, la gestion de l’énergie ainsi que la qualité sanitaire de l’air. Cette
certification n’est pas obligatoire mais constitue un premier pas volontaire des centres hospitaliers
vers le développement durable et le respect de l’environnement. En effet, les centres hospitaliers
publics et privés en France sont de très gros consommateurs d’énergies, avec une consommation
en électricité d’environ 340 à 500 kilowatts-heures par mètre carré et par an sans compter
l’utilisation de mètres cubes d’eau et l’émission de tonnes de déchets et de C02. Au vu du nombre
de bâtiments concernés, les économies réalisées en maîtrisant au mieux les ressources pourraient
être colossales.
On peut donc en conclure que pour un système de santé plus durable les axes de travail
qui en découlent proviennent d’efforts faits dans l’optique d’une gestion plus durable des centres
hospitaliers ainsi que de tout établissement relevant du domaine de la santé. Les futurs
gestionnaires de centres hospitaliers sont des étudiants provenant majoritairement des filières de
sciences sociales.
Ainsi, ce sont ces étudiants qu’il faut sensibiliser, qu’il faut conscientiser au
développement durable et pousser vers un management et une gestion durable de la santé. Or,
dans les maquettes des masters de management des instituts de la santé on ne retrouve pas

32
d’enseignement liés au management durable de ces instituts. En effet, on retrouve des
thématiques économiques, juridiques, sanitaire, social, éthique et déontologique mais quasiment
rien concernant l’enseignement d’une meilleure maîtrise des ressources.

De même, lorsqu’on parle d’urbanisme durable il faut prendre en compte plusieurs


dimensions telles que la technologie, l’économie, l’écologie, le social et plus largement la culture.
Il faut aujourd’hui penser les villes différemment, en intégrant un modèle d’aménagement et de
développement urbain, mais il s’agit également de développer d’autres modes de vie, de façons
d’habiter, de se déplacer et de consommer. L’urbanisme durable s’inscrit au sein de processus,
de projets et de progrès qui ré-interpellent les pratiques professionnelles, les responsables
politiques et acteurs locaux que représentent les habitants.
Selon le centre ressources de développement durable (CERDD) l’apprentissage de
comportements « écoresponsables » par les acteurs de la ville, et en particulier les habitants,
demeure un enjeu clef pour une réelle maîtrise des ressources et des usages en ville. Dans cette
perspective, l’urbanisme se doit aujourd’hui d’être un vecteur et un moyen d’appropriation de
modes de vie plus durables.
Pour le Conseil d’Architecture d’Urbanisme et de l’Environnement (CAUE), il faut
aménager en pensant globalement, il faut consommer moins d’espace, adapter de nouvelles
valeurs et contribuer à de nouveaux paysages. L’enjeu de l’urbanisme durable est donc de
répondre aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures à
répondre à leurs propres besoins. Il doit être adapté au territoire et doit permettre une évolution
équilibrée.
Ainsi au vu de ces constats, de nouveaux objectifs apparaissent dans le domaine de
l’urbanisme tel que le retour à la nature au sein des villes en aménageant des parcs ou des espaces
verts sur le toit des bâtiments. Il s’agit également de repenser l’emprise de la voiture et de
développer de nouvelles alternatives, notamment l’usage du vélo, des transports en commun,
repenser nos villes en prenant en compte les rythmes de la mobilité et en prévoyant des
alternatives à l’automobile. Une prise de conscience est aussi à faire quant aux matériaux utilisés
dans la construction des bâtiments ainsi que leur provenance. On voit peu à peu une
conscientisation se développer en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire avec de
nouvelles perspectives qui s’offrent à nous. Cependant quand est-il au sein de nos formations ?

Dans les masters de développement territorial et dans les formations d’urbanisme, on voit
peu à peu se développer comme fil rouge des enseignements portants sur les problématiques de

33
développement durable et les manières de les résoudre de par l’aménagement de nos territoires.
En effet, avec des intitulés de matières tel que « Aménagement et développement
durable des territoires » on s’imagine à raison un enseignement tourné vers le développement
durable et sa prise en compte dans l’aménagement du territoire.
Cependant, même si les efforts concernant ces formations sont indéniables, on s’aperçoit
que les associations et les collectifs sont en avance par rapport aux professionnels concernant ces
problématiques et sur les moyens de les résoudre. On citera le Collectif Etc., qui a pour volonté
de rassembler des énergies autour d’une dynamique commune de questionnement de l’espace
urbain en impliquant de façon prépondérante les habitants des quartiers.
Il faudrait ainsi, pour conscientiser au maximum les étudiants de ces formations et donc
les professionnels de demain, rendre ces formations encore plus durables qu’elles ne le sont déjà
en leur faisant par exemple intégrer des intervenants issus de ces associations et collectifs.

B) Cette approche transversale doit également se ressentir dans les façons


d’apprendre

1) Une constitution écologique ?

Les problématiques de développement durable sont parties prenantes de la société dans


laquelle nous vivons, et le cadre légal a dû s’adapter. Et c’est par ce cadre légal que l’on peut
encourager l’enseignement supérieur à intégrer pleinement ces problématiques. On dispose à ce
jour de deux textes fondamentaux en matière notamment d’environnement : le Code de
l’Environnement (CE) et la Charte de l’Environnement.
Un moyen de faire appliquer les notions de développement durable, de préservation de
l’environnement, ainsi que les principes supérieurs qu’il implique10 au sein de notre enseignement
supérieur est d’intégrer ce lien dans l’ordre juridique français pour contraindre les acteurs
concernés à adopter des comportements adéquats sur ces questions. La valeur coercitive de ces
normes est proportionnelle à leur place dans la hiérarchie des normes. Sur ce constat, nos
principes fondamentaux ont été disposé par des textes de valeurs constitutionnelle et ont garanti
leur maintien, au travers de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel.
Pourrait-on s’inspirer de cette évolution, déjà appliquée de façon transversale aux
principes environnementaux évoqués ci-dessus, pour imposer un véritable droit à l’éducation

10
Principes d’intégration et de non-régression (article L110-1, II 9° du code de l’environnement), de
prévention (article 2 et 3 de la charte de l’environnement,), de précaution (article L110-II-1° CE) et de responsabilité
(au travers du principe du pollueur-payeur disposé à l’article L110-1 I 3° CE ou encore de l’article 4 de la charte)

34
environnementale et au développement durable ? Pour répondre à cette question, il faudra se
pencher sur la situation actuelle de ces principes environnementaux au sein de nos plus hautes
normes hiérarchiques, afin d’appréhender leur effectivité dans le monde de l’enseignement
supérieur. Cela fait, on pourra constater quels outils seront les plus efficaces pour assurer au plus
haut niveau hiérarchique un droit à l’éducation environnementale et au développement durable.

(a) La situation actuelle des principes supérieurs du droit de l’environnement

Les normes juridiques, dans notre ordre interne (c’est-à-dire à l’exception des textes
internationaux), sont organisées hiérarchiquement comme suit. Tout d’abord le corpus
constitutionnel (ou « bloc de constitutionnalité »)11, qui comprend la Constitution du 4 octobre
1958, le préambule de la Constitution de 1946 (y sont disposés des droits de « deuxième
génération » , comme la garantie de l’accès à l’éducation), la Déclaration des Droits de l’Homme
et du Citoyen de 1789 (disposant les droits « naturels » de l’homme), et les principes
fondamentaux reconnus par les lois de la république, qui sont des principes prétoriens dégagés
par le Conseil Constitutionnel dans ses décisions par lecture des principes et disposition du droit
dégagés par les républiques précédentes.

Cet ensemble constitutionnel a mis du temps pour laisser une place à l’environnement.
Contrairement à certains pays qui, depuis désormais une trentaine d’année, ont consacré des
principes environnementaux directement au sein de leur constitution (exemple de la constitution
chilienne), la France s’est beaucoup questionnée sur la pertinence de reconnaitre notamment des
droits en la matière, une partie de la doctrine posant l’effet pervers qu’une telle reconnaissance
constitutionnelle aurait sur les droits déjà établis et la conséquence de dilution de leur importance
que cette démarche aurait.
Dans le texte constitutionnel, les seules références environnementales et durables sont la
reconnaissance des droits et devoirs proclamés dans la charte de l’environnement, ainsi que la
compétence déduite du conseil économique, social et environnemental sur la question en raison
de son titre (articles 69 à 71). Le texte vient consacrer des droits et devoirs environnementaux,
toute la question est de connaître la teneur de ces droits, leur portée et leur effectivité au sein de
cette charte.

11
Consacré par la décision 71-44 du conseil constitutionnel (du 16 juillet 1971)

35
Par l’élaboration de la charte de l’environnement et sa mise en vigueur en 2004, puis la
reconnaissance de la valeur constitutionnelle de ses articles et de son préambule, les
préoccupations environnementales et les perspectives de développement durable sont consacrées
dans la plus haute sphère normative française. Le fonctionnement du texte est simple : le
préambule dispose de la reconnaissance des conséquences environnementales liées aux activités
humaines et des perspectives qu’il faut déduire du fait du lien indissociable de ce dernier et de
son environnement. A ce titre la protection de l’environnement rejoint les intérêts de la nation.
Cette protection doit se faire dans une perspective de durabilité. Le texte dispose ensuite des
droits environnementaux aux articles 1 et 7. Le premier article revient sur la notion d’un droit à
un environnement équilibré et respectueux de la santé quant au septième, il est un droit à
l’information environnementale.
Ainsi, nous voyons que les principes de développement durable, de protection de
l’environnement, de prévention et de précaution sont disposés au sein de la charte de
l’environnement. Il est maintenant temps de s’y intéresser en détail pour constater l’existence ou
non de principe ou droit à une éducation qui serait en adéquation avec les éléments de cette
charte et, si oui, voir s’il serait effectif.

(b) Effectivité des principes environnementaux sur l’enseignement supérieur

Des principes et obligations liés à l’enseignement sont disposés au sein des articles de la
charte, notamment l’article 8 qui dispose : « l’éducation et la formation à l’environnement doivent
contribuer à l’exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte ». L’article 9 poursuit
en disposant : « la recherche et l’innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à
la mise en valeur de l’environnement ».
Les questions de la portée et l’effectivité de ce principe sur l’enseignement supérieur (et
l’enseignement en général outre mesure) doivent ici se poser. Force est de constater que le
Conseil Constitutionnel ne s’est pour l’instant pas intéressé au caractère constitutionnel d’un «
droit à l’éducation et à la formation », du au fait qu’aucune juridiction ne l’ait saisi sur cette
question et sur ces articles. Par ailleurs, au sein de l’ensemble légal, seule la loi dite « Grenelle I
»12 était venu disposer en son article 55 : « l'éducation au développement durable est portée par

12
Loi n°2009-967 du 3 août 2009

36
toutes les disciplines et intégrée au fonctionnement quotidien des établissements scolaires. Elle
contribue, à travers ses dimensions éthiques et sociales, à la formation citoyenne ».
Cette loi n’a pas non plus été déférée devant le Conseil Constitutionnel. On peut noter
que le ton général de cet article voit un aspect programmatoire et non normatif, ce qui pourrait
l’amener à le rendre inopposable. L’article 9 n’a fait l’objet d’aucun contentieux et n’a visiblement
qu’un caractère programmatoire également, donc inopposable.
Pour ces deux articles, ces derniers n’apportent qu’une reconnaissance symbolique à la
préoccupation de la France dans la formation sur ces questions mais n’ont a priori aucun
caractère normatif. Toutefois, une saisine du Conseil Constitutionnel sur la question permettrait
de lever le voile définitivement sur cet aspect qui relève de la simple supposition. Néanmoins,
dans l’hypothèse où celui-ci ne serait jamais saisi, la problématique de la recherche de l’outil
normatif idéal pour consacrer ces principes au sein de nos formations se pose désormais.

(c) Les moyens d’assurer une consécration d’un droit à l’éducation


environnementale et au développement durable.

La première proposition qu’il serait possible de faire, serait de renforcer la place des
principes de droit de l’environnement (évoqués ci-dessus) au sein du bloc de constitutionnalité.
On peut pour ce faire proposer que les principes écologiques et solidaires soient incorporés au
sein de la Constitution, notamment dans son préambule pour renforcer son rôle symbolique.
Néanmoins, l’effectivité d’apporter une révision sur la logique environnementale au
préambule de la constitution serait inopportune, car elle est déjà présente au sein de ce même
préambule consacrant la charte de l’environnement. Un doublon ferait perdre en lisibilité et en
effectivité sur le sens du préambule. L’ajout de la notion de « république environnementale et
durable », déjà présente de façon beaucoup plus précise dans le préambule de la charte, pourrait
par ailleurs amener à reconsidérer l’efficacité de la charte. Cette dernière a tout de même un
caractère constitutionnel dans les droits qu’elle dispose,13 et bien plus complet par ailleurs qu’une
simple mention ajoutée au préambule. Par ailleurs, cette mention n’aurait qu’un caractère
déclaratif, à l’instar des principes de la charte, et ne pourrait se voir être opposable. Elle n’aurait
qu’un rôle déterminatif sur l’engagement de la France dans ces voies-là, laissant une liberté de
choix qui n’assure pas une application de ces notions sur le territoire et encore moins dans le
domaine particulier de l’enseignement supérieur.

13
Que cela soit pour le conseil constitutionnel par l’arrêt Casuka déjà cité, mais également par la cour de
cassation dans son arrêt du 19 juin 2008 sur la loi relative aux organismes génétiquement modifiés et le conseil d’Etat
dans son arrêt du 3 octobre 2008 Commune d’Annecy

37
La jurisprudence depuis la publication de la charte est abondante, pas moins de 568 arrêts
sur cette dernière entre 2005 et décembre 2017. Néanmoins, de nombreux auteurs et spécialistes
de la question, notamment Mattias Guyomar, rapporteur public, dans ses conclusions sur l’arrêt
CE du 19 juin 2006 « Eau et rivières de Bretagne », qui posait que le caractère trop général ou
vague de certaines dispositions de la charte14, bien que se voyant disposer un caractère
constitutionnel, voyaient leur invocabilité être relativisée par les juges. Ajouté à cela, l’imprécision
des requérants saisissant le juge dans leur demande, et on comprendra pourquoi l’application de
ces textes est très compliquée. Cette imprécision est très certainement due à ce même caractère
imprécis et vague.
Sur ce constat, une méthode semble se dessiner pour donner enfin un caractère qui serait
contraignant, qui viendrait lier l’interprétation des juges, afin d’intégrer avec force les notions
environnementales, de développement durable et notion de solidarité (dont le terme n’apparait
quant à lui nulle part, dans aucun texte) : plus qu’un principe, ce sont des droits qu’il faut disposer.
En effet, consacrer des droits permettent de les opposer devant des juridictions, ce qui
permet par la même occasion de renforcer leur application et leur respect. A l’image de certains
droits fondamentaux comme celui de la liberté d’opinion15, la meilleure méthode semble donc
de proposer une refonte de la charte de l’environnement et de disposer ainsi d’un droit à
l’éducation environnementale et de développement durable.

Néanmoins la disposition d’un tel droit devrait éviter les écueils d’autres droits disposés
et qui n’ont jamais eu une réelle opposabilité, à l’instar du droit à obtenir un emploi prévu dans
l’alinéa 5 du préambule de la constitution de 1946, souffrant d’un manque de précision et de
réelle application. Ce droit se devrait donc d’une relative précision afin de lier l’interprétation des
juges et éviter une trop grande invocabilité. Cette précision doit se faire sur l’objet de ce droit, à
savoir l’éducation environnementale et de développement durable dans les enseignements
secondaires et supérieures. Il doit définir son champ de compétence : les établissements
d’enseignement public français, et le but : la connaissance par chacun des enjeux
environnementaux.
Une fois ce droit disposé, ces modalités pourraient avoir des conséquences sur les codes
de l’environnement et de l’éducation, les réformant afin de prendre en compte la consécration

14
En l’occurrence, les articles 1, 2 et 6 de la Charte de l’environnement
15
Issu de l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, confirmé par la décision 94-345
DC du conseil constitutionnel

38
de ce droit nouveau si la volonté politique accompagne ce processus. Cette précision, nécessaire
pour le mettre en place dans nos établissements, viendra à renforcer l’applicabilité de ce droit.
Par ailleurs, si son caractère était constitutionnel, il devrait néanmoins affronter l’office du juge
qui, devant concilier l’ensemble des droits et principes à caractères fondamentaux, pourra parfois
trouver des intérêts divergents.

Une question se pose toutefois, la révision de ladite charte est-elle possible ? Aucune
disposition n’est prévue sur ce point. Une lecture dite par « parallélisme des formes » (principe
selon lequel la modification de ce texte serait possible dans les mêmes conditions ayant entrainé
son adoption) est ici possible.
La charte est issue du travail de la Commission Copens, et son adossement à la
constitution s’est faite par sa révision par la procédure de l’article 89, avec un vote d’approbation
des assemblées et un vote du Parlement réuni en Congrès. Il serait fortement envisageable de
proposer la rédaction d’une annexe à cette charte qui viendrait disposer de droits relatifs à la
formation et l’éducation environnementale et de développement durable. Cette annexe pourrait
par ailleurs être proposée en amendement du futur projet de loi constitutionnel, pour l’intégrer
dans la charte et dans la même occasion, intégrer le bloc de constitutionnalité.

Nous avons donc un créneau unique à exploiter : en profitant de la future révision


constitutionnelle, nous pourrions nous doter de vrais droits en matière d’enseignement durable !
Suite à cela, nous pourrons travailler de concert avec nos établissements à l’intégration de ces
problématiques dans nos enseignements.

2) Comment rendre son enseignement plus durable

Au-delà des contenus des enseignements, que nous avons pu évoquer plus tôt, il est
aujourd’hui nécessaire d’appliquer ces préceptes à la forme des enseignements.
La première chose venant à l’esprit lorsqu’on parle de rendre son enseignement plus
durable est la prise en compte de sa dimension environnementale – c’est-à-dire comment va-t-on
réduire l’empreinte carbone d’un enseignement ou ses déchets par exemple. Le premier constat
à poser est qu’aujourd’hui il n’existe pas de calculateur carbone spécifique au monde
universitaire. Ainsi, on n’a pas de référentiel commun permettant de comparer les performances
des universités françaises en matière de développement durable.

39
Toutefois, certains gestes de base semblent pouvoir être incorporés dans les
enseignements afin de réduire leur empreinte carbone. Le premier d’entre eux est, tout bêtement,
de réduire le nombre de polys distribués. Aujourd’hui la majorité des étudiants en sciences
sociales utilisent majoritairement leur ordinateur ; aussi ne plus distribuer systématiquement par
des supports numériques est un premier geste. Bien sûr, il ne faut pas oublier que tous les
étudiants n’ont pas d’ordinateur portable ou ne viennent pas en cours avec. Il faut donc prévoir
un certain nombre de photocopies, mais si elles ne concernent qu’une cinquantaine d’étudiants
dans un amphi de 500, c’est un début.
Dans la continuité, on sait que l’enseignement supérieur est extrêmement vorace en
papier, que ce soit lors des examens ou dans les services administratifs. Peut-être pourrions-nous
réfléchir à la pertinence de systématiser le recours au papier recyclé ? Ce dernier, moins cher
que du papier classique, permettrait tout à la fois de réduire la consommation de papier de
l’établissement tout en lui permettant d’économiser un peu de ses fonds.
Toujours dans une logique de réduire la consommation de papier, pourquoi ne pas
proposer les ouvrages universitaires dans un format dématérialisé ? Si un étudiant d’une
université pouvait ouvrir son ENT16, se rendre sur l’espace de la bibliothèque universitaire et
pouvoir y consulter n’importe quel ouvrage en format dématérialisé… On pourrait réduire les
frais des bibliothèques en n’achetant plus qu’un seul exemplaire de chaque ouvrage, ainsi réduire
la consommation de papier liée, et de même pour les étudiants ! Puisqu’il n’y aurait plus de
contrainte de limite des stocks, il n’y aurait plus non plus de besoin d’acheter son livre soi-même.

Des efforts peuvent également être faits par un UFR de manière plus globale. Il y a
régulièrement des salles inoccupées dans les bâtiments universitaires, et ces dernières sont parfois
fermées en dehors des horaires de cours – et ce bien qu’elles soient tout de même chauffées. Si
on autorisait les étudiants à pouvoir les utiliser comme salles de travail entre les cours, on ne
chaufferait plus à perte, et ce tout en offrant des espaces pédagogiques aux usagers.
Ces efforts pour réduire l’empreinte carbone des enseignements doivent également se
retranscrire dans les déplacements. Encourager la mobilité douce via un plan de déplacement
d’établissement et la présence de places de stationnement dédiées aux vélos, prendre en charge
une partie des abonnements de transport en commun… Ces initiatives se répandent chaque année
un peu plus, mais nous pouvons encore accroître le mouvement en en faisant un sujet d’actualité
au sein de nos UFR.

16
Espace Numérique de Travail

40
Cependant, rendre son enseignement plus durable, c’est aussi travailler sur la façon dont
on enseigne. Que peut-on changer dans nos pratiques pédagogiques pour les rendre plus
inclusives ? Pour rendre l’université réellement ouverte à tous ? Ces réflexions prennent une
place grandissante dans l’enseignement supérieur, à tel point que l’Université d’Ottawa a édité un
guide de pratiques pédagogiques inclusives à destination de ses enseignants.
Ce guide propose quatre grandes stratégies :
- Réfléchir aux objectifs, aux besoins d’apprentissage et aux besoins d’enseignement
- Favoriser l’apprentissage dynamique et la multiplicité des méthodes pédagogiques
- Offrir diverses options d’évaluation aux étudiants pour démontrer leur
compréhension du contenu
- Offrir du matériel pédagogique multimédia

Mais qu’est-ce qu’on entend au juste par pratiques d’enseignement inclusives ? Ce sont
toutes les méthodes permettant de s’adapter dans son enseignement aux spécificités individuelles
des étudiants, que ce soit en terme de méthodes ou de besoins, afin de passer d’une approche
réactive de l’enseignement (centrée sur l’enseignant) à une approche proactive (centrée sur
l’étudiant). De plus, elles font passer les enseignants d’un rôle de transmetteur d’information, à
la manière d’un cours magistral, à un rôle d’accompagnateur et de facilitateur d’apprentissage.
On élimine ainsi les différents obstacles à l’enseignement que l’on pourrait rencontrer.

La première étape est donc de se poser la question du contenu de l’enseignement. Dans


quel but ce cours est-il donné ? Que vais-je devoir apporter à mes étudiants ? Et comment ?
Il est important d’établir les éléments essentiels d’un cours au moment de sa conception.
Cela permet aux enseignants de cerner les connaissances, les savoir-faire ou les valeurs dont les
étudiants devraient pouvoir faire preuve à la fin du cours. Afin de transmettre le corpus de
compétences et valeurs définies au sein du cours, la meilleure approche, c’est-à-dire efficace et
non discriminatoire, consiste à énoncer clairement ce qui est attendu de tous les étudiants dès le
début du cours. Cette première étape consistant à discuter avec ses étudiants de ce qui est attendu
d’eux est primordial, en ce qu’elle permet à tous de mettre les choses à plat dès le départ.
Les éducateurs peuvent en outre poser la question suivante à leurs étudiants : « Qu’est-ce
que je devrais savoir sur vous comme apprenant pour que mon cours vous soit profitable? ». À
la mi semestre et en fin de semestre, ils peuvent aussi leur demander, par voie d’un sondage
anonyme, comment les méthodes d’enseignement utilisées ont eu un impact sur leur

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apprentissage individuel, et ce qu’ils suggèrent pour favoriser un apprentissage encore plus actif,
participatif et inclusif. Le retour d’expérience des usagers est fondamental dans l’adaptation à son
public. Qu’est-ce qui marche le mieux ? Le moins bien ? Comment s’améliorer ? Sans
l’expérience des étudiants, un enseignant ne pourra jamais bénéficier de ces informations.

La seconde étape est d’adapter son format d’enseignement afin de coller aux besoins
définis plus hauts.
Les meilleures pratiques pédagogiques veulent que les enseignants aident leurs étudiants
à s’investir dans leur apprentissage et à se responsabiliser. La disponibilité d’un enseignant ainsi
que son degré d’empathie peuvent être des moyens d’aider les étudiants à exprimer leurs besoins
et leur motivation à apprendre. L’enseignement inclusif doit s’appuyer sur ces meilleures
pratiques, en formalisant la façon dont les éducateurs conçoivent, préparent, présentent leurs
cours, et leur façon d’accompagner les étudiants.

La conception d’un cours doit se faire à rebours, c’est-à-dire en commençant par les
objectifs d’apprentissage pour définir les priorités en terme d’enseignement puis, de là,
l’articulation générale du cours. C’est en fin de processus que l’on va réfléchir aux exemples et
illustrations que l’on pourra trouver.
Il faut ensuite que les enseignants préparent leur matière et organisent chacun de leurs
cours de façon à susciter l’intérêt des étudiants. Cela peut se faire au moyen de diverses activités,
en tenant compte de la multiplicité des besoins et des styles d’apprentissage. Par exemple, on
pourrait organiser de miniconférences sur des thèmes définis collectivement, des études de cas
systématiques et ancrées dans le réel, de la mise en situation, des débats… A ce titre il faut
vraiment que la réflexion soit duale entre enseignants et étudiants.
La diversité proposée dans les enseignements doit pouvoir se retrouver dans les
évaluations. Il est nécessaire aujourd’hui de rentrer pleinement dans l’évaluation continue
intégrale. En effet, cette dernière permet non seulement une hausse de la réussite en multipliant
les occasion d’évaluation (et donc de correction et de progrès), plus de cohérence entre
enseignements et évaluation en évaluant tout le spectre du cours, mais également de s’adapter à
chaque étudiant en permettant des formes d’évaluation diverses. Nous n’avons pas tous les
mêmes qualités, les mêmes points forts. Et de la même manière qu’il serait aberrant de définir
quel animal entre un singe, un éléphant et un poisson est le meilleur en se basant sur leur rapidité
à monter dans un arbre, il faut que nos évaluations prennent différentes formes pour permettre
à chacun de briller là où il sera le meilleur.

42
Afin d’accrocher au mieux les étudiants, un enseignant devrait également présenter sa
discipline de façons variées durant ses cours. Plutôt qu’un cours magistral avec un PowerPoint,
la diffusion de vidéos, ou l’organisation de classes inversées, ou même l’utilisation de supports
vidéoludiques pourraient être envisagés.
Enfin, il faut accompagner les étudiants dans leur apprentissage en utilisant la technologie
au sein des enseignements (comme par exemple la plateforme Blackboard Learn17), en se rendant
disponible pour des questions sur ses heures de bureau, par mail ou par Skype, ainsi qu’en leur
recommandant de bonnes stratégies d’apprentissage adaptées à leur profil. Ou bien, lorsque
l’enseignant n’est pas en capacité d’apporter directement une aide lui-même, en les dirigeant vers
un service interne (aides à l’étude, tutorat, services d’orientation, services handicap) …

3) Quelles solutions supplémentaires pour une politique académique durable ?

Afin d’atteindre une réelle politique académique durable, il faut que le cadre autour des
enseignements évolue également. Ce cadre doit permettre à n’importe qui de pouvoir bénéficier
d’enseignements relatifs au développement durable, il doit permettre à quiconque de s’engager
en sa faveur, et doit permettre une valorisation de cet engagement.
Le premier moyen est le recours aux Unités d’Enseignement libres. Ces modules
universitaires sont dispensés en sus des enseignements traditionnels du parcours et choisis par les
étudiants. Dans le cas malheureux où le développement durable ne serait pas intégré dans la
formation d’un étudiant, ce dernier doit avoir la possibilité de bénéficier d’une UE libre liée au
développement durable.
Toutefois il faut quand même s’assurer que les compétences développées au sein de cette
UE libre soient reconnues et valorisées pour l’étudiant. C’est le rôle du supplément au diplôme,
un référentiel de compétences dans lequel est inscrit toutes celles qu’un étudiant a acquis au cours
de ces études. Il faut penser ces enseignements de développement durable en termes de
compétences, dans le but de les intégrer pleinement au supplément au diplôme.
Au sein de ce supplément au diplôme, on peut également ajouter les compétences
développées lors d’engagements extra-universitaires. Tout engagement, qu’il soit bénévole,
citoyen, militant, mais qui touche au domaine du développement durable doit lui aussi pouvoir
être traduit en compétences reconnues et valorisées au sein du supplément au diplôme.

17
Plateforme numérique multimédia d’apprentissage. Plus d’infos à https://www.blackboard.com.

43
Il faut donc que les universités jouent le jeu à fond, qu’elles encouragent leurs étudiants à
s’engager dans le domaine du développement durable à la fois par les UE libres et par la
reconnaissance de leur engagement. Telle est la dernière clé d’une politique académique de
qualité.

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Annexes

Annexe 1 : Graphiques

Graphique 1 : Orientations stratégiques des établissements d’ESR pour le développement


durable
Orientation stratégique des établissements d'ESR en
matière de développement durable
Pas de pauvreté
Vie terrestre 80 Faim "zéro"

Vie aquatique 60 Bonne santé et bien-être

40
Lutte contre les changements
Education de qualité
climatiques 20

Consommation et production 0
Egalité entre les sexes
responsables

Villes et communautés durables Eau pure et assainissement

Energie propre et d'un coût


Inégalités réduites
abordable
Industrie, innovation et Travail décent et croissance
infrastructure économique

Graphique 2 : L’approche disciplinaire des ODD


L'approche disciplinaire des objectifs de développement durable par les établissement
90 d'enseignement supérieur
80
70
60
50
40
30
20
10
0

Transdisciplinaire Disciplinaire Combinaison des deux

45
Graphique 3 : Le niveau de traitement structurel des objectifs de développement durable

Niveau de traitement des objectifs


90
80
70
60
50
40
30
20
10
0

Professeur Faculté Institution Plusieurs niveaux

Graphique 4 : L’approche dimensionnelle du développement durable dans les établissements


d’enseignement supérieur
Approche dimensionnelle des objectifs
80
70
60
50
40
30
20
10
0

Enseignement Recherche Opérations Campus Multiscalaire

46
Graphique 5 : les bénéfices et coûts de la labellisation DD&RS

47
Graphique 6 : la norme ISO 26000

Droits de
l'Homme

Communauté et Relation et
développement condition de
local travail

Gouvernance

Questions
relatives aux Environnement
consommateurs

Loyauté des
pratiques

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Annexe 2 : Retranscription du discours de Frédérique Vidal devant le
GIEC le 16 Mars 2018

« Lorsque le comité Nobel partage le prix Nobel de la Paix en 2007 entre le GIEC et Al
Gore, son président souligne qu’ils se voient récompensés pour leurs efforts de collecte et de
diffusion des connaissances sur les changements climatiques provoqués par l'homme et pour
avoir posé les fondements des mesures nécessaires à la lutte contre ces changements".
Le double sens de l’activité du GIEC était ainsi mondialement reconnu comme un facteur
d’équilibre de la planète, comme un modèle d’organisme intergouvernemental en matière
d’expertise, de rigueur et d’éthique scientifiques.
Construire un édifice scientifique commun à l’ensemble de l’humanité qui permette
d’éclairer la décision politique, de dresser un état des lieux de ces réflexions pour préparer
l’action, telle est la vocation de ce groupe d’experts, devenu incontournable au fil des ans.

L’histoire du GIEC, c’est en effet celle d’une interface fertile entre la science et la politique
qui n’a cessé de gagner en pertinence et en efficacité pour mettre le savoir et la connaissance à
leur juste place : celle d’éclaireurs universels de l’initiative collective.
Les 30 ans qui viennent de s’écouler ont bien sûr été ponctués par les cinq rapports
d’évaluation produits par le GIEC. Chacun de ses rapports a également marqué une étape
majeure dans la prise de conscience internationale du changement climatique. Cette prise de
conscience a été accompagnée par de grands textes internationaux : de la Convention-Cadre
adoptée en 1992 à l’Accord de Paris approuvé en 2015, en passant par le Protocole de Kyoto,
négocié sur la base du 3ème rapport du GIEC.
Si les travaux du GIEC sont si importants, c’est tout d’abord parce qu’ils rendent la
complexité de la question compréhensible au plus grand nombre. Mais c’est aussi et surtout
parce ces travaux obligent le politique. En effet le GIEC dépeint une situation que les
gouvernements membres ne peuvent plus prétendre ignorer parce qu’ils en ont adopté le résumé,
et cela amène le politique à prendre ses responsabilités et à se positionner face à un socle
commun de connaissances scientifiquement fondées.

Le GIEC n’est pas un organisme de recherche en tant que tel, mais il est empreint de
l’esprit et des valeurs de la recherche. Il dessine une véritable cartographie de l’état des
connaissances sur le climat, en moissonnant la littérature scientifique pour faire émerger les
savoirs consensuels – ceux qui résistent à l’examen de la critique internationale – pour dégager

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les espaces de controverses - espaces créatifs qui sont la vitalité-même de la recherche - mais aussi
les zones d’incertitude, qui désignent en creux les domaines que la recherche doit investiguer
dans le futur.
Il suffit de rappeler que chaque année paraissent plus de 20000 publications scientifiques
contenant le mot clé "changement climatique" pour prendre conscience de l’importance du travail
mené par le GIEC et pour mesurer l’effort de ses experts et de la communauté scientifique dans
son ensemble. Je voudrais ici saluer leur engagement : chaque auteur, chaque contributeur,
chaque relecteur, chaque membre des Unités supports techniques et du secrétariat du GIEC
porte haut les valeurs de désintéressement et d’exigence de la recherche.
L’œuvre de synthèse menée par le GIEC tire sa légitimité et son pouvoir, non pas de
l’uniformisation de la pensée, mais bien de la prise compte de toute la diversité : la diversité des
pays, la diversité des disciplines et la diversité du genre. Les pays en développement ont la même
voix au chapitre que les pays développés. Les sciences exactes comme les sciences humaines sont
convoquées autour de la question climatique. Ce dialogue s’étend désormais à d’autres sources
de connaissance car le GIEC cherche aussi à intégrer à sa revue les savoirs locaux et traditionnels.
La mixité progresse - s’il n’y avait que 2% de femmes parmi les auteurs du 1er rapport - elles sont
aujourd’hui presque 30% à y contribuer.

Fort de ces valeurs, le GIEC s’est lancé un nouveau défi, incarné par un 6ème cycle
d’évaluation sans précédent, en termes de rapports produits, en termes de dimensions explorées,
en termes de disciplines sollicitées.
Au-delà de l’évolution du changement climatique et des réponses apportées en matière
d’atténuation ou d’adaptation, les rapports des trois groupes de travail intégreront les enjeux de
soutenabilité et notamment de réduction de la pauvreté. Ils sont destinés à nourrir une synthèse
qui sera un élément clé de l'inventaire global de l'accord de Paris, en 2023.
Ces axes de travail traduisent une ambition forte du GIEC, mais aussi de la communauté
scientifique, et la France prendra toute sa part dans le soutien de cette communauté.

En effet, les travaux du GIEC reposent sur la mobilisation de l’ensemble des chercheurs
de la planète et se nourrissent de leurs avancées et de leurs questionnements. Pour préparer
l’avenir, il est donc impératif de produire et de publier des connaissances nouvelles dans une
dynamique de science ouverte. Nous devons soutenir le continuum des savoirs : de la recherche
fondamentale à la recherche sociétale, des pays du Nord aux pays du Sud. Des scientifiques de
tous les horizons sont mobilisés : il est donc indispensable qu’ils aient accès à une matière

50
première scientifique commune. Or le coût des publications peut, dans certains pays, être un
frein au partage et donc au développement des connaissances. C’est pourquoi l’Open science est
l’un des piliers de cet édifice scientifique commun que les experts et les chercheurs s’attachent à
bâtir.
Car les défis à relever sont nombreux et exigent une recherche libre. Les processus de
fonte des glaciers sont mal compris et mal représentés, ce qui nécessite la combinaison de
l’observation in situ, comme de l’observation à distance et de la modélisation. Dans l’océan
comme dans l’atmosphère, les processus physiques et dynamiques les moins bien décrits se
situent à des échelles inférieures à la centaine de kilomètres, notamment dans les couches limites.
Au-delà, il faut penser à l’articulation entre les questions climatiques et les enjeux sociétaux : le
processus de formation et de vieillissement des particules atmosphériques devra être associé à
l’étude de certaines pathologies respiratoires, les évènements hydrologiques extrêmes ne
pourront être dissociés de la vulnérabilité du littoral et du territoire.
Les changements climatiques nous signifient, de façon parfois brutale, que nous sommes
engagés dans une communauté de destin. Nous sommes tous concernés, nous avons tous un rôle
à jouer et le GIEC permet à la science d’assumer pleinement ce rôle en tenant sa juste place.

Au-delà, et mon ministère y est particulièrement attaché, il est essentiel d’apporter tout
notre soutien à la formation et à l’éducation des jeunes et des populations, au transfert des
connaissances et des compétences permettant à chacun, dans chaque pays, de s’engager dans des
actions et des innovations qui préserveront l’avenir commun de notre planète commune.
La synergie des connaissances, la coopération internationale et la réconciliation des
hommes avec leur planète, c’est ce qui permettra cet avenir commun et je sais, Mesdames et
Messieurs les experts du GIEC, Mesdames et Messieurs les chercheurs, que c’est cela vous tient
à cœur et je vous en remercie très chaleureusement. »

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Annexe 3 : extrait du Schéma Directeur de la Vie Etudiante en Auvergne
(2018-2020)

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