Réflexions Sur La Révolution de France
Réflexions Sur La Révolution de France
Réflexions Sur La Révolution de France
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RÉFLEXIONS
té ' • 1
SUR
LA RÉVOLUTION DE FRANCE.
BIBLIOTECA UCM
5306482179
V AVIS.
/
FACULTAD DE DERECHO
Biblioteca
Se
RÉFLEXIONS
SUR
LA RÉVOLUTION
DE FRANCE,
PUBLIÉES EN I79O.
NOUVELLE ÉDITION AVEC DES NOTES.
PAR J. A. A***,
CHEVALIER DE LA I.ÉoiON-d'hoNNEL'R.
PARIS,
ADRIEN ÉGRON, IMPRIMEUR
DE S. A R. MONSEIGNEUR, DUC D'ANGOULEME
RUE DES NOYERS , N° 37.
M. DCCC. XIX.
,u ...
AVIS DE L'IMPRIMEUR. S
A. Egron.
Paris, i«' mai.
L'ÉDITEUR AUX LECTtELIRS.
* fi?..
XVIII NOTICE
Shelburne pour lui succéder comme chef de la Tresorerie,
Burke se retira. Le ministère de lord Shelburne fit place à
celui qu'on désignait sous le nom de coalition , parce qu'il
était composé d'une portion des ministres qui avaient été
l'objet d'une si longue et si forte opposition, et de plusieurs
membres de cette opposition elle-même. Le projet de la
coalition fut conçu par Burke, qui parut avoir peu calculé
l'effet qu'aurait sur le public un choc aussi violent donné k
toutes les idées de bonne foi et de stabilité. Cette nouvelle
association de pouvoir fut rompue par le bill sur l'Inde, de
Fox, que Burke appuya fortement, mais qui déplut égale
ment au roi et au peuple. Pitt prit alors le timon des affaires,
et commença par dissoudre le Parlement , opération atta
quée avec chaleur par Burke. ll fut également contraire k
un plan proposé en 1782 par le ministre, qui portait atteinte
aux droits reconnus des propriétaires de bourgs , et il n'ap
prouva jamais l'idée, mise en avant, d'une réforme parle
mentaire. Le procès du gouverneur des Indes orientales,
Hastings, a été l'un des événemens les plus remarquables
de la vie de Burke. On a présumé que des motifs de ressen
timent particulier s'étaient joints , dans cette grande cause
nationale, à sa passion pour la justice. Au total, sa con
duite dans cette affaire ne lui fit rien gagner dans l'estime
publique, et servit seulement k donner une plus grande
idée de son talent d'orateur. L'établissement d'une régence,
k l'occasion de la maladie du roi, en 1788, fournit h Burke
une occasion de se signaler. Il lutta avec vigueur contre la
proposition de limiter les pouvoirs du régent , et contre le
principe , posé par le ministre, que la régence était élective
et non héréditaire. Les efforts dn parti du l'opposition, en
SUR BUUKE. XIX
cette circonstance, ne furent ni heureux ni secondés par la
faveur populaire, et Burke s'exposa a une censure particu
lière , en se laissant entraîner, par la chaleur de son imagi
nation , a des expressions peu respectueuses pour la per
sonne du roi.
Mais , ce qu'il y a de plus remarquable dans la carrière
politique de cet orateur , c'est la manière dont il se prononça
contre la révolution française dès son origine. On aurait pu
supposer qu'un homme qui avait long-temps fait cause com
mune avec les amis de la liberté dans son pays , et montré
beaucoup d'egards pour les Américains insurgés , applau
dirait aux tentatives d'une nation voisine pour obtenir un
mode de Gouvernement conforme aux principes qu'il avait
si souvent énoncés ; mais son respect pour les institutions
consacrées par le temps , et le sentiment profond de justice
et d'humanité qui l'animaient expliquént son premier éloi-
gnement et ensuite la haine violente que lui inspira cette
grande subversion politique , si terrible même a sa nais
sance. La première occasion qu'il eut de montrer cette
haine se présenta en février i790, dans un débat de la
Chambre des Communes, ou il s'agissait de la réduction de
l'armée. Fox voulait qu'on témoignât une noble confiance
dans les nouveaux régulateurs de la France. Ce fut a ce
sujet que Burke déclara hautement qu'il rompait avec lui
tous liens d'amitié. Bientôt après , il conçut l'idée de ses
Réflexions surla Révolution française , qui parurent-au
mois d'octobre de la même année. Il fallait que sa péné
tration fût extrême pour si bien juger et prédire les suites
de la violente commotion que venait d'éprouver la France ,
tandis que l'enthousiasme des théories nouvelles avait com
XX NOTICE
mencé a saisir un si grand nombre d'Anglais , et nommé
ment plusieurs des personnages les plus influens. On a vu
peu de livres produire une pareille sensation. Il eut un dé
bit dont on n'avait pas d'exemple en Angleterre ; il fut re
cherché va France avec une égale avidité. Les ennemis de
Burke eux-mêmes ne pouvaient se refuser à reconnaître
une grande profondeur et des beautés du premier ordre
dans cet écrit qui, d'ailleurs, décèle une imagination très
ardente et quelquefois peu réglée. D'un autre côté , il ren-
cOutra quelques critiques sévères et même assez redoutables.
Entre autres réponses auxquelles ses Réflexions donnèrent
lieu ,on connaît les fameux Droits de l'homme , parPayne.
Pendant un certain temps, ils semblèrent , malgré la dispro
portion de talent et de raison entre les deux antagonistes,
devoir balancer l'elfet produit par l'illustre orateur ; mais
bientôt les événemens et les grands intérêts mis en jeu se
réunirent pour établir l'avantage absolu du côté de Burke,
et on ne peut douter que la direction donnée par son opi
nion ne soit entrée pour beaucoup dans l'impulsion popu
laire qui porta les Anglais a une guerre dont les funestes
conséquences se sont fait sentir si long-temps. Il continua le
même genre d'attaque , en publiant , i° sa Lettre à un
membre de l'Assemblée nationale , ijgi ; 2° un Appel
des Whigs modernes aux TVhigs anciens ; 3° Lettre à
un lord , sur une discussion avec le duc de Bedford;
4° Pensées sur la paix avec un Directoire régicide. Son
horreur toujours croissante pour la révolution française
était deveuue la passion dominante de son âme. Il ne pou
vait en entendre parler sans éprouver une irritation vio
lente ; aussi les succès qui soutinrent cette révolution ont
SUR BURKE. XXt
ils jelé «ne extrême amertume sur la dernière partie de sa
vie. Personne mieux que lui n'en avait étudié les progrès et la
nature; les plus petits événemens et les personnages les moins
influens de cette époque lui étaient connus comme s'il avait
vécu au milieu d'eux. Il ne s'occupa plus que d'un seul objet
politique qui y fût étranger , le projet d'émancipation des
Catholiques en Irlande. L'utilité d'admettre cette portion
de la nation anglaise aux droits d'électeur, lui fournit, en
j 792 , la matière d'une Lettre à Sir Hercule Langrishe.
Lorsqu'il crut devoir se retirer du Parlement , sa place y
fut occupée par son fils unique , jeune homme qu'il admirait
.mitant qu'il le chérissait. La mort de ce fils , arrivée bientôt
après , fut pour Bnrke un coup terrible. Lui-même termiua
sa carrière le 8 juillet 1797, dans la 68e année de son âge.
Burke était très-aimable dans la vie privée. Poussant l'a
mour des louanges jusqu'à la faiblesse , il rendait libérale
ment celles qu'il avait reçues. Son goût le portait vers les
beaux arts, qu'il protégea souvent de la manière la plus
noble. Il n'eijcouragea pas moins l'économie rurale, cher
chant en général a étendre, dans tout son voisinage, les
plans de bienfaisance et d'utilité publique. Cette disposition
bienveillante de son âme eut , en dernier lieu , pour objet
les victimes de la révolution française , réfugiées en Angle
terre , et il fonda une école pour les enfans momentanément
expatriés, dont la surveillance presque paternelle et l'ins
truction paraissent l'avoir occupé jusqu'au jour où il cessa
d'exister.
Quelques personnes lui ont attjibué les célèbres Lettres
de Junius; du moins est -il réputé y avoir pris une part
considérable; mais la publication de ce livre est un mystère
XXII NOTICE
littéraire qu'on n'a pas encore pénétré. D'autres morceaux
de littérature et de politique, dont nous n'avons pas encore
parlé, sont connus pour avoir exercé la plume de Burke. Sa
\ie, écrite par Robert Bisset , Ecossais, publiée en 1798 ,
a été réimprimée a Londres, en 1800. M. Fonuic a aussi
donné des Mémoires de Burke. Voici la liste de ceux de
ses.ouvrages qui ont été traduits en fiançais : I. Recherche
philosophique sur l'origine de nos idées du sublime et
du beau, traduite sur la septième édition , avec un Précis
de la vie de l'auteur, par Lagentie de Lavaisse , Paris i8o5 ,
in-8°; II. Réflexions sur la Révolution de France , et
sur les procédés de certaines sociétés à Londres , rela
tifs à cet événement, traduites sur la troisième édition an
glaise , Paris, 1790, in-8". Il parut en 1790 et 1791 , a
Paris, plusieurs éditions de cette traduction. Le manuscrit de
la première fut distribué , par parties , dans trois différen
tes imprimeries , et publié dans moins de huit jours. Payne
répondit au livre de Burke par les Droits de l'homme ,
traduits parSoulès, avec des notes, Paris, 1791 , hi-80.
Joseph Priestley entreprit aussi de réfuter Burke dans des
Lettres , traduites en français sur la seconde édition , Pa
ris, 1791 , iu-8°. Il y eut en France quelques autres ouvra
ges a l'occasion de ce même livre que M. de Lally-Tolen-
dal , dans ses Lettres à Burhe , appelle un ouvrage im
mortel , en regrettant seulement que l'auteur se soit laissé
entraîner quelquefois au-dela des bornes de la modération ;
que l'ignorance des faits l'ait conduit à plusieurs faux ex
posés , et qu'il ait trop souvent confondu avec des extrava
gances criminelles les sentimens généreux qui n'avaientcessé
de lutter contre elles. III. Discours sur la monnaie de
SUR B URiï. XXUJ
papier , et sur le système des assignats en France , ( Pa
ris ) 1790,111-8°; IV. Lettre aux Français. Londres
(Paris), 1790, in-8°; V. Discours sur la situation ac
tuelle de la France , prononcé dans la Cliambre des
Communes , le g février iJO.0y lors du débat sur les
réductions dans l'armée , (Paris ) 1790,1^-8°. Ce dis
cours fut combattu , en Angleterre , par le comte Stanhope,
dans une lettre qui a clé traduite en français, sous ce titre :
Apologie de la Révolution française , ou lettre à Ed
mond Burie, servant de réplique à son discours, etc. ,
traduite de l'anglais sur la troisième édition, Paris, 1791 ,
in-8". VI. Lettre d'Edmond Burke au traducteur de
son Discours sur la situation actuelle de la France .
( Paris, mai 1790) in-'6", deux éditions ; VII. Lettre à
M. l'archevêque d'Aix ( Boisgeli/i) . et réponse de
M. l'arclievêque d'Aix à M. Burke ; ( Paris , 1791 )
iri-8" j VIII. Discours improvisés par MAI. Burie et
Fox dans la Chambre des Communes , le 6 mai ijgi ,
sur la révolutionfrançaise , Paris, 1791, in- 8° ; IX. Let
tre sur les affaires de France et des Pays-Bas , adres
sée à M. le Comte de Rivarol ( avec la réponse de ce
dernier ), Paris , 1791 , in-8° ; X. Lettre à un membre
de l'Assemblée Nationale de France , (Paris, 1791) in-8°.
M. de Lally-Tolendal, dans une Lettre adressée a M. Burke
(Paris, 1791), in-8° , semble élever des doutes sur l'au
thenticité de celle a laquelle il répond; cependant, Mallet-
du Pan la cite comme authentique, et M. de Lally lui-
même finit par répondre comme si elle l'était. XI. Appel
des Whigs modernes aux Whigs anciens, traduit par
madame de Rivarol , Paris, 1790, in-8°. Burke y parle de
XXIV NOTICE SUR BURKE.
lui a la troisième personne; XII. Lettre de M. Burke à un
noble lord , sur les attaques dirigées contre lui (Burke) ?
dans la Chambre des Pairs , par le duc de Bedfort et
le comte de Lauderdale , au sujet de ses opinions sur
le Gouvernement anglais et sur la révolutionfrançaise,
traduite sur la sixième édition de Londres , (Paris) in-8";
XIII. Lettres ( deux ) à un membre de la Chambre des
Communes , sur les négociations de paix ouvertes avec
le Directoire , traduites par J. Pelletier, Londres et Paris,
1797, in-8°. On publia, en juin et août 1790, des Lucu-
brations philosophiques , attribuées à Burke , sur divers
objets de politique : la Décadence de la monarchie fran
çaise; Jugement de l'Europe sur les suites de la révo
lutionfrançaise; Alliance de la liberté et de la monar
chie , in- 8°.
( Extrait de la Biographie universelle. )
A VIS DE L'IMPRIMEUR^
J\ J
L'Editeur ar.x lecteurs. lx
Notice sur E. Burke ... XI11
RÉFLEXIONS SUR LA RÉVOLUTION DE FRANCK.
Société tle la Constitution 2
Société de la Révolution. ibid.
Sermon prêché par le docteur Frice , le 4 octobre
1789 «3
Trois maximes principales établies dans ce discours. . . 22
Discussion de la première. — Du droit de choisir ceux
qui nous gouvernent.
Preuves tirées de ce qui s'est passé lors de la révolution ,
en 1688. — L'Angleterre, loin de se croire aucun
droit de procéder par élection à la nomination de
ses rois, a fait alors tous' ses efforts pour prouver
au contraire qu'elle ne fondait le droit à la couronne
que sur l'hérédité ibid.
Discussion de la seconde. — Du droit de déposer ceux qui
nous gouvernent, pour mauvaise conduite.
Remarques sur le vague, dans les idées que laisse un tel
motif, exprimé surtout d'une manière presque tri
viale; sur ce qui a dicté l'acte passé au Parlement,
lorsqu'on y prononca l'abdication du roi Jacques.
Importance d'un tel sujet 41
Discussion de la troisième. — Du droit de fabriquer un
gouvernement pour nous-mêmes.
Démonstration par le fait , par les statuts et par les actes
déclaratoires passés par tous les Souverains à leur
avènement au trône, que ce droit n'existe pas, que
Vhérédité est regardée en Angleterre comme la sauve
garde la plus inviolable des droits des citoyens. Le
gouvernement anglais modelé sur la nature 4g
TAS I.£.
Pa».
Ce qu'aurait pu faire la France; parti qu'elle aurait pu
tirer de son ancienne constitution 56
Ce qu'elle a mieux aimé faire 61
Cause de ce qui est arrivé 63
Composition du Tiers-Etat » 66
Chambre des Communes; comment composée "72
Composition du Clergé. 76
Composition de la Noblesse 77
Révolution actuelle , plus fâcheuse que toutes celles que
la France a éprouvées jusqu'à présent. Pourquoi ?. . . 82
Egalité parmi les hommes, appréciée comme elle doit
l'être 85
Ce que doit être la représentation dans un Etat. Dis
tinction entre les talens considérés comme principe
actif et entreprenant; et la propriété considérée
comme un principe paresseux et inerte 86
Examen d'un point de considération soumis par le doc
teur Price à son auditoire , sur l'opportunité du mo
ment actuel , pour redoubler d'efforts en faveur de la
cause de la liberté. — L'Angleterre a-t-elle quelques
raisons pour imiter ce qu'a fait la France ? Est-elle
ou n'est-elle pas un Etat libre ? Sa représentation est-
elle susceptible des reproches que lui fait le docteur
Price? 9.1
Droits de l'homme, tels qu'ils sont entendus par ces
messieurs de Old Jewry 99
Tels que l'auteur les entend. . . .' 100
Ce qu'est la société civile , en quoi elle diffère des droits
de nature, et par suite, des droits de l'homme; les
gouvernemens ne sont fondés que sur l'abnégation
de ces mêmes droits, que l'on choisit aujourd'hui
pour leur base 102
Danger de maintenir dans les idées, des principes ré
volutionnaires ; idées toujours extrêmes qui en ré
sultent. Elles rendent de tels hommes dangereux et
inutiles pour leur patrie.. 109
Extase du docteur Price sur la révolution de France —
Son Nunc dimitis comparé à celui du fameux Hu
gues Peters »«3
Situation dans laquelle est l'Assemblée na tionale 1 1 ïi
TVBLF. XXV |
P.S-
Compte que l'histo're tiendra de ce qui a eu lieu aux 5
et 6 octobre 1789. .- . ia4
Sur l'esprit de chevalerie. — Son influence sur les
mœurs, sur les opinions et sur le gouvernement. .. i33
Manière de sentir différente de celle du docteur Price,
fondée sur la nature l^l
Avantages résultant de certains préjugés. i5a
Philosophes isolés en Angleterre, et non pas sectaires,
comme en France. 1^7
La religion est la base de la société civile 160
Etablissement de l'Eglise en Angleterre îfii
Les principes de la religion, plus nécessaires dans une
démocratie que dans une monarchie i63
Avantages de la stabilité , considérés sous tous leurs
rapports, dans les propriétés, dans les sciences; dans
les contrats publics, compares aux contrats privés;
— dans la nature de l'homme , qui ne peut seperfec-
tionner que par les efforts de sa propre vertu, et dans
l'éducation. — Compares aussi comme moyens de
contribuer à la stabilité de l'établissement religieux,
et à son union avec l'Etat. — De cette union de la po
litique et de la religion, est résultée la nécessité de
donner à l'Eglise des propriétés indépendantes. . .. 179
Avantages de la religion , aussi salutaires aux riches
qu'aux pauvres; conséquemment nécessité de donner
à l'Eglise une sorte de luxe et d'éclat, qui contribue à
faire respecter ses ministres 1 81
Cruauté du traitement que l'on a fait éprouver au Clergé. 1 87
Sur le droit prétendu de confisquer ses biens 188
Inconséquence de cette opération,cousidéréesousle rap
port spécieux du droit des créanciers de l'Etat, et
sous celui du droit que l'on reconnaît au Roi, de
contracter plus légitimement une certaine nature de
dettes , que de passer toute autre espèce d'engage
ment dépendant de la souveraineté 131
Ce qui conduit à la découverte de la véritable cause de
cette opération. — Les capitalistes de Paris 19,5
Les philosophes politiques, hommes de lettres I97
•S:jr qui devait porter le deficit 20'*
TABLE.
P.-,
Les Romains, plus excusables dans leurs cruautés, que
ne le sont les Français 206
L'Assemblée Nationale agissant plus tyranniquement
que Henri VIII. — Tournure qu'il se crut obligé
de donner à ses opérations contre 'le clergé 207
L'état de la France exigeait-il cette injustice ? Ce qui se
pratiquait , relativement aux impositions, dans les
deux premiers Ordres 2i5
La vente des biens du clergé , considérée comme un
moyen d'assurer la durée de la révolution 2i9
Moyens adroits de ceux qui conduisent ces opérations. 220
Examen du Gouvernement démocratique . . ...... 224
Ce qu'était la monarchie française 227
Sa population ^. v'Sa
.Sa richesse. Ilnd.
Que le règne de Louis XVI avait été , plus qu'aucun au
tre , marqué par l'amour du bien et des réformes. . . 2^7
Etat actuel de la France
Injustice à l'égard de la noblesse, d'après l'examen de sa
conduite respective, dans son propre ordre ; et relative,
quant aux autres — Ce qu'il y avait a lui reprocher.
Même examen du clergé 24a
Conséquences des punitions infligées, dans un temps,
à un corps collectif, pour les fautes commises long
temps avant dans ce même corps.. 25-
Danger des fausses applications des leçons de l'histoire. 2.5g
Ce que l'auteur peut dire du clergé de France , d'après
lui-même.......... 263
Conclusion de tout ce qui a été dit sur le clergé , ainsi
que sur ce qu'on a fait à son égard 265
Objection et réponse^sur l'opinion que Ton pourrait sup
poser à l'Angleterre , sur ce qu'on a fait en France,
par rapport au clergé ' 272
Sur la tolérance, et suite de l'article précédent 275
Respect dû à la prescription 275
Qu'y a-t-il de politique dans la destruction des ordres
religieux 280
Principes sur les avantages que l'on peut retirer des éta-
blissemcns publics , et leurs conséquences à l'égard
de ceux du clergé , a£5
TABLE. XXIX
Pa;
Le clergé, considéré comme propriétaire , ne vaut -il
pas autant, et mieux peut-être , que tous les autres? 290
Conclusion sur les avantages que l'on peut retirer de ces
établissemens religieux 295
Des év c qur s et des abbés commendataires , considéré
aussi comme propriétaires 298
Ce qu'est l'Assemblée Nationale 3oi
Comment elle agit ; son but • 3o2
Principe sur l'esprit qui doit diriger dans les réformes. 3oî
Principes comparés à ceux de l'Assemblée <- . . . 3oï
Examen de l'établiss ment de la législature 3oj
Bases , — Territoriale , — de population , — de con
tribution 3i5
Territoriale Ibid.
De population 3ao
De contribution 33i
Comment tous ces établissemens pourront agir. ... 332
Opinions des Anciens sur la nécessité de partager les
citoyens , d'un même gouvernement , en différentes
classes 334
La nouvelle constitution française est exactement l'op
posé, en principes , de la constitution anglaise 342
Sur la durée de chaque législature, à défaut de princi
pes.—Recherche des principes fondamentaux étran
gers dans cette constitution 345
Premier principe : la confiscation et le papier-monnaie. 346
Examen des principes sur lesquels est foudée l'existence
de ce papier-monnaie ; ses conséquences à l'égard
des prop»iétaires-fonciers,conduiront à former autant
d'oligarchies, qu'il y aura de républiques en France. Ibid.
Second principe : Force de la ville de Paris 357
iV. B. Le troisième principe est la milice nationale.
On n'en parle qu'à l'article qui concerne la constitu
tion de l'armée.
Cette partie , sur la législature , est terminée par un.
coup d'oeil nouveau sur la conduite de l'Assemblée
Nationale et sur ce qu'on peut espérer des législatu
res qui suivront , 36o
Pouvoir exécutif. 36a
XXX TA B L E.
FIN DE LA TABLE.
RÉFLEXIONS
RÉFLEXIONS
sua
LA RÉVOLUTION DE FRANCE.
■Monsieur,
(i) a Que le roi Jacques second «'etant efforcé" île bouleverser la cons-
a titution du royaume en rompant le pacte primordial |entre le Roi
« et le peuple , et qu'ayant , par l'avis des Jésuites et d'autres personnes
« corrompues , violé les lois fondamentales , que s'étant retiré du
« royaume , il a abdiqué le gouvernement , et que par-là le troue est
« devenu vacant, s
4'i RÉVOLUTION
n'ont pas fondé l'abdication virtuelle du roi Jacques
sur un principe aussi léger et aussi incertain. Ils ne
l'accusaient de rien moins que du projet constaté par
une foule d'actes manifestes, de renverser l'église pro>
testante et l'Etat , ses lois fondamentales et ses libertés
incontestables , et d'avoir rompu le pacte primordial
entre le roi et le peuple. Ceci est plus qu 'inconduite.
Une nécessité des plus fortes et des plus supérieures à,
la loi les détermina à faire cette démarche ; et ils la
firent avec cette sorte de répugnance qu'on éprouve
quand on agit d'après la plus rigoureuse de toutes les
lois. Ce n'était pas dans la perspective de nouvelles
révolutions qu'ils plaçaient leur confiance pour la sû
reté de la constitution. Le but politique de toutes leurs
déterminations était au contraire de mettre tous les
souverains futurs presque dans l'impossibilité de for
cer de nouveau le royaume à la nécessité de recourir
à des remèdes aussi violens. Ils ont laissé la couronne ce
qu'elle a toujours été aux yeux et dans l'esprit de la loi ,
au-dessus de toute responsabilité; mais pour rendre
la couronne encore plus indépendante , ils ont réuni
tout le poids de la responsabilité sur les ministres
de l'Etat. Dans le statut du roi Guillaume , appelé acte,
déclaratifdes droits et libertés des sujets, et pourfixer
la succession de la couronne , ils ont établi que les
ministres serviraient la couronne conformément aux
termes de cet acte. Bientôt après , ils pourvurent aux
assemblées fréquentes du parlement , par le moyen
desquelles toute l'administration devait être sous l ins;
pection constante et sous le contrôle vigilant des re'
DE FRANCE. 4^
présentai» du peuple et des magnats du royaume.
Dans le grand acte constitutionnel qui suivit , je veux
dire celui de la douzième et de la treizième années du
règne de Guillaume , nos ancêtres ont établi , pour
limiter encore plus la couronne , et pour mieux assu
rer les droits et libertés des sujets , « qu'aucun pardon
« scellé du grand sceau d'Angleterre ne pourrait être
« opposé , comme exception , contre une accusation
« intentée par les communes assemblées en parle-
« ment (i). » Ainsi , les règles d'administration con
signées dans la déclaration des droits , l'inspection
constante des Parlemens , l'usage de traduire en justice,
parurent des moyens beaucoup meilleurs, non seule
ment pour assurer la constitution et la liberté , mais
même pour prévenir les vices d'administration , que
cette réserve d'un droit si difficile dans la pratique ,
si incertain dans son emploi , et souvent si pernicieux
dans ses conséquences, que de « destituer ceux qui nou>
gouvernent. »
Dans ce même sermon , le docteur Price proscrit
l'usage de présenter aux rois des adresses remplies
d'une flatterie et d'une adulation révoltante ; et en
cela il a raison. Au lieu d'employer ce style dégoûtant,
il propose pour les occasions où l'on va féliciter le Roi ,
de lui dire : « Que Sa Majesté doit se regarder plutôt
« comme le serviteur que comme le souverain de son
(1) On sait que si le Roi ne peut pai empêcher que l'on intenta et que
l'on poursuive le procès , il a le droit de pardonner , si par événement il
y a lieu , lorsque le jugement a été rendu.
44 RÉVOLUTION
>< peuple. » Pour un compliment, cette nouvelle forme
d'adresse ne paraît pas très-flatteuse. Ceux qui sont
serviteurs de nom , aussi bien que d'effet , n'aiment
pas qu'on leur rappelle ainsi leur situation , leur de
voir et leurs obligations. L'esclave dit à son maître
dans une ancienne comédie : « Cette mention
est presque un reproche , hcec commcmoratio est
quasi exprobratio. « Cela n'est point plaisant comme
compliment , ni salutaire comme instruction. Après
tout, si le Roi consentait à faire l'écho (a) , de cette
nouvelle forme d'adresse , à l'adopter dans les mêmes
termes, et même à choisir pour protocole de son style
royal la dénomination de serviteur du peuple , je n'i
magine pas comment , lui ou nous, nous pourrions y
gagner quelque chose. J'ai vu des lettres très-fières , au
bas desquelles on mettait cependant votre très-humble
et très-obéissant serviteur. La domination la plus or
gueilleuse qui ait jamais été supportée sur la terre ,
prenait un titre bien plus humble encore que celui
qui est maintenant proposé aux souverains par cet
apôtre de la liberté. Des rois et des nations ont été
foulés sous le pied d'un homme qui se faisait appeler le
serviteur des serviteurs; et des bulles , qui ont été en-
cessairement dans le» rangs de ceux qu'on peut destituer pour incon
duite. Cette doctrine n'est pas celle des seuls pamphlets; et gare qu'elle
ne retentisse bientôt du haut des tribunes !
{Note de l'Editeur.)
DE FRANCE. 47
responsable, comme un serviteur-; il sera temps seu
lement alors que je leur produise la loi positive qui af
firme qu'il ne l'est pas (i).
La cérémonie de destituer les rois , dont ces mes
sieurs parlent si à leur aise , peut rarement , si même
elle le peut jamais, avoir lieu sans le secours de la
force. Cela devient alors l'affaire de la guerre , et non
pas de la constitution. Les armes commandent aux
lois , et les réduisent au silence : les tribunaux sont
anéantis en même temps que la paix , qu'il n'est plns
en leur pouvoir de maintenir. La révolution de 1688
a été obtenue par une juste guerre , dans le seul cas où
une guerre , et surtout une guerre civile , peut être
juste , justa bella quitus necessaria. La question de
détrôner les rois , on , si ces messieurs aiment mieux
leur façon de parler, de les destituer , sera toujours ce
qu'elle a toujours été , une question très-extraordinaire
et totalement hors de la loi ; une question qui, comme
toutes les questions d'Etat, roule plus sur certaines dis
positions des esprits , sur certains moyens et sur des
conséquences probables , que sur des droits positifs. De
même que ces abus là ne peuvent pas être d'un genre
commun , ce ne doit pas être non plus à des esprits com-
(1) Oui , mais i) est trop tard de produire la loi, quand une Con
vention Nationale , une Chambre des Rcprétentant ou toute autre
assemblee factieuse s'est déclarée en permanence , et s'attribue le droit
d'abroger toutes les lois anciennes, d'en faire de nouvelles , de leur don
ner même un effet rétroactif. A quoi serrit*il au vertueux Mak.sherhes ,
au courageux Desèze de produire la loi qui déclarait le roi ( Louis XVI )
iuviolable ?
( Nete de l'Editeur. )
48 RÉVOLUTION
niunsàles discuter. La ligne spéculative de démarcation
qui indique le moment où l'obéissance doit cesser , et
celui où la résistance doit commencer , est en vérité bien
douteuse, bien difficile à apercevoir, et plus difficile en
core à définir. Ce n'est pas un seul acte ou un seul évé
nement qui peut la déterminer. Il faut que l'on ait bien
mésusé du pouvoir , et que le gouvernement soit dans
une grande confusion ; il faut que la perspective de l'a
venir soit aussi mauvaise que l'a été" l'expérience du pas
sé, avant que cette idée puisse venir à l'esprit. Quand les
choses sont arrivées à cette situation déplorable, la nature
même du mal indique celle du remède à ces hommes
que la nature a doués des qualités nécessaires pour ad
ministrer cette mesure délicate, ambiguë et amère, à
un Etat en désordre. Le temps, 'les occasions, les pro
vocations, leur fourniront alors les leçons nécessaires.
Le sage se déterminera par la gravité du cas ; l'irritable ,
par sa sensibilité à l'oppression ; l'esprit élevé , par le
dédain et par l'hidiguation qu'il éprouve, en voyant le
pouvoir confié à des mains qui en sont indignes; le brave
et le téméraire, par cet amour honorable des dangers
dans une cause généreuse. Mais à bon droit ou à tort ,
une révolution paraîtra toujours la dernière ressource à
celui qui pense , et de celui qui aime le bien (i).
(1) Plût à Dieu que nos législatures successives eussent suivi ces prin
cipes , au lieu de nous faire essayer leurs vaines théories ; et plaise à Dieu
que ces tristes expériences ne soient pas sans fruit pour un nouvel
avenir !
( Note de l'Editeur. )
(2) Voyei Blackstone sur U grande Charte imprimes à Oxford en
i759.
de francê: 5r
isle Charles Ier , appelée the petition ofrights (lapétition
des droits) , le Parlement dit au Roi : « Vos sujets ont
hérité de cette liberté ; ne fondant pas la réclamation
de leurs franchises sur des principes abstraits comme
les droits de l'homme , mais sur les droits des Anglais ,
et un patrimoine provenant de leurs ancêtres». Selden,
et autres savans profonds qui ont rédigé cettepétition des
droits, connaissaient aussi bien toutes les théories gé
nérales concernant les droits de l'homme , qu'aucun
des péroreurs de nos chaires ou de votre tribune ;
bien aussi sûrement que le docteur Price ou l'abbé
Syèyes (i). Mais pour des raisons dignes de cette sa
gesse pratique , qui l'emportait sur leur savoir théo
rique, ils ont préféré ce titre positif, authentique et
héréditaire , à tout ce qui peut être cher à l'homme
et au citoyen , à ce droit vague et spéculatif qui aurait
exposé leur héritage certain au gaspillage et à la dé ■
prédation de tous les esprits extravagans et litigieux.
La même politique agit dans toutes les lois qui ont
été faites depuis pour la conservation de nos libertésj
Dans le fameux statut de la première année de Guil
laume et de Marie , appelé the declaration of rights ;
! (i) On sait pourtant que la déclaration des droits de l'abbé Syèyes ,
présentée et soutenue par le marquis de La Fayette , n'en fit pas moins
fortune sous la Constituante , et on sait aussi à quel degré de perfec
tion elle fut portée par Robespierre , sous la Convention , en tête de la
Coustitution de 1793; et comment, enfin, en suivant toujours le sys
tème de la perfectibilité , le tout fut rajeuni et reproduit, à la fa
meuse Chambre des cent jours , par Garât , le même La Fayette
et autres.
( Note de l'Editeur. )
5a RÉVOLUTION
{|la déclaration des droits ) les deux Chambres n'ont pas
proféré une seule parole « du droit de fabriquer un '
«gouvernement pour nous-mêmes » : Vous verrez que
tout leur soin a été d'assurer la religion , les lois et les
libertésdont ilsavaient été long-temps en possession , et
auxquels on avait fait dernièrement courir des risques:
« Prenant ( est - il tlit dans cet acte de Guillaume et
« de Marie ) dans la plus sérieuse considération , les
« meilleurs moyens de fonder des institutions qui puis-
« sent mettre leur religion , leurs lois et leurs libertés
« à l'abri du danger d'être encore renversées » ils s'as
surent du succès de toutes leurs démarches en éta
blissant comme les meilleurs moyens , la nécessité de
faire en premier lieu : « Comme leurs ancêtres avaient
o accoutumé de faire en cas semblables pour démon-
« trer leurs anciens droits et leurs libertés , de décla-
« rer.... » et alors ils prient le Roi et la Reine : « Qu'il
« soit déclaré et ordonné que tous etchacuns les droits
« et libertés affirmés et déclarés , sont les véritables ,
a anciens et indubitables droits et libertés du peuple
« de ce royaume (î ). »
Vous remarquerez que depuis l'époque de la grande
Charte jusqu'à celle de la déclaration des droits , telle
a été la politique constante de notre constitution , de
(i) Le lecteur n'oubliera pas que Burke écrirait tout cela long-temps
avant le 2i janvier.
( Note de l'Editeur. )
(2) Burke avait donc prévu que vingt ans apres la fameuse révolution
laite pour combler une dette de 72 millions , l'Etat serait obéré de plus
de 200 millions de rentes? Quel heureux résultat des grandes combi
naisons de nos régénérateurs !
{Note de l'Editeur.)
64 HÈVOLUTION
rive le papier-monnaie (i), ressource d'un pouvoir
nouveau , précaire et chancelant ; le papier-monnaie,
ressource d'une fraude appauvrie et d'une rapine men
diante , arrive comme un moyen de circulation pour
le soutien d'un grand empire , à la place de ces deux
métaux précieux qui sont reconnus pour représenter
le crédit permanent et conventionnel du genre hu
main , lesquels ont disparu et se sont cachés dans la
terre d'où ils sortaient , lorsque le principe de la pro
priété qu'ils représentent a été systématiquement dé
truit.
Toutes ces choses effrayantes étaient-elles nécessai
res ? Etaient-elles des résultats inévitables des efforts
furieux de patriotes déterminés , courageux , et for
cés à n'arriver au rivage paisible d'une liberté tran
quille et prospère , qu'après avoir traversé des flots de
ssng? Non, rien de semblable à cela : les désastres
nouveaux de la France qui émeuvent notre sensibi
lité , quelque part où nous portions nos regards , ne
sont pas les dévastations d'une guerre civile ; ce sont
les tristes mais instructifs raonumens d'un conseil té
méraire et inconsidéré , donné dans le temps d'une
profonde paix ; ce sont les preuves parlantes d'une au
torité inconsidérée et présomptueuse , parce que rien
ne lui a résisté , et que rien ne le pouvait. Les personnes
(1) Nous invitons les curieux à relire ce qu'écrivait , dans le' temps ,
Bergasse , ennemi des assignats, à M. de Montesquiou , partisan zélé de
ce papier- monnaie. Ce Bergasse était aussi un fort bon prophète, sans
sortir ùe son pays.
(Note de l'Editeur.)
DE FRANCK. 65
qui ont ainsi prodigué les précieux trésors de leurs
crimes ; les personnes qui ont répandu avec une pro
fusion si sauvage les malheurs publics , la dernière
ressource réservée pour la dernière rançon de l'Etat ,
n'ont éprouvé que peu ou point de résitance dans leurs
progrès. Toute leur marche a plutôt ressemblé à une
procession triomphale qu'à une marche guerrière.
Leurs pionniers ont marché devant eux , et ont tout
démoli et tout nivelé à leurs pieds. Ils n'ont pas versé
une goutte de leur sang pour la cause du pays qu'ils
ont ruiné. Les plus' grands sacrifices qu'ils aient faits
pour l'exécution de leurs projets , sont leurs boucles
de souliers(i). Tandis qu'ils emprisonnaient leur roi,
assassinaient leurs concitoyens , plongeaient dans les
larmes et vouaient à la pauvreté et à la détresse des
milliers d'hommes et de familles respectables, leur
cruauté n'a pas même été le honteux résultat de la
peur : il a été celui de leur opinion d'une parfaite
sécurité , en autorisant les trahisons , les vols , les ra
pines , les assassinats , les massacres et les incendies
sur toute la surface de leur pays tourmenté. Mais dès
le commencement , on pouvait prévoir la cause de
tous ces événemens.
Cechoix, qui n'était pas forcé, cette tendre élection du
(i) Mais en échange, ces terribles niveleurs se sont élevés bien hau t
sur les débris , et tel sans-culotte de nom et d'effet , a changé ce titr«
contre celui de duc , et ses dettes contre un capital de plusieurs millions.
Voilà ce qu'ambitionnaient ces ardens défenseurs des droits du peuple,
et ce qu'ambitionnent ceux qui marchent aujourd'hui sur leurs traces.
[.Note de l'Editeur. )
5
€€ névoiiTTioN
mal paraîtraient absolument inconcevables , si nous ne
considérions pas la composition de l'Assemblée 3Natû>
nale. Jeneparle pas de la forme de sa constitution qui,
telle qu'elle est , mérite assez qu'on y trouve à redire ,
mais des matériaux dont elle est composée en grande
partie, ce qui est d'une conséquence dix mille fois plus
grande que toutes les formes du monde. Si nous ne
connaissions rien de cette Assemblée que par son titre
et ses fonctions, aucune couleur ne pourrait rien of
frir d'aussi respectable à l'imagination. Sous cet as
pect , un observateur , subjugué par une image aussi
imposante que celle de la vertu et de la sagesse de tout
un peuple réuni dans un seid foyer , hésiterait et
s'arrêterait même avant de condamner les choses
qui paraîtraient les plus blâmables. Au lieu de leur
paraître blâmables , elles ne leur sembleraient que mys
térieuses. Mais aucune dénomination , aucun pouvoir,
aucune fonction , aucune institution artificielle quel
conque , ne peuvent rendre les hommes appelés à com
poser un système d'autorité, quel qu'il soit , différens
de ce que Dieu , la nature , l'éducation et les habi
tudes de la vie les ont faits. Le peuple ne peut donner
de pouvoirs qui aillent au-delà. La vertu et la sagesse
peuvent bien être les objets de leur choix ; mais leur
choix ne confère ni l'une ni l'autre à ceux sur lesquels
se reposent leurs mains consacrantes. Ils ne sont pas
forcés par la nature ; ils n'ont pas les promesses de la
révélation pour aucun pouvoir semblable.
Après avoir lu en entier la liste des personnes élues
par le Tiers - Etat , et leurs qualités , rien de ce qui
DE FR \NCE. 67
est arrivé ne pouvait me paraître étonnant ; parmi
enx , à la vérilé , j'ai vu quelques personnes d'un rang
distingué, quelques-unes d'un talent brillant ; maison
n'aurait pu y trouver un hommequi eût la moindre ex
périence pratique des affaires publiques. Les meilleurs
étaient deshonimesde théoiïe.Mais quelque distingués
que fussent quelques-uns d'entre eux , c'est la substance
et la masse d'un Corps qui constitue son caractère , et
qui détermine , à la fin , sa direction. Dans tous les
Corps, ceux qui veulent conduire sont, en même temps,
en grande partie , sonmis à se laisser conduire eux-
mêmes ( 1 ). Il faut qu'ils conforment leurs propositions
au goût , aux talens et à la disposition de ceux qu'ils
ont le dessein de diriger. C'est pourquoi, si une assem
blée est vicieusement ou faiblement composée dans sa
plus grande partie, il n'y a qu'un éminent degré de
vertu , tel qu'on en voit peu dans le monde , et sur le
quel par conséquent il ne faut jamais compter , qui
puisse empêcher les hommes de talent qui y sont clair
semés de n'être que les instrnmens habiles de projets
absurdes. Si , comme cela arrive le plus souvent , au-
(i) On 1'» hisa 1» ! k> phipnrt n'ont fait que prêcher et mettre à
e&éculioB ce dicton populaire : Ole- toi de là que je myméife^^^
(Note de l'£difaiir.) 0'ê-
72 RÉVOLUTION
voir concourir aux moyens de rendre les propriétés
stables, ceux dont l'existence a toujours dépendu du
talent de rendre la propriété douteuse, ambiguë et in
certaine ? Leurs affaires s'augmentaient par leur élé
vation ; mais leurs inclinations , leurs habitudes , leurs
vues et leurs manières de procéder devaient rester les '
mêmes.
D'accord, dira-t-on; mais ces hommes devaient
être contre-balancés et contenus par des hommes d'un
autre ordre , d'un caractère plus modéré , et d'une in
telligence plus étendue. Etait-ce par l'autorité super-
éminente , et par la dignité imposante d'une poignée
de paysans qui avaient séance à l'Assemblée , quoique
quelques-uns ne sussent , dit-on , ni lire , ni écrire ,
qu'ils devaient être tenus en respect? Etait-ce par un
aussi petit nombre de négocians qui , quoiqu'un peu
plus instruits et plus distingués dans l'ordre de la so
ciété , n'avaient cependant jamais rien connu que
leurs comptoirs? Non ! ces deux classes étaient plutôt
faites pour être subjuguées et dominées par les intrigues
et par les artifices des gens de loi , que pour devenir
leurs contre-poids. Par une si dangereuse dispropor
tion , le tout ne pouvait manquer d'être gouverné par
eux. A la faculté de droit était mêlée une" part assez
considérable de la faculté de médecine. Celle - ci ,
pas plus que l'antre , n'avait été estimée en France
autant qu'elle aurait dû l'être. Ses docteurs , par
conséquent , devaient avoir les qualités des hommes
qui ne sont pas habitués à des sentimens de dignité ;
mais , en supposant qu'ils fussent placés comme ils
DE FRANCE. 7*3
devaient l'être , ainsi que les nôtres le sont aujour
d'hui; encore faut-il convenir que les ruelles des ma
lades ne sont pas des académies où l'on forme des
hommes d'Etat et des legislateurs. Ensuite arrivèrent les
banquiers et les agens de change, qui devaient être em
pressés , à quelque prix que ce fût , d'échanger la va
leur idéale de leurs papiers, contre des fonds de terre
qui en. ont une plus solide. A ceux-ci se joignirent des
hommes de différens états , dont on ne devait pas at
tendre plus de lumières ou plus d'égard pour les inté
rêts d'un grand royaume, et pas plus d'attachement
à la stabilité d'aucune institution ; des hommes faits
pour être des instrumens, et non pas des contradic
teurs. Tel était en général la composition du Tiers-
Etat de votre Assemblée Nationale (i), dans laquelle
on pouvait à peine apercevoir la trace la plus légère
de ce que nous appelons (the land interest) l'intérêt
naturel des propriétaires fonciers (2).
Nous savons que la Chambre des Communes d'An
gleterre , sans fermer ses portes à aucune espèce de
mérite dans aucune classe, est, par le concours certain
(1) Nous laissons aux politiques le soin «le décider si l'état des chose';
est changé à présent, et si les mêmes causes doivent produire les mêmes
résultats.
(Note de l'Editeur.)
(2) A peu près sous le règne de Guillaume on commença à distinguer,
dans ce pays , les propriétaires en deux classes , parce qu'alors com
mença l'usage de mettre la fortune dans les fonds publics. L'on appela
l'un landed interest , et l'autre monied interest , comme qui dirait
Vintdrtt foncier , et l'iutérôt de l'agiotage.
74 RÉVOLUTION
de beaucoup de causes équivalentes , composée de tout
te que la nation peut produire d'illustre par le rang ,
ta naissance, une opulence acquise ou héréditaire,
des talens cultivés dans le militaire , le civil , la ma
rine et la politique. Mais supposons, ce qui peut à
peine être le cas d'une supposition, que notre Chambre
des Communes fût composée comme l'est votre Tiers-
Etat en France , pourrait-on supporter avec patience
cette domination de la chicane , ou même la conce
voir sans horreur? A Dieu ne plaise que je veuille
rien insinuer d'avilissant contre celte profession, qui
est une espèce de prêtrise , dont le sacerdoce a pour
objet les droits sacrés de la justice. Mais quoique je
révère les hommes dans les fonctions qui leur sont
affectées, et quoique je désîre autant qu'aucun autre
.qu'ils ne soient exclus d'aucune, je ne peux pas ,
pour les flatter , donner un démenti à la nature. Ils
sont bons dans la composition de l'ensemble ; mais ils
deviennent nécessairement pernicieux, s'il» acquièrent
une prépondérance assez . marquée pour devenir les
maîtres. S'ils soof doués d'une supériorité reconnue
dans leurs fonctions particulières , il est très-possîble
que dans d'autres ils soient très- inférieurs. Je ne puis
rn'empêeher d'observer à cette occasion que , lorsque
des hommes sont trop enfoncés dans les habitudes de
leur profession , ils tournent malgré eux dans ce cer
cle étroit et toujours renaissant de leurs fonctions ,
<|tù les éloignent plutôt qu'ils ne les rendent propres
ii tout ce qui tient à la connaissance du monde, à
l'expérience des afi'aires de différentes natures , au
3ÎE FRANCE.' ^5
coup d'œil qui embrasse et qui détaille à la fois tous
ces grands objets variés et compliqués , extérieurs et
intérieurs , qui concourent à former cette machine
très-compliquée qu'on appelle Etat.
Après tout, si la Chambre des Communes pouvait
n'être composée que de gens de profession et de mé~
tier, quel serait ie pouvoir de la Chambre des Com
munes , circonscrite et bornée comme elle l est par les
barrières inébranlables de nos lois, de nos usages, de
nos règles positives et de celles de pure pratique ;
contre-balancée comme elle l'est par la Chambre des
Pairs, et soumise à chaque moment de son existence
à la volonté du Roi , qui peut la continuer, la proro
ger ou la dissoudre à son gré? Le pouvoir direct et
indirect de la Chambre des Communes est certaine
ment très- grand , et puisse- t-il conserver long temps
en son entier cette grandeur et cet esprit qui appar
tient à la véritable grandeur ! ( Ce qui sera aussi
long-temps qu'il aura soin d'empêcher que les infrac-
teurs des lois dans l'Inde ne viennent en donner à
l'Angleterre ). Cependant , le pouvoir de la Chambre
des Communes n'est qu'une goutte d'eau dans l'Océan,
en comparaison de cette majorité établie et inamovi
ble de votre Assemblée Nationale. Cette Assemblée ,
depuis la destruction des Ordres r n'est plus soumise à
aucune loi fondamentale, à aucune convention stricte,
ni à aucun usage respecté , par lesquels son pouvoir
puisse être restreint. Au lien de reconnaître la néces
sité d'agir conformément à une constitution déjà fixée,
elle est revêtue du pouvoir de faire une constitution
I
•jS RÉVOLUTION
qui s'adapte à leurs desseins. Rien , ni an ciel , ni
sur la terre , ne peut lui servir de frein. Quelles têtes
ne faudrait-il pas avoir , quels cœurs, quelles facultés,
pour être capables, ou même pour l'oser, non seule
ment, de faire des lois dans une constitution déjà éta
blie , mais pour entreprendre de faire éclore d'un seul
coup une constitution entièrement neuve pour un
grand royaume , et pour chacune des parties de ce
royaume , depuis le monarque sur son trône , jusqu'à
la moindre assemblée de paroisse ? Mais les insensés
se précipitent où les anges craignent deposer le pied( i ).
Dans une telle situation d'un pouvoir sans bornes , où
les projets sont indéfinis et indéfinissables, le mal,
résultant de l'inaptitude morale et presque physique
des hommes qui exercent toute autorité , doit être le
plus grand que nous puissions concevoir dans la con
duite des affaires humaines.
Ayant examiné la composition du Tiers- Etat tel
qu'il était dans son origine , j'ai jeté un coup d'œil sur
les représentans du clergé. Ici , il m'a paru de même
évident que l'on avait pris peu de précaution pour as
surer les propriétés , ni pour être certain de l'aptitude
des députés à leurs fonctions publiques , dans les prin
cipes de leur élection. Cette élection a été conduite de
manière à envoyer une nombreuse légion de curés de
(1) Oui , nous en avion» des nobles qui devaient toute leur fortune à
Louis XVI , et qui ont aidé à renverser son trône. Plusieurs ont pcii
snus les coups de leurs complices; mais ils ne sont pas tous morts, ec
comme l'a dit un grand politique en carmagnole : « Il n'y a que les
* mort* qui ne reviennent pas ».
{Soie de l'Editeur.)
80 RÉVOLUTION
née rencontre partout des obstacles ; mais , dans les
vapeurs et les brouillards de la confusion , tout s'a
grandit , et paraît sans limites.
Lorsque des hommes de rang sacrifient toute idée
d'élévation à une ambition sans objet distinct, et em
ploient des instrumens viJs pour parvenir à des fins
basses, tout ce qu'ils font est vil et bas. Ne verrait-on
pas quelque chose de semblable à cela maintenant en
France? N'y voit-on pas paraître quelque chose d'i
gnoble et de bas , quelque chose de chétif dans toute la
politique dominante? Une tendance , dans tout ce que
l'on fait, à rabaisser, par les individus, toute la di
gnité et l'importance de l'Etat. D'autres révolutions ont
été conduites par des hommes qui , en même temps
qu'ils s'efforçaient et même qu ils réussissaient à opé
rer dés changemens dans l'Etat, sanctifiaient leur am
bition , en rehaussant la dignité du peuple dont ils
troublaient la paix; iis avaient de grandes vues; ils se
proposaient de gouverner , et non pas de détruire leur
pays ; c'étaient des hommes qui avaient de grands ta-
lcns civils et militaires; et , s'ils ont été la terreur de
leur siècle , ils en ont été aussi l'ornement. Ils n'étaient
pas comme des brocanteurs juifs , se disputant l'un et
l'autre à qui aurait l'honneur de réparer le mieux la
ruine et les malheurs d'un pays qui n'aurait été boule
versé que parleurs conseils, en proposant la circulation
frauduleuse d'un papier discrédité. La flatterie adressée
à un de ces grands médians hommes marqués au vieux
coin ( Cromwell ) par un de ses parens , poëte estimé
DE FRANCE. 8t!
de ce temps-là , fait connaître quel était le but de son
ambition -, et il faut convenir qu'il a eu un assez grand
succès :
(1) Voici ce qu'on lit dans VEcclésiastique , chap . 38, v. ib , 26, 28,
67 et 36 :
<l Le docteur de la loi deviendra sage au temps de son repos ; et celui.
« qui s'agite peu acquerra la sagesse. — Comment pourrait se remplir de
<c sagesse on homme qui mène une charrue, qui prend plaisir à tenir à
« la main l'aiguillon dont il pique les bœufs, qui les fait travailler sans
<c cesse, et qui ne s'entretient que de jeunes bœufs' et de taureaux
« Ainsi le charpentier et l'archilecte passent à leur travail les jours et les
« nuits. — Ils n'entreront pas dans les assemblees; ils ne seront pas assis
« sur les sièges des juges ; ils n'auront point l'intelligence des lois sur
g lesquelles se font les jugemens ; on ne les trouvera point occupés à
« proposer ou expliquer des paraboles ; mais ils maintiendront seule—
« ment l'état de ce monde »
Que ce livre soit canonique ou apocryphe , ce que je ne décide pas ,
ce passage , j'en suis certain , contient beaucoup de sens et de vérité.
DE FRANCE. 85
sagesse et la vertu. Quelque part qu'on les rencontre ,
dans quelque état, dans quelquecondition, dans quelque
profession , et dans quelque métier que ce soit , elles
sont le passe-port du ciel pour le rang et pour l'hon
neur. Malheur au pays qui serait assez fou et assez im
pie pour dédaigner les services des talens et des vertus
civiles, militaires ou religieuses, qui lui seraient offerts
pour l'orner et pour le servir ! Malheur au pays qui
condamnerait à l'obscurité tout ce qui est propre à il
lustrer un état, et à l'environner de gloire! Malheur
encore au pays , qui donnant dans un extrême opposé,
regarderait une éducation servile , une manière bornée
d'envisager les choses, des occupations mercenaires et
sordides, comme des titres préférables pour comman
der ! Toutes les carrières doivent être ouvertes pour
tous les hommes, mais non pas indifféremment. Rien
n'est plus mauvais que l'usage d'accorder descommis
sions par tour ou par chance dans un gouvernement
qui embrasse une grande multiplicité d'objets ; rien de
plus mauvais que l'usage des élections qui opèrent dans
cet esprit de scrutin et de rotation. Ces moyens n'ont
aucune tendance directe ou indirecte pour fixer ou
pour placer chaque homme dans l'emploi pour lequel
il est propre. Je n'hésite nullement à dire que la route
qui conduit d'une condition obscure aux dignités et
au pouvoir , ne doit pas être rendue trop aisée. Si un
rare mérite est la plus rare de toutes les choses rares,
il devrait être mis à quelque épreuve. Le temple de
l'honneur ne pouvait être mieux placé que sur une
élévation ; s'il est ouvert à la vei;tu , souvenez-vous aussi
85 RÉVOLUTION
que la vertu n'est connue que par les difficultés et quef-
ques combats.
Pour que la représentation de l'Etat soit dans une
juste proportion , il faut qu'elle représente et ses talens
(ability)et sa propriété. Mais comme les premiers
ont une espèce de chaleur vitale qui tient à un prin
cipe entreprenant et actif, et comme la propriété au-
côntraire, est par sa nature paresseuse, inerte et timide,
celle-ci ne pourrait jamais être à l'abri des invasions
de ce principe actif, si on ne lui accordait pas dans
la représentation un avantage au-delà de toute propor
tion : elle doit être représentée aussi en grande masse
d'accumulation ; autrement elle ne serait pas assez bien
protégée. L'essence caractéristique de la propriété,
essence qui dérive des principes combinés de son acqui
sition et de sa conservation , est d'être inégale ; c'est
pourquoi les grandes masses qui excitent l'envie et qui
tentent la rapacité, doivent être mises hors de la crainte
de tout danger. Alors ces grandes masses forment un
rempart naturel qui met à l'abri toutes les propriétés
moins grandes , dans quelque proportion qu'elles dé
croissent. Une même masse de propriété , lorsquelle
est subdivisée par le cours ordinaire des choses entre
un plus grand nombre d'individus , ne procure plus
les mêmes avantages ; sa puissance défensive s'affaiblit
à mesure qu'elle se subdivise par de tais partages ; la
portion de chaque individu est moins grande que celle
que , dans l'ardeur de sesdésirs, il peut se flatter d'ob-
tenir,en dissipant les grandes accumulations des autres.
Si l'on faisait une distribution générale du pillage de
DE FRANCE. 87
quelques-unes de ces grandes masses , la portion de
chacun serait d'une petitesse inconcevable; mais 1»
multitude n'est pas capable de faire de tels calculs, et
l'intention de ceux qui la mènent au pillage , n'est ja
mais non plus de faire celte distribution.
Le pouvoir de perpétuer nos propriétés dan» nos
familles, est nne des circonstances le» plus intéres
santes et les plus importantes qui soient attachées à la
propriété , et celle qui contribue le plus à la perpé
tuité de la société elle - même ; elle fait tourner nos
vices au profit de nos vertus : par ce moyen , l'on
peut enter la générosité sur l'avarice. Les possesseurs
des richesses d'une famille et des distinctions qui
' sont attachées à leurs personnes en cette qualité héré
ditaire, (comme y étant les plus intéresses) sont les
garans naturels de la transmission de toutes les pro
priétés. Chez nous , la Chambre des Pairs est établie
sur ce principe; elle est entièrement composée de pro
priétés et de distinctions héréditaires. C'est pourquoi
elle forme le tiers du Corps Législatif^), et devient
en dernier ressort le seul jug« de toutes les propriétés ,
dans toutes leurs subdivisions. La Chambre des Com
munes aussi , quoique ce ne soit pas aussi nécessaire
ment , est cependant par le fait composée en grande
partie de la même manière. Que ces grands proprié-
-
(i) Le tiers du Corps Législatif, c'rsi-à-dii-e trois cent trente pairs
environ sur neuf cent quatre - vingt - dix membres de la Chambre de*
Commuues. Est-ce là la proportion suivie en France en i8i9.?
( Note de l'Editeur. )
88 RÉVOLUTION
taires soient ce qu'ils voudront, quels qu'ils soient,
et ils ont la chance d'être parmi les plus recomman
dantes, ils n'en seront pas moins, au pis aller, le lest
du vaisseau de la chose publique. Car, quoique la ri
chesse héréditaire et le rang qui l'accompagne soient
trop idolâtrés par des flatteurs rampans et par les
admirateurs aveugles et abjects du pouvoir , ils sont
d'un autre côté trop témérairement méprisés dans les
spéculations inconsidérées des adeptes pétulans, pré
somptueux , et à courte vue de la philosophie. Il n'est
ni contre nature , ni injuste , ni impolitique , d'ac
corder à la naissance quelques prééminences conve
nables et quelques préséances, pourvu toutefois que
ce ne soient pas des attributions exclusives.
On dit que 24 millions d'hommes doivent l'empor
ter sur deux cent mille. Cela est vrai si la constitu
tion d'un royaume est un problème d'arithmétique ;
et cette manière de parler n'est pas impropre, quand
elle a le secours de la lanterne pour l'appuyer ; mais
elle est ridicule pour des hommes qui peuvent raison
ner de sang-froid. La volonté du grand nombre, et les
intérêts du grand nombre , sont rarement la même
chose. Et la différence sera énorme, si en vertu de sa
volonté , il fait un mauvais choix. Un gouvernement
de cinq cents juges de villages et de curés obscurs , ne
serait pas bon pour 24 millions d'hommes, eussent-
ils été choisis par 48 millions. Il n'est pas meilleur
d'être guidé par une douzaine d'hommes de qualité
qui n'ont obtenu le pouvoir dont ils jouissent qu'en
trahissant leurs commettans. Aujourd'hui , vous sem
DE FRANCE. 89
blez être , en tout , égarés de la grande route de la na
ture. La propriété de la France n'est plus ce qui la
gouverne , et par suite de cela , la propriété est dé
truite , et la liberté raisonnable n'existe'pas. Vous n'a
vez acquis jusqu'à ce moment qu'un papier-monnaie et
une constitution d'agiotage. Quant à l'avenir, croyez-
vous sérieusement que le territoire de la France, avec
votre système républicain de 83 départemcns indé
pendants , ( pour ne rien dire de plus de la compo
sition de chaque département,) pourra jamais être
gouverné comme un seul corps , ou mis en mouve
ment par l'impulsion d'un seul esprit? Lorsque l'As
semblée aura achevé son ouvrage, elle aura achevé
sa ruine. Toutes ces républiques ne supporteront pas
long-temps la suprématie de celle de Paris; elles ne
souffriront pas que celle-ci fasse une sorte de monopole
de la captivi'é du Roi, et qu'elle gouverne l'Assem
blée soi-disant Nationale. Chacune voudra s'approprier
une portion des dépouilles de l'Eglise ; et aucune ne
souffrira que, ni les productions de son industrie , ni
celles de son sol, soient envoyées à Paris , pour bouf
fir l'insolence ou pour alimenter le luxe de ses artisans.
Files ne reconnaîtront à tout ceci rien de semblable à
cette égalité qui a servi de prétexte pour leur faire
rompre les liens de fidélité qui les attachaient à leur
souverain et à l'ancienne constitution de leur pays.
Dans une constitution telle que vous venez de la créer,
il ne peut y avoir de capitale. Vous avez oublié qu'en
formant un gouvernement démocratique , vous aviez
réellement démembré votre pays -, que vous n'avez
go RÉVOLUTION
pas laissé à la personne que vous continuez à appeler
roi, la centième partie du pouvoir nécessaire pour-
maintenir l'harmonie dans cetle collection de répu
bliques. Celle de Paris fera tous ses efforts pour com
pléter la corruption de l'armée , pour perpétuer illé
galement l'Assemblée , indépendamment du con
cours de ses différens commettans , comme un moyen
de prolonger son despotisme. Elle fera tous ses efforts,
pour attirer fout à elle, en devenant comme le cœur
d'une circulation illimitée d'assignats ; maïs ce sera
en vain. Tonte cette politique finira par paraître aussi
faible qu'elle est actuellement violente.
Si telle est votre situation actuelle, comparée à
celle à laquelle vous étiez appelés comme par la voix
de Dieu et des hommes , je ne puis rien trouver, dans
mon cœur, qui me porte à vous féliciter sur le choix
que vous avez fait , ou sur les succès qui ont couronné
vos efforts. Je ne serai pas pins porté à recommander
à aucune autre nation d'imiter une conduite dirigée
sur de tels principes , et susceptible dd semblables ef
fets. J'abandonne cet avantage à ceux qui sont plus
capables que je ne le suis de pénétrer plus avant dans
vos affaires, et qui savent mieux combien vos actions
sont favorables à leurs desseins. Les membres de la
Société de la Révolution, qui étaient si empressésdans
leurs congratulations , me semblent fortement persua
dés que dans les échantillons de politique que vous
avez fournis , il y en a qnekjues-tms qui pourraient,
en quelque façon , être utiles à lenr pays. Car votre
docteur Price , qui semble s'être abandonné avec fer
DE F» AN CE. 91
veur sur ce sujet à de profondes spéculations , adressa
à son auditoire les paroles suivantes , qui sont très-
remarquables : « Je ne puis finir ce discours sans rap-
« peler particulièrement à votre attention une con-
« sidération que j'ai déjà rappelée plus d'une fois , et
«,sur laquelle toutes vos pensées m'auront déjà pré-
« venu ; une considération dont mon esprit est pe-
« nétré plus que je ne puis l'exprimer ; je veux dire ,
« que le moment actuel est des plutfavorables pour
« tous les efforts dans ta cause de la liberté. »
Il est clair que l'esprit de ce prédicateur politique
était alors gros d'un dessein extraordinaire ; et il est
très-probable que les pensées de son auditoire , qui le
comprit mieux que je ne puis le faire, coururent tou
tes au devant de sa réflexion , et de toute la suite des
conséquences qui devaient en dériver.
Avant d'avoir lu ce discours, j'avais véritablement
cru que je vivais dans un pays libre; et je chérissais
mon erreur, parce que j'en aimais davantage ma pa
trie. Je présumais qu'une vigilance active et surveil
lante pour conserver le trésor de notre liberté , non
seulement de toute invasion , mais même de tous les
dépérissemens dela corruption, était notre premier de
voir , et notre meilleure sagesse. Cependant, je considé
rais ee trésor plutôt comme une possession à conserver,
que comme une conquête à entreprendre. Je ne dis
cernai pas comment le temps présent pouvait être si
favorable à tant à' efforts pour la cause de la liberté.
Le temps présent ne diffère d'aucun autre que par la
circonstance de ce qui arrive en France. Si l'exemple
92 RÉVOLUTION
de cette nation doit influer sur la nôtre , je conçois
aisément pourquoi quelques - uns de ses procédés ,
qui ont un aspect .désagréable , et qu'on ne peut pas
tout - à - fait concilier avec l'humanité , la généro
sité , la bonne foi et la justice , sont palliés avec
une si douce bénignité quand il s'agit des acteurs ,
et supportés avec un courage si héroïque quand il
s'agit des victimes. Il n'est nullement politique de
décréditer l'autorité d'un exemple que l'on propose à
imiter. Mais en accordant cela , nous sommes con
duits à une question toule naturelle : Quelle est cette
cause de la liberté , et quels sont ces efforts en sa fa
veur que l'exemple de la France rendrait si opportuns?
Et-cse notre monarchie que l'on vent détruire? tou
tes nos loix , tous nos tribunaux et toutes les ancien
nes corporations du royaume ? Faut- il effacer aussi
toutes les limites de nos provinces, pour nous donner
une constitution géométrique et arithmétique? Faut-
il déclarer la Chambre des Pairs inutile? détruire
l'épiscopat? Faut - il vendre les biens du clergé à des
juifs et à des agioteurs? ou les donner à ces républi
ques municipales de nouvelle invention , pour les dé
terminer à participer au sacrilége? Toutes les taxes
doivent-elles être abolies comme des surcharges , et le
revenu public réduit à une contribution, ou à des
dons pat riotiques ( i ) ? Doit-on entreteni r les forces de la
marine de ce royaume avec le produit des boucles de
(i) Voi à pourtant ce que nous promettaient tous les praticiens grands
politiques de i789 ; mais à force de diminuer les surcharges , nous suc
DE FRANCE, 93
Souliers, et substituer ce produit à celui de l'impôt sur
les terres et sur la drêche? Devons- nous aussi confon
dre les ordres , les rangs , les distinctions , afin de
faire sortir d'une anarchie générale , et d'une banque
route nationale , trois ou quatre mille démocraties que
l'on réduira à quatre vingt- trois, lesquelles , par la
puissance d'une sorte de. force attractive inconnue ,
finiront ensuite par s'organiser en une seule ? Faut -il
pour parvenir à ce grand but , corrompre l'armée ,
en anéantissant dans son sein tout principe de disci
pline et de fidélité, par des séductions de toutes espè
ces, et enfin par l'appât irrésistible d'une augmenta
tion de paye ? Et les curés , faut - il aussi les soustraire
à la discipline de leurs évêques, en leur offrant l'es
pérance illusoire d'une portion dans le pillage de leurs
propres biens? Faut -il corrompre la soumission des
citoyens de Londres, en les nourrissant aux dépens
de leurs sujets ? Un papier forcé doit-il être substitué
aux monnaies de ce royaume? Ce qui restera du pil
lage des fonds publics doit- il être sacrifié à ce projet
sauvage d'entretenir deux armées pour se surveiller
et se combattre mutuellement ? Si tels sont le but et
les idées de la Société de la Révolution, je conviens
qu'elles sont bien assorties, et que la France peut lui en
fournir des exemples.
Je vois que c'est pour nous faire honte que l'on nous
sondions sous le fardeau des contributions. Que ne peut-on changer les
choses comme on change les noms ! ,
( Note de l'Editeur. )
N
*)4 RÉVOLUTION
expose tous les détails de voire conduite. Je sais que
l'on nous suppose une race de paresseux et d'indolens,
devenus nuls en trouvant notre «situation tolcrable ; et
que le peu de liberté dont nous jouissons nous empê
che d'atteindre à toule sa perfection. Vos guides , en
France , commencèrent par affecter d'admirer , pres
que même d'adorer la constitution anglaise ; mais à
mesure qu'ils avancèrent , ils la regardèreut avec un
souverain mépris. Les amis de votre Assemblée Na+
tionale que vous avez parmi nous , ont exactement la
même opinion de ce que l'on regardait autrefois
comme la gloire de leur pays. L'Angleterre n'est pas
une nation libre : la Société de la Révolution a fait
cette découverte ; elle est convaincue que l'inégalité
de notre représentation « est dans notre constitution,
" un vice si énorme et si palpable, qu'elle est réduite à
« une pure formalité et à une vaine théorie (i) » ; que
la représentation clans le Corps Législatifd'un royaume
«est non seulement la base de toute la liberté constitu
tionnelle dont on y jouit , mais même « de tout gou-
«• vernement légitime ; que , sans elle , un gouverne
nt ment n'est qu'une usurpation ; que , lorsque la re^
« présentation est partielle , le royaume ne possède
« qu'une liberté partielle , ou n'a qu'un simulacre de
« liberté, et que si, bien plus que d'être partielle ,
« elle est le fruit de la corruption , cette liberté de-
« vient un fléau » Le docteur Price considère notre
(i) Discourse on the love of our couiitry. (Discours sur l'amour cl»
uoire pajs, 5e é"dit. , p. 39; par le docteur Price. )
de France. q5
Représentation non proportionnelle , comme notre
vice fondamental; et quoiqu'il veuille bien croire
que cette corruption n'est pas tout-à-fait à son comble,
il craint cependant que « pour parvenir à obtenir ce
« bienfait essentiel poar nous, notre ressentiment ait
« besoin d'être provoqué par quelque nouvel abus du
« pouvoir, ou que quelque grande calamité' renou-
« velle nos alarmes, ou peut-être que l'exemple d'une
« autre nation qui aurait acquis dans toute sa pu-
« reté l'égalité de la représentation , tandis que l'on
« nous amuse par son ornbre, emflamme notre amour-
« propre. » Il ajoute à cette occasion, une note ainsi
conçue, en parlant de nous : « Une représentation
« choisie principalement par la trésorerie et par quel-
« ques millions d'hommes de la lie du peuple, qui
« sont communément payés pour leur vote ».
Voiis sourirez ici en voyant l'inconséquence de ces
démocrates, qui, lorsqu'ils ne sont pas sur leurs gardes,
traitent avec le plus grand mépris la plus humble
classe de la société (i), tandis que dans le même mo-
(i) Tout récemment, Fuu des coryphées du parti soi-disant libera] ,
lie docteur Priee de la Minerve française , a commis la même incon
gruité dans une brochure impromptu sur les changemens proposes par
un pair à la loi des élections. Ce grand ami du peuple et de Vegalité
assure hardiment que quiconque ne paie pas cent écus d'impôts , eSt
accessible à la séduction, et ne doit jamais être électeur. Rirons-nous
de cette inconséquence démocratique ! Hélas ! non j si le iloctenr anglais
était de bonne foi dans ses sermons politiques , il pouvait avoir un côté
ridicule j mais nos docteurs de la Minerve ne mériteront jamais ce
reproche j et l'on se souvient encore combien ils étaient démocrates
quand ils servaient aux gages de l'usurpateur !
, , ( Note de l'Editeur. )
t)(> RÉVOLUTION
ment ils prétendent la rendre dépositaire de tout pou
voir ; il faudrait un discours entier pour vous fairé
apercevoir toutes les ruses qui sont cachées sous ces
expressions générales et équivoques d une representa
tion inadequate (hors de proportion ). Je dirai seu
lement ici en faveur de cette constitution, d'une vieille
mode sous laquelle nous avons long - temps prospéré ,
que notre représentation a été trouvée parfaitement en
proportion pour remplir toutes les fins que l'on peut
souhaiter ou rechercher par ce moyen. Je défie les
ennemis de notre Constitution de montrer le con
traire. Il faudrait faire un traité entier sur notre cons
titution-pratique, pour pouvoir vous détailler les particu
larités dans lesquelles on l'a trouvée si propre à remplir
ses vues. Je vous expose ici la doctrine de nos révolu
tionnaires , seulement pour vous faire voir , ainsi qu'à
tout le monde, quelle opinion ces messieurs ont de la .
constitution de leur pays, et pourquoi ils semhlent
croire que quelque grand abus du pouvoir, ou quelque
grande calamité qui nous offrirait une occasion d'ob
tenir les bienfaits d'une constitution analogue à leurs
idées , serait pallié à leurs yeux ; vous voyez pourquoi
ils sont si épris de votre belle et proportionnelle repré
sentation qui , dès que nous l'aurions obtenue , ne
manquerait pas de produire les mêmes effets. Vous
voyez qu'ils ne regardent notre Chambre des Com
munes que comme un semblant, une forme, une
théorie , une ombre , une moquerie , peut - être un
fléau.
Ces messieurs se vantent d'être systématiques en
OH FRANCE. 97
tout , et ce n'est pas sans raison. Us doivent donc re
garder ce vice énorme et palpable dans notre repré
sentation, ce grief fondamental, (c'est ainsi qu'ils
l'appellent ) non seulement comme une chose vicieuse
en elle-même , mais qui rend tout notre Gouverne
ment illégitime, et nullement meilleur que si c'était
une usurpation completle. En conséquence , pour se
débarrasser d'un gouvernement illégitime et usurpé ,
une autre révolution viendrait fort à propos, si même
elle n'était pas de nécessité absolue. En vérité , leur
principe , si vous l'observez avec quelque attention ,
va au - delà d'un changement dans l'élection de la
•Chambre des Communes : car si la représentation ,
( ou le choix du peuple ) est absolument nécessaire
pour la légitimité de tout gouvernement , voilà d'un
seul coup la Chambre des Pairs abâtardie et viciée
jusque dans son principe. Cette Chambre n'est point
du tout le représentant du peuple , ni dans Yappa
rence , ni dans la forme. En même temps , le cas
de la couronne n'est pas meilleur. C'est en vain
que pour se défendre contre ces messieurs , elle s'ef
forcerait de se mettre à couvert derrière les Pairs
par toutes les institutions créées à l'époque de la ré
volution. La révolution à laquelle on a recours comme
à un titre , manque de titre elle - même dans leur
système. Selon leur théorie , cette révolution est
construite sur une base qui n'est pas plus solide que
nos formalités actuelles , puisque la Chambre des
Pairs qui y a concouru , ne représentait aucunement
7
gS KÉvoLUrtoS
le peuple , et puisque la Chambre des Communes
était composée exactement sur le même principe
qu'elle l'est aujourd'hui ; c'est-à-dire , Seldtt eux <
qu'elle n'était qu'une ombré et une nto'tfuerte <à'è re
présentation.
Il faut absolument qu'ils détruisent quelque chose,
ou ils croiraient leur existence sans objet. Les Uns veu
lent arriver à la destruction du pouvoir civil , èrt
attaquant d'abord l'Eglise ; les autres veulent que
ce soit la chute du civil qui entraîne celle de l'E
glise. Ils sont bien avertis des funestes conséquences
qui pourraient retomber sur le public , s'ils ac
complissaient la double destruction de l'Eglise et
rie l'Etat; mais ils Sont tellement échauffés de leurs
théories, qu'ils font plus que de laisser entrevoir que
sa ruine , même avec tous les maux inévitables qu'elle
i ntraînerait, ou qui en résulteraient immédiatement,
maux dont la certitude leur est connue , que sa ruine,
uis-je , ne leur serait pas désagréable ou très-éloignée
de leurs vœnx. Un homme qui jouit d'une grande
autorité parmi eux , et qui z certainement aussi de
grands talcns , en parlant d'une alliance supposée avec
l'Eglise et l'Etat , dit : *< Peut - être devons^ nous at-
« tendre pour la chute de ces pouvoirs êivils , que
« cette alliance monstrueuse soit rompue. Ce temps
« sera certainement très - calamite<ux ; mais quelle
« convulsion dans le monde politique peut èfre un su-
« jet d'alarme , quand il en doit résulter un effet si
« désirable? » Vous voyez de quel œil assuré ces mes
DÇ FP.ANCE.
sieurs sont préparés à voir les plus grands ipàll)eurs
qui puissent arriver à leur pays ( i ).
Il n'est donc pas gUmpant qu'avec ces idées de
chaque chose dans leur constitution Ou leur gouver
nement intérieur , soit dans l'Eglise pu dans l Etat,
connue mie chpse illégitime # usurpée , ou au moins
comme une vaine moquerie » ils portent leurs re
gards dans l'étranger avec l'enthousiasme et toute
l'ardeur de la passion. Tandis que Jteprs esprits sont
ainsi preoccupée , .c'est en vajn qu'on Jenr parle de ce
qui a été pratiqué pi'r leurs anciêtr,çs , des lois fon
damentales de leur pays, des formes établies de la
Constitution, dont les avantages sont confirmés par
le témoignage irrévocable d'une longue expérience .,
par le progrès de la fprçe publique et de la prospérité
nationale. Ils méprisent l'expérience , comme étant la
sagesse des ignorant ; eit* qunnt au reste , ils ont pré
paré sous Jterre une mine dont l'explosion fera sauter
à la fois tous les ,exempjes de l'antiquité , les usages ,
les chartes et les actes du Parlement. Ils ont les droits
de l'hpjnuie. Contre de tels droits , il n'y a pas de pres
cription; fles adhésioijs ne sont pas des engagemens;
ils n'admettent ni tempérament , ni modification :
|put cejqnî e$t contraire à ce qu'ils renferment, n'est
gue fraude et injustice. Qu'aucun gouvernement ne
regarde comme un point de sécurité la longueur de sa
d.Hrép,, ni (la douceur pt la justice de son âdministra-
{x) «.yu'iinpQlle-îa pij^t flc(sijt ,fç>}le ^gyptnc.e , Rirait Robespierre ,
. i
100 RÉVOLUTION
tion. Si Jes formes (ne cadrent pas avec leur théorie;
les objections que font ces spéculateurs contre un gou
vernement antique et bienfaisant, acquièrent aussitôt
toute la validité de celles que l'on ferait contre la ty
rannie la plus violente ou l'usurpation la plus récente.
Ils sont toujours en contestation avec les gouverne-
mens , non pas à cause des abus qu'ils leur reprochent ,
mais parce qu'ils mettent toujours en question leur
compétence et leur titre. — Je n'ai rien à répondre aux
grossières subtilités de leur politique métaphysique:
qu'ils s'en amusent dans les écoles : >
té TÎï&t ïfSHTe , et *6tfarâ ift VU*, WiHife it ne fient cft nser qu'en di
sant : <Qti»-toi <fe là; ^uefe M'y mat»; jn attendant <fu'un nuire afn-
IRtïtiU* viérçne lui #& ïïfeVmfàhl.
( Note de l'Editeur.)
DE FRAKOE. toi
Le Gouvernement n'est pas fait en vertu des droits
naturels gui peuvent exister, et qui existent en effet
indépendamment de lui- Ces droits sont beaucoup plus
clairs, et beaucoup plus parfaits dans leur abstraction;
mais cette perfection abstraite est leur défaut pratique.
Quand on a droit à tout , on manque de tout. Le Gou
vernement est une invention de la sagesse humaine
pour pourvoir aux besoins des hommes. Les hommes
ont droit à ce que celte sagesse fournisse à tous leurs
besoins. Au nombre de ces besoins, on convient que,
hors de la société civile , celui qui se fait le plus sentir
est de restreindre suffisamment les passions. La so
ciété n'exige pas seulement que les passions des indivi-
dussoient réduites, mais même que , collectivement et
en masse, aussi bien que séparément, les inclinations
des hommes soient souvent contrariées, leur volonté
contrôlée, et leurs passions soumises à la contrainte.
Ceja ne peut certainement s'opérer que par un pou
voir qui soit hors d'eux-mêmes , et qui ne soit pas,
dans l'exercice de ses fonctions, soumis à cette même
volonté et à ces mêmes passions, que son devoir est de
domter et de soumettre. Dans ce sens , la contrainte
«st, aussi .bien que la liberté , an nombre des droits
.des fcqmœes : ipais, comme la liberté et ses restric
tions varient avec le temps et avec les circonstances,
comme elles admettent l'une et l'antre des modifica
tions jusqu'à l'infini , on ne peut les soumettre à au
cune règle fixe , et rien n'est si insensé que de les dis
tiller d'après ce principe.
J)ti moment que vous diminuez quelque chose des
104 RÉVOLUTION
droits de l'homme, de celui de se gouverner soi-
même , et que vous souffrez que l'on y apporte quel
ques limites positives et artificielles , aussitôt toute l'or
ganisation du Gouvernement devient matière de con
venance. C'est là ce qui rend la constitution d'un Etat ,
et la distribution équitable de ses pouvoirs, l'objet de
la science la plus délicate et la plus compliquée; c'est
là ce qui exige une connaissance si profonde de la na
ture humaine et de ses besoins, de toutes les choses
qui peuvent faciliter ou empêcher les différentes fins
qu'on se propose par le mécanisme des institutions ci
viles. L'Etat a besoin de ranimer ses forces , et de re
mèdes à ses maux. A quoi' servirait , pour alimenter
ou pour guérir , une discussion abstraite sur les droits
de l'homme ? La question est de savoir procurer et ad
ministrer l'un et l'autre; et, en pareille circonstance,
je conseillerais toujours plutôt d'avoir recours au fer
mier et au médecin , qu'aux professeurs de métaphy
sique-
La science de composer un Etat , de le renouveler ,
de le réformer , de même que toutes les autres sciences
fondées sur l'expérience , ne s'apprend pas h priori; et
l'expérience de cette science pratique ne s'acquiert pas
en un jour , parce que les effets réels , produits par des
causes morales , ne sont pas toujours immédiats; parce
que telle chose, qui paraît préjudiciable au premier
abord , peut être excellente dans ses opérations éloi
gnées , et parce que cette bonté même ne dérive peut-
être que des mauvais effets produits au commence
ment. On voit arriver aussi le contraire ; et des plans
DE FRANCE. lo5
très -plausibles, après avoir eu les commencemens les
plus flatteurs , ont fini par donner des regrets et de la
honte (i). Dans les Etats , il y a souvent de ces causes
obscures et presque cachées ; de ces causes qui , au
premier aspect , paraissent mériter à peine l'attention ,
et qui par la suite deviennent de la plus grande con
séquence pour leur prospérité ou pour leur malheur.
La science du Gouvernement étant donc si pratique
en elle-même , et dirigée vers tant d'objets-pratiques,
cette science exigeant une si grande étendue d'expé
rience , plus même qu'il n'est donné à personne d'en
acquérir dans le cours de sa vie , quelque sagacité qu'il
ait et quelque bon observateur qu'il soit , ce n'est
qu'avec des précautions infinies qu'un homme peut
s'exposer à renverser un édifice qui, pendant des
siècles , a rempli d'une manière supportable toutes les
fins générales de la société , ou à en élever un antre
sans avoir sous les yeux aucun modèle, ni aucun
exemple qui donnent l'idée d'une utilité déjà éprouvée.
Ces droits métaphysiques introduits dans la vie
commune , sont semblables à des rayons de lumière
qui percent dans un milieu dense , et qui , par les lois
de la nature , sont réfléchis dans leur même direction.
En vérité , dans cette masse énorme et compliquée des
'i ■ l
* - . 4
V
110 RÉVOLUTION
laissèrent bientôt cette besogne ennuyeuse d'uncrésis*
tance modérée niais journalière , à ceux d'entre nous j
que dans l'ivresse et dans l'prgueil de leurs théories, ils
avaient traités avec autant de mépris que si nous eus-
sioi>sétédesTorys(i). Ufautdjre aussi que l'hypocrisie
se plaît dans les spéculations les plus sublimes : car ,
n'ayant jamais le projet d'aider plus loin que les spécula
tions, ii n'en coûte rien de les faire magnifiques. Mais
même dans le cas où il fallait encore plus se défier dtf
la légèreté que de la ruse de leurs spéculations , leur
résultat a été le même : car, sj €<es professeurs ne trou
vent pas leurs principes extrêmes appjjçables aux cas
qui n'exigent qu'une résistance convenable, je peux
contre les manteaux chamarres de rubans, et les armoiries de tomes
couleurs que prodiguait un empereur , un roi ; voir même un ivrau ,
à des hommes qui avaient fait vingt fois le serment d'exterminer le»
empereurs, les vois et les tyrans? ( Note de l'Uditeur. )
(1) Les Torys et les WJiigs sont les,faut«urs de .deux partis qui di
visent le» Anglais depuis environ <deux cents ans. Il* naquirent sous
Jacques I" , successeur d'Elisabetl».; jUjs exercèrent leurs fureurs sous les
règnes soi vans, pendant les révolutions oui conduisirent un roi à l'é-
chafaud, placèrent un usurpateur sur le trône, ramenèrent les Stuai ls ,
les expulsèrent, etc. Le nom de STory et celui de Whig .sont, dit-■on ,
deux mots ecossais qui sLgniliuat coquin, brigand , dénomination,
que l'esprit de parti ne manque jamais d'appliquer à ceux du parti con
traire. Les honnêtes gens «e sont , de leur aveu , ni Torys ni Hf'àigs !
mais ces deux termes sont restés dans le langage populaire , à peu près
comme ceux à'Aristocrates et de Jacobins en France. Op appelle Torys
ceux qui sont soupçonnes de favoriser la cour, le toi , .la prérogative
loyale et la haute Eglise ; on appelle Whigs ceux qu'on soupçonne de
désirer .«ne.république, d^fcvorisej- Ja.démocratie } et çc qu'eu appelle
petite Eglise , dwt lafnojçale .estons ««lâchee.
(Nqte je VEditeur. )*
»lï FRANCE. III
ittême dire civile et légale , ils n'en ont pas du tout.
Avec eux il. faut la guerre , une révolution , ou rien.
Leurs systèmes politiques n'étant point adaptes à la
forme du monde dans lequel ils vivent, il arrive sou-
Vent qu'ils ont une idée trop légère de tous les princi
pes publics , et qu'ils sont prêts à sacrifier pour un in
térêt très-trivial , ce qu'ils trouvent n'avoir qu'une
valeur triviale» Quelques-uns, à la vérité, sont d'un
caractère plus ferme et plus persévérant ; mais hors
du Parlement, les politiques les plus ardens sont ceux
que la moindre chose déciderait à abandonner leurs
projets favoris. Us ont toujours en vue quelques ehange-
mens dans l'Eglise , ou dans L'Etat , on dans tons les
deux. Ceux qui pensent ainsi , sont toujours de mau-
vaiscitoyens, et l'on ne peut former avec eux une sorte
de liaisons sur laquelle on puisse compter : car, n'at.-.
tachant de valeur qu'à leurs projets spéculatifs , et n'en
accordant aucune à l'arrangement actuel de l'Etat , ce
qu'ils font de mieux est de n'apporter que de l'indif
férence dans la bonne conduite des affaires publiques ;
ils ne savent ni apprécier ie mérite , ni blâmer les
fautes ; ils se réjouissent de préférence pour les der
nières , comme plus favorables à une révolution. Ils ne
voient de bien ni de mal , dans les hommes , dans les
actions , ou dans aucun iprincipe politique , qu'autant
qu'ils y trouvent quelques rapports avec l'avancement
ou le retard de leurs projets de changemens. C'est par
cette raison qu'on les voit soutenir un jour la préro
gative la plus violente et -la plus étendue ; et dans un
autre temps , les idées les plus sauvages et les plus dé
112 RÉVOLUTION
mocratiques de la liberté ; et passer de l'une à l'autre
sans aucune espèce de considération pour la cause, les
personnes, ou le parti.
En France, vous êtes maintenant dans la crise d'une
révolution et d'un changement de gouvernement ;
vous ne pouvez pas discerner ce caractère d'hommes,
exactement dans la même position on nous le voyons
dans ce pays. Chez nous, il est guerroyant ; chez vous,
il est triomphant , et vous savez maintenant comme
il est capable d'agir quand on lui laisse prendre un
pouvoir proportionné à ses volontés. Je serais très-
fâché que Ton supposât que j'adresse ces observations
particulièrement à une certaine espèce d'hommes, ou
que je les confondisse toutes ensemble. Bien loin de
là ! je suis aussi incapable de cette injustice, que je le
suis de vouloir me mesurer avec des hommes qui pro
fessent des principes extrêmes , et qui , sous le voile
de la religion , enseignent une politique dangereuse et
sauvage. Ce qui révolte dans cette politique révolu
tionnaire , c'est qu'on dirait que son principal effet
est de tremper et d'endurcir les poitrines , afin de les
rendre en état de mieux supporter les coups terribles
que l'on porte quelquefois dans ces occasions extrê-1
mes ; mais comme ces occasions peuvent n'arriver
jamais , l'esprit en reçoit une souillure gratuite , et
les sentimens moraux ne souffrent pas peu , lorsqu'au-
cun projet politique ne gagne à cette dépravation.
Cette sorte de gens est tellement entichée de sa théo
rie des droits de l'homme , qu'elle en a tout-à-fait
oublié la nature. Sans ouvrir une nouvelle route à
DE FRANCK. I j3
l'entendement , ils ont re'ussi à fermer toutes celles qui
conduisaient au cœur ; ils ont corrompu dans leurs
âmes et dans celles de ceux qui les suivent , tous
les liens attrayants et consolateurs d'une sympathie
universelle.
Ce fameux discours du club de Old Jewry ne res
pire rien autre chose dans sa partie politique. Les
complots , les massacres , les assassinats , semblent être
des bagatelles, au prix d'une révolution; rien ne pa
raît aussi plat et insipide à leur goût , qu'une ré
forme qui n'est acquise ni par les déprédations , ni
par l'effusion du sang. Il leur faut de grands change-
mens de scène , des coups de théâtre , un grand spec
tacle , pour réveiller leur imagination que la jouis
sance indolente de soixante années de paix a trop en
gourdie , et pour donner du mouvement à ce calme
inanimé de la prospérité publique. Le prédicateur a
trouvé tout cela dans la révolution de France ; elle a
inspiré le juvenilis ardor ( l'ardeur de la jeunesse), à
tout son sujet ; on voit que son enthousiasme s'allume
à mesure qu'il s'avance , et lorsqu'il arrive à la pé
roraison, c'est un véritable volcan. C'est alors que,
découvrant du haut de sa chaire l'état libre , moral ,
heureux, florissant et glorieux de la France, comme
dans le point de vue d'un paysage de la terre pro
mise, son style s'élance avec extase : vous allez en juger
vous-même :
« Quelle période féconde en événemens ! Que je
« suis reconnaissant d'avoir vécu dans une telle époque !
« Je pourrais presque dire : Nunc dimiltis servum
S
Il4 RÉVOLUTION
« tuum, Domine. « C'est maintenant , Seigneur , que
« vous pouvez congédier votre serviteur en paix , se-
« Ion votre parole ! Mes yeux ont vu le salut que vous
« nous aviez promis ! » ( Cantique du vieux grand-
prêtre Sime'on ). « J'ai vécu pour voir une expansion
« de connaissances , qui a miné la superstition et
« l'erreur ; j'ai vécu pour voir les droits de l'homme
« mieux connus qu'ils ne l'avaient jamais été, et les
« nations haletant pour la liberté, dont elles semblaient
« avoir perdu l'idée; j'ai vécu pour voir trente mil-
« lions d'hommes , tous indignés , et comme des dé-
« terminés , foulant aux pieds l'esclavage , et deman-
« dant la liberté d'une voix irrésistible ; j'ai vu leur
« roi conduit en triomphe , et un monarque absolu
« se livrant lui-même à ses sujets » (i).
Avant d'aller plus loin , j'ai à remarquer que le
docteur Price semble préférera toutes les autres , pour
l'acquisition des lumières , l'époque à laquelle il en a
tant recueilli , et tant répandu. Il me semble que le
dernier siècle était au {moins aussi éclairé ; il a eu ,
(i) Un autre de ces révérends messieurs , qui avait été témoin des
scènes qui furent représentées aux 5 et 6 octobre i789, s'exprimait
ainsi : « Un roi soumis, traîné en triomphe par ses sujets victo~
a rieux ï C'est là une de ces marques de grandeur que l'on rencontre
a rarement dans le cours des affaires ^humaines, et qui , pendant
c< la durée de ma vie , ne cessera d'exciter mon étonnetnent , et de me
« gratifier». On voit par là que les sentimens de ces messieurs étaient
dans un accord parfait ; mais on sait comment se terminaient ces beaux
triomphes ! Ce roi qui s'était livré à ses sujets , fut bientôt traîné à l'c-
chafaud, et dans sa tombe furent successivement ensevelis des milliers
d'innocentes v ictimes. {Note de l'Editeur.)
DE FRANCE.! 1i.5
quoique dans tin lieu différent (i) , un triomphe aussi
mémorable que celui que vante le docteur Price , et
quelques-uns des grands prédicateurs de cette époque y
ont pris part avec autant d'ardeur qu'il en prend lui-
même à celui de la France. Dans le procès pour haute
trahison qui fut intenté au révérend Hugues Peters>
quelqu'un dit dans sa déposition , que quand le roi
Charles fut amené à Londres pour subir son procès ,
l'apôtre «le la liberté conduisait ce jour- là le triom
phe. « J'ai vu , dit le témoin , Sa Majesté , dans une
« voiture à six chevaux , et Peters triomphant , allant
« à cheval devant le roi. » Lorsque le docteur Price
a l'air de se livrer à l'impulsion de son génie, il ne
fait que copier servilement un exemple : car après le
commencement du procès du roi , son précurseur ,
ce même docteur Peters, finissant une longue prière
à la Chapelle Royale à White-Hall (2), dit': J'ai prié et
prêché depuis vingt ans \ et maintenant je puis m'é-
crier avec le vieux Siméon : Nunc dimittis servum
tuum j etc. y etc. Peters ne recueillit pas le fruit de sa
prière , car il ne quitta la vie ni aussitôt qu'il le souhai
tait , ni en paix. Il devint ( ce que j'espère de tout
(i) Plût à Dieu qu'elle y manquât ! Mais si le massacre n'eut pas lieu au
6 octobre, il ne fut que différé. Le 2 septrmbre i792 vit égorger tous
les évêques et tous les prêtres qu'on avait pu rassembler dans les pri
sons, et le 2i janvier suivant acheva l'œuvre d'iniquité.
( Note de l'Editeur. )
(2) Il est à propos de. rapporter ici le passage d'une lettre qui fut éci ite
sur ce sujet par un témoin oculaire. Ce témoin était un des membres les
plus honnêtes , les plus éclairés et les plus éloquens de l'Assemblée ; c'é
tait un des plus actifs parmi ceux qui désiraient avec zèle la réforme de
l'Etat. 11 a été obligé de se retirer de l'Assemblée , et de finir par «'exiler
lui-même du royaume, a l'occasion de ce pieux triomphe cl des dispo.
DE FRANCE, 12(j
qu'on se proposait , je ne puis cependant m'empêcher
de croire qu'un tel traitement exercé envers des Créa
« Parlons du parti que j'ai pris; il est bien justifié dans ma conscience.
— Ni cette ville coupable , ni cette Assemblée plus coupable encore, ne
méritent que je me justifie ; mais j'ai à cœur que vous , et les personnes
qui pensent comme vous, ne me condamnent pas.—Masanté, je vons jure
me rendait mes fonctions impossibles ; mais , même en les mettant de cô
té , il a été au-dessus de mes forces de supporter plus long-temps l'hor
reur que me causaient ce sang , ces têtes , cette reine presque égorgée ,
«e roi , amené esclave , entrant à Paris , au milieu de ses assassins, et
précédé des têtes de ses malheureux gardes. Ces perfides janissaires ,
ces assassins , ces femmes cannibales . ce cri de Tons i/es évêquës a la.
LANTBRNS ! dans le moment oïl le toi entre dans sa capitale avec deux,
évêques de son conseil dans sa voiture ; un coup de fusil , que j'ai vu
tirer dans un des carrosses de la reine, M. Bailly appelant cela un
heau jour; l'Assemblée ayant déclaré froidement , le malin , qu'il n'é
tait pas de sa dignité d'aller , tout entière , environner le roi ; M. Mi
rabeau disant impunément dans cette Assemblée que lé vaisseau de l'Etat,
loin d'être arrêté dans sa course , s'élancerait avec plus de rapidité que
jamais vers sa régénération; M. Barnave, riant avec lui, quand des
Ilots de sang coulaient autour de nous; le Vertueux Mounier échappant
par miracle à vingt assassins, qui avaient voulu faire de sa tète un tro
phée de plus. • '
« Voilà ce qui me fit jurer ire ne plus mettre le pied dans cette caverne
d'anthropophages (l'Assemblée Nationale) où je n'avais plus la furce
d'élever la voix ; où , depuis six semaines , nous l'avious élevée eu vain ,
ruoi, Mounier , et tous les honnêtes gens. Le dernier effort à faire pour
l3o RÉVOLUTION
tures humaines , doit être révoltant pour tous ceux qui
sont destinés à accomplir des révolutions. Mais je vais
encore plus loin. Guidé par les sentimens qui sont nés
en moi , et n'étant point illuminé par aucun de ces-
rayons modernes d'une lumière nouvellement créée ,
je vous avoue , Monsieur , que le rang élevé des per
sonnes que je vois souffrir , que particulièrement le
sexe, la beauté , les qualités aimables d'un rejeton de
tant de rois et d'empereurs; joint à cela l'âge tendre de
ces illustres enfans , que leur bas âge et leur innocence
seuls pouvaient rendre insensibles aux outrages, bar-
;
»E FRANCE. ■ l35
de notre nature nae et tremblante , et pour l'élever
dans notre propre estime à la hauteur de sa dignité ,
sont bafouées comme une mode ridicule , absurde , et
hors d'usage. %
Dans ce nouvel ordre de choses , un roi n'est qu'un
homme , une reine n'est qu'une femme: une femme
n'est qu'un être , et non du premier ordre. On traite
de romanesques et d'extravagans tous les hommages
que l'on rendait au beau sexe en général , et sans dis
tinction d'objets. Le régicide , le parricide , le sacri
lége , ne sont plus que des fictions superstitieuses pro
pres à corrompre la jurisprudence en lui faisant per
dre sa simplicité. Le meurtre d'un roi , d'une reine ,
d'un évêque ou d'un père , ne sont que des homicides
ordinaires ; et si , par hasard, on en commettait qui
pussent tourner au profit du peuple d'une manière
quelconque , de tels homicides doivent être très-par
donnables , et l'on ne devrait jamais , à cet égard ,
faire de recherches trop sévères (i). .
- D'après le système de cette philosophie barbare ,
qui n'a pu naître que dans des cœurs glacés et des es
prits avilis; système aussi dénué de sagesse que de
toute espèce de goût et d'élégance , les lois n'ont plus
d'autres gardiens que la terreur qui leur est propre ,
et elles n'existent que pour l'intérêt que les individus
(i) La terreur est àl'ordre dujour , écrivaient les Carrier, les Fouché,
les Joseph Le Bon ! La guillotine est en permanence , écrivaient tous
les proconsuls (le la Convention en mission à Lvon , Nantes , Marseille ,
Bordeaux, Toulon, etc., etc. ...
[Noie de l'Editeur-)
DE FRANCE. 1Î7
Maïs le pouvoir , d'une nature ou d'une aufre , sur
vivra au choc qui a anéanti les mœurs et les opinions,
et il trouvera d'autres et de pires moyens pour se sou
tenir. L'usurpation, qui, afin de renverser les an
ciennes institutions, a détruit les anciens principes,
soutiendra son pouvoir par des manœuvres sembla
bles à celle qui le lui a procuré. Lorsqu'il sera
détruit dans le cœur des hommes , ce vieux, ce
féal et ce chevaleresque esprit de loyauté , qui
affranchissait à la fois les rois et les sujets des pré
cautions de la tyrannie , alors tes complots et les as
sassinats seront anticipés par des meurtres et par des
confiscations antérieures, et par cet énorme rouleau
de maximes atroces et sanguinaires , qui renferme le
code politique de tout pouvoir qui ne repose ni sur
son propre honneur, ni sur celui de ceux qui doivent
lui obéir. Les rois deviendront tyrans par politique ,
lorsque les sujets seront rebelles par principes (i).
Lorsque l'on bannit toutes les anciennes opinions
et toutes les anciennes règles de la vie , c'est une perte
qu'il est impossible d'évaluer. Dès ce moment , nous
n'avons plus de boussole pour nous gouverner, et
nous ne savons jamais distinctement vers quel port
nous voguons. L'Europe , prise en masse , élait sans
contredit , dans une position florissante le jour où
(i) Voila ce que ne devraient jamais oublier ceux qui ne cessent de,
prêcher que l'insurrection est le plus saint des devoirs.
.1 . (Note de PEdHevr.}
l38 - RÉTOLUTION
vous avez consommé votre révolution. Il n'est pas
aisé de dire jusqu'à quel degré nos anciennes mœurs
et nos vieilles opinions influaient sur cette prospérité;
mais comme de telles causes ne peuvent pas être in
différentes dans leur action , nous devons présumer
que , dans l'ensemble , leur effet était avantageux .
Nous ne sommes que trop disposés à envisager les
choses dans l'état où nous les trouvons , sans donner
une attention suffisante aux causes qui les ont produi
tes, et qui peut-être les maintiennent encore dans ce
même état. Rien n'est plus certain que nos mœurs,
notre civilisation , et toutes les bonnes choses qui sont
inséparables des mœurs et de la civilisation dans cette
partie de l'Europe , dépendaient depuis des siècles de
deux principes , et étaient certainement le résultat
des deux combinés ensemble. *Je veux dire : l'esprit
de noblesse , et l'esprit de religion. La noblesse et le
clergé , l'un par sa profession , l'autre par sa protec
tion , ont perpétué l'existence du savoir, même au mi
lieu des armes et de la confusion , et tandis que les
gouvememens existaient plutot dans leurs, élémens ,
qu'ils n'étaient formés. Le savoir paya en retour à la
noblesse et au clergé ce qu'il leur devait , et le paya
avec usure en étendant leurs idées , et en ornant leurs
esprits. Heureux s'ils eussent tous continués à connaî
tre leur union indissoluble , et leur propre place !
Qu'il eût été heureux que le savoir non égaré par l'am
bition, se fût contenté d'instruire , et n'eût pas aspiré
à gouverner ! Comme ses protecteurs naturels et ses
de françb;^ i3g
gardiens, il sera jeté dans la boue et forilé aux pieds,
sous les sabots d'une multitude grossière (i ).
Si, comme je le soupçonne, la littérature moderne
doit beaucoup plus qu'elle n'a jamais voulu en conve-*
nir aux mœurs anciennes , il en est de même des au
tres intérêts, que nous estimons pour le moins autant
qu'ils valent. Le commerce même, le négoce, et les
manufactures, ( les dieux de nos politiques économis
tes , ) ne sont peut-être eux-mêmes que des créatures,
ils ne sont eux-mêmes que des effets, que comme des
causes premières , nous aimons mieux adorer. Ils ont
certainement acquis une grande extension sous le
même abri qui a fait fleurir le savoir , ils peuvent
aussi décheoir en même temps que leurs principes
protecteurs et naturels. Il paraît , quant à présent du
moins , que le tout est menacé de disparaître à la fois
chez vous.' Lorsqu'un peuple n'a ni commerce, ni
manufactures, et que l'esprit de noblesse et de reli
gion lui reste , le sentiment y supplée , et il ne rem
plit pas , toujours mal leur place ; mais si les arts et le
commerce venaient à se perdre dans une expérience
qui serait faite pour éprouver comment un état peut
subsister sans noblesse et sans religion , ces deux an
tiques principes fondamentaux , quelle espèce de
(\) Ne croirait-on pas que ces pages ont été écrites pendant les san
glantes journées où un tribunal révolutionnaire envoyait dans une môme
charrette , an même échafaud , prêtres , nobles , savant] , négociaus ,
ouvriers? Si en 9i on riait de ces prophéties ,' en rira -t-on Jepui»
qWjrn, a.-vu çjî,^ <j\l -p" ;'l
ï.ji» )t-v:;ol . - .. .•"-<< ,' 1.1, • »[-Note
v de l'Editeur.)
i4o RÉVOLUTION
chose serait alors «ne nation, composée de barbares
grossiers, stupides, féroces, et en même temps pauvres,
et sordides, privée de religion, d'honneur, d'une
fierté mâle , dénuée de tout pour le présent, et n'ayant
rien à espérer pour l'avenir?
Je souhaite qu'il vous soit possible de ne pas arriver
bien vite et par le chemin le plus court à celte hor
rible et dégoûtante situation.; On reconnaît déjà
dans tons les procédés de l'Assemblée et de tous ceux
qui l'endoctrinent , une conception pauvre , grossière
et vulgaire. Leur liberté n'est pas libérale ; leur savoir
est une présomptueuse ignorance ; leur humanité est
une brutalité sauvage.
11 n'est pas bien décidé si en Angleterre nous avons-
reçu de vous ces grands et convenables principes , et
ces mœurs dont nous conservons encore des traces
très-profondes, ou si vous les avez empruntés de nous;
mais je crois que c'est de vous que nous les tenons. Il
me semble que vous êtes gentis incunabula nostrœ »
le berceau de notre nation. La France a toujours in
flué plus ou moins sur les mœurs de l'Angleterre ; et
quand cette source sera arrêtée et corrompue, le cours
de son onde sera bientôt interrompu , ou bien elle ne
nous arrivera que troublée , et il en sera peut - être
de même à l'égard des autres nations. De cette cir
constance , il résulte , selon moi ; que l'Europe en
tière n'a que trop de raisons pour considérer tout ce
qui se passe en France sous le rapport de son intérêt
prochain et immédiat. C'est pourquoi vous m'excu
serez sans doute de m'être arrêté aussi long -temps sur
DE FRANCE. l{l
le spectacle atroce du 6 octobre i 78g, ou d'avoir donné
trop de carrière aux réflexions qui me sont venues
à l'esprit à l'occasion de la plus importante de toutes
les révolutions , de celle que l'on peut dater de ce jour:
je veux dire une révolution dans les sentimens de
l'âme , dans les mœurs et dans les opinions morales.
Dans l'état où sont maintenant les choses, où tout ce
qui est respectable est détruit, et où l'on essaye de dé
truire parmi nous tout principe de respect, on a pres
que besoin d'apologie pour donner un éloge aux senti
mens ordinaires de l'humanité.
Pourquoi snis-je affecté si différemment que ne l'est
le révérend docteur Price et ceux de son troupeau laï
que à qui il plaît d'adopter les sentimens de son dis-
- cours? par cette raison toute simple; parce qu'il est na
turel qne je le sois; parce qu'il est dans notre nature
«l'éprouver une mélancolie profonde , au spectacle de
l'instabilité du bonheur et de l'incertitude effrayante
de la grandeur humaine; parce que, dans ces émotions
naturelles , nous recevons de grandes leçons; parce
que dans des événemens comme ceux-là, nos passions
instruisent notre raison ; parce que , lorsque les rois
sonfainsi précipités du haut de leur trône par le direc
teur suprême fie ce grand drame , et qu'on les expose
ainsi à devenir l'objet des insultes de la populace et
de la pitié desbons, ces désastres font au moral la même
impression que les miracles au physique. Ces alarmes
nous conduisent à réfléchir ; nos esprits , comme on
l'a observé depuis long-temps , sont purifiés par la ter
reur et par la pitié ; notre faible et imprévoyant orgueil
'
l42 RèvOLUTIOk
est humilié à la vue des dispensations d'une sagesse
mystérieuse. Si un tel spectacle m'eût été représenté
au théâtre , des larmes auraient coulé de mes yeux ; je
serais en vérité bien honteux de découvrir en moi ces
émotions superficielles et théâtrales pour des malheurs
imaginaires , tandis que je pourrais me réjouir de
ceux qui ne sont que trop réels. Si j'avais Un esprit aussi
pervers , je ne voudrais jamais me risquer à montrer -
mon visage à aucune tragédie. On pourrait croire que
les larmes que Garrick m'a fait verser autrefois , .ou
que celles que mistress Siddons m'a fait verser depuis,
n'étaient que les larmes de l'hypocrisie; je les croirais
les larmes de la folie. .
En verité , le théâtre est une meilleure école de sert-
timens moraux que les églises où l'on outrage ainsi
l'humanité. Les poêles qui ont affaire à un auditoire
qui n'a pas encore reçu ses grades dans l'école des
droits de l'homme, et qui sont obligés de se conformer
*à la constitution morale du cœur, n'oseraient pas pro
duire au théâtre un tel triomphe comme un sujet de
ravissement. Dans ces lieux où les hommes suivent leur
impulsion naturelle , ils ne supporteraient pas les
maximes odieuses d'une politique machiavélique, soit
qu'on les appliquât aux entreprises d'une tyrannie
monarchique ou démocratiquè. Ils les rejetteraient sur •
le théâtre moderne , comme ils ie firent jadis sur le
théâtre antique , où ils ne purent supporter la proposi
tion , même hypothétique , d'une telle scélératesse ,
dans la bouche d'un tyran personnifié , quoiqu'elle
convînt au caractère du rôle. Une assemblée au
DE FRANCS. l43
théâtre d'Athènes n'aurait pas supporté ce qui l'a été
au milieu de la véritable tragédie de ce jour de triom
phe: un acteur principal qui , pesant comme à des ba
lances suspendues dans une boutique d'horreur , tant
de crimes effectifs contre tant d'avantages à espérer, et
ensuite ajoutant ou retirant des poids, prononce que
la balance est du côté des avantages : elle n'aurait
pas supporté de voir les crimes de la nouvelle démocra
tie enregistrés comme dans un livre de compte, en op
position avec les crimes de l'ancien despotisme ; et les
teneursdu livre politique trouvant la démocratieencore
en débet , mais nullement depourvue de la volonté ni
des moyens d'acquitter la balance. Au théâtre, le pre
mier aperçu d'une semblable méthode ferait voir sans
aucun effort de raisonnement , que de tels calculs poli
tiques justifieraient le crime dans toutes ses extensions ;
il ferait voir qu'avec de tels principes , si les choses
les plus affreuses ne s'exécutaient pas, les conspirateurs
le devaient plutôt à leur bonne fortune qu'à leur parci
monie à prodiguer le sang et la trahison : il ferait voir
aussi , que lorsqu'une fois les moyens criminels sont
tolérés, ils sont bientôt préférés ; ils vont plus droit à
leur objet que la grande route des vertus morales. Si
l'on justifie la perfidie et le meurtre par la considéra
tion du bien public , le bien public en devient bientôt
le prétexte, et la perfidie et le meurtre deviennent *le
but, jusqu'à ce que la rapacité, la méchanceté , la
vengeance, et la crainte, plus épouvantable que la ven
geance , puissent assouvir leurs appétits insatiables.
Telles doivent être les conséquences de perdre toutes
l4i RÉVOLUTION
les idées naturelles du bien et du mal , dans l'éclat du
triomphe des droits de l'homme.
Mais le révérend pasteur s'enthousiasme de ce triom
phe parce que véritablement Louis XVI était un mo
narque absolu , ce qui signifie en d'autres termes , ni
plus ni moins , que c'est parce qu'il était Louis XVI ,
et parce qu'il avait eu le malheur de naître Roi de
France, avec les prérogatives qu'une longue suite d'an
cêtres, et un consentement permanenl-de son peuple
lui avaient transmises sans aucun acte de sa part : ça
été réellement pour lui un grand malheur d'être né
Roi de France ; mais un malheur n'est pas un crime ,
et. une indiscrétion n'est pas toujours la plus grande
des fautes. Je ne croirai jamais qu'un prince dont le
règne n'offre dans tout son cours qu'une suite de con
cessions faites à ses sujets ; qui a consenti à relâcher de
son autorité , à abandonner ses prérogatives , à accor
der à son peuple une étendue de liberté que leurs pères
ne connaissaient et ne désireraient peut-être pas; qu'un
tel prince, eût-il été sujet aux faiblesses communes à
l'humanité et aux princes; eût-il une seule fois jugé
qu'il était nécessaire de réprimer par la force les projets
furieux manifestementdirîgéscontresapersonneet con
tre les restes de son autorité. Quoique toutes ces choses
méritent d'être prises en considération , ce rie sera ,
dis-je, jamais qu'avec la plus grande difficulté, que l'on
pourra me faire croire qu'il méritât ce triomphe in
sultant et cruel de Paris , ni celui du docteur Price.
Je tremble pour la cause de la liberté , d'après de sem
blables exemples donnés aux rois; je tremble pour
DE FRANCE» i 4S
la cause de l'humanité, quand je vois rester impunis
les outrages des hommes les plus pervers. Mais telle est
la tournure d'esprit basse et dégénérée de certaines
gens, qu'ils regardent avec une sorte de soumission,
et admirent les rois qui savent régner avec fermeté,
étendre une main rigide sur leurs sujets , maintenir
leurs prérogatives, et par la vigilance actived'un des
potisme sévère» se teuir en garde contre les approches
de la liberté ; ce n'est pas contre de tels monarques
qu'ils élèvent jamais la voix. Déserteurs de tout prin
cipe, enrôlés sous l'étendard de la fortune, ils ne voient
jamais aucun mérite dans la vertu souffrante, ni aucun
crime dans l'usurpation heureuse (i).
Si l'on avait pu parvenir à me démontrer clairement
que le roi et la reine de France ( je veux dire Ceux qui
l'étaient avant le triomphe), étaient des tyrans cruels et
inexorables , qu'ils avaient concerté un plan pour mas
sacrer l'Assemblée nationale ( et je crois avoir vu
quelques insinuations de ce genre dans certains ouvra
ges ), je trouverais leur captivité juste. Si cela est vrai,
on aurait du encore aller plus loin , mais en s'y pre
nant d une autre manière.Le châtiment des vrais tyrans
est un acte de justice noble et imposant , et c'est avec
(1) Qui ne reconnaît à ces traits, prophétiquement tracés , les effron
tés accusateurs de Louis, ses juges aussi impudens que criminels, rebelles
sous un prince débonnaire; soumis, valets et plats flatteurs sous un Na
poléon : enfin , redevenus iusolens, libéraux , et bientôt... mais ne pro
phétisons pas ; écrions - nous plutôt avec Joad :
Auras-tu donc toujours des veux pour ne point voir ,
Peuple ingrat?
» '• (tfot* dt l'Sdittur. )
l46 RÉVOLUTION
vérité qu'on a dit de plus qu'il était consolant pour
l'esprit humain. Mais si j'avais à punir un roi médian t ,
j'aurais attention à la dignité , en vengeant le crime.
La justice est grave et décente , et dans ses arrêts elle
paraît plutôt se soumettre à une nécessité , qu'à faire
un choix. Si Néron, ou Agrippine , ou Louis XI , ou
Charles IX eussent été l'objet de cette justice ; Si
Charles XII >, roi de Suède , après le meurtre de Pat-
kul; ou si Christine, qui régna avant lui, après le
meurtre de Monaldeschi , étaient tombés entre vos
mains , monsieur , ou dans les miennes , je suis certain
que votre conduite aurait été différente.
Si le roi français ou le roi des Français ( ou sous
quelque nom qu'il soit connu dans le nouveau vocabu
laire de votre Constitution ) , avait réellement mérité
d'attirer sur sa personne et sur celle de la reine , ces
mesures meurtrières , que personne n'avoue , que per
sonne ne venge, et toutes les indignités subséquen
tes, plus cruelles encore que le meurtre, un tel per
sonnage mériterait mal d'être choisi pour exercer
même le pouvoir exécutif subordonné , qui , à ce que
j'entends dire, doit lui être confié ; il ne serait pas plus
propre à être nommé le chef d'une nation qu'il aurait
outragée et opprimée. On ne pouvait pas faire un plus
mauvais choix que celui d'un tyran déposé, pour lui
confier une telle charge dans un nouvel Etat. Mais dé
grader et insulter un homme , comme le plus vil des
criminels , et le revêtir ensuite du soin de vos inté
rêts les plus précieux , comme un fidèle , honnête et zélé
serviteur , cela n'est ni conséquent en bonne logique ,
DE FRANCE.
ni prudent en politique , ni sûr dans la pratique.
Ceux qui conféreraient un tel pouvoir à une telle per
sonne seraient coupables d'un abus de confiance bien
plus grand qu'aucun de ceux qu'on ait jamais commis
envers le peuple. Comme ce crime est le seul dans le
quel vos guides politiques aient agi inconséquemment,
j'en conclus qu'il n'y avait aucun fondement à toutes
ces horribles insinuations ( i ).Je n'ai pas meilleure opi
nion de toutes les autres calomnies.
En Angleterre , nous ne donnons pas de vogue à ces
calomnies ; nous sommes ennemis généreux ; nous
sommes alliés fidèles. Nous rejetons loin de nous avee
dégoût et avec indignation les propos de ceux qui nous
apportent leurs anecdotes , avec l'attestation de la fleur
de lis sur leurs épaules. Nous tenons lord Georges Gor
don enfermé à Newgate ; et , quoiqu'il soit publique
ment prosélyte du judaïsme; quoique, dans son zèle
contre les prêtres catholiques et contre toute espèce
d'ecclésiastiques , il ait levé une armée de canailles ,
pardonnez-moi le terme ( il est encore en usage ici ) ,
pour abattre toutes nos prisons , il n'a pas pu conser
ver une liberté dont il se rendait indigne en n'en fai
sant point un vertueux usage. Nous avons rebâti New
gate, et nous l'avons doté; nous avons des prisons
presque aussi fortes que la Bastille, pour ceux qui
(i} Elles n'étaient que trop fondées , helas i Louis fut précipité du
trône, comme coupable d'attentat contre le peuple; on ne l'en fit pat
moins Roi des Français par la grâc* dt la Constitution , et un an plus
tard, il monta à l'échafaud.
(Hat* dt VEdittUT, )
i*. .
l48 RÉVOLUTION
osent faire des libelles contre les reines de France. Que
le noble libelliste reste dans sa spirituelle retraite ; que
là il médite sur son talniud, jusqu'à ce qu'il apprenne
à se conduire d'une manière plus convenable à sa nais
sance et à ses talens, et plus digne de l'ancienne reli
gion, dont il est devenu un prosélyte; ou jusqu'à ce
que quelques personnes, de l'autre côté de la Manche,'
pour plaire à vos nouveaux frères hébraïques, paient
sa rançon. Il sera alors en état d'acheter avec les vieux
lingots de la synagogue , et à un très -faible denier sur
les intérêts long-temps accumulés des trente pièces
d'argent (le docteur Price nous a montré quels mi
racles produisent des intérêts accumulés pendant 1 700
ans) (1), les terres qui avaient été usurpées par l'E
glise gallicane , d'après vos nouvelles découvertes. En
voyez-nous votre archevêque papiste de Paris , et nous
vous enverrons notre rabbin protestant. Nous traite
rons le personnage que vous nous enverrez en échange,
d'après ses mérites , en homme d'un talent distingué
et en honnête homme. Mais je vous prie, laissez-le ap
porter avec lui le fonds de son hospitalité, de sa bonté
et de sa charité ; et vous pouvez compter que nous ne
confisquerons jamais un shelling de ce fonds hono
rable jet pieux, et que nous ne penserons pas à enri
chir te trésor public avec les dépouilles du tronc des
pauvres.
Pour vous dire la vérité , mon cher Monsieur , je
crois que l'honneur de votre nation est intéressé, en
(1) Car , de toutes les choses qui se font sur la terre, il n'y en a point
de plus agréable au souverain être qui gouverne le monde , que les assem
blées d'hommes qui , par leur union et la sagesse des lois , forment ces
sociétés qne l'on noimnc cités... (Ctc. Son. e de Sciji.)
174 RÉVOLUTION
I nière. Ils conçoivent que celu i qui a vouluque notrena-
ture fût douée de l'attribut de pouvoir se perfectionner
par sa propre vertu , voulut en même temps les moyens
nécessairesqui peuvent la conduire à cette perfection.—
II voulut donc l'Etat; il voulut sa liaison avec la source
et le premier modèle de toute perfection. < Ceux qui
sont bien convaincus que telle est la volonté suprême
*le celui qui est la loi des lois, et le souverain des sou
verains, ne peuvent pasdésapprouver que lorsque nous
prêtons en corps noire serment d* foi et hommage,
que lorsque nous reconnaissons celte Suzeraineté do
minante, j'allais presque dire, lorsque nous offrons
l'Etat lui - même en oblation , comme unedigne of-
• Frande, sur le grand autel des hommages universels ,
nous devions y procéder avec toute la solennité pu
blique qui convient à tous les! actes solennels et reli-
• gieux , par des édifices ypar des chants mélodieux ,
par la pompe extérieure, par des discours, par la di
gnité des personnes, suivant les usages du: genreihu-
• main , d'après leur nature , c'est -.- à jdire avec une
modeste splendeur ; avec une juste' déférence yavec une
majesté douce et un éclat modéré. Pour remplir ces
finsi ils pensent qu'une partie de la richesse* de- la> na
tion est employée; aussi bien qu'ellepeut t*être, à encou*
rager ce luxe que son objet sanctifie ; ir-est l'ornement
public, il est la consolation publique , il nourrit l'espé
rance publique. L'homme le plus pauvre y trouve son
importance et sa dignité ; tandis que la richesse et l'or
gueil des individus font sentir à chaque .moment à
DE FRANCE. i75
l'homme d'un rang et d'une fortune médiocres, son in
fériorité, dégradent et avilissent sa condition. C'est en
faveur de l'homme qui vit dans l'obscurité, c'est pour
élever sa nature et pour lui rappeler à l'esprit une
situation dans laquelle les priviléges de l'opulence
cesseront , lorsqu'il sera égal par la nature j et pourra
être' plus qu'égal par la vertu , que celte portion de
la richesse générale de sa patrie est employée et sanc
tifiée.
Je vous assure que je ne vise pas à la singularité. Je
vous communique des opinions qui ont été reçues
parmi nous depuis long-temps, et jusqu'à ce moment
avec une approbation générale et soutenue , et qui sont
tellement imprégnées dans mon esprit , que je ne sau
rais distinguer ce que j'ai appris des autres, de ce qui
est le résultat de mes propres méditations.
C'est d'après de tels principes que la majorité du peu
ple en Angleterre, loin de regarder comme illégal un
établissement religieux national , croit au contraire ,
que légalement on ne peut s'en passer. Vous êtes tota
lement dans l'erreur en France , si vous ne pensez pas
que nous y soyons attachés pai'-dessus tout , et même
plus qu'aucune autre nation ; lorsque ce peuple a agi
inconsidérément à cet égard , et d'une manière qu'on
ne peut justifier ( ce qu'il a certainement fait en quel
ques occasions ) , vous reconnaîtrez du moins son zèle
jusque dans ses erreurs mêmes, v
Ce principe se représente dans toutes les parties du
système de notre politique :1e peuple anglais ne regarde
îytë RÉVOLUTION
pas l'établissement deson Eglise commeune chose seulé-
ment convenable, mais comme essentielle à l'Etat; non
comme une chose hétérogène et séparable , non pas com
me quelque chose d'ajouté pour unsimplearratigement,
comme quelque chose qu'il puisse prendre ou laisser
suivant que cela convient aux idées du moment ; il re
garde son établissement religieux , comme le fonde
ment de toute sa constitution , avec laquelle et avec
chaque partie de laquelle il maintient une union in
dissoluble. L'Eglise et l'Etat (i) sont des idées insépa
rables dans son esprit ; et il y a bien peu d'exemples
où l'on fasse mention de l'un sans faire mention de
l'antre.
Notre éducation est établie de manière à fixer cette
impression. Notre éducation est en quelque sorte toute
entière confiée aux ecclésiastiques, et dans toutes ses
périodes , depuis l'enfance jusqu'à l âge viril (2). Lors
même que notre jeunesse , au sortir des écoles et des
universités, entre dans cette période si importante de
la vie , qui commence à enchaîner l'expérience avec
(1) Oui; une nation qui compte des Bâcca, des Locke, des Mil Ion ,
de Newton , des Pope, des Dryden , des Hume , des Shakespeare,
des Chatam , des Pilt, des Fox; etc, «te., n'est poiut une nation de
barbares igociaus.
( Sot? île l'Editeur. )
DE FRANCE. I-g
être suscitées dans des vues politiques; et qui, .dans le
fait , naissent souvent de l'extravagance , de la négli
gence et de la rapacité des politiques. Le peuple d'An
gleterre pense qu'il a des motifs constitulionnelsaulant
que religieux, pour s'opposer à tout projet qui trans
formerait son clergé indépendant en ecclésiastiques
pensionnaires de l'Etat. L'influence d'un clergé qui
serait dans la dépendance de la couronne , le fe
rait trembler pour sa liberté ; et s'il devait dépendre
d'autre chose que de la couronne, il tremblerait pour
la tranquillité publique , parce qu'alors il aurait à
craindre les dangers d'un clergé factieux: c'est pour
quoi il a voulu que son Eglise fût aussi indépendante
que son roi et sa noblesse.
De cette union des considérations de la religion et
dela politique constitutionnelle, de cette opinion d'un
devoir de procurer d'amples consolations au faible et
des lumières à l'ignorant , la nation a incorporé et
identifié la richesse de l'Eglise avec la masse des pro
priétés particulières dont l'Etat n'est point le proprié
taire, soit pour en jouir ou en disposer, mais dont il
est seulement le gardien et le régulateur. Elle a or
donné que les revenus de son Eglise fussent aussi sta
bles que la terre sur laquelle elle repose , et qu'ils ne
fussent pas dans une fluctuation inconstante , sem
blable à TEuripe (i) des fonds publics et dos actions.
(i) Détroit «le l'Archipel , fcnieux par l'irrégularité <lc son flux <t
reflux .
(Tfote de rE.'iteur. ).
l8o RÉVOLUTION
Les hommes en Angleterre , je veux dire les hommes
éclairés et faits pour diriger les autres, dont la sagesse,
si vous leur en accordez, est franche et droite, seraient
honteux, comme d'une stupide fourberie, de profes
ser en paroles une religion que par leur conduite ils
paraîtraient mépriser. Si parleurs actions ( le seul lan
gage qui trompe rarement ) ils semblaient envisager
ce grand principe qui dirige le monde moral et le
monde, naturel ', comme une pure invention destinée .
à tenir en respect le vulgaire, ils craindraient, par
une telle conduite , d'aller contre le but politique
qu'ils auraient en vue. Ils trouveraient de grandes dif
ficultés à, faire croire les autres à un système auquel ils
n'accorderaient eux-mêmes manifestement aucune
confiance. Les chrétiens hommes d'Etat de ce pays
voudraient , avant tout , pourvoir à ce qui intéresse la
multitude; ils le voudraient par cela seul qu?elle est
multitude , et qu'en cette qualité elle est le premier
objet des institutions ecclésiastiques, comme aussi le
premier de tontes les institutions. Ils ont appris dès
long-temps qu'une des circonstances qui prouve le
plus en faveur de la vérité de la mission évangélique,
était que sa parole fût prêchée au pauvre; ils pensent
donc que ceux-là n'y croient pas , qui ne s'occupent
pas du soin de la leur faire prêcher. Mais comme ils
savent que la charité ne se restreint pas dans ses œu
vres à une seule classe d'hommes, et qu'elle doit aller
au secours de tous ceux qui en ont besoin , les grands
dans le malheur et dans la détresse, ne sont pas moins
à leurs yeux l'objet d'une compassion inquiète et légi-
DE FRANCE. l8l
time. Sans être repoussés par leur arrogance et leur
présomption, ces médecins de l'âme surmontent la
répugnante et l'aversion qu'elles inspirent ; et leur
prodiguant des soins salul aires, combattent avec les
remèdes convenables les maladies de leur âme. Il leur
est démontré que les instructions religieuses sont pour
eux d'une conséquence plus grande que pour tout
autre , d'après le danger des tentations qui les envi
ronnent; d'après les conséquences importantes atta
chées à leurs fautes; d'après la contagion des mauvais
exemples donnés par eux; d'après la nécessité de cour
ber leur opiniâtreté, leur orgueil et leur ambition ,
sous le joug de la modération et de la vertu ; d'après la
considération de la stupidité suffisante et de l'igno
rance grossière sur tout ce qu'il importe le plus aux
hommes de connaître, qui domine dans les cours, à
la tête des armées et dans les sénats, autant que dans
les ateliers et dans les champs.
Le peuple, en Angleterre, voit avec satisfaction que
les grands ont besoin des instructions et des consola
tions de la religion. Eux aussi , ils sont au nombre des
malheureux ; ils éprouvent des peines personnelles et
des chagrins domestiques. Dans tout cela ils n'ont
" point de privilèges, et ils .fournissent leur part tout en
tière dans les contributions imposées à tout le genre
humain ; ils ont besoin de ce baume salutaire dans
leurs soucis dévorans et dans leurs anxiétés , qui ,
ayant moins de rapports avec les besoins limités
de la vie animale , sont illimités dans leurs at
teintes , et se multiplient sous des combinaisons in
l8a RÉVOLUTION
finies dans les légions effrayantes et sans bornes de
l'imagination. Ils^ont besoin, ces êtres souvent bien
malheureux , d'une part de la charité , pour remplir
le vide obscur qui règne dans des cœurs qui n'ont
rien à espérer, ni rien à craindre sur la terre; de quel
que chose qui ranime la langueur mortelle et la lassi
tude accablante de ceux qui n'ont rien à faire ; de quel
que chose qui puisse créer un attrait à l'existence ,
lorsqu'une satiété insipide accompagne tous les plaisirs
que l'on peut acheter ; lorsque les impulsions de la na
ture sont étouffées; lorsque le désir même est pré
venu , et que , par conséquent , la jouissance est dé
truite par des projets et des plans de plaisir médités
d'avance ; lorsqu'enfin chaque désir est satisfait aussi
tôt que formé.
Le peuple d'Angleterre connaît combien, salon toute
apparence, serait faible l'influence des ministres de la
religion vis-à-vis des hommes qui auraient hérité d'une
opulence et d'une considération fort ancienne; com
bien moindre elle serait encore vis-à-vis des nouveaux
parvenus, s'ils se présentaient d'une manière qui ne
fût nullement assortie à celle des personnes avec qui
ils doivent s'associer, et même sur lesquelles ils doivent,
en quelques circonstances, exercer une sorte d'auto
rité. Quelle idée de telles personnes auraient -elles de
ce corps d'instituteurs, si elles voyaient qu'il ne fût
guère placé au-dessus de l'état des domestiques? Si la
pauvreté était volontaire , ce serait une grande diffé
rence. De fortes preuves de l'oubli de-soi-même opèrent-
puissamment sur nos esprits; et un homme qui est
DB FRANCE. 1 83
au-dessus des besoins, a acqiiis par là une grande li
berte' , une grande fermeté et même une grande di
gnité. Mais , comme l'ensemble de chaque classe ,
quelle qu'elle soit, n'es' composé que d'hommes, et
que leur pauvreté ne peut pas être volontaire, ce dé
faut de considération qui est attaché à la pauvreté
laïque, sera aussi sans distinction le partage de la pau-
rreté ecclésiastique. C'est pourquoi noire prévoyante
constitution a pourvu avec grand soin à ce que ceux qui
sont chargés d'instruire la présomptueuse ignorance, à
ce que ceux qui doivent exercer leur censure sur l'in
solence du vice, ne fussent jamais exposés à encourir
leurs dédains , ou à ne vivre que de leurs aumônes; 'et
à ce que les riches n'eussent aucun prélexte pour né
gliger cette véritable médecine de leurs âmes (i). D'a
près ces raisons, en même temps que nous nous occu
pions d'abord, et avec une sollicitude paternelle, dela,
consolation du pauvre , nous n'avons pas relégué la
religion (comme quelque chose que l'on aurait honte
de montrer) dans d'obscures municipalités , ou dans de
pauvres villages. Non ; nous voulons la voir élever à la
cour et au Parlement son front mitre; nous voulons
rencontrer son alliance à chaque pas dans le cours de
la vie, et qu'elle s'unisse à toutes les classes de la so
ciété. La nation anglaise montrera à tous les fiers po-
' il-'/
ig2 RÉVOLUTION
c'est à la propriété des citoyens, et non pas à la récla
mation des créanciers de l Etat , que la foi première et
originaire de la société civile est engagée. Le droit du
citoyen a la priorité du temps, la primauté du titre
et la supériorité en équité. Les fortunes des individus,
soit qu'elles fussent possédées à titre d'acquisition, à
titre d héritage , ou en vertu d'un droit partiel dans
des biens appartenant à quelques communautés , ne
faisaient partie , ni explicitement niimplicitement, du
cautionnement donné aux créanciers de l'Etat: ceux-
ci étaient loin d'en avoir l'idée , lorsqu'ils firent leurs
traites Ilssavaient très-bien que le public, soit qu'il soit
représenté par un monarque ou par un sénat , ne peut
hypothéquer que le revenu public, et qu'il n'existede
revenu public que par la levée d'une imposition juste
et proportionnelle , répartie sur la masse des citoyens.
Cela seul était le gage , et rien autre chose ne pouvait
être engagé au créancier public : nul ne peut hypothé
quer son injustice comme un gage de sa fidélité.
Il est impossible de se refuser quelques observations
sur les contradictions auxquelles ont donné lieu la ri
gueur extrême et l'extrême relâchement de cette nou
velle foi publique qui a influencé cette opération et
qui l'a influencée, non pas d'après la nature de l'obliga
tion,maisd'après les personnes qui y étaient intéressées.
Parmi tous les actes de l'ancien gouvernement des rois
de France , l'Assemblée nationale ne regarde comme
valides que ces engagemens pécuniaires, actes dont l'é
galité était la plus douteuse. Les autres décisions de ce
gouvernement royal , sont envisagées sous un jour si
DE FRANCK. lq3
odieux , que c'est presque une espèce de crime que
d'avoir à réclamer quelques droits fondés sur leur au
torité. Une pension accordée comme une récompense
pour des services rendus à l'Etat , est certainement un
aussi bon fondement de propriété que celui des sûre
tés accordées pour de l'argent avancé à l'Etat; c'en est
une meilleure: car, l'on paie et l'on paie bien pour
obtenir ce service. Nous avons cependant vu un grand
nombre de personnes , que les ministres les plus arbi
traires, dans les temps les plus arbitraires, avaient
laissé jouir en paix des grâces de cette nature, dépouillées
sans pitié par cette Assemblée des droits de l'homme.
Quand elles ont réclamé le pain qu'elles avaient acheté
au prix de leur sang , on leur a répondu que leurs ser
vices n'avaient pas été rendus à la nation qui existe
aujourd'hui.
Ce relâchement de la foi publique ne porte pas seu_
lement sur ces infortunés. L'Assemblée nationale, par
faitement conséquente avec elle même, ii faut l'avouer,
est engagée dans une délibération respectable , pour
savoir jusqu'à quel point elle est liée par les traités
publics passés avec les nations étrangères sous l'ancien
gouvernement ; et ses comités doivent déterminer
dans leur rapport quels sont ceux qu'elle doit ou non
ratifier. Par ce moyen , ils ont rendu la fidélité exté
rieure de cet Etat vierge , au pair de celle de l' intérieur.
Il n'est pas aisé de concevoir d'après quel principe
raisonnable le gouvernement royal n'aurait pas joui
plutôt du pouvoir de récompenser les services et de
passer les traités en vertu de sa prérogative , que de ce
i3
It)4 RÉVOLUTION
lui d'engager aux créanciers de l'Etat son revenu ac
tuel et possible. La disposition du trésor public est la
moindre de toutes les prérogatives qui aient été
accordées aux rois de France et à tous les rois de l'Eu
rope. Rien ne suppose d'une manière moins équivo
que le droit d'exercer l'autorité souveraine dans sa
plénitude sur le trésor public , que celui d'hypothéquer
les revenus publics. Ce droit est bien plns étendu dans
ses conséquences, que celui d'imposer une taxe mo
mentanée et fixe dans sa durée : cependant ces actes
d'un pouvoir dangereux ( la marque distinctive d'un
despotisme sans bornes ), sont les seuls que l'on ait re
gardés comme sacrés. D'où vient cette préférence accor
dée par une Assemblée démocrate , à une nature de
propriété qui tient son titre de l'usage le plus cri
tique et le plus nuisible de l'autorité monarchique ?
La raison ne peut rien fournir pour en excuser l'in
conséquence , ni la faveur partiale ne peut l'emporter
sur les principes de l'équité. Mais la contradiction et la
partialité , qui n'admettent point de justification,
n'en ont pas moins une cause équivalente, et je crois
que cette cause n'est pas difficile à découvrir.
La dette énorme de la France , en s' accroissant in
sensiblement , avait accru aussi , le monled interest
( l'intérêt de l'argent ) , et avec lui avait fait naître un
grand pouvoir. D'après les anciens usages de ce royau
me , la circulation générale de la propriété, et en par
ticulier l'échange réciproque des terres contre l'argent
et de l'argent contre les terres, avait toujours été su
jet à de grandes difficultés. Les substitutions dans les
DE FRANCE. iq5
familles étaient plus générales et plus strictes qu'elles
ne le sont en Angleterre ; le droit de retrait , l'étendue
des domaines de la couronne inaliénables par une
maxime du droit français , les grandes propriétés du
clergé , toutes ces choses rendaient en France les pro
priétaires fonciers plus qu'étrangers aux capitalistes ,
moins propres à se mélanger ensemble , et moins bien
disposés en faveur l'un de l'autre , qu'ils ne le sont
dans ce pays.
Le peuple a regardé long-temps d'un mauvais œil
les capitalistes. La nature de leur propriété lui sem
blait avoir un rapport plus immédiat avec la nature
de sa détresse , et l'aggraver. Ce genre de propriété
n'était pas moins envié par les très-anciens proprié
taires de terre , en partie pour la raison ci-dessus ;
niais bien plus encore parce qu'il éclipsait, par le faste
d'un lnxe plein d'ostentation, les généalogies toutes
sèches , et les titres tout nus d'un grand nombre de
nobles : même lorsque la noblesse , qui représentait le
corps des propriétaires fonciers les plus permanens ,
s'unissait par des mariages ( ce qui arrivait quelque
fois ) avec l'autre classe de propriétaires , à peine fai
sait-on grâce d'un certain mépris à cette source de ri
chesses , en faveur du service qu'elles rendaient à des
familles dont elles préservaient la ruine. Ainsi les ani-
mosités et les inimitiés de ces deux partis s'augmen
taient même par les moyens ordinaires qui terminent
toutes les discordes et qui apaisent toutes les querelles
dans le sein de l'amitié. Dans le même temps , la fierté
des hommes à argent , non nobles ou nouvellement
196 RÉVOLUTION
anoblis , s'augmentait par la même raison, et s'accrois
sait avec sa cause (i). Celte classe d'hommes ne sup
portait qu'avec ressentiment une infériorité dont elle
ne reconnaissait pas les fondemens. Il n'y avait pas de
mesures auxquelles elle ne fût disposée à se prêter pour
se venger des outrages qu'elle avait reçus d'une fierté
rivale, et pour pincer les richesses au degré d'élévation
qu'elle lui assignait comme lui appartenant naturelle
ment. C'est cette classe d'hommes qui a frappé sur la
noblesse en attaquant la couronne et l'église. Elle a
porté particulièrement ses coups aux endroits où les
blessures devaient être les plus mortelles; c'est-à-dire
en s'adressant aux propriétés de l'église qui , au moyen
du patronage du roi , étaient communément réparties
parmi la noblesse : les évêchés et les grandes abbayes
commendataires étaient , à bien peu d'exceptions près,
occupés par des personnes de cet ordre.
Dans cet état subsistant d'une guerre très-réelle ,
quoique pas toujours apparente , entre l'ancien pro-
(l) Voilà une réponse péremptoire à ceux qui nous présentent tou
jours les grandes richesses de certains banquiers et autres propriétaires,
en porte-feuille, comme un garant de leur amour de la paix!.. Hou;
leur argent ne profite que dans le désordre commun; leurs foods ne
s'accroissent que par le mouvement; ils ne s'engraissent, pour ainsi
dire, que de l'amaigrissement des autres; il n'y a que les riches pro
priétaires fonciers qui daignent de voir le sol trembler.
[ Note de l'Editeur. )
198 RÉVOLUTION
ce règne politique et plein de dignité. Ils tachèrent de
se dédommager de ce qu'ils avaient perdu dans la pro
tection de l'ancienne cour , en se réunissant pour for
mer entre eux une association puissante. L'union des
deux académies de France , et ensuite la vaste entre
prise de YEncyclopédie dirigée par ces] messieurs, ne
contribuèrent pas peu aux succès de leurs projets.
La cabale littéraire avait formé il y a quelques an
nées quelque chose de ressemblant à un plan régulier
pour la destruction dela religion chrétienne; ils pour
suivaient leur objet avec un degré de zèle qui jusqu'ici
ne s'était montré que dans les propagateurs de quelque
système religieux. Ils étaient possédés jusqu'au degré
le plus fanatique de l'esprit de prosélytisme ; et de là ,
par une progression facile , d'un esprit de persécution
conforme à leurs vues : ce qu'ils ne pouvaient pas
faire directement et tout d'un coup pour arriver à
leurs fins , ils le tramaient par des procédés plus lents
et en travaillant l'opinion. Pour commander à l'opi
nion , le premier pas nécessaire est de s'arroger un
empire sur ceux qui la dirigent. Leurs premiers soins
furent de s'emparer avec méthode et persévérance de
toutes les avenues qui conduisent à la gloire littéraire;
beaucoup d'entre eux, assurément, ont occupé un rang
très -élevé dans la littérature et dans les sciences. Le
monde entier leur a rendu justice , et en faveur de leurs
autres talens , on leur a fait grâce sur le but dangereux
de leurs principes particuliers; c'était générosité pure;
ils y ont répondu en faisant tous leurs efforts pour acca
parer entre eux seuls et leurs adeptes toute la réputation
DE FRANCE. igg
d'esprit , de savoir et de goût : J'oserai dire même que
cet esprit exclusif et circonscrit n'a pas été moins
préjudiciable à la littérature et au goût qu'à la mo
rale et à la véritable philosophie. Ces pères athées ont
une bigotterie à eux ( i ) , et ils ont appris à déclamer
contre les moines avec l'ardeur des moines -r. mais en
plusieurs choses ils sont encore hommes du monde. Les
ressources de l'intrigue sont mises en jeu pour suppléer
au défaut du raisonnement et de l'esprit. A ce système
de monopole littéraire était jointe une industrie sans
pitié , pour noircir et pour décréditer de toutes les ma
nières , et par toutes sortes de moyens , tous ceux qui
ne tenaient pas à leur parti. Il était évident depuis
long-temps aux yeux de ceux qui avaient observé l'ar
deur de leur conduite, que le pouvoir sevd leur manquait
pour transformer l'intolérance de leur langage et de
leurs écrits en des persécutions qui frapperaient l'es
propriétés , la liberté et la vie (2).
Les persécutions faibles et passagères qui ont eu lieu
contre eux , plutôt par égard pour la forme et pour la
décence , que par l'effet d'un ressentiment sérieux ,
(l) Rousseau (J. J.) , que la secte philosophique révère si fort aur
jourd'hui , connaissait l'intolérance révoltante de ces pères tolérants ;
il en fit plus d'un essai à ses dépens, et il s'en plaint en mille endroits,
de ses ouvrages.
. . { Note de l'Editeur. )
(î) Ils l'ont eu enfin ce pouvoir ; ils en ont usé et abusé ; mais pert-
dant combien de temps ! Les économistes , encyclopédistes , aussi bien
que les royalistes , égoïstes et fédéralistes , ont été traînés par char
retées à Véchafaud révolutionnaire.
(Note de l'Editeur.)
20O RÉVOLUTION
n'ont ni diminué leurs forces , ni ralenti leurs efforts*
Tout ce qui en est résulté , c'est que cette opposition
et leurs succès ont fait naître un zèle violent et aloce ,
d'une espèce inconnue jusqu'ici dans le monde ;
que ce zèle qui s'était emparé de leurs esprits , ren
dit tontes leurs conversations, qui autrement auraient
été agréables et instructives , tout-à-fait dégoûtantes.
Un esprit de cabale , d'intrigue et de prosélytisme do
minait dans toutes leurs pensées , dans leurs moindres
paroles, dans leurs moindres actions; et comme le
zèle de la controverse tourne bientôt ses idées vers la
force , ils commencèrentà s'introduire prèsdes princes
étrangers, en établissant des correspondances avec eux;
ils espéraient que, parle moyen de l'autorité des sou
verains, qu'ils flattèrent d'abord , ils pourraient venir à
bout de produire les cbangimensqu'ils avaient en vue.
Il était indifférent pour eux que ces changemens fus
sent opérés par la foudre du despotisme , ou par le
tremblement de terre d'une commotion populaire. La
correspondance que cette cabale a entretenue avec le
feu roi de Prusse, ne répandra pas une faible lumière
sur l'ardeur de tous leurs procédés.Dans le même dessein
qui les faisait intriguer avec les princes , ils cultivaient
d'une manière distinguée les capitalistes de la France ;
et enfin , mettant à profit les dispositions de quelques
personnes , qui , par leurs chaiges particulières ,
avaient les moyens les plus certains et les plus éten
dus de répandre leurs idées , ils s'emparèrent avec
grand soin de toutes les avenues de l'opinion.
Les écrivains, surtout lorsqu'il., agissent ea corps,
>
DE FRANCE. 201
et dans une seule et même direction , obtiennent une
grande influence sur l'esprit public; c'est pourquoi
l'alliance de ces écrivains avec les capitalistes a produit
un sensible effet (i),en affaiblissant la haine et l'envie
du peuple contre cet te espèce de richesses. Ces écrivains,
de même que tous ceux qui propagent des nouveautés,
affectèrent un grand zèle pour le pauvre , et pour la
classe la plus basse de la société , en même temps que,
dans leurs satires, ils attiraient , à force d'exagération,
la haine la plus forte sur les fautes des cours , de la
noblesse et du clergé (a)! Ils devinrent des démagogues
d'une certaine espèce. Ils servirenl comme de chaînon
(1) Celte alliance est aujourd'hui plus etroite que jamais ; et l'on sait
avec quelle profusion certains capitalistes fournissent à certaines coa
litions d'écrivains, responsables ou non , <jui agissent en corps, et dans
une seule et même direction. Ce qu'il y a de plus déplorable , c'est que
l'autorité , au lieu de favoriser des coalitions contraires qui porteraient
Vantidote partout où les autres colporteut le poison , semble prendre à
tâche de les décrier, de les étouffer. Si nos hommes d'Etat ne sout pas
.tes plus ineptes des hommes , que sont-ils donc ?
( Note de l'Editeur. )
'a) Qu'on parcoure l'échelle des ouvrages périodiques ou semi-pério
diques des écrivains de la faction révolutionnaire , depuis la Minerve
jnsqu'à VHomme Grisr et qu'on nous dise si le même système que Burke
dévoilait si clairement eu 1791 , n'est pas sjivi aujourd'hui avec plus
de constance , plus de fureur et de succès que jamais ! Du même arbre
attendons les mêmes fruits ; mais gare les catégories de suspects ! Si
ou veut en avoir un échantillon., qu'où lise, daus le 6me n° de la Biblio
thèque Royaliste , les catégories établies le 29 juillet 17<)5 , par la
société régénérée de Toulojse, à laquelle assistaient les représcatans
du peuple en missipn, et celles q:i'Ltabiissait la Corum'iue de'Paris daus
le inéine temps.
( Note de l'Editeur. )
202 RÉVOLUTION
pour joindre , en faveur d'un seul objet , les disposi
tions hostiles de la richesse , au désespoir turbulent de
la pauvreté.
Comme ces deux espèces d'hommes paraissent être
les principaux guides de toutes les dernières opérations,
leur union et leur politique serviront à expliquer la
fureur universelle avec laquelle on a attaqué toutes les
propriétés territoriales et tous les établissemens ecclé
siastiques ; et d'un autre côté , le soin extrême , en op
position à leurs prétendus principes, que l'on a pris
des capitaux provenant de l'autorité de la couronne^
L'envie contre la richesse et le pouvoir a été détour
née adroitement , et dirigée vers les autres natures de
richesses. Quels autres principes que ceux que je viens
d'établir , pourraient servir à expliquer ce choix si
extraordinaire et si peu naturel que l'on a fait des
biens ecclésiastiques , pour les employer au paiement
de la dette publique , de ses propriétés qui avaient sur
vécu pendant des siècles aux agitations et aux violen
ces civiles , tandis que cette dette ne pouvait être con
sidérée que comme l'ouvrage récent et odieux d'un,
gouvernement décrié et en désordre?
Le revenu public était -il un gage suffisant pour la
dette publique ? Supposez qu'il ne le fût pas , et qu'il
dût nécessairement y avoir une perte quelque part :
lorsque le seul revenu existant légalement , le seul que
les parties contractantes eussent en vue au moment où
elles ont fait leur marché , vînt à manquer, qui devait
en souffrir d'après les principes de la loi , et même de
l'équité naturelle ? Certainement cela devait être ou
DE FRANCE. 2o3
le prêteur , ou celui qui avait engagé à prêter , ou tous
les deux , et non pas un tiers qui n'avait pris aucune
part au traité. En cas d'insolvabilité , la perte devait
tomber ou sur celui qui avait été assez faible pour prê
ter sur une mauvaise hypothèque , ou sur celui qui
frauduleusement en avait offert une sans valeur. Les
lois ne connaissent pas d'autres règles de décision; mais
d'après le nouvel institut des droits de l'homme , les
seules personnes qui , selon l'équité , devaient suppor
ter la perte , sont les seules qui se retireront sans avoir
rien perdu ; et ceux-là paieront la dette , qui n'étaient
ni les prêteurs , ni les emprunteurs, et qui n'avaient
reçu ni donné aucune hypothèque.
Qu'avait à faire le clergé dans toutes ces opérations?
qu'avait -il de commun avec aucun engagement public,
au-delà de l'étendue de sa propre dette? quant à celle-
ci, certainement, ses terres étaient engagées jusqu'au
dernier arpent. Rien ne peut mieux mettre sur la trace
dn véritable esprit de l'Assemblée qui siége pour exer
cer des confiscations publiques d'après sa nouvelle
équité et sa nouvelle morale , que de donner un peu
d'attention à la conduite qu'elle a tenue à l'égard de
cette dette du clergé. Le corps des confiscateurs fidèles
aux capitalistes pour lesquels il était infidèle à tous les
autres, trouva le clergé compétent pour contracter lé
galement une dette ; conséquemment, c'était recon
naître en lui la possession pleine et légale des biens
qu'il n'aurait pas eu le pouvoir d'engager et d'hypo
théquer , s'il n'eût pas été réellement propriétaire.
2o4 RÉVOLUTION
Ainsi dans le même acte qui dépouille ces malheureux
citoyens , on consacre à la fois et la légitimité de
leurs droits , et la violation impudente que l'on en fait.
Si , comme je l'ai dit , quelques personnes devaient
répondre du déficit aux créanciersde l'Etat, ce devait
être celles par les mains desquelles avait passé la transac
tion de ces créances. Dès lors, pourquoi n a-t-on pas con
fisqué tous les biens de tous les contrôleurs -généraux ?
Pourquoi n'a-t-on pas confisqué ceux de cette longue
succession de ministres, de financiers et de banquiers
qui se sont enrichis, pendant que la nation se ruinait
parleurs manœuvres et par leurs conseils ? Pourquoi les
biensdeM. deLa Borde n'ont-ils pas étéconfisqnés, plu
tôt que ceux de l'archevêque de Paris, qui n'avait jamais
rien eu de commun dans la création ni l'agiotage des
fonds publics ; ou , s'il vousfallait absolument confisquer
d'anciennes propriétés territoriales , en faveur de ceux
qui font commerce d'argent , pourquoi avez-vous fait
porter ce châtiment sur une seule classe d'hommes? Je
ne sais pas si , d'après le goût excessif qu'avait le duc de
Choiseul pour les dépenses, il aura laissé après lui quel
que chose des sommes énormes qu'il avait obtenues des
bontés de son maître , durant le cours d'un règne qui,
par ses prodigalités en tout genre, pendant la guerre et
pendant la paix, a amplement contribué à la dette ac
tuelle de la France. S'il en existe des restes, pourquoi
ne sont-ils pas confisqués? J'ai été à Paris du temps dé
l'ancien gouvernement ; je me rappelle que c'était im
médiatement après l'époque 01i le duc d'Aiguillon ve
DE FRANCE. 2o5
naît de sauver sa tête du billot , par le secours de la
main protectrice du despotisme ( du moins, tout le
monde le pensait ainsi ). Il a été ministre, et il a été
pour quelque chose dans toutes les affaires de ces temps
de prodigalité; pourquoi ne vois-je pas ses possessions
territoriales abandonnées aux municipalités dans les
quelles elles sont situées? La famille illustre des Noail-
les, qui a long-temps servi ( et servi avec honneur ) la
couronne de France , a eu aussi une certaine part à ses
bontés; pourquoi n'entends-je parler d'aucune applica
tion de ses biens à la réduction de la dette publique ?
Pourquoi les biens du duc de la Rochefoucault sont-
ils plussacrés que ceux du cardinal de la Rochefoucault?
Le premier , je n'en doute pas , est une personne res
pectable ; et ( si ce n'était pas une sorte d'impiété de
parler de l'emploi que l'on fait des richesses , comme
s'il pouvait influer sur le titre de leur possession), il
fait un bon usage de ses revenus; mais j'espère que,
sans lui manquer d'égards, je peux répéter ce qui m'a
été garanti par des personnes très-bien informées;
elles m'ont dit que son neveu , l'archevêque de Rouen,
disposait d'une manière beaucoup plus louable et bien
plus conforme à l'esprit public , du produit d'une pro
priété également légitime. Peut - on , sans horreur et
sans indignation , entendre parler de la proscription de
telles personnes , et de la confiscation de leurs biens ? Il
faut n'être pas homme , pour ne pas éprouver ces émo
tions dans de telles occurrences, et se serait être indigne
dn titre d'homme libre, que de ne pas les exprimer.
206 RÉVOLCtIO»
Peu de conquérans barbares ont jamais fait une ré
volution si terrible dans les propriétés. Aucune dès fac
tions romaines, lorsqu'elles établissaient « crudèlem
illam hastam , cette cruelle vente à l'encan » dans les
enchères de tousleurs butins , n'a jamais porté la vente
des biens des citoyens conquis , à un taux si considéra
ble. J)n doit dire en faveur de ces tyrans de l'antiqui
té, que tout ce qu'ils ont fait , ils ne l'ont pas fait de
sang-froid.. Leurs passions étaient allumées , leurs
caractères étaient aigris , leur esprit bouleversé par
l'esprit de vengeance , et par toutes les représailles
innombrables et réciproques de meurtre et de rapine.
Ils étaient entraînés au delà de toutes les bornes de
la modération , dans la crainte où ils étaient que
toutes les familles , qu'ils avaient trop outragées pour
espérer aucun pardon , en rentrant dans la possession
de leurs biens , ne reprissent en même temps leur
pouvoir.
Ces Romains , amis des confiscations, qui n'étaient
encore qu'aux élémens de la tyrannie, et à qui les droits
de l'homme n'avaient pas encore enseigné à exercer
tontes sortes de cruautés sur les uns et sur les autres ,
sans y être aucunement provoqués , crurent cependant
nécessaire de donner une sorte de couleur à toutes leurs
injustices. Ils regardèrent les vain eus comme des traîtres
qui avaient porté les armes ou qui avaient agi d'une
manière quelconque dans un esprit hostile contre la
république. Ils les traitèrent comme des gens qui
avaient encouru par leurs crimes la confiscation de leurs
DE FRANCE. 207
biens ( i) Quant à vous , au point de perfection de l'es
prit humain Hont vous jouissez , vous n'avez pas mis
tant de formalités. Vous avez fait main-basse sur cinq
millions sterling de revenu annuel , et chasse de leurs
maisons quarante ou cinquante mille créatures humai
nes, parce que « tel était votre bon plaisir ». Le tyran
de l'Angleterre , Henri VIII , qui n'était pas plus
éclairé que ne l'étaient à Rome les Mariuset les Sylla,
et qui n'avait pas étudié dans vos nouvelles écoles ,
Henri VIII ne connaissait que l'instrument invincible
du despotisme; l'on pouvait trouver dans ce grand ar-
sénal d'armes offensives les droits de l'homme. Lors
qu'il eut résolu de piller los abbayes, comme le club
des Jacobins a pillé tons les biens ecclésiastiques, il
commença par établir une commission pour entrer
dans l'examen des crimes et des abus qui régnaient
dans ces communautés. Sa commission , comme on
pouvait s'y attendre , mit dans son rapport des vé
rités, des exagérations et des mensonges; mais faus
sement ou d'après la vérité , elle rendit un compte
la première fois qu'on présentait ainsi, pour le vœu du peuple, les cris
d une populace ameutée (car qui voudrait se vauier aujourd'hui d'avoir
pillé le calùnet défigures de Curtius, pour promener le butte de Necker
et de... ). Ctila choqua quelques bons esprits, et M, de Toleudaï écri
vit quelques jours après au journaliste que tes prières du peuple n'étaient
un ordre que pour lui et ses collègues de la députation. Il prévoyait
dès lors l'étrange abus qu'on ferait de cette doctrine, mais le mot était
lâché , et le mal était fait. Il faut doue que nous demandions le rappel
de M. Necker (Journal de Paris, du i8 juillet, séance du same
di i6, page 896 ). Le rappel du ministre chéri et le renvoi des troupes
du roi furent donc demandés pour obéir aux prières ou ordres du peuple ,
et un peu au canon qui avait foudroyé la Bastille; et , séance tenante,,
le roi renvoya ses ministres, écrivit à M. Necler pour l'engager à re
prendre le portefeuille , et envoya sa lettre au président de l'Assemblée-,
pour la transmettre 4M. Necker. — Qui ne prévoyait dès lorsque de telles
luttes n'étaient que le prélude de la terrible tragédie politique qui allait
bientôt ensanglanter la France , et coûter la couronne et la vie à son roi?
Hélas! deux mois et demi plus tard , les 5 et 6 octobre , le peuple sou
verain priait ou ordonnait tout autrement à Versailles , et alors M. de
Lally-Toleodal avait bien changé de langage! Nous avons donné, à la
page. i2C)de cet Ouvrage , la lettre où il rend compte de ces scènes d'hor-
Teur , et où il déclare qu'il ne peut plus rester avec ces anthropophages ,
ses collègues de l'Assemblée Nationale. Il se repentit alors , assez tôt pour
son honneur; car il n'y a pas moins de gloire à réparer ses erreurs qu'a
n'en jamais commettre, mais trop tard pour son pays qui ne put pas
éiiiigrer, lui. La France resta eu proie à ces anthropophages , tandis
que M. de "Lally-Toleudaï et ses amis nous abandonnèrent pour chercher
un asile en Angleterre. Il put comprendre alors ce que valent ces pré
tendus prières ou ordres d'un peuple ameuté , et ce que valent aujour
d'hui les pétitions collec-tives en masse } au nom du peuple !
(Note de l'Editeur. )
2*4 RÉSOLUTION
et dans le ressort direct de son emploi particulier ; mais
si l'exposé était exact ( et, comme j'ai toujours conçu ,
ainsi que vous , le plus haut degré de respect pour
M. Necker, je ne doute pas qu'il ne le fût ), alors,
que peut -on dire pour justifier ceux qui, au lieu-
dune contribution modérée , raisonnable et géné
rale, ont de sang -froid, et sans y être forcés par au
cune nécessité, eu recours à une confiscation cruelle et
partiale ?
Le clergé et la noblesse avaient-ils réclamé aucun de
leurs priviléges pour se soustraire à cette contribution ?
Ils ne l'avaient point fait. Le clergé même avait pré
venu les désirs du Tiers-Etat. Avant la réunion des
Etats-Généraux , il avait , dans toutes ses instructions ,
chargé expressément ses députés de renoncer à toutes
les exemptions qui mettaient les ecclésiastiques sur un
pied différent de leurs concitoyens. Le clergé même
s'expliqua sur cet article d'une manière plus explicite
que ne l'avait fait la noblesse.
Mais supposons que le déficit fût fixé à 56 millions
( ou 2,2000,000 liv. sterling ) , comme cela fut d'abord
établi par M. Necker. Accordons que toutes les res
sources qu'il employait pour le combler fussent des
fictions impudentes et sans fondement -, accordons
même que l'Assemblée (ou que les Lords des Articles ,
aux Jacobins) (1) , fût par là justifiée devoir fait por-
(1) Dans la Constitution de l'Ecosse , pendant le règne des Sluaid, un
comite se forma pour préparer tous les bille , et aucun ne passait qu'il
n'eût d'avance été approuvé par lui. Ce ci mite était appelé Lords of
articles.
DE FRANCE. $1$
ter toute la charge du déficit sur le clergé. Cependant ,
en accordant tout cela , un besoin de 2,200,000 liv.
sterling ne, peut pas justifier une confiscation qui
se monte à 5,opo,ooo sterling. Une imposition do
2,200,000 livr. sterling sur le clergé , comme par
tiale , aurait été oppressive et injuste ; mais elle n'au
rait pas été totalement ruineuse pour lui ; et c'est pourv
cela qu'elle n'aurait pas répondu au véritable dessein
des conducteurs de l'entreprise.
Les personnes qui ne sont point familiarisées avec
les affaires de France pourront peut-être croire, en
entendant dire que le clergé et la noblesse étaient pri-;
vilégiés à l'égard des impôts , que ces deux corps ,
avant la révolution , ne contribuaient en rien aux,
charges de l'Etat : ce serait une grande erreur (i). Cer
tainement ils ne contribuaient pas également l'un et
l'autre , et aucun des deux ne contribuait également
avec le Tiers -Etat; mais cependant ils supportaient
tous deux beaucoup de charges. Ni le clergé , ni la no
blesse , ne jouissaient d'aucune exemption pour les
droits prélevés sur les consommations, sur les droits
«le douane , ni sur une infinité d'autres impôts indi
rects, qui , en France , ainsi qu'ici , sont pour le pu
blic une partie si considérable de tous les paiemens. La
noblesse payait la capitation ; ellejpayait aussi un land-
ia.v, appelé vingtième. Ces vingtièmes ont été quel-
(1) Erreur qui dure pourtant encore , et que ne cesse de fortifier la.
•ecte révolutionnaire auprès des genérations nouvelles qui n'ont aucuns,
idée de notre ancien gouvernement.
[Note de l'Editeur. )
2l6 RÉVOLUTION '
quefois jusqu'à trois , et quelquefois jusqu'à quatre
schellings par livre sterling (1) : ces deux impositions
directes ne sont pas légères de leur nature, et le pro
duit n'en est pas -indifférent. Le clergé des pays con
quis ( dont la proportion avec tout le royaume est d'un
huitième pour l'étendue, et plus forte sous le rapport
des richesses ) payait la capital ion et les vingtièmes au
même taux que la noblesse. Le clergé , dans les an
ciennes provinces, ne payait pas de capitation; mais
îl l'avait rachetée par une somme d'environ 24,000,000
ou un peu moins qu'un million sterling. Il était exempt
des vingtièmes, mais il faisait des dons gratuits; il
contractait des dettes pour l'Etat , et il était soumis à
quelques autres charges ; de sorte qu'en réunissant
tout", il payait environ un treizième de son revenu net.
Il aurait dû payer environ 4o,ooo Hv. sterling de plus
par an , pour se trouver au pair avec les contributions
de la noblesse. :
Lorsque les terreurs de cette proscription effrayante
tombèrent sur le clergé, M. l'archevêque d'Aix offrit
en son nom une contribution, qui n'aurait pas dû être
acceptée , tant elle paraissait extravagante ; mais elle
était évidemment et clairement beaucoup plus avan
tageuse aux créanciers de l'Etat , que tout ce que l'on
pouvait raisonnablement espérer d'une confiscation.
Pourquoi n'a- 1- elle pas été acceptée? La raison en est
simple : l'intention n'était pas d'engager l'Eglise à ser-
(1} Les soins les plus empressés de Louis XVI étaient pour la pros
périté de sa marine; et, sans la révolution, la France n'eût bientôt plus
•H de rivale à redouter sur mer.
( Note de l'Editeur. )
z'àG RÉVOLUTION
rite , publiques et particulières ; lorsque j'examine
l'état des beaux arts , qui adoucissent et embellissent
la vie j lorsque j'énumère les hommes fameux qu'elle
a produits , soit pour la gloire de ses armes , soit pour
l'honneur de ses conseils., le grand nombre de ses lé^
gislateurs et de ses théologiens fameux, de ses philo
sophes , de ses critiques, de ses historiens, de ses an
tiquaires , de ses poetes , de ses orateurs sacrés et
profanes , j'éprouve , à l'aspect d'un spectacle si im
posant , quelque chose qui interdit à l'esprit une cen
sure trop générale et trop inconsidérée, et qui exige
que nous entrions dans une recherche bien sérieuse
avant de prononcer surles \\ces cachés qui pourraient
nous autoriser à raser tout d'un coup, jusqu'à ses fon
dement, une composition dont tout l'aspect est si im
posant (i). Rien dans ce tableau brillant ne me rap
pelle le despotisme de la Turquie. Je n'y découvre rien
non plus qui caractérise un gouvernement qui aurait
été en tout si oppressif, si corrompu , ou si négligent ,
qu'il ne fût absolument susceptible d'avçufu espèce
de reforme. Ah ! je crois, b^en plutôt qu'un tel gouver
nement méritait que l#, constitution anglaise relevât
(1) On doit être bien reconnaissant des peines que M. de Colonne s'est
données pour réfuter les exagérations scandaleuses iclatives à quelques
dépenses . royales , et pour dévoiler les faussetés introduites dans le rap
port des pensions , dans le dessein pervers de provoquer la populace à
toutes sortes de crimes.
(Note de l'Auteur. )
DE FRANCE.
tends dire qu'il s'est fait des émigrations considérables
de France ; et qu'un grand nombre de familles ,
sourdes aux enchantemens de ces Circés de la liberté,
abandonnant ces contrées voluptueuses , ont été se ré
fugier dans les parties du nord , et sous le despotisme
britannique du Canada.
Ne dirait-on pas, à cette disparition totale du numé
raire , que ce n'est plus le même pays dans lequel le
ministre actuel des finances a pu découvrir quatre-
vingt millions sterling d'espèces; à le voir aujourd'hui,
qui ne croirait qu'il a été pendant quelque temps sous
la direction immédiate des savans académiciens de
Laputa et de Balnibardi (i)? La population de Paris
est tellement diminuée , que M. Necker a exposé
sous les yeux de l'Assemblée, qu'il fallait déjà comp
ter sur un cinquième de moins pour son approvision
nement (2). On dit , (et je ne l'ai jamais entendu con
tredire, ) que cent mille personnes sont dépouillées de
tout emploi dans cette ville , quoiqu'elle soit devenue
le séjour d'une cour prisonnière et de l'Assemblée
Nationale. Rien ne peut être comparé au spectacle
choquant et dégoûtant de la mendicité qui y règne ,
et je puis croire à mes informations. Assurément les
décrets de l'Assemblée ne laissent pas de doute sur ce
(1) Voyez les Voyagn^e Gulliver, pour avoir l'idée d'un pay6 gou
verné par des philosophes.
(2) M. de Caloune porte beaucoup plus .loin le décroissement de la
population dans Paris; et cela peut être vrai depuis l'époque des calculs
de M. Necker.
ifo RÉVOLUTION
fait. Elle a dernièrement établi un comité de mendi
cité ; elle à établi une police rigoureuse sur cet objet,
et elle à imposé pour la prémîère fois une taxe des
pauvres, dont lés secours actuels composent une somme
considérable dans les comptes de cette année (ij. C'est
au milieu de tout cela, que lés êhëfs des clubs et des
cafés législatifs sont énivrés d'admiration pour leur
sagèsse et leur habilèté. Ils parlent avec lè plus souve
rain mépris du reste du mondé. Us disent au peuple ,
(l) Cela rappelle un couplet (car surquoi les Français n'en font-Us
pas), où les représentons dupeuple qui ne voulaient que notre bien, nous
promettaient la liberté, l'égalité, lunité , l'indivisibilité , lafrater
nité , dont le refrain était :
Mais pour la paix et l'abondance ,
Ça n'se peut pas , ça n'se peut pas.
24ï RÉVOLUTION
tention des étrangers, je veux dire la noblesse et le
clergé , eomme des objets d'horreur. Si ce n'eussent
été que des libelles , ç aurait été peu de chose ; mais
les conséquences en sont trop réelles. Si votre no
blesse et vos bourgeois distingués qui composaient le
corps considérable de vos propriétaires fonciers, et
tons les officiers de votre armée , se fussent conduits
comme ceux de l'Allemagne à cette époque où les
villes Anséatiques furent obligées de se eonfédérer
contre les nobles pour défendre leurs propriétés ; s'ils
eussent ressemblé aux Orsini, aux Fîtelli qui , en Ita
lie, sortirent de leurs cavernes fortifiées, pour fondre
sur les voyageurs et sur les marchands , afin de les
voler ; eussent-ils été même tels que les Mameloucks
én Egypte , ou les Nnyrs sur la côte du Malabar, j'ac
corde qu'une critique trop scrupuleuse aurait été dé
placée sur les moyens qu'on aurait employés pour
purger le monde d'une telle peste. On aurait pu , pour
nn moment , couvrir d'un voile les statues de la Jns-
tice et de la Clémence. Les âmes les plus tendres ,
amenées à ces extrémités si effrayantes , où la morale
elle-même se soumet à la suspension de ses propres
règles, en faveur de ses propres principes; ces âmes ,
dis-je , auraient pu se tenir à l'écart, à la vue des frau
des et des violences qui auraient été exercées pour
parvenir à la destruction d'une prétendue noblesse qui
déshonorait le genre humain , en même temps qu'elle
le persécutait. Les êtres qui ressentent le plus d'hor
reur pour le sang, pour les trahisons, et pour les
DE FR A N CE. 243
confiscations arbitraires , auraient pu demeurer spec
tateurs tranquilles de cette guerre civile entre les vi
ces (1).
Mais cette noblesse privilégiée qui se réunit à Ver
sailles en 178g, en vertu des ordres du roi ; ou la no
blesse ordinaire, qui lui avait communiqué ses pou
voirs , méritait-elle d'être regardée comme les Nayrs
ou comme les Mamelouks de ce siècle , ou comme les
Orsini et les Vitelli des temps anciens? On m'aurait
regardé comme un fou , si j'en eusse fait alors la ques
tion. Quel crime a-t-il donc commis depuis, cet Ordre,
pour que ceux qui le composent aient encouru des exils,
des poursuites féroces, des supplices, des tortures;
pour que des familles entières aient été dispersées,
leurs maisons réduites en cendres , l'Ordre même
anéanti; et, s'il était possible, effacé à jamais de la
mémoire, par la nécessité où l'on a réduit les indivi
dus qui le composent , de changer les noms sous les
quels ils étaient connus? Lisez les instructions que
cette noblesse avait données à ses rcprésentans : l'esprit
de la liberté s'y montre avec autant de chaleur , les
injonctions pour les réformes y sont aussi impératives
que dans celles de chacun des deux autres Ordres. Les
(1) Oui, les mêmes, et précisément les mêmes. Un abbé, des plut
chauds patriotes de l'Assemblée Constituante , depuis évêque de Blois ,
depuis membre de la Convention , depuis républicain sans- culotte , de
«on propre aveu ; depuis aussi comte de l'empire et sénateur impérial ;
et enfin redevenu libéral renforcé, avec une pension dq 12,000 francs ,
DE FRANCK: 245
à son peuple, et qui a fait infiniment plus pour corri
ger les anciens vices de l'Etat , que n'en fit ce grand
monarque. Il est heureux pour ses panégyristes que ces
messieurs n'aient point eu affaire à lui ; car Henri de
Navarre était un prince résolu , actif et politique : il
avait certainement beaucoup d'humanité et de dou
ceur; mais une humanité et une douceur qui ne l'en
gagèrent jamais à sacrifier aucun de ses intérêts. Avant
de songer à se faire aimer , il savait se faire craindre ;
il avait un doux langage, et se conduisait en déter
miné (i). S'agissait-il de son autorité, il la mainte
nait et il l'établissait dans toute sa plénitude : ce n'é
tait que dans le détail qu'il en relâchait quelque chose.
Il sut jouir noblement du produit de ses prérogatives;
mais c'était un fonds qu'il eut soin de ne jamais enta
mer. Jamais il n'abandonna un seul instant aucun de
ses droits , qu'il fit valoir sous la protection des lois
fondamentales; jamais il n'épargna le sang de ceux qui
s'opposèrent à lui , souvent dans les combats , quelque
fois sur l'échafaud. Parce qu'il a su faire respecter ses
vertus par les ingrats , il a mérité les lonanges de ceux
qu'il aurait fait enfermer à la Bastille on pendre
de compagnie avec tons les régicides , assassins de
266 RÉVOLUTION
vertu rare. Je crois que les exemples d'une dépravation
excessive étaient plus rares parmi eux , que ceux
d'une perfection transcendante. On peut citer des exem
ples d'avarice et de dérèglement : c'est un point que
je ne dispute pas à ceux qui trouvent quelques char
mes à ce genre de découverte. Aucun homme de l'âge
auquel je suis parvenu ne sera étonné de remarquer
que daus chaque classe de la société il existe quelques
hommes qui n'ont point cette abnégation des riches
ses et des plaisirs , que tout le monde souhaiterait
qu'ils eussent, que quelques personnes attendent d'eux,
mais qu'aucune n'exige avec plus de rigueur , que
celles qui sont les plus viligantes sur leurs propres
intérêts , et les plus indulgntes à elles-mêmes. Lorsque
j'étais en France, je suis certain que le nombre des pré
lats répréhénsibles n'était pas considérable. Quelques
individus parmi eux, s'ils étaient moins réguliers dans
leurs mœurs , rachetaient par des qualités nobles , ce
qui manquait à la sévérité de leur vertu. Ils avaient
ces grands talents qui rendent les hommes utiles à l'E
glise et à LJitat. J'ai entendu dire qu'à bien peu
d'exceptions près, Louis XVI avait été plus attentif que
son prédécesseur immédiat, à peser le mérite avant de
les élever à cette dignité ; et je crois , d'après l'es
prit de réforme qui a dominé dans tout ce règne ,
que cela doit être vrai. Mais le pouvoir qui gouverne
aujourd'hui , n'a montré de disposition qu'à piller l'E
glise. Il a puni tous les prélats ; ce qui , en fait de répu
tation , est au moins favoriser les vicieux. Il a fait une
DT. FRANCE. 267
disposition avilissante de salaires, qui empêchera tout
homme d'un esprit élevé , ou d'une condition noble ,
de destiner ses enfans à cet état. Il est désormais aban
donné à la classe inférieure du peuple. Comme votre
bas clergé n'est pas assez nombreux pour les devoirs
qu'il a à remplir; comme ses devoirs sont excessive
ment détaillés et pénibles ; comme vous ne laissez au
cune aisance à la classe njitoyenne , il en résulte que,
pour l'avenir , toute science et toute érudition seront
bannies de l'Eglise gallicane. Pour mettre la dernière
main à l'exécution du projet, on a, sans aucun égard
pour les droits des seigneurs patrons , décidé que do
rénavant toutes les nominations seraient faites par des
élections; disposition quiéloignera tous les hommesmo-
dérés de l'exercice de la cléricature ; qui en éloignera
de même tous ceux qui peuvent prétendre à conserver
de l'indépendancedansleursfonctionset dans leur con
duite ; et qui reléguera tout le soin de la direction de
l'esprit.public dans les mains d'une bande de miséra
bles licencieux, entreprenans, rusés, factieux et adula
teurs ; tels par leur condition et par leur genre de vie,
qu'ils n'auront aucune honte de se faire un but infâme
de l'obtention de ces méprisables salaires qui leur seront
accordés ; salaires auprès desquels les gages d'un com
mis de barrières paraîtront lucratifs et honorables. Ces
officiers , qu'ils appellent encore évêqucs, seront élus
par des procédés qui , relativement à eux , sont tous
aussi bas. Les mêmes artifices , ceux des élections, se
ront mis en jeu par des hommes de toutes les croyances
268 RÉVOLUTION
connues, ou qui sont encore à inventer. Vos nouveaux
législateurs n'ont encore rien statué sur les fonctions
qu'ils auront à remplir relativement à la nature de la
doctrine ou de la morale; ils ne l'ont pas fait davantage
à l'égard du clergé en sous-ordre : ce qui apparaît seu
lement à l'égard des deux classes du clergé , c'est que
l'une et l'autre peuvent , à discrétion , pratiquer
ou prêcher tout ce qui leur ^plaira en fait de religion
ou d'irréligion, (i) Je ne vois pas encore quelle juri
diction les évêques exerceront sur ceux qui leur sont
subordonnés , ou s'ils doivent avoir quelque espèce de
juridiction.
Enfin , Monsieur , on dirait que cette nouvelle cons
titution ecclésiastique n'est que momentanée, et qu'elle
est seulement préparatoire pour opérer une destruction
à venir et totale de la religion chrétiéhne , de quelque
nature qu'elle soit , lorsque , les esprits des hommes
étant assez préparés , il sera temps de lui porter ce der
nier coup. Et certainement le mépris universel auquel
on voue ses ministres, est un gage assuré du succès (2).
(1) C'est précisément ce qui est arrivé; et tandis que quelques-uns
prêchaient encore l'Evangile en chaire , les autres allaient à la tribune
des sociétés populaires, déclarer qu'il n'y avait pas de bon Dieu, et
qu'ils avaient été des imposteurs toute leur vie.
( Note de l'Editeur. )
(2) Le 22 brumaire an i (mardi 12 nov. 1795), l'orateur de la com
mune d'Yères , près de Paris, disait au sein de la Convention Natio-»
nale : « Nous sommes guéris du mal fanatique et religieux ; nous ne
« reconnaissons plus d'autre Evangile que la Constitution , d'autre culte
« que celui de la raison , du républicanisme et d l'agalité ; et nous dé
DÈ France. 269
Ceux qui se refuseraient à croire que les fanatiques
philosophes qui conduisent toutes ces menées , en
eussent long-temps d'avance formé le dessein , connaî
traient donc bien peu leur caractère et leur manière
d'agir. Ces enthousiastes ne se font point un scrupule
d'avouer qu'ils pensent qu'un Etat peut bien mieux
subsister sans aucune religion , qu'avec une seule , et
qu'ils sont capables de remplacer le vide de tout le
bien qu'elle peut procurer, par un projet de leur in
vention (1), savoir , par une espèce d'éducation qu'ils
ont imaginée , laquelle est fondée sur la connaissance
(1) Je ne sais si le récit 6uivant est vrai ou non; mais ceux qui l'ont
publié désirent qu'on le croie tel , afin d'exciter tout le monde aux
mêmes sentimens. Ou voit dans une lettre de Toul , publiee dans les
papiers , le passage suivant , relatifà ce district. « Dans la révolution ac-
« tuelle ils ont résisté à toutes les séductions du bigotisme , aux per
it sécutions et aux tracasseries des ennemis de la révolution. Ou
ïs, bliant leurs plus grands intérêts pour rendre hommage aux vues
ij. d'ordre général qui on.t détermiué l'Assemblée Nationale , ils voient
<t sans se plaindre , supprimer cette foule d'établissemens ecclésias-
« tiques par lesquels il* subsistaient ; et même en perdant leur siège
« cpiscopal , la seule de toutes ces ressources qui pouvait , ou plutôt qui
« devait en toute équité leur être conservée j condamnés à la plu*
. DE FRANCE. 2"f)
suite de cet esprit de fanatisme ; aussi ces Messieurs
ont-ils des sociétés établies pour cabaler et pour corres
pondre , tant chez eux qu'à l'étranger , en faveur de la
propagation de leurs principes. La république de
Berne, une des contrées de la terre les plus heureuses,
les plus florissantes et les mieux gouvernées, est un
des principaux objets à la destruction desquels ils vi
sent. On m'a dit même qu'ils étaient parvenus , jus
qu'à un certain point , à y semer des germes de mé
contentement : ils sont fort occupés dans toute l'éten
due de l'Allemagne; on n'en est pas à éprouver l'Es
pagne et l'Italie (i).
L'Angleterre n'est point mise à l'écart dans les
plans d'exécution que forme leur charité maligne et
corruptrice; et en Angleterre, ceux qui étendent les
nous ne sommes pas pins injustes encore; car non seulement aucune in
demnité n'a été accordée aux auciens possesseurs , mais on leur dispute
même les modiques emplois qu'ils sont capables de remplir , et qui four
niraient du moins à leur subsistance ! Quand comprendra - 1 - on que le
moyen de rassurer les nouveaux acquéreurs n'est pis de se berner à des
déclarations sur le papier, déclarations si souvent répétées , et toujours
méconnuesou violées ? Non, ils ne seront sans inquiétude, comme leurs
adversaires ne seront sans prétention, que quand on aura senti ; et qu'xi
« faut concilier les intérêts de tous, et que la vraie politique et la
a sagesse supre'me consistent à n'exproprierpersonne injustement , et
a à n'avoir qu'une même balance pour tout le monde. Omnibus est
« consuleudum , eaque est summ'a ratio et sapientia boni civis com-
« moda civium non divellerc , atque omnes aiquitate cadem couli-
u nere ». ( Cic. de OH', lib. i , cap. 11 et a3. )
( Note de l'Editeur. )
(i) On a trouvé un moyen , en divisant la rente , de fournir aux
gros capitalistes l'écoulement de leurs inscriptions eu échange des éeus
du cultivateur ; ces capitalistes achèteront les terre! à vil prix . mais
<l»'y S»g»»«» l'Etat? Ses créancier» seront moins gros, mais ils seront
plus nombreux, et voiià tout.
( Note de l'Editeur. )
28't nÉVOLTTTION
vrent que l'ancien Gouvernement soit débile , usé , et
que tous ses ressorts soient tellement relâchés , qu'ils
n'aient plus la vigueur qui leur est nécessaire , c'est
alors qu'ils se livrent à l'espérance d'en créer de non-
veaux , qui auront une plus grande énergie ; et cette
énergie ne dérivera pas d'une acquisition de ressourcés ,
mais du mépris de la justice. Les révolutions sont fa
vorables à la confiscation , et il est impossible de prévoir
sous quelle dénomination offensive les premières au
ront lieu. Je suis certain que les principes qui prédo
minent en France , s'étendent à toutes ces personnes ,
à toutes ces classes de personnes, dans tous les pays du
monde, qui regardent leur indolence paisible comme
leur sécurité. Cette sorte d'innocence dans les proprié
taires est présentée comme une inutilité (1), et l'in
utilité comme une incapacité à posséder leurs biens.
Le désordre est manifeste dans une grande parlie de
l'Europe; dans les endroits où il n'existe pas encore,
(i) Ne voilà-t-il pas les riches égoïstes, si criminels aux yeux des
révolutionnaires , si décriés à toutes les tribunes, et traînés comme tirs
scélérats aux tribunaux de 1793 et 179!? Ce Burke était sorcier !
( Note de l'éditeur. )
(
DE FRANCE. l85
plus extraordinaire (i). Dans une telle situation de
choses , nous devons nous tenir sur nos gardes. Dans
tous les changemens ( s'il faut qu'il y ait des change-
mens ) , la circonstance qui contribuera le plus à atté
nuer les maux qui les accompagnent , c'est qu'en les
admettant, ils rencontrent sans cesse dans nos esprits
la même tenacité pour la justice et la même affection
pour les propriétés.
Mais on objectera que cette confiscation qui a eu
lieu en France , ne doit pas alarmer les autres na
tions. Ce n'est pas, a-t-on déjà dit, par un esprit in
considéré de rapacité qu'elle a été dictée : c'est par l'ef
fet d'une grande mesure de politique nationale , qui a
été adoptée pour détruire les dangers d'une supersti
tion invétérée et générale. C'est avec la plus grande
difficulté que je puis séparer la politique de la justice.
La justice est elle-même la grande et permanente
politique de la société civile ; et lorsque , dans une
circonstance quelconque, on s'en écarte d une ma
nière trop éclatante , il y a tout lieu de soupçonner
que ce n'est nullement par un but politique.
Lorsque les hommes sont encouragés par des lois
existantes , à adopter un certain genre de vie ; lorsque
les lois les y protègent comme dans une occupation lé-
(1) Sans doule ce sont les folies rivales qui se font une guerre
à mort; mais que sert-il aux sages d'être restés neutres , s'ils sont , de
toute nécessité , les ministres ou les victimes des vengeances du part;
qui finit par avoir le dessus? Solon voulait que tout citoyen prît parti
daus une dissension civile.
{Note de l'Editeur.)
DE FRANCE. 2n3
n'est qu'illusoire (i). Je ne vais conside'rer cette ques
tion que comme un transport de propriété Voici sous
ce rapport quelques reflexions.
Dans toute société qui prospère , il y a un excédant
de productions sur la portion nécessaire à l'entretien
de celui qui cultive; cet excédant est le revenu du pro
priétaire foncier. Il sera dépensé par un homme qui ne
travaille pas, mais cette paresse elle-même est la source
du travail : ce repos est l'aiguillon de l'industrie. Le
seul intérêt de l'Etat , c'est que le produit de la terre
retourne à l'industrie qui l'a procuré, et que le re
venu se partage de manière que la morale ne soit
point offensée par les dépenses des propriétaires , et
que le peuple ne soit pas lésé dans le partage auquel
il a droit.
Sous tous les points de vue de recette , de dépenses et
d'emplois personnels de revenus, un législateur modéré
comparerait avec soin le propriétaire actuel qu'on lui
prescrit de renvoyer, avec l'étranger qu'on lui propose
de mettre à sa place. Avant de s'exposer à tous les dan
gers qui accompagnent nécessairement toutes les révo
lutions violentes de propriétés , occasionées par des
confiscations , on aurait dû se procurer une assurance
positive que les nouveaux acquéreurs des propriétés
confisquées seraient beaucoup plus laborieux, plus ver
tueux, plus sobres, et moins disposés à arracher des
(i) Avant la révolution , la mode était, parmi les riches , d'avoir une
letite maison , c'est-à-dire , une maison de débauche dans un faubourg
u dans les environs de lit capitale.
( Note de l'Editeur. )
21)8 RÉVOLUTION
cevoir, par la puissance de l'Etat , une direction pu
blique pour l'usage de leurs propriétés et pour le régime
habituel et intérieur des individus qui les composent ,
que des citoyens isolés ne peuvent et ne doivent peut-
être jamais l'être ; et ceci me parait être une considéra
tion fort importantepour ceux qui veulent entreprendre
des choses qui méritent le nom d'une entreprise po
litique. Je n'en dirai pas davantage sur les biens des
monastères.
Quant aux biens possédés par des évêques , par des
chanoines et par des abbés commendataires , je ne
peux comprendre pour quelles raisons certains biens
fonds ne peuvent être possédés à un autre titre qu'à celui
d'une hérédité par succession. Quelqu'un des destruc
teurs philosophiques pourrait-il entreprendre de dé
montrer le danger positif ou comparé , d'avoir une;
certaine et même une grande portion de propriété
fonciere arrivant successivement à des personnes
dont le titre de possession est , toujours en théorie ,
et souvent dans le fait, un degré éminenl de piété,
de morale et desavoir; propriété qui, par sa desti
nation, par sa circulation, et par l'attrait qu'elle of
fre au mérite, donne aux familles les plus nobles du
relief et du soutien, et aux familles les plus communes
de l'élévation et de la dignité; propriété dont on ne
jouit qu'à la charge de l'accomplissement de certains
devoirs ( quelle que soit la valeur qu'il vous plaise d'ac
corder à ces devoirs), et que le caractère de ceux qu'on
en pourvoit , astreint à conserver un extérieur décen
et de la gravité dans leurs manières, qui les oblige i
DE FRANCE. 29g
exercer une hospitalité généreuse, mais tempérée; à
regarder une partie de leur revenu comme un dépôt
pour la charité. Et dans le cas même où , par l'oubli de
leur caractère, ceux qui en sont pourvus violeraient le
dépôt ; dans le cas où ils dégénéreraient en gentils
hommes laïques, seraient-ils, à aucun égard , pires que
ceux qu'on leur destine pour successeurs dans leurs
possessions confisquées? Vaut-il mieux que ces biens
soient possédés par ceux qui n'ont aucun devoir à rem
plir , que par ceux qui en ont? Par ceux dont le
caractère et la destination les dirigent à la vertu ,
que par ceux qui n'ont d'autre règle ni d'antre di
rection dans la dépense de leurs revenus , que leurs
désirs et leur volonté ? Ces biens , d'ailleurs , par la
manière dont ils sont possédés, n'ont pas absolument
dans leur caractère, les inconvéniens que l'on suppose
inhérens auxbiensde main-morte. Cette sorte de biens
est celle qui passe le plus rapidement d'une main dans
une autre. Aucun excès n'est jamais bon : c'est pourquoi
il me semble qu'une trop grande proportion de pro
priété foncière peut être tenue à vie officiellement.
Mais je ne vois pas quel tort essentiel il peut résulter
pour la chose publique , qu'il y ait une autre manière
d'acquérir des propriétés foncières, que par un déboursé
préalable d'argent.
Cette lettre est devenue bien longue , quoiqu'en
vérité elle soit bien courte , si l'on considère l'é
tendue immense du sujet. J'ai été forcé , de temps
en temps , de donner mon attention à d'autres af
faires. Je n'étais pas fâché d'observer , à loisir , si
3oO • RÉVOLUTION
la marche de l'Assemblée Nationale ne me fourni
rait pas quelques motifs de changer ou d'adoucir mes
premiers sentimens. Tout ce qui est arrivé m'a con
firmé plus fortement dans mes premières opinions.
Mon premier dessein était de considérer les principes
de l'Assemblée Nationale , relativement aux grands
établissemens fondamentaux , et de comparer tout
l'ensemble de ce que vousavez substitué à toutes vos des
tructions, avec différentes parties de notre Constitution
anglaise ; mais ce plan est d'une plus grande étendue
que je ne l'avais estimé d'abord ; et j'ai trouvé que vous
étiez peu curieux de tirer parti des exemples. A présent,
il faut que je me borne à quelques remarques sur vos
nouveaux établissemens ; me réservant de traiter dans
un autre temps ce que je m'étais proposé de dire sur
l'esprit de notre monarchie , de notre aristocratie et de
notre démocratie anglaise , telles qu'elles existent dans
la pratique.
J'ai passé en revue tout ce que vient de faire le pou
voir qui gouverne aujourd'hui en France. J'en ai parlé
avec liberté. Ceux dont le principe est de mépriser le
sentiment permanent et ancien du genre hnmain , et
de former un plan de société d'après de nouveaux prin
cipes , doivent naturellement s'attendre que ceux qui ,
comme nous , attachent au jugement de toute la race
humaine plus d'importance qu'au leur , ne prononce
ront sur eux etsur leurs inventions, que comme on doit
prononcer sur des hommes et sur des projets, d'après
l'épreuve qui en est faite. Ils doivent prendre pour ac
cordé , que nous nous occuperons beaucoup de leur
DEVFRA.NCE. 3oi
raison ; mais nullement de leur autorité. Ils n'ont pas
en leur faveur un des grands préjugés qui influent sur
le genre humain: ils avouent qu'ils déclarent la guerre
à l'opinion. Ils ne doivent donc pas espérer aucun
appui de cette influence , qu'ils ont , de même que
toute autre autorité , déposée du siége de sa juri
diction.
Je ne pourrai jamais considérer cette Assemblée au
trement que comme une association volontaire d'hom
mes qui ont profité des circonstances pour s'emparer
du pouvoir de l'Etat. Ils n'ont point l'autorité ni la
sanction du caractère primitif , sous lequel ils se sont
d'abord rassemblés. Us en ont pris un autre d'une nature
bien différente ; et ils ont totalement altéré et renversé
toutes les relations sous lesquelles ils existaient d'abord.
Ils ne tiennent l'autorité qu'ils exercent , d'aucune loi
constitutionnelle de l'Etat. Ils se sont écartés des ins
tructions qu'ils avaient reçues du peu pie qui les avait en
voyés; instructions qui étaient la seule source de leur au
torité, puisque l'Assemblé n'agissait ni en vertu d'aucun
ancien usage , ni en vertu d'aucune loi établie. Ses déci
sions les plus importantes n'ont pas obtenu une grande
majorité , ensorte que l'autorité présumable de l'en
semble n'étant déterminée que par une division des
votes si voisine du partage , ceux qui y sont étrangers
considéreront autant les motifs que les décisions.
S'ils eusssent établi ce nouveau gouvernement expé
rimental , comme le substitut nécessaire d'une tyran
nie abattue , le genre humain s'empresserait d'anticiper
3o2 nivotUTioN
en leur faveur le temps de la prescription, qui finit par*
rendre légaux, par une longue existence, les gouver-
nemens qui étaient violents dans leurs commence-
mens. Tous ceux que leurs affections dirigent vers la
conservation de l'ordre civil, auraient reconnu comme
légitime , même dans son berceau , cet enfant né des
principes d'une utilité coactive qui a donné naissance
à tous les gonvernemens équitables, et qui justifie leur
durée; mais, au contraire, ils mettront autant de ré
pugnance que de lenteur à accorder quelque sorte d'ac
cession aux actes d'un pouvoir qui ne doit sa naissance
ni à la loi, ni à la nécessité ; mais qui , au contraire ,
a tiré son origine de ces vices et de ces pratiques sinis
tres qui troublent souvent et détruisent quelquefois
l'union sociale. Cette Assemblée a à peine, en sa faveur,
une prescription d'une année. Nous avons son propre
aveu qu'elle a fait une révolution. Faire une révolution,
est une mesure qui , prima fronte , demande que l'on
se justifie. Faire une révolution , c'est renverser l'an
cien état des choses d'un pays; et il faut des raisons
extraordinaires pour justifier un procédé si violent.
L'opinion du genre humain nous autorise à examiner
le genre des moyens par lesquels on acquiert un nou-
veau pouvoir , et à critiquer l'usage que l'on en fait ,
avec moins de crainte et de respect que l'on en ac
corde ordinairementà une autorité établieet reconnue.
L'Assemblée , pour obtenir et assurer son pouvoir ,
agit d'après les principes les plus opposés à ceux qu'elle
paraît suivre lorsqu'elle en fait usage. Une observation
DE FRANCE. 3o3
sur cette différence notts dirigera vers le véritable esprit
de sa conduite ; tout ce qu'elle a fait jusqu'à présent ,
ou tout ce qu'elle fait encore pour obtenir et pour
conserver son pouvoir, est , en fait d'art , tout ce qu'il
y a de plus commun. Elle agit exactement comme ont
fait avant elle tous ses ancêtres en ambition. Suivez-
les attentivement dans toutes leurs fraudes, dans leurs
artifices et dans leurs violences, vous ne trouverez rien
du tout de neuf: ils suivent les antécédens et les faits
avec la pointilleuse exactitude d'un plaideur. Ils ne s'é
cartent jamais d'un iota des formules antiques de la ty
rannie et de l'usurpation ; mais dans leurs opérations
relatives au bien public, leur ardeur les porte toul-à-
fait à l'opposé; ils abandonnent le tout à la merci des
spéculations les plus nouvelles; ils livrent les intérêts
les plus chers du public à ces théories incertaines , aux
quelles pas un senl d'entre eux ne voudrait confier le
plus indifférent de ses intérêts privés. La raison de
cette difference tient à ce que , dans leur désir d'obte
nir et de conserver le pouvoir, c'est tout de bon qu'ils
agissent ; ils voyagent sur les chemins battus ; au lieu
que , relativement aux intérêts du public , qui ne leur
causent pas des sollicitudes bien réelles, ils les abandon
nent entièrement au hasard. Je dis au hasard , parce
que leurs plans n'ont rien dans l'expérience pour prou
ver leur but avantageux.
Lorsqu'il s'agit d'erreurs commises par des personnes
timides et défiantes dans ce qui tient au bonheur du
genre humain , nous devons toujours les considérer
avec une pitié mêlée de respect. Mais, parmi ces mes
3o4 RÉVOLUTION
sieurs , aucun élan de la nature ne développe cette sol
licitude paternelle T qui frémit à la vue d'une épreuve
cruelle et menaçante pour les jours d'un enfant chéri;
ils surpassent de beaucoup , par la vague de leurs pro
messes et par l'assurance de leurs prédictions , toute
l'emphase des empiriques. L'arrogance de leurs préten
tions est , en quelque sorte , un défi qui nous provoque
à rechercher sur quoi elles sont fondées.
Je suis convaincu qu'il y a des hommes du plus
grand talent parmi les chefs du parti populaire dans
l'Assemblée Nationale ; quelques-uns montrent de l'é
loquence dans leurs discours et dans leurs écrits. Cela
suppose nécessairement des moyens puissans et culti
vés; mais l'éloquence peut exister sans aucun degré
proportionnel de sagesse. Lorsque je parle d'habileté ,
je suis obligé de distinguer. Ce qu'ils ont fait en faveur
de leur système indique des hommes au-dessus du
commun. Dans le système, en lui-même , considéré
comme le plan d'une république, composée de ma
nière à procurer la tranquillité et la prospérité des ci
toyens, et à étendre la force et la grandeur de l'Etat,
j'avoue qu'il ne m'a pas été possible de rien découvrir
qui montrât , sous le moindre rapport , l'ouvrage d'un
esprit étendu et bien réglé , ni même les projets de la
prudence la plus vulgaire. Partout il semble que leur
but ait été d'éviter la difficulté, ou de glisser à côté. La
gloire de tous les grands maîtres a toujours été, dans
tous les genres , l'opposition et le besoin de vaincre ;
et , quand ils ont vaincu la première difficulté , de s'en
servir aussitôt comme d'une arme pour triompher de
DS FRANCK. 3o5
n'en aperçoivent plus les limites , et leur industrie est
difficultés nouvelles , afin de s'aguérir ainsi dans les
moyens d'étendre l'empire de la science, et même de
reculer au delà de l'enceinte des premières pensées les
bornes de l'entendement humain lui-même. La diffi
culté est un maître sévère qui nous a été donné par
l'ordre suprême d'un père qui veille sur nous, et d'un
législateur qui nous connaît mieux que nous ne nous
connaissons nous - mêmes , et qui nous aime mieux
aussi : Pater ipse colendi haudfacilem esse viam vo
lait. Celui qui lutte avec nous fortifie nos nerfs, et ai
guise notre savoir : nous trouvons un aide dans notre
antagoniste. Un débat amical sur les difficultés nous
familiarise avec notre objet , et nous oblige à le consi
dérer sous tous ses rapports; il ne nous permet pas
d'être surperficiels. C'est le défaut de force et d'intelli
gence pour ces sortes d'exercices; c'est le goût dépravé
de prendre les chemins les plus courts , et des petites
facilités trompeuses , qui a créé dans tant de parties du
monde des gouvernemens arbitraires ; c'est ce qui avait
veéé l'ancien gouvernement arbitraire de la France ;
c'est ce qui a créé la république arbitraire de Paris. Par
leuv moyen , on supplée par la plénitude de la force à
l'absence de la sagesse ; on n'y gagne rien. En com
mençant leurs travaux sur un principe de paresse, ils
ont le sort commun à tous les hommes paresseux. Les
difficultés , qu'ils ont plutôt éludées qu'évitées , se pré
sentent de nouveau à leur rencontre ; elles se multi
plient, elles s'amoncèlent autour d'eux ; ils se trouvent
égarés au milieu d'un labyrinthe de détails confus ; ils
20
3o6 RÉVOLUTION
déroutée ; enfin , tout l'ensemble de leur ouvrage de-1
vient faible , vicieux et incertain.
C'est ce défaut de lutte avec les difficultés qui a
obligé l'Assemblée arbitraire de France à commencer
ses plans de réforme par l'abolition et par la destruc
tion ( i ) ; mais est ce en détruisant et en renversant
que le savoir se fait connaître ? Votre populace ferait
cela au moins aussi bien que vos Assemblées : l'intel
ligence la plus bornée, la main la plus grossière, sont
plus qu'il ne faut pour cette tâche. La rage et la fréné
sie détruiront pjus en une demi-heure, que la pru
dence, la circonspection et la prévoyance , ne pourront
édifier en un siècle. Les erreurs «t les défauts des an-
(1) Dans Bufïbn , il est remarque que la nature a donné quatre mains
aux animaux dont l'instinct semble les porter, à tout détruiie , tels que
les singes et les makis.
{Note de l'Editeur.)
3l.2 HÉVOLUTIOS
imagination , el comme des essais de leurs takns, pour
e'veiller l'attention et pour exciter la surprise, ces mes
sieurs s'en emparent , dans l'esprit original de leurs
auteurs , comme des moyens de cultiver leur goût et
de perfectionner leur style. Ces paradoxes deviennent
pour eux des règles sérieuses de conduite , d'après les
quelles ils règlent les intérêts les plus importansde
l'Etat. Cicéron dépeint plaisamment Caton , comme
s'efforçant à agir dans la république , d'après les para
doxes des écoles avec lesquels on exerçait l'esprit des
jeunes étudians dans la philosophie stoïque. Si cela fut
vrai à l'égard de Caton , ces Messieurs renouvellent
d'après lui , dans la manière de quelques personnes
qui vivaient dans ce temps- là ,\e perle nudo Catonem.
( Caton aux pieds nus.) M. Hume m'a dit qu'il te
nait de Rousseau lui - même le secret de ses prin
cipes de composition. Cet observateur fin , quoique
bizarre, avait observé que, pour frapper et in I dres
ser le public , il fallait du merveilleux ; que depuis
long-temps la mythologie des fanx dieux avait perdu
son effet ; que les géants , les magiciens , les fées et les
héros de romans qui lui avaient succédé , avaient
aussi épuisé la portion de crédulité qui appartenait à
leur siècle; que maintenant un écrivain n'avait plus
d'autre espèce de merveilleux à employer que celui
du paradoxe, et que l'on pourrait en tirer un plus
grand parti qu'autrefois , quoique dans une diffé
rente manière, c'est-à-dire le merveilleux dans la vie,
dans les manières , dans les caractères et dans les si
tuations extraordinaires, d'où l'on pourrait faire naî
DE fr ance; 3l3
tre Jes effets frappans , imprévus et nouveaux en poli
tique et en morale. Je croîs que si Rousseau vivait en
core , et que si , dans un de ses momens lucides , il
voyait ce qui se passe, il serait effrayé de la frénésie
pratique de ses élèves, qui, dans leurs paradoxes, ne
sont que des imitateurs serviles , et qui même dans
leur incrédulité, montrent implicitement leur foi.
Les hommes qui entreprennent des choses considé
rables , même d'une manière régulière , devraient
nous donner des moyens de présumer leur habileté.
Mais le médecin de l'Etat , qui , non content de guérir
ses maux , entreprend de régénérer sa constitution ,
devrait montrer des facultés au-dessus du commun.
Ceux qui n'en appellent point à la pratique, et qui
travaillent sans modèles , devraient donner à l'exté
rieur de tous leurs projets , quelques marques carac
téristiques d'une sagesse non commune. A-t-on mani
festé rien de semblable? Je vais jeter un coup d'œil
( il sera bien court , par rapport à l'étendue du sujet ,)
sur ce que l'Assemblée a fait , d'abord , relativement
à la constitution de la législature ; en second lieu , sur
le pouvoir exécutif; en troisième lieu , sur l'ordre ju
diciaire ; ensuite sur le plan de l'armée ; et pour con
clure , sur son système de finances , pour voir si nous
pourrons découvrir dans quelques-uns de ses plans ,
une habileté assez prodigieuse pour justifier les entre
preneurs hardis qui les ont proposés , et les prétentions
à la supériorité qu'ils s'attribuent sur le reste du genre
humain.
C'est dans la forme de cette partie souveraine et
Jl4 RÉVOLUTION
dominante de cette république nouvelle , que nous
devrions espérer de trouver le grand développement
de leur savoir. C'est ici qu'ils devaient prouver leur
titre à toutes leurs fières demandes. Pour connaître
ce plan dans sa totalité , ainsi que les raisons sur les
quelles il est fondé, je m'en réfère aux journaux de
l'Assemblée, du 29 septembre 1789 , et à toutes les
opérations subséquentes qui ont apporté des change-
xnens à ce plan. Autant que je puis voir clair dans une
matière un peu confuse , il me semble que le système
subsiste substantiellement , comme il avait été projeté
d'abord. Le petit nombre de mes remarques portera
donc sur l'esprit , sur la tendance et sur la propriété
qu'il peut avoir pour former un gouvernement popu
laire, tel qu'ils professent que le leur doit être , comme
étant le. plus approprié au but de tous les gouver-
nemens. Je me propose, en même temps, d'exami
ner ses rapports avec lui - même , et avec ses prin
cipes.
On juge les anciens établissemens par leurs effets.
Si le peuple est heureux , uni , riche et puissant , on
présume aisément le reste : nous concluons que la
chose est bonne, quand il en dérive de bons effets.
Dans les vieux établissemens , on a trouvé différens
correelifs , pour leurs écarts de la théorie ; ils sont le
résultat de différentes nécessités et de différens expé
dions. Il arrive souvent qu'ils ne dérivent d'aucune
théorie , mais bien plutôt que les théories en dérivent.
Ils conduisent quelquefois mieux au but, que les
moyens qui paraissent s'accorder davantage avec ce
DE FRANCE. 3l5
que nous imaginons avoir été le plan primitif. Les res
sources fournies par l'expérience , conviennent mieux
aux fins politiques que celles que l'on invente dans
des projets tout neufs ; elles réagissent sur la constitu
tion primitive , et quelquefois elles perfectionnent le
dessein même duquel elles semblent s'être écartées.
Je crois que l'on pourrait trouver, dans la constitution
anglaise, des exemples curieux de tout ceci. Au pis
aller , les erreurs et les déviations de toute espèce
sont calculées et estimées , et le vaisseau poursuit sa
route. Tel est l'état des choses dans les vieux établisse-
mens; mais dans un système nouveau et purement
théorique , on s'attend que chacun des moyens appa-
rens répondra à sa fin , surtout lorsque les entrepre
neurs n'ont nullement à compter an nombre de leurs
efforts , le soin d'adapter leur nouvel édifice , soit
aux murailles , soit aux fondations d'un ancien.
Les constructeurs français, balayant comme de purs
décombres tout ce qu'ils ont trouvé , et semblables aux
jardiniers de leurs parterres , nivellant tout avec soin,
se proposent de poser toute leur législature générale et
locale , sur trois bases de trois différentes espèces : une
géométrique , une arithmétique et une financière. Ils
appellent la première base territoriale , la seconde ,
base de la population , et la troisième , base de la con
tribution. Pour exécuter le premier de leurs desseins,
ils partagent tout le territoire de leurs pays en quatre-
vingt-trois morceaux ou carrés réguliers de dix-huit
lieues sur dix-huit. Ces grandes divisions s'appellent
3l6 RÉVOLUTION
départemens (i). Tous ces dépar'.emens sont sous-di-
visés , toujours carrément ,• en dix-sept cent vingt dis
tricts , ces districts en cantons , et ceux-ci encore se
subdivisent toujours carrément en de plus petits can
tons appelés municipalités , ce qui fait en tout soi
xante-quatre mille.
Au premier aspect, on ne voit rien dans cette base
géométrique de leur invention , qui soit fort à admi
rer, fort à blâmer; cela n'exige pas de grands talens
législatifs. Un arpenteur exact, avec sa chaîne et son
graphomètre , est très-propre à en faire autant. Dans
l'ancienne division du territoire , divers accidens ar
rivés dans des temps divers , le flux et le reflux des di
verses propriétés, réglaient ces limites. Ces limites, on le
sait , n'étaient l'ouvrage d'aucun système établi ; elles
étaient sujettes à quelques inconvéniens; mais c'étaient
des inconvéniens auxquels l'usage avait trouvé des re-
mèdes,etauxqueisl'habitude avait ajouté la convenance
et la patience. Dans cette nouvelle marquetterie de car
rés dans des carrés, et dans ces organisations et demi-
organisations, faites sur le système des Empédocles et
des Buffons , et non sur un principe de politique , il
se rencontrera nécessairement une multitude d'incon-
véniens locaux , auxquels les hommes ne sont pas ha
bitués; mais je les néglige , parce que, potir les détail-
1
34& RÊTOLUTIOK
que forme qu'on puisse le supposer, dans les main»
des chefs et des directeurs de celte circulation.
En Angleterre , nous sentonsl'influence dela Banque,
quoiqu'elle ne soit que le centre cFnn commerce vo
lontaire. Il faut connaître bien peu l'influence de l'ar
gent sur le genre humain , pour ne pas voir la foree de
la direction de l'intérêt pécuniaire , qui est si étendue
et qui , par sa nature r dépend bien plus de ceux qui la
dirigeront y que cela ne pourra jamais être à l'égard
d'aucun des nôtres. Mais ceci n'est pas seulement une
affaire d'argent; il y dans ce plan une autre partie , qui
se lie inséparablement avec cette manœuvre d'argent :
elle consiste à mettre en vente , inconsidérément
quelques portions des terres confisquées , et à produire
une continuelle transformation de papiers en terres, et
de terres en papiers. Si nous suivons ce procédé dans ses
effets , nous pourrons avoir une idée de l'intensité de
force avec laquelle ce système opérera. Par ces moyens,
l'esprit d'agiotage et de spéculation s'exerce sur la
masse même des terres , et s'incorpore avec elles. Cette
opération volatilise, en quelque sorte, cette espèce de
propriété; elle bii donne une activité monstrueuse et
eoBtraire à la nature ; e*. , par là , elle réunit dans la
main desdifîérens.agens de l'entreprise, soit chefs, soit
subordonnés , parisiens et provinciaux , toute la repré--
sentation de Fargent, et peut-être un grand dixième de
toutes les terres de la France , sur lesquelles cette cir
culation de papier- monnaie a déjà fait sentir la plus
funeste de toutes ses influences, celle de la plus grande
incertitude de leur valeur. Apollon fixa l'île flottante
DE FRANCE. 34g
dè Délos; mais vos législateurs ont fait exactement le
contraire à l'égard de leurs terres, et ils les livrent au
gré des vents , tomme les légers débris d'un naufrage :
oras et littord circum (i).
Les nouveaux acquéreurs, étant communément des
aventuriers qui ne contractent point d'habitude , et
n'accordent de prédilection à aucun lieu , acheteront
pour agioter encore , selon l'avantage que leur présen
teront les terres, l'argent ou le papier (2) : car , quoi
qu'un saint évêque pense que l'agriculture retirera de
grands avantages de ces usuriers éclairés, qui achete
ront les confiscations de l'Eglise , moi , qui ne suis pas
ùn sage , mais un vieux fermier , je demande , en toute
humilité, la permission de dire à sa feue seigneurie,
que l'usure est un mauvais pédagogue d'agriculture ;
et si ce mot éclairé doit être compris d'après le non-
veau dictionnaire, comme cela est toujours dans vos
nouvelles écoles, je ne peux pas concevoir comment,
parce qu'un homme ne croira pas en Dieu (car c'est là
ce que vous entendez par éclairé), il en aura plus de
(l) Quoique cette lettre sait datée du i" novembre 1790 , à la tête
de la traduction , il est aisé de voir qu'elle était imprimée lony- temps
auparavant, et que celle date n'est que celle du jour de sa publication à
3y4 RÉVOLUTION
à une discussion sur un sujet qui semble n'en pas
avoir par lui-même.
Il ne m'est pas possible de découvrir plus de talent
ni plus de génie dans la partie de l'ordre judiciaire créé
par l'Assemblée. Selon leur marche ordinaire , vos
faiseurs de constitution ont commencé par l'abolition
totale des Parlemens. Ces corps respectables, ainsi
que le reste de l'ancien gouvernement, avaient besoin
de quelques réformes , même quoique l'on ne dût rien
changer à la monarchie; ils exigeaient plusieurs mo
difications pour les adapter au système d'une constitu
tion libre ; mais ils avaient dans leur constitution des
particularités qui méritaient d'être approuvées par les
hommes sages. Il en était une fondamentale par excel
lence : ils étaient indépendans. La circonstance la
plus douteuse attachée à leur charge , la vénalité ,
contribuait cependant à ce caractère d'indépendance :
ils étaient magistrats pour toute leur vie, on peut
même dire par héritage. Nommés par le monarque,
on les regardait presque comme hors de son pouvoir.
On pouvait juger de leur indépendance radicale par les
efforts les plus éclatans que l'autorité fit contre eux ;
ils étaient des corps politiques permanens , constituée
pour résister aux innovations arbitraires : ensorte que
par leur manière d'être , et par beaucoup de leurs
formes , ils étaient parfaitement calculés pour assurer
tout à la fois aux lois et leur authenticité et leur in
violabilité. Ils avaient été pour elles un asile sûr dans
toutes les révolutions du caprice et de l'opinion ; ils
avaient conservé à leur patrie ce dépôt précieux pen-
DE FRANCE.
dant les règnes des princes arbitraires et pendant les
orages des factions. Ils entretenaient le souvenir de la
constitution et ils en gardaient les archives; ils étaient
la sauve-garde des propriétés privées; et l'on peut dire
( lorsque la liberté personnelle n'existait pas ) qu'elles
étaient aussi bien protégées en France que dans tout
autre pays. Tout ce qui est suprême dans un Etat , de
vrait avoir, autant que possible, son autorité judiciaire
constituée de manière non-seulement à ce qu'elle ne
fût pas totalement dans sa dépendance , mais à ce
qu'elle pût en quelque sorte la balancer. Il devrait don
ner à sa justice une sûreté contre son pouvoir; il de
vrait faire que sa judicature fût en quelque sorte exté
rieure à l'Etat.
Ces Parlemens avaient opposé, non certainement
les meilleurs, du moins un très-grand nombre de cor
rectifs aux excès et aux vices de la monarchie. Une
telle judicature indépendante était dix fois plus néces
saire lorsque la démocratie était devenue le pouvoir
absolu du royaume. Dans votre constitution , des juges
électifs, temporaires et locaux, tels que vous les avez
imaginés ; des juges dépendans dans Fexercice de leurs
fonctions, et agissant dans un cercle trop étroit, for
meront les plus détestables de tous les tribunaux. En-
vain espérera-t-on d'obtenir d'eux quelque justice en
faveur des. étrangers, des riches haïs, de la minorité des
partis détruits, de ceux qui, aux élections, auraient voté
pour des candidats rejetés. Il sera impossible de garan
tir ces nouveaux tribunaux du plus mauvais esprit de
faction. Nous savons par expérience que toutes ces in
376 II ÉVOLUTION
ventions de ballotage ne sont que des moyens vains et
puérils ponr obvier au danger des préventions. Lors
qu'ils réussissent à produire cet effet mystérieux qu'on
en attend , ils font naître la défiance , et c'est une cause
encore bien plus fâcheuse de partialité.
Si les Parlemens avaient été conservés , au lieu d'oc-
casioner , par leur ^dissolution , un changement si
funeste dans la nation , ils auraient pu servir dans ce
nouveau gouvernement , non pas peut - être exacte
ment de même( je ne prétends pas faire un parallèle
exact ) mais à peu près comme le faisaient à Athènes
la cour et te sénat de l'Aréopage , c'est-à- dire comme
un contre -poids et comme un correctif à tous les
maux qui accompagnent une démocratie inconsidérée
et injuste. Chacun sait que ce tribunal était le grand
modérateur de l'État ; chacun sait avec quel soin il
était maintenu , par quel respect religieux il était con
sacré. Les Parlemens n'étaient pas tout-à-fait exempts
de factions': j'en conviens ; mais ce mal était extérieur
et accidentel; il tenait heancoup moins au vice de leur
constitution elle-même , qu'il ne sera inséparable de
vos nouvelles inventions de judicature électives pour
six années. Différens Anglais sollicitent l'abolition
des anciens tribunaux , sur la supposition qu'ils se
décidaient en tout par la faveur et l'argent. Mais les
Parlemens ont soutenu les recherches de la monarchie
et de la république. La cour était bien disposée à prou
ver la corruption de ces corps , lorsqu'elle les détruisit
en i77 t. Ceux qui viennent de les détruire l'auraient
fait aussi s'ils l'avaient pu ; mais ces deux inquisitions
DS FRANCK. 3y7
n'y ayant pas réussi , j'en conclus qu'une honteuse cor
ruption pécuniaire devait avoir été infiniment rare
parmi eux.
Il aurait été prudent, en conservant lesParlemens,
de leur laisser aussi leur ancien pouvoir d'enregistrer,
et de faire au moins des remontrances sur tous les dé
crets de l'Assemblée Nationale, comme ils Taisaient
sur ceux qui étaient rendus pendant le temps de la
monarchie. Ç'aurait été un moyen de faire cadrer les
décrets occasionnels d'une démocratie avec quelques
principes d'une jurisprudence générale. Le vice des
anciennes démocraties, et l'une des causes de leur
ruine , a été de faire ce que vous faites; des décrets de
circonstance; psephismata. Cette pratique ne tarda
pas à détruire l'ensemble et la stabilité des lois; elle
anéantit le respect du peuple pour elles, et elle amena
leur ruine totale.
Le pouvoir de remontrances , qui appartenait aux
Parlemens dans les temps 'de la monarchie , vous en
avez investi, et c'est le comble de l'absurdité, votre
premier officier exécutif, que vous vous obstinez, an
mépris du bon sens , à appeler roi. Vous ne devriez
jamais endurer de remontrances de la part de celui
dont le devoir est d'exécuter, d'est n'avoir aucune
idée nette, ni sur ce qu'est le conseil, ni sur l'exécu
tion, ni sur l'autorité, ni sur l'obéissance. La per
sonne que vous appelez roi , ne devrait point avoir
ce pouvoir, ou elle devrait en avoir davantage.
Vos dipositions actuelles sont donc strictement ju
diciaires. Au lieu d'imiter votre monarchie , et de
378 RÉVOLUTION
placer vos juges sur le banc de l'indépendance, votre
objet est de les réduire à l'obéissance la plus aveugle.
Comme vous avez changé toutes choses, vous avez
inventé de nouveaux principes d'ordre : vous commen
cez par établir des juges, qui, je le suppose, doivent
juger d'après la loi ; et ensuite vous leur donnez à en
tendre que dans un temps ou dans un autre , vous vous
proposez de leur donner des lois d'après lesquelles ils
auront à se décider. Toutes leurs anciennes études ( si
toutefois ils en ont fait ) leur seront inutiles. Mais
pour suppléer à ces études, ils sont obligés de jurer
d'obéir à tous les règlemens , à tous les ordres et à toutes
les instructions qui leur seront donnés par l'Assem
blée Nationale. S'ils s'y soumettent , la loi sera sans
base pour son objet. Elles deviendront incomplètes
et les iristrumens les plus dangereux dans les mains
du pouvoir, qui, au milieu d'une cause, ou de ce
qu'elle laisse préjuger, pourra totalement changer
la règle de la décision. Si ces ordres de l'Assemblée
Nationale viennent à déplaire au peuple , qui choisit
ses juges dans chaque localité, il en résultera une
telle confusion , qu'il est affreux d'y penser. En
effet, les juges sont redevables de leurs places à une
autorité locale, et les commandemens auxquels ils
jurent d'obéir , leur sont donnés par ceux qui n'ont
aucune part à leur commission. Au surplus , ils auront
pour se guider et pour s'encourager dans l'exercice de
leurs fonctions, l'exemple du Châtelet. Ce tribunal
est chargé d'examiner les criminels qui lui sont en
voyés par l'Assemblée Nationale, ou amenés devant
DE FRANCE. .
lui par d'autres voies de délation. Ces juges siègent
sous la protection d'une garde pour défendre leurs
propres vies; ils ne savent pas d'après quelle loi ils ju
gent , ni d'après quelle autorité ils agissent, ni de
quel titre ils la tiennent. On croit qu'ils sont quelque
fois obligés de condamner, au péril de leur vie. Ceci
n'est peut-être pas certain, et n'est pas de nature à
pouvoir être assuré ; mais nous savons que , lorsqu'ils
ont acquitté, ils ont vu les prisonniers qu'ils avaient
déchargés de l'accusation, pendus à la porte de leurtri-
bunal , avec une parfaite impunité pour les bourreaux.
L'Assemblée a promis qu'elle formerait un corps de
loi qui serait court , simple , clair et ainsi de suite ,
c'est-à-dire qu'avec ses lois courtes, elle accordera da
vantage à la liberté des juges , tandis qu'elle a enlevé à
l'autorité tontes les lumières qui pouvaient rendre une
discrétion judiciaire ( chose dangereuse dans ce qu'elle
a de meilleur ) une liberté complète.
Il est curieux d'observer les soins que l'on a pris pour
soustraire les corps administratifs à la juridiction de ces
nouveaux tribunaux ; c'est-à-dire que les personnes qui
devaient le plus être sous l'empire de la loi , sont celles
que l'on soustrait le plus complétement à son pouvoir.
Les hommes qui ont quelque rapport avec le manie
ment des deniers publics, sont ceux qui devraient être
le plus strictement retenus dans leur devoir. On aurait
présumé , si votre intention réelle n'eût pas été de faire
de ces corps administratifs des états souverains indé-
pendans , que vous auriez placé au rang des choses les
plus dignes de vos soins l'établissement d'un tribunal
38o RÉVOLUTION
respectable , semblable à ce qu'étaient vos parlemens ,
ou tel que notre Banc du roi, où assortissent tous nos
officiers publics, soit pour obtenir protection quand
ils agissent d'après la loi , soit pour en éprouver la ri
gueur s'ils s'en écartent. Mais la raison de cette exemp
tion est évidente : ces corps administratifs sont les agens
principaux des chefs dans leur course vers la démocra
tie à l'oligarchie ; il faut par conséquent les mettre an
dessus de la loi. On dira que les tribunaux légaux que
vous avez établis ne sont pas propres à les tenir en
bride : ïîon certainement; ils ne sont propres à aucun
dessein raisonnable. On dira aussi que les corps admi
nistratifs seront responsables à l'Assemblée Nationale.
Je crains que parler ainsi ne soit montrer peu de con
sidération, ni pour la nature de cette Assemblée , ni
pour celle de ses corporations. Au surplus , être soumis
an bon plaisir de cette Assemblée, c'est ne pas l'être à
l'empire de la loi , pour en être protégé , ou pour en
être puni.
Il manque encore quelque chose au complément de
cet établissement judiciaire; il doit être couronné par
un nouveau tribunal : celni-ci occupera le plus haut
rang de la judicature. Il jugera tous les crimes qui seront
commis contre la nation , c'est-à-dire contre le pou
voir de l'Assemblée. On pourrait croire que ces mes
sieurs ont eu en vue quelque chose de semblable à la
hante-cour de justice érigée en Angleterre, pendant le
temps de l'usurpation : comme cette partie de leur
plan n'est pss encore achevée , il n'est pas possible d'en
porter de jugement. Cependant , si l'on ne prend pas
DE FRANCE. 38l
le plus grand soin pour le composer dans un esprit tout
différent de celui qui a dirigé jusqu'à présent tous leurs
procédés relativement aux crimes d'Elat, ce tribunal,
sous la dépendance de leur inquisition ( le Comité des
Recherches ) , éteindra en France les dernières étincelles
de la liberté , et établira la tyrannie la plus effrayante
et la plus arbitraire qu'on ait jamais connue dans au
cune nation. S'ils veulent donner à ce tribunal quel
que apparence de liberté et de justice, il ne faut pas
qu'ils y envoient ou qu'ils en retirent, au gré de leurs
caprices, les affaires relatives aux membres mêmes
de l'Assemblée. Il faut aussi qu'ils écartent un tel tri
bunal de l'enceinte de la république de Paris (i).
Avez -vous déployé plus de sagesse dans la constitu
tion de votre armée , que l'on en aperçoit dans votre or
dre judiciaire? Un arrangement convenable dans cette
partie était ce qu'il y avait de plus difficile, et deman
dait le plus d'attention et d'habileté , non-seulement
à cause de l'intérêt qui lui est propre , mais en ce que
c'est le troisième principe constitutif, dans ce nouveau
corps de républiques , que vous nommez la nationfran
çaise. Il est vraiment très- difficile de deviner ce que
cette armée deviendra en définitive. Celle que vous avez
décrétée est assurément bien assez nombreuse ; ses ap-
pointemens sont assez considérables; ils sont pour le
moins en proportion avec vos moyens appareils de
paiement. Mais quel est le principe de sa discipline?
(1) Burke supposait, en 1790, que M. <le La Fayette avait quitté son
nom féodal; mais il se trompait; et vingt-neuf ans après , monsieur l£
MARQUIS a été réélu député au milieu des applaudissemens et des cris :
à bas les nobles / à bas les prêtres / Monsieur le marquis , au reste, n'a
point changé d'opinion , malgré «a captivité en Autriche , à la suite de
sa proscription eu France; il est vrai qu'il n'a vu que de loin les hor
ribles barbaries de ses disciples en révolution , et qu'il sait comment
on fuit en laissant dans l'embarras ceux qu'on y a mis.
{Note de l'Editeur.)
4oO BÉVOLUTIOtt
nation , et ils contribuent à cette paie. Et le Roi lui-
même, et l'Assemblée Nationale elle -même , et tous
ceux qui élisent l'Assemblée Nationale , ne sont - ils
pas payés aussi ? Au lieu de voir que toutes ces person
nes soient déchues de leurs droits, parce qu'elles re
çoivent un salaire, ils voient an contraire que dans
tons ces cas un salaire leur est donné pour exercer
leurs droits. Toutes vos résolutions , toutes vos ma
nœuvres , tous vos débats , tous les ouvrages de vos
docteurs en religion et en politique , ont été indus-
triensement placés entre leurs mains ; et vous vous at
tendez qu'ils s'appliqueront à eux-mêmes tout juste
autant de vos doctrines et de vos exemples que cela
vous plaira?
Tout dépend de l'armée dans un gouvernement tel
que le vôtre. Car vous avez habifemeut détruit tontes
les opinions , tous les préjugés, et autant que vous l'a
vez, pu, tous les instincts mêmes qui sont le soutien
des gouvernemens. C'est pourquoi au premier mo
ment où il s'élèvera quelque différent entre l'Assem
blée Nationale et quelque partie dé la nation , vous
serez obligés d'avoir recours à la force : on ne vous a
rien laissé de plus , ou plutôt vous ne vous êtes rien
laissé de plus à vous - mêmes. Vous voyez , par le
rapport de votre ministre de la guerre, que la distri
bution de l'armée est faite , en grande mesure , dans
la vue d'une répression intérieure (i). Vous êtes forcés
de gouverner par une armée, et vous avez infusé dans
(i) Courrier Français , 5o juillet i790, Assemblée Nationale , n° 2i0.
DE FRANCE. 4oi
celle armée , par laquelle vous gouvernez , aussi bien
que dans lotit le corps de la nation , des principes qui,
en peu de temps, vous priveront du pouvoir d'en
faire l'usage auquel vous l'aviez destinée. Le Roi doit
appeler les troupes à marcher contre le peuple , lorsque
l'univers entier a entendu , et ces mots sonnent en
core à nos oreilles , que les troupes ne devaient pas
faire, feu sur leurs concitoyens. Les colonies se don
nent une constitution indépendante , et un commerce
libr»: elles doivent être soumises par les troupes. Dans
quel chapitre de votre code des droits de l'homme
pourront-elles lire que c'est une partie de ces droits de
l'homme, d'avoir leur commerce soumis au mono
pole et à beaucoup d'entraves , pour le seul profit des
autres? De même que les créoles s'élèvent contre vous,
les nègres s'élèvent contre eux. Encore des troupes,
encore des massacres, des tortures, des potences; ce
sont vos droits de l'homme ! ce sont les fruits de ces
déclarations métaphysiques , faites imprudemment-,
et honteusement rétractées ! Il n'y a que peu de jours,
que des fermiers , dans un de vos carrés ou départe-
mens , refusèrent de payer quelques espèces de rentes
au seigneur de la terre. En conséquence de cela , vous
avez décrété que tous les habitans des campagnes con
tinueraient à payer rentes et devoirs , excepté ce que
vous aviez aboli comme onéreux. Et s'ils refusent ,
alors vous ordonnerez au Roi de faire marcher des
troupes contre eux. Vous établissez des propositions
métaphysiques qui font tirer des conséquences uni
verselles , et ensuite vous vous efforcez de limiter la
4oJ RÉVOLUTION
logique par le despotisme. Les chefs du présent sys
tème font connaître à tous les individus les droits qu'ils
ont , comme hommes , de prendre des forteresses , de
massacrer des gardes , de s'emparer de la personne des
rois, sans la moindre apparence d'autorisation , même
de 1'Assemhlée, quoique, comme corps législatif sou
verain elle siégeât au nom de la nation. Et cepen
dant ces chefs prétendraient ordonner à ces troupes
qui ont figuré dans ces désordres , de s'opposer à
ceux qui jugeront d'après ces principes, et qui sui
vent les exemples qu'ils ont consacrés par leurs prin
cipes.
Ces chefs enseignent au peuple à avoir en horreur
et à rejeter toute féodalité comme la barbarie de la ty
rannie, et ils veulent déterminer ensuite la portion de
cette tyrannie barbare qu'il faut qu'il supporte avec
patience. Autant ils sont prodigues de lumières à l'é
gard des abus , autant ils sont avares sur les moyens de
les réparer. Le peuple sait que non seulement certains
cens et certains devoirs personnels que vous lui avez
permis de racheter, (sans cependant lui fournir de
l'argent pour ce rachat, )sont très - peu importansen
comparaison des autres charges sur lesquelles vous n'a
vez pris aucune mesure. 11 sait que presque toutes les
propriétés foncières tenaient dans leur origine au sys
tème féodal : que c'est le résultat de la distribution des
possessions des propriétaires originaires , faite par un
conquérant barbare à ses instrumens barbares ; et il
sent très - bien que les effets les plus nuisibles de la
conquête , sont les rentes de toute espèce , imposées
DE FRANCK. 4°^
sur les terres , comme en effet cela est sans aucun
doute.
Les paysans , en toute probabilité , sont les descen
dons de ces anciens propriétaires romains ou gaulois.
Mais s'ils ne peuvent pas bien établir la ligne de leur
descendance , à la manière des antiquaires et des ju
risconsultes, ils se retirent dans la citadelle des droits
de l'homme. Là , ils trouvent que les hommes sont
égaux , et que la terre , cette bonne et égale mère de
tous, ne doit pas être foulée pour nourrir le luxe et
l'orgueil de quelques hommes, qui , par la nature , ne
sont pas meilleurs qu'eux, et qui, s'ils ne travaillent
pas pour gagner leur pain, sont pires. Ils trouvent que,
par les lois de la nature , celui qui occupe , ou celui
qui s'est emparé du sol , en est le vrai propriétaire ;
qu'il nly a pas de prescription contre la nature; et
que les arrangemens ( lorsqu'il y en a d'existans, ) qui
ont été passés avec leurs seigneurs pendant le temps
de l'esclavage, ne sont que l'effet de la cruauté et de
la force ; et que lorsque le peuple rentra dans les droits
de l'homme , tous ces traités devinrent aussi nuls que
tout le reste de ce qui avait été fait sous le règne de
l'ancienne tyrannie féodale et aristocratique. Ils vous
diront qu'ils ne voient pas de différence entre un fai
néant à chapeau à cocarde nationale, et un fainéant'
en capuchon ou en rochet. Si vous fondez le titre de
vos revenus sur l'héritage et sur la prescription , ils
vous disent, d'après le discours de M. Camus, publié
par l'Assemblée Nationale pour son instruction , que
les choses qui ont mal commencé ne peuvent se pré-
4*4 RÉVOLUTION
valoir de la prescription ; que le titre de ces seigneurs
était vicieux dans son origine, et que la force est au
moins aussi mauvaise que la fraude. Quant au litre
par héritage , ils vous diront que la succession de ceux
qui ont cultivé la terre , est la vraie généalogie de la
propriété, et non des parchemins pourris et de soties
substitutions; que les seigneurs n'ont joui que trop
long - temps de leurs usurpations ; et que si on leur
accorde quelque pension par charité , comme à des
moines laïques , ils devraient être bien reconnaissans
de la bonté des vrais propriétaires qui se conduisent
si généreusement envers ces faux prétendans à leurs
propriétés.
Lorsque les paysans vous paieront avec cette mon
naie sophistique frappée à votre coin, vous la décrie
rez comme étant de mauvais aloi , et vous leur direz
qu'à l'avenir vous les paierez avec des gardes françai
ses , des dragons et des hussards. Vous mettrez en
avant , pour les ramener à la raison , celte autorité de
la seconde main , de ce roi qui n'est qu'un instrument
de destruction , sans aucun pouvoir pour protéger le
peuple , ni sa propre personne. Vous vous flattez que ,
de par le roi, vous les forcerez à l'obéissance ; mais ils
vous répondront : « Vous nous avez appris qu'il n'y a
« point ici de gentilshommes : et quel est celui de vos
« principes qui nous apprenne à nous prosterner de-
« vant des rois que nous n'avons pas élus? Nous sa-
« vons , sans avoir besoin de vos leçons , que les terres
« avaient été concédées pour le soutien des dignités ,
« des titres et des emplois féodaux. Lorsque vous
DE FRANCE. 4»5
anéantissez la cause comme un grief, pourquoi l'ef
fet <;iu nous grève le plus subsisterait -il? Puisqu'il
n'y a plus aujourd'hui ni honneurs héréditaires , ni
familles distinguées, pourquoi serions-nous condamr
nés à maintenir des choses que vous avez condam
nées à ne plus exister? Vous avez dégradé nos an
ciens seigneurs aristocrates, pour nous les renvoyer
ensuite avec le seul titre de maltôtiers autorisés par
vous. Avez-vons fait quelques efforts pour nous ren
dre respectables les collecteurs des revenus? Non ,
vous nous les avez envoyés avec leurs armes renver-
sées,leurs boucliers brisés, leurs devises effacées; et ces
êtres h deux pieds sans plumes , étaient tellement
dégradés et métamorphosés , que nous ne pou
vions plus les reconnaître. Us nous sont étrangers .
ils ne portent même plus les noms de nos anciens
seigneurs. Physiquement , ils peuvent être les mê
mes hommes , quoique nous u'en soyons pas tout-
à-fait assurés, d'après vos nouvelles doctrines philo
sophiques sur l'identité personnelle : sous tous les
autres rapports , ils sont, totalement changés. Nous
ne voyons pas pourquoi nous n'aurions pas autant
de droit de leur refuser leurs revenus, que vous en
avez pour abroger tons leurs titres et toutes leurs
distinctions honorifiques ? Nous ne vous en avions
nullement chargés; et cet exemple de l'usurpation
d'un pouvoir qui ne vous avait point été délégué,
est un des mille que l'on pourrait vous citer. Nous
voyons les bourgeois de Paris, à l'aide de leurs club
de leurs attroupemens, et de leur garde naH
4°b RÉVOLUTION
« vous conduire à leur gré, et vous dicter les lois que
« vous nous dictez à votre tour. Par votre entremise ,
•• ces messieurs disposent de la vie et de la fortune du
<< reste des Français. Pourquoi ne feriez-vous pas au-
« tant d'attention aux désirs des laborieux cultivateurs,
« en ce qui concerne nos redevances , objet qui nous
« touche de la manière la plus sérieuse , que vous en
« faites aux demandes de ces bourgeois insolens , par
• rapport aux distinctions et aux titres honorifiques ,
« qui ne les intéressent pas plus que nous? Mais nous
« trouvons que vous avez plus d'égards pour leurs fan-
« taisies que pour nos besoins. Les droits de l'homme
« comprennent-ils l'obligation de payer tribut à ses
« égaux ? Avant que vous nous eussiez fait connaître
« cette disposition , nous aurions pu croire qu'il ne
« régnait pas entre tous les hommes une égalité par-
« faite. Nous aurions pu continuer à entretenir en
« leur faveur nos vieux préjugés habituels et insigni-
« fians; mais la loi que vous avez faite ne nous pré-
« sente aucun autre objet que le but de détruire toute
« espèce de respect à leur égard. Ne nous auriez -vous
« donc défendu de leur continuer nos vieilles formules
« respectueuses, que pour nous envoyer ensuite des
<< troupes , et que pour nous soumettre , à coups de
« sabre et de baïonnettes, au joug de la crainte et de
« la force, après nous avoir défendu de céder à la
« douce autorité de l'opinion?»
Le ridicule et la grossièreté de tous ces raisonne-
mens sont frappans pour tous les bons'esprits ; mais
ils doivent paraître très - concluans et très - so
DE FRANCE. 407
lidesà ces métaphysiciens politiques, qui ont ouvert
des écoles de sophisme,' et qui n'ont travaillé que
pour favoriser l'anarchie. Il est évident que la seule
considération du droit n'aurait pas empêché les chefs
de l'Assemblée de supprimer tontes les rentes, en
même temps qu'ils abolissaient les titres et les armoi
ries. Ils n'auraient fait en cela que se conduire d'a
près leurs raisonnemens , et compléter l'analogie de
leurs opérations. Mais ils venaient de s'emparer d'une
grande masse de propriélés territoriales par la voie de
la confiscation. Celait une marchandise dont il fallait
se défaire , et ils auraient perdu tout l'avantage de la
vente, s'ils avaient permis aux cultivateurs de petites
débauches de spéculations dans le genre de celles aux
quelles ils venaient de s'abandonner eux-mêmes jus
qu'à l'ivres:". Les propriétés , de quelque nature
qu'elles soient, n'ont plus d'autres sécurités que les
intérêts relatifs de leur rapacité. Leur bon plaisir ar
bitraire , enfin , est la seule règle qui détermine quelles
sont les propriétés qu'il faut protéger; quelles sont
celles qu'il faut bouleverser.
Ils n'ont pas mieux pourvu aux principes qui pour
raient soumettre toutes leurs municipalités à l'obéis
sance , ou même leur faire un devoir de ne point se
séparer du tout , pour se joindre à quelque autre puis
sance. Je crois avoir entendu dire que la ville de Lyon
avait dernièrement refusé de payer les impôts. Pour
quoi ne le ferait-elle pas? Quelle autorité légale existe
encore pour les contraindre? Quelques-uns de ces
impôts ont été mis par le Roi. Les plus anciens l'a
4oS RÉVOLUTION
vaient eté par les Etals Généraux , organisés en trois
ordres. On peut dire à l'Assemblée : Qui êtes - vous ,
vous qui n'êtes pas nos rois , ni les Etats - Généraux
que nous avons élus? Vous, enfin, qui ne siégez pas
d'après les principes par lesquels nons vous avions élus?
Et que sommes-nous, nous qui voyons que l'on a sup
primé la Gabelle, quoique vous eussiez ordonné le paie
ment de ses droits? Nous qui voyons la désobéissance
ratifiée par vous-mêmes, que sommes-nous? Pour
quoi ne serions-nous pas juges de ce que nous devons,
ou ne devons pas payer? Pourquoi ne nous aiderions-
uous pas des mêmes pouvoirs dont vous avez reconnu
la validité ? A cela , l'on répond : Nous enverrons des
troupes contre vous. Uullima ratio regum (c'est-à-dire
le canon, la dernière raison des rois,) est toujours la
première raison pour votre Assemblée. Elle pourra
faire usage de cette force militaire, tant que l'impres
sion de l'augmentation de la paie fera encore son
effet sur elle, et autant que pourra durer la petite va
nité de paraître l'arbitre de toutes les querelles. Mais
cette arme peu sûre crèvera bientôt dans la main qui
s'en sert. Comment se fait- il que l'Assemblée, lors
qu'elle tient et soutient partout des écoles, où par sys
tème , où avec une persévérance infatigable , on en
seigne tous les principes et l'on forme toutes sortes de
projets pour la destruction de l'esprit de subordina
tion, ou civile, ou militaire ; comment se fait-il, dis-
je , qu'elle puisse se flatter de maintenir dans l'obéis
sance un peuple anarchique , par ta secours d'une ar
mée anarchique ?
DE F R ANC!", 409
L'armée municipale , qui , suivant leur nouvelle po
litique, doit contrebalancer l'armée nationale, consi
dérée en elle-même , est d'une constitution beaucoup
plus simple , et, à tous égards, moins susceptible de re
proches. C'est un corps purement démocratique , qui
n'a aucune relation avec le pouvoir du Roi ; un corps
armé , discipliné , et commandé à la fantaisie des dis
tricts auxquels le corps appartient en particulier ; et la
direction du service personnel, ou des amendes qu'il
faut payer quand on se fait remplacer, appartient à la
même autorité (1). Rien n'est plus uniforme. Si cepen
dant vous considérez ces établissemens sous leur rapport
avec la couronne , avec l'Assemblée Nationale , avec
les tribunaux publics ou avec l'autre armée ; ou bien
si vous les considérez sous le rapport de la liaison
qu'ils peuvent avoir les uns avec les autres, rien ne
vous paraîtra plus monstrueux ; et il est impossible que
tous les mouvemeus embarrassés de cette machine ne
se terminent par quelque grande calamité nationale.
Ce moyen préservatif d une constitution générale est
plus mauvais que le systasis de la Crète, ou la confé
dération de la Pologne, ou que tous les autres mau-
■ . ■ :H\
- tr?)
^20 RÉVOLUTION
papier de banque la doit à l'effet de l'état florissant de
notre commerce, à la solidité de notre crédit et à l'ab
sence totale de tonte idée de l'intervention du pouvoir
dans toutes ses opérations. Ils oublient qu'en Angle
terre , ne fût-ce que pour un shelling, l'on n'y rece
vrait que volontairement du papier- monnaie : que
tout celui que nous avons n'est que la valeur repré-
sentative de sommes réelles existantes en argent, et
déposées en nature ; qu'on peut le convertir encore en
argent , sans la moindre perte , à sa volonté et à la mi
nute. — Notre papier a une valeur dans le commerce ,
parce qu'il n'en a aucune aux yeux de la loi ; il est
tout -puissant à la Bourse , parce qu'il est sans force
à la salle de Westminster Un créancier peut refuser
d'accepter en paiement , pour une dette de vingt
shellings, tout le papier de la Banque d'Angleterre.
Jamais , parmi jiious , aucune sûreté publique quel
conque, et de quelque nature qu'elle soit, ne nous
est présentée de force par l'autorité. Dans le fait , il se
rait aisé de démontrer que l'abondance de notre pa
pier-monnaie , au lieu de diminuer le nombre de nos
espèces métalliques , a une tendance à l'augmenter ;
qu'au lieu d'être un supplément à l'argent , il en fa
cilite l'entrée, la sortie et la circulation; qu'il est le
symbole de la prospérité , et non le signal de la dé
tresse. Jamais, dans ce pays, la disette du numéraire,
ou l'abondance du papier, n'a été un sujet de plainte.
|r A la bonne heure, me dira-t on; mais. du moins,
le retranchement des dépenses prodigues , et l'éco
nomie qui a été établie par une sage et vertueuse
DE FRANCE. 42i
Assemblee , procureront des compensations aux
pertes éprouvées dans la perception des revenus. Dans
ceci, du moins, ils ont rempli les devoirs du finan
cier. — Ceux qui parlent ainsi ont- ils donné quel
que attention aux dépenses de l'Assemblée Nationale
elle-même, des municipalités, de la ville de Paris, à
l'augmentation de la paie des deux armées, de la nou
velle police, des nouveaux tribunaux judiciaires? Ont-
ils même exactement comparé la liste actuelle des
pensions avec l'ancienne ? Tous ces politiques ont été
cruels, et non pas économes. En comparant les dé
penses de cet ancien gouvernement prodigue et leuf
proportion avec les revenus d'alors , avec les dépenses
de ce nouveau système de gouvernement en opposi
tion avec l'état de son nouveau trésor , je crois que le
gouvernement actuel est, au-delà de toute comparai
son , beaucoup plus coûteux (i).
DE FRANCE:
engagement par un autre ; qui se fait u§e ressource
de sa pénurie , et qui solde ses intérêts avec ses
chiffons (i)? •' »
Leur confiance fanatique dans le pillage tout puis
sant de l'Eglise, a détourné ces philosophes de tons les
autres soins qu'ils auraient pu donner à la chose pu
blique , exactement de même que le rêve de la pierre
philosophale entraîne ceux qui se laissent séduire par
les illusions dé la philosophie hermétique, à négliger
tous les moyens raisonnables d'augmenter leur fortune.
Ces philosophes financiers ont cru qu'ils guériraient
tous les maux de l'Etat avec leur remède universel ,
composé avec la momie de l'Eglise. Ces messieurs,
peut-être, ne croient pas beaucoup aux miracles de la
piété ; mais on ne peut pas douter qu'ils n'aient une
foi imperturbable aux prodiges du sacrilége. Sont -ils
pressés par une dette? émission à'assignats. Ont -ils
à rembourser ceux qu'ils ont ou volés ou dépouillés de
leurs charges ? des assignats. Faut-il armer une flotte ?
des assignats. Si seize millions sterling de ces assi
gnats répandus dans le public, ne suffisent pas pour
satisfaire aux nécessités de l'Etat , devenues plus pres
santes que jamais : Faites , dit l'un, une émission de
trente millions sterling d'assignats ! Faites - en pour
quatre-vingt millions de plus, dit un autre! La seule
fi) Hélas! il ne faut pas remonter si haut pour retrouver des finan
ciers qui croient se liberer d'un engagement par un autre ! Paiera qui
pourra ; distribuons nos papiers en grandes masse ou en coupons , et
après nous, le déluge... Voilà les profonds calculs de nos modernes
Sully. [Note d» l'Editeur.)
4^4 RÉVOLUTION
différence q/a il y a entre ces factions financières, n'est
que dans la quantité plus ou moins grande d'assignats
dont il faut accabler le public souffrant. Tous sont des
prédicate;irsd'a^«^7ïO/5. Ceux|mêmes dont le bon sens
lialurel et la connaissance du commerce , non égarés
par la philosophie, fournissent des argumens décisifs
contre cette tromperie , les terminent par proposer
une émission d assignats. Je suppose qu'ils ne parlent
d'assignats que parce que, sans cela, leur langage ne
«.erait pas compris. Ils ont beau éprouver l'inefficacité
tle leur moyen, cela ne les décourage nullement. Les
anciens assignats sont-ils tout-à-fait décriés sur la
place ? Quel est le remède ? Emission d'assignats tout
neufs. Mais, si maladia opiniatra non vult se gua-
rire , quid illifacere? Assignare, postea assignare,
tnsuita assignare ( i ). J'ai un peu altéré mon texte : le
latin de vos docteurs actuels peut être meilleur que ce
lui de votre ancienne comédie. Leur sagesse et la va
riété de leurs ressources sont égales. Ils n'ont pas plus
de notes dans leur chant que le coucou , quoique loin
d'avoir le moelleux du gosier de ce précurseur de l'été
et de l'abondance; leur voix est aussi rauque , aussi
désagréable que celle du corbeau.
Qui , excepté des aventuriers désespérés en philoso
phie et en finance , pouvait avoir l'idée de détruire le
revenu fixe de l'Etat , la seule sécurité du crédit pu-
(l) Oui; dans doute, les financiers d'alors' savaient qu'en établissant
des pensions , etc. , ils chargeaient le trésor public pour l'avenir, en le
soulageant pour let moquent açtuel ; mais ne comptaient -ils pas sur des
morts subites , des deux septembre , des déportations , et sur mille
autres ressources aussi honnêtes qu'on a vu se développer en i792 , i793 ,
1794?! L'Etat massacrait, guillotinait ou déportait ses créanciers, et
cela 8,'appelait battre monnaie sut la plate de la Révolution , dans
le langage des Barrère, des Cambon, et autres financiers! qui avaient
succédé aux avocats et aux évoques financiers de J790.
' "[Note de ïEditeur.)
(a) « Ce n'esrç point, à l'Assemblée entière que je m'adresse ici; je ne
« parle qu'à ceux qui l'égarent , en lui cacliant , sous des gazes, sédui
te santés, le but où ils l'entraînent. C'est à eux que je dis: Votre objet,
« .ousn'en disconviendrez pas, c'est d'ùtcr tout espoir au clergé, et de
DE FRANCE. 43l
Afin de persuader le mondé entier de l'insuffisance
des. ressources. qn'elle trouverait dans la confiscation
des biens de l'Eglise, l'Assemblée Nationale procéda à
celle d'une autre nature de biens , celle des charges ,
chose que, sous aucun prétexte, elle ne pouvait faire
sans rembourser les propriétaires de ces charges , et
cela encore sur la grande confiscation1 des terres de
l'Eglise.- >EHe rejetta cette nouvelle charge sunie fonds
qu'elle deviait montrer exempt de charges, et dont elle
-•. . .. ....i.;< »■■ » 4 .f : » i ii- .t.
« coosornnîer sa ruine : c'est là^ en ne vous soupçonnait d'aucuue eom-
« binaison de cupidité ( d'aucun regard( sur le jeu des effets publics,
«x c'est là ce qu'on doit croire que tous avez eu en vue dans la terrible
a. operation que vous proposez'; c'est ce qui doit' en être le fruit. Mais le
a peuple que vous y intéressez, quel i avantage peut»' il y trouver ? En
a vous servant sans cesse de lui , que faites-vous, pour lui ? Rien , abso-
« lument rien j et , au contraire , vous laites ce qui pe conduit qu'à l'ac"
■a câbler de nouvelles charges. Vous avez rejeté , à son préjudice , line
il offre de 4oo millions , dont l'acceptation pouvait devenir un moyen.
« de soulagement en sa faveur ; et à cette ressource aussi profitable que
a légitime , vous avez substitué. une injustice ruineuse , qui, de votre
4L propre aveu, charge le trésor public, et par conséquent le peuple ,
« d'un surcroît de dépense* annuelle de ôo millions au moins, et* d'un,
«remboursement de J 5o mrlIrons (t); '■ ■■• • «• ■ »<->'i
« Malheureux peupU ! voilà ce que vaut, en dernier résultat, l'ex-
« propriation de l'Eglise, et la dureté des décrets taxateurs du traite-
« ment des ministres d'une religion bienfaisante j et désormais ils seront
g à votre charge leurs charités soulageaient les pauvres ; et vous allez
« être impesé»pour subvenir à leur entretien ! » De l'Etat de la France
p. 81. Voyezaussi p. 92 et suiv. .... :
, ... {Note de l'auteur.)
(1) Sans doute c'eût eté un surcroît pour te tresor, si , comme M. de Galonne avait
la bonhomie de le croire , le» financiers d'alors avaient eu l'intention ie payer ; mais
•n j mit ban ordre. (Tores U note precedente.)
. . (Note de l'Editeur. )
43a ' nÉvoLUTioN
«levait apurer le revenu. Il faut compter en première
ligne toutes les charges de la magistrature , et ensuite
toutes les charges supprimees. Je ne puis pas assurer
positivement quel est le montant de tous ces rembour-
semens réunis; mais je suis certain qu'ils se montent à
beaucoup de millions , monnaie de France. Une
autre nouvelle charge à acquitter , est celle de quatre
cent quatre -vingt mille livres sterling d'annuités à
payer chaque jour (si elle veut tenir sa parole), pour
les intérêts des premiers assignats. L'Assemblée s'est-
elle jamais donné la peine d'établir de bonne foilesdé-
penses de l'administration des biens de l'Eglise , qu'elle
a jugé à propos d'abandonner au savoir et à l'intelli
gence des municipalités, et à la légion innombrable
de tous ces sous-ordres obscurs, malgré tous les incon-
véniens si évidemment démontrés par M. l'évêque de
Nancy. ( M. de La Fare. )
Mais il est inutile de s'arrêter sur tous ces points
de surcharges évidentes. L'Assemblée a-t-elle rien fait
encore pour mettre au jour la plus grande de toutes ,
celle de tous les établissemens municipaux de toutes
les sortes? Et l'a-t-elle comparée avec le montant des
revenus? Pour tous les vides de cette nature que l'on a
à remplir , on a recours aux biens de l'Eglise; et cela ,
toujours avant qu'aucun créancier puisse planter ses
choux sur un arpent de la propriété de l'Eglise : elle
n'a pas d'autre étai que cette confiscation , pour empê-
chertout l'Etat de tomber en ruines. Dans une telle si
tuation, on a eu soin d'envelopper à dessein , d'un
brouillard bien épais, .tout ce qu'elle aurait dû éclai
DE FRANCE. 4^3
rer avec Soin. C'est alors qu'aveuglés eux - mêmes ,
comme des taureaux qui ferment les yeux quand ils
prennent leur élan , ils- forcent, à la pointe des baïon
nettes, tous leurs esclaves, aussi aveugles en vérité que
leurs maîtres , à prendre leurs fictions pour des réalités,
«t à avaler de leurs pilules d'assignats , à la dose de
trente-quatre millions de livrés sterl. C'est après cela
qu'ils élèvent leurs prétentions à un crédit futur , sur
la violation de tous leurs engagemens passés; et au mo
ment où il est clair, { si dans une telle matière quelque
chose peut être clair,) que le surplus des biens ne ré
pondra jamais même à la première de leurs hypothè
ques , je veux dire à celle de quatre cent millions(seize
millions sterling) d'assignats. Je ne puis remarquer
nans aucun de leurs procédés, ni la simplicité de la
bonne foi, ni la subtile dextérité d'une fraude ingé
nieuse. On n'a pas encore répondu au reproche fait
<lans le sein de l'Assemblée, de lever les écluses de la
fraude ; mais il a été réfuté de fond en comble par
cent mille financiers dans la rue. Ce sont là les nom
bres avec leiquels calculent ces métaphysiciens -arith
méticiens : ce sont là les grands calculs sur lesquels le
crédit public philosophique est établi en France. On
ne peut plus y lever de subsides; mais on y lève de la
canaille à volonté. Laissez l'Assemblée se réjouir des
appla«idissemens du club de Dundee (i), pour la sa
gesse et le patriotisme d'avoir ainsi employé au profit
(l) En Ecosse, présidé par le docteur Piice, grand admirateur de la
lévoluliou fiança itie.
( Note de l'Editeur. )
28.
434 RÉVOLUTION
de l'Etat, le pillage des biens des citoyens. Je n'ai pas
entendu dire que les directeurs de la Banque d'Angle
terre lui aient adressé de c'ohlplimeris sur ce sujet ,
quoique leur approbation pût avoir un peu. plus dé
poids dans la balance du crédit , que celle du club de
blindée. Mais, pour rendre justice à ce club, Je crois*
que ceux qui le composent sont plus sages qu'ils ne lè
paraissent; qu'ils seront moins prodigues de leur ar
gent que de leurs éloges; et qu'ils ne donneraient pas
grand comme l'oreille d'un chiên , de leur plus dé
chiré et plus chiffonné papier écossais ( i ) , pour vingt
de vos plus beaux assignais.
Au commencement de cette année , l'Assemblée a
créé pour seize millions sterling d'assignats: en quel
état l'Assemblée avait -elle donc réduit vos affai
rés, pour qu'un secours aussi immense fût cependant
presque insensible? Ce papier rte tarda pas à perdre
aussi cinq pour cent, et bientôt après sept (2). L'effet
de ces assignats sur le revenu public est très - remar
quable. M. Necker s'aperçut que les receveurs des im
positions , qui se faisaient payer en argent , payaient
le Trésor royal en assignais. Ils gagnaient sept pour
cent à cette opération. Il n'était pas difficile dë pré
voir que cela serait inévitable: cependant, cela n'en
«tait pas moins embarrassant. M. Necker a été obligé
de faire acheter des matières d'dr et d'argent (je crois