Les Misérables
Les Misérables
Les Misérables
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A 1,027,788
&C
ORKAY o
DW
1817
ARTES SCIENTIA
VERITAS
LIBRARY OF
I CHTHEIGAN
N I V E R S ITY F M
U O
SPLURIBUS UMU
TUEBOR
SI- QUERIS-PENINS
ULAM -AMOENAM
CIRCU
MSPIC
E
1887
v.5
LES
MISÉRABLES
PAR
CINQUIÈME PARTIE
JEAN VALJEAN
NEW YORK :
WILLIAM R. Jenkins ,
ÉDITEUR ET LIBRAIRE FRANÇAIS ,
850 Sixth Avenue ,
BOSTON:- CARL SCHOENHOF .
1887 .
Library
W.P.Lombard
12-1-39
CINQUIÈME PARTIE
JEAN VALJEAN
LIVRE PREMIER
A7S
12-5-34
ÉCLAIRCISSEMENT ET ASSOMBRISSEMENT
LA SITUATION S'AGGRAVE
N entoura Gavroche.
ON Mais il n'eut pas le temps de rien raconter. Ma-
rius, frissonnant , le prit à part.
― Qu'est-ce que tu viens faire ici ?
--- Tiens ! dit l'enfant. Et vous ?
AURORE
GAVROCHE DEHORS
Le père poursuivit :
- Sois humain. Il faut avoir pitié des animaux.
Et, prenant à son fils le gâteau , il le jeta dans le bassin
Le gâteau tomba assez près du bord.
Les cygnes étaient loin, au centre du bassin, et occu-
pés à quelque proie . Ils n'avaient vu ni le bourgeois ,
ni la brioche .
Le bourgeois, sentant que le gâteau risquait de se
perdre, et ému de ce naufrage inutile, se livra à une
agitation télégraphique qui finit par attirer l'attention
pes cygnes .
Ils aperçurent quelque chose qui surnageait , virèrent
de bord comme des navires qu'ils sont, et se dirigèrent
vers la brioche lentement, avec la majesté béate qui
convient à des bêtes blanches.
Les cygnes comprennent les signes, dit le bour-
geois, heureux d'avoir de l'esprit.
En ce moment le tumulte lointain de la ville eut en-
core un grossissement subit. Cette fois, ce fut sinistre.
Il y a des bouffées de vent qui parlent plus distincte-
ment que d'autres . Celle qui soufflait en cet instant-là
apporta nettement des roulements de tambour, des cla-
ineurs, des feux de peloton , et les répliques lugubres
du tocsin et du canon. Ceci coïncida avec un nuage
noir qui cacha brusquement le soleil .
Les cygnes n'étaient pas encore arrivés à la brioche.
Rentrons, dit le père , on attaque les Tuileries .
Il ressaisit la main de son fils . Puis il continua :
- Des Tuileries au Luxembour
g, il n'y a que la dis-
tance qui sépare la royauté de la pairie ; ce n'est pas
loin. Les coups de fusil vont pleuvoir.
Il regarda le nuage.
Et peut-être aussi la pluie elle-même va pleuvoir ;
LA GUERRE ENTRE QUATRE MURS . 89
LES HÉROS
PIED A PIED
PRISONNIER
L'INTESTIN DE LÉVIATHAN
BRUNESEAU
DÉTAILS IGNORÉS
PROGRES ACTUEL
PROGRÈS FUTUR
EXPLICATION
L'HOMME FILÉ
LE FONTIS
-Jean Valjean.
Javert mit le casse-tête entre ses dents, ploya les jar-
rets, inclina le torse, posa ses deux mains puissantes sur
les épaules de Jean Valjean , qui s'y emboîtèrent comme
dans deux étaux, l'examina, et le reconnut. Leurs vi-
sages se touchaient presque . Le regard de Javert était
terrible .
Jean Valjean demeura inerte sous l'étreinte de Javert
comme un lion qui consentirait à la griffe d'un lynx .
-Inspecteur Javert, dit- il, vous me tenez . D'ailleurs,
depuis ce matin je me considère comme votre prison-
nier. Je ne vous ai point donné mon adresse pour
chercher à vous échapper. Prenez-moi. Seulement, ac-
cordez-moi une chose .
Javert semblait ne pas entendre . Il appuyait sur Jean
Valjean sa prunelle fixe. Son menton froncé poussait
ses lèvres vers son nez, signe de rêverie farouche.
Enfin, il lâcha Jean Valjean , se dressa tout d'une pièce,
reprit à plein poignet le casse-tête, et, comme dans un
un songe , murmura plutôt qu'il ne prononça cette
question :
Que faites-vous là ? et qu'est- ce que c'est que cet
homme ?
Il continuait de ne plus tutoyer Jean Valjean .
Jean Valjean répondit, et le son de sa voix parut
réveiller Javert :
- C'est de lui précisément que je voulais vous par-
ler. Disposez de moi comme il vous plaira ; mais aidez-
moi d'abord à le rapporter chez lui . Je ne vous demande
que cela.
La face de Javert se contracta comme cela lui arri-
vait toutes les fois qu'on semblait le croire capable
d'une concession . Cependant il ne dit pas non .
LA BOUE, MAIS L'AME. 21I
1
ΧΙ
L'AIEUL
Marius !
Monsieur, dit Basque, on vient de rapporter mon-
sieur. Il est allé à la barricade, et...
― Il est mort ! cria le vieillard d'une voix terrible.
Ah ! le brigand .
Alors une sorte de transfiguration sépulcrale redressa
ce centenaire droit comme un jeune homme.
Monsieur, dit-il, c'est vous le médecin. Commen-
cez par me dire une chose . Il est mort, n'est-ce pas ?
Le médecin, au comble de l'anxiété, garda le si-
lence .
M. Gillenormand se tordit les mains avec un éclat de
rire effrayant.
Il est mort ! il est mort ! il s'est fait tuer aux bar-
ricades ! en haine de moi ! C'est contre moi qu'il a fait
ça ! Ah ! buveur de sang ! c'est comme cela qu'il me re-
vient ! Misère de ma vie , il est mort !
Il alla à la fenêtre, l'ouvrit toute grande comme s'il
étouffait, et, debout devant l'ombre, il se mit à parler
dans la rue à la nuit :
- – Percé, sabré, égorgé, exterminé, déchiqueté , cou
pé en morceaux ! voyez-vous ça , le gueux ! Il savait
bien que je l'attendais, et que je lui avais fait arranger
sa chambre, et que j'avais mis au chevet de mon lit son
portrait du temps qu'il était petit enfant ! Il savait bien
qu'il n'avait qu'à revenir, et que depuis des ans je
le rappelais et que je restais le soir au coin de mon feu
les mains sur mes genoux ne sachant que faire, et que
j'en étais imbécile ! Tu savais bien cela, que tu n'avais
qu'à rentrer et qu'à dire : c'est moi , et que tu serais le
maître de la maison , et que je t'obéirais, et que tu ferais
tout ce que tu voudrais de ta vieille ganache de grand-
père! Tu le savais bien, et tu as dit : non, c'est un royalis-
LA BOUE, MAIS L'AME . 223
JAVERT DÉRAILLÉ
sait que c'était bon tant que lui Marius ne parlait pas
et se laissait faire ; mais que, lorsqu'il s'agirait de Co-
sette, il trouverait un autre visage , et que la véritable
attitude de l'aïeul se démasquerait. Alors ce serait rude ;
recrudescence des questions de famille, confrontation
des positions , tous les sarcasmes et toutes les objections
à la fois, Fauchelevent , Coupelevent, la fortune, la pau-
vreté, la misère, la pierre au cou , l'avenir . Résis-
tance violente ; conclusion : refus. Marius se roidissait
d'avance.
Et puis, à mesure qu'il reprenait vie, ses anciens
griefs reparaissaient, les vieux ulcères de sa mémoire
se rouvraient, il resongeait au passé, le colonel Pont-
mercy se replaçait entre M. Gillenormand et lui Marius,
il se disait qu'il n'avait aucune vraie bonté à espérer de
qui avait été si injuste et si dur pour son père . Et avec
la santé, il lui revenait une sorte d'âpreté contre son
aïeul. Le vieillard en souffrait doucement.
M. Gillenormand, sans en rien témoigner d'ailleurs ,
remarquait que Marius, depuis qu'il avait été rapporté
chez lui et qu'il avait repris connaissance , ne lui avait
pas dit une seule fois mon père. Il ne disait point mon-
sieur, cela est vrai ; mais il trouvait moyen de ne dire ni
l'un ni l'autre, par une certaine manière de tourner ses
phrases.
Une crise approchait évidemment.
Comme il arrive presque toujours en pareil cas , Ma-
rius, pour s'essayer, escarmoucha avant de livrer ba-
taille. Cela s'appelle tâter le terrain . Un matin il advint
que M. Gillenormand , à propos d'un journal qui lui
était tombé sous la main, parla légèrement de la Con-
vention et lâcha un épiphonème royaliste sur Danton,
Saint-Just et Robespierre. Les hommes de 93 étaient
254 LES MISÉRABLES . JEAN VALJEAN .
MARIUS ATTAQUE
A propos !
- Quoi, mon père ?
N'avais- tu pas un ami intime ?
Oui, Courfeyrac.
Qu'est-il devenu ?
Il est mort .
Ceci est bon.
Il s'assit près d'eux, fit asseoir Cosette, et prit leurs
quatre mains dans ses vieilles mains ridées :
Elle est exquise, cette mignonne . C'est un chef-
d'œuvre, cette Cosette-là ! Elle est très petite fille et
très grande dame. Elle ne sera que baronne, c'est dé-
roger; elle est née marquise. Vous a-t-elle des cils ?
Mes enfants, fichez-vous bien dans la caboche que vous
êtes dans le vrai . Aimez-vous. Soyez-en bêtes L'a-
mour, c'est la bêtise des hommes et l'esprit de Dieu .
Adorez-vous. Seulement, ajouta-t-il rembruni tout à
coup, quel malheur ! Voilà que j'y pense ! Pius de la
moitié de ce que j'ai est en viager ; tant que je vivrai,
cela ira encore , mais après ma mort, dans une
vingtaine d'années d'ici, ah ! mes pauvres enfants, vous
n'aurez pas le sou ? Vos belles mains blanches, ma-
dame la baronne, feront au diable l'honneur de le tirer
par la queue.
Ici on entendit une voix grave et tranquille qui disait:
Mademoiselle Euphrasie Fauchelevent a six cent
mille francs.
LE PETIT-FILS ET LE GRAND-PÈRE . 265
bres avait tout emporté, excepté lui. Tout cela lui sem-
blait avoir disparu comme derrière une toile de théâtre .
Il y a de ces rideaux qui s'abaissent dans la vie. Dieu
passe à l'acte suivant .
Et lui même, était-il bien le même homme ? Lui, le
pauvre, il était riche ; lui, l'abandonné, il avait une fa-
mille , lui , le désespéré , il épousait Cosette . Il lui sem-
blait qu'il avait traversé une tombe, et qu'il y était en-
tré noir, et qu'il en était sorti blanc, et cette tombe, les
autres y étaient restés . A de certains instants, tous ces
êtres du passé, revenus et présents, faisaient cercle
autour de lui et l'assombrissaient ; alors il songeait à
Cosette, et redevenait serein ; mais il ne fallait rien
moins que cette félicité pour effacer cette catastrophe .
M. Fauchelevent avait presque place parmi ces êtres
évanouis. Marius hésitait à croire que le Fauchelevent
de la barricade fût le même que ce Fauchelevent
en chair et en os, si gravement assis près de Cosette .
Le premier était probablement un de ces cauchemars
apportés et remportés par ses heures de délire . Du reste,
leurs deux natures étant escarpées, aucune question
n'était possible de Marius à M. Fauchelevent. L'idée
ne lui en fût même pas venue . Nous avons indiqué
déjà ce détail caractéristique.
Deux hommes qui ont un secret commun, et qui, par
une sorte d'accord tacite, n'échangent par une parole à
ce sujet, cela est moins rare qu'on ne pense.
Une fois seulement, Marius tenta un essai. Il fit venir
dans la conversation la rue de la Chanvrerie, et, se tour-
nant vers M. Fauchelevent, il lui dit :
----- Vous connaissez bien cette rue-là ?
- Quelle rue ?
- La rue de la Chanvrerie.
282 LES MISÉRABLES . JEAN VALJEAN.
LA NUIT BLANCHE
LE 16 FÉVRIER 1833
* Daron, père .
** Roulotto, voiture .
*** Je veux qu'on me coupe le cou, et n'avoir de ma vie dit vous,
toi, ni moi, si je ne connais pas ce parisien-là .
LA NUIT BLANCHE . 299
Non.
Et le marié ?
- Il n'y a pas de marié dans cette roulotte-là.
Bah !
-
A moins que ce ne soit l'autre vieux .
- Tâche donc de voir la mariée en te, penchant
bien.
- Je ne peux pas.
- C'est égal, ce vieux qui a quelque chose à la patte,
j'en suis sûr, je connais ça .
- Et à quoi ça te sert-il de le connaître ?
On ne sait pas. Des fois !
- Je me fiche pas mal des vieux, moi.
- - Je le connais.
Connais-le à ton aise.
Comment diable est-il à la noce ?
Nous y sommes bien, nous .
D'où vient-elle cette noce ?
- Est-ce que je sais ?
Écoute .
Quoi ?
Tu devrais faire une chose.
Quoi ?
Descendre de notre roulotte et filer * cette noce-là.
Pourquoi faire ?
Pour savoir où elle va, et ce qu'elle est. Dépêche-
toi de descendre, cours, ma fée**, toi qui es jeune.
- Je ne peux pas quitter la voiture.
- Pourquoi ça ?
- Je suis louée.
* Filer, suivre .
** Fée, fille .
300 LES MISÉRABLES . -- JEAN VALJEAN .
Ah fichtre !
Je dois ma journée de poissarde à la préfecture.
C'est vrai.
-
Si je quitte la voiture , le premier inspecteur qui
me voit m'arrête . Tu sais bien .
Oui, je sais.
Aujourd'hui, je suis achetée par Pharos . *
C'est égal. Ce vieux m'embête.
Les vieux t'embêtent ? Tu n'es pourtant pas une
jeune fille !
- Il est dans la première voiture.
- Eh bien !
Dans la roulotte de la mariée.
Après ?
--- Donc il est le père.
-- Qu'est- ce que cela me fait ?
-- Je te dis qu'il est le père.
- Il n'y a pas que ce père-là.
- Écoute.
- Quoi?
Moi, je ne peux guère sortir que masqué . Ici, je
suis caché, on ne sait pas que j'y suis. Mais demain, il
n'y a plus de masques, C'est mercredi des cendres. Je
risque de tomber **. Il faut que je rentre dans mon trou.
Toi, tu es libre .
- Pas trop.
- Plus que moi toujours.
Eh bien, après ?
Il faut que tu tâches de savoir où est allée cette
noce -là ?
·Où elle va?
* Pharos, le gouvernement .
** Tomber, être arrêté.
LA NUIT BLANCHE . 301
Oui.
- Je le sais.
Où va-t-elle donc ?
Au Cadran-Bleu .
D'abord ce n'est pas de ce côté-là.
- Eh bien ! à la Râpée.
Ou ailleurs .
Elle est libre . Les noces sont libres.
Ce n'est pas tout ça. Je te dis qu'il faut que tu
tâches de me savoir ce que c'est que cette noce-là, dont
est ce vieux, et où cette noce - là demeure .
-
Plus souvent ! voilà qui sera drôle. C'est com-
mode de retrouver, huit jours après, une noce qui a
passé dans Paris le mardi gras. Une tiquante * dans
ungrenier à foin ! Est-ce que c'est possible !
N'importe, il faudra tâcher. Entends-tu, Azelma.
Les deux files reprirent des deux côtés du boulevard
leur mouvement en sens inverse, et la voiture des mas-
quès perdit de vue " la roulotte " de la mariée.
* Tiquante, épingle .
}
II
L'INSÉPARABLE
IMMORTALE JECUR
LA DÉCROISSANCE CRÉPUSCULAIRE
mille ? " J'ai répondu : " Oui , avec rien. Pourvu que
ce soit avec toi. " Et puis j'ai demandé : " Pourquoi me
dis-tu ça ?" Il m'a répondu : " Pour savoir. "
Jean Valjean ne trouva pas une parole . Cosette atten-
dait probablement de lui quelque explication ; il l'écouta
dans un morne silence . Il s'en retourna rue de l'Hom-
me-Armé ; il était si profondément absorbé qu'il se
trompa de porte, et qu'au lieu de rentrer chez lui, il
entra dans la maison voisine . Ce ne fut qu'après avoir
monté presque deux étages qu'il s'aperçut de son erreur
et qu'il redescendit.
Son esprit était bourrelé de conjectures . Il était
évident que Marius avait des doutes sur l'origine de ces
six cent mille francs , qu'il craignait quelque source non
pure, qui sait ? qu'il avait même peut-être découvert
que cet argent venait de lui Jean Valjean , qu'il hési-
tait devant cette fortune suspecte, et répugnait à la
prendre comme sienne, aimant mieux rester pau-
vres, lui et Cosette , que d'être riches d'une richesse
trouble.
En outre, vaguement, Jean Valjean commençait à se
sentir éconduit.
Le jour suivant, il eut, en pénétrant dans la salle
basse, comme une secousse. Les fauteuils avaient dis-
paru. Il n'y avait pas même une chaise.
- Ah çà, s'écria Cosette en entrant, pas de fauteuils !
Où sont donc les fauteuils ?
-
Ils n'y sont plus, répondit Jean Valjean .
-
– Voilà qui est fort !
Jean Valjean bégaya :
C'est moi qui ai dit à Basque de les enlever.
Et la raison ?
- Je ne reste que quelques minutes aujourd'hui.
376 LES MISÉRAbles . --· JEAN VALJEAN ,
L'ATTRACTION ET L'EXTINCTION
E même
même jour, ou, pour mieux dire , ce même soir,
comme Marius sortait de table et venait de se
retirer dans son cabinet, ayant un dossier à étudier,
Basque lui avait remis une lettre en disant : La per-
sonne qui a écrit la lettre est dans l'antichambre .
Cosette avait pris le bras du grand-père et faisait un
tour dans le jardin .
Une lettre peut, comme un homme, avoir mauvaise
tournure. Gros papier, pli grossier, rien qu'à les voir,
de certaines missives déplaisent.
La lettre qu'avait apportée Basque était de cette
espèce.
Marius la prit. Elle sentait le tabac . Rien n'éveille
un souvenir comme une odeur. Marius reconnut ce
tabac. Il regarda la suscription : A monsieur, monsieur
le baron Pommerci. En son hôtel. Le tabac reconnu lui
fit reconnaître l'écriture. On pourrait dire que l'étonne-
ment a des éclairs.
Marius fut comme illuminé d'un de ces éclairs-là.
L'odorat, le mystérieux aide-mémoire, venait de faire
revivre en lui tout un monde . C'était bien là le papier,
SUPRÊME OMBRE , SUPRÊME AURORE . 393
Un peu.
Quel est ce secret ?
Marius examinait de plus en plus l'homme, tout en
l'écoutant.
- Je commence gratis , dit l'inconnu . Vous allez voir
que je suis intéressant.
- Parlez .
Monsieur le baron, vous avez chez vous un voleur
et un assassin.
Marius tressaillit.
Chez moi ? non , dit-il.
L'inconnu, imperturbable, brossa son chapeau du
coude, et poursuivit :
- Assassin et voleur . Remarquez, monsieur le baron,
que je ne parle pas ici de faits anciens, arriérés, caducs ,
qui peuvent être effacés par la prescription devant la
loi et par le repentir devant Dieu Je parle de faits
récents, de faits actuels, de faits encore ignorés de la
justice à cette heure . Je continue. Cet homme s'est
glissé dans votre confiance, et presque dans votre
famille , sous un faux nom . Je vais vous dire son vrai
nom . Et vous le dire pour rien.
- J'écoute .
Il s'appelle Jean Valjean.
Je le sais.
– Je vais vous dire, également pour rien , qui il est.
Dites.
C'est un ancien forçat.
- Je le sais .
Vous le savez depuis que j'ai eu l'honneur de
vous le dire .
- Non. Je le savais auparavant.
Le ton froid de Marius, cette double réplique je le
SUPRÊME OMBRE , SUPRÊME AURORE . 401
Puis brusquement
- Et bien, soit, s'écria-t-il. Mettons-nous à notre
aise.
Et avec une prestesse de singe , rejetant ses cheveux
en arrière, arrachant ses lunettes, retirant de son nez et
escamotant les deux tuyaux de plume dont il a été
question tout à l'heure, et qu'on a d'ailleurs déjà vus à
une autre page de ce livre, il ôta son visage comme on
ôte son chapeau .
L'oeil s'alluma ; le front inégal, raviné, bossu par
endroits, hideusement ridé en haut, se dégagea, le nez
redevint aigu comme un bec ; le profil féroce et sagace
de l'homme de proie reparut .
- Monsieur le baron est infaillible, dit-il d'une voix
nette et d'où avait disparu tout nasillement, je suis
Thénardier.
Et il redressa son dos voûté.
Thénardier, car c'était bien lui, était étrangement
surpris ; il eût été troublé , s'il avait pu l'être. Il était
venu apporter de l'étonnement, et c'était lui qui en re-
cevait. Cette humiliation lui était payée cinq cents
francs, et, à tout prendre , il l'acceptait ; mais il n'en
était pas moins abasourdi .
Il voyait pour la première fois ce baron Pontmercy ,
et, malgré son déguisement, ce baron Pontmercy, le re-
connaissait, et le reconnaissait à fond . En non - seule-
ment ce baron était au fait de Thénardier, mais il sem-
blait au fait de Jean Valjean. Qu'était-ce que ce jeune
homme presque imberbe, si glacial et si généreux, qui
savait les noms des gens, qui savait tous leurs noms, et
qui leur ouvrait sa bourse, qui malmenait les fripons
comme un juge et qui les payait comme une dupe ?
Thénardier, on se le rappelle, quoique ayant été voi-
404 LES MISERABLES . JEAN VALJEAN .
2
LETTRE A M. DAELLI
VICTOR HUGO .
TABLE DES CHAPITRES
CINQUIÈME PARTIE
JEAN VALJEAN
LIVRE PREMIER
LA GUERRE ENTRE QUATRE MURS
Pages.
I. La Charybde du faubourg Saint-Antoine et la Scylla
du faubourg du Temple .. 5
II. Que faire dans l'abîme à moins que l'on ne cause.. 16
III. Éclaircissement et assombrissement . 22
IV. Cinq de moins, un de plus .. 25
V. Quel horizon on voit du haut de la barricade .. 34
VI. Marius hagard , Javert laconique . 40
VII. La situation s'aggrave ... 43
VIII. Les artilleurs se font prendre au sérieux.. 49
IX. Emploi de ce vieux talent de braconnier et de ce
35353
Pages
XIV. Où on lira le nom de la maîtresse d'Enjolras.. 71
XV. Gravroche dehors . 74
XVI. Comment de frère on devient père .. 79
XVII. Mortuus pater filium moriturum expectat.. 90
XVIII. Le vautour devenu proie . 93
XIX. Jean Valjean se venge . 99
XX. Les morts ont raison et les vivants n'ont pas tort .. 103
XXI. Les héros ... 115
XXII. Pied à pied . 121
XXIII. Oreste à jeun et Pylade ivre .. 126
XXIV. Prisonnier . 131
LIVRE DEUXIÈME
L'INTESTIN DE LÉVIATHAN
I. La terre appauvrie par la mer... 135
II. L'histoire ancienne de l'égout . 141
III. Bruneseau . 146
IV . Détails ignorés . 150
V. Progrès actuels .. 155
VI. Progrès futurs 157
LIVRE TROISIÈME
LA BOUE, MAIS L'AME
I. Le cloaque et ses surprises .. 163
II. Explication . 172
III. L'homme filé. 175
IV. Lui aussi porte sa croix . 181
V. Pour le sable comme pour la femme il y a une finesse
qui est perfide .. 186
VI. Le fontis ..... 193
VII. Quelquefois on échoue où l'on croit débarquer.. 196
VIII. Le pan d'habit déchiré .... 200
IX . Marius fait l'effet d'être mort à quelqu'un qui s'y
connaît ... 207
X. Rentrée de l'enfant prodigue de sa vie 213
XI. Ébranlement dans l'absolu . 216
XII. L'aieul.. 219
TABLE DES CHAPITRES. 441
Pages
LIVRE QUATRIÈME
JAVERT DÉRAILLÉ 227
LIVRE CINQUIÈME
LE PETIT-FILS ET LE GRAND-PÈRE
LIVRE SIXIÈME
LA NUIT BLANCHE
LIVRE SEPTIÈME
LA DERNIÈRE GORGÉE DU CALICE
Pages
LIVRE HUITIÈME
LA DÉCROISSANCE CRÉPUSCULAIRE
I. La chambre d'en bas 367
II. Autre pas en arrière . 368
III. Ils se souviennent du jardin de la rue Plumet. 370
IV . L'attraction et l'extinction 371
LIVRE NEUVIÈME
SUPRÊME OMBRE, SUPRÊME AURORE