Art Et Litterature de Jeunesse

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Art et littérature de jeunesse

Les ouvrages destinés à un jeune public font la part belle aux images,
mais sont-elles toujours l'expression d'un choix, d'un goût ou d’une
intention artistique ? En quoi les albums forment-ils les enfants à
une esthétique ? Quelle frontière, enfin, sépare illustrateurs et
artistes ?
Artiste ou illustrateur ?

Quelle différence de fond existe-t-il entre un artiste et un illustrateur ? Que se passe-t-il


quand un illustrateur fait l'artiste, quand l'artiste illustre ? Et si ces deux mondes, en plus
de se côtoyer, se superposaient ?...

La plupart des ouvrages qui s'adressent à un jeune public privilégient l'image sur le texte,
peu ou pas maîtrisé par ces apprentis lecteurs. De ce fait, le livre pour enfant est souvent un
album où la qualité des illustrations peut répondre à des critères esthétique, de cohérence
avec le récit ou de lisibilité. Certains illustrateurs utilisent alors des techniques et des
méthodes qui sont celles des artistes.

Si l’enluminure est un bon exemple de la


perméabilité de la frontière qui sépare l'image
artistique de l'image illustrative, elle permet aussi
d'en dessiner les contours. Remontant en effet à
une époque où le statut de l'artiste était
balbutiant, voire inexistant, il est préférable de
parler de travail d'imagier. Ici déjà on peut
trouver, parfois au sein d'un même ouvrage, deux
manières d'associer le texte à l'image.
La première est relativement indépendante du
sens de l'histoire racontée par le texte et exploite
la disposition purement formelle des lettres qui
composent les mots. Elle se place autant du côté
du décoratif que de l'artistique : c'est surtout une
Miniaturiste français : " Livre d' Heures" (détail), forme avancée de la calligraphie.
vers 1490
La seconde, s'attachant à visualiser les scènes
décrites, est à la fois plus contrainte et ouverte. Permettant les extrapolations, elle
développe à son tour un imaginaire visuel bien déterminé, proposé depuis longtemps déjà
au public analphabète des églises. Ainsi, envisager le point de vue artistique comme
totalement libéré des contraintes et le travail illustratif comme soumis au texte peut être
aussi pertinent qu'insuffisant.

A une époque plus proche, la différenciation entre art et illustration peut aussi être
envisagée sur des plans plus techniques. Techniques artistiques d'abord, celles axées sur le
trait -dessin, gravure, fusain, lithographie...- étant plus volontiers destinées à l'illustration.
On peut au passage aisément deviner quelques-unes des raisons de ce rapprochement ;
représentation de la pensée plus aisément exprimée par le signe graphique et rapidité
d'exécution. Technique de reproduction ensuite, où le noir et blanc a longtemps été le
principal moyen d'impression mécanisée.
Il n'en reste pas moins que les illustrateurs et
les artistes expriment des aspirations souvent
semblables et que la différenciation relève
plus du statut que de la personne ou du
résultat. L’exemple le plus connu et aussi le
plus flagrant est celui de Daumier, génie
longtemps sous-estimé par ceux qui voyaient
en lui d'abord un illustrateur et
déconsidéraient cet art appliqué. Aujourd'hui,
l’ensemble de son œuvre est reconnue à sa
juste valeur et permet finalement de mettre
en lumière les éléments qu'il exploite le plus
habilement selon le domaine ; là le trait
élancé, ici la chatoyante lourde des couleurs...

La presse satirique du XIXème siècle fait


largement appel à des caricaturistes qui
persiflent facilement les artistes, ce qui ne les
empêche pas de les côtoyer ou d'aspirer à le
devenir. C'est ainsi que Toulouse-Lautrec
affichiste et Juan Gris, qui travailla au
Charivari, n'ont pas vu leur carrière de peintre Honoré Daumier : " Le wagon de troisième
affectée par cette première expérience. Avec classe", (détail) (1863-65)
l'arrivée de l'époque moderne, la multiplication des techniques artistiques héritée des avant-
gardes et la reconnaissance de l'influence d'autres domaines (photographie, typographie,
musique, architecture...) les deux activités finissent par parler un langage souvent similaire,
fait d’emprunts réciproques. Balthus, Picasso, Matisse, Dali ou Derain, la liste des artistes
ayant illustré des ouvrages est longue ; il s'agit souvent de gravures réalisées pour un auteur
proche, maître ou ami.

De nos jours, les ouvrages abondamment illustrés s'adressent principalement aux enfants.
Dans la grande diversité offerte par cette littérature dite "de jeunesse", on rencontre de plus
en plus d’auteurs dont les techniques (peinture, photographie, collage) se réfèrent
implicitement au monde de l’art. Motivé par cette tendance, certaines maisons d'édition
proposent inversement à des artistes de renommée internationale de réaliser des ouvrages
spécifiquement destinés à un jeune public (voir : « Les artistes parlent aux enfants ! »).
L'image n'étant désormais qu'une des multiples facettes de la création contemporaine, les
techniques "délaissées" par les artistes sont réinvesties avec talent par des illustrateurs.
Ainsi, malgré des contraintes certaines (coût, maniabilité pour les tout-petits, aridité de
certains sujets) les évolutions concordantes du regard porté sur l'enfance et des pratiques
illustratives ouvrent de belles perspectives.
Les artistes parlent aux enfants !

Que ce soit pour s'exprimer pour un jeune public ou se glisser dans la peau d'un
illustrateur, des artistes ont parfois réalisé des œuvres présentées sous forme de
publications destinées à l'enfance.

Certains artistes ont réalisé des œuvres présentées sous forme de publications destinées à
l'enfance. Dans quel but ? Avec quel succès et selon quelle approche ? S’adressent-t-ils en
tant qu’artiste aux enfants ou se glissent-ils dans la peau d’un illustrateur ?

"Présumés innocents", exposition présentée en 2000 au Musée d'art contemporain de


Bordeaux, rendait compte de l'intérêt d’un grand nombre d'artistes pour le monde de
l'enfance. Mais, comme le souligne le catalogue, "La fin du XXe siècle a vu surgir un regain
d’intérêt pour le domaine de l’enfance, davantage apparenté, en particulier pour la
génération émergente au cours des années 90, à un « devenir-enfant » de l’artiste lui-même
qu’à un retour nostalgique à un paradis perdu." C'est peut-être la raison pour laquelle les
œuvres spécifiquement destinées à un jeune public ne sont, elles, pas si nombreuses. Malgré
certaines tentatives louables, les structures muséales restent par nature inadaptées aux
enfants ; le choix des œuvres reste fait par et pour un public adulte, et leur sacralisation
empêche toute manipulation. Lapins, bonbons et autres ballons issus de l'art contemporain
ne doivent donc pas être pris pour des jouets, ni l'art toujours pour un jeu. Mais si éviter le
piège de l'"absolument ludique" ne peut qu'ouvrir les enfants à l'ensemble des
problématiques artistiques, il faut renoncer à l’utopie qui voudrait que l'art s'adresse à tous
en tout temps.

Une partie de l'installation proposée par Paul Cox au Centre George Pompidou de mars à mai 2005

Le livre, terrain d'expérimentation déjà abondamment exploré par les artistes au cours du
XXème siècle, peut permettre ce dialogue entre artistes et jeune public ; même dans les
éditions les plus luxueuses, il reste plus abordables qu'une œuvre et représente un support
déjà familier aux enfants.
Dès lors, chacun choisira une stratégie. Se glissant
sagement dans la peau d'un illustrateur, certains
artistes adaptent leurs manières à un texte dont,
souvent, ils ne sont pas les auteurs. C'est le cas,
par exemple, de Niki de Saint-Phalle illustrant
dans un style très enfantin un texte de Laurent
Condominas (« Méchant méchant », éditions La
différence, 1993) ou d’Hervé Di Rosa illustrant un
texte de Marie Nimier. On remarquera d'ailleurs
que le style de ces artistes est déjà fortement
orienté vers l'enfance et le graphisme, ce qui
facilite le passage à ce type d'illustration.

D'autres prennent le parti d’envisager le "livre


pour enfant" comme un sujet dont ils détournent
"artistiquement" l'uage habituel, au risque de
s'éloigner des préoccupations supposées des
jeunes lecteurs. Des ouvrages comme "Colorie
comme tu veux, dessine et écris ce que tu veux"
de Claude Closky ou "L’ornithorynque, la
mangouste et les trois canards" de John
Armledder jouent sur les clichés et réinvestissent avec ironie, mais aussi avec brio, les
concepts classiques du genre. On pensera aussi à l' artiste Glen Baxter, qui procède dans un
esprit semblable avec une ironie acide et surréaliste certes plutôt destinée à l'adulte
nostalgique des Tex et autres Rodéo....

Une troisième catégorie est constituée d'artistes qui se


sont longtemps tournés vers l'illustration et y ont
acquis une solide notoriété. Forts de cette
reconnaissance par le livre, ils peuvent proposer des
projets éditoriaux toujours plus axés sur une optique
artistique et plastique. Juste retour des choses, Kveta
Pacovska (ci-contre, « Un livre pour toi » Le Seuil
jeunesse, 2004), expose ainsi plus facilement ses
œuvres sculpturales en même temps qu’elle réalise
des ouvrages de plus en plus proches du livre-objet.
"CoxCodex 1", imposant volume consacré à l'œuvre de
Paul Cox, a été co-signé par six historiens d'art tandis
qu'une exposition lui est actuellement consacrée au
Centre George Pompidou. Bruno Munari, artiste et
grand designer italien des années soixante a travaillé
sur des ouvrages destinés à l'enfance et écrit de
nombreux textes théoriques à ce sujet... Globalement,
il semble que la paternité (ou la maternité) soit - plus
qu'une commande institutionnelle ou éditoriale - un
élément déclencheur fondamental dans la genèse d'une grande partie de ces ouvrages !
Graine d’artiste

Certains ouvrages sont des incitations plus ou moins ouvertes à la création. Comment aider
des enfants à introduire une dimension artistique dans leurs créations ? Par le texte ou par
l'image, la proposition de matériaux ou d’idées, certains s'y emploient avec succès.

L'art ne s'apprend pas. Mais une appropriation


accompagnée des techniques, des thèmes et des
méthodes est possible. Des auteurs, des éditeurs
s'y emploient. Cet objectif ambitieux -introduire
une dimension artistique dans la création
enfantine- présuppose d'abord l'abandon d’a
priori contradictoires. Le premier, sans doute
relayé par l'intérêt de certains artistes (de Klee à
Dubuffet) considère que l'enfant est déjà un
créateur et que lui "apprendre l'art", c'est limiter,
en la canalisant, son imagination. Le second
voudrait au contraire attribuer des capacités
créatrices et artistiques aux seuls adultes,
considérant les capacités cognitives de l'enfant
encore trop embryonnaire.

L'enfance est composée de phases trop


nombreuses et irrégulièrement vécues pour être
une période définissable. On peut cependant
constater que la découverte des premiers outils
de création plastique (crayons, peintures...) est
souvent concomitant au début de la maîtrise du langage, et que les enfants perdent très vite
cette "spontanéité" si fascinante pour adapter leur production aux désirs des autres, puis à
une recherche de "ressemblance" à la réalité. Cette quasi-servilité vis-à-vis des autres images
environnantes, qui fait peu à peu passer l'enfant de la production à la reproduction, trouve
dans le modèle un objet particulièrement apprécié. Plus aisé à copier, il permet aussi à
l'enfant de mesurer plus facilement l'écart qui le sépare de son pseudo-idéal. Bien que
modélisant, le livre de coloriage et autres ouvrages de copie laissent toujours une place aux
déviances de ceux qui, par
manque de patience ou excès
d'imagination, débordent ou
détournent (cf. l'illustration ci-
contre). Ils sont aussi une manière
de s'initier intuitivement à une
technique, de découvrir, au
détour de hachures répétitives ou
d'aplats trop grands pour un
crayon, le sens abstrait, caché, des
lignes et des couleurs.
Ce type d'ouvrage n'est donc pas
uniquement une voie royale vers
le dessin stéréotypé ; pour autant, son propos n'est pas de susciter une création de type
plastique, très majoritairement basé sur le développement et l'épanouissement de
l'imagination de l'enfant.

Certains livres, comme "On dirait qu'il neige" de


Remy Charlip (Edition Les Trois Ourses, 2000)
poussent à l'extrême ce dialogue avec l'imaginaire ;
d'autres, comme "Gribouillage" (traduit aux
éditions du Seuil) du japonais Taro Gomi proposent
une approche moins conceptuelle et plus ludique,
ouverte et demandant la participation active de
l'enfant. Tous ont en commun cette capacité à
susciter chez le jeune lecteur la création d’images,
mentales ou dessinées. La méthode utilisée par
Kristien De Neve est en ce sens exemplaire ; sorte
de "Point, ligne plan" pour les tout-petits, son
ouvrage "racconto di un'esperienza" prend les
éléments du langage plastique comme "héros"
d'une histoire qui révèle peu à peu les possibilités
offertes aux manipulateurs de formes et de
couleurs. Loin de tout exemple puisé dans l'histoire
de l'art, la découverte graduelle des mécanismes
du langage visuel et de leurs articulations est sans
doute la méthode la plus fructueuse car elle offre à
l'enfant la possibilité de manipuler avec son propre
langage des notions -voire des techniques- universelle.

Les éditions du Chêne ont publié une série d'ouvrages hybrides, où des artistes
contemporains (César, Adami, Arman, Di Rosa...) présentent leur travail et expliquent des
techniques qui peuvent être facilement réinvesties par l'enfant. A la fois documentaires
autour d'un artiste et initiation à des pratiques, ces ouvrages au vocabulaire simple mais
choisi ont été préfacés par Daniel Lagoutte, alors inspecteur d'académie chargé du suivi
d'actions concernant les arts plastiques à l'école primaire.
Le cadre scolaire est peu propice à un l'épanouissement tel qu'une création artistique puisse
y éclore. Réticents aux formatages des pratiques et des techniques, méfiants envers les
méthodes figées et revendiquant pour leur matière un processus évolutif, les enseignants
d'arts plastiques renâclent à faire utiliser par les élèves des livres qui s'apparenteraient
forcément à des manuels. Mais l'apport mesuré de ces ouvrages peut s'avérer intéressant,
ne serait-ce qu'aux yeux des élèves pour lesquels une matière sans livre n'a pas de raison
d'être prise au sérieux... Au primaire et en maternelle, où le rapport entre les enseignants et
le champ de la création est plus distendu, ce type d'ouvrages peut plus souvent être utilisé
avec succès, tel quel ou adapté par l'instituteur aux préoccupations du projet
d'établissement.

Citons enfin deux revues de grande qualité ; DADA (Mango) et 9 de cœur (Le Seuil) qui, dans
un même esprit, affrontaient des thèmes transversaux et proposaient des activités
plastiques à partir d'œuvres choisies.
L’interview : Rencontre avec Elisabeth Lortic, cofondatrice des "3 Ourses"

Les Trois Ourses est une association fondée en 1988 par trois bibliothécaires férues d' une
certaine littérature enfantine : celle de Munari et de Komagata, artistes-illustrateurs, qui ont
réalisé des ouvrages magnifiques centrés sur une approche plastique du récit. Rencontre
avec Elisabeth Lortic, une des fondatrices.

Comment est née l’association ?


« Les Trois Ourses » existe depuis
1988, fondée par trois
bibliothècaires qui élaboraient des
projets pour "se donner de l’air" .
Nous bâtissions des chateaux de
cartes à la manière des enfants, le
temps d’une soirée, flanquant tout
par terre démocratiquement, à
tour de rôle au moment du dessert
avant de repartir travailler dans nos
bibliothèques. Notre activité a
réellement commencé en 1994
autour de l'exposition 1, 2, 3… Komagata . Nous voulions faire connaître les artistes qui
créént des livres, des jeux et du mobilier pour les enfants et qui nous paraissent essentiels.
La structure associative plus souple que les institutions dans lesquelles nous travaillions nous
a permis de mener en toute liberté nos projets d’exposition. En cherchant des partenaires,
nous avons été rejointes par une collègue de Villeurbanne qui a soutenu, finançé et accueilli
la première exposition consacrée à un graphiste japonais totalement inconnu en France :
Katsumi Komagata.

Dans quelle condition avec-vous édité votre première publication ?


Notre première vraie expérience éditoriale est née à partir de l’exposition La maison des
Trois ours : Hommage à Rojankovsky . Les personnes que nous avions contacté pour
l’élaboration de l’exposition -la fille de l’artiste, les fils du Père Castor et de Golden Books qui
avaient connus Rojan ainsi que des créateurs actuels influencés par ses images, Philippe
Dumas, Steven Guarnaccia, Christian lacroix, Elizabeth Garrouste- avaient écrits des textes
qui ont servi à l’élaboration du catalogue. Flammarion (éditeur des premiers Rojankovsky qui
figurent au catalogue depuis les débuts du Père Castor) n’était plus intéressé. Cependant la
directrice artistique qui avait vu le projet passer nous a encouragés et soutenu en
collaborant à la maquette et en suivant la fabrication et cet album. Rojan a jeté les
fondations de notre « Maison » éditoriale, placé sous le signe de la « cabane ».

Quelle est votre politique éditoriale ?


Nous avons très peu d'artistes à notre catalogue.
Notre but est avant tout de faire connaître l’œuvre de quelques auteurs fondamentaux qui
ont réalisé des ouvrages pour les enfants mais qui ne sont pas obligatoirement des
illustrateurs. Une personne comme Munari a réalisé 170 livres mais a aussi fait des ateliers
pour enfants et écrit de nombreux ouvrages théoriques. Nous avons « initié » l’édition en
français de certains titres comme Dans la nuit sombre et le Brouillard de Milan. Komagata
est graphiste et vient plutôt des milieux du stylisme et de la mode pour lesquels il créait des
lignes graphiques avant de se consacrer exclusivement aux livres pour enfants. Remy Charlip
est un danseur tout autant qu’un illustrateur.
Notre propos est de faire tomber des barrières - entre les générations, les champs de la
création - de transmettre et de provoquer des expériences transversales.
Prenons l’exemple de Paul Cox, qui a réalisé notre logo ; le seul ouvrage que nous ayons fait
avec lui était un hommage à Munari. Bien qu’ayant de nombreux points en commun avec
notre champ d’action, il s’adresse à un public un peu plus mûr -voire cultivé- et bénéficie
déjà d’une reconnaissance d’ailleurs amplement justifiée. Il n’a pas besoin de nous pour être
connu et reconnu ! mais le livre le plus long en 4 pages et quadrichronie comme le sous-titre
le mentionne, indique les accointances que nous recherchons et cherchons à transmettre.
La performance Reading Dance de Remy Charlip que nous avons organisé dans l’école
Estienne est aussi un bel exemple de liaison entre le livre, le corps la musique qui fait
réfléchir concrétement sur l’espace et notre relation à l’espace physique et mental – et avec
peu de moyens ! -

Peut-on parler de livres d’artistes ?


Remy Charlip a fait ce livre en 1957. Son ami John Cage conçoit lui aussi un album pour
enfants un peu plus tardivement. On peut évidemment les rattacher au mouvement d’art
conceptuel qui se développait aux Etats –Unis à cette époque mais le vocabulaire induit
actuellement des interprétations différentes et souvent même des contresens. Il serait
contradictoire d’enfermer à nouveau dans une case ces artistes qui ne se sont jamais
réclamé d’une école mais ont toujours préservé leur liberté de penser, d’agir et de créer y
compris pour et avec les enfants.
Nous préférons l’expression « Livres artistiques » mais disons que les Trois Ourses
s’intéressent aux liens entre les enfants, les livres et l’art.
Au tout début des années 1980 j’avais aussi
participé au mouvement de Tony Lainé, René
Diatkine et Marie Bonnafé (« Acces », Actions
culturelles contre les exclusions et les
ségrégations). La première activité a été
menée avec un sculpteur Jean-Lou Cornilleau
qui avait rempli de feuilles d’automne l’espace
d’exposition de la bibliothèque municipale où
je travaillais. Est-ce pour cette raison que nous
nous sommes intéressés par la suite aux
travaux de Louise-Marie Cumont ou de Milos
Cvach qui sont tous deux sculpteur et pensent l’espace du livre autrement qu’un «
illustrateur » ? Les tout-petits ont un rapport très sensoriel et physique aux livres, cette
approche nous oblige à considérer le livre en tant qu’objet matériel et dans son épaisseur, sa
profondeur à une époque charnière où l’écran introduit texte et image dans des
perspectives et dimensions virtuelles..
Munari disait « il faut créer la surprise si on veut qu’un enfant revienne vers le livre » mais
une surprise réelle, profonde, durable sur laquelle on revient et que l’on a envie de partager.
Regardez le bonheur des enfants à qui l’on a montré Look again de Tana Hoban, une
photographe qui a passé toute sa vie à créer des livres pour enfants et dont les quelques 80
ouvrages posent les bases d’une vraie grammaire visuelle.
Dans cette époque de surconsommation il est bon de promouvoir des ouvrages qui malgré –
ou grâce à- leur dépouillement peuvent être lus longtemps. La simplicité demande du temps
aussi bien aux créateurs qu’aux lecteurs. Rien n’est plus complexe que la simplicité.
Le but, au fond, est de laisser une place fondamentale à l’imagination. C’est dans ce sens que
nous avons posé de manière un peu radicale (mais qui fonctionne parfaitement avec les
enfants) notre volonté d’ « ouvrir » l’imaginaire avec la publication de On dirait qu’il neige de
Remy Charlip puis du Petit chaperon blanc de Munari ( réunis sous la forme de Boule de
neige depuis noël 2004). C’est aussi une dimension que l’on retrouve dans la série de livres
artistiques tactiles pour les non-voyants et les voyants cronçue par Sophie Curtil, et
particulièrement forte dans le premier titre qu’elle a elle même crée Ali ou Léo ?
Ce projet a reçu le soutien crucial de la Mission des Arts à l’École pour la phase d’élaboration
et du Centre national du livre pour le travail de partenariat éditorial entre Les Doigts qui
rêvent, les Trois Ourses, puis par la suite One Stroke et le Centre Pompidou qui nous a
rejoints pour le 3ème titre « Feuilles », tiré à 1000 exemplaires et 500 en anglais.

Vous privilégiez les tirages limités ; est-ce dû à un choix éditorial ou à une contrainte
économique ?
Pour certains livres fabriqués
partiellement à la main,
l’augmentation du tirage a très peu
d’incidence sur le coût final. – C’est
le cas d’ « Ali ou Léo ? » ou des
livres en tissu de Ianna Andréadis
et de Louise-Marie Cumont. Non, il
y a plusieurs autres raisons :
- la vérification de chaque ouvrage,
avant diffusion, pour être sûr
d’avoir un minimum de ratés.
Komagata lui-même tire à très peu d’exemplaires pour les mêmes raisons, ses tentatives
d’éditions aux Etats-Unis à plus grande échelle ayant jusqu’à présent été très négatives à cet
égard.
- Le stockage,
- L’avance d’argent…
De fait, nos livres sont rapidement épuisés ; nous avons pratiquement vendu nos 300
exemplaires de Feuilles entre septembre et février… Les acheteurs sont principalement des
bibliothèques, mais pas seulement ; notre présence dans des manifestations comme le,Salon
du livre de Montreuil, la Foire Internationale de Bologne, le SAGA quand il existait, la foire du
livre d’artiste de Saint Iriex quand ils nous invitaient… a élargi notre public.

Les contraintes économiques que nous subissons et qui refreinent notre envie de voir éditer
et réédités certains livres méconnus en France ont parfois du bon : elles nous ont amené à
signer une collaboration avec les éditions MeMo dont nous apprécions le travail – tant dans
la qualité de fabrication que dans l’originalité des publications. Le premier ouvrage de la
collection des Trois Ourses est sorti à l’occasion du Salon du livre de Paris en mars dernier.
Quand la poésie jonglait avec l’image regroupe 4 titres signés de Samuel Marchak et
Vladimir Lebedev parus en 1925 et jamais publiés en France. Il nous aurait impossible de
soutenir financièrement ce projet et d’en assurer la prouesse technique.
Nous avons par contre accompagné la sortie du livre d’une exposition Place à la glace à la
bibliothèque Elsa Triolet de Pantin qui a permis de mieux comprendre l’importance d’un
Lebedev inconnu du public français mais qui a pourtant influencé directement toute
l’imagerie du Père Castor par l’intermédiaire des immigrés russes de la fin des années 20.
L’exposition a été aussi l’occasion d’éditer un coloriage de Lebedev Colorie et dessine
réaffirmant notre propos autour de l’art du livre et des enfants

Que faites-vous des illustrateurs qui viennent vous proposer un projet intéressant ?
Nous les orientons vers d’autres structures qui sont susceptibles de pouvoir les publier. Le
problème aujourd’hui c’est que la spécificité de chaque maison d’édition a un peu disparu ;
toutes les pistes se brouillent, les auteurs passent plus facilement d’une maison à une autre,
la petite édition est elle aussi assez confuse…
Les Trois Ourses distribuent ponctuellement des catalogues ou des productions tirées en
petites quantités, comme celui de Louise-Marie Cumont qui permet de voir son travail sur
papier pour un prix modeste. Du coup, nous avons le projet de faire éditer ses œuvres en
livres papier. En effet, ses livres objets en tissu sont des pièces uniques entièrement faites à
la main, forcément onéreuses, souvent réalisées d’après commande pour des bibliothèques
spécialisées. De plus, les éditeurs demandent du texte, or ses ouvrages sont strictement
visuels. C’est difficile de faire passer le concept de « livres artistiques » ; en ce sens, c’est
peut-être Paul Cox qui fera avancer les choses…On peut aussi espérer que des gens comme
Douzou fassent école, et que la production de livres d’images destinés à un plus vaste public
prenne de l’ampleur.

Vous faites aussi de la formation ?


Oui, c’est le troisième volet de notre activité qui accompagne les expositions et l’édition. Les
Trois ourses présentent les livres de Katsumi Komagata, l’œuvre de Bruno Munari, les
créations en tissu de Louise Marie Cumont ou encore la Collection des Trois Ourses c’est à
dire tous les artistes qui font partie du catalogue. Ces journées, demi-journées ou stage
donnent une information et font réfléchir les professionnels des bibliothèques sur la
constitution de fonds spécifique, sur la présentation, l’aménagement, les relations des
lecteurs, la transmission d’un patrimoine.
Pour les formations en art plastique nous faisons appel à Sophie Curtil, (une personne rare
qui allie à son métier de peintre sa longue expérience d’animations à l’atelier des enfants et
sa réflexion sur le livre d’art à partir de l’Art en jeu, de Kitadi et plus récemment des livres
artistiques tactiles). Nous lui demandons de former des équipes de bibliothécaires et
d’étudiants en arts plastiques autour de l’œuvre de Komagata, afin qu’ils puissent faire des
ateliers avec les enfants par la suite, créant une dynamique qui se prolonge au-delà du
temps de l’exposition ou simplement pour mieux comprendre de quoi il s’agit quand on
aborde le domaine des arts plastiques Dans le même esprit, pour accompagner la circulation
de dix-sept valises Komagata dans quarante hôpitaux parisiens en 1996 nous avions travaillé
avec des écoles d’art : Estienne, Maximilien Vox, Corvisart. Nous recevons dans le même
esprit de collaboration les étudiants de la Parsons School et avec qui nous souhaitons
développer un partenariat de formation continue.
Découvrir des pratiques, des œuvres, des artistes

La découverte de pratiques, d'artistes ou d'œuvres est le but d’un nombre considérable


d'ouvrages. Mais comment intéresser un public jeune et censé être peu captif à la
découverte de l'art ?

L'art, c'est difficile. En tout cas, c'est ce que disent les grands, et parfois ce que répètent les
petits. Or, le public adulte doit affronter des blocages qui bien souvent n'existent pas encore
chez les enfants : crainte de manque de références culturelles, mépris de productions
échappant à l'entendement, rejet de thématiques "tabous", idolâtrie tétanisante... De
nombreux ouvrages se proposent d’éduquer le regard, l'esprit et la main des enfants afin
qu'ils entrent en relation avec l'art le plus simplement et le plus agréablement possible.

Une grande partie de cette production est


composée d'ouvrages consacrés à la
découverte de collections d'un musée. Il
s'agit tout d'abord de véritables outils de
communication, désormais jugés
indispensables par les directions des musées
qui les éditent eux-mêmes ou en confient la
(co-)réalisation à des éditeurs spécialisés. La
réunion des Musées Nationaux, Paris-Musées
ou Le Centre George Pompidou sont ainsi à
l'origine de collections dont les titres les plus
prestigieux peuvent faire l'objet d’éditions en
langues étrangères. Le Louvre a depuis fin
2004 ouvert une librairie spécifiquement
destiné aux enfants ; riche de 4000 titres et
de plusieurs centaines d'objets inspirés
d'œuvres d'art, Les enfants du musée propose
des produits en lien étroit avec le musée du
Louvre. L’art "ancien" et les civilisations y ont
donc une place prépondérante. La présence
d'albums, jugée indispensable dans un espace
jeunesse, est soumise à des critères
esthétiques plus rigoureux qu'ailleurs.
Couverture du livre "Art For Children"
d' Ana M. Berry (1929, réédition 1934)
La plupart des ouvrages présentant des
artistes ou des œuvres ont pour but de valoriser la collection d'un musée ; leur richesse n'est
cependant pas un atout suffisant pour réaliser un livre qui saura susciter l'intérêt des
enfants. En 1929 paraissait à Londres un ouvrage qui eut un succès considérable : "Art for
Children", d’Ana M. Berry, proposait une sélection d'œuvres puisées dans les grands musées
du monde et légendées d'une courte phrase. Une introduction destinée aux adultes
expliquait les critères de sélection des œuvres. Animaux, portraits, navires pour les garçons
et anges pour les filles étaient des sujets considérés comme attractifs et aptes à développer
leur imagination. La variété, l'excellence des œuvres et des techniques garantissaient aussi
un apprentissage stimulant, "les bonnes images étant éducative en soi".
En quoi les propos d’Ana M. Berry sont aujourd'hui obsolètes, en quoi demeurent-ils
pertinents ? L’approche d'une pratique, d'une œuvre ou d'un artiste passe encore et d'abord
par l'observation de reproductions, même si elle est insuffisante à une compréhension
approfondie. Cependant la multiplication des images, la complexité des problématiques liées
à l'art contemporain et l'absence de références tangibles dans l'art abstrait en rendent
l'approche plus ardue.

Pour palier à ces problèmes, la proximité -


véritable ou imaginaire- des artistes est une
solution souvent utilisée. Les éditions du Chêne
ont réalisé entre 1995 et 1996 une intéressante
série d'ouvrages didactiques, préfacés par Daniel
Lagoutte et où des artistes proposaient des
méthodes de travail, présentant ainsi leurs
pratiques et leurs œuvres sous un jour convivial.
Les éditions canadiennes Les 400 coups ont choisi,
à travers une collection pensée par Marie-
Danielle Croteau, "Comme des grands", une
solution où "écrivain et illustrateur imaginent en
toute liberté l'enfance des grands de l'historie de
l'art". Plus classiques, axés sur la mise en valeur
du patrimoine muséal, les ouvrages de la Réunion
des Musées Nationaux ou de Paris Musées proposent généralement une iconographie
soignée et un texte plus descriptif que curieux. De nombreux imagiers et abécédaires, enfin,
utilisent des oeuvres d'art sans que celles-ci soient pour autant explicitées ni même reliées
par une unité stylistique ou sémantique ; il s'agit généralement d'un thème transversal assez
neutre abordé sous la forme d’une suite d'œuvres sans liens ni contrastes particuliers... On
peut déplorer que des toiles prestigieuses et complexes, denses d'intensions et de
références soient ainsi réduites à un propos exclusivement illustratif, voire décoratif.

Parce que le faire ou le voir passent aussi par la compréhension théorique, une dernière
catégorie, abordable au collège, tente de répondre aux problématiques typiquement
artistiques. « L’art pour comprendre le monde » de Véronique Antoine-Andersen (Actes Sud
Junior, 2003) ou « L'Art par 4 chemins » de Sophie Curtil et Milos Cvach (Milan jeunesse,
2003) utilisent de vraies thèmes transversaux et s'apparentent à des manuels d'histoire ou
de technique de l'art adaptés aux enfants.
Une rencontre avec Kveta Pacovska

Cette rencontre était organisée par Francine Foulquier, conseillère culturelle pour le Livre
jeunesse au Conseil général du Val de Marne, le mardi 15 juin 2005 à l’Hôtel du département
(Créteil)

Kveta Pacovska est née en 1928 à Prague. Diplômée de l'Académie des Arts Appliqués de
Prague, elle commence à illustrer des livres pour enfants dans les années 50, en particulier
des contes de Grimm et d'Andersen.
Voici maintenant plus de trente ans qu'elle travaille à des créations destinées aux enfants.
Ses ouvrages très riches en couleur et en originalité sont primés aux quatre coins de la
planète : Kveta Pacovska a ainsi obtenu la Pomme d'Or du BIB (1983), le Grand Prix de
Catalogne (1988), le Prix International Andersen (1992), le Prix Spécial de l'Exposition de
Bologne (1988).
Les œuvres de cette grande artiste contemporaine sont exposées dans tous les pays du
monde.

Le livre sur lequel Kveta Pacovska travaille actuellement sera édité par
Le Seuil et soutenu par une aide à la création du Conseil Général du Val-
de-Marne. Il sera offert à tous les nouveau-nés du Val de Marne en 2005.

K.P : J'ai fait quelques livres, une série, que j'appelle les livres "à toucher".
Ce qui me semble important, ce n'est pas seulement ce que vous voyez
avec vos yeux, mais aussi ce que vous pouvez sentir, la forme d'un chiffre
ou d'une lettre ; c'est de pouvoir utiliser, si possible, les cinq sens …
Mon premier livre a été édité en français : son titre est "Jamais deux sans
trois". C' est un ouvrage sur les chiffres ; j'adore leurs formes et
l'importance qu'ils ont dans notre vie. Chaque double-page est consacrée à un chiffre, avec
une petite exception pour le chiffre trois, parce qu'il me plaît énormément. Il y a des jeux de
relief qui permettent d'appréhender les chiffres, ainsi que deux personnages, un clown et un
hippopotame. Des pastilles, des ouvertures, des pliages, des miroirs, des inversions
permettent d'interagir avec le livre, qui devient un objet à manipuler, dans lequel on peut
pratiquement entrer… C'est un livre avec lequel on peut beaucoup s'amuser. Il a été publié
en 1990, j'ai cru que ce serait le premier et le dernier, qu'il ne plairait pas, qu'il ne serait pas
compris. Par miracle, tous les stocks ont été vendus et j' ai eu la chance de faire d'autres
livres depuis. Ensuite, en effet, est venu le livre sur les couleurs, puis celui sur les formes,
l'alphabet, sur comment se faire des amis en papier… Voilà.

Pouvez-nous nous parler de l'origine de la prédominance du rouge dans vos ouvrages ?


C'est une question récurrente, une bonne question… J'aime toutes les couleurs, mais
certaines sont plus difficiles à travailler que d'autres. Je me souviens d'un texte de travail
que j'ai écrit il y a quelques années, et qui disait à peu près ceci : le blanc est la meilleure
couleur pour moi, car elle est pure ; le jaune est la meilleure couleur pour moi, de par sa
chaleur ; le rouge est la meilleure couleur pour moi, chaleureuse et brillante ; le vert, qui est
la meilleure couleur pour moi, reflète le vivant ; le bleu est la meilleure couleur pour moi,
parce qu'elle est liée à notre esprit ; le noir est la meilleure couleur pour moi, car c'est la
reine des couleurs qui contient toutes les couleurs, les recouvre toutes… Chaque couleur
pour moi est la meilleure. Dans un de mes livres, un escargot se plaint parce qu'il n'a pas de
couleurs ; il pleure et crie pour les trouver, et le livre lui offre une vaste gamme de couleurs
et la possibilité d'en créer. Il découvre, et nous avec lui, comment sont les couleurs la nuit ou
le jour, sur fond noir ou sur fond clair.

Vous nous avez dit tout à l'heure combien les chiffres sont importants pour vous. Avec les
lettres, le papier, on reste toujours sur le livre, sur ce qui compose le livre ; souvent on
retrouve le livre dans le livre ; au point que je me demande si dans votre activité de
plasticienne vous ne réfléchissez pas aussi à ce sujet, créant un va-et-vient entre les deux
mondes.
C'est vrai, les deux reflètent mon travail et mes pensées. J'ai toujours voulu que les enfants
puissent profiter de cette autre partie de mon travail, et c'est d'ailleurs dans cet esprit que je
suis en train de réaliser mon prochain ouvrage.

Vous parlez beaucoup des enfants ; y pensez-vous lors de la


conception de vos livres ou les réalisez-vous sans penser
aupublic auquel ils sont destinés ?
Je travaille, tout simplement, et quand je travaille je ne pense pas
à tout ça. Ensuite, j'estime que le travail destiné aux enfants ne
doit pas être de moins bonne qualité que pour des adultes, mais
meilleur au contraire. Je n'aime pas l'attitude qui consiste à dire
"Bah, de toute façon, c'est destiné à des enfants… " Justement,
leur esprit est encore vierge, profond, ils y impriment plein de
choses qu'ils vont garder toute leur vie. Je crois en cela et je crois
qu'il est important que ces enfants, futurs architectes ou
ingénieurs, aient acquis d'une manière plus sensitive que
pédagogique ces notions d'espace, de forme, d'abstraction.

Votre premier ouvrage était-il un choix personnel ou s'agissait-il


d' une commande ?
J'avais déjà réalisé des livres restés sans suite avant de publier "Jamais deux sans trois". C'est
une commande, passée par un éditeur qui avait vu une de mes expositions de sculptures en
papier. J'ai tout d'abord refusé, pensant qu'il ne se vendrait pas, que je n'aurai jamais le
papier et l'impression que je voulais… et puis finalement, ça s'est fait. Ca n'a pas été aussi
facile en réalité, il a fallu faire quelques petites concessions. Avec le recul, après quelques
années de cette activité, je peux dire que je suis très contente. J'ai été heureuse de pouvoir
amener un peu d'art dans le domaine des livres pour enfants, ce qui a été une surprise à
cette époque où la production était un peu trop commerciale.
Je reviens sur le rouge, car dans les bibliothèques, les enfants qui veulent lire et relire vos
ouvrages ne demandent pas les livres de "Madame Pakovska" mais de "la dame qui fait des
livres en rouge"…
Oui, j'aime cette couleur, elle est chaleureuse. De plus, techniquement, elle était plus
maniable que d'autres ; sa reproduction sur un certain type de papier était aisée à une
époque où ce n'était pas le cas de toutes les couleurs.

F.F : Un petit mot sur Le Seuil, l'éditeur français des ouvrages de Kveta Pakovska : peu
d’éditeurs sont capables d'assurer une telle qualité de fabrication et de s'engager sur des
livres qu'ils considèrent comme des œuvres d'art, en déployant des moyens importants. Les
auteurs y ont un statut d'auteur, mais aussi d'artiste, ce qui n'est pas le cas chez tous les
éditeurs. Il y a d'ailleurs un département "Image" qui traduit cette préoccupation, cette
volonté de bien réaliser des projets qui peuvent être compliqués.

K.P : En effet, c'est compliqué ; parfois les artistes créent


des images qu'ils donnent à l'éditeur pour qu'il se charge
de la mise en page ; ici, ce n'est pas le cas. On a une
architecture complexe, des images, ce qui nécessite
parfois trois épreuves préliminaires.
Le livre que je suis en train de préparer et qui sera offert
aux nouveau-nés du Val-de-Marne fera, je l'espère,
l'objet d'autant de soins ; pas seulement parce qu'il est
destiné à des enfants qui vont naître, mais aussi parce
que ces enfants sont et seront des personnes, au-delà de
l'âge qu'ils peuvent avoir à tel ou tel moment. C'est ce
que j'apprécie particulièrement dans ce travail. La France
a une tradition d'histoire de l'art extrêmement
importante ; c'est un plaisir pour moi de penser que ces êtres vont grandir et porter en eux,
dans ce bagage culturel, mon ouvrage.

L'art a un statut important dans votre œuvre. Tout aussi important est l'aspect ludique,
joyeux ; le mouvement, le rythme, le dynamisme qui complètent l'impact de la couleur et
que l'on retrouve d'un livre à l'autre. La page est pensée, modifiable (par le jeux de
languettes, etc.) et son aspect ludique permet justement une appréhension de l'art moins
muséale et plus agréable : on n'est ni dans l'apprentissage, ni dans l'éducatif…
Un livre important de ce point de vue est "Alphabet" ;
j'ai choisi les voyelles, on peut jouer avec, les voir de
différents points de vue, elles sont faites pour être
prononcées, entendues, touchées, retournées,
décomposées ou recomposées… Pour le rythme, en
effet, j'aime alterner des pages blanches avec d'autres
aux couleurs soutenues afin de créer des contrastes. Je
joue avec le positif/négatif, la forme de la lettre, son
relief, etc. La beauté, c'est une façon de comprendre qui
a son propre pouvoir.
Pour continuer à parler du mouvement et de la forte
dimension ludique dans votre œuvre, pouvez-vous nous
parler de la transposition sur cédérom de vos œuvres et
de la manière dont vous avez affronté un changement de support aussi important ?
Ma condition préalable à cette proposition d'adaptation était justement que je puisse
contrôler cette transposition du début à la fin. Je voulais que tout soit très simple afin que
même les tout jeunes enfants puissent manipuler le clavier. Presque tout a donc été fait
selon mes souhaits, même si pour des raisons techniques je n'ai pas réalisé moi-même
certaines choses. Il y avait une partie expérimentale dans ce projet, je suis donc satisfaite, en
particulier pour le cédérom sur l'Alphabet.
Avez-vous eu l'occasion d'expérimenter vos livres avec des enfants, de les voir en situation
avec des enfants, et si oui, cela a-t-il changé quelque chose dans votre processus créatif ?
Est-ce au contraire un monde totalement intérieur sur lequel l'influence des enfants n'a pas
prise ?
Il faut suivre sa propre voie ; notre monde intérieur, quoi qu'on fasse, est influencé par le
monde extérieur. J'ai toute ma vie eu des occasions de voir et d'écouter des enfants, de voir
à quel point ils sont eux-mêmes influencés par l'extérieur sans se poser de questions
inutiles… Je crois en les enfants, je crois aux enfants. Parfois je pense que même s'ils n'en
disent rien, ils savent plus de choses sur nous que nous-mêmes.

"Le petit roi des fleurs", un très bel ouvrage publié en 1992, est désormais introuvable. Une
réédition est-elle envisagée ?
Cette question à propos de ce petit livre qui n'arrive décidément pas à vieillir m'a souvent
été posée. Il a eu deux ou trois éditeurs en France, il a été traduit en dix-sept langues, ce fut
effectivement un succès. Je fais tout pour qu'il soit réédité, mais en vain pour l'instant.

Avez-vous projeté d'exposer vos œuvres en France dans un avenir proche ?


F.F : Traditionnellement, une exposition composée d'originaux du livre offert aux bébés est
présentée à l'occasion de son lancement. Cette année, à partir de ce livre, nous allons
réfléchir avec Kveta à la manière de monter cette exposition : que montre-t-on, comment le
montre-t-on … non seulement en intégrant le livre, mais peut-être aussi d'autres œuvres
issues du travail de plasticienne de Kveta, qu'il pourrait être intéressant de mettre en regard.
C'est une idée de départ, nous verrons plus tard comment la mettre en place.

K.P : Mon travail est aussi de faire des expositions, ce sera un plaisir de travailler dans ce
sens. Je suis peintre, sculptrice, plasticienne, et je n'ai jamais suivi d'études de graphisme.
J'aimerais que mes ouvrages soient perçus ainsi, non pas comme des œuvres d'un
illustrateur professionnel mais comme le travail créatif d'un autre ordre.

F.F : Il y a trois dimensions qui nous intéressent :


les originaux du livre, qui procurent une
expérience esthétique et des sensations riches,
bien que techniquement il soit assez
contraignant de les exposer ; le livre, qui est à la
fois une rencontre artistique et une rencontre
ludique ; enfin, les œuvres de Kveta en tant que
plasticienne. Il sera difficile de traiter ces trois
dimensions mais c'est en tout cas dans cette
direction-là que nous allons nous questionner.
Dès que nous aurons des informations plus
précises, vers la rentrée, vous serez informés…
En attendant, nous pouvons vous parler de ce
livre afin que vous puissiez l'imaginer. Il s'agit
d'un gros projet, original, qui s'inscrit dans la continuité de l'œuvre de Kveta mais qui est
aussi un projet particulier qui traduit dans sa forme son caractère exceptionnel.
K.P : C'est difficile de parler de quelque chose qui n'est pas encore achevé… Il s'agit d'un
projet énorme, qui est composé d'une centaine d'images, disposées en accordéon sur une
cinquantaine de pages recto verso. Il y a plusieurs manières de lire ce livre : on peut tourner
les pages, le déplier et en faire le tour. Il y a la possibilité de jouer avec les formes et les
couleurs, avec des parties découpées recomposables a posteriori. Le ludique et le créatif
sont là aussi toujours très présents. J'ai un peu de pudeur à en parler avant qu'il ne soit
terminé…

F.F : Kveta avait très envie de destiner le livre à l'enfant et de faire la part belle à l'enfant-
lecteur dans le livre. L'idée est celle de "c'est un livre pour toi", c'est à dire faire de la place
pour l'enfant dans le livre. Ce livre suggère le mouvement, à la fois de la pensée et du corps.

Kveta Pacovska termine cette rencontre en nous présentant de superbes affiches réalisées
pour de nombreuses expositions, et nous livre quelques réflexions de travail notées sur
certains thèmes :
LIVRE Un livre, c'est pour moi une architecture. C'est un espace donné, scellé, dans lequel je
compose des pages vides, découpées, écrites ou peintes.

CUBE Imagine un cube. Imagine un nouveau cube. Imagine un cube rond et peint le de tous
côtés !

INVITATION Aujourd'hui, j’ai invité l'hippopotame et l'oiseau bleu à prendre le thé.


J'espérais sincèrement qu'ils soient bien avec moi.

DESSIN Un dessin est un dessin. Il ne doit ni ne peut faire semblant. Il exprime nos
sentiments et nos pensées.

COULEURS Noir et blanc ne font pas partie du spectre des couleurs, mais pour moi ce sont
des couleurs et elles expriment le contraste maximum -et le contraste maximum c'est la
beauté maximum. Je lutte pour obtenir le contraste maximum ; rouge et vert, placer les
couleurs l'une par-dessus l'autre. Tout dépend de la proportion, du rythme, de la taille, de la
quantité et de la mise en relation des couleurs. C'est comme la musique : chaque note est
belle en elle-même, et créatrice, combinée aux autres, de nouvelles dimensions,
d'harmonies, de disharmonies, de symphonies, et de livres pour enfants.

Parfois je travaille des jours entiers, des semaines entières, sans être satisfaite. Je prends
alors des ciseaux et je coupe tout en morceaux, mais je ne suis toujours pas satisfaite. Alors
je recolle tout…
Pour en savoir plus

A lire :

Voir l'importante bibliographie co-réalisée par Chantal Bouguennec pour le site Télémaque :
http://www.crdp.ac-creteil.fr/telemaque/?document/bibli-art.htm

A voir :

L'Art à la Page, galerie-agence d'illustrateurs depuis 1990 :


Galerie l'Art à la Page
8, rue Amelot - 75011 Paris
visites sur rdv : 01 43 57 84 95
http://www.artalapage.com/

Le salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil, rendez-vous annuel (début


décembre) :
Hall d’exposition - 128, rue de Paris - 93100 Montreuil
http://www.salon-livre-presse-jeunesse.net/

Le salon du livre jeunesse de Bologne, le rendez-vous annuel international incontournable


(mi-avril) :
http://www.bookfair.bolognafiere.it

Les enfants du musée, librairie jeunesse du Louvre dédiée à l'art et à son environnement :
Musée du Louvre - sous la pyramide, tel : 01 40 20 54 28

L' heure joyeuse, bibliothèque municipale parisienne spécialisée en jeunesse :


6-12 Rue des Prêtres Saint-Séverin 75005 Paris
Téléphone : 01.56.81.15.60
Télécopie : 01.43.54.58.63
Adresse Courrier électronique : [email protected]

La bibliothèque Faidherbe, une des 55 bibliothèques municipales du réseau de la Ville de


Paris, possède un fonds jeunesse important dont une partie est axée sur les livres d'artistes :
Bibliothèque Faidherbe
18 rue Faidherbe 75011 Paris
Tel. 01 55 25 80 20

A écouter :

Dragibus : "Tutti Frutti", 2004, P-VINE RECORDS (PCD-24165)


André Popp : la série des "Piccolo et saxo", ULM éditeur
Sites internet :

La joie par les livres :


http://www.lajoieparleslivres.com

Ricochet :
http://www.ricochet-jeunes.org/sommaire.asp

Sites des éditeurs :

Réunion des Musées Nationaux :


http://www.rmn.fr/fr/04editions/index-01publications.html

Les éditions du Centre Pompidou :


http://www.cnac-gp.fr/

Les trois Ourses :


http://troisourses.online.fr

Memo :
http://www.editionsmemo.fr

Le Seuil :
http://www.seuil.com

Les éditions italiennes Corraini :


http://www.corraini.com

Quiquandquoi :
http://www.geneve.ch/cellule-pedagogique/

Éditions Thierry Magnier :


http://www.editions-thierry-magnier.com/

Éditions Ritagada :
http://www.ritagada.com

Milan jeunesse :
http://www.editionsmilan.com/

Sites d’artistes et d' illustrateurs :

Glen Baxter, un artiste s'inspirant du monde de l'illustration :


http://www.glenbaxter.com/

Paul Cox, le site-blog lié à l'exposition du Centre George Pompidou :


http://www.paulcox.centrepompidou.fr/
Komagata :
http://www.one-stroke.co.jp/

Hervé Di Rosa :
http://www.dirosa.org/

Dossier DE VISU – Jérôme Trinssoutrop pour le CRDP de l’académie de Créteil – 2003 –


révision 2010

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