Discours Mediatiques Camus Georget

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L’analyse des discours médiatiques

Odile Camus, Patrice Georget

To cite this version:


Odile Camus, Patrice Georget. L’analyse des discours médiatiques. Christine Bonardi, Patrice Geor-
get, Christine Roland-Lévy, Nicolas Roussiau. Psychologie sociale appliquée. Économie, Médias,
Nouvelles technologies, In Press Editions, 2003, 2-84835-026-1. �hal-02527111�

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abroad, or from public or private research centers. publics ou privés.
CAMUS O., GEORGET P. (2003). L'analyse des discours médiatiques. Dans C. Bonardi, P.
Georget, C. Roland-Lévy & N. Roussiau, (eds). Psychologie sociale appliquée, tome 4.
Economie, médias, nouvelles technologies. Paris : In Press. 233-252.

Analyse des discours médiatiques


Odile Camus (Université de Rouen) & Patrice Georget (Université de Caen)

« Qu'il s'agisse de politique (l'Etat-spectacle) ou de vie intellectuelle (les


nouveaux philosophes), le règne du visuel et du télévisuel nie tout ce qui n'est pas
spectacle, ce qui revient à nier quotidiennement la réalité même.(...) L'illusion
photogénique tient désormais lieu de vérité établie. La lente émergence de l'esprit
critique, depuis quelques siècles, est en train de sombrer dans le dogmatisme visuel.
Le mythe du visible nourrit l'infantilisme de l'opinion : grâce aux miroitements de
l'image, on n'arrête plus l'obscurantisme. »
François Brune, 1981, Le Bonheur conforme, p.161.

Le spectacle, c'est en effet d'abord de la matière visuelle. L'analyse des discours


médiatiques ne risque-t-elle pas alors de ne rendre compte que d'une dimension annexe de
l'univers médiatique ? Ou bien sa pertinence suppose-t-elle de remettre en cause cette position
critique (dont la source originelle se trouve probablement chez Debord, 1967) à l'égard du
média télévisuel ? Bien au contraire. L'analyse des discours médiatiques est l'un des champs
les plus fructueux de la pragmatique psycho-sociale. Car, dans ses fondements conceptuels, la
pragmatique a largement fait usage de la métaphore théâtrale : un discours, c'est d'abord une
mise en scène. On peut donc très logiquement escompter que sur la scène médiatique, les
phénomènes langagiers se manifestent de façon caricaturale ; y seraient ainsi rendues
saillantes les règles, conventions, etc. qui régissent les discours ordinaires. L'image visuelle
n'aura toutefois ici qu'une place restreinte. On admettra en effet à titre de postulat que les
discours médiatiques entretiennent un rapport de cohérence avec le spectacle visuel qui les
porte (ce qui n'exclut pas évidemment l'usage de formes ironiques). Il s'agira alors, via la
présentation de multiples outils d'analyse, de montrer comment la parole peut, à l'instar de
l'image, participer de l'illusion d'une réalité palpable, donnée comme existant en soi, tout en
construisant insidieusement un monde proprement médiatique, idéologiquement caractérisé.
Ainsi nous allons interroger les principaux contrats de la mise en scène médiatique.
Nous mettrons tout d’abord en évidence les outils destinés à analyser l’expression du Logos,
ordre rhétorique dont l’enjeu est l’information et la mise en scène réaliste de l’événement.
Ensuite nous appréhenderons l’expression de l’Ethos, dont l’enjeu, convaincre, est à la
jonction entre les instances de production et de réception. Enfin, nous soulèverons les
problèmes d’analyse inhérents à l’ordre du Pathos, dont les médias sont aujourd’hui les
promoteurs dans leur offre croissante de distraction et d’émotion.

A. INFORMER
A.1. Le contrat d’information médiatique
Le contrat d’information médiatique se caractérise par deux visées contradictoires
(Charaudeau, 1997 :73sq.) :
- la visée d’information ou visée du « faire savoir », inscrite dans une « logique civique » :
il s’agit d’informer le citoyen, l’objectivité de l’information devant lui être garantie.
- la visée de captation ou visée du « faire ressentir », qui s’attache à séduire un spectateur-
consommateur d’informations ; cette deuxième visée favorise la dramatisation de
l’information.
Même si ces deux visées se superposent en permanence, la mise en spectacle de
l’information devra obéir à certaines contraintes afin de ne pas remettre en cause son
apparente objectivité. Cette dernière suppose notamment :
- une focalisation sur le contenu du discours (réponse à la question : « De quoi parle le
locuteur ? ») plutôt que sur l’instance de production ou l’instance de réception. Elle se
traduira par exemple par l’effacement des traces de ces instances à la surface textuelle
(production d’un discours essentiellement impersonnel, le propos semblant s’imposer de
lui-même).
- l’adoption par le présentateur d’un rôle communicationnel privilégié d’informant (réponse
à la question : « Comment parle le locuteur ? » ; sur les rôles communicationnels, voir
Croll & Gormati, 1991).
- une énonciation relevant principalement du constat sur le réel (réponse à la question :
« Que fait le locuteur en parlant ? »).
Car l’objectivité relève avant tout d’une représentation socio-discursive. En effet, une
information qui serait en soi objective, c’est-à-dire se rapprochant « le plus d’un degré zéro,
entendu comme dépouillé de tout implicite et de toute valeur de croyance », ne peut être
qu’une information purement factuelle – du type de celles que l’on rencontre dans les pages
pratiques des quotidiens (programmes de cinéma, pharmacies de garde, etc…) (ibid. :62).
Bref, « la vérité n’est pas dans le discours mais « seulement » dans l’effet qu’il produit »
(ibid.  :63). Ce pourquoi la question de l’objectivité renvoie en fait à celle de la crédibilité.
Pour être crédible, l’information médiatique doit être en conformité avec une certaine
représentation, partagée par le producteur et le récepteur, de ce qu’est l’objectivité et de la
manière dont elle se révèle discursivement. Cette représentation tend à masquer le travail de
construction de l’information médiatique, afin de faire apparaître cette dernière comme reflet
d’une réalité existant en soi. Elle conduit entre autre à privilégier une information descriptive
et narrative à une information explicative, rationnellement étayée – informer étant davantage
assimilé à « montrer » qu’à « faire comprendre », a fortiori lorsque le média peut recevoir
l’appui de l’image. La valorisation du direct illustre par exemple cette représentation. Certes,
un événement sera d’autant plus médiatisable qu’il se déroulera dans l’instant ; mais aussi, un
événement en direct sera plus facilement perçu comme événement brut, plutôt que
médiatiquement construit. De plus, la visée informative, dont les contraintes pourront donc
prendre appui sur cette représentation, n’apparaît plus alors en contradiction avec la visée de
captation : le direct est spectaculaire.

A.2. La construction de l’événement


Les événements rapportés par les médias ne sont pas les faits, mais des événements
médiatiques. Et le travail de construction médiatique est d’abord un travail de sélection.
2.1. La sélection thématique
On a pu constater, par exemple, que la place que les médias ont consacré à la violence
(en particulier via la couverture des « faits divers ») a augmenté de +126% entre février et
mars 2002 (Le Monde radio-télévision, 5 juillet 2002) ; ce constat global peut être mis en
relation avec l’importance du thème de la « sécurité » dans la campagne électorale, et plus
largement avec le résultat du scrutin du 21 avril.
La question de la sélection des événements par l’instance de production de
l’information a d’abord été traitée, à partir des années 70, dans le cadre des travaux relatifs à
la fonction d’agenda. Ces travaux s’inscrivent dans la problématique plus générale de
l’influence des médias ; ils montrent comment l’attention que les médias accordent à un
événement augmente son importance auprès du public récepteur. Du point de vue de
l’analyse, le critère d’ « importance » est essentiellement opérationnalisé en comptant le
volume médiatique (durée d’antenne, ou espace imprimé) occupé par un événement donné.
Des critères plus qualitatifs peuvent y être adjoints : gros titre ou titre secondaire, etc…

2.2. Le contenu de l’information


2.2.1. L’analyse thématique
Pour analyser le volume occupé par un événement donné, encore faut-il circonscrire ce
dernier, ce qui suppose de définir des unités de contenu. Le thème en est un exemple.
L’absence de fondements théoriques de cette notion amène à la définir opérationnellement de
façon intuitive – donc contextualisée : les thèmes, ici, pourront ainsi correspondre aux
différentes séquences événementielles constituant le bulletin d’information.
Le corpus choisi pour illustrer l’analyse est constitué par le journal radiophonique de
19h de France Inter, journal du 7 décembre 2002. Il s’agit d’un journal routinier, aucun
événement de caractère extraordinaire ne justifiant une éventuelle couverture inhabituellement
supérieure au reste de l’actualité. Un événement constitue la Une : la marée noire du Prestige,
qui alors n’est déjà plus une nouvelle. On a sélectionné, dans l’ensemble du journal, la
première partie, occupée par l’actualité proprement dite (durée : 13’51’’, la seconde partie
étant consacrée aux sports, au Téléthon, à l’élection de Miss Monde, et à la météo). Le tableau
1 présente le résultat de l’analyse :

Tableau 1
Présence Présence d’un Durée d’antenne
Séquences événementielles dans les titres reportage (proportion/durée
totale)
1. Marée noire du Prestige X X 18.7%
2. Fin des 35h dans l’hôtellerie X X 11.9%
3. Législatives partielles dans les Yvelines X 11.7%
4. Décision européenne sur l’AOC Feta X 11.9%
5. Manifestation des enseignants 4.5%
6. Renforcement du plan Vigipirate X X 13.4%
7. Mort de Mireille Jospin-Dandieu 1.2%
8. Armement irakien 3.6%
9. Suicide de Savorani X 10.6%
10. Vol de deux Van Gogh X 10.6%

Ces résultats peuvent être confrontés à ceux produits par l’analyse de contenu, qui
quant à elle propose une définition rigoureuse de ses unités.

2.2.2. L’analyse de contenu


L’analyse de contenu repose sur l’identification des principaux objets dont on parle,
les référents noyaux (RN). Leur repérage suppose le découpage préalable du texte en unités,
l’unité choisie ici étant la proposition (Ghiglione & Blanchet, 1991:38sq.), « forme minimale
la plus satisfaisante pour rendre compte d’un micro-univers » dans la mesure où elle est dotée
d’un sens autonome. La proposition est constituée « a minima d’un actant qui fait l’action et
de l’acte que le verbe accomplit » (ibid.).
Remarque : la proposition ainsi définie ne correspond pas toujours à la proposition
grammaticale.
Les référents noyaux, objets « autour desquels s’ordonnent les réalisations
langagières », sont « les principaux acteurs d’un univers mis en scène », c’est-à-dire en règle
générale les actants (Ghiglione & Blanchet, op.cit. :48sq.). Postulés en nombre limité, ils
sont des catégories conceptuelles, non des mots ; il convient donc, après le repérage des
actants dans les propositions, de constituer des classes d’équivalents paradigmatiques. Par
exemple, dans le corpus analysé, le RN8, défini comme « l’état irakien », est identifié par :
Bagdad, les Irakiens, ou encore Saddam Hussein. L’étendue de ces catégories est relative au
degré de précision requis par les objectifs de l’analyse ; ici, il s’agit de dégager d’éventuels
RN transversaux aux séquences événementielles, afin d’accéder à un niveau latent de
structuration du contenu. Par exemple, on a ainsi regroupé, sous le RN13 « corporations et
catégories professionnelles », les occurrences suivantes : les professionnels du tourisme, les
producteurs [de fromage de brebis], les enseignants, etc… Le tableau 2 expose le résultat de
cette analyse :
Tableau 2
Référents noyaux Séquences événementielles Fréquence
concernées (proportion/total des objets
thématiques actants)
RN1 : La marée noire 1 6.7%
RN2 : José Maria Aznar 1 5,6%
RN3 : Mesures, décrets et lois 2, 4 6,7%
RN4 : Les législatives partielles 3 4.5%
RN5 : Partis politiques, hommes 3 4.5%
politiques identifiés en tant que
membres d’un parti
RN6 : La manifestation 5 2.2%
RN7 : Mireille Jospin-Dandieu 7 2.2%
RN8 : L’état irakien 8 6.7%
RN9 : Savorani 9 3.4%
RN10 : Les malfaiteurs 10 3.4%
RN11 : Les hommes politiques qui 1, 3, 4, 5, 6, 7 13.5%
gouvernent l’état français
RN12 : Les instances gouverne- 1, 2, 4, 5, 6 12.4%
mentales
RN13 : Corporations et catégories 2, 4, 5 6.7%
professionnelles
RN14 : Les instances chargées du 1, 6 4.5%
maintien de l’ordre
RN15 : L’instance de production 1, 5 3.4%
médiatique
Autres objets thématiques 1, 3, 6, 8, 9, 10 13.5%

On constate que cette analyse qui, comme la précédente, permet de répondre à la


question : « De quoi parle l’information médiatique ? », produit un résultat bien différent,
puisque les objets thématiques les plus fréquents réfèrent : aux ministres et au président de la
République (RN11), d’une part ; au gouvernement (RN12), d’autre part.

A3. L’organisation discursive


L’analyse de l’organisation discursive rend compte de la manière dont l’événement
rapporté est mis en scène. Elle est ici illustrée avec la construction de l’événement de la Une :
la marée noire du Prestige, en confrontant le discours radiophonique au discours de la presse
(Le Monde, 8-9 décembre 2002).

- Journal radiophonique :
L’organisation discursive est narrative (voir Charaudeau 1992, 375sq. et 709sq.).
L’événement est en soi un fait plutôt qu’une action, mais le référent « marée noire » est mis
en scène en tant qu’entité responsable d’un processus d’agression (Les nappes de pétrole qui
menacent…, La marée noire du Prestige menace…). Cette personnification de l’ennemi non
humain est un procédé usuel de dramatisation, qu’utilisent les médias au service de la visée de
captation. Tous les autres référents ou objets thématiques singuliers en position de sujet
(gouvernement, préfecture, ministres, chalutiers, Aznar, des volontaires) constituent un
ensemble d’agents remplissant la même fonction narrative : prévenir la menace ; leur rôle
actantiel est le même : rôle d’opposant, destiné à contrecarrer la menace. Les différents
processus narratifs exposés (le suivi de l’évolution, le déclenchement du plan Polmar et sa
vérification, etc…), de même, visent tous à l’amélioration de l’état initial par élimination de la
menace.
La narration reste certes ouverte : il n’y a pas de clôture, présentant la réussite ou
l’échec de l’action. L’auditeur comprend ainsi que cet événement s’inscrit dans un feuilleton,
à suivre donc dans les prochains bulletins d’information.
Pour ce qui est de l’enchaînement des différentes actions, deux principes sont utilisés :
- Le parallélisme entre les processus mis en œuvre par les différents agents. On peut ainsi
découper le texte en séquences qui se déroulent en parallèle dans le même espace
temporel :
1. L’action du gouvernement et de ses représentants (Le gouvernement de Jean-Pierre
Raffarin…. Avec Jean-Pierre Raffarin le chef du gouvernement...)
2. L’action des chalutiers, introduite par Pendant ce temps.
3. L’action de José Maria Aznar ; le lien avec ce qui précède est exprimé par : … a
décidé lui… 
4. L’action des volontaires, introduite par : Ce week-end.
- A l’intérieur des deux séquences les plus longues (la 1 ère et la 3ème), le principe
d’enchaînement est la succession, traduite dans la 1ère par : heure par heure, ce soir,
demain, ensuite demain soir, et dans la 3ème par : cet après-midi, prochainement.

- Presse :
Les mêmes outils conceptuels ne peuvent être utilisés pour rendre compte de
l’organisation discursive de l’information relatée dans la presse. En effet le texte ici est
argumentatif (voir Charaudeau, 1992, 493sq. et 779sq.). A la différence du précédent, il est
construit autour d’un seul référent principal : « Le fuel du Prestige et ses caractéristiques »
(absent du corpus radiophonique), mis en avant pour démontrer une conclusion. Cette
conclusion, l’assertion d’arrivée, est explicitée dans le titre : Le pire est encore à venir, et
reformulée en fin de texte (La pollution pourrait toucher tout le littoral atlantique). Cette
assertion d’arrivée entretient une relation d’explication causale avec une assertion de
départ : il s’agit de remonter à la cause qui fait attendre « le pire ». L’assertion de départ est
en fait double : on constate des fuites, d’une part, et d’autre part, le fuel est d’une certaine
nature. Les assertions de passage en amènent la preuve : preuve des fuites (Le sous-marin …
a en effet observé…), et preuve de la dangerosité du produit (introduite par :
Contrairement…).
A l’intérieur de l’explication causale elle-même, le discours s’organise localement sur un
mode descriptif – au service bien sûr de la logique argumentative, laquelle domine.
Différents procédés descriptifs sont ainsi utilisés : identification et localisation-situation,
notamment à l’aide de propositions relatives, quantification (au moins quatre points, 60 000
tonnes, etc…), mais aussi qualification (adjectifs entre autres). Le procédé le plus structurant
à cet égard est la comparaison, utilisée à trois reprises successives :
1. comparaison entre la marée noire à venir, d’une ampleur très supérieure à la marée
noire présente.
2. comparaison entre la réalité de la nature du produit, et les caractéristiques spécifiées
dans la fiche technique (Contrairement à…)
3. comparaison entre les propriétés du fuel du Prestige et celles du fuel de l’Amoco-
Cadiz (comme…)
Dans tous les cas, c’est l’objet dont on parle, à savoir la marée noire à venir, qui est
effectivement le pire.

En fait, la radio rend compte de la gestion d’une menace, tandis que la presse choisit de
développer un aspect des causes de l’inéluctable réalisation de cette menace. Il s’agit en fait
de deux points de vue différents sur l’événement. Et la notion de thème présente le risque
d’assimiler « ce dont on parle » et le point de vue depuis lequel on en parle. Le référent noyau
quant à lui ne contient pas de point de vue implicite sur l’objet.

A4. Les choix lexicaux


Les choix lexicaux renseignent plus directement sur le point de vue de l’instance de
production. L’analyse aura avantage à recourir à l’outil informatique, qui permet notamment
le dénombrement des formes lexicales les plus fréquentes, leurs co-occurrences et leur
regroupement en univers référentiels (Voir Marchand, 1998).
On se contentera donc ici d’illustrer, par un bref exemple, en quoi le lexique témoigne
des valeurs et des croyances de la source, voire de son attitude à l’égard de l’objet dont elle
parle (voir par exemple Camus, 1999 :271sq.). On choisira pour ce faire l’événement rapporté
2 : la fin des trente-cinq heures dans l’hôtellerie. Le développement de cette information
débute comme suit :
. (France Inter) En attendant la baisse de la TVA à 5,5% au 1er janvier 2004, le gouvernement
souhaite donner un coup de pouce au secteur de l’industrie de l’hôtellerie.
L’expression soulignée est reprise plus loin : Cette mesure devrait donner un coup de pouce
aux professionnels du tourisme et ils en avaient bien besoin. [Suit un reportage pour illustrer ce
« besoin »]
. (Le Monde) Le gouvernement soigne les cafetiers, les restaurateurs et les hôteliers. Et dans le
développement intérieur, l’information est introduite comme suit : Le gouvernement de
Jean-Pierre Raffarin a donné satisfaction au principal syndicat patronal du secteur de l’hôtellerie-
restauration (…)
Donner un coup de pouce et soigner peuvent être, du point de vue de leur valeur
informative, considérés comme équivalents : ils rendent compte d’une mesure en faveur des
intéressés. Mais leur signification évaluative, laquelle est construite par l’usage, est opposée :
le coup de pouce est un acte valorisé – a fortiori si le bénéficiaire est un secteur de
l’économie. Tandis que soigner, dans cet usage figuré, et lorsqu’il n’est pas ironique, laisse
entendre l’attribution de privilèges, acte négativement perçu en République ; les bénéficiaires
en sont des personnes, et qui plus est des patrons (syndicat patronal), terme qui est au
contraire évité par le présentateur radiophonique. Dans un contexte de crise économique et
sociale, où les voix des électeurs s’identifiant à la « France d’en bas » sont déterminantes, la
crédibilité du gouvernement risquerait en effet d’être mise en cause.
B. CONVAINCRE
Certains discours médiatiques relèvent explicitement de la communication persuasive.
C’est le cas des discours politiques, qui constituent en eux-mêmes l’événement médiatique :
événement rapporté (discours politique rapporté, le plus souvent dans un contrat
d’information), ou provoqué (discours produit en direct, et dont la cible immédiate est
constituée par l’instance de réception du média : interview, débat politique,…). Trois niveaux
de signification vont successivement être interrogés pour appréhender l’ordre de l’Ethos : tout
d’abord le contenu et la mise en scène du discours, puis l’organisation du système gestuel,
dont nous montrerons en particulier les effets sur l’attribution de crédibilité, et enfin la mise
en spectacle avec l’organisation des interactions lors des débats.

B1. Analyse propositionnelle d’un discours rapporté.


L’analyse propositionnelle du discours (APD) (voir notamment Ghiglione & Blanchet,
op.cit.) est particulièrement à même de rendre compte des caractéristiques de ces discours, en
ce qu’elle porte à la fois sur le contenu et sur sa structure. On l’illustrera sur un discours de
François Mitterrand, alors Président de la République dans un gouvernement de cohabitation,
à propos des conditions d’abrogation de la loi Falloux (relative au financement public de
l’enseignement privé) mise en œuvre par la majorité, conditions dont il dénonce le caractère
anti-démocratique. Ce discours est rapporté dans Le Monde du 19- 20 décembre 1993, dans sa
quasi intégralité, ponctué de quelques insertions du rapporteur (« a ajouté M. Mitterrand », « a
poursuivi le président de la République », etc…).

- Etape 1 : découpage propositionnel et repérage des référents noyaux (Cf.A.2.2.2.).


Cette première étape fait apparaître que les référents noyaux de loin les plus fréquents sont
constitués par les protagonistes de la polémique :
- RN1 : JE, sujet de 21,4% des propositions. On peut relever d’emblée que ce référent est
principalement sujet d’un processus de qualification de son état psychologique (Et moi,
personnellement, j’en souffre… Je ne m’y attendais pas…) (RN1a, 9,5% des propositions),
que l’on distinguera du JE objectivable, sujet d’un processus d’identification (J’ai été
parlementaire moi-même…) ou d’action (J’agirai selon ma conscience…) (RN1b, 11,9%). .
- RN2 : L’agresseur, agent responsable de ce qu’il s’est passé, et qui se trouve être
politiquement l’adversaire du locuteur (en l’occurrence la majorité de droite). Cet adversaire
n’est cependant jamais désigné explicitement. (Il y a dans le texte une occurrence de « la
majorité », mais non inscrite dans le processus d’agression que décrit le locuteur. On ne la
considèrera donc pas comme occurrence du RN2). En effet, à l’exception d’une
occurrence (ceux qui ont voulu cette réforme), cet agent, sujet réel de la plus grande partie des
propositions (28,6%), est soit désigné par on (… que l’on puisse ainsi bousculer le
Parlement) (RN2a), soit totalement absent de la surface textuelle (tournures passives
notamment : Le droit des parlementaires n’a pas été respecté…) (RN2b).
- Le RN3 réfère à l’objet du propos : la procédure suivie pour réviser la loi Falloux. Par
exemple : La forme est vraiment choquante. Ses occurrences peuvent se présenter sous la
forme de propositions complètes, antécédents de démonstratifs (par exemple : Le droit des
parlementaires n’a pas été respecté / et cela me heurte ; ou encore : C’est un exemple
typique…). Ce RN est agent de 11,9% des propositions.
- Les autres référents rendent compte chacun au plus de 7,1% des propositions.

- Etape 2 : catégorisation des verbes. Le verbe de chaque proposition peut être caractérisé en
tant que : factif (« tout verbe défini lexicalement comme renvoyant à la transcription
langagière d’une action »), statif (« tout verbe défini lexicalement comme renvoyant à la
transcription langagière d’un état ou d’une possession »), ou déclaratif (« tout verbe défini
lexicalement comme renvoyant à la transcription langagière d’une déclaration sur un état, une
action, un être, un objet, un sentiment… ») (Ghiglione & Blanchet, op.cit. :52).

- Etape 3 : réécriture des propositions sous une forme descriptive facilitant les comparaisons
et les regroupements, en l’occurrence les modèles argumentatifs. Chaque proposition doit ainsi
être retranscrite dans le tableau suivant :
Actant (sujet de Verbe Acté (patient ou objet Circonstant
l’action) de l’action)
RN ou x Factif, statif ou RN ou y RN ou z
déclaratif
Par exemple :
(Proposition 22) Visiblement, ceux qui ont voulu cette réforme ne se sentaient pas sûrs d'eux-
mêmes / (proposition 23) au point d'affronter le débat dans la clarté.
Actant Verbe Acté Circonstant
P22 RN2 Statif (négatif) / /
Ceux qui ont voulu cette réforme /ne pas se sentir sûr de soi/
P23 (RN2) Factif (possibilité, négatif) RN8 z
/affronter (ne pas pouvoir)/ le débat dans la clarté
A l’issue de cette réécriture se dégagent les modèles argumentatifs les plus fréquents. Dans le
discours analysé, deux modèles s’avèrent dominants :
 RN1 Je – Déclaratif – Acté.
 RN2 L’agresseur – Factif – Acté - (circonstant éventuel).

- Etape 4 : les liaisons entre référents.


Reste à mettre en évidence les éventuelles liaisons privilégiées entre référents noyaux
(voir Ghiglione & Blanchet op.cit., 109sq.). Pour ce faire, on prend appui sur les fréquences
d’occurrence conjointe des RN actants et actés ; dans un tableau de contingence on relève
ainsi le nombre de fois où, dans une proposition, se rencontrent un RN donné en position
d’actant et un autre RN donné en position d’acté. On calcule ensuite, pour chaque couple
RNactant-RNacté, un taux de liaison avec la formule suivante : (effectif observé – effectif
théorique) / effectif théorique (L’effectif observé est le nombre de co-occurrences entre les
deux RN considérés. L’effectif théorique se calcule comme suit : total des occurrences de la
ligne x total des occurrences de la colonne, ce produit étant ensuite divisé par l’effectif total
du tableau). L’ensemble de ces taux est ensuite ordonné afin de sélectionner les liaisons les
plus fortes en vue d’une représentation graphique dans un graphe des liaisons. Dans le corpus
étudié, les taux varient de +5,33 à –1 ; on ne retiendra pour la représentation que les taux de
valeur > 1.
2a. ON Taux de liaison = 5,3
2. L’agresseur Taux de liaison compris entre 2,2 et 2,8
ACTANTS 2b. Absent de la surface textuelle
Taux de liaison compris entre 1,1 et 1,4

1b. Sujet objectivable


1. JE
1a. Sujet
psychologique

3. La
procédure

4. Les
opposants
ACTÉS 8. Débat,
objections
7. Rapport
Vedel
9. Démocratie,
République 5. La
réforme

Relations intrapropositionnelles entre référents noyaux

Dans ce graphe, apparaît bien le fait que le RN2 est l’actant principal. On remarquera
néanmoins que, de même que la désignation de l’agresseur n’est pas explicite, les liens qu’il
entretient avec les deux référents permettant de circonscrire l’objet du propos (RN3 et RN5)
ne sont pas explicites. On remarque également la centralité du RN1, à la fois actant et acté, et
première victime de l’agression (atteint, en tant que sujet objectivable, directement par
l’agresseur, et, en tant que sujet psychologique, par la procédure mise en œuvre par cet
agresseur).

- Etape 5 : Modalisateurs et joncteurs (voir Ghiglione & Blanchet, op.cit., 59sq.) (Cette
étape de l’analyse peut être entièrement automatisée grâce au logiciel Tropes mis au point
par le Groupe de Recherche sur la Parole de l’Université de Paris VIII).
Ces catégories langagières intéressent l’analyste en ce qu’elles « servent les buts de mise
en scène de la réalité/vérité d’un monde », les joncteurs en construisant les liens
interpropositionnels, et les modalisateurs, d’une part en situant la référence dans le monde
(modalisateurs de temps, de lieu, et de manière), d’autre part en marquant la relation que
l’énonciateur entretient avec l’énoncé (modalisateurs d’affirmation, de doute, de négation, et
d’intensité).
Dans le corpus étudié, on observe :
- une grande hétérogénéité des types de joncteurs utilisés, puisqu’y sont représentées les
catégories suivantes : comparaison (aussi…que), addition (et), opposition (mais) ;
manière (sans), temps (le moment où), lieu (où) ; condition (si), but (au point de, pour).
- Il en va de même pour les modalisateurs ; sont en effet présentes les catégories de
manière (ainsi, comme), temps (toujours, désormais, avant), lieu (là) ; d’affirmation
(vraiment, visiblement), doute (peut-être), négation (ne…pas, ne…plus, personne ne),
intensité (aussi, sérieusement, personnellement, totalement, vivement).
- La fréquence des joncteurs est en moyenne de 1 pour 2,5 propositions. La catégorie la plus
fréquente est l’addition (35,3% de l’ensemble des joncteurs).
- La fréquence des modalisateurs est en moyenne de 1 pour 1,5 propositions. Les catégories
les plus fréquentes sont la négation (42,9%) et l’intensité (17,9%).
Dans l’ensemble, les résultats sont très proches de ceux obtenus en analysant le discours
des différents candidats à la présidence, au cours de leur passage dans l’émission L’heure de
vérité (voir Ghiglione & Bromberg, 1998, 103sq.) : quelle que soit l’appartenance politique
du locuteur, son discours s’inscrit toujours dans le même « formalisme standardisé » (ibid.),
dont les caractéristiques sont notamment les suivantes :
- Absence ou quasi-absence de doute, au profit d’un mode affirmatif ou négatif.
- Factualité événementielle, appuyée sur des modalisations de temps et de lieu d’une part, et
d’intensité d’autre part.
- Logique démonstrative du type « accumulation des arguments de même polarité » ou
« mise en opposition d’arguments contraires », appuyée sur l’usage de joncteurs
d’addition et d’opposition, plutôt que du type « schéma cause-conséquence » (ibid.).
- Personnalisation du discours : utilisation du « Je », et usage des modalisateurs d’intensité.
Bref, le discours politique, en tant que discours médiatisé, paraît formellement caractérisé,
quel que soit le cadre particulier dans lequel il s’insère, et indépendamment de son ancrage
idéologique. L’essentiel semble bien de faire valoir un locuteur-énonciateur, en même temps
que de défaire un adversaire plus ou moins clairement circonscrit.

B2. Analyse de la gestualité

De nombreuses recherches ont tenté, avec plus ou moins de succès, de déterminer les
effets des dimensions non verbales des locuteurs sur les attitudes du public récepteur des
médias. On a ainsi cherché à mettre en évidence la nature des comportements non verbaux
susceptibles d’entraîner une attribution de compétence, confiance, dynamisme ou encore de
sérieux. Ces recherches se sont principalement centrées sur les aspects paraverbaux (hauteur
de la voix, débit et articulation, expression faciale, direction et persistance du regard),
posturaux et proxémiques du non verbal et ont donné des résultats consistants ; par exemple
plus l’articulation d’un locuteur est claire, plus le crédit, l’honnêteté et l’empathie qui lui sont
accordés se trouvent renforcés. D’autres variables entraînent des effets neutres - par exemple
le débit de la parole a une très faible influence sur la crédibilité - ou encore des effets négatifs,
c’est le cas de la nasalité ou des sons gutturaux (voir Ifert & Gibbons, 1999 pour une revue).
Ces effets restent très liés à un déterminisme culturel et à des pratique et des normes sociales :
des individus peuvent décrédibiliser une source parce qu’elle n’utilise pas les mêmes indices
vocaux que les sources qu’ils connaissent et qu’ils jugent habituellement crédibles.
Les récentes études de crédibilité (par exemple Aguinis, Simonsen & Pierce, 1998)
croisent les indicateurs dans le but de mettre en évidence des patterns de différents registres
non verbaux plutôt que la simple présence ou absence d’une série d’indicateurs de même
niveau. Il s’agit d’une perspective multimodale dans laquelle la voix, l’expression faciale, le
regard, la proxémie et la posture sont appréhendés en interaction. Cette approche est
consistante avec l’idée que le rôle du non verbal ne peut être appréhendé que dans ses liens
avec le discours.

2.1. Une typologie fonctionnelle de la gestualité


En effet il est remarquable de constater que dans de nombreuses études consacrées à
l’analyse et au rôle du non verbal celui-ci est considéré de façon indépendante du verbal. Or
bien souvent un geste ne peut être catégorisé en lui-même, car tout dépend du contenu
discursif qui l’accompagne. Dans cette perspective, les gestes ne sont donc pas un sous-
système à part du système de communication, ils en sont partie intégrante, ils peuvent même
influencer le traitement des énoncés oraux. C’est donc la fonction communicative du geste qui
peut-être catégorisée, pas le geste en lui-même. Cette perspective a donné lieu à une typologie
des gestes dont la pertinence a été testée et validée (Argentin, 1989). Cette typologie
comporte trois registres gestuels : les Métaphoriques (M), qui procèdent par analogie avec le
contenu discursif : un geste métaphorique étaye le contenu langagier (par exemple, chez une
homme politique, le fait d’unir ses deux mains tout en déclarant les liens qui l’unissent à ses
électeurs) ou s’y substitue (le « V » de la victoire après une élection). La seconde catégorie
(A : Adaptateurs) est sans rapport direct avec le contenu verbal, les gestes métaphoriques
permettent à l’individu de se mettre en adéquation avec son environnement ; il s’agit par
exemple des auto-contact ou des manipulations d’objets sans lien avec le contenu langagier.
Ces gestes sont parfois (abusivement ?) interprétés comme l’expression d’un malaise ou d’un
inconfort. Enfin les Ponctuateurs (P) relèvent de la scansion, ils rythment le discours. Il s’agit
par exemple de marteler la table du tranchant de la main tout en parlant pour marquer la
succession de ses arguments.

2.2. Gestualité et crédibilité


Les recherches d’Argentin (Ibid.) ont montré que la production d’un geste M, A ou P
est fortement déterminée par différents éléments du contexte : objet de la communication
(abstrait vs concret), structure sociale (monologue, interaction de face à face, discours
public…) ou encore enjeu (informer, convaincre, émouvoir…). Mais il apparaît aussi des
patterns individuels stables : on sait que l’utilisation de ces gestes est liée aux pratiques
sociales des individus. Par exemple selon l’activité professionnelle exercée, les individus
n’utilisent pas les mêmes profils gestuels. Ainsi les cadres mettent en œuvre une gestuelle
plus abstraite, dans laquelle les ponctuateurs occupent une fréquence dominante. Leur
pratique socio-professionnelle, orientée vers l’argumentation et donc la co-construction de la
référence, entraîne en effet un usage soutenu et maîtrisé du registre argumentatif de la
gestualité, c’est-à-dire des ponctuateurs. Par contre chez les ouvriers le rapport socio-
professionnel au réel et un système lexicalo-syntaxique moins pratiqué amènent une
utilisation plus importante de métaphoriques. Si l’on s’accorde pour observer la façon dont les
orateurs publics (hommes politiques, journalistes, experts…) tentent de maîtriser et d’adapter
leur gestualité en fonction des lieux, des enjeux et des individus-cibles, alors on peut se poser
la question des effets de l’usage de MAP sur les individus (spectateurs ou téléspectateurs).
Des recherches ont tenté de mettre en évidence ces effets : dans une étude exploratoire,
Argentin, G., Ghiglione, R. & Dorna, A. (1990) montrent que le discours d’un homme
politique est plus persuasif s’il n’utilise pas d’adaptateurs et s’il réduit globalement le nombre
de ses gestes. Dans une recherche expérimentale (Garapon & Georget, 2001) la crédibilité
d’un homme politique a été évaluée à partir de l’interaction de deux variables : le profil
gestuel qu’il utilise (pourcentage de M, de A et de P) et la profession des spectateurs
(manuelle vs intellectuelle). Les résultats montrent que les individus ayant une profession
intellectuelle évaluent mieux la pertinence du contenu du discours et la crédibilité de l’orateur
politique qui utilise une gestualité saturée en ponctuateurs, au détriment des métaphoriques.
Ces résultats permettent donc de montrer que les individus s’appuient sur des indices gestuels
spécifiques pour attribuer de la crédibilité à un discours politique et à son producteur, ils
mettent en exergue le rôle de la pratique sociale et de l’expérience de la gestualité des
individus. Ils confortent aussi la nécessité d’une approche globale dans l’analyse des systèmes
de signes, en excluant d’emblée l’a priori trop souvent admis dans ces travaux que le registre
non verbal a une fonction indépendante du contenu discursif.

B.3. Analyse des face-à-face : les actes de parole.

Dans le débat, l'événement est provoqué : "il s'agit (…) d'une mise en scène organisée
de telle sorte que (les) confrontations de paroles deviennent en elles-mêmes un événement
saillant" (Charaudeau, 1997:195). La finalité informative du contrat peut ainsi totalement
disparaître au profit de la visée de captation. Car le débat télévisuel, fût-il de l'ordre du débat
d'idées, est avant tout un spectacle, même si la priorité de cette dimension n'est pas toujours
assumée par l'instance de production.

3.1. Une structure hiérarchique des interaction verbales


Les différentes traditions d’analyse conversationnelle s’accordent sur un principe
commun : les interactions ne sont pas constituées d’unités informationnelles, mais d’éléments
pragmatiques, à la base d’une architecture complexe dont les unités successives ont donné
lieu à des catégorisations multiples et parfois incompatibles. Les nombreuses revues de
question (voir par exemple l’important travail de synthèse de Kerbrat-Orecchioni, 1990, 1992,
1998) montrent que les interactions sont appréhendées à partir d’unités de rangs différents,
emboîtées les unes dans les autres selon certaines règles. L’organisation interne de
l’intervention est constituée par des actes de langage, base de l’agir communicationnel : on
insiste ici sur le principe que « dire » ne consiste pas seulement à transmettre à autrui
certaines informations sur le monde, c’est aussi, et parfois surtout, « faire », c’est-à-dire agir
sur autrui et sur le monde (promettre, évaluer, inciter…). Depuis les premiers travaux de J.L
Austin puis J. R. Searle, on trouve des typologies d’actes nombreuses et inégales.
Actuellement on en dénombre une vingtaine, dans lesquelles l’acte de langage repose
fondamentalement sur le concept d’action. Or dans les débats, c’est l’inter-action qui est en
jeu, c’est la raison pour laquelle nous allons présenter la grille proposée par Chabrol &
Bromberg (1999), qui rend compte des « contributions apportées par chaque acteur social
dans l’interaction ainsi que des processus de co-construction et d’attribution de sens ».
D’ailleurs pour ces auteurs le concept d’acte de parole, proche de la pragmatique sociale, est
plus adapté que celui d’acte de langage, proche de la pragmatique linguistique : le projet est
de comprendre comment on se sert de la communication pour agir sur autrui.

3.2. Grille d’analyse des actes de parole


Pour fonder leur grille, Chabrol & Bromberg (Ibid.) prennent appui sur les grandes
fonctions de la communication : on communique pour déterminer conjointement (1) ce qu’il
faut savoir à propos du monde, (2) ce qu’il faut croire comme opinion, (3) ce que l’on doit,
veut, peut faire, (4) mais aussi pour être et paraître, et (5) enfin pour réguler les échanges et
maintenir le contrat. Ils catégorisent ces fonctions à partir de cinq sphères dont chacune est
modalisée par une série d’actes de parole, dont nous ne donnons que quelques exemples :

(1) Sphère de l’information : informer à propos des objets du monde, dans le but de co-
construire un environnement mutuellement manifeste. Ce qui est en jeu est la vérité ou la
fausseté de la dénotation référentielle. Parmi les actes de cette sphère, on trouve : informer,
confirmer, citer, expliquer, infirmer…
(2) Sphère de l’évaluation : évaluer, pour marquer l’attitude d’un locuteur, dans le but
d’établir un système de croyances dominant, mutuellement conçu et accepté comme
vraisemblable. Cette sphère ne porte pas sur les partenaires de l’interlocution, mais sur l’état
du monde ; il s’agit de points de vue (par exemple : « c’est génial »). Exemples d’actes  :
évaluer, prendre position, donner son avis, justifier, critiquer.

(3) Sphère actionnelle : inciter, afin d’engager autrui à faire ou ne pas faire quelque chose, ou
s’engager soi-même à accomplir des actions ou à s’en abstenir. Exemples d’actes  : proposer
de faire (de ne pas faire), inciter à faire, s’engager à faire…

(4) Sphère interactionnelle : reconnaître les qualités du locuteur (« tu es génial ») (ou les
imposer). C’est la sphère de l’identité. Actes  : accuser, complimenter, blâmer, s’excuser,
conforter, défier... Ces actes obligent à inférer des positions hautes ou basses (blâmant/blâmé,
accusant / accusé).

(5) Sphère contractuelle : gérer ou réguler la communication et les contrats. On trouve ici le
« on est là pour ceci, qui doit prendre la parole, de quoi doit-on parler, combien de temps
compte tenu du cadre », mais aussi les rituels (politesse, gestion de l’espace interlocutoire :
prendre, solliciter ou autoriser la prise de parole).

Ainsi, l’intérêt pratique majeur de ce type d’approche consiste à rendre compte de la


dynamique psycho-sociale des débats de la façon la plus objective possible, même si le
problème de la catégorisation d’un acte reste posé, car sans connaissance a priori du contexte
de production et des enjeux de la situation de communication, les nombreuses ambiguïtés
d’ordre pragmatique restent le lieu commun de l’analyste : « la valeur actionnelle (illocutoire
et perlocutoire) de l’énoncé doit toujours être inférée en combinant les instructions
linguistiques et des connaissances supposées partagées » (Chabrol & Bromberg, Ibid., 295).

3.3. Application de la grille : comportement d’un leader démocratique vs non


démocratique
Nous allons livrer, à titre illustratif, les résultats de l’utilisation de cette grille dans le
contexte de l’analyse des comportements démocratiques. Dans le cadre d’une recherche
(Berthelier & al., 2002) il a été demandé à des individus jouant les rôles de leader de groupes
de six membres de tenir soit un comportement démocratique, soit un comportement non
démocratique. Chacun des groupes devait parvenir à un objectif (organiser une activité et
prendre des décisions) dans un temps imparti. Ces interactions étaient filmées et ensuite
analysées dans le but de déterminer les patterns comportementaux caractéristiques des
comportements démocratiques vs non démocratiques. L’application de la grille des actes de
parole a permis de montrer qu’un leader démocratique centre prioritairement son activité dans
la gestion du contrat (définitions de la situation de communication, des thèmes et objets
discursifs, gestions de la durée des contributions, respect des normes du groupe (rituels de
politesse, sollicitation de la prise de parole, enchaînements) puis dans la gestion de la sphère
de l’information (le leader explique, explicite, confirme ou infirme, rectifie), alors qu’un
leader non démocratique positionne principalement son activité discursive dans les sphères de
l’interaction (il élabore les identités des partenaires de l’interaction par des stratégies
d’accusation, de démenti, de défi ou encore de contestation) et, dans une moindre mesure, de
l’action (incite, exhorte, s’engage) et de l’évaluation (évalue, critique, prend position). Dans
les débats télévisés, et en particulier les face-à-face politiques, la sphère contractuelle est
généralement investie par le journaliste, comme le requiert sa fonction d’arbitre. Quant aux
interventions des partenaires en face-à-face, elles devront certes s’inscrire fréquemment dans
les sphères de l’information et de l’évaluation, le contrat explicite relevant du débat d’idées.
Mais le débat sera d’autant plus « médiatique » que la sphère interactionnelle sera présente.
Et, de manière générale, l’attaque de l’énonciation – c’est-à-dire de ce qui est fait en parlant –
est plus spectaculaire que l’attaque de l’énoncé – de ce qui est dit -, car plus dangereuse :
comme le soulignent Trognon et Larrue (1994), le locuteur s'en prend alors aux
caractéristiques de l'adversaire, non à son point de vue. L'objectif n'est pas en effet d'obtenir
une conviction rationnelle du public (Cf. p.98), mais bien de défaire un adversaire.

C. En guise de conclusion : DISTRAIRE ET EMOUVOIR


Cette rapide esquisse de quelques outils d’analyse du discours des médias ne serait pas
complète si elle ne faisait référence à l’ordre du Pathos, puisque dans le jeu de l’oscillation
entre le contrat d’information et de captation c’est souvent le second qui l’emporte : le culte
de l’image-choc est un lieu commun de la presse et de la télévision. Si les grilles d’analyse
existent (voir par exemple Plantin & al., 1999), on insistera néanmoins avec Chabrol (1999)
sur le fait que toute forme expressive n’est pas a priori pathémique, puisque assujettie aux
phénomènes d’usure, de dépendance contextuelle ou cotextuelle et aux attentes des
destinataires. Ceci « illustre bien la complexité de la pathémisation qui constitue un ordre à
part qui n’ajoute pas ses marquages à la co-production des effets de sens mais qui introduit
plutôt une dimension figurative distincte. Il semble difficile de ne pas envisager d’inclure le
travail du sujet interprétant dans ce paradigme, car en dernier ressort, c’est lui qui crée ce type
d’impression de sens pathétique » (Ibid., 56). L’enjeu pour l’analyste est donc
double puisqu’il doit non seulement déterminer les marques candidates à la pathémisation,
mais aussi évaluer leurs effets en réception auprès de destinataires réels, sans négliger les
indicateurs relevant de cet ordre : indices physiologiques indirects, auto-évaluation du ressenti
émotionnel et effets cognitifs.

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