Comment Je Crois PDF
Comment Je Crois PDF
Comment Je Crois PDF
[1771-1955]
jésuite, paléontologue et philosophe français
(1969)
COMMENT
JE CROIS
Un document produit en version numérique par Gemma Paquet, bénévole,
professeure retraitée de l’enseignement au Cégep de Chicoutimi
Page web. Courriel: [email protected]
Politique d'utilisation
de la bibliothèque des Classiques
Les fichiers (.html, .doc, .pdf, .rtf, .jpg, .gif) disponibles sur le site
Les Classiques des sciences sociales sont la propriété des Classi-
ques des sciences sociales, un organisme à but non lucratif com-
posé exclusivement de bénévoles.
à partir du livre de :
COMMENT JE CROIS.
Paris : Les Éditions du Seuil, 1969, 294 pp. Collection : Collection : Oeuvres de
Pierre Teilhard de Chardin, no 10.
COMMENT JE CROIS.
Paris : Les Éditions du Seuil, 1969, 294 pp. Collection : Collection : Oeuvres
de Pierre Teilhard de Chardin, no 10.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 5
Avertissement:
[4]
I. LE PHÉNOMÈNE HUMAIN
II. L'APPARITION DE L'HOMME
III. LA VISION DU PASSÉ
IV. LE MILIEU DIVIN
V. L'AVENIR DE L'HOMME
VI. L'ÉNERGIE HUMAINE
VII. L'ACTIVATION DE L'ÉNERGIE
VIII. LA PLACE DE L'HOMME DANS LA NATURE
(Le Groupe Zoologique &main, éd. reliée)
IX. SCIENCE ET CHRIST
HYMNE DE L'UNIVERS
ÊTRE PLUS
SUR LE BONHEUR / SUR L'AMOUR / LE PRÊTRE
IMAGES ET PAROLES
CAHIER I. CONSTRUIRE LA TERRE
CAHIER 2. RÉFLEXIONS SUR LE BONHEUR
CAHIER 3. PIERRE TEILHARD DE CHARDIN ET LA POLITIQUE AFRI-
CAINE
CAHIER 4. LA, PAROLE ATTENDUE
CAHIER 5. LE CHRIST ÉVOLUTEUR
CAHIER 6. LE DIEU DE L'ÉVOLUTION
Éditions Grasset
Éditions Aubier
[7]
COMMENT JE CROIS
publié
sous le Haut Patronage
de Sa Majesté la Reine Marie-José
et sous le patronage
1. d'un Comité scientifique
II. d'un Comité général
I. COMITÉ SCIENTIFIQUE
[11]
Sous le patronage de
AVANT-PROPOS, par N. M. Wildiers
Note sur l'Union physique entre l'Humanité du Christ et les Fidèles au cours de la
sanctification, 1919,
Sur la Notion de Transformation créatrice
Note sur les Modes de l’Action divine dans l'Univers, janvier 1920,
Chute, Rédemption et Géocentrie, 20 juillet 1920
Note sur quelques Représentations historiques possibles du Péché originel, 1922
Panthéisme et Christianisme, 1923
Christologie et Évolution, Noël 1933
Comment je crois, octobre 1934
Quelques Vues générales sur l'Essence du Christianisme, mai 1939.
Le Christ évoluteur, 8 octobre 1942
Introduction à la Vie chrétienne, 29 juin 1944
Christianisme et Évolution, 11 novembre 1945
Réflexions sur le Péché originel, novembre 1947
Le Phénomène chrétien, 10 mai 1950
Monogénisme et Monophylétisme, fin 1950
Ce que le Monde attend de l’Église de Dieu, 14 septembre 1952
Contingence de l'Univers et Goût humain de survivre, 1er mai 1953
Une suite au Problème des Origines humaines : la Multiplicité des Mondes habi-
tés, 5 juin 1953
Le Dieu de l’Évolution, 25 octobre 1953
Mes Litanies, probablement fin 1953
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 13
[13]
COMMENT JE CROIS
AVANT-PROPOS
N. M. WILDIERS
Docteur en Théologie
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 19
[19]
COMMENT JE CROIS
1
Note sur l'union physique entre
l'humanité du Christ et les fidèles
au cours de la sanctification
1919
[21]
25 « Constamment. » (N..D.E.)
26 « Selon sa nature humaine. » ( N.D.E.)
27 Dans l'ordre de la nature. ( N.D.E.)
28 « Dans tout ce que fait le chrétien, c'est le Christ qui se fait. » (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 24
[27]
COMMENT JE CROIS
2
Sur la notion de transformation
créatrice
[29]
[33]
COMMENT JE CROIS
3
Note sur les modes de l'action divine
dans l’univers
Janvier 1920
[35]
Pour rendre plus concrètes les réflexions qui vont suivre, faisons
une comparaison. Imaginons une sphère, et, à l'intérieur de cette sphè-
re, un très grand nombre de ressorts pressés les uns contre les autres.
Accordons en outre à ces ressorts la faculté de se tendre ou de se dé-
tendre à leur gré, spontanément. - Un tel système peut figurer l'Uni-
vers, et la multitude des activités, solidaires les unes des autres, qui le
composent.
Supposons, maintenant, que, dans le modèle mécanique du Monde
ainsi constitué, on cherche à représenter, par un artifice quelconque,
l'influence de la Cause première. - Quel élément faudrait-il ajouter, ou
quelle modification pourrait-on faire subir aux pièces contenues dans
la sphère, pour symboliser l'intervention de Dieu dans les Causes se-
condes ?
- Une première façon de faire apparaitre le facteur « Dieu » dans
notre système représentatif du Monde consisterait à introduire, dans
l'assemblage des ressorts vivants contenus dans la sphère, un ressort
de plus, beaucoup plus central et puissant que tous les autres, qui fe-
rait plier ceux-ci à volonté. Il y aurait le ressort-Dieu, comme le res-
sort-Pierre ou Paul, etc. - Une causalité dominante parmi les autres
causalités (c'est-à-dire, somme toute, une puissance intercalée dans la
série des forces expérimentales), telle serait l'influence divine.
[36]
Il importe évidemment de réagir contre une manière aussi rudi-
mentaire (et pourtant souvent admise, plus ou moins inconsciemment)
de comprendre l'opération de Dieu dans l'Univers. L'objet de la pré-
sente Note est d'insister sur ce fait que les seules façons rationnelles de
concevoir l'action du Créateur sur son oeuvre sont celles qui nous
obligent à regarder comme insensible (du point de vue strictement
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 33
I
a) Un premier mode, proprement divin, pour la cause première,
d'atteindre les natures inférieures, consiste à pouvoir agir sur tout leur
assemblage simultanément. Revenons à notre sphère de ressorts, et
imaginons, extérieur à elle, un Être capable d'exercer, sur toute la sur-
face du système à la fois, une pression tellement savante qu'il arrive à
produire infailliblement, en un point quelconque de l'intérieur, telle
modification qu'il désire. - Supposons en cours une modification de ce
genre. Pour les ressorts situés au point influencé, l'ébranlement exté-
rieur (= créateur) arrivant de tous les côtés à la fois semblera ou bien
le résultat d'une pure coïncidence, ou bien l'effet d'une force mysté-
rieuse répandue dans tout l'ensemble de la sphère. L'énergie nouvelle,
mise en jeu dans le système, est impossible à localiser : elle a exacte-
ment la figure d'un Hasard ou d'une Immanence 43 . Telle se [37] ma-
nifeste à nous (du point de vue strictement expérimental) la Providen-
ce sur le Monde. La main de Dieu n'est pas ici, ni là. Elle agite tout
l'ensemble des causes sans se découvrir nulle part : en sorte qu'il n'y a
rien de plus semblable, extérieurement, à l'action du premier Moteur
que celle d'une Âme du Monde, à la Sagesse Divine que la Destinée
ou la Fortune. - Il serait oiseux de se demander si une telle disposition
nous accommode ou non : elle est, voilà le fait.
b) Malgré que toute action individuelle soit solidaire de l'état géné-
ral et des modifications globales de l'ensemble, l'individu représente
essentiellement un centre autonome d'opération. L'action divine ne
44 « Du dedans. » (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 35
II
On s'est habitué pour décider si, oui ou non, les êtres étaient aptes à
l'existence, à ne considérer en eux qu'une seule espèce de possibilité, -
la possibilité logique, - c'est-à-dire la non-contradiction interne des
concepts abstraits par lesquels nous définissons leurs natures. -
L'Homme, par exemple, est jugé possible parce que « animalité » ne
répugne pas à « rationalité ». Dès lors, il est déclaré réalisable « sim-
pliciter 47 » par la puissance divine ; et, à partir de ce moment, il n'y a
plus lieu de se demander, dirait-on, si cette réalisation d'un « possi-
ble » n'a pas elle-même ses conditions de possibilité. Au regard de
nombreux philosophes, l'Univers tient par la seule intelligibilité de ses
éléments, considérés isolément et tout formés. Pour ces hommes-là,
les questions du Devenir et du Tout n'existent pas, de sorte qu'il n'y a
aucun motif à leur avis de douter que Dieu ne puisse faire surgir de
toutes pièces devant lui, s'Il le voulait, « ex nihilo sui et subjecti, - et
mundi recipientis 48 », Pierre ou Paul, tout seuls, et tout sanctifiés. -
Voilà ce qui se dit ou se suppose continuellement dans les Écoles.
Eh bien ! pour libérer la vérité, il faut oser déclarer qu'une sembla-
ble manière de mesurer la puissance créatrice (qui consiste à ne pren-
dre que deux ou trois termes dans l'interminable série des conditions
ontologiques auxquelles est subordonné notre être, et à les combiner
comme des pièces interchangeables) est non seulement puérile, mais
amoindrissante de Dieu et de nous, - sans compter qu'elle est la source
des plus graves difficultés contre la Providence.
Autant que nous pouvons apprécier la marche du Monde, [42] la
Puissance divine n'a pas devant elle le champ aussi libre que nous le
supposons : mais, tout au contraire, de par la constitution même de
que Dieu ne pût faire un cercle carré ou poser un acte mauvais. Pour-
quoi restreindre à ces seuls cas le domaine de l'impossible contradic-
tion ? Il y a certainement des équivalents physiques aux lois inflexi-
bles de la Morale et de la Géométrie.
Mais sous quelle forme, alors, pouvons-nous finalement concevoir
la nécessaire et très désirable omnipotence de Dieu ? Si vraiment Dieu
est forcé (par nécessité immanente à Lui-même) de passer, s'il veut
créer, par certaines lois de développement, comment le dernier mot
restera-t-il à son action créatrice ? Par quel miracle le Créateur gou-
vernera-t-il les choses, et ne sera-t-il mené par elles ?
À cette ultime question il faut répondre : « Par le miracle suprême
de l'action divine qui consiste à pouvoir, grâce à une influence de pro-
fondeur et d'ensemble, intégrer sans cesse, sur un plan supérieur, tout
Bien et tout Mal dans la Réalité qu'elle construit par le moyen des
Causes secondes. » - Revenons une dernière fois à la comparaison de
la sphère pleine de ressorts vivants. À chaque instant, le jeu spontané
des ressorts tend à modifier et troubler l'équilibre cherché par l'Être
dominateur que nous avons imaginé présidant à leur assemblage. Sup-
posons cet Être capable d'utiliser et de refondre à chaque instant l'état
nouveau du système, c'est-à-dire de faire si bien servir à ses fins la
disposition continuellement renouvelée des éléments de la sphère, qu'à
travers toutes les fluctuations et résistances qu'il rencontre (ou plus
[45] exactement au moyen d'icelles) son dessein, à lui, se poursuive
sans interruption. Nous aurons trouvé une assez bonne image pour
nous représenter l'action à la fois insensible et irrésistible de Dieu sur
la marche des événements.
Tous, en ce Monde, nous nous trouvons pris dans un enchevêtre-
ment de maux ou de déterminismes, sur lesquels Dieu Lui-même (en
vertu de son acte créateur librement posé) ne peut plus agir que sous
certaines conditions très précises (parce qu'il y a des « inconvé-
nients », qui font essentiellement partie des Choses). Mais si les fils
sont incassables ou modérément élastiques, le réseau, lui, est infini-
ment souple entre les mains du Créateur, - pourvu que, de notre côté,
nous nous montrions créatures fidèles. - Que l'Homme vive loin de
Dieu ; l'Univers reste pour lui neutre ou hostile. Mais que l'Homme
croie en Dieu, et aussitôt, autour de lui, les éléments de l'inévitable,
même fâcheux, s'organisent en un Tout bienveillant, ordonné au suc-
cès final de la vie. Pour le croyant, chaque chose reste, extérieurement
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 41
55 Ceci revient à dire qu'il exerce dans l'Univers une action d'ensemble (Provi-
dence) irréductible, bien que coextensive, à la somme des actions élémentai-
res en lesquelles notre expérience l'analyse (la décompose). (N.D.A.)
Credenti omnia convertantur in bonuin = Pour le croyant tout est conver-
ti en bien. (N.D.E.)
* Inédit. janvier 1920.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 42
[47]
COMMENT JE CROIS
4
Chute, rédemption et géocentrie
20 juillet 1920
[49]
I. LE PREMIER ADAM
58 Ép. IV,10 : « Qui est descendu, sinon celui qui est monté, pour tout rem-
plir ? » (N.D.E.)
59 En niant ici l'historicité d' « Adam », le Père Teilhard ne nie pas pour autant
l'essentiel du dogme du péché originel qui est l'universalité du péché en cha-
que homme et donc la nécessité universelle de la Rédemption. Pour la posi-
tion actuelle de la théologie sur ces problèmes fort complexes, voir l'ouvrage
du Père Charles Baumgartner s.j., Le Dogme du péché originel, Desclée et
Cie,1969. (N.D.E.)
60 « Singulière » (au sens philosophique du mot) ou « unique ». (N.D.E.)
61 « Par le péché la mort. » Rm. V, 12. (N.D.E.)
62 Si l'on admet qu'il y ait, où que ce soit, de la douleur sans péché, on va
contre la pensée de saint Paul. Pour saint Paul, le péché originel explique
tellement la mort, que c'est l'existence même de la mort qui permet de dédui-
re qu'il y ait eu péché. - Je sais bien que les théologiens thomistes n'admet-
tent plus cela, tout en prétendant garder saint Paul avec eux. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 47
73 « Le Christ une fois ressuscité des morts ne meurt plus. » Rm. VI, 9.
(N.D.E.)
74 En qui tout subsiste. Co. 1, 17. (N.D.E.)
* Inédit, 20 juillet 1920.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 51
[59]
COMMENT JE CROIS
5
Note sur quelques représentations
historiques possibles du péché originel
1922
[61]
[62]
[65]
C'est dans une direction opposée qu'il convient de chercher la ré-
ponse au problème posé. Le péché originel doit échapper à notre vue,
non point parce que son exiguïté met celle-ci en défaut, mais parce
que son ampleur même la « transcende ».
Scientifiquement, nous
ne découvrons que les perspectives de la deuxième phase (puisque
l'analyse scientifique ne fait [67] que reconstruire le passé évolutif) ; et
nous prolongeons même indéfiniment ces perspectives, par le jeu de
notre analyse, vers un multiple de plus en plus dissocié ; mais jamais
aucune de ces séries ne rencontrera ni Adam ni Éden, (puisque Adam
et l'Éden font partie d'une autre perspective).
Cette explication de la « refonte » du Monde par la Chute s'accorde
particulièrement bien avec une métaphysique de type « idéaliste »
(j’entends par là une métaphysique suivant laquelle les êtres non spiri-
tuels reçoivent des êtres spirituels la plénitude de leur actuation onto-
logique). Mais elle n'est pas essentiellement liée à une telle philoso-
phie.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 58
78 Toute créature est encore dans les gémissements et les douleurs de l'enfan-
tement, d'après Rm. VIII, 22. (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 60
N.B. À côté des essais d'explication qui précèdent, on peut citer ce-
lui (un peu corrigé) du Père Schmidt, qui consiste à dire ceci : Le Pa-
radis terrestre n'a jamais existé, parce qu'il représente surtout une
promesse. Si l'Homme avait été fidèle, l'Univers aurait été orienté sur
un état nouveau. C'est la solution de l'aiguillage, avec bifurcation
manquée en avant. Cette solution, entre autres inconvénients, a celui
de laisser intacte la difficulté du monogénisme. *
[71]
COMMENT JE CROIS
6
Panthéisme et christianisme
1923
[73]
ture) s'est acheminée graduellement ces derniers temps vers des hori-
zons aussi magnifiques. Depuis la Renaissance, tous nos progrès dans
la pénétration de la Nature tiennent en effet dans ces quelques mots :
Découverte d'une extension et d'une liaison indéfinies de l'Univers,
dans l'espace et dans le temps.
Dans l'espace, d'abord, nous avons vu peu à peu se découvrir et
s'analyser, sous nos yeux étonnés, le double infini de la grandeur et de
la petitesse. Nous sommes pris, vous le savez, en ce moment
(c'est-à-dire en attendant de nouvelles découvertes) entre deux termes
extrêmes d'éléments matériels : l'électron et la nébuleuse. Or, à l'inté-
rieur de ce large spectre de grandeurs corpusculaires dont rien ne
paraît limiter les raies, ni en longueur, ni en nombre, il règne, nous le
savons, une solidarité inouïe qui, par les mystérieuses zones de l'éther
et de la gravité, relie tout ce qui existe dans un extraordinaire continu
d'énergie. Plus le Monde grandit sous nos yeux, plus ses éléments se
compénètrent. Tout tient à tout, dans l'ordre de l'énergie mesurable. Et
tout se montre aussi tenant à tout dans le domaine plus fuyant, plus
complexe, mais non moins physiquement réel des développements
organiques et des manifestations expérimentales de l'Arne. - Vérita-
blement, le Monde, au regard de la Science, s'étale démesurément, et
simultanément, il fait bloc dans l'espace !
Dans le temps, même phénomène de croissance et de fusion, - et
combien plus émouvant encore ! - Le grand progrès de la pensée hu-
maine, aux temps modernes, a consisté, indubitablement, à prendre
conscience du temps, des perspectives du temps, de l'enchaînement
des êtres dans le temps. Il n'y a pas si longtemps, encore, on pouvait
passer devant une montagne, un vivant, une langue parlée, un type
social, une forme religieuse, sans se demander d'où venaient ces cho-
ses, ou du moins sans douter qu'elles eussent toujours existé telles que
[80] nous les voyons aujourd'hui. - Maintenant, un renversement défi-
nitif s'est opéré dans l'accommodation de notre regard. Toute réalité
au monde ayant cessé, pour nous, d'être une production instantané-
ment intercalée, à quelque temps T, parmi les autres réalités du Mon-
de, nous ne voyons plus le commencement de rien. Aucun objet ne
nous est plus scientifiquement compréhensible que comme l'aboutis-
sement d'une série illimitée d'états antécédents. L'Histoire envahit et
tend à absorber toute la Science. Après les choses vivantes, plus faci-
lement accessibles à ses perquisitions, la voici qui pénètre les corps
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 69
que ces perspectives démesurées viennent faire perdre à celui qui s'y
absorbe le souvenir des humbles devoirs concrets et des solides vertus
évangéliques. Bien au contraire. Lorsqu'on a compris combien physi-
que et urgente est l'omni-influence du [89] Christ) il est extraordinaire
de constater à quel point chaque détail, dans la vie chrétienne, prend
une vigueur étonnante, - un relief que ne peuvent soupçonner ceux
qu'effarouche la vue réalistique du mystère de l'Incarnation.
La charité, par exemple (cette attitude nouvelle, tant recommandée
par Jésus), elle n'a plus rien de commun avec notre banale philanthro-
pie ; mais elle représente l'affinité essentielle qui rapproche les Hom-
mes entre eux, non point dans le domaine superficiel des affections
sensibles ou des intérêts terrestres, mais dans l'édification du Plérôme.
La possibilité, et même l'obligation de tout faire pour Dieu « (
Quidquid facitis, in nomine Domini nostri Jesu Christi facite 85 »),
elles ne sont plus fondées sur la seule vertu d'obéissance, ou la seule
valeur morale de l'intention : elles s'expliquent, en définitive, par la
merveilleuse grâce communiquée à tout effort humain, si matériel
qu'il soit, de concourir efficacement, par son résultat physique, à
l'achèvement du Corps du Christ.
Le salut ou la damnation, à leur tour, ce ne sont plus seulement la
bénédiction ou la malédiction qui tombent arbitrairement sur l'être, du
dehors : ces mots signifient maintenant, chose bien plus redoutable,
l'agrégation plénifiante, ou l'arrachement désorganisant, de l'élément
au Centre de la cohésion, c'est-à-dire de la béatification, universelle.
L'imitation du Christ, encore, c'est tout autre chose que la confor-
mation extérieure du fidèle à une vie laborieuse, humble, croyante.
Devenir « conforme » au Christ, c'est participer par identité partielle, à
l'acte fondamental unique posé par le Tout. En réalité, il y a une seule
humilité au Monde, une douceur, un sacrifice, une passion, un enseve-
lissement, une résurrection : ceux du Christ. Tout cela est un en lui,
multiple en nous, - commencé et parfait par lui, complété cependant
par nous.
[90|
[93]
COMMENT JE CROIS
7
Christologie et évolution
Noël 1933
[95]
LE PROBLÈME
Mais cette force et cette allégresse, comme tout autre réalité vivan-
te, ont leur contrepartie laborieuse. L'Univers, [96] nous commençons
à en faire l'expérience, n'est pas un cadre fixe sur lequel il suffit
d'avoir projeté l'image du Christ pour pouvoir l'admirer sans fin, quiè-
tement. Insensiblement, sous l'action même de ce que nous appelons
la vie, l'écran du Monde (à l'inverse de la symbolique « peau de cha-
grin ») s'étend et se ploie autour de nous. Que nous n'y prenions pas
garde et déjà le visage divin se projette en flou sur les choses, ou il
n'en couvre qu'une partie, lui qui devrait tout embrasser.
Ma conviction profonde, née de l'expérience d'une vie passée si-
multanément au cœur de la Gentilité et au cœur de l'Église, est que
nous en sommes précisément arrivés à ce point délicat d'un réajuste-
ment nécessaire. Et comment pourrait-il en être autrement ? L'expres-
sion de notre Christologie est encore exactement la même que celle
qui pouvait suffire, il y a trois siècles, à des hommes dont les perspec-
tives cosmiques nous sont devenues physiquement irrespirables. À
moins d'admettre une indépendance, psychologiquement impossible,
entre la vie religieuse et la vie humaine, cette situation doit, a priori,
se traduire en malaise, en déséquilibre. En fait, ce malaise et ce désé-
quilibre existent. J'en apporte le témoignage - et tout ce qu'on appelle
le mouvement moderniste aussi. Il s'agit pour nous, à cette heure, de
modifier (précisément pour lui garder sa valeur illuminatrice) la posi-
tion du foyer chrétien.
Or,. en quoi consistera tout à fait exactement cette correction rela-
tive ?
À mettre d'accord Christologie et Évolution.
La transformation toute récente (et encore en cours) qui a fait pas-
ser l'Univers de l'état de réalité statique à l'état de réalité évolutive, a
tous les caractères d'un événement profond et définitif. Tout ce qu'on
pourrait en dire, pour la critiquer, c'est que nous ne mesurons que très
incomplètement encore l'étendue des changements que logiquement
entraîne la perception de cette nouvelle dimension cosmique : la Du-
rée.
[97]
L'Univers n'est plus seulement interminable spatialement. Il se dé-
roule maintenant sans limites à l'arrière, par toutes ses fibres, au gré
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 82
I. RÉDEMPTION
91 Pour s'assurer que je n'exagère pas, qu'on prenne la peine de lire l'Encycli-
que de Pie XI sur le Sacré-Coeur (par exemple la sixième leçon du Bréviaire
pour le Dimanche dans l'octave du Sacré-Coeur). Il y a là des phrases qui
blessent, au moins autant que le Syllabus, les espérances les plus légitimes
de l'âme moderne. On ne convertira jamais le Monde avec cet esprit-là.
(N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 84
çoive pour nos conceptions sur les rapports possibles entre le Monde
et Dieu.
Créer, même pour la Toute-Puissance 92 , ne doit plus être entendu
par nous à la manière d'un acte instantané, mais à la façon d'un pro-
cessus ou geste de synthèse. L'Acte pur et le « Néant » s'opposent
comme l'Unité achevée et le Multiple pur. Ceci veut dire que le Créa-
teur ne saurait, en dépit (ou [102] mieux en vertu) de ses perfections,
se communiquer immédiatement à sa créature, mais qu'il doit la ren-
dre capable de le recevoir. Pour pouvoir se donner au Plural, Dieu doit
l'unifier à sa mesure. Des origines du Monde à Lui, la constitution du
Plérôme se traduit donc nécessairement à nos esprits par une progres-
sive marche de l'esprit.
Cette progressive unification du Multiple, en quoi consiste la Créa-
tion, est-elle aussi complètement libre et accessoire à Dieu que nous
sommes partiellement forcés de le supposer ? et ne correspondrait-elle
pas, en outre, à une opération possible une seule fois dans l'histoire
divine ? Il faut aller jusqu'à se poser ces questions si on veut mettre
logiquement debout une noble cosmogénèse chrétienne. Mais ce n'est
pas ici le lieu d'y répondre. Contentons-nous d'avoir assuré le point
suivant : Non seulement en fait, dans notre Univers particulier, mais
en droit (pour tout Monde concevable, si vraiment il y en a plusieurs
possibles), l'acte créateur s'exprime pour ceux qui en sont l'objet par le
passage d'un état de dispersion initiale à un état d'harmonie finale.
Cette observation suffit pour perfectionner, en première approxima-
tion, l'idée que nous nous faisons de la fonction rédemptrice du
Christ : car elle a pour corollaire une transposition profonde de la no-
tion de la chute originelle.
Dans un monde créé tout fait, disions-nous plus haut, un désordre
primitif est injustifiable : il faut chercher un coupable. Mais dans un
Monde qui émerge peu à peu de la Matière, plus n'est besoin d'imagi-
ner un accident primordial pour expliquer l'apparition du Multiple et
de son satellite inévitable : le Mal... Le Multiple ? Mais il a, nous ve-
93 N'est-ce pas là, précisément, la vérité confusément exprimée dans tous les
mythes où se trouvent associées les idées de naissance et de mal ? On peut
dire que la modernisation de la Christologie consisterait simplement à éclai-
rer dans les formules théologiques et liturgiques péché par progrès c'est-à-
dire, en somme, fumée par feu. Est-ce si grave ? (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 88
94 Étant donné qu'il faut prévoir les simplifications déformatrices qu'on fait
subir au texte, nous avons souligné, nous-mêmes, plus seulement pour bien
montrer que le Père Teilhard ne nie pas la nécessité de l'expiation tout en
l'insérant dans un processus plus complexe et plus vaste de montée spirituel-
le, dépendante elle-même de cette expiation. (N.D.E.)
95 Sur la découverte progressive de la vérité et l'évolution des définitions
conciliaires, cf. Vues ardentes, p. 46-47, Éd. du Seuil (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 89
Il. INCARNATION
III. ÉVANGÉLISME
c'est qu'il n'attire plus ou presque plus, parce qu'il est devenu incom-
préhensible. Dans un Monde qui s'est terriblement modifié, on nous
redit les mêmes mots qui ont été trouvés par nos pères. A priori, on
pourrait jurer que ces expressions anciennes ne peuvent plus nous sa-
tisfaire 97 . En fait, les meilleurs des incroyants que je connais pense-
raient déchoir de leur idéal moral s'ils faisaient le geste de se conver-
tir. Ce sont eux qui me l'ont dit.
Ici encore il convient, pour rester fidèles à l'Évangile, de confor-
mer son code spirituel à la figure nouvelle de l'Univers. L'Univers a
désormais pris, pour notre expérience, une dimension de plus. Il a ces-
sé d'être le jardin tout planté d'où une fantaisie du Créateur, pour un
temps, nous exile. Il est devenu la grande œuvre en voie de réalisation
qu'il s'agit de sauver en nous sauvant. Nous nous découvrons les élé-
ments atomiquement responsables d'une cosmogénèse. Que devien-
nent, transportées dans cet espace nouveau, les directives morales
chrétiennes ? Comment doivent-elles se courber pour demeurer elles-
mêmes ?
D'un mot nous pouvons répondre : « En devenant, pour Dieu, les
supports de l’Évolution. » Jusqu'ici le chrétien était élevé dans l'im-
pression que pour atteindre Dieu, il devait tout lâcher. Maintenant il
découvre qu'il ne saurait se sauver qu'au travers et en prolongement de
l'Univers. L'évangélisme, à un moment donné, a pu se résumer dans la
formule de l'Épitre : « Religio munda haec est : visitare pupillos et
viduas, et immaculatum se custodire ab hoc saeculo 98 . » Cette époque
est définitivement passée. Ou plutôt les paroles de saint Jacques sont à
interpréter avec les profondeurs morales que leur donnent pour nous
des horizons nouveaux.
[111]
Adorer, autrefois, c'était préférer Dieu aux choses, en les lui réfé-
rant et en les lui sacrifiant. Adorer, maintenant, cela devient se vouer
corps et âme à l'acte créateur, en s'associant à lui pour achever le
Monde par l'effort et la recherche.
CONCLUSION
[115]
COMMENT JE CROIS
8
COMMENT JE CROIS
Oeuvre, que par soucis apostolique, Mgr Bruno de Solages
avait sollicitée du Père Teilhard.
Octobre 1934
[117]
INTRODUCTION :
L’ÉVOLUTION DE LA FOI 1
PREMIÈRE PARTIE
LES ÉTAPES INDIVIDUELLES DE MA FOI
1. La Foi au Monde.
2. La foi en l'Esprit.
des fibres sans fil, tressées dans un processus universel. Dans un abî-
me passé tout plonge en arrière. Et vers un abîme futur, en avant, tout
s'élance. Par son histoire, chaque être est coextensif à la Durée entiè-
re ; et son ontogénèse n'est que l'élément infinitésimal d'une Cosmo-
génèse en laquelle s'exprime finalement l'individualité, et comme la
face de l'Univers.
Ainsi le Tout universel, de même que chaque élément, se définit à
mes yeux par un mouvement particulier qui l'anime. Mais quel peut
être ce mouvement ? Où nous entraine-t-il ? Cette fois, pour décider,
je sens s'agiter et se grouper en moi des suggestions ou des évidences
recueillies au cours de nies recherches professionnelles. Et c'est en
historien de la Vie, au moins autant qu'en philosophe, que je réponds,
du fond de mon intelligence et du fond de mon cœur : « Vers l'Es-
prit. »
Évolution spirituelle. Je sais que l'association de ces deux termes
parait encore contradictoire, ou du moins antiscientifique, à un grand
nombre (et peut-être au plus grand nombre) des naturalistes et des
physiciens. Parce que les recherches évolutionnistes aboutissent à rat-
tacher, de degré en degré, les états de conscience supérieure à des an-
técédents en apparence inanimés, nous avons largement cédé à l'illu-
sion matérialiste qui consiste à regarder comme « plus réels » les élé-
ments de l'analyse que les termes de la synthèse. Il a pu sembler, à ce
moment, que la découverte du Temps, en [126] abattant les digues
derrière lesquelles une philosophie statique protégeait la transcendan-
ce des « âmes », dissolvait l'Esprit dans des flots de particules maté-
rielles : plus d'esprit - rien que de la matière. Ma conviction est que
cette plongée en arrière est terminée, et que, dès maintenant, nous re-
montons, portés par le même courant évolutionniste, vers des concep-
tions inverses : plus de matière, rien que l'esprit.
Dans mon cas particulier, la « conversion » s'est opérée sur l'étude
du « fait humain ». - Chose étrange. L'Homme, centre et créateur de
toute science, est le seul objet que notre science n'ait pas encore réussi
à envelopper dans une représentation homogène de l'Univers. Nous
connaissons l'histoire de ses os. Mais, pour son intelligence réfléchie,
il n'y a pas encore de place régulière trouvée dans la Nature. Au mi-
lieu d'un Cosmos où le primat est encore laissé aux mécanismes et au
hasard, la Pensée, ce phénomène formidable qui a révolutionné la Ter-
re et se mesure avec le Monde, fait toujours figure d'inexplicable
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 106
100 Pour accomplir ce geste si simple, mais libérateur, il faut évidemment sur-
monter l'illusion de la Quantité : l'Homme paraît dérisoirement perdu et ac-
cidentel dans les immensités sidérales. Mais n'en est-il pas de même du ra-
dium par qui se sont renouvelées nos perspectives de la matière ? Il faut aus-
si surmonter l'illusion de la fragilité : dernier venu parmi les animaux,
l'Homme ne semble supporté dans le Monde que par une pyramide de cir-
constances exceptionnelles : mais l'histoire de la Terre n'est-elle pas là tout
entière pour nous assurer que rien ne progresse plus infailliblement dans la
Nature que les improbables synthèses de la Vie ? Il faut enfin ne pas se lais-
ser intimider par le reproche d'anthropocentrisme : on déclare enfantin et
vaniteux pour l'Homme de résoudre le Monde par rapport à lui-même. Mais
n'est-ce pas une vérité scientifique que, dans le champ de notre expérience,
il n'y a de pensée que la pensée humaine ? Est-ce de notre faute si nous
coïncidons avec l'axe des choses ? Et peut-il du reste en être autrement,
puisque nous sommes intelligents ? (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 107
101 Ce mot est pris ici dans son sens immédiat et concret (pour désigner le mon-
de des corps), et non avec sa signification savante (philosophique ou mysti-
que) de face anti-spirituelle des êtres. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 108
3. La foi en l'Immortalité.
mais « par en haut ». Rien de plus instable en apparence que les syn-
thèses graduellement opérées par la Vie. Et cependant c'est dans la
direction de ces constructions fragiles que l'Évolution avance pour ne
jamais reculer.
Quand tout le reste, s'étant concentre ou dissipé, aura passé, il res-
tera l'Esprit.
[134]
4. La foi en la Personnalité.
Voici donc que, par degrés, ma foi initiale au Monde s'est muée ir-
résistiblement en une foi à la spiritualité croissante et indestructible du
Monde. En fait, cette perspective est simplement celle à laquelle se
rallient, plus ou moins confusément, la plupart des esprits de type
« moniste » ; il serait difficile, en effet, de sauver autrement « le phé-
nomène humain ». Mais sous quelle forme nous représenter le terme
immortel de l'Évolution universelle ? Ici, les croyances divergent.
Demandez à un « moniste 102 » comment il se figure l'Esprit final de
l’Univers. Neuf fois sur dix, il vous répondra : « Comme une vaste
puissance impersonnelle, dans laquelle iront se noyer nos personnali-
tés. » Or la conviction que je veux essayer de défendre ici, est préci-
sément, à l'inverse, que, s'il y a irréversiblement de la Vie en avant de
nous, ce Vivant doit culminer en un Personnel où nous nous trouvions
nous-mêmes « sur-personnalisés ». Comment justifier cette nouvelle
étape dans l'explication de ma foi ?
Simplement, ici encore, en obéissant aux suggestions du Réel,
harmonisé jusqu'au bout, tout entier.
L'idée, si répandue, que le Tout, même ramené à la forme d'Esprit,
ne saurait être qu'impersonnel, a évidemment son origine dans une
illusion spatiale. Autour de nous, le « personnel » est toujours un
« élément » (une monade) ; et l'Univers, en revanche, se manifeste
surtout à notre expérience par des activités diffuses. De là cette im-
pression tenace que le personnel est un attribut exclusif du « particu-
102 Ce terme est pris évidemment ici comme opposé à « pluraliste », et non à un
sens hégélien. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 113
laire, en tant que tel », - et qu'il doit décroître par conséquent à mesure
que s'opère l'unification totale.
Mais cette impression, au point où j'en suis arrivé dans le [135] dé-
veloppement de ma foi, ne résiste pas à la réflexion. L'Esprit du Mon-
de, tel qu'il m'est apparu naissant, n'est pas un fluide, un éther, une
énergie. Complètement différent de ces vaporeuses matérialités, il est
une prise graduelle de conscience, en laquelle se groupent et s'organi-
sent, dans leur essence, les innombrables acquisitions de la Vie. Esprit
de synthèse et de sublimation, l'ai-je défini plus haut. Suivant quelle
voie d'analogie pouvons-nous donc l'imaginer ? Serait-ce en relâchant
notre centre individuel de réflexion et d'affection ? Nullement. Mais
en resserrant au contraire celui-ci, toujours plus au-delà de lui-même.
L'être « personnalisé », qui nous constitue humains, est l'état le plus
élevé sous lequel il nous soit donné de saisir l'étoffe du Monde. Portée
à sa consommation, cette substance doit posséder encore, à un degré
suprême, notre perfection la plus précieuse. Elle ne peut être dès lors
que « super-consciente », c'est-à-dire « super-personnelle ». Vous
vous cabrez devant l'idée d'un Univers personnel. L'association de ces
deux concepts vous parait monstrueuse. Illusion spatiale, répéterai-je.
Au lieu de regarder le Cosmos du côté de sa sphère extérieure, maté-
rielle, retournez-vous donc vers le point où tous les rayons se joi-
gnent ! Là aussi, ramené à l'Unité, le Tout existe, - et concentré dans
ce point, vous pouvez le saisir tout entier.
Ainsi, en ce qui me concerne, je ne puis concevoir une Évolution
vers l'Esprit qui n'aboutirait pas à une suprême Personnalité. Le Cos-
mos, à force de converger, ne peut se nouer dans Quelque Chose : il
doit, comme déjà partiellement et élémentairement dans le cas de
l'Homme, se terminer sur Quelqu'un. Mais alors se pose la question
subsidiaire : que restera-t-il de chacun de nous dans cette ultime
Conscience que l'Univers prendra de lui-même.
En soi, à vrai dire, le problème d'une survie personnelle m'inquiète
peu. Dès lors que le fruit de ma vie est recueilli dans un Immortel, que
m'importe d'en avoir égoïstement la conscience et la joie ? Très sincè-
rement, ma félicité personnelle [136] ne m'intéresse pas : c'est assez,
pour mon bonheur, que le meilleur de moi-même passe, à jamais, dans
un plus beau et un plus grand que moi.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 114
Vous vous étonnez de cette perspective. Mais c'est alors que, sous
l'une de ses multiples formes, l'illusion matérialiste est encore là qui
vous égare, comme elle a égaré la plupart des panthéismes. Presque
invinciblement, je le rappelais en commençant ce paragraphe, nous
nous imaginons le grand Tout sous la figure d'un Océan immense où
les filets de l'être individuel viennent disparaître. Il est la Mer où le
grain de sel est dissous, le Feu où se volatilise la paille... S'unir à Lui,
c'est donc se perdre. Mais justement cette image est fausse, voudrais-
je pouvoir crier aux Hommes, et contraire à tout ce que j'ai vu m'appa-
raître de plus clair au cours de mon éveil à la foi. Non, le Tout n'est
pas l'immensité détendue, et donc dissolvante, où vous cherchez son
image. Mais il est essentiellement, Lui comme nous, un Centre, doué
des qualités d'un centre. Or quelle est la seule façon dont puisse se
former et se nourrir un centre ? Serait-ce en décomposant les centres
inférieurs qui tombent sous son empire ? - Non point, - mais en les
renforçant à sa propre image 103 . Sa manière à lui, de dissoudre, c'est
d'unifier plus loin encore. Se fondre dans l'Univers [138] pour la mo-
nade humaine, c'est être super-personnalisée. Ici s'arrêtent et culmi-
nent les développements individuels de ma foi, - en un point où, m'ar-
rivât-il de perdre confiance en toute religion révélée, je resterais enco-
re, me semble-t-il, solidement accroché. D'étape en étape, ma croyan-
ce initiale au Monde a pris Figure. Ce qui était d'abord intuition
confuse de l'unité universelle est devenu sentiment raisonné et défini
d'une Présence. Au Monde, maintenant, je sais que je tiens et que je
reviendrai, non pas seulement par les cendres de ma chair, mais par
toutes les puissances développées de ma pensée et de mon cœur. Je
puis l'aimer. Et puisque de la sorte, dans le Cosmos, il se dessine
maintenant pour moi une sphère supérieure du Personnel et des rela-
tions personnelles, je commence à soupçonner que des attractions et
des directions de nature intellectuelle pourraient bien m'envelopper et
me parler.
Une Présence n'est jamais muette.
103 Ce qui revient à dire que la véritable union (c'est-à-dire l'union spirituelle ou
de synthèse) différencie les éléments qu'elle rapproche. Ceci n'est pas un pa-
radoxe, mais la loi de toute expérience. Deux êtres qui s'aiment ont-ils ja-
mais une plus vive conscience de chacun d'eux-mêmes que lorsque, l'un
dans l'autre, ils se sont noyés ? (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 116
DEUXIÈME PARTIE
LA CONFLUENCE DES RELIGIONS
104 Rien de plus inexact, donc, que de regarder la Religion comme un stade
primitif et transitoire traversé par l'Humanité au cours de son enfance. Plus
l'homme sera homme, plus il lui sera nécessaire de pouvoir et de savoir ado-
rer. Le phénomène religieux n'est qu'une des faces de l' « hominisation ». Et,
comme celle-ci, il représente une grandeur cosmique irréversible. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 117
105 En fait, à prendre les prodiges, mêmes évangéliques, tels qu'on les présente
souvent, je me vois forcé à dire que je crois, non point en vertu, mais en dé-
pit des miracles qu'on me propose. Et je suis sûr que telle est la situation
inavouée d'une masse de chrétiens. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 118
106 Malgré le nombre de ses adeptes, et ses progrès constants (dans des couches
peu évoluées, notons-le, de l'Humanité), l'Islam n'est pas considéré ici, parce
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 119
qu'il n'apporte, à mon avis, (au moins sous sa forme originale), aucune solu-
tion particulière au problème moderne de la religion. Il me paraît représenter
un judaïsme résiduel, sans individualité. Et il ne peut se développer qu'en
devenant humanitaire ou chrétien. (N.D.A.)
107 Je prends ici, c'est clair, les religions orientales telles qu'elles sont en droit,
en vertu de leur conception fondamentale de l'Esprit et non telles qu'elles
deviennent en fait dans les néo-bouddhismes, par convergence aux mysti-
ques de type occidental. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 120
3. Le Christ-Universel
et la convergence des Religions.
108 Cette union supérieure s'opère, ajoute-t-on, dans une zone « surnaturelle »
de l'âme. Et, pour avoir ajouté ce qualificatif obscur, le théologien semble se
croire dispensé de chercher comment peuvent se concilier ensemble les exi-
gences du dogme et les possibilités de la Terre. Le problème existe pourtant,
et il est majeur. « Surnaturel » (quel que soit précisément le contenu positif
du terme) ne peut signifier que «suprêmement réel », c'est-à-dire « suprê-
mement conforme » aux conditions de réalité imposées aux êtres par la Na-
ture. Pour pouvoir être le Sauveur et la Vie des âmes dans leurs prolonge-
ments surnaturels, le Christ doit donc premièrement satisfaire certaines
conditions vis-à-vis du Monde pris dans sa réalité expérimentale et naturelle.
(N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 124
110 Plus j'y pense, et moins je vois d'autre critère pour la vérité que d'établir un
maximum croissant de cohérence universelle. Un tel succès a quelque chose
d'objectif, dépassant les effets de tempérament. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 126
[151]
ÉPILOGUE
LES OMBRES DE LA FOI
111 Les horizons, alors noyés dans la brume, devaient s'illuminer :« Depuis qua-
tre mois le soleil de l'Énergie Christique n'a pas cessé de monter verticale-
ment dans mon ciel (intellectuel et mystique) », écrira le Père Teilhard, en
1947, à son ami. M. l'Abbé Gâté. Et les derniers écrits du Père témoignent
du paroxysme de l'illumination : « C'est dans l'éblouissement d'une univer-
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 128
[153]
COMMENT JE CROIS
9
Quelques vues générales
sur l'essence du christianisme
Mai 1939
[155]
2. L'attitude pratiquement
exprimée par cette perspective
est claire, et se montre histori-
quement douée d'une valeur
évolutive mystique privilégiée,
et comme indéfinie.
6. De ceci il résulte que, prises dans leur sens plein, Création, In-
carnation, Rédemption ne sont pas des faits localisables en un point
déterminé du temps et de l'espace, mais de véritables dimensions du
Monde (non pas objets de perception, mais condition de toutes les
perceptions).
Il n'en est pas moins vrai que toutes trois peuvent se traduire par
des faits particuliers expressifs, tels que : l'apparition historique du
type humain (création), la naissance du Christ (incarnation), sa mort
(rédemption). Mais ces faits historiques ne sont que l'expression privi-
légiée de processus ayant des dimensions « cosmiques ».
Dans le même sens je n'ai pas d'objection à admettre que le Mal
inhérent au Monde en vertu de son mode de création puisse être re-
gardé comme étant particulièrement individualisé sur Terre au mo-
ment de l'apparition des « je »humains responsables. Ce serait là, au
sens strict, le péché originel des théologiens 112 . En un autre sens on
pourrait se demander si le vrai péché humain ne serait pas celui de
l'Homme arrivé, plus tard, à une sorte de plénitude de sa conscience et
de sa responsabilité 113 ...
Si, en effet, l'on regarde Dieu, non plus comme un centre ordinaire
de conscience (de type humain), mais comme un Centre de centres ;
et si l'on regarde l'Homme, non plus comme le Centre du Monde, mais
comme un axe (ou une flèche) nous indiquant, par sa direction, le sens
dans lequel progresse le Monde (vers toujours plus de conscience et
de personnalité) : alors on échappe aux faiblesses de l'anthropomor-
phisme et de l'anthropocentrisme, et cependant on garde tout ce dont a
besoin le dogme chrétien. Simplement par un changement enrichissant
de dimensions. *
[161]
COMMENT JE CROIS
10
LE CHRIST ÉVOLUTEUR
8 octobre 1942
[163]
LE CHRIST ÉVOLUTEUR
OU UN DÉVELOPPEMENT LOGIQUE
DE LA NOTION DE RÉDEMPTION 114
Avertissement
I. Une perspective nouvelle en Science : l'Humanisation.
II. Un conflit apparent dans la Pensée chrétienne : Salut et Évolution.
III. Un progrès théologique en vue : la face créatrice de la Rédemption.
Remarque finale.
Appendice : Péché originel et Évolution.
AVERTISSEMENT
114 Réflexions sur la nature de l'« action formelle » du Christ dans le Monde.
Cf. Bonsirven : Rap. (notion historique juive) = constitution de l'ère
messianique (notion apparaissant après l'Egypte). (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 137
cience d'un état de choses auquel ils peuvent sans doute faire face
mieux que moi-même, - mais que, pour diverses raisons, je suis peut-
être à même d'apercevoir plus clairement qu'eux :
Je veux dire la nécessité grandissante où nous nous trouvons au-
jourd'hui de ré-ajuster à un Univers renouvelé les lignes fondamenta-
les de notre Christologie.
115 Jésus l'avait annoncé : « J'ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais
vous ne pouvez pas les porter maintenant. Quand il viendra, lui, l'Esprit de
vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière... » Jn. XXI, 12-13.
(N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 141
Et ici, avant d'aller plus loin, insistons sur une remarque prélimi-
naire.
Dans l'histoire de l'Église, il est évident et admis que les vues
dogmatiques et morales se perfectionnent continuellement, par expli-
citation et intégration de certains éléments qui, d'accessoires qu'ils pa-
raissaient, deviennent graduellement essentiels, ou même prépondé-
rants. - Dans l'analyse [170] de l'acte de Foi, le mécanisme intellectuel
de la conversion, dominé jadis par la notion de miracle, s'explique
principalement aujourd'hui par le jeu de facteurs plus généraux et
moins syllogistiques, tels que la merveilleuse cohérence établie par la
Révélation dans le système total de notre pensée et de notre action. En
matière sexuelle, la théorie du mariage, centrée autrefois sur le devoir
de la propagation, tend maintenant à faire la part de plus en plus large
à une complétion spirituelle, mutuelle, des deux époux. En matière de
justice, l'intérêt des moralistes, plutôt absorbé jusqu'ici par les pro-
blèmes de droit individuel, se porte avec une prédilection croissante
vers les obligations de nature collective et sociale. Dans ces divers
cas, et d'autres encore, la Théologie évolue, non par addition ou sous-
traction à son contenu, mais par accentuation et atténuation relatives
de ses traits, --le processus aboutissant, en fait, chaque fois, à l'
« émergence » d'un concept ou d'une attitude plus hautement synthéti-
ques.
Revenons maintenant à la question particulière qui nous occupe.
Dans le dogme de la Rédemption, la pensée et la piété chrétiennes
ont surtout considéré jusqu'ici (pour des raisons historiques obvies)
l'idée de réparation expiatrice. Le Christ était surtout regardé comme
l'Agneau chargé des péchés du Monde, et le Monde surtout comme
une masse déchue. Mais le tableau comportait aussi, depuis l'origine,
un autre élément (positif, celui-là) de re-construction, ou de re-
création. Des cieux nouveaux, une Terre nouvelle : tels étaient, même
pour un Augustin, le fruit et le prix du sacrifice de la Croix.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 143
REMARQUE FINALE
[174]
APPENDICE
PÉCIIÉ ORIGINEL ET EVOLUTION
117 « Parce que, au niveau de l'Homme, le péché (mal moral) est apparu inévi-
tablement (de nécessité statistique, dans une « population »), il n'en reste pas
moins qu'il est apparu, et que cette apparition peut être regardée comme
ayant « contaminé » le « phylum » humain ; et donc que chaque nouvel hu-
main doit être baptisé »... Lettre du Père Teilhard, 19 juin 1953. Cf. Vues
Ardentes, p. 112. Éd. du Seuil.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 147
118 « Il faut que les scandales arrivent. » Le texte exact de la Vulgate, Mat. 18,
7, est : « Necesse est enim ut veniant scandala. » (N.D.E.)
119 Conditions désormais imposées au Péché originel :
qu'il rende le Christ maximum,
qu'il permette, diffuse, une « activance » maxima. (N.D.A.)
* Pékin, 8 octobre 1942.
Inédit (à l'exception de la partie publiée dans le cahier V de l'Association
des Amis de P. Teilhard de Chardin : Le Christ Évoluteur, Éd. du Seuil,
1966).
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 148
[177]
COMMENT JE CROIS
11
INTRODUCTION
À LA VIE CHRÉTIENNE
29 juin 1944
[179]
INTRODUCTION
AU CHRISTIANISME 120
1. L’ESSENCE DU CHRISTIANISME
A « PERSONALISTIC UNIVERSE »
1. Trinité.
3. Révélation.
4. Miracles.
Je l'ai dit plus haut. Alors que, dans l'apologétique ancienne, le mi-
racle jouait un rôle dominant, parce que c'est lui qui était supposé ser-
vir le sceau divin authentiquant : la parole des apôtres et des prophè-
tes, - de nos jours il tend à perdre quelque chose de sa valeur sur la
pensée humaine, pour deux raisons qui sont les suivantes :
(au moins dans ses racines) avec la loi de Chute toujours possible et
de Peine toujours présente, au sein d'un Monde en état d'Évolution. .
D'autre part, dans l'opération salvatrice du Christ, l'attention chrétien-
ne, sans perdre de vue le côté « expiation », incline à fixer beaucoup
plus qu'avant son regard sur le côté « refonte et construction ».
De ce double chef, je ne crois pas me tromper en affirmant que,
lentement mais sûrement, une transformation spirituelle est en cours,
au terme de laquelle le Christ souffrant, sans cesser d'être « celui qui
porte les péchés du Monde » et justement comme tel, deviendra de
plus en plus pour les croyants, « celui qui porte et supporte le poids du
Monde en évolution ».
Sous nos yeux, dans nos cœurs, j'en suis persuadé, le Christ Ré-
dempteur va s'achevant et s'explicitant dans la figure d'un Christ-
Évoluteur. Et, du même coup, c'est la Croix dont le [192] sens s'élargit
et se dynamise à notre regard : la Croix symbole, non seulement de la
face obscure, régressive, - mais aussi et surtout de la face conquérante
et lumineuse de l'Univers en genèse ; la Croix symbole de Progrès et
de victoire à travers les fautes, les déceptions et l'effort ; la seule
Croix, en vérité, que nous puissions honnêtement, fièrement et pas-
sionnément présenter à l'adoration d'un Monde devenu conscient de ce
qu'il était hier et de ce qui l'attend demain.
6. Enfer.
7. Eucharistie.
8. Catholicisme et Christianisme.
9. La Sainteté chrétienne.
son corps la paix et le silence, de sorte que son âme puisse vaquer li-
brement aux affaires divines. Ce qui importe, à ses yeux, pour être
parfait, c'est surtout de tirer de ce corps tout ce qu'il renferme de puis-
sance spirituelle ; - et non pas seulement de ce corps étroitement limi-
té à ses membres de chair, mais de tout l'immense corps « cosmique »
que forme à chacun de nous la masse ambiante du « Weltstoff » en
évolution.
Dans nos perspectives actuelles, où tout devient sacré parce que
spiritualisable, le « Quittez tout et suivez-moi » de l'Évangile n'abou-
tit, en fin de compte, qu'à nous rejeter sur « tout » sous un angle plus
haut, dans la mesure où ce « tout » (nous le voyons maintenant) nous
permet de saisir et de prolonger le Christ dans l'universalité de son
Incarnation. - Non plus surtout la mortification, - mais la perfection de
l'effort humain grâce à la mortification.
Le Saint, le Saint chrétien, tel que nous le comprenons et l'atten-
dons maintenant, ce n'est pas l'homme qui réussira à s'évader le mieux
de la Matière, ou à la mater le plus complètement ; mais c'est celui
qui, cherchant à la pousser au-dessus d'elle-même et faisant concourir
à la consommation christique [199] l'intégrité de ses puissances d'or,
d'amour et de liberté, réalisera devant nos yeux l'idéal du bon serviteur
de l'Évolution 125 .
125 La voie mystique suivie par le Père Teilhard - la « Via Tertia » comme il la
nommait - ayant donné lieu à des interprétations erronées, il convient de
souligner la différence que le Père établit, jusqu'en fin de vie, entre mater
complètement la matière et la pousser au-dessus d'elle-même. C'est dans
cette « sublimation », éliminant l'appropriation, que le religieux a suivi indé-
fectiblement la ligne qu'il avait adoptée en prononçant ses vœux : « Sancti-
fier dans la chasteté, la pauvreté et l'obéissance, la puissance incluse dans
l'Amour, dans l'or et dans l'indépendance. » (Le Prêtre, p. 44, Éd. du Seuil.)
(N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 167
CONCLUSION
CHRISTIANISME ET PANTHEISME
[201]
COMMENT JE CROIS
12
CHRISTIANISME
ET ÉVOLUTION
SUGGESTIONS POUR SERVIR
À UNE THÉOLOGIE NOUVELLE
11 novembre 1945
[203]
AVERTISSEMENT
Au cours des vingt dernières années, j'ai exposé, dans une longue
série d'essais, les vues qui se faisaient graduellement jour dans mon
esprit sur l'émersion, dans la pensée humaine moderne, d'un Évolu-
tionnisme chrétien. Malheureusement ou heureusement, beaucoup de
ces travaux n'ont pas été publiés. De plus chacun d'entre eux n'offrait,
le plus souvent, sur le sujet, que des aperçus provisoires ou partiels.
Aujourd'hui que mes idées ont mûri - et dans la mesure où elles peu-
vent apporter une aide utile à l'effort chrétien - il me parait intéressant
de les présenter enfin dans leur ensemble et leur essence, c'est-à-dire
réduites au cadre d'un petit nombre de propositions fondamentales,
organiquement liées. Sous cette forme schématique et maniable, ce
qu'il peut y avoir de fécond, ou au contraire de criticable, dans ma
pensée apparaitra plus clairement. Ce qui est vivant trouvera sa chan-
ce de survivre et de grandir. Et dès lors ma tâche sera accomplie.
Comme le titre de ce mémoire l'indique, je n'écris ces lignes que
pour apporter au travail commun de la conscience chrétienne une
contribution individuelle, exprimant les exigences que prend, dans
mon cas particulier, la « fides quaerens intellectum. 127 ». Sugges-
tions, et non affirmation [204] ou enseignement. Intimement convain-
cu, pour des raisons tenant à la structure même de mes perspectives,
que la pensée religieuse ne se développe que traditionnellement, col-
lectivement, « phylétiquement », je n'ai d'autre désir et espoir, dans
ces pages, que de sentire, - ou, plus exactement, de praesentire, cum
Ecclesia 128 .
tion ?... je le crois. Mais alors il est clair que, pour que la synthèse se
fasse, le Christianisme doit, sans modifier la position de son sommet,
ouvrir ses axes jusqu'à embrasser, dans sa totalité, la nouvelle pulsa-
tion d'énergie religieuse qui monte d'en bas pour être sublimée.
Comment, dans le double domaine de la Théologie et de la Mysti-
que, cet élargissement (sans déformation) est-il concevable des direc-
trices chrétiennes aux dimensions d'un Univers prodigieusement
agrandi et solidarisé par la pensée scientifique moderne, voilà ce qui
me reste à examiner.
[207]
130 De ce point de vue, on pourrait dire que, pour notre raison discursive, tout se
passe comme s'il y avait deux phases dans la « théogénèse ». Au cours de la
première phase, Dieu se pose dans sa structure trinitaire (l'Être fontal se ré-
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 175
[209]
[217]
COMMENT JE CROIS
13
RÉFLEXIONS
SUR LE PÉCHÉ ORIGINEL *
Novembre 1947
[219]
I. INTRODUCTION
136 La Mort de l'Homme, éminemment, sans doute ; mais toute mort, par suite :
puisque, par raison implacable d'homogénéité physique, l'Homme n'eût pu
échapper seul à la décomposition organique au sein d'un système d'animaux
essentiellement mortels. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 186
137 Saint Paul lui-même dans l'épître aux Romains (IX, 5) désigne Adam com-
me essentiellement relatif au Christ. Ce point de vue doit présider à toute
élaboration théologique sur la nature du péché originel. (N.D.E.)
138 .« En qui tout subsiste. » Co., 1, 18 (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 187
[225]
conduit à imaginer le processus suivant pour la Chute et ses dévelop-
pements :
139 Si le travail n'a déjà été fait, il serait intéressant d'en rechercher les traces
dans les Pères grecs, - comme par exemple dans cette homélie où saint Gré-
goire de Naziance (ou de Nysse ?) explique l'expulsion de l'Éden comme la
chute dans une forme a plus épaisse » de vie. Je crois savoir que les mêmes
vues ont été reprises et enseignées à Louvain, il y a quelques années.
(N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 188
jours attiré, comme plus élégant, plus rationnel, plus cohérent, - et sur-
tout comme plus digne à la fois du Monde et de Dieu.
144 D'une façon générale, ceci revient à dire que le Problème du Mal, insoluble
dans le cas d'un Univers statique (c'est-à-dire d'un « Cosmos »), ne se pose
plus dans le cas d'un Univers (multiple) évolutif (c'est-à-dire d'une Cosmo-
génèse). Il est étrange qu'une vérité aussi simple soit encore si peu aperçue
et proclamée!... (N.D.A.)
145 Comme plus particulièrement nocives, parmi ces fautes, peuvent être regar-
dées : a) les premières fautes commises sur Terre (commises avec conscien-
ce minima, mais avec action maxima sur un psychisme naissant) ; b)
peut-être (s'il y a, en matière de liberté, réaction de l'avenir sur le passé) cer-
taines dernières révoltes de l'Humanité parvenue à maturité (conscience et
responsabilité maxima) ; et enfin, c) pour chaque individu, les fautes com-
mises dans son groupement social et sur sa lignée particulière. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 192
146 Puisque le Péché Originel devient alors un effet combiné d'Atomicité (dé-
sordre statistique) et d'Organicité (contamination générale de la masse hu-
maine. (N.D.A.)
147 Dans sa partie théologique, l'explication ici présentée a été défendue à Lyon
par le Père Rondet. (N.D.A.)
148 Quant à la relation « complétive » qui relie l'Être premier à l'être participé,
Cf. Pierre de Bérulle, texte ci-après, p. 269. (N.D.E.)
* Inédit. Paris, 15 novembre 1947.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 193
[231]
COMMENT JE CROIS
14
LE PHÉNOMÈNE CHRÉTIEN
10 mai 1950
[233]
149 La grande Peur (si menaçante pour notre équilibre nerveux) qui pèse sur le
monde en ce moment n'est-elle pas cosmique, bien plus que politique ; c'est-
à-dire due à l'obscurcissement d'un ciel dédivinisé, beaucoup plus qu'à la
montée d'aucun nuage atomique ?... (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 195
I. CHRISTIANISME ET MONOTHÉISME
150 Et (quoi qu'en dise l'école du Père W. Schmidt) en dehors de tout recours à
une « révélation » divine. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 196
que nous trouvons encore fixées, d'après certains observateurs, les po-
pulations les moins socialement évoluées de la Terre ?
Tout ceci est bien probablement vrai. Mais tout ceci n'empêche pas
(loin de là !) que, pareille en cela à toute autre intuition ou aspiration
psychique profonde, la notion d'un seul grand et suprême Maître du
Monde ait pu (ou même dû), au cours d'une longue maturation, passer
d'une certaine simplicité initiale de confusion et d'indétermination
(« prémonothéisme ») à une toujours plus haute simplicité d'élabora-
tion et de clarté (« eu-monothéisme », ou monothéisme évolué), dont
les termes les plus élevés sont encore bien loin en avant de nous.
Comme d'habitude en matière de « spéciation » ou de phylogénèse,
les premiers stades de ce développement religieux échappent à notre
vision distincte, aussi bien dans leurs modalités mystiques que dans
leur répartition ethnique et géographique. Par contre, un point bien
assuré, c'est que (il y a de cela trois ou quatre mille ans) ce qui devait
devenir le tronc [236] puissant du Monothéisme moderne émerge dis-
tinctement dans les régions étonnamment progressives qui s'étendent
du Nil à l'Euphrate ; à la chaleur dégagée par l'Égypte, l'Iran et la Grè-
ce, la tige judéo-chrétienne.
Le long de cet axe privilégié (une fois son individualisation ache-
vée), deux transformations majeures, plus ou moins simultanées, se
lisent facilement au cours des récits bibliques : l'une d'universalisa-
tion, l'autre d'« amorisation ». À ses premières origines enregistrables,
le Iaveh hébreu n'est encore que le principal et le plus puissant des
« dieux » ; et ce n'est que sur un seul peuple choisi que son pouvoir se
concentre, avec une prédilection toujours inquiétante par certains cô-
tés. En fait, il ne faut rien moins qu'un travail de plusieurs siècles
(c'est-à-dire il faut attendre la révolution chrétienne) pour que les po-
tentialités cosmiques du Démiurge de la Genèse s'explicitent et s'hu-
manisent enfin dans l'adoration d'un Dieu, non seulement maître re-
doutable, mais Père aimant et aimable de tous les hommes sans excep-
tion.
Et même alors tant s'en faut, contrairement à une opinion trop
commune, que le processus se soit trouvé achevé !
Car enfin, en toute et profonde vénération pour les paroles humai-
nes de Jésus, est-il possible de ne pas observer que la Foi judéo-
chrétienne continue à s'exprimer (et par force !) dans les textes évan-
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 197
[238]
[245]
COMMENT JE CROIS
15
MONOGÉNISME
ET MONOPHYLÉTISME
Une distinction essentielle à faire.
Fin 1950
[247]
Principe 1.
Principe 2.
Ce qui revient à dire que, lorsqu'un savant (en tant que savant) re-
connaît l'unité de l'espèce humaine, ce n'est pas du tout l'existence
d'un couple unique originel qu'il entend affirmer, mais simplement le
fait que l'Homme représente, zoologiquement, une tige unique : quel-
les que soient du reste l'épaisseur (numérique) et la complexité (mor-
phologique) de cette tige à ses débuts.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 205
- Ou bien (ce qui semble en plein accord avec les derniers progrès
de l'exégèse) les théologiens s'apercevront, d'une manière ou de l'au-
tre, que, dans un Univers aussi organiquement structuré que celui-ci
* Inédit. Paris,1950.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 207
[251]
COMMENT JE CROIS
16
Ce que le monde attend en ce moment
de l'Église de Dieu :
UNE GÉNÉRALISATION
ET UN APPROFONDISSEMENT
DU SENS DE LA CROIX
14 septembre 1952
[253]
I. INTRODUCTION
POURQUOI CES PAGES SONT ÉCRITES
Tout ceci, heureusement et bien sûr, pris dans le feu d'un amour
puissant pour le Dieu crucifié. Mais dans le feu d'un amour de type
presque exclusivement « ascensionnel », dont l'acte le plus opérant et
le plus significatif est toujours présenté sous les traits d'une épuration
douloureuse et d'un détachement souffrant.
Or voilà justement ce qui, pour les néo-humanistes que nous som-
mes maintenant, devient rapidement irrespirable, et doit être changé.
Pour régner sur une Terre éveillée soudain à la conscience d'un
mouvement biologique qui l'entraîne vers l'avant, la Croix (sous peine
d'être incompossible avec la nature humaine qu'elle prétend sauver)
doit à tout prix, et au plus tôt, se manifester à nous comme un Signe,
non seulement d'évasion 155 (« escape »), mais de progression.
155 L'évasion que dénonce ici Teilhard est celle qui, au nom de la valeur « ré-
demptrice » de la douleur, dispenserait de lutter jusqu'au bout de ses forces
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 213
Elle doit briller à nos yeux, non plus seulement comme purificatri-
ce, - mais comme motrice.
Mais une telle transformation est-elle possible, - sans déforma-
tion ?
Oui, répondrai-je « emphatiquement », -elle est possible, et même
exigée, si l'on va au fond des choses, pax ce qu'il y a de plus tradition-
nel dans l'esprit chrétien.
Et voici comment.
[259]
Oublions, un instant, tout, ce que je viens de rappeler sur le sens
« classique » et sub-pessimiste de la Croix. Et, laissant de côté pour
un moment la Croix elle-même, tournons notre regard vers le deuxiè-
me terme du conflit religieux moderne, c'est-à-dire vers la fameuse
« Évolution ».
Prise dans ses traits les plus essentiels, cette puissante réalité s'im-
pose à notre expérience avec les caractères suivants :
CONCLUSION
[263]
COMMENT JE CROIS
17
CONTINGENCE DE L'UNIVERS
ET GOÛT HUMAIN DE SURVIVRE
OU COMMENT REPENSER, EN CONFORMITÉ
AVEC LES LOIS DE L'ÉNERGÉTIQUE,
LA NOTION CHRÉTIENNE DE CRÉATION ?
[265]
I. OBSERVATION PRÉLIMINAIRE :
FOI RELIGIEUSE ET ÉNERGIE D'ÉVOLUTION
envie. Sans la passion des cimes au cœur d'un Jean Herzog, pas d'as-
cension de l'Anapurna.
En régime de self-évolution, l'énergie mise enjeu n'est plus seule-
ment physique ; mais elle apparaît comme une grandeur complexe où
deux termes hétérogènes se conjuguent inséparablement :
qui est la source fontale de la Déité (...) produit en soi-même deux Person-
nes divines. Et le Fils (...) termine sa Fécondité en la production d'une seule
Personne divine. Et cette troisième Personne, ne produisant rien d'éternel et
incréé, produit le Verbe incarné. Et ceVerbe incarné (...) produit l'ordre de la
grâce et de la gloire qui se termine (...) à nous faire dieux par participation. »
(Les Grandeurs de Jésus, p. 272, Ed. Siffre, 1895.) Le Plérôme, c'est-à-dire
l'Homme-Dieu et unecréation, non seulement assimilée par lui, mais partici-
pante de sa divinité et de la Vie trinitaire dans l'humanité qui la couronne :
telle est la fécondité du Saint-Esprit et la raison d'être essentielle de l'Uni-
vers constituant sa souveraine dignité. (N.D.E.)
161 Sur « le sens de la Croix » (septembre 1952). (N.D.A.)
162 Ce point de vue est traditionnel . la rédemption ne répare pas seulement la
faute : elle fait surabonder la grâce ; elle manifeste et crée un surcroît
d'amour. (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 222
163 L'« Être existant par lui-même » et l' « Être existant par un autre ».
164 Et par analogie avec ce qui se passe en Physique où, nous le savons mainte-
nant, l'accélération crée la masse c'est-à-dire que le mobile ne vient qu'après
le mouvement. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 223
[273]
COMMENT JE CROIS
18
Une suite au problème
des origines humaines
LA MULTIPLICITÉ
DES MONDES HABITÉS.
5 juin 1953
[275]
168 Je dis bien « monogénisme » (un seul couple originel), et non « monophylé-
tisme » (un seul phylum, à section originelle de surface indéterminée).
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 226
174 La rougeur monte au front (à moins qu'il ne s'agisse, en l'affaire, d'une facé-
tie) quand on lit (Time, 15 septembre 1952) l'avis donné par un professeur
de théologie (le R.P. Francis J. Connell, Doyen de Théologie) d'avoir à se
méfier des pilotes des « soucoupes volantes », lesquels se révéleraient in-
tuables, au cas où ils débarqueraient d'une planète non affectée par le Péché
Originel. (N.D.A.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 230
175 Sur ce sujet. Cf. par exemple, « La Réflexion de l'Énergie », Revue des
Questions Scientifiques, 20 octobre 1952, (N.D.A.) - T. VII des œuvres,
p.09, ( Ed. du Seuil). (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 231
mystères de Jésus couvrent, dans leur extension et leur perfection, tout le dé-
roulement du monde rigoureusement un. (N.D.E.)
179 Une nature cosmique lui permettant de centrer toutes les vies constitutives
d'un Plérôme étendu aux galaxies. (N.D.E.)
* Inédit. New York, 5 juin 1953.
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 233
[283]
COMMENT JE CROIS
19
LE DIEU DE L'ÉVOLUTION
25 octobre 1953
[285]
Dans une suite de brefs rapports 180 , j'ai tenté, ces dernières an-
nées, de circonscrire et de définir la raison exacte pour laquelle le
Christianisme, malgré un certain renouveau de son emprise sur les
milieux conservateurs (ou un-developed) du monde, est décidément
en train de perdre sous nos yeux son prestige et son attrait sur la frac-
tion la plus influente et la plus progressive de l'Humanité. Non seule-
ment pour les Gentils ou les simples fidèles, mais jusqu'au coeur des
ordres religieux, le Christianisme abrite encore partiellement, mais
déjà il ne couvre, ni ne satisfait, ni ne mène plus l’ « âme moderne ».
Quelque chose ne va plus, - et donc quelque chose est attendu à brève
échéance sur la planète, en matière de foi et de religion. - Mais quoi
précisément ?...
C'est à cette question, partout posée, que je vais essayer une fois de
plus de répondre, en établissant, au moyen d'un petit nombre de pro-
positions enchaînées, la réalité d'un phénomène dont l'évidence me
hante depuis bientôt cinquante ans : je veux dire la montée irrésistible
(et pourtant encore méconnue) sur notre horizon de ce qu'on pourrait
appeler un Dieu (le Dieu) de l'Évolution.
[286]
I. L'ÉVÉNEMENT « ÉVOLUTION »
III. L’AVÈNEMENT
ET L'ÉVÉNEMENT CHRISTIQUES
[291]
enfin 188 par le travail des siècles, deux mille ans après la Confession
de Pierre, comme le sommet ultime (c'est-à-dire comme le seul Dieu
possible) d'une Évolution reconnue décidément comme un mouve-
ment de type convergent.
188 Ceci par extension directe de ses attributs théandriques, et sans qu'éclate
pour cela sa réalité historique. (N.D.A.)
* Sous l'Équateur, 25 octobre (Christ-Roi) 1953.
Publié dans le Cahier VI de la Fondation Teilhard de Chardin (Éd. du Seuil,
1968.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 241
[293]
COMMENT JE CROIS
20
MES LITANIES
Le Christique, le Trans-Christ
Coeur du Monde
Jésus Essence
de l'Évolution
Moteur
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 242
au recto : Sacré-Coeur
189 J'irai vers l'autel de Dieu. Verset dit par le célébrant en montant à l'autel au
début de la messe. (N.D.E.)
190 L'irradiation d'or. La « Frange d'or », écrit parfois le Père. (N.D.E.)
191 Mot anglais : le coeur, l'essence de. (N.D.E.)
192 Probablement : l'Universel Jésus. (N.D.E.)
Pierre Teilhard de Chardin, Comment je crois. (1969) 243
du Vortex cosmique
Axe
et issue (acmé 193 )
Fin du texte