Anne Catherine Emmerich - La Vie de Jésus Christ - Tome 1

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 347

ANNE-CATHERINE

EMMERICH

VIE DE NOTRE
SEIGNEUR
JÉSUS-CHRIST
TOME I
AVANT PROPOS
DU TRADUCTEUR

La Vie de Notre Seigneur Jésus Christ d’après les visions d’Anne-


Catherine Emmerich, qu’offre ici aux lecteurs français le traducteur
de la Douloureuse Passion et de la Vie de la Sainte Vierge, est le
complément longtemps attendu de ces deux ouvrages, publié l’année
dernière en Allemagne par le dépositaire des manuscrits de Clément
Brentano, lequel est, autant que nous pouvons le savoir, un religieux
de la congrégation du très saint Rédempteur, fondée par saint
Alphonse de Liguori.
Ce complément est considérable, car il embrasse toute la vie
publique du Sauveur, à partir de la prédication de saint Jean
Baptiste. D’après l’étendue des deux premières parties, les seules
publiées jusqu’à présent et qui forment, suivant toute apparence,
plus des deux tiers de l’ouvrage entier, on peut présumer que le tout
n’aura pas moins de cinq ou six volumes.
Les considérations que le traducteur {1} a mises en tête de la
Douloureuse Passion et de la Vie de la sainte Vierge s’appliquent
également au présent ouvrage. Il se bornerait à y renvoyer les
lecteurs, si les questions qui se rattachent à l’appréciation d’une
œuvre de cette nature ne se trouvaient traitées avec des
développements bien plus considérables dans la longue et savante
introduction dont l’éditeur allemand a fait précéder la Vie de Notre
Seigneur Jésus Christ.
Il ne peut que s’en référer à ce travail remarquable, où sont
exposées aussi clairement et aussi complètement que possible les
règles adoptées dans l’Eglise catholique, en ce qui touche les visions
et les révélations privées, et où l’application de ces règles aux écrits
dictés par Anne-Catherine Emmerich amène une foule
d’éclaircissements du plus haut intérêt sur la vie de la pieuse
extatique et sur ses rapports avec l’homme éminent qui s’était fait
son secrétaire.
Quant au livre lui-même, il suffit de dire qu’il a la même origine
que la Douloureuse Passion et la Vie de la Sainte Vierge, qu’il en est
le complément et le lien, qu’il a le même caractère, les mêmes
mérites, qu’il est destiné à produire la même impression. Sans doute,
comme ses devanciers, il soulèvera plus d’une objection {2}, il
donnera lieu à plus d’une critique ; mais, comme eux aussi, il
touchera, il édifiera les âmes simples et pieuses ; il fournira un
nouvel aliment à leur dévotion, et leur fera aimer davantage
l’adorable personne de Celui qui a habité parmi nous, plein de grâce
et de vérité (Jean. 1, 14). Telle est du moins l’espérance que nous
avons conçue, et sans laquelle nous n’eussions jamais songé à
entreprendre ce long et pénible travail.
PRÉFACE

Lorsque Clément Brentano, il y a plus de vingt ans, publia les


visions d’Anne-Catherine Emmerich sur la Douloureuse Passion de
N.S. Jésus Christ, il les appela « des méditations » pour lesquelles il
ne demandait qu’une chose, c’est qu’on y vit tout au plus « les
méditations de Carême d’une dévote religieuse », peut-être aussi
incomplètement saisies et reproduites qu’inhabilement rédigées.
Toutefois la grande masse de lecteurs que ces « méditations » ont
immédiatement trouvée, les a involontairement prises pour ce
qu’elles sont en réalité, c’est à dire pour des visions ou des
communications dérivées et d’un don d’intuition surnaturelle, et non
pour le produit de l’intelligence humaine travaillant dans sa propre
sphère.
On crut pouvoir trouver une garantie pour la justesse de cette
appréciation dans la courte biographie d’Anne-Catherine Emmerich
que Brentano avait fait imprimer comme étant ce qui pouvait le
mieux les recommander. Il y décrivait en effet d’une manière si
simple et si persuasive les directions merveilleuses, les grâces
accordées à Anne-Catherine et ses souffrances extraordinaires, que
raisonnablement il ne restait au lecteur d’autre alternative que de
rejeter la biographie comme une œuvre d’imagination et par là même
les visions comme une illusion et une imposture, ou de reconnaître
dans l’une comme dans les autres tous les caractères de
l’authenticité.
Malgré tout ce qu’il y avait là d’extraordinaire, personne ne s’est
arrêté sérieusement au premier parti car la bénédiction attachée aux
visions est trop grande et trop évidente pour qu’on puisse en
chercher l’origine dans le mensonge. Qui les a jamais prises en main
sans en retirer les consolations les plus multipliées et une nouvelle
ardeur pour la piété ? Qui s’est laissé aller à l’impression puissante
de leur vérité naïve sans se sentir pénétré d’un amour plus ardent
pour le très Saint Sacrement, pour Marie et pour l’Eglise.
Ce fait doublement consolant dans un temps comme le nôtre, et le
désir ardent ressenti par tant de personnes de posséder aussi
complètes que possible les visions d’Anne-Catherine sont cause
qu’on a entrepris de publier toutes les visions qui se rapportent à la
vie de Jésus.
L’éditeur se rend parfaitement compte de la grande responsabilité
que lui impose son travail dans une matière aussi grave et aussi
féconde en conséquences : aussi n’a-t-il rien négligé de ce qu’on a le
droit d’exiger de quiconque se charge d’une semblable entreprise.
Non seulement il a pris la connaissance la plus exacte de toutes les
notes que Clément Brentano a écrites jour par jour avec une
conscience scrupuleuse pendant un séjour d’environ six ans auprès
d’Anne-Catherine, mais il a soumis tout ce qu’il y a pris pour la
présente publication à l’examen rigoureux de théologiens
compétents.
En outre, il mettra le lecteur lui-même en mesure de se former
avec assurance un jugement précis et éclairé sur tout ce dont il s’agit.
C’est pourquoi dans l’introduction on donne des éclaircissements sur
le don d’intuition d’Anne-Catherine et en particulier sur le caractère
et l’objet de ses visions : en outre, on y rend compte aussi exactement
que possible de la manière dont Anne-Catherine a communiqué ses
visions à Clément Brentano et dont celui-ci les a reproduites. On
commence par établir avant tout les principes suivant lesquels on
doit juger les visions ou les soi disant révélations, tels qu’ils sont
admis dans l’Eglise. Ils ont servi de règle à l’éditeur pour se diriger :
c’est pourquoi il prie le lecteur de les prendre aussi pour guides dans
l’appréciation de son travail.

Fête du Saint Nom de Marie, 1857.


L’Éditeur.
I

Anne-Catherine Emmerich fut, pendant l’espace de trois ans,


favorisée de visions journalières, se succédant sans interruption dans
un enchaînement historique, sur la carrière de prédication de Jésus
Christ. Elles prirent commencement dans les derniers jours du mois
de juillet 1890 ; en outre dans les années précédentes, Anne-
Catherine avait aussi vu les mystères de la vie de Jésus, non dans des
tableaux journaliers formant une série continue, mais avec des
interruptions et suivant l’ordre des dimanches et des fêtes de l’année
ecclésiastique.
Le jeudi 19 juillet 1820, le pèlerin {3} se désole encore de ce qu’il
ne lui est pas possible de se reconnaître dans les visions sur les
évangiles des dimanches parce qu’Anne-Catherine les oublie en
partie, ne les raconte pas d’une manière assez circonstanciée et
n’indique point les noms des lieux, et parce qu’il ne peut pas savoir à
quelle année de la vie du Christ les visions correspondent ni dans
quel ordre les évangiles qu’on lit à l’église sont disposés les uns par
rapport aux autres.
Ainsi Anne-Catherine, le dimanche précédent sixième après la
Pentecôte, avait eu une vision sur l’évangile de la multiplication des
pains pour la nourriture des quatre mille hommes : les jours suivants
elle avait encore communiqué quelques fragments de ses visions
relatives à cet événement, qu’elle croyait en connexion historique
avec l’évangile du dimanche. Cependant le pèlerin ne pouvait pas
bien se reconnaître dans cette communication incomplète et il
écrivait dans son journal cette remarque : « il est affligeant que le
pèlerin n’ait aucun secours qui l’aide à trouver ici quelque chose de
suivi. »
Or le secours qu’il désirait devait lui être donné quelques jours
plus tard d’une façon merveilleuse et qu’il n’aurait jamais
soupçonnée : car, le 30 juillet 1820, Anne-Catherine commença, ce
qui semblait au pèlerin tout à fait inattendu et même tout à fait inouï,
à voir jour par jour les années de prédication de Jésus dans des
visions où tout était parfaitement lié, et cela sans interruption
jusqu’à la fin de mai 1821.
Ces visions successives commencèrent par l’enseignement de
Jésus sur le divorce et la bénédiction donnée aux enfants à Bethabara
au delà du Jourdain, conformément à ce qui est rapporté dans saint
Matthieu (XIX, 1), et elles comprirent le dernier voyage du Sauveur à
Jérusalem pour la fête de Pâques, la Passion, la Résurrection,
l’Ascension, la Pentecôte et quelques semaines des Actes des apôtres,
conséquemment les huit ou neuf derniers mois de la prédication de
Jésus.
Le pèlerin fait précéder ses reproductions des visions de cette
époque de la remarque suivante : « Celui qui écrivait n’était orienté
ni quant à la direction des Voyages du Seigneur, ni quant à la
topographie de la Palestine : la voyante de son côté était souvent très
malade et au milieu de ses souffrances sans mesure elle ne racontait
qu’avec peine et quelquefois en intervertissant l’ordre : souvent aussi
elle oubliait quelques jours. En outre son attention n’était dirigée ni
sur les noms de lieux, ni sur les distances, ce qui fait que dans cette
période les noms des lieux ne sont souvent désignés que d’une
manière vague et générale d’après les contrées auxquelles ils
appartiennent. »
Toutefois les visions ne cessèrent pas à la fin de mai, mais elles
passèrent à cette période de la vie de Jésus qui commence à la mort
de saint Joseph et à la prédication publique de Jean Baptiste. Ainsi
pendant quatre mois, savoir, depuis le 2 juin jusqu’au 28 septembre
1821, Anne-Catherine vit jour par jour tous les voyages et tous les
actes de Jésus aussi bien que ceux de son saint précurseur ; elle
entendit toutes ses paroles et le pèlerin mit par écrit avec la plus
scrupuleuse exactitude tout ce qu’elle fut en état de lui raconter de
ces visions. Le 28 septembre, elle vit le baptême de Jésus dans le
Jourdain, et à partir de là elle suivit le Sauveur dans des visions qui
se succédèrent chaque jour pendant vingt et un mois et demi, c’est à
dire jusqu’au 17 juillet 1823, sur tous les chemins où le conduisit sa
sainte carrière de prédication, en sorte qu’il y eut très peu de lacunes,
et que la fin des visions de l’année 1823 s’était exactement rejointe au
commencement de ces mêmes visions en juillet 1820.
De même que les visions, les communications au pèlerin se
succédaient journellement : seulement une fois, du 27 avril au
17 juillet 1823, Anne-Catherine épuisée et presque mourante se
trouva tout à fait hors d’état de proférer une seule parole, mais même
pendant ce temps les visions ne furent pas interrompues. Elle les eut
pour la seconde fois du 21 octobre 1823 au 8 janvier 1824, et les
communiqua de nouveau au pèlerin.
À dater de ce moment toute communication cessa, car la mort
s’approchait avec d’horribles souffrances, et elle mourut en effet le
19 février 1824, après un silence continuel de quatre semaines. Une
seule fois pendant ce temps, sans que rien d’extérieur eut provoquée,
et comme si elle eût fait intérieurement la revue de ses visions
passées, elle demanda, à la grande surprise de l’écrivain : « Quel jour
sommes nous, le 14 janvier ! » lui fut-il dit. « Ah ! répondit elle, je ne
suis plus capable de rien : encore quelques jours et j’aurais fini de
raconter entièrement la vie de Jésus. »
II

Avant d’entrer dans des éclaircissements sur le don d’intuition et


de traiter plus à fond de ce qu’embrassent les visions d’Anne-
Catherine, il est à propos de parler des principes qui, selon
Benoit XIV {4}, servent à reconnaître la vérité ou la fausseté de
prétendues visions ou révélations et à établir le degré de valeur et
d’autorité qu’on peut accorder à celles que le jugement de l’Eglise a
déclarées véritables et authentiques.
En exposant ces principes, l’éditeur n’a d’autre dessein que de
faire connaître les règles qui l’ont dirigé dans tout le cours de son
travail. Il ne prétend nullement donner un jugement définitif sur la
valeur des visions d’Anne-Catherine ; c’est chose réservée à une plus
haute autorité : mais il prie le lecteur de juger, lui aussi, d’après les
règles indiquées : c’est le plus sûr moyen d’éviter l’exagération qui
s’enthousiasme à faux et la prévention qui rabaisse injustement,
double tendance à laquelle on est également exposé sur ce terrain.
Benoit XIV traite dans trois chapitres du discernement des visions
et des révélations : il donne d’abord les règles générales pour
reconnaître si elles sont authentiques ou non ; puis il expose plus en
détail les principes qu’on applique dans les procès de béatification ou
de canonisation, lorsqu’il est question des visions ou des révélations
d’un serviteur de Dieu.
Comme première règle, « règle d’or », Benoit cite les paroles de
Gerson : « Quand l’humilité précède, accompagne et suit, quand rien
ne se mêle qui puisse la compromettre, c’est un signe que les visions
viennent de Dieu ou d’un de ses bons anges : car (ceci sont les termes
de P. Tanner) la tromperie, même d’une femme, ne peut rester
longtemps cachée. Lorsque tout n’est pas fondé sur l’humilité la plus
profonde, l’édifice s’écroule bientôt honteusement : mais là où se
trouve la pure simplicité particulièrement nécessaire à ceux qui
veulent s’unir à Dieu par un amour chaste, pur et irrépréhensible, il
ne peut y avoir ni illusion personnelle, ni tromperie provenant
d’autrui. »
Il y a aussi une grande garantie de l’authenticité des visions dans
l’utilité qu’on voit d’autres personnes en retirer : car il n’est pas
possible qu’un mauvais arbre porte de bons fruits. S’il arrive donc
que certaines visions aient pour résultat chez ceux auxquels elles
sont communiquées plus de lumières spirituelles, l’amendement de
la vie ou un élan plus marqué vers la piété et la dévotion, s’il en est
ainsi non seulement pour quelques individus, mais pour un grand
nombre de personnes, et cela pendant un long espace de temps, on
doit voir là un témoignage assuré que ces visions sont l’œuvre du
Saint Esprit : car des visions fausses et mensongères ou provenant
du démon ne peuvent manquer de porter atteinte à la foi catholique
et aux bonnes mœurs.
On doit juger qu’il y a illusion lorsque dans une soi-disant
révélation une chose mauvaise en soi, ou même bonne en soi, est
conseillée dans l’intention d’empêcher par là quelque chose de
meilleur, ou bien encore quand il s’y rencontre des faussetés ou des
contradictions manifestes et des choses qui ne sont propres qu’à
satisfaire une vaine curiosité.
En ce qui touche l’application des règles en question à la pieuse
Anne-Catherine Emmerich, il pourrait suffire de signaler l’esprit qui
domine dans ses visions sur la Douloureuse Passion, esprit qui
produit encore aujourd’hui si abondamment ces fruits qui sont
donnés par le pape Benoit XIV comme les signes de la bonté d’un
arbre : mais l’éditeur attache encore plus d’importance à l’ensemble
des visions publiées dans le présent ouvrage.
Celles-ci en effet montrent au lecteur attentif la vie du Sauveur sur
la terre, toute sa manière d’agir et celle de sa sainte Mère avec tant de
simplicité, de clarté, de vérité intime, qu’après l’Ecriture sainte, on
aurait peine à citer un livre qui mette dans un jour aussi frappant,
même pour l’œil le plus faible, le sens de ces paroles que le Sauveur
adresse à tous sans exception : « Apprenez de moi que, je Suis doux
et humble de cœur. »
N’y a-t-il pas une immense consolation, une satisfaction qui
persiste au milieu de toutes les traverses de la vie, à pouvoir
accompagner pas à pas notre Seigneur et Sauveur, le considérer jour
par jour dans l’accomplissement pénible de la tâche qu’il s’est
imposée sur la terre, et ranimer la trop faible ardeur de notre amour
par la contemplation de sa mansuétude et de sa miséricorde
inaltérables. Bien des personnes assurément remercieront Dieu du
fond du cœur d’avoir mis à leur portée une aussi précieuse faveur et
de leur avoir préparé dans des jours si mauvais une telle abondance
de consolations.
Mais, s’il y a une chose qui n’ait pas besoin d’autre démonstration,
c’est que l’âme qui a pu devenir le miroir d’ou devaient rayonner des
images si sublimes et si sanctifiantes, a dû nécessairement être
solidement fondée dans l’humilité et conserver sans tâche et dans
toute sa pureté l’éclat de la grâce baptismale. Anne-Catherine,
pendant toute sa vie, fut l’enfant toujours simple, inoffensif,
innocent, qui ne ressentait et ne comprenait autre chose dans ce
monde que la misère et la détresse des hommes, qui n’eut jamais
d’autre désir que celui de souffrir pour autrui.
C’est pourquoi aussi la force de son esprit et la paix de son âme
croissaient en proportion de ses peines, au point que dans l’excès de
ses douleurs sans nom elle remerciait Dieu, toute joyeuse, de ce qu’il
craignait la rendre plus semblable à son Sauveur. Jamais la patiente
ne s’est plainte de ce qu’elle avait à supporter, mais ce qui lui était
plus sensible et plus insupportable qu’aucune de ses souffrances,
c’était qu’on la louât et qu’on eût d’elle une idée avantageuse, à tel
point que dans sa dernière agonie elle supplia instamment d’une voix
mourante qu’aucune parole ne fut dite à sa louange.
Le pape Benoit, dans la suite de son examen, traite de la créance
qu’on doit accorder à la personne qui se présente comme favorisée de
visions et de révélations.
Elle a selon lui pour conditions : d’une part, la grande vertu et la
sainteté connue par ailleurs de la personne en question ; d’autre part,
la manière dont elle se comporte pendant et après les visions. En ce
qui touche ce dernier point, Benoit XIV tire des théologiens et des
maîtres de la vie spirituelle les plus autorisés, douze points auxquels
on doit attacher une importance particulière.

Il faut examiner :
1. Si la personne favorisée n’a jamais demandé ou désiré des
visions ; et si au contraire elle a prié Dieu de la conduire par la voie
commune et n’a accepté les visions que par obéissance, un pareil
désir, d’après saint Vincent Ferrier, proviendrait d’un orgueil secret
et d’une curiosité téméraire : il indiquerait en outre une foi faible et
mal assurée.
2. Si elle a reçu constamment de son guide spirituel l’ordre de
communiquer ses visions à des hommes instruits et clairvoyants.
3. Si elle a toujours pratiqué l’obéissance absolue envers ses
directeurs et si, à la suite de ses visions, elle a fait des progrès dans
l’humilité et l’amour de Dieu.
4. Si elle a recherché de préférence les personnes les moins
disposées à lui donner croyance et si elle a aimé ceux qui lui avaient
donné des chagrins et des peines.
5. Si son âme a joui d’un calme et d’un contentement parfaits et si
son cœur a toujours été plein d’un zèle ardent pour la perfection.
6. Si son directeur n’a jamais eu à lui reprocher certaines
imperfections.
7. Si elle a reçu la promesse que Dieu exaucerait ses justes
demandes et si, s’adressant à lui avec une pleine confiance, elle a
obtenu d’être exaucée en quelque point important.
8. Si ceux qui étaient en relations avec elle, ont été excités à aimer
Dieu davantage lorsque l’endurcissement de leur cœur n’y mettait
pas obstacle.
9. Si les visions lui ont été départies le plus ordinairement après
une longue et fervente prière, ou après la sainte Communion, et si
elles ont allumé en elle un ardent désir de souffrir pour Dieu.
10. Si elle a crucifié sa chair et s’est réjouie dans la tribulation, au
milieu des contradictions et des souffrances.
11. Si elle a aimé la solitude et fui le commerce des hommes, si elle
a montré un détachement parfait de toutes choses. Aussi dans la
bonne et la mauvaise fortune elle a toujours conservé la même
tranquillité d’âme, et si enfin des hommes instruis n’ont pas aperçu
dans ses visions quelque chose qui s’écartât de la règle de la foi ou
qui pût paraître répréhensible d’une façon quelconque.

Ces douze points renferment les règles les plus sûres et les plus
dignes de confiance, et il a fallu, pour les établir, toute l’expérience
d’un grand nombre de docteurs aussi savants qu’éclairés dans les
voies de la vie spirituelle. La mesure dans laquelle les conditions qui
y sont exigées se rencontrent chez une personne favorisée de grâces
extraordinaires est aussi, selon Benoit XIV, celle de l’assurance avec
laquelle on peut conclure en faveur de la véracité de cette personne,
de la confiance qu’elle mérite et en même temps de celle que
méritent ses visions.
Maintenant, le lecteur ne sera pas surpris moins agréablement que
l’éditeur quand il pourra se convaincre, à l’aide de la biographie
donnée par Clément Brentano et aussi de la présente introduction
que ces conditions sont remplies de la manière la plus incontestable
dans toute l’existence d’Anne-Catherine, et cela si parfaitement
qu’elles ne se rencontrent au même degré que chez les grands saints.
En premier lieu, les visions ne furent jamais pour Anne-Catherine,
l’objet de ses désirs, mais une source de douleurs et de tribulations
indicibles, au point que souvent elle pria Dieu instamment de les lui
retirer. En outre, la grâce de la contemplation lui fut départie à un
âge si tendre que ce désir n’aurait pu naître en elle : c’est pourquoi sa
première ouverture sur les visions qui lui ont été envoyées est celle
d’un enfant plein de naïveté qui n’en soupçonne pas la portée. En
second lieu, Anne-Catherine ne pouvait être décidée à communiquer
ce qu’elle avait vu que par les ordres réitérés de son guide spirituel.
En troisième lieu, lorsque ses confesseurs rejetaient ses visions et
ne se donnaient pas la peine d’examiner quelle valeur elles pouvaient
avoir, elle s’efforçait d’y mettre fin par tous les moyens possibles.
Mais la lutte dans laquelle elle s’engageait par là avec son guide
invisible, dont les exigences ne s’arrêtaient pas devant les idées
erronées des confesseurs, était pour elle la cause de souffrances
impossibles à décrire. En quatrième lieu, cela ne l’empêchait pas de
chercher uniquement des confesseurs dont elle n’avait à attendre que
de la sévérité et des humiliations journalières, parce qu’elle laissait à
Dieu le soin de les persuader, s’il le jugeait convenable, de la réalité
des dons gratuits qui lui étaient accordés.
De plus, elle résistait toujours autant qu’elle le pouvait à toute
tentative qui pouvait avoir pour objet de la soulager ou d’améliorer
sa situation matérielle : car du reste pour tous ceux qui lui
occasionnaient des ennuis ou des tribulations, il n’y avait chez elle
que charité, patience et mansuétude. Enfin, pour ce qui touche les
autres points, il n’est pas nécessaire de les énumérer ici suivant leur
ordre, parce que l’introduction doit s’en occuper longuement et d’une
manière très détaillée.
Pour le moment l’éditeur se bornera à faire remarquer que Dieu,
dans ses desseins impénétrables, permit qu’Anne-Catherine, dans les
dernières années de sa vie, fût deux fois soumise à une enquête
provoquée par les autorités spirituelle et temporelle, sur la réalité de
ses stigmates et d’autres phénomènes merveilleux qui se
produisaient chez elle. On ne peut pas rendre ce qu’elle eut à souffrir
à cette occasion : car le siècle des lumières sembla vouloir décharger
toute sa colère sur la pauvre religieuse, qui flétrissait sa prétendue
sagesse comme un aveuglement déplorable et une vanité insensée.
Mais Anne-Catherine, au milieu de ces souffrances, resta encore
l’image de son divin fiancé ! Elle supporta tout en silence et absorbée
en Dieu, et se réjouit d’avoir eu, par l’ignominie de la croix, une
ressemblance de plus avec son Rédempteur.
Nous passerons maintenant au dernier des douze points, celui qui
traite de la conformité des visions avec la règle de foi de l’Eglise ; car
il est juste de lui donner une attention toute particulière quand on
s’occupe de visions qui renferment en même temps des révélations.
Benoit XIV, à cet égard, s’en réfère principalement au vénérable P.
Suarez, lequel établit, comme premier principe, qu’en matière de
révélations, la question de leur conformité à la règle de la foi et des
mœurs doit être la base de tout examen ultérieur, de telle sorte que si
l’on découvre quelque chose qui soit en contradiction avec l’Ecriture
et la tradition, avec les décisions doctrinales de l’Eglise et
l’interprétation unanime des saints Pères et des théologiens, la soi-
disant révélation doit être rejetée comme mensonge et illusion
diabolique.
Il en doit être ainsi, même quand il s’agit de révélations qui, à la
vérité, ne portent pas atteinte à la foi, mais présentent des choses
impliquant contradiction ou propres seulement à satisfaire une vaine
curiosité, qui peuvent être considérées comme le produit de
l’imagination humaine, ou qui évidemment ne sont pas en rapport
avec la sagesse et les autres attributs de Dieu.
Le pape Benoit XIV soulève ensuite une question difficile : « Que
faut-il penser d’une soi-disant révélation où se rencontrent des
choses qui paraissent contraires, non pas précisément à la tradition
unanime des Pères et des théologiens, mais à ce qu’on appelle
communis sententia (le sentiment commun) ; qui sont tout à fait
nouvelles, qui donnent comme révélés des points sur lesquels l’Eglise
n’a pas encore donné de décision doctrinale ? » S’appuyant sur des
autorités imposantes, Benoit répond qu’il n’y a pas là motif suffisant
pour rejeter, sans autre examen, une pareille révélation comme
imaginaire et trompeuse ; car, ajoute-t-il :
1°Une chose qui paraît contraire au sentiment le plus commun
peut être soutenue à l’aide d’une appréciation plus approfondie et
plus judicieuse, et trouver à s’appuyer sur des autorités respectables
et des raisons solides.
2°Une révélation n’est pas fausse en soi, par cela seul qu’elle fait
connaître un mystère ou une circonstance de la vie du Sauveur ou de
sa sainte Mère, dont l’Ecriture sainte, la tradition ou les écrits des
saints Pères ne font pas mention.
3°On ne se met pas nécessairement en contradiction avec les
décisions du Saint Siège ou avec les Pères et les théologiens, par cela
seul qu’on explique une chose qu’ils n’expliquent pas ou sur laquelle
ils se taisent absolument.
4°Enfin, on ne doit pas poser à la toute puissance de Dieu des
limites en dehors desquelles il lui serait interdit de révéler à un
particulier ce qui, comme point de controverse théologique, reste
encore soumis au jugement de l’Eglise.

Benoit XIV cite ici, entre autres choses, le fameux mémoire du P


Jean Cortesius Ossorius sur les révélations de la vénérable Marie
d’Agreda, remis par lui à l’inquisition d’Espagne, et dans lequel il
prouve longuement que les motifs allégués ne sont pas suffisants
pour faire rejeter des révélations privées, puisqu’ils n’ont pas
empêché les révélations de sainte Brigitte et de sainte Marie
Madeleine de Pazzi d’obtenir l’approbation du Saint Siège.
Toutefois Benoit XIV, après avoir cité ces autorités, ajoute une
restriction : il ne trouverait pas sans doute dans des révélations de
cette nature un obstacle à poursuivre un procès de béatification :
seulement il les regarderait comme n’étant pas tout à fait sans
mélange, mais comme modifiées par la manière particulière de voir
et de sentir qui existait auparavant et indépendamment de ces
révélations, chez le serviteur ou la servante de Dieu.
Conséquemment, dans l’approbation quelconque qu’on leur
donnerait, on ne devrait rien admettre qui pût laisser croire que le
Saint Siège aurait l’intention d’improuver tout ce qui pourrait être dit
à l’encontre.
Cette dernière remarque du pape Benoit XIV est de la plus haute
importance, car elle accorde que la sainteté de la vie chez une
personne favorisée de grâces extraordinaires, et la manière dont elle
se comporte à l’égard des visions et des autres circonstances qui les
accompagnent, permettent de conclure avec assurance en faveur de
l’origine divine de ces visions, lors même qu’on devrait concéder
qu’elles ont pu subir une altération quelconque, soit dans leur
passage à travers les facultés intellectuelles de celui qui les a reçues,
soit dans la communication qui en a été faite à d’autres.
En effet, avec les visions et les révélations particulières, le
contemplatif ne reçoit pas le don d’une compréhension à l’abri de
toute erreur et de tout obscurcissement, non plus que le don de les
transmettre dans leur complète intégrité ; et de là vient que les
théologiens exigent, pour les juger, une pia et modesta intelligentia.
Il n’y a que les prophètes, les apôtres, les auteurs des écrits
canoniques, et, en seconde ligne, les successeurs de saint Pierre et les
conciles œcuméniques qui aient le privilège de l’infaillibilité. Aussi
rien ne peut-il être communiqué avec une certitude infaillible à
l’ensemble des fidèles que ce qui leur est présenté à croire par
l’autorité de l’Eglise, comme révélé par Dieu pour être l’objet de la foi
surnaturelle et nécessaire au salut éternel.
Il ressort naturellement de là que des visions et des révélations
privées, lors même qu’elles sont confirmées par le Saint Siège comme
authentiques et venant de Dieu, ne peuvent prétendre en aucune
façon à être un objet de foi divine ou surnaturelle. Elles peuvent
seulement, pour ceux qui les lisent ou auxquels on les raconte, avoir
la valeur d’une autorité purement humaine, et n’exigent pas plus de
respect et de soumission que tout catholique n’a coutume d’en
accorder aux vies des saints autorisées ou aux écrits ascétiques de
pieux et saints auteurs. On ne blesse donc pas la foi catholique en
refusant son assentiment à des visions et révélations même
approuvées ou en étant d’une opinion différente, pourvu que cela se
fasse pour de bonnes raisons, sans irrévérence et sans présomption
téméraire.
Si maintenant le lecteur veut appliquer les principes qui Viennent
d’être exposés aux visions d’Anne-Catherine contenues dans le
présent ouvrage, il n’y rencontrera rien qui contredise le moins du
monde la foi catholique. Au contraire, il reconnaîtra avec un grand
plaisir qu’il n’y a guère de livre qui fasse pénétrer avec cette
simplicité et cette profondeur dans les mystères de notre sainte foi, et
qui donne, même aux moins exercés, plus de secours pour atteindre
à ce grand art dont parle le bienheureux Thomas à Kempis a In vita
Jesu Christi meditari. Quant à ce qui y semblera nouveau, on s’en
rendra compte sans beaucoup de peine en le rapprochant de ce qui
est ancien.
III

Dans le travail auquel nous allons maintenant nous livrer pour


faire connaître le don de contemplation que la pieuse Anne-
Catherine posséda à un degré peu commun, même chez les âmes les
plus privilégiées, nous pouvons prendre pour guides ses propres
communications, avec d’autant plus de confiance qu’elles sont
éclaircies et confirmées par les dires de beaucoup de personnes
favorisées de grâces semblables.
Sainte Hildegarde, d’après son propre aveu, fut favorisée, dès sa
première jeunesse, du don de contemplation : N’étant encore âgée
que de trois ans, dit elle {5}, je reçus du Ciel une si grande lumière
que mon âme en fut ébranlée profondément ; mais j’étais trop jeune
pour pouvoir rien dire à ce sujet à dater de ma cinquième année,
j’eus une intelligence surprenante de ces visions, et quand j’en
racontais quelque chose en toute simplicité, ceux qui m’entendaient
étaient dans l’étonnement et se demandaient de qui je tenais ces
choses et d’où elles me venaient.
Moi aussi, je m’étonnais beaucoup de ce qu’ayant intérieurement
des visions, je percevais en même temps le monde extérieur par les
sens, mais je n’entendais pas dire que pareille chose arrivât à
d’autres personnes. C’est pourquoi je fus saisie d’une grande crainte
et je n’osais plus parler à d’autres de ma lumière intérieure.
Anne-Catherine reçut cette lumière surnaturelle à un âge encore
moins avancé. Le 8 septembre 1821, qui était le cinquante septième
anniversaire de sa naissance, elle raconta a ce sujet ce qui suit :
« Comme je suis née le 8 septembre, j’ai eu aujourd’hui une intuition
merveilleuse sur ma naissance et sur mon baptême. J’ai ressenti à
cette occasion des impressions singulières. Je me sentais comme un
enfant nouveau né dans les bras des femmes qui me portaient à
Cœsfeld pour y être baptisée, et j’étais confuse de l’impression que
j’avais d’être à la fois si petite et si faible et pourtant si vieille : car
tout ce que j’avais déjà senti et éprouvé alors, en qualité d’enfant
nouveau né, je le vis et je le connus de nouveau, toutefois mêlé avec
mon entendement actuel.
Dès cette époque, mon ange gardien se montrait à moi visiblement
présent, comme il le fit toujours plus tard. Je regardais tout autour
de moi, la vieille grange dans laquelle nous habitions, et toutes sortes
de choses que je ne vis plus par la suite, parce qu’on fit beaucoup de
changements. Je me sentis porter, et cela avec une pleine conscience,
tout le long du chemin qui va de notre chaumière de Flamske à
l’église paroissiale de Saint Jacques à Cœsfeld ; je sentais tout et je
regardais tout autour de moi. Je vis accomplir sur moi toute la sainte
cérémonie du baptême, et mes yeux et mon cœur s’ouvrirent pour
cela d’une façon merveilleuse.
Je vis, lorsqu’on me baptisa, mon ange gardien et mes saintes
patronnes, sainte Anne et sainte Catherine, assister à la cérémonie.
Je vis la mère de Dieu, avec le petit enfant Jésus, auquel je fus mariée
et qui me donna un anneau. Tout ce qui est saint, tout ce qui est
bénit, tout ce qui tient à l’Eglise, se faisait déjà sentir à moi aussi
vivement que cela m’arrive à présent. Je vis ce que l’Eglise est en soi
manifesté par des images merveilleusement significatives. Je sentis
la présence de Dieu dans le très saint Sacrement. Je vis briller dans
l’église les ossements des saints, et je reconnus les saints qui
apparaissaient au dessus d’eux.
Je vis tous mes ancêtres, en remontant jusqu’au premier d’entre
eux qui avait été baptisé. Je reconnus, dans une longue série de
tableaux symboliques, toutes les épreuves de ma vie future.
Lorsqu’on me rapporta de l’église à la maison en passant par le
cimetière, j’eus un sentiment très vif de l’état des âmes dont les corps
reposaient là pour y attendre la résurrection, et je remarquai avec
respect quelques saints corps brillant d’une clarté éblouissante. »
Il résulte de cette communication qu’Anne-Catherine avait déjà
reçu, dans le sein de sa mère, une disposition naturelle à la
contemplation, et cela avec un si haut degré de force et de puissance,
qu’aussitôt après sa naissance sa faculté de vision spirituelle aussi
bien que les sens corporels qui lui servaient d’instruments, étaient
capables de perception et d’activité bien au delà de la mesure
ordinaire. Toutefois la contemplation en tant que faculté purement
naturelle, ne s’exerce que dans la sphère des choses naturelles : elle
se rattache à la contemplation surnaturelle ou prophétique comme
point de départ ou prédisposition, mais non comme condition
nécessaire, car cette intuition supérieure peut être accordée par Dieu
comme grâce gratuite à une âme qui n’y a pas une prédisposition
naturelle ou qui ne la possède que dans une très faible mesure.
La sphère de la contemplation surnaturelle est le royaume de la
grâce ou l’Eglise à laquelle l’homme est incorporé par le saint
baptême : c’est pourquoi Anne-Catherine ne reçoit cette lumière que
lorsqu’elle est devenue, par l’infusion de la grâce sanctifiante, un
membre vivant du corps de l’Eglise. C’est alors seulement « que ses
yeux et son cœur s’ouvrent d’une façon merveilleuse, » et qu’elle voit
les effets du sacrement, l’Eglise avec ses mystères et tout ce qui est
dans un rapport vivant avec elle. Ainsi, elle ne voit briller dans les
tombeaux les corps des âmes saintes que lorsqu’après son baptême,
elle est rapportée à travers le cimetière ; elle ne les voit pas lorsqu’on
la porte à l’église. Toutefois, quelque grande et élevée que fût la
lumière de contemplation supérieure versée avec la grâce baptismale
dans l’âme d’Anne-Catherine, elle s’abaissait à la capacité de l’enfant,
et d’une façon appropriée à un âge si tendre.
C’est pourquoi elle se comporte, dans cette contemplation, comme
ferait un enfant du même âge par rapport à la lumière qu’il perçoit
naturellement. Ainsi, de même qu’un nourrisson aussitôt qu’il
connaît sa mère, cherche son sein et se calme dans ses bras, tout cela
sans en avoir la conscience, par pur instinct naturel ; de même Anne-
Catherine, aussitôt après le baptême, comprit et reconnut la mère
dans le sein de laquelle elle venait de recevoir une naissance
nouvelle ; elle eut le sentiment de ses bienfaits et de toute sa beauté,
sans pouvoir juger et se rendre compte qu’il y a une connaissance,
plus méritoire en elle même, de ces mystères, celle qui se trouve dans
la lumière de la foi. L’intelligence réfléchie de l’objet de la
contemplation marche plus tard du même pas que le développement
naturel de la conscience en général, comme on le voit par une autre
communication d’Anne-Catherine :
« J’avais à peu près quatre ans, dit elle, quand mes parents me
menèrent à l’église. Je me souviens que je croyais fermement y
trouver Dieu et des hommes tout différents de ceux que je
connaissais, bien plus beaux et plus brillants. Lorsque j’entrai, je
regardai de tous les côtés, et rien n’était comme je me l’étais imaginé.
Le prêtre était à l’autel ; je pensai que ce pouvait être Dieu ; mais je
cherchai partout la sainte vierge Marie : je me figurais que là on
devait avoir tout au dessous de soi, car c’était mon plus grand plaisir,
mais je ne trouvai pas ce que je croyais. Deux ans plus tard, j’eus
encore des idées du même genre et je ne cessais de regarder deux
filles d’un certain âge, qui portaient des mantes et qui avaient un air
modeste et réservé ; je crus que ce pouvait bien être ce que je
cherchais, mais ce n’était pas encore cela. Je croyais toujours que
Marie devait avoir un manteau bleu de ciel, un voile blanc et une
robe blanche toute unie.
J’avais eu une vision du paradis, et je cherchai dans l’église Adam
et Eve, beaux comme ils l’étaient avant la chute, et je me dis :
« Quand tu te seras confessée, tu les trouveras. » Je me confessai,
mais je ne les trouvai pas. Je vis enfin une pieuse famille noble dans
l’église ; les filles étaient vêtues de blanc : je pensai qu’elles avaient
quelque chose de ce que je cherchais et elles m’inspiraient un grand
respect ; mais ce n’était pas encore cela. J’avais toujours l’impression
que tout ce que je voyais avait été très laid et très sale. J’étais
constamment absorbée dans des pensées de ce genre, et j’en oubliais
le boire et le manger, si bien que j’entendais mes parents dire
souvent : « Qu’a donc cet enfant ? Qu’est-ce qui arrive à la petite
Anne-Catherine ? »
D’après ce qui vient d’être rapporté, le lecteur peut reconnaître
facilement qu’Anne-Catherine, dès sa plus tendre enfance, avait
aperçu l’incomparable beauté de l’innocence du paradis, mais qu’elle
ne pouvait se rendre compte de la différence de ce qui l’entourait
présentement avec l’objet de ses contemplations, que successivement
et dans la mesure de son expérience enfantine. Aussi dit-elle une
autre fois : Avant de savoir ce que signifiait le mot prophète, j’avais
eu déjà des visions sur un chariot merveilleux, aux roues duquel se
tenaient les quatre animaux de l’Apocalypse. Pourquoi cela ? Je ne le
sais pas… J’eus des visions de si bonne heure, que je me souviens
qu’une fois mon père me prit toute petite sur ses genoux, au coin du
feu, et qu’il me dit :
« Tu es dans ma petite chambre, raconte moi quelque chose ! » Et
alors je lui racontai toutes sortes d’histoires de la Bible, et comme il
n’avait rien vu de semblable ou ne l’avait pas vu de cette façon, il se
mit à pleurer. Ses larmes tombaient sur moi et il me dit : « Enfant,
où as tu pris tout cela ? » Alors je lui répondis que je voyais toutes ces
choses, sur quoi il devint silencieux et ne me dit plus rien.
Dans sa cinquième année, il arriva à Anne-Catherine ce qui était
arrivé à sainte Hildegarde ; il lui vint avec la contemplation une
intelligence plus profonde de ce qu’elle voyait, et elle fut en état de se
rendre compte plus exactement du contenu de ses visions et de les
distinguer des actes de foi ainsi que de la certitude et du mérite
attachés à la foi. Voici ce qu’elle dit a ce sujet : « Dans ma cinquième
ou sixième année, comme je méditais le premier article du symbole
catholique : Je crois en Dieu, le Père tout puissant, qui a fait le ciel et
la terre, des tableaux de la création du ciel et de la terre passèrent
devant mon âme. Je vis la chute des anges, la création de la terre et
du paradis, celle d’Adam et d’Eve, et la chute originelle.
Je me figurai que tout le monde voyait cela, de même que les
autres objets qui nous entourent, et j’en parlai en toute simplicité à
mes parents, à mes frères et sœurs et à mes compagnons ; mais je
m’aperçus qu’on riait de moi et qu’on me demandait si j’avais un
livre où tout cela se trouvait. Alors je commençai à prendre
l’habitude de garder le silence sur ces choses : je pensai qu’il ne
convenait pas d’en parler, sans pourtant me former à ce sujet des
idées précises.
J’ai eu ces visions non seulement la nuit, mais encore en plein
jour, dans les champs, à la maison, en marchant, en travaillant, en
me livrant à toutes sortes d’occupations. Comme une fois à l’école je
disais tout naïvement, touchant la résurrection, d’autres choses que
celles qu’on nous enseignait, et cela avec assurance, croyant dans ma
simplicité que tout le monde devait savoir cela comme moi, et ne
soupçonnant nullement qu’il y avait là une faculté qui m’était
personnelle, les autres enfants tout surpris se moquèrent de moi et
portèrent plainte au magister, qui me défendit sévèrement de me
livrer à de pareilles imaginations. »
« Mais je continuai à avoir ces visions sans en rien dire, comme un
enfant qui regarde des images et qui s’en rend compte à sa manière
sans trop demander ce que signifie ceci ou cela. Comme je voyais
souvent dans les images des saints ou les figures de l’histoire de la
Bible les mêmes objets représentés tantôt d’une manière, tantôt
d’une autre, sans que cela eût jamais apporté d’altération dans ma
foi, je pensais que les visions que j’avais étaient mon livre d’images et
je les contemplais en paix, pensant toujours que tout était pour la
plus grande gloire de Dieu.
En fait de choses touchant à la religion, je n’ai jamais rien cru que
ce que le Seigneur a révélé et proposé à notre croyance par l’Eglise
catholique, que ce soit expressément écrit ou non. Et je n’ai jamais
cru de la même manière à ce que j’ai vu en vision. Je regardais ces
choses de même que je considérais avec dévotion les différentes
crèches de Noël, exposées en divers lieux, sans me troubler de ce que
toutes n’étaient pas faites sur le même modèle. Dans les unes et les
autres, je n’adorais que le même cher enfant Jésus, et il en était de
même pour moi quant à ces tableaux de la création du ciel et de la
terre et de la création de l’homme ; j’y adorais Dieu le Seigneur, le
créateur tout puissant du ciel et de la terre. »
IV

Anne-Catherine n’a jamais donné d’éclaircissements détaillés sur


la lumière surnaturelle dans laquelle et par laquelle elle percevait ses
visions ; elle s’est bornée à dire une fois : « Il m’a été expliqué d’une
très belle façon comme quoi voir avec les yeux n’est point voir, et
qu’il y a une autre vue intérieure : mais maintenant cela m’est sorti
de la mémoire. » Nous pouvons donc avoir recours aux révélations
de sainte Hildegarde sur le même sujet, pour y trouver l’explication
désirée. Voici ce qu’elle dit :
« Il est difficile à l’homme charnel de comprendre de quelle
manière les visions sont perçues. Depuis mon enfance jusqu’à mon
âge actuel de soixante dix ans, je n’ai pas cessé de voir dans mon âme
la lumière que Dieu m’a donnée, mais je ne la perçois pas avec les
yeux du corps, ni par les pensées de mon cœur, ni par l’intermédiaire
des cinq sens. Toutefois les yeux du corps ne perdent pas plus leur
faculté visuelle auprès de cette lumière que les autres sens leur
activité. Car la lumière que je possède n’est point circonscrite dans
l’espace, ni matérielle, mais elle est plus éclatante que celle de l’astre
du jour : je ne vois en elle ni profondeur, ni longueur, ni largeur.
On me dit qu’elle s’appelle l’ombre de la lumière vivante ; et de
même que le soleil, la lune et les étoiles se réfléchissent dans l’eau, de
même ce qui est écrit, ce qui est dit, les qualités et les œuvres des
hommes me deviennent visibles en elle. Ce que j’aperçois et
apprends dans cette intuition, je le conserve longtemps ; et je vois, je
perçois, je sais tout à la fois, comme en un clin d’œil, ce que je dois
savoir et apprendre.
Mais ce que je ne contemple pas, je ne le sais pas non plus : car je
suis comme une personne qui n’a jamais reçu d’enseignement, et
pour ce que je dois écrire de cette lumière, je ne me sers d’autres
paroles que de celles que j’entends. Mais je n’entends pas ces paroles
comme celles qui rendent un son en sortant de la bouche d’un
homme, je les vois comme une flamme, comme une nuée lumineuse :
dans le pur éther. Je ne puis pas plus distinguer une forme dans cette
lumière que je ne suis en état de regarder fixement le disque du
soleil. »
Outre cela, dans cette lumière, j’en vois quelquefois une autre dont
il m’est dit qu’elle s’appelle la lumière vivante. Cependant je ne la
vois pas si souvent, et je puis encore moins exprimer son essence que
celle de la première. Mais quand je la perçois, alors toute tristesse et
toute peine sensible s’évanouissent pour moi, en sorte que je suis
comme un enfant naïf, et non comme une vieille femme. Mon âme
n’est jamais privée de la première lumière, de l’ombre de la lumière
vivante, et je la vois quelquefois de même qu’à travers un nuage
transparent, je regarde le firmament sans étoiles, et que je contemple
en lui ce que je dis de l’éclat de la lumière vivante.
La lumière dont parle sainte Hildegarde est, suivant la doctrine de
l’école, l’irradiation de la lumière divine passant, par l’intermédiaire
d’un ange, dans l’âme du contemplatif ; par cette lumière toutes les
forces de l’âme sont élevées au dessus de leur puissance naturelle, en
sorte que l’homme est par là rendu capable de voir comme un pur
esprit incorporel, c’est-à-dire indépendant de l’action des sens et des
autres organes, ce que Dieu veut lui communiquer dans cette
lumière. Cette lumière confère donc à l’âme une double faculté : la
faculté de vision surnaturelle et le milieu dans lequel celle-ci peut
s’exercer. Elle est pour cette faculté ce qu’est pour les yeux du corps
la lumière du soleil, ou pour la faculté naturelle de connaître la
lumière intérieure innée dans chaque homme.
Tout, dit sainte Hildegarde, est réfléchi dans cette lumière pour le
contemplatif, c’est à dire tout ce que Dieu veut lui faire connaître :
car le choix des objets contemplés ne dépend pas de la volonté de
celui qui contemple, mais Dieu les détermine lui-même, selon la
tâche particulière imposée à l’âme favorisée d’une grâce de cette
nature. C’est donc en vertu d’une disposition divine que cette âme
voit et connaît l’avenir ou le passé, les choses cachées ou éloignées,
les mystères de l’ordre naturel ou surnaturel, les pensées des
hommes et de certains hommes déterminés : de même aussi le degré
de clarté de l’intuition et l’exactitude avec laquelle ce qui est vu est
conservé dans la mémoire et communiqué aux autres, dépendent de
la mesure de lumière donnée par Dieu.
Ainsi donc, plus la mesure de lumière départie est grande, plus la
sphère de l’intuition est étendue. Si des objets situés à une grande
distance dans l’espace doivent y être aperçus, elle acquiert la
clairvoyance, laquelle, en tant que grâce surnaturelle, ne doit pas être
confondue avec la clairvoyance naturelle ou le somnambulisme. Par
elle, les objets eux-mêmes sont aperçus, soit par la pure vue à
distance, soit que le contemplatif soit ravi jusqu’au lieu même où les
objets se trouvent, où l’événement se passe ou s’est passé.
Mais quand il s’agit de voir dans le passé ou dans l’avenir, les
images de ce qui n’existe plus ou n’existe pas encore dans l’espace et
le temps sont présentées par Dieu d’une manière surnaturelle à
l’imagination du contemplatif. Quand donc, par exemple, un
événement de l’Ancien ou du Nouveau Testament est montré à Anne-
Catherine, les images des individus qui agissent, celle des lieux et de
toutes les circonstances lui sont présentées dans la lumière infuse
aussi fidèlement et aussi complètement que dans un miroir ; de sorte
qu’à certains égards elles se gravent dans l’imagination et dans la
mémoire, aussi naturellement que si elles arrivaient à la voyante par
les sens extérieurs et par la faculté de vision naturelle, ou que si
Anne-Catherine avait été présente personnellement et avait figuré
comme contemporaine dans l’événement lui-même.
La seule différence consiste dans le degré infiniment plus élevé de
netteté et de clarté qui trouve place dans l’intuition, parce qu’elle voit
non seulement le fait matériel, mais encore les motifs intérieurs et
leur enchaînement, ainsi que les dispositions les plus secrètes et les
sentiments intimes des personnages en action.
La clairvoyance ou le ravissement peuvent coïncider avec cette
intuition des images dans la lumière infuse, car Anne-Catherine voit
les événements de la vie de Jésus au lieu précis où ils se sont
réellement passés autrefois, soit à Jérusalem, soit en d’autres
endroits de la Terre Sainte. Elle est ravie dans ces endroits et, y étant
arrivée, elle voit les événements et les actions en tableaux qui se
succèdent avec la plus grande fidélité à l’ordre historique, comme on
peut en juger par l’exemple suivant, auquel on en pourrait joindre
infiniment d’autres. Voici ce qu’elle raconte le 10 décembre 1819 :
« Cette nuit, j’ai parcouru dans plusieurs directions la terre
promise, telle qu’elle était à l’époque du Sauveur. Mes stations
ordinaires de l’Avent me conduisirent d’abord à la rencontre de la
sainte famille, en voyage pour Bethléem. Je suivais ensuite plusieurs
chemins à moi connus, allant d’un endroit du pays à l’autre, et je vis
plusieurs scènes de la vie de prédication de Notre Seigneur, que
j’avais vues en partie précédemment.
Je vis entre autres une instruction et une distribution de pain dont
je ne me rappelle que quelques détails. Sur le penchant d’une colline
beaucoup de gens étaient assis sous des arbres très grands et très
élancés, qui n’ont leur couronne de feuillage que tout en haut au
sommet. Le Seigneur Jésus était debout devant eux sur un terrain
exhaussé. Entre les arbres se trouvaient des arbrisseaux avec des
baies rouges et jaunes ressemblant à peu près à des mûres de ronces.
Plusieurs filets d’eau descendaient de la hauteur en murmurant. Il
y avait là un gazon fin et doux comme de la soie, sous lequel le sol
était tapissé comme d’une mousse épaisse. Je pris le gazon et je le
touchai : d’autres objets échappèrent à mes mains, comme si
c’étaient des images de choses passées. Mais quant au gazon je le
touchai. Qu’est-ce donc que cela peut être ? »
Sainte Hildegarde dit de cette lumière qu’elle est incirconscrite,
immatérielle et inaccessible à nos facultés purement naturelles : car
en vertu de son essence, elle supprime pour le voyant toute limite de
temps et d’espace, et affranchit sa pensée et son intelligence de
toutes les entraves auxquelles elles sont assujetties dans l’état
ordinaire. L’avenir le plus reculé ou le passé le plus lointain sont en
elle actuellement présents, et les vérités les plus profondes, les
mystères les plus cachés de l’ordre naturel ou surnaturel se laissent
embrasser d’un seul regard jusque dans leurs fondements.
L’activité des sens et les relations avec le monde extérieur, dont ils
sont les instruments, ne sont pas nécessairement suspendus pour
celui qui contemple à « l’ombre de la lumière vivante. » Tant que
l’âme ne voit pas Dieu ou la vérité en elle même, tant que ses visions
ont pour objet des choses créées, la lumière naturelle n’est point un
obstacle à la lumière surnaturelle, et c’est pourquoi il n’est pas
nécessaire que le contemplatif soit pleinement abstrait de toute
activité sensible. Seulement il arrive qu’à la clarté de la lumière
surnaturelle le monde sensible apparaît comme un rêve, et la lumière
qui lui est propre comme une nuit ténébreuse.
Anne-Catherine éclaircit d’une manière surprenante ce qui vient
d’être dit quand elle décrit ainsi sa vie visionnaire : « Pendant mon
travail (elle veut parler des travaux de couture pour les pauvres et les
malades auxquels elle s’occupait nuit et jour avec le plus grand zèle,
quand ses souffrances le permettaient), pendant mon travail, j’ai des
visions tellement continuelles, que je vois comme en songe courir le
tranchant des ciseaux et que parfois il me semble que je coupe au
beau milieu des objets dont je suis entourée dans la vision.
Ce qui m’entoure réellement est pour moi comme un rêve : tout s’y
montre si trouble, si opaque et si décousu que c’est comme un songe
informe du milieu duquel je regarde dans un monde lumineux, tout
pénétré de clarté, où les choses bonnes et saintes réjouissent plus
profondément parce qu’on voit comment elles viennent de Dieu et
vont à Dieu, et où les choses mauvaises et impies affligent plus
profondément parce qu’on reconnaît la voie par laquelle elles vont du
démon au démon, contre Dieu et sa créature.
Cette vie dans laquelle rien ne fait obstacle, où il n’y a ni temps, ni
espace, rien de matériel, rien de caché ; cette vie où tout parle et où
tout reluit, apparaît si parfaite et si libre que la réalité aveugle,
boiteuse et bégayante y semble un vain songe. Ainsi, par exemple, je
vois toujours les reliques briller auprès de moi, et je vois souvent
comme des troupes de petites figures humaines planer au dessus de
ces reliques dans le lointain des nuages ; mais quand je reviens à
moi, je vois reparaître les formes des châsses et des endroits où
reposent ces ossements lumineux. » En ce qui touche l’auréole des
reliques, elle s’exprimait ainsi dans une autre occasion :
« Je ne puis décrire ce que je ressens, je ne vois pas seulement, je
sens une lumière, tantôt plus vive, tantôt plus pâle. Cette lumière
semble se diriger vers moi, comme la flamme suit la direction du
courant d’air. Mais je sens encore la liaison de ce rayon avec tout un
corps lumineux et de ce corps avec un monde de lumière qui prend
lui-même sa source dans une autre lumière ; mais qui peut exprimer
ces choses. Ce rayon me ravit, je ne puis m’empêcher de le presser
contre mon cœur (elle portait toujours involontairement à son cœur
les fragments de reliques qu’on lui présentait) ; puis c’est comme si
j’entrais, par ce rayon, dans le corps auquel il appartient, dans les
scènes de sa vie et dans ses états de lutte, de souffrance ou de
triomphe.
Car dans la vision je suis la direction qu’il plaît à Dieu de me
donner. Il y a des rapports intimes, merveilleux entre notre corps et
notre âme. L’âme sanctifie et profane le corps, autrement aucune
expiation, aucune pénitence ne pourrait s’accomplir par le corps.
Comme les saints pendant leur vie agissaient au moyen de leur corps,
de même ils agissent séparés de lui, et même encore par lui sur les
croyants ; mais la foi est la condition qui seule rend capable d’en
ressentir la sainte influence. »
De même qu’Anne-Catherine avait des visions et reconnaissait les
reliques dans l’état de veille naturel, de même aussi elle voyait dans
toute l’église la célébration non interrompue du saint sacrifice de la
messe.
Un jour le pèlerin entra dans sa chambre pendant qu’on sonnait la
sainte messe ; elle priait dans un profond recueillement, et elle lui dit
ensuite : « Je voyais en ce moment la scène du Vendredi Saint, le
Seigneur s’offrant en victime sur la croix, avec Marie et le disciple au
pied de la croix, sur l’autel où le prêtre célébrait la messe. Je vois cela
à chaque heure du jour et de la nuit ; je vois toute la paroisse,
comment elle prie, bien ou mal ; je vois aussi comment le prêtre
remplit sa fonction.
Je vois d’abord l’église d’ici, puis les églises et les paroisses des
environs, à peu près comme on voit un arbre voisin chargé de fruits
et éclairé par le soleil, puis d’autres groupes d’arbres dans le lointain
ou toute une forêt. Je vois célébrer la messe dans le monde, à toutes
les heures du jour : je vois même des pays lointains où on la célèbre
encore tout à fait comme du temps des apôtres. Je vis, au dessus de
l’autel, une liturgie céleste ou les anges suppléent à tout ce qui est
omis par le prêtre. J’offre aussi mon cœur en sacrifice pour
l’indévotion de l’assemblée, et je supplie le Seigneur de faire
miséricorde. Je vois beaucoup de prêtres célébrer d’une manière
déplorable. Ceux qui raides et empesés, s’appliquent par dessus tout
à être bien en règle pour l’extérieur, sont généralement les pires,
parce que souvent cette préoccupation leur fait négliger toute
dévotion intérieure.
Ils se disent toujours : « quel effet ferai-je sur le peuple ? » et ils
ne pensent pas à Dieu. J’ai cette impression depuis ma jeunesse.
Quand le pèlerin est entré, j’étais à contempler la sainte messe ; je
continue à le voir et je parle comme on le fait, lorsque sans cesser de
travailler, on répond à un enfant qui fait une question. Il m’arrive
dans la journée de voir à distance cette sainte cérémonie. Jésus nous
aime tant qu’il continue éternellement son œuvre de rédemption
dans le saint sacrifice de l’autel, et la sainte messe est la rédemption
historique, couverte d’un voile et devenue sacrement.
Toute opération de Dieu est éternelle, mais dans ses rapports avec
notre vie temporelle qui est successive, elle est promesse avant
d’entrer dans cette succession, et quand elle est passée dans le temps
fini, elle y apparaît sous forme de mystère et s’y continue ainsi. Je
voyais déjà tout cela dès ma première jeunesse, et je croyais que tout
le monde le voyait de même. »
La communication suivante nous donne des éclaircissements
encore plus précis sur la manière dont Anne-Catherine, pendant
cette double vue, restait en rapport avec les personnes qui
l’entouraient. Voici ce qu’elle dit une fois en octobre 1819 : « Depuis
deux ou trois jours je suis continuellement entre la vue sensible et
celle qui est au dessus des sens. J’ai sans cesse à me faire violence :
car tout en conversant avec ceux qui m’approchent, je vois tout à
coup devant moi de toutes autres choses et de toutes autres scènes.
Alors mes propres paroles me font l’effet de la voix d’une autre
personne qui se ferait entendre, sourde et mal articulée, de fond d’un
tonneau vide.
C’est aussi comme si j’étais ivre et au moment de tomber :
toutefois ma conversation va tranquillement son train, et souvent
elle est plus animée qu’à l’ordinaire, sans que je sache ensuite ce que
j’ai dit ; et cependant mes discours sont bien suivis. C’est une grande
fatigue pour moi que de me tenir ainsi dans deux états à la fois. Les
objets présents que je vois avec les yeux m’apparaissent
confusément : je suis à leur égard comme une personne assoupie à
laquelle il vient un songe : l’autre vue m’entraîne impérieusement :
elle est plus lucide que la vue naturelle, et ce n’est pas par les yeux
qu’elle se produit. »
V

Sainte Hildegarde disait qu’elle ne savait rien que ce qu’elle


contemplait et ce qu’elle apprenait dans la contemplation : de même
Anne-Catherine indique ses visions comme la source exclusive de ce
qu’elle sait et de toutes ses connaissances. Dans sa septième année,
après avoir fréquenté l’école quatre mois à peine, elle fut congédiée
parce que le maître déclarait qu’il n’avait rien à lui apprendre vu
qu’elle savait d’avance tout ce qu’il devait dire avant qu’il lui donnât
sa leçon. Ce fait mérite une attention particulière, car le procédé
purement intuitif d’Anne-Catherine, à toutes les époques de sa vie et
dans toutes les situations où elle se trouvait, lui rendait presque
impossible, parce qu’elle la rendait superflue, toute réflexion
rétroactive et en général toute opération discursive de l’esprit : cela
rendait souvent difficile, comme on le fera mieux voir plus tard, la
communication complète de ses visions au pèlerin.
Dans son journal de 1819, le pèlerin à consigné, à la date du 8 mai,
une observation qui trouve ici sa place : « Elle me disait, écrit-il,
qu’elle n’avait jamais pu rien tirer des livres pour son usage. Elle n’a
jamais rien retenu de l’Ecriture sainte, mais elle possède si
parfaitement la vie du Sauveur, en vertu de la grâce de la
contemplation, que souvent je ne puis m’empêcher de trembler en
pensant aux rapports si intimes et si familiers dans lesquels je vis
avec la créature la plus merveilleuse, la plus favorisée dont on ait
peut-être jamais pu parler ».
Une autre fois elle racontait au pèlerin : « Je n’ai jamais rien
retenu par cœur des Evangiles ni de l’Ancien Testament : car j’ai tout
vu moi-même pendant tout le cours de ma vie : j’ai revu tous les ans
les mêmes choses, exactement de la même manière et avec les
mêmes circonstances quoique souvent avec l’adjonction d’autres
scènes. Souvent je me suis trouvée à l’endroit même avec les
auditeurs et j’ai assisté à l’événement comme y prenant part,
cependant je ne suis pas restée chaque fois à la même place : le plus
souvent j’étais élevée au dessus de la scène et je la voyais au dessous
de moi.
Il y avait d’autres choses, principalement le côté mystérieux, que je
voyais intérieurement comme dans ma conscience, tandis que
certains détails m’apparaissaient en images hors de la scène. J’avais
dans tous les cas la faculté de voir à travers toutes choses, en sorte
qu’aucun corps ne pouvait cacher l’autre : sans cela il s’y serait mis
de la confusion. »
Même dans un âge plus avancé, Anne-Catherine ne pouvait pas se
familiariser avec les livres : « Au couvent, disait-elle, je voulais
quelquefois regarder dans les livres, mais c’était toujours pour moi
une misère. Grâce à Dieu je n’ai presque rien lu et quand je vois un
livre, il me semble que je le sais par cœur. » Cette dernière
observation s’applique surtout aux livres ascétiques ou aux vies des
saints, et elle en donne la raison dans cette remarque singulièrement
frappante sur la vie de saint François Xavier par le P. Croiset :
« Il n’y a aucun saint touchant lequel j’aie tant vu de choses ; je
crois que j’ai vu toute sa vie. Ce récit qui en est fait se présente à moi
comme ces étiquettes qu’on suspend çà et là à des fils sur un carré de
jardin ensemencé, pour savoir quelle graine a été mise dans tel et tel
endroit : mais tout le carré ressemble encore à une terre où rien n’a
poussé. Cela m’aide pourtant à me rappeler le jardin tout couvert de
fleurs que j’ai vu. »
Toutefois ce n’étaient pas seulement les choses surnaturelles et les
mystères de la foi qu’elle connaissait par les visions, mais elle était
instruite même en ce qui concernait les choses de la vie commune
d’une manière analogue à sa contemplation. Elle parle à ce sujet
d’une façon touchante dans une communication relative au temps de
son enfance : « Combien Dieu a toujours été bon avec moi ! Je
pouvais tout : il a travaillé avec moi quand j’étais enfant. Je m’en
souviens ; à l’âge de six ans je faisais déjà comme à présent (dans sa
55ème année). Mon frère cadet n’était pas encore né ; je gardais les
vaches et je savais qu’il me naîtrait un frère.
Je ne puis dire comment je le savais ; mais j’avais envie de faire
pour ma mère quelque chose qui pût servir à l’enfant et pourtant je
n’étais pas encore en état de coudre : j’avais pris avec moi les habits
de ma poupée et le jeune homme (son ange gardien) vint à moi, il me
donna des leçons et m’aida à faire avec les habits de ma poupée un
très joli bonnet d’enfant et d’autres petits objets que je donnai tous à
ma mère. Elle fut très surprise que j’eusse pu en venir à bout ; elle les
prit pourtant et s’en servit : je la vis pleurer en secret et montrer tout
cela à mon père et à d’autres personnes. Elle me cacha sa surprise. À
cette époque j’ai fait aussi des bas pour de pauvres enfants avec le
jeune homme. » Décembre 1819.
VI

Sainte Hildegarde a distingué une double lumière ; l’ombre de la


lumière vivante et la lumière vivante elle même. Cette dernière,
ajoutait-elle, lui était communiquée beaucoup plus rarement. Elle
donne à la première le nom d’ombre parce que celle-ci moins subtile
et plus accommodée à la nature humaine est avec l’autre, qui est
infiniment plus vive et plus pénétrante, dans le même rapport que
l’ombre avec la clarté du soleil.
Aussi, dès qu’elle reçoit la lumière vivante, elle est ravie hors de la
sphère de sa vie ordinaire et se trouve avec la sérénité et la liberté
d’esprit d’un enfant auquel toutes les nécessités et les misères de ce
bas monde sont complètement étrangères, soit que dans ce haut
degré d’extase, elle soit privée de l’usage de ses sens et tout absorbée
en Dieu, soit que dans cette lumière supérieure elle contemple des
mystères qui ferment ses sens au monde extérieur et la remplissent
d’une consolation et d’une joie merveilleuses, afin qu’elle puisse
retourner ainsi fortifiée aux fatigues de la vie terrestre.
Pareille chose se retrouve dans la vie d’Anne-Catherine. Nous ne
citerons qu’un exemple entre mille pour éclaircir ce qui vient d’être
dit. La veille de Noël 1819, elle vit célébrer cette sainte fête dans
l’Eglise triomphante et il lui fut permis de prendre part à sa joie. « Sa
jubilation fut alors si grande que le pèlerin dominé par le sentiment
de sa misère et de celle de tous les pécheurs ne put s’empêcher de
pleurer : pour elle, elle rayonnait de joie ; son esprit, son langage et
son visage étaient vivifiés par une allégresse impossible à décrire : il
y avait dans son langage une telle profondeur, une telle facilité à
exprimer les choses les plus sublimes et les plus mystérieuses, que le
pèlerin en était remue jusqu’au fond de l’âme. Il ne peut reproduire
qu’à l’état de misérable ébauche ce que sa parole vivement colorée ou
plutôt enflammée faisait briller au sein des ténèbres de cette vie. »
À cette catégorie appartiennent en général toutes les visions qui
mettaient Anne-Catherine en relation avec l’Eglise triomphante aux
fêtes de laquelle il lui était donné de prendre part suivant l’ordre de
l’année ecclésiastique, comme cela était arrivé autrefois à la
bienheureuse Lidwine de Schiedam, avec laquelle elle a tant de
ressemblance. Dans ces occasions, elle était tellement inondée de joie
qu’elle éclatait en chants de jubilation pour célébrer les louanges de
Dieu avec les chœurs des bienheureux. C’était aussi dans la lumière
vivante qu’elle contemplait ces autres visions où son fiancé divin
venait lui-même la consoler dans ses douleurs indicibles et où elle
recevait la force nécessaire pour prendre sur elle de nouvelles
souffrances.
Sainte Hildegarde dit que son âme n’était jamais privée de l’ombre
de la lumière vivante, et cela convient aussi parfaitement à Anne-
Catherine : car elle non plus n’en fut jamais privée depuis sa plus
tendre enfance et elle vivait plus dans ses visions que dans les
rapports avec le monde sensible. Etant encore au couvent, elle eut,
jour et nuit, pendant des mois entiers des visions où elle
accomplissait dans l’oraison des travaux symboliques, ce qui ne
l’empêchait pas de se livrer en même temps à des travaux de toute
espèce, soit dans la maison, soit dans l’église.
Toutefois elle ne recevait pas par cela seul l’intelligence complète
de tout ce qu’elle voyait dans cette lumière : comme sainte
Hildegarde, elle avait encore besoin de la lumière vivante pour
comprendre ce qu’elle avait vu et en pénétrer la signification. Anne-
Catherine, en effet, se comportait à l’égard de toutes ses visions d’une
manière purement passive, elle recevait la vision avec candeur et
comme une personne qui d’abord ne sait pas positivement ce qui lui
est montré, ni ce qui doit suivre, elle exprimait naïvement son
admiration ou sa surprise ; souvent aussi elle demandait avec
instance que telle ou telle représentation lui fût épargnée :
« Que puis je faire de cela, moi chétive ? » disait-elle. Elle reçoit
ensuite l’intelligence par la lumière vivante, ce qu’elle exprime à peu
près en ces termes. « Mon fiancé me montrait tout clairement,
distinctement et intelligiblement, d’une manière plus claire que la
lumière du jour ; il me semblait alors qu’un enfant pouvait
comprendre tout cela, et maintenant je n’en puis plus rien rapporter.
Je voyais infiniment de choses que le langage ne peut pas rendre.
Comment exprimer avec la langue ce qu’on voit autrement qu’avec
les yeux ? »
VII

À la grâce des visions furent unies, pour Anne-Catherine, des


souffrances et des tortures dans le corps et dans l’âme dont la
grandeur fait trembler la nature humaine, même lorsque pour les
supporter courageusement pendant de longues années la patience
reçoit des secours qui l’élèvent au plus haut degré de l’héroïsme : de
là les supplications qu’elle adressait si souvent à Dieu pour qu’il lui
épargnât tel ou tel spectacle, de là ses plaintes exprimées en ces
termes : « Hélas ! Pourquoi faut-il que je voie toutes ces choses ? À
quoi cela peut-il me servir ? Si l’on savait quelles horribles
souffrances je dois endurer pour pouvoir raconter tout cela ? »
Ces souffrances avaient leur source dans sa profonde connaissance
de la sainteté de Dieu et de la misère du monde, telle que le péché l’a
fait ; et comme toutes les abominations et toutes les misères de
l’humanité pécheresse lui étaient montrées à elle, la pure et
innocente enfant, afin qu’elle se chargeât de faire pénitence pour ces
innombrables offenses, elle crut souvent qu’elle ne pourrait résister à
la douleur de ce spectacle. Voici, par exemple, ce qu’elle raconta le
13 décembre 1819 : « Toute cette nuit, j’ai eu à combattre sans
relâche, et je suis encore toute épuisée des efforts que j’ai faits pour
échapper aux spectacles lamentables que j’ai vus.
Mon conducteur m’a fait faire tout le tour de la terre, et cela en
passant incessamment par de grandes cavernes faites de ténèbres, où
je voyais errer une foule innombrable d’hommes adonnés aux
œuvres de la nuit. Souvent, quand ma tristesse était telle que je ne
pouvais plus la supporter, mon guide me conduisait pour quelques
moments à la lumière, puis il me fallait rentrer dans les ténèbres et
voir de nouveau toutes les formes de l’impiété. Souvent je m’éveillais
(du sommeil extatique) à force d’angoisse et de terreur ; je voyais la
lune briller paisiblement à la fenêtre, et priais Dieu en gémissant de
ne pas me faire voir ces horribles images mais il me fallait de
nouveau descendre dans ces affreuses ténèbres et voir les
abominations, etc. »
Le 19 juillet 1820, l’état où se trouvait alors l’Eglise d’Espagne et
les persécutions qui devaient plus tard fondre sur elle, furent
montrés à Anne-Catherine dans une grande vision. Elle en fut si
profondément affligée que cette pensée s’éveilla en elle : « Pourquoi
faut-il que je voie tout cela, moi, pauvre pécheresse ; je ne puis pas le
raconter, et il y a tant de choses que je ne comprends pas ! » Alors,
elle reçut cette réponse de son conducteur. « Tu demandes pourquoi
tout cela ! Tu ne peux pas savoir combien d’âmes liront un jour cela
et seront par là consolées, ranimées et excitées au bien.
Il existe beaucoup de récits de grâces semblables accordées à
d’autres, mais la plupart du temps ils ne sont pas faits comme il
faudrait ; puis les anciennes choses sont devenues étrangères aux
hommes de ce temps, et elles ont été discréditées par des
inculpations téméraires : ce que tu peux raconter est suffisamment
intelligible, et cela peut produire beaucoup de bien que tu ne peux
pas apprécier. Ces paroles me consolèrent. »
VIII

D’après ce qui a été cité, le lecteur peut facilement deviner


combien les visions d’Anne-Catherine ont embrassé d’objets. Gœrrès
le père, qui avait pris connaissance des notes du pèlerin, et qui était
aussi compétent qu’aucun de ses contemporains pour apprécier
l’esprit qui inspirait la servante de Dieu, s’exprime ainsi dans le
second volume de sa Mystique, p. 348 : « Ses visions ne se sont pas
bornées à la Passion, mais, durant trois ans, elles suivent le Seigneur
pas à pas dans toutes ses courses à travers toute la Palestine.
La nature du pays, les rivières, les montagnes, les forêts, les lieux
habités, les mœurs et les coutumes, le costume et la manière de vivre,
tout passe devant ses yeux de la manière la plus claire et la plus
distincte. Aux personnages, aux localités, aux tableaux de l’année
ecclésiastique qui servent d’intermèdes, se rattachent
épisodiquement des scènes qu’un regard jeté en arrière va chercher
dans un passé encore plus reculé, en sorte que sa vue embrasse tout
ce passé en remontant jusqu’à l’origine des choses.
Tout cet ensemble se résume dans une puissante épopée religieuse
qui, se jouant entre le ciel et la terre, se divise avec les époques du
monde et se subdivise avec les générations humaines. C’est comme
un océan, sorti d’une source cachée pour entourer la terre de ses
flots, et tandis que sa surface réfléchit la magnificence de ses rivages
et les richesses accumulées par les siècles, il n’en reste pas moins
transparent jusqu’au fond, en sorte que le regard découvre dans ses
profondeurs un monde de merveilles et y saisit les liens intimes et
cachés des choses : aussi peut-on voir là le spectacle le plus
admirable, le plus riche, le plus vaste, le plus profond et le plus
saisissant qui se soit jamais produit devant le sens contemplatif,
même dans ce mode de compréhension mystique. »
Mais pour que le lecteur puisse arriver à une vue plus claire et
entrer davantage dans le détail de ce qu’embrassent les visions
d’Anne-Catherine, on essayera, dans ce qui va suivre, de lui donner
une clef qui puisse lui ouvrir l’entrée de ce cercle merveilleux.
Comme on l’a déjà fait remarquer plus haut, les premières visions
de sa jeunesse appartenaient pour la plupart à l’Ancien Testament :
elle en eut plus tard sur la vie du Sauveur, d’abord rares, puis de plus
en plus fréquentes. Elle voyait tout l’Ancien Testament dans sa
signification figurative et éternelle, c’est à dire dans la liaison intime
qui le rattache par tous les points au mystère de la très sainte
Incarnation et à celui de la Rédemption.
Elle voyait ce rapport comme quelque chose de vivant qui
descendait le cours des siècles à travers des séries d’époques et de
générations déterminées par Dieu. Elle voyait les personnages qui,
dans cet ordre disposé par Dieu étaient appelés par lui à avancer
pour leur part la plénitude des temps toute leur histoire et tous leurs
actes jusque dans les plus petits détails. Elle connaissait la position et
la signification particulière que chacun d’eux avait dans l’ordre du
salut par rapport à son époque et par rapport au Sauveur lui-même.
Elle voyait toutes les grâces que Dieu leur avait accordées,
comment Dieu les avait dirigés et comment les fruits de bénédiction
produits par l’action qu’ils avaient exercée s’étaient perpétués de
génération en génération. Elle voyait en outre le travail de l’enfer, les
formes infiniment variées et les influences diaboliques de l’idolâtrie.
Elle apercevait toutes les perturbations suscitées par la puissance
ennemie toutes les attaques par lesquelles le royaume de Satan
menaçait, dès l’origine, l’économie du salut.
Elle voyait toutes ces images dans un rapport continuel avec le
présent. Ainsi, à la vision sur le bâton d’Elisée, se liait pour elle la
signification du bâton pastoral des évêques, la cause de son pouvoir
intérieur et de sa dignité, et la relation de toutes ces choses avec celui
qui donne à tous leur mission, et avec la foi qui donne l’efficacité à
tout pouvoir conféré par lui.
Rien donc qui ne trouve sa place dans la sphère des visions de
cette enfant humble et naïve : de même que les plus profonds
mystères de la grâce sont à découvert devant ses yeux, de même aussi
une foule de détails qui paraissent appartenir davantage au cadre de
l’Histoire Sainte sont visibles pour elle. Ainsi, par exemple, pendant
qu’elle voit le corps d’Adam dans sa gloire avant la chute et les
conséquences humiliantes que la chute entraîne pour lui dans son
rapport mystérieux avec les cinq plaies du corps du Christ, dans les
mérites infinis desquelles elle voit la restitution des cinq effluves de
lumière qu’Adam avait perdus dans la chute, mais qui lui seront
rendues dans son corps glorifié, elle voit une fois la source du
Jourdain ouverte par Melchisédech et le lit du fleuve lui être désigné
d’avance.
C’est Melchisédech qu’elle voit mesurer l’emplacement de la
piscine de Bethesda, de même que les chemins et les sentiers que les
prophètes ont suivis en annonçant le Messie, et sur lesquels lui-
même, pour accomplir cette figure, devait parfaire sa sainte carrière
de prédicateur. Melchisédech sépare et conduit les familles et les
races de peuples, il pose à Sion la pierre sur laquelle doit s’élever plus
tard le sanctuaire de Dieu, il plante dans le Jourdain comme des
semences les pierres qui auront à supporter l’arche d’alliance quand
le peuple de Dieu reprendra possession de l’héritage de ses pères et
qui, après un long oubli, sortent de nouveau des flots du Jourdain,
afin que celui que figurait l’arche d’alliance, le fils de Marie, reçoive
sur elles le baptême.
De même enfin qu’Anne-Catherine voit tous les événements de la
vie extérieure de Noé, Hénoch, d’Abraham et des patriarches, elle
reconnaît aussi la signification figurative de chacune de leurs actions
et aperçoit les liens intérieurs de la grâce et ses influences
mystérieuses, le nœud vivant et éternel par lequel les personnes, les
générations et les époques sont rattachées entre elles et au point
central de tous les temps, et elle met cela devant les yeux, dans des
visions pleines du sens le plus profond sur la bénédiction des
patriarches, l’arche d’alliance et les ancêtres de Marie.
C’est ainsi qu’elle arrive à l’époque de l’accomplissement, et
comme auparavant, elle a vu ce qui est nouveau dans ce qui est
ancien, elle voit maintenant ce qui est ancien dans ce qui est
nouveau : toute la vie de l’Homme Dieu sur la terre, depuis l’instant
de la très sainte Incarnation jusqu’à celui où il monte au ciel, passe
devant ses yeux dans les tableaux les plus complets, avec tout le
théâtre de sa carrière et de ses opérations, avec toutes les personnes
qui se sont trouvées en rapport intime avec le Seigneur.
Elle voit le Seigneur dans les fruits de ses mérites infinis, elle le
voit par conséquent comme la tête de l’humanité régénérée en lui,
c’est à dire de son corps mystique, l’Eglise, et elle voit celle-ci dans
toute sa hiérarchie, dans toutes ses parties et à tous ses degrés, sans
être limitée par le temps ou l’espace. Car en Jésus Christ qu’est la
tête, les rangs de l’Eglise triomphante lui sont ouverts : elle est ravie
en esprit pour assister à ses fêtes, suivant l’ordre de l’année
ecclésiastique, et elle y reçoit des consolations qui l’aident à
supporter les fatigues de sa course sur la terre. En lui aussi les rangs
de l’Eglise souffrante lui sont ouverts ; et en les parcourant, non
seulement elle regarde, mais elle console, assiste, délie et délivre.
En lui, enfin, toutes les époques de l’Eglise lui sont présentes ainsi
que la vie de tous ses saints et l’action exercée par eux, à partir du
temps des apôtres jusqu’au moment où elle vit, et, semblable à une
abeille, elle recueille les fruits bénis de leurs mérites pour en tirer de
quoi fortifier et soulager tous les nécessiteux de son époque.
IX

Toutes ces visions ont le caractère historique le plus rigoureux ; ce


ne sont pas des réflexions sur les événements, c’est le reflet
immédiat, complet des faits eux-mêmes, lesquels sont présentés à la
voyante comme l’image dans le miroir {6}. C’est là ce qui donne aux
visions d’Anne-Catherine une supériorité marquée sur les visions de
Marie d’Agreda, telles qu’elles sont consignées dans le livre si célèbre
autrefois de la Cité mystique de Dieu. Autant ces deux personnes se
ressemblent en ce qui touche la sainteté de la vie, autant est grande
d’un autre côté la différence qui existe dans leurs prédispositions
naturelles et par suite dans la manière dont elles perçoivent la
lumière d’en haut et usent du don de contemplation qu’elles ont reçu.
La vénérable Marie d’Agreda, favorisée dès sa jeunesse, comme
Anne-Catherine, d’illuminations divines, est par nature un esprit
spéculatif, viril, qu’il est tout simple de voir procéder à la façon des
théologiens et faire usage, sans avoir besoin pour ainsi dire de les
chercher, de tous les termes et de toutes les subtilités de l’école : ce
n’est qu’après une longue préparation et après avoir longtemps
exercé ses facultés contemplatives sur tous les mystères de la foi et de
la vie spirituelle qu’elle en vient à retracer ses visions.
Mais dans la contemplation même un esprit ainsi formé et comme
armé de toutes pièces ne peut pas se comporter d’une façon
purement passive : il s’empare de l’objet, non pour le regarder, mais
pour en scruter la vérité et la profondeur, en saisir le rapport
immédiat avec sa propre manière d’être et en tirer tout le profit
possible pour soi et pour autrui.
Au sein de l’abondante lumière dont elle est favorisée, Marie
d’Agreda pénètre dans les mystères contemplés et l’intelligence
qu’elle en a est aussi profonde et aussi claire que la contemplation
elle-même : mais la méditation ne cesse pas d’être méditation et ne
peut s’appeler vision qu’à cause de la lumière surnaturelle dans
laquelle les mystères se manifestent à elle. Ses visions ne sont donc
pas des intuitions de faits ou d’événements dans des tableaux
strictement historiques, mais sont plutôt la perception d’un sujet de
méditation choisi par elle-même dans la lumière supérieure infuse.
Il en est tout autrement d’Anne-Catherine qui, sans choix, sans
désir, n’agissant pas mais se bornant à recevoir, voit les images qui
lui sont présentées, tantôt les accueille avec une adhésion joyeuse,
tantôt s’efforce en vain d’y échapper lorsque la peine causée par ce
qu’elle voit lui semble au dessus de ses forces. Elle est, pendant toute
sa vie, la petite paysanne simple, illettrée, tout à fait incapable de
réflexion, qui ne va jamais au delà de ce qui est immédiatement
contemplé ; qui vit, souffre et agit dans la contemplation, de telle
façon que le pèlerin, peu avant sa mort, lorsqu’elle ne peut pas
rendre compte d’une instruction du Sauveur, dit en gémissant :
« Je n’ai jamais vu se produire en elle une science particulière
résultant des enseignements qu’elle avait entendus, mais seulement
un ascétisme pratique toujours semblable à lui-même dans ses traits
généraux. La vie de son âme est magiquement active et passive sans
raisonnement. » Le raisonnement ne pouvait assurément être son
affaire, parce que vivant exclusivement dans la contemplation
actuelle, elle n’avait besoin d’aucune idée qui en dérivât. C’est
pourquoi dans ses visions Anne-Catherine se comporte d’une
manière purement passive, elle ne les comprend pas quand elles ne
lui sont pas expliquées par son conducteur spirituel ou par son fiancé
divin : c’est pourquoi encore tout ce qu’elle raconte de ses visions se
distingue par une admirable simplicité et par une clarté qui fait
presque toucher les choses au doigt, bien qu’il y ait en même temps
une profondeur mystérieuse qui partout fait dire au lecteur : il n’y a
rien là d’inventé, rien qui soit d’invention humaine.
Nulle part non plus il ne rencontre l’ombre d’une application
ornée de réflexions morales ce qu’il trouve toujours devant lui, c’est
la force irrésistible de la vérité toute simple, qui dans son caractère
rigoureusement historique ne peut faire naître chez personne la
tentation de coudre ça et la quelque chose ou d’amplifier et de
moraliser. Il en est tout autrement dans les visions de la vénérable
Marie d’Agreda. Comme elles se sont produites avec le concours de
l’activité humaine, elles pouvaient plus facilement donner lieu à ce
qu’un zèle peu éclairé ne se fît aucun scrupule de les dénaturer par
des additions insipides et des changements arbitraires, comme cela
s’est fait d’une manière qu’on ne saurait trop déplorer dans la Cité de
Dieu. {7}
Nulle part la différence signalée entre les deux contemplatives ne
frappe les yeux plus vivement que dans ce que Marie d’Agreda et
Anne-Catherine disent du premier article du symbole. Ce fut dans sa
cinquième année qu’Anne-Catherine eut sa première vision sur la
création du monde, le paradis terrestre et nos premiers parents : elle
contempla ces tableaux profondément significatifs avec toute la
simplicité d’un enfant, et dans sa quarante huitième année, après les
avoir vus de nouveau, elle les raconta absolument comme elle l’aurait
fait dans son enfance, rapportant simplement ce qu’elle avait vu,
sans y joindre aucune réflexion et sans paraître le moins du monde
vouloir donner des explications sur des mystères aussi difficiles à
comprendre.
C’est tout autre chose chez Marie d’Agreda, qui ne voit pas le
tableau historique, mais qui sait quelles controverses théologiques
préoccupent les esprits à son époque et de combien de façons la
spéculation s’est efforcée de résoudre la question de savoir si le Fils
de Dieu se serait fait homme lorsqu’Adam n’aurait pas péché. Elle
répond à cette question d’une façon si lumineuse et discute tous les
points fondamentaux avec tant de profondeur que le lecteur se sent
très porté à croire que la réponse lui est venue par une illumination
surnaturelle.
Mais même là où elle ne donne pas de décisions théologiques et où
elle se borne à raconter des faits comme Anne-Catherine, celle ci a
l’avantage de la vision purement historique et par conséquent de la
pleine vérité historique. C’est ce que le lecteur peut voir expliqué
avec une clarté surprenante dans l’extrait suivant du journal du
pèlerin.
Au récit de la mort de saint Jean Baptiste fait par Anne-Catherine,
à la date du 12 janvier 1823, il objectait que Marie d’Agreda raconte
la chose autrement ; elle dit en effet qu’Hérodiade ayant fait fouetter
trois fois et torturer saint Jean, Jésus et Marie lui apparurent et le
guérirent, qu’il fut mis aux fers et serait bientôt mort de faim si Jésus
et Marie ne l’avaient pas nourri ; qu’en outre, lors de son exécution,
ils lui apparurent, suivis d’une troupe innombrable d’anges, et que
Marie prit dans ses mains la tête du : précurseur. Or, voici ce
qu’Anne-Catherine répondit à cela :
« J’ai souvent entendu des choses de ce genre qui sont tout à fait
mal comprises : car chez plusieurs les visions ne sont pas historiques
et ne représentent pas les choses comme elles se sont passées
réellement ; mais ce sont des méditations : c’est à tort qu’on les
prend pour l’image de la réalité, ce qu’elles ne sont point, bien que
d’ailleurs elles soient vraies quant à leur signification intérieure.
Quand les visions ne sont pas fréquentes et ne forment pas une série
successive, toutes les choses y paraissent mêlées et liées les unes aux
autres, sans quoi l’on n’embrasserait pas tout ce que contient
l’ensemble.
Si par exemple on doit voir qu’un homme près d’être exécuté prie
en ces termes : « Seigneur, je remets ma tête entre vos mains, » et
en outre que Dieu exauce cette prière, il peut facilement arriver qu’on
voie l’homme décapité mettre sa tête dans les mains du Seigneur qui
se tient près de lui, ce qui du reste se trouve véritable dans le sens
spirituel, bien qu’humainement parlant, la tête tombe par terre aux
yeux de tous les assistants.
Ainsi, pour la vénérable Marie d’Agreda, la rage d’Hérodiade peut
avoir été représentée par « les chaînes et les entraves » ; les actes
honteux et les péchés commis dans le château que Jean ressentait
douloureusement par « les flagellations et les tortures : » et la tête
entre les mains de Marie peut avoir signifié qu’au moment de sa
mort, avant de naître à la vie éternelle, Jean se souvint encore de
celle dans le sein de laquelle il avait salué et annoncé Jésus, avant sa
naissance sur la terre. On peut aussi voir toutes les pensées et les
prières d’un homme, représentées par des images où il ne faut pas
toujours voir les choses arrivées réellement. Ce sont des méditations
et elles diffèrent suivant la manière d’être et les besoins des
contemplatifs. »
Si, comme on l’a déjà remarqué, on peut admettre comme certain
que la Cité de Dieu ne se trouve pas entre nos mains dans sa forme
primitive, parfaitement correspondante à la contemplation de Marie
d’Agreda, mais altérée de mille manières par l’addition des réflexions
prolixes ; si, en outre, plusieurs lecteurs des visions présentées ici se
sentent tentés d’établir de plus près la comparaison entre celles-ci et
la Cité de Dieu, c’est le cas de leur mettre sous les yeux, une vision
allégorique, d’un sens très profond dans sa simplicité, qu’Anne-
Catherine eut sur cet objet.
Le 25 juillet 1822, Anne-Catherine vit beaucoup de choses
touchant la vie de l’apôtre saint Jacques, et particulièrement
touchant son séjour en Espagne. Mais comme elle avait oublié les
détails d’une apparition de la mère de Dieu à Sarragosse, le pèlerin
lui lut dans l’après midi du 24 juillet le récit de cette apparition, avec
la circonstance de l’image miraculeuse apportée par un ange, tel que
le récit se trouve dans la Cité de Dieu. Or Anne-Catherine ne pouvait
pas comprendre comment Marie d’Agreda, qui était censée avoir vu
la chose avec autant de détails, ne décrivait pourtant rien et ne
donnait que de pures phrases.
« Je ne sais pas ce qui en est, dit elle, mais je n’entends jamais ni
Jésus, ni Marie parler ainsi. Marie est d’une simplicité que rien ne
peut rendre : tout son être est comme un fil de soie blanche, d’une
délicatesse infinie. Je ne sens pas d’onction dans ces paroles ni dans
tout ce que j’ai lu : il n’y a là que du bruit et des ornements
recherchés : il me semble voir une belle dame avec un large éventail
de toilette. »
Le lendemain elle raconta par fragments la vision suivante sans
s’apercevoir le moins du monde de sa liaison avec les visions des
jours précédents. « Il était impossible, disait-elle, d’expliquer à quoi
cela pouvait avoir trait. » On finit par savoir qu’elle avait pensé au
miracle de Sarragosse, et désiré le voir de nouveau : mais elle avait
été surprise « de voir tout cela d’une autre manière, bien plus
naturelle et plus claire : seulement elle ne savait pas ce que c’était
que cette personne si larges. »
Elle avait été introduite par son guide dans la scène suivante qui
cette nuit avait pris la place des voyages qu’elle faisait ordinairement
pour porter secours, après les visions journalières de la vie de Jésus :
car elle était allée comme de coutume par les chemins qui menaient
aux pays où elle avait quelque chose à voir.
Elle raconta donc ce qui suit : « J’ai eu aujourd’hui une curieuse
histoire d’un enfant avec un seul œil. Je suivais avec mon conducteur
le chemin qui mène d’ici en Espagne à travers la France et, dans le
voisinage de l’Espagne, à un endroit sur le bord de la mer, où nous
devions nous embarquer, nous rencontrâmes deux personnages
étranges, un vieillard à l’air grave qui était vraiment excellent et qui
possédait tout en lui-même, et une large femme, qui était
singulièrement pompeuse, prolixe, contournée et cérémonieuse.
Elle portait une robe ridiculement large, qui ressemblait par
derrière à une vieille ville. Elle était avec cela couverte de cordons
avec toute sorte de collerettes et de garnitures, et elle n’en finissait
jamais avec ce qu’elle avait à faire et à dire. Ces deux personnages
avaient près d’eux un enfant merveilleux couché sous un buisson au
bord de la mer. À vrai dire l’enfant ne leur appartenait pas : ils
l’avaient pris, trouvé ou dérobé : enfin ils s’en étaient emparés et ils
voulaient s’en faire honneur ou le faire voir pour de l’argent.
Je ne sais pas bien de quoi il s’agissait, mais ce qu’ils se
proposaient d’en faire, surtout la femme, n’était pas dans les règles.
Je vis aussi dans une vision qui faisait le pendant de l’autre que cette
large personne qui faisait la dévote, et qui était très obstinée dans ses
idées, portant l’enfant qu’elle étouffait sous ses immenses vêtements,
voulait entrer dans l’église par un passage très étroit ; mais elle n’en
venait pas à bout et restait toujours sans pouvoir avancer, dans
l’étroit passage : elle était obligée de sortir, puis elle essayait encore
d’entrer avec une nouvelle obstination, mais sans vouloir déposer ses
vains ajustements. »
« L’enfant, lorsque je le rencontrai, avait, je crois, cinq semaines ;
je le pris avec moi, car je le connaissais déjà, et je le mis dans mon
tablier. Il ne voulait pas me quitter, je lui donnai à manger, et cette
femme fut obligée de se retirer. Je ne sais plus bien comment cela se
fit, mais le bon vieillard resta toujours près de moi. Cet enfant était
celui d’un roi céleste et d’une impératrice de la terre : je ne sais plus
cette histoire. Une chose singulière fut qu’étant avec moi, l’enfant
prit une croissance très rapide : il fut tout de suite en état de parler et
de marcher, bien qu’il n’eût que cinq mois.
Dans ce voyage en Espagne, il y avait toujours des gens près de
moi, c’étaient saint Jacques et ses disciples. Je vis dans le lointain
diverses personnes du temps actuel : quand nous passions quelque
part, il venait plusieurs saints qui avaient vécu dans cet endroit ; ils
étaient surpris à la vue de l’enfant qui partout se tenait debout et
enseignait, qui donnait toute espèce d’indications et restait toujours
près de moi.
Mais ce qu’il y avait de surprenant dans cet enfant, c’est que ses
yeux étaient fermés, et qu’il avait sur le front un œil semblable à un
soleil, semblable à l’œil de Dieu ; et qu’en parcourant avec moi toute
l’Espagne, en passant dans les endroits où saint Jacques était allé, il
me montrait tout et m’expliquait tout. Je vis aussi une seconde fois la
scène de l’apparition de Marie à saint Jacques, à Sarragosse, et tout
s’y passait très naturellement. »
Si nous cherchons maintenant à découvrir le sens de cette vision,
nous pouvons voir Marseille dans cet endroit au bord de la mer, où
Anne-Catherine s’embarque pour l’Espagne. C’est là que parut la
première traduction de la Ciudad de Dios, sous le titre de : La
mystique cité de Dieu. Les deux étranges personnages qu’elle
rencontre symbolisent la double disposition avec laquelle furent
reçues les visions de la vénérable Marie d’Agrèda. Le vieil homme qui
a tout en lui-même est la vraie simplicité qui reçoit avec une humble
reconnaissance ce don précieux de la grâce sans se permettre d’y
ajouter des embellissements de sa façon.
C’est avec cette simplicité que la vénérable Marie d’Agrèda avait
reçu ses visions, et les avait communiquées à d’autres pour obéir à
l’ordre de Dieu : mais ceux-ci, ne pouvant souffrir la simplicité, font
subir aux visions des remaniements qui sont indiqués d’une manière
si pittoresque par le symbole de la femme en robe à paniers comme
on les portait en Espagne au XVIIe siècle. C’est pourquoi ce faux zèle
qui, sacrifiant au mauvais goût de l’époque, a dénaturé la Cité de
Dieu et en a fait une pomme de discorde théologique, n’a pas réussi à
obtenir pour elle l’approbation de l’Eglise. Le don gratuit de
prophétie, tel que Marie d’Agrèda l’a reçu dans toute sa pureté, est
représenté par le symbole de l’enfant né du mariage de Jésus Christ
le roi céleste avec sa fiancée l’impératrice de la terre, c’est à dire
l’Eglise.
Anne-Catherine le rencontre sous un buisson au bord de la mer :
car la femme aux larges atours l’a traité comme un enfant trouvé et
en a usé indignement avec lui, s’imaginant faire une bonne œuvre.
Cet enfant de prophétie avec la vénérable Marie d’Agrèda n’a que
cinq semaines et ne sait pas encore parler : avec Anne-Catherine, il
grandit au quadruple et se trouve en état de parler et de marcher.
C’est un symbole non seulement de la différence de degré dans la
grâce gratuite départie à l’une et à l’autre, mais aussi de son caractère
intime.
Marie d’Agrèda parle elle-même à la place de l’enfant prophétique
qui avec elle n’a pas encore l’usage de la parole, parce que, recevant
dans la contemplation la lumière de la science infuse, elle laisse
prédominer son activité propre tandis qu’avec Anne-Catherine
l’enfant ayant acquis promptement l’usage de la parole parle lui-
même par sa bouche, parce qu’elle se borne à recevoir, et que son
activité même est passive. Elle nourrit l’enfant parce qu’elle use avec
fidélité et simplicité du don de la grâce, et le vieillard reste toujours
près d’elle, car le pèlerin reproduit les visions aussi fidèlement et
aussi simplement qu’Anne-Catherine les lui communique.
Anne-Catherine continua ainsi son récit : « Partout où nous
allions, il arrivait d’en haut des troupes entières de saints qui avaient
eu aussi des visions : tous étaient émerveillés de l’enfant, et l’enfant
me les montrait du doigt, me faisant connaître comment chacun
d’eux avait vu et prophétisé, et je vis là combien il y a de diversité et
de variété dans les procédés. Et cela s’est fait sur toute la terre dans
tous les temps et par les prophètes de l’Ancien Testament en
remontant jusqu’à Adam. C’était incroyablement multiple et varié,
mais pourtant suivant un ordre régulier, en sorte que je pouvais
saisir l’ensemble.
Je me rappelle encore comment la mère de Samuel pria devant
l’arche d’alliance ; Héli voulait la renvoyer, car elle avait le visage
enflammé par l’ardeur de son désir, et il la croyait ivre. Mais un
rayon partit de l’arche et vint sur elle. J’y vis comme un petit enfant,
et Héli lui dit que sa prière était exaucée et qu’elle aurait un fils. Il
tenait comme une cassette en face d’elle {8} lorsqu’il la bénit. Je vis
aussi infiniment de choses sur tous les prophètes et sur toutes les
sortes de visions et de prophéties. Mais tous s’émerveillaient à la vue
de l’enfant comme si personne encore n’avait possédé cet enfant de la
même manière que moi. »
« Je vis aussi la prophétie qui émane de l’empire des ténèbres et
celle qui appartient à l’ordre naturel, celle-ci se liant de près à l’autre.
Je vis ces divers règnes comme de grosses boules rondes de couleur
sombre, les unes plus obscures, les autres plus claires, et semblables
à des sphères terrestres : toutes les choses que l’on voit ainsi en
général comme dans un seul ensemble, on les voit comme des globes
terrestres.
Je vis des esprits au centre et je vis certaines influences passer
d’un de ces globes dans les autres et à travers les autres. Je vis les
somnambules magnétiques, soit dans une de ces sphères
ténébreuses, soit influencés par elle, car la plupart du temps je vis
devant le magnétiseur un esprit ténébreux venant de ces sombres
royaumes entrer dans ceux qui parlent en rêvant et en prendre
possession {9}.
Je vis que leur divination était, la plupart du temps d’origine
terrestre, et qu’il y avait là quelque chose d’indécent et de dangereux,
mais à divers degrés. Je vis des religieux et des religieuses
visionnaires auxquels arrivaient quelques rayons partant de ces
sphères ténébreuses : il y en avait plusieurs en Espagne, jusque
parmi ceux qui voyaient des choses de l’ordre spirituel, même des
représentations de la passion et de la vie du Christ.
Il s’en trouvait parmi ceux-là qui se macéraient et se mortifiaient
beaucoup, et pourtant des forces venant des régions inférieures,
traversaient leurs apparitions et en altéraient le caractère par des
influences appartenant aux sphères diaboliques ou naturelles, avec
lesquelles ils se trouvaient en quelque rapport par leurs faiblesses. Le
caractère personnel de leurs supérieurs ecclésiastiques et les sphères
du ressort desquelles étaient ceux-ci exerçaient aussi une action. J’en
vis qui étaient entièrement dominés par les puissances mauvaises. »
« Je vis tous ces rapports avec des esprits et des démons jusque
parmi les anciens païens et chez les Maures et les sauvages. Si je
pouvais redire tout ce que j’ai vu, on en ferait un gros livre. »
« Je vis aussi les modes tout à fait divers de l’intuition. Quelques
uns étaient subitement entourés par les figures : ils les retraçaient
sous une forme abrégée et elles restaient tout ce temps devant eux.
D’autres étaient remués au fond de l’âme, parlaient longuement et
écrivaient de grands sermons. D’autres se sentaient intérieurement
réconfortés ils recevaient toute espèce d’images allégoriques mêlées à
des scènes historiques, et quand ils les racontaient, ils ne savaient
pas faire la distinction mais je n’en vis aucun qui eût vu les scènes
jour par jour et simplement comme elles s’étaient passées. »
« Je crois que la nuit dernière, je dois avoir parcouru toute la terre
avec l’enfant : quand j’arrivais à un endroit où je pouvais assister des
malades ou des mourants, ou rendre quelque autre service, je
quittais l’enfant et faisais mon travail : car mon guide était toujours
là. Mais je voyais dans le lointain autour de l’enfant et aussi autour
de moi beaucoup de personnes de mon temps et de ma connaissance
qui s’émerveillaient. Ce sont peut-être ceux qui dans l’avenir
acquerront une connaissance plus détaillée de ces choses. »
« Je m’éveillai enfin après ces tableaux, et je vis l’enfant qui était
couché près de moi, ce qui me fit peur. Je m’endormis de nouveau, et
alors je me trouvai toute petite à Flamske dans notre maison :
comme je suivais mon chemin derrière le troupeau sur la lande, je
trouvai dans un buisson l’enfant redevenu tout petit : je courus
chercher de la bouillie et je lui donnai à manger. Je vis ensuite toute
une série de tableaux, comprenant toute ma vie jusqu’au moment
présent ; je vis arriver l’enfant, j’eus une répétition complète de mes
destinées, de mes consolations et aussi de toutes les douleurs que j’ai
eu à endurer et j’étais toute brisée par la souffrance.
J’eus aussi à subir de nouveau les deux enquêtes et la dernière
avec tout ce qu’elle avait d’affreux. Je vis aussi l’enfant à Rome où il
montrait toute sorte de choses. Je vis encore l’enfant enseigner à
Munster à une autre époque. Là où était le château, beaucoup de
choses avaient disparu. Je vis une autre manière de vivre : quelques
messieurs de l’époque actuelle passèrent devant moi : ils étaient
vieux et mécontents, et parlaient de changements qu’ils trouvaient
incommodes. Je vis sous la figure d’un enfant l’évêque qui devait
commencer à bien arranger les choses. Peut-être qu’il est encore
enfant : il n’était pas du pays. À l’époque où ces dernières choses
auront lieu, je serai déjà morte. »
« Dans ces tableaux j’ai souvent vu le pèlerin près de moi. Je
n’avais pas peur de lui, et l’enfant non plus : il l’accompagnait
tranquillement et sans s’étonner. Je vis aussi mon confesseur qui
souvent ne comprenait pas l’enfant et voulait le chasser ou le cacher,
mais toujours inutilement : il restait près de moi et revenait aussitôt.
Il se tenait souvent loin de lui, puis il se familiarisait de nouveau avec
lui, mais il ne le comprenait jamais parfaitement et il en avait peur.
Je vis encore que le père Lambert comprima souvent l’enfant et tout
le mal qu’on lui fit. Je vis aussi beaucoup de gens pour lesquels il fut
plus tard un sujet de grande joie et de grande admiration. »
Le pèlerin ajoute ce qui suit à son compte rendu de cette singulière
vision : « D’après cette misérable esquisse bien embrouillée, on peut
juger dans quelle mesure elle a vu, et se figurer tout ce qu’elle a vu et
tout ce qui manque ici. »
Maintenant que le lecteur, pour avoir la pleine confirmation de la
vision allégorique, compare ce qu’Anne-Catherine a communiqué sur
l’apparition de Marie à Sarragosse, avec ce que la Cité de Dieu met
dans la bouche de Marie d’Agreda sur le même sujet. Voici le récit
d’Anne-Catherine : « Je vis saint Jacques, accablé de tristesse à
l’approche d’une persécution qui menaçait l’existence de la
communauté chrétienne de Sarragosse, prier pendant la nuit au bord
du fleuve, devant le mur de la ville : il avait avec lui quelques
disciples qui étaient dispersés ça et là, et couchés par terre ; je me
disais : c’est comme le Christ sur le mont des Oliviers. Jacques était
couché sur le dos, les bras étendus en croix.
Il priait Dieu de lui faire connaître s’il devait rester ou fuir : il
pensait à la sainte Vierge et demandait qu’elle priât avec lui pour
obtenir conseil et assistance de son Fils qui l’exaucerait
certainement. Je vis alors quelque chose resplendir dans le ciel au
dessus de lui : c’était une colonne dont la base envoyait un rayon plus
brillant à deux pas en avant des pieds de l’apôtre comme pour
désigner par là une place déterminée. Cette colonne répandait une
lueur rougeâtre où se montraient comme des veines de diverses
couleurs. Elle était haute et mince et se terminait au sommet comme
par une fleur de lis, formée de langues de feu qui se déployaient tout
autour, tandis que l’une d’elles s’agitait au loin vers le couchant dans
la direction de Compostelle.
Dans cette fleur lumineuse je vis la figure de la sainte Vierge : elle
était d’une blancheur diaphane, plus douce et plus agréable à l’œil
que le brillant de la soie écrue, et se tenait dans l’attitude qui était
habituelle à Marie lorsqu’elle était en prière. Elle avait les mains
jointes et son long voile était relevé d’un côté sur la tête, mais l’autre
extrémité descendait jusqu’aux talons et l’enveloppait entièrement,
et ses pieds posaient légèrement sur la fleur lumineuse formée de
cinq langues de feu. Il y avait dans ce spectacle un charme et une
beauté que rien ne peut rendre. Je vis Jacques se redresser sur ses
genoux en priant, et averti intérieurement qu’il devait aller en Galice,
pour y annoncer la foi, et que la prière de Marie l’y précéderait et s’y
enracinerait comme une colonne. Je vis alors la colonne s’élever et se
perdre dans la lumière.
Jacques se leva, il appela les disciples qui vinrent à lui en toute
hâte, leur raconta l’apparition merveilleuse, et ils suivirent tous des
yeux la clarté qui s’évanouissait peu à peu. Je vis aussi Jacques, avant
son départ pour la Galice, enseigner en ce lieu et parler de cette
vision ; à l’endroit qu’avait désigné le rayon parti de la colonne, on
érigea une pierre avec un creux où l’on planta quelque chose. Je ne
vis pas d’anges accompagner cette apparition, et je n’entendis aucune
parole sortir de la bouche de Marie ; elle se tenait debout, priant
tranquillement, comme peut-être en ce moment même elle priait
dans sa chambre.
Je vis aussi la colonne et l’image de la mère de Dieu qu’on révère
aujourd’hui en cet endroit comme y ayant été apportée du ciel. Elle
est toute différente : elle est belle à la vérité, mais elle est très petite
et n’est pas ressemblante. J’ai oublié d’où elle tire son origine. Je vis
aussi que ce ne fut qu’assez tard qu’une église s’éleva à cette place et
seulement quand cette apparition eut été confirmée par un miracle. »
« Pendant que je voyais cela, il se trouvait là beaucoup de saints,
et d’autres personnages qui devaient attester ce que disait l’enfant
prophétique. »
X

Le pèlerin fait une distinction entre les visions historiques d’Anne-


Catherine et ses visions allégoriques, et outre celles-ci, il distingue
encore ce qu’on appelle la clairvoyance. En ce qui touche les visions
allégoriques, on verra bientôt qu’elles ne peuvent être nommées ainsi
que par rapport à nous qui ne sommes point contemplatifs, mais que
pour Anne-Catherine elles ont quelque chose de réel, d’immédiat et
d’actuel comme celles qui sont proprement historiques.
En effet, l’intuition d’Anne-Catherine étant l’œuvre de la grâce qui
saisit l’homme tout entier, l’âme avec toutes ses puissances se trouve
introduite dans l’ordre supérieur qui lui est ouvert par la lumière
divine infuse : il s’ensuit que la faculté de connaître n’est pas seule à
percevoir et à agir, mais qu’il en est aussi de même de la volonté ;
c’est à dire que la contemplation est aussi amour et action dans
l’amour, et que ces deux puissances agissent de concert. Mais cette
action en tant que méritoire a un double caractère. Car elle est
dépendante des lois de l’ordre surnaturel dans lequel la
contemplation se meut, comme des lois de la vie terrestre à laquelle
elle continue d’appartenir et de payer son tribut.
Un exemple servira à éclaircir ce qui vient d’être dit. Une fois,
dans ses visions sur les années de prédication du Sauveur, Anne-
Catherine le voit parcourir la haute Galilée avec six de ses disciples
par une admirable nuit d’été qu’éclaire la lumière des étoiles. Elle fait
des actes d’adoration et d’amour, elle demande pour elle même et
pour l’Eglise de son temps la communication des grâces attachées à
la très sainte vie du Sauveur sur la terre, puis dans un travail en
oraison qui s’intercale dans cette vision historique il lui est accordé
de puiser pour elle et pour d’autres à la source éternelle, inépuisable
de ces mérites de son Rédempteur :
« Lorsque je me rapprochai du Sauveur, dit-elle ? Je vis errer
autour de moi un bétail innombrable, des vaches, des brebis de très
grande taille et de petits animaux sauteurs avec des oreilles pointues.
Je voulais rassembler les vaches, mais elles s’échappaient toujours
les unes d’un côté, les autres de l’autre, et j’avais beaucoup à faire.
Une chose singulière, c’est que ce bétail appartenait à Jésus et aux
apôtres, et qu’un des apôtres me dit de le mener à une étable qu’il me
montra. Cette étable ressemblait tout à fait aux grandes hôtelleries
où s’arrêtèrent les trois rois dans leur voyage ; j’y fis entrer ces
animaux. C’est tout en me livrant à ce travail de bergère que je vis le
tableau du voyage de Jésus. L’apôtre ne s’éloigna pas de Jésus pour
me parler. Ce fut plutôt une apparition. »
Le jour suivant Anne-Catherine continua en ces termes : « Il m’a
fallu maintenant faire sortir les vaches que j’avais rassemblées hier.
J’avais à les conduire dans notre pays : la route ne me paraissait pas
plus longue que celle de Dulmen à Cœsfeld. Je ne passai pas par le
chemin ordinaire, c’était un chemin imaginaire. J’eus une peine et
une difficulté incroyables à rallier ces vaches et à les faire marcher
ensemble. Je voulais les avoir par couples, mais je n’en pus garder
que trois fois sept que j’amenai à bon port. Et avec quelle fatigue ! À
tout moment quelques unes retournaient leurs cornes contre moi, et
j’eus une peine infinie à en venir à bout. »
Ici elle parla avec beaucoup de détails sur la difficulté de faire
rentrer les vaches quand il pleut, et de toute la peine que cela lui
donnait dans sa jeunesse. « J’avais bien des saints où des personnes
en prière qui m’aidaient, mais je n’avais qu’un sentiment confus de
leur présence : quand je regardais de leur côté, ils n’étaient plus là.
Lorsque j’allai chercher le bétail, je vis comme du haut d’une
montagne, Jésus et les disciples se diriger le jour du sabbat vers un
petit endroit. Je remis les vaches à l’endroit où on les attendait : elles
furent reçues par des ecclésiastiques et d’autres personnes qui les
conduisirent dans plusieurs paroisses, je crois que c’était dans les
environs de Cœsfeld. »
« Mon guide m’a expliqué cette vision, et j’en ai eu beaucoup de
joie. Ce sont des prières exaucées, des grâces que j’ai obtenues pour
vingt et une paroisses qui s’étaient recommandées à mes prières. J’ai
trouvé les vaches errant ça et là dans la terre promise, ce qui veut
dire que dans ce pays il reste beaucoup de grâces et de mérites de
Jésus et des apôtres, dont on ne profite pas et qui se perdent, que je
les ai recueillis et conduits, pour ainsi dire, avec beaucoup de fatigues
à ceux qui s’étaient recommandés à mes prières.
Quand les vaches se détournaient, cela indiquait que certains
pasteurs ne persévéraient pas dans la prière, qu’ils avaient prié avec
tiédeur, que la grâce ne voulait pas aller à eux : les zélés allaient au
devant des grâces, représentées par les vaches (des vases vivants de
la grâce, des vases de lait). Il me fallait suppléer par des efforts
extraordinaires à la tiédeur des premiers. J’avais vingt et une de ces
vaches pour différents pays : il y en avait pour l’Irlande, pour la
Hollande, et aussi pour des endroits qui sont dans les environs de
Cœsfeld, d’Osnabruck et de Paderborn. »
Le lecteur voit ici comment ce qu’Anne-Catherine demande pour
autrui dans ses visions doit être mérité par elle, au moyen d’œuvres
qui satisfassent pour les offenses de ceux qui doivent participer aux
fruits de sa prière. Ces œuvres sont à la fois image et réalité, allégorie
et histoire : car elles correspondent à l’état supérieur d’extase dans
lequel elles sont une action essentielle, positive, avec résultat réel et
effectif, de la même manière qu’elles correspondent aux choses
terrestres auxquelles est empruntée la forme ou le mode de travail
fait en oraison, puisque celui-ci se rattache aux occupations
habituelles de la contemplative dans sa jeunesse.
Il y a ainsi toute espèce de travaux de labourage, de jardinage,
propres à la vie du pâtre ou à celle du vigneron, sous la forme
desquels s’accomplissent les œuvres d’Anne-Catherine dans l’ordre
spirituel. Elle connaît en général leur sens et leur signification et sait
aussi quel en est le but : car l’état de pénurie et de détresse où se
trouvent des paroisses, des districts, des diocèses, même des pays
tout entiers, lui est montré sous des images qui répondent aux
diverses formes de travail : mais elle ne racontait de tout cela que la
moindre partie et si elle le faisait, c’était uniquement parce que cette
ouvrière humble et zélée ne tenait aucun compte de ce qu’elle
accomplissait elle-même, mais se plaisait à raconter les grâces et les
miséricordes de Dieu envers elle.
Or ce ne sont pas seulement des travaux, mais encore des
souffrances et des maladies se succédant constamment les unes aux
autres, qui lui sont montrées dans les visions et dont elle se charge
dans ces visions. Elle voit dans des tableaux merveilleux la
signification spirituelle de chaque maladie et sa relation mystérieuse
avec la nature de l’offense pour laquelle Anne-Catherine se charge de
faire pénitence. Ainsi ces maladies ont un double caractère, le
caractère physique conforme à l’ordre naturel, et le caractère
méritoire et expiatoire dans l’ordre surnaturel.
Le premier fait qu’elles suivent leurs cours avec tous les
symptômes, toutes les crises, toutes les douleurs, y compris celles de
l’agonie, que des maladies de ce genre amènent avec elles et qui ne
cessent pas lors même qu’Anne-Catherine se trouve à l’état d’extase.
Dans cet état, au contraire tous les phénomènes intellectuels et
corporels se produisent avec d’autant plus d’intensité, puisqu’Anne-
Catherine non seulement éprouve les sensations qui résultent de la
maladie, mais la voit clairement et la pénètre jusqu’au fond, et que
par dessus cela la faute étrangère qu’elle expie corporellement par
cette maladie, lui fait en même temps souffrir dans l’âme des
douleurs excessives.

Ce sont ces dernières douleurs qui ont le caractère vraiment


surnaturel, méritoire et expiatoire, parce que leur source n’est pas la
détresse du corps ou la peine sensible, mais l’ardeur du plus pur
amour de Dieu pour lequel rien n’est si intolérable que de voir Dieu
offensé et la perte des âmes rachetées à un si haut prix. La grandeur
de cet amour est ce qui rend Anne-Catherine capable de prendre sur
elle à la place d’autrui des souffrances expiatoires, et ce qui donne
devant Dieu à ce qu’elle fait et à ce qu’elle souffre, la valeur d’un
sacrifice pur auquel les mérites du Sauveur communiquent un prix
infini.
Un jour, Anne-Catherine ayant pendant tout un mois souffert des
douleurs indicibles causées par des maladies mortelles qui s’étaient
succédées sans interruption, raconta ce qui suit : « Pendant toute la
nuit, j’ai eu une série de visions d’ensemble sur ma maladie et sur les
travaux auxquels il a fallu me livrer. J’ai vu tout cela dans une grande
plaine où je travaille ordinairement. Il reste encore à labourer un
coin qui est entouré d’une épaisse haie d’épines avec une grande
quantité de roses {10}. Je me suis vu moi-même figurée dans
différentes situations. J’étais tantôt dans une chapelle, tantôt sur une
croix, tantôt sur un rocher, tantôt dans un marais ou au milieu des
épines, etc, et j’étais étouffée par des fleurs et des épines : j’ai été
aussi transpercée avec des flèches et des lances. Une fois une valse
flamboyante s’exécutait sur mon corps, qui était entouré de plumes
et d’ailes, symboles de la fièvre.
Rien n’a été plus terrible pour moi que la torture des convulsions,
représentées par des globes de diverses couleurs, qui se
développaient, s’enflammaient, et se perdaient les uns dans les
autres en laissant échapper une vapeur brûlante. Je commençais
d’abord par franchir des précipices dangereux sur des ponts jonchés
de fleurs et de roses de toute espèce ; puis à ce travail général
venaient s’ajouter des douleurs qu’il fallait subir à la place de certains
malades qui demandaient des prières.
Je me vis donc livrée à des tortures de toute espèce, et je vis
beaucoup de malades guéris. Je vis que de pauvres gens qui ne
connaissent personne, qui ne peuvent écrire à personne, et qui
pourtant réclament l’intercession d’autres chrétiens, figurent plus
souvent dans ces tableaux que ceux qui connaissent quelqu’un, se
font recommander et écrivent des lettres. J’ai eu particulièrement à
m’occuper de beaucoup de personnes malades de la goutte. »
Anne-Catherine pouvait quelquefois donner de ces informations
vagues et générales sur les travaux et sur les maladies dont elle se
chargeait, comme aussi sur ces travaux eux-mêmes et sur leur but ou
sur leur relation avec ce qui devait être procuré par eux : mais quant
au rapport intime entre telle ou telle forme de travail déterminée, et
tel ou tel résultat déterminé, le plus souvent, dans l’état de veille
ordinaire, elle pouvait à peine donner quelques indications :
« Car, avait-elle coutume de dire, c’est chose difficile à décrire. La
nature tout entière et l’humanité sont tellement déchues, assujetties
à tant de liens et d’entraves, que, s’il m’arrive de faire là (c’est à dire
dans l’état d’extase) quelque chose de tout à fait essentiel, et en
comprenant clairement ce que je fais, aussitôt que je suis éveillée et
dans l’état naturel, ces choses me paraissent aussi étranges qu’a
toute autre personne éveillée. »
XI

Le cercle des visions d’Anne-Catherine ne serait pas complet, et il


manquerait une condition essentielle à ce qu’elle souffre et à ce
qu’elle fait pour expier et satisfaire, si sa sphère d’activité
n’embrassait pas, avec toutes les époques de l’Eglise, toutes ses
parties dans le monde entier, et si elle ne pouvait pas avoir devant les
yeux toute leur hiérarchie et leurs divisions, et même
individuellement les plus ignorés de ses membres nécessiteux, bien
plus, si elle ne pouvait pas s’approcher d’eux et frayer avec eux.
Cette intuition et cette action à distance n’est toutefois pas une
clairvoyance dans le sens ordinaire du mot, mais elle a pour
condition l’infusion de la lumière surnaturelle : elle est par
conséquent l’œuvre de la grâce comme ses visions historiques : car à
la vue à distance, se lie toujours une action en vertu de laquelle
Anne-Catherine porte secours, prend des souffrances sur elle,
satisfait à la justice divine, acquiert des mérites qui profitent à ceux
avec lesquels elle est dans un rapport spirituel.
Toutes les douleurs du corps et de l’âme que l’homme peut avoir à
endurer, tous les dangers qui menacent sa vie terrestre et temporelle,
ou sa vie spirituelle et éternelle, sont montrées à Anne-Catherine ; et
cela non seulement dans leur généralité, mais dans des cas
particuliers s’appliquant à des personnes déterminées, lesquelles,
suivant l’ordre mystérieux établi par Dieu, doivent être secourues par
l’intermédiaire de sa fidèle servante. Ainsi il y a dans les prisons,
dans les hospices, dans les hôpitaux, dans les cabanes où s’abrite la
misère, dans les maisons de correction, dans les bagnes et sur les
navires des pirates, des pauvres et des malades auxquels elle vient en
assistance.
Ce sont encore des malheureux, délaissés et oubliés de tous, non
seulement dans son pays et dans les pays voisins, mais en Russie, en
Chine et dans les îles de l’Océan Pacifique ; dans les vallées les plus
reculées de la Suisse, du Tyrol et de la Savoie, comme sur les
montagnes de la haute Asie, que tantôt elle console, tantôt elle
conduit à l’Eglise, et par là au salut éternel. Elle assiste des
mourants, sauve des personnes en danger de mort, empêche des
crimes, convertit des pécheurs, pousse à la confession et au repentir
des criminels qui ont caché leurs péchés pendant de longues années ;
mais surtout ce qui est l’objet incessant de ses contemplations et par
là même de ses souffrances expiatoires et de ses peines sans nom,
c’est tout le mal qui est fait à l’Eglise, soit par le pouvoir temporel ou
par la haine et les attaques des incrédules, soit par le manque de
conscience et la mondanité des prêtres et des pasteurs, ou par
l’indifférence, la dissipation et l’abus des grâces.
Elle va à l’encontre des menées secrètes des loges maçonniques,
qu’elle voit comme la contrepartie de l’Eglise, avec toute leurs
ramifications et toute leur histoire et qui ourdissent leurs trames
comme les fils d’une toile d’araignée ; et d’autre part elle fait
pénitence pour des fautes contre les rubriques commises dans la
sainte messe, comme pour toute irrévérence envers le très saint
Sacrement. Elle met obstacle à des vols sacrilèges et à des
profanations d’églises, assiste à des assemblées ecclésiastiques pour
empêcher au moins des mesures dictées par une fausse sagesse
humaine et un sot pédantisme.
Elle voit toutes les formes du culte rendu au monde, par lequel
bien des prêtres aveuglés deviennent les serviteurs du prince des
ténèbres, et voit dans des visions remplies de douleurs indicibles
toute l’irrévérence et le mépris avec lequel ils traitent les choses les
plus saintes et perdent toute espèce de grâces pour eux et pour leurs
troupeaux. Elle souffre pour des séminaires et des communautés
religieuses ; dans les dernières années du pontificat de Pie VII, elle
fait journellement des voyages en esprit à Rome, pour consoler le
Saint Père, l’éclairer et lui dévoiler les plans de l’impiété. Mais sa
première vision de ce genre eut lieu dans sa onzième année lorsque
Marie Antoinette, l’infortunée reine de France, lui fut montrée dans
sa prison, afin qu’elle priât pour elle.
Si le lecteur trouve inconcevable et impossible à admettre ce don
merveilleux, inouï de vue et d’action à distance, et juge qu’on lui
demande trop en voulant lui faire croire qu’Anne-Catherine qui,
pendant l’espace de douze ans, fut hors d’état de quitter son lit,
parcourait, semblable à un ange gardien, toutes les parties de l’Eglise
pour assister et sauver dans leur corps et dans leur âme un nombre
infini de personnes, il éprouvera moins de répugnance à admettre
une chose aussi extraordinaire, s’il veut bien se représenter sur quel
fondement ce don reposait et de quelle manière celle qui en était
favorisée était obligée de le mériter chaque fois comme de nouveau.
C’était le plus pur, le plus saint amour de Dieu et du prochain qui,
dès ses premières années remplissait avec une telle puissance le
cœur d’Anne-Catherine, que son unique désir était de procurer la
gloire de Dieu et de souffrir pour les hommes ses frères. Elle était dès
le principe douée d’un sentiment si élevé et si vivant du travail
intérieur qui se fait dans tous les membres du corps de l’Eglise, elle
comprenait d’une façon si pénétrante comment un membre peut
opérer pour l’autre par la prière, par l’expiation, par la pénitence, que
les misères du monde, des pécheurs, des affligés de toute espèce lui
causaient la plus amère tristesse et qu’un désir insatiable la poussait
continuellement à implorer Dieu pour toutes les nécessités du
monde et à s’offrir à lui en sacrifice pour tous.
Etant encore enfant, elle se refusait toute douceur et s’exerçait à
toutes les mortifications corporelles ; en outre, quand elle voyait
pleurer des enfants malades, elle demandait à Dieu de pouvoir
prendre leurs souffrances, et ses prières étaient la plupart du temps
instantanément exaucées. Mais si elle était témoin d’une offense faite
à Dieu, cela lui allait au cœur encore plus profondément, et elle ne
pouvait pas trouver de repos qu’elle ne l’eût réparée aussi bien qu’il
lui était possible.
Etant une fois aux champs avec d’autres enfants, elle vit que
quelques uns d’entre eux se comportaient indécemment dans leurs
jeux : cela lui inspira une telle horreur qu’elle se retira en toute hâte
et se roula dans des orties pour punir ce péché sur elle-même, elle à
qui Dieu avait daigné accorder le rare privilège de ne jamais
soupçonner le moins du monde, pendant tout le cours de sa vie, ce
que c’était qu’une révolte des sens ou un désir charnel.
Toute sa manière d’être et tout son extérieur étaient un reflet de
cet amour saint et naïf, et exerçaient sur tous ceux qui l’approchaient
une influence secrète qui les faisait s’adresser à elle avec confiance
pour être assistés. « Je ne sais pas d’où vient cela, disait-elle un jour
au pèlerin, mais déjà, quand j’étais jeune fille, tous ceux qui avaient
un mal venaient à moi et me le montraient pour savoir ce que j’en
pensais. Je suçais alors les blessures et je disais que cela ne me
dégoûtait nullement {11}, et que le mal se guérirait.
Du reste il me venait souvent à l’esprit toute sorte de remèdes
innocents. Au couvent une pauvre femme vint une fois me trouver :
elle avait un doigt malade ; tout son bras était devenu noir, et le
docteur K… l’avait grondée d’avoir laissé s’envenimer le mal au point
de rendre nécessaire l’amputation du doigt. Cette femme était toute
pâle, elle vint se plaindre à moi et pleurait beaucoup, me priant de lui
venir en aide. Je priai pour elle et il me vint l’idée d’un remède.
J’en fis part à la révérende mère qui me permit d’essayer de la
guérir. Je pris de la sauge, de la myrrhe et de l’herbe de la sainte
Vierge que je fis bouillir dans de l’eau avec un peu de vin blanc, j’y
ajoutai de l’eau bénite et je fis un cataplasme pour le bras. Ce fut sans
doute Dieu lui-même qui m’inspira : car le jour suivant le bras était
désenflé. Quand au doigt qui était encore très malade, je lui dis de le
tremper dans de la cendre de lessive mêlée d’huile. L’abcès s’ouvrit, il
en sortit une grosse épine et elle guérit complètement. »
Avec le don d’intuition, la sphère d’activité la plus étendue était
départie à cette charité infatigable, qui ne reculait devant aucun
sacrifice : « Dans mon enfance, dit-elle, j’étais toujours absorbée en
Dieu ; mon guide me menait prier devant des cavernes et des
prisons, et quand il n’en résultait rien, je me couchais devant
l’ouverture, je pleurais sans relâche et je criais vers Dieu les bras
étendus. Je me suis toujours mortifiée pour les pauvres âmes, je me
suis toujours recueillie ; et quand on disait ou qu’on faisait quelque
chose de mal, je faisais une croix sur ma poitrine, comme ma mère
me l’avait enseigné.
J’étais intérieurement absente tout en me livrant à mes
occupations, et j’avais toujours des visions. Quand j’allais aux
champs ou ailleurs avec mes parents, je n’étais jamais sur la terre.
Tout ici-bas n’était pour moi qu’un rêve obscur et confus, c’était
ailleurs qu’étaient la vérité et la clarté céleste, et il en est encore de
même aujourd’hui. Oh ! Combien j’ai eu de tentations à souffrir de la
part du diable !
C’étaient des choses dont je n’avais aucune idée. Je voyais des
noces et des orgies où on commettait les péchés les plus
abominables, et j’implorais Dieu et il me retirait ces visions. » Dans
une vision elle guérit ses parents malades ; d’autres fois elle assiste
des gens à Alger ou à Siam ; elle voit des navires en détresse, des
voyageurs en péril, et elle court à leur aide en priant. Pendant qu’elle
porte secours dans un lieu, elle voit tout à coup dans un autre, même
au delà de la mer, un danger encore plus imminent.
C’est pour elle comme si elle pouvait étendre la main jusque là, à
atteindre en esprit et y faire sentir son assistance ; et dans le fait elle
l’y fait sentir. Elle se retrouve plus tard au même endroit, voit
comment elle a porté secours et si ceux qu’elle a sauvés, ranimes,
consolés, profitent de l’assistance qu’ils ont reçue ou en conservent
les fruits. En quoi consiste cette assistance donnée par sa prière dans
l’état de contemplation, c’est ce dont le lecteur peut juger d’après la
communication suivante :
« Quand je prie en général pour ceux qui souffrent, je fais
ordinairement le Chemin de la Croix à Cœsfeld et à chaque station de
la Passion du Seigneur, je prie pour une nouvelle catégorie d’affligés,
et il me vient alors des visions où les gens qui ont besoin de secours
me sont montrés autour de moi, selon la position des lieux où ils se
trouvent, car, de la station, je vois dans le lointain une scène à droite
ou à gauche. Ainsi aujourd’hui (2 décembre 1818), je m’agenouillai à
la première station et je priai pour ceux qui se préparaient à la
confession pour la fête, afin que Dieu voulût bien leur accorder la
grâce de se repentir sincèrement de leurs péchés et de ne rien passer
sous silence.
Alors je vis en différents endroits des gens prier dans leurs
maisons ou aller de côté et d’autre pour leurs affaires ; je les vis aussi
penser à leur conscience, je vis quel était l’état de leur cœur et je les
excitais par ma prière à ne pas se rendormir dans le sommeil du
péché. Je voyais les personnes au moment même où je priais. Je vis
deux filles prier à genoux dans la même chambre, mais chacune de
son côté à la deuxième station, je priai pour ceux auxquels leur
mission et leur détresse ôtent le sommeil, afin que Dieu leur donnât
consolation et espérance.
Je vis alors dans plusieurs misérables huttes des gens qui se
retournaient sur la paille en pensant qu’ils n’avaient rien à manger
pour le lendemain. Et je vis que ma prière leur procurait le sommeil.
À la troisième station, je priai pour empêcher les contestations et les
querelles, et je vis dans une maison de paysans un mari et sa femme
qui se querellaient étant au lit et qui se donnaient méchamment de
grands coups de coude. Ah ! Pensai-je, cela fera une mauvaise nuit !
Alors je priai pour eux, ils s’apaisèrent, se pardonnèrent
mutuellement et se donnèrent la main.
À la quatrième station, je priai pour les voyageurs, afin qu’ils
laissassent de côté toute pensée mondaine et allassent en esprit
visiter à Bethléem le cher enfant Jésus ; je vis alors autour de moi,
dans le lointain, plusieurs personnes voyageant dans diverses
directions avec des fardeaux sur le dos, et l’un d’eux était un curieux
personnage qui allait devant lui comme un fou, avec les allures d’un
paillasse ; il me semblait avoir trop bu et s’avançait en chancelant de
côté et d’autre.
Comme je priais pour lui, je le vis tomber tout de son long sur une
pierre et dire : « C’est le diable qui a mis des pierres sur mon chemin.
Mais aussitôt il se releva, ôta son chapeau et se mit à prier tout bas et
à penser à Dieu. Je ne pus m’empêcher de rire à la cinquième station,
je priai pour les prisonniers qui, dans leur désespoir, ne se
souviennent pas du saint temps de l’Avent et qui sont privés de cette
puissante consolation ; là aussi je fus consolée, etc. »
Voici une autre communication non moins instructive d’Anne-
Catherine, qui montrera au lecteur combien lui coûtait cher chaque
secours qu’elle portait : « J’étais hier au soir si misérable et je
désirais tant qu’on me retirât de mon lit, que je me croyais au
moment de mourir ; et comme je ne recevais aucune assistance,
j’offris ma peine à Dieu pour tous les malheureux et les délaissés qui
languissaient sans secours, sans consolations et sans sacrements.
J’étais complètement éveillée et je vis tout à coup autour de moi
d’innombrables scènes de douleur, les unes tout près, les autres à de
grandes distances, sur toute la surface de la terre ; c’étaient des gens
délaissés, languissants, affamés, sans prêtres et sans sacrements,
malades, égarés, mourants, captifs, dans des huttes, des cavernes,
des cachots, sur des navires, dans le désert, même dans de grandes
villes, etc ; j’eus un ardent désir qu’ils fussent secourus et j’implorai
Dieu à cet effet.
Mais il me fut dit : « Tu ne peux pas obtenir cela gratuitement, il y
faut du travail. » Sur quoi, m’y étant résignée, je me trouvai dans un
état épouvantable. Je me vis fortement garrottée avec des cordes
passées autour des bras, des jambes et du cou, et je fus alors si
horriblement tirée dans tous les sens, que c’était comme si l’on m’eût
arraché tous les membres et tous les nerfs. Mon cou serré
m’étranglait, ma langue était toute raidie, les os de la poitrine se
soulevaient convulsivement : j’étais à l’agonie à force de douleurs. Je
vis pendant ce temps là le secours arriver à beaucoup, de ces
malheureux, et pendant que j’étais dans cet état on refit mon lit. »
Ces souffrances durèrent plusieurs jours ; elles allèrent même en
augmentant. Anne-Catherine fut formellement crucifiée. Le pèlerin
la trouva ayant le cou et la langue tout gonflés, ce qui rendait
horriblement douloureux les vomissements continuels auxquels elle
était sujette. Aux scènes de malades succédèrent des visions relatives
à l’Eglise, et Anne-Catherine eut à souffrir pour les besoins et les
misères de l’Eglise.
XII

Dans les deux cas qui viennent d’être mentionnés, l’intuition à


distance eut pour point de départ une ardente prière pour le
soulagement des douleurs d’autrui ; mais il arrivait d’autres fois
qu’Anne-Catherine passait avec sa clairvoyance d’une vision
historique au présent immédiat, pour procurer à quelque affligé la
grâce éternelle, inépuisable du mystère ou du mérite qu’elle avait
contemplé dans la sainte vie du Sauveur sur la terre. Il y avait des cas
fréquents où Anne-Catherine était appelée par son guide et conduite
par lui dans des lieux déterminés et à des personnes qui avaient
besoin d’assistance.
Comme en outre, ainsi qu’on en a dit quelque chose plus haut, elle
fut conduite en esprit et en corps aux saints lieux de la Palestine,
pour ses visions historiques sur les années de prédication du Christ,
il est nécessaire de dire quelque chose de plus spécial sur ces voyages
extatiques. Sur ce terrain mystérieux on peut prendre pour guide la
bienheureuse Lidwine de Schiedam, car en ce point il y a une telle
ressemblance entre elle et Anne-Catherine, que des détails un peu
étendus sur la première, serviront beaucoup à faire mieux
comprendre l’autre.
La bienheureuse Lidwine ne fut favorisée de visions qu’à un âge
plus mûr et après une période d’épreuves excessivement pénibles.
Vers la fin de sa quinzième année, elle avait été renversée sur un tas
de glaçons par une amie qui patinait et elle s’était brisé une côte. La
conséquence immédiate de cette chute fut un apostème incurable qui
la jeta sur un lit de douleur, duquel, sauf de rares exceptions dans les
deux ou trois premières années, elle ne put plus se relever jusqu’à sa
mort c’est à dire durant trente six ans.
Quelques années se passèrent d’abord pendant lesquelles elle ne
fit que gémir et se lamenter sur sa malheureuse situation, surtout
que ses anciennes compagnes, qui jouissaient d’une santé florissante,
venaient lui rendre visite. Mais enfin son confesseur parvint à la
consoler en lui montrant comment elle pouvait arriver à une parfaite
conformité à la volonté de Dieu en méditant sur la douloureuse
Passion de notre Sauveur. Il la forma à cet exercice spirituel auquel,
malgré les répugnances de la nature, elle s’appliqua avec une grande
ardeur, divisant chaque jour ses méditations, suivant l’ordre des sept
heures canoniques. Cela lui fit prendre tellement ses propres
souffrances en affection qu’elle assurait que si elle pouvait obtenir sa
guérison par une seule récitation de la Salutation angélique, elle ne le
ferait pas et ne demanderait pas à être délivrée.
Le premier don qui lui fut accordé en récompense de sa fidélité fut
le don des larmes et pendant quinze ans elle pleura amèrement sa
première impatience : mais elle reçut aussi d’abondantes
consolations intérieures qui s’accrurent en proportion de ses
souffrances, lesquelles devinrent toujours plus extraordinaires ; huit
ans se passèrent ainsi et ce ne fut qu’alors que se produisirent des
visions et des extases dans lesquelles durant vingt quatre ans elle fut
chaque nuit, pendant une heure au moins, conduite en différents
lieux, tantôt dans le paradis et parmi les bienheureux, tantôt dans le
purgatoire et dans l’enfer, et aussi dans la Terre Sainte, à Rome et
tant d’autres endroits renommés par leurs sanctuaires, comme aussi
dans différentes communautés religieuses, sur l’état spirituel
desquelles elle reçut en général comme en particulier les
informations les plus exactes.
Dans ces voyages extatiques, Lidwine était accompagnée de son
guide spirituel, c’est à dire de son ange gardien, qui lui apparaissait
toujours brillant d’une clarté merveilleuse et avec une croix sur le
front, afin qu’elle ne pût pas être induite en erreur par l’ange de
ténèbres. « Lorsqu’elle fut ravie pour la première fois, dit son
biographe {12}, cette inexprimable séparation, qui retirait son esprit
de la sphère de la vie corporelle, lié causa une telle oppression dans
le cœur et dans le corps, qu’elle perdit la respiration et crut qu’elle
allait mourir : mais ensuite s’étant accoutumée aux ravissements, elle
n’éprouva plus rien de semblable. Tout le temps qu’elle était ravie
aux lieux dont il a été parlé, son corps restait couché dans son lit
comme séparé de son âme et privé de sentiment. »
Le plus souvent, au début de ses voyages, l’ange prenant
l’extatique par la main la conduisait d’abord dans l’Eglise de
Schiedam, devant l’autel de la sainte Vierge, puis quand Lidwine y
avait fait sa prière, il s’élançait avec elle vers l’orient. Souvent le
chemin passait à travers des prairies verdoyantes pleines de fleurs
d’une odeur admirable, tellement que Lidwine hésitait à suivre le
guide qui allait devant elle, de peur de briser sous ses pas les tiges de
ces fleurs.
Ce n’était qu’après avoir été avertie qu’il n’y avait rien de
semblable à craindre, qu’elle se décidait à aller plus avant. Une fois il
se trouva sur son chemin un fourré si haut et si épais, qu’elle ne
pouvait pas passer au travers : cependant elle se trouva tout à coup
transportée au delà par son guide, et le voyage continua sans
obstacle.
Le vénérable biographe de Lidwine rapporte en termes exprès que
ces voyages n’avaient pas lien seulement en esprit, mais que souvent
aussi il y avait ravissement corporel. Voici ce qu’il dit à ce sujet :
« Quoique cette pieuse vierge, dans son état ordinaire, fût dans
l’impossibilité de remuer le pied, elle acquérait de bien des façons la
certitude qu’elle avait été ravie corporellement en divers lieux. » Elle
racontait que par la force de son élan spirituel, elle avait souvent été
enlevée jusqu’au plafond de sa chambre avec son corps et la couche
grossière sur laquelle elle reposait.
Quelque fois aussi elle était ravie corporellement par un guide
jusqu’en Terre Sainte, où elle visitait le Calvaire et d’autres lieux
consacrés qu’elle couvrait de ses baisers et baignait de ses larmes.
Revenue de là, elle trouvait à son réveil ses lèvres couvertes de
durillons, et son ange lui disait : « Tu portes ces marques afin que tu
saches que tu as été aussi ravie corporellement. » Une autre fois,
dans un voyage du même genre, elle fit un faux pas sur un terrain
glissant et se blessa dans sa chute à la jambe droite, qui resta enflée
plusieurs jours et où elle ressentit une vive douleur.
Comme une fois elle visitait les principales églises de Rome, et
qu’en allant de l’une à l’autre elle se frayait avec les bras un passage à
travers des buissons, il lui entra dans le doigt une épine qui s’y
trouva encore au moment de son réveil. Lors de semblables lésions
corporelles elle avait coutume de dire, en répétant les paroles de son
guide : « qu’elle croyait avoir été ravie corporellement. » Comment
cela se faisait-il ? ajoute le biographe ; c’est ce qui n’est su que de
l’ange qui l’attestait et au témoignage duquel Lidwine s’en référait.
Comme la bienheureuse Lidwine, Anne-Catherine aussi était
accompagnée dans ses voyages extatiques par un guide qui
commençait le voyage avec elle en partant de l’église de son village
ou du chemin de la croix de Cœsfeld. On peut se faire une idée
générale du caractère de ces voyages, d’après ces paroles d’Anne-
Catherine : « Dans mes voyages, je pars toujours d’endroits qui me
sont connus pour aller dans des pays toujours plus étrangers pour
moi à mesure que j’avance.
J’ai le sentiment de distances énormes : tantôt on passe par des
chemins unis, tantôt à travers les champs, les montagnes, les mers et
les fleuves. Je dois mesurer tout cela en pieds, souvent gravir avec
effort des montagnes escarpées. Alors mes genoux sont fatigués, mes
pieds sont brûlants, je suis toujours pieds nus ; mon guide plane
tantôt en avant, tantôt près de moi, sans remuer les pieds, parlant
très peu, faisant rarement un mouvement, si ce n’est un signe avec la
main ou une inclination avec la tête lors de ses réponses qui sont très
brèves.
La plupart du temps il se trouve tout à coup près de moi, il sort
lumineux de la nuit ; j’aperçois d’abord une clarté, puis une forme
distincte : c’est comme une lanterne sourde qu’on ouvrirait tout à
coup. La nuit est dans le ciel et une lueur voltige sur la terre, se
dirigeant vers l’endroit où nous allons. Quand j’arrive devant de
grandes eaux et que je ne sais plus comment avancer, je me trouve
tout à coup de l’autre côté et je regarde derrière moi toute surprise.
Nous passons souvent par des villes. »
Dans un de ces voyages à la Terre Sainte, Anne-Catherine fut aussi
une fois accompagnée par Marie enfant : « Nous étions comme deux
personnes qui marchent réellement : je lui faisais des questions en
chemin et elle m’instruisait. C’est singulier, disais-je à Marie, qu’est-
ce donc que cela ? Presque toutes les nuits il me faut faire ainsi des
voyages lointains où j’ai toute sorte de choses à faire, et tout me
paraît si naturel et si vrai, comme maintenant que je suis avec vous,
allant dans la Palestine, et quoique pourtant je sois dans mon lit à la
maison, malade et souffrante. » Alors Marie me répond : « Tout ce
qu’on désire du fond du cœur faire et souffrir pour mon fils, pour son
Eglise et pour le prochain, on le fait réellement dans la prière, et tu
vois de quelle manière tu le fais. »
Elle me dit aussi que son cher fils était toujours tout près de nous.
Anne-Catherine reçut aussi une explication semblable sur les secours
qu’elle avait à procurer dans ses voyages aux gens en détresse et aux
malades : « Mon fiancé me dit que le vif désir de donner un secours
de ce genre le procurait effectivement, et que comme en ce moment
je ne pouvais pas le donner en réalité, j’avais à le donner en esprit. »
Ces voyages étaient donc réels, quoique faits en esprit, et Anne-
Catherine était réellement dans les lieux où son guide la conduisait et
réellement sur les chemins par lesquels il la menait, parce que le
ravissement spirituel était en même temps un ravissement corporel.
Cela pourrait être confirmé par des expériences presque
quotidiennes : mais les faits suivants peuvent suffire. Une fois Anne-
Catherine eut à empêcher un vol sacrilège et à chasser les voleurs de
l’ossuaire attenant à l’église où ils s’étaient enterrés.
Au moment où elle entrait en esprit dans l’ossuaire, elle eut dans
son lit un violent accès de toux, et cela « à cause de la mauvaise
odeur du tabac que ces misérables avaient fumé là. » Le 17 janvier
1821, faisant un voyage du même genre, elle eut encore de fréquents
accès de toux et elle dit : « qu’il lui fallait voyager si rapidement et
dans tant de pays différents, et que l’air lui faisait bien mal. » Une
fois elle eut un tressaillement subit, chercha autour d’elle, et ayant
trouvé son crucifix, le mit devant elle et dit : « Il y a là un ours qui me
guette dans un buisson, à travers lequel je dois passer ; avec ma
croix, je pourrai le chasser. »
Aussitôt après elle arriva près du Jourdain et parla de la vie de
Jésus. Le mercredi des Cendres de la même année, elle s’écria tout à
coup : « Encore des danses ! » et elle se tordit sur elle même et
remua convulsivement les pieds ; ensuite elle parut effrayée et
sembla vouloir se défendre : « ces gens, dit-elle, ont un méchant petit
chien qu’ils ont excité contre moi et qui est tout furieux. » Le jour
suivant elle dit : « J’ai été envoyée dans un village où l’on dansait
encore. J’avais quelque chose à dire à ces gens : mais la voix me
manquait et je ne pouvais que souffler.
Or, c’était comme s’ils excitaient contre moi un petit chien très
méchant : d’abord j’eus grand peur, mais ensuite il me vint à l’esprit
que je n’étais pas là avec mon corps et qu’il ne pouvait pas me
mordre. Alors je me serrai dans un petit coin, et je vis que ce chien
était le diable. Je le chassai ; je pus alors remplir ma tâche et la danse
se dispersa. »
Mais le fait le plus remarquable est le suivant. Le 11 janvier 1823,
une fièvre inflammatoire se déclara tout à coup chez Anne-Catherine,
elle eut de grandes douleurs dans le côté et perdit souvent la
respiration. Elle fit bouillir de l’orge et des figues et en fit faire un
cataplasme qu’on lui mit sur le côté : elle but aussi de ce breuvage et
cela lui procura du soulagement. Elle dit alors : « J’ai une
inflammation dans le côté : il y a une rupture ; j’ai entendu un
craquement. Je sens couler le sang à l’intérieur : il y a engorgement
dans cette partie du corps. Je ne puis être sauvée que par un miracle.
Voici ce qu’elle raconta ensuite, pouvant à peine respirer : « Il m’a
fallu aller à la demeure du pasteur {13} (Rome), où le danger était
pressant. On voulait tuer le maître valet et le petit chien, alors je me
suis précipitée, et le couteau m’est entré par le côté droit jusque dans
le dos. Le bon maître valet s’en allait chez lui ; un assassin vint à sa
rencontre sur des chemins par où il pouvait s’enfuir facilement ; il
avait sous son manteau un couteau triangulaire. Il feignit de vouloir
aborder amicalement le maître valet. Mais je me précipitai sous le
manteau, et je reçus le coup qui pénétra jusqu’au dos.
Il y eut un craquement ; je pense qu’il doit y avoir quelque chose
de brisé. Le maître valet se détourna et tomba en faiblesse, l’autre
s’enfuit ; il vint du monde autour de lui. Je crois que le misérable se
heurta à quelque chose de dur, et j’eus l’idée que le maître valet
portait une cuirasse. Lorsque j’eus détourné le coup, le diable
m’assaillit encore par là dessus ; il était comme enragé, me poussait
de côté et d’autre et m’injuriait : Qu’as tu à faire ici. Disait-il : faut-il
que tu sois partout ? Mais j’aurai raison de toi. »
De ces phénomènes, d’autres lésions matérielles qu’Anne-
Catherine rapporta, par exemple, de Jérusalem, ou, dans une course
précipitée à travers les rues, elle se blessa la rotule contre une pierre,
ou qui furent la suite de travaux faits dans ses visions, il résulte
indubitablement que sa vie corporelle était élevée au dessus de la
sphère naturelle de la même manière que les facultés de son âme.
Il n’est pas nécessaire pour cela de se figurer le ravissement
corporel d’une manière grossièrement sensible, comme si tout le
corps était enlevé : c’est seulement la vie corporelle ou le principe
vital, élevé en même temps que la vie de l’âme au-dessus de sa
sphère habituelle, et, à cause de cela même, sentant, affecté et
souffrant à distance avec ses organes sensibles de même que l’âme
avec ses puissances voit et agit à distance. De là vient que comme le
dit Anne-Catherine, bien que son corps malade et souffrant reste
gisant dans son lit, c’est pourtant en lui qu’elle a le sentiment du
chemin qu’elle fait, des divers accidents du voyage, de toute la fatigue
qu’elle s’y donne, et cela de telle façon que toutes les impressions et
les occurrences qui s’y rencontrent agissent non seulement sur
l’imagination, mais aussi sur le corps lui-même et y laissent des
traces.
La clef de cette merveilleuse élévation de la vie corporelle se
trouve dans la grâce de la stigmatisation, cette transformation du
corps de l’homme au corps de Jésus Christ, la plus haute qui puisse
avoir lieu sur cette terre ; elle se trouve aussi dans le Très Saint
Sacrement. Par cela même qu’Anne-Catherine a reçu la grâce de
porter sur son corps les stigmates du Sauveur, c’est à dire de prendre
sur elle les souffrances et les douleurs du corps physique du Christ,
elle a été aussi rendue capable de se substituer aux souffrances de sa
vie mystique et d’exercer l’action la plus étendue en souffrant par
tout le corps de l’Eglise, et pour lui.
Sa vie corporelle se trouve donc nécessairement élevée au dessus
des conditions ordinaires de l’existence et de l’action terrestres.
N’étant plus confinée dans les bornes de l’espace, elle n’a besoin ni
du sommeil naturel, ni de la nourriture naturelle ; car, étant
spiritualisée, elle est active à la façon de l’âme, avec laquelle elle se
soutient, vit seulement et uniquement par le pain des anges et les
rafraîchissements célestes qui lui sont quelquefois présentés pour
qu’elle ne succombe pas sous le poids des travaux pénibles et des
œuvres expiatoires dont elle se charge.
XIII

Il en était aussi de même pour la bienheureuse Lidwine, qui vivait


dans un corps auquel manquait tout ce qu’exige la vie naturelle pour
pouvoir subsister même misérablement. Dans l’apothème de
Lidwine, dont il a été question plus haut, il s’était formé des vers
d’environ un pouce de long, qui la rongeaient en trois endroits, au
bas ventre et au dessus des hanches, et dont là quantité était telle
qu’il fallait leur donner de la bouillie à manger pour sauver la
malheureuse de leurs morsures. L’épaule droite était atteinte de la
même putréfaction ; l’avant bras était desséché au point qu’on n’y
voyait plus qu’un os avec des nerfs et des tendons.
Ainsi Lidwine incapable de faire un mouvement et de recevoir le
moindre soulagement, était obligée de rester couchée sur le dos et
toujours sur le même endroit ; car sa tête aussi était horriblement
déformée et elle ne pouvait la remuer que très peu et très
péniblement par suite de douleurs qui ne cessaient jamais.
Elle avait sur le front une large fente qui descendait jusqu’à la
moitié du nez ; sa lèvre inférieure et son menton étaient également
fendus, et souvent il lui était impossible de parler à raison de
l’abondance du sang qui s’en échappait. L’œil gauche était tout à fait
perdu le droit ne pouvait pas supporter la lumière et rendait du sang
quand la clarté du jour l’atteignait. Elle avait en outre des rages de
dents qui souvent la tourmentaient sans relâche pendant des mois
entiers, et dont la violence était telle qu’elle craignait d’en perdre la
raison.
Elle vomissait des morceaux de foie et de poumon, et ses intestins
vides restaient à découvert dans ce corps rongé par la pourriture et
les vers, qui, pendant dix neuf ans, ne fut réconforté ni par la
nourriture ni par la boisson, ni par le sommeil jusqu’à ce qu’enfin le
chirurgien de Marguerite de Hollande les retira, en présence de cette
princesse. On en enterra une partie, une autre fut conservée comme
souvenir de ces merveilleuses souffrances mais plus tard Lidwine fit
aussi enterrer celle-là, pour mettre un terme à l’affluence d’un grand
nombre de personnes qu’attirait le désir de voir un spectacle inouï, et
l’odeur suave qui s’exhalait continuellement des parties du corps de
l’extatique.
Chose remarquable encore, il sortait chaque jour de ses membres
une telle abondance de sang et d’eau, que, suivant l’assertion de son
biographe, deux hommes auraient eu peine à emporter la quantité
qui s’en était écoulée pendant l’espace d’un mois. Comme on
demandait avec surprise d’où elle tirait cette abondance de liquide,
Lidwine répondit une fois : Dites-moi où la vigne prend sa sève,
quoique pendant l’hiver elle paraisse desséchée et comme morte. En
outre et suivant le rapport de son biographe, il n’y avait aucune
maladie et aucune souffrance du corps que Lidwine n’eût éprouvée,
et cela avec un délaissement si extrême qu’une fois, dans une vision,
ses larmes se gelèrent, pendant que son corps était tout à fait glacé
sur la planche qui lui servait de lit.
Le corps de cette bienheureuse vierge était donc privé de tout ce
qui pouvait prolonger son existence terrestre, mais Dieu y suppléait
d’autant plus abondamment par les dons de sa grâce, afin de donner
à tous, dans la personne de Lidwine, la preuve évidente que le
Seigneur vit et opère lui-même dans les membres de son corps
mystique qui est l’Eglise selon qu’il trouve en eux des imitateurs
fidèles. Le vénérable biographe de Lidwine rapporte que le Très Saint
Sacrement, non seulement lui servait de nourriture spirituelle, mais
encore entretenait la vie de son corps : car moins elle était en état de
prendre la nourriture ordinaire, plus elle avait faim de la manne
céleste, sans laquelle elle ne croyait pas pouvoir vivre.
Il arriva une fois que le nouveau curé de Schiedam, lui entendant
dire qu’elle vivait uniquement de la grâce et non du pain terrestre,
prit ses paroles en méfiance et lui retira la sainte communion
pendant un long espace de temps ; puis enfin, ne pouvant plus
résister à ses supplications, il lui présenta une hostie non consacrée
mais il fut impossible à Lidwine de l’avaler, elle la rejeta de sa
bouche, assurant qu’il l’avait trompée, que ce n’était pas le sacrement
qu’il lui avait donné. Cela arriva en 1408, le jour de la Nativité de la
sainte Vierge. Le curé ne se relâcha point de sa rigueur, et la
bienheureuse resta privée de la communion jusqu’à la fête de la
Conception de Marie : mais ce jour là, un ange vint à elle et la
consola, en lui promettant que bientôt elle contemplerait dans sa
chair, son Seigneur et Sauveur qui était mort et qui avait été mis en
croix pour elle.
Le jour d’avant la vigile de saint Thomas, entre huit et neuf heures
du matin, comme Lidwine méditait, les yeux fermés, une lumière
extraordinaire remplit sa chambre : elle ouvrit les yeux et vit auprès
de sa couche une petite croix à laquelle était attaché un enfant vivant,
avec cinq plaies saignantes. Elle reconnut son fiancé divin, dont la
présence la combla d’une douce joie. Lorsque la croix, en s’élevant
vers le plafond de la chambre, sembla indiquer qu’il voulait la
quitter, Lidwine, enflammée d’un ardent amour, lui cria : « Ô
Seigneur, si c’est vraiment vous, et si vous voulez me quitter, laissez
au moins après vous un signe auquel je puisse reconnaître que vous
avez été présent ici. »
Là-dessus il redescendit, se transformant en une hostie entourée
de beaux rayons de lumière, et où la place des cinq plaies était
marquée par cinq points brillants : elle resta en l’air au dessus de la
couche de Lidwine, jusqu’à ce que plusieurs personnes eussent vu le
miracle, et qu’on eût aussi fait venir le curé. Quant à Lidwine, elle
entra dans de tels transports d’allégresse, qu’il fallut lui tenir le cœur,
parce qu’il semblait que la joie allait le faire éclater. Elle obtint du
curé, à force de prières, de lui donner la communion avec cette hostie
miraculeuse.
Ce seul fait, attesté sous serment par témoins oculaires, peut
suffire ici : on pourrait en rapporter beaucoup d’autres qui
établissent d’une manière non moins merveilleuse ce que le Seigneur
opère dans ses saints, et avec quelle fidélité il récompense dès ce
monde, ce que l’on supporte, ou ce que l’on abandonne pour lui.
XIV

Afin que le lecteur puisse aussi se faire une juste idée de ce que
Dieu exigeait d’Anne-Catherine, sa fidèle servante, pour les grâces
inconcevables qui lui avaient été départies pour le bien de son Eglise,
on donnera ci après le compte rendu du mois de janvier 1822,
d’après le journal du pèlerin. Qu’on veuille bien, en le lisant, avoir
toujours présent à l’esprit que les maladies qui y sont décrites étaient
endurées par un corps qui portait déjà les douloureux stigmates de
Jésus Christ, et qui, en outre, souffrait d’autres lésions occasionnées
par des accidents extérieurs, et dont chacune était mortelle.
Mais le résultat qu’elles auraient du avoir était suspendu d’une
façon miraculeuse, afin que dans les cruelles maladies qui se
succédaient sans relâche, elles servissent à élever chaque douleur à
sa plus haute puissance. Enfin le lecteur pourra conclure facilement
lui-même du rapport suivant, qu’aucun mal ne venait assaillir
isolément Anne-Catherine, mais qu’il y avait toujours action
commune des formes de maladie les plus diverses, souvent les plus
opposées, lesquelles étant imposées à la patiente pour une fin toute
spirituelle, se trouvaient entre elles dans un rapport plutôt spirituel
que physique.

« 1-12 janvier. Anne-Catherine a été, ces jours ci, malade à la


mort. Sa maladie, accompagnée d’une fièvre continuelle, avait pour
caractères des crampes dans le bas ventre, une toux convulsive, des
sueurs excessives, des douleurs dans les membres, la paralysie des
intestins, un amaigrissement tel qu’on voyait les petites éminences
des os et des lésions douloureuses au dos. Le 13 elle eut une journée
passable. Cela semblait être un passage à un nouvel état.
Le soir étant en extase, elle parla de sa maladie d’une rare naïveté
comme s’il se fût agi d’une tierce personne racontant « qu’elle avait
été près de la sœur Emmerich. Combien son état est triste, disait-
elle ; elle a été bien près de mourir ; elle n’a dû son salut qu’à sa
patience, à la charité et aux soins des personnes qui l’entouraient »
(lesquelles, dans de pareils cas, ne pouvaient lui être d’aucun
secours). Alors, elle parla des fautes de cette personne, qui avaient
aggravé sa maladie. « Elle mange de la soupe pour faire plaisir aux
gens, dit-elle, et cela lui fait grand mal, etc. »

14 janvier. La fièvre diminue, la faiblesse augmente,


l’amaigrissement arrive à un degré qu’on ne peut s’imaginer. Elle
souffre tant, qu’elle ne peut plus rester couchée. Le 15 au soir, elle
vomit des torrents de sang. Elle ne cesse de dire qu’elle voit un feu
allumé au dessus d’elle ; qu’il y a dans le monde une lutte entre l’eau
et le vin, que cela se passe au dessus d’elle et que le feu doit décider.
Quoique Anne-Catherine eût annoncé d’avance ces cruelles
maladies ainsi que leur durée qui devait se prolonger jusqu’à la
Chandeleur, elle avait pourtant toujours le sentiment des approches
de la mort, et par suite une tendance à croire qu’elle allait mourir, de
sorte qu’elle voyait avec peine que les personnes de son entourage ne
vissent pas dans cet état un pronostic certain. Mais ce sentiment de
la mort, est une preuve que dans toutes ses maladies rien n’était
épargné pour qu’elle eût à en supporter tous les effets sur le corps et
l’âme, et pour qu’elle en eût toute la douleur, tout l’abattement,
toutes les angoisses.
Certainement son entourage en jugeait la plupart du temps tout
autrement, et le pèlerin fait à ce propos l’aveu sincère que : « Ces
dangers de mort continuels, qui pourtant n’aboutissent jamais à une
aggravation sérieuse de son état, finissent par rendre très calme
devant toutes ces maladies désespérées et inexplicables, et l’on
s’habitue près de la malade à regarder ce triste spectacle où l’on ne
comprend rien, avec un mélange de compassion, de consolation et de
patience où l’âme ne trouve aucun profit et dans lequel on sent un
arrière goût de politique humaine qui cherche des échappatoires
spécieux. »

15-21 janvier. Sa fièvre continuelle et son incroyable


dépérissement n’ont pas cessé jusqu’au 21 : en outre, des désordres
inouïs dans le bas ventre accompagnés des phénomènes les plus
douloureux résultant des lésions dont il a été parlé. Des crampes
horribles dans lesquelles les intestins vides se soulèvent, semblables
à un paquet de cordes entortillées, et des accès de toux convulsive
qui aboutissent ordinairement à des vomissements de sang, se
succèdent presque chaque jour et quelquefois très rapidement. À cela
s’ajoute un amaigrissement qu’on ne peut se figurer, et poussé à ce
point que les petites éminences des os sont visibles.
Il est touchant de voir les stigmates imprimés sur ce squelette, où
il n’y a pas un seul point qui ne soit douloureux et qui, jour et nuit,
verse de ses membres décharnés des flots de sœur toujours mêles de
sang. Du reste, la paix de son âme va croissant avec la faiblesse de
son corps et la grandeur de ses peines. Elle supporte tout avec une
résignation touchante, et il paraît que la réception plus fréquente du
Saint Sacrement la ranime intérieurement beaucoup depuis
plusieurs jours. Au milieu de ces souffrances, elle continue toujours à
avoir des visions, où elle travaille incessamment pour l’Eglise, et elle
reste convaincue que sa vie va prendre fin.

Le 18, elle eut une nuit un peu meilleure et un jour d’intermittence


dans la fièvre. Elle dit : « J’ai tant prié Dieu de me secourir. Je n’ai
pas reçu de réponse précise, et il m’a été demandé si je ne m’étais pas
donnée a lui comme sa fiancée, s’il ne pouvait pas faire de moi ce
qu’il voulait aussitôt il m’a ordonné « de faire un petit fagot » (c’est à
dire de faire des fascines de branchage pour boucher les ornières des
chemins dans la campagne, afin que les chariots de la moisson
puissent passer plus facilement. Cela se rapportait aux travaux faits
pour l’Eglise dans les visions).

Le 20 et le 21 elle resta en proie à une fièvre continuelle, avec des


alternatives de sueurs abondantes. Le 21, où elle avait à faire des
prières pour des malades, en union avec le Prince de Hohenlohe, elle
fut dans un état d’abstraction continuelle depuis le matin où elle
reçut la sainte communion jusqu’au soir, mais toujours avec une
fièvre ardente : toutefois, intérieurement, elle était tout à fait calme
et sereine. C’était la fête de sainte Agnès, patronne de son couvent :
elle crut être assise à la table céleste avec elle et sainte Emerentienne.
Elle dit une fois : « Il y a deux feux allumés en moi, l’un dans la
poitrine et l’autre dans tout le corps : ils se combattent, et je ne sais
pas si je me tirerai de là : cela dépend de celui qui aura le dessus. J’ai
plus d’une fois prié Dieu bien instamment de me délivrer de ma plus
grande souffrance, le mal confus que j’ai dans le bas ventre. Mon
fiancé m’a répondu d’un air sévère : « Pourquoi aujourd’hui ? Ne
serait ce pas aussi bien demain, ne t’es tu pas donnée à moi ? Ne puis
je pas faire de toi ce qui me plaît ? »
Ainsi je suis encore dans l’incertitude, et maintenant je ne veux
plus rien demander pour moi, mais je m’abandonne entièrement à
lui. Ô quelle grâce que de pouvoir souffrir ! Heureux celui qui est
méprisé et injurié ! Il n’y a rien que je ne mérite, et je n’ai joui que de
trop d’estime. Ah ! Que ne suis-je couverte de crachats et foulée aux
pieds dans la rue ! Je voudrais leur baiser les pieds ! »

Lorsque le 19 au soir le docteur L… vint la voir et la questionner


sur son mal, elle dit peu de chose ; mais le pèlerin lui donna une idée
de la maladie. Plus tard, étant passée à l’état d’extase, elle dit au
pèlerin : « Comment peux-tu te mettre au milieu de mes fleurs, tu
vas les écraser toutes. » Elle vit donc les indications données sur ses
souffrances comme la destruction de ses fleurs. Elle voyait souvent le
commencement de nouvelles souffrances sous l’image d’un petit
garçon qui jetait des fleurs sur elle.

Le 23, elle dit : « Cette nuit, j’ai eu à faire en sus un nouveau


travail. Les souffrances se prolongent ; elle s’en réjouit et aussi « de
ce que depuis la nouvelle année elle est toujours en campagne, et de
ce qu’elle a déjà fait bien de l’ouvrage. » Son confesseur, ému et
touché des souffrances de plus en plus horribles qu’elle éprouvait
dans le bas ventre, et dont elle avait demandé à être délivrée le jour
précédent, lui donna un peu d’huile bénite, pria sur elle et ordonna
au mal de se retirer au nom de Jésus. Le secours lui vint aussitôt :
elle se sentit entièrement soulagée, et ainsi s’accomplit ce qui lui
avait été dit pour demain. Le soir, la garde malade vint trop près
d’elle avec une mèche soufrée allumée, ce qui fit qu’Anne-Catherine
fut prise d’une toux mortelle avec des vomissements de sang, à la
suite desquels elle crut s’être disloqué quelque chose dans le corps.
Les anciens accidents au bas ventre revinrent. Cependant l’huile
bénite la soulagea encore.
Maintenant les symptômes de la maladie changent. Anne-
Catherine prie pour une malade dont les membres sont tout
déformés par la goutte. Elle a maintenant dans tout le corps des
sueurs tout à fait semblables à celles des goutteux ; elle ressent des
douleurs de goutte dans toutes les articulations, surtout aux mains et
aux doigts, qui sont horriblement défigurés chez cette personne.
Dans le sommeil extatique elle demande qu’on lui coupe les
orteils, ils l’empêchent de marcher ; ils sont tout tordus et rentrés en
eux mêmes, et elle craint qu’ils ne se dessèchent. En outre, elle croit
porter sur ses épaules une lourde pièce de bois triangulaire, et prie
son confesseur de la lui retirer. Celui-ci lui frictionna les épaules et
dit : « Elle n’y est plus. » Mais quand il a fini ses frictions, Anne-
Catherine dit : « il ne l’a qu’un peu déplacée, il faut que je supporte
aussi cela. »

27 Janvier. La maladie est toujours la même : son corps maigrit


encore, s’il est possible ; les sueurs continuent, ainsi que les douleurs
de goutte, qui changent continuellement de place, et le sentiment des
pouces et des doigts tordus. La fièvre est plus rare, pouls comme
celui d’un mourant. Le 25, elle fut prise de nausées subites et d’un
fort vomissement de sang, son corps ressemblait à une masse
informe. Elle resta ainsi plusieurs heures livrée à de grandes
douleurs, mais souffrant patiemment et priant en silence : puis cet
état disparut, et Anne-Catherine dit qu’elle avait vu une personne
malade dont le corps était ainsi déformé. Elle avait prié pour elle, et
c’était alors qu’elle s’était trouvée si mal et qu’elle était tombée dans
cet état.
Le 29 janvier la fièvre semble diminuer un peu, elle est dans un
état de prostration effrayante et ressent de nouvelles douleurs dans
le bas ventre. Toutes ces souffrances et ces états correspondent
exactement à des états et à des travaux spirituels et relatifs à l’Eglise.
Anne-Catherine le sait bien, mais dans l’état de veille, elle est
rarement en état d’en rendre compte.

Le 29 au soir, ses tortures augmentèrent encore après une journée


de souffrances. Elle dit tout à coup : « Qu’est ce que cette clarté qui
est au dessus de moi avec une couronne de fleurs ? » Et aussitôt ses
douleurs l’assaillirent. La douleur la faisait trembler de tous ses
membres, ses muscles se retiraient convulsivement, tous les
symptômes d’une fièvre inflammatoire se manifestaient.

Le 30 au soir, elle voit de nouveau une pluie de feu tomber sur


elle, et ses douleurs de bas ventre augmentent, prenant sans cesse de
nouvelles formes. Elle raconte le 31 au matin, que quelque chose s’est
détaché en elle, lui a monté dans le cou, et qu’elle a retiré de son
gosier avec le doigt un corps visqueux, compact de la longueur du
doigt. Elle avait eu une vision sur le danger de son état, et elle se fit
mettre sur le ventre des cataplasmes de camomille et de rue trempés
dans du vin chaud : elle se fit aussi frictionner avec de l’huile bénite.
Cet état dura trois jours, « car elle s’était chargée de quelque chose
à souffrir » disait-elle. Sa plus cruelle souffrance était dans les reins
et dans la rate, et la douleur montait jusqu’aux cavités des bras. Ses
souffrances étaient grandes mais sa patience les égalait. Tout en
gémissant elle ne parlait que de Dieu et du bonheur de souffrir, priait
pour les pauvres âmes qui avaient encore plus à souffrir qu’elle, et
conseillait d’étendre la souffrance sur toute la vie, car il est plus
difficile de mourir que de vivre.
Plus d’une fois Anne-Catherine, au milieu de ses horribles
douleurs dont l’extase elle-même ne diminuait pas la vivacité, s’était
soulevée le soir sur son lit et avait prié d’une manière touchante,
comme si elle en rendait grâces à Dieu. Elle trouvait la force de
supporter tout cela non seulement dans le Saint Sacrement, mais
encore dans d’autres consolations sur lesquelles elle ne s’expliqua
qu’en peu de mots dans les premiers jours du mois de février :
« Combien, disait-elle, j’ai été merveilleusement soutenue par Dieu
au milieu de ces souffrances !
La plupart du temps, je voyais devant moi ou près de moi, planer
comme une table de marbre blanc sur laquelle se trouvaient des
vases de toute espèce avec des sucs et des herbes. Je voyais tantôt un
saint martyre, tantôt un autre, homme ou femme, venir à moi et
m’apprêter un remède : c’était parfois un mélange, parfois quelque
chose qu’on pesait comme sur une balance d’or. Souvent on me
donnait à sentir des bouquets de fleurs, souvent quelque chose à
sucer. Ces remèdes calment souvent la douleur, plus souvent encore
ce sont des moyens fortifiants qui aident à supporter beaucoup de
souffrances qui s’entremêlent et qui viennent immédiatement après.
Je vois cela si distinctement et dans un ordre si régulier, que j’ai
quelquefois peur que mon confesseur en allant et venant ne renverse
cette pharmacie céleste. » Il en fut ainsi tout le temps que dura la
maladie.
Tel est le compte rendu d’un seul mois : on pourrait en donner de
semblables sur tous les mois de sa vie, mais celui-ci suffira au lecteur
pour reconnaître sur quel arbre de tortures sans nom ont mûri les
fruits précieux qui lui sont présentés dans les visions de cette
servante de Dieu si accomplie et favorisée de tant de grâces. Ce
furent précisément les belles visions relatives aux noces de Cana et à
l’Enfant Jésus parmi les docteurs du temple, qu’Anne-Catherine eut
pendant ce mois Combien ne lui a-t-il pas été difficile d’en
communiquer les fragments que le pèlerin a sauvés si fidèlement de
cet océan de souffrances !
XV

Il reste encore à parler plus au long de la manière dont les visions


étaient communiquées au pèlerin par Anne-Catherine, et de la
manière dont celui-ci s’y prenait pour les recueillir. Mais ce dernier
point ne serait pas bien apprécié, si l’on n’exposait pas l’ensemble
des rapports dans lesquels le pèlerin se trouvait avec Anne-
Catherine.
On a déjà dit plus haut qu’Anne-Catherine avait eu des visions dès
sa première jeunesse, qu’elle en avait eu l’intelligence, et en avait
parlé avec une simplicité naïve aux personnes de son entourage.
Mais bientôt ces communications furent repoussées, et, malgré les
fréquentes injonctions d’en faire part qui lui furent données
intérieurement, ce ne fut que dans sa quarante troisième année qu’il
arriva à Anne-Catherine de trouver quelqu’un auquel elle pût s’ouvrir
conformément aux avertissements donnés. Bien des fois elle avait
demandé à ses confesseurs de vouloir bien l’écouter pour l’amour de
Dieu ; mais elle n’avait jamais obtenu qu’aucun d’eux se donnât la
peine de prendre une connaissance approfondie de ces
communications, et d’examiner avec quelque attention quelle en
pouvait être la valeur.
Elle avait lieu de se féliciter quand on ne la rebutait pas comme un
cerveau malade, infatué de rêveries extravagantes, et qu’on se
bornait à lui exprimer le désir de ne plus entendre de pareilles
choses. On peut trouver ces procédés inexplicables et même
inexcusables, car, puisqu’il s’agissait d’une personne d’une sainteté
notoire, la plus simple équité exigeait qu’on reçût au moins ses
communications comme à l’essai, sauf à aller plus avant, après
examen, en se dirigeant d’après les règles d’une direction spirituelle
éclairée, mais on s’étonnera moins en pensant à la faiblesse humaine
prise en général, et au caractère particulier de l’époque à laquelle
vivait Anne-Catherine.
Dans sa vingt huitième année, elle entra au couvent des
Augustines, à Dulmen. Elle y fut comme une apparition étrange et
tout à fait incomprise, car avec l’austérité de la discipline claustrale
et la pratique de la vie vraiment intérieure et contemplative, on avait
aussi perdu la règle d’après laquelle devait être appréciée une
créature si merveilleuse et comblée de tant de grâces. La perfection
exemplaire d’Anne-Catherine, loin d’être considérée comme un
modèle à imiter pour ses compagnes, faisait plutôt qu’on l’évitait et
qu’on la craignait comme un moniteur incommode et importun. En
outre, le temps de son séjour au couvent fut trop court pour qu’elle
pût accomplir une réforme semblable à celles dont des âmes
favorisées de grâces analogues furent souvent les instruments à
d’autres époques.
Lorsqu’après la suppression violente du couvent elle fut forcée de
rentrer dans le monde, ce fut un religieux français émigré, le bon et
pieux P. Lambert, qui se chargea de sa direction spirituelle. Mais
d’une part, la vieillesse, les infirmités, les soins d’une existence
précaire ; d’autre part la méfiance poussée jusqu’à la persécution
avec laquelle laïques et ecclésiastiques observaient Anne-Catherine
et la soumettaient à des enquêtes impitoyables, jusqu’à mettre sa vie
en danger, avaient rendu ce pauvre homme tellement timide que
souvent il suppliait sa fille spirituelle de garder le silence sur ses
visions, et de tout étouffer plutôt que d’exposer elle et lui à de
nouvelles vexations.
Quoique pleinement persuadé de la vérité de ses assertions et de la
sainteté de sa vie, le P. Lambert ne possédait pas la force d’esprit
nécessaire pour apprécier tout ce qu’il y avait là d’important, et pour
pouvoir se mettre en mesure de comprendre et de recueillir les
communications comme il l’eût fallu. Ce qui caractérise bien toute la
manière d’être de cet excellent homme, c’est qu’au bout de quelques
années, Anne-Catherine fut obligée de prendre un autre confesseur,
car, accoutumé à avoir recours, pour toutes ses affaires temporelles,
aux conseils éclairés et à l’assistance d’Anne-Catherine, il en vint à
peu près à s’en remettre pour tout le reste à son intelligence
supérieure, et Anne-Catherine vit bien qu’elle ne tarderait pas à
conduire au lieu d’être conduite, et qu’ainsi elle serait privée de toute
direction spirituelle.
Mais elle lui voua jusqu’à sa mort la sollicitude la plus touchante et
la plus dévouée, prenant ses douleurs sur elle, lui obtenant des
grâces sans nombre et lui donnant toute espèce d’assistance ; aussi,
le P. Lambert, dans sa dernière maladie. Lorsqu’il recevait un
soulagement inattendu ou une consolation intérieure, s’écriait
souvent en versant des larmes de reconnaissance : « C’est ma Sœur
qui a fait cela. »
Son successeur fut un homme beaucoup plus jeune, l’ex-
dominicain Limberg, religieux d’une grande piété, mais d’un
caractère difficile et scrupuleux, qui ne voulait pas entendre parler de
visions, et qui qualifiait tout simplement de rêveries tout ce qu’Anne-
Catherine voulait lui exposer pour obéir à des injonctions de plus en
plus pressantes.
Même à l’époque où le pèlerin vint entreprendre le travail si
pénible de la mise en œuvre des visions, rien ne put décider Limberg
à venir en aide a la Sœur accablée sous le poids de ses continuelles et
indicibles souffrances, et à faire usage de son autorité de confesseur
pour faciliter, régler bien des choses, et empêcher les dérangements
venant du dehors. Il se réjouissait à la vérité, quand le pèlerin
réussissait à sauver tel ou tel récit ; mais bientôt après il tombait
dans le trouble et l’inquiétude pour peu qu’il eût avoir à craindre que
cela ne fit du bruit, ou ne fit tenir des propos.
Les choses allèrent ainsi jusqu’au moment ou Overberg devint le
confesseur extraordinaire d’Anne-Catherine. S’étant convaincu,
après un long et scrupuleux examen, de la réalité de son état
merveilleux, il ne pouvait manquer de désirer que ses visions fussent
conservées, pour le plus grand bien des contemporains et de la
postérité ; mais ses devoirs d’office ne lui permettaient pas de quitter
longtemps Munster et de se charger lui-même de ce difficile travail.
Le pieux comte de Stolberg et l’évêque de Ratisbonne, Sailer {14},
arrivèrent à la même conviction qu’Overberg, et ce fut par leur
intermédiaire que Clément Brentano trouva accès et accueil très
bienveillant auprès d’Anne-Catherine.
On doit encore, à cette occasion, mentionner avec reconnaissance
un homme qui, depuis l’année 1813 jusqu’à la mort d’Anne-Catherine
fut le plus fidèle ami de celle ci : nous voulons parler du docteur
Wesener de Dulmen.
L’éditeur possède une copie de son journal, et même le procès
verbal qu’il avait dressé le 22 mars 1813 sur les stigmates d’Anne-
Catherine. À dater de ce jour, il la visita journellement pendant une
suite d’années, et il tint sur ses observations médicales un journal
exact, dans lequel il consignait avec une simplicité touchante tous les
entretiens qu’Anne-Catherine avait d’ordinaire avec lui sur des sujets
religieux. Comme une fois il exprimait un regret sur ce que les saints
Evangiles disent si peu de chose de la jeunesse du Sauveur, Anne-
Catherine lui répondit, à ce qu’il rapporte dans son journal du 1er mai
1813 :
« Je connais tout dans les plus petits détails, comme si je l’avais vu
moi-même. Je sais aussi très exactement l’histoire de la mère de
Jésus. » Elle s’étonnait elle-même, ajoute Wesener, de ce que tout se
présentait à elle avec des traits si vifs, quoiqu’elle n’eût pas pu lire
tout cela. Elle promit de me raconter deux choses. Le 27 mai, comme
il lui rappelait sa promesse, elle commença « par me parler de
l’assurance donnée à sainte Anne que le Messie naîtrait de sa race.
Anne, à la vérité, avait eu plusieurs enfants, mais elle avait bien vu
que le vrai rejeton n’était pas encore venu, et pour cela elle avait
imploré l’accomplissement de la promesse, en multipliant les jeûnes,
les prières et les sacrifices. »
Wesener continue de cette manière à rendre compte de ce qui lui a
été communiqué jusqu’au mariage de Marie avec saint Joseph, et il
termine son compte rendu en rapportant ce que lui a dit Anne-
Catherine : « qu’elle voudrait seulement être en état d’écrire, parce
qu’alors, croit-elle, elle écrirait tout un livre rempli des visions qu’elle
a déjà eues. » Or, ce que donne Wesener est une fidèle esquisse de ce
que le pèlerin put recueillir plus tard à la suite d’un récit plus détaillé
d’Anne-Catherine. Wesener fut donc le premier qui, ravi de la
profondeur et de la beauté intérieure de plusieurs choses sorties de la
bouche d’Anne-Catherine, mit par écrit ce qu’il put en entendre.
Cela se réduit assurément à peu de chose, mais ce peu, par sa
conformité avec les rédactions du pèlerin, non seulement quant à la
substance, mais aussi quant à la forme, en tout ce qui est essentiel,
est de la plus haute importance ; car ces notes écrites avec une
grande simplicité et tout à fait sans prétention prouvent avec quelle
fidélité consciencieuse le pèlerin a reçu et reproduit les
communications d’Anne-Catherine.
Le pèlerin fut introduit par Wesener auprès d’Anne-Catherine.
Voici ce que ce dernier dit à ce sujet dans son journal : « Jeudi
24 septembre 1818, le frère de M. Brentano est venu chez moi, avec
le désir de pouvoir faire connaissance avec la malade. Il s’appelle
Clément, et jusqu’à ce moment il a vécu à Berlin sans y avoir de
profession. Comme il me paraît avoir très bonne volonté, je l’ai
annoncé à la malade. Celle-ci s’est montrée disposée à le recevoir
tout de suite, et je lui ai amené. »

2 octobre « La malade a pris Clément Brentano en affection,


quoiqu’à certains égards elle paraisse préférer son frère. Du reste, ce
que je prévoyais est arrivé. La maladie trouve de l’édification et un
plus grand recueillement dans ses rapports avec Brentano, parce
qu’il la préserve, par ses fréquentes visites, de beaucoup d’ennuis
venant du dehors. M. Clément Brentano a loué un logement dans la
maison de la malade, et il l’observe avec beaucoup de soin. »

Mercredi 23 décembre. « Il y a une lacune depuis le 18 octobre


jusqu’à ce jour ; mais cette lacune est comblée par un trésor
d’expériences faites par un observateur qui m’est bien supérieur en
pénétration et en instruction : c’est M. Clément Brentano, dont j’ai
déjà parlé. »
Voyons maintenant comment le pèlerin lui-même s’exprime dans
son journal sur sa première visite à Anne-Catherine. « J’arrivai à
Dulmen vers dix heures Wesener, médecin de la sœur Emmerich,
m’annonça à elle afin qu’elle ne fût pas trop intimidée. Elle se montra
fort aise de me voir. Après avoir traversé une grange et de vieux
celliers, on monte par un escalier tournant en pierre : nous
frappâmes à la porte : sa sœur, qui la sert, ouvrit la porte : nous
entrâmes par la petite cuisine dans la chambre de l’angle où elle est
couchée. Elle me tendit joyeusement ses mains stigmatisées et me
dit :
« Voyez comme il ressemble à son frère ! » (Elle voulait parler de
Christian Brentano avec lequel elle avait fait connaissance cinq mois
auparavant). Je ne ressentis aucune émotion pénible en voyant les
cicatrices de ses mains. Je me réjouissais de ce qu’elle portait sur elle
un signe si noble et si saint, et je me sentais porté à une joie
intérieure extraordinaire par son visage pur et candide et par la
vivacité doucement enjouée de sa conversation. J’étais tout à fait
comme chez moi, j’avais l’intelligence et le sentiment de tout ce qui
m’entourait.
Je ne trouvai dans toute sa personne aucune trace de tension ni
d’exaltation, mais un enjouement plein de simplicité pure et une
espièglerie innocente. Tout ce qu’elle dit est prompt, bref, simple,
naïf, sans retours complaisants sur elle-même, avec cela plein de
profondeur, plein d’amour, plein de vie, et pourtant tout à fait
rustique. On y reconnaît une âme délicate, sensée, fraîche, chaste,
éprouvée, parfaitement saine.
Elle vit au milieu de l’entourage le plus incommode et le plus
inintelligent, composé de bons ecclésiastiques, de braves gens
simples et grossiers, et d’une méchante sœur : toujours malade à la
mort, soignée d’une façon maladroite et grossière, dirigeant tout,
menant tout le ménage, travaillant, abandonnée, martyrisée,
entourée de bruit, tantôt regardée curieusement comme une bête
extraordinaire, tantôt vexée par sa sœur comme une Cendrillon,
menant une vie misérable, mais toujours affectueuse, toujours en
lutte avec d’immenses douleurs qu’elle souffre pour les péchés
d’autrui.
Tout ce qui la gêne extérieurement pourrait être changé sans qu’il
y eût la plus petite dépense à faire : ce ne sont que de petites misères,
mais qui la tourmentent comme un essaim de mouches, et il est
difficile d’y remédier. Regardant bien plus haut que toutes ces
personnes, elle honore en elles les desseins de Dieu, qui veut
l’éprouver et l’humilier. Faisant de Jésus sa société et jouissant de
son Seigneur, la fiancée de Dieu se courbe, joyeuse, sous le fouet des
valets. Elle ne se borne pas à porter les stigmates : elle est
incessamment crucifiée et prie pour ses bourreaux : il n’y a pas
jusqu’à l’affection que plusieurs lui témoignent qui ne soit une lourde
peine. »
« Son confesseur, le dominicain Limberg, homme simple,
innocent, humble, du cœur le plus pur, mais peu instruit, a en elle un
fardeau merveilleux qui le porte à son tour. Que de choses inouïes,
étourdissantes, il découvre tous les jours en elle ! Si elle est en extase,
et que par hasard il approche d’elle ses doigts consacrés, elle lève la
tête et les suit des yeux, et quand il les retire elle retombe sur elle-
même.
Et il en est de même pour tous les prêtres : dans l’extase, elle saisit
vivement les doigts consacrés, et avec tant de force, qu’on ne peut
pas les retirer. Une fois, étant tombée en extase pendant une
conversation sur le sacrement de l’Ordre, elle dit que, même dans
l’enfer, ces doigts du prêtre se reconnaissaient encore à une marque
particulière. Celui qui, comme moi, a vu cela fortuitement sent bien
que la consécration sacerdotale est quelque chose de plus qu’une
pure cérémonie : c’est un fleuve vivant qui a sa source dans la vie de
Jésus. »
Anne-Catherine témoigna tout d’abord au pèlerin une naïve et
touchante confiance : car tout son intérieur était complètement
dévoilé à ses yeux : elle voyait cette âme noble et élevée avec la
plénitude des dons si rares qui plaçaient Clément si fort au-dessus de
la plupart de ses contemporains, décidée maintenant à vouer le reste
de ses jours à la tâche qu’elle-même avait à remplir, et qu’elle
n’aurait pas pu mener à bien sans lui. Elle lisait dans ses pensées les
plus secrètes, les lui faisait souvent connaître avant qu’il en eût
clairement la conscience ; lui-même, dans sa droiture et dans sa
simplicité, n’hésitait pas à consigner dans son journal, avec une
fidélité surprenante, celles mêmes de ces révélations qui pouvaient le
faire rougir.
Anne-Catherine reçut de son conducteur spirituel l’injonction
d’être communicative à l’endroit du pèlerin et elle avoua à celui-ci
« qu’elle sentait qu’elle avait eu inutilement des grâces et des visions
innombrables, parce qu’elle n’avait personne à qui elle pût en faire
part. Le Père l’avait souvent jetée dans les plus grand doutes, parce
que, sans vouloir rien examiner, il traitait tout cela de pures
rêveries : mais son ange lui avait toujours réitéré les mêmes
injonctions : il faut que tu le dises même quand on se moquerait de
toi. Si elle cherchait à s’excuser en disant : Mais je ne sais pas
m’exprimer, la réponse était toujours : Dis le comme tu pourras. Elle
avait raconté cela au Père, mais il ne voulait pas l’écouter. »
Le pèlerin lui ayant dit une fois qu’il ne pouvait pas croire que tout
ce qu’elle avait vu depuis sa jeunesse lui eût été donné pour elle
seule, Anne-Catherine en tomba d’accord : « J’ai la même
persuasion, lui dit-elle, car il m’a été ordonné, depuis longtemps
déjà, de tout raconter, quand même le monde devrait me regarder
comme folle : mais personne n’avait jamais voulu m’écouter et les
choses les plus saintes que j’eusse vues et apprises, étaient si mal
entendues et accueillies d’une façon si injurieuse que, craignant de
les exposer au mépris, je renfermais tout en moi-même avec une
grande tristesse ; Plus tard, j’ai vu dans le lointain un homme
étranger {15} qui venait à moi et écrivait beaucoup auprès de moi :
cet homme, je l’ai retrouvé et reconnu dans la personne du pèlerin. »
« J’ai, depuis mon enfance, l’habitude de prier tous les soirs pour
tous les accidents, comme chutes, naufrages, incendies, etc, et je vois
toujours, après avoir prié, des scènes en grand nombre ou des
accidents de ce genre qui aboutissent heureusement. Mais quand j’ai
omis cette prière, j’apprends ou je vois toujours quelque grand
malheur, ce qui me fait voir non seulement la nécessité de cette
prière spéciale, mais le profit qu’il y a à ce que je communique cette
persuasion que j’ai et les avertissements intérieurs que je reçois à ce
sujet, parce que cela peut suggérer la pensée de cette œuvre de
charité à d’autres personnes qui n’en voient pas les effets comme
moi. »
« Les nombreuses et surprenantes communications de l’Ancien et
du Nouveau Testament, les scènes innombrables de la Vie des saints,
etc., m’ont toutes été données par la miséricorde de Dieu, non
seulement pour mon instruction, car il y a bien des choses que je ne
pouvais pas saisir, mais pour être communiquées, et pour remettre
au jour des choses cachées et plongées dans l’oubli. J’en ai toujours
reçu l’ordre à plusieurs reprises : je l’ai raconté aussi bien que je l’ai
pu, mais on ne se donnait même pas la peine de m’écouter : il me
fallait donc le renfermer en moi-même et j’oubliais nécessairement
une foule de choses. Mais j’espère que maintenant Dieu donnera ce
qui sera nécessaire. »
Une autre ouverture, sur le même sujet, que fit Anne-Catherine
étant en extase, mérite aussi considération : « Je sais, dit-elle, que je
devrais être morte depuis de longues années, car je viens d’avoir une
vision où j’ai appris que je serais morte il y a longtemps si tout ne
devait pas être connu par le moyen du pèlerin. Il doit tout écrire car
mon affaire à moi est de prophétiser, c’est à dire de faire connaître
les visions. Et quand le pèlerin aura tout mis en ordre et que tout
sera fini, il mourra aussi. » Ceci s’est accompli à la lettre.
Mais la communication la plus étendue et la plus caractéristique
qu’Anne-Catherine ait faite sur ses visions et sur sa tâche
prophétique eut lieu le 2 février 1821. Comme le pèlerin lui parlait
des grâces singulières qu’elle recevait si abondamment et dont une
grande partie se perdait parce qu’elle était dérangée, ou troublée, ou
accablée par la souffrance : « Oui, dit-elle, mon fiancé m’a aussi dit
cela cette nuit, comme je me plaignais de ma détresse, de ma misère,
de voir tant de choses que je ne comprenais pas, etc.
Il m’a dit qu’il ne me donnait pas mes visions pour moi, qu’elles
m’étaient envoyées pour que je les fisse recueillir, et que je devais les
communiquer. Ce n’est pas maintenant le temps de faire des
miracles extérieurs. Il donne ces visions et il en a toujours agi de
même, pour prouver qu’il veut être avec son Eglise jusqu’à la fin des
siècles. Les visions (c’est à dire la contemplation seule) ne sauvent
personne : il faut pratiquer la charité, la patience et toutes les vertus.
Il me fit voir ensuite une série de saints qui avaient eu des visions de
toute nature, mais qui n’étaient arrivés au salut qu’en utilisant ce
qu’ils y avaient appris.
Je vis ensuite des scènes de la vie de différents saints et je vis que
la plupart du temps leurs visions avaient été tronquées et mal
comprises de ceux qui les avaient mises par écrit. Je vis combien
plusieurs d’entre-eux eurent à souffrir à ce sujet et comment sainte
Thérèse craignit bien longtemps d’être le jouet d’une illusion
diabolique, par suite de l’absurdité de ses confesseurs. » Elle nomme
alors sainte Thérèse, sainte Catherine de Sienne, sainte Claire de
Montefalco, sainte Brigitte, sainte Hildegarde, sainte Véronique
Giuliani, la vénérable Marie de Jésus, etc, comme lui ayant toutes été
montrées, et elle dit beaucoup de choses sur la nature de leurs
visions, dont elle n’a qu’une connaissance intérieure.
Elle voit que l’effet de ces visions a été détruit en grande partie par
les suppressions ou les changements qu’y ont faits des prêtres
savants, mais manquant de simplicité et ne comprenant pas la
manière dont ces tableaux se produisent. On a souvent rejeté
beaucoup de choses parce qu’on ne pouvait pas dégager la pure
vision historique d’autres représentations qui s’y mêlaient et où le
contemplatif agissait par la prière. J’en vois d’autres étonnamment
prolixes où chaque grâce est accompagnée d’un tel flux de paroles
que personne ne trouve plus rien de substantiel qu’il puisse
s’approprier.
Les visions de sainte Hildegarde ont été écrites par elle-même avec
la plus grande fidélité, parce qu’avec elles elle a reçu de Dieu le don
d’écrire. Cependant, il y a beaucoup d’altérations dans ce qui en a été
imprimé. Même dans les écrits imprimés de sainte Thérèse, on a fait
des changements. Sainte Françoise Romaine a eu beaucoup de
visions du même genre (qu’Anne-Catherine), mais elles ont été très
mal reproduites. Elle a vu comment la manie des confesseurs de tout
accommoder à leur manière d’entendre l’Evangile a fait disparaître
bien des choses. Et pourtant, peu de semaines auparavant, avant que
cette injonction répétée lui eût été faite, Anne-Catherine, assaillie de
douleurs innombrables et craignant de ne pouvoir pas en supporter
la violence, avait supplié Dieu de lui retirer les visions.
Voici ce qu’elle raconta le 1er janvier 1821 : « J’ai demandé de tout
mon cœur près de la crèche que Dieu me soulageât un peu et voulût
bien me décharger d’un fardeau ; qu’au moins il retirât à l’enfant son
affreuse toux convulsive (c’était l’enfant de son frère qui demeurait
près d’elle, et dont l’interminable toux convulsive allait bien plus au
cœur d’Anne-Catherine que ses propres souffrances) : mais je n’ai
pas été écoutée et aucune espérance ne m’a été donnée ! J’ai fait à
Dieu une querelle dans les règles, je lui ai rappelé comment il a
promis de tout exaucer, et dans quels cas ; je lui ai cité plusieurs
exemples, mais il ne m’a pas écoutée et j’ai compris que cette année
je serais encore plus fortement éprouvée qu’à l’ordinaire. Hier
encore, j’ai prié Dieu ardemment de me retirer les visions, afin d’être
délivrée de l’obligation de les raconter et de la responsabilité qui s’y
attache.
Mais je n’ai pas été exaucée, et il m’a été dit, comme de coutume je
dois raconter tout ce que je serais en état de, et cela quand même on
se moquerait de moi. Je ne puis comprendre à qui cela servira. Il m’a
été dit encore que personne n’a vu tout cela de la même manière et
dans la même mesure que moi : que d’ailleurs ce ne sont pas mes
affaires, que c’est l’affaire de l’Eglise. C’est un grand malheur qu’il
s’en perde tant, et il en résulte une grande responsabilité. Bien des
personnes, qui sont cause que je n’ai jamais de repos et le clergé qui
manque d’hommes et qui manque de foi pour faire cela, auront un
terrible compte à rendre. J’ai vu aussi tous les obstacles que le
démon a suscités. »
XVI

Le pèlerin était donc le premier homme pourvu de tous les dons


nécessaires que la Providence eût amené près de la voyante, afin
qu’elle dévoilât devant lui les trésors de grâce qu’il devait maintenant
recueillir au profit des contemporains et de la postérité avec des
peines et des fatigues auxquelles probablement bien peu de ses
lecteurs auraient consenti à se soumettre.
D’une part, son sens droit et lucide le préservait de l’excès et de
l’exagération, d’autre part sa foi simple et candide jointe au
sentiment inné du vrai et du beau, ainsi que les trésors d’expérience
recueillis pendant une vie agitée et mêlée à celle des plus distingués
et des meilleurs de ses contemporains le disposait à apprécier sans
prévention les phénomènes et les faits, à ne pas renfermer dans des
limites trop étroites ce qui sortait des règles ordinaires, et à ne pas
rejeter timidement tout un ordre de choses étranger aux habitudes
de la vie commune et aux idées qui en découlent.
Si le pèlerin, avec la délicatesse de son sentiment artistique et la
puissance créatrice de son propre talent, était incapable de
s’approprier l’œuvre d’un tiers en la corrigeant, en l’altérant ; en y
effaçant le cachet de l’originalité, il était encore bien moins homme à
traiter ainsi les tableaux merveilleux que la voyante faisait passer
devant son regard étonné et qu’il accueillait humblement comme un
don de Dieu, en versant des larmes de reconnaissance. Le goût et la
piété s’accordaient pour l’empêcher de parer de ses propres pensées
ce que la voyante lui confiait ou de réduire à la mesure de sa lumière
bornée ce qui avait été aperçu dans la lumière vivante.
Il était trop au-dessus de son temps et en même temps trop peu
théologien pour avoir en poche une « théorie de la révélation » à
appliquer avec une critique minutieuse au mystère de la rédemption
et aux miracles de l’histoire du Rédempteur. En outre son audacieuse
fantaisie poétique avait depuis longtemps parcouru toutes les routes
et s’était exercée sur tout ce qui peut émouvoir des natures aussi
richement douées que la sienne, et il ne lui restait plus qu’à la
courber sous le joug de la croix et à la consacrer avec joie et sans
réserve au service de l’Eglise.
Du reste, plusieurs des qualités distinctives du pèlerin n’étaient
que des dons naturels, mais elles reposaient sur une base plus
profonde que ne le laissait voir extérieurement la vivacité native de
cet esprit si riche et si indépendant, et elles étaient dominées et
dirigées par un principe infiniment plus élevé que celui qu’on
voudrait trouver dans la « pure fantaisie ou le besoin poétique. »
Ce n’est pas là qu’on puise la persévérance qui fait rester au
besoin, des années entières près du lit de douleur d’une pauvre
malade luttant journellement avec la mort et gémissant sans secours
sous le poids de peines sans nom, pour n’y recueillir souvent que
bien peu de chose au prix d’humiliations pénibles. Le pèlerin ne
tarda pas à apprendre qu’il était venu à l’école de la croix, et que cet
essaim de mouches qui environnait Anne-Catherine ne l’épargnerait
pas non plus, mais il n’en tenait aucun compte et supportait des
épreuves bien plus grandes encore avec la simplicité d’un enfant et
l’énergie d’un homme.
Il s’exprime à ce sujet en termes touchants, la veille de Noël 1819 :
« En commençant à écrire, je ressentis une profonde tristesse à cause
des misères de cette vie, où les suites et les effets de
l’obscurcissement qui s’est fait en nous m’empêchent de saisir et de
reproduire avec calme ce que découvre dans les plus saints mystères
le regard d’une simple et naïve créature, merveilleusement favorisée
de Dieu. Je ne puis sauver pour mes frères que des ébauches
grossières, des lambeaux misérables de tableaux qui prouvent la
présence et la réalité éternelles de tous les mystères des relations
divines, aujourd’hui perdues pour nous.
Et ces ébauches il me faut les dérober et les obtenir par artifice ! Je
ne puis dire ce que je sens, ce que je vois, ce que je devine à cet
égard : mais ceux qui, pendant des années, ont étouffé et méprisé ces
grâces, ceux qui, forcés maintenant de les reconnaître, les troublent
cependant et ne les recherchent pas et n’en tiennent pas compte,
ceux-là, dis-je, pleureront avec moi quand leur miroir aura été
obscurci par la mort. Enfant Jésus, mon Sauveur, donnez-moi la
patience. » Il décrit ensuite la situation d’Anne-Catherine pendant
cette sainte vigile : « Elle ressent des douleurs atroces dans toutes ses
plaies et tous ses membres. Elle les supporte et lutte avec joie.
Quelquefois elle ne peut s’empêcher de pousser des cris aigus. Ses
mains et ses doigts tremblent et se ferment convulsivement, les
doigts sont froids, la paume des mains est brûlante. Elle a fait tous
ses présents (aux pauvres), fini tous ses travaux : elle place et range
tout ce qui lui reste de morceaux d’étoffe et de bouts de fil, et
s’affaisse épuisée de fatigue pour porter à la crèche son offrande de
Noël, consistant en douleurs infinies qui lui apparaissent comme des
fleurs qu’elle porte. Ces douleurs ne sont pas les effets naturels d’une
maladie : ce sont des souffrances déterminées qu’elle désire
supporter à la place d’autres personnes qui ne peuvent pas souffrir
avec patience.
Elle sait que par là elle leur procure du soulagement, et elle
satisfait avec amour les dettes d’autrui envers la justice divine. J’ai
ressenti moi-même l’année passée cette translation de mes propres
souffrances intérieures à Anne-Catherine. Ainsi, à l’occasion de ces
saints jours où l’on fête le mystère de notre rédemption, elle recueille
pour elle une quantité de douleurs et de souffrances qu’elle apporte
au Rédempteur. C’est ainsi qu’il lui a perce les pieds, les mains et le
côté le jour de sa propre nativité, afin qu’elle rende du sang en
mémoire de l’amour de son Sauveur duquel, le sien tire sa vie. »
Les paroles du pèlerin ne peuvent rien avoir de surprenant pour le
lecteur, car il aura lui-même reconnu, d’après tout ce qui a été dit
plus haut, combien, il est contraire à l’état réel des choses de se
représenter Anne-Catherine comme placée dans une région
lumineuse du sein de laquelle elle aurait, dans une contemplation
paisible, raconté ses visions au pèlerin pour que celui-ci les
reproduisît sans fatigue : il n’y a pas moins d’absurdité dans cette
autre opinion suivant laquelle la fantaisie puissante du poète
richement doué se serait donné carrière sur le terrain de la poésie
sacrée comme elle l’avait fait autrefois dans les régions sans limites
du monde des fables, tandis qu’Anne-Catherine n’aurait fait que
prêter son nom à ce qu’il aurait rapporté de ces excursions.
Pour apprécier complètement la tâche du pèlerin, le lecteur doit se
représenter ce qui a été dit plus haut de la vie extatique d’Anne-
Catherine et se rappeler qu’ayant, dès sa jeunesse, vécu, souffert et
agi dans la sphère de la contemplation, elle n’avait jamais pu trouver
l’occasion de se communiquer à autrui avec réflexion, ni s’exercer à
traduire dans un langage intelligible pour nous ce qu’elle a perçu non
dans des parole faites pour l’oreille des hommes, mais dans
l’irradiation de la lumière vivante. Et maintenant pour la première
fois, dans les six dernières années de sa vie, il lui fallait se livrer à cet
exercice, lorsque ses souffrances et ses peines de toute espèce
devenaient de plus en plus extraordinaires, et augmentaient chaque
jour en durée et en intensité.
Le lecteur reconnaîtra, non sans surprise, que le pèlerin était ;
peut-être le seul homme sur la terre que Dieu pût vouloir prendre
comme instrument afin de sauver pour la postérité, fût-ce même
incomplètement, les grâces attachées à l’un des dons les plus
merveilleux qui aient jamais été départis à un mortel et les fruits de
la plus sainte fidélité et des souffrances les plus inouïes.
Il fallait un esprit aussi flexible et aussi délicat que celui du
pèlerin, une oreille aussi parfaitement exercée, capable de deviner
l’harmonie tout entière à l’aide d’un son à peine articulé, il fallait de
plus sa patience invincible et son opiniâtreté infatigable pour
dérober, dans des moments souvent bien courts, à cette femme
épuisée jusqu’à la mort les fragments de ses visions, pour conserver
chaque parole isolée, quoique souvent encore inexpliquée, jusqu’à ce
qu’une heure plus libre de souffrances offrît l’occasion d’obtenir de la
voyante le complément nécessaire pour en révéler le sens et en
donner l’intelligence. Jamais le pèlerin n’a risqué une combinaison,
jamais il n’a cherché à compléter à l’aide d’autres communications
analogues un fragment imparfait quant au sens ou à l’expression,
sans en avertir expressément et sans expliquer tout au long de quelle
manière il a procédé encore ne l’a-t-il fait que dans des cas bien
rares.
Il était toujours comme un enfant candide qui n’a d’autre désir que
d’entendre ce qui sort de la bouche d’une mère remplie de sagesse et
de reproduire ce qu’il a entendu avec une fidélité aussi littérale que
possible. La plupart de ces choses étaient pour lui aussi étrangères,
aussi inaccoutumées, aussi nouvelles qu’elles peuvent l’être pour le
lecteur : mais cela ne l’empêchait pas de tout donner exactement
comme il l’avait reçu. Il ne s’est effarouché de rien, quelque contraire
que ce put être à sa manière antérieure de voir ou de penser ; il
l’acceptait avec reconnaissance comme un mineur qui tombe sur un
filon inespéré et le creuse joyeusement dans l’espoir d’y trouver de
l’or natif.
Beaucoup de choses et notamment les plus belles parties des
visions de l’Ancien Testament sont accompagnées de points
d’interrogation et d’exclamation dans la première rédaction du
pèlerin parce qu’il ne les a pas bien comprises : mais il a reproduit ce
qu’il a entendu avec une extrême fidélité. L’expérience lui avait
appris qu’Anne-Catherine ne voyait pas chaque mystère ou chaque
objet dans un tableau délimité, complet en lui-même, mais que
souvent, suivant l’ordre des fêtes de l’année ecclésiastique, son
regard embrassait avec le temps présent l’Ancien et le Nouveau
Testament et qu’elle contemplait à une fête telle face du mystère, à
une autre fête telle autre face, en sorte que l’ensemble n’était complet
qu’après une série de visions.
C’était le cas pour les visions touchant l’arche d’alliance, la
bénédiction des Patriarches et l’état paradisiaque, qu’Anne-
Catherine avait aux diverses fêtes de la Mère de Dieu suivant leur
rapport avec le saint mystère de l’incarnation et que par conséquent
elle ne communiquait que par parties. Mais comme à la fin de l’année
ecclésiastique ces parties se réunissaient pour former un ensemble
dans lequel l’une était le complément de l’autre, il y avait là une
garantie complète tant pour la vérité des visions que pour la fidélité
parfaite de la reproduction.
Anne-Catherine, la plupart du temps, faisait ses récits dans son
patois westphalien. Pendant qu’elle parlait, le pèlerin notait sur des
carrés de papier les points principaux qu’aussitôt après il mettait au
net en complétant de mémoire. Il lisait la rédaction ainsi faite à
Anne-Catherine, puis il corrigeait, complétait, effaçait d’après les
indications qu’elle lui donnait, et ne conservait rien où elle n’eût
reconnu expressément la reproduction fidèle de ce qu’elle avait dit.
On peut se figurer aisément qu’un pareil exercice répété tous les
jours, pendant plusieurs années, dut, avec là force d’esprit et la
constance du pèlerin, lui faire acquérir une facilité particulière ; si
l’on ajoute qu’il regardait son travail comme une œuvre sainte, à
laquelle il ne manquait pas de se préparer par la grâce et par de pieux
exercices, il sera d’autant plus permis de croire que la grâce divine
non plus ne lui aura pas fait défaut. Le scrupule consciencieux avec
lequel le pèlerin a fait tout ce travail, lui a interdit, dans les années
subséquentes, de rien répondre à ceux qui prétendaient que les
visions étaient en grande partie son œuvre, car cela équivalait a dire
qu’un homme grave comme lui avait consacré la fin de sa vie, en se
donnant pour cela une peine incroyable, à préparer sciemment une
tromperie pour lui et pour les autres.
Afin de mettre le lecteur en mesure de mieux se rendre compte des
faits, nous lui donnerons quelques extraits du journal du pèlerin : Un
jour qu’Anne-Catherine avait décrit le cercueil de saint Jean Baptiste
d’une manière peu intelligible pour le pèlerin, il consigna dans son
journal les remarques suivantes :
« Elle a décrit cela d’une façon très difficile ou même impossible à
comprendre, et il ne faut pas lui faire de questions, autrement elle se
trouble. Comme elle est très peu capable de décrire les objets avec
précision, elle attribue toutes les questions au manque d’intelligence
de l’auditeur. Elle n’a jamais été exercée à pareille chose et n’a jamais
eu de rapport qu’avec des gens qui ne demandent pas qu’on leur
donne des objets une idée précise.
On ne lui a jamais dit que ce sont deux choses différentes, que de
voir les objets et de les décrire pour autrui. Comme elle même voit à
l’instant sur une simple désignation, elle croit tout parfaitement
clair, et se figure qu’on doit comprendre ce qu’elle dit d’une manière
très confuse et même ce que souvent elle ne dit pas, croyant l’avoir
dit. Il se peut du reste que cela tienne à un état comme le sien. »
Certainement il en est ainsi, car s’il y a une chose évidente dans la vie
merveilleuse d’Anne-Catherine, c’est qu’il lui fallait acheter par des
souffrances chaque grâce qui lui était accordée et qu’elle ne pouvait
la rendre profitable aux autres qu’au prix de nouvelles souffrances.
C’est pourquoi elle n’avait pas reçu avec ses visions le don de les
communiquer facilement et sans fatigue ; c’est pourquoi il n’y eut
jamais une assez longue interruption dans ses souffrances pour
qu’elle pût une seule fois dire au pèlerin ce qu’il aurait tant désiré
entendre sortir de sa bouche : « Cherchons tranquillement ensemble
à exprimer cela comme il faut. » Toujours il lui fallait interroger avec
précaution et prier doucement, toujours elle se plaignait et s’étonnait
qu’on ne la comprit pas.
Et si enfin, à force de prières et d’instances, on obtenait une
communication, on avait à craindre la peine et l’humiliation d’être
obligé de céder la place à quelque visite indifférente comme celle
d’une servante ou d’un enfant. Les choses sérieuses ou nécessaires
n’étaient pas respectées, et il fallait qu’elles se retirassent avec le
pauvre écrivain qui leur avait voué le temps précieux d’une vie déjà
sur son déclin. »
Des plaintes de ce genre se représentent fréquemment dans le
journal du pèlerin, elles sont l’expression de la profonde douleur
qu’il éprouvait toutes les fois qu’un dérangement partant du dehors
venait interrompre une communication commencée. L’impression
du moment lui faisait perdre de vue ce qui avait été si souvent répété
à Anne-Catherine, que ce n’était pas la contemplation seulement,
mais l’application pratique de ce qu’elle y avait vu qui lui était
profitable, ce qui lui faisait considérer l’exercice de la charité et le
support humble et patient de toutes les contrariétés comme la
principale tâche de sa vie.
Quant au pèlerin, il ne croyait pas pouvoir mieux employer, en vue
de la gloire de Dieu, toutes les facultés de son esprit et tout le temps
qui lui restait à vivre, qu’en les consacrants entièrement à la
reproduction des visions : c’est pourquoi toute interruption lui
causait souvent une si amère tristesse, et s’il survenait une série de
dérangements, il lui arrivait parfois « de passer toute la nuit à
pleurer et à supplier Dieu de venir à son aide. »
Non seulement Anne-Catherine prenait souvent à son compte les
maladies d’autres personnes souffrantes, mais, dans ce cas, leurs
dispositions morales lui étaient aussi transmises, afin qu’en
surmontant l’impatience, les différentes tentations spirituelles de
tristesse, de trouble, de mauvaise humeur auxquelles tant de
malades succombent, elle leur méritait la grâce de se repentir et de se
bien préparer à la mort.
Mais pour qu’Anne-Catherine ressentît réellement comme siennes
de semblables tentations, et eût de grands efforts à faire pour les
vaincre, son entourage pourvoyait abondamment à ce qu’il ne lui
manquât jamais de quoi exercer sa patience de toutes les manières.
Et maintenant que le lecteur se représente cette pauvre femme,
luttant péniblement sous le poids de ses peines corporelles, abreuvée
en outre de toutes les amertumes de l’âme, arrivée au dernier degré
de la faiblesse, et livrée au sentiment du délaissement le plus absolu ;
alors il s’expliquera facilement que le pèlerin, au lieu de reproduire
une vision, consigne dans son journal les paroles suivantes :
« C’est une expérience des plus émouvantes que de voir une
personne favorisée de tant de grâces, si misérable, si dénuée et si
débile quand la grâce se cache pour elle. Quel pauvre vaisseau que
l’homme ! De quelle miséricorde, de quelle patience Dieu use envers
lui ! » C’était par cette rude école de l’humilité qu’avait à passer cette
créature privilégiée, par les mains de laquelle Dieu a daigné répandre
sur son Eglise des faveurs si innombrables. Mais le lecteur peut
apprécier lui-même combien les communications devaient être
défectueuses dans un état où des douleurs extérieures et intérieures
de toute nature venaient comme un déluge oppresser l’humble
servante de Dieu.
On doit faire encore remarquer qu’Anne-Catherine racontait de
mémoire dans l’état naturel ce qu’elle avait appris de « la lumière
vivante », c’est à dire pendant qu’elle était entièrement ravie hors de
ses sens ; il en était de même pour la substance des instructions du
Christ qu’elle percevait complètement et textuellement dans ses
visions ; toutefois, comme on l’a observé plus haut, non comme des
paroles qu’on entend, mais sous forme d’irradiations, de flots de
lumière émanés de la lumière vivante. Or, comme pour pouvoir
communiquer ce qu’elle avait perçu dans la contemplation, elle était
obligée de le traduire dans le langage ordinaire, ce qu’elle
reproduisait de cette manière était la plupart du temps très
défectueux. Rarement elle pouvait faire autre chose qu’ébaucher une
légère esquisse : le plus souvent elle se bornait à dire :
« Il a fait une très belle instruction que malheureusement je ne
puis pas rapporter. » Sa provision naturelle de mots et d’idées était
trop peu abondante pour qu’elle pût reproduire tout ce dont elle
avait eu connaissance dans la contemplation. Si elle eût eu de bonne
heure l’avantage d’une direction spirituelle en règle, qui, appréciant
sans prévention les grâces gratuites qui lui étaient départies, l’eût
exercée à rendre un compte détaillé de ses visions et l’eût préservée
des dérangements extérieurs, on aurait pu sauver la plus grande
partie de ce qui malheureusement est aujourd’hui perdu pour
toujours par suite de l’incurie d’hommes négligents.
Très souvent Anne-Catherine racontait au moment même où elle
avait ses visions lesquelles suivant ce qui a été dit plus haut, étant
aperçues « dans l’ombre de la lumière vivante, » n’interrompaient
pas ses rapports avec le monde sensible. Ainsi par exemple, le
13 juillet 1822, dans l’après midi, étant à l’état de veille, elle eut en
même temps une vision touchant une grande agitation à Jérusalem à
l’époque d’Elie. Le tableau s’étendit en peu de temps dans toutes les
directions de la Palestine, et il s’y mêlait une foule d’allusions et
d’explications relatives au baptême de Jean qu’elle voyait
précisément ce mois là, d’une manière suivie.
Mais voyant devant elle le pèlerin qui écrivait pendant que d’autre
part ses visions suivaient leur cours, elle ne pouvait s’empêcher de
rire du contraste entre le moment présent, et un passe antérieur de
près de trois mille ans et elle était dans un état d’excitation enjouée.
Elle raconta alors : « Il y a étonnamment de courses, d’allées et de
venues, d’envois de messagers ; tout est en mouvement dans le
temple, ils consultent une quantité d’écrits et ils écrivent avec des
plumes de roseaux.
Ce sont des clameurs et des discours sans fin : j’entends une foule
de paroles et de noms hébreux mêlés ensemble que je ne comprends
pas tout de suite ; cela me fait rire. Je vois maintenant que c’est
l’époque d’Elie : on prie pour la pluie et on crie vers Dieu ; on envoie
des messagers et on cherche partout Elie. »
De même quand Anne-Catherine décrivait les voyages du Sauveur
à l’époque de sa prédication, les contrées et les villes par lesquelles il
passait, tout en racontant elle les voyait dans le plus grand détail,
ainsi que toute la topographie des montagnes, des vallées, des
déserts, toutes les directions des fleuves et des cours d’eau : mais elle
les décrivait, surtout les jours où elle était distraite par quelque
aggravation extraordinaire dans ses souffrances, d’une manière peu
intelligible pour le pèlerin.
Car dans sa contemplation elle parcourait les pays en grande hâte,
indiquant dans l’air de côté et d’autre où se trouvait tel ou tel lieu ce
qui n’était pas facile à comprendre parce que le pèlerin ne pouvait
pas toujours savoir comment elle s’orientait lorsqu’elle voyait et
donnait ses descriptions. D’autres difficultés venaient de l’idiome
très peu précis de son pays et de la brièveté des descriptions dans
lesquelles Anne-Catherine indiquait un lieu avec ce seul mot : « C’est
là, » montrant en même temps du doigt comme si le pèlerin eût dû
voir ce qu’elle voyait. Mais comme il ne le voyait pas et qu’en
conséquence il lui arrivait souvent de ne pas la comprendre, elle
disait : « Cela vient de ce qu’on n’est pas homme d’église. » Dans le
sens supérieur du mot, dit le pèlerin, cela est certainement très vrai :
mais dans le sens ordinaire, jamais elle n’a trouvé un ecclésiastique
qui la comprît.
Le pèlerin avoue lui-même qu’il ne s’est jamais occupé d’études
géographiques : malgré cela il a reproduit avec une patience et une
persévérance sans exemple les indications de ce genre données par la
narratrice, et quand il lui est arrivé de décrire plus d’une fois le
même pays, il a cherché à compléter les uns par les autres les récits
d’Anne-Catherine, en sorte que le lecteur, s’il peut avoir recours aux
cartes les plus exactes, ne pourra manquer le s’étonner en voyant à
quel point les indications des visions sont précises, frappantes et
propres à concilier ce que plusieurs cartes présentent de
contradictions.
Le pèlerin a pu espérer que l’incontestable conformité des
indications géographiques, topographiques et archéologiques
données dans les visions avec l’état réel des choses, tel qu’on peut le
constater à l’aide des sources profanes, serait une arme puissante
destinée à défendre l’authenticité des visions contre les attaques de
ceux qui voudraient les rendre suspectes : c’est pourquoi il n’a pas
reculé devant le travail extrêmement pénible auquel il lui a fallu se
livrer pour donner d’une manière aussi claire et aussi détaillée que
possible ce qu’il a pu tirer des communications de la voyante.
XVII

D’après ce qui a été dit, le lecteur ne trouvera pas étrange de voir


Anne-Catherine elle-même s’exprimer dans ses visions sur le travail
du pèlerin dans des termes où il est merveilleusement apprécié, mais
non au-delà de ce qu’il mérite. Au mois de janvier 1820, comme elle
méditait sur la vie de la bienheureuse Madeleine de Hadamar,
religieuse stigmatisée comme elle, elle raconta ce qui suit :
« Je l’ai vue souffrir beaucoup à la suite de visites et de fausses
démonstrations de respect, soit à cause du dérangement qui en était
la suite, soit parce que cela la mettait en danger de se regarder
comme quelque chose, ce dont elle était fréquemment tentée. Du
reste, ce qui la concernait fut en général très maladroitement
exagéré, ce qui lui donna beaucoup d’ennuis, comme elle me l’a dit
elle-même. Je vis aussi son confesseur écrire sur elle, mais il ne s’y
prenait pas bien, et parlait bien plus de son admiration que des
choses elles-mêmes. Cela me fit penser à ce que le pèlerin écrit de
moi, et je vis qu’il n’éprouvait presque pas d’admiration, et que la
plupart du temps il écrivait moins que je n’ai vu ; parce que je ne
pouvais pas tout lui dire et que je ne raconte jamais ce que je ne sais
pas bien. »
Le 3 mai 1820, comme le pèlerin lui racontait quelque chose de la
vie de sainte Véronique Giuliani, elle lui dit : « Je n’ai jamais rien
entendu ou lu sur la vie et l’état intérieur des saints qui ne fût pauvre,
grossier et sans vie, même quand on s’efforçait de faire du beau et de
l’ingénieux, en comparaison de ce que je vois d’eux : même ce que
sainte Thérèse a écrit sur sa vie ne répond pas à ce que je vois d’elle.
Tout cela est comme un soleil de terre jaune, comparé au soleil réel.
Il en est de même pour Madeleine. Le pèlerin écrit passablement ces
sortes de choses. »
Mais jamais elle ne s’exprima sur le travail du pèlerin en termes
aussi significatifs que le 30 décembre 1819 dans un moment où elle
avait une vision sur la montagne des prophètes. Elle était pendant ce
temps couchée sans mouvement dans sa chambre mal éclairée : mais
le pèlerin ayant pris en face d’elle une feuille de son manuscrit, elle
s’écria tout à coup : « Ces papiers sont couverts de caractères
lumineux. Cela a été écrit par l’homme que j’ai vu la nuit dernière
assis et écrivant.
Il devrait aller près de cette autre personne qui a le cœur tout
déchiré et que j’ai vue dernièrement, elle lui dirait bien des choses.
(C’était d’elle qu’il s’agissait, car elle parlait d’elle-même comme
d’une personne étrangère toutes les fois qu’elle avait une vision sur
son propre état.) C’est écrit avec du lait, c’est d’une blancheur
éclatante. Les écrits qui sont sur la montagne sont écrits avec l’eau
sainte et limpide ; les deux liquides se mêleront : ce sera un mélange
excellent.
Oh ! Si tu pouvais voir quelle lumière les rayons partant de la mer
jettent sur la montagne des prophètes, et comment tout cela coule
ensemble ! Je ne puis pas l’exprimer. Cet homme (le pèlerin) n’écrit
pas ainsi lui-même : il a grâce de Dieu pour cela. Nul autre ne
pourrait faire cela comme lui, il est comme s’il voyait lui-même. »
Ceci est une preuve que, de même que les reliques des saints et les
objets bénits lui apparaissaient lumineux, ce qui arrivait aussi pour
ses propres cheveux et pour les croûtes de ses stigmates, de même
elle a vu non pas allégoriquement, mais réellement et à la lettre,
écrire avec un liquide lumineux le manuscrit où ses visions étaient
relatées, et les feuilles mêmes de ce manuscrit lui sont apparu
éclatantes de lumière.
XVIII

L’éditeur, ne pouvant conclure sans dire quelque chose de son


propre travail, se bornera simplement à faire remarquer qu’il s’est
toujours appliqué avec le plus grand soin à extraire du journal du
pèlerin la rédaction première et originelle des visions. C’est pourquoi
il a tout à fait laissé de côté la démonstration que le pèlerin a essayé
de donner, dans ses dernières années, de la coïncidence du jour de la
vision avec le jour historique de l’événement contemplé, aussi bien
que l’application de ce système à la chronologie de l’Ancien
testament.
Si Anne-Catherine avait été en état de donner exactement jour par
jour ses visions journalières, au moins sous forme d’esquisses
arrêtées, il n’y aurait rien de décisif à opposer au calcul en question ;
mais bien souvent elle ne pouvait que se rappeler à grand peine et
par fragments, un jour où elle était moins dérangée qu’à l’ordinaire,
les visions de plusieurs semaines, ou même de plusieurs mois ; en
sorte que pour assigner à chaque vision un jour déterminé, il fallait
se contenter de conjecture assez incertaines.
Quand donc l’éditeur marque les jours des visions, la seule
conséquence qu’on en doive tirer, c’est qu’il donne simplement,
d’après ce qui est rapporté dans le journal, le moment où la scène
dont il est question a été vue par Anne-Catherine, et, quand cela est
possible, celui où elle l’a raconté au pèlerin. Dans le texte même on
n’a pas changé un mot : seulement l’éditeur, pour en rendre la
lecture plus facile, a ajouté la division par chapitres, les intitulés des
diverses visions, et, quand cela a paru nécessaire, des remarques
explicatives.
VIE DE NOTRE SEIGNEUR JESUS CHRIST.

CHAPITRE PREMIER

Scènes de la Jeunesse de Jésus


jusqu’à la mort de saint Joseph.

La sainte Famille à Nazareth. Jésus à douze ans. ― Il enseigne


dans le temple de Jérusalem. ― Mort de saint Joseph. ― Jésus et
Marie vont demeurer entre Capharnaüm et Bethsaïde.

(10 11 juillet 1819). Je vis à Nazareth la sainte Famille, composée


seulement de trois personnes, Jésus, Marie et Joseph ; depuis la
dixième jusqu’à la vingtième année de Jésus, à peu près, je les y vis
deux fois habiter une maison étrangère ; c’était comme un logement
pris à loyer chez d’autres personnes. De la vingtième à la trentième
année de Jésus environ, je les vis dans une maison où ils étaient
seuls.
Il y avait dans la maison trois chambres séparées celle de la Mère
de Dieu était la plus grande et la plus agréable : c’était là qu’ils se
réunissaient pour la prière. Du reste je les voyais rarement tous trois
ensemble. Ils se tenaient debout lorsqu’ils priaient ; ils avaient les
mains croisées sur la poitrine et semblaient parler à haute voix. Je les
voyais souvent prier à la lumière sous une lampe à plusieurs mèches.
Peut-être aussi était-ce une espèce de chandelier à plusieurs
branches fixé à la muraille. Jésus se tenait le plus souvent seul dans
sa chambre. Joseph s’occupait dans la sienne à des travaux de son
métier. Je le voyais façonner des bâtons et des lattes, polir des
morceaux de bois, quelquefois même apporter une poutre, et je vis
Jésus l’aider.
Marie était le plus souvent occupée à coudre et à faire une espèce
de tricot avec des petits bâtons. Elle était alors assise et avait une
petite corbeille près d’elle.
Je vis Jésus rechercher de plus en plus la solitude et la méditation
à mesure que le temps où il devait enseigner s’approchait. Chacun
dormait à part dans son réduit et la couche consistait en une
couverture qu’on roulait le matin.
Je vis Jésus jusque vers sa douzième année donner toute
l’assistance possible à ses parents : je le vis aussi, hors de la maison
et partout où l’occasion s’en présentait, se montrer amical pour
chacun, aider les autres et leur rendre toute espèce de service. Dans
ses premières années il était un modèle pour tous les enfants de
Nazareth. Ils l’aimaient et craignaient de lui déplaire.
Les parents de ses compagnons disaient souvent à ceux-ci
lorsqu’ils se conduisaient mal ou commettaient quelque faute : « Que
dira le fils de Joseph si je lui raconte ceci ? Comme il en sera fâché ! »
Quelquefois aussi ils lui portaient des plaintes amicales contre leurs
enfants en présence de ceux-ci et lui disaient : « Dis-lui donc de ne
plus faire ceci ou cela. » Jésus prenait cela avec simplicité et comme
par manière de jeu, puis du ton le plus affectueux, il engageait ses
amis à faire telle ou telle chose. Il priait avec eux pour leur obtenir du
Père céleste la force de se corriger, il les exhortait à faire des excuses
et à avouer leurs fautes sans délai.
La narratrice avait eu une vision étendue et très précise sur toute
la jeunesse de Jésus : mais la maladie et les dérangements ne lui ont
permis d’en rapporter que ce qui suit :
À une lieue à peu près au nord-est de Nazareth, du côté de
Séphoris, se trouve un endroit nommé Gophna : c’était là qu’au
temps de la jeunesse de Jésus, habitaient les parents de Jean et de
Jacques le Majeur. Ceux-ci dans leurs premières années étaient
souvent avec Jésus jusqu’au moment où leurs parents allèrent à
Bethsaïde et où eux-mêmes devinrent pêcheurs.
À Nazareth demeurait un homme nommé Zebedia ou Sebadia, qui
n’était pas le Zébédée, père de Jean et de Jacques. Il avait une fille
mariée à un Essénien, parent de Joachim : je ne me souviens plus de
leurs noms. Ces époux avaient quatre fils un peu plus âgés ou un peu
plus jeunes que Jésus. Ils s’appelaient Cléophas, Jacob, Juda et
Japhet ; plus tard ils sont devenus disciples de Jean Baptiste et après
sa mort disciples de Jésus. Cléophas est le même auquel Jésus
apparut à Emmaüs en compagnie de Luc. Il était marié et demeurait
alors à Emmaüs. Sa femme se réunit plus tard aux femmes de la
communauté chrétienne. Ces quatre disciples allèrent trouver Jean
vers le temps du baptême de Jésus et ils restèrent près de lui jusqu’à
la fin. Lorsqu’André et Saturnin allèrent rejoindre Jésus de l’autre
côté du Jourdain, ils les suivirent et restèrent avec lui toute la
journée. Ils étaient aussi du nombre des disciples de Jean que Jésus
amena avec lui aux noces de Cana.
Ces jeunes gens dans leur enfance étaient aussi du nombre des
camarades de Jésus : leurs parents et eux allaient ordinairement à
Jérusalem pour la fête de Pâques en compagnie de la sainte Famille.

(Le dimanche dans l’octave de l’Epiphanie 1820.) Le Sauveur était


d’une taille mince et élancée : son visage de forme allongée, était tout
lumineux, il paraissait d’une bonne santé, quoique pâle. Ses cheveux
d’un blond rougeâtre étaient parfaitement lisses : ils étaient séparés
sur son front ouvert et élevé et tombaient sur ses épaules. Il portait
une longue tunique d’un gris brunâtre, qui paraissait faite au métier
et lui descendait jusqu’aux pieds. Les manches étaient assez larges
aux poignets.

(Le dimanche dans l’octave de l’Epiphanie 1822.) Jésus avait huit


ans {16} lorsqu’il alla pour la première fois à Jérusalem avec ses
parents pour la fête de Pâques : il y retourna les années suivantes.
Déjà dans ses premiers voyages Jésus avait été remarqué chez les
amis qui leur donnaient l’hospitalité à Jérusalem : il l’avait été aussi
par des prêtres et des docteurs. Chez beaucoup de personnes de leur
connaissance à Jérusalem, on parlait du sage et pieux enfant, de
l’étonnant fils de Joseph, comme chez nous, aux pèlerinages annuels,
on remarque telle ou telle personne simple et pieuse, ou quelque
petite paysanne avisée, et, quand elle revient, on se la rappelle.
Ainsi Jésus, lorsque dans sa douzième année il alla à Jérusalem en
compagnie de ses parents et de leurs amis était déjà connu de
diverses personnes de la ville.
Les parents avaient coutume pendant le voyage d’aller de côté et
d’autre avec les gens de leur pays, et à ce voyage-ci, le cinquième que
faisait Jésus, ils savaient qu’il allait toujours avec les jeunes gens de
Nazareth. Or Jésus cette fois s’était séparé de ses compagnons aux
environs du mont des Oliviers et ceux-ci croyaient qu’il s’était réuni à
ses parents qui venaient à leur suites mais il était allé vers le côté de
Jérusalem qui regarde Bethléem, dans cette hôtellerie où la sainte
Famille avait logé avant la purification de Marie. La sainte Famille le
croyait en avant avec les autres personnes de Nazareth, tandis que
ceux-ci croyaient qu’il suivait avec ses parents.
Jusqu’au retour tous se trouvèrent ensemble à Gophna, Marie et
Joseph furent extraordinairement inquiets de son absence. Ils
retournèrent aussitôt à Jérusalem ; sur la route et à Jérusalem, ils
s’enquirent de lui partout, mais ils ne purent pas le trouver d’abord
parce qu’il n’avait pas été là où ils séjournaient d’habitude. Jésus
avait passé la nuit dans l’hôtellerie de la porte de Bethléem où ses
parents et lui étaient connus.
S’étant réuni là à plusieurs jeunes gens, il était allé avec eux dans
deux écoles de la ville : le premier jour dans l’une, le second jour
dans l’autre. Le troisième jour il avait été le matin, dans une
troisième école près du temple et l’après-midi, dans le temple même
où ses parents le trouvèrent. Ces écoles étaient de différente espèce
et toutes n’étaient pas précisément des écoles où l’on enseignât la
loi : on y enseignait aussi d’autres sciences. La dernière était dans le
voisinage du temple et on y formait des prêtres et des lévites.
Jésus, par ses demandes et ses réponses, jeta les maîtres et les
rabbins dans un tel étonnement et même dans un tel embarras qu’ils
se proposèrent le troisième jour après midi de faire humilier l’enfant
Jésus sur différents points par les rabbins les plus savants, dans le
temple même et du haut de la chaire. Les docteurs et les scribes se
concertèrent ensemble pour cela : car d’abord ils avaient pris plaisir
à l’entendre ; puis ils s’étaient irrités contre lui. Ceci eut lieu à
l’endroit où l’on enseignait publiquement, au milieu du vestibule du
temple devant le sanctuaire, dans la salle ronde où Jésus enseigna
encore plus tard. Je vis là Jésus assis sur un grand siège qu’il ne
remplissait pas tout entier à beaucoup près.
Il était entouré d’une quantité de vieux Juifs revêtus d’habits
sacerdotaux. Ils écoutaient attentivement et paraissaient pleins de
dépit : je craignais qu’ils ne voulussent mettre la main sur lui. Le
siège où il était assis était orné de têtes brunes semblables à des têtes
de chiens : elles étaient d’un brun verdâtre et le haut était reluisant,
avec un reflet jaune. Des têtes et des figures du même genre ornaient
plusieurs longues tables ou dressoirs placés latéralement dans cet
endroit du temple et qui étaient couverts d’offrandes. Cette pièce
était si vaste et si remplie de monde qu’on n’avait pas le sentiment
qu’on fût dans une église.
Comme Jésus dans les écoles avait fait usage pour ses réponses et
ses explications d’exemples de toute espèce, tirés des choses
naturelles, des arts et des sciences, on avait réuni ici des hommes
versés dans ces différentes branches des connaissances humaines :
comme ils commençaient, chacun de son côté, à disputer avec Jésus,
il leur dit que ces sortes de discussions n’étaient pas précisément à
leur place dans le temple, mais que pourtant il leur répondrait même
ici, parce que telle était la volonté de son Père. Ils ne comprirent pas
qu’il entendait parler de son Père céleste, mais ils crurent que Joseph
lui avait ordonné de faire montre de toutes ses connaissances.
Jésus répondit et enseigna sur la médecine {17} et il décrivit tout
le corps humain d’une façon inconnue aux plus savants d’entre eux :
il fit de même pour l’astronomie, l’architecture, l’agriculture, la
géométrie et l’arithmétique, la science du droit, en un mot pour tout
ce qui fut mis en avant : il ramena tout d’une façon si ingénieuse à la
loi et à la promesse, aux prophéties, au temple et aux mystères du
culte et du sacrifice que les uns étaient saisis d’admiration, les autres
confus et dépités, et cela alternativement tous fussent couverts de
confusion et outrés de dépit : ce qui venait surtout de ce qu’ils
entendaient des choses qu’ils n’avaient jamais sues, ni jamais
comprises de cette sorte.
Il y avait déjà deux heures qu’il enseignait ainsi, lorsque Joseph et
Marie vinrent aussi dans le temple et s’enquirent de leur enfant près
de quelques lévites qu’ils connaissaient. Ils apprirent alors qu’il était
avec les scribes dans la salle où l’on enseignait. Comme ce n’était pas
un lieu où il leur fût permis d’entrer, ils y envoyèrent le lévite pour
prier Jésus de venir, mais Jésus leur fit dire qu’il voulait finir d’abord
ce qu’il avait à faire. Marie fut très attristée de ce qu’il ne venait pas
tout de suite.
C’était la première fois qu’il faisait sentir à ses parents qu’il avait à
obéir à d’autres ordres encore qu’aux leurs. Il continua à enseigner
pendant une bonne heure, et quand tous eurent été réfutés et
confondus au grand dépit de la plupart d’entre eux, il quitta la salle
et vint trouver ses parents dans le parvis des Israélites et des
femmes. Joseph était intimidé et étonné : il ne disait rien. Mais
Marie s’approcha de Jésus et lui dit : « Mon fils, pourquoi en as tu
agi ainsi envers nous, voilà que ton père et moi nous te cherchions
tout affligés. »
Mais Jésus était encore plein de gravité et il répondit : « Pourquoi
me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois m’occuper des
affaires de mon Père, » ils ne comprirent pas cela et se remirent en
route avec lui pour revenir. Les assistants étaient tout étonnés et les
regardaient avec curiosité. J’étais très inquiète, craignant qu’ils ne se
saisissent de l’enfant, car j’en vis quelques uns pleins de colère. Mais
à ma grande surprise, ils laissèrent la sainte Famille se retirer
tranquillement : la foule pressée autour d’eux s’ouvrit pour les laisser
passer. Je vis tout cela très en détail, et j’entendis la plus grande
partie de ses instructions, mais la souffrance et les soucis font que je
ne puis pas tout retenir.
Son enseignement fit un grand effet chez tous les scribes :
quelques-uns en prirent note comme d’une chose remarquable. On
en parla beaucoup de divers côtés, et il y eut à ce sujet bien des
bavardages et des mensonges. Mais ils tinrent secrète entre eux toute
la manière dont la chose s’était passée, ils parlèrent de Jésus comme
d’un enfant inconsidéré qu’on avait remis a sa place : il avait de
belles facultés, disaient-ils, mais cela avait encore besoin d’être poli
par l’éducation.
Je vis la sainte Famille revenir à Jérusalem : ils se joignirent
devant la ville à une troupe composée de trois hommes, de deux
femmes et de quelques enfants que je ne connaissais pas, mais qui
paraissaient être aussi de Nazareth. En compagnie de ces personnes,
ils suivirent encore divers chemins autour de Jérusalem ; ils allèrent
au mont des Oliviers, s’arrêtèrent ça et là dans les beaux jardins
d’agrément qui s’y trouvent et prièrent les mains croisées sur la
poitrine. Je les vis aussi passer un ruisseau sur un grand pont. Ces
allées et venues et ces prières de la petite compagnie me donnèrent
tout à fait l’idée d’un pèlerinage.
Quand Jésus fut de retour à Nazareth, je vis préparer dans la
maison d’Anne une fête où l’on réunit tous les jeunes garçons et les
jeunes filles appartenant aux familles de leurs parents et de leurs
amis. Je ne sais pas si c’était une fête pour se réjouir d’avoir retrouvé
Jésus ; peut-être aussi était-ce une fête qui avait lieu après le retour
de la fête de Pâques ou bien encore qu’on célébrait quand les garçons
atteignaient leur douzième année. Mais Jésus était là comme le
principal personnage.
On avait élevé au dessus de la table de jolies cabanes de feuillage :
des guirlandes de feuilles de vigne et d’épis y étaient suspendues : les
enfants avaient aussi des raisins et des petits pains. Il y avait à cette
fête trente trois enfants, tous disciples futurs de Jésus, et je vis qu’il y
avait là quelque chose qui se rapportait au nombre des années de la
vie de Jésus, mais je l’ai oublié comme beaucoup d’autres choses.
Jésus enseigna, et pendant toute la fête il raconta aux autres
enfants une parabole merveilleuse et qui ne fut pas comprise pour la
plus grande partie, touchant des noces où l’eau devait être changée
en vin et les convives indifférents en amis zélés, puis encore touchant
des noces où le vin devait être changé en sang et le pain en chair, ce
qui devait se perpétuer parmi les convives jusqu’à la fin du monde
pour les consoler et les fortifier et pour établir entre eux un lien
vivant. Il dit aussi à un jeune homme de ses parents, nommé
Nathanaël : « Je serai à tes noces. » C’est tout ce que j’ai retenu.
À dater de cette douzième année, Jésus fut toujours comme le
précepteur de ses compagnons : il s’asseyait souvent au milieu d’eux,
leur faisait des récits et se promenait avec eux dans les environs.
Dans sa dix-huitième année, il commença à aider saint Joseph dans
les travaux de sa profession.

(Commencement de mai 1821.) Vers la trentième année de la vie


de Jésus, saint Joseph s’affaiblit de plus en plus, et je vis plus
souvent Jésus et Marie réunis près de lui. Marie était souvent assise
devant sa couche, soit par terre, soit sur une table ronde fort basse,
qui avait trois pieds et dont ils se servaient aussi pour faire leurs
repas. Je les vis manger rarement ; quand ils mangeaient, ou qu’ils
portaient à saint Joseph une réfection dans son lit, c’étaient trois
petites tranches blanches, larges d’environ deux doigts, placées l’une
près de l’autre sur une petite assiette ou de petits fruits dans une
petite écuelle : ils lui donnaient aussi à boire d’un breuvage contenu
dans une espèce de cruche.
Lorsque Joseph mourut, Marie était assise à la tête de son lit et le
tenait dans ses bras, Jésus se tenait à la tête de son lit et le tenait
dans ses bras, Jésus se tenait à la hauteur de sa poitrine. Je vis la
chambre remplie de lumière et pleine d’anges. Il fut enveloppé dans
un linceul blanc, les mains croisées sur la poitrine, couché dans une
bière étroite et déposé dans un très beau caveau sépulcral qu’il tenait
d’un homme de bien. Peu de personnes, outre Jésus et Marie,
suivirent son cercueil : mais je le vis entouré de lumière et
accompagné par des anges.
Joseph devait mourir avant le Seigneur, car il n’aurait pu
supporter son crucifiement. Il était trop faible et trop affectueux. Il
avait déjà beaucoup souffert par suite des persécutions que la malice
secrète des Juifs fit endurer au Sauveur, depuis sa vingtième jusqu’à
sa trentième année. Ils ne pouvaient pas le souffrir, et disaient
toujours, pleins d’envie, que le Fils du charpentier voulait tout savoir
mieux que les autres parce qu’il contredisait souvent la doctrine des
pharisiens et qu’il était habituellement entouré de jeunes gens qui
s’étaient attachés à lui.
Marie a infiniment souffert de ces persécutions. Les souffrances de
ce genre m’ont toujours paru plus grandes que des supplices
corporels.
On ne peut dire avec quelle charité Jésus supportait, dans sa
jeunesse, les persécutions et les méchancetés des Juifs.

(2 juillet 1821.) Joseph, le père nourricier de Notre Seigneur, est


mort depuis environ deux mois. Il est mort à Nazareth et y a été
enterré. Un homme de bien lui a procuré une très belle sépulture.
Son corps fut plus tard porté à Bethléem par des chrétiens qui l’y
enterrèrent. Il me semble que je l’y vois encore maintenant et qu’il
n’a éprouvé aucune altération.
Avant la mort de Joseph je vis Jésus aller seulement dans le
voisinage sans jamais s’éloigner beaucoup. Les derniers jours, j’ai vu
qu’après la mort de Joseph, Jésus et Marie allèrent à Capharnaüm.
La maison de Nazareth était fermée. Le lieu où ils allèrent n’était pas
la ville même de Capharnaüm, mais comme un hameau de quelques
maisons entre Capharnaüm et Bethsaïde.
C’était l’endroit où alla le père de Pierre lorsqu’il remit à celui-ci la
pêcherie voisine de Bethsaïde. Jésus reçu là une maison d’un certain
Lévi de Capharnaüm. Ce Lévi aimait la sainte Famille, et il donna à
Jésus cette maison pour y demeurer. Elle était isolée et entourée d’un
fossé d’eau dormante : il y avait près de là plusieurs autres maisons.
Quelques uns des gens de Lévi y demeuraient pour faire le service et
celui-ci envoyait de Capharnaüm les aliments nécessaires.
Beaucoup de jeunes gens de Nazareth s’étaient attachés à Jésus
dès le temps de son adolescence, mais ils l’abandonnèrent les uns
après les autres. Il parcourait souvent les bords du lac avec ses
compagnons ; il allait aussi à Jérusalem pour les fêtes, et la famille
de Lazare, à Béthanie, était dès lors en relation avec la sainte Famille.
C’est pourquoi les pharisiens de Nazareth l’appelaient un vagabond
et se scandalisaient à son sujet. Lévi lui avait donné cette maison
pour qu’il eût plus de liberté, et qu’il pût y réunir ceux qui voudraient
l’entendre.
Il y avait près du lac, autour de Capharnaüm, une contrée coupée
de vallées singulièrement fertiles et riantes. On y faisait plusieurs
récoltes dans l’année ; la végétation y était admirablement belle : on
y voyait en même temps des fleurs et des fruits. Beaucoup de Juifs de
distinction avaient là des jardins et des châteaux ; Hérode aussi. Les
Juifs, au temps de Jésus, n’étaient plus comme leurs pères, ils
s’étaient fort gâtés par le commerce et les rapports avec les païens.
Je n’ai jamais vu les femmes se montrer en public, pas même pour
la culture des champs, si ce n’est des personnes très pauvres qui
allaient glaner des épis. On ne les voyait que dans les pèlerinages à
Jérusalem et à d’autres lieux de prière. C’étaient presque toujours
des esclaves qui cultivaient la terre et qui faisaient les emplettes de
toute espèce. J’ai vu toutes les villes de la Galilée dans les dernières
nuits. Là où l’on rencontre à peine aujourd’hui trois bourgades en
ruines on en trouvait alors une centaine, et la population était
innombrable.

(3 juin.) À midi, je vis que Marie, fille de Cléophas, qui habitait la


maison de sainte Anne, près de Nazareth, avec son troisième mari,
père de Siméon de Jérusalem, était venu dans la maison de la sainte
Vierge à Nazareth. Elle avait avec elle Siméon, son fils du troisième
lit ; les serviteurs étaient restés dans la maison d’Anne. Je vis Jésus
et Marie s’y rendre de Capharnaüm : je crois que Marie y restera et
qu’elle avait seulement accompagné Jésus à Capharnaüm : elle est
bien touchante à voir quand elle le suit. J’ai aussi appris que Jésus
veut aller ces jours-ci dans le pays d’Hébron, où habitait Zacharie.
José Barsabas, fils de Marie de Cléophas, de son second mariage
avec Sabas, était à la maison. Les trois fils de son premier mariage
avec Alphée, Simon, Jacques le Mineur et Thaddée, qui ont déjà des
occupations hors de la maison, y sont venus aussi pour consoler la
sainte Famille après la mort de Joseph et pour revoir Jésus avec
lequel ils n’ont eu que peu de rapport depuis son enfance. Ils avaient
quelque connaissance vague et générale des prophéties de Siméon et
d’Anne lors de la présentation de Jésus au Temple, mais ils n’y
ajoutaient pas beaucoup de foi. Ils préférèrent s’attacher à Jean
Baptiste qui traversa le pays peu de temps après.
CHAPITRE DEUXIÈME.

Commencement de l’histoire de la prédication de Jésus : depuis la mort de


saint Joseph jusqu’au moment où Jésus va au Jourdain pour son baptême.

(Du 2 juin au 27 septembre 1821.)

Jésus va à Hébron, à la mer Morte, sur la rive orientale du


Jourdain, sur la rive occidentale, près du lac de Génésareth, à Sidon
et à Sarepta, il revient à Nazareth. ― Le sanhédrin se déclare contre
Jésus. ― Jésus à Nazareth, à Capharnaüm, à Bethsaïde, à Béthulie,
à Kedès, à Jezrael, au séjour des publicains, à Kimki. ― Promenades
et conversations avec l’essénien Eliud, dans la vallée d’Esdrelon, à
Nazareth, à Gophna, à Béthanie. ― Marie la Silencieuse sœur de
Lazare. – Séjour à Béthanie. ― Jésus se rend avec Lazare au lieu où
l’on baptise près du Jourdain.

Remarque de l’éditeur.

Plus d’un lecteur pourra d’abord trouver étrange que les visions de
ce chapitre lui montrent déjà le Sauveur enseignant et opérant des
miracles, tandis qu’on est généralement habitué à se représenter la
prédication de Jésus et son action miraculeuse comme ne
commençant qu’après son baptême. Il pourrait facilement arriver
qu’on voulût voir là une contradiction entre les visions et les saints
Evangiles, parce que saint Jean (II, 11), rapporte que le Sauveur a
donné commencement à ses miracles par le changement de l’eau en
vin a Cana.
Cette contradiction toutefois n’est qu’apparente, et il est facile de
l’expliquer. En effet, c’est dans les quatre mois qui, d’après les
visions, se sont écoulés depuis la mort de saint Joseph jusqu’au
baptême de Jésus dans le Jourdain, que tombe l’action publique de
Jean Baptiste, le précurseur chargé de préparer les voies du
Seigneur. Celui-ci commença à baptiser et à prêcher sur les bords du
Jourdain, à peu près au moment même où Jésus, encore inconnu et
regardé seulement comme un saint docteur et un prophète à cause de
la charité inexprimable, de la majesté et de la mansuétude qui se
manifestaient dans sa personne, parcourait la Judée, la Pérée et la
Galilée, allant même jusqu’à Sidon et à Sarepta.
Dans ces courses le Sauveur suivait les traces des anciens
prophètes, visitait tous les lieux où il s’était passé quelque chose de
figuratif se rapportant à lui, afin de donner leur accomplissement à
toutes les promesses, à toutes les préparations, à toutes les figures.
En même temps il pratiquait les œuvres de charité les plus pénibles
et les plus humbles qu’il ne devait plus opérer de la même manière
dans les années de prédication qui devaient suivre, parce que son
temps devait être autrement employé : mais surtout il adressait à
Jean tous ceux qui l’écoutaient, les exhortant à aller au Jourdain et à
recevoir le baptême de la main de Jean. Dans cette période, le
Sauveur ne parle nulle part de lui-même, il ne révèle nulle part qu’il
est le Messie annoncé par Jean. Il parle uniquement de Jean, de la
pénitence qu’il prêche et de son baptême.
À cela correspond aussi le caractère du petit nombre de guérisons
miraculeuses dont parlent les visions de cette période. Elles font
partie de ces prodiges que Maldonat et après lui Cornélius a Lapide
rangent parmi ceux que Jésus a opérés plus secrètement et sans avoir
directement en vue de se manifester comme le Messie attendu.
Quant aux miracles opérés dans ce dernier but, le Sauveur leur a
donné commencement à Cana, ainsi que cela est expliqué en son lieu
d’après les visions de la manière la plus profonde : mais à vouloir
affirmer que le miracle de Cana fut la première de toutes les
opérations miraculeuses de Jésus, on serait aussi peu croyable, dit
Maldonat, qu’en prétendant que la première instruction de Jésus
après son baptême fut aussi la première qu’il eût jamais faite.

__________________________

(Du 3 au 22 juin.) Comme Jésus allait de Capharnaüm à Hébron,


par Nazareth, il vint dans la contrée où plus tard il nourrit un peuple
nombreux en multipliant les pains et aussi dans le voisinage de
l’endroit où il fit dans la suite une partie du sermon sur la montagne.
Vis-à-vis de cette montagne, à peu près à une lieue, du côté exposé au
soleil où tout mûrit si bien, il y avait une fête populaire dans un
endroit très agréable, situé tout contre la route (plus tard elle dit
d’une manière plus précise qu’il s’agissait des bains attenant au lac
de Béthulie, situé dans le district de Génésareth, et qu’on appelait
aussi la fontaine de Capharnaüm). Jésus en passant vit là des
hommes et des femmes séparés en groupes qui jouaient aux
gageures : l’enjeu consistait en fruits.
Ce fut là que Jésus vit Nathanaël, surnommé Khased, debout à
l’endroit où se tenaient les hommes, sous un figuier et comme
Nathanaël, en regardant jouer les femmes, était assailli d’une
tentation de la chair contre laquelle il luttait, Jésus en passant le
regarda fixement comme pour l’avertir. Nathanaël, sans connaître
Jésus, fut profondément ému de ce regard : cet homme, pensa-t-il, a
l’œil pénétrant. Jésus lui fit l’effet d’être plus qu’un homme
ordinaire. Il se sentit atteint, rentra en lui-même, surmonta la
tentation et fut, à dater de ce moment, beaucoup plus fort contre lui-
même. Il me semble avoir aussi vu là Nephtali, surnommé
Barthélémy, et je crois que lui aussi fut vivement touché d’un regard
de Jésus.
Marie resta à Nazareth avec Marie de Cléophas, dont le troisième
mari Jonas, dirigeait le ménage dans la maison de sainte Anne. Jésus
alla avec deux de ses amis d’enfance à Hébron, dans la Judée. Ceux-
ci ne lui restèrent pas fidèles ; ils devinrent ses ennemis, et ce ne fut
qu’après la résurrection, lors de sa manifestation sur la montagne de
Thebez, en Galilée, qu’ils se convertirent et se réunirent à la
communauté chrétienne.

(5 juin.) J’ai vu Jésus visiter Lazare à Béthanie. Lazare paraissait


beaucoup plus âgé que Jésus : il me semblait au moins avoir huit ans
de plus. Il avait un grand étal de maison avec beaucoup de serviteurs,
de propriétés et de jardins. Marthe avait sa maison à elle, et une
autre sœur, nommée Marie, qui vivait tout à fait retirée, avait aussi
sa demeure à part. Madeleine habitait dans le château de Magdalum.
Lazare connaissait depuis longtemps déjà la sainte Famille : il avait
précédemment aidé Joseph et Marie dans leurs nombreuses
aumônes. Je vis aussi plus clairement que je ne l’avais fait encore,
combien Lazare a fait pour la communauté chrétienne depuis le
commencement jusqu’à la fin : c’était lui qui remplissait la bourse
que portait Judas et qui avait fait les premiers frais de tout. Jésus fut
aussi au temple à Jérusalem.

(6 juin.) À Hébron Jésus se sépara de ses compagnons. Il dit qu’il


avait un autre ami à visiter. Zacharie et Elisabeth ne vivent plus.
Jésus alla dans le désert où Elisabeth avait porté Jean encore enfant.
Il était situé au midi entre Hébron et la mer Morte. On franchissait
d’abord une montagne élevée, couverte de cailloux blancs, et on
descendait ensuite dans une jolie vallée où il y avait des palmiers.
C’est là que je vis aller Jésus.

(7 juin.) Jésus est allé dans la grotte où Jean fut d’abord conduit
par Elisabeth. Il a passé ensuite une petite rivière que Jean aussi
avait traversée. Je le vis seul et en prières, comme s’il se préparait à
sa carrière de prédication.

(8-11 juin) Je vis Jésus revenir du désert à Hébron. Partout il


prêtait une main secourable. Ainsi je vis que près d’un grand amas
d’eau, c’était de l’eau salée (vraisemblablement la mer Morte), il vint
en aide à des gens embarqués sur une espèce de radeau, au dessus
duquel était dressé un pavillon. Il y avait là des hommes, des
animaux et des bagages. Jésus les appela et poussa une poutre du
rivage jusqu’à leur embarcation. Il les aida à débarquer et travailla
avec eux à réparer leur bateau. Ces gens ne pouvaient s’imaginer qui
il était, car sans avoir rien qui le distinguât des autres dans ses
vêtements, toute sa personne était si merveilleusement attrayante et
si pleine de dignité qu’ils en étaient grandement émus.
Ils crurent d’abord que c’était Jean-Baptiste, qui avait déjà paru
sur les bords du Jourdain : mais ils reconnurent bientôt que ce
n’était pas lui, car Jean était plus brun et avait des dehors plus rudes.
Jésus célébra le sabbat à Hébron. Il congédia là ses compagnons de
voyage. Il alla visiter des malades dans leurs maisons, les consola, les
assista, les soulevant, les portant, arrangeant leurs couches ; mais je
ne je vis pas guérir. Il se montrait bienfaisant envers tous et excitait
partout l’admiration.
Je le vis aller vers des possédés, qui devinrent tranquilles quand il
fut près d’eux : cependant il ne chassa pas de démons. Il relevait ceux
qui tombaient, donnait à boire à ceux qui avaient soif, indiquait les
sentiers et les gués à ceux qui cheminaient, et tous étaient dans
l’admiration de ce voyageur si charitable. Dans la nuit du samedi il
quitta Hébron, et le dimanche au matin il arriva à l’embouchure du
Jourdain dans la mer Morte. Il traversa là le Jourdain et, remontant
la rive orientale du fleuve, il se dirigea vers la Galilée.

(12 juin.) Je vis Jésus dans ces derniers jours aller à l’orient de la
mer de Galilée, entre Pella et la contrée de Gergesa. Il fait de petits
voyages, et partout il se montre secourable. Il va visiter tous les
malades et même les lépreux : il les console, arrange leur couche, les
exhorte à prier, leur indique un régime et des remèdes, et tous
l’admirent. J’ai vu aussi dans un endroit deux personnes qui avaient
connaissance des prophéties de Siméon et d’Anne, et qui lui
demandèrent si c’était de lui qu’il s’agissait. Ordinairement des gens
qui l’avaient pris en affection l’accompagnaient d’un lieu à l’autre.
Les possédés devenaient tranquilles près de lui.
Je l’ai vu cette nuit au bord d’un petit torrent (le Hiéromax) qui
tombe dans le Jourdain au dessous de la mer de Galilée, non loin de
cette montagne escarpée de laquelle, plus tard, il précipita les
pourceaux dans la mer. Au bord du torrent était une rangée de
petites huttes en terre, semblables à des cabanes de bergers ; il s’y
trouvait des gens qui construisaient des bateaux sur le rivage et qui
ne pouvaient pas en venir à bout. Je vis Jésus aller à eux et les
conseiller amicalement ; et je vis apporter des poutres, mettre la
main à leur travail, leur montrer divers procédés à employer, et
pendant le travail les exhorter à la charité et à la patience, etc.
(20 juin.) J’ai vu Jésus plusieurs autres fois depuis que je l’avais
vu sur la rive orientale de la mer de Galilée, mais j’ai toujours tout
oublié. Il revint sur le bord occidental, et je le vis cette nuit dans un
petit endroit composé de maisons dispersées et situé sur un plateau
élevé, entre deux collines, non loin de Capharnaüm, de Magdalum et
de Domna, au nord-est de Séphoris. Il s’y trouvait une synagogue.
Les habitants étaient des gens dont personne ne s’occupait ; toutefois
ils n’étaient pas méchants. Abraham avait possédé là des prairies
pour les bêtes destinées aux sacrifices ; Joseph et ses frères gardaient
leurs troupeaux dans les environs, et c’est dans cette contrée que
Joseph fut vendu.
Le lieu s’appelle Dothaïm et doit être distingué de Dothan, qui est
à environ quatre lieues de Samarie. C’était maintenant un petit
endroit peu habité : mais le terroir était bon, et il s’y trouvait de
nombreux pâturages qui s’étendaient de plain pied jusqu’à la mer de
Galilée. Il y avait là une grande maison, comme une maison de fous,
où demeuraient plusieurs possédés. Ils étaient furieux et se battaient
à outrance lorsque Jésus arriva. Personne ne pouvait en venir à bout.
Jésus entra pour les visiter et s’entretint avec eux.
Alors ils devinrent parfaitement paisibles. Il leur fit une
exhortation, et ils sortirent tranquillement de cette maison pour s’en
retourner chez eux. Les habitants étaient très étonnés de cela, ils ne
voulaient plus laisser partir Jésus et on l’invita à un mariage. J’y ai
vu pratiquer les mêmes usages qu’à Cana. Il n’assista à la fête que
comme un étranger qu’on honore. Il tint des discours bienveillants et
pleins de sagesse, et donna des avis aux fiancés. Ceux-ci dans la
suite, se joignirent aux disciples lors de l’apparition sur le mont
Thebez.

(22 juin.) Aujourd’hui je vis notre Seigneur Jésus de retour à


Nazareth : il y visita successivement les connaissances qu’y avaient
ses parents, mais partout il fut reçu très froidement. Je vis cette nuit
qu’il voulait aller dans la synagogue pour y enseigner, et qu’ils l’en
empêchèrent : je vis aussi qu’il parla du Messie sur une place
publique devant beaucoup de monde, devant des sadducéens et des
pharisiens, disant que le Messie ne serait pas comme chacun se le
figurait d’après ses désirs : il parla aussi de Jean Baptiste, qui était la
voix dans le désert. Il avait été accompagné depuis le pays d’Hébron
par deux jeunes gens qui portaient de longs vêtements avec une
ceinture, comme les prêtres. Je les vis ici, mais ils n’allaient pas
toujours avec lui. Il célébra ici le sabbat.

(25 juin.) Je vis Jésus et Marie, en compagnie de Marie de


Cléophas, des parents de Parménas et d’autres personnes, faisant
une vingtaine en tout, quitter Nazareth et se rendre à Capharnaüm.
Ils avaient avec eux des ânes portant des bagages. La maison de
Nazareth resta parfaitement nettoyée et arrangée : comme on en
avait tout enlevé et qu’on avait seulement disposé quelques
couvertures à l’intérieur, elle me faisait l’effet d’une église. Elle resta
inhabitée.
La maison de sainte Anne est toujours occupée par le troisième
époux de Marie de Cléophas ; il y a aussi là habituellement quelques-
uns des fils de celle-ci, lesquels prennent soin de la maison. José
Barsabas, le plus jeune, était parti avec sa mère, et il se rendit à la
pêcherie : le petit Siméon, né du troisième mariage, était aussi avec
elle. Je vis les jours suivants Jésus et Marie dans la maison située
entre Capharnaüm et Bethsaïda. Marie de Cléophas demeurait tout
près de là, et les parents de Parménas à peu de distance.

(28 juin.) Je vis Jésus de nouveau en course ; il s’arrêta dans un


petit endroit où il parla dans la synagogue du baptême de Jean, de
l’approche du Messie et de la pénitence. Les auditeurs murmuraient,
le regardant, avec mépris, et j’en entendis quelques uns dire : « Il y a
trois mois, son père, le charpentier, vivait encore : il travaillait alors
avec lui : maintenant il a un peu couru à l’étranger, et il revient pour
nous enseigner ce qu’il a appris. » Je riais en moi-même de ce qu’ils
croyaient qu’il était allé en pays étranger, tandis qu’il était dans le
désert pour se préparer.
(14 juillet.) La Sœur, pendant ces jours-là, ne cessa pas de voir
toutes les allées et venues de Jésus et de Jean. Elle voit encore le
Seigneur aller de lieu en lieu et se montrer particulièrement là où
Jean a passé. Il va dans les synagogues : il enseigne, console et
assiste les malades. Elle le vit à Cana, où il avait des parents qu’il
visita et où il enseigna aussi. Elle ne le voit pas encore avec aucun de
ses futurs disciples. On dirait qu’il apprend d’abord à connaître les
hommes, et qu’il continue ce que Jean a commencé à produire en
eux. Souvent un homme de bien l’accompagne d’un lieu à l’autre.

(6 juillet.) Je vis aujourd’hui quatre hommes parmi lesquels


étaient de futurs disciples de Jésus dans la contrée entre Samarie et
Nazareth, sous des arbres voisins de la grande route : ils attendaient
Jésus, qui était en course avec un compagnon. Ils allèrent au-devant
du Seigneur et lui racontèrent qu’ils avaient été baptisés par Jean, et
qu’il parlait de l’approche du Messie. Ils lui racontèrent encore avec
quelle sévérité il avait parlé aux soldats, et qu’il n’avait baptisé que
quelques-uns d’entre eux. Il leur avait dit, entre autres choses, qu’il
ferait aussi bien de prendre des pierres dans le Jourdain et de les
baptiser. Je les vis aller plus loin avec Jésus.

(11 juillet.) Ces jours-ci, je vis le Seigneur remonter vers le nord le


long de la mer de Galilée. Il parla déjà plus clairement du Messie, et
dans beaucoup d’endroits les possédés poussèrent des cris derrière
lui : il chassa aussi un démon d’un homme. Il enseigna dans des
écoles.
Il fut rencontré par six personnes qui venaient du baptême de
Jean, et dont étaient Lévi, nommé plus tard Matthieu et deux des fils
des trois veuves : Nathanaël, le fiancé de Cana, n’en était pas. Ils le
connaissaient comme ayant avec lui des rapports de parenté, et par
ce qu’ils en avaient entendu dire : ils pressentaient aussi qu’il pouvait
bien être celui dont Jean avait parlé, mais ils n’en avaient pas la
certitude. Ils racontèrent des choses relatives à Jean, parlèrent de
Lazare et de ses sœurs, et aussi de Magdeleine qui devait être
possédée du démon. Elle demeurait seule déjà dans son château. Ils
firent route avec Jésus, dont les discours les émerveillaient. Ceux qui
allaient de Galilée vers Jean pour être baptisés, lui racontaient
ordinairement ce qu’ils savaient de Jésus et ce qu’ils en avaient
entendu dire, tandis que ceux qui venaient d’Ainon, le lieu où Jean
baptisait, faisaient à leur tour à Jésus des récits sur Jean.
Je vis Jésus, sans ses compagnons, entrer près du lac dans une
pêcherie entourée d’une haie, où il y avait cinq barques. Sur le rivage
étaient plusieurs cabanes où se tenaient les pêcheurs. Cette pêcherie
appartenait à Pierre ; il était dans une des cabanes avec André. Jean
et Jacques, avec leur père Zébédée et plusieurs autres, étaient sur les
barques. Dans la barque qui était au milieu se trouvait le père de la
femme de Pierre avec trois de ses fils. J’ai su tous leurs noms, mais je
les ai oubliés. Le père était surnommé le Zélateur, parce qu’il avait
soutenu sur le lac un combat contre les Romains au sujet d’un droit
relatif à la navigation ; c’était de là que lui venait ce nom. Il y avait
environ trente hommes sur les barques.
Jésus suivit le chemin bordé d’une haie, qui était entre les cabanes
et les barques ; il s’entretint avec André et avec d’autres ; je ne sais
pas s’il parla aussi à Pierre, ils ne le connaissaient pas encore. Il parla
de Jean et de l’approche du Messie. André était déjà baptisé et
disciple de Jean. Jésus leur dit qu’il reviendrait les voir.

(Du 11 au 26 juillet.) Jésus s’éloigna du lac et se dirigea vers le


Liban ; il prit ce parti parce qu’on parlait beaucoup de lui dans le
pays et qu’il en résultait une certaine agitation. Plusieurs regardaient
Jésus comme le Messie. D’autres parlaient d’un autre personnage
que Jean aurait désigné.
Jésus était accompagné de six à douze personnes dont le nombre
croissait ou diminuait successivement pendant le voyage. Ils
écoutaient ses instructions avec joie, et ils soupçonnaient parfois
qu’il devait être celui auquel Jean faisait allusion. Jésus ne s’adjoignit
particulièrement aucun d’eux ; à vrai dire, il était seul, mais il semait
et préparait d’avance. Dans toutes ses courses, je vis plusieurs choses
qui se rapportaient aux courses et aux actions des prophètes, surtout
d’Elie.
Je vis Jésus, avec environ dix compagnons, sur une éminence
dépendant du Liban, vis-à-vis d’une grande ville située le long de la
mer Méditerranée. On avait, de cette hauteur, une vue d’une beauté
incomparable. La ville paraissait placée tout au bord de la mer, mais,
quand on se trouvait dans son enceinte, on voyait qu’elle en était
bien éloignée de trois quarts de lieue.
Elle était très-grande et très-tumultueuse ; lorsqu’on la regardait
du haut de la montagne, on croyait voir une quantité innombrable de
navires ; car, sur ses nombreux toits en terrasse, il y avait une forêt
de perches et d’échafaudages où étaient suspendues et déployées de
longues banderoles d’étoffe rouge et d’autres étoffes de diverses
couleurs, et, dans les intervalles, on voyait une fourmilière d’hommes
qui travaillaient. ― Le pays d’alentour était plein de petits endroits
très-fertiles : tout était couvert de fruits.
Il y avait partout de grands arbres, autour desquels régnaient des
sièges, d’autres où l’on montait par des escaliers si bien que des
sociétés entières pouvaient s’asseoir au milieu des branches, comme
dans des maisons aériennes. La plaine dans laquelle la ville se trouve,
entre la montagne et la mer, n’est pas très-large.
Il y avait dans cette ville des païens et des juifs qui trafiquaient
ensemble. L’idolâtrie y était très-répandue. Le Seigneur, tout en
cheminant, enseigna et prêcha dans les petits endroits, sous les
grands arbres ; il parla de Jean, de son baptême et de la pénitence.
Dans la ville, Jésus fut bien accueilli. Il y est allé déjà une fois. Il
parla dans l’école de la venue prochaine du Messie et de la
destruction des idoles. ― La reine Jézabel, qui persécuta Elie avec
tant d’acharnement, était de cette ville.
Jésus laissa ses compagnons à Sidon et alla dans un petit endroit,
situé plus au midi, à quelque distance de la mer. Il veut s’y tenir
quelque temps à l’écart pour prier. La ville est toute entourée de bois
d’un côté, elle a des murs épais, et il y a des vignes à l’entour. C’est
Sarepta, où Elie fut nourri par la veuve. Je vis toute cette histoire. Il
en était résulté pour les juifs une superstition qui avait gagné aussi
les païens ; c’était de faire en sorte qu’il y eut toujours de pieuses
veuves logées dans les murs qui entouraient la ville. Ils croyaient que
cela les garantissait de tout danger et leur permettait de se livrer
impunément à toute espèce de désordres. Actuellement c’étaient des
vieillards qui habitaient là. Jésus logea chez un vieillard, dans une
maison pratiquée dans la muraille. Ces vieilles gens sont des espèces
d’ermites. Jésus leur parla du Messie et de Jean. Il alla aussi à la
synagogue instruisit les enfants et célébra le sabbat.

(14 juillet.) Jésus restera encore quelque temps ici ; il ira ensuite
au baptême de Jean. Il se tient principalement chez de vieux juifs
pieux logés dans les murs de Sarepta, qui vivent là par suite d’un vieil
usage, et pour honorer le souvenir d’Elie. Ils se livrent à la
méditation et à l’interprétation des prophéties et prient beaucoup
pour l’avènement du Messie. Jésus leur donne des instructions sur le
Messie et sur le baptême de Jean. Ils sont pieux, mais ils ont
beaucoup d’idées fausses : ils croient, par exemple, que le Messie doit
venir avec une pompe mondaine. Jésus va souvent prier seul dans la
forêt voisine de Sarepta il enseigne dans la synagogue, et s’occupe
aussi à instruire les enfants.
Le jour suivant, la Sœur vit Jésus enseigner dans divers endroits
où il y avait beaucoup de païens il exhortait les juifs à ne pas se mêler
avec les païens. Il y avait là des gens de bien, il y en avait aussi de très
mauvais. ― Jésus n’est accompagné de personne, si ce n’est parfois
de quelques habitants du pays. Je le vois souvent enseigner en plein
air devant des hommes et des femmes, sur de petits tertres ou sous
des arbres.
La saison est telle dans ce pays, qu’il me semble toujours être au
mois de mai, parce que dans ta Terre-Promise les semailles faites
pour la seconde récolte sont en ce moment au même point où elles
sont chez nous au mois de mai. On ne coupe pas ici le blé si près de
terre : on prend la tige avec la main un peu au-dessous de l’épi, et on
la coupe à peu près une coudée plus bas. On ne bat pas le grain : les
petites gerbes sont posées verticalement, et on fait passer dessus un
rouleau placé entre deux bœufs. Le grain est beaucoup plus sec qu’ici
et se détache très-facilement. Cela se fait en plein air, ou bien dans
une grange ouverte de tous côtés, et couverte seulement d’un toit de
paille.
Dans ces derniers jours je vis Jésus aller au nord-est de Sarepta,
dans un endroit peu éloigné du champ de bataille où Ezéchiel, ravi en
esprit, eut la vision dans laquelle il vit les ossements des morts se
ranger en ordre dans une grande plaine, puis se revêtir de nerfs et de
chair, après quoi il vint un souffle qui leur inspira l’esprit et la vie. Il
me fut expliqué que les os qui se rassemblaient et se recouvraient de
chair étaient la figure du baptême de Jean et de son enseignement,
tandis que l’esprit et la vie qui venaient les animer signifiaient la
rédemption de Jésus et la descente du Saint-Esprit.
Jésus consola les habitants de ce lieu qui étaient très-languissants
et très-abattus, et il leur expliqua aussi la vision d’Ezéchiel.
De là il se dirigea encore plus au nord, jusque dans la contrée où
Jean était venu d’abord en sortant du désert. C’est un petit village de
bergers où Noémi résida assez longtemps avec sa fille Ruth. Elle avait
laissé un si bon souvenir, que ces gens en parlaient encore. Plus tard
elle demeura à Bethléem. Le Seigneur prêcha ici avec beaucoup de
chaleur. Le temps approche où il doit se diriger vers le midi, puis se
rendre à Samarie pour son baptême.
Le village des bergers est arrosé par un petit cours d’eau derrière
lequel se trouvait, à une grande élévation, le puits du désert de Jean.
Près de ce puits, le chemin descend à pic vers le champ de bataille
d’Ezéchiel ; on descend là à une grande profondeur : cela rappelle
l’endroit par où Adam et Eve furent chassés du Paradis. Sur leur
chemin les arbres devenaient toujours plus petits et plus rabougris ;
ensuite il n’y avait plus que des broussailles, et tout autour d’eux était
stérile et désolé. Le Paradis était aussi élevé que le soleil, et il
descendit comme derrière une montagne qui parut s’élever devant
lui.
Le Sauveur passa par le chemin que suivit Élie lorsqu’en partant
du torrent de Khrit, il alla à Sarepta. Il revient du village des bergers
à Sarepta. Il enseigne ça et là sur sa route et passe devant Sidon. De
Sarepta il ira bientôt au midi pour son baptême. Il célèbre encore le
sabbat à Sarepta.
(Du 27 au 29 juillet.) Après la clôture du sabbat, Jésus partit de
Sarepta pour se diriger vers la Galilée et Nazareth. Il enseigna ça et
là : en dernier lieu, je le vis enseigner sur une colline. ― Elle dit
encore : Jésus est en route pour Nazareth. Il enseigne ça et là. Il a
quelquefois des compagnons. Quelquefois il erre seul pendant la
nuit. Il marche maintenant les pieds nus ; il a avec lui ses sandales,
qu’il met lors qu’il entre dans un village. ― Il est à présent dans les
vallées qui sont vis à vis du mont Carmel. Il est venu une fois très
près de la route qui va de cette contrée en Egypte mais il s’est
détourné vers le levant. ― Je crois qu’il va à Nazareth, puis à Samarie
et au baptême. Ce voyage durera bien encore deux semaines.
La mère de Dieu, Marie de Cléophas, la mère de Parménas et deux
autres femmes, sont aussi en route pour Nazareth. La maison de
Marie est toujours silencieuse et bien en ordre : je vois la chambre où
Jésus dormait et priait habituellement.
Des femmes de Jérusalem sont aussi en route pour Nazareth : ce
sont Séraphia (Véronique), Jeanne Chusa, encore une autre,
comment s’appelle-t-elle donc ? Et le fils de Véronique qui plus tard
se joignit aux disciples. Ils vont, je crois, pour visiter Marie. Je les ai
déjà vus à l’occasion des voyages annuels à Jérusalem.
Il y a trois endroits où les familles pieuses vont prier tous les ans,
ce que faisaient aussi Joseph et Marie. C’est au temple de Jérusalem,
à Bethléem, près du Térébinthe, à un endroit où l’on célèbre un fait
de l’Ancien Testament, je ne sais plus lequel {18}, et au mont Carmel,
où se trouve aussi un oratoire. ― La famille d’Anne et d’autres
personnes pieuses y passent ordinairement en revenant de
Jérusalem : c’est en général au mois de mai. Il est arrivé là à Élie
quelque chose qui a rapport au Messie.
Je ne m’en souviens pas distinctement à présent : mais je pense
que le prophète eut là la Vision d’une grande figure de femme : c’était
quelque chose qui se rapportait à la sainte Vierge. Il y avait aussi là
une fontaine et une grotte d’Elle où la pierre était tendre : c’était
comme une chapelle. ― Il venait toujours là de temps en temps des
juifs pieux qui priaient pour l’avènement du Messie : il y avait aussi
des anachorètes juifs : il y eut plus tard des ermites chrétiens.

(30 juillet.) J’ai été cette nuit et suis encore aujourd’hui dans la
contrée du mont Thabor : Jésus est dans une petite ville située sur le
revers occidental de la montagne, et il enseigne dans l’école sur le
baptême de Jean. Il a cinq compagnons. Quelques-uns seront plus
tard ses disciples futurs. J’ai su le nom de quelques-uns. J’ai très-
bien vu le pays et toute la montagne.
La Mère de Dieu et les autres femmes sont a Nazareth : il en est de
même de Véronique, qui est partie précédemment de Jérusalem avec
ses compagnes, et qui a pris les saintes femmes à Capharnaüm. Il y a
avec elle Jeanne Chusa, une sœur de la prophétesse Anne, qui est
attachée au service du temple, et un fils de Véronique, qui plus tard
alla en France.

(1er août.) Je vis le sanhédrin de Jérusalem envoyer des messagers


avec des lettres dans les principaux endroits de la Terre-Promise où
il y avait des écoles juives : il avertissait ceux qui y étaient préposés
d’avoir l’œil sur un homme dont Jean Baptiste avait dit qu’il était
celui qui devait venir, et qu’il viendrait à son baptême. Ils devaient
veiller sur cet homme et faire des rapports sur lui : car si c’est le
Messie, disaient-ils, il n’a pas besoin du baptême de Jean. Tout cela
les importunait beaucoup ; ils avaient entendu dire que c’était le
même qui, étant enfant, avait enseigné dans le temple, etc.
Je vis ces messagers arriver dans une ville située près de la mer, à
quatre lieues du chemin d’Hébron, dans la contrée où les messagers
de Moïse et d’Aaron trouvèrent les grosses grappes de raisin. La ville
s’appelle Gaza. Je vis aussi Gaza dans l’état où elle fut longtemps
après, peut-être comme elle est à présent. Je vis peu de maisons, et
seulement quelques vieilles substructions : je vis une longue rangée
de tentes qui s’étendaient, je crois, jusqu’à la mer : il y avait
beaucoup d’étoffes et de soieries mises en vente.
Il ne reste presque plus rien de l’ancien Nazareth : mais on peut
encore reconnaître à peu près les montagnes : seulement tout est
impraticable, dégradé par les pluies et couvert de décombres. Il y a la
des rochers tout nus et surplombant tellement, qu’on est tout effrayé
d’y voir monter quelqu’un. Le pays est encore fertile ; il y a beaucoup
d’animaux sauvages, spécialement des colombes : toutes les maisons
et les vignes sont couvertes de tourterelles sauvages aussi grosses
que nos pigeons domestiques.
Sur le mont Carmel, il y a encore plusieurs grottes où habitent des
ermites : il s’y trouve, en outre, un couvent. J’ai vu hier, dans la nuit,
beaucoup de choses touchant cette montagne. Les ermites sont en ce
moment très-inquiets et prient beaucoup, car il y a à peu de distance
de là des soulèvements et des combats entre les Turcs et un autre
peuple voisin du Liban.

(4 août.) Jésus, accompagné de cinq disciples, enseigna ça et là


jusque dans la contrée où est le puits de Jacob : ce fut aussi là qu’il
célébra le sabbat. Il me semble qu’il ira bientôt à Nazareth les saintes
femmes y sont.

(5 août.) Je vis Jésus quitter la contrée où est le puits de Jacob, et


revenir à Nazareth avec ses cinq compagnons. La sainte Vierge vint à
sa rencontre ; mais quand elle vit qu’il avait des compagnons avec
lui, elle resta à quelque distance et revint sur ses pas sans l’avoir
salué. J’admirai son abnégation. Je vis Jésus enseigner ici dans
l’école. Les saintes femmes étaient présentes.

(7 août.) J’allai à Nazareth et je vis Jésus dans la synagogue avec


les cinq disciples et une vingtaine de ses compagnons de jeunesse de
Nazareth, il y avait beaucoup de monde. Les saintes femmes
n’étaient pas présentes. Il fit une instruction. J’entendis les auditeurs
murmurer et chuchoter : « Il veut peut-être, disaient-ils, s’établir à
l’endroit où Jean baptisait et que celui-ci a abandonné, puis baptiser
lui-même et se faire passer pour un personnage de même espèce.
Mais ce n’est pas du tout la même chose. Jean a vécu dans le désert :
quant à celui-ci, nous le connaissons bien : ce n’est pas lui qui nous
séduira ». ― Après avoir un peu regardé cette scène, je fus conduite
vers Jean Baptiste.

(9 août.) Je vis que Jésus se préparait à quitter Nazareth avec deux


compagnons, pour se rendre à Bethsaïda où il put encore réveiller
quelques âmes par son enseignement. Les saintes femmes et d’autres
compagnons de Jésus sont encore à Nazareth. Je vis Jésus dans la
maison de sa mère où ses autres amis étaient aussi rassemblés. Il
leur expliqua qu’à cause des murmures et du mécontentement qui
s’étaient élevés contre lui à Nazareth, il voulait aller à Bethsaïde, d’où
il reviendrait plus tard. Je le vis quitter la maison avec trois disciples.
C’étaient Amandor, le fils de Véronique, un fils d’une des trois veuves
parentes de Jésus, son nom était comme Sirach, et un parent de
Pierre, qui fut plus tard un disciple connu.

(10 avril.) Comme le 11 août était la fête de sainte Suzanne,


martyre, et que la narratrice avait près d’elle une de ses reliques, elle
la vit toute la nuit près d’elle pendant son voyage. Elle dit à cette
occasion : « Suzanne a voyagé avec moi, elle était toujours près de
moi, souvent aussi elle me parlait, mais elle était autrement que moi,
à cause de son extrême légèreté, et quand je voulais la saisir, je ne
pouvais pas. J’allais avec elle d’une scène à l’autre et elle me donnait
des consolations : mais quand j’entrai dans une scène bien distincte,
comme par exemple ici, à Bethsaïde, elle disparut. »
Je vis Jésus à Bethsaïda, prêcher avec beaucoup de force dans la
synagogue, le jour du sabbat. Il leur dit qu’ils devaient maintenant
accepter ce qui leur était notifié, aller au baptême de Jean et se
purifier par la pénitence : qu’autrement il viendrait un temps ou ils
crieraient : Malheur à nous. Il y avait beaucoup de personnes dans la
synagogue, mais aucun des futurs apôtres, excepté Philippe, si je ne
me trompe. Les autres apôtres de Bethsaïda et des environs étaient
allés ailleurs pour le sabbat. Ils se tenaient dans une maison près de
la pêcherie, dans le voisinage de Capharnaüm.
Pendant l’instruction de Jésus à Bethsaïda, j’avais prié pour que
ces gens allassent au baptême de Jean et se convertissent
sincèrement. Là-dessus un tableau me fut présenté. Je vis Jean
comme le préparateur qui, au moyen d’une première ablution,
enlevait les souillures les plus fortes et les plus grossières. Je le vis se
livrer à ce travail avec bien de l’énergie et de l’activité, avec bien de la
rudesse et de la sévérité, et la peau qui le couvrait tombait tantôt
d’une épaule, tantôt de l’autre. Ce devait être un symbole figuratif,
car je vis quelques-uns des baptisés desquels se détachaient des
espèces d’écailles, d’autres dont il sortait comme de noires vapeurs,
et plusieurs sur lesquels s’abaissaient des nuées lumineuses et
brillantes.
De ce tableau, je revins, en compagnie de sainte Suzanne à un
autre tableau du séjour de Marie à Ephèse.

(12 août.) Je vis Jésus et ses compagnons aller entre Bethsaïda et


Capharnaüm, à l’endroit où était la maison qu’il habitait. Ils allaient
ça et là dans les maisons disséminées, et invitaient les gens à venir
entendre l’instruction. Beaucoup de personnes se rassemblèrent et
Jésus fit une longue instruction. Je ne vis pas là d’apôtres.
Elle raconta ce qui suit très tranquillement comme si cela se
passait devant ses yeux, mais on la dérangea et le récit fut
interrompu.

(13 août.) J’ai vu Jésus à Capharnaüm se rendant à l’école. Il va


tout droit devant lui, sans se détourner, comme s’il était tout à fait
inconnu. Les trois disciples marchent près de lui. Il vient des groupes
de tous les côtés. Il s’y trouve des pêcheurs. Je vois Pierre, André, et
d’autres encore dont plusieurs ont déjà été baptisés par Jean. Ils
avaient déjà vu Jésus : il s’était entretenu avec eux près du lac avant
son voyage à Sidon. Maintenant ils avaient entendu parler de lui soit
dans d’autres endroits, soit après sa dernière instruction à Bethsaïde.
Les habitants de Capharnaüm étaient fort satisfaits ; et désiraient
vivement savoir ce que c’était que cette nouvelle doctrine. L’école est
bien tenue Jésus monte à la place d’où l’on parle par des degrés qui
se trouvent à l’un des côtés de la salle : une foule si nombreuse se
presse autour de lui qu’il monte encore plus haut… (Ici elle fut
interrompue.)

(15 août.) Jésus a quitté Capharnaüm. Je l’ai vu, à deux lieues au


midi, enseigner devant beaucoup de monde. Il n’y avait avec lui que
les trois disciples. Les futurs apôtres qui l’avaient entendu à
Capharnaüm, étaient retournés au lac, sans qu’il se fût entretenu en
particulier avec aucun d’eux. Ici aussi, il parla du baptême de Jean et
de l’accomplissement de la promesse.

(16 août.) Jésus, hier et aujourd’hui, traversa la basse Galilée, où il


enseigna ça et là, se dirigeant au midi vers Samarie. Je ne sais plus
où il célébra le sabbat.

(19 août.) Jésus fut le jour du sabbat dans une école entre
Nazareth et Séphoris. Les saintes femmes de Nazareth étaient
présentes, ainsi que la femme de Pierre et celles de quelques autres
des futurs apôtres. Plusieurs de ceux-ci qui avaient reçu le baptême
de Jean, étaient venus également pour le sabbat. Il n’y avait là que
quelques maisons et une école : cet endroit n’était séparé que par une
borne d’héritage de l’ancienne maison de sainte Anne. Je ne sais plus
si elle était habitée maintenant.
Ceux des futurs apôtres qui étaient venus là pour l’entendre
étaient Pierre, André, Jacques le Mineur et Philippe, tous disciples
de Jean. Philippe était de Bethsaïda, il était assez intelligent et avait à
s’occuper de certains travaux de bureau. Parmi les femmes était
l’épouse d’un frère de la femme de Pierre. Jésus ne séjourna pas dans
cet endroit : il n’y prit pas son repas, il ne fit qu’enseigner. ― Les
apôtres ont vraisemblablement célébré le sabbat dans le voisinage :
car les juifs vont souvent pour le sabbat dans d’autres lieux que celui
de leur résidence ils sont venus en cet endroit parce qu’ils ont appris
que Jésus y était. Jésus ne Leur parla pas en particulier.

(Du 19 août au 2 septembre.) Je vis Jésus avec les trois disciples


aller à Séphoris, qui est à quatre lieues de Nazareth, en franchissant
une montagne. Il logea chez sa grande tante Maraha, sœur cadette de
sainte Anne : elle avait une fille et deux fils. Je les vis en longs
vêtements blancs aller et venir dans la maison : ils s’appellent
Arastaria et Cocharia, et se sont, je crois, plus tard, réunis aux
disciples.
La sainte Vierge, Marie de Cléophas et d’autres femmes sont aussi
venues ici. On lava les pieds à Jésus. Il y eut aussi un repas. Il coucha
dans la maison de Maraha : c’était là qu’avaient demeuré les parents
de sainte Anne à Séphoris. ― Séphoris est une grande ville. Il s’y
trouve des pharisiens, des sadducéens et des esséniens : les trois
sectes ont chacune leur école. Cette ville a souvent eu beaucoup à
souffrir dans les guerres. Aujourd’hui il n’en reste presque plus rien.

(22 août.) Avant hier et hier Jésus enseigna ici. Ce soir aussi, je le
vis enseigner dans la synagogue et exhorter au baptême. Les femmes
se tenaient en arrière, mais dans une tribune élevée. ― Je vis Jésus
enseigner ici dans deux synagogues, l’une plus spacieuse et plus
élevée, l’autre plus petite. Dans la plus grande étaient les pharisiens :
ils étaient mécontents et murmuraient contre Jésus. Les femmes
étaient présentes à cette instruction. ― Dans l’autre synagogue qui
était plus petite, il n’y avait pas de place réservée aux femmes : il y fut
traité amicalement. C’était vraisemblablement l’école des Esséniens.
Un des trois disciples qui allaient avec Jésus en ce temps-là était
fils d’une des trois veuves et s’appelait Eustache. Il était essénien. Je
le vois maintenant sortir d’une grotte du Carmel et aller vers Jésus.
C’est une figure pour me montrer ce qu’il est.

(23 août.) Je vis Jésus enseigner dans l’école des sadducéens à


Séphoris. Je vis là une chose merveilleuse. Il y avait à Séphoris
beaucoup de démoniaques, d’idiots et d’autres fous et possédés. On
leur faisait des instructions dans une école voisine de la synagogue,
et quand les gens raisonnables se réunissaient dans la synagogue
pour l’instruction et la prière, on les y faisait aussi entrer. Ils se
tenaient derrière les autres dans une salle à part d’où ils écoutaient
l’instruction. Il y avait parmi eux des surveillants armés de fouets et
chacun en avait un nombre plus ou moins grand à surveiller selon
qu’ils étaient plus ou moins méchants.
Avant que Jésus entrât dans l’école, je les vis pendant l’instruction
des sadducéens faire des contorsions et entrer en convulsion : je vis
aussi que les surveillants les faisaient tenir tranquilles en leur
donnant des coups de fouets quand Jésus vint, ils restèrent d’abord
très-paisibles, mais au bout d’un peu de temps, quelques uns-
commencèrent à dire : « C’est Jésus de Nazareth, né à Bethléem,
visité par les sages de l’Orient, etc. Sa mère est chez Maraha, etc. Il
introduit une nouvelle doctrine qu’on ne doit pas tolérer, etc. » C’est
ainsi que ces hommes en démence décriaient toute la vie de Jésus et
parlaient de ce qui lui était arrivé jusqu’alors.
C’était tantôt l’un, tantôt l’autre et les coups de fouet des
surveillants n’y faisaient rien. Ils se mirent bientôt à crier tous
ensemble et la confusion fut générale. ― Jésus dit alors qu’on les lui
amenât devant la synagogue : en même temps il envoya deux
disciples dans la ville, pour faire venir tous les gens de cette espèce
qui s’y trouvaient encore, bientôt il y eut autour de lui une
cinquantaine de ces hommes et avec ceux-ci une grande foule. Les
maniaques continuèrent toujours à pousser leurs cris. Alors Jésus
dit : « L’esprit qui parle ainsi par votre bouche est d’en bas et doit
retourner en bas ». À l’instant même tous s’apaisèrent et furent
guéris : j’en vis plusieurs tomber par terre.
Je vis aussi un soulèvement dans la ville au sujet de cette guérison.
Je vis Jésus et les siens en grand danger. Le tumulte était si grand
que le Seigneur se réfugia dans une maison et quitta la ville dans la
nuit, de même que ses trois disciples et Cocharia et Arastaria, les fils
de la sœur de sainte Anne. Les saintes femmes quittèrent aussi la
ville. La mère de Jésus était dans la douleur et dans l’angoisse parce
qu’elle voyait pour la première fois la persécution s’élever contre lui.
Ils s’étaient donné rendez-vous sous des arbres devant la ville.
Les gens guéris par Jésus allèrent pour la plupart au baptême de
Jean, et ce fut parmi eux principalement que Jésus plus tard trouva
ici des adhérents.
(24 août.) Dans la nuit du jeudi, les trois disciples et les fils de la
sœur de sainte Anne, qui s’étaient enfuis séparément de Séphoris, se
réunirent au Seigneur sous des arbres, sur le chemin de Béthulie. La
mère de Jésus et les saintes femmes s’étaient aussi rendues là.
Béthulie est la ville pendant le siège de laquelle Judith tua
Holopherne. Elle est au sud-est de Séphoris, sur une montagne : on y
a une vue étendue de tous les côtés. Il n’y a pas loin de là à
Magdalum et au château de Madeleine dont la vie alors n’était
consacrée qu’au plaisir. ― Il y a un château à Béthulie : c’est un
endroit abondant en sources. Je crois que le puits de Joseph n’est pas
très-loin de là.
Je vis Jésus et ses disciples entrer dans une hôtellerie devant
Béthulie. Marie et les saintes femmes l’y rejoignirent. J’entendis
Marie dire à Jésus qu’elle le priait de ne pas enseigner ici, qu’elle
était pleine d’anxiété, qu’il pouvait encore y avoir un soulèvement. ―
Jésus répondit qu’il savait ce qu’il avait à accomplir. ― Mais Marie
lui dit : « N’irons-nous pas maintenant au baptême de Jean ? » ―
Jésus lui répondit avec beaucoup de gravité : « Pourquoi irions-nous
maintenant au baptême de Jean, en avons-nous besoin ? J’irai
encore là où je dois recueillir, et je dirai quand il faudra aller au
baptême de Jean. » Marie garda le silence comme à Cana. Ce n’est
qu’après la Pentecôte que j’ai vu les saintes femmes recevoir le
baptême à la piscine de Bethesda. Les saintes femmes entrèrent à
Béthulie. ― Jésus enseigna à Béthulie le jour du sabbat.

(25 août.) Je vis Jésus bien accueilli ici. Il alla à la synagogue pour
enseigner : beaucoup de personnes étaient venues des environs, pour
l’entendre. Je vis aussi beaucoup d’idiots et de possédés sur le
chemin devant la ville, et sur divers points de la route. Lorsque Jésus
passa, ils redevinrent paisibles et furent délivrés de leurs accès, et je
vis de côté et d’autre des gens qui disaient : « Cet homme doit avoir
un pouvoir semblable à celui des anciens prophètes, pour que ces
malheureux deviennent tranquilles lorsqu’il se montre. » Car ces
gens sentaient qu’il les secourait, quoiqu’il ne leur fît rien, et ils
vinrent à lui dans l’hôtellerie pour le remercier. Il enseigna et exhorta
à aller au baptême de Jean. Il parla cette fois, avec beaucoup de force
tout à fait à la façon de Jean.

(26 août.) Je vis que les habitants de Bethulie avaient beaucoup de


considération pour Jésus et pour les siens. Ils ne voulaient pas le
laisser s’arrêter devant la ville ; plusieurs se disputaient à qui l’aurait
dans sa maison, et ceux qui ne pouvaient pas l’avoir, voulaient au
moins avoir un des cinq disciples qui étaient avec lui.
Ils restèrent près de Jésus et il leur promit d’aller successivement
chez les uns et les autres. ― Toutefois leur grand empressement et
leur sympathie pour Jésus n’étaient pas entièrement désintéressés,
et Jésus le leur fit remarquer dans les instructions qu’il fit à la
synagogue. Ils avaient une arrière-pensée, ils voulaient, en
s’attachant au nouveau prophète, procurer à leur ville une certaine
considération qu’elle avait perdue, je ne sais plus comment, peut-être
par le commerce, les rapports ou les alliances avec les païens. Ce
n’était donc pas chez eux pur amour de la vérité.

(27 août.) Jésus est parti aujourd’hui de Béthulie. Je l’ai vu dans


une vallée enseigner sous des arbres, près d’une hôtellerie. Il n’est
venu à sa suite que trois disciples et environ vingt autres personnes.
Les saintes femmes étaient déjà allées en avant, pour se rendre à
Nazareth, à ce que je crois. Je l’ai vu quitter Béthulie parce qu’il y
était trop importuné. Il était venu des environs une foule de malades
et de possédés, et il ne voulait pas encore se manifester par des
guérisons si publiques. Il partit en tournant le dos à la mer de
Galilée.

(29 août.) Je n’ai vu Jésus dans aucune ville ; pendant tout ce jour,
il enseigna dans une vallée, sous des arbres, à un endroit où
anciennement des esséniens ou des prophètes avaient enseigné. Il y
avait là un siège de gazon élevé, entouré de petits bancs de terre où
l’on pouvait s’asseoir pour écouter. Environ trente personnes se
tenaient autour de Jésus. Le soir, je vis le Seigneur avec ses
compagnons à une lieue de Nazareth, dans le petit endroit avec une
synagogue où il avait été dernièrement avant d’aller à Séphoris. On
l’accueillit très-amicalement. Il fut reçu dans une grande maison
précédée d’une cour. On lui lava les pieds ainsi qu’aux disciples : on
leur prit leurs habits de voyage pour les nettoyer et les battre, et on
leur prépara un repas. Jésus enseigna dans la synagogue. Les
femmes étaient à Nazareth.

(30 août.) Le jeudi 30, je vis Jésus et ses disciples à environ quatre
lieues du précédent endroit, dans une ville de Lévites, appelée Kedès
(I Paralip., VI, 72), ou Kision (Josué, XXI, 28). Quand Jésus arriva
dans ce pays, il était suivi d’environ sept possédés qui proclamaient
sa mission et son histoire encore plus clairement que ceux de
Séphoris. ― Il vint de la ville à sa rencontre de vieux prêtres et des
jeunes gens en longs vêtements blancs ; car quelques-uns de ceux qui
l’accompagnaient, étaient arrivés avant lui à la ville.
Jésus ne guérit pas ici les possédés, et les prêtres les enfermèrent
dans une maison pour qu’ils ne causassent pas de trouble. J’ai su que
Jésus les guérit plus tard, après son baptême. Le Seigneur fut très
bien accueilli ici ; mais comme il voulait enseigner, ils lui
demandèrent quelle mission il avait pour cela, lui, fils de Joseph et
de Marie. J’entendis Jésus répondre d’une manière évasive, que
Celui qui l’avait envoyé, et dont il tirait son origine, se manifesterait
lors de son baptême.
Il dit encore plusieurs choses à ce sujet et touchant le baptême de
Jean sur une hauteur au milieu de la ville ; il y avait là, comme sur la
colline voisine de Thébez, un lieu destiné à l’enseignement, qui
n’était pas tout à fait en plein air, mais sous une tente ou sous un
hangar recouvert de joncs. ― Il y avait à peu de distance plusieurs
autres lieux habités. Elle reconnaît les noms de Késiloth, Césarée,
etc : le Seigneur passa la nuit dans cet endroit.

(31 août.) Jésus traversa aujourd’hui une contrée habitée par des
bergers, où plus tard, après la seconde pâque, si je ne me trompe, il
guérit un lépreux. Il enseigna dans diverses bourgades. ― Le soir,
Jésus vint pour le sabbat à Jezraël, un endroit consistant en divers
groupes de maisons séparés par des jardins, de vieux édifices et
d’anciennes tours. Il y passe une grande route, appelée route Royale.
Plusieurs de ses compagnons l’avaient précédé. Il en était venu trois
avec lui.
Il se trouvait dans cet endroit de stricts observateurs de la loi
juive : ce n’étaient pas des esséniens, on les nommait Naziréens. ―
Ils avaient fait des vœux pour un temps plus ou moins long et
s’abstenaient de certaines choses. Ils possédaient une grande école et
un certain nombre de maisons. Les jeunes gens vivaient en commun
dans une maison, les jeunes filles dans une autre : les gens mariés
faisaient aussi pour un temps assez long vœu de continence, et alors
les hommes couchaient dans une maison voisine de celle des jeunes
gens, les femmes dans la maison des jeunes filles.
Ces gens portaient tous des vêtements gris et blancs. ― Leur
supérieur portait un long vêtement gris, bordé par en bas de fruits et
de houppes blanches, et une ceinture grise avec des lettres blanches :
il avait autour du bras une bande d’étoffe grise et blanche, fort
épaisse et comme tressée ; c’était comme une serviette tordue : il y
avait un bout assez court qui pendait et qui était terminé par des
bouffettes. Cet homme portait en outre un collet ou un petit
manteau, à peu près comme Argos l’essénien, mais qui était de
couleur grise et ouvert par derrière au lieu de l’être par devant. Une
plaque de métal poli était assujettie sur le devant, et on le fermait par
derrière avec des espèces de lacets ou de cordons.
Des morceaux d’étoffe tailladés recouvraient les épaules. ― Ils
avaient un bonnet noir et brillant en forme de bourrelet, avec des
lettres tracées sur le devant : il était surmonté d’un bouton ou d’une
pomme. Ces gens avaient des chevelures et des barbes longues,
épaisses et frisées. ― Je leur trouvais une grande ressemblance avec
un des apôtres, mais je ne savais plus lequel. Enfin, je me rappelai
que saint Paul portait les cheveux comme eux et était habillé de
même, lorsqu’il persécutait encore les chrétiens.
Je le vis aussi plus tard avec des naziréens : il l’était lui-même. Ils
laissaient croître leurs cheveux jusqu’à ce que leur vœu fût accompli ;
alors ils les coupaient et les brûlaient en guise de sacrifice ; ils
sacrifiaient aussi des colombes. L’un pouvait se charger d’accomplir
le vœu de l’autre. ― Jésus célébra le sabbat avec eux. Jezraël est
séparé de Nazareth par des montagnes. Il y a à peu de distance une
fontaine, près de laquelle Saul campa autrefois avec son armée.

(1er septembre.) Jésus enseigna le jour du sabbat sur le baptême de


Jean. Il dit aussi que la piété était une belle chose, mais que
l’exagération était dangereuse que les voies du salut sont diverses, et
que la vie à part dans une communauté donne aisément naissance à
l’esprit de secte : qu’on regarde du haut de son orgueil les pauvres
frères qui ne peuvent pas suivre et qui cependant devraient être aidés
par les plus forts à marcher en avant. Cet enseignement était
nécessaire ici : car aux extrémités de la ville il y avait des gens qui
s’étaient mêlés avec les païens, et qui n’étaient ni dirigés, ni stimulés,
parce que les naziréens se tenaient à part. Jésus alla visiter ces gens
dans leurs demeures ; il les convoqua à l’instruction et leur parla du
baptême.

Le 9, je vis encore Jésus à un repas, dans la maison des naziréens.


Il fut question de la circoncision, et de ce qu’elle était par rapport au
baptême. Ce fut alors que j’entendis Jésus parler pour la première
fois du signe de l’alliance entre Dieu et Abraham ; mais je ne puis
rapporter exactement ses paroles. Le sens de ses paroles était que ce
signe avait en lui une raison d’être qui cesserait lorsque le peuple de
Dieu ne sortirait plus selon la chair de la souche d’Abraham mais
serait engendré spirituellement dans le baptême du Saint Esprit.
Parmi les naziréens beaucoup se firent chrétiens mais ils étaient si
fortement attachés à la loi juive, que plusieurs voulurent mêler
ensemble le judaïsme et le christianisme, et tombèrent dans
l’hérésie.

Le 3, Jésus quitta Jezraël, et, après avoir marché assez longtemps


vers l’orient, il se dirigea vers le nord, vers Nazareth, en tournant
autour de la montagne qui sépare ces deux villes ; il s’arrêta à deux
lieues de Jezraël, au milieu d’une série de maisons placées des deux
côtés d’une grande route. Cet endroit n’était habité que par des
publicains ; il y avait aussi quelques juifs pauvres demeurant sous
des tentes, mais ceux-ci étaient assez éloignés de la route. Le chemin
le long duquel étaient les demeures des publicains était bordé d’un
grillage et fermé à l’entrée et à la sortie.
Il demeurait là de riches publicains qui tenaient à ferme plusieurs
douanes dans le pays et les affermaient ensuite à d’autres publicains
en sous-ordre. Matthieu était un de ces derniers : il demeurait dans
un autre endroit. ― C’est ici qu’avait demeuré Marie, fille de la sœur
d’Elisabeth. Je crois qu’étant devenue veuve, elle était allée à
Nazareth d’abord, puis à Capharnaüm ; c’était elle qui était présente
à la mort de la sainte Vierge.
La route commerciale entre la Syrie, l’Arabie, Sidon et l’Egypte
passait par ici. On transportait ici sur des chameaux et sur des ânes,
de gros ballots de soie blanche en liasse comme du lin, de belles
étoffes blanches et bariolées, de longues bandes épaisses et tressées
dont on faisait des tapis, et aussi des aromates. On fermait l’enceinte
quand les chameaux y étaient entrés ; on déchargeait les ballots et
tout était visité. Il y avait un droit à payer, partie en marchandises,
partie en argent.
C’étaient, la plupart du temps, des pièces triangulaires ou carrées,
jaunes, blanches ou rougeâtres, sur lesquelles était l’empreinte d’une
figure, creuse d’un côté, en saillie de l’autre ; il y avait là aussi
d’autres monnaies. Je vis sur les monnaies de petites tours, une
jeune fille et aussi un enfant dans un petit navire. Quant à ces petits
bâtons d’or natif que les rois offrirent à la crèche, je n’en vis plus
depuis lors qu’entre les mains de quelques étrangers qui allaient
visiter Jean Baptiste.
Les publicains formaient comme une ligue, et lors même que
même que quelques-uns gagnaient plus que les autres par leurs
fraudes, tout était partagé entre eux. Ils étaient dans l’aisance et
vivaient bien. Les maisons étaient entourées de cours, de jardins et
de murs : ils me faisaient l’effet de riches cultivateurs de chez nous,
dans leurs habitations. Ils vivaient entre eux, et personne autre
n’avait de rapports avec eux. Ils avaient là une école et un maître.
Jésus fut bien reçu par eux et ses compagnons aussi. Je vis arriver
ici plusieurs femmes : je crois que la femme de Pierre en était. L’une
d’elles parla à Jésus. Elles repartirent ensuite : peut-être venaient-
elles de Nazareth ou y allaient-elles, et se chargeaient-elles de
quelque message pour la mère de Jésus. Jésus alla alternativement
chez l’un ou l’autre des publicains, et il enseigna dans leur école. Il
leur reprocha surtout d’extorquer souvent des voyageurs plus que le
droit de douane qui était dû. Ils furent très honteux, et ils ne
pouvaient pas comprendre d’où il savait cela. Ils étaient plus
humbles et accueillaient plus volontiers ses enseignements que les
autres juifs. Il les exhorta à recevoir le baptême.

(5 septembre.) Le mercredi 5, Jésus quitta l’endroit habité par les


publicains, après y avoir enseigné toute la nuit. Plusieurs d’entre eux
voulaient lui faire des présents, mais il n’accepta rien. Beaucoup de
ces gens partirent avec lui, ils voulaient le suivre au baptême. Il
traversa ce jour-là la contrée de Dothaïm, et passa devant la maison
de fous où une première fois, venant de Nazareth, il avait calmé les
énergumènes et les possédés. Comme il passait, ils l’appelèrent par
son nom en criant, et firent de violents efforts pour sortir. Jésus
commanda aux surveillants de les laisser aller, disant qu’il répondait
de toutes les conséquences. On leur rendit la liberté : tous alors
s’abaissèrent, furent délivrés et le suivirent.
Il arriva le soir à Kisloth, ville située sur le Thabor. La plupart des
habitants étaient pharisiens : ils avaient entendu parler de lui, et se
scandalisèrent de voir à sa suite des publicains qu’ils regardaient
comme des malfaiteurs, des possédés connus comme tels, et des gens
de toute espèce. Il alla dans l’école et enseigna sur le baptême de
Jean ; il dit à ceux qui l’accompagnaient qu’avant de le suivre, ils
devaient bien examiner s’ils se sentaient capables d’aller jusqu’au
bout : car il ne fallait pas croire que son chemin fût un chemin
commode : il leur raconta plusieurs paraboles relatives à la
construction des maisons.
« Quand un homme veut bâtir une maison quelque part, disait-il,
il faut qu’il sache si le propriétaire du sol voudra le permettre : ils
devaient donc, avant tout, expier leurs péchés et faire pénitence. « De
même, quand un homme veut bâtir une tour, il doit d’abord calculer
la dépense. » Il donna beaucoup d’autres enseignements qui ne
plurent pas aux Pharisiens. Mais ils ne l’écoutaient pas ; ils se
contentaient d’espionner ; et je les vis convenir entre eux qu’ils lui
donneraient un repas pour mieux observer ce qu’il dirait.
Ils lui préparèrent un grand repas dans une salle publique. Il y
avait trois tables, les unes à côté des autres ; à droite et à gauche
brûlaient des lampes ; au-dessus de la table du milieu, à laquelle était
assis Jésus avec quelques disciples et quelques pharisiens, se trouvait
l’ouverture ordinaire dans le toit ; aux deux tables latérales étaient
assis les compagnons de Jésus.
Il fallait que dans cette ville il existât une vieille coutume en vertu
de laquelle, quand on donnait un repas à un étranger, on y invitait les
pauvres, fort nombreux du reste dans cet endroit et fort négligés ; car
lorsque Jésus se fut mis à table, il demanda aussitôt aux pharisiens
où étaient les pauvres et si ce n’était pas leur droit de prendre part au
repas.
Les pharisiens furent embarrassés et dirent que depuis longtemps
cela ne se faisait plus. Alors Jésus envoya ses disciples Arastaria et
Cocharia, fils de Maraha, avec Klaia, fils de la veuve Séba, inviter les
pauvres de la ville à se rendre au repas. Cela irrita beaucoup les
pharisiens et fit beaucoup de sensation dans la ville. Plusieurs de ces
pauvres étaient déjà couchés et dormaient ; les disciples les firent
lever, et je vis dans des cabanes toute espèce de scènes joyeuses.
Les pauvres étant arrivés, Jésus et les disciples les reçurent et les
servirent, et Jésus fit une très-belle instruction. Les pharisiens
étaient pleins de dépit, mais ils ne pouvaient rien empêcher, car
Jésus avait le droit pour lui et la masse du peuple était fort satisfaite ;
il y avait une grande excitation dans la ville. Quand les pauvres
eurent mangé, ils emportèrent tous quelque chose avec eux pour
leurs familles. Jésus avait béni les mets ; il avait fait la prière avec
eux et les avait exhortés à aller au baptême de Jean.
Mais il ne voulut pas rester plus longtemps dans cette ville, et le 6,
il partit dans la nuit avec les siens. Or, plusieurs de ceux qui l’avaient
accompagné, s’étaient retirés, découragés par ses avertissements ;
d’autres partirent pour se rendre au baptême de Jean.

(7 septembre.) Dans la nuit du 6 au 7, Jésus passa par deux


vallées. Je le vis parfois s’entretenir avec ses compagnons, parfois
rester en arrière et prier Dieu à genoux, puis les rejoindre de
nouveau. Le 7, dans l’après-midi, je vis Jésus arriver à un village de
bergers, nommé Kimki. Il y avait là une école, mais pas de prêtres.
Ceux-ci devaient venir d’un lieu éloigné. L’école était fermée. Jésus
réunit les bergers dans une salle d’hôtellerie et enseigna. Le sabbat
était proche. Le soir, il vint des prêtres de la secte des pharisiens,
parmi lesquels quelques-uns étaient de Nazareth. Jésus enseigna sur
le baptême et sur l’approche du Messie. Les pharisiens se déclaraient
fort contre lui, ils parlèrent de sa basse extraction et cherchèrent à le
rabaisser. Il passa la nuit ici.

(8 septembre.) Jésus fit encore aujourd’hui une instruction où il


raconta plusieurs paraboles. Il demanda un grain de sénevé qu’on lui
apporta. Il dit beaucoup de choses à ce propos et leur dit que s’ils
avaient de la foi comme un grain de sénevé, ils pourraient
transporter ce poirier dans la mer. Il y avait là un grand poirier
chargé de fruits. Les pharisiens se moquaient de ce genre
d’enseignement qu’ils trouvaient puéril. Il donna des explications,
mais je les ai oubliées. Il parla aussi de l’économe infidèle.
Les gens qui se trouvaient sur tout le chemin que fit Jésus ces
jours-là, étaient dans l’admiration de lui ; il leur rappelait, disaient-
ils, tout ce que leurs ancêtres leur avaient transmis de
l’enseignement et de la manière d’être des derniers prophètes, mais il
avait quelque chose de beaucoup plus doux.

(9 septembre.) Jésus était encore dans le village des bergers où il


célébra le sabbat. On pouvait voir de là les montagnes de Nazareth,
qui n’est guère qu’à deux lieues. Cette bourgade consiste en maisons
disséminées, ce n’est qu’autour de la synagogue qu’on en trouve
quelques-unes agglomérées. Son nom ressemble à un nom d’homme
hébraïque, je l’ai oublié {19}. Il prit son logement chez de pauvres
gens : la maîtresse de la maison était hydropique.
Il eut pitié d’elle et la guérit en lui mettant la main sur la tête et sur
les joues. Elle fut entièrement délivrée de son mal et servit à table. Il
lui défendit d’en parler jusqu’à ce qu’il fût revenu du baptême. Elle
lui demanda ce qui pouvait l’empêcher de l’annoncer partout. Mais il
répondit : « Puisque vous voulez en parler, vous allez devenir
muette. » Et en effet elle devint muette jusqu’à ce qu’il fût revenu de
son baptême. Il y a bien encore quinze jours d’ici là, car il me semble
qu’à Béthulie ou à Jezraël il a parlé de trois semaines.
Le 9, il enseigna encore ici dans la synagogue. Les pharisiens lui
étaient très opposés. Il parla de la venue prochaine du Messie. Il leur
dit : « Vous vous attendez à le voir venir dans tout l’éclat d’une
pompe mondaine ; mais il est déjà venu, il apparaîtra dans la
pauvreté : il apportera la vérité, il recevra plus de blâme que de
louange, car il veut la justice, etc. Toutefois ne vous laissez pas
séparer de lui, de peur que vous ne périssiez comme ces enfants de
Noé qui se moquaient de lui lorsqu’il se fatiguait à construire l’arche
qui devait les sauver du déluge. Tous ceux qui ne se moquèrent pas
de Noé, entrèrent dans l’arche et furent sauvés. »
Ensuite se tournant vers ses disciples, il leur dit : « Ne vous
séparez pas de moi, comme Loth se sépara d’Abraham, et cherchant
les meilleurs pâturages, vint à Sodome et à Gomorrhe. Ne regardez
pas les pompes du monde que le feu du ciel détruit, afin que vous ne
soyez pas changés en statues de sel. Restez avec moi dans toutes les
tribulations, je vous viendrai toujours en aide, » etc.
Les pharisiens étaient de plus en plus mécontents, et ils disaient :
« Que leur promet-il donc, quand il ne possède rien lui-même ! N’es-
tu pas de Nazareth, le fils de Joseph et de Marie ? » Il dit alors, sans
s’expliquer clairement, de qui il était fils, et qui le proclamerait : et
comme ils disaient : « Comment parles-tu du Messie ici et partout où
tu vas enseigner, comme nous en avons été informés ? Crois-tu que
nous devions penser que tu te donnes pour le Messie ? » Et Jésus
leur dit : « À cette question je n’ai qu’une réponse à faire : Oui, vous
le pensez. » Il y eut alors un grand tumulte dans la synagogue ; les
pharisiens éteignirent les lampes ; Jésus et ses disciples quittèrent
cet endroit et partirent dans la nuit par la grande route. Je les vis
dormir sous un arbre. Le dimanche 9, dans la soirée, je vis Jésus avec
ceux qui l’accompagnaient quitter le village des bergers passer la nuit
sous un arbre sur la grand route.

(10 septembre.) Le lundi 10, je vis sur la route se joindre à Jésus


des gens qui avaient campé sur le chemin pour l’attendre. Ils
n’étaient pas allés avec lui dans l’endroit d’où il venait, mais une
partie d’entre eux avait pris les devants. Je le vis se détourner du
chemin avec eux, et vers trois heures après midi, je le vis se diriger
vers une station de bergers, consistant seulement en quelques
cabanes, que les bergers habitaient au temps des pâturages. Il n’y
avait pas de femmes ici. Les bergers allèrent à sa rencontre. Ils
savaient sans doute sa prochaine arrivée par ceux qui l’avaient
précédé. Pendant qu’une partie d’entre eux allait au-devant de lui, les
autres tuaient des oiseaux et faisaient du feu pour préparer un repas.
Cela se passait dans une salle d’hôtellerie. Il y avait devant le foyer
un mur qui l’isolait. À l’entour régnait un banc de gazon dont le
dossier était de branches vertes tressées ensemble. Ils conduisirent là
le Seigneur et ceux qui l’accompagnaient. Il y avait bien vingt
personnes et quand ils furent tous réunis, il devait se trouver là un
bon nombre de bergers. Ils lavèrent les pieds à tous et à Jésus dans
un bassin à part. Il avait demandé un peu plus d’eau qu’à l’ordinaire
et il donna ordre de ne pas la verser. Comme on allait se mettre à
table, Jésus demanda aux bergers qui semblaient un peu agités, ce
qui les inquiétait et s’il n’en manquait pas quelques uns parmi eux ?
Alors ils lui avouèrent qu’ils étaient inquiets parce qu’ils avaient
parmi eux deux personnes malades de la lèpre, qu’ils craignaient que
ce ne fût la lèpre impure et que Jésus, à cause de cela, ne pût pas
venir chez eux : ils les avaient cachés pour ce motif. Jésus leur
ordonna de les amener et envoya ses disciples les chercher. Ces gens
vinrent enveloppés dans des draps de la tête aux pieds, en sorte qu’ils
avaient peine à marcher, et que chacun d’eux était conduit par deux
personnes.
Jésus les exhorta et leur dit que leur lèpre ne venait pas de
l’intérieur, mais qu’elle était venue extérieurement par contagion : il
me fut expliqué, selon le sens spirituel, qu’ils n’avaient pas péché par
malice, mais entraînés par d’autres. Il ordonna de les laver avec l’eau
qui avait servi à lui laver les pieds. Quand cela fut fait je vis tomber
les croûtes de la lèpre, laissant seulement après elles une marque sur
la peau. L’eau fut ensuite jetée dans une fosse et couverte de terre.
L’un de ces lépreux était des environs de Samarie, l’autre de… Jésus
encore cette fois défendit très sévèrement à ces braves gens de rien
dire de leur guérison, jusqu’à ce qu’il fût revenu du baptême.
Il fit ensuite une autre instruction sur Jean, sur le baptême et sur
la venue prochaine du Messie. Alors, ils lui demandèrent en toute
simplicité qui ils devaient suivre de lui, ou de Jean, et quel était le
plus grand des deux ? Il leur expliqua que le plus grand était celui qui
servait avec la plus parfaite humilité et qui s’abaissait le plus
profondément dans la charité. Il les exhorta aussi à aller au baptême.
Il parla encore de la difficulté qu’il y avait à le suivre et les congédia
tous, ne gardant avec lui que les cinq disciples. Il donna rendez-vous
aux autres à un endroit situé dans le désert, non loin de Jéricho : je
crois que c’est dans la contrée d’Ophra, où Joachim avait un
pâturage. Une partie de ces gens l’abandonna tout à fait : d’autres
allèrent directement trouver Jean : d’autres enfin retournèrent
d’abord chez eux pour se préparer au baptême.
Jésus et les cinq disciples arrivèrent tard devant Nazareth, qui
était à tout au plus une petite lieue de là. Ils n’y entrèrent pas : ils
s’approchèrent du côté de la porte qui conduisait à l’orient, vers la
mer de Galilée.
Nazareth avait cinq portes. À un petit quart d’heure de la ville était
la montagne terminée de l’autre côté par un escarpement à pic d’où
ils précipitaient souvent des criminels, et d’où ils voulurent plus tard
précipiter Jésus {20}. Au pied de cette montagne étaient des cabanes
isolées. Jésus ordonna aux cinq disciples d’y chercher des logements
pour eux et il entra lui-même dans une d’elles pour y passer la nuit.
On leur donna de l’eau pour laver leurs pieds, un morceau de pain et
une place pour dormir. Je les laissai là, le 10 au soir. La propriété de
sainte Anne était au levant de Nazareth. Les bergers avaient fait cuire
du pain sous la cendre. Ils avaient un puits creusé dans la terre, mais
qui n’était pas revêtu de maçonnerie.

(11 septembre.) Le 10, au soir, je vis, comme je l’ai dit, Jésus


arriver devant Nazareth. La vallée qu’il avait suivie pendant la nuit
en venant de Kisloth-Thabor, s’appelait Edron, et le village des
bergers avec la synagogue où les pharisiens de Nazareth l’avaient
tellement injurié, s’appelait Kimki. Les gens chez lesquels Jésus et les
cinq disciples étaient entrés devant Nazareth étaient des esséniens,
amis de la sainte Famille. Ils demeuraient là sous des voûtes de vieux
murs en ruines ; il y avait des hommes et quelques femmes, vivant
sépares et dans le célibat. Ils avaient de petits jardins, portaient de
longs vêtements blancs et les femmes des manteaux. Ils avaient
habité autrefois dans la vallée de Zabulon, près du château d’Hérode,
et ils étaient venus ici par amitié pour la sainte famille.
Celui chez lequel Jésus entra se nommait Eliud c’était un vieillard
vénérable avec une longue barbe. Il était veuf ; sa fille prenait soin de
lui. C’était le fils d’un frère de Zacharie. Ces gens vivaient ici très-
retirés ; ils fréquentaient la synagogue de Nazareth, étaient très-
dévoués à la sainte Famille, et c’était à eux qu’avait été confiée la
garde de la maison de Marie lors de son départ.
Le matin, les cinq disciples se rendirent à Nazareth visitèrent leurs
parents et leurs amis et entrèrent à l’école : mais Jésus resta près
d’Eliud. Il pria avec lui et s’entretint avec lui très-intimement. Cet
homme simple et pieux avait connaissance de plusieurs mystères.
Dans la maison de Marie il y avait avec elle quatre femmes : sa nièce,
Marie de Cléophas, Jeanne Chusa, cousine de la prophétesse Anne,
Marie, mère de Jean Marc, parente de Siméon, et la veuve Léa.
Véronique n’était plus là, non plus que la femme de Pierre, que j’ai
vue récemment près de l’endroit où habitent les publicains.
Le matin, je vis la sainte Vierge et Marie de Cléophas venir trouver
Jésus. Jésus tendit la main à sa mère. Sa manière d’être avec elle
était affectueuse, mais toujours très grave et très-calme. Elle était
inquiète et le pria de ne pas aller à Nazareth où l’on était fort irrité.
Les pharisiens de Nazareth qui l’avaient entendu dans la synagogue
de Kimki, avaient soulevé de nouveau les esprits contre lui.
Jésus lui dit qu’il voulait attendre ici les personnes qui devaient
aller avec lui au baptême de Jean, et qu’alors il passerait par
Nazareth. Il s’entretint encore beaucoup avec elle ce jour-là où elle
vint le trouver deux ou trois fois. Il lui dit entre autres choses qu’il
irait quatre fois à Jérusalem pour la Pâque et que la dernière fois elle
aurait un grand sujet d’affliction. Il lui révéla d’autres choses encore,
mais je les ai oubliées.
Marie de Cléophas, qui était une femme de belle prestance, lui
parla, le matin, de ses cinq fils, et le pria de les prendre avec lui. Elle
lui exposa que l’un d’eux était scribe, chargé de faire des arbitrages :
il s’appelait Simon : deux autres, Jacques le Mineur et Jude Thaddée,
étaient pêcheurs : elle les avait eux Alphée, son premier mari, qui lui
avait amené un fils d’un premier lit, nommé Matthieu, sur lequel elle
pleurait amèrement parce qu’il était publicain.
De Sabas, son second mari, elle avait un autre fils, José Barsabas,
qui était aussi pêcheur (Elle avait encore un petit garçon, nommé
Siméon, né d’un troisième mariage avec le pêcheur Jonas). Jésus la
consola, lui dit qu’ils viendraient à lui, il la rassura aussi au sujet de
Matthieu (qui avait déjà eu des rapports avec lui lors de son voyage à
Sidon), et lui dit qu’il serait un des meilleurs.
Je vis dans l’après-midi la sainte Vierge avec quelques-unes de ses
parentes de Nazareth revenir à sa demeure : près de Capharnaüm.
Les serviteurs étaient venus de là avec des ânes pour la ramener. Ils
prirent encore beaucoup d’objets qu’on avait laissés à Nazareth, des
couvertures, des ballots et aussi des vases : tout était porté par les
ânes dans des paniers d’écorce d’arbre tressée. La maison de Marie à
Nazareth avait, en son absence, quelque chose de l’aspect d’une
chapelle : le foyer faisait l’effet d’un autel. On y avait placé un coffre
et au-dessus un vase avec de la verdure fraîche. Maintenant, après
son départ, la maison sera habitée par les esséniens.
Je vis toute cette journée Jésus s’entretenir très intimement avec
Eliud, sur lequel j’ai appris beaucoup de choses que
malheureusement je ne puis me rappeler. Eliud l’interrogea sur sa
mission, et Jésus lui expliqua tout. Il lui dit qu’il était le Messie et
s’entretint avec lui de sa généalogie humaine et du mystère de l’arche
d’alliance. J’appris alors que cet objet mystérieux avait été porté
avant le déluge dans l’arche de Noé, comment il s’était transmis de
génération en génération, comment il avait été retiré par intervalles,
puis rendu de nouveau, Jésus dit à ce propos que Marie en naissant
était devenue l’arche d’alliance du mystère {21}.
Alors Eliud, qui pendant ce temps-là parcourait divers écrits et
marquait certains passages des prophètes, que Jésus lui expliquait,
lui demanda pourquoi il n’était pas venu plus tôt. Jésus lui répondit
qu’il n’avait pu naître que d’une femme conçue comme les hommes
l’auraient été sans la chute originelle, et que depuis les premiers
parents il ne s’était rencontré pour cela aucun couple d’époux qui fût
aussi pur de part et d’autre qu’Anne et Joachim. Il lui développa tout
cela et lui fit connaître tout ce qui avait jusque-là empêché, entravé et
retardé l’œuvre du salut.
J’appris dans ces entretiens beaucoup de choses touchant
l’histoire de l’arche d’alliance. Lorsqu’elle tombait dans les mains des
ennemis, cet objet mystérieux n’y était plus, parce que les prêtres le
retiraient toutes les fois qu’il y avait du danger, et cependant l’arche
qui l’avait contenu restait si sainte que les ennemis étaient punis
pour l’avoir propagée et obligés de la restituer. Je vis aussi qu’une
famille chargée plus particulièrement par Moïse de la garde de
l’arche d’alliance, avait subsisté jusqu’au temps d’Hérode. Jérémie, à
l’époque de la captivité de Babylone, fit cacher près du mont Sinaï
l’arche d’alliance et d’autres objets sacrés ; et plus tard on ne la
retrouva pas.
Mais la chose sainte n’y était plus. À une époque postérieure, on fit
une imitation de l’arche d’alliance : mais tout ce qui y avait été
précédemment ne s’y trouvait pas : la verge d’Aaron, ainsi qu’une
partie de l’objet mystérieux, étaient chez les esséniens du mont
Horeb ; mais le sacrement de la bénédiction y revint par
l’intermédiaire de je ne sais plus quel prêtre. Je vis là en tableaux
plusieurs choses que Jésus expliqua à Eliud ; j’entendis une partie de
ce qu’il lui dit, mais je ne puis pas me rappeler tout.
Il dit comment il avait pris chair du germe béni que Dieu avait
retiré d’Adam avant sa chute comment ce germe béni, afin que tout
Israël méritât bien de lui, avait dû se transmettre à travers plusieurs
générations, comment il avait été souvent retiré, et comment les
vases s’étaient ternis. Je vis tout cela en réalité ; je vis tous les aïeux
de Jésus comment les patriarches au moment de leur mort
transmettaient réellement cette bénédiction à leurs premiers-nés,
dans une cérémonie sacramentelle, et comment le morceau de pain
et le breuvage contenu dans la sainte coupe qu’Abraham avait reçus
de l’ange qui lui promit Isaac, étaient une figure du très-saint
Sacrement de la nouvelle alliance et donnaient la force pour coopérer
à la formation de la chair et du sang du Messie futur. Je vis comment
la ligne des ancêtres de Jésus reçut ce sacrement pour concourir à
l’incarnation de Dieu, et que Jésus fit de la chair et du sang reçus de
ses ancêtres un sacrement plus sublime pour opérer l’union des
hommes avec Dieu.
Jésus parla aussi beaucoup avec Eliud de la sainteté d’Anne et de
Joachim et de la conception surnaturelle de Marie sous la porte
dorée, mais je ne m’en souviens plus bien. il dit aussi qu’il n’avait pas
été conçu de Joseph, mais de Marie selon la chair, et que la
conception de celle-ci provenait de ce germe pur et béni, retiré à
Adam avant la chute, qui avait été transmis a Joseph, en Egypte, par
le canal d’Abraham, puis était arrivé dans l’arche d’alliance et de
l’arche avait passé dans Joachim et dans Anne.
Il dit que, devant racheter les hommes, il avait été envoyé avec
toute la faiblesse de la créature humaine, qu’il sentait et éprouvait
toutes choses à la façon d’un homme ordinaire ; que, comme le
serpent de Moïse dans le désert, il serait élevé en l’air sur la
montagne du Calvaire où le corps du premier homme avait son
tombeau. Ah ! Combien il aurait d’afflictions à endurer, et combien
les hommes seraient ingrats, etc. Eliud l’interrogeait toujours avec
beaucoup de simplicité et de droiture de cœur, mais il comprenait
tout mieux que ne firent les apôtres au commencement ; il entendait
tout dans un sens plus spirituel : cependant il ne pouvait pas encore
se bien rendre compte de ce qui allait se faire. Il demanda à Jésus où
serait son royaume, si ce serait à Jérusalem, à Jéricho ou à Engaddi.
Jésus répondit que là où il était, là était son royaume, qu’il n’avait
point de royaume apparent.
J’entendis aussi aujourd’hui et le jour suivant mentionner plus
d’un passage de l’Ecriture où la lettre ne rend pas le sens intérieur,
où la prophétie exprimée par des images sensibles est comprise trop
matériellement.
Le vieillard parlait à Jésus avec beaucoup de naturel et de
simplicité : il lui raconta plusieurs choses relatives à sa mère, comme
s’il les eût ignorées, et Jésus l’écouta avec une grande bienveillance.
Il parla de saint Joachim et de sainte Anne. Jésus dit qu’aucune
femme n’avait été plus chaste que sainte Anne, et que si elle s’était
remariée deux fois après la mort de Joachim, cela avait été par ordre
de Dieu. Cette souche devait produire un nombre déterminé de
rejetons qui avait ainsi été complété.
Eliud raconta quelque chose touchant la mort de sainte Anne, et je
vis un tableau de sa mort. Je vis Anne, à la façon de Marie, dans la
pièce située sur le derrière de sa grande maison, étendue sur une
couche un peu exhaussée ; je vis qu’elle était très-animée, très-
parlante et nullement comme une personne à l’article de la mort. Je
la vis bénir ses plus jeunes filles et les autres personnes de la
maison ; celles-ci étaient dans la pièce antérieure ; je vis que Marie
était à son chevet et Jésus au pied de son lit.
Elle bénit Marie et demanda la bénédiction de Jésus qui était
arrivé à l’âge d’homme et avait une barbe naissante. Je la vis encore
parler joyeusement ; elle leva les yeux au ciel, puis elle devint
blanche comme la neige et je vis sur son front des gouttes comme des
perles. Alors je m’écriai : « Elle meurt, elle meurt ! » Et je désirais
ardemment la prendre dans mes bras. Alors ce fut comme si elle
venait à moi et reposait dans mes bras ; et en m’éveillant je croyais
encore la tenir.
Eliud parla encore des vertus pratiquées par Marie dans le temple.
Je vis aussi tout cela en tableaux. Je vis que sa maîtresse Noémi était
parente de Lazare, et que cette femme, âgée d’environ cinquante ans,
était essénienne, ainsi que toutes les autres femmes attachées au
service du temple. Je vis que Marie apprit près d’elle à tricoter,
qu’étant encore enfant elle allait déjà avec elle, quand Noémi
nettoyait les vases et les ustensiles tachés par le sang des victimes, et
recevait certaines portions de la chair des animaux sacrifiés qu’elle
découpait et préparait pour l’usage des servantes du temple et des
prêtres : car ceux-ci tiraient de là en partie leur nourriture. Plus tard
je vis la sainte Vierge l’aider dans tout cela. Je vis aussi que Zacharie,
quand il était de service, visitait la petite Marie : Siméon aussi la
connaissait. Je vis ainsi toute sa pieuse et humble manière de vivre et
de servir dans le temple, comme Eliud la décrivait au Seigneur.
Ils s’entretinrent encore de la conception du Messie et Eliud parla
de la visite de Marie à Elisabeth. J’appris là de nouveau que le
Sauveur a été conçu deux mois après notre fête actuelle de Noël ainsi
que je l’ai toujours vu, et je vis aussi quelque chose que j’ai oublié sur
ce qui a fait que la fête de Noël a été mise plus tard elle raconta en
outre que Marie avait trouvé là une source, ce que j’ai vu.
J’ai vu comment la sainte Vierge, avec Elisabeth, Zacharie et
Joseph étaient allés de la maison de Zacharie dans un petit bien qui
appartenait à celui-ci et où l’on manquait d’eau ; je vis la sainte
Vierge aller seule devant le jardin avec un petit bâton ; elle pria, et
quand elle toucha la terre avec le petit bâton, il en jaillit un filet d’eau
qui coula autour d’un petit tertre. Lorsque Zacharie et Joseph
arrivèrent, ils enlevèrent le monticule avec une bêche ; l’eau sortit de
tous les côtés à cette place et il y eut là une très-belle fontaine.
Zacharie habitait au sud-ouest de Jérusalem à environ cinq lieues.
Dans cet entretien si intime dont les intervalles étaient remplis par
la prière, je vis Eliud marquer du respect à Jésus, mais se livrer à un
enjouement naïf et ne le traiter que comme un homme élu. La fille
d’Eliud ne demeurait pas dans la même maison que son père : elle
habitait à part une grotte creusée dans le roc.
Les esséniens qui habitaient contre la montagne étaient environ
une vingtaine ; les femmes, au nombre de cinq ou six, avaient une
habitation séparée où elles demeuraient ensemble. Tous ces gens
honoraient Eliud comme un supérieur, et ils se réunissaient tous les
jours pour faire la prière avec lui. Jésus prit avec Eliud un repas
composé de fruits, de miel et de poisson, mais il mangea peu. Ces
esséniens s’occupaient pour la plupart de tissage et de jardinage.
La montagne au pied de laquelle ils habitaient était la plus haute
cime de l’arête sur laquelle Nazareth était bâti ; mais elle était
séparée de la ville par une vallée. Du côté opposé se trouvait un
escarpement à pic couvert de verdure et de vignobles. Au-dessous de
cet escarpement, d’où plus tard les pharisiens voulurent précipiter
Jésus, il y avait des décombres, des immondices et des ossements. La
maison de Marie était située en avant dans la ville, contre une
colline, en sorte que certaines parties de la maison formaient comme
des grottes dans la colline. Cependant le haut de la maison dépassait
cette éminence, au delà de laquelle se trouvaient d’autres
habitations.
Ce soir, Marie et les femmes, en compagnie de Colaya, fils de Léa,
revinrent dans leur maison de la vallée de Capharnaüm. Leurs amies
des environs vinrent au-devant d’elles. La maison qu’habitait Marie,
près de Capharnaüm, appartenait à un homme nommé Lévi, qui
demeurait à peu de distance de là, dans une grande maison. La
famille de Pierre l’avait louée de Lévi et cédée à la sainte Famille ; car
Pierre et André connaissaient la sainte Famille, soit par eux-mêmes,
soit par Jean Baptiste, dont ils étaient disciples.
Il y avait plusieurs bâtiments adjacents où des disciples et des
parents pouvaient loger. Cette maison semblait avoir été choisie à
cause de cela. Marie de Cléophas avait avec elle son fils Siméon petit
garçon de deux ans, né de son troisième mariage. Je crois que son
père Jonas était mort, mais je n’en suis pas bien sûre : il y a trop de
gens allant et venant : il est difficile d’en savoir au juste le compte.
Vers le soir, je vis Jésus aller à Nazareth avec Eliud. En avant des
murs de la ville, à l’endroit où Joseph avait son atelier de
charpentier, demeuraient de pauvres et honnêtes familles, connues
de Joseph, et où quelques uns des enfants avaient été du nombre des
compagnons de Jésus pendant son adolescence. Eliud conduisit
Jésus près d’eux. Ils donnèrent à leurs hôtes un morceau de pain et
de l’eau qui était très-fraîche. À Nazareth, l’eau était
remarquablement bonne.
Je vis Jésus s’asseoir par terre chez ces gens et les exhorter à aller
au baptême de Jean. Ces gens sont un peu timides avec Jésus, dans
lequel ils ne voyaient autrefois qu’un de leurs pareils, mais qui
maintenant leur est amené d’une façon si solennelle par Eliud,
personnage très-respecté parmi eux, près duquel tous vont chercher
des conseils et des consolations, et qui les exhorte au baptême. Ils
ont bien entendu parler du Messie, mais ils ne peuvent penser que ce
soit lui, etc.
Le 13 au matin je vis Jésus sortir de Nazareth avec Eliud. Ils
allèrent du côté du midi sur le chemin de Jérusalem. On appelle cette
contrée la vallée d’Esdrelon. Etant allés à environ deux lieues au delà
du petit torrent de Kison, ils arrivèrent à un endroit consistant en
une synagogue, une hôtellerie et quelques maisons. C’est, je crois, un
faubourg de la ville d’Endor qui est tout près de là. À peu de distance
de là se trouve une fontaine renommée. Jésus entra dans une
hôtellerie. Les gens du lieu étaient peu sympathiques, sans être
précisément hostiles.
Eliud aussi, de son côté, n’avait pas grand crédit chez eux : car
leurs tendances étaient plutôt pharisiennes. Jésus dit aux préposés
qu’il voulait enseigner dans la synagogue. Ils dirent que ce n’était pas
l’usage de le permettre à des étrangers. Mais il leur déclara qu’il avait
mission pour cela : il entra dans l’école et enseigna sur le Messie,
dont le royaume n’est pas de ce monde et qui ne doit pas paraître
avec une pompe extérieure ; il parla aussi du baptême de Jean. Les
prêtres attachés à la synagogue ne lui étaient pas favorables. Il se fit
donner des écrits, qu’il ouvrit, et il en expliqua divers passages des
prophètes.
Je fus encore singulièrement touchée de la conversation intime
qu’il eut avec le vieil Eliud : celui-ci connaissait sa mission, son
origine surnaturelle, et il y croyait ; toutefois il ne paraissait pas
soupçonner que c’était Dieu lui-même.
Comme ils marchaient ensemble, Eliud lui raconta avec beaucoup
de simplicité diverses choses touchant sa jeunesse, ce que la
prophétesse Anne lui avait dit, et ce que celle-ci, après le retour de la
sainte Famille d’Egypte, avait appris de Marie, qu’elle avait visitée
quelquefois à Jérusalem. Jésus lui raconta aussi des choses qu’il ne
savait pas, et ses récits étaient accompagnés d’explications très-
profondes : mais tout cela se passait simplement et naturellement :
c’était la conversation d’un bon vieillard avec un jeune ami qu’il
affectionne.
Pendant qu’Eliud racontait ce qu’Anne avait appris de Marie et lui
avait répété, je vis tout cela en visions, et je me réjouis de voir que
c’étaient toujours les mêmes choses que j’avais déjà vues et dont
j’avais oublié une partie. J’ai beaucoup vu et entendu à ce sujet, mais
malheureusement j’en ai oublié la plus grande partie, parce que j’ai
été dérangée. {22}
Jésus parla aussi avec Eliud du voyage qu’il devait faire à
l’occasion de son baptême. Il avait réuni beaucoup de personnes qu’il
avait envoyées dans le désert, près d’Ophra ; quant à lui, il voulait
aller seul en passant par Béthanie, où il voulait parler à Lazare. Il le
nomma d’un autre nom que j’ai oublié : il parla de son père et de ce
qu’il avait été lors de la guerre. Il dit que Lazare et ses sœurs étaient
riches et sacrifieraient tout au service de l’œuvre du salut.
Lazare avait trois sœurs : Marthe, l’aînée ; Marie Madeleine, la
plus jeune, et une entre les deux qui s’appelait aussi Marie : celle-ci
vivait tout à fait à part ; elle était silencieuse et comme idiote : on ne
l’appelle que Marie la Silencieuse. Jésus, parlant d’elles, dit à Eliud
que Marthe était bonne et pieuse, et qu’elle le suivrait ainsi que son
frère. Il dit de l’idiote : « Celle-là avait un grand esprit et beaucoup
d’intelligence ; mais ces dons lui ont été retirés pour son salut. Elle
n’est pas faite pour le monde et sa vie est toute intérieure, mais elle
ne pèche pas : si je m’entretenais avec elle, elle comprendrait les
mystères les plus cachés. Elle ne survivra pas longtemps au moment
où Lazare et ses sœurs me suivront et donneront tout pour la
communauté. La plus jeune sœur, Marie, est égarée : mais elle
reviendra et surpassera Marthe, etc. » ― Précédemment, lorsque la
narratrice vit le Seigneur dans le voisinage de Magdalum, elle eut la
vision suivante touchant Madeleine :
« Voyez un peu ! Je l’aperçois au haut de son château : derrière
elle brille un corps lumineux semblable à une lune, mais devant elle
s’élève comme une montagne noire qu’elle doit mettre sous ses pieds,
car une assistance lui est donnée. Elle est stérile, autrement ce qu’il y
a de ténébreux en elle se serait répandu au dehors et l’aurait
fortement attachée au monde. Lorsqu’elle a reconnu Jésus et fait
pénitence, elle a mis au monde beaucoup d’enfants selon l’esprit. Je
vois aussi là la Mère de Dieu : elle met le pied sur la montagne noire
qui s’enfonce : alors Madeleine est toute entière dans la clarté de la
lune, elle est toute lumineuse, mais la Mère de Dieu se tient au-
dessus de la lune.
La lune a une signification importante et joue un rôle
considérable : elle est en rapport avec beaucoup de mauvaises choses
qui sont en nous. Mais il y a tant à dire là-dessus, que je ne puis en
parler maintenant. Quand la Mère de Dieu vint, elle foula aux pieds
le mal avec ses ténèbres ; elle a reçu l’empire sur lui : je ne puis pas
bien expliquer la chose maintenant, mais c’est pour cela qu’elle est
représentée au dessus de la lune, ayant le serpent sous ses pieds.
C’est une réalité qui nous est ainsi montrée sous forme d’image. »
Eliud parla encore de Jean Baptiste, le cousin de Jésus : il ne
l’avait jamais vu et n’était pas encore baptisé. Ils passèrent la nuit
dans l’hôtellerie voisine de la synagogue.

(14 septembre.) Ce matin Jésus alla avec Eliud le long de la


montagne d’Hermon qui n’est pas cet Hermon où Joachim avait des
pâturages. Ils allèrent à Endor, ville en partie ruinée. Déjà près du
lieu où ils avaient logé, il y avait sur le penchant de la montagne, des
restes de murs tellement larges qu’on aurait pu y aller en voiture. La
ville d’Endor était peu habitée, pleine de décombres ; il y avait
beaucoup de jardins. D’un côté s’élevaient de grands édifices
semblables à des palais : en d’autres endroits la ville était en ruines,
ayant été dévastée par la guerre. Il me semble qu’il habitait là une
race d’hommes distincte des Juifs. Jésus n’alla pas dans la
synagogue, il n’y en avait pas ici.
Il se rendit avec Eliud sur une grande place où il y avait trois
édifices contenant une quantité de petites chambres bâties près d’un
étang entouré d’une pelouse et sur lequel flottaient de petites
barques de baigneurs : il y avait aussi une pompe près de cet étang.
Cela ressemblait à un établissement d’eaux minérales : les petites
chambres étaient habitées par des malades. Jésus alla avec Eliud
dans une de ces grandes maisons : on lui lava les pieds et on
l’hébergea. Il fit ensuite une instruction à ces gens sur la place où on
lui avait préparé un siège élevé. Les femmes qui habitaient dans une
des ailes vinrent se ranger derrière les auditeurs.
Ces gens n’étaient pas de vrais juifs : c’étaient plutôt comme des
esclaves expulsés : ils avaient à payer un tribut sur les fruits qu’ils
recueillaient. Ils étaient restés dans la ville à la suite d’une guerre : je
crois que Sisara leur chef fut battu assez près de cette ville et ensuite
tué par une femme. (Judic. IV, 2.) Ces gens étaient répandus dans
tout le pays en qualité d’esclaves : il y en avait encore là environ
quatre cents. On leur avait fait autrefois exploiter des carrières pour
la construction du temple sous David et Salomon. Ils étaient toujours
employés à des travaux de ce genre. Le défunt roi Hérode s’était servi
d’eux pour construire un aqueduc long de plusieurs lieues qui
amenait l’eau à la montagne de Sion.
Ces gens s’assistaient constamment les uns les autres et ils étaient
charitables. Ils portaient de longues robes avec des ceintures et des
capuchons pointus qui couvraient les oreilles, comme les anciens
ermites. Ils n’avaient aucun commerce avec les juifs : mais il leur
était permis d’envoyer leurs enfants à l’école : toutefois ils étaient si
opprimés et si méprisés qu’ils n’usaient pas de ce droit. Jésus fut
très-compatissant avec eux : il fit aussi venir les malades. Ceux-ci
étaient assis sur des espèces de lit semblables à mon fauteuil et qui
m’y faisaient penser y avait un dossier mobile avec des appuis :
quand ce dossier s’abaissait, le fauteuil était comme un lit.
Lorsque Jésus enseigna sur le baptême et sur le Messie, et leur fit
des exhortations à ce sujet, ils se montrèrent très-timides, disant
qu’ils ne pouvaient prétendre à de telles choses, qu’ils étaient des
gens expulsés. Alors Jésus rectifia leurs idées au moyen d’une
parabole touchant l’économe infidèle. J’en ai oublié l’explication que
j’avais bien comprise et qui m’a occupé tout le jour. Je la retrouverai
une autre fois. Il raconta aussi la parabole du fils que son père envoie
prendre possession de sa vigne : il la racontait toujours aux païens
dont personne ne s’occupait. Ces gens préparèrent un repas en plein
air pour Jésus. Il y invita les pauvres et les malades et les servit à
table avec Eliud. Ils en furent extrêmement touchés. Le soir Jésus
retourna avec Eliud à la synagogue du faubourg, ils y célébrèrent le
sabbat et y passèrent la nuit.

(15 septembre.) Aujourd’hui Jésus alla encore avec Eliud à Endor,


qui par conséquent n’était éloigné de l’hôtellerie que de la distance
qu’on pouvait parcourir un jour de sabbat. Il y enseigna. Ces gens
étaient Chananéens, et originaires de Sichem. À ce que je crois : car
j’entendis aujourd’hui prononcer le nom de Sichémites. Ils avaient
dans une salle une idole cachée dans un souterrain, laquelle au
moyen d’une mécanique que l’on faisait jouer, sortait tout à coup de
terre et venait se placer sur un autel élégamment paré : on la faisait
rentrer par le même procédé. C’était une idole de femme qu’ils
tenaient de l’Egypte et qui s’appelait Astarté : hier j’avais pris ce nom
pour celui d’Esther.
Elle avait un visage rond comme une lune. Elle avançait les bras
sur lesquels elle tenait couche devant elle un objet assez long,
emmailloté comme une chrysalide de papillon, plus épais au milieu,
et effilé aux deux extrémités : ce pouvait bien être un poisson. Sur le
dos de l’idole était placé comme un socle sur lequel était un boisseau
ou une hotte qui dépassait le haut de la tête. Il y avait dedans comme
des épis dans des cosses vertes avec d’autres feuilles vertes et des
fruits. Depuis les pieds jusqu’au bas-ventre ; l’idole était comme dans
un muid et elle était entourée de pots où étaient diverses plantes. Ils
pratiquaient en secret leur culte idolâtrique, et Jésus leur fit des
reproches à ce sujet dans son instruction.
Autrefois ils sacrifiaient à leur déesse des enfants mal conformés.
À cette déesse correspondait un dieu Adonis, qui, si je ne me trompe,
était comme son mari. Ces gens étaient venus dans le pays sous la
conduite de leur chef Sisara : ils y avaient été battus, et depuis ce
temps, ils étaient répandus dans la contrée où ils servaient comme
esclaves. Ils étaient très-opprimés et très-méprisés. Peu de temps
avant Jésus Christ ils avaient excité des troubles près du château
d’Hérode dans cette partie de la Galilée, et depuis lors ils avaient été
soumis à une oppression plus dure.
Dans l’après-midi Jésus revint avec Eliud dans la synagogue pour
la clôture du sabbat. Les juifs avaient très-mal pris sa visite à Endor,
mais il leur reprocha très-sévèrement leur dureté envers ces hommes
abandonnés, leur recommanda d’être charitables à leur égard et les
exhorta à les mener avec eux au baptême, auquel eux-mêmes,
d’après ses avis, s’étaient décidés à aller. Ils étaient devenus plus
favorables à Jésus après l’avoir entendue le soir, Jésus revint à
Nazareth avec Eliud et je les vis s’entretenir sur la route comme
l’ordinaire : souvent ils s’arrêtaient et parlaient. Eliud raconta
beaucoup de choses de la fuite en Egypte et je vis tout cela en visions
il fut amené à en parler parce qu’il avait demandé à Jésus si son
royaume ne s’étendrait pas jusqu’à ces bonnes gens d’Egypte qui
l’avaient vu enfant et que sa présence avait touchés.
Ici je vis de nouveau que ce que j’avais vu d’un voyage fait par
Jésus en Egypte, à travers l’Asie païenne, après la résurrection de
Lazare, n’était pas un rêve de ma façon : car Jésus dit à Eliud, que
partout où la semence avait été jetée, il irait avant sa fin recueillir les
épis séparés. Eliud avait aussi quelques notions sur le pain et le vin et
sur Melchisédech, il ne pouvait pas se faire une idée de ce qu’était
Jésus et il lui demanda s’il n’était pas quelque chose comme
Melchisédech. Jésus répondit : « Non ; il devait préparer mon
sacrifice, mais c’est moi même qui serai le sacrifice. »
J’appris aussi dans cet entretien que Noémi, la maîtresse de Marie
au temple, était tante de Lazare, et sœur de sa mère. Le père de
Lazare était le fils d’un roi syrien : il avait servi dans les guerres et
acquis de grands biens. Sa femme était une juive de distinction, de la
race sacerdotale d’Aaron (alliée à sainte Anne par Manassé). Ils
avaient trois châteaux à Béthanie, près d’Herodium et à Magdalum
sur la mer de Galilée, non loin de Tibériade et de Gabara : Hérode
avait aussi un château dans le voisinage de Magdalum. Ils parlèrent
aussi du scandale que Madeleine donnait à sa famille, etc.
Jésus entra chez Eliud où se trouvaient les cinq disciples, tous les
autres esséniens et diverses personnes qui voulaient aller au
baptême.

(16 septembre.) Le matin, quand Jésus arriva avec Eliud, il y avait


beaucoup de monde rassemblé près de la maison de celui-ci ;
c’étaient les autres esséniens, les cinq disciples et plusieurs
personnes qui voulaient aller au baptême. Jésus les instruisit. Il était
aussi arrivé à Nazareth des publicains qui voulaient aller au
baptême : plusieurs troupes étaient déjà parties.
Plus tard dans la matinée, Jésus enseigna de nouveau : il vint
ensuite à lui deux pharisiens de Nazareth qui l’invitèrent à les suivre
jusqu’à l’école de la ville : ils avaient, disaient-ils, tant entendu parler
de son enseignement dans le pays, qu’ils désiraient, eux aussi,
entendre ses explications sur les prophètes. Jésus alla avec eux. Ils le
conduisirent dans la maison d’un pharisien où plusieurs autres
étaient réunis.
Ses cinq disciples étaient avec lui. Les pharisiens qui formaient
son auditoire furent très-bienveillants pour lui : il leur raconta de si
belles paraboles, qu’ils parurent prendre grand plaisir à son
enseignement et qu’ils le conduisirent à la synagogue. Beaucoup de
gens s’y étaient rassemblés il parla de Moïse et leur expliqua des
prophéties relatives au Messie. Mais comme d’après son langage, ils
soupçonnèrent qu’il pouvait bien parler de lui-même, ils furent fort
scandalisés. Ils lui donnèrent pourtant un repas chez un pharisien. Il
passa la nuit avec cinq disciples dans une hôtellerie voisine de l’école.

(17 septembre.) Jésus enseigna aujourd’hui une troupe de


publicains qui allaient au baptême. Il enseigna aussi dans la
synagogue et parla du grain de blé qui doit tomber en terre.
Les pharisiens se scandalisèrent à nouveau à son sujet et
recommencèrent leurs propos sur le fils du charpentier Joseph. Ils
lui reprochèrent aussi ses rapports et son commerce avec les
publicains et les pécheurs, et il leur répondit très vertement. Ils lui
parlèrent en outre des esséniens, disant que c’étaient des hypocrites
qui ne vivaient pas selon la loi. Mais Jésus leur fit voir qu’ils
observaient la loi mieux que les pharisiens et le reproche d’hypocrisie
retomba sur eux. Ils étaient arrivés à s’occuper des esséniens à
propos des bénédictions : car ils s’étaient scandalisés de voir Jésus
bénir plusieurs enfants et ils en parlèrent parce que les bénédictions
étaient fort en usage parmi les esséniens.
Or, quand Jésus entrait dans la synagogue ou en sortait, beaucoup
de femmes se présentaient devant lui avec leurs enfants et le priaient
de vouloir bien les bénir. ― Lorsque Jésus demeurait encore à
Nazareth, il s’occupait toujours beaucoup des enfants, qui devenaient
paisibles et silencieux près de lui quand il les bénissait, même ceux
qui, un instant auparavant, pleuraient et se montraient
ingouvernables. Les mères se souvenant de cela lui amenaient leurs
enfants et voulaient voir s’il n’était pas devenu plus fier. Il y avait là
quelques enfants qui se rejetaient et se renversaient sur eux-mêmes :
ils avaient comme des convulsions et poussaient de grands cris.
Mais aussitôt après sa bénédiction ils se tinrent tranquilles. Je vis
sortir de quelques-uns comme une noire vapeur. Il mettait la main
sur la tête des enfants et les bénissait à la manière des patriarches en
marquant trois lignes, partant de la tête et des deux épaules jusqu’à
la poitrine où elles se réunissaient. Il faisait de même pour les petites
filles, mais sans leur imposer les mains. Il faisait à celles-ci un signe
sur la bouche, je me disais que c’était pour qu’elles fussent moins
bavardes : mais cela avait encore un autre sens caché. Il passa la nuit
avec ses disciples dans la maison d’un pharisien.

(18 septembre.) Hier 17, je vis Jésus passer la nuit à Nazareth,


dans la maison d’un pharisien. À ses cinq compagnons, il s’en était
joint quatre autres qui étaient aussi parents et amis de la sainte
Famille : je crois qu’il s’y trouvait des fils des trois veuves, et un
homme de Bethléem qui avait découvert qu’il descendait de Ruth,
devenue l’épouse de Booz à Bethléem. Il les admit au nombre de ses
disciples. Il y avait à Nazareth deux familles riches, où il y avait trois
fils qui, dans leur jeunesse, avaient eu des relations avec Jésus : ces
fils étaient intelligents et instruits.
Les parents qui avaient assisté à l’instruction de Jésus et qui
avaient beaucoup ouï vanter sa sagesse, convinrent entre eux que
leurs enfants iraient encore aujourd’hui l’entendre et qu’ensuite ils
lui offriraient de l’argent pour qu’il leur permît de voyager avec lui et
de participer à sa science. Ces braves gens avaient leurs fils en grande
estime et pensaient que Jésus devait être leur précepteur. ― Les
jeunes gens vinrent aujourd’hui dans la synagogue : tout ce qu’il y
avait de gens instruits à Nazareth fit de même, sur l’invitation des
pharisiens et de ces riches personnages.
Ils voulaient mettre Jésus à l’épreuve de toute manière. Il y avait là
un docteur de la loi et un médecin, grand et gros homme avec une
longue barbe, une ceinture et un insigne qu’il portait à l’épaule sur
son vêtement. Je vis Jésus à son entrée dans l’école bénir de nouveau
plusieurs enfants que leurs mères lui apportaient : et parmi lesquels
j’en vis de lépreux qu’il guérit. Je vis comment enseignant dans
l’école il fut interrompu plusieurs fois par les savants qui lui
proposaient toute sorte de questions compliquées, et comment il les
réduisit tous au silence par la sagesse de ses paroles. Aux discours du
docteur de la loi il fit des réponses admirables tirées de la loi de
Moïse, et quand on parla du divorce, il le condamna entièrement.
Il dit que le mariage ne pouvait être dissous ; que, si le mari ne
pouvait pas absolument vivre avec sa femme, il pouvait se séparer
d’elle, mais qu’ils restaient toujours une seule chair et ne pouvaient
pas se remarier. Cela ne fut nullement agréable aux juifs. Le médecin
lui demanda s’il savait distinguer les tempéraments secs ou humides,
sous quelle planète un homme était né, quelles herbes il fallait
donner aux uns ou aux autres et comment était fait le corps humain.
Jésus lui répondit avec une grande sagesse, il parla de la complexion
de quelques-uns des assistants, de leurs maladies et des moyens
curatifs à employer, et il dit sur le corps humain des choses tout à fait
inconnues au médecin.
Il parla de la substance spirituelle et de la manière dont elle agit
sur le corps, il dit qu’il y avait des maladies qui ne pouvaient être
guéries que par la prière et la conversion, d’autres qui avaient besoin
des secours de la médecine, et tout cela avec tant de profondeur et
dans un si beau langage que le médecin tout émerveillé reconnut que
son art était surpassé et qu’il n’avait jamais rencontré une pareille
science. Je crois qu’il suivra Jésus. Il décrivit le corps humain avec
ses membres, ses veines, ses nerfs et ses intestins, leur destination et
leurs rapports entre eux avec tant d’exactitude quoique dans un
résumé rapide, et avec des vues si profondes que le médecin se sentit
tout humble devant lui. ― Il y avait aussi là un astronome et il parla
du cours des astres, de l’action que les étoiles ont les unes sur les
autres, de leurs influences diverses, des comètes et des signes du ciel.
Il dit aussi à un des assistants des choses d’un sens très profond
sur l’architecture. ― Il parla en outre du commerce et du trafic avec
les peuples étrangers, et s’exprima en termes sévères sur des modes
et des frivolités de toute espèce qui étaient venues d’Athènes.
Diverses sortes de jeux et de tours d’escamotage étaient venus de là
dans le pays : la mode s’en était répandue jusqu’à Nazareth et dans
plusieurs autres lieux. Il dit que c’étaient là des choses
impardonnables, parce qu’on ne les regardait pas comme mauvaises
et qu’on n’en faisait pas pénitence.
Tous étaient ravis de la sagesse qui éclatait dans ses discours : ses
auditeurs l’engagèrent instamment à s’établir parmi eux, promettant
de lui donner une maison et de pourvoir à tous ses besoins. Ils lui
demandèrent aussi pourquoi il était allé avec sa mère à Capharnaüm.
Mais il répondit qu’il ne resterait pas ici. Il parla de sa destination et
de sa mission ; dit qu’ils étaient allés à Capharnaüm parce qu’il
voulait habiter un point central du pays, etc. Ils ne comprirent pas
tout cela et furent fort mécontents de ce qu’il refusait d’habiter parmi
eux. Ils croyaient lui avoir fait des offres très avantageuses et
considéraient comme dicté par l’orgueil ce qu’il disait de sa mission
et de sa destination. Ils quittèrent l’école vers le soir.
Les trois jeunes gens qui étaient âgés d’environ vingt ans,
désiraient lui parler ; mais il ne voulut pas les entendre jusqu’à ce
que ses neuf disciples fussent autour de lui : cela les chagrina. Mais il
dit qu’il en agissait ainsi pour qu’il y eût des témoins de ce qu’il leur
dirait. Alors ils lui exprimèrent en termes réservés et très-modestes
leur désir et celui de leurs parents qu’il voulût bien les prendre pour
élèves, ajoutant que leurs parents lui donneraient de l’argent et
qu’eux l’accompagneraient, le serviraient et l’assisteraient dans ses
travaux…
Je vis qu’il en coûtait à Jésus de leur refuser ce qu’ils
demandaient, tant à cause d’eux-mêmes, qu’à cause de ses disciples,
car il avait à leur donner des raisons qu’ils n’étaient pas encore en
état de comprendre. Il leur dit que celui qui se procurait quelque
chose à prix d’argent, voulait retirer de son argent un avantage
temporel : mais que celui qui voulait marcher dans sa voie à lui,
devait renoncer à tous les biens de ce monde ; que quiconque voulait
le suivre devait aussi abandonner ses parents et ses amis : enfin, que
ses disciples ne cherchaient point femme et ne se mariaient pas.
Il leur présenta ainsi des conditions très-difficiles : ils en furent
très découragés et lui parlèrent des esséniens parmi lesquels il y avait
des gens mariés. Jésus répondit qu’ils se conformaient à leurs règles
et faisaient bien, mais qu’ils n’avaient fait que préparer ce que son
enseignement devait mener à terme, etc. Il les congédia et les
engagea à réfléchir mûrement. ― Ses disciples étaient effrayés de ses
paroles et de ce qu’il avait présenté sa doctrine comme si difficile à
suivre : ils ne pouvaient pas le comprendre et se sentaient
découragés. Il alla avec eux de Nazareth à la maison d’Eliud, et leur
dit sur le chemin qu’ils ne devaient pas perdre courage ; qu’il avait eu
des raisons graves pour parler ainsi à ces jeunes gens, qu’ils ne
viendraient jamais à lui ou qu’ils y viendraient tardivement, que pour
eux ils devaient le suivre tranquillement et ne point s’inquiéter, etc.
Ils arrivèrent ainsi à la maison d’Eliud… Je ne crois pas qu’il
revienne de nouveau voir Eliud, car on parle beaucoup et on s’agite
beaucoup à Nazareth. Ils sont irrités de ce qu’il n’a pas voulu y
rester : ils s’imaginent qu’il a appris tout cela dans ses voyages.
« C’est assurément, disent-ils, un homme extraordinaire et d’un
grand esprit, mais il est trop fier pour le fils d’un charpentier. » ― Je
vis aussi les trois jeunes gens revenir chez eux. Les parents prirent
très-mal les difficultés que Jésus avait faites, les enfants abondèrent
dans le même sens et tout se tourna en mécontentement contre lui.
(19 septembre.) Jésus enseigna de nouveau dans la maison
d’Eliud. Ses auditeurs étaient pour la plupart des esséniens : il y avait
aussi quelques étrangers qui se disposaient à recevoir le baptême.
Les trois jeunes gens de Nazareth vinrent le trouver ici et le
prièrent encore de les prendre avec lui. Ils lui promirent de lui obéir
en tout et de le servir. Jésus refusa de nouveau et je vis qu’il était
contristé de ce qu’ils ne pouvaient pas comprendre les motifs de son
refus. Il s’entretint ensuite avec les neuf disciples qui d’après ses
instructions, se disposaient à faire encore quelques courses et à aller
après cela trouver Jean.
Il leur parla de ceux qu’il venait de rejeter, leur dit qu’ils avaient
en vue certains avantages : mais qu’ils n’étaient pas disposés à tout
donner par charité : que pour eux, ses disciples, ils ne demandaient
rien et qu’à cause de cela ils recevraient, etc. ― Il dit encore des
choses très belles et très profondes sur le baptême. Il leur dit de
passer par Capharnaüm et de dire à sa mère qu’il allait au baptême,
de s’entendre relativement à Jean, avec les disciples de celui-ci,
Pierre, André, etc., et enfin d’annoncer à Jean qu’il allait venir.
Je vis Jésus, dans la nuit du 19 au 20, marcher avec Eliud dans la
direction du sud-ouest. Ce n’était pas le chemin direct. Jésus voulait
aller à Chim {23}, un endroit habité par des lépreux. Ils y arrivèrent
au point du jour et je vis qu’Eliud voulait empêcher Jésus d’aller
dans ce lieu, de peur qu’il ne contractât une impureté : il disait qu’il
ne serait pas admis au baptême, si on venait à le savoir, etc. ― Jésus
lui répondit qu’il connaissait sa mission, qu’il irait dans cet endroit
parce qu’il s’y trouvait un homme de bien qui désirait ardemment le
voir. Il leur fallut ici traverser le torrent de Cison.
L’endroit était situé au bord d’un petit ruisseau qui conduisait
l’eau du Cison dans un petit étang où les lépreux se lavaient. L’eau ne
retournait pas au Cison. Ce lieu était tout à fait écarté, personne n’y
allait : les lépreux habitaient dans des cabanes dispersées : eux
exceptés, il ne demeurait là que les gens chargés de les surveiller.
Eliud se tint à quelque distance et attendit le Seigneur. Jésus alla
dans une cabane écartée où un de ces malheureux était étendu par
terre, tout enveloppé dans des draps. Jésus s’entretint avec lui.
C’était un homme de bien, j’ai oublié comment la lèpre lui était
venue. Il se redressa et fut extraordinairement touché de ce que le
Seigneur était venu à lui. Jésus lui ordonna de se mettre dans une
auge pleine d’eau qui était près de la cabane. Il obéit et Jésus tint ses
mains étendues au-dessus de l’eau, alors cet homme recouvra l’usage
de ses mouvements et fut délivré de sa lèpre : il mit d’autres
vêtements et Jésus lui défendit de parler de sa guérison jusqu’à ce
qu’il fût revenu du baptême.
Cet homme accompagna Jésus et Eliud pendant quelque temps,
après quoi Jésus lui ordonna de s’en retourner. Je vis pendant la
journée Jésus et Eliud aller vers le midi en suivant la vallée
d’Esdrelon. Ils s’entretinrent ensemble à plusieurs reprises, souvent
aussi ils marchaient séparés, et semblaient prier et méditer. ― La
température n’est pas très-agréable en ce moment : le ciel est couvert
et il y a du brouillard dans la vallée.
Jésus n’avait pas de bâton, il n’en portait jamais : les autres
portaient un bâton, souvent avec une petite pelle au bout comme
ceux des bergers : Jésus n’avait aux pieds que des sandales, d’autres
avaient des espèces de souliers plus complets dont le dessus était de
coton tressé très-épais. Je les vis vers midi, se reposer près d’une
source et manger du pain.
Dans la nuit du 20 au 21 septembre, je les vis de nouveau en route,
tantôt ensemble, tantôt séparés. Je vis alors une chose merveilleuse,
une scène admirablement belle. Eliud parlait à Jésus qui marchait
devant lui de la beauté et de la parfaite conformation de son corps.
Jésus lui dit : « Si tu revoyais ce corps dans deux années d’ici, tu n’y
trouverais plus ni beauté, ni bonne apparence, tant je serai défiguré
par leurs outrages et leurs mauvais traitements. »
Eliud ne comprit pas cela ; en général il ne pouvait pas
comprendre pourquoi Jésus parlait ordinairement de son règne
comme devant être de si courte durée ; il s’imaginait toujours qu’il
faudrait bien dix ans, ou peut-être vingt à Jésus pour fonder son
royaume : il ne pouvait pas avoir d’autre idée à cet égard, parce qu’il
ne se le représentait que comme un royaume terrestre.
Quand ils eurent fait encore un peu de chemin, Jésus, s’arrêtant,
dit à Eliud qui marchait tout pensif derrière lui, de se rapprocher de
lui, parce qu’il voulait lui montrer qui il était, ce que c’était que son
corps et ce que c’était que son royaume. Eliud s’arrêta à quelques pas
de Jésus, et Jésus leva les yeux au ciel en priant. Alors une nuée
descendit et les enveloppa tous deux comme une tempête. On ne
pouvait pas les voir du dehors, mais un ciel lumineux s’ouvrit au-
dessus de leur tête et sembla s’abaisser vers eux. Je vis en haut
comme une ville avec des murailles resplendissantes, je vis la
Jérusalem céleste.
Tout y était environné d’une clarté ou brillaient les couleurs de
l’arc-en-ciel. Je vis une forme comme Dieu le Père et je vis Jésus
participer à sa lumière. Jésus apparut dans sa forme humaine,
resplendissante et diaphane. ― Eliud au commencement regardait en
haut comme ravi en extase, ensuite il se prosterna sur sa face jusqu’à
ce que la lumière et toute l’apparition se fussent évanouies.
Alors Jésus se remit en marche et Eliud le suivit, muet et intimidé
par ce qu’il avait vu. C’était une scène comme celle de la
Transfiguration, mais je ne vis pas Jésus s’élever de terre. Je ne crois
pas qu’Eliud ait vécu jusqu’au crucifiement de Jésus. Jésus s’ouvrait
plus avec lui qu’avec les apôtres, car il avait reçu de grandes lumières
et il était initié à beaucoup de secrets touchant sa famille.
Il l’avait accueilli comme un ami intime et lui avait accordé un
grand ascendant sur lui ; il fit aussi beaucoup pour la communauté
de Jésus. C’était l’un des plus instruits parmi les esséniens. À
l’époque de Jésus, ils n’habitaient plus sur les montagnes autant
qu’autrefois : ils s’étaient répandus davantage dans les villes. J’eus
cette belle vision à minuit et je me réveillais dans un cruel état de
souffrance. ― Le matin je vis Eliud et Jésus arriver à une station de
bergers. Le jour commençait à Poindre.
Les bergers étaient déjà hors de leurs cabanes et près des
troupeaux ; ils vinrent au-devant de Jésus qu’ils connaissaient et se
prosternèrent devant lui ; ils les conduisirent tous deux à un hangar
où ils avaient leurs effets. Ils leur lavèrent les pieds, leur préparèrent
une couche et mirent devant eux du pain et de petites coupes. Ils
firent aussitôt rôtir des tourterelles qui nichaient dans les cabanes et
qui étaient là en grande quantité, courant ça et là comme des poulets.
Je vis après cela Jésus renvoyer Eliud, qui s’agenouilla devant lui
pour recevoir sa bénédiction. Les bergers étaient présents.
Jésus lui dit d’attendre en paix le terme de ses jours : car le
chemin qu’il avait à parcourir était trop pénible pour lui. Il ajouta
qu’il le considérait comme un des siens qui avait déjà fait sa part de
travail dans la vigne et qui serait récompensé dans son royaume il
expliqua ceci en racontant la parabole des ouvriers de la vigne. Eliud
était très-sérieux depuis la vision de cette nuit ; il gardait le silence et
son émotion était profonde.
Je crois avoir entendu qu’il ne reverrait plus Jésus sur la terre ? Je
n’en suis pourtant pas sûre. (La narratrice s’est trompée ici, car à la
fête des Purim, elle vit de nouveau le Sauveur avec Eliud ainsi que
cela sera raconté plus tard.) Je crois qu’il a été baptisé par les
disciples. Eliud accompagna encore Jésus à quelque distance du
séjour des bergers. Le Seigneur l’embrassa et il se sépara de lui avec
une mâle émotion.
On peut voir d’ici le lieu où Jésus va pour le sabbat. Des parents de
Jésus y ont habité autrefois. Cet endroit où Jésus allait maintenant
tout seul, n’était pas Jezraël, comme je l’avais cru d’abord, parce que
je voyais aussi Jezraël ; son nom était Gur et il était situé sur une
montagne. Un frère de saint Joseph, qui était allé plus tard demeurer
à Zabulon et qui avait eu des rapports fréquents avec la sainte
Famille, avait habité ici. Jésus alla, sans être remarqué, dans une
hôtellerie où on lui lava les pieds et où on lui donna à manger. Il
avait une chambre pour lui seul ; il se fit apporter de la synagogue un
rouleau d’écritures et il pria tout en lisant, tantôt agenouillé, tantôt
debout. Il n’alla pas dans l’école. Je vis une fois venir des gens qui
voulaient lui parler, mais il ne les reçut pas.
Je vis les disciples envoyés en avant par Jésus arriver avant-hier à
Capharnaüm ; je n’en vis pourtant là que cinq des plus connus. Ils
s’entretinrent avec Marie ; deux d’entre eux allèrent à Bethsaïde où
ils prirent Pierre et André. Jacques le Mineur, Simon, Thaddée, Jean
et Jacques le Majeur étaient aussi présents. Les disciples vantèrent la
charité, la douceur et la sagesse de Jésus ; les autres parlèrent avec le
plus grand enthousiasme de Jean-Baptiste, de l’austérité de sa vie et
de son enseignement, disant qu’ils n’avaient jamais entendu
interpréter comme lui les prophètes et la loi ; Jean lui-même se
montra très-enthousiaste de Jean-Baptiste, bien qu’il connût Jésus :
car à une époque antérieure ses parents ne demeuraient qu’à deux
lieues de Nazareth, et Jésus l’aimait déjà quand il était enfant, ce que
j’avais ignoré jusqu’à présent.
Ils célébrèrent là le sabbat. Le dimanche 23, j’ai vu les neuf
disciples, accompagnés des six qui viennent d’être nommés, sur le
chemin de Tibériade, d’où ils se dirigèrent vers Ephron, par le désert,
pour gagner ensuite Jéricho et se rendre auprès de Jean. Pierre et
André relevaient les mérites de Jean-Baptiste, disant qu’il était issu
d’une famille sacerdotale distinguée, qu’il avait été instruit par des
esséniens dans le désert, qu’il ne tolérait aucun désordre, qu’il était
aussi austère que sage.
Les disciples s’étendaient sur la bonté de Jésus et sur sa sagesse,
les autres leur objectaient que sa condescendance donnait lieu à plus
d’un désordre et alléguaient des exemples à l’appui ; ils disaient aussi
qu’il avait été instruit par des esséniens lors des voyages qu’il avait
faits récemment, etc. Cette fois je n’entendis plus rien dire à Jean. Ils
ne firent pas ensemble tout le chemin mais seulement quelques
lieues. Je me disais pendant cette conversation que les hommes de ce
temps-là étaient comme ceux d’aujourd’hui.
Le samedi 22 septembre, je vis Jésus prier seul dans l’hôtellerie de
Gur ; cet endroit n’était pas très éloigné d’une ville appelée Mageddo
et d’une plaine du même nom, et j’ai vu précédemment que vers la
fin du monde une bataille sera livrée contre l’Antéchrist dans cette
plaine. Jésus se leva au point du jour, il roula sa couche, mit sa
ceinture, laissa une pièce de monnaie sur la couche et se mit en
marche.
Je le vis suivre des sentiers qui tournaient autour de plusieurs
villages. Il ne communiqua avec personne ; je le vis passer au pied du
mont Garizim, près de Samarie ; il le laissa à gauche ; il se dirigeait
vers le midi. Je le vis à diverses reprises manger des baies et
quelques fruits et boire de l’eau qu’il puisait dans le creux de sa main
ou dans une feuille pliée de manière à la rendre concave.
Le dimanche au soir, il arriva dans une ville appelée Gophna,
placée au pied de la montagne d’Ephraïm. Elle était située sur un
terrain très-accidenté, et il y avait des jardins et des champs cultivés
entre les maisons. Il s’y trouvait des parents de Joachim, mais qui
n’avaient pas entretenu de relations particulières avec la sainte
Famille. Jésus entra dans une hôtellerie. On lui lava les pieds et on
lui donna une petite réfection. Mais bientôt ses parents vinrent avec
deux pharisiens des meilleurs de leur secte, et ils l’emmenèrent dans
leur maison.
C’était une des maisons les plus considérables de la ville. La ville
elle-même était importante et elle était le siège de l’administration
d’un district. Le parent de Jésus avait aussi un emploi et il tenait des
écritures. La ville dépendait, à ce que je crois, de Samarie. Jésus fut
reçu avec déférence. Il se trouvait là plusieurs autres personnes, et on
prit un repas dans un lieu de plaisance ; les uns marchaient, les
autres se tenaient debout. Jésus passa là la nuit. Il y avait une
journée de voyage de là à Jérusalem ; une petite rivière coulait dans
les environs. Lorsque la sainte Famille eut perdu Jésus dans le
temple, elle était venue jusqu’ici. Ne l’ayant pas trouvé à Michmas, ils
pensèrent qu’il était peut-être allé en avant pour visiter leurs cousins.
Marie craignait qu’il ne fût tombé dans l’eau.
Jésus alla à la synagogue où il demanda les écrits d’un prophète, et
il enseigna sur le baptême et sur le Messie. Il leur expliqua une
prophétie de laquelle il conclut que le temps de l’avènement du
Messie devait être arrivé ; il parla d’événements qui devaient le
précéder et qui avaient eu lieu en effet. Il en mentionna un qui s’était
passé huit ans auparavant ; je ne sais plus bien s’il s’agissait d’une
guerre ou du sceptre retiré à Juda. Il exposa ainsi plusieurs
témoignages relatifs à des signes déjà accomplis qui devaient
précéder l’avènement du Messie : il fit mention des différentes sectes
qui existaient chez les juifs, et rappela combien de choss étaient
devenues de vaines formalités.
Il parla ensuite de la manière dont le Messie paraîtrait au milieu
d’eux, et dit qu’ils ne le reconnaîtraient pas. Il décrivit parfaitement
tout ce qui devait se passer entre lui et Jean : il dit à peu près que
quelqu’un le désignerait, et qu’on ne le reconnaîtrait pas : on
s’attendrait à voir un brillant vainqueur, entouré d’une pompe
mondaine, et ayant auprès de lui des hommes éminents par la
science : aussi ne le reconnaîtrait-on pas, lui qui devait paraître sans
éclat, sans beauté, sans richesse, sans pompe ; qui devait avoir pour
cortège des hommes simples, paysans et ouvriers ; qui devait frayer
avec des mendiants, des infirmes, des lépreux et des pécheurs, etc.
Il parla longtemps dans ce sens, prouva tout par les prophéties,
présenta toutes choses comme elles devaient se passer entre lui et
Jean Baptiste, toutefois il ne dit jamais : « C’est moi », mais parla
toujours comme s’il se fût agi d’une tierce personne. Cette instruction
remplit la plus grande partie de la journée. Les assistants, ses
parents, finirent par croire qu’il était un envoyé, un précurseur de ce
Messie.
Quand il fut de retour à la maison, ils consultèrent en sa présence
un livre où ils avaient écrit ce qui était arrivé dans le temple, à Jésus,
fils de Marie, alors âgé de douze ans ; ils se souvinrent alors d’une
ressemblance entre ce qu’il avait dit à cette époque et ses paroles
d’aujourd’hui, et quand ils eurent relu leur écrit, ils furent
grandement étonnés.
Le maître de la maison était un veuf d’un âge avancé et il avait
deux filles veuves. J’entendis ces deux femmes dire ensemble qu’elles
avaient assisté au mariage de Joseph et de Marie, à Jérusalem, et
combien la noce avait été belle ; elles ajoutèrent qu’Anne avait eu une
grande aisance, mais que cette famille était bien déchue. Elles
parlaient de cela, comme on a coutume de le faire dans le monde,
avec une nuance de blâme et de mépris, comme si la famille était
tombée très-bas.
Pendant qu’elles remémoraient longuement, comme le font les
femmes, les circonstances de ce mariage et le costume de fiancée que
portait Marie ; je vis tous les détails de ces épousailles et
spécialement de la parure nuptiale de la sainte Vierge {24}. Pendant
ce temps, les hommes, comme je l’ai dit, s’occupaient de
l’enseignement de Jésus enfant dans le temple, dont on avait tenu
note chez eux. Les parents de Jésus l’ayant cherché ici pleins
d’inquiétude, le lieu et les circonstances dans lesquelles il avait été
retrouvé y avaient produit un grand effet, d’autant plus que les
familles étaient alliées.
Comme ses cousins s’émerveillaient de la ressemblance entre son
enseignement d’alors et celui d’aujourd’hui, et qu’ils se montraient
de plus en plus prévenus en sa faveur, Jésus leur déclara qu’il lui
fallait prendre congé d’eux, et il se mit en route malgré leurs prières.
Plusieurs hommes l’accompagnèrent. Ils eurent à traverser une
petite rivière, sur un pont en maçonnerie qui était planté d’arbres. Ils
l’accompagnèrent quelques lieues jusqu’à une plaine où il y avait des
pâturages et par où avait passé le patriarche Joseph lorsque son père
Jacob l’envoya à Sichem vers ses frères. Jacob aussi s’était souvent
trouvé dans les endroits d’où venait Jésus.
Jésus arriva assez tard dans la soirée à un village de bergers situé
en deçà d’un petit cours d’eau, et ses compagnons le quittèrent.
L’endroit s’étendait encore de l’autre côté de la petite rivière ; la
synagogue était de ce côté-ci. Le Seigneur entra dans une hôtellerie.
Deux troupes d’aspirants au baptême, qui voulaient se rendre auprès
de Jean, en passant par le désert, s’étaient réunies ici et avaient déjà
parlé de l’arrivée de Jésus. Il s’entretint avec eux dans la soirée, et ils
continuèrent leur route le lendemain matin. On lava les pieds au
Seigneur ; il prit un peu de nourriture, puis il se retira pour prier et
se reposer.

(25 septembre.) Le matin il alla à l’école où beaucoup de


personnes se rassemblèrent. Il enseigna comme à l’ordinaire sur le
baptême et sur l’approche du Messie, disant toujours qu’on ne le
reconnaîtrait pas. Il leur reprocha leur attachement opiniâtre à
d’anciennes coutumes devenues de vaines formalités ; c’était un tort
particulier à ces gens. Du reste, ils étaient assez simples et prirent
bien tout ce qu’il dit. ― Jésus se fit ensuite conduire par le chef de la
synagogue près d’une dizaine de malades.
Il n’en guérit aucun ; car il avait déjà dit à Eliud et à ses cinq
disciples qu’avant son baptême, il n’opérerait pas de guérisons dans
le voisinage de Jérusalem. C’étaient principalement des hydropiques
et des goutteux ; il y avait aussi des femmes infirmes. Il leur fit des
exhortations et dit à chacun en particulier ce qu’il avait à faire pour le
bien de son âme ; car leurs maladies étaient, jusqu’à un certain point,
des punitions de leurs péchés. Il ordonna à quelques-uns de se
purifier et d’aller au baptême.
Il y eut encore un souper dans l’hôtellerie ; plusieurs habitants du
lieu y assistaient. Avant le repas, ils parlèrent d’Hérode, de sa liaison
illégitime qu’ils blâmèrent, et ils demandèrent à Jésus de se
prononcer à ce sujet. Jésus qualifia sévèrement la conduite d’Hérode,
mais il ajouta qu’avant de juger les autres, on devait aussi se juger
soi-même, et il parla avec force des péchés qui se commettent dans le
mariage.
Il y avait dans cet endroit plusieurs pécheurs notoires. Jésus les
prit en particulier les uns après les autres, et leur reprocha
sévèrement leurs adultères. Il révéla à plusieurs leurs péchés les plus
secrets ; en sorte qu’ils furent effrayés et promirent de faire
pénitence. Il se dirigea ensuite vers Béthanie, qui était environ à six
lieues, et il alla de nouveau dans les montagnes. La température y est
maintenant comme en hiver : le brouillard est épais, le ciel est
sombre, et il y a souvent pendant la nuit une gelée blanche très-
froide. Jésus a la tête enveloppée dans un linge.
Il va maintenant tout à fait au levant. ― J’ai aussi vu Marie et
quatre des saintes femmes faisant route dans une plaine près de
Tibériade. Je les ai vues sortir de leur maison, où il est resté
quelqu’un. Elles ont deux valets de pêcheurs avec elles. L’un va en
avant, l’autre derrière ; ils portent le bagage, un sac sur la poitrine,
un autre sur le dos, et un bâton sur l’épaule. Il y a là Jeanne Chusa,
Marie de Cléophas, une des trois veuves, et encore une autre femme,
je ne sais plus si c’est Marie Salomé, ou la femme de Pierre ou celle
d’André. Elles se rendent aussi à Béthanie, elles suivent la route
ordinaire, et passent devant Sichar qu’elles laissent à droite, tandis
que Jésus l’a laissée à gauche.
Les saintes femmes vont la plupart du temps l’une après l’autre, à
environ deux pas de distance, probablement parce que la plupart des
chemins, à l’exception des grandes routes, sont des sentiers étroits à
l’usage des piétons, et traversant souvent des montagnes. Elles
marchent vite, à grands pas, et n’ont pas la démarche incertaine des
gens d’ici ; c’est sans doute parce que, dans leur pays, on est
accoutumé, dès son jeune âge, à faire de longs voyages a pied. Quand
elles sont en route, elles retroussent leur robe jusqu’à mi jambe ;
leurs jambes sont enveloppées jusqu’à la cheville avec une bande
d’étoffe ; elles ont des sandales épaisses et rembourrées, attachées
sous la plante des pieds.
Elles portent sur la tête un voile assujetti autour de la nuque par
un linge long et étroit. Ce linge se croise sur la poitrine et, revenant
autour de la taille, se passe dans la ceinture ; il sert aussi à faire
reposer leurs mains qu’elles y placent alternativement. L’homme qui
marche en avant prépare le chemin, ouvre des passages dans les
haies, enlève les pierres, pose des planches sur les fondrières, veille à
tout ce qui peut arriver, et commande les logements. Celui qui va
derrière remet les choses comme elles étaient.

(26 septembre.) Jésus pendant son voyage de Béthanie alla encore


dans les montagnes. Le soir il arriva, deux lieues environ au nord de
Jérusalem, dans une ville qui n’est autre chose qu’une rue d’une
demi-lieue de long, passant à travers une montagne. Béthanie est
bien à trois lieues d’ici. On peut en voir d’ici les environs : car c’est
beaucoup plus bas dans la plaine. Au nord-est de cette montagne
s’étend un désert d’environ trois lieues, dans la direction du désert
d’Ephron. Je vis Marie et ses compagnes loger cette nuit entre les
deux déserts.
La montagne est celle où Joab et Abisaï cessèrent de poursuivre
Abner lorsque celui-ci entra en pourparlers avec eux. Son nom est
Amma et elle est située au nord de Jérusalem. De l’endroit où était
Jésus, la vue s’étendait au levant et au nord : je crois qu’il s’appelait
Giah ; je vis le désert de Gabaon qui commençait au bas de la hauteur
et allait rejoindre le désert d’Ephron. Il était long d’environ trois
lieues. Jésus arriva ici le soir et entra dans une maison, désirant
prendre un peu de nourriture. On lui lava les pieds, on lui donna à
boire et on lui offrit des petits pains. Il vint bientôt près de lui
plusieurs personnes qui, voyant qu’il venait de la Galilée, lui firent
des questions sur ce docteur de Nazareth dont on parlait tant et dont
Jean Baptiste disait tant de choses : ils lui demandèrent aussi si le
baptême de Jean était bon.
Jésus leur fit ses instructions accoutumées, et les exhorta au
baptême et à la pénitence : il parla du prophète de Nazareth et du
Messie, dit qu’il paraîtrait au milieu d’eux et qu’ils ne le
reconnaîtraient pas, que même ils le persécuteraient et le
maltraiteraient : qu’ils devaient bien faire attention à tout que les
temps étaient accomplis ; qu’il ne paraîtrait pas dans une pompe
triomphale mais qu’il serait pauvre et marcherait entouré d’hommes
simples, etc : ces gens ne le reconnurent pas, mais ils l’accueillirent
bien et lui témoignèrent beaucoup de respect. C’étaient des aspirants
au baptême qui, passant par ici, avaient parlé de Jésus. Ils lui firent
la conduite sur la route après qu’il se fut reposé environ deux heures.
Jésus arriva à Béthanie dans la nuit. Lazare avait été quelques
jours auparavant dans sa propriété de Jérusalem située sur le
penchant du Calvaire, près du côté occidental de la montagne de
Sion, mais il était de retour à Béthanie : car il avait su par des
disciples que Jésus allait arriver. Le château de Béthanie était la
propriété personnelle de Marthe. Mais Lazare y résidait volontiers et
ils faisaient ménage ensemble.
Ils attendaient Jésus et un repas était préparé. Marthe habitait un
bâtiment situé sur l’un des côtés de la cour. Il y avait des hôtes dans
la maison. Chez Marthe se trouvaient Séraphia (Véronique), Marie,
mère de Marc et une femme âgée de Jérusalem. Elle avait quitté le
temple lorsque Marie y était entrée : elle y serait restée volontiers,
mais elle s’était mariée par suite d’une indication d’en-haut. Chez
Lazare se trouvaient Nicodème, Jean Marc, un des fils de Siméon, et
un vieillard, nommé Obed, frère ou neveu de la prophétesse Anne.
Tous étaient secrètement amis de Jésus, qu’ils connaissaient soit par
Jean Baptiste, soit par des relations avec sa famille, soit par les
prophéties de Siméon et d’Anne dans le temple.
Nicodème était un homme réfléchi, observateur, très curieux, et
qui fondait des espérances sur Jésus. Tous avaient reçu le baptême
de Jean. Ils étaient venus secrètement sur l’invitation de Lazare.
Nicodème par la suite servit Jésus et son œuvre, mais toujours en
secret.
Lazare avait envoyé des serviteurs sur la route au devant de Jésus.
Il fut joint à une demi-lieue environ de Béthanie par un vieux et
fidèle domestique, devenu plus tard disciple, qui se prosterna à ses
pieds et lui dit : « Je suis le serviteur de Lazare ; si je trouve grâce
devant vous, mon Seigneur, suivez-moi jusque chez-lui. » Jésus lui
dit de se relever et le suivit. Il se montra très amical pour cet homme,
sans toutefois rien faire qui ne fût conforme à sa dignité. Cela même
avait un charme irrésistible. On aimait l’homme et on sentait le Dieu.
Le serviteur le conduisit dans un vestibule à l’entrée du château,
près « d’une fontaine ». Tout était préparé pour le recevoir. On lui
lava les pieds et on lui mit d’autres sandales. Jésus, en arrivant, avait
une paire de sandales épaisses, rembourrées et doublées de vert. Il
les laissa ici et mit une paire de fortes chaussures avec des courroies
de cuir, qu’il continua à porter. Le serviteur mit ensuite ses habits à
l’air et les épousseta. Quand il se fut lavé les pieds, Lazare vint avec
ses amis, lui apportant à boire et quelques aliments. Jésus embrassa
Lazare et salua les autres en leur donnant la main. Tous le servirent
avec empressement et l’accompagnèrent à la maison : mais Lazare le
mena d’abord à l’habitation de Marthe. Les femmes qui étaient là se
prosternèrent, couvertes de leurs voiles : Jésus les releva et dit à
Marthe que sa mère viendrait ici pour l’y attendre à son retour du
baptême.
Ils se rendirent ensuite à la maison de Lazare, où ils prirent un
repas. Il y avait un agneau rôti et des colombes, en outre du miel, des
petits pains, des fruits et des légumes verts. Ils étaient placés à table
sur des bancs à dossier, toujours deux par deux : les femmes
mangeaient dans une salle antérieure. Jésus pria avant le repas et
bénit tous les mets il était très-sérieux, et même triste.
Il leur dit pendant le repas que des temps difficiles approchaient,
qu’il allait entrer dans une voie laborieuse dont le terme serait
douloureux. Il les exhorta à la persévérance, puisqu’ils étaient ses
amis ; car ils devaient avoir beaucoup de souffrances à partager avec
lui. Il parla d’une façon si touchante qu’ils en furent émus jusqu’aux
larmes, mais ils ne le comprirent pas parfaitement, ils ne savaient
pas qu’il était Dieu.
Ici la narratrice interrompit son récit et dit : « Je suis toujours
surprise de ce manque d’intelligence, moi qui ai une conviction si
profonde touchant la divinité de Jésus et sa mission. Je ne puis
m’empêcher de me dire : Pourquoi donc ce que je vois si clairement
devant mes yeux n’a-t-il pas été montré à ces hommes ? J’ai vu Dieu
créer l’homme, tirer de lui l’élément féminin, en faire la femme et la
lui donner pour compagne, puis l’un et l’autre tomber : j’ai vu la
promesse du Messie, et la dispersion de l’humanité engendrée dans
le péché, les directions merveilleuses et les sacrements destinés par
Dieu à préparer la venue de la sainte Vierge sur la terre.
J’ai vu la bénédiction, de laquelle le Verbe a pris chair, suivre son
cours, comme une voie lumineuse, à travers toutes les générations
des ancêtres de Marie : j’ai vu enfin le message porté par l’ange à
Marie et le rayon de la divinité qui pénétra en elle quand elle conçut
le Sauveur. Et après tout cela, combien il doit être surprenant pour
moi, indigne et misérable pécheresse, de voir en présence de Jésus,
ces saints personnages, ses contemporains, ses amis, qui l’aiment et
qui le vénèrent, croire pourtant tous que son royaume doit être un
royaume de la terre, le regarder comme le Messie promis, mais non
toutefois comme Dieu lui-même !
Il était encore pour eux le fils de Joseph et de Marie : aucun d’eux
ne soupçonnait que Marie était vierge, car ils n’avaient pas même
l’idée d’une conception surnaturelle et immaculée. Ils ne savaient
même rien du mystère de l’arche d’alliance. C’était déjà beaucoup et
le signe d’une grâce de choix qu’ils l’aimassent et le reconnussent.
Les Pharisiens qui savaient que Siméon et Anne avaient prophétisé
lors de sa présentation, qui avaient entendu le merveilleux
enseignement qu’il avait donné dans le temple étant encore enfant,
étaient tout à fait endurcis.
Ils s’étaient enquis alors de la famille de l’enfant, plus tard de celle
du docteur ; mais cette famille était à leurs yeux trop humble, trop
pauvre, trop méprisable : ils voulaient un Messie glorieux. Lazare,
Nicodème et beaucoup de ses adhérents croyaient toujours, sans en
rien dire, que sa mission était de prendre possession de Jérusalem
avec ses disciples, de les délivrer du joug des Romains et de rétablir
le royaume de Juda.
Il en était alors comme aujourd’hui, où chacun croirait voir un
Sauveur dans celui qui procurerait à sa patrie l’ancien gouvernement
de prédilection et l’antique liberté. Alors aussi ils ne savaient pas que
le royaume où nous pouvons trouver la fin de nos maux n’est pas de
ce monde, qui est un lieu de pénitence. Ils se réjouissaient par
moments à la pensée que c’en serait bientôt fait de la grandeur et de
la puissance de tel ou tel oppresseur. Mais ils n’osaient pas parler de
cela à Jésus : car ils restaient tous confus et intimidés, parce qu’ils
sentaient bien que dans aucune de ses allures, dans aucune de ses
paroles, il n’y avait rien qui répondit à leur attente. »
Après le repas ils se rendirent dans un oratoire, et ; Jésus fit une
prière où il rendit grâces de ce que son temps était venu et de ce que
sa mission commençait. Cette prière fut très-touchante, et tous
versèrent des larmes. Les femmes étaient présentes, mais se tenaient
en arrière. Ils firent encore ensemble des prières d’une application
générale. Jésus les bénit, et Lazare le conduisit au lieu où il devait
prendre son repos. C’était une grande pièce où tous les hommes
couchaient et avaient des compartiments séparés : tout y était mieux
disposé que dans les maisons ordinaires.
Le lit n’était pas roulé comme il l’était ailleurs. Il avait plus de
hauteur que les lits habituels qui étaient par terre : il était fixe, et il y
avait au devant une balustrade avec un grillage, laquelle était décorée
avec des couvertures et des franges. Au mur auquel le lit s’appuyait
était suspendue une belle natte roulée qu’on pouvait relever ou
abaisser devant le lit, sur lequel elle formait comme un toit oblique
quand on cachait la couche vide.
Près du lit était une petite table servant d’escabeau, et il y avait
dans le creux du mur un bassin avec un grand vase plein d’eau et un
autre vase plus petit pour puiser et verser. Une lampe était fixée en
avant du mur, et un linge à essuyer y était suspendu. Lazare alluma
la lampe, se prosterna devant Jésus qui le bénit encore, et ils se
séparèrent.
Je ne vis pas cette sœur de Lazare qu’on appelait Marie la
Silencieuse : elle ne se montrait pas en public et ne prononçait
jamais une parole devant personne ; mais quand elle était seule dans
sa chambre ou dans son jardin, elle parlait tout haut, s’adressant la
parole à elle-même et à tous les objets qui l’entouraient. Il semblait
que toutes ces choses fussent vivantes : ce n’était qu’aux hommes
qu’elle ne parlait pas. En présence d’autres personnes, elle ne faisait
pas un mouvement, tenait les yeux baissés et restait comme une
statue.
Elle faisait pourtant une inclination de tête pour saluer, et sa tenue
était parfaitement convenable, seulement elle était muette. Quand
elle était seule, elle se livrait à diverses occupations, travaillait à ses
vêtements, et faisait tout cela comme une autre. Elle était très pieuse,
toutefois elle ne paraissait jamais à la synagogue, mais faisait ses
prières dans sa chambre. Je crois qu’elle avait des visions et qu’elle
conversait avec des esprits qui lui apparaissaient. Elle avait une
affection indicible pour ses frères et sœurs, particulièrement pour
Madeleine. Elle était ainsi depuis sa première jeunesse. Elle avait des
femmes qui prenaient soin d’elle, mais elle était très propre, et il n’y
avait rien en elle qui sentit la folie.
Jusqu’à présent on n’a pas parlé de Madeleine devant Jésus : elle
menait à Magdalum la vie la plus magnifique.
La nuit où Jésus arriva chez Lazare, je vis la sainte Vierge, Jeanne
Chusa, Marie de Cléophas, la veuve Léa et Marie Salomé dans une
hôtellerie entre le désert de Gabaa et le désert d’Ephraïm, à environ
cinq lieues de Béthanie. Elles dormirent dans un hangar, fermé de
tous les côtés par de légères cloisons. Il était divisé en deux pièces :
celle de devant était divisée en deux rangées de compartiments avec
des couches où les saintes femmes s’étaient installées ; celle de
derrière servait de cuisine.
Devant la maison était une cabane ouverte, dans laquelle était un
feu allumé : je crois que les hommes qui les accompagnaient
dormaient ou veillaient là : l’habitation du maître de l’hôtellerie était
dans le voisinage. Elles seront à Béthanie demain 27 vers midi. À
l’occasion de Marie de Cléophas, je vis de nouveau qu’elle était fille
de la sœur aînée de la sainte Vierge et de Cléophas, un neveu de saint
Joseph. J’ai oublié le reste : ce Cléophas, outre cette fille, en avait eu
encore une autre qui s’était mariée, etc. Ce n’est point le disciple
d’Emmaüs.

(27 septembre.) Je vis Jésus dans la maison de Lazare avec celui-ci


et les amis de Jérusalem. Il n’entra pas à Béthanie, mais il se
promena dans les cours et les jardins du château. Il parlait et
enseignait, tout en marchant, d’une façon très-grave et très-
touchante. Quelque affectueux qu’il fût, il restait toujours plein de
dignité, et ne proférait pas une parole inutile. Tous l’aimaient et le
suivaient, et cependant tous se sentaient intimidés. C’était Lazare qui
en usait le plus familièrement avec lui : les autres étaient plus
dominés par l’admiration, et se tenaient davantage sur la réserve.
Jésus, accompagné de Lazare, alla visiter les femmes, et Marthe le
conduisit à sa sœur Marie la Silencieuse, avec laquelle il voulait
s’entretenir. Ils allèrent par une porte pratiquée dans le mur de la
grande cour dans une autre cour plantée, plus petite et pourtant
spacieuse, à laquelle l’habitation de Marie était attenante. Jésus resta
dans le petit jardin et Marthe alla chercher sa sœur. Le petit jardin
était très-agréable ; au milieu s’élevait un grand dattier : il y avait, en
outre, des plantes aromatiques et des arbustes de toute espèce. Il s’y
trouvait aussi une fontaine avec un rebord, et au milieu de la
fontaine un siège en pierre, où Marie la Silencieuse pouvait arriver
en passant sur une planche et s’asseoir sous un pavillon tendu au-
dessus de la fontaine.
Marthe alla la trouver et lui dit de venir dans la cour, ou quelqu’un
l’attendait. Elle obéit à l’instant, mit son voile et se rendit, sans dire
un mot, dans la cour, après quoi Marthe se retira. Elle était grande et
belle, âgée d’environ trente ans : le plus souvent elle regardait le ciel,
et si parfois elle tournait les yeux du côté par où venait Jésus, ce
n’était qu’un regard vague et peu arrêté comme si elle eût regardé
dans le lointain. Elle ne disait jamais « je », mais « toi », quand elle
parlait d’elle-même, comme s’il se fût agi d’une autre personne
qu’elle voyait devant elle et à laquelle elle adressait la parole.
Elle ne parla pas à Jésus et ne se prosterna pas devant lui. Jésus
lui parla le premier et ils marchèrent dans le petit jardin : à
proprement parler, ils ne s’entretenaient pas ensemble. Marie
regardait toujours en haut et parlait des choses du ciel, comme si elle
les eût vues. Jésus faisait de même : il parlait de son Père et avec son
Père. Elle ne regardait pas Jésus : seulement en parlant elle se
tournait souvent à moitié vers lui. L’entretien qu’ils avaient ensemble
était plutôt une prière, un cantique de louange, une méditation sur
des mystères, qu’un entretien proprement dit. Marie ne paraissait
pas avoir la conscience de sa vie sur la terre : son âme était dans un
autre monde pendant que son corps demeurait ici-bas.
Je me souviens, entre autres choses, que, levant les yeux au ciel,
elle parla de l’Incarnation du Christ, comme si elle avait vu cette
affaire se traiter dans le sein de la très-sainte Trinité. Je ne puis
répéter ses paroles naïves et pourtant pleines de gravité. Elle disait,
comme si elle eût eu la chose sous les veux : « Le Père dit au Fils qu’il
doit descendre parmi les hommes et que la Vierge doit le concevoir. »
Puis elle décrivait la joie qui se manifestait parmi tous les anges et la
mission donnée à Gabriel de se rendre auprès d’une vierge : elle
adressait la parole aux chœurs des anges qui tous descendaient avec
Gabriel, comme un enfant qui parlerait à une procession passant
devant lui, témoignerait sa joie et louerait le recueillement et la
ferveur de ceux qui en font partie.
Elle vit ensuite l’intérieur de la chambre de la sainte Vierge,
s’adressa à elle en exprimant le désir qu’elle accueille le message de
l’ange ; elle vit l’ange venir et lui annoncer le Seigneur, et elle raconta
tout cela en regardant dans le lointain, comme voyant cette scène, et
disant tout haut les pensées qui lui venaient à celle vue. Elle
s’exprima d’une façon tout à fait naïve sur ce que la sainte Vierge
avait réfléchi avant de répondre : « Tu avais fait vœux de rester
vierge, dit-elle ; mais si tu avais refusé de devenir mère du Seigneur,
comment aurait-on fait ? Aurait-on pu trouver une autre vierge ?
Israël, pauvre orphelin ; tu aurais eu longtemps encore à soupirer ! »
Elle se livra alors à la joie de ce que la Vierge avait donné son
consentement, et elle la combla d’éloges ; de là, elle passa à la
naissance de Jésus, parla à l’enfant auquel elle dit : « Tu mangeras
du beurre et du miel » et entremêla ses discours d’autres passages
des Prophètes ; elle parla des prophéties de Siméon et d’Anne, et
continua ainsi, toujours comme si les choses se passaient sous ses
yeux, et adressant la parole à tous, comme si elle eût été présente à
tous ces événements.
Elle arriva même jusqu’au moment présent et dit : « Maintenant,
tu entres dans la voie pénible et douloureuse, etc. » Pendant tout
cela, elle était toujours comme si elle eût été seule, et quoiqu’elle sût
que le Seigneur était près d’elle, il semblait pourtant qu’il ne fût pas
plus rapproché que toutes les autres scènes dont elle parlait. Jésus
l’interrompait par des prières et des actions de grâces à Dieu ; il
glorifiait son père et priait pour les hommes ; chaque chose venait en
son lieu. Tout cet entretien fut touchant et admirable au delà de toute
expression.
Jésus la quitta ; elle resta calme et immobile comme auparavant et
rentra dans son habitation. Lorsque Jésus fut revenu près de Lazare
et de Marthe, il leur parla à peu près en ces termes : « Elle n’est pas
privée de raison, mais son âme n’est pas dans ce monde : elle ne voit
pas ce monde et ce monde ne la comprend pas : elle est heureuse,
elle ne pèche pas. »
Marie la Silencieuse dans son état de contemplation purement
spirituelle ne savait réellement pas ce qui se faisait pour elle et
autour d’elle, et elle était toujours dans cet état d’absence. Elle
n’avait encore parlé devant personne comme devant Jésus ; devant
tous les autres elle se taisait, non par manque d’ouverture ou par
orgueil, mais parce qu’elle ne voyait pas ces personnes de sa vue
intérieure : elle ne les voyait pas en rapport avec ce qu’elle seule
voyait, les choses du ciel et la rédemption. Parfois des amis de la
maison, gens pieux et savants, lui adressaient la parole ; alors elle
prononçait bien quelques paroles, mais elles étaient entièrement
inintelligibles pour eux : car ce n’était pas une réponse à ce qu’ils
avaient dit, c’était quelque chose qui se rapportait à cet ensemble
qu’elle voyait, mais qui restait caché aux savants.
Aussi était-elle regardée par toute la famille comme imbécile, et
elle menait une vie solitaire, la seule qu’elle pût et dût mener : car
son âme n’habitait pas dans le temps. Elle s’occupait de la culture de
son jardin et de travaux à l’aiguille destinés au temple, que Marthe
lui donnait à faire ; elle était adroite pour ces sortes de choses et elle
les faisait sans sortir de son état continuel de méditation et de
contemplation.
Elle priait avec beaucoup de piété et de ferveur et avait aussi une
certaine nature de souffrances à endurer pour les péchés d’autrui, car
souvent son âme était oppressée d’un poids tellement lourd, qu’il
semblait que le monde fût tombé sur elle. Son habitation était
commode : il y avait des lits de repos et des meubles de toute espèce ;
elle mangeait peu et toujours seule. Lorsque son frère et ses sœurs se
furent mis à la suite de Jésus, elle mourut de douleur à la vue de ses
immenses souffrances qui lui furent montrées en vision.
Marthe parla aussi à Jésus de Madeleine et du grand chagrin
qu’elle lui causait ; Jésus la consola et lui dit qu’elle reviendrait
certainement, que seulement ils ne devaient pas se lasser de prier
pour elle et de l’encourager.
Vers une heure et demie, la sainte Vierge arriva avec Jeanne
Chusa, Léa, Marie Salomé et Marie de Cléophas. L’homme qui allait
en avant annonça leur arrivée ; alors Marthe, Séraphia, Marie, mère
de Marc et Suzanne allèrent avec tout ce qui était nécessaire les
recevoir dans la salle située à l’entrée du château, où Jésus avait été
reçu la veille par Lazare. Elles se souhaitèrent la bienvenue et on lava
les pieds aux arrivantes ; les saintes femmes mirent aussi d’autres
habits et d’autres voiles. Elles étaient toutes vêtues de laine sans
teinture, blanche, jaunâtre ou brune.
Elles prirent une petite réfection et se rendirent à l’habitation de
Marthe. Jésus et les hommes vinrent les saluer ; Jésus alla à l’écart
avec la sainte Vierge et s’entretint avec elle. Il lui dit d’un ton très-
affectueux et très-grave que sa carrière publique allait commencer,
qu’il se rendait au baptême de Jean d’où il reviendrait la visiter ; qu’il
passerait encore quelque temps avec elle dans la contrée de Samarie,
mais qu’ensuite il irait dans le désert et y resterait quarante jours.
Lorsque Marie l’entendit parler du désert, elle fut très-attristée et le
pria instamment de ne pas aller dans cet affreux séjour pour y
mourir d’inanition.
Jésus lui répondit que dorénavant elle ne devait pas essayer de
l’arrêter par des inquiétudes tout humaines ; qu’il ferait ce qu’il avait
à faire, qu’il entrait dans une voie laborieuse ; que ceux qui étaient
avec lui devaient partager ses souffrances ; que pour lui il allait
maintenant où sa mission l’appelait et qu’elle devait faire le sacrifice
de tous ses sentiments personnels ; qu’il l’aimerait comme
auparavant, mais qu’il appartenait maintenant à tous les hommes ;
qu’elle devait faire ce qu’il lui dirait et que son père céleste la
récompenserait : car il fallait maintenant que la prédiction que
Siméon lui avait faite reçût son accomplissement et qu’un glaive
traversât son âme, etc. La sainte Vierge était très sérieuse et très-
attristée, mais elle était en même temps pleine de force et de
résignation à la volonté de Dieu, car son fils était très-saint et très-
affectueux.
Le soir il y eut encore un grand repas dans la maison de Lazare ;
Simon le pharisien et quelques autres pharisiens avaient été invités.
Les femmes mangèrent dans une pièce attenante, séparées
seulement par un grillage, en sorte qu’elles pouvaient entendre
l’enseignement de Jésus.
Jésus parla de la foi, de l’espérance, de la charité et de
l’obéissance ; ceux qui voulaient le suivre, disait-il, ne devaient pas
regarder derrière eux, mais faire ce qu’il enseignait, et supporter les
souffrances qui viendraient les assaillir : quant à lui il ne les
abandonnerait pas. Il parla de nouveau de la voie pénible dans
laquelle il entrait, dit comment il serait maltraité et persécuté et
combien tous ses amis souffriraient avec lui. Tous l’écoutèrent avec
surprise et émotion : mais, ils ne comprirent pas ce qu’il disait des
grandes souffrances à endurer ; leur foi manquait de simplicité ; ils
s’imaginaient que c’était une façon de parler prophétique qu’il ne
fallait pas prendre à la lettre. Ses discours ne choquèrent pas les
pharisiens quoiqu’ils fussent plus prévenus que les autres, mais cette
fois il ne parla qu’avec une certaine réserve.
Après le repas, Jésus prit un peu de repos ; puis il partit seul avec
Lazare, dans la direction de Jéricho, pour aller au baptême. Au
commencement, un serviteur de Lazare les accompagna avec une
lanterne, car il faisait nuit. Après avoir marché environ une demi-
heure, ils arrivèrent à une hôtellerie qui appartenait à Lazare et où
les disciples s’arrêtèrent souvent dans la suite. Il ne faut pas la
confondre avec une autre dont j’ai fait mention plus d’une fois, parce
qu’elle fut mise aussi au service des disciples, mais qui est plus
éloignée et dans une autre direction.
Quant à la salle où Jésus d’abord et ensuite Marie furent reçus par
Lazare, c’était celle où Jésus s’arrêta et enseigna avant la résurrection
de Lazare, lorsque Madeleine alla à sa rencontre {25}. Lorsqu’ils
furent arrivés à l’hôtellerie, Jésus ôta ses sandales et marcha pieds
nus. Lazare, saisi de compassion parce que le chemin était difficile et
rocailleux, le pria de n’en rien faire ; mais Jésus lui répondit d’un ton
très-grave : « Ne t’en inquiète pas ; je sais ce que j’ai à faire. »
Et ils s’avancèrent ainsi dans la solitude. Je ne pouvais
m’empêcher de pleurer de la pitié que me faisait Notre-Seigneur. Le
désert, avec ses gorges étroites au milieu des rochers, s étend à cinq
lieues dans la direction de Jéricho ; puis vient la fertile vallée de
Jéricho, longue de deux lieues, où il y a pourtant aussi par intervalles
des parties incultes. De là il y a encore deux lieues jusqu’à l’endroit
où Jean baptise. Jésus allait beaucoup plus vite que Lazare, et il était
souvent une lieue en avant.
Je vis une troupe de gens qu’il avait envoyés de la Galilée au
baptême et parmi lesquels il y avait des publicains, revenir du
baptême et se rendre à Béthanie en suivant pendant quelque temps,
dans le désert, une direction parallèle à la sienne. Je ne vis Jésus
s’arrêter nulle part. il laissa Jéricho à gauche. Il y avait encore deux
autres endroits, peu éloignés du chemin qu’il suivait, mais il passa
outre. Je ne me souviens pas bien de leurs noms.
Les amis de Lazare, Nicodème, le fils de Siméon, Jean Marc, ne
s’étaient guère entretenus avec Jésus pendant la journée d’hier, mais
ils ne cessaient de parler entre eux de l’admiration que leur inspirait
toute sa personne, sa sagesse, les qualités qui le distribuaient comme
homme et même son extérieur ; quand il n’était pas là ou qu’ils
marchaient derrière lui, ils se disaient les uns aux autres : « Quel
homme ! On n’en n’a jamais vu, on n’en verra jamais de semblable ;
quelle gravité, quelle douceur, quelle sagesse, quelle pénétration,
quelle simplicité ! Je ne comprends pas entièrement ce qu’il dit, et je
ne puis pourtant m’empêcher de le croire parce qu’il le dit.
On ne peut pas le regarder en face, il semble qu’il lit dans la
pensée de chacun. Quelle taille ! Quel port majestueux ! Quelle
promptitude sans qu’il y ait pourtant rien de précipité ! Quel homme
a des allures comme les siennes ? Avec quelle vitesse il chemine ! Il
arrive sans être fatigué et repart à son heure ! Quel homme il est
devenu ! » Puis ils parlaient de son enfance, de son enseignement
dans le temple, etc. Ils répétaient aussi ce qu’ils avaient entendu dire
des dangers qu’il avait courus sur la mer Morte, lors de son premier
voyage, et de la manière dont il avait secouru les mariniers.
Mais aucun d’eux ne soupçonnait que celui dont ils parlaient était
le fils de Dieu ; ils le trouvaient supérieur à tous les autres hommes,
ils l’honoraient et il leur inspirait une crainte respectueuse, mais il
n’était à leurs yeux qu’un homme merveilleux. Obed, de Jérusalem,
était un homme âgé, neveu de la prophétesse Anne ; il était un de
ceux qu’on appelait les anciens du temple et membre du grand
conseil ; c’était un homme pieux, disciple caché de Jésus et tant qu’il
vécut il aida la communauté.
J’ai vu beaucoup de choses touchant Suzanne ; voici ce que j’en ai
retenu : elle a été élevée par Marie dans le temple, elle est riche et
alliée par le sang à la sainte Famille : car elle est fille naturelle d’un
frère aîné de saint Joseph et d’une mère issue également d’un
commerce illégitime. Un prince persan, dont la famille était restée
établie à Jérusalem depuis la dernière conquête de la Judée, avait eu
la mère de Suzanne d’une juive qui n’était pas sa femme, et il avait
laissé à la mère et à l’enfant de grands biens qu’il possédait à
Jérusalem. Je vis en vision comment la mère de Suzanne avait fait
connaissance à un bal avec un frère aîné de saint Joseph, appelé
Cléophas.
C’était là qu’avait commencé cette malheureuse liaison qui avait
eu pour suite la naissance de Suzanne. Le frère de Joseph était riche
et vivait dans l’oisiveté. Je crois qu’il était déjà marié. Mais on ne doit
pas dire ces choses, car elles sont restées assez secrètes. Suzanne fut
élevée au temple et mariée plus tard à un homme nommé Matthias,
qui était parent de l’apôtre du même nom et qui avait un emploi
public. Suzanne avait une grande maison à l’ouest de la montagne de
Sion, à peu de distance de celle de Lazare. Entre autre. visions qui la
concernaient, j’ai vu la fête qui fut l’occasion de la chute de sa mère, à
l’exception de la danse d’Hérodiade, c’était, autant qu’il m’en
souvient, la première danse que j’eusse vue chez les Juifs.
On célébrait le jour de la fête d’un homme considérable. Je vis une
grande salle et aux deux côtés des personnes de distinction sur des
sièges élevés ; au milieu de la salle dansaient environ vingt femmes et
vingt hommes qui étaient en face les uns des autres. Il y avait
toujours deux hommes et deux femmes qui dansaient en se croisant.
Au-dessus des danseurs plusieurs flambeaux étaient suspendus au
plafond, et ces flambeaux étaient placés de manière à indiquer les
figures qu’on devait faire. Les femmes qui dansaient étaient vêtues
convenablement et leurs robes avaient de longues queues ;
cependant ces habits laissaient trop voir la forme du corps.
La danse n’était pas vive et sautillante, et les danseurs ne se
touchaient pas : on allait seulement en avant et en arrière et on
passait les uns devant les autres ; il y avait une grande variété
d’attitudes et de mouvements. On avait beaucoup d’occasions de se
regarder et de se considérer, ce qui devait donner naissance à de
mauvaises pensées. Les musiciens étaient sur une extrade à côté des
danseurs ; il y avait, je crois, de chaque côté, trois hommes ou jeunes
garçons avec des flûtes.
Je me souviens de deux instruments : d’une grande caisse
triangulaire, avec des cordes tendues aux trois côtés et d’un singulier
instrument à vent, fait d’un gros roseau creux dans lequel on soufflait
et auquel étaient ajustés plusieurs cornets de différente grandeur,
que l’on attachait ou que l’on détachait suivant les circonstances ; ils
étaient placés les uns sous les autres et tournaient autour de la tige
principale. On démontait l’instrument quand on l’apportait ou qu’on
le remportait.
Le matin les amis de Jérusalem revinrent à la ville ainsi que
Suzanne, Marie, mère de Marc, et Véronique. Marie et les saintes
femmes restées avec elle travailleront ensemble. Marie était très-
attristée de ce que Jésus lui avait dit. Elle raconta beaucoup de
choses sur la sagesse et la vertu merveilleuse de son fils quand il était
enfant. Elles visitèrent aussi des malades à Béthanie, les consolèrent
et les assistèrent. Elles doivent aller ensemble à Jérusalem.
CHAPITRE TROISIÈME.

JEAN BAPTISE.

(De la fin de mai au 26 septembre 1821.)

Son séjour dans le désert. ― Il creuse une fontaine baptismale


après une Vision. ― Il quitte le désert. ― Lieu où Jean baptise près
d’Ainon. ― Coup d’œil sur Melchisédech. ― Hérode rend visite à
Jean. ― Prêtres et magistrats près de Jean. ― On vient en foule
pour se faire baptiser par lui. ― Jean va baptiser près de Jéricho. ―
Envoyés de Jérusalem. ― Lieu où Jean enseigne, et fête qu’on y
célèbre. ― Ile du Jourdain où Jésus doit être baptise. ― Coup d’œil
sur Josué. ― Nouvelle visite d’Hérode à Jean.

(24 juin 1820.) Je vis Jean qui grandissait ; il habitait très-avant


dans le désert, et il se mortifiait de toutes les manières. Il dormait en
plein air sur le rocher nu, il courait de toutes ses forces sur des
pierres ou à travers les chardons et les ronces ; il se flagellait avec des
épines ; il travaillait jusqu’à l’épuisement à façonner des arbres et des
pierres, et restait de longues heures en prière et en contemplation. Je
vis souvent des figures lumineuses près de lui dans la solitude ; à
l’âge de dix-sept ans environ, je le vis visiter secrètement et sans être
vu la maison de ses parents. Zacharie était mort, mais Elisabeth
vivait encore.
Après cette visite, il s’enfonça beaucoup plus avant dans le désert
qu’il ne l’avait fait jusqu’alors : il s’avançait toujours dans la direction
du nord-est et se rapprochait de la contrée où je vois dans mes
visions la merveilleuse montagne des prophètes et les eaux qui en
découlent sur la terre. Il alla dans une contrée où longtemps après je
vis saint Jean l’Evangéliste se reposer et écrire sous de grands arbres.
Il y avait là des arbres très-élevés, et au-dessous de ceux-ci des
arbrisseaux avec des baies dont il mangeait. Je le vis aussi manger
d’une herbe qui a cinq feuilles rondes comme celles du trèfle et une
fleur blanche.
Il y avait des herbes semblables, quoique plus petites, près de chez
nous, sous des haies (c’est la plante appelée pied de lièvre, OXALIS) :
les feuilles avaient un goût acide. J’en mangeais souvent étant enfant
quand je gardais mon troupeau, parce que dès ce temps, j’avais vu
Jean en manger. Je le vis aussi retirer du creux des arbres et de
dessous la mousse qui couvrait la terre quelque chose de brun qu’il
mangeait et qui me semblait être du miel sauvage : on en trouvait là
fréquemment.
Je le vis, lorsqu’il fut devenu plus grand, porter autour des reins la
peau de mouton qu’il avait apportée avec lui : il n’eut pas d’autre
vêtement jusqu’à ce qu’il se fût tressé lui-même une couverture
brune à longs poils, qu’il portait attachée sur ses épaules. Il y avait
dans cette solitude des animaux avec une toison laineuse qui
l’approchaient familièrement ; et aussi des chameaux qui se
laissaient arracher par lui les longs poils qu’ils avaient autour du cou.
Je le vis en faire des tresses avec lesquelles il confectionna une
couverture qu’il avait encore sur lui lorsqu’il parut de nouveau au
milieu des hommes pour baptiser. Je le vis dans ce désert s’imposer
des pénitences et des mortifications de plus en plus rudes et
s’adonner à la prière avec une assiduité et une ferveur toujours
croissantes.
Jean, dans tout le cours de sa vie, n’a vu le Sauveur que trois fois.
La première fois, ce fut dans le désert quand la sainte Famille passa
dans son voisinage lors de la fuite en l’Egypte. Je vis à plusieurs
reprises, le spectacle incroyablement touchant de Jean conduit par
l’esprit et accourant pour saluer son maître qu’il avait déjà salué dans
le sein de sa mère. {26} Il portait sa peau de mouton jetée sur
l’épaule et rattachée autour du corps. Il sentit que son Sauveur était
près de lui et souffrait de la soif. Alors l’enfant pria et de son petit
bâton il frappa la terre d’où jaillit une source abondante. Jean courut
en avant dans la direction que l’eau allait prendre. Il s’arrêta pour
voir passer Jésus avec Marie et Joseph, puis il sauta joyeusement et
fit un signe avec son petit drapeau.
La seconde fois qu’il vit Jésus fut lors de son baptême, la troisième
fois, lorsqu’il le vit passer le long du Jourdain et rendit témoignage
de lui. J’entendis une fois le Sauveur parler à ses apôtres du grand
empire que Jean avait sur lui-même : il dit que, même du baptême, il
s’était borné à la contempler pendant la cérémonie, quoique son
cœur fut prêt à se briser a force d’amour. Plus tard il avait mieux
aimé se retirer humblement d’auprès de lui que de céder à son amour
et de chercher à se rapprocher de lui.
Jean voyait toujours le Seigneur en esprit, car il était
constamment dans l’état prophétique. Il voyait Jésus comme
l’accomplissement de sa mission, comme la raison d’être de sa
vocation prophétique.
Jésus n’était pas pour lui un contemporain, un homme vivant de la
même vie ; c’était le Rédempteur du monde, le Fils de Dieu fait
homme, l’Eternel se manifestant dans le temps. C’est pourquoi la
pensée de chercher à frayer avec lui ne pouvait pas entrer dans son
esprit. En outre, Jean ne se sentait pas lui-même vivant dans le
temps et dans le monde, ni mêlé aux choses de la terre, comme les
autres hommes. Dès le sein de sa mère, il s’était trouvé en contact
avec les choses éternelles et le Saint-Esprit avait établi entre son
Rédempteur et lui des rapports qui existaient hors du temps.
Encore enfant, il avait été enlevé au monde, et son éducation,
livrée à des influences d’un ordre supérieur, s’était faite au sein de la
nature toute imprégnée de Dieu. Il vécut séparé des hommes, au
fond des solitudes les plus reculées, ne sachant rien, si ce n’est son
Rédempteur, jusqu’à ce qu’il sortit du désert, comme ayant reçu une
nouvelle naissance et commençât sa carrière publique, toujours
austère, enthousiaste, ardent, ne craignant rien et ne s’inquiétant de
rien. La Judée est maintenant pour lui le désert ; dans la solitude, il
frayait avec les sources, les rochers, les arbres et les bêtes sauvages,
vivait et conversait avec eux ; c’est de même qu’il parle et qu’il agit
maintenant parmi les hommes et les pécheurs, sans penser à lui-
même.
Il ne voit, ne connaît que Jésus ; il ne parle que de lui. Ses discours
se bornent à dire : « Il vient préparer les voies : faites pénitence,
recevez le baptême. Voici l’agneau de Dieu qui porte les péchés du
monde ! » Dans le désert, il était pur et innocent comme un enfant
dans le ventre de sa mère, il est sorti du désert pur et candide comme
un enfant suspendu au sein de sa mère. J’entendis le Seigneur dire
aux apôtres : « Il est pur comme un ange, rien d’impur n’est entré
dans sa bouche, pas plus qu’un péché ou un mensonge n’est sorti de
sa bouche. »

(Mai 1821.) Je vis que Jean eut une révélation sur le baptême, et
que par suite de cette révélation, un peu avant de sortir du désert, il
construisit une fontaine à peu de distance des lieux habités.
Avant que Jean eut commencé à creuser cette fontaine, je le vis
devant sa grotte, au côté occidental d’un rocher escarpé. À sa gauche
était un ruisseau, peut-être une des sources du Jourdain, qui prend
naissance dans une grotte au pied du Liban, entre deux montagnes ;
on voit ce ruisseau quand on est tout auprès ; à sa droite était une
place unie, ayant le désert de tous les côtés : c’était là que devait être
la fontaine. Jean avait un genou en terre : sur l’autre, il tenait un long
rouleau d’écorce, sur lequel il écrivait avec un roseau. Un soleil
ardent brillait sur sa tête.
Il regardait le Liban, qui était au couchant par rapport à lui.
Pendant qu’il écrivait ainsi, il fut comme frappé d’immobilité : je le
vis tout absorbé et comme ravi en extase. Je vis debout devant lui un
homme qui, pendant son extase, écrivait et dessinait beaucoup de
choses sur le rouleau. Lorsque Jean revint à lui, il lut ce qui était sur
le rouleau et commença à travailler à la fontaine avec beaucoup
d’ardeur. Pendant qu’il travaillait, le rouleau était par terre,
maintenu avec deux pierres qui le tenaient étendu, et il y regardait
souvent, car tout ce qu’il avait à faire semblait y être indiqué.
À l’occasion de la fontaine et de sa situation, je vis ce qui suit de la
vie du prophète Élie. Le prophète s’était assis tout chagrin, à cause
d’une faute commise dans le désert, et il s’endormit. Alors il vit en
songe un enfant qui le poussait avec un petit bâton, et près de lui une
fontaine dans laquelle il craignait de tomber ; car je le vis, à la suite
du coup, rouler à quelque distance. Je vis ensuite un ange le réveiller
et lui donner à boire. Cela se passa au lieu même où maintenant Jean
creusait la fontaine.
Je connus la signification des diverses couches de terre à travers
lesquelles Jean creusait la fontaine et de tous les travaux qu’il fit
pour l’achever. Tout se rapportait à la dureté et à d’autres mauvaises
qualités du cœur qu’il devait vaincre chez les hommes, afin que la
grâce du Seigneur pût agir sur eux. Je fus informée alors que ce
travail qu’il faisait, ainsi que toute sa vie et toutes ses actions, était
un symbole et une figure ; en tout cela, non-seulement il était instruit
par l’Esprit-Saint de ce qu’il avait à faire, mais encore il faisait
réellement ce que signifiaient ces travaux, parce que Dieu exauçait la
bonne intention qu’il y joignait. C’était le Saint-Esprit qui le poussait
à tout cela, comme les prophètes.
Il enleva le gazon circulairement et creusa avec beaucoup de soin
et d’adresse dans le sol dur et marneux un bassin spacieux, de forme
ronde, qu’il garnit de différentes pierres, excepté au milieu, à
l’endroit le plus profond, où il avait creusé jusqu’à une petite veine
d’eau. De la terre qu’il avait rejetée il fit autour du bassin un rebord
où il y avait cinq coupures. En face de quatre de ces brèches il planta,
à égale distance autour du bassin, quatre tiges minces, dont le haut
était couvert de feuilles vertes.
Elles étaient de quatre espèces différentes et chacune signifiait
quelque chose. Au milieu du bassin, il planta un arbre d’une espèce
particulière avec des feuilles effilées et des bouquets de fleurs en
forme pyramidale avec un fruit à pointe épineuse déjà noué. Cet
arbre, un peu flétri, avait été longtemps devant sa grotte.
Les quatre tiges qui étaient alentour me semblaient être celles
d’arbustes élancés qui portaient des baies. Il en entoura le pied de
terre un peu exhaussée. Lorsqu’en creusant le bassin il fut arrivé à
l’eau, à l’endroit où ensuite l’arbre du milieu fut planté, il creusa une
rigole allant du ruisseau qui était près de sa grotte jusqu’au bassin ;
après quoi je le vis cueillir des roseaux dans le désert, les ajuster les
uns au bout des autres, conduire ainsi l’eau du ruisseau dans le
bassin et recouvrir de terre ce conduit qui pouvait être fermé.
Il avait pratiqué un sentier à travers les broussailles jusqu’à la
brèche qui se trouvait en face, dans le rebord du bassin. Ce sentier
faisait le tour du bassin entre le rebord et les quatre arbres qu’il avait
plantés en face des quatre coupures du rebord, à la coupure qui
formait l’entrée, il n’y avait pas d’arbre. De ce côté seulement la
fontaine était dégagée, des autres côtés elle n’était séparée des
broussailles et des rochers que par le sentier qui en faisait le tour. Il
planta sur les petits tertres de gazon qui étaient au pied des quatre
arbres une plante qui ne m’est pas inconnue. {27}
Je l’aimais beaucoup quand j’étais enfant, et lorsque je la trouvais,
je la plantais dans le voisinage de notre maison. Elle a une tige
grosse, assez élevée, porte des globules d’un rouge brun et elle est
très efficace contre les abcès et les maux de gorge, comme je l’ai
éprouvé aujourd’hui. Il plaça encore à l’entour des plantes de toute
espèce et de petits arbustes.
Pendant tous ces travaux, il regardait de temps en temps sur le
rouleau d’écorce étendu devant lui et prenait ses mesures avec un
bâton : car il me semblait que tout y était indiqué, même les arbres
qu’il plantait. Je me souviens d’y avoir vu figuré l’arbre du milieu ;
j’ai eu aussi la signification de tout cela, mais je l’ai oubliée.
Il travailla ainsi plusieurs semaines et ce ne fut que quand il eut
fini, qu’une petite veine d’eau commença à sourdre au fond du
bassin. L’arbre du milieu, dont les feuilles étaient flétries et
noirâtres, reverdit ; Jean prit dans un vase fait d’un grand morceau
d’écorce d’arbre et enduit de poix aux côtés, de l’eau d’une autre
source qu’il versa dans le bassin. Cette eau venait d’une source {28}
qui avait jailli du rocher près d’un de ses séjours antérieurs, lorsqu’il
avait frappé le rocher avec son petit bâton.
J’ai oublié ce qui avait pu se passer d’important à cette occasion.
J’appris aussi qu’en ce lieu où il avait séjourné antérieurement, il
n’avait pas pu creuser de fontaine, parce que là il n’y avait que le roc
pur ; et cela aussi avait sa signification. Il fit ensuite arriver du
ruisseau dans le bassin autant d’eau qu’il était nécessaire : quand il y
en avait surabondance, elle coulait par les ouvertures sur le sol
environnant et rafraîchissait les plantes.
Je vis ensuite que Jean descendit dans l’eau jusqu’à la ceinture,
saisit d’une main l’arbre du milieu et avec son bâton, qu’il avait
surmonté d’une croix et d’une banderole, frappa dans l’eau de
manière à la faire rejaillir au-dessus de sa tête. Je vis que dans ce
moment il vint sur lui d’en haut une nuée lumineuse et comme une
effusion du Saint-Esprit, et que deux anges parurent au bord du
bassin et lui dirent quelque chose. Je vis cela comme la dernière
chose qu’il fit dans le désert.
En juin 1820, entre autres fragments de la vie de Jean-Baptiste,
elle raconta la vision suivante :
Je le vis une autre fois près d’une fosse desséchée dans le désert.
C’était alors un homme robuste parvenu à l’âge viril. Il paraissait
prier et il descendit sur lui une clarté, comme une nuée lumineuse,
qui me sembla venir de la hauteur où sont les eaux sur la montagne
des prophètes ; c’était comme un courant d’eau lumineuse et
brillante qui tombait sur lui et de là dans le bassin.
Pendant qu’il regardait cette effusion, je ne je vis plus sur le bord
du bassin, mais dans le bassin même ; il était inondé de l’eau
lumineuse, et le bassin en était tout rempli ; je le vis ensuite de
nouveau se tenir sur le bord, comme au commencement. Je ne je vis
pas descendre ni remonter, et je crois que c’était peut-être une vision
qu’il eut pour lui faire connaître qu’il devait commencer à baptiser,
ou bien un baptême spirituel qu’il reçut dans la vision.
J’ai vu la fontaine dont j’ai parlé servir encore après la mort de
Jésus. Lorsque les chrétiens étaient en fuite, on baptisait là des
voyageurs et des malades ; on venait aussi y prier. À cette époque, au
temps de Pierre, la fontaine était entourée d’un mur.

(Juin 1820 et Juillet 1821.) Bientôt après l’achèvement de la


fontaine baptismale, je vis Jean sortir du désert en montant vers la
source du Jourdain et revenir parmi les hommes.
Il produisait une impression merveilleuse. Il est de grande taille,
amaigri par le jeûne et les mortifications corporelles, mais fort et
nerveux ; il y a en lui une dignité, une pureté, une simplicité
incroyable ; il va toujours droit au but et son ton est celui du
commandement. Il a le teint brun ; son visage est maigre et tire,
grave et austère ; ses cheveux sont frisés et d’un brun rougeâtre ; sa
barbe est courte.
Il a au milieu du corps un drap qui l’enveloppe et qui tombe
jusqu’aux genoux. Il porte un manteau grossier de couleur brune qui
paraît fait de trois morceaux. Il le couvre entièrement par derrière et
il est assujetti par une courroie autour de la taille. Les bras et la
poitrine sont libres et découverts. La poitrine est toute couverte de
poils, qui sont à peu près de la couleur du manteau. Il porte un bâton
recourbé comme une houlette.
Lorsqu’il sortit du désert, je le vis d’abord établir un petit pont sur
un ruisseau. Il ne pensait pas à aller chercher un passage qui se
trouvait un peu plus bas : mais il travaillait droit devant lui, dans la
direction du chemin qu’il avait à suivre. Il y avait là une ancienne
route de grande communication. Je l’ai vu près de Cidessa enseigner
les gens qui étaient autour de lui : ce furent les premiers païens qui
vinrent à son baptême. Ils vivaient là dans l’abandon et habitaient
des cabanes en terre.
C’étaient les descendants de gens de toute espèce qui s’étaient
établis là à ; ‘époque de t la dernière destruction du temple avant
Jésus. J’ai vu quelque chose touchant un des derniers prophètes, qui
leur avait dit qu’ils devaient demeurer là, jusqu’à la venue d’un
homme semblable à Jean, qui leur dirait ce qu’ils auraient à faire.
J’ai aussi vu que dans la suite ils sont allés à Nazareth.
Jean allait droit aux hommes, sans que rien le détournât, et il ne
parlait que d’une chose : de la pénitence et de l’approche du
Seigneur. Tous s’étonnaient et devenaient sérieux quand il paraissait.
Sa voix était perçante comme une épée, claire, forte, et cependant
agréable. Il traitait tous les hommes, quels qu’ils fussent comme des
enfants. Partout il allait droit son chemin : rien ne pouvait le
détourner de sa voie, il ne regardait à rien, il n’avait besoin de rien.
Je le vis ainsi parcourir les bois et les déserts, creuser ça et là,
rouler des pierres, enlever des arbres, préparer des lieux de repos,
rassembler autour de lui les hommes qui le regardaient avec
surprise, et même aller les chercher dans leurs cabanes pour les faire
travailler avec lui. Je vis que tous le regardaient avec étonnement et
admiration, qu’il ne s’arrêtait longtemps nulle part et allait sans
cesse d’un endroit à l’autre. Je le vis suivre le bord de la mer de
Galilée, descendre la vallée du Jourdain au-dessous de Tarichée ;
puis, près de Salem, aller vers Bethel par le désert, et passer devant
Jérusalem, ou il n’alla jamais, et qu’il regardait avec tristesse et en
gémissant.
Tout entier à sa mission, grave, austère, simple, inspiré, il criait
sans cesse : « Faites pénitence, préparez-vous ; le Sauveur vient ! » il
alla ensuite dans sa patrie par la vallée des bergers. Son père et sa
mère étaient morts : quelques jeunes gens, ses parents du côté de
Zacharie, furent ses premiers disciples. Lorsque Jean passa par
Bethsaïde, Capharnaüm et Nazareth, la sainte Vierge ne le vit point :
elle sortait peu de chez elle depuis la mort de saint Joseph : mais des
hommes de sa famille entendirent ses exhortations et
l’accompagnèrent quelque temps sur le chemin.
Pendant les trois mois qui précédèrent le baptême, Jean parcourut
plusieurs fois le pays, annonçant celui qui devait venir après lui. Il y
avait dans toutes ses allures une autorité, incroyable : il s’avançait
d’un pas ferme et rapide, mais sans précipitation. Ce n’était pas une
démarche calme, comme celle du Sauveur. Là où il n’avait rien à
faire, je l’ai vu courir d’un champ à un autre. Il entre dans les
maisons, il va enseigner dans les écoles et rassemble aussi le peuple
autour de lui dans les rues et sur les places. Je vis quelquefois des
prêtres et des magistrats l’arrêter et lui demander des explications,
mais bientôt, saisis d’étonnement et d’admiration, ils le laissaient
aller librement.
Je vis que l’expression « préparer les voies du Seigneur » n’était
pas une simple figure, car je le vis commencer ses fonctions en
préparant des chemins, et parcourir tous les lieux et tous les chemins
où passèrent plus tard Jésus et ses disciples. Il enlevait ça et là des
broussailles et des pierres, et pratiquait des sentiers. Il établissait des
passages sur les ruisseaux, nettoyait leur lit, creusait des réservoirs et
des fontaines, préparait des sièges, des lieux de repos, et faisait des
toits de feuillage. Je l’ai vu faire divers arrangements dans des
endroits où, par la suite, le Seigneur s’est reposé, a enseigné, a agi.
En se livrant à ces travaux, cet homme grave, simple et solitaire,
avec son vêtement grossier et son aspect austère, attirait sur lui
l’attention des gens de la campagne : il excitait l’étonnement dans les
cabanes ou il entrait, afin d’y emprunter les outils nécessaires pour
son travail, et où il prenait aussi des gens pour l’aider. Partout où il
allait, on l’entourait aussitôt, et il exhortait gravement et hardiment à
la pénitence, annonçant que le Messie venait après lui et qu’il lui
préparait les voies. Souvent je le vis montrer du doigt la contrée où
Jésus se trouvait alors.
Cependant je ne les vis jamais ensemble, quoique souvent il y eût à
peine entre eux une heure de chemin. Une fois je le vis à une petite
lieue de Jésus tout au plus : alors il cria aux auditeurs qu’il n’était pas
le Sauveur attendu, mais un pauvre pionnier ; et, montrant un point
de l’horizon : « C’est là, dit-il, que se trouve le Sauveur. »

(4 juillet 1821.) Jean baptisa en divers endroits : d’abord près


d’Ainon, dans la contrée de Salem, puis à On, vis-à-vis Bethabara,
sur la rive occidentale du Jourdain, à peu de distance de Jéricho :
c’est là que dans quelques semaines il baptisera Jésus. Le troisième
endroit était au levant du Jourdain, deux lieues plus au nord que le
premier. Enfin, en dernier lieu, il baptisa encore à Ainon, et c’est là
qu’il fut arrêté.
Le cours d’eau {29} où Jean baptise est comme un bras du
Jourdain qui fait un détour d’environ une lieue au levant du fleuve.
Ce bras est quelquefois si étroit, qu’on peut le franchir d’un saut ;
d’autres fois il est plus large. Il peut avoir changé de lit en quelques
endroits, car alors déjà je voyais bien des places sans eau. La courbe
que fait ce bras du Jourdain renferme de petits étangs et des
fontaines qui en tirent leur eau. Un de ces étangs, séparé du bras par
une chaussée, est le lieu où Jean baptise à Ainon. Il y avait sous la
chaussée des conduits par lesquels on pouvait faire arriver l’eau ou la
faire écouler. Jean avait fait divers arrangements dans cet endroit.
On avait creusé dans le rivage une petite baie dans laquelle
s’avançaient des langues de terre.
L’homme qui allait être baptisé se tenait entre deux d’entre elles,
plongé dans l’eau jusqu’à la ceinture, et s’appuyait sur une barrière
qui courait en avant de tous ces prolongements. Jean se tenait sur
l’un d’eux et versait de l’eau avec une écuelle sur la tête du néophyte ;
de l’autre côté était un homme déjà baptisé qui mettait la main sur la
tête de celui-ci. Jean avait lui-même imposé les mains au premier.
Les néophytes n’avaient pas le haut du corps entièrement nu : ils
étaient enveloppés dans une espèce de drap blanc, les épaules seules
paraissaient. Il y avait aussi là une cabane ou ils se déshabillaient et
se rhabillaient. Je n’ai pas vu baptiser de femmes ici. Jean, lorsqu’il
baptise, met une longue robe blanche.
Il y a une contrée très-agréable et très-abondante en eau, où l’on
donne le baptême : elle s’appelle Salem. Le bourg même de Salem
lui-même est situé sur les deux rives d’un bras du fleuve, tandis
qu’Ainon, au contraire, est au delà du Jourdain, plus au nord que
Salem, plus près du fleuve et plus considérable. Des troupeaux
paissent dans les environs : beaucoup d’ânes broutent dans les
prairies verdoyantes au bord des eaux. Il y a eu ici, près d’Ainon et de
Salem, une espèce de terre libre, où il existait une sorte de privilège
traditionnel, à raison duquel on ne pouvait en chasser personne.
Jean avait sa cabane à Ainon sur de vieilles substructions, sur
lesquelles s’élevait autrefois un grand édifice. Ce n’étaient plus que
des ruines où l’herbe poussait : on y avait bâti quelques cabanes.
C’étaient les fondations d’un château formé de tentes que
Melchisédech avait ici. J’ai vu différentes scènes qui se sont passées
là à une époque plus reculée : la seule chose dont je me souvienne est
Abraham eut ici une vision et érigea deux pierres : l’une où il
s’agenouillait l’autre qui était comme une espèce d’autel.
Je vis ce qui lui avait été montré : c’était une cité de Dieu comme
la Jérusalem céleste, et il en descendit des courants d’eau sous forme
de rayons. Il lui fut aussi ordonné de prier pour l’avènement de la
cité de Dieu. L’eau qui sortait de la ville se répandait de tous les
côtés. Abraham eut cette vision environ cinq ans avant que
Melchisédech bâtît ici son château de tentes.
J’ai aussi vu que Melchisédech bâtit un château près de Salem.
C’était plutôt une grande tente avec des galeries et des escaliers,
comme le château de Mensor en Arabie : seulement les fondements
étaient en pierre et très-solides. Je crois avoir vu encore, à l’époque
de Jean, les quatre angles où étaient plantés les principaux pieux. Il
en restait seulement des fondations en pierre très-solidement bâties,
lesquelles ressemblaient alors à un rempart sur lequel l’herbe a
poussé et sur lesquelles Jean avait une petite cabane de roseaux.
Ce château de tentes était un lieu où logeaient beaucoup
d’étrangers et de passants, une sorte d’hôtellerie gratuite et
magnifique au bord de ces belles eaux. Peut-être Melchisédech, que
j’ai toujours vu servir de conseiller et de guide aux peuples et aux
races qui allaient d’un lieu à l’autre, avait-il bâti ce château pour y
donner l’hospitalité ou pour y enseigner ; mais il y avait dès lors
quelque chose qui se rapportait au baptême.
Cet endroit était pour Melchisédech comme un point central d’où
il se rendait soit à Jérusalem où il bâtissait, soit auprès d’Abraham,
soit ailleurs : il y réunissait des familles et des individus auxquels il
assignait des résidences et qui s’établissaient dans un endroit ou
dans un autre. Ceci se passait avant l’oblation du pain et du vin qui
eut lieu, je crois, dans une vallée au midi de Jérusalem. Il bâtit cet
édifice avant de bâtir à Jérusalem. J’ai vu aussi sur la montagne du
Calvaire quelque chose touchant le baptême d’eau et le baptême de
sang : mais je l’ai oublié ainsi que les diverses significations qui s’y
rattachaient.
Melchisédech avait l’apparence d’un jeune homme d’environ
vingt-cinq ans. Je le vis à différentes époques, mais jamais plus
vieux. Son extérieur tenait moins de l’homme que celui de Jésus. Il
n’avait jamais la tête couverte : sa chevelure blonde était passée
derrière ses oreilles. Je le vis souvent absent, et alors il me semblait
être ailleurs que sur la terre, par exemple dans le paradis ou en
quelque autre endroit habité par de purs esprits. Souvent je le vis
aller seul, souvent avec des gens et des bêtes de somme. Je ne vis
jamais près de lui des personnages de sa sorte, parents ou prêtres. Là
où il agissait et bâtissait, il semblait poser la pierre fondamentale
d’une grâce future, attirer l’attention sur un lieu, commencer quelque
chose qui était destiné à un grand avenir. Je n’ai jamais beaucoup
réfléchi là-dessus : je prends les choses comme elles se présentent.
Une autre fois, Anne-Catherine dit de Melchisédech : Il était
comme préposé à un grand nombre d’anges. Je l’ai déjà vu
antérieurement paraître en divers endroits de la Terre-Promise,
lorsqu’elle était encore tout à fait déserte, longtemps avant le temps
de Sémiramis et d’Abraham ; il semblait disposer le pays d’avance,
désigner et préparer certains lieux : ainsi je crois qu’il a ouvert la
source du Jourdain. J’ai ne souvent une vision où je voyais un
homme absolument seul dans un pays et je ne pouvais m’empêcher
de me dire : « Que fait donc cet homme ici à une époque si reculée,
quand il ne s’y trouve encore personne ? »
C’est ainsi que le je vis percer une montagne pour en faire sortir
une fontaine : c’était la source du Jourdain. Il avait pour percer un
long et bel instrument qui entra comme un rayon dans la montagne.
Je le vis ainsi ouvrir des sources en divers lieux de la terre. Dans les
premiers temps du monde, avant le déluge, je ne voyais pas les
rivières jaillir et couler comme aujourd’hui ; mais je voyais une très-
grande quantité d’eau descendre d’une montagne située à l’orient.
J’ai toujours vu Melchisédech seul, excepté lorsqu’il était occupe à
réconcilier à séparer ou à ruiner des familles et des races de peuples.
Jacob aussi avait résidé longtemps près d’Ainon avec ses
troupeaux. La citerne de la fontaine baptismale existait déjà alors et
je vis Jacob la réparer. Les restes du château de Melchisédech étaient
au bord de l’eau, près du lieu où l’on baptisait ; dans les premiers
temps du Christianisme, je vis une église s’élever à l’endroit où Jean
avait baptisé. J’ai vu cette église subsister encore lorsque sainte
Marie Egyptienne passa par là pour aller dans le désert. Salem était
une belle ville, mais elle avait été dévastée pendant une guerre, lors
de la destruction du temple antérieure à Jésus, si je ne me trompe.
Le dernier des prophètes avait aussi séjourné ici.

(26-28 juin.) Il y avait environ deux semaines que Jean était


devenu célèbre par sa prédication et son baptême, lorsque je vis des
messagers d’Hérode venir à lui de Callirhoë. Hérode habitait là un
château au levant de la mer Morte dans un lieu où il y a beaucoup de
bains et de sources d’eaux chaudes. Hérode voulait que Jean vînt le
visiter : mais Jean répondit à ses envoyés qu’il avait beaucoup à faire
et que si Hérode voulait lui parler, il n’avait qu’à venir lui-même le
trouver.
Après cela, je vis Hérode sur un chariot à roues basses, surmonté
d’un siège élevé d’où il pouvait tout voir de loin comme du haut d’un
trône ; il était entouré de soldats et il allait à une petite ville, située à
environ cinq lieues au midi d’Ainon, d’où il fit inviter Jean à venir.
Jean se rendit devant cet endroit et il entra dans une cabane qui
servait aux étrangers, où Hérode vint le trouver sans être
accompagné de personne.
Ils eurent un court entretien, dont je me rappelle seulement
qu’Hérode lui demanda pourquoi il logeait à Ainon dans une si
misérable cabane, ajoutant qu’il voulait lui faire bâtir une maison ; à
quoi Jean répondit qu’il n’avait pas besoin de maison, qu’il avait ce
qu’il lui fallait et qu’il faisait la volonté d’un plus grand que lui. Il
parla avec gravité et sévérité et s’en retourna. Il se tint toujours à une
certaine distance d’Hérode et lui parla peu sans le regarder.

(30 juin.) J’ai vu que les fils d’Alphée et de Marie de Cléophas,


Simon, Jacques le Mineur et Thaddée, et le fils de son second
mariage avec Sabas, José Barsabas, se sont fait baptiser par Jean à
Ainon. André et Philippe aussi sont déjà venus le voir. André a été
baptisé par lui, Philippe aussi, à ce que je crois. Ils sont ensuite
retournés à leurs affaires. Jean-Baptiste a déjà une vingtaine de
disciples.

(4 juillet.) La plupart des apôtres et plusieurs disciples ont déjà


reçu le baptême : Nathanaël pas encore, non plus qu’un autre dont le
nom ne me revient pas. Ici, on demanda si elle ne se rappelait rien du
baptême de Marie : elle répondit que non, qu’elle n’en avait pas de
souvenir distinct ; qu’elle avait une idée confuse que Marie avait été
baptisée seule à la piscine de Bethesda {30} par l’apôtre saint Jean
après l’Ascension du Sauveur : que toutefois elle n’en était pas sûre.
Quant aux autres femmes, elles furent toutes baptisées alors dans la
piscine de Bethesda : elle s’en souvenait parfaitement.
(4 juillet) Aujourd’hui, je vis plusieurs magistrats et prêtres venir
vers Jean des endroits environnants et de Jérusalem : ils lui
demandèrent qui il était, qui l’avait envoyé, ce qu’il enseignait et
ainsi de suite : je le vis répondre avec une sévérité et une hardiesse
extraordinaires, annoncer la venue prochaine du Messie, et les
accuser d’endurcissement et d’hypocrisie. Ce ne fut portant pas
encore cette fois qu’il employa l’expression de « race de vipères ».

(7-11 juillet.) Je vis de trois endroits, Nazareth, Jérusalem et


Hébron, envoyer vers Jean des troupes entières de magistrats et de
pharisiens, chargés de l’interroger au sujet de sa mission il y avait en
outre un grief contre lui, c’était d’avoir occupé de sa propre autorité
le lieu où il baptisait. Beaucoup de publicains aussi étaient allés le
trouver : il les avait baptisés et il avait fortement remué leur
conscience. De ce nombre était le publicain Lévi, appelé plus tard
Matthieu, fils d’un premier mariage d’Alphée, l’époux de Marie de
Cléophas.
Il fut très-touché et changea de vie. On le méprisait dans sa
famille. Je vis Jean adresser à ces gens des avertissements sévères,
en renvoyer beaucoup et en baptiser aussi beaucoup.
Je vis aussi ces jours-là les fils de trois veuves qui étaient
apparentées entre-elles et avec la sainte Famille par naissance et par
mariage, venir au baptême de Jean. Par la suite, après le temps de
Jésus, on reprocha a leurs descendants de se vanter à tort de cette
parenté ; elle était pourtant réelle.
Elle parle de toutes ces personnes comme si elle les connaissait
mieux que ses propres parents encore vivants. Ces trois veuves, dit-
elle, vivaient d’abord à Nazareth et dans la contrée du Thabor ; et
elles quittèrent ce pays, soit au temps de la jeunesse de Jésus,
lorsque leurs fils se firent pécheurs, soit plus tard pour aller avec
Marie à Capharnaüm : car je vis l’une d’elles bien affligée et pleurant
beaucoup, parce que son fils, âgé de cinq ans, qui s’appelait le petit
Simon, était mort. Elles furent du nombre des premières personnes
qui s’attachèrent au Seigneur et furent toujours amies de la sainte
Vierge. Elles étaient très-bonnes et très-pieuses. Combien elles
s’aimaient entre elles et de quel cœur elles s’assistaient
mutuellement !
Ces trois veuves étaient des cousines germaines de la mère
d’Elisabeth. Elles étaient parentes de la première femme d’Alphée : je
ne sais pas si c’était par elles-mêmes ou par leurs maris. Deux de ces
veuves étaient sœurs. L’une d’elles était la mère du fiancé de Cana,
Nathanaël, lequel, devenu disciple, porta un nom qui ressemble à
Amandor et auquel Jésus enfant, revenu de Jérusalem où il avait
enseigné dans le Temple, prédit quelque chose, lors d’une fête qui eut
lieu chez sainte Anne il lui dit aussi qu’il assisterait à son mariage
(une de ces veuves est ailleurs appelée Séba et son fils Colaya, l’un
des disciples : une seconde Léa ; une fois elle donna au fils de l’une
d’elles le nom d’Eustache. Toutefois, les noms sont fréquemment
changés).
Elles avaient plusieurs fils : trois, je crois, qui furent les
compagnons d’enfance de Jésus et se firent pêcheurs : ils devinrent
aussi disciples.

(4-19 juillet.) À Dothaïm, où Jésus avait calmé les possédés


furieux, des païens et des juifs vivaient mêlés ensemble depuis le
temps de la captivité de Babylone. Les païens avaient leurs idoles et
un autel pour les sacrifices sur une colline dans le voisinage.
Maintenant les juifs, excités par tout ce qui se disait de la venue
prochaine du Messie, lequel devait venir de Galilée, ne voulaient plus
tolérer les païens dans leur voisinage. Ce bruit avait été répandu là à
la suite d’un voyage de Jean dans ce pays, et il avait été propagé par
ceux qu’il avait baptisés. Un prince voisin, résidant à Sidon, avait
envoyé des soldats pour protéger les idolâtres et Hérode en envoya
aussi pour contenir le peuple.
Ces soldats étaient des gens de toute espèce. Je vis qu’étant à
Callirhoë, près d’Hérode, ils lui dirent qu’ils voulaient d’abord se
faire baptiser par Jean. Ce n’était guère qu’un calcul de leur part, ils
voulaient par là obtenir plus de considération parmi le peuple.
Hérode leur répondit qu’il n’était pas précisément nécessaire de se
faire baptiser par Jean, et que comme il ne faisait pas de miracles, il
n’y avait pas lieu de lui reconnaître une mission. Il ajouta que du
reste ils pouvaient prendre des informations à Jérusalem. Je les vis
ensuite à Jérusalem. Ils s’adressèrent à trois autorités différentes
pour se renseigner, et je vis par là qu’il y avait trois sectes différentes.
Cela se passa dans la cour du tribunal où Pierre renia le Seigneur.
Plusieurs personnages siégeaient là pour juger, et il s’y trouvait
beaucoup de monde. Les prêtres leur dirent d’un ton moqueur qu’ils
pouvaient faire comme ils l’entendraient, que cela était tout à fait
indifférent. Je vis ensuite une trentaine de ces soldats près de Jean :
il les réprimanda sévèrement, comme s’ils eussent été incorrigibles.
C’est pourquoi Jean après leur avoir vivement reproché leur
hypocrisie, n’en baptisa qu’un petit nombre dans lesquels il vit
quelques bonnes dispositions.
Il y a une grande affluence de peuple à Ainon. Pendant plusieurs
jours, Jean ne baptisa pas, mais il prêcha avec beaucoup de force et
de vivacité. De nombreuses troupes de juifs, de samaritains et de
païens se tenaient séparées les unes des autres sur les collines et sur
les chaussées, les uns à l’ombre, les autres en plein air, autour de
l’endroit où Jean enseignait, et ils l’écoutaient. Ils étaient autour de
lui par centaines ; ils venaient pour l’entendre prêcher et recevoir le
baptême, après quoi ils se retiraient. Une fois entre autres je vis
plusieurs païens et d’autres personnes qui étaient venues de l’Arabie
et de pays encore plus à l’orient. Ils conduisent avec eux des ânes et
des moutons de grande taille. Ils ont des parents dans le pays. Ils
sont venus ici ou passent par ici, et ils sont allés voir Jean.
Il y eut une longue délibération au sujet de Jean, dans le grand
conseil de Jérusalem. Neuf hommes furent députés près de lui par
trois autorités différentes. Anne envoya Joseph d’Arimathie, le fils
aîné de Siméon et un prêtre qui était chargé de l’inspection des
victimes offertes en sacrifice. On envoya aussi trois membres du
conseil et trois simples particuliers. Ils devaient demander à Jean qui
il était et l’inviter à se rendre à Jérusalem. Si sa mission était
légitime, disait-on, il aurait dû d’abord se présenter au temple. Ils
trouvaient à redire à l’étrangeté de son costume, et aussi à ce qu’il
baptisait des Juifs, tandis qu’ordinairement on ne baptisait que les
païens. Quelques uns croyaient que c’était Elie revenu de l’autre
monde.
André et Jean l’évangéliste sont près de Jean Baptiste. La plupart
des futurs apôtres et beaucoup de disciples ont été maintenant le
trouver, excepté Pierre, qui a été baptisé précédemment, et le traître
Judas, qui toutefois est allé déjà chez les pêcheurs des environs de
Bethsaïde, et s’est enquis de Jésus et de Jean.
Lorsque les envoyés de Jérusalem arrivèrent près de Jean, il avait
cessé de baptiser pendant trois jours, mais il venait de s’y remettre
de nouveau. Les envoyés voulaient qu’il leur donnât audience : mais
il leur dit d’attendre qu’il eût fini. Il leur répondit vertement et en
peu de mots. Ils lui représentèrent qu’il agissait de son autorité
privée ; qu’il devait se présenter à Jérusalem et s’habiller d’une
manière plus convenable. Lorsqu’ils se furent retirés, Joseph
d’Arimathie et le fils de Simon restèrent près de Jean et se firent
baptiser par lui. Il se trouvait là bien des gens qu’il ne voulait pas
baptiser ; ceux-là allèrent trouver les envoyés et l’accusèrent de
partialité.
Les futurs apôtres reviennent dans leur pays, parlent beaucoup de
Jean et font plus d’attention à Jésus. Ils soupçonnent que c’est à lui
que la prédication de Jean fait allusion. Joseph d’Arimathie,
revenant à Jérusalem, rencontra Obed, cousin de Véronique, qui
était attaché au service du temple. Il répondit à ses questions en lui
racontant beaucoup de choses touchant Jean. Obed alla aussi se faire
baptiser par Jean. Comme il était employé au temple, il resta parmi
les disciples cachés de Jésus, lorsque plus tard, il vint à lui.
Le 19 juillet, par une grande chaleur qui la fatiguait beaucoup, la
narratrice se mit à rire d’une façon qui ne lui était pas ordinaire, et,
comme on la questionnait, elle répondit : « J’ai vu Jean passer le
Jourdain pour aller baptiser des malades. Je pensais qu’il devait
avoir aussi chaud que moi. Il n’avait que son drap jeté autour du
corps et son manteau sur les épaules. Il portait, suspendue d’un côté,
une outre pleine d’eau pour le baptême, et, de l’autre, l’écuelle avec
laquelle il y puisait. Beaucoup de malades ont été portés au bord du
Jourdain, en face du lieu où Jean baptise, sur des litières et sur des
espèces de brouettes.
Ils n’étaient pas en état de passer l’eau sur le radeau, et ils l’ont fait
prier de venir. Il vint avec deux disciples. Il prépara une belle fosse
séparée du Jourdain par une chaussée en terre. Il fit ce travail lui-
même, car il avait toujours une bêche avec lui. Il fit entrer l’eau par
une rigole qu’il pouvait fermer, et il y ajouta l’eau baptismale qui
était dans son outre. Il instruisit les malades et les baptisa ensuite :
on les plaçait au bord de la fontaine, et il versait de l’eau sur eux. Je
le vois, après avoir baptisé les malades, revenir à Ainon sur la rive
orientale du Jourdain.
Une fois, pendant qu’il dormait couché dans sa cabane, je vis un
ange venir à lui et lui dire qu’il devait aller de l’autre côté du
Jourdain, près de Jéricho, parce que celui qui devait venir était
proche, et qu’il devait le faire connaître.
Je vis ensuite Jean et ses disciples, à l’endroit où il baptisait, près
d’Ainon, défaire les cabanes de toile et descendre à quelques lieues
plus bas sur la rive orientale du Jourdain, après avoir traversé une
bourgade, ils passèrent le Jourdain et remontèrent un peu le long de
la rive occidentale.
Il y avait là des endroits où l’on se baignait, des fosses dont les
parois étaient blanches et comme recouvertes de maçonnerie, avec
un canal qu’on ouvrait et qu’on fermait à volonté, communiquant
avec le Jourdain qui, en cet endroit n’avait pas d’îles.
Il m’a été montré qu’à cette époque les hommes étaient disposés
comme ils le sont à présent.

(Du 25 juillet au 14 août.) Le 25 juillet dans l’après-midi, la


narratrice, tout en sommeillant, dit d’une façon toute naïve, dans son
patois : « Maintenant, je vais trouver Jean, l’homme qui est près du
Jourdain : il fait meilleur là qu’ici. » Plus tard, elle dit ce qui suit :
« L’endroit où l’on baptise est près du Jourdain, entre Jéricho et
Bethagla. Jean annonce l’approche du Messie. Il y a là une centaine
d’hommes, des disciples et plusieurs païens. Les uns travaillent à
disposer le lieu et les cabanes, les autres écoutent ce que dit Jean de
la venue prochaine du Messie. »
« On comprend mal les choses quand on croit qu’il baptisa près de
Bethabara {31} qui est de l’autre côté du Jourdain ; ce qui est dit,
« qu’il baptisa près de Bethabara au delà du Jourdain, » équivaut à
ceci : en face de Bethabara, en remontant le fleuve, à deux lieues
environs de Jéricho et de Bethagla. » Cette seconde place consacrée
au baptême est sur la rive occidentale du Jourdain et Bethabara est
un peu plus bas, sur la rive orientale.
Il y a environ cinq milles d’Allemagne (dix lieues) d’ici à
Jérusalem. Le chemin direct y conduit par Béthanie, à travers un
désert. On passe devant une hôtellerie qui se trouve un peu en
dehors de la route. Il y a ici un très-joli pays entre Jéricho et
Bethagla. L’eau du Jourdain est belle ; elle est très-claire quand on la
laisse reposer. Dans plusieurs endroits, elle a même une odeur
agréable, parce qu’il y a une quantité de boissons fleuris sur le bord
et que les fleurs tombent dans l’eau.
Parfois le fleuve est si bas et si exigu qu’il est à peine visible. Je
vois près des bords des trous profonds creusés dans les rochers.
J’aime tant à être dans la Terre-Promise, mais je ne sais jamais dans
quelle saison on est. Quand nous sommes ici en hiver. Là tout est
déjà en fleurs ; et, quand nous sommes en été, la seconde moisson
fleurit déjà. Il y a aussi une saison où le ciel est très-nébuleux et où il
pleut beaucoup. Il y a dans le pays des montagnes au haut desquelles
il fait très-froid, et, quand on se tourne d’un autre côte, tout est vert
et plein de soleil.
La montagne où Jésus jeûna n’est qu’à quatre lieues de la
première grotte de Jean. Cette montagne est très-sauvage et très-
élevée, et il y a dans les rochers des trous si profonds, que j’ai
toujours peur d’y regarder. Le second désert où Jean séjourna, a huit
lieues de tour. Lorsqu’il creusa la fontaine, il embellit aussi sa grotte ;
elle était très spacieuse. (Elle faisait souvent de ces observations
naïves).
J’ai vu encore apporter toute sorte de choses de l’endroit où l’on
baptisait, près d’Ainon ; on arrange tout pour le mieux. On portait
aussi des malades sur des lits.
Plusieurs événements de l’Ancien Testament ont eu lieu dans cet
endroit. C’est ici qu’Elie a divisé les eaux du fleuve avec son manteau,
et qu’il l’a traversé avec Elisée, lequel a fait la même chose à son
retour. Elisée s’est aussi reposé ici. C’est encore ici que les enfants
d’Israël ont passé le fleuve.
On envoie à Jean, de Jérusalem, des gens du temple, des
pharisiens et des sadducéens ; car il est maintenant en deçà du
Jourdain et quelques lieues plus près de Jérusalem qu’auparavant. Il
a appris leur arrivée par l’ange et il rendra témoignage de Jésus. Vers
le soir, déjà, six députés de Jérusalem sont venus au Jourdain. Ils
avaient envoyé un courrier devant eux, et fait dire à Jean de se
rendre auprès d’eux à un endroit du voisinage. Jean ne s’inquiéta pas
d’eux, et continua à baptiser et à enseigner.
Il leur fit répondre par leur courrier que s’ils voulaient lui parler,
ils pouvaient venir le trouver. Ils vinrent donc eux-mêmes, mais Jean
ne s’aboucha pas avec eux ; il continua à baptiser et à prêcher : ils
entendirent sa prédication et se retirèrent. Quand il eut fini, il leur
donna rendez-vous sous un hangar ou sous une tente que les
disciples avaient dressée.
Jean s’y rendit accompagné de ses disciples et de plusieurs autres
personnes, et ils lui adressèrent différentes questions, lui demandant
s’il était ceci ou cela. Je le vis toujours faire des réponses négatives.
Ils demandèrent aussi qui était cet homme dont on parlait. Il existait,
disaient-ils, d’anciennes prophéties, et maintenant le bruit courait
parmi le peuple que le Messie était venu. Jean répondit qu’il s’était
levé parmi eux quelqu’un qu’ils ne connaissaient pas ; que pour lui, il
ne l’avait jamais vu, mais qu’avant sa naissance, il lui avait
commandé de préparer ses voies et de le baptiser.
Ils n’avaient qu’à venir à un moment qu’il indiqua (dans trois
semaines, je crois) : alors celui dont il parlait serait ici pour recevoir
le baptême. Il parla encore avec beaucoup de sévérité, et leur dit
qu’ils n’étaient pas venus pour se faire baptiser, mais pour espionner.
Ils lui répondirent qu’ils savaient maintenant qui il était, qu’il
baptisait sans mission, qu’il n’était qu’un hypocrite en habits
grossiers, etc, etc. Après quoi ils se retirèrent.
Bientôt après il vint encore des envoyés du grand conseil de
Jérusalem, cette fois au nombre de vingt. Ils étaient de toute
profession ; il y avait parmi eux des prêtres avec des bonnets, de
larges ceintures et de longues bandes suspendues au bras, à
l’extrémité desquelles il y avait comme de la fourrure. Ils lui dirent
avec beaucoup d’insistance qu’ils étaient députés par le grand conseil
tout entier ; qu’il devait comparaître devant lui pour s’expliquer sur
sa vocation et sa mission. S’il n’obéissait pas au grand conseil,
disaient-ils, c’était une marque qu’il n’avait pas de mission…
J’entendis Jean leur dire nettement qu’ils n’avaient qu’à attendre,
que celui qui l’avait envoyé viendrait bientôt à lui. Il désigna Jésus
clairement, disant qu’il était né à Bethléem, qu’il avait été élevé à
Nazareth, qu’il s’était enfui en Egypte, etc. Il ne l’avait jamais vu,
ajoutait-il. Ils lui reprochèrent d’être d’intelligence avec lui, de
communiquer avec lui par des messagers. Jean répondit qu’il ne
pouvait pas montrer à leurs yeux aveuglés les messagers qu’ils
s’envoyaient réciproquement ; que ces messagers n’étaient pas
visibles pour eux. Je vis les envoyés le quitter très mécontents.
Il vient de tous les côtés de nombreuses troupes d’hommes, païens
et juifs. Hérode aussi envoie souvent des émissaires pour écouter
Jean et lui rapporter ensuite ce qu’il a dit. Maintenant tout est
beaucoup mieux arrangé à l’endroit où se donne le baptême. Jean et
ses disciples ont dressé une grande tente où les malades et les gens
fatigués sont réconfortés, et où l’on fait aussi des instructions. Ils
chantent des cantiques : je les ai entendus chanter un psaume sur le
passage des enfants d’Israël à travers la mer Rouge.
Il se forme là successivement comme une petite ville de cabanes et
de tentes. Elles sont couvertes en partie avec des peaux, en partie
avec des joncs. Il y a là un grand passage d’étrangers venant de
l’extrémité du pays où habitent les trois rois. Ils ont beaucoup de
chameaux et d’ânes, et de beaux chevaux fringants. C’est toujours
dans cet équipage qu’ils vont en Egypte. Ils ont tous établi leur camp
autour du lieu où Jean baptise, ils écoutent ses prédications et
reçoivent le baptême. D’ici ils se rendent en troupes à Bethléem. Non
loin de la grotte de la crèche, en face de la plaine des Bergers, se
trouvait un puits portant le nom d’Abraham.
Ce patriarche avait demeuré avec Sara dans cette contrée. Etant
malade, il avait éprouvé un violent désir d’avoir de l’eau de ce puits,
et quand on lui en apporta dans une outre, il surmonta son désir
pour honorer Dieu, s’abstint de boire, et fut récompensé par une
guérison instantanée. Ce puits dut sa naissance à un miracle, mais je
l’ai oublié. Il était difficile d’y puiser de l’eau, à cause de sa grande
profondeur. Il y a un grand arbre à côté, et près de là est la grotte où
est enterrée Maraha, nourrice d’Abraham, qui était très-âgée, et qu’il
conduisait avec lui sur un chameau. C’est un lieu de pèlerinage pour
les juifs pieux, de même que le mont Carmel et le mont Horeb. Les
trois rois aussi sont venus prier là.
Il n’y avait pas encore beaucoup de Galiléens près de Jean, excepté
ceux qui devinrent plus tard disciples de Jésus. Il vient plus de
monde du pays d’Hébron : il y a aussi beaucoup de païens. C’est pour
cela que Jésus, dans ses courses à travers la Galilée, exhorte si
vivement ses auditeurs à aller au baptême de Jean.

(28-30 août.) À une petite lieue de distance de l’endroit où Jean


avait coutume de baptiser, se trouvait celui où il enseignait. C’était
un lieu sacré pour les Juifs à cause des souvenirs qui s’y rattachaient.
Il était entouré de murs comme un jardin. Dans l’intérieur étaient
des cabanes couvertes de jonc, appuyées aux murs ; au milieu se
trouvait une pierre de forme oblongue terminée par des pans coupés
à l’une de ses extrémités.
Elle était à la place où les Israélites, après avoir passé le Jourdain,
avaient déposé pour la première fois l’arche d’alliance et avaient
célébré une fête d’actions de grâces. Au-dessus de cette pierre Jean
avait dressé pour sa prédication une grande tente soutenue par du
clayonnage et couverte de roseaux. Sa chaire à prêcher était appuyée
à la pierre. Il enseignait là devant tous ses disciples lorsqu’Hérode
arriva, mais il ne se dérangea pas pour lui.
Hérode était à Jérusalem avec la femme de son frère qui l’y avait
rejoint en compagnie de sa fille Salomé, âgée d’environ seize ans. Il
désirait l’épouser et il avait demandé inutilement au sanhédrin de
déclarer que ce mariage était licite : ce qui l’avait mis en lutte avec le
sanhédrin. Il craignait la voix publique et voulait apaiser le peuple
par une décision de Jean le prophète. Il s’imaginait que Jean, pour
gagner ses bonnes grâces, se prononcerait en sa faveur.
Je vis Hérode avec Salomé, la fille d’Hérodiade, les femmes de
celle-ci et une suite d’environ trente personnes se diriger en grand
cortège vers le Jourdain. Il était assis sur un char ainsi que les
femmes. Il avait envoyé un messager à Jean. Mais celui-ci ne voulait
pas qu’il vint à l’endroit où il baptisait, jugeant qu’un tel homme avec
sa troupe de femmes et ses suivants, profanerait la sainte cérémonie.
Il discontinua donc le baptême, se rendit avec ses disciples au lieu où
il enseignait et y parla en termes très sévères de l’affaire sur laquelle
Hérode voulait avoir son avis. Il dit qu’il lui fallait attendre celui qui
devait venir après lui, qu’il ne baptiserait plus longtemps ici, qu’il
devait faire place à celui dont il était le précurseur.
Il parla contre Hérode de telle façon que celui-ci vit bien que ses
intentions lui étaient connues. Hérode lui fit remettre un gros
rouleau qui contenait l’exposé de son affaire. On le déposa devant
Jean, car il ne voulait pas souiller en le touchant sa main consacrée à
baptiser. Sur quoi je vis Hérode se retirer fort mécontent avec sa
suite. Il résidait encore alors aux bains de Callirhoë, à quelques lieues
de l’endroit où Jean baptisait. Il avait laissé des gens de sa suite avec
le rouleau d’écritures, pour engager Jean à en prendre connaissance,
mais ce fut inutilement. Jean revint au lieu du baptême. Les femmes
étaient magnifiquement habillées, mais assez décemment. Madeleine
avait quelque chose de plus original dans ses ajustements.
Il y a maintenant une fête de trois jours, près de la pierre de
l’arche d’alliance, où est la tente de Jean. Je ne sais plus bien si c’est
en mémoire du passage du Jourdain par les Israélites ou si c’est à
quelque autre occasion. Les disciples de Jean ornent le lieu de la fête
avec des arbres, des guirlandes de feuillage et des fleurs. Pierre,
André, Philippe, Jacques le Mineur, Simon et Thaddée se trouvent là
ainsi que plusieurs autres futurs disciples de Jésus. Ce lieu n’avait
pas cessé d’être un lieu sanctifié aux yeux des Juifs pieux, toutefois
on l’avait un peu oublié et négligé. Jean l’avait remis de nouveau en
honneur.
Je vis le précurseur et quelques-uns de ses disciples revêtus
d’habits sacerdotaux. Jean portait sur un habit de dessous de couleur
grise, un vêtement blanc, long et large, attaché autour du corps par
une espèce d’écharpe, marquetée de jaune et de blanc : il y avait des
franges à l’extrémité. Sur les deux épaules étaient fixées comme deux
pierres précieuses longues et recourbées sur chacune desquelles
étaient les noms de six tribus d’Israël. Sur sa poitrine était un
pectoral carré, jaune et blanc, maintenu aux quatre angles par des
chaînettes d’or et où étaient incrustées douze pierres précieuses de
différentes couleurs sur lesquelles étaient gravés les noms des douze
tribus.
Sur ses épaules était jetée une espèce d’étole, marquetée de jaune
et de blanc, avec des franges aux extrémités. Au bas de la robe
pendaient des boutons de soie jaune et blanche. Sa tête était
découverte, mais il avait sous ses vêtements autour du cou une pièce
d’étoffe légère qu’il pouvait ramener sur sa tête comme un capuchon
et qui alors descendait en pointe sur le front.
Devant la pierre de l’arche d’alliance était un petit autel, pas tout à
fait carré, creusé au milieu et recouvert d’un grillage. Au-dessous
était un trou destiné à recevoir les cendres et aux quatre coins des
tuyaux creux recourbés en forme de cornes. Plusieurs disciples
étaient là avec des vêtements blancs et de larges ceintures, habillés
comme les apôtres dans leurs premières réunions pour la célébration
du culte divin. Il y avait une espèce de sacrifice auquel ils prenaient
part comme servants. On encensait et Jean brûlait sur l’autel de
l’encens qui était portatif, des herbes et des aromates de diverses
espèces, et, aussi, je crois, des épis de blé. Tout était orné de
guirlandes de fleurs et de feuillage. Il y avait là une multitude
d’aspirants au baptême.
Les habits sacerdotaux et les ornements que portait Jean Baptiste
avaient été préparés à l’endroit où il baptisait actuellement. Il y avait
là des femmes qui vivaient à part au bord du Jourdain : on ne leur
donnait pas le baptême, mais elles confectionnaient toute sorte
d’objets et de vêtements de cérémonie pour le précurseur. (La
narratrice explique dans deux récits postérieurs d’où venaient les
pierres précieuses.)
En tout Jean semblait inaugurer une nouvelle Eglise. Il ne faisait
plus ici de ces travaux manuels auxquels il se livrait auparavant et
pour baptiser il mettait une longue robe blanche. Il n’y eut que le lieu
où fut baptisé Jésus, qu’il prépara encore de ses propres mains avec
l’aide de ses disciples.
Je vis Jean prêcher longtemps et avec beaucoup de feu au lieu où
l’on célébrait la fête. Il se tenait au haut de sa tente revêtu de ses
ornements sacerdotaux. Cette tente était construite avec des galeries
à l’entour comme les tentes des rois en Arabie. Tout autour, au pied
des murs dont ce lieu était entouré, on avait disposé des sièges en
amphithéâtre pour les auditeurs dont le nombre était immense. Il
parla du Sauveur qui l’avait envoyé et qu’il n’avait jamais vu, et du
passage à travers le Jourdain. Il y eut encore dans la tente une
offrande d’encens et on y brûla des herbes.
Je vois qu’on avait annoncé depuis Maspha jusque dans la Galilée,
que Jean ferait aujourd’hui une grande instruction et il était venu
une grande quantité de monde. Les esséniens étaient presque tous
présents. La plupart des assistants avaient de longs vêtements
blancs. Je vis arriver des hommes et des femmes. Ces femmes étaient
assises sur des ânes que les hommes conduisaient, entre des paniers
où étaient des colombes. Les hommes présentaient des pains comme
offrandes et les femmes des colombes. Jean se tenait derrière une
grille et recevait les pains : on enlevait la farine qui s’y était attachée
au-dessus d’une longue table à claire voie et on les empilait sur des
plats : après quoi Jean les bénissait et les élevait comme pour
l’oblation.
Ces pains étaient ensuite coupés en morceaux pour être distribués
et les gens qui venaient de plus loin en recevaient davantage comme
en ayant plus besoin. La farine enlevée de dessus les pains et ce qui
tombait quand on les coupait allait se rendre dans une boîte placée
sous la table à claire voie : tout cela était brûlé sur l’autel. On
distribua aussi les colombes que les femmes avaient apportées. Cela
dura bien une demi-journée. Toute la fête, le sabbat compris, avait
duré trois jours. Je vis après cela Jean reprendre ses occupations
dans l’endroit où il baptisait.

(23 et 24 août.) Je vis aujourd’hui Jean faire près du Jourdain


{32} à ses disciples une instruction sur l’approche du moment où le
Messie recevrait le baptême. Il dit encore qu’il ne l’avait jamais vu,
etc. Il ajouta : « En témoignage de ce que je dis, je vais vous faire voir
la place où il sera baptisé. Voici que les eaux du Jourdain vont se
diviser et qu’il va se former une île. » Au même instant je vis les eaux
du fleuve se diviser et une petite île blanche de forme ovale paraître à
la surface de l’eau, sans en dépasser le niveau. C’est là la place où les
Israélites traversèrent le Jourdain avec l’arche d’alliance : c’est aussi
là qu’Elie divisa les eaux du fleuve avec son manteau.
Je vis une grande émotion parmi les assistants : ils prièrent et
entonnèrent des cantiques de louange. Jean et les disciples placèrent
de grosses pierres dans l’eau, et par-dessus des arbres et des
branches : ils firent ainsi un pont jusqu’à l’île, et jetèrent dessus de
petits cailloux blancs. Quand il fut fini, l’eau put passer au dessous en
murmurant. Jean et ses disciples plantèrent douze petits arbres
autour de l’île : ils étaient vivants, et ils les réunirent par le haut de
manière à former un berceau de feuillage.
Je les vis en outre placer entre ces arbres des arbrisseaux qui
croissaient en abondance sur les bords du Jourdain. Ils avaient des
fleurs blanches et rouges, et des fruits jaunes avec une petite
couronne comme des nèfles. C’était très-agréable à voir : car les uns
étaient en fleurs, les autres étaient chargés de fruits.
L’île qui s’était élevée sur l’eau à l’endroit où l’arche d’alliance
s’était arrêtée lors du passage du Jourdain paraissait rocailleuse ;
comme le lit du fleuve était plus découvert et les eaux plus basses
qu’au temps de Josué, je ne sais pas si l’eau se retira ou si l’île s’éleva
lorsque Jean l’appela pour être le lieu du baptême de Jésus.
À gauche, en avant du pont non pas au milieu de l’île, mais plus
près du bord, on fit une fosse dans laquelle monta une eau limpide ;
quelques marches y conduisaient, et au niveau de la surface de l’eau
était une pierre rouge et polie, de forme triangulaire, sur laquelle
Jésus devait se tenir pour le baptême. À droite de cette pierre était
un beau palmier couvert de fruits, autour duquel Jésus avait le bras
passé lorsqu’il fut baptisé. Le bord de la fontaine était orné d’une
marqueterie élégante : tout ce travail était très-bien exécuté. Je le
décrirai une autre fois plus en détail.
Lorsque Josué conduisit les Israélites à travers le Jourdain, je vis
que les eaux du fleuve étaient très-gonflées. L’arche d’alliance fut
portée bien en avant du peuple jusqu’au Jourdain. Parmi les douze
hommes qui l’accompagnaient et la portaient (j’ai su les noms de
tous), se trouvaient Josué, Caleb et un autre dont le nom ressemblait
à Enoï. Au bord du Jourdain, l’un d’eux se plaça tout seul à la partie
antérieure de l’arche, que deux hommes portaient auparavant : les
autres la soutenaient par derrière.
Quand il mit les pieds de l’arche dans le fleuve, l’eau qui arrivait
s’arrêta aussitôt : elle se gonfla, parut consistante comme de la gelée,
et s’accumula en s’élevant comme une montagne, à une telle hauteur,
qu’on pouvait la voir d’auprès de la ville de Zarthan, qui est assez
éloignée. Les eaux de la partie intérieure s’écoulèrent vers la mer
Morte, et l’on put traverser à pied sec le lit du fleuve. Les Israélites
qui étaient éloignés de l’arche d’alliance allèrent passer plus bas.
L’arche d’alliance fut portée par les lévites dans le lit du fleuve
jusqu’à une place où quatre pierres quadrangulaires se trouvaient
posées régulièrement. Elles étaient d’un rouge sanguin, et de chaque
côté étaient deux rangées de six pierres triangulaires, aussi polies
que si on les eût taillées ; il y en avait par conséquent douze de
chaque côté. Les douze lévites déposèrent l’arche sur les quatre
pierres du milieu, et se placèrent, six à droite, six à gauche, sur les
douze pierres triangulaires les plus rapprochées, lesquelles étaient
enfoncées en terre par la pointe.
Plus loin étaient douze autres pierres, également triangulaires,
très-grandes et très-grosses, avec des veines de différentes couleurs,
qui formaient sur quelques unes des figures et des fleurs. Josué
choisit dans les douze tribus douze hommes qu’il chargea de porter
ces pierres sur le bord et de les déposer sur deux rangs, pour servir
de souvenir, à une place assez éloignée, près de laquelle un village se
forma plus tard.
Les noms des douze tribus et ceux des porteurs y furent gravés.
Les pierres sur lesquelles se tenaient les lévites étaient plus grosses,
et quand ils quittèrent le lit du fleuve elles furent dressées, la pointe
en haut. Les pierres portées à terre n’étaient plus visibles du temps
de Jean. Je ne sais pas si elles avaient été enterrées ou détruites
pendant la guerre. Jean avait dressé sa tente au milieu d’elles. {33}
Plus tard, une église fut bâtie là, par Sainte Hélène, à ce que je crois.
La place où l’arche d’alliance avait reposé dans le Jourdain est
précisément le lieu de la fontaine baptismale de Jésus sur l’île qui a
paru récemment au dessus des eaux.
Lorsque les Israélites et l’arche d’alliance eurent traversé le fleuve,
et que les douze pierres eurent été dressées, le Jourdain recommença
à couler comme auparavant.

(29 août.) Le niveau de l’eau de la fontaine baptismale était à une


telle profondeur, que du bord le baptisé ne pouvait être vu plus bas
que la poitrine. L’enfoncement n’était pas très-marqué, et le bassin
octogone, qui avait environ cinq pieds de diamètre, était entouré
d’un rebord coupé en cinq endroits, sur lequel il y avait place pour
plusieurs personnes.
J’ai vu encore que les douze pierres triangulaires sur lesquelles les
lévites s’étaient tenus, et qu’ils avaient dressées la pointe en haut,
comme douze petites pyramides, montraient leurs pointes hors de
terre des deux côtés de la fontaine baptismale de Jésus. Dans la
fontaine même, au-dessous de l’eau, se trouvaient ces quatre pierres
carrées sur lesquelles avait reposé l’arche d’alliance. Je pensai alors
qu’elles devaient s’être enfoncées ou que les pierres des lévites
s’étaient élevées, car, lors du passage du Jourdain, elles étaient de
niveau. Ces pierres, à une époque antérieure, avaient montré leurs
pointes hors du Jourdain, au temps des basses eaux.
Tout près du bord de la fontaine était une pierre en forme de
pyramide, placée la pointe en bas, sur laquelle Jésus se tenait
pendant le baptême lorsque le Saint Esprit descendit sur lui ; à sa
droite, tout près du bord, s’élevait le beau palmier autour duquel il
passait le bras. Jean Baptiste se tenait à sa gauche.
Cette pierre triangulaire où se tenait le Christ n’était pas, autant
qu’il m’en souvient, une des douze pierres dont j’ai parlé : je crois
que Jean l’avait apportée. Il y avait aussi quelque chose de
mystérieux qui s’y rapportait : elle était veinée et fleurie. Les douze
autres pierres étaient de couleurs différentes : elles étaient également
veinées et fleuries d’une façon variée. Elles étaient plus grosses que
celles qui avaient été apportées sur le rivage.
J’ai un souvenir qui n’est pas bien précis en ce moment, mais qui
me fait croire que ces pierres étaient des pierres précieuses, ayant
quelque chose de mystérieux, et que Melchisédech les avait posées là
toutes petites à une époque où le Jourdain n’y coulait pas encore.
C’est ainsi qu’en divers lieux il avait posé comme des fondements qui
longtemps couverts de terre ou cachés sous des marécages, parurent
ensuite au jour et devinrent des lieux sanctifiés par quelque
événement.
Plus tard, dans une autre occasion, Anne-Catherine compléta cette
communication en ces termes : « Melchisédech prit possession de
plusieurs points de la Terre-Promise, qu’il désigna d’une certaine
façon. Il mesura l’emplacement de la piscine de Bethesda. Avant que
Jérusalem existât, il posa une pierre à l’endroit où le temple devait
s’élever. Je le vis également semer comme des grains de blé les douze
pierres qui étaient dans le Jourdain, et où se tinrent les prêtres avec
l’arche d’alliance lors du passage des enfants d’Israël : à la longue
elles prirent des accroissements. »
On laissa reposer tranquillement ces précieuses pierres,
considérées comme sacrées : plus tard, elles cessèrent d’être visibles
et elles furent oubliées. À une époque postérieure elles furent
employées à orner des églises.
Je crois aussi me rappeler, quoique confusément, que c’était de ces
douze pierres ou de celles qui avaient été portées sur le rivage
qu’étaient tirées les pierres précieuses qui ornaient le pectoral du
précurseur à la fête actuelle.

(Du 3 au 17 septembre.) Après la fête, lorsque Jean était revenu de


nouveau à l’endroit où il baptisait, je vis encore s’approcher de lui
une vingtaine de personnes envoyées par toutes les autorités de
Jérusalem, pour lui demander compte de sa façon d’agir. Ils
attendirent à l’endroit où la fête avait été célébrée et mandèrent Jean
près d’eux ; mais il ne vint pas. Je les vis le jour d’après à une petite
demi-lieue en avant du lieu du baptême.
Jean ne les fit pas même entrer dans l’enceinte formée par les
nombreuses habitations qui se trouvaient à l’entour. Cette enceinte
était fermée par une barrière. Je vis Jean, après son travail,
s’entretenir avec eux en se tenant à une certaine distance. Il leur
parla comme à l’ordinaire, ne répondit pas à toutes leurs
interrogations et s’en référa à celui qui devait bientôt venir à son
baptême, qui lui était supérieur et qu’il n’avait jamais vu.
Je vis ensuite Hérode assis sur un mulet dans une espèce de
caisse, et aussi la femme de son frère avec laquelle il vivait, assise
également sur un mulet : elle était pompeusement et effrontément
ajustée et portait un vêtement ample et plissé. Ils vinrent ainsi,
accompagnés de quelques serviteurs, jusque dans le voisinage du lieu
où Jean baptisait. La femme resta à quelque distance sur son mulet.
Hérode descendit et s’approcha davantage ; et Jean se tenant assez
loin, entra en pourparler avec lui.
Hérode discuta avec Jean : car celui-ci avait prononcé récemment
une excommunication contre lui après qu’il lui eut présenté l’écrit
qui contenait l’apologie de son union illicite. Jean l’avait exclu de
toute participation au baptême et au salut apporté par le Messie, à
moins qu’il ne renonçât à ces relations scandaleuses. Hérode lui
demanda s’il connaissait un certain Jésus de Nazareth dont on
parlait dans le pays, s’il recevait des messages de sa part, si c’était là
celui dont il annonçait toujours la venue : il le priait de lui dire ce qui
en était parce qu’il voulait s’adresser à lui pour son affaire.
Jean répondit que celui dont il parlait l’écouterait aussi peu que
lui-même ; qu’il était et restait un adultère, qu’il pouvait exposer son
cas à qui il voudrait, que ce ne serait jamais autre chose qu’un
adultère. Alors Hérode lui ayant demandé pourquoi il ne
s’approchait pas de lui davantage et pourquoi il lui criait toujours de
loin ce qu’il avait à lui dire ; Jean répondit : « vous étiez déjà aveugle
et l’adultère vous a rendu plus aveugle encore : plus je
m’approcherais de vous, plus votre aveuglement augmenterait : mais
quand je serai en votre pouvoir, vous ferez une chose dont vous vous
repentirez, etc. » C’était une prophétie touchant sa mort. Hérode et
la femme quittèrent Jean très irrités.
J’ai vu ces derniers jours Jean dans une grande tristesse. Il semble
que sa mission touche à sa fin, car il n’agit plus avec la même ardeur
autour de lui. J’ai vu qu’il était très-tourmenté. On est venu
successivement tantôt de Jéricho, tantôt de Jérusalem, tantôt de la
part d’Hérode pour le chasser du lieu où il baptise. Ses adhérents
occupaient un grand espace autour de cet endroit et ils y étaient
comme campés. Maintenant on exigeait de Jean qu’il se retirât de là
et allât de l’autre côté du Jourdain. Je vis même des soldats d’Hérode
enlever sur une certaine étendue les enceintes qu’avaient établies les
auditeurs de Jean et les en chasser.
Toutefois ils ne sont pas encore venus jusqu’à la tente dressée par
Jean, entre les douze pierres. Je vis le précurseur triste et abattu
s’entre tenir à ce sujet avec ses disciples. Il désirait ardemment que
Jésus vînt au baptême, car, disait-il, il devait se retirer devant lui et
aller de l’autre côté du Jourdain ; il ajoutait qu’après cela il ne
resterait plus longtemps parmi eux. Ses disciples étaient très-
attristés de ces discours et ne voulaient pas qu’il les abandonnât.

(Du 19 au 26 septembre.) Il est venu ces jours-ci près de Jean,


plusieurs troupes de ceux que Jésus a dernièrement exhortés à aller
au baptême : Parménas et ses parents sont arrivés ici de Nazareth ; il
y a aussi des publicains. Je vis Jean, lorsqu’il apprit que Jésus allait
arriver, se mettre à baptiser avec une nouvelle ardeur.
Il fit encore une belle instruction sur le Messie auquel il devait
bientôt céder la place, et il se rabaissa tellement devant lui que ses
disciples en furent tout contristés.
L’île où est la fontaine baptismale de Jésus, est maintenant toute
verdoyante : personne n’y va, si ce n’est Jean quelquefois. Il a coupe
le pont qui y mène. Après les dernières agressions d’Hérode et des
Juifs Jean était tout abattu. Il était touchant de voir combien il
perdait de sa véhémence à mesure que Jésus approchait : mais
maintenant qu’il a eu de ses nouvelles il a repris un nouveau courage.
Je crois que Jésus pourra être ici dans huit à dix jours.
Plusieurs troupes de gens qui avaient suivi Jésus et qu’il avait
congédiés à Nazareth, sont arrivées près de Jean. Je les ai vus dans
sa tente parler de Jésus avec lui. Il y avait une telle ardeur dans son
amour pour lui, qu’il s’impatientait presque de ce que Jésus ne disait
pas plus clairement qu’il était le Messie. C’était un sentiment tout à
fait humain. Pendant qu’il baptisait ces gens de la suite de Jésus, il
reçut l’assurance certaine que le Sauveur approchait, car une nuée
lumineuse descendit sur lui et il eut une vision où Jésus lui apparut
avec tous ses disciples autour de lui. Depuis ce moment Jean est
plein d’une joie indicible et enflammé d’un désir ardent : il regarde
toujours à l’horizon pour voir si le Seigneur n’arrive pas.
CHAPITRE QUATRIÈME

Du baptême de Jésus au commencement


du jeûne des quarante jours.

Jésus visite les lieux où s’est arrêtée Marie dans son voyage à
Bethléem et pendant la fuite en Egypte. ― Il va à Maspha, à Dibon,
à Sukkoth, à Béthanie.

(28 septembre.) Jésus, marchant plus vite que Lazare, arriva deux
heures avant lui au lieu où Jean baptisait. Le jour commençait à
poindre lorsqu’il se trouva dans le voisinage de ce lieu, au milieu
d’une troupe de gens qui allaient aussi au baptême. Il faisait route
avec eux et ils ne le connaissaient pas : toutefois ils le regardaient
attentivement, car il y avait en lui quelque chose qui les frappait.
Quand ils arrivèrent, il était tout à fait jour. Une multitude
considérable était rassemblée et Jean prêchait avec beaucoup de feu
sur l’approche du Messie, sur la pénitence et sur ce qu’il devait se
retirer bientôt. Jésus se tenait au milieu de la foule des auditeurs.
Jean eut le sentiment de sa présence ; il le vit et fut rempli d’une joie
et d’une ardeur inaccoutumées : mais il n’interrompit pas son
discours et se mit ensuite à baptiser.
Il avait déjà donné le baptême à plusieurs personnes et il était
environ dix heures lorsque Jésus, confondu dans les rangs des
néophytes, descendit aussi à son tour au réservoir. Alors Jean
s’inclina devant lui et dit : « J’ai besoin d’être baptisé par vous et
c’est vous qui venez à moi ? ». Jésus lui répondit : « Laissez faire, car
il convient que nous accomplissions toute justice, que vous me
baptisiez et que je sois baptisé par vous. »
Il lui dit aussi : « Vous recevrez baptême du Saint-Esprit et du
sang. » Alors Jean l’invita à le suivre à l’île. Jésus répondit qu’il le
ferait, mais qu’alors il fallait porter dans l’autre bassin de l’eau dont
tous avaient été baptisés ; que tous ceux qui étaient ici avec lui
fussent aussi baptisés là et que l’arbre auquel il se tiendrait fût
transplanté plus tard au lieu ordinaire du baptême afin que tous
fissent comme lui.
Le Sauveur suivit donc Jean et deux de ses disciples André et
Saturnin (André était venu ici de Capharnaüm avec les neuf disciples
et compagnons du Seigneur dont il a été parlé plus haut) il se rendit
sur l’île en passant le pont et entra dans une petite tente dressée au
côté oriental de la fontaine baptismale pour qu’on pût s’y déshabiller
et s’y rhabiller. Les disciples vinrent avec lui sur l’île, mais les
hommes se tinrent au bout du pont pendant qu’une grande foule se
pressait sur le rivage. Trois hommes environ pouvaient se tenir sur le
pont à côté les uns des autres : Lazare était l’un de ceux qui se
trouvaient le plus en avant.
La fontaine baptismale était dans une excavation octogone,
descendant en pente douce, au fond de laquelle un rebord également
octogone entourait la fontaine elle-même : celle-ci était en
communication avec le Jourdain par cinq conduits souterrains. L’eau
entourait le rebord tout entier et entrait dans la fontaine par des
brèches qu’on y avait laissées.
Trois de ces coupures étaient visibles au côté septentrional de la
fontaine par où l’eau entrait, les deux autres par où l’eau s’écoulait,
placées au côté méridional, étaient recouvertes, car c’était là le lieu
de la cérémonie et celui par lequel on avait accès à la fontaine : c’est
pourquoi l’on n’y voyait pas l’eau circuler autour du rebord. De ce
côté, des marches recouvertes de gazon conduisaient jusqu’à la
fontaine en descendant la pente de l’excavation qui avait à peu près
trois pieds de hauteur.
Au sud-est, sur le bord de l’eau était une pierre triangulaire d’un
rouge brillant encastrée dans le rebord de la fontaine : un des côtés
était tout contre l’eau et la pointe était tournée vers la terre. Ce côté
du rebord auquel les marches conduisaient était un peu plus élevé
que celui du nord où étaient les trois ouvertures pour laisser arriver
l’eau. Du côté du sud-ouest on descendait par une marche sur l’autre
partie du rebord qui était un peu plus basse et c’était par là
seulement qu’on pouvait y arriver. Dans la fontaine même, devant la
pierre triangulaire, s’élevait un arbre verdoyant à la tige élancée.
L’île n’était pas parfaitement unie, mais un peu plus élevée au
milieu : elle était en partie sur fond de rocher ; il y avait aussi des
places où le sol était moins dur. Elle était couverte de gazon. Au
milieu s’élevait un arbre dont les branches s’étendaient au loin ; les
douze arbres plantés autour de l’île s’unissaient par le sommet aux
branches de cet arbre qui était au centre, et entre ces douze arbres il
y avait une haie formée de plusieurs petits arbustes.
Les neuf disciples de Jésus qui avaient toujours été avec lui dans
les derniers temps descendirent à la fontaine et se tinrent sur le
rebord. Jésus ôta son manteau dans la tente, puis sa ceinture et une
robe de laine jaunâtre, ouverte par devant et qui se fermait avec des
lacets, puis cette bande de laine étroite qu’on portait autour du cou,
croisant sur la poitrine et qu’on roulait autour de la tête la nuit et par
le mauvais temps.
Il lui restait encore sur le corps une chemise brune faite au métier
avec laquelle il sortit et descendit au bord de la fontaine où il l’ôta en
la retirant par la tête. Il avait autour des reins une bande d’étoffe qui
enveloppait chacune des jambes jusqu’à la moitié des pieds. Saturnin
reçut tous ces vêtements et les donna à garder à Lazare, qui se tenait
au bord de l’île.
Alors Jésus descendit dans la fontaine où l’eau lui venait jusqu’à la
poitrine. Il avait le bras gauche passé autour de l’arbre, et il tenait la
main droite sur sa poitrine ; la bandelette qui ceignait les reins était
détachée aux extrémités, et flottait sur l’eau. Jean était debout au
bord méridional de la fontaine : il tenait un plat avec un large rebord,
à travers lequel couraient trois cannelures : il se baissa, puisa de l’eau
et la fit couler en trois filets sur la tête du Seigneur. Un filet coula sur
le derrière de la tête, un autre sur le milieu, le troisième sur le front
et le visage.
Je ne sais plus bien les paroles que Jean prononçait en
administrant le baptême, mais c’étaient à peu près celles-ci : « Que
Jéhova, par les chérubins et les séraphins, répande sa bénédiction
sur toi, avec la sagesse, l’intelligence et la force. » Je ne sais pas bien
si ce furent précisément ces trois derniers mots ; mais c’étaient trois
dons pour l’esprit, l’âme et le corps ; et là dedans était aussi compris
tout ce dont chacun avait besoin pour rapporter au Seigneur un
esprit, une âme et un corps renouvelés.
Pendant que Jésus sortait de la fontaine, André et Saturnin, qui se
tenaient auprès de la pierre triangulaire, à la droite du précurseur,
l’enveloppèrent d’un drap, pour qu’il s’essuyât, et lui passèrent une
longue robe baptismale de couleur blanche {34} ; et, quand il fut
monté sur la pierre rouge triangulaire qui était à droite de la
fontaine, ils lui mirent la main sur les épaules pendant que Jean la
lui mettait sur la tête.
Quand cela fut fait, au moment où ils se préparaient à remonter
les degrés, la voix de Dieu se fit entendre au dessus de Jésus, qui se
tenait, seul, en prière, sur la pierre. Il vint du ciel un grand bruit,
comme le bruit du tonnerre, et tous les assistants tremblèrent et
levèrent les yeux en haut. Une noce blanche et lumineuse s’abaissa,
et je vis au-dessus de Jésus une forme ailée resplendissante, dont la
lumière l’inonda comme un fleuve. Je vis aussi comme le ciel ouvert,
et l’apparition du Père céleste sous sa forme accoutumée, et
j’entendis, dans la voix du tonnerre, ces paroles : « C’est mon Fils
bien-aimé en qui je me complais ».
Jésus était tout inondé de lumière, et on pouvait à peine le
regarder : toute sa personne était transparente ; je vis aussi des anges
autour de lui.
Je vis, à quelque distance, Satan paraître au-dessus des eaux du
Jourdain : c’était une forme noire et ténébreuse, semblable à un
nuage, et, dans ce nuage, je vis s’agiter des dragons noirs et d’autres
bêtes hideuses qui se pressaient autour de lui. Il semblait que,
pendant cette effusion de l’Esprit-Saint, tout ce qu’il y avait de mal,
de péché, de venin dans le pays tout entier, se montrât sous des
formes visibles, et se retirât dans cette figure ténébreuse comme
dans sa source. C’était un spectacle horrible, mais rehaussant l’éclat
indescriptible, la joie et la clarté qui se répandaient sur le Seigneur et
sur l’île.
La sainte fontaine brillait jusqu’au fond, et tout était transfiguré.
On vit alors les quatre pierres sur lesquelles l’arche d’alliance avait
reposé, resplendir joyeusement au fond de la fontaine : sur les douze
pierres où s’étaient tenus les lévites, se montrèrent des anges en
adoration ; car l’esprit de Dieu avait rendu témoignage, devant tous
les hommes, à la pierre vivante et fondamentale, à la pierre angulaire
de l’Eglise, pierre choisie et précieuse, autour de laquelle nous
devons être posés comme des pierres vivantes pour former un édifice
spirituel, un sacerdoce saint, afin de pouvoir offrir à Dieu, par son
fils bien aimé en qui il se complaît, un sacrifice spirituel qui lui soit
agréable.
Cependant Jésus remonta les degrés et se rendit sous la tente
voisine de la fontaine ; Saturnin lui porta ses habits que Lazare avait
gardés, et Jésus s’en revêtit. Il sortit alors de la tente, et, entouré de
ses disciples, il alla sur la partie découverte de l’île, près de l’arbre du
milieu. Pendant ce temps, Jean parlait au peuple, en faisant éclater
sa joie, et il rendait témoignage de Jésus, proclamant qu’il était le
Fils de Dieu et le Messie promis.
Il rappela toutes les promesses faites aux patriarches et aux
prophètes, lesquelles se trouvaient accomplies maintenant ; il parla
de ce qu’il avait vu, de la voix de Dieu que tous avaient entendue, et
déclara qu’il se retirerait bientôt, lorsque Jésus reviendrait ; il dit
encore que l’arche d’alliance s’était reposée en ce lieu, lorsque Israël
avait pris possession de la Terre-Promise, et qu’en ce même lieu,
celui qui était le sceau à l’alliance avait reçu le témoignage de son
Père, le Dieu tout-puissant. Il dit à tous d’aller à lui désormais, et
proclama bienheureux le jour où l’attente d’Israël avait été remplie.
Pendant ce temps, il était encore venu beaucoup de personnes
parmi lesquelles se trouvaient des amis de Jésus ; je vis dans la foule
Nicodème, Obed, Joseph d’Arimathie, Jean Marc et d’autres encore.
Jean invita André à annoncer dans la Galilée que le Messie avait reçu
le baptême. Jésus, déclara simplement que Jean avait dit la vérité ; il
ajouta qu’il allait s’éloigner pour un peu de temps ; qu’ensuite tous
les malades et les affligés pourraient venir à lui ; qu’il voulait les
consoler et les secourir ; jusque-là, ils devaient se préparer, puis il
entrerait dans le royaume que lui avait donné son Père céleste. Jésus
dit cela sous forme de parabole, prenant pour comparaison un fils de
roi, qui avant de prendre possession de son trône, se retire à l’écart,
demande l’assistance de son père, et se recueille, etc.
Il y avait parmi les assistants quelques pharisiens qui
interprétaient ces paroles de la façon la plus ridicule. Ils disaient :
« Il n’est peut-être pas le fils du charpentier, mais l’enfant substitué
de quelque roi, qui maintenant va partir, rassembler ses gens et
entrer à Jérusalem. » Cela leur paraissait étrange et extravagant, etc.
Jean continua, ce jour-là, à baptiser tous les assistants sur l’île,
dans la fontaine baptismale de Jésus. La plupart étaient des gens qui
plus tard se réunirent aux disciples de Jésus. Ils se mettaient dans
l’eau qui entourait le rebord de la fontaine, et Jean, debout sur ce
rebord, les baptisait.
Quant à Jésus, il quitta ce lieu avec les neuf disciples et quelques
autres qui se joignirent à lui ici. Lazare, André et Saturnin le
suivirent. Ils avaient, par son ordre, rempli une outre d’eau de la
fontaine où il avait été baptisé, et ils la portaient avec eux. Les
assistants se jetèrent aux pieds de Jésus, et le supplièrent de rester
avec eux. Il leur promit de revenir et s’en alla.

(29 et 30 septembre.) Jésus, avec ses compagnons, fit encore ce


jour-là environ deux lieues dans la direction de Jérusalem, et il arriva
à un petit endroit dont le nom ressemblait à Bethel. Il y avait là une
espèce d’hôpital où se trouvaient beaucoup de malades, et où Jésus
entra. Je le vis prendre là de la nourriture avec ceux qui
l’accompagnaient. Il vint aussi plusieurs gens âgés. On salua Jésus
très-solennellement, en qualité de prophète, car on savait déjà par
des gens venus du baptême, ce que Jean avait dit de lui. Jésus alla
avec ses disciples dans la chambre de tous les malades.
Il les consola tous et leur dit qu’il reviendrait les guérir, s’ils
croyaient en lui. Je crois qu’il en guérit un. Il était tout décharné, il
avait en outre des ulcères à la tête, et une lèpre blanche. Jésus le
bénit et lui commanda de se lever ; il se leva et s’agenouilla devant
Jésus. Plusieurs personnes furent baptisées ici par le ministère
d’André et de Saturnin. Jésus fit placer sur un escabeau, dans une
pièce de la maison, un grand bassin plein d’eau dans lequel un enfant
aurait pu tenir couché ; qu’il bénit cette eau et y fit une aspersion
avec une branche. C’était, je crois, avec de l’eau baptismale prise
dans l’outre apportée par les disciples.
Les néophytes se dépouillaient jusqu’à la poitrine, courbaient la
tête au-dessus du bassin, et Saturnin les baptisait. Je crois qu’il se
servait d’une formule indiquée par Jésus, et qui était autre que celle
de Jean, mais je ne m’en souviens pas bien clairement. Jésus célébra
le sabbat en ce lieu : le lendemain André partit pour la Galilée.
Quant à Jésus, il se rendit dans une ville nommée Luz. Il alla à la
synagogue, et fit un long discours où il expliqua le sens mystérieux de
plusieurs anciennes figures des Ecritures. Je me souviens qu’il parla
des enfants d’Israël, rappela qu’après avoir traversé la mer Rouge, ils
errèrent longtemps dans le désert, à cause de leurs péchés ;
qu’ensuite, ayant traversé le Jourdain, ils possédèrent la Terre-
Promise. Maintenant, disait-il, le temps était venu où cela devait
arriver réellement par le baptême dans le Jourdain : ce n’avait été
alors qu’une figure, mais maintenant, s’ils étaient fidèles et
observaient les commandements de Dieu, ils entreraient en
possession de la Terre-Promise et de la cité de Dieu.
Il entendait cela spirituellement de la Jérusalem céleste. Mais eux
croyaient toujours qu’il s’agissait d’un royaume de ce monde et de
leur affranchissement du joug des Romains. Il parla de l’arche
d’alliance et de la rigueur de la loi ancienne, sous laquelle celui qui
s’approchait de l’arche pour la toucher, était puni de mort : mais
maintenant la loi était accomplie, et la grâce était venue dans la
personne du Fils de l’homme il dit encore que le temps était arrivé où
l’ange devait ramener Tobie dans la Terre-Promise, après la longue
captivité où il avait langui, toujours fidèle aux préceptes divins.
Il parla encore de Judith, la veuve qui avait tranché la tête à
l’Assyrien Holopherne pendant son ivresse, et délivré Béthulie
réduite à l’extrémité : mais maintenant c’était la vierge qui, ayant été
dès l’éternité ; allait croître et grandir, et beaucoup de têtes
orgueilleuses qui menaçaient Béthulie, allaient tomber. Il entendait
parler de l’Eglise et de sa victoire sur le prince de ce monde.
Jésus parla encore de beaucoup de symboles du même genre, qui
maintenant trouvaient tous leur accomplissement. Toutefois il ne
disait jamais : « C’est moi », mais parlait toujours comme d’une
tierce personne. Il parla en outre de ce qu’il fallait pour le suivre, dit
qu’on devait tout quitter et ne pas s’inquiéter outre mesure de sa
subsistance ; car c’était chose plus importante d’être régénéré que de
trouver à se nourrir ; que s’ils renaissaient de l’eau et du Saint Esprit,
celui-là les nourrirait qui les aurait régénérés. Il ajouta que ceux qui
voulaient le suivre devaient quitter tous les leurs et s’abstenir du
mariage, car ce n’était pas le temps de semer, mais le temps de
récolter. Il parla aussi du pain céleste. Ses auditeurs étaient saisis
d’admiration et de respect, mais ils entendaient tous ses
enseignements dans un sens matériel et terrestre.
Lazare le quitta ici : les autres amis de Jérusalem l’avaient déjà
quitté près du Jourdain. Les saintes femmes, qui étaient chez
Suzanne à Jérusalem, se sont mises en route par le désert. Je crois
qu’elles vont à Thebez, où Jésus doit les retrouver.

(1er octobre.) Jésus quitta Luz et traversa le désert. Il alla dans la


direction du midi avec ses disciples, dont une douzaine à peu près
était avec lui. Il y en a deux, outre Saturnin, qui l’ont suivi après le
baptême. Le fils de Véronique est déjà parti hier, peut-être pour
porter des nouvelles aux saintes femmes. Dans la suite de ce voyage,
je vis une fois Jésus et les disciples marcher entre deux rangées de
dattiers, et comme les disciples hésitaient à ramasser les fruits
tombés par terre et à les manger, Jésus leur dit qu’ils pouvaient
manger ces fruits en toute sécurité ; il ajouta que dorénavant ils ne
devaient pas être si scrupuleux, qu’ils devaient chercher la pureté
dans les affections de leur âme et dans leurs discours, et non la faire
dépendre de ce qui entre dans la bouche.
Je vis Jésus sur la route visiter une dizaine de malades dans une
rangée de maisons isolées, les consoler et en guérir quelques-uns.
Plusieurs personnes se mirent là à sa suite.
Il vint après cela dans un petit endroit appelé Ensemès, dont les
habitants allèrent à sa rencontre. On avait déjà annoncé l’arrivée
prochaine du nouveau prophète. Il vint beaucoup de gens tenant des
enfants par la main, qui le saluèrent et se prosternèrent devant lui.
Jésus les accueillit avec bonté. C’étaient des gens considérables de
l’endroit qui le conduisirent chez-eux ; mais les pharisiens
l’emmenèrent de là à l’école. Ils étaient bien disposés et se
réjouissaient d’avoir un prophète chez eux ; mais quand ils apprirent
par les disciples que Jésus était le fils de Joseph, le charpentier de
Nazareth, ils trouvèrent dans leur for intérieur bien des choses à
blâmer en lui.
Ils avaient cru avoir affaire à un autre prophète. Comme Jésus
parla du baptême, ils lui demandèrent quel baptême était le meilleur,
le sien ou celui de Jean ? Jésus répéta ce que Jean avait dit de son
baptême et de celui du Messie, mais il ajouta que ceux qui
méprisaient le baptême du précurseur tiendraient également peu de
compte du baptême du Messie. Il ne dit pourtant jamais : « C’est
moi » mais parla toujours à la troisième personne, de même que
nous le voyons, dans l’Evangile, dire : « le Fils de l’homme. » Il prit
encore un repas dans la maison où il était entré, et fit la prière en
commun avec ses disciples avant qu’on ne se retirât pour dormir.
De Luz à Ensemès, Jésus allait dans la direction du midi. Près
d’Ensemès coulait le torrent de Cédron : il vient de la vallée où Judas
se pendit ; il coule le long de la vallée de Josaphat, au pied de la
montagne des Oliviers, puis ensuite va à l’orient se jeter dans la mer
Morte. Il y avait ici beaucoup de montagnes : la chaîne s’étend
jusqu’au mont Amon, près du désert de Giah, où Jésus se trouvait le
soir qui précéda son arrivée à Béthanie.

(2 octobre.) Le jour suivant je vis Jésus avec ses compagnons


quitter Ensemès et entrer dans la Judée en traversant le torrent de
Cédron. Il va le plus souvent par des chemins détournés ; il me
semble qu’il veut passer par les bourgades situées à un certain rayon
autour du lieu où Jean baptise, et suivre les vallées où la sainte
Vierge s’est arrêtée dans son voyage à Bethléem avec saint Joseph. Il
veut visiter Bethléem même, et aussi quelques lieux où la sainte
Vierge a passé la nuit lors de la fuite en Egypte. Il veut enseigner et
guérir dans tous ces endroits, puis, en revenant, passer devant le lieu
du baptême.
Le temps est nébuleux et assez frais : je vois parfois de la neige ou
de la gelée blanche dans les vallées profondes ; mais du côté exposé
au soleil tout est vert et riant. Partout on voit encore des fruits sur les
arbres. Le Seigneur et les disciples en mangent sur leur chemin.
Jésus maintenant n’entre pas dans les villes, parce que déjà
partout on parle beaucoup de son baptême, de ce qui s’y est passé et
de ce qui a été dit par Jean à Jérusalem aussi il n’est bruit que de
cela. Jésus veut aussitôt après son retour du désert, prendre la
Galilée pour point de départ, et il ne parcourt maintenant ce pays-ci
que dans le désir charitable de décider encore quelques personnes à
aller au baptême. Il ne va pas toujours avec tous les disciples
ensemble ; souvent il n’y en a que deux avec lui.
Ils se dispersent dans des maisons de bergers isolées et écartées de
la route, et ils redressent les idées de ces gens ; car tous ont une si
haute opinion de Jean, qu’ils regardent Jésus comme n’étant que l’un
de ceux qui l’assistent, et ils le nomment seulement l’Assistant. Les
disciples leur font connaître l’apparition du Saint-Esprit et les
paroles qui se sont fait entendre pendant le baptême.
Ils leur disent ce que Jean a déclaré, qu’il n’est que celui qui
prépare les voies du Seigneur, et que c’est pour cela aussi qu’il fraye
le chemin avec tant d’ardeur et de véhémence. Alors les bergers et les
tisserands, qui sont ici en grand nombre dans les vallées, viennent à
Jésus, et écoutent sous des arbres et des hangars ses courtes
instructions : ils se prosternent devant lui : il les bénit et les exhorte.
Pendant qu’ils étaient en route, il expliqua aussi aux disciples,
dont quelques-uns avaient entendu les paroles proférées lors du
baptême : « C’est mon Fils bien-aimé » ; que son Père céleste a dit
cela de tous ceux qui ont reçu sans péché le baptême du Saint-Esprit.
Cette contrée est celle par laquelle passèrent Joseph et Marie
allant à Bethléem. Joseph avait appris ici que son père avait possédé
des pâturages dans les environs. Il avait fait un détour d’une journée
et demie environ du côté de Jérusalem ; il avait évité toutes les villes,
et avait préféré passer par ici en faisant de petites journées de deux
heures, parce que les maisons de bergers étaient très-rapprochées les
unes des autres : car la sainte Vierge ne pouvait ni marcher ni rester
longtemps assise sur sa selle sans se fatiguer beaucoup.
Les deux stations principales de Jésus furent aujourd’hui deux
maisons de bergers où ses parents s’étaient adressés alors. Il arriva
avant midi à cette maison où Marie avait été mal accueillie, et il
enseigna la foule qui s’était rassemblée. Le maître de la maison en
question était un vieillard grossier ; il ne voulut pas non plus recevoir
Jésus, et il se comporta brutalement, à la façon de certains de nos
paysans qui disent souvent : « Qu’ai-je à faire de ceci ou de cela ? Je
paie mes redevances et je vais à l’église », vivant du reste comme il
leur plaît. Les gens de cette maison disaient aussi : « Qu’avons-nous
besoin de cela ? Nous avons notre loi qui date de Moïse ; c’est Dieu
même qui nous l’a donnée ; il ne nous faut rien de plus. »
Alors Jésus leur parla de l’hospitalité et de la miséricorde que tous
les anciens patriarches avaient exercée, car où serait cette
bénédiction et ce qui la conserve, si Abraham avait repoussé les
anges qui la lui apportèrent ? Le Seigneur leur dit encore en
paraboles : que celui qui a repoussé la mère portant son enfant dans
son sein, lorsqu’elle frappait à la porte, épuisée par la fatigue du
voyage ; celui qui s’est moqué de son mari cherchant un gîte
hospitalier, repoussait aussi le fils et le salut venant de lui et apporté
par lui.
Il leur dit cela en termes expressifs, que je vis ses paroles entrer
dans le cœur de cet homme comme un coup de foudre : car c’était là
la maison où l’on avait refusé d’accueillir Joseph et Marie lors de leur
voyage à Bethléem, et où on l’avait repoussé avec des paroles
injurieuses. Je reconnus bien la maison, et les plus vieux parmi ceux
qui étaient présents furent frappés de stupeur : car sans nommer ni
lui-même ni sa mère, ni Joseph, il avait dit sous forme de parabole
tout ce qu’ils avaient fait.
Alors l’un d’eux se jeta à ses pieds et le pria de vouloir bien entrer
chez lui et y prendre de la nourriture ; car il était certainement
prophète, puisqu’il savait tout ce qui s’était passé en ce lieu trente
ans auparavant. Mais Jésus ne voulut rien accepter de lui. il enseigna
encore les bergers assemblés ; il leur dit que toutes les actions étaient
la figure et le germe de celles qui leur succédaient ; que le repentir et
la pénitence extirpaient les vieilles racines, et que l’homme qui se
convertissait renaissait dans le baptême du Saint-Esprit, et portait
des fruits pour la vie éternelle.
Je les vis aller plus loin à travers les vallées, et enseigner ça et là ;
il y avait des possédés qui le poursuivaient de leurs cris, et se
taisaient à son commandement.
Dans l’après-midi, Jésus arriva à une seconde maison de bergers,
placée sur une hauteur, et où la sainte Vierge avait aussi logé. Le
maître était à la tête de plusieurs troupeaux. Des bergers et des gens
qui fabriquaient des tentes habitaient de longues rangées de maisons
situées dans ces vallées. Ils tenaient de longues bandes d’étoffe
déployées et travaillaient les uns en face des autres. Il y avait dans
ces parages beaucoup de troupeaux de moutons et aussi beaucoup
d’animaux sauvages. Les colombes se promenaient en troupes
comme des poulets, ainsi qu’une autre espèce de gros oiseaux à
longue queue.
On voyait aussi courir dans le désert des animaux avec de petites
cornes, qui ressemblaient à des chevreuils. Ils n’étaient pas timides
et se mêlaient aux troupeaux. Ici, Jésus fut accueilli très-
amicalement. Les gens de la maison ainsi que les voisins et les
enfants allèrent joyeusement à sa rencontre et se prosternèrent
devant lui. La sainte Vierge et Joseph avaient reçu dans cette maison
une hospitalité très-bienveillante. Il s’y trouvait deux jeunes gens,
enfants du maître du logis qui vivait encore, et un petit vieillard tout
courbé, portant une petite houlette. Jésus prit de la nourriture :
c’étaient des fruits et des herbes qu’on trempait dans une sauce, et
des petits pains cuits sous la cendre. Ces gens étaient pieux et
éclairés.
Ils conduisirent Jésus dans la chambre où la sainte Vierge avait
passé la nuit. Ils en avaient fait depuis longtemps un oratoire. Ce
n’était autrefois qu’une division de la pièce où ils habitaient, mais
plus tard ils l’avaient séparée du reste, et y avaient fait une entrée
particulière. Ils avaient coupé les quatre angles de la chambre qu’ils
avaient ainsi rendue octogone et surmonté la toiture d’une pointe
tronquée. Au milieu, était suspendue une lampe ; on pouvait aussi
ouvrir un jour dans le toit.
Devant la lampe, était une espèce de table étroite comme nos
tables de communion, ou ils pouvaient s’appuyer en priant. C’était
joli et propre comme une chapelle. Le vieillard y conduisit Jésus et
lui montra l’endroit où sa sainte Mère avait reposé ; il lui montra
encore un endroit où avait dormi sa grand mère, sainte Anne, qui,
elle aussi, s’était arrêtée là, lorsqu’elle avait été visiter la sainte
Vierge à Bethléem.
Ces gens avaient connaissance de la nativité de Jésus, de
l’adoration des rois, des prédictions de Siméon et d’Anne dans le
temple, de la fuite en Egypte et du merveilleux enseignement de
Jésus au temple. Ils avaient fêté plusieurs de ces anniversaires par
des prières dans leur oratoire, et, dès le commencement, ils avaient
fidèlement cru, espéré et aimé. Ils interrogèrent Jésus en toute
simplicité et à la façon des gens de la campagne : « Que se passe-t-il
donc maintenant, dirent-ils, à Jérusalem, chez les grands
personnages ? »
On dit que le nouveau Messie viendra, comme roi des Juifs,
rétablir le royaume et les délivrer du joug des Romains ; est-ce donc
que cela aura lieu ? Jésus leur expliqua tout par une parabole sur un
fils de roi que son père envoie prendre possession de son trône,
rétablir le sanctuaire, et délivrer ses frères de l’esclavage ; mais ils ne
devaient pas reconnaître ce fils, ils devaient le persécuter et le
maltraiter ; toutefois il devait être exalté et tirer à lui, dans le
royaume de son Père céleste, tous ceux qui observeraient ses
préceptes.
Beaucoup de personnes entrèrent avec Jésus dans l’oratoire et je
crois qu’il y enseigna. Il a aussi guéri ici. Le vieux berger le conduisit
chez une voisine que la goutte retenait au lit depuis des années. Jésus
la prit par la main et lui ordonna de se lever ; elle se leva aussitôt,
remercia le Seigneur à genoux, et le reconduisit jusqu’à la porte. Elle
marchait toute courbée, comme la belle-mère de Pierre.
Jésus se fit ensuite conduire par ces gens dans une vallée très-
profonde, où il y avait beaucoup de malades. Il en guérit plusieurs et
donna des consolations à tous. Il guérit au moins dix personnes. Ici
je ne vis plus rien. Jésus a passé la nuit chez les bergers.
Jean continue toujours à baptiser. L’affluence est de plus en plus
grande. L’arbre de la fontaine baptismale de Jésus a été placé dans le
grand bassin qui sert pour le baptême, et il est d’un très-beau vert.
On descend dans ce bassin par des degrés ; il y entre plusieurs
langues de terre sur lesquelles les gens viennent à la suite les uns des
autres. Ils arrivent par un côté et s’en vont par l’autre.

(3 octobre.) Lorsque Jésus quitta la maison des bergers, qui est à


environ cinq lieues de Bethléem, ces gens l’accompagnèrent. Ils
étaient en relations intimes avec les bergers qui avaient visité Jésus
dans la crèche ; voilà pourquoi ils étaient si bien disposés.
Le Seigneur et les disciples firent hier beaucoup de détours ; des
troupes de bergers et d’ouvriers se rassemblaient ça et là autour de
lui, et il les instruisait par des comparaisons tirées de leur profession.
Il les exhortait encore au baptême et à la pénitence, et parlait de
l’approche du Messie et des jours de salut.
Sur le chemin de Jésus, je vis au penchant de la montagne, dans
une situation favorable, beaucoup de gens occupés de divers travaux
dans les champs. Dans quelques endroits, je vis des vignes et des
gens qui y travaillaient : je vis aussi serrer le grain entassé : je vis
labourer, semer et planter. La fertilité était grande ici, quoique dans
d’autres parties de ces vallées il y eût de la gelée blanche ou de la
neige. Le blé n’était pas en gerbes : on le coupait à un demi-pied
environ au-dessous de l’épi, et on attachait ensemble par le milieu
deux faisceaux d’épis, de façon à ce que la tête des épis fît saillie des
deux côtés.
Ces faisceaux étaient entassés les uns sur les autres. On ne les
rapportait pas comme si la moisson eût été faite tout récemment, car
elle était faite depuis longtemps : les épis étaient restés accumulés en
meules larges et élevées, semblables à des collines ; et maintenant
que la saison des pluies arrivait, et qu’on préparait de nouveau la
terre, on les couvrait avec de la paille. On coupait les épis avec une
faucille ; la paille était ensuite arrachée et jetée en tas. Je vis qu’on
rentrait le grain sur des civières portées par quatre hommes : la
paille était aussi rangée et mise en faisceaux pour être brûlée, à ce
que je crois. Dans d’autres endroits on labourait.
La charrue n’avait pas de roues, et elle était tirée par des hommes.
La charrue que je vis ressemblait à un traîneau avec trois lames
tranchantes, entre lesquelles était l’attelage. Ordinairement elle était
tirée par des hommes ou des ânes, et personne ne la tenait par
derrière. On labourait en long et en large. Leur herse que je vis était
triangulaire, la pointe était en arrière. Tout cela marchait très-bien.
Là où le fond était rocailleux, on jetait un peu de terre par dessus et
la semence y poussait aussi. Les semeurs portaient leur sac sur le
cou, avec les deux extrémités sur la poitrine. Les plantes que je vis
mettre en terre étaient de l’ail et une autre plante qui avait de
grandes feuilles ; je crois que c’était un légume : il y en avait un qu’on
appelait dourra.
Les disciples rassemblaient ces gens près du chemin, et Jésus les
enseigna en paraboles où il était question de charrues, de semence et
de moisson il parla avec les disciples de la semence qu’ils devaient
répandre par le baptême. Il en désigna deux, dont l’un était Saturnin,
pour baptiser dans quelque temps près du Jourdain. Il leur dit que
c’étaient là les semailles, et que comme les laboureurs d’ici, ils
récolteraient aussi dans deux mois. Il parla encore de la paille qui
devait être jetée au feu.
Pendant que Jésus enseignait, une troupe de travailleurs, venant
de Sichar, passa tout près du chemin. Ils avaient des pelles, des
pioches et de longues perches : ils ressemblaient à des esclaves, et je
crois qu’ils revenaient chez eux après avoir travaillé à des édifices
publies ou à des routes. Ils se tinrent timidement à quelque distance ;
ils n’osaient pas s’approcher près des Juifs et ils écoutaient.
Jésus les fit venir et dit que son Père céleste appelait tous les
hommes à lui par son ministère : il parla de l’égalité de tous ceux qui
font pénitence et se font baptiser. Ces pauvres gens étaient tellement
touchés de sa bonté qu’ils se jetèrent à ses pieds pour le prier de
venir aussi les visiter et de les assister à Samarie. Il répondit qu’il
irait les voir, mais que maintenant il devait se retirer à part pour se
préparer à entrer dans son royaume, suivant la mission qu’il avait
reçue de son Père céleste.
Les bergers conduisirent encore Jésus par divers chemins où sa
mère avait passé, et il connaissait ces lieux mieux que ses
conducteurs, en sorte qu’ils s’écriaient pleins d’admiration :
« Seigneur, vous êtes un prophète et un fils pieux, puisque vous
reconnaissez et suivez les traces de votre heureuse mère ». Après
avoir enseigné et exhorté tout ce monde, Jésus alla à la petite ville de
Betharaba. Il y arriva dans l’après-midi sur une place découverte, et
il monta sur une chaire en pierre qui était sous des arbres. Beaucoup
d’auditeurs se rassemblèrent autour de lui et il les enseigna. C’étaient
des gens bien disposés. Ici je cessai de voir cette scène.

(4 octobre.) Jésus quitta cet endroit accompagné de plusieurs de


ses auditeurs, et marcha dans la direction de la vallée des Bergers,
qui est à environ trois lieues et demie d’ici. Je ne sais pas où il passa
la nuit ; je le vis une fois seul avec les disciples sous un hangar
ouvert : ils mangeaient des fruits, des baies rouges qu’ils avaient
cueillies et des épis, et ils buvaient de l’eau.
La nuit, ils vont chacun de leur côté ; Jésus leur désigne un lieu où
il se trouvera à tel ou tel moment, et ils se répandent au loin dans le
pays, font des rapports sur lui, et exhortent au baptême et à la
pénitence ceux qui ne sont pas encore réalisés : ces gens viennent
pour la plupart avec eux aux endroits où ces instructions doivent être
faites. Jésus aussi fait de longs circuits : je le vois souvent monter
seul sur des collines et prier, en sorte que tout le temps du voyage
trouve son emploi.
J’entendis les disciples de Jésus, à cause de sa vie austère, de son
habitude d’aller pieds nus, de ses jeûnes et de ses veilles nocturnes
dans cette saison froide et humide, l’engager à ménager un peu son
corps. Mais il les éconduisit avec bonté et continua à faire comme
auparavant.
Le matin, au crépuscule, je vis Jésus avec ses disciples descendre
par une pente escarpée dans la vallée des Bergers. Les bergers qui
habitaient là savaient déjà qu’il allait venir. Ils avaient tous été
baptisés par Jean. Il s’en trouvait même parmi eux qui avaient eu des
songes et des visions sur l’approche du Seigneur. Quelques-uns
veillaient et regardaient toujours du côté par où il devait venir. Ils le
virent tout entouré de lumière descendre dans la vallée : car
plusieurs de ces gens simples étaient favorisés de grâces
particulières. Aussitôt ils soufflèrent dans un cornet pour réveiller et
convoquer ceux qui demeuraient à distance. Ils avaient coutume de
faire ainsi dans les occasions de quelque importance. Tous
accoururent au-devant du Seigneur et se prosternèrent devant lui,
allongeant humblement le cou et ayant leurs longs bâtons sous le
bras.
Plusieurs avaient la face contre terre. Ils avaient des jaquettes
courtes, le plus souvent en peau de mouton, les unes ouvertes sur la
poitrine, les autres tout à fait fermées, et qui leur allaient jusqu’aux
genoux : ils portaient des sacs jetés en travers sur les épaules. Ils
saluèrent Jésus avec des passages des psaumes qui se rapportent à
l’avènement du Sauveur, et expriment la reconnaissance d’Israël
pour l’accomplissement de la promesse. Jésus fut très-affectueux
avec eux, et il leur parla du bonheur de leur condition. Il enseigna ça
et là dans les cabanes qui étaient rangées tout autour de la large
vallée des prairies : ce fut le plus souvent en paraboles tirées de la vie
pastorale.
Il s’avança ensuite avec eux dans la vallée, dans la direction de
Bethléem, jusqu’à la tour des Bergers {35}. Il leur parla de la visite
qu’il leur faisait maintenant, à eux qui l’avaient salué dans son
berceau, et qui s’étaient montrés charitables envers lui et ses parents.
Il enseigna aussi en paraboles, où il parlait de pasteur et de troupeau,
disant que lui aussi serait un pasteur, rassemblerait le troupeau, le
guérirait et le conduirait jusqu’à la fin des temps.
Les bergers firent des récits sur l’apparition des anges, sur la
sainte Famille et l’Enfant ; ils racontèrent comment, eux aussi,
avaient vu l’image de l’Enfant dans l’Etoile au-dessus de la grotte de
la crèche.
Ils parlèrent aussi des rois mages qui avaient vu la tour des
Bergers dans les astres, et des nombreux présents que les rois leur
avaient faits en partant. Parmi ces présents, il y avait de grosses
étoffes pour les tentes dont ils s’étaient servis ici, à la tour des
Bergers et dans leurs cabanes. Il se trouvait là quelques vieillards qui
avaient été à la crèche dans leur jeunesse. Ils redirent à Jésus tout ce
qui s’était passé alors.

(5 octobre.) Le jour d’après, Jésus et les disciples furent conduits


par les bergers plus près de Bethléem, à l’endroit où demeuraient les
fils survivants des trois vieux bergers auxquels les anges étaient
apparus d’abord, lors de la nativité du Christ, et qui lui avaient
présenté leurs hommages les premiers. Ils étaient enterrés à peu de
distance de l’habitation qui était à peu près à une lieue de la grotte de
la crèche. Trois fils de ces vieux bergers étaient vivants et déjà
avancés en âge. Les autres les respectaient beaucoup. Cette famille de
bergers jouissait d’une certaine prééminence parmi les autres,
comme les trois rois parmi leurs compagnons.
Ils accueillirent Jésus avec beaucoup de joie et d’humilité, et le
conduisirent à la sépulture de leurs pères. C’était une colline où il y
avait un vignoble : elle était isolée et entourée par le bas d’une toiture
sous laquelle était l’entrée de divers celliers et de plusieurs grottes.
Plus haut, sur la colline, était la grotte sépulcrale des vieux bergers.
Le jour y entrait par en haut. Les tombeaux étaient disposés dans le
sol suivant la direction indiquée par ces lignes : I ¾ I. Il y avait des
portes qui étaient fermées. Les bergers les ouvrirent pour Jésus, et je
vis les corps emmaillotés avec leur visage noirâtre. On avait comblé
les places vides autour des cercueils en y jetant une quantité de petits
fragments de pierre.
Les bergers montrèrent aussi à Jésus leur trésor : c’était ce qui
était resté à leurs pères des présents des trois rois : ils le conservaient
enfoui dans la grotte. Il consistait en petites barres d’or natif,
enveloppées dans des pièces d’étoffe très-précieuse brochée d’or. Ils
demandèrent à Jésus s’ils devaient donner tout cela au temple. Il leur
dit de le conserver pour la communauté qui serait le nouveau temple.
Il leur dit aussi qu’un jour on élèverait une église au-dessus de ce
tombeau (ce qui fut fait par sainte Hélène). À cette colline
commençaient des vignobles qui s’étendaient jusqu’à Gaza. C’était le
cimetière commun des bergers.
Ils conduisirent ensuite le Seigneur à la grotte de la crèche, lieu de
sa nativité, qui était environ à cinq lieues de là. On suivait, pour y
aller, une vallée charmante que longeaient trois sentiers passant
entre des groupes d’arbres fruitiers taillés.
Ils parlaient en chemin du cantique des anges, et je vis de nouveau
toutes ces scènes. Les anges apparurent en trois endroits : d’abord
aux trois bergers ; dans la nuit suivante, à la tour des Bergers, et,
enfin, près de la fontaine où Jésus avait été reçu hier matin par les
bergers. Ils se montrèrent en plus grand nombre à la tour des
bergers. C’étaient de grandes figures qui n’avaient pas d’ailes. Sur le
chemin de la grotte de la crèche, les bergers firent entrer le Seigneur
dans la grotte du tombeau de Maraha, nourrice d’Abraham, près du
grand térébinthe. {36}
Ils conduisirent ensuite Jésus à la grotte de la crèche. De ce côté,
qui était celui du levant, il n’y avait pas de chemin par lequel on pût
aller directement à Bethléem : on pouvait à peine de là voir la ville,
qui était séparée de la vallée des Bergers par des remparts écroulés et
toutes sortes de décombres, au milieu desquels passaient des
chemins creux. L’entrée de la ville la plus rapprochée était la porte
du midi, laquelle conduisait à Hébron. En sortant de cette porte, il
fallait contourner la ville au levant pour se rendre aux environs de la
crèche qui se liait à la vallée des Bergers.
On y arrivait, de cette vallée, sans toucher Bethléem. La grotte de
la crèche et les grottes adjacentes appartenaient aux bergers ; de tout
temps ils s’en étaient servis pour y loger du bétail et y déposer toutes
sortes d’objets, et aucune personne de Bethléem n’avait rien à y faire.
Joseph, dont la maison paternelle était dans la partie méridionale de
la ville, y était souvent venu dans son enfance, et y était entré en
rapport avec les bergers ; il s’y était aussi caché de ses frères et s’y
était retiré pour prier.
Les bergers allèrent avec Jésus à la grotte, où beaucoup de choses
avaient été changées : ils en avaient fait comme un petit oratoire.
Pour que personne ne mît le pied sur ce sol sacré, ils avaient entouré
d’un grillage la place de la crèche ; ils avaient fait un passage autour
et agrandi la grotte à cet effet. Le long de ce passage, étaient des
cellules creusées dans le rocher, comme autour d’un cloître. Les
parois et le sol avaient été tapissés avec des couvertures laissées par
les rois mages ; elles étaient de diverses couleurs, et des pyramides
étaient dessinées dans le tissu même, en plusieurs endroits.
(C’étaient vraisemblablement des triangles de couleur différente
dont on ornait souvent les murs chez les Juifs ; la Sœur mentionne
souvent ce genre d’ornement, notamment en décrivant la chambre à
coucher de Marie au temple.)
Ils avaient, en outre, pratiqué deux escaliers conduisant, du
passage dont on vient de parler, au haut de la grotte de la crèche ; au-
dessus de la grotte proprement dite, ils avaient enlevé le plafond avec
ses ouvertures étroites pour laisser passer le jour, et construit à la
place une espèce de coupole par où la lumière tombait d’en haut. On
pouvait, par l’un des escaliers, monter sur la colline, et de là gagner
Bethléem. Ils avaient pu faire tous ces changements, grâce à ce que
les rois mages avaient laissés.
On était au vendredi soir, à l’ouverture du sabbat, lorsqu’ils
conduisirent là Jésus ; ils avaient allumé des lampes dans la grotte de
la crèche. La crèche elle-même était restée à son ancienne place.
Jésus leur montra l’endroit où il était né, qu’ils ne connaissaient pas.
Il leur fit une instruction, et ils célébrèrent le sabbat. Il leur dit
comment son Père céleste avait désigné ce lieu par avance, lors de la
conception de Marie, et j’eus aussi connaissance de divers
événements figuratifs de l’Ancien Testament, qui s’étaient passés en
cet endroit Abraham y était venu ainsi que Jacob.
Seth, l’enfant de la promesse, y avait été engendré après une
pénitence de sept années, et Eve l’y avait mis au monde. C’était là
qu’un ange avait dit à Eve que Dieu lui donnait ce rejeton à la place
d’Abel. Il y avait été longtemps caché aussi bien que dans la grotte du
tombeau de la nourrice Maraha, parce que ses frères en voulaient à
sa vie comme les fils de Jacob à la vie de Joseph.
Les bergers conduisirent encore Jésus dans la grotte voisine, où la
sainte Famille avait habité quelque temps. Ils avaient enclos avec
soin la fontaine qui avait jailli là à la naissance du Christ, et ils
faisaient usage de son eau dans leurs maladies. Jésus fit prendre de
cette eau pour l’emporter.

(7 octobre.) Remarque. À cette époque, la narratrice était devenue


malade à la mort, par suite de la douleur que lui causait la corruption
des hommes, et les visions sur la vie de Jésus, qui se rapportaient à
ces jours-là paraissaient tout à fait perdues. Le 8 octobre au soir, elle
tendit la main à l’écrivain, et lui dit comme pour le consoler : « J’ai
tout vu ; il est encore chez les bergers. » C’est toujours dans la
souffrance qu’elle est le plus affectueuse. Elle communiqua les
fragments qui suivent.

Jésus visita aujourd’hui avec les disciples les différentes


habitations des bergers qui se trouvent dans les environs ; il y
consola et enseigna. Les disciples allaient parfois seuls dans
quelques-unes d’entre elles, les unes après les autres ; ils
expliquaient les enseignements de Jésus et racontaient ce qui s’était
passé à son baptême.
Saturnin baptisa plusieurs vieillards qui n’étaient pas en état
d’aller au baptême de Jean. On mêlait pour cela de l’eau de la
fontaine baptismale de Jésus, dans l’île du Jourdain, avec celle de la
source qui était dans la grotte voisine de la crèche.
Au baptême de Jean, on confessait ses péchés en général, mais
ceux qui recevaient le baptême de Jésus confessaient
individuellement leurs péchés les plus graves, témoignaient leur
repentir et recevaient l’absolution. Les gens âgés s’agenouillaient ;
leur corps était nu jusqu’à la ceinture. Il y avait devant eux un grand
bassin au-dessus duquel ils courbaient la tête, et on les baptisait. à ce
baptême, comme dans la formule dont Jean fit usage en baptisant
Jésus, on prononçait le nom de Jéhovah, et on faisait mention des
trois dons célestes, mais on parlait aussi au nom de l’envoyé de Dieu.
Jésus, le plus souvent, passait les nuits, seul, en prière sur les
collines. À la fin de son séjour chez les bergers, il dit aux disciples,
qu’il voulait aller seul visiter des gens qui l’avaient accueilli avec
bienveillance, lui et ses parents, lors de leur fuite en Egypte, ajoutant
qu’il avait là des malades à guérir et un pécheur à convertir. Aucune
trace de ses saints parents ne devait rester sans bénédiction. Il allait
rechercher, pour les mettre dans la voie du salut, tous ceux qui,
autrefois, s’étaient montrés hospitaliers et charitables envers eux.
Toute bonne œuvre, toute œuvre de miséricorde avait été ici une
participation à l’œuvre du salut, et devait l’être pour toujours ; de
même qu’il visitait tous ceux qui, autrefois, s’étaient montrés
charitables envers lui et envers les siens, de même, son Père céleste
se souviendrait de tous ceux qui auraient témoigné de la charité et
fait du bien au moindre de ses frères. Il donna rendez-vous à ses
disciples à un certain endroit voisin d’une ville ou d’une montagne
d’Ephraïm, près d’une grotte où ils devaient l’attendre les jours
suivants.
Le 8 octobre, je vis Jésus, seul, à la frontière du territoire
d’Hérode, se diriger vers le désert, près d’Anim ou Engannim, à deux
lieues de la mer Morte, dans un pays sauvage, mais assez fertile. (Elle
dit plus tard de cette ville, qu’elle était habitée par des gens rejetés de
la société. La fuite en Egypte eut lieu par la partie orientale de la
Judée, le retour par le côté qui longe la mer Méditerranée, par Gaza.)
On voyait, dans ce pays, plusieurs chameaux qui paissaient ; il y en
avait bien une quarantaine, et ils étaient parqués. J’avais déjà vu
Jésus sur la route, passer au milieu de semblables troupeaux. Il y
avait une espèce d’hôtellerie pour les gens qui allaient au désert vers
lequel Jésus se dirigeait. On voyait plusieurs cabanes et hangars à
côté les uns des autres ; ces gens avaient beaucoup de chameaux et
ils étaient, je crois, chameliers de profession. Les maisons étaient
adossées à une hauteur. Il se trouvait à l’entour des fruits sauvages.
Cet endroit avait été le dernier du territoire d’Hérode où la sainte
Famille s’était arrêtée, lors de la fuite en Egypte. Ceux qui habitaient
là, quoique ce fussent de méchantes gens qui souvent exerçaient le
brigandage, avaient pourtant bien reçu la sainte Famille. La ville
voisine était aussi habitée par des hommes de vie irrégulière qui s’y
étaient établis à la suite de quelques guerres.
Jésus entra dans la maison et demanda l’hospitalité. Le maître
s’appelait Ruben, il avait environ cinquante ans et se trouvait déjà ici
lors de la fuite en Egypte. Lorsque Jésus lui adressa la parole et fixa
les yeux sur lui, il en partit comme un rayon qui lui entra dans la
poitrine ; il fut tout bouleversé. Les paroles et la salutation de Jésus
furent comme une bénédiction, et cet homme, tout ému, lui
répondit : « Seigneur, c’est comme si la Terre-Promise venait avec
vous dans ma maison. » Jésus lui dit que s’il croyait à la promesse et
n’en repoussait pas loin de lui l’accomplissement, il aurait aussi part
à la Terre-Promise. Il parla aussi des bonnes œuvres et de leurs
conséquences, lui dit qu’il venait à lui pour lui annoncer le salut,
parce que, trente ans auparavant, sa mère et son père nourricier,
fugitifs, avaient été bien accueillis dans sa maison ; que cette bonne
action portait son fruit ; que chaque œuvre portait le sien, bon ou
mauvais.
Alors cet homme, tout bouleversé, se prosterna par terre et lui dit :
« Seigneur, comment peut-il se faire que vous entriez dans la maison
d’un misérable réprouvé comme moi ? » Jésus lui expliqua qu’il était
venu pour ramener les pécheurs et les purifier. Cet homme ne cessait
de parler de la réprobation qui le poursuivait ; il disait que tous les
gens de ce lieu étaient une race maudite et le rebut de l’humanité. Il
dit encore que ses petits enfants étaient malades, et dans un triste
état. Jésus lui répondit que s’il croyait en lui et voulait se faire
baptiser, il rendrait la santé à ses petits enfants. Il lava les pieds de
Jésus, et lui donna ce qu’il avait pour sa réfection.
Les voisins vinrent alors, et il leur dit qui était Jésus et ce qu’il lui
avait promis. Il y avait là un de ses parents qui s’appelait Issachar. Il
conduisit aussi Jésus à ses petits enfants malades. Ils étaient ou
lépreux ou perclus, et dans un état de rachitisme complet. Jésus alla
aussi voir les femmes qui étaient malades et affligées de pertes de
sang. Il commanda aux enfants de se lever et ils furent guéris : il
donna l’ordre de leur apprêter un bain.
On plaça un grand vase plein d’eau sous une tente, et Jésus y versa
un peu de l’eau baptismale du Jourdain qu’il portait à son côté sous
sa longue robe dans deux flacons attachés avec des courroies, puis il
bénit l’eau. Les malades s’y lavèrent : tous en sortirent guéris et
remercièrent le Seigneur. Il ne les baptisa pas lui-même, mais cette
ablution fut comme un ondoiement, et il les exhorta à aller au
Jourdain recevoir le baptême.
Ils lui demandèrent si le Jourdain avait donc une vertu
particulière, et il leur répondit que la voie du Jourdain avait été
mesurée et établie, et que tous les lieux saints de la Terre-Promise
avaient été marqués par son Père céleste avant qu’il y eût des
habitants, bien plus, avant que cette terre et le Jourdain existassent.
Il dit à ce sujet d’admirables choses que j’ai oubliées.
Il parla en outre du mariage, s’entretint avec les femmes,
recommanda la chasteté et continence, et représenta l’abaissement
des gens de cet endroit et l’état misérable des enfants, comme étant
la suite d’unions contraires à la règle, qui avaient lieu dans cette
contrée : il parla de la part qu’avaient les parents à l’état misérable
des enfants, des moyens d’arrêter le mal, qui étaient la pénitence et
la satisfaction, et de la renaissance par le baptême.
Il parla de tout ce qu’ils avaient fait pour la sainte Famille lors de
sa fuite, et enseigna dans les endroits ou elle avait pris sa nourriture
et s’était reposée. Joseph et Marie avaient avec eux, pendant la fuite
en Egypte, un âne et une ânesse. Il leur montra tous leurs actes
d’alors comme des figures prophétiques de ce qu’ils faisaient
actuellement pour passer de l’état de péché à l’état de grâce. Ils
apprêtèrent pour le Seigneur un repas aussi bon que cela leur fut
possible. Il se composait d’une espèce de laitage épais semblable à du
fromage blanc, de miel, de petits pains cuits sous la cendre, de
raisins et d’oiseaux.

(9 octobre.) Aujourd’hui j’ai vu Jésus revenir d’Anim en


compagnie de quelques-uns de ces hommes, mais par un autre
chemin. Il arriva vers le soir près d’un endroit situé sur les deux côtés
d’une montagne ; il y avait là une vallée sauvage venant de l’orient, et
coupée de ravins profonds. Cet endroit ou cette montagne avait un
nom qui ressemblait à Ephraïm ou Ephron. La direction des
montagnes était vers Gaza.
Jésus était venu par le pays d’Hébron. On voyait aussi à quelque
distance du chemin qu’il avait suivi un bourg en ruines, avec une tour
dont le nom ressemblait à Malaga (vraisemblablement Malada, que
Flavius Josèphe, XVIII, 7, 2, appelle Malatha). À une lieue d’ici à peu
près était le bois de Mambré ou les anges apportèrent à Abraham la
promesse qu’il aurait un fils. La double caverne qu’il avait achetée
d’Ephron, l’Héthéen, et où était sa sépulture, n’était pas éloignée de
là non plus que le lieu du combat de David contre Goliath.
Jésus, que ses compagnons avaient quitté, fit le tour d’un côté de
la ville, divisée en deux parties, et ses disciples, auxquels il avait
assigné cet endroit, le trouvèrent dans la vallée, suivant un sentier
escarpé. Laissant de côté cette gorge, il les conduisit à une grotte
située dans un endroit tout à fait sauvage et d’un accès difficile, mais
très-spacieuse. Ils y passèrent la nuit. C’était là qu’avait été la sixième
station de la sainte Famille lors de la fuite en Egypte. Voici ce qu’elle
dit de cet endroit, le 18 octobre : « La grotte où s’était réfugiée Marie,
près d’Ephraïm, fut appelée dans la suite lieu du séjour de Marie, et
des pèlerins la visitaient sans qu’on sût exactement le fait qui s’y
rattachait. Plus tard, il ne demeurait là que de pauvres gens. {37} »
Jésus raconta cela aux disciples, qui, à l’aide d’une mécanique avec
laquelle on fait tourner rapidement un morceau de bois dans un
autre, avaient allumé du feu. Il leur parla de la sainteté de ce lieu. Un
prophète, Samuel, si je ne me trompe, y était souvent venu prier.
David avait gardé les troupeaux de son père dans les environs ; il
avait prié dans cette grotte et y avait reçu des ordres de Dieu,
apportés par les anges : ce fut là aussi qu’il lui fut commandé d’aller
tuer Goliath. J’ai vu là d’autres choses dont je ne me souviens plus.
Je vis que la sainte Famille, dans sa fuite, arriva là très-fatiguée et
très-abattue ; que la sainte Vierge en particulier était fort triste et
pleurait : ils manquaient de tout, car ils allaient par des sentiers
détournés, évitant les grandes villes et les hôtelleries fréquentées : ce
fut leur sixième station. Ils se reposèrent là tout un jour. Il y eut là
aussi plusieurs grâces miraculeuses pour leur soulagement : une
source jaillit dans la grotte, et une chèvre sauvage vint à eux et se
laissa traire. Je crois aussi qu’un ange vint les consoler.
Jésus parla aux disciples des grandes souffrances qui les
attendaient, eux et tous ceux qui voudraient le suivre. Il parla
beaucoup des peines que sa sainte mère et lui avaient endurées ici,
de la miséricorde de son Père céleste, et de la sainteté de ce lieu. Il
ajouta qu’on y bâtirait un jour une église, et il bénit cette grotte
comme s’il l’eût consacrée. Ils mangèrent là quelques fruits et
quelques petits pains que les disciples avaient apportés avec eux.

(10 octobre.) Ce matin, Jésus quitta la grotte, et ils se dirigèrent


vers Bethléem, en contournant l’autre côté de la montagne et de la
bourgade. Ils arrivèrent près de quelques maisons isolées et
entrèrent dans une hôtellerie où ils prirent un peu de nourriture et
où on leur lava les pieds. Les gens étaient bons et curieux. Jésus
enseigna sur la pénitence, sur l’approche du salut et sur ce qu’il
fallait faire pour le suivre.
On lui demanda pourquoi sa mère avait fait le long voyage de
Nazareth à Bethléem, lorsqu’elle aurait pu rester chez elle où elle
aurait été si bien. Alors Jésus parla de la promesse, dit qu’il avait dû
naître dans la pauvreté, à Bethléem, et parmi les bergers, comme
étant lui-même un berger qui devait rassembler le troupeau : c’était
pour cela qu’il avait voulu parcourir ces contrées habitées par des
bergers, aussitôt après que son Père céleste avait rendu témoignage
de lui.
D’ici il alla vers la partie méridionale de Bethléem, qui n’était
guère qu’à deux lieues, suivit quelque temps la vallée des Bergers, là
où elle se dirigeait vers le midi, et contourna la partie occidentale de
Bethléem. Il laissa à droite la maison paternelle de Joseph, et arriva
le soir à Maspha, petite ville aujourd’hui, et située à quelques lieues
de Bethléem.
On pouvait voir Maspha de loin. Autour de la ville brillaient des
feux allumés dans des lanternes de fer, placées sur les routes
principales. La ville avait des remparts et des tours, et plusieurs
grandes routes la traversaient. Elle avait été longtemps un chef-lieu
religieux. Judas Macchabée (Macch., III, 46) y avait présidé à des
prières solennelles avant le combat, et rappelé à Dieu ses promesses
et l’injure que lui faisaient les édits de ses ennemis ; il avait aussi
déposé, en présence du peuple, ses vêtements sacerdotaux. Alors
cinq anges lui apparurent devant la ville et lui promirent la victoire.
C’est ici aussi que les Israélites s’assemblèrent pour combattre
contre la tribu de Benjamin, à cause des outrages faits à la femme
d’un lévite qui voyageait, et de la mort de cette femme qui en avait
été la suite. Ce crime fut commis près d’un arbre ; l’endroit était
encore entouré d’un mur et personne n’en approchait. Samuel aussi a
jugé à Maspha ; et c’est là qu’était le couvent des Esséniens, où
habitait Manahem, qui, dans son enfance, avait prédit la royauté à
Hérode.
Il avait été bâti par un Essénien du nom de Kharioth. Il vivait
environ cent ans avant Jésus-Christ. C’était un homme marié des
environs de Jéricho. Il s’était séparé de sa femme, et tous deux
avaient fondé plusieurs communautés pour les Esséniens, l’une pour
les hommes, l’autre pour les femmes. Il avait aussi établi un autre
couvent à peu de distance de Bethléem, et il était mort. Il avait été un
si saint homme, qu’à la mort du Christ, il fut un des premiers qui
sortirent de leur tombeau et apparurent.
Il y avait en cet endroit un grand nombre d’hôtelleries, et on y
savait très-promptement quand un étranger était arrivé. Jésus était à
peine dans l’hôtellerie, que beaucoup de gens se pressèrent autour de
lui. On le conduisit à la synagogue, où il expliqua la loi. Il y avait là
des espions dont les intentions n’étaient pas droites et qui voulurent
lui tendre des pièges, parce qu’ils avaient entendu dire qu’il voulait
amener les païens eux-mêmes au royaume de Dieu, et qu’il avait
parlé des trois rois chez les bergers. Jésus prêcha en termes très-
sévères : il dit que le temps de l’accomplissement de la promesse
était venu, que tous ceux qui renaîtraient par le baptême, qui
croiraient à celui que le Père avait envoyé et observeraient ses
préceptes, auraient part au royaume de Dieu ; mais que si les juifs ne
croyaient pas, la promesse leur serait retirée et passerait aux gentils.
Je ne sais pas bien m’exprimer, mais il dit qu’il n’ignorait pas
qu’on l’espionnait, que du reste ils pouvaient aller à Jérusalem y
rapporter ce qu’ils venaient d’entendre. Jésus dit aussi quelque chose
de Judas Macchabée, et d’autres événements arrivés ici. Comme on
lui parlait de la magnificence du temple et de la prééminence des
Juifs sur les gentils, il leur expliqua que le but de l’élection du peuple
juif et de son temple était atteint : car celui que le Seigneur avait
promis par la bouche des prophètes, était venu pour fonder le
royaume et le temple du Père céleste, etc.
Après avoir ainsi enseigné, Jésus quitta Maspha et alla à une lieue
plus à l’est. Il passa d’abord à travers un groupe de maisons et arriva
à une ferme isolée, chez des gens alliés à saint Joseph ; un beau-fils
du père de saint Joseph, fils d’une veuve qu’il avait épousée, s’était
marié ici et ses descendants y habitaient. Ils avaient eux-mêmes des
enfants, ils étaient baptisés et ils accueillirent Jésus avec une
bienveillance respectueuse. Il vint aussi chez eux plusieurs voisins.
Jésus leur fit une instruction et prit un repas chez eux. Après le
repas, il sortit seul avec deux de ces hommes qui s’appelaient
Aminadab et Manassé. Ils lui demandèrent s’il connaissait leurs
relations de famille, et s’ils devaient le suivre dès à présent. Il leur dit
que non ; qu’ils devaient se borner maintenant à être ses disciples en
secret. Ils se mirent à genoux et il les bénit. Ils se réunirent
ouvertement aux disciples avant sa mort. Il passa ici la nuit.

(11 octobre.) Le 11 octobre, Jésus alla deux lieues plus loin avec ses
disciples, et arriva près d’une ferme qui avait été l’avant-dernier
séjour de Marie avant Bethléem, dont elle pouvait être éloignée
d’environ quatre lieues. Des hommes de cette maison vinrent à sa
rencontre et se prosternèrent devant lui sur le chemin, pour l’inviter
à venir chez eux. On l’y accueillit avec beaucoup de joie. Ces gens
allaient presque journellement à la prédication de Jean et ils savaient
ce qui s’était passé de merveilleux au baptême de Jésus. On lui
prépara un repas et un bain chaud ; ils lui avaient aussi préparé une
belle couche. Jésus enseigna ici comme à l’ordinaire.
La femme qui, trente ans auparavant, reçut ici la sainte Famille,
vivait encore. Elle habitait seule dans le bâtiment principal, ses
enfants demeuraient près de là, et lui envoyaient sa nourriture.
Quand Jésus se fut baigné, il alla visiter cette femme, elle était
aveugle et tout à fait courbée depuis plusieurs années. Jésus parla de
la miséricorde et de l’hospitalité, des œuvres incomplètes et de
l’amour-propre. Il lui représenta le triste état où elle était, comme un
châtiment de péchés de ce genre. Elle fut très-émue, se confessa
coupable, et Jésus la guérit. Il lui prescrivit de se mettre dans l’eau
où il s’était lavé. Alors elle recouvra la vue, et redevint droite et bien
portante. Il lui défendit de parler de cela à personne.
Ces gens lui demandèrent en toute simplicité quel était le plus
grand de lui ou de Jean. Il répondit : « celui auquel Jean rend
témoignage. » Ils parlèrent aussi de l’énergie et du zèle de Jean, puis
de la belle taille et de la robuste apparence de Jésus. Jésus leur dit
que, dans moins de quatre ans, ils ne verraient plus rien d’apparent
en lui, et ne le reconnaîtraient plus, tant ce corps serait défiguré. Il
parla de l’ardeur et du zèle de Jean, le comparant à un homme qui
frappe à la porte de ceux qui dorment avant l’arrivée du maître, à un
ouvrier qui fraye le chemin à travers le désert pour que le roi puisse
passer, à un torrent d’eau qui nettoie le lit du fleuve.

(12 octobre.) Le matin, dès l’aube du jour, Jésus partit avec ses
disciples et une troupe de gens qui s’étaient réunis ici à lui ; il se
dirigea vers le Jourdain, qui pouvait être à trois lieues de distance, si
ce n’est davantage. Le Jourdain coule dans une large vallée qui
s’étend bien à une demi-lieue de chaque côté. La pierre de l’arche
d’alliance, placée dans l’endroit clos de murs où l’on avait célébré la
fête dont il a été parlé, se trouvait à une lieue à peu près en avant de
l’endroit où Jean baptisait, quand on allait directement vers
Jérusalem.
La cabane de Jean, près des douze pierres, était dans la direction
de Bethabara, un peu plus au nord que la pierre de l’arche d’alliance.
Les douze pierres elles-mêmes étaient à une demi-lieue de l’endroit
où l’on baptisait, dans la direction de Galgala. Galgala est sur le côté
occidental de la hauteur à un point où elle s’abaisse un peu.
Du bassin baptismal de Jean, on avait une belle vue sur les deux
rives en amont du fleuve, où la fertilité était très-grande. Le district
le plus renommé par les agréments du paysage, l’abondance des
fruits et la richesse du sol se trouvait au bord de la mer de Galilée ; ici
et ; autour de Bethléem, c’étaient plutôt des champs de blé des
prairies, des plantations de dourra, d’ail et de concombres.
Jésus avait déjà passé la pierre de l’arche d’alliance, et, se trouvant
à un quart de lieue de la cabane de Jean, où celui-ci enseignait, il
passa devant une ouverture de vallée, à un endroit d’où l’on pouvait
voir Jean dans le lointain. Jésus ne fut en vue du précurseur que
pendant deux minutes. Mais Jean fut saisi de l’esprit. Il montra Jésus
du doigt et s’écria : « Voici l’agneau de Dieu, qui efface les péchés du
monde, etc. » Jésus passa outre ; ses disciples étaient en groupes
séparés, en avant et en arrière. La troupe qui s’était adjointe à lui en
dernier lieu, venait ensuite. On était au commencement de la
matinée. Beaucoup de personnes ayant entendu les paroles de Jean
coururent de ce côté, mais Jésus était déjà passé. Ils le suivirent de
leurs acclamations, mais ils ne lui parlèrent pas autrement.

(Note de l’écrivain. Comme le lundi suivant, 17 octobre, Jésus


arriva le soir à Dibon pour la fête des Tabernacles, ce soir du
15 octobre est nécessairement le commencement du 15 du mois de
Tisri où s’ouvrait ; la fête des Tabernacles ; le jour d’aujourd’hui est
alors le 11 Tisri ou le second jour de la fête expiatoire, dans laquelle le
grand-prêtre maudissait dans le temple un bouc chargé de ses péchés
et de ceux de tout le peuple, et le faisait chasser dans le désert. La
coïncidence de cette cérémonie avec les paroles du précurseur, jette
une lumière sur les mots : « Voici l’agneau de Dieu qui porte les
péchés du monde ! »)

Lorsque ces gens revinrent, ils dirent à Jean qu’il allait bien du
monde avec Jésus. Ils avaient aussi entendu dire que ses disciples
avaient déjà baptisé ; qu’allait-il advenir de tout cela ? Jean leur
répéta encore une fois qu’il quitterait bientôt ce lieu pour faire place
à Jésus, car il n’était que le précurseur et le serviteur. Cela ne plaisait
pas beaucoup à ses disciples ; ils étaient un peu jaloux des disciples
de Jésus.
Jésus dirigea sa marche vers le nord-ouest, laissa Jéricho à droite,
et alla vers Galgala, qui était à environ deux lieues de Jéricho. Sur
son chemin, il s’était arrêté dans plusieurs endroits, où les enfants
l’accompagnaient en chantant des cantiques de louange, ou bien
couraient dans les maisons pour faire venir leurs parents.
On appelait Galgala toute la plaine située à une certaine élévation
au-dessus du niveau de la vallée du Jourdain, et elle est entourée
dans une circonférence de cinq lieues, de ruisseaux qui vont se jeter
dans le fleuve. Mais l’endroit nommé Galgala, dont Jésus s’approcha
avant le soir, s’étend sur une longueur d’environ une lieue dans la
direction de la contrée où séjournait le précurseur. Les maisons sont
disséminées et il y a des jardins dans les intervalles.
Jésus entra d’abord en avant de la ville, dans un lieu considéré
comme saint, où l’on menait les prophètes et les docteurs renommés.
Ce fut là que Josué communiqua aux enfants d’Israël quelque chose
que Moïse, avant de mourir, avait fait connaître à Eléazar et à lui.
C’étaient six malédictions et six bénédictions. La colline où les
Israélites furent circoncis était voisine de ce lieu et entourée d’un
mur.
Je vis à cette occasion la mort de Moïse. Il mourut sur une petite
colline escarpée, qui est au milieu des montagnes de Nébo, entre
l’Arabie et Moab. Le camp des Israélites s’étendait au loin à
l’entoure : seulement quelques postes s’avançaient dans la vallée qui
tournait autour de la colline. Cette colline était toute recouverte
d’une plante verte comme le lierre, qui venait en touffes assez
semblables à celles du genévrier. Moïse s’en servait pour s’aider à
monter. Josué et Eléazar étaient près de lui. Je ne sais plus bien tout
ce qui se passa là. Je crois qu’il eut une vision de Dieu que les autres
ne virent pas.
Il donna à Josué un rouleau où étaient écrites six malédictions et
six bénédictions, qu’il devait faire connaître au peuple lorsqu’il serait
entré dans la Terre-Promise. Ensuite, les ayant embrassés, il leur
ordonna de se retirer sans regarder derrière eux. Alors il se mit à
genoux les bras étendus, et il tomba mort sur le côté. Je vis la terre
s’ouvrir pour ainsi dire sous lui, et se refermer après l’avoir reçu
comme dans une belle sépulture. Lorsque Moïse apparut sur le
Thabor au moment de la transfiguration de Jésus, je le vis venir de
cet endroit. Josué lut au peuple les six bénédictions et les six
malédictions.
Plusieurs amis de Jésus étaient venus l’attendre ici ; c’étaient
Lazare, Joseph d’Arimathie, Obed, le fils d’une des veuves de
Nazareth, et d’autres encore. Il y avait ici une hôtellerie. On lava les
pieds au Seigneur et ses compagnons, et on leur offrit quelque chose
à manger.
Jésus fit une instruction devant une grande foule d’auditeurs,
parmi lesquels il y en avait plusieurs qui voulaient aller au baptême
de Jean ; c’était près du bras du fleuve, où l’on avait ménagé, contre
la rive qui s’élevait en terrasse et qui était coupée par des marches,
un emplacement pour se baigner ou faire ses ablutions. Un pavillon
était étendu au-dessus, et il y avait à l’entour des jardins d’agrément
avec des arbres, des massifs de verdure et du gazon. Saturnin et, je
crois, deux autres disciples auxquels Jean se joignit, baptisèrent ici
après une instruction de Jésus sur le Saint Esprit. Il parla de ses
divers attributs, et dit à quels signes on pouvait reconnaître qu’on
l’avait reçu.
Le baptême de Jean était précédé d’une exhortation générale à la
pénitence, puis d’une protestation de repentir et d’une promesse de
ne plus pécher. Au baptême de Jésus, il n’y avait pas seulement
confession des péchés en général, mais chacun s’accusait à part et
confessait ses vices dominants, puis Jésus adressait des exhortations
et disait souvent leurs péchés en face à ceux que l’orgueil ou la
mauvaise honte retenait, afin de les porter par là à la contrition.
Jésus enseigna encore sur le passage du Jourdain et sur la
circoncision qui avait eu lieu ici, ajoutant que le baptême s’y donnait
maintenant pour ce motif, afin qu’il opérât la circoncision du cœur
chez ceux qui le recevaient ; il parla aussi de l’accomplissement de la
loi, etc.
Ceux qu’on baptisait ici n’entraient pas dans l’eau ; ils courbaient
seulement la tête au-dessus ; on ne les revêtait pas non plus d’une
robe baptismale, on se bornait à leur mettre un drap blanc sur les
épaules. Les disciples n’avaient pas une écuelle avec trois rainures
comme Jean, mais ils puisaient trois fois avec la main dans un bassin
placé devant eux Jésus avait béni l’eau et y avait versé de celle de son
baptême. Lorsque les baptisés, qui étaient bien au nombre de trente,
sortirent de là, ils étaient très-émus et très-joyeux, et disaient qu’ils
sentaient bien maintenant qu’ils avaient reçu le Saint-Esprit.
Jésus alla à Galgala pour le sabbat, suivi des acclamations de la
foule.
Le jour du sabbat, je vis Jésus, accompagné d’une suite
nombreuse, aller à la synagogue de Galgala. Elle était située dans la
partie orientale de la ville, du reste, très-grande et très-ancienne. Elle
était en forme de carré long, avec des pans coupés : par conséquent,
elle était plutôt octogone. Elle avait trois étages où étaient des écoles
placées l’une au-dessus de l’autre. Autour de chaque étage régnait
une galerie extérieure, et les escaliers montaient au dehors le long
des murs. Au-dessus, dans les pans coupés de l’édifice, se trouvaient
des niches dans lesquelles on pouvait se tenir et d’où l’on voyait à
une grande distance autour de soi.
La synagogue était dégagée de deux côtés et bordée de petits
jardins. Devant l’entrée étaient un vestibule et une chaire, comme au
temple de Jérusalem. Elle était précédée d’une cour antérieure avec
un autel en plein air où on avait sacrifié autrefois : il y avait aussi des
places couvertes pour les femmes et les enfants. On retrouvait là les
traces de toute une organisation semblable à celle du temple ; on
voyait que l’arche d’alliance y avait séjourné et qu’on y avait sacrifié.
Dans l’école d’en bas, où tout était particulièrement bien disposé,
il y avait, à l’extrémité qui correspondait à l’emplacement du Saint
des Saints dans le temple, une colonne octogone autour de laquelle
étaient des tablettes avec des rouleaux d’écritures. Plus bas s’étendait
une table qui entourait la colonne, et au-dessous se trouvait un
caveau ou l’Arche d’alliance avait reposé. Je ne sais pas si cette
colonne était déjà là à cette époque : je crois qu’elle fut placée plus
tard pour indiquer la sainteté de ce lieu qui était encore révéré. Cette
colonne était d’une belle pierre blanche polie.
Jésus enseigna dans l’école d’en bas, devant le peuple, les prêtres
et les docteurs. Il dit, entre autres choses, que le royaume promis
avait d’abord été fondé ici, qu’on y avait pratiqué plus tard une
idolâtrie abominable, si bien qu’il s’y trouvait à peine sept justes.
Ninive était cinq fois plus grande, et il n’y avait que cinq justes.
Galgala avait été épargnée par Dieu ; mais maintenant il ne fallait
pas qu’ils repoussassent la promesse d’un envoyé de Dieu au
moment où elle s’accomplissait ; il fallait faire pénitence et renaître
par le baptême, etc. Il ouvrit alors les écrits qui étaient devant la
colonne, et y lut des textes qu’il commenta.
Il enseigna ensuite les jeunes gens au second étage, et puis les
enfants au troisième. Etant descendu, il enseigna encore les femmes,
sous une halle qui était sur la place, et il s’entretint ensuite avec les
jeunes filles. Il traita ici de la chasteté et de la discipline, de la
curiosité qu’il fallait surmonter, de la décence dans les habillements,
dit qu’il fallait cacher sa chevelure et porter un voile sur la tête, au
temple et à l’école. Il parla de la présence de Dieu et de celle des
anges dans les lieux sanctifiés, et dit que les anges eux-mêmes
voilaient leur visage.
Il dit encore qu’au temple ou à l’école, ils étaient présents parmi
les hommes ; il expliqua en outre pourquoi les femmes devaient avoir
la tête voilée. Je l’ai oublié. Jésus fut très-affectueux envers les
enfants : il les bénit et les prit dans ses bras : ils montraient
beaucoup de penchant pour lui. Sa présence ici causa en général
beaucoup de satisfaction et de joie ; lorsqu’il quitta l’école, le peuple
faisait entendre devant lui et derrière lui des acclamations dont le
sens était à peu près celui-ci : « Que la promesse s’accomplisse,
qu’elle reste avec nous, qu’elle ne nous quitte pas. »
Le 14, après que Jésus eut enseigné à Galgala, on voulait lui
amener des malades, mais il s’y refusa, disant que ce n’était pas le
lieu ni le moment, qu’il devait s’en aller, qu’il était appelé ailleurs.
Lazare et les amis de Jérusalem étaient retournés chez eux. Il fit dire
à la sainte Vierge en quel endroit il irait la trouver avant de s’en aller
au désert, je crois que c’était à Corozaïm. Les saintes femmes
n’étaient plus à Thébez, elles étaient déjà en route pour l’endroit où
elles devaient se rencontrer avec Jésus. Mais elles n’allèrent pas à
Capharnaüm, parce qu’on y tenait beaucoup de propos sur leurs
fréquents voyages.

(14 octobre.) À Jérusalem, il y avait de grandes contestations


touchant Jésus, dont on avait entendu beaucoup parler : car ils
avaient partout des gens à leurs gages qui leur faisaient des rapports.
Il y eut une longue délibération sur Jésus dans un tribunal appelé le
sanhédrin, qui se composait de soixante et onze prêtres et docteurs :
l’affaire fut traitée dans un comité de vingt personnes, qui se
divisaient encore cinq par cinq pour consulter et discuter. Ils firent
des recherches dans les registres généalogiques, et il leur fut
impossible de nier que Joseph et Marie fussent de la race de David,
et la mère de Marie de la race d’Aaron ; mais, disaient-ils, ces
familles étaient tombées dans l’obscurité la plus complète, et Jésus
allait ça et là avec des gens de bas étage ; il se souillait en frayant avec
des publicains et des païens et caressait les esclaves.
Ils avaient ouï dire que, tout récemment, dans les environs de
Bethléem, Jésus s’était entretenu familièrement avec les sichémites
qui revenaient de leur travail : ils supposaient qu’il pourrait bien
avoir le dessein de soulever la populace. Quelques-uns prétendaient
que c’était peut-être un enfant supposé, puisqu’il s’était une fois
donné pour un fils de roi. C’était une fausse interprétation de sa
parabole. Il devait avoir été instruit secrètement, croyaient-ils, et ce
ne pouvait être que par le diable ; car il se retirait souvent à part et
passait les nuits, seul, dans des lieux déserts ou sur des collines. Ils
avaient déjà pris des informations sur tout cela.
Parmi ces vingt personnes, il s’en trouvait plusieurs qui
connaissaient mieux Jésus et ses adhérents, qui avaient été fort
touchées de ses discours, et qui étaient au nombre de ses amis
secrets. Mais ils ne contredisaient pas les autres, afin de rester en
position de rendre des services à Jésus et à ses disciples auxquels,
dans la suite, ils envoyèrent fréquemment des informations. On finit
par répandre dans Jérusalem la décision suprême des vingt ; c’est
ainsi qu’on qualifiait leur opinion que Jésus devait avoir été instruit
par le diable.
Le baptême qui avait eu lieu à Galala fut annoncé à Jean par ses
disciples et représenté comme une usurpation sur ses droits. Mais il
continua à déclarer, comme toujours, en s’humiliant profondément,
qu’il céderait bientôt la place à son Seigneur, dont il avait été le
précurseur, et auquel il avait préparé la voie. Toutefois, ses disciples
ne le comprirent pas.
Le 14, Jésus, accompagné d’une vingtaine de personnes, s’avança à
deux lieues vers le nord, dans la plaine de Galgala : ils passèrent un
cours d’eau à l’aide d’un tronc d’arbre, après quoi ils traversèrent un
bois et se dirigèrent au levant, par un chemin qui menait au
Jourdain. Ils passèrent le fleuve sur un radeau dirigé par des
rameurs. Il y avait des bancs le long de ce radeau ; au milieu se
trouvaient de grands baquets où l’on plaçait les chameaux qui,
autrement, auraient pu enfoncer leurs pieds dans l’eau, entre les
poutres.
Il y avait place pour trois chameaux. En ce moment, il n’y en avait
point ; le Seigneur et ses disciples étaient seuls. C’était le soir, et le
passage se faisait aux flambeaux. Jésus raconta la parabole du
semeur, qu’il expliqua encore le lendemain. Le passage durait bien
un bon quart d’heure, car le fleuve était très-rapide en cet endroit ; il
fallait d’abord remonter à une certaine hauteur, puis se laisser porter
par le courant. Le lieu où ils abordèrent n’était pas tout à fait en face
de celui d’où ils étaient partis.
Le Jourdain est un singulier fleuve : en beaucoup d’endroits on ne
peut pas le passer, et il n’y a pas de chemin le long de ses rives
escarpées. Souvent il tourne très-court, et semble couler vers un
point autour duquel il fait un détour. Souvent il est hérissé de
rochers où ses eaux se brisent en mille endroits ; il y a aussi
beaucoup d’îles. Il est tantôt trouble, tantôt limpide, selon la nature
du sol.
Il y a aussi quelques chutes ; son eau est douce et tiède.
À l’endroit où ils débarquèrent, il y avait des maisons de
publicains. Il passait là une grande route qui descendait du pays de
Cédar, vers lequel se dirigeait une vallée. Jésus entra chez des
publicains qui avaient déjà reçu le baptême de Jean. Plusieurs de ses
compagnons furent choqués de ce qu’il en agissait si familièrement
avec ces gens méprisés, et ils se tinrent à l’écart. Jésus et ses disciples
passèrent ici la nuit ; les publicains les hébergèrent avec beaucoup
d’humilité.
Leurs maisons étaient dans le fond de la vallée, tout contre le
Jourdain ; un peu plus loin étaient les hôtelleries pour les marchands
et les chameaux. Il y en avait un grand nombre pour le moment : ils
se trouvaient arrêtés là, parce qu’ils ne pouvaient pas se mettre en
route à cause de la fête des Tabernacles qui commençait le
lendemain. La plupart étaient païens, mais ils étaient obligés
d’observer le repos des jours de fête.
Les publicains demandèrent à Jésus ce qu’ils devaient faire du
bien mal acquis. Jésus répondit qu’il fallait le porter au temple : il
entendait cela dans le sens spirituel, et voulait parler de la
communauté chrétienne qui se forma par la suite. On devait acheter
de cet argent un champ pour de pauvres veuves, près de Jérusalem.
Il leur expliqua aussi pourquoi ce devait être un champ : cela se liait
à un développement de la parabole du semeur.
Le jour suivant, Jésus alla avec eux dans les environs, sans quitter
les bords du fleuve. Il parla encore là du semeur et de la moisson à
venir. C’était probablement à cause de la fête des Tabernacles, qui est
en même temps la fête de la récolte des fruits et du vin.
J’ai oublié de dire que, tout récemment, lorsqu’il vit faire la
moisson dans la vallée des Bergers, où il parla aux sichémites on
faisait aussi la vendange dans cet endroit.
Quand le Seigneur eut marché quelque temps avec les publicains,
et leur eut donné des enseignements dont j’ai oublié une grande
partie, je le vis, ce même jour, continuer sa route en suivant la vallée
jusqu’à un endroit peu éloigné où s’élevaient des deux côtés des
rangées de maisons qui bordaient le chemin pendant une demi-lieue
en bas et en haut des montagnes. On allait par là à Dibon, dont cet
endroit semblait être un faubourg. Dans toutes ces maisons on
célébrait la fête des Tabernacles ; à côté des maisons étaient dressées
des cabanes de feuillage, ornées de bouquets, de guirlandes de fruits
et de grappes de raisin.
Je vis d’un côté du chemin les cabanes de feuillage, et à part des
cabanes plus petites pour les femmes : de l’autre côté, celles où l’on
tuait les animaux. Des gens portant toute espèce d’aliments
traversaient le chemin, ainsi que des troupes d’enfants, allant d’une
cabane à l’autre. Ils faisaient de la musique et chantaient ; ils étaient
couronnés de guirlandes et avaient des instruments triangulaires
avec des anneaux ; ils les faisaient sonner. Ils avaient aussi des
triangles où étaient tendues des cordes, et un instrument à vent
auquel étaient adaptés plusieurs tuyaux roulés comme des serpents.
Jésus s’arrêtait ça et là et enseignait : on lui offrit à manger ainsi
qu’aux disciples, notamment des grappes de raisin portées par deux
personnes sur des bâtons. Le soir, le Seigneur logea dans une
hôtellerie, à l’extrémité de cette rangée de maisons, non loin de la
grande et belle synagogue de Dibon, qui était située entre Dibon et
ces habitations, sur une large place au milieu du chemin ; elle était
entourée d’arbres. Jésus fut aussi hébergé dans une cabane de
feuillage et il y enseigna.
Le jour d’après, Jésus enseigna dans la synagogue. Il raconta
encore la parabole du semeur, il enseigna sur le baptême et sur
l’approche du royaume de Dieu, parla aussi de la fête des
Tabernacles et de la manière dont on la célébrait ici. Il reprocha à ces
gens de mêler des choses païennes à leur culte, car il y avait encore
ici des Moabites, et les habitants avaient contracté des alliances avec
eux. Lorsque Jésus sortit de la synagogue, il trouva sur la place
beaucoup de malades qu’on avait apportés dans des litières.
Ils criaient : « Seigneur, vous êtes un prophète ! Vous êtes l’envoyé
de Dieu, vous pouvez nous secourir. Secourez-nous, Seigneur ? » Il
en guérit plusieurs. Le soir, on lui donna, ainsi qu’aux siens, un
grand repas dans l’hôtellerie. Il y avait dans le voisinage beaucoup de
marchands païens qui écoutaient. Il parla de la vocation des gentils,
de l’étoile qui avait paru dans le pays des rois mages, et du voyage
qu’avaient fait les rois pour visiter l’Enfant.
Il quitta cet endroit pendant la nuit, et alla seul prier sur une
montagne. Il donna rendez-vous à ses disciples pour le jour suivant
sur la route du côté du Dibon. Dibon est à six lieues de Galgala ; c’est
un endroit où il y a beaucoup de sources et de prairies ; on y voit
beaucoup de jardins et de terrasses.

Remarque. ― Aujourd’hui, 17 octobre et les jours suivants, la


narratrice, qui était très-souffrante, fut tellement gênée et dérangée
par des visites, qu’elle oublia beaucoup de choses, et fit peut-être
plus d’une confusion dans son récit.
Jésus, pendant la nuit, n’alla pas par la route du commerce qui
passait par Dibon, mais il prit un chemin de traverse, à deux lieues
du Jourdain, en remontant le fleuve. Le mercredi matin, je le vis avec
les disciples passer par un misérable village dont les maisons étaient
recouvertes avec des joncs. Les habitants dormaient encore dans les
cabanes de feuillage. Le nom de cet endroit signifie la maison de
l’Hyssope.
Jésus ne fit que le traverser, mais sur le chemin, il parla aux
disciples des jugements terribles qui devaient venir, d’une époque de
détresse et de dépravation où la mère mangerait son propre enfant.
Je vis alors une scène de la destruction de Jérusalem ; je vis une
femme qui alors n’était pas encore née, sortir de cette ville, et,
poussée a bout par le désespoir, faire rôtir son enfant et le manger.
Il alla encore dans une petite ville où il enseigna ; mais les
habitants étaient mal disposés pour lui. Il se trouvait là des espions
de Jérusalem qui le contredisaient et lui reprochaient ce qu’il disait
de son Père céleste. Il s’arrêta là quelque temps, et quitta cet endroit.
Je le vis traverser une petite rivière.
Vers le soir il arriva à Sukkoth. La ville n’était pas très-grande ;
mais il vint à lui une foule extraordinairement nombreuse où se
trouvaient plusieurs malades. Il enseigna dans la synagogue, et fit
donner le baptême. Outre Saturnin, quatre autres disciples
baptisaient. Lorsque Jésus passa devant Jean, il se trouva entre
autres, parmi ceux qui le suivirent, deux frères, neveux de Joseph
d’Arimathie par leur mère : l’un s’appelait Aram, le nom de l’autre
était comme Thémé ou Théméni. Ils étaient de Jérusalem et
orphelins.
C’était principalement à cause d’eux que Joseph, qui était leur
tuteur, était venu d’Arimathie. Ils avaient une part de propriété dans
le jardin où Jésus fut enseveli. Leur souvenir m’est revenu à la fête de
saint Luc. Ils furent disciples de saint Luc, qu’ils avaient connu
antérieurement, lorsqu’il voyageait encore en qualité de médecin et
de peintre, et auquel ils communiquaient fréquemment des nouvelles
de toute espèce. Ils furent aussi avec saint Paul, mais alors ils avaient
reçu d’autres noms. Ils allèrent avec Luc en Egypte, et aussi en
Bithynie, ou il fut martyrisé : c’est un pays par rapport auquel la
Judée est très-élevée.
À Sukkoth, le baptême se donnait près d’une fontaine située dans
une grotte creusée dans le roc, et tournée au couchant vers le
Jourdain. Toutefois, on ne pouvait pas voir le fleuve de là, à cause
d’une colline qui interceptait la vue. L’eau de la fontaine venait
pourtant du Jourdain ; elle était très-profonde. La lumière y arrivait
d’en haut par des ouvertures : devant la grotte était un lieu de
plaisance spacieux, élégamment arrangé, avec des arbustes, des
touffes de plantes aromatiques et du gazon. Il y avait là une ancienne
pierre monumentale qui avait rapport à une apparition de
Melchisédech à Abraham.
Jésus enseigna ici sur le baptême de Jean : c’était un baptême de
pénitence qui devait bientôt cesser et être remplacé par le baptême
du Saint-Esprit pour la rémission des péchés. Il leur fit faire une
confession de leurs péchés en général, après quoi ils s’accusèrent
individuellement de leurs principales transgressions les plus graves
et de leurs passions dominantes. Il en terrifia plusieurs en leur disant
les péchés dont ils s’étaient rendus coupables.
Il leur imposa les mains pour les absoudre. Ils ne furent pas
plongés dans l’eau. Près de la pierre commémorative d’Abraham, il y
avait un grand bassin au-dessus duquel ceux qui devaient être
baptisés se courbaient, les épaules nues. Celui qui administrait le
baptême leur versait trois fois de l’eau sur la tête avec la main ; un
grand nombre de personnes furent baptisées ici.
Abraham a habité à Sukkoth avec sa nourrice Maraha. Il y avait
des champs en trois endroits. Il fit déjà ici un partage avec Loth. Ce
fut ici que Melchisédech vint pour la première fois visiter Abraham :
ce fut une visite semblable à celle que lui faisaient souvent les anges.
Il lui prescrivit un triple sacrifice de colombes, d’oiseaux à long bec et
d’autres animaux. Il lui dit aussi qu’il viendrait plus tard à lui pour
faire une oblation de pain et de vin, lui fit connaître différentes
choses pour lesquelles il fallait qu’il priât, et lui annonça aussi des
événements futurs concernant Sodome et Loth. Melchisédech, à cette
époque, n’avait plus sa résidence terrestre à Salem. Jacob aussi
demeura ici.
Pendant que Jésus était à Dibon, je vis Luc dans la vallée de
Zabulon chez Barthélémy qui y avait son établissement. Ils parlaient
du baptême de Jean que Barthélémy avait reçu, et des bruits qui
couraient sur Jésus. Luc ne pouvait pas comprendre qu’il frayât avec
des gens de si bas étage. Je ne sais pas trop de quelle religion était
Luc. Il n’était ni juif ni païen : c’était un savant qui recueillait partout
des informations. Il était d’Antioche et portait un costume plutôt
romain que juif : il avait étudié en Egypte, exerçait la médecine,
recueillait des plantes, et il choisissait aussi des idoles qu’il envoyait
en Egypte. Il eut des relations fréquentes avec les disciples de Jésus,
mais ce ne fut que peu de temps avant la mort du Sauveur qu’il
s’adjoignit définitivement à eux.

(18 octobre.) Jésus continua son voyage vers le grand Chorazim,


où il avait donné rendez-vous à sa mère et aux saintes femmes dans
une hôtellerie située près de là. Il passa par Gerasa où il célébra le
sabbat. Après le sabbat, il se rendit à une hôtellerie située dans le
désert, à quelques lieues de la mer de Galilée. Les gens qui la
tenaient demeuraient dans le voisinage. On l’avait ornée comme une
cabane de feuillage. Les saintes femmes l’avaient louée depuis
quelques jours et y avaient tout disposé ; elles y célébraient
vraisemblablement pour leur compte la fête des Tabernacles.
Elles faisaient venir leur nourriture de Gerasa. La femme de Pierre
était avec elles ainsi que toutes les autres, même Suzanne de
Jérusalem, mais non Véronique. Jésus s’entretint en particulier avec
sa mère ; il lui dit qu’il irait encore à Béthanie, puis au désert. Marie
était sérieuse et triste : elle le pria de ne pas aller à Jérusalem, parce
qu’elle avait entendu parler de la délibération qui y avait eu lieu à son
sujet. Jésus passa la nuit ici.
Plus tard, il enseigna sur une colline où était un siège de pierre qui
avait autrefois servi de chaire. Il y avait là beaucoup de gens du pays
et une trentaine de femmes. Celles-ci se tenaient à part, toutes
ensemble.
Après l’instruction, il dit à ses compagnons qu’il se séparerait
bientôt d’eux pour un temps, qu’ils devraient alors s’en aller chacun
de leur côté, et les femmes de même, jusqu’à ce qu’il fût de retour. Il
parla aussi du baptême de Jean qui allait cesser, et de persécutions
qui l’attendaient lui et tous les siens.

(23 octobre.) Le dimanche soir, Jésus quitta l’hôtellerie avec une


vingtaine de disciples et de compagnons, et alla au sud-ouest dans un
district situé à environ douze lieues. Sur sa route étaient plusieurs
villes dont j’ai oublié les noms en partie. J’ai vu cette nuit tant de
villes dont il ne reste plus trace ! Il arriva près d’une ville devant
laquelle était une hôtellerie qui avait été louée à perpétuité pour lui
et les siens.
Marthe, qui venait de voyager pour la première fois en compagnie
des saintes femmes lorsqu’elles étaient allées à Gerasa, avait, lors de
ce voyage, tout disposé dans cette hôtellerie. Les gens qui la tenaient
demeuraient dans le voisinage. Les amis de Jérusalem en faisaient
les frais. Les femmes l’avaient indiquée hier à Jésus, lors de son
départ. La ville est à environ neuf lieues de Jérusalem et à six ou sept
de Jéricho.
Des Esséniens demeuraient dans le voisinage de l’hôtellerie ; ils
vinrent trouver Jésus, lui parlèrent et mangèrent avec lui. Il alla
aussi à la synagogue et enseigna sur le baptême de Jean, disant que
c’était un baptême de pénitence, une première purification
incomplète, cérémonie préparatoire, comme il s’en trouve quelques-
unes dans la loi, et qu’il différait du baptême de Celui que Jean
annonçait. Je n’ai vu rebaptiser ceux qui avaient reçu le baptême de
Jean qu’après la mort de Jésus et la descente du Saint Esprit : cela se
fit à la piscine de Bethesda. Les pharisiens de l’endroit lui
demandèrent à quels signes on devait reconnaître le Messie, et il le
leur dit. Il prêcha contre les mariages mixtes avec les Samaritains et
avec les païens.
Judas Iscariote, qui fut plus tard apôtre, avait assisté ici à la
prédication de Jésus. Il vint seul et non pas avec les disciples. Après
avoir écouté Jésus deux jours de suite, et bavardé à ce sujet avec les
pharisiens qui contredisaient le Sauveur, il était allé à un endroit
voisin assez mal famé, et il avait parlé avec emphase à un homme
pieux de l’enseignement de Jésus. Cet homme fit prier Jésus de venir
le voir.
Judas s’occupait de trafic, tenait des écritures et se chargeait de
toute espèce de commissions pour les uns et les autres. Il avait
hautement vanté Jésus ici, car c’était un flatteur, et il disait à chacun
ce qu’il croyait devoir lui plaire. Il partit avant l’arrivée de Jésus.

(24 octobre.) Jésus, sur l’invitation de l’homme dont il a été


question, se rendit chez lui avec ses disciples, après avoir fini son
instruction. Ce bourg n’était pas grand, il était d’origine nouvelle et
en assez mauvais renom, à cause des gens de toute espèce qui
l’habitaient. Il doit s’être passé près d’ici quelque chose qui a rapport
aux Benjamites : car il y avait dans le voisinage un arbre entouré d’un
mur dont personne n’approchait. Il y avait aussi un endroit où
Abraham et Jacob avaient offert des sacrifices. Esaü s’y était retiré
lorsque Jacob et lui se brouillèrent au sujet de la bénédiction
paternelle. Isaac résidait alors près de Sichar.
L’homme que Jésus vint visiter ici s’appelait Jaïre. C’était un
Essénien de ceux qui vivaient dans l’état de mariage. Il avait une
femme et plusieurs enfants. Ses deux fils s’appelaient Ammon et
Caleb. Il avait aussi une fille que Jésus guérit plus tard ; mais ce n’est
pas le Jaïre de l’Evangile. Il était de la race de l’Essénien Khariot, qui
avait fondé les couvents de Bethléem et de Maspha, et il savait
beaucoup de choses touchant les parents et la jeunesse de Jésus. Il
alla au-devant de lui avec son fils, et le reçut avec beaucoup de
déférence. Sa charité faisait de lui le principal personnage de cet
endroit mal famé.
Il prenait soin des pauvres, instruisait, à certains jours fixés, les
enfants et les ignorants, car il n’y avait en ce lieu ni école, ni prêtres.
Il assistait aussi les malades. Jésus mangea et logea chez lui. Le
Seigneur enseigna ici, comme à l’ordinaire, sur le baptême de Jean,
l’approche du royaume de Dieu, etc. Il alla avec Jaïre voir les
malades et les consola : toutefois, il ne voulut pas opérer de
guérisons. Il promit qu’il reviendrait dans quatre mois, et qu’alors il
les guérirait.
Dans sa prédication, il fit allusion aux événements qui s’étaient
passés ici, rapprocha la conduite d’Esaü, qui dans son ressentiment
s’était éloigné de son frère, des sentiments de mépris et de répulsion
que cet endroit inspirait aux autres juifs. Il parla de la miséricorde du
Père céleste, en vertu de laquelle la promesse était accomplie pour
tous ceux qui croyaient à celui qu’il avait envoyé, recevaient le
baptême, faisaient pénitence, et dit comment la pénitence
interrompait les suites des mauvaises actions.
Le soir, Jésus partit pour Béthanie, accompagné de Jaïre, des fils
de celui-ci et des disciples. Les premiers allèrent avec lui jusqu’à
moitié chemin. Le jour suivant, Jésus était avec ses disciples dans
une hôtellerie voisine de Béthanie. Il y enseigna longtemps, et en
prenant congé de ses auditeurs, il parla des dangers qu’il aurait à
courir ainsi que tous ceux qui l’accompagneraient dans la carrière où
il allait entrer. Il leur dit aussi qu’ils étaient libres de le quitter, et
qu’il leur fallait mûrement réfléchir s’ils voulaient à l’avenir
persévérer avec lui.
Lazare vint ici à sa rencontre, et lorsque les disciples furent partis
pour retourner chez eux, il ne resta avec lui qu’Aram et Théméni qui
l’accompagnèrent à Béthanie, où plusieurs de ses amis de Jérusalem
l’attendaient. Les saintes femmes y étaient aussi, entre autres
Véronique.

(26 octobre.) Je vis aujourd’hui Jésus à Béthanie chez Lazare.


Nicodème, Joseph d’Arimathie, Obed, fils de Véronique, Jean Marc
et Simon le lépreux, un pharisien de Béthanie, ami de Lazare, se
trouvaient là. Jésus enseigna sur le baptême de Jean et sur celui du
Messie, sur la loi et son accomplissement, sur toutes les sectes des
juifs et sur les caractères qui les distinguaient. On avait apporté de
Jérusalem des livres de l’Ecriture, et il leur expliqua des passages des
prophètes qui se rapportaient au Messie. Tous n’étaient pas présents
à cette explication, mais seulement Lazare et quelques-uns des plus
intimes.
Jésus parla de sa résidence future : ils lui conseillèrent de ne pas
s’établir à Jérusalem, et ils lui firent part de tout ce qu’on y disait de
lui. Ils l’engagèrent à résider à Salem, parce qu’il y avait peu de
pharisiens. Il parla de tous ces lieux, et parla aussi de Melchisédech,
dont le sacerdoce devait avoir son accomplissement, ajoutant que
Melchisédech avait mesuré les chemins et posé les fondements des
lieux où le Père céleste voulait que le Fils de l’homme passât. Il leur
dit encore qu’il serait le plus souvent sur les bords du lac de
Génésareth, etc. Jésus eut cet entretien avec eux dans un lieu retiré
des appartements qui donnaient sur le jardin.
Jésus s’entretint aussi avec les femmes. Ce fut dans les anciens
appartements de Madeleine, qui avaient vue sur la route de
Jérusalem. Sur la demande de Jésus, Lazare lui amena sa sœur
Marie la Silencieuse et le laissa avec elle : les autres femmes se
retirèrent dans le vestibule.
Aujourd’hui, Marie se comporta avec Jésus tout autrement que la
première fois. Elle se prosterna devant lui et lui baisa les pieds. Jésus
la laissa faire et la releva en la prenant par la main. Comme l’autre
fois, elle parla les yeux levés au ciel, et tint les discours les plus
profonds et les plus merveilleux, ce qu’elle fit de la façon la plus
simple et la plus naturelle. Elle parla de Dieu, de son Fils et de son
royaume, comme une fille de la campagne parlerait du père de son
seigneur et de l’héritage de celui-ci. Tout ce qu’elle disait était
prophétie, parce qu’elle voyait tout devant ses yeux.
Elle parla des dettes énormes qu’avait accumulées une mauvaise
administration dirigée par des serviteurs et des servantes infidèles ;
maintenant le Père avait envoyé son Fils pour tout remettre en ordre
et tout payer ; mais il devait être mal accueilli, mourir dans les
tourments, racheter son royaume au prix de son sang, et acquitter les
dettes des serviteurs, afin qu’ils pussent redevenir les enfants de son
Père. Elle disait tout cela en très-beaux termes, d’une façon toute
naturelle, comme si elle eût parlé de quelque chose qui se passait
près d’elle : elle s’en réjouissait, puis elle s’attristait de ce qu’elle
aussi était une servante inutile, et de ce qu’un si rude labeur était
imposé au Fils du Seigneur et du Père miséricordieux.
Elle gémissait aussi de ce que les serviteurs ne voulaient pas
comprendre cela : c’était pourtant bien naturel et il en devait être
ainsi. Elle parla encore de la résurrection, dit que le Fils devait aller
aussi visiter ces serviteurs qui languissent dans les prisons
souterraines, pour les consoler et les délivrer après qu’il les aurait
rachetés ; qu’alors il reviendrait avec eux vers son Père, et que tous
ceux qui ne le reconnaîtraient pas comme leur Rédempteur et
continueraient leurs mauvaises pratiques, seraient jetés dans le feu
quand il reviendrait pour juger.
Elle parla de la mort et de la résurrection de Lazare. « Il quitte ce
pays, disait-elle, il regarde tout, et on pleure autour de lui comme s’il
ne devait jamais revenir : mais le Fils le rappelle, et il travaille à la
vigne. » Elle parla aussi de Madeleine et dit : « La jeune fille est dans
l’affreux désert où étaient les enfants d’Israël, à la mauvaise place où
il fait si sombre et que le pied de l’homme n’a jamais foulée : mais
elle en sortira pour aller dans un autre désert où elle réparera tout
par la pénitence. »{38}
Marie la Silencieuse parlait d’elle-même comme d’une
prisonnière. Son corps lui paraissait une prison. Elle ne savait pas
que c’était là la vie, et elle désirait ardemment retourner dans sa
maison. Tout était étroit ici et personne ne la comprenait ; ils étaient
comme des aveugles. Elle se résignait pourtant volontiers à rester :
elle voulait attendre tranquillement : certainement elle ne méritait
pas mieux.
Jésus lui parla très-affectueusement : il la consola et lui dit : « Tu
retourneras dans la patrie après la Pâque, lorsque je reviendrai ici. »
Ensuite il lui donna sa bénédiction, qu’elle reçut à genoux. Il lui
imposa les mains, et il me sembla qu’il lui versait quelque chose sur
la tête avec une fiole : je ne sais pas bien si c’était de l’huile ou de
l’eau. J’eus l’idée confuse que c’était un baptême. Mais je n’en puis
rien dire : cela est resté obscur pour moi, et je crois maintenant que
peut-être je ne dois pas le savoir. » Après un intervalle de silence, la
narratrice continua en ces termes : Marie la Silencieuse était une
très-sainte personne.
Nul ne la connaissait et ne la comprenait ; elle vivait entièrement
absorbée dans des visions touchant l’œuvre de la Rédemption que
personne ne pressentait, mais qu’elle comprenait d’une façon tout à
fait naïve. On la croyait idiote. Lorsque Jésus lui fit connaître
l’époque où elle mourrait, et lui dit qu’elle sortirait alors de sa prison
pour retourner dans sa demeure, il lui fit une onction sur le corps en
vue de sa mort. On peut induire de là que le corps a plus de valeur
que beaucoup de gens ne le croient. Jésus prit pitié de Marie la
Silencieuse, qui, étant considérée comme aliénée, ne devait pas être
embaumée. Sa sainteté était un secret. Jésus congédia Marie la
Silencieuse, et elle retourna dans son appartement.
Jésus s’entretint ensuite avec les hommes, et leur parla du
baptême de Jean et du baptême du Saint-Esprit. Je ne me souviens
d’aucune différence considérable entre le baptême de Jean et le
premier baptême donné par les disciples de Jésus : celui-ci
seulement se rapportait d’une manière plus prochaine à la rémission
des péchés. Je n’ai vu rebaptiser aucun de ceux qui avaient reçu le
baptême de Jean qu’après la descente du Saint-Esprit. Avant le
sabbat, les amis de Jérusalem retournèrent à la ville. Aram et
Théméni allèrent avec Joseph d’Arimathie. Jésus leur avait dit qu’il
voulait se séparer des hommes pendant quelque temps, afin de se
préparer à sa laborieuse prédication. Il ne leur dit pas qu’il voulait
jeûner.
CHAPITRE CINQUIÈME.

Jésus dans le désert. ― Son jeûne de quarante jours.

Avant le sabbat, Jésus, accompagné de Lazare, alla à l’hôtellerie


que celui-ci possédait sur le chemin du désert. Il lui dit en particulier
qu’il reviendrait dans quarante jours, à partir de l’hôtellerie, il
continua son chemin seul et pieds nus. Il n’alla pas d’abord dans la
direction de Jéricho, mais vers le midi, comme s’il eût voulu aller à
Bethléem, en passant entre la résidence des parents de sainte Anne
et celle des parents de saint Joseph près de Maspha : alors il se
dirigea vers le Jourdain, faisant le tour de tous les villages par des
sentiers ; il passa tout contre le lieu où l’arche d’alliance s’était
arrêtée, et où Jean avait célébré une fête.
Il commença à gravir la montagne à une lieue environ de Jéricho ;
et il entra dans une caverne spacieuse. Cette chaîne de montagne, à
partir de Jéricho, court entre le levant et le midi, et, de l’autre côté du
Jourdain, elle se dirige vers Madian. Jésus commença son jeûne ici,
près de Jéricho ; il le continua en divers endroits situés au delà du
Jourdain et revint le terminer sur cette première montagne, qui est
celle où le diable le transporta. Au sommet de cette montagne, on a
une vue très-étendue.
Elle est en partie couverte de buissons, en partie nue et sauvage.
Elle ne s’élève pas jusqu’au niveau de Jérusalem, mais sa base est
située beaucoup plus bas, et elle est dans une situation plus isolée. Le
point le plus élevé des hauteurs de Jérusalem est la colline du
Calvaire qui se trouve au niveau du faîte du temple. Du côté de
Bethléem, et vers le midi, Jérusalem aboutit à des escarpements
coupés à pic : de ce côté aussi il n’y a pas d’entrée, et tout
l’emplacement est occupé par des palais.
Jésus gravit pendant la nuit la montagne escarpée et sauvage
qu’on appelle aujourd’hui montagne de la Quarantaine. Il y a trois
crêtes et trois grottes placées l’une au-dessus de l’autre. Derrière la
grotte supérieure dans laquelle entra Jésus, l’œil plongeait dans les
sombres profondeurs d’un précipice escarpé : toute la montagne était
pleine de fentes effroyables et dangereuses. Cette même grotte,
quatre siècles auparavant avait été habitée par un prophète dont j’ai
oublié le nom. Elle aussi, à une époque, a longtemps résidé ici en
secret : il élargit même l’une des grottes. Il descendit de là parmi le
peuple sans que personne ne sût d’où il venait ; il prophétisait et
pacifiait.
Cent cinquante ans avant Jésus, des Esséniens, au nombre
d’environ vingt-cinq, y avaient fait leur demeure. Le camp des
Israélites était au pied de cette montagne lorsqu’ils firent le tour de
Jéricho en portant l’Arche d’alliance au son des trompettes. La
fontaine dont Elisée rendit douces les eaux amères, est aussi dans les
environs. Sainte Hélène fit disposer des chapelles dans ces grottes.
J’ai vu sur le mur de l’une d’elles une peinture représentant la
Tentation. Il y eut plus tard un couvent sur cette hauteur. Je ne puis
m’imaginer comment les ouvriers pouvaient venir travailler là.
Sainte Hélène a fait construire des églises dans beaucoup de lieux
saints de la Palestine. Ce fut elle qui bâtit l’église placée au lieu de la
naissance de sainte Anne, deux lieues avant Séphoris. Les parents
d’Anne avaient aussi une maison à Séphoris même. Combien il est
triste que la plupart de ces saints lieux aient été tellement dévastés,
que le souvenir même s’en est perdu ! Lorsque étant jeune fille,
j’allais avant le jour dans la neige à l’église de Cœsfeld, je voyais
distinctement tous ces lieux sanctifiés, et je vis souvent des hommes
pieux qui se prosternaient à terre dans le chemin devant les guerriers
qui les dévastaient, afin de les préserver de la destruction.
Les paroles de l’Ecriture : « Il fut conduit par l’Esprit dans le
désert, » doivent s’interpréter ainsi : « Le Saint-Esprit qui vint sur lui
dans le baptême », en ce sens que Jésus fit participer son humanité à
tout ce qui appartient à la Divinité, le poussa à aller dans le désert, et
à se préparer, en tant qu’homme, en présence de son Père céleste,
aux souffrances auxquelles il était appelé.

(27 et 28 octobre.) Je vis Jésus à genoux et les bras étendus dans


la grotte. Il demandait à son Père céleste de le fortifier et de le
consoler dans toutes les souffrances qui lui étaient préparées. Il vit
d’avance toutes ses souffrances, et demanda la grâce nécessaire pour
chacune d’elles en particulier. Je vis cette vision depuis deux heures
jusqu’à quatre heures trois quarts du matin : elle contenait tant de
choses, que c’était comme si elle eut duré pour moi une année.
Je vis des représentations de toutes les peines, de toutes les
douleurs de Jésus jusqu’à sa mort. Je le vis implorer son Père, et
recevoir pour chacune d’elles la force, la consolation et tout ce qui la
rendait méritoire. Je vis s’abaisser sur lui une nuée blanche et
lumineuse aussi grande qu’une église, et après chacune de ses
prières, s’approcher de lui de grandes figures incorporelles,
lesquelles prenaient la forme humaine quand elles étaient près de lui,
lui rendaient hommage et lui apportaient chacune une consolation et
une promesse. Je ne puis exprimer tout ce que je vis et comment je le
vis.
Je vis que Jésus conquit pour nous dans le désert tout ce qui nous
est donné de consolations, d’encouragements, de secours, de
victoires dans les luttes que nous avons à soutenir ; qu’il acheta pour
nous tout ce qui peut rendre méritoires nos combats et nos
triomphes ; qu’il prépara d’avance pour nous tout ce qui fait la valeur
de nos mortifications et de nos jeûnes ; qu’enfin il offrit à Dieu le
Père tous les travaux et toutes les souffrances qui l’attendaient pour
donner du prix aux travaux futurs, aux luttes spirituelles, aux efforts
faits dans la prière par tous ceux qui croiraient en lui. Je vis aussi le
trésor que Jésus amassait par là pour l’Eglise et qu’elle ouvre dans le
temps du Carême. Je vis Jésus avoir une sœur de sang pendant cette
prière, et je me trouvai moi-même, lors de cette vision, la tête et la
poitrine inondées de sang. En ce moment, le jour commençait à
poindre.
Aujourd’hui, Jésus descendit de la montagne vers le Jourdain,
entre Galgala et le lieu où Jean baptisait, qui était environ une lieue
plus au midi. Il s’embarqua lui-même sur une poutre qui se trouvait
là pour traverser le Jourdain dans cet endroit étroit et profond que je
ne connaissais pas auparavant.
Il passa sur la rive orientale, puis, laissant à droite Bethabara et
coupant plusieurs routes qui conduisaient au Jourdain, il entra dans
les montagnes par le désert, en suivant des sentiers escarpés qui se
dirigeaient entre le levant et le midi il passa par une vallée qui va vers
Callirrhoé, et où il traversa une petite rivière, puis il s’avança plus au
nord, en suivant une arête de montagne jusqu’à un endroit où l’on a
en face de soi, dans la vallée, la ville de Jachza. C’était là que les
enfants d’Israël avaient battu Sehon, roi des Amorrhéens. Dans ce
combat, les Israélites étaient trois contre seize : mais il y eut un
miracle en leur faveur. Un bruit effrayant se fit entendre au-dessus
des Amorrhéens et les frappa de terreur.
Jésus était alors sur des montagnes extrêmement sauvages : c’était
quelque chose d’encore plus âpre que la montagne voisine de
Jéricho. On se trouve à peu près en face de celle-ci. Le mont du
désert où est Jésus est à environ neuf lieues du Jourdain. C’est ici
que Jésus fera son jeûne de quarante jours.
Ici aussi il a prié et vu dans toute leur étendue les souffrances qui
l’attendent. Satan n’est pas encore venu près du Sauveur. La divinité
et la mission de Jésus lui sont tout à fait cachées. Il n’a compris les
paroles : « C’est mon Fils bien aimé dans lequel je me complais, »
que comme s’il s’agissait d’un homme, d’un prophète. Toutefois,
Jésus a déjà à souffrir des luttes intérieures fréquentes et de diverse
nature. La première tentation fut cette pensée : « Ce peuple est trop
pervers : dois-je souffrir tout cela pour eux, sans pourtant faire
l’œuvre complètement ». Mais sa charité et sa miséricorde infinies
lui firent vaincre cette tentation causée par la vue de toutes ses
souffrances.

(29 octobre.) Je vis Jésus dans une étroite grotte de montagne


située dans la contrée de Jachza. Il était à genoux, priait sans relâche
et parlait à son Père. Je vis tous les péchés du monde entier se
présenter devant ses yeux, à partir de la chute originelle de l’homme.
Tout cela vint sur lui comme de grands nuages orageux : il vit tout ce
qu’il avait à souffrir pour cela, ce qui serait gagné et ce qui serait
perdu. Des anges vinrent encore près de lui.
Je vis Satan se glisser près de là : il s’approcha de l’entrée de la
grotte et y fit du bruit. Il avait pris la figure d’un des fils des trois
veuves que Jésus affectionnait particulièrement. Il pensait que Jésus
se mettrait en colère en voyant que ce disciple l’avait suivi malgré sa
défense. C’était ridicule et absurde à Satan. Jésus ne tourna même
pas les yeux de son côté. Satan regarda dans la grotte et se mit à tenir
toute espèce de propos sur Jean Baptiste, qui, disait-il, en voulait
beaucoup à Jésus de ce qu’il faisait baptiser en certains endroits, ce
qu’il ne lui appartenait pas de faire.
Le 30 octobre, la narratrice ne communiqua aucune vision, mais le
mercredi 31 octobre, elle dit : Jusqu’à quatre heures du matin, j’ai eu
la vision qui suit. Je vins près de Jésus dans la grotte. Elle me parut
cette fois plus spacieuse : hier je n’en avais vu que l’entrée. Il s’y
trouvait une ouverture par laquelle entrait un air pénétrant et froid.
Dans cette saison de l’année, le temps ici est très-froid et très-
nébuleux. La grotte était âpre et rocailleuse et le sol très-inégal. Elle
était formée d’une pierre veinée de couleurs variées, qu’on aurait
prises pour de la peinture si elle eût été polie. Aux alentours du
rocher, il venait quelques broussailles : on voyait là aussi des
quartiers de roc qui ressemblaient presque à des buissons. La grotte
était assez spacieuse pour que Jésus put s’agenouiller et se
prosterner à une place où il n’avait pas l’ouverture au-dessus de sa
tête.
Lorsque je vins près de Jésus, il était étendu la face contre terre. Je
me tins longtemps près de lui, et je regardai ses pieds que sa robe
laissait découverts jusqu’aux chevilles : ils étaient rouges et blessés
par les rudes sentiers qu’il avait suivis, car il était allé pieds nus dans
le désert. Je le vis tantôt se redresser, tantôt prier la face contre terre.
Je pus tout voir, car il était environné de lumière. Une fois un bruit
partit du ciel, et une grande clarté se répandit dans la grotte : il vint
toute une troupe d’anges qui portaient divers objets. Je me sentis
tellement oppressée et accablée, qu’il me sembla entrer, pour ainsi
dire, dans la paroi du rocher : j’eus l’impression que j’enfonçais, et je
me mis à crier : « J’enfonce ! Je vais enfoncer près de mon Jésus ! »
Là-dessus je m’éveillai, j’allumai ma lumière, j’entendis sonner
l’heure, et je vis tout ce qui suit étant éveillée.
Je vis les anges s’incliner devant Jésus, lui rendre hommage et lui
demander s’ils devaient lui présenter ce qu’ils étaient chargés de lui
apporter ; ils lui demandèrent aussi si c’était toujours sa volonté de
souffrir comme homme pour les hommes, ainsi que cela avait été sa
volonté lorsqu’il était descendu du sein de son Père céleste et s’était
incarné dans le sein de la Vierge. Jésus ayant accepté de nouveau ces
souffrances, les anges érigèrent devant lui une grande croix dont ils
avaient apporté séparément les différentes parties. Cette croix avait
la forme que je lui ai toujours vue, mais elle se composait de quatre
pièces de même que les pressoirs en forme de croix, que je vois dans
mes visions.
Ainsi, la partie supérieure de l’arbre de la croix, qui s’élève entre
les deux bras, était séparée. Je crois avoir vu là environ vingt-cinq
anges. Cinq portaient la partie inférieure de la croix, trois la partie
supérieure, trois le bras gauche, trois le bras droit, trois le morceau
de bois où posaient les pieds, trois portaient une échelle, un autre
une corbeille avec des cordes et des outils, d’autres une lance, un
roseau, des verges, des fouets, une couronne d’épines, des clous et
aussi les habits dont il devait être revêtu par dérision ; enfin tout ce
qui figura dans sa passion se trouvait là.
La croix était creuse : elle s’ouvrait comme une armoire, et elle
était remplie partout d’innombrables instruments de martyre de
toute espèce. Au milieu, à l’endroit où le cœur de Jésus fut percé, un
assemblage des instruments de supplice les plus variés représentait
toutes les tortures imaginables. La couleur de la croix était d’un
rouge de sang dont la vue causait une émotion douloureuse. Toutes
les parties et toutes les places de cette croix étaient teintes de
couleurs différentes d’après lesquelles on pouvait reconnaître la
peine qui y serait endurée ; de chacun de ces endroits partaient des
rayons qui aboutissaient au cœur. Les instruments mis chacun à leur
place étaient également la figure des tortures qu’ils devaient causer.
Il y avait en outre dans la croix des vases avec du fiel et du
vinaigre, puis aussi de l’onguent, de la myrrhe et quelque chose qui
ressemblait à des aromates ; tout cela vraisemblablement avait
rapport à la mort du Sauveur et à sa sépulture. Il y avait encore une
quantité de longues banderoles déroulées comme des écriteaux de
différentes couleurs, de la largeur de la main, sur lesquelles étaient
inscrites des souffrances de divers genres. Les couleurs indiquaient
avec leurs différents degrés d’épaisseur les ténèbres où les
souffrances du Sauveur avaient à faire pénétrer la lumière.
La couleur noire désignait ce qui devait se perdre ; la couleur
brune, ce qui était trouble, desséché, mélangé, souillé ; la couleur
rouge, ce qui était appesanti, terrestre, sensuel ; la couleur jaune
marquait la mollesse et la répugnance à souffrir. Il y avait des bandes
moitié jaunes, moitié rouges, qui devaient devenir entièrement
blanches ; d’autres étaient complètement blanches, d’une blancheur
de lait, et l’écriture y était lumineuse ; on voyait à travers. Celles-ci
désignaient ce qui était gagné, ce qui était accompli.
Tous ces rubans avec leurs couleurs donnaient comme le compte
des douleurs et des travaux de toute espèce, que Jésus aurait à
supporter dans sa carrière avec ses disciples et d’autres personnes.
On lui mit aussi devant les yeux, tous les hommes par lesquels
devaient lui venir le plus souvent des souffrances cachées ; ainsi les
Pharisiens avec leur malignité, le traître Judas, les Juifs sans pitié
pour sa mort cruelle et ignominieuse. Les anges disposèrent et firent
passer tout cela sous les yeux du Sauveur avec un respect indicible et
une solennité sacerdotale ; quand toute la passion fut figurée et
représentée devant lui, je le vis pleurer ainsi que les anges. Ensuite
les anges se retirèrent et je fus ravie dans une vision concernant les
pauvres âmes du purgatoire.

(2 novembre.) Comme j’étais près du Seigneur, je le vis prier, la


face contre terre. Le diable avait fait apparaître devant lui sept à huit
de ses disciples. Ils entrèrent un à un dans la grotte et dirent qu’ils
avaient appris par Eustache où il était, qu’ils l’avaient cherché pleins
d’inquiétude, qu’il ne devait pas les abandonner pour se réduire à la
dernière détresse sur le haut de cette montagne. On tenait tant de
propos sur son compte, disaient-ils ; il ne devait pourtant pas se
laisser imputer telle et telle chose. Mais Jésus ne répondit rien, si ce
n’est : « Retire-toi de moi, Satan, le temps n’est pas encore venu. »
Alors tout disparut.

(3 novembre.) Je vis le Seigneur prier dans la grotte, la face contre


terre. Il était tantôt agenouillé, tantôt debout ; je l’ai vu aussi une fois
couché sur le côté. Je vis un homme très-vieux, très-faible, d’un
aspect vénérable, gravir péniblement la montagne escarpée. C’était
chose si difficile pour lui que j’en avais pitié. Il s’approcha de la
grotte et tomba tout épuisé à l’entrée en poussant un gémissement
plaintif. J’étais presque chagrine de ce que Jésus ne venait pas à son
aide ; mais il ne le regarda même pas.
Le vieillard se releva lui-même et dit à Jésus qu’il était un
Essénien du mont Carmel, qu’il avait entendu parler de lui et que,
quoique mourant, il était venu à sa suite jusqu’ici. Il le priait donc de
vouloir bien l’accueillir et s’entretenir avec lui de choses saintes ; lui
aussi savait ce que c’était que jeûner et prier, disait-il, quand deux
personnes s’unissent ensemble en Dieu, l’édification est plus grand,
etc. Jésus ne répondit que quelques mots, comme : « Arrière, Satan,
le temps n’est pas encore venu. » Alors, je commençai à voir que
c’était Satan, car lorsqu’il se retira et s’évanouit, je le vis devenir
sombre et plein de rage. Alors je trouvai risible qu’il se fût jeté par
terre et qu’il eût été obligé de se relever à lui tout seul.
Satan ne connaissait pas la divinité du Christ. Il le prenait pour un
prophète ordinaire. Il avait vu sa sainteté dès sa jeunesse et aussi la
sainteté de sa mère qui ne faisait aucune attention à Satan. Elle
n’était accessible à aucune tentation. Il n’y avait rien en elle à quoi il
pût se prendre. Elle était la plus belle des 20 vierges et des femmes,
mais elle n’avait jamais eu sciemment de prétendants, sinon lors de
l’épreuve qui fut faite dans le temple avec des branches d’arbre, et à
la suite de laquelle il lui fallut prendre un mari.
Ce qui induisait le mauvais esprit en erreur, c’était que Jésus
n’avait point vis-à-vis de ses disciples la même sévérité que les
pharisiens, en ce qui touchait certains usages de peu d’importance. Il
le croyait un homme parce que quelques irrégularités de ses disciples
scandalisaient les Juifs. Comme il avait souvent vu Jésus plein de feu
et d’ardeur, il chercha d’abord à l’irriter en lui montrant ses disciples
le suivant malgré lui ; l’ayant vu plein de miséricorde, il voulut le
toucher en se montrant sous la figure d’un pauvre vieillard tombant
en défaillance, puis entrer en discussion avec lui en qualité
d’Essénien.

(4 et 5 novembre.) Je vis près de la grotte une nuée lumineuse


dans laquelle j’aperçus comme des visages. Il en sortit des anges qui
avaient la forme humaine. Ils allèrent à Jésus, le fortifièrent et le
consolèrent.
Le dixième jour, 5 novembre, je vis Jésus prosterné dans la grotte,
la face contre terre. Je le vis prier agenouillé et debout et je vis des
anges entrer et sortir.

(6 novembre.) Je vis Jésus dans la grotte couché sur le côté et je


vis apparaître l’essénien Eliud qui s’approchait de lui. C’était encore
Satan, et je compris qu’il devait avoir connaissance que tout
récemment la croix avait été présentée à Jésus, car il lui dit avoir
appris par une révélation quels terribles combats lui avaient été
montrés, combats qu’il avait bien senti être au-dessus des forces de
Jésus.
Il n’était pas non plus, disait-il, en état de jeûner quarante jours,
c’est pourquoi il était venu, poussé par l’affection qu’il lui portait,
pour le voir encore une fois, et pour le prier de lui permettre de lui
tenir compagnie dans sa solitude, ajoutant qu’il voulait se charger
d’une partie de son vœu. Jésus ne prêta aucune attention à tout cela.
Il se releva, leva les mains au ciel et dit : « Mon père, retirez-moi
cette tentation ! » Je vis alors Satan se montrer plein de rage et
disparaître.
Jésus alors se mit à genoux pour prier. Au bout de quelque temps,
je vis s’approcher trois jeunes gens {39} qui l’avaient accompagné
lorsqu’il était sorti pour la première fois de Nazareth et qui l’avaient
quitté plus tard. Ces jeunes gens s’avancèrent d’un air timide, se
prosternèrent devant Jésus et se plaignirent de ne pouvoir trouver de
repos nulle part tant qu’il ne leur avait pas pardonné. Ils le prièrent
de les prendre en pitié, de les admettre de nouveau et de les laisser
jeûner avec lui comme pénitence. Ils voulaient, dorénavant, être les
plus fidèles de ses disciples. Ils se lamentaient très-haut et ils étaient
entrés dans la grotte en faisant toute sorte de bruit autour de lui.
Jésus se releva, étendit les mains et invoqua Dieu, et ils disparurent.

(7 et 8 novembre.) Comme je regardais Jésus qui priait à genoux


dans la grotte, je vis Satan, vêtu d’une robe resplendissante, arriver à
travers les airs et planer près de l’endroit où le rocher était coupé à
pic. De ce côté, il n’y a pas d’entrée dans la grotte, mais seulement
quelques fissures : c’est le côté du levant.
Jésus ne regarda pas Satan qui voulait faire l’ange : dans ce cas, sa
lumière n’est jamais transparente, mais comme étendue à la surface
et sa robe fait l’effet de quelque chose de raide, tandis que la robe des
anges paraît légère et diaphane. Il vola à l’entrée de la grotte et dit :
« Je suis envoyé par ton Père pour te consoler. » Jésus ne le regarda
pas. Alors il reparut à une des ouvertures de la grotte du côté ou elle
est tout à fait inaccessible et dit à Jésus qu’il devait reconnaître en lui
un ange à la manière dont il planait au-dessus du rocher. Mais Jésus
ne tourna pas les yeux de son côté. Alors Satan entra en fureur et fit
comme s’il eût voulu le saisir avec ses griffes à travers l’ouverture ;
son aspect devint horrible, et il disparut. Mais Jésus ne le regarda
pas. Le 8, je vis Jésus s’agenouiller et prier dans la grotte.

(9 novembre.) Remarque de l’écrivain le 8 novembre 1821 : La


vision de ce jour sur le jeûne de Jésus fut continuellement mêlée à
d’autres visions où la narratrice se livrait à ces travaux qu’elle avait
coutume de faire la nuit dans son oraison : c’est du reste ce qui arrive
le plus souvent et de là vient qu’elle a rarement le temps de faire des
communications complètes.
Toute la série de ses contemplations nocturnes a la forme d’un
voyage qu’elle fait sous la conduite de son ange gardien. Le but
spirituel de ce voyage se détermine d’après les travaux en oraison qui
lui sont assignés, suivant les circonstances de l’époque où elle vit ou
suivant le temps de l’année ecclésiastique. Le point central de ce
voyage est la Terre-Promise, où elle retrouve chaque jour ses visions
sur la vie de Jésus et où la tâche qu’elle a pour le moment, remplir
dans son oraison s’unit aux mérites de ce jour de la vie du
Rédempteur. Dans ce voyage, elle passe par les contrées où ont vécu
les saints dont on fait la fête ce jour-là, elle se mêle à leur vie, unit
leurs mérites aux mérites de Jésus, et les applique au succès des
prières qu’elle a à faire pour les pays avec lesquels ces saints ont
quelque relation particulière.
Il en est ainsi sur tout le chemin qu’elle parcourt soit pour aller,
soit pour revenir et à cela se mêle la vue de tous les besoins et de
toutes les misères du présent et de l’avenir. Or depuis le 2 novembre,
jour des Morts, sa principale occupation était de prier pour l’Eglise
souffrante. Elle faisait ainsi l’œuvre d’un chrétien, qui, priant et
contemplant, suit, à travers le temps, comme un fit conducteur, la
série des jours de l’année ecclésiastique. La vision d’aujourd’hui sur
la vie de Jésus se présenta de la manière suivante :
Je vis cette nuit Jésus prier dans la grotte, tantôt couché, tantôt à
genoux, tantôt debout. Pendant la plus grande partie de la nuit, j’ai
été dans la grotte près de Jésus, agenouillée moi-même et priant. J’ai
eu une terrible nuit. Il faisait si mauvais et si froid sur cette
montagne. Il y eut de l’orage et il est tombé beaucoup de pluie et de
grésil. J’ai vu les misères morales du monde entier et aussi ma
propre abjection. J’ai vu le triste état de l’Eglise et les chutes de tout
genre des prêtres.
J’ai vu les grâces et les ressources innombrables que Jésus nous a
octroyées, et j’ai eu le sentiment de tout ce qu’il a déjà conduis pour
nous, rien que dans ce pénible jeûne du désert. J’étais toute brisée et
comme broyée : j’éprouvais en outre pour Jésus qui était près de moi,
une compassion qui me déchirait le cœur, et j’avais en même temps
le sentiment de ma propre méchanceté. Et pourtant au milieu de
toutes ces douleurs, ma faiblesse faisait que je ne pouvais
m’empêcher de me dire de temps en temps : « Pourquoi Jésus ne me
dit-il rien ? Pourquoi ne me dit-il pas : Lève-toi ! » Car je me croyais
hors d’état de supporter toutes ces peines.
Comme j’étais prête à m’impatienter, il ne me dit rien que ce seul
mot : Patience ! Et je me sentis soulagée. Je restai là encore quelque
temps étendue par terre et j’eus le sentiment complet du désert, avec
son âpre température et celui des douleurs de Jésus. Alors à travers
le froid, il m’arriva un air tiède et une sensation agréable. Trois âmes
pleuraient près de moi dans la grotte et chacune avait deux anges à
côté d’elles : elles remercièrent à propos de souffrances qui les
avaient soulagées et disparurent. Je les connaissais alors, maintenant
je ne les connais plus. Je suis encore dans un état misérable. Il m’a
été aussi ordonné de prier pour prévenir des malheurs imminents
que j’ai vus, mais surtout à l’occasion des mariages mixtes à propos
desquels il m’a été montré que des maux innombrables en résultent
pour l’Eglise.

(10 et 11 novembre.) Je vis Jésus comme toujours prier dans la


grotte prosterné, agenouillé ou debout. Il porte son vêtement
ordinaire. Seulement sa robe est lâche et n’est pas attachée : il n’a pas
de ceinture et il a les pieds nus. Son manteau est posé par terre avec
sa ceinture et une paire de poches comme en portent les Juifs, et il
s’y appuie quelquefois il ne mange ni ne boit : il souffre souvent de la
faim. Des anges le réconfortent. Alors il descend sur lui comme une
nuée légère, et il coule dans sa bouche comme une espèce de rosée.
Les quarante jours, dans le désert, sont un nombre mystérieux et
se rapportant, comme les quarante années des Israélites dans le
désert, à quelque chose que j’ai oublié. Jésus a chaque jour un
nouveau travail à accomplir par sa prière ; chaque jour il conquiert
pour nous de nouvelles Grâces, et ce qui a précédé ne se représente
jamais. Sans ce travail auquel il s’est soumis, jamais notre résistance
aux tentations n’aurait pu être méritoire. Le 11 j’ai vu Jésus prier
comme précédemment dans différentes postures.

(12 novembre.) Je vis Satan sous la figure d’un vieil ermite du


mont Sinaï venir vers Jésus dans la grotte. Il gravissait péniblement
la montagne ; il était à moitié nu ; son corps était couvert comme de
peaux de bêtes, et il avait une longue barbe ; il y avait dans sa
physionomie quelque chose de moqueur et d’astucieux. Il lui dit
qu’un Essénien du mont Carmel, qui était venu le voir, lui avait parlé
du baptême de Jésus, de sa sagesse, de ses miracles et du jeûne
rigoureux qu’il faisait actuellement.
Là-dessus, malgré son grand âge, il avait entrepris ce long voyage
pour venir le trouver : il voulait s’entretenir avec lui, d’autant plus
qu’il avait une longue expérience de la mortification. Il pensait que
Jésus en avait assez fait et devait maintenant se reposer : il voulait,
lui, se charger d’une partie de ce qu’il s’était imposé. Il dit beaucoup
de choses dans ce sens. Jésus regarda de côté et dit : « Retire-toi de
moi, Satan ! » Alors je vis Satan tout ténébreux et, sous la forme d’un
globe noir, rouler avec fracas jusqu’au bas de la montagne.
Je demandai alors intérieurement comment il se faisait que la
divinité de Jésus restât si parfaitement cachée pour Satan, et je reçus
à ce sujet de belles et admirables instructions ; je me préoccupais
vivement de savoir comment je pourrais raconter tout cela, mais je
l’ai tout à fait oublié : je vis clairement l’extrême avantage qu’il y
avait pour les hommes à ce que ni Satan, ni eux n’en eussent
connaissance ; il leur fallait apprendre à croire.
Le Seigneur me dit notamment quelque chose que j’ai retenu.
« L’homme n’a pas su que le serpent qui l’a séduit était Satan, c’est
pourquoi Satan, non plus, ne doit pas savoir que c’est Dieu qui
rachète l’homme. » J’eus, à cette occasion, de très-belles visions, et je
vis que Satan ne connut la divinité du Christ que lorsqu’il délivra les
âmes des limbes.

Du 14 au 16 novembre, elle fut trop malade pour pouvoir rien


raconter. Le 17, elle dit : J’ai vu tous ces jours-ci Jésus prier dans la
grotte et jeûner. J’ai oublié les détails. La grotte n’est pas tout à fait
au sommet de la montagne.

(18 novembre.) Je vis aujourd’hui Satan entrer dans la grotte sous


la figure d’un homme de distinction de Jérusalem {40}. Il dit qu’il
venait par suite du grand intérêt qu’il lui portait, car il situait que sa
mission était de rendre la liberté aux Juifs. Il lui raconta en outre
toutes les contestations qui avaient eu lieu à Jérusalem à son sujet et
tout ce qui avait été dit. Il venait le voir pour prendre sa cause en
main. Il voulait aller avec lui à Jérusalem où ils demeureraient
ensemble dans le palais d’Hérode (elle croit qu’il s’agit de l’Hérode
dont l’autre Hérode, qui habitait à Callirrhoé, avait enlevé la femme).
Il me sembla que c’était un agent de cet Hérode. Il ajouta que
Jésus pouvait faire venir là ses disciples en secret et procéder à la
réalisation de ses projets. Il le pressa de venir avec lui sans retard. Il
débita tout cela à Jésus très au long. Jésus ne le regarda pas, mais il
pria avec ardeur, et je vis Satan se retirer ; sa figure devint hideuse,
et il sortit de son nez comme du feu et de la vapeur, après quoi il
disparut.

(19-20 novembre.) Pendant cette nuit où je fus malade à mourir,


j’étais depuis la veille au soir en contemplation près de Jésus dans la
grotte, et je vis toute sa passion grandir devant lui comme un arbre
qui croît. J’en vis tous les détails dans des tableaux merveilleux
jusqu’à son crucifiement avec ses tortures et ses affreuses
souffrances. Dans ces représentations je vis, comme toujours, la
croix faite de cinq espèces de bois, avec des bras insérés dans le
tronc, un coin sous chaque bras et un morceau de bois pour soutenir
les pieds.
La partie de l’arbre qui était au-dessus de la tête et où l’écriteau
était attaché était surajoutée, car d’abord l’arbre était trop court pour
qu’on pût placer l’inscription au-dessus de la tête. À propos de cette
addition, la Sœur mentionne quelque chose comme des feuilles : elle
dit aussi une fois : « C’est placé au-dessus comme un couvercle sur
un étui. »
Je vis tout cela dans un merveilleux tableau symbolique, et je vis
en outre toutes sortes de transformations mystérieuses dans le Saint-
Sacrement. Je crois que Jésus eut aussi ces visions, car je vis près de
lui des anges qui vénéraient ces mystères. Je m’éveillai alors dans les
douleurs les plus cruelles, mais je me réjouissais toujours de
m’endormir de nouveau pour éprouver ces souffrances.
Tous ces jours-ci je vis Jésus dans la grotte priant et jeûnant, et je
m’unis à lui pour prier, pour renoncer et pour surmonter toute
répugnance.

Le 28 novembre, elle dit : J’ai vu aujourd’hui des anges montrer à


Jésus, dans plusieurs tableaux, l’ingratitude des hommes, le doute, la
raillerie, l’injure, la trahison, le reniement, tout ce que devaient faire
ses amis et ses ennemis jusqu’à sa mort et après sa mort, et tout ce
qui devait se perdre de ses travaux et de ses peines. Il vit tout cela, et
dans son angoisse, il eut une sueur de sang. Pour le consoler, ils lui
montrèrent alors tout ce qui était gagné. Ils lui montraient tout du
doigt, à mesure que les tableaux se succédaient.

Le 29, elle dit : J’ai vu aujourd’hui Jésus tout épuisé de ses luttes
et plongé dans la tristesse, en considérant la grandeur des pertes et
l’inutilité de ses efforts pour le salut d’un bien grand nombre
d’hommes.

(30 novembre.) J’ai vu aujourd’hui Jésus soumis à une tentation :


il commençait à avoir grand faim et surtout à souffrir beaucoup de la
soif. Je le vis, il est vrai réconforté quelquefois par des anges, mais
jamais manger ni boire : je ne le vis jamais non plus hors de la grotte.
Il n’y avait pas en lui d’amaigrissement sensible, mais il était devenu
très-blanc et très-pâle.
Je vis Satan s’approcher de lui sous la figure d’un vieil ermite et lui
dire : « J’ai bien faim, je vous prie de me donner des fruits qui sont là
sur la montagne devant la grotte, car je ne peux pas en cueillir sans la
permission du propriétaire (il feignait de prendre Jésus pour le
propriétaire) ; asseyons-nous donc ensemble et parlons de choses
édifiantes. »
Il y avait, non pas à l’entrée, mais ailleurs, à quelque distance, près
du côté opposé de la grotte qui regardait le levant, des figues et une
espèce de fruit semblable à la noix, mais avec une enveloppe plus
molle, comme celle des nèfles : il y avait aussi des baies. Jésus lui
dit : « Retire-toi de moi ! Toi qui es menteur depuis le
commencement des siècles, et n’endommage pas ces fruits. » Alors je
vis l’ermite, transformé en une petite figure noire, fuir comme un
trait par-dessus la montagne et une vapeur sombre sortir de sa
bouche. Je ne savais pas qu’il pût endommager ces fruits, quoique je
pensai bien qu’il laissait après lui une odeur infecte.
Aujourd’hui, jour de la fête de saint André, elle parla de lui et
raconta ceci entre autres choses : André est allé aujourd’hui chez un
frère ou demi-frère qu’il avait, indépendamment de Pierre, et qui est
devenu disciple. André s’entretint avec lui : il était triste et inquiet de
ce que Jésus était dans le désert depuis si longtemps : il était agité au
sujet de son retour, et il avait des doutes à combattre. Il s’entretint
aujourd’hui avec son frère à ce sujet.

(2 décembre.) Satan vint encore trouver Jésus sous la figure d’un


voyageur. Il lui demanda s’il ne voulait pas manger des beaux raisins
qui étaient dans le voisinage et qui étaient si bons pour apaiser la
soif. Jésus ne répondit rien et ne tourna même pas les yeux de son
côté. Le jour d’après, il le tenta de la même façon en lui parlant d’une
source.

(3 décembre.) Vers midi, je vis Satan venir vers Jésus dans la


grotte. Il vint en qualité de savant faiseur de tours : il lui dit qu’il
venait à lui comme à un sage, et voulait lui montrer que lui aussi
savait faire quelque chose, l’engageant à le regarder faire. Alors il lui
fit voir, suspendue à son bras, une machine semblable à une boule,
ou plutôt à une cage d’oiseau. Jésus ne le regarda pas, tourna le dos
et entra plus avant dans la grotte. Ce fut la première fois que je vis
pareille chose.
J’ai vu ce qu’il y avait à voir dans la boîte. On y avait sous les yeux
un paysage ravissant, un jardin de plaisance agréable, plantureux,
plein de beaux ombrages, de sources fraîches, d’arbres chargés de
fruits et de raisins magnifiques. Tout cela était si rapproché, qu’on
semblait le toucher, et il s’y produisait des changements à vue de plus
en plus attrayants. Jésus lui tourna le dos, et Satan disparut.
Cette tentation avait encore pour but d’interrompre le jeûne de
Jésus, qui maintenant commençait à ressentir vivement la faim et la
soif. Satan ne sait pas comment s’y prendre avec lui. Il connaît les
prédictions faites à son sujet, et il sent aussi que Jésus a autorité sur
lui, mais ignore qu’il est Dieu, qu’il est le Messie que rien ne peut
empêcher de faire son œuvre, parce qu’il le voit jeûner, soutenir des
luttes, avoir faim, en un mot, parce qu’il le voit pauvre, sujet à bien
des souffrances, semblable en tout à un homme ordinaire. En cela,
Satan est, à quelques égards, aussi aveugle que les pharisiens : mais
il le regarde comme un saint homme que dans tous les cas il peut
tenter et faire faillir.

(4 décembre.) Je vis Jésus agité et très combattu il souffrait de la


faim et de la soif. Je le vis plusieurs fois devant la grotte. Je vis vers
le soir Satan gravir la montagne sous la figure d’un homme grand et
robuste ; il avait pris en bas deux pierres qui étaient de la grandeur
de deux petits pains, mais anguleuses, et je vis qu’en montant il les
maniait et leur donnait complètement la forme de pains. Il y avait
dans son aspect quelque chose d’incroyablement farouche lorsqu’il
vint vers Jésus dans la grotte.
Il tenait une des pierres dans chaque main, et il lui parla à peu
près en ces termes : « Tu fais bien de ne pas manger de fruits, ils ne
font qu’irriter l’appétit ; mais si tu es le Fils bien-aimé de Dieu sur
qui l’Esprit est descendu à son baptême, vois ces pierres auxquelles
j’ai fait prendre la forme de pains : change-les maintenant en pain. »
Jésus ne regarda pas Satan : je l’entendis seulement prononcer ces
paroles : « L’homme ne vit pas seulement de pain. » Je n’ai entendu
distinctement ou retenu que ces paroles : dans l’Evangile il y en a
d’autres encore qui vraisemblablement m’ont échappé, car alors je
vis Satan au comble de la rage. Il étendit ses griffes vers Jésus, et je
vis alors les deux pierres posées sur ses bras. Après cela il s’enfuit, et
je ne pus m’empêcher de rire en le voyant obligé de remporter ses
pierres.
Vers le soir du jour suivant, je vis Satan, sous la figure d’un ange
puissant, voler vers Jésus avec grand bruit. Il avait une espèce de
vêtement de guerre, comme je le vois aux apparitions de saint
Michel ; mais à travers son plus grand éclat on peut toujours
distinguer quelque chose de sombre et de furieux. Il se vanta en
présence de Jésus, et lui dit à peu près : « Je veux te faire voir qui je
suis, ce que je puis, et comment les anges me portent dans leurs
mains. Voilà Jérusalem ! Voilà le temple ! Je te porterai sur son faite
le plus élevé. Montre alors ce que tu peux faire : voyons si les anges te
porteront jusqu’en bas. »
Pendant qu’il parlait ainsi, il me sembla voir Jérusalem et le
temple tout contre la montagne, mais je crois que c’était seulement
une vision. Jésus ne lui fit aucune réponse. Alors Satan le prit par les
épaules et le porta à travers les airs, à Jérusalem, mais en volant près
de terre : il le posa sur la cime d’une des quatre tours qui s’élevaient
aux quatre coins de l’enceinte du temple, et que jusqu’alors je n’avais
pas remarquées.
Cette tour était du côté occidental, vis-à-vis la forteresse Antonia.
La montagne du temple était presque à pic en cet endroit. Ces tours
étaient comme des prisons : dans une d’elles on gardait les
vêtements précieux du grand-prêtre. Elles étaient terminées par une
plate forme autour de laquelle on pouvait marcher. Au milieu
s’élevait encore une coupole creuse que surmontait une grosse boule
sur laquelle il y avait place pour deux personnes. On pouvait de là
voir au-dessous de soi le temple tout entier.
Ce fut sur ce point culminant de la tour que Satan plaça Jésus :
celui-ci gardait le silence. Mais Satan vola d’en haut jusqu’au sol et
lui dit : « Si tu es le Fils de Dieu, montre ta puissance et descends à
ton tour, car il est écrit : il ordonnera à ses anges de te porter dans
leurs mains, de peur que tu ne te heurtes contre la pierre. » Mais
Jésus répondit : « Il est écrit aussi : Tu ne tenteras pas ton
Seigneur. » Sur quoi Satan revint à lui plein de rage, et Jésus dit :
« Use du pouvoir qui t’a été donné. »
Alors Satan, saisi d’une nouvelle fureur, le saisit de nouveau par
les épaules et vola avec lui au-dessus du désert, dans la direction de
Jéricho. Satan, cette fois, me parut voler plus lentement. Je le vis,
dans sa colère et sa rage contre Jésus, planer tantôt haut, tantôt bas,
et en vacillant, comme quelqu’un qui veut décharger sa colère, et qui
n’est pas maître de le faire. Il porta Jésus à sept lieues de Jérusalem,
sur cette même montagne ou il avait commencé son jeûne.
J’ai vu qu’en le portant il passa tout contre le grand et vieux
térébinthe dont j’ai eu récemment près de moi une relique que j’ai
reconnue. Ce bel et grand arbre s’élève dans l’ancien jardin d’un
Essénien, de ceux qui ont autrefois habité ici : Elie aussi y séjourna.
Le térébinthe était derrière la grotte, à peu de distance de
l’escarpement à pic. Trois fois par an on fait des entailles aux arbres
de celle espèce, et on en tire un baume d’assez médiocre qualité.
Satan posa le Sauveur au point culminant de la montagne sur un
rocher inaccessible qui surplombait : ce point est beaucoup plus haut
que la grotte. Il faisait nuit : mais pendant que Satan montrait les
divers points de l’horizon, tout était éclairé, et on voyait dans toutes
les directions les plus beaux pays du monde. Le démon parla à peu
près en ces termes : « Je sais que tu es un grand docteur, que tu veux
rassembler des disciples autour de toi et répandre ta doctrine. Vois
tous ces magnifiques pays, ces puissantes nations, et vois aussi ce
qu’est en comparaison d’eux la petite Judée. C’est là qu’il faut aller :
Je te donnerai tous ces pays si tu te prosternes devant moi pour
m’adorer. »
Par cette adoration, le démon entendait une posture humble et
suppliante que prenaient souvent les Juifs d’alors et en particulier les
Pharisiens devant de grands personnages et des rois quand ils
voulaient obtenir d’eux quelque chose. Le démon présentait ici à
Jésus, sur une plus grande échelle, une tentation semblable à celle
par laquelle il avait cherché à le séduire lorsqu’il était venu le
trouver, sous la figure de l’agent d’un Hérode de Jérusalem, et l’avait
engagé à venir dans le palais que le roi avait dans cette ville, en lui
promettant de l’aider dans son entreprise. Lorsque Satan montrait
ainsi les divers points de l’horizon, on voyait apparaître de grands
pays avec les mers qui les baignaient, puis leurs villes, puis leurs
monarques dans tout l’éclat d’une pompe triomphale, avec leur
cortège et leurs armées.
On voyait tout cela aussi distinctement que si l’on en eût été tout
près et même encore plus distinctement ; on était réellement dans
tous ces lieux, et chaque scène, chaque peuple se montrait avec la
pompe et l’éclat qui lui étaient propres, avec ses mœurs et ses usages
particuliers.
Satan fit ressortir les prérogatives de chaque peuple et montra
avec une insistance particulière un pays où l’on voyait de grands et
beaux hommes magnifiquement vêtus, ressemblant presque à des
géants. Je crois que c’était la Perse : il conseilla à Jésus d’aller de
préférence enseigner là. Il lui montra là Palestine comme une petite
contrée insignifiante. C’était un spectacle merveilleux : on voyait tant
de choses et si clairement, et tout était si brillant et si magnifique !
Jésus ne dit que ces mots : « Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et
tu ne serviras que lui seul. Retire-toi de moi, Satan. » Alors je vis
Satan, sous une forme incroyablement hideuse, s’élancer du haut du
rocher dans le précipice, et disparaître comme si la terre l’eut
englouti.
Aussitôt après, je vis une troupe d’anges s’approcher de Jésus et
s’incliner devant lui : ils le portèrent, je ne sais de quelle manière,
comme sur leurs mains, et, planant doucement avec lui près du
rocher, ils le ramenèrent dans la grotte où il avait commencé son
jeûne de quarante jours. Il y avait douze anges principaux avec
d’autres troupes d’assistants qui formaient aussi un nombre
déterminé : je ne sais plus bien s’ils étaient soixante-douze, mais je
suis portée à le croire : car il y eut dans toute cette vision quelque
chose qui me rappela les apôtres et les disciples.
Il y eut alors dans la grotte comme une fête d’actions de grâces
pour une victoire et comme un festin solennel. Je vis la grotte
tapissée intérieurement de feuilles de vigne par les anges : elle était
ouverte, et une couronne triomphale de feuillage était suspendue en
l’air au-dessus de la tête de Jésus. Tout cela se fit avec un ordre et
une solennité merveilleuse : tout y était clair, symbolique et
lumineux, et ce fut promptement fait, car ce qui était planté ou
apporté dans une intention répondait comme de soi-même à cette
intention et se développait suivant la destination qui lui était
assignée.
Les anges apportèrent aussi une table couverte d’aliments célestes
qui, petite au commencement, s’accrut et grandit rapidement. Les
mets et les vases étaient semblables à ceux que je vois toujours sur
les tables du ciel : je vis Jésus, les douze anges principaux et les
autres aussi en prendre leur part. On ne faisait pas passer les
aliments par la bouche, et pourtant on se les assimilait ; l’essence des
fruits passait jans ceux qui les prenaient, et il y avait réfection et
participation. C’est quelque chose qu’il est impossible d’exprimer.
À l’extrémité de la table se trouvait seul un grand calice lumineux,
entouré de petites coupes : il était de la même forme que celui qui
figura à l’institution de la sainte Cène ; seulement il était plus grand
et avait quelque chose de plus immatériel. Il y avait aussi une assiette
avec des petits pains ronds très-minces. Je vis Jésus verser quelque
chose du calice dans les coupes et y tremper des morceaux de pain :
après quoi les anges les prirent et les emportèrent. Dans ce moment,
le tableau disparut, et Jésus quitta la grotte et descendit vers le
Jourdain.
Les anges qui servaient Jésus parurent sous des formes différentes
et suivant un ordre hiérarchique : ceux qui, en dernier lieu,
disparurent avec le pain et le vin étaient en habits sacerdotaux. Je
vis, dans le même instant, des consolations : merveilleuses de toute
espèce arriver aux amis présents et futurs de Jésus. Je vis à Cana
Jésus apparaître en vision à la sainte Vierge et la réconforter. Je vis
Lazare et Marthe très-émus et remplis d’un nouvel amour pour
Jésus. Je vis Marie la Silencieuse recevoir réellement de la main d’un
ange un aliment pris sur la table du Sauveur. Je vis l’ange près d’elle,
et elle reçut ce qu’il lui apportait avec la simplicité d’un enfant.
Elle avait vu constamment toutes les souffrances et les tentations
de Jésus ; sa vie se passait à les contempler et à y compatir, et elle
n’éprouva aucune surprise. Je vis aussi Madeleine singulièrement
remuée. Elle était occupée à se parer pour une fête, lorsqu’elle fut
saisie inopinément d’une vive inquiétude sur sa vie et d’un ardent
désir du salut, si bien qu’elle jeta là sa parure, ce qui lui attira force
moqueries de la part de son entourage. Je vis aussi plusieurs des
futurs apôtres réconfortés et pleins d’ardeur. Je vis Nathanaël dans
sa demeure pensant à tout ce qu’il avait entendu dire de Jésus et
très-ému à ce sujet, mais chassant encore ces pensées de son esprit.
Je vis Pierre, André et tous les autres fortifiés et touchés. C’était une
vision admirable dont je ne me rappelle que peu de chose.
Au moment où Jésus commençait son jeûne, Marie résidait dans
sa maison, près de Capharnaüm. Il en était alors comme à présent, et
la faiblesse humaine reste toujours la même. Il venait s’installer chez
la sainte Vierge des voisines indiscrètes, qui, sous prétexte de la
consoler, reprochaient à Jésus de s’en aller on ne savait ou, de la
négliger complètement, quoi que ce fût son devoir, depuis la mort de
Joseph, de prendre une profession pour soutenir sa mère, etc. En
général, on tenait beaucoup de propos sur Jésus dans tout le pays,
car les circonstances merveilleuses de son baptême, le témoignage de
Jean, les récits de ses disciples dispersés, tout concourait à attirer
l’attention sur lui. Il n’y eut autant de bruit à son sujet que plus tard,
lors de la résurrection de Lazare et avant sa passion.
La sainte Vierge était très-sérieuse et concentrée en elle-même :
lorsque Jésus était séparé d’elle, elle avait toujours des mouvements
intérieurs et des pressentiments, et souffrait avec lui.
Vers la fin des quarante jours, Marie était allée à Cana, en Galilée,
chez les parents de la fiancée de Cana. Ce sont des gens très-
considérés et comme les principaux personnages de l’endroit : ils ont
une belle maison presque au centre de la ville, qui est très-agréable et
bien bâtie. Elle est traversée par une route, je crois que c’est celle de
Ptolémaïs : on voit la route descendre des hauteurs qui s’élèvent en
face de la ville. Les rues sont moins tortueuses, et le terrain moins
inégal que dans bien d’autres endroits. Le mariage doit se faire dans
cette maison. Ils en ont une autre qu’ils donnent toute meublée avec
leur fille. La sainte Vierge y habite pour le moment.
Le fiancé est à peu près de l’âge de Jésus : c’est, je crois, un fils du
premier lit d’une des trois veuves de Nazareth : il n’est pas de ceux
qui suivirent une fois Jésus jusqu’à Hébron. Il est, chez sa mère,
comme maître de la maison : il est à la tête de son ménage. Il est
maintenant près d’elle : je crois que plus tard il doit assister son beau
père dans son emploi. Ces bonnes gens consultent la sainte Vierge
pour l’éducation de leurs enfants et ils lui confient tout : elle
s’entretient aussi avec la fiancée, qui est une belle jeune fille. Je vois
celle-ci se rencontrer avec son fiancé en présence d’autres personnes,
mais toujours voilée.
Je vis Jean pendant ce temps continuer toujours à baptiser.
Hérode s’efforçait d’obtenir de lui qu’il vint le voir : il lui envoyait
aussi des messagers pour tâcher de savoir de lui quelque chose sur
Jésus. Mais Jean le traitait toujours avec aussi peu d’égards que
précédemment, et il répétait ce qu’il avait dit de Jésus.
Des envoyés de Jérusalem sont encore venus près de lui pour lui
faire subir un interrogatoire sur Jésus et sur lui-même. Jean
répondit comme toujours qu’il n’avait pas vu Jésus de ses yeux,
antérieurement à son baptême, mais qu’il était envoyé pour lui
préparer la voie.
Je vis que Jean, depuis ce temps, enseignait toujours que l’eau
avait été sanctifiée par le baptême de Jésus et par le Saint-Esprit qui
était venu sur lui. J’appris que la descente du Saint-Esprit sur Jésus,
pendant qu’on le baptisait, avait donné plus de sainteté au baptême,
et qu’il était alors sorti de l’eau beaucoup de mauvais éléments.
C’était pour cela que j’avais vu la noire figure de Satan et toutes ces
affreuses bêtes se presser au sein du nuage qui était sur le Jourdain,
au moment où le Saint Esprit descendit.
C’était comme un exorcisme de l’eau. Jésus voulut recevoir le
baptême, afin que l’eau fût sanctifiée par là, car il n’en avait aucun
besoin. Le baptême de Jean fut dès lors plus pur et plus saint : c’est
pourquoi je vis Jésus baptisé dans un bassin séparé qu’on mit en
communication avec le Jourdain et avec le réservoir où l’on baptisait
tout le monde : c’est aussi pour cela que Jésus et ses disciples y
prirent de l’eau et l’emportèrent avec eux pour qu’elle servît dans
d’autres baptêmes.
CHAPITRE SIXIÈME.

Commencement de la vie publique et de la prédication


du Sauveur jusqu’aux noces de Cana.
(Du 6 au 30 décembre).

Jésus vient sur les bords du Jourdain. ― Jésus à Ophra, à Dibon,


à Eléalé, à Bethjésimoth, à Siloh, à Kibzaïm, à Thébez, à
Capharnaüm. ― Il guérit à distance un jeune garçon. ― Il appelle à
lui Pierre, Philippe et Nathanaël.

(6 décembre.) Au point du jour, je vis Jésus traverser le Jourdain à


cet endroit où le fleuve est si étroit et où il l’avait traversé quarante
jours auparavant. Il y avait là des poutres à l’aide desquelles on
pouvait passer soi-même. Ce n’était pas là le passage où aboutissait
le chemin le plus fréquenté, mais un passage secondaire. Jésus alors
descendit la rive orientale du Jourdain jusque vis-à-vis de l’endroit
où Jean donnait le baptême. Je vis là Jean qui enseignait et baptisait,
le montrer du doigt aussitôt et crier : « Voici l’agneau de Dieu qui
efface les péchés du monde. » Jésus revint du bord du fleuve à
Bethabara.
Cependant André et Saturnin qui étaient auprès de Jean passèrent
le fleuve en toute hâte : ils prirent le chemin que Jésus avait pris. Ils
furent suivis par un des parents de Joseph d’Arimathie et par deux
autres disciples de Jean. Lorsqu’ils furent de l’autre côté du fleuve, ils
coururent après Jésus, et je vis Jésus se retourner, aller à leur
rencontre et leur demander ce qu’ils cherchaient. Sur quoi, André,
tout joyeux de l’avoir retrouvé, lui demanda où il demeurait, et Jésus
leur dit de le suivre, puis il les conduisit à une hôtellerie située en
avant de Bethabara, vis-à-vis le fleuve ; ce fut là qu’ils s’arrêtèrent.
Jésus resta aujourd’hui à Bethabara avec les cinq disciples et il prit
ses repas avec eux. Il leur dit qu’il allait commencer sa carrière de
prédication et réunir des disciples autour de lui. André lui parla de
plusieurs personnes de sa connaissance dont il lui fit l’éloge à cet
effet ; il fit mention de Pierre, de Philippe et de Nathanaël. Jésus
parla du baptême à donner ici dans le Jourdain, et dit que quelques-
uns d’entre eux auraient à baptiser dans cet endroit, qu’il n’y avait
près d’ici d’emplacement approprié que celui où Jean baptisait, et
que pourtant il ne convenait pas que celui-ci fût dépossédé.
Alors Jésus parla de la destination et de la mission de Jean dont le
terme était proche, et il confirma tout ce qu’avait dit Jean de lui-
même et du Messie. Jésus parla aussi de la préparation à sa
prédication publique faite dans le désert et de la préparation qui doit
précéder toute œuvre importante. Il se montra affectueux et confiant
vis-à-vis des disciples, ceux-ci étaient respectueux et un peu
intimidés. Ils passèrent la nuit ici.

(7 décembre.) Le matin, Jésus en compagnie des disciples, alla de


Bethabara aux maisons voisines du passage du Jourdain et il
enseigna dans une réunion. Plus tard il passa le fleuve et enseigna
dans une bourgade située à une lieue avant Jéricho. Il n’y avait guère
qu’une vingtaine de maisons. Une foule d’aspirants au baptême et de
disciples de Jean allaient et venaient pour l’entendre et pour
rapporter à Jean ce qu’ils savaient de lui. Il était environ midi
lorsqu’il enseigna ici.
Jésus chargea plusieurs disciples d’aller, après le sabbat, de l’autre
côté du Jourdain, à une lieue au dessus de Bethabara et d’y remettre
en état une fontaine baptismale où Jean, venant d’Ainon, avait donné
le baptême avant d’aller baptiser sur la rive occidentale du Jourdain
en face de Bethabara. On voulut préparer ici un repas pour Jésus ;
mais il partit et revint avant le sabbat à Bethabara où il célébra le
sabbat jusqu’au samedi soir et où il enseigna dans la synagogue. Il
mangea chez le préposé de l’école et coucha dans sa maison.

(9 décembre.) Je vis Jésus accompagné d’André, de Saturnin et


d’une foule nombreuse dans laquelle se trouvaient aussi des disciples
de Jean, aller à la fontaine baptismale située à une lieue au nord de
Bethabara, en face de la contrée de Galgala. Cet endroit, où Jean
avait baptisé quelque temps, avant d’aller s’établir près de Jéricho,
avait été remis en état par ses disciples. La fontaine baptismale
n’était pas aussi grande que celle de Jean près de Jéricho. Il y avait
un rebord élevé avec une langue de terre qui s’avançait dans l’eau et
ou se tenait celui qui administrait le baptême. Le rebord était
entouré d’un petit canal d’ou l’on pouvait faire entrer l’eau dans la
fontaine baptismale. Il y a maintenant dans ce quartier trois
fontaines baptismales ; celle qui est au-dessus de Bethabara, celle où
Jésus a été baptisé sur l’île qui s’est élevée dans le Jourdain, et enfin
celle où Jean baptise.
Jésus arrivé ici versa dans la fontaine baptismale de l’eau de la
fontaine de l’île dans laquelle il avait été baptisé et qu’André avait
apportée dans une outre ; puis il la bénit. Tous les baptisés furent
singulièrement émus. André et Saturnin baptisèrent. Ce n’était pas
une immersion complète. Les néophytes entraient dans l’eau près du
rebord ; on leur mettait les mains sur les épaules ; le baptisant
versait trois fois de l’eau sur eux avec la main et baptisait au nom du
Père, du Fils et du Saint-Esprit ; ce que ne faisait pas Jean qui se
servait d’un vase à trois rainures. Beaucoup de personnes venaient se
faire baptiser, particulièrement des gens de la Pérée.
Jésus enseigna debout, sur un petit tertre de gazon qui se trouvait
près de là ; il parla de la pénitence, du baptême et du Saint-Esprit. Il
dit : « Mon Père a envoyé le Saint-Esprit lorsque j’ai été baptisé, et il
a dit : C’est mon Fils bien-aimé dans lequel je me complais. Il en dit
autant à tout homme qui aime son Père céleste et qui se repent de ses
péchés ; il envoie son Saint-Esprit sur tous ceux qui sont baptisés au
nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, et tous alors sont ses fils
dans lesquels il se complaît : car il est le père de tous ceux qui
reçoivent son baptême et reçoivent de lui par là une nouvelle
naissance. »
Je m’étonne toujours que tout soit raconté si brièvement dans
l’Evangile, et d’y voir Jésus, lorsqu’André l’a suivi après le
témoignage rendu par Jean, se rencontrer aussitôt avec Pierre qui
pourtant n’était pas là, mais en Galilée. Ce qui m’étonne encore
davantage, c’est d’y voir la Cène et la Passion suivre de si près
l’entrée à Jérusalem du dimanche des Rameaux, lorsque dans
l’intervalle j’entends Jésus faire de si nombreuses instructions. Je
pense que Jésus séjournera bien ici une quinzaine de jours avant
d’aller en Galilée.
André, à proprement parler, n’était pas encore admis comme
disciple. Jésus ne l’avait pas appelé, il était venu de lui-même et
s’était offert ; il avait le désir d’être avec Jésus : Il est plus empressé
et se met plus en avant que Pierre qui était porté à se dire : « Je suis
trop peu de chose pour cela, cela surpasse mes forces, » et qui là-
dessus retournait à ses affaires. Saturnin et les deux neveux de
Joseph d’Arimathie, Aram et Théméni, s’étaient joints à Jésus de la
même manière qu’André.
Plusieurs autres disciples de Jean seraient venus à Jésus, s’ils n’en
avaient été empêchés par quelques-uns de leurs compagnons, dont
l’amour-propre était blessé. Ceux-ci se plaignaient à Jean, et
trouvaient que Jésus commettait une usurpation en baptisant ici, que
ce n’était pas là sa mission, et Jean avait fort à faire pour redresser
leurs idées bornées. Il leur disait de se souvenir de ses discours dans
lesquels il leur avait toujours annoncé d’avance qu’il ne faisait que
préparer le chemin, qu’il se retirerait quand les voies seraient
préparées, et que ce serait bientôt. Mais ils étaient très-attachés à
Jean, et cela ne pouvait pas leur entrer dans l’esprit. Aujourd’hui, il y
avait déjà tant de monde à l’endroit où Jésus baptisait, qu’il dit aux
disciples que le lendemain il fallait aller ailleurs. Il passa encore la
nuit à Bethabara, chez le chef de la synagogue.

(10 décembre.) Ce matin, je vis Jésus, accompagné d’une vingtaine


de personnes, dont étaient André, Saturnin, Aram et Théméni,
quitter Bethabara, traverser le Jourdain à l’endroit où était le passage
le plus fréquenté et le plus facile, et laissant Galgala à droite, se
rendre dans une ville appelée Ophra, qui était cachée dans une
étroite vallée au milieu des montagnes. Il y passait fréquemment des
gens venant du pays qui est derrière Sodome et Gomorrhe lesquels
allaient à l’orient du Jourdain, sur des chameaux chargés de
marchandises, et se faisaient baptiser par Jean. Il y avait ici un
chemin de traverse menant de la Judée au Jourdain : c’était du reste
un endroit fort peu fréquenté, situé à trois ou quatre lieues de
l’endroit où Jean baptisait : je crois qu’il était moins éloigné de
Jéricho : il y avait environ sept lieues de là à Jérusalem.
La température y était froide et il y avait peu de soleil : la ville était
bien bâtie. Les habitants, presque tous marchands, publicains ou
contrebandiers, avaient de l’aisance : ils semblaient faire de bonnes
affaires avec les gens qui passaient. Ils n’étaient pas méchants, mais
indifférents, comme le sont souvent des marchands et des hôteliers
auxquels tout vient à souhait. Je n’avais pas encore été dans cet
endroit, je n’y avais jamais vu Jésus jusqu’à aujourd’hui. Les
habitants ne s’étaient pas encore préoccupés du baptême de Jean. Ils
n’aspiraient pas au salut : leur ville était de celles dont on a coutume
de dire : C’est un endroit ou l’on vit bien.
Lorsqu’ils approchèrent de la ville, Jésus envoya en avant les
neveux de Joseph d’Arimathie pour demander les clefs de la
synagogue et pour convoquer le peuple à venir l’entendre. Il se
servait toujours d’eux pour de semblables missions : car ils étaient
avenants et avisés. À son entrée dans la ville, des possédés et
démoniaques accoururent autour de lui et ils criaient de loin : « Voici
le prophète, Fils de Dieu, le Christ Jésus, notre ennemi : il vient nous
chasser. » Jésus leur commanda de se taire et de se tenir tranquilles.
Ils s’apaisèrent aussitôt et l’accompagnèrent à la synagogue qui
était presque à l’autre extrémité de la ville. Il y enseigna jusqu’au
soir, et n’en sortit qu’une fois pour prendre quelque chose. Il parla de
l’approche du règne de Dieu, de la nécessité du baptême ; il pressa
vivement les habitants de se réveiller de leur tiédeur et de leur fausse
sécurité, afin que le jugement ne les atteignît pas. Il parla aussi
fortement contre leurs pratiques usuraires, leur commerce
frauduleux, et contre les péchés habituels aux marchands et aux
publicains.
Ils ne le contredirent pas, mais d’autre part ils n’étaient pas très-
faciles à émouvoir : car ils étaient esclaves de leurs habitudes
mercantiles ; quelques-uns, pourtant furent très-touchés et prirent
d’autres sentiments. Le soir, plusieurs d’entre eux, hommes
considérables ou gens de moindre importance, vinrent je visiter à
l’endroit où il logeait, et se montrèrent très-décidés à se faire
baptiser. Dès les jours suivants ils allèrent trouver Jean. Jésus passa
la nuit dans l’hôtellerie.

(11 décembre.) Aujourd’hui Jésus quitta Ophra de bonne heure, et


revint vers Bethabara avec ses disciples. Ils se séparèrent sur le
chemin. Il envoya André en avant avec la plupart de ses compagnons,
par la roule qu’ils avaient suivie en venant ici ; lui-même avec
Saturnin et le neveu de Joseph d’Arimathie (je crois qu’il n’y en avait
qu’un avec lui), passa plus près du lieu où Jean baptisait, suivant le
chemin par où il avait passé, lorsque celui-ci, pour la première fois
après le baptême, avait rendu témoignage de lui. Cette fois il n’arriva
rien de particulier. Près du chemin qui est en face du passage du
Jourdain, Jésus entra dans quelques maisons, enseigna et exhorta au
baptême.
Ce ne fut que dans l’après-midi qu’ils arrivèrent à Bethabara, et je
vis le même jour Jésus enseigner encore au lieu du baptême, où
André et Saturnin baptisèrent. Comme c’étaient chaque jour de
nouveaux auditeurs qui venaient pour se faire baptiser, son
enseignement était presque toujours le même : il répéta souvent que
son Père céleste disait à tous ceux qui faisaient pénitence et
recevaient le baptême : « Voici mon Fils bien-aimé, » qu’ils seraient
tous ses enfants, etc : la plupart d’entre eux venaient du pays de
Philippe le Tétrarque, qui était un bon prince. Ses sujets étaient assez
heureux, et c’est pourquoi ils n’avaient guère pensé jusqu’alors à se
faire baptiser. Le soir, elle dit en termes peu précis : « Jésus, après la
fin de son jeûne, s’arrête ici environ vingt jours : donc encore quinze
jours, et il ira à Cana où sa mère l’attend. »

(12 décembre.) Du 12 au 13, elle fut malade à la mort : le 13 au


soir, se trouvant mieux, elle raconta ce qui suit :
Aujourd’hui, Jésus, en compagnie de trois disciples, est parti de
Bethabara pour cette ville, où il s’était trouvé le 15 octobre pour la
fête des Tabernacles. C’était à Dibon qu’il allait. Sur la route, il
enseigna dans plusieurs maisons placées les unes à côté des autres.
Arrivé à la ville, il enseigna dans la synagogue, qui est séparée de la
ville et située dans le fond de la vallée qu’il avait parcourue lors de la
fête des Tabernacles. Il passa la nuit dans une hôtellerie ou une
échoppe située un peu à l’écart où des laboureurs des environs
venaient loger et prendre leur nourriture.
On fait à présent les semailles sur le côté de la montagne qui est
exposé au soleil, et on récoltera à Pâques. Ici l’on bêche la terre, car
le sol est pierreux et sablonneux ; on ne peut pas faire usage de
l’instrument avec lequel on laboure ordinairement. On plante aussi
certaines herbes, et on a commencé à rentrer une partie de la récolte
arriérée. Jésus raconta dans la synagogue et aux laboureurs la
parabole du semeur qu’il leur expliqua. Il n’expliquait pas toujours
ses paraboles : devant les pharisiens il les racontait souvent sans
commentaires.
Le 13, il était encore ici et occupé de la même manière.
Aujourd’hui, André, Saturnin et d’autres disciples qui baptisaient
hier près de Bethabara, sont allés à Ophra pour confirmer les gens de
l’endroit dans les bons sentiments que la prédication de Jésus a
réveillés en eux.
Dans l’habitation où se tient Jésus, près de Dibon, il y a un endroit
séparé où les femmes des gens de la campagne viennent préparer
leurs aliments. Ce sont tous de bonnes gens, vivant simplement. Les
habitants du pays ne sont pas bien disposés pour Jésus, qui, lors de
la fête des Tabernacles, a guéri plusieurs malades à Dibon. Il n’était
pas proprement à Dibon même, ni chez les publicains qui
demeuraient plus près du Jourdain, mais dans la vallée qui avait une
longueur d’environ trois lieues.

(14-15 décembre.) Jésus partit aujourd’hui de l’hôtellerie de


Dibon. Ces habitations étaient disséminées dans la vallée entre
Dibon et le Jourdain, laquelle peut avoir trois lieues de long. Il se
dirigea vers le midi, et prit un chemin qui conduisait au levant et qui
était deux lieues plus au midi du Jourdain que celui de Bethabara par
lequel il était venu. Il arriva à quatre lieues environ de Dibon, dans
un endroit qui a un nom singulier. Je ne voulais pas croire que ce fût
un nom de lieu. Existe-t-il un lieu ainsi nommé ?
Le nom me parut étrange parce qu’étant enfants, en conduisant les
vaches à travers champs, nous criions toujours : Hélo ! hélo ! Et il me
fallut entendre plusieurs fois ce nom avant de l’accepter. Quoi donc,
me disais-je, c’est là Hélo ! hélo ! Le cri des enfants quand ils
conduisent les vaches ? Lorsque nous courions les champs et que
nous criions à nos compagnons de faire aller leurs vaches de tel ou
tel côté, ils me criaient à leur tour : Hélo ! hélo ? Anne-Catherine
Emmerich, si tu veux venir avec nous au gué, viens donc vite : hélé !
lé, loh loh ! Elle répéta cela en imitant les modulations du cornet
avec lequel on appelle les vaches en prononçant les noms de tous ses
compagnons d’enfance et en regrettant ce temps d’innocence et de
piété.
Jésus arriva à Eléalé avec environ sept disciples : il doit lui en être
venu quelques-uns que j’ai oubliés. André, Saturnin et d’autres qui
étaient allés à Ophra, sont revenus je ne sais plus bien où : ils doivent
bientôt venir le retrouver. Jésus entra chez le chef de la synagogue.
Le soir du sabbat, il enseigna dans la synagogue sur une parabole où
il était question de branches d’arbres vacillantes qui laissaient
tomber les fleurs et ne portaient pas de fruits. Tout ce que je me
rappelle à ce sujet, est qu’il voulut par là reprocher à ses auditeurs
que la plupart du temps le baptême de Jean ne les rendait pas
meilleurs, et qu’ils laissaient emporter par tous les vents les fleurs de
la pénitence sans qu’elles arrivassent à porter des fruits.
C’est ainsi qu’ils étaient dans cet endroit. Il choisit de préférence
cette comparaison, parce qu’ils vivaient pour la plupart du produit de
leurs arbres fruitiers. Ils allaient vendre leurs fruits très-loin, car
l’endroit était écarté, et il n’y avait pas de grande route. Ils faisaient
aussi beaucoup de couvertures et des broderies grossières. Jésus,
jusqu’à présent, n’avait pas rencontré de contradicteurs ; les gens de
Dibon et des alentours l’avaient pris à gré, et ne cessaient pas de dire
qu’ils n’avaient jamais entendu personne enseigner comme lui : les
vieillards le comparaient toujours aux prophètes, de l’enseignement
desquels leurs ancêtres leur avaient parlé.
Jésus a récemment envoyé un message à sa mère à Cana : il lui a
fait dire à quel moment il viendrait. Il n’y avait encore personne de
Jérusalem près de lui, mais la plupart de ceux qui l’avaient suivi
après le baptême de Jean, se trouvèrent de nouveau avec lui à
Bethabara et ils allaient et venaient de Jean à lui et de lui à Jean.
Le samedi 15, Jésus fit ici la clôture du sabbat.

(16-17 décembre.) Le dimanche 16, Jésus alla à environ trois lieues


vers le couchant dans un endroit nommé Bethjésimoth, situé sur les
pentes orientale et méridionale d’une montagne, auprès d’une petite
rivière, à environ une lieue du Jourdain. Pendant qu’il était en route
pour s’y rendre, André, Saturnin, et beaucoup d’autres disciples de
Jean vinrent se joindre à lui, et j’entendis sur le chemin le Seigneur
leur parler des enfants d’Israël qui avaient campé ici et de ce que
Moïse et Josué leur avaient dit. Il en fit une application au temps
présent et à son enseignement. Bethjésimoth n’est pas très-grand,
mais très-fertile, surtout en vins.
Lorsque Jésus arriva, on venait de faire sortir des démoniaques
d’une maison où ils étaient renfermés ensemble, pour les mener
prendre l’air. Ils se mirent à faire du bruit et à crier : « Voilà qu’il
vient, le Prophète ! Il va nous chasser, etc. » Jésus se retourna vers
eux et leur commanda de se taire, leur disant que leurs chaînes
allaient tomber et qu’ils devaient le suivre à la synagogue. Leurs
chaînes tombèrent en effet par un miracle, et ces gens, devenus tout
à fait paisibles, se prosternèrent devant Jésus, le remercièrent et le
suivirent. Il enseigna en paraboles où il était question de la fertilité
de la terre et de la culture de la vigne. Ensuite il visita plusieurs
malades dans les maisons et les guérit. Cet endroit ne se trouve sur
aucune grande route, les habitants sont obligés de porter eux-mêmes
leurs fruits au marché.

(18-20 décembre.) Jésus partit aujourd’hui quoique les habitants


le priassent instamment de rester, parce que c’était là qu’il avait
guéri pour la première fois depuis son séjour au désert : il était
accompagné d’André, de Saturnin, des neveux de Joseph
d’Arimathie, en tout d’une douzaine de personnes. Il alla
obliquement vers le nord, pendant deux lieues, jusqu’à ce passage
fréquenté du Jourdain auquel conduisait la route de Dibon et où il
avait passé lors de la fête des Tabernacles en se rendant de Galgala à
Dibon. On mettait un temps assez long à passer parce que, vu
l’escarpement des rives, les lieux de débarquement n’étaient pas en
face l’un de l’autre.
Sur la rive occidentale, je les vis faire encore à peu près une lieue
dans la direction de Samarie, puis, longeant la base d’une montagne,
arriver dans un petit endroit qui consistait en un groupe de maisons
sans école. À quelques lieues de là, au couchant, se trouve dans un
coin de la montagne le lieu où Jésus, du 22 au 23 octobre, visita
l’essénien Jaïre. Ce petit endroit était habité par des bergers et
d’autres braves gens qui étaient vêtus à peu près comme les bergers à
la crèche. Jésus enseigna sur un lieu élevé où une chaire de pierre
était dressée en plein air. Ces gens avaient reçu le baptême de Jean.
Le 10 vers le soir, je vis Jésus arriver sur le haut d’une montagne
qui s’élevait en pente douce, à Silo, ville assez délabrée, aux portes de
laquelle se trouvaient de grandes tours en ruines. Devant la ville, à
quelque distance était un couvent d’Esséniens a moitié détruit et en
outre une maison peu éloignée de l’entrée de la ville où jadis les
Benjamites avaient renfermé des jeunes filles qu’ils avaient enlevées
à Silo, lors de la fête des Tabernacles. La synagogue de Silo était dans
une situation très-élevée, tout au haut de la ville, et on avait de là une
vue extraordinairement étendue. On voyait les montagnes de
Jérusalem, la mer de Galilée et une quantité de montagnes. Les
habitants ne me semblèrent pas bons : ils étaient orgueilleux, pleins
de présomption et d’assurance.
Je vis Jésus, avec ses compagnons qui pouvaient bien être au
nombre de douze, en y comprenant André et Saturnin, entrer dans
une grande maison qui semblait habitée par plusieurs pharisiens et
scribes. Tout au moins ils la fréquentaient, car j’en vis bien une
vingtaine rassemblés autour de lui avec leurs longues robes, leurs
ceintures et de longs appendices d’un travail grossier pendant aux
manches. Je crois qu’il trouvera ici des contradicteurs, car ils
faisaient semblant de ne pas connaître Jésus et lui adressaient des
paroles piquantes comme celle-ci : « Qu’est-ce à dire ? Il y a
maintenant deux baptêmes, celui de Jean et celui de Jésus, le fils du
charpentier de Galilée : lequel est donc le bon ? On entend dire aussi
que des femmes s’attachent à la mère de ce fils de charpentier, par
exemple telle veuve avec ses deux fils (j’ai oublié le nom), et qu’elle
court ainsi de côté et d’autre pour faire des partisans à son fils.
Quant à eux, disaient-ils, ils n’avaient que faire de semblables
nouveautés, ils avaient la promesse et leur loi. » Ils ne disaient pas
ces choses ouvertement et brutalement, mais ils traitaient Jésus avec
une politesse aigre et moqueuse, et cela me rappelait la malveillance
astucieuse et cachée sous une douceur hypocrite que j’ai souvent
rencontrée sur mon chemin de croix de la part de gens éclairés qui
m’observaient comme une personne suspecte.
À l’endroit où Jésus entra dans Silo avec les disciples se trouvait
une maison où les docteurs et les prophètes en voyage avaient le
droit de loger ; elle était attenante aux habitations et aux écoles des
pharisiens et des sadducéens de l’endroit ; c’était comme un
séminaire. Elle n’était pas éloignée du point culminant de la
montagne où le tabernacle et l’arche d’alliance avaient séjourné
autrefois. Ce point culminant était comme un rocher isolé et escarpé,
terminé par une vaste plate-forme, grande presque comme Dulmen
{41}, si je ne me trompe. Il y avait là un grand emplacement entouré
d’un mur à moitié écroulé et où se trouvaient les restes des
fondements d’un ancien édifice en pierre, élevé au-dessus du
tabernacle.
Peut-être aussi n’y avait-il eu là qu’un beau mur et une grande
halle. À la place où l’arche d’alliance avait reposé autrefois, il y avait,
sous un toit soutenu par une arcade, une colonne comme celle de
Galgala ; sous cette colonne, se trouvait également une espèce de
caveau, creusé dans le roc, où l’arche d’alliance avait été déposée. Sur
cette hauteur, entourée d’un mur, il y avait en outre une synagogue,
et non loin de la place de l’arche d’alliance un lieu pour les sacrifices
et une fosse couverte ou l’on jetait les immondices lors de
l’immolation des victimes ; car j’entendis dire qu’il était encore
permis de sacrifier là trois ou quatre fois dans l’année.
Je ne sais plus dans quel ordre se succédèrent ici les actes et les
prédications de Jésus ; je me souviens seulement qu’il répondit à
leurs sarcasmes qu’il était celui dont ils parlaient. Et comme il faisait
mention de la voix qui s’était fait entendre à son baptême, il dit que
c’était la voix de son père qui était aussi le père de quiconque se
repentait de ses péchés et renaissait par le baptême.
Ils ne voulaient pas le laisser aller, non plus que ses disciples, à la
place de l’arche d’alliance, parce que c’était un lieu très-saint ; il y
alla pourtant et leur reprocha que leurs pères avaient perdu l’arche
d’alliance à cause de leur méchanceté ; maintenant, ajouta-t-il, ils
continuaient à faire de même près de cette place vide ; ils avaient
violé la loi autrefois et ils la violaient encore ; mais de même que
l’arche d’alliance s’était éloignée d’eux, de même aussi
l’accomplissement de la promesse allait s’éloigner d’eux maintenant.
Comme là-dessus ils voulurent entrer en dispute avec lui en lui
alléguant des passages de la loi ; il les plaça deux par deux, les
interrogea comme des enfants, leur proposa diverses questions
difficiles sur des textes de la loi, et ils ne trouvèrent rien à répondre.
Ils étaient très-confus et très-irrités, ils se poussaient les uns les
autres et murmuraient, mais ils commencèrent à se retirer. Jésus les
conduisit aussi à la fosse couverte où l’on jetait les débris qui
restaient après les sacrifices ; il la fit découvrir et la faisant servir à
une comparaison, il dit d’eux qu’ils étaient comme cette fosse,
remplis à l’intérieur d’immondices et de pourriture impropres au
sacrifice, mais proprement recouverts à l’extérieur, et tout cela dans
un endroit d’où le sanctuaire avait été retiré à cause des péchés de
leurs ancêtres. Il leur dit, en outre, qu’il ne reviendrait plus les
visiter. Tous se retirèrent pleins de rage.
Jésus enseigna ici dans la synagogue et parla spécialement du
respect dû à la vieillesse et de la piété filiale. Il s’exprima sévèrement
à ce sujet, car les gens de Silo avaient depuis longtemps la mauvaise
habitude, quand leurs parents étaient arrivés à un grand âge, de les
mépriser, de les laisser de côté et de les chasser. Une route vient ici,
de Bethel qui est situé au midi ; Lebona est dans le voisinage. Il peut
y avoir huit à neuf lieues d’ici à Samarie ; la ville est bâtie tout autour
du rocher, elle n’est pas très-peuplée ; il y a une école de pharisiens
et une autre appartenant à d’autres sectes. C’est ici qu’est enterré le
prophète Jonas.

(21 décembre.) Aujourd’hui dans la matinée, Jésus sortit par


l’autre côté de la ville et se dirigea vers le nord-ouest. Je vis André,
Saturnin et les neveux de Joseph d’Arimathie se séparer de lui et
aller en avant vers la Galilée. André doit aller voir Pierre et lui dire
qu’il a retrouvé Jésus ; c’est ici que s’applique le verset 41 du premier
chapitre de saint Jean. Je vis Jésus accompagné des autres disciples
de Jean qui étaient avec lui, arriver à Kibzaïm, le vendredi, avant le
sabbat. Cette ville est située dans la vallée, entre les embranchements
de la chaîne de montagnes qui s’étend au milieu du pays, et qui a ici
presque la forme d’une griffe de loup. Les gens de l’endroit étaient
bons, hospitaliers, et bien disposés pour Jésus qu’ils attendaient.
C’était, je crois, une ville de lévites. Jésus entra, près de l’école, chez
un préposé.
Je vis Lazare, Marthe, Jeanne Chusa, le fils de Siméon qui avait un
emploi au temple et le vieux serviteur de Lazare arriver ici et saluer
Jésus. Ils s’étaient mis en route pour aller aux noces de Cana et je
crois qu’ils savaient par un message qu’ils rencontreraient ici Jésus.
Jésus accueillait toujours Lazare comme un ami qu’il affectionnait
particulièrement : cependant je ne l’entendais jamais demander :
« Que fait tel ou tel de tes parents ou de les amis. » Le jour du sabbat,
Jésus enseigna en paraboles que j’ai oubliées. Kibzaïm est caché dans
un coin de montagne. Les habitants vivent du produit de leurs arbres
fruitiers, et il y a en outre ici beaucoup de fabricants de tentes et de
tapis, mais je n’ai vu nulle part autant de faiseurs de sandales. Jésus
resta encore ici aujourd’hui pour le sabbat et il guérit plusieurs
malades. C’étaient des hydropiques et des idiots qu’on lui apportait
sur de petits lits devant l’école. Jésus assista à un repas chez un lévite
de distinction.
Les noces de Cana ne peuvent pas avoir lieu avant dix jours, car je
vois qu’ici et partout dans le pays, on se prépare à une grande fête de
huit jours ; c’est la fête de la dédicace du Temple, qui se célèbre avec
beaucoup de flambeaux dans une vision relative à la Nativité du
Christ, j’ai vu récemment saint Joseph la célébrer, huit jours après,
dans la grotte de la crèche, parce que, la nuit de la naissance de
Jésus, le jour de cette fête tombait le 7 décembre. Je crois que Jésus
ira à Cana aussitôt après la fête. J’ai vu encore que Nathanaël,
Philippe et d’autres disciples doivent se rencontrer ces jours-ci avec
Jésus, je ne sais plus bien dans quel endroit.

(22 décembre.) Le soir après le sabbat. Jésus alla encore jusqu’à


Sichar où il arriva tard et passa la nuit dans un logement préparé
pour lui. Lazare et ses compagnons se rendirent directement de
Kibzaïm en Galilée.

(23 décembre.) Le jour suivant, Jésus partit de bonne heure de


Sichar et se dirigea au nord-est vers Thébez. À Sichar ou Sichem il ne
put pas enseigner, il ne s’y trouvait pas de juifs, mais seulement des
Samaritains et encore des gens d’une autre espèce. Ils sont venus, ici
à la suite de la captivité de Babylone ou de quelque guerre ; ils vont
au temple de Jérusalem, mais ne prennent point part aux sacrifices.
Près de Sichem sont de beaux champs que Jacob avait achetés pour
son fils Joseph. Une partie de cette contrée appartient déjà à
l’Hérode de Galilée.
Il y a une frontière tracée à travers la vallée par un mur de terre,
un sentier et des poteaux. Une grande route traverse Thébez qui est
une ville assez considérable. Il s’y fait du commerce : il y passe des
chameaux dont le chargement est très-élevé. C’est un singulier
spectacle que de voir ces animaux, avec leur haut bagage qui les fait
ressembler à de petites tours, gravir lentement la montagne, pendant
que leur tête sur son long cou se balance à droite et à gauche devant
leur énorme charge. On fait aussi ici le commerce de la soie crue.
Les habitants n’étaient pas mauvais et il ne résistait pas à Jésus,
mais ce n’étaient pas non plus des gens simples et candides : ils
étaient tièdes comme le sont souvent les commerçants aisés : les
prêtres et les scribes montraient assez d’assurance et gardaient la
neutralité. Lorsque Jésus arriva dans cet endroit, des possédés et des
fous se mirent à crier : « Voici le Prophète de Galilée ! Il a pouvoir
sur nous : il va nous chasser. » Il leur ordonna de se tenir tranquilles
et ils s’apaisèrent. Jésus logea ici près de la synagogue et comme on
le suivait et qu’on lui amenait beaucoup de malades, il en guérit
plusieurs.
Il enseigna le soir dans l’école de Thébez et prit part à la
célébration de la fête de la dédicace du Temple, qui commençait ce
soir-là. On alluma sept flambeaux dans l’école et on en fit autant
dans toutes les maisons. Je vis aussi dans la campagne et sur la
route, près des habitations des bergers, de petits fagots allumés
posés sur des perches. Thébez était admirablement située sur une
hauteur : on pouvait voir à quelque distance la route qui coupait la
montagne et les chameaux chargés qui la descendaient : on ne voyait
pas cela dans le voisinage.
André, Saturnin et les neveux de Joseph étaient déjà partis de Silo
pour la Galilée. André était allé dans sa famille à Bethsaïda : il avait
dit à Pierre qu’il avait retrouvé le Messie qui allait venir en Galilée et
qu’il voulait lui amener Pierre. Tous ceux-là allèrent à Arbela {42},
qui s’appelle aussi Betharbel, trouver Nathanaël Khased qui avait là
des affaires, et ils le prirent pour l’emmener avec eux à Gennabris et
y célébrer la fête, car Khased y avait alors sa résidence dans une
grande maison qui se trouvait devant la ville avec plusieurs autres.
Ils parlèrent beaucoup de Jésus, et ce fut proprement André qui les
conduisit là à la fête, parce qu’il faisait beaucoup de cas de Nathanaël
ainsi qu’eux tous. Ils désiraient savoir son avis ; quant à lui, il ne
voulait pas donner beaucoup d’importance à cette affaire.
Lazare avait conduit Marthe et Jeanne Chusa près de Marie, à
Capharnaüm, où elle était revenue de Cana : lui-même repartit avec
le fils de Siméon pour Tibériade où ils comptaient trouver Jésus ; le
fiancé de Cana y alla aussi à la rencontre du Seigneur. Ce fiancé était
fils d’une fille de Sobé, sœur de sainte Anne : il s’appelait aussi
Nathanaël et il n’était pas de Cana, seulement il s’y mariait. La ville
de Gennabris était populeuse : une grande route y passait ; il y avait
beaucoup de trafic, et on faisait notamment le commerce de soie. Elle
était à environ deux lieues de Tibériade, mais séparée par des
montagnes, de sorte qu’il fallait aller un peu au midi, puis tourner de
nouveau vers Tibériade, entre cette ville et Emmaüs. Arbela était
située entre Séphoris et Tibériade.

(24 décembre.) Jésus partit de Thébez avant le jour avec les


disciples : il alla d’abord au levant, puis longeant les montagnes qui
sont dans la vallée du Jourdain, il se dirigea au nord vers Tibériade.
Il passa par Abel-Mehula, un joli endroit où les montagnes courent
plus directement vers le nord, c’est la patrie d’Elisée. La ville s’étend
au delà d’une arête de montagnes et je remarquai une grande
différence de fertilité entre le côté du nord et celui du midi. Les
habitants étaient assez bons. Ils avaient ouï parler des miracles de
Jésus à Kibzaïm et à Thébez. Ils l’arrêtèrent sur le chemin et ils
témoignèrent le désir qu’il voulût bien rester chez eux et y guérir les
malades. Il y eut presque une émeute. Jésus ne s’arrêta pas
longtemps. Je crois que cet endroit était à environ quatre lieues de
Thébez. Jésus passa près de Scythopolis et du Jourdain.
Lorsque Jésus fut parti d’Abel-Mehula, André, Pierre et Jean,
pendant que leurs autres amis étaient déjà à Gennabris, vinrent à la
rencontre du Seigneur près d’une petite ville, qui est à peu près à six
lieues de Tibériade. Pierre était venu avec Jean pêcher dans les
environs. Ils voulaient d’abord se rendre à Gennabris ; mais André
leur persuada d’aller d’abord à la rencontre du Seigneur.
André conduisit son frère à Jésus, qui lui dit entre autres choses :
« Tu es Simon, fils de Jonas ; à l’avenir tu t’appelleras Céphas (Joan.,
I, 41-42). » Il lui adressa tout d’abord ces paroles et ne s’entretint
que peu de temps avec lui. À Jean qu’il connaissait déjà depuis
longtemps, il dit qu’ils se reverraient bientôt. Là-dessus Pierre et
Jean partirent pour Gennabris. André resta près de Jésus : je crois
qu’ils restèrent dans cet endroit qui pouvait être à douze lieues de
Thébez.
Ce même jour, elle dit que Jean Baptiste avait quitté le lieu où il
baptisait en deçà du Jourdain, qu’il avait passé le fleuve et s’était
remis à baptiser à environ une lieue de Bethabara, à l’endroit où
Jésus avait fait baptiser récemment et où lui-même avait aussi
baptisé précédemment. Elle avait oublié le nom d’un endroit voisin
et se rappelait seulement la syllabe ma.
Ce qui a surtout décidé Jean à baptiser là, c’est que beaucoup de
gens du pays du tétrarque Philippe, qui était un bon prince, voulaient
se faire baptiser ; mais ils ne passaient pas volontiers le Jourdain,
surtout lorsqu’ils devaient se trouver en compagnie de beaucoup de
païens : du reste, le séjour de Jésus dans cette contrée avait excité,
chez beaucoup de personnes, le désir du baptême. Ce fut aussi pour
montrer qu’il ne se séparait pas de Jésus que Jean vint baptiser au
même endroit que lui.

(25-26 décembre.) Jésus vint aujourd’hui à peu de distance de


Tarichée, dans une maison appartenait à la pêcherie et voisine du
lac. Je crois qu’on y vendait ou qu’on y salait les poissons. André y
avait déjà retenu un logement, ou peut-être dépendait-elle de la
pêcherie affermée par Pierre. Jésus n’entra pas dans la ville, les
habitants avaient quelque chose de farouche et de repoussant : ils ne
pensaient qu’au gain et à l’usure.
Simon, qui avait un emploi dans cette ville (cananeus, zélateur,
c’était comme un défenseur des droits du commerce), était allé à
Gennabris pour la fête avec Thaddée et Jacques le Mineur, ses
frères : Jacques le Majeur y était aussi : Lazare, Saturnin et le fils de
Siméon vinrent ici trouver Jésus, ainsi que le fiancé de Cana. Celui-ci
invita à ses noces Jésus et tous ses compagnons. Le soir, Jésus pria et
célébra, dans la maison où il était, la fête des lumières.

(26 décembre.) Dans la journée, Jésus alla avec quelques disciples


dans les montagnes du voisinage. Il s’y trouvait des grottes dans
quelques endroits, il se retira à part et pria seul. Le matin et le soir ;
il pria à la maison : dans la soirée, il célébra la fête de la dédicace du
temple en allumant des flambeaux. La principale raison qu’eut Jésus
pour s’arrêter ces deux jours près de Tarichée fut qu’il voulait laisser
à ceux qui devaient devenir ses apôtres et ses disciples le temps de se
communiquer les bruits qu’ils avaient recueillis ou ce qui leur avait
été raconté par André et Saturnin et de s’entendre entre eux à ce
sujet.
Je vis aussi qu’André pendant que Jésus parcourait les environs,
resta à la maison et écrivit des lettres avec un roseau sur des bandes
d’écorce, à ce que je crois : on pouvait les replier et les dérouler au
moyen d’un morceau de bois fendu. Il vint dans la maison des
hommes et aussi des jeunes gens qui cherchaient du travail et André
les employait comme messagers. Il envoya les lettres qu’il avait
écrites d’une part à Philippe et à son demi-frère Jonathan, d’autre
part à Pierre et aux autres qui étaient à Gennabris : il leur annonçait
que Jésus irait à Capharnaüm pour le sabbat et il les engageait à s’y
rendre.
Jésus ne serait peut-être allé à Capharnaüm que le vendredi 28,
mais il vint de cette ville un message adressé à André, pour qu’il
suppliât Jésus de s’y rendre, vu qu’un messager venu de Kadés pour
implorer son assistance, l’y attendait depuis plusieurs jours. Le
fiancé Nathanaël était déjà reparti avec quelques disciples de Jean.

(27 décembre.) Capharnaüm n’est pas tout contre le lac, mais sur
la hauteur, sur le côté méridional d’une montagne qui forme une
vallée au couchant du lac, à l’endroit où le Jourdain s’y jette.
Bethsaïde est un peu au-dessus de l’entrée du Jourdain dans le lac.
Aujourd’hui Jésus accompagné d’André, de Saturnin et de quelques
autres disciples de Jean, alla de la maison de pêcheur voisine de
Tarichée à Capharnaüm, ils cheminaient par groupes séparés.
Ils prirent à l’est de Magdalum la route voisine du lac, arrivèrent
par la vallée devant Capharnaüm et laissèrent Bethsaïde à droite.
André rencontra en chemin son demi-frère Jonathan et Philippe qui,
je crois, étaient venus au-devant de lui par suite de son message.
Toutefois ils ne se réunirent pas à Jésus sur ce chemin. Ils allèrent
avec André en avant ou en arrière de Jésus, ce dont je ne me
souviens plus bien. J’entendis seulement André leur parler d’un ton
très-animé et pour raconter tout ce qu’il avait vu de Jésus : il leur dit
que c’était vraiment le Messie, que, s’ils voulaient le suivre, ils
n’avaient pas besoin de le lui demander, qu’ils devaient seulement
s’examiner pour savoir s’ils le désiraient du fond du cœur, et qu’alors
il indiquerait par un signe ou par un mot s’il les admettait.
Les saintes femmes et Marie n’étaient pas à Capharnaüm, mais
chez Marie, dans la vallée qui est en avant de Capharnaüm en face du
lac, et elles y célébraient la fête. Les fils de Marie de Cléophas,
Jacques le Majeur, Jean son frère et Pierre étaient déjà arrivés là de
Gennabris, comme aussi les fils des trois veuves et d’autres futurs
disciples. Khased (Nathanaël), Thomas, Barthélémy et Matthieu
n’étaient pas là. Il s’y trouvait du reste plusieurs autres parents et
amis de la sainte Famille, qui tous étaient invités à Cana pour les
noces et qui célébraient ici le sabbat parce qu’ils avaient entendu
parler de l’arrivée de Jésus.
Jésus logeait avec André, Saturnin, quelques disciples, Lazare et
Obed, dans une maison qui appartenait à Nathanaël le fiancé. Il y
avait sur le devant une salle ouverte : les appartements étaient sur le
derrière. Les parents de Nathanaël ne vivaient plus : ils lui avaient
laissé du bien. Cette maison lui appartenait et il y résidait quand il
avait des affaires à Capharnaüm.
Les futurs disciples venus de Gennabris se tenaient encore à
distance avec une certaine crainte ; car d’une part, ils hésitaient entre
l’autorité qu’avait auprès d’eux le jugement de Nathanaël Khased, et
les grandes choses qu’André et les autres disciples de Jean leur avait
dites de Jésus. D’autre part la timidité les retenait et aussi ce
qu’André leur avait dit, qu’ils n’avaient pas besoin de s’offrir, qu’ils
devaient seulement écouter ses enseignements qui ne manqueraient
pas de produire sur eux leur effet. Les fils de Cléophas, ceux qu’on
appelait les frères de Jésus, allèrent le trouver. Il enseigna et parla
dans la salle antérieure.
L’homme qui avait attendu Jésus pendant deux jours, vint le
trouver ici. Il se jeta à ses pieds et dit qu’il était le serviteur d’un
homme de Cadès. Son maître suppliait Jésus de venir guérir son petit
garçon qui avait la lèpre et qui était possédé d’un démon muet. Cet
homme était un serviteur très-fidèle et il exprima la douleur de son
maître en homme qui prenait une grande part. Jésus lui répondit
qu’il ne pouvait pas aller avec lui, qu’il fallait pourtant venir en aide à
ce petit garçon, car c’était un enfant innocent.
Il dit au serviteur qu’il fallait que son maître se couchât sur son fils
les bras étendus et fît une certaine prière ; qu’alors la lèpre se
retirerait de lui : que lui, le serviteur, devait après cela s’étendre à
son tour sur l’enfant et lui souffler dans la bouche : qu’alors une
vapeur bleuâtre sortirait de l’enfant qui recouvrerait la faculté de
parler. J’ai oublié ce qu’il lui dit de plus, mais j’ai vu le père et le
serviteur guérir l’enfant de la manière indiquée.
L’ordre était donné au père et au serviteur de s’étendre sur l’enfant
malade pour certaines raisons cachées dont je ne me souviens plus
bien clairement. Cet enfant n’était pas né d’une union légitime ; il
semblait qu’il fût le fils du serviteur et de la femme de son maître,
sans que celui-ci le sût. Mais Jésus le savait. Chacun d’eux devait
prendre une dette de l’enfant. Je ne puis pas expliquer cela
clairement, non plus que la manière mystérieuse dont cela se fit.
La ville de Cadès {43} était à environ six lieues au nord de
Capharnaüm, près des confins de Tyr, à l’ouest de Panéas : c’était
une ancienne capitale des Chananéens, et maintenant une ville libre
où des gens poursuivis par la justice se réfugiaient. Elle confinait à
un pays appelé Kaboul qui avait été donné par Salomon au roi des
Phéniciens. Ce pays m’apparaît ordinairement avec quelque chose de
sombre, d’obscur et de sinistre, et j’ai toujours vu Jésus l’éviter
quand il allait du côté de Tyr et de Sidon. Je crois qu’il s’y commettait
beaucoup de vols et d’assassinats.

(28-29 décembre.) Le jour du sabbat, je vis et j’entendis Jésus


enseigner dans la synagogue. Il y avait une foule énorme : tous les
amis et les parents de Jésus étaient là. Son enseignement était tout à
fait nouveau pour ses auditeurs et les remuait singulièrement. Il
parla de l’approche du royaume de Dieu, de la lumière qu’on ne doit
pas mettre sous le boisseau, du semeur, de la foi comparée à un grain
de sénevé. Ce n’étaient pas seulement ces paraboles, telles que nous
les connaissons : c’en était une exposition toute différente.
Les paraboles n’étaient que des exemples ou des comparaisons
présentées en peu de mots, dont il prenait occasion pour développer
sa doctrine. J’ai entendu dans ses instructions plus de paraboles
qu’on n’en trouve dans l’Evangile, mais cette fois c’étaient les mêmes
qu’il répétait souvent, en les commentant chaque fois d’une manière
différente. Le samedi, il enseigna de la même façon jusqu’à la clôture
du sabbat.
Lorsque le sabbat fut fini, je vis Jésus passer près de la synagogue
et aller dans une petite vallée avec ses disciples. C’était un endroit
retiré, comme un lieu de promenade : il y avait des arbres devant
l’entrée et dans la vallée. Les fils de Marie de Cléophas, ceux de
Zébédée et d’autres disciples se joignirent à lui ; mais Philippe, qui
était humble et timide, hésitait, restait en arrière et ne savait pas s’il
devait le suivre dans la vallée. Alors Jésus qui marchait en avant
tourna la tête vers lui et lui dit : « Suis-moi ! » (Joan. I, 43) ; et
Philippe, tout joyeux, se joignit aux autres : ils étaient environ une
douzaine.
Jésus enseigna dans cet endroit, près d’un arbre ; il parla de
l’appel qu’il adressait à ceux qui devaient le suivre et de ce qu’ils
avaient à faire. André, qui était extraordinairement zélé et
enthousiaste, qui avait persuadé les autres, comme il l’était lui-
même, que Jésus était le Messie, et qui se réjouissait du grand effet
qu’avait produit sur eux tous l’enseignement de Jésus le jour du
sabbat, avait le cœur si plein, qu’à chaque occasion qui se présentait,
il certifiait encore à ses compagnons ce qu’il avait vu au baptême de
Jésus et ses autres miracles.
J’entendis aussi Jésus prendre le Ciel à témoin qu’ils verraient de
plus grandes choses encore, et parler au Père céleste de sa mission.
Il parla encore de ce qu’ils auraient à faire pour le suivre, leur dit
qu’ils devaient se tenir prêts, et tout quitter quand il les appellerait. Il
ajouta qu’il prendrait soin d’eux tous et qu’ils ne manqueraient de
rien, qu’ils pouvaient continuer à exercer leur profession, car il avait
encore quelque chose à faire pour les prochaines fêtes de Pâques :
mais que quand il les appellerait, ils devraient le suivre sans
s’inquiéter de rien. Il donna ces explications sur ce que ceux qui
étaient là lui demandèrent en toute simplicité ce qu’ils auraient à
faire vis-à-vis de leurs familles. Ainsi, par exemple, Pierre représenta
qu’il ne pouvait pas quitter immédiatement son vieux beau-père
(oncle de Philippe) :
Toutefois Jésus leva tous ces scrupules en déclarant qu’il ne
commencerait pas avant la fête de Pâques. Il leur dit qu’ils devaient
dès à présent renoncer à leur profession, en tant que leur cœur y était
attaché ; qu’ils pouvaient la continuer extérieurement jusqu’à ce qu’il
les appelât, et en attendant mettre leurs affaires en état d’être
remises en d’autres mains. Il alla ensuite avec eux à l’extrémité
opposée de la vallée et se rendit à l’habitation de sa mère, qui faisait
partie d’un groupe de maisons situées entre Capharnaüm et
Bethsaïde. Ses plus proches parents l’y suivirent : leurs mères étaient
aussi là.
Pendant tout ce temps, l’état de maladie de la narratrice rendit les
communications rares et incomplètes : elle se crut souvent au
moment de mourir. Son dépérissement était incroyable. Ses mains et
ses pieds n’étaient qu’une charpente osseuse recouverte d’une peau
flasque.

(30 décembre.) Le 30, Jésus partit de très-bonne heure pour Cana


avec ses disciples et ses parents. Marie et les autres femmes prirent
de leur côté un chemin plus direct et plus court : c’était un étroit
sentier qui passait plus souvent par la montagne. Les femmes
suivaient de préférence des chemins de ce genre, parce qu’elles y
rencontraient moins de monde : du reste, elles n’avaient pas besoin
d’un chemin bien large : car elles marchaient ordinairement à la
suite les unes des autres. Le guide les précédait à quelque distance :
un autre les suivait. Ce chemin allait à environ sept lieues de
Capharnaüm, dans la direction du sud-ouest.
Jésus passa par Gennabris avec ses compagnons et fit un détour.
Ce chemin était plus large et plus commode pour enseigner en
marchant, car souvent Jésus s’arrêtait pour indiquer et expliquer
quelque chose. La route que suivait Jésus allait plus au midi que celle
que suivait Marie ; elle conduisait à Gennabris, qui est à environ six
lieues de Capharnaüm, puis elle tournait au couchant vers Cana, ce
qui faisait encore trois lieues.
Gennabris était une belle ville. Il y avait une école et une
synagogue ; il s’y trouvait en outre une école de rhétorique et on y
faisait beaucoup de commerce. Nathanaël exerçait ses fonctions
d’écrivain dans une grande maison en avant de la ville ; il y avait là
quelques autres maisons. Nathanaël n’alla pas à la ville, quoique les
disciples, ses amis, l’y engageassent. Jésus enseigna ici dans la
synagogue et il mangea quelque chose avec une partie de ses
disciples chez un riche pharisien. Quelques autres disciples étaient
allés en avant. Jésus avait dit à Philippe d’aller trouver Nathanaël et
de le lui amener sur le chemin.
Jésus fut traité avec beaucoup d’égards à Gennabris ; les habitants
désiraient qu’il restât plus longtemps avec eux et qu’il prît pitié de
leurs malades ; il était à certains égards leur compatriote, disaient-
ils ; mais il repartit bientôt pour Cana.
Pendant ce temps, Philippe était allé trouver Nathanaël à son
bureau. Il y avait là plusieurs écrivains ; il était assis dans une pièce
qui était au haut de la maison. Philippe n’avait pas encore parlé de
Jésus à Nathanaël, parce qu’il n’était pas avec les autres à Gennabris.
Il était en bons termes avec lui, et il lui dit avec beaucoup
d’enthousiasme et de joie que Jésus était le Messie annoncé par les
prophéties ; que ce Messie, ils l’avaient trouvé dans la personne de
Jésus de Nazareth, fils de Joseph.
Nathanaël était un homme vif et d’un caractère ouvert, mais
néanmoins ferme et tenace dans ses opinions, d’ailleurs plein de
droiture et de sincérité. Il dit à Philippe : « Que peut-il venir de bon
de Nazareth ? » car il connaissait bien la réputation des gens de
Nazareth : il savait qu’il régnait dans leurs écoles un grand esprit de
contradiction et qu’on n’y trouvait guère de sagesse. Il pensait qu’un
homme qui avait fait là son éducation, pouvait bien plaire à ses amis,
gens simples et bienveillants, mais le contenterait plus difficilement,
lui qui avait des prétentions au savoir.
Philippe lui dit de venir et de voir qui était Jésus, ajoutant qu’il
allait passer près de là, sur le chemin de Cana. Alors Nathanaël
descendit avec Philippe et prit un chemin très-court sur lequel était
située la maison, à quelque distance de la grand route de Cana ;
cependant Jésus s’arrêta avec quelques disciples à l’endroit où ce
chemin aboutissait à la grand route. Philippe, depuis que Jésus
l’avait appelé, était aussi joyeux et aussi confiant qu’il avait été
craintif auparavant ; il dit à haute voix pendant qu’il approchait de
Jésus avec Nathanaël : « Maître, j’amène celui qui demandait s’il
peut venir quelque chose de bon de Nazareth. » Mais, lorsque
Nathanaël fut en sa présence, Jésus dit aux disciples qui étaient près
de lui : « Voici un véritable israélite, chez lequel il n’y a pas d’artifice
{44} ».
Jésus dit cela d’un ton très-amical et très-affectueux, et Nathanaël
répondit : « D’où me connaissez-vous ? » il voulait dire par là :
Comment savez-vous que je suis sincère et sans artifice, puisque
nous ne nous sommes jamais parlé ? Alors Jésus lui dit : « Avant que
Philippe t’appelât je t’ai vu sous le figuier. » Et en parlant ainsi Jésus
le regarda d’une manière très-touchante et très-significative.
Ce regard réveilla tout à coup chez Nathanaël le souvenir que
Jésus était ce même passant dont le regard sérieux l’avait prémuni et
lui avait communiqué une merveilleuse force de résistance,
lorsqu’étant sous un figuier dans le jardin de plaisance des bains de
Bethulie {45}, il avait lutté contre la tentation après avoir regardé de
belles femmes qui jouaient avec des fruits au bord de la prairie.
La puissance de ce regard et la victoire dont il lui avait été
redevable, lui étaient restées présentes à l’esprit ; il n’en était peut-
être pas de même de la figure de cet homme, ou bien, s’il avait
immédiatement reconnu Jésus, il ne pouvait pourtant pas croire qu’il
eût eu cette intention en le regardant.
Mais maintenant que Jésus faisait une allusion directe à cette
circonstance et lui lançait de nouveau un regard pénétrant, il fut tout
bouleversé et saisi d’une vive émotion ; il sentit que Jésus, lorsqu’il
avait alors passé devant lui, avait vu ses pensées et avait été pour lui
un ange gardien, car il avait le cœur si pur qu’une mauvaise pensée le
troublait beaucoup. Il vit aussitôt dans Jésus son protecteur et son
sauveur, et cette connaissance que Jésus avait eue de ses pensées
suffit à son cœur sincère, prompt et reconnaissant, pour le décider à
lui rendre hommage devant tous les disciples.
Il s’humilia donc devant lui lorsqu’il eut prononcé ces paroles et
lui dit : « Maître, vous êtes le Fils de Dieu, vous êtes le Roi d’Israël. »
Alors Jésus lui répondit : « Tu crois déjà, parce que j’ai dit que je
t’avais vu sous le figuier ; en vérité tu verras de plus grandes choses
que cela. » Et il ajouta, s’adressant à tous avec affirmation : « En
vérité, en vérité, vous verrez le ciel s’ouvrir et les anges de Dieu
montant et descendant sur le Fils de l’homme. » Les autres disciples
ne comprirent pas clairement le sens des paroles de Jésus sur le
figuier, et ils ne savaient pas pourquoi Nathanaël Khased changeait si
promptement de sentiment.
La chose, comme affaire de conscience, resta cachée pour tous,
excepté pour Jean à qui Nathanaël la confia aux noces de Cana.
Nathanaël demanda à Jésus s’il devait tout quitter aussitôt pour le
suivre, disant qu’il avait un frère auquel il voulait transmettre son
office. Jésus lui répéta ce qu’il avait dit aux autres le soir du jour
précédent et l’engagea à l’accompagner aux noces de Cana.
Jésus et les disciples continuèrent alors leur route vers Cana, et
Nathanaël Khased revint chez lui faire ses préparatifs pour se rendre
aux noces ; il arriva à Cana le lendemain dans la matinée. Les parents
de la fiancée, Marie, le fiancé et d’autres personnes encore vinrent à
la rencontre de Jésus, sur le chemin en avant de Cana et le reçurent
tous respectueusement.
CHAPITRE SEPTIÈME.

Noces de Cana.
(Du 31 décembre au 5 janvier 1822.)

(31 décembre.) Jésus logea avec ses disciples les plus intimes, et
notamment avec ceux qui plus tard furent ses apôtres, dans une
maison à part où Marie avait aussi logé lors de son premier séjour.
Cette maison appartenait à la tante du fiancé, laquelle était fille de
Sobé, sœur de sainte Anne. C’était l’une des trois veuves dont il a été
parlé plusieurs fois : celle d’entre elle qui avait trois fils. Pendant
toute la cérémonie elle tint la place de la mère du fiancé.
Ce jour-là tous les autres conviés des deux sexes arrivèrent : tous
les parents de Jésus vinrent de Galilée. Jésus seul amena vingt-cinq
de ses disciples. Le mariage était regardé par lui comme une affaire
qui le touchait personnellement, et il s’était chargé des frais d’une
partie des fêtes qui devaient l’accompagner. C’était pour cela que
Marie était allée si tôt à Cana où elle aidait à faire les préparatifs.
Entre autres choses, Jésus s’était chargé de fournir tout le vin pour
les noces : voilà pourquoi Marie lui dit avec tant de sollicitude que le
vin manquait.
Quoique Jésus, âgé de douze ans, lors du banquet donné aux
enfants chez sainte Anne après son retour du temple, eût dit au
fiancé, après quelques paroles mystérieuses sur le pain et le vin, qu’il
assisterait un jour à ses noces, cet événement avec sa haute et
mystérieuse signification, a pourtant aussi ses causes extérieures,
prises en apparence dans la marche ordinaire des choses. Il en est de
même de la part prise par Jésus à ces noces.
Marie avait déjà envoyé plusieurs messagers à Jésus pour le prier
de venir à ces noces : on tenait, ainsi qu’il arrive fréquemment parmi
les hommes, des propos contre Jésus dans sa famille et parmi ses
connaissances : sa mère, disait-on, était une veuve délaissée : il
courait à droite et à gauche dans le pays et ne s’inquiétait pas d’elle ni
de sa famille.
C’est pour cela qu’il voulut venir à ces noces avec ses amis et faire
honneur à ce mariage. C’est pourquoi aussi il avait fait venir Marthe
et Lazare pour aider Marie dans ses arrangements, et Lazare faisait
cette partie des frais dont Jésus s’était chargé, ce qui n’était su que de
Jésus et de Marie, car le Sauveur avait une grande confiance dans
Lazare ; il acceptait volontiers ses dons, et celui-ci de son côté était
heureux de tout donner.
Jésus s’était chargé de fournir une partie du festin, c’était un
second service composé de plats recherchés, de fruits, d’oiseaux et
d’herbes de toute espèce. Il avait été pourvu à tout cela. Je vis aussi
Véronique arriver de Jérusalem et porter à Jésus une corbeille
remplie de fleurs magnifiques et toute espèce de sucreries
artistement préparées.
Le père de la fiancée était un homme aisé, il dirigeait une grande
entreprise de transports ; il avait le long de la grande route des
magasins, de vastes hôtelleries et des étables pour les caravanes, et il
employait beaucoup de monde.
Ces jours-ci, Jésus s’entretint souvent en particulier avec les
disciples qui furent plus tard ses apôtres et qui étaient logés dans la
même maison que lui. Les autres disciples n’étaient pas présents à
tout ce qu’il leur disait. Ils se promenaient beaucoup dans les
environs ; alors Jésus faisait différentes instructions aux disciples et
aux conviés, et les futurs apôtres communiquaient à leur tour aux
autres les enseignements qu’ils avaient reçus de lui.
Ces promenades que faisaient les conviés donnèrent plus de
facilité pour faire les préparatifs de la fête sans dérangements :
cependant plusieurs disciples et Jésus lui-même étaient souvent
dans la maison et s’occupaient à disposer ceci ou cela, d’autant plus
que plusieurs d’entre eux devaient avoir quelque chose à faire dans la
cérémonie nuptiale.
Jésus voulait à cette fête se faire connaître de tous ses parents et
amis : il voulait que tous ceux qu’il avait choisis jusqu’alors fissent
connaissance entre eux et avec les siens, ce à quoi se prêtait la grande
liberté de rapports qui s’établit dans une fête.
Les noces commencent le soir du troisième jour après l’arrivée de
Jésus. Les épousailles doivent avoir lieu le mercredi matin. Les fêtes
de la dédicace du temple finissent ce soir.

(1er janvier 1821.) Remarque préliminaire. La Sœur fut ces jours-ci


très-souffrante et très-dérangée et elle oublia beaucoup de choses.
Quand elle a l’esprit tout occupé d’une scène qu’elle a vue et qu’elle
en a dit quelque chose, elle croit plus tard avoir tout raconté, car
quand elle souffre d’une grande fatigue qui remonte à un moment
antérieur, elle se figure que cette fatigue vient de ce qu’elle a
beaucoup raconté, tandis que souvent on n’a presque rien recueilli.
Aussi n’a-t-on souvent, comme c’est ici le cas, que de simples
fragments.
C’était aujourd’hui le deuxième jour depuis l’arrivée de Jésus à
Cana. Il y avait cent conviés, parmi lesquels Marie, mère de Marc,
Jean Marc, et Véronique qui paraissait plus âgée que Marie. Suzanne
de Jérusalem n’était pas ici : alors, comme plus tard, elle voyageait
rarement avec les autres : elle menait une vie élégante, mais assez
retirée, à cause de son origine. Les parents de Jacques et de Jean
étaient ici, mais non ceux de Pierre et d’André.
Leur demi-frère Jonathan, était présent ainsi que celles qu’on
appelait les trois veuves avec leurs fils, en général tous les parents de
sainte Anne, spécialement ses nièces et ses petits enfants, Marie de
Cléophas avec ses fils, la fille cadette d’Anne, demi-sœur de la sainte
Vierge, les neveux de Joseph d’Arimathie, Obed, et quatre disciples
de Jean, Cléophas, Jacques, Jude et Japhet, compagnons d’enfance
de Jésus, et petits-fils de Sabadias de Nazareth, parent de Joachim.
Le père de la fiancée s’appelle Israël. Je ne voulais pas redire ce
nom, parce que je ne croyais pas que personne s’appelât ainsi. Il
descend de Ruth de Bethléem. La mère de la fiancée est un peu
infirme : elle boîte d’un côté et on la soutient. Cana est un peu plus
petit que Capharnaüm : cette dernière ville est plus vivante, mais
moins grande que Nazareth, dont quelques parties sont en ruines.
Cana est situé sur le côté occidental d’une colline : c’est un endroit
agréable et propre : cependant il n’y a de gens riches qu’Israël et
deux autres personnes, le reste semble vivre de son travail et être à la
solde de ceux-ci. Il y a une synagogue avec trois prêtres. Les noces se
célèbrent dans une maison destinée aux fêtes publiques et voisine de
la synagogue.
Entre cette maison et la synagogue on a dressé des arcades de
feuillage, ornées de guirlandes et de fruits. Devant la maison où doit
se donner la fête, il y a un vestibule jonché de feuillage : la salle du
banquet est contiguë : c’est la pièce antérieure de la maison, vide
jusqu’au foyer qui consiste en un mur élevé avec des degrés, où
pourtant on ne fait rien cuire, mais qui est orné comme un autel avec
des vases, des fleurs, de la vaisselle de table et d’autres objets.
Derrière ce foyer se trouve une autre partie de la salle qui en occupe
à peu près le tiers. C’étaient là que se tenaient les femmes pendant le
repas. On voyait au plafond les poutres de la maison : elles étaient
ornées de guirlandes et on pouvait y monter pour allumer les lampes
qui s’y trouvaient.
Jésus est comme le roi de la fête, il préside à tous les
divertissements et les assaisonne par des instructions. Il leur a dit
qu’ils devaient, pendant ces jours, se récréer conformément à l’usage
établi, et, tout en se réjouissant, tirer de tout de sages
enseignements. Il régla, en outre, toute l’ordonnance de la fête, et dit,
entre autres choses, qu’il faudrait sortir deux fois par jour pour se
récréer en plein air.
Je vis ensuite les invités à la noce, les hommes d’un côté, les
femmes de l’autre, se livrer au plaisir de la conversation et jouer à
divers jeux, sous les arbres d’un lieu de plaisance : il y avait de l’eau
dans le voisinage. Je crois que c’était un jardin d’agrément près
duquel l’on prenait des bains. Je vis les hommes couchés par terre en
cercle ; au milieu d’eux étaient des fruits de toute espèce qu’ils
jetaient et faisaient rouler suivant certaines règles, de manière à ce
qu’ils tombassent dans des fosses qui se trouvaient au milieu d’eux,
ce que quelques-uns d’entre eux tâchaient d’empêcher.
Je vis Jésus prendre part à ce jeu des fruits avec une gravité
bienveillante : il disait souvent avec un sourire quelque chose
d’instructif que les uns admiraient, que d’autres recueillaient avec
une émotion silencieuse, ou que quelques-uns ne comprenaient pas
bien et se faisaient expliquer par de plus intelligents. Il avait arrangé
les parties de jeu et réglé les enjeux, et il faisait a chacun sa part,
accompagnant tout ce qu’il faisait de remarques pleines d’agrément
et souvent tout à fait admirables.
Les plus jeunes des assistants couraient et sautaient par dessus les
barrières de feuillage pour gagner des fruits. Les femmes étaient
assises à part et jouaient aussi avec des fruits, la fiancée était
toujours assise entre Marie et la tante du fiancé.
Le soir du premier janvier, commencement du quatrième jour du
mois de Thébet, Jésus enseigna dans la synagogue où tous étaient
rassemblés : il parla des divertissements permis, de leur
signification, de la mesure dans laquelle on devait les prendre, du
sérieux et de la sagesse qui devaient les accompagner : puis ensuite
du mariage, de l’homme et de la femme ; de la continence, de la
chasteté et du mariage spirituel. Quand il eut fini d’enseigner, les
fiancés vinrent seuls se présenter devant lui et il leur donna des
instructions particulières.
Les noces commencèrent ensuite par un repas et par des danses.
On dansait aux sons d’une musique faite par des enfants qui de
temps en temps chantaient des chœurs. Tous les danseurs avaient à
la main des mouchoirs avec lesquels les hommes et les jeunes filles se
touchaient quand ils dansaient en rang ou en cercle ; à cela près, ils
ne se touchaient jamais. Les mouchoirs du fiancé et de la fiancée
étaient noirs, ceux des autres étaient jaunes. Le fiancé et la fiancée
dansèrent d’abord seuls, puis tous dansèrent ensemble : les jeunes
filles étaient voilées, toutefois le voile était un peu relevé sur je
visage ; leurs vêtements étaient longs par derrière, et un peu
retroussés sur le devant avec des cordons.
On ne se trémoussait pas et on ne sautillait pas comme on fait
chez nous quand on danse : c’était plutôt une marche dans
différentes directions, accompagnée de mouvements des mains, de la
tête et du corps d’accord avec la musique. Cela me rappela les
mouvements des juifs de la secte pharisienne dans leurs prières :
mais tout y était gracieux et décent. Aucun des futurs apôtres ne prit
part aux danses : mais Nathanaël Khased, Obed, Jonathan et
d’autres disciples s’y mêlèrent. Il n’y avait, en fait de danseuses, que
des jeunes filles : tout se faisait avec un ordre admirable, et respirait
une joie paisible.

(2 janvier.) Ce matin vers neuf heures eurent lieu les épousailles.


La fiancée avait été habillée par les demoiselles d’honneur : son
vêtement ressemblait à celui que portait la Mère de Dieu lors de son
mariage ; il en était de même de sa couronne qui était seulement plus
riche. Sa chevelure n’était pas partagée en lignes minces et séparées,
mais en tresses plus épaisses. Quand sa toilette fut finie, elle fut
présentée à la sainte Vierge et aux autres femmes.
Le fiancé et la fiancée furent conduits de la synagogue à la maison
de fête et de là ramenés à la synagogue. Il y avait dans le cortège six
petits garçons et six petites filles qui portaient des guirlandes, puis
six garçons et six filles plus âgés avec des flûtes et d’autres
instruments que j’ai décrits ailleurs. De plus, la fiancée était
accompagnée de douze jeunes filles comme demoiselles d’honneur,
et le fiancé de douze jeunes hommes. Parmi ceux-ci se trouvaient
Obed fils de Véronique, les neveux de Joseph d’Arimathie, Nathanaël
Khased et quelques disciples de Jean, mais aucun des futurs apôtres.
Les épousailles se firent devant la synagogue par le ministère des
prêtres. Les anneaux qu’ils échangèrent étaient un présent que Marie
avait fait au fiancé, et Jésus les avait bénits chez sa mère. Une
circonstance qui me frappa et que je n’avais pas observée lors des
épousailles de Joseph et de Marie, fut que le prêtre piqua le fiancé et
la fiancée avec un instrument pointu à la place du doigt annulaire de
la main gauche où devait être mis l’anneau. Il fit tomber deux gouttes
du sang du fiancé et une goutte de celui de la fiancée dans un verre
de vin où ils burent en commun, après quoi ils rendirent le verre. On
distribua différents objets, tels que des pièces d’étoffe et des
vêtements aux pauvres qui assistaient à la cérémonie. Lorsque les
fiancés furent ramenés à la maison de fête, ils furent reçus par Jésus.
Avant le repas de noce, je vis tout le monde rassemblé dans le
jardin d’agrément : les femmes et les jeunes filles étaient assises sur
des couvertures dans une cabane de feuillage, et elles jouaient à un
jeu où l’on gagnait des fruits. Elles mettaient tour à tour sur leurs
genoux une petite planche triangulaire avec des lettres écrites sur le
bord : elles tournaient un indicateur placé sur cette planche et leur
gain se réglait suivant l’endroit ou il s’arrêtait.
Quant aux hommes, je vis un jeu très-curieux que Jésus lui-même
avait préparé pour eux dans une maison de plaisance. Au milieu
d’une salle était une table ronde autour de laquelle étaient rangées
autant de portions de fleurs, de plantes et de fruits qu’il y avait de
joueurs. Jésus avait disposé tout cela d’avance, et chaque chose avait
une signification d’un sens profond. Sur cette table était un disque
rond et mobile avec une entaille : quand on le faisait tourner,
l’entaille en s’arrêtant désignait une des portions de fruits et celui qui
avait fait tourner la gagnait comme son lot.
Au milieu de la table était placé un cep de vigne chargé de raisins
s’élevant au-dessus d’une gerbe d’épis de blé qui l’entourait, et plus la
table tournait longtemps, plus le cep de vigne et le bouquet d’épis
montaient haut. Les futurs apôtres ne prirent point part à ce jeu non
plus que Lazare. Il me fut indiqué à cette occasion, que celui qui est
appelé à enseigner les autres ou qui sait quelque chose de plus
qu’eux, ne doit pas jouer lui-même, mais seulement observer les
accidents du jeu, les relever par des applications instructives et
donner ainsi à l’amusement un tour sérieux.
Il y avait dans ce jeu disposé par Jésus quelque chose de tout à fait
merveilleux et qui était plus que du hasard, car le lot qui échut à
chacun des joueurs avait un rapport très-significatif avec ses qualités,
ses défauts et ses vertus, et lorsque les fruits eurent été classés, Jésus
fit à chacun un commentaire sur son lot. Chaque lot fut comme une
parabole relative à celui qui le gagnait, et je sentis qu’en effet avec ces
fruits, ils recevaient intérieurement quelque chose. Chacun d’eux fut
vivement touché et réveillé par les paroles de Jésus, et peut-être
aussi parce que ces fruits qu’ils mangèrent opéraient réellement en
eux un effet conforme à leur signification ; toutefois ce que Jésus dit
sur chaque lot ne fut pas compris par ceux que la chose ne regardait
pas : ils n’y virent que des paroles encourageantes et significatives.
Mais chacun en particulier sentit le regard du Seigneur pénétrer
profondément dans son intérieur : il en fut comme des paroles de
Jésus à Nathanaël lorsqu’il lui dit qu’il l’avait vu sous le figuier,
paroles qui le touchèrent si profondément et dont le sens resta caché
aux autres. (Malheureusement la Sœur ne peut rien raconter de plus
sur le détail des lots et sur les explications données par Jésus.)
Je me souviens encore qu’il y avait du réséda parmi les plantes, et
aussi que Jésus dit à Nathanaël à l’occasion de son lot : « Vois-tu
maintenant combien j’avais raison de dire que tu es un véritable
Israélite sans artifice ? »
Je vis un de ces lots produire un effet vraiment merveilleux. Le
fiancé Nathanaël gagna un fruit d’une singulière espèce. Il y en avait
deux sur une tige avec des sexes différents comme dans le chanvre.
L’un des fruits était assez semblable à une figue, l’autre ressemblait
plutôt à une pomme entaillée : toutefois il n’avait pas de tête, il était
creux. C’est difficile à expliquer, c’était comme un nombril : il y avait
dedans des capsules contenant la semence, au nombre de deux,
placées l’une au-dessus de l’autre : il se trouvait, je vis, quatre noyaux
dans l’une et trois dans l’autre : au-dessus croissaient en dehors de
beaux filaments blancs. Ce fruit était rougeâtre, blanc à l’intérieur, et
veiné de rouge : j’en ai vu de semblables dans le Paradis.
(Telle fut à peu près sa description vague et embrouillée de ce
fruit, dans laquelle il semble qu’elle parle tantôt du fruit lui-même,
tantôt de la fleur, tantôt de tous deux en même temps.)
Je me souviens seulement que tous furent très étonnés quand le
fiancé gagna ce fruit, que Jésus parla alors du mariage, de la chasteté
et du produit centuple de la chasteté, et que tout cela fut dit de
manière à ne point blesser les idées des juifs sur le mariage.
Toutefois, quelques-uns des disciples qui étaient Esséniens, et dont
était Jacques le Mineur, le comprirent mieux que les autres.
Je vis que les assistants s’étonnèrent plus à propos de ce lot qu’à
propos des autres, et que Jésus dit à peu près que ces lots et que ces
fruits pouvaient opérer des merveilles encore plus grandes que leur
signification ne paraissait merveilleuse. Mais lorsque le fiancé retira
ce lot pour lui et sa fiancée, je vis arriver quelque chose de tout à fait
surprenant que je n’ose presque pas raconter. Et je vis, lorsqu’il reçut
ce lot, ressentir une commotion intérieure et pâlir : alors quelque
chose comme une sombre figure humaine, ou comme une ombre,
sortit de lui en remontant de ses pieds à sa tête, et disparut ; après
quoi, je vis en lui une clarté, une pureté et comme une transparence
qui n’y étaient pas auparavant.
Personne ne sembla voir cela excepté moi, car tous restèrent
calmes comme avant, et il n’y eut aucun mouvement parmi eux. Au
même instant, je vis aussi la fiancée qui était assise loin de là, jouant
avec les femmes, tomber comme en défaillance. Il se détacha d’elle
une figure sombre, qui m’inspirait une répugnance extraordinaire et
qui parut, à partir de ses pieds, monter en elle ou devant elle, puis
sortir de sa bouche ou se retirer à la hauteur de sa bouche. Il
semblait aussi que des habits et des parures de toute espèce lui
fussent retirés. Je ne sais pas comment j’arrivai là, mais je m’occupai
avec une sollicitude extraordinaire à éloigner bien vite cette ombre
sinistre qui m’inspirait tant d’horreur, et cette parure qui lui avait été
enlevée : j’en étais toute préoccupée comme si j’eusse voulu cacher à
tous les yeux quelque chose qui devait faire rougir la fiancée.
Cette figure ne voulait pas s’en aller tout de suite, mais elle devint
de plus en plus petite et je la poussai avec les parures dans un vieux
coffre qui était près de là. Lorsque je l’y enfonçai, la tête seule et les
épaules paraissaient encore ; la fiancée resta très-pâle, mais comme
pénétrée d’une clarté pure, et elle parut vêtue avec une grande
simplicité. Lorsque je me mêlais à cette scène, je vis aussi une
coopération de la sainte Vierge. Elle aussi travailla à chasser cette
figure sombre.
Certaines pénitences à faire se rattachaient à chaque lot : ainsi je
me souviens que le fiancé et la fiancée devaient prendre à la
synagogue quelque chose que j’ai oublié, et faire certaines prières. La
plante qui était échue à Nathanaël Khased était un bouquet de
patience.
J’ai vu, dans plusieurs autres occasions, le fruit du fiancé : lorsque
j’en parle, je vois aussi la fleur et j’en fais un mélange dans ma
description. L’effet merveilleux de ce fruit se manifesta lorsque le
fiancé en eut envoyé une part à la fiancée et que tous deux en eurent
mangé. Il arriva quelque chose de semblable à tous les autres
disciples qui reçurent de ces lots et mangèrent des fruits qui leur
étaient échus. Leurs passions dominantes opposèrent une certaine
résistance et sortirent d’eux, ou tout au moins ils se sentirent plus
forts dans leur lutte contre elles.
Il y a dans tous les fruits et les plantes un certain mystère
surnaturel qui, depuis que l’homme est tombé et a entraîné la nature
dans sa chute, est devenu un mystère naturel : il ne reste plus qu’un
souvenir de tout ce qui s’y trouvait alors dans les propriétés ; la
forme, le goût et l’action de ces créatures. Dans les songes et sur les
tables du ciel, ces fruits se montrent avec les propriétés qu’ils avaient
avant la chute, toutefois ce n’est pas toujours parfaitement clair :
parce que maintenant tout est rendu confus par notre manière
actuelle de comprendre et par l’usage ordinaire que nous faisons de
ces choses.
Le fruit que les fiancés mangèrent se rapportait à la chasteté, et la
figure qui se retira d’eux était la convoitise impure de la chair. Je ne
sais pas si cette figure que je vis aurait été vue par quelque autre
personne dans un état contemplatif du même genre : je ne sais pas
s’il sortit réellement de la fiancée un esprit sensuel, ou si ce fut
seulement un symbole destiné à me faire comprendre ce qui se
passait en elle.

Remarque de l’écrivain. Comme la narratrice joua elle-même un


rôle actif dans cette vision historique, ce ne fut évidemment qu’une
vision dans une vision : mais si, étant clairvoyante comme elle l’était,
elle eût été alors présente en personne, elle aurait vraisemblablement
vu la même chose et aurait cherché à la chasser et à la cacher comme
elle le fit dans son rêve et comme elle le raconta étant éveillée, non
sans quelque répugnance. Si elle eût été réellement présente alors, sa
manière d’agir contre ce symbole de la sensualité qui se retirait, eût
été aussi inexplicable et aussi surprenante pour les femmes qui
étaient là que le sont aujourd’hui pour nous bien des choses qu’elle
fait en rêve.
Mais dans la scène qui lui est présentée en songe, son intervention
active ne trouble pas le cours de la vision et les assistants ne la voient
point : de ce qu’elle voit la sainte Vierge s’efforcer aussi de cacher
cette figure, on peut induire que vraisemblablement la mère de Dieu
vit ce qui arrivait à la fiancée et le vit peut-être sous la même forme
ou probablement sous une forme d’un sens encore plus profond. Elle
aussi, la plus pure parmi les plus pures, désire que les assistants ne
puissent pas soupçonner la cause qui a fait tomber la fiancée en
défaillance.
Lorsque la fiancée tomba en faiblesse, on ôta les pièces les plus
lourdes de son vêtement et on retira plusieurs anneaux de ses doigts
où elle en avait une quantité : on enleva aussi, pour l’alléger, des
chaînes et des agrafes qu’elle avait aux bras et sur la poitrine. Elle ne
conserva de ses bijoux que l’anneau nuptial que lui avait donné la
sainte Vierge et au cou un joyau d’or, ayant à peu près la forme d’un
arc bandé dans lequel était enchâssée une matière noirâtre de même
nature que sur l’anneau nuptial de Marie et de Joseph : là-dessus
était représentée une figure couchée, tenant un bouton de fleur
qu’elle regardait.
Aux jeux dans le jardin succéda le repas de noce. La salle dont il a
été parlé plus haut était divisée en trois compartiments, par deux
cloisons assez basses pour que les convives passent se voir : dans
chacune de ces divisions était placée une table longue et étroite.
Jésus était au haut bout de la table du milieu. À cette table étaient
assis Israël, père de la fiancée, les cousins de celle-ci, ceux de Jésus et
en outre Lazare. Les autres conviés étaient aux tables latérales. Les
femmes étaient assises dans la pièce située derrière le foyer, mais
elles pouvaient entendre toutes les paroles du Seigneur.
Le fiancé servait à table. Il y avait pourtant aussi un maître d’hôtel
portant un tablier, et quelques domestiques. La fiancée servait les
femmes, avec l’aide de quelques servantes. Lorsque les plats furent
apportés, on plaça devant Jésus un agneau rôti ; il avait les pieds
attachés en forme de croix. Le fiancé ayant alors apporté à Jésus une
boîte où se trouvaient les couteaux à découper, Jésus lui dit en
particulier qu’il devait se souvenir de ce repas d’enfants, donné après
sa douzième fête de Pâques où lui, Jésus, avait raconté une parabole
touchant un mariage et lui avait dit qu’il irait à ses noces, prédiction
qui s’accomplissait aujourd’hui.
Le fiancé devint alors tout pensif ; car il avait entièrement oublié
cet incident. Jésus fut pendant le repas, comme pendant toute la
durée des noces, plein d’une douce sérénité et en même temps
abondant en discours instructifs. Il expliqua le sens spirituel de
chacun des incidents du repas. Il parla des divertissements et de
l’allégresse qui préside aux fêtes. Il dit que l’arc ne devait pas rester
toujours bandé, que le champ avait besoin d’être rafraîchi par la
pluie, et il ajouta des paraboles relatives au même objet.
Il découpa ensuite l’agneau et il tint à ce propos des discours
admirables : il dit que l’agneau était mis à part du troupeau, qu’il
était choisi, non pour vivre à son gré et perpétuer sa race, mais pour
être livré à la mort ; après quoi on le purifiait par le feu qui
consumait ce qu’il y avait en lui de grossier, et l’on coupait ses
membres en morceaux : de même il fallait que ceux qui voulaient se
mettre à la suite de l’Agneau se séparassent de ceux qui leur étaient
unis le plus étroitement par les liens de la chair.
Et lorsqu’il fit passer autour de la table les morceaux découpés et
qu’on se mit à manger l’agneau, il dit que l’Agneau serait séparé des
siens et mis en pièces afin de devenir pour eux tous une nourriture
qui les unirait par un lien commun, que de même quiconque suivrait
l’Agneau, aurait à renoncer à son pâturage, devrait mourir à ses
passions, se séparer des membres sa famille et devenir une
nourriture et un aliment d’union par l’Agneau et dans son Père
céleste, etc.
Je ne puis pas répéter exactement tout cela. (On voit au moins là
le sens général de cet enseignement.) Chacun avait devant lui une
assiette ou un pain, je ne sais pas lequel des deux. Jésus fit aussi
passer à la ronde une espèce de patène d’un brun foncé avec un
rebord jaune. Je le vis plusieurs fois prendre en main un petit
bouquet d’herbes et enseigner à cette occasion. Jésus s’était chargé
de fournir le second service du repas de noce et sa mère et Marthe
avaient pourvu à tout ; il avait dit aussi qu’il se chargeait du vin.
Lorsque le second service, qui se composait d’oiseaux, de poisson, de
préparations au miel, de fruits et d’une espèce de pâtisseries que
Séraphia (Véronique) avait apportées, eut été placé sur la table
latérale, Jésus y alla et fit les portions, puis il revint prendre sa place.
Les plats furent servis, mais le vin manquait. Cependant Jésus
enseignait. Cette partie du repas était particulièrement confiée aux
soins de la sainte Vierge, et lorsqu’elle vit que le vin faisait défaut,
elle alla à Jésus et lui rappela avec quelque inquiétude qu’il lui avait
dit qu’il pourvoirait au vin ; alors Jésus, qui venait d’enseigner sur
son Père céleste, lui dit : « Femme, ne vous tourmentez pas, ne vous
inquiétez ni de vous, ni de moi, mon heure n’est pas encore venue. »
Il n’y avait là rien de dur pour la sainte Vierge. Il lui dit : « Femme »
et non pas « ma mère » parce qu’en ce moment il voulait agir en
qualité de Messie, en qualité de Fils de Dieu, accomplir une
opération mystérieuse en présence de ses disciples et de tous ses
parents, parce qu’il était là dans sa force divine.
Le Pèlerin résume dans la note suivante le sentiment de la
narratrice ; Jésus lui dit : « Femme » comme étant le rejeton qui
devait écraser la tête du serpent. Il voulait aussi montrer dans cette
occasion qu’il était plus qu’un fils de Marie, une femme qui leur était
connue, et il l’appela « femme » parce qu’il allait agir en vertu de sa
divinité, qu’il allait créer ou transformer, de même qu’il se donnait à
lui-même le nom de Fils de l’homme, lorsqu’il parlait de sa Passion
future, sans s’abaisser en rien par là.
Dans de pareils moments où Jésus agissait en qualité de Verbe
incarné, chaque chose, par cela même qu’il la nomme ce qu’elle est,
se trouve rehaussée et à quelques égards gratifiée d’une fonction ou
d’une dignité par l’énonciation de son nom dans une circonstance
aussi solennelle. Marie était la « femme » qui avait enfanté celui
auquel elle s’adresse ici comme au Créateur, lui demandant du vin
pour ses créatures devant lesquelles il va manifester sa dignité
suprême. Il va leur montrer ici qu’il est le Fils de Dieu et non qu’il est
le fils de Marie. Lorsqu’il mourut sur la croix au pied de laquelle elle
pleurait, il lui dit aussi : « Femme, voilà votre fils, » lui désignant
Jean par ces paroles.
Jésus lui avait dit qu’il pourvoirait au vin ; elle s’avance alors
comme la figure de celle qui intercède pour nous par excellence, et
elle lui représente que le vin fait défaut ; mais le vin qu’il voulait
donner était plus que du vin pris dans le sens ordinaire ; il avait
rapport au mystère de ce vin qu’il voulait changer plus tard en son
sang. Il lui dit : « Mon heure n’est pas encore venue, » c’est-à-dire, il
n’est pas encore temps, premièrement que je donne le vin promis, en
second lieu, que je change l’eau en vin, en troisième lieu, que je
change le vin en mon sang. Marie alors n’eut plus de soucis pour les
hôtes des fiancés ; elle avait prié son Fils et c’est pourquoi elle dit aux
serviteurs : « Faites tout ce qu’il vous dira. »
C’est précisément comme si la fiancée de Jésus, l’Eglise, lui
adressait cette prière : « Seigneur, vos enfants n’ont pas de vin ; » et
que Jésus ne lui répondît pas : « Ma fiancée, » mais, « Eglise, ne
t’inquiète pas, ne te trouble pas, mon heure n’est pas encore
venue ; » et encore comme si l’Eglise disait aux prêtres : « Observez
toutes ses indications et ses commandements, car il vous viendra en
aide, etc. »
Marie dit donc aux serviteurs d’attendre et d’exécuter les ordres de
Jésus : et au bout de quelque temps, Jésus ordonna aux serviteurs
d’apporter devant lui les urnes vides : il y avait trois urnes d’eau et
trois de vin, et ils montrèrent qu’elles étaient vides en les retournant
sur un bassin. Jésus leur ordonna de les remplir toutes d’eau. Ils les
portèrent à la fontaine qui se trouvait dans un caveau et consistait en
un réservoir de pierre avec une pompe. Ces urnes étaient des vases
de terre fort grands et fort lourds, et il fallait deux hommes pour en
porter une par les deux anses. Il y avait depuis le haut jusqu’en bas
plusieurs tuyaux fermés avec des bondes, et quand le liquide était
épuisé jusqu’à une certaine hauteur, on retirait la bonde inférieure et
on versait. On ne levait pas les urnes pour verser, on se bornait à les
incliner un peu sur leurs bases élevées.
L’avertissement de Marie fut donné à voix basse, la réponse de
Jésus à haute voix, aussi bien que l’ordre de puiser l’eau. Lorsque les
urnes remplies d’eau furent placées toutes les six devant le buffet,
Jésus y alla et les bénit, puis étant retourné à sa place, il dit : « Versez
et portez à boire au maître d’hôtel. » Lorsque celui-ci eut goûté le vin,
il alla trouver le fiancé et lui dit : « Ordinairement on donne le bon
vin le premier, puis lorsque les convives sont rassasiés, on en donne
de moins bon, mais vous avez réservé le meilleur vin pour la fin. »
Il ne savait pas que Jésus s’était chargé de fournir ce vin comme
toute cette partie du repas ; cela n’était connu que de la sainte
Famille et de la famille des mariés. Alors le fiancé et le père de la
fiancée en burent avec un grand étonnement, et les serviteurs
assurèrent que c’était de l’eau qu’ils avaient puisée et dont ils avaient
rempli les vases et les coupes qui étaient sur les tables. Tous alors en
burent : mais il n’y eut point de tumulte au sujet de ce miracle ; tous
les convives gardaient un silence respectueux, et Jésus prit occasion
de ce prodige pour enseigner.
Il dit entre autres choses que le monde donnait d’abord du vin
capiteux, puis profitait de l’ivresse des convives pour leur donner un
mauvais breuvage, mais qu’il n’en était pas ainsi dans le royaume
que son Père céleste lui avait donné : que là, l’eau pure devenait un
vin exquis, de même que la tiédeur devait se changer en ferveur et en
zèle énergique. Il parla, en outre, du repas auquel il avait pris part,
dans sa douzième année, après son retour du temple, avec plusieurs
de ceux qui étaient là présents ; il rappela qu’alors il avait parlé de
pain et de vin et raconté une parabole relative à des noces où l’eau de
la tiédeur deviendrait le vin de l’enthousiasme, ce qui s’accomplissait
maintenant.
Il leur dit encore qu’ils verraient de plus grands prodiges, qu’il
célébrerait la Pâque plusieurs fois et qu’à la dernière, le vin serait
changé en sang et le pain en chair ; qu’il resterait avec eux, les
consolerait et les fortifierait jusqu’à la fin : que du reste, après ce
repas, ils lui verraient arriver des choses qu’ils ne pourraient pas
comprendre actuellement s’il les leur disait. Il ne s’exprima pas aussi
clairement que je le fais ; tout cela était enveloppé dans des
paraboles que j’ai oubliées, toutefois c’en était là le sens. En
l’écoutant ainsi parler, ils furent saisis de crainte et d’étonnement.
Mais tous étaient comme transformés par ce vin, et je vis
qu’indépendamment de l’effet du miracle qu’ils avaient vu, le vin lui-
même, comme précédemment les fruits, avait opéré intérieurement
en eux, les avait fortifiés et profondément changés. Tous les
disciples, tous ses parents, tous les convives étaient maintenant
convaincus de sa puissance, de sa dignité et de sa mission.
Ils croyaient tous en lui, cette foi s’était répandue dans tous à la
fois, et tous ceux qui avaient bu de ce vin étaient devenus meilleurs,
plus unis et plus fervents. Il était ici pour la première fois au milieu
de la communauté qu’il formait : ce fut le premier prodige qu’il fit au
milieu d’elle et pour elle, afin de la fonder dans la foi en lui. Voilà
aussi pourquoi il est dit dans son histoire que ce fut son premier
miracle, de même que la Cène est racontée comme le dernier, fait
alors que ses disciples croyaient.
À la fin du repas, le fiancé vint encore trouver Jésus en
particulier ; il lui parla avec beaucoup d’humilité et lui déclara qu’il
se sentait mort à toute convoitise de la chair et qu’il désirait vivre
dans la continence avec son épouse, si celle-ci le trouvait bon. La
fiancée vint également trouver Jésus en particulier et lui dit la même
chose. Alors Jésus les fit venir tous les deux ensembles et leur parla
du mariage, de la pureté qui est si agréable à Dieu, et des fruits que la
vie de l’esprit rend au centuple.
Il cita beaucoup de prophètes et de saints personnages qui avaient
vécu dans la chasteté et immolé leur chair au Père céleste, dit
comment ils avaient eu pour enfants spirituels bien des hommes
égarés qu’ils avaient ramenés au bien et comment ils avaient donné
naissance à une nombreuse et sainte postérité. Tout cela fut dit dans
le sens de dissiper et de recueillir. Ils firent vœu de continence pour
trois ans, s’engageant à vivre comme frère et sœur. Puis ils
s’agenouillèrent devant Jésus et il les bénit.

(3 janvier.) La narratrice était très-gravement malade et elle dit


seulement ce qui suit : Jésus avait enseigné dans la salle du festin.
On n’alla pas se promener en plein air ; plusieurs disciples de Jean
sont partis ainsi que Lazare et Marthe. Je les ai vus manger quelque
chose debout, tous ont leurs habits retroussés. Pendant tout le cours
de la fête, Lazare fut traité avec tous les égards dus à un homme de
distinction par le père de la fiancée qui s’occupa personnellement
beaucoup de le servir. Il a des manières très-distinguées : il est
sérieux et son attitude est à la fois réservée et bienveillante : il est
très-calme, parle peu et regarde Jésus avec beaucoup de ferveur.
Le soir de ce jour, qui était le quatrième jour des noces, on était
allé en grand cortège installer la fiancée et le fiancé dans leur maison.
On portait un candélabre avec des flambeaux allumés dont chacun
figurait une lettre ; des enfants marchaient en avant du cortège, ils
portaient sur des bandes d’étoffe une couronne de fleurs ouverte et
une autre fermée : ils les défirent devant la maison des fiancés et
semèrent les fleurs autour d’eux. Jésus était dans la maison et les
bénit. Les prêtres étaient présents. Depuis le miracle de Jésus lors du
repas, leur contenance est très-humble et ils le laissent tout diriger.
La Sœur croit bien, toutefois sans rien affirmer, que cette
installation était une pure cérémonie, que la fiancée resta encore
chez ses parents jusqu’à la fin de la fête et des jeûnes qui allaient
commencer.

(4 janvier) Les autres hôtes sont partis pour la plupart,


notamment Marie et les saintes femmes. Nathanaël Khased, les fils
de Cléophas, appelés les frères de Jésus et d’autres disciples étaient
encore là. Le soir du 4ème jour du sabbat et commencement du 7è de
Thébet, Jésus enseigna, dans la synagogue, sur la fête qui venait
d’avoir lieu, sur l’obéissance et les pieuses dispositions de ce couple
de fiancés, etc.

(5 janvier.) Ce jour-là, qui était celui du sabbat, Jésus enseigna


deux fois dans la synagogue de Cana, et lorsqu’il sortit, plusieurs
personnes se prosternèrent devant lui et lui demandèrent son
assistance pour des malades. Il fit ici deux guérisons merveilleuses.
Un homme était tombé du haut d’une tour, il était mort et tous ses
membres étaient brisés. Jésus alla à lui, rajusta ses membres, toucha
les fractures et lui ordonna de se lever et d’aller dans sa maison, ce
qu’il fit après avoir remercié : il avait une femme et des enfants.
Jésus fut aussi conduit à un possédé qui était enchaîné à une
pierre et il le délivra. Il guérit en outre des hydropiques et une femme
affligée d’une perte de sang qui était une pécheresse publique. Les
malades qu’il guérit étaient au nombre de sept. Ces gens n’avaient
pas osé venir pendant la fête ; mais lorsque le bruit se répandit qu’il
partirait après le sabbat, il fut impossible de les retenir. Les prêtres,
après le prodige des noces, le laissèrent faire tout ce qu’il voulut, et
ces miracles eurent lieu en leur présence : les disciples n’étaient pas
présents.
FIN DU PREMIER VOLUME

{1} Peut-être y aurait il lieu de faire quelques réserves à propos de la comparaison établie
par l'écrivain allemand entre Anne-Catherine Emmerich et Marie d'Agreda, quoique ses
critiques, si l'on y regarde bien, ne tendent en rien à diminuer la vénération due à la sainte
religieuse espagnole, et s'adressent surtout à la traduction française, fort défectueuse en
effet, de la Cité mystique de Dieu.
{2} Dans un avant propos qui précède la seconde partie de la vie de N. S. J. C., l'éditeur
allemand a répondu aux principales objections qu'ont fait naître certains passages de la
première partie. La traduction de cette réponse sera mise en tête du tome troisième, qui ne
tardera pas à paraître. Du reste, l'approbation que Mgr l'évêque de Limbourg, l'un des
plus illustres champions de l'indépendance de l'Eglise en Allemagne, a bien voulu donner à
tous les volumes publiés jusqu'à présent, est une garantie suffisante qu'il ne s'y trouve rien
de sérieusement attaquable au point de vue de l'orthodoxie.
{3} C'est le nom que Clément Brentano se donne ordinairement dans son journal, ce qui
fait qu'on continue ici à le designer de cette manière.
{4} Dans son grand ouvrage de servorum Dei beatificatione. lib. m, c. 51, 52 et 53.
{5} Acta Sanctorum 17 septembris.
{6} Alban Stolz s'exprime ainsi dans le récit de son séjour à Jérusalem. Pendant que nous
faisions le chemin de la Croix, le père Wolfgang nous dit qu'il résidait à Jérusalem depuis
six ans et qu'il avait fait des saints lieux l'objet de ses études. À cette occasion ; il avait
consulté le livre bien connu d'Anne-Catherine Emmerich : la douloureuse passion, et il n'y
avait encore rien trouvé qui fut en contradiction avec la topographie réelle de la ville
sainte. J'ajouterai que feu le docteur Hug qui, comme tout le monde le sait, n'étendait pas
plus loin qu'il ne faut le domaine de la foi, disait un jour dans une de ses leçons : « Il est
étrange que la religieuse de Dulmen décrive avec tant de vérité et d'exactitude les lieux
témoins de la Passion du Christ : ses dires concordent parfaitement avec les descriptions
données par Flavius Josèphe. » Visite chez Sem, Cham et Japhet par Alban Stolz.
{7} Gœrrès dit à ce sujet : « L'extase n'a pas pu la préserver du faux goût de son temps. Le
mauvais style italien qui commençait à régner dans les églises, s'était répandu au delà des
Alpes comme une maladie contagieuse et l'Espagne en avait été atteinte comme les autres
pays : il a aussi trouvé entrée dans le livre de Marie d'Agreda. L'élégance empesée,
l'enflure et la fausse emphase le déparent trop souvent et les longues moralités qui figurent
à la fin de chaque chapitre le rendent encore plus prolixe. » Mystique, t. II, p. 352.
{8} Vraisemblablement le vase contenant le saint mystère de l'arche d'alliance, sur lequel
beaucoup de détails seront communiqués dans les visions relatives à la bénédiction des
patriarches et à l'arche d'alliance.
{9} En août 1821, un médecin qui était enlacé dans les liens magiques d'une somnambule
vint à Dulmen, dans l'idée qu'il trouverait une ressemblance entre celle-ci et Anne-
Catherine. Mais la Sœur rejeta toutes les communications de la somnambule comme
chimériques et illusoires : le docteur ne se laissa pas persuader ; il échappa toujours à
Anne-Catherine comme un homme ensorcelé. Elle eut alors une vision touchant la
somnambule et vit que ni elle ni le docteur n'avaient de mauvaises intentions, mais que
Satan les retirait tous deux du droit chemin par les prestiges du somnambulisme. Elle vit
que le docteur filait un fil sortant de la somnambule, que celle-ci y faisait un nœud et que le
docteur l'avalait. Elle vit qu'il y avait dans son intérieur un nuage sombre, que rien en lui
ne prenait d'accroissement et que tout restait sans mouvement : que cependant il lui venait
souvent à l'esprit qu'il avait quelque chose à vomir.
{10} Les roses et les fleurs sont toujours chez Anne-Catherine les symboles ; de grandes
souffrances.
{11} C'est-à-dire qu'elle possédait la force de surmonter le dégoût pour l'amour de Dieu :
car Anne-Catherine, malgré son humble condition et sa pauvreté, avait un sentiment si
extraordinairement délicat, touchant la pureté et la propreté extérieure, que tous ses sens
se révoltaient quand il se trouvait près d'elle quelque chose de sale ou qui répandit une
mauvaise odeur. Il devait donc lui être très pénible de sucer des plaies, mais sa charité
surmontait tout.
{12} Acta sanctorum. 14 aprilis, c. 5.
{13} Comme Anne-Catherine désignait ordinairement le Saint Père sous le nom du berger,
elle appelait les cardinaux et les prélats des valets de bergers ou valets en chef. Celui dont il
est ici question est della Genga, qui fut plus tard Léon XII.
{14} Sailer fit sa première visite à Anne-Catherine dans l'automne de 1818. Il en parla ainsi
à Kellermann, alors majordome de la maison de Stolberg. Elle est extrêmement réservée
sur tout ce que Dieu lui communique dans ses visions : c'est l'humilité même. La candeur et
la simplicité qu'elle met dans ses récits sont déjà, à elles seules, ses meilleures et ses plus
sûres lettres de créance. (Extrait d'un manuscrit de Kellermann).
Anne-Catherine parlant plus tard au docteur Wesener de la visite de Sailer, lui dit qu'elle
en avait retiré beaucoup de consolation et un grand profit pour son âme. (Extrait du
journal de Wesener.)
{15} C'était le 28 octobre 1818 qu'elle avait fait la première ouverture à ce sujet : « Je vais
vous faire plaisir, dit-elle, j'ai rêvé une fois que deux hommes bruns venaient me voir : ils
parlaient autrement qu'on ne fait ici : ils me montraient beaucoup d'amitié et de confiance
et restèrent très longtemps avec moi. Je crus que c'étaient des Juifs. Le pèlerin ajoute :
« C'étaient Christian et Clément. »
{16} Les commentateurs les plus autorisés de l'Ecriture admettent également que ce ne fut
pas dans sa douzième année que Jésus alla à Jérusalem pour la première fois.
{17} Que le lecteur ne s'étonne pas de voir le Sauveur dans son enseignement toucher à des
objets qui y semblent si étrangers. De ce nombre sont précisément ces sciences qui ont le
plus souvent pour résultat de faire pécher l'homme par orgueil, si bien qu'au lieu de le
conduire à Dieu, elles l'en éloignent et le précipitent dans des ténèbres de plus en plus
épaisses. Lors donc que le Sauveur daigne s'en occuper dans son enseignement, il présente
une expiation pour cette sorte d'orgueil et de présomption, et montre en même temps quel
doit être le point de départ et le but de toute science pour qu'elle puisse être mise au service
de Dieu et devenir par là méritoire.
Remarquons ici une fois pour toutes, ce qui n'échappera pas au lecteur attentif, que,
d'après les visions, les actes et les opérations du Sauveur suivent un ordre progressif
merveilleux. Ainsi, par exemple, de même que le Dieu fait homme passe, afin de tout expier
et de tout sanctifier, par tous les degrés de l'âge et du développement humain jusqu'à la
parfaite virilité, se soumettant lui-même à l'ordre sous lequel, comme législateur suprême,
il a placé l'homme ; de même aussi il révèle d'une manière correspondante à cet ordre les
mystères de son action rédemptrice et acquiert sur chaque degré de nouveaux mérites
d'une valeur infinie pour le salut de tous. Si donc le lecteur rencontre quelque chose qui lui
paraisse d'abord difficile à concevoir, l'étude comparée des détails lui donnera une vue de
l'ensemble où les difficultés disparaîtront.
{18} La narratrice croit qu'il s'agit de Maraha, nourrice d'Abraham, dont il sera parlé plus
au long ailleurs.
{19} Ce ne fut que le 11 septembre, qu'elle dit le nom de ce lieu, Kimki. Parmi les noms
d'hommes elle pouvait penser entre autres à Chamaam; Kimean ou Kimhan, (II Reg. XIX,
37, etc.)
{20} On montre aujourd'hui la montagne du précipice à une demi-lieue au midi de
Nazareth. Nazareth doit donc avoir changé de place, ou bien l'indication donnée par la
Sœur est peu précise.
{21} Il y a plus de détails à ce sujet dans les visions relatives à la bénédiction des
patriarches et au mystère de l'arche d'alliance.
{22} Les récits intercalés ici sur la fuite en Egypte, la vie en Egypte le massacre des
Innocents, le retour d'Egypte, etc., ont été placés dans la vie de la sainte Vierge.
{23} C'est ainsi qu'elle prononça ce nom.
{24} Tout cela se trouve rapporté dans les visions relatives à la vie de la sainte Vierge.
{25} Il est à remarquer, à propos de ces explications, qu'elle commença en juillet 1820, par
la troisième année, le récit de la prédication de Jésus, qui fut continué jusqu'à son
ascension, tandis que le récit de la première année commença en 1821, pour arriver, lors
de la mort, en 1824, au point d'où elle était partie en 1820. De là vient qu'en plusieurs
endroits elle fait mention d'événements postérieurs.
{26} Cet incident est raconté en détail dans la vie de la sainte Vierge.
{27} Sur un dessin qu'on lui montre, elle reconnaît cette plante pour le telephium
purpureum ou sedum Linnoei, (Vulg : Orpin, ou herbe à la coupure). Elle en parla comme
d'un remède contre les ulcères scrofuleux, intérieurs et extérieurs, spécialement au cou.
Bouillie avec de la marjolaine dans de l'eau et du vin, et appliquée comme cataplasme, elle
résout les ulcères invétérés : on en fait aussi des gargarismes pour le mal de gorge.
{28} Ne serait ce pas cette source qu'étant enfant, il avait fait jaillir avec son bâton,
lorsqu'il avait vu dans une vision Jésus souffrir de la soif pendant la fuite en Egypte ?
{29} On lira plus bas une autre description plus détaillée de cet endroit.
{30} Marie, la Vierge très pure, conçue sans péché, n'avait pas besoin du sacrement de la
régénération, mais elle le voulut afin de recevoir comme mère de tous les régénérés les
sacrements de la nouvelle alliance, ainsi qu'elle avait fait auparavant ceux de l'ancienne, et
afin d'avoir dans sa gloire suprême le caractère indélébile du sacrement de baptême.
{31} Ce Bethabara est le même lieu qui est appelé Béthanie au delà du Jourdain, dans Saint
Jean, 1, 28.
{32} La narratrice communiqua l'apparition de l'île du baptême comme ayant eu lieu
avant la fête de trois jours : mais l'éditeur l'a placée ici parce qu'elle se lie à ce qui suit
immédiatement
{33} Peut-être le séjour de Jean en ce lieu fut-il cause qu'elles furent remises au jour ou
restaurées plus tard : saint Jérôme notamment raconte que sainte Paule étant allée à
Galgala, y avait vu ces pierres. Eusèbe aussi en fait mention dans son Onomasticon à
l'article Galgala, comme existant encore de son temps. Quelques Pères de l'Eglise croient
que lorsque Jean Baptiste dit aux pharisiens : « Dieu peut de ces pierres susciter des
enfants à Abraham, » il leur montra ces mêmes pierres. Jean Moschus, dans la vie des
anciens Pères, livre II, chapitre XI, dit que l'abbé Agiodule avait obtenu de Dieu la grâce de
voir les douze pierres érigées dans le Jourdain.
{34} Auparavant on ne mettait sur les baptisés qu'un drap blanc de petite dimension, mais
à partir du baptême de Jésus, on en employa un plus grand.
{35} Cette tour a été décrite en détail dans la Vie de la sainte Vierge.
{36} Ce qui concerne cette grotte se trouve tout au long dans la Vie de la sainte Vierge.
{37} Dans le Voyage à Jérusalem du franciscain Ant. Gonzalez, Anvers, 1673, on lit
première partie, page 556 ; qu'à un mille d'Hébron, dans la direction de Jérusalem, à
gauche du chemin, il est allé dans un village appelé Village de Marie, où la sainte Vierge
s'est arrêtée lors de sa fuite en Egypte. Il est situé sur une hauteur et il y a encore une église
entière avec trois arcades et trois portes. Sur le mur on voit encore une peinture
représentant Marie avec l'Enfant, montée sur un âne et conduite par saint Joseph : au bas
de la montagne sur laquelle sont l'église et le village, se trouve une belle fontaine appelée la
fontaine de Marie.
{38} La narratrice ne se souvient plus quel désert des enfants d'Israël. Marie la Silencieuse
comparait avec l'état de Madeleine. Elle dit à ce sujet : « C'était un affreux endroit. Les
Israélites y vinrent après avoir fait quelque chose de mal, et Aaron dit que personne n'y
avait jamais mis le pied : ils n'y restèrent que onze jours. »
{39} Il s'agit ici de ceux qui, lors de la première sortie du Sauveur, le suivirent jusqu'à
Hébron. Cependant alors la narratrice n'en mentionna que deux.
{40} Dans les visions communiquées jusqu'ici, Satan démasqué par la prière apparaît
toujours sous une forme hideuse qui correspond au mensonge dont il est convaincu. C'est
comme dans la vie de ce monde où le menteur quand il est surpris et confondu se montre
un peu différent de ce qu'il est l'ordinaire.
{41} Lieu où habitait la narratrice.
{42} Arbela était à environ une lieue et demie au sud ouest de Tibériade, près du lac de
Génésareth.
{43} Cadès ou Kedès de Nephtali s'appelait Cidissus au temps de saint Jérôme.
{44} Joan I, 45, 51.
{45} Voyez ci-dessus, page 147.

Vous aimerez peut-être aussi