Godel
Godel
Godel
THÉORÈME SINTHOMATIQUE ?
2010/1 n° 81 | pages 77 à 94
ISSN 0762-7491
ISBN 9782749212432
DOI 10.3917/cm.081.0077
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2010-1-page-77.htm
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Stéphane Gumpper 1
Guy Chouraqui
ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES
CONTEXTE SCIENTIFIQUE
leur statut d’absolus (Relativité, due à Einstein en 1905 et 1915), pour n’être
plus considérés que comme des grandeurs relatives à l’observateur qui
les mesure. La matière se révèle être étonnamment complexe (Mécanique
quantique, due à Schrödinger et Heisenberg), au point d’être inconcevable
pour les structures mentales dérivées de notre vécu sensoriel. L’approche
philosophique du monde en est perturbée : au lieu d’espérer tout fonder sur
une mesure exacte des positions et des vitesses des particules en mouve-
ment, cette idée même en vient à être frappée radicalement d’interdit, par
le primat de la probabilité, de l’incertitude ou de l’indétermination. Ceci ne
manifeste certes pas un renoncement par rapport aux valeurs de la science :
prévoir, comprendre, calculer, mais à tout le moins un renversement. Seul
l’édifice des mathématiques restait à ce stade parfaitement assuré et rassuré.
Il y avait bien eu une crise des fondements, mais la reprise en main semblait
complète. La mathématique s’était annexée la logique : la logique scelle les
bases des mathématiques qui, grâce à leur formalisme, prouvent en quelque
sorte la logique. Jusqu’à l’article de 1931 de K. Gödel, pour la communauté
des mathématiciens, à partir d’un petit nombre d’axiomes, les théorèmes
et les démonstrations doivent et peuvent s’enchaîner de manière parfaite,
sans laisser de lacune. Or, sur la base d’un paradoxe remontant à l’Anti-
quité grecque (Epiménide de Crète affirmant « tous les Crétois sont des
menteurs »), mais grâce à un codage mathématique rigoureux, complété
par un raisonnement métamathématique fondé sur la nécessaire consistance
logique des systèmes formels, Gödel mit au jour, dans le cadre de la théorie
des nombres, l’existence de propositions vraies mais indémontrables. Il
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PSYCHANALYSE APPLIQUÉE
THÉORIE LACANIENNE…
SYSTÈME PSEUDO-MONADOLOGIQUE
1. P. Yourgrau régla la question des « soupçons de piété » (sic) en avançant que Gödel crai-
gnait « que sa publication ne laisse penser à ses collègues philosophes sceptiques qu’il croyait
effectivement en Dieu, alors que tout cela (affirmait-il) n’était qu’un pur exercice formel », dans
Einstein/Gödel. Quand deux génies refont le monde, Dunod, 2005, p. 200. D. Andler, dans l’article
Gödel (Kurt) 1906-1978, alla jusqu’à occulter à la fois ses notes philosophiques et ses aspects
psychopathologiques, n’attribuant au logicien aucun « malheur caché » (!), au contraire le
mathématicien offrant à Princeton l’image « du savant tranquille, plongé dans son travail, à
l’abri des grandes détresses intellectuelles et morales. Il est vrai qu’il souffrait d’une santé fragile
[…] mais jusqu’au bout il restera le maître incontesté de sa discipline […] », dans Encyclopaedia
Universalis, 2002, tome 10, p. 444.
OPA RATIONALISTE
2. La théodicée, terme créé par Leibniz, « désigne la justification de la bonté de Dieu contre les
arguments tirés de l’existence du mal dans le monde […] », dans A. Lalande, Vocabulaire tech-
nique et critique de la philosophie (PUF-Quadrige), 2002, p. 1124.
CONCLUSION
L’ultime paradoxe que nous revendiquons ici, c’est celui d’utiliser des
concepts psychanalytiques de type lacanien afin de dégager ce que nous
qualifierons, pour le cas de l’auteur du système pseudo-monadologique
gödelien, de « psychose jungienne ». Il ne s’agit pas là d’un diagnostic
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principaux archétypes est le Soi, aussi qualifié d’« image de Dieu » ; alors que
Gödel évoque une monade divine leibnizienne en arrière-plan dans une
harmonie préétablie. Enfin, Jung postule une expérience intérieure de type
numineuse (concept emprunté au philologue de Marburg, R. Otto, et
rapporté au sacré), Gödel dit avoir expérimenté des rencontres avec certaines
entités au travers d’un œil dont la localisation (?) serait au centre du cerveau.
Ce numineux, le mathématicien semble bien l’avoir éprouvé, oscillant entre
un « mysterium tremendum » (le déclenchement de pensées indistinctes voire
autonomes mettant à mal l’harmonie divine, et provoquant un sentiment de
terreur) et un mysterium fascinans (sa découverte d’une intuition absolue à la
limite de la folie). Dès lors, pourrait-on conjecturer, pour Gödel, la « raison
inconsciente » (sic) qu’il avança jadis, au-delà d’une contradiction apparente
des deux termes associés pour l’occasion, pourrait être référée dans son
système au Dieu leibnizien et à la théodicée. Chez cet auteur, « en plus » de
toute jouissance phallique, il y a cette jouissance de l’Autre, avec des « swit-
ches » (ou alternances) faits de va-et-vient réguliers entre les deux : jouissance
phallique dite « hors corps », avec le signifiant comme substrat, ordonnancé
chez Gödel par un attrait prononcé du concept, les mathématiques ou la
logique lui servant à le déchiffrer grâce à l’interprétation, et visant l’au-delà
du sens (effet de sens dans le réel). C’est là, dirions-nous, une « ratio » qui
tente, conceptuellement, de coloniser le réel, lieu rapproché par Gödel de
l’esprit. Autrement dit, via l’introspection, il serait possible d’expérimenter
de nombreux états sans corrélats dans le cerveau : cette jouissance de l’Autre,
entre le réel et l’imaginaire, semble permettre à Gödel de vivre quelque chose
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BIBLIOGRAPHIE
Mots-clés
Gödel, Lacan, mathématiques, nœuds borroméens, psychanalyse, sinthome.
Summary
The purpose of the present paper is to shed some light on the nature of logical
thinking from the path of the mathematician Kurt Gödel (1906-1978), who demons-
trated the incompletud theorem, and conceived a spiritualist pantheon constituted of
demons and angels. Our approach will be twofold : on the one hand we try to show
off the impasses of the gödelian « mysterious » philosophy, coupled with logical
universality, close of the foundations of the scientific mind as well as the paranoïa.
On the other hand, we attempt from unpublished philosophical papers of Gödel, to
size in the light of the lacanian theory, the subjective structural position of this mathe-
matician, through his creative thinking (scientific theory and marginal metaphysical
productions). We postulate that this last one could effect a « logical » sinthome,
and permit him to keep a subjective enonciation sparing him decompensation (i. e.
untangling borromean knotes). Finally, the risk of imposture due to misuse of the
incompletud concept will be approached.
Keywords
Gödel, Lacan, mathematics, borromean knots, psychoanalysis, sinthome.
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