Dissertation
Dissertation
Dissertation
Email : [email protected]
Dissertation :
La genèse de l’Etat moderne entre le 16ème et le 18ème siècle, loin d’être marquée
par une certitude de modernité et de succès démocratique, se veut plutôt un berceau de
grands doutes et débats concernant principalement la fonction réelle de l’Etat. Si à la
Renaissance, la modernité politique se limitait à la lutte contre le despotisme de
l’Eglise, et si chez les Lumières, la pensée politique se voulait antimonarchique, chez
Alexis de Tocqueville, à l’ère de la Révolution industrielle, la critique politique revient
à remettre en cause l’Etat de droit lui-même. Ce pouvoir central qui, loin de garder son
aspect démocratique et sa tendance égalitaire, se mue en une machine de domination
camouflée sous la cape d’Etat-providence. Au chapitre cinq de son livre De la
démocratie en Amérique, le penseur français affirme sans sans un grain d’ironie que
« L’Etat s’est fait le réparateur presque unique de toutes les mières ». En effet,
tout au long de son chef-d’œuvre, Tocqueville alarme l’Europe, et par extension le
monde entier sur la naissance, après les révolutions, d’une nouvelle forme d’Etat qui
monopolise le pouvoir centralisé dans ses mains. Il s’agit d’un pouvoir central qui
n’hésite pas de recourir à des manigances pour renforcer sa puissance. Dans cette
affirmation Tocqueville , pointe la monopolisation de l’action sociale ( bénévolat et
charité ) comme faisant partie des stratégies qu’adoptent les Etat démocratiques
modernes pour s’infiltrer dans les affaires des peuples et se faufiler même dans
certains coins de leurs vies privées. L’Etat moderne s’endosse catégoriquement la
responsabilité de répondre aux besoins des citoyens mais l’emploi du pronominal
« s’est fait » semble pousser cette charité au-delà de l’obligation ! Avec l’adjectif
« seul », l’Etat fait montre d’une jalousie affreuse. Il se veut un dieu omniprésent et
omnipotent qui s’occupe inlassablement de ses sujets. A cet égard, l’Etat- dieu domine
à la place de gouverner ; terrifie à la place d’assurer ; asservit à la place de libérer ! Le
propos de Tocqueville revient donc à dire, sans sans ironie, que les Etats
démocratiques modernes ne font que gouverner avec un abus flagrant de pouvoir
déguisé en providence ; autrement-dit d’une main de fer sous un gant de velours. Nous
allons voir donc comment la démocratie moderne se met une cape de charité qui
dissimule une stratégie d’asservissement.
Tous les Etats modernes chantent l’égalité. Elle est même l’un des principes
fondateur de la démocratie. L’égalité des conditions est pour tout le monde le berceau
de la paix sociale et du progrès général de l’Etat. Ce dernier déploie donc l’ensemble
ses moyens, voie ses armes, pour assurer l’égalité entre les citoyens comme étant aux
yeux de tout le monde la cure idéale de cette « haine immortelle » qu’éprouve
l’homme pour l’homme. Tocqueville réserve dans son livre les premiers chapitres à ce
principe fondateur de la démocratie. Il stipule à la manière de Thomas Hobbes que
« l’homme est un loup pour l’homme » et pour caler cette possible guerre civile due
aux privilèges, l’égalité est, pour Tocqueville, la condition sine qua non : « cette haine
immortelle, et de plus en plus allumée qui anime les peuples démocratiques contre les
moindres privilèges, favorise singulièrement la concentration graduelle de tous les
droits politiques dans les mains du seul représentant de l’Etat ». Aristophane
mentionne de même l’importance de l’égalité pour un gouverneur qui répare les
misères de ses sujets. Elle est l’un des moyens favoris de la dominance du
Paphlagonien qui déclare à Démos à la page 106 « comment pourrait-il exister,
Démos, un citoyen qui t’aimât plus que moi ? D’abord, c’est moi qui, lorsque j’étais
membre du Conseil, ai fait rentrer les grosses sommes dans les trésors publics,
torturant les uns, étranglant les autres, importunant le reste, sans faire cas des
particuliers, pourvu que je te satisfisse. » . Le principe d’égalité est donc l’un des
moyens efficaces qu’emploie l’Etat pour satisfaire le peuple, à moins que cette égalité
ne se transforme en uniformité.
L’Etat moderne déploie certes des moyens colossaux pour assouvir les besoins du
peuple. Or, dans ce processus démocratique, l’égalitarisme, tant souhaité, se mue
brusquement en un uniformise qui bat en brèche l’image paternelle de l’Etat, qui laisse
douter à propos du « pouvoir de sa judicature suprême » comme la réclame Hobbes.
Selon Tocqueville, le souverain « se dispense » de faire l’effort de s’intéresser aux
mini détails des citoyens et à la place de gouverner selon ces règles particulières de
chaque partie du peuple « il fait passer tous les hommes sous la même règle ». Ce
n’est pas un hasard si Aristophane rassemble tout un peuple, dans sa diversité infinie,
en un seul personnage ! Démos. Ce qui paraît aberrant, à moins que le dramaturge grec
ne veuille montrer que la démocratie grecque représentée par le Paphlagonien ne
considère le peuple que comme un seul esprit. Cette uniformité mentale, pire que celle
sociale, est manifestée à la page 101 quand le Charcutier demande au Paphlagonien
comment il « mène le peuple à sa guise » et à l’autre de lui répondre : « c’est que je
connais les appâts auxquels il se laisse prendre ».
En général, l’Etat se veut le sauveur, voire l’ange gardien, de son peuple. Il procède
par l’installation d’une égalité sociale, et d’une isonomie (égalité devant la loi) et
d’autres justices d’apparence, mais cela n’est que pure illusion, selon Tocqueville. La
charité n’est pas gratuite. Elle dissimule une stratégie abominable d’asservissement.
L’Etat de droit cache à peine sa tendance à dominer. Il fait état d’une servitude
moderne .Il déploie un tas de ruses qui convergent dans la création d’une société
esclave dans laquelle le citoyen se trouve obligé de sacrifier et centraliser l’ensemble
de ses droits et ses pouvoirs.
Somme toute, la naissance de l’Etat moderne allait de pair avec les incertitudes. Le
pouvoir central se charge de tout faire, de tout régler, de tout « réparer » au sens de
Tocqueville. Or, cette gageure, toute noble qu’elle puisse paraitre, reste douteuse. Elle
dissimule à peine une tendance vers la domination. Le contrôle des peuples par leurs
droits fondamentaux. C’est du moins ce que stipule Tocqueville et bien d’autres
penseurs anti-totalitaristes (Max Weber, Karl Marx, Hannah Arendt, Sartre, Foucault,
etc). Des philosophes qui témoignent que la démocratie reste et restera toujours un jeu
terrible de marionnettes dans lequel Démos est tiraillé par les mains du pouvoir. Et tant
que les peuples ne prennent conscience et n’agissent pour briser les carcans, tout projet
démocratique demeure un travail vain et une peine perdue.
Hassan OUMOULOUD