Memento-Gestion Tknico-Éco
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Memento de l’agronome
des étangs
M. OSWALD, F. GLASSER et F. LAUBIER (Ong APDRA-F, Voisins le bretonneux, France)
Schémas et figures V. SAMMARITAN
Photos (prises en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Togo)
© C. BOULAN, J. CHAMOIN, C. FRANÇOIS, F. SANCHEZ, M. OSWALD
Objectifs de ce dossier
L’histoire du développement de la pisciculture en Afrique et les contextes où elle se développe sont
très variés. Les trop nombreux échecs de cette activité sur le continent africain incitent à la pruden-
ce et à la retenue. Ce texte ne se prétend pas un guide et ne va pas édicter des principes à suivre,
il présente quelques études de cas dans des situations de relatives réussites ou d’échecs afin d’offrir
des repères en mesure de provoquer un questionnement et une comparaison des expériences en
cours. Ceci devrait permettre aux lecteurs de prendre davantage de recul par rapport à la réalité
observée sur le terrain.
Pour le lecteur désireux d’en savoir plus, toute la bibliographie est regroupée en annexe.
La première partie présente des systèmes à faible technicité qui, quoique très diffusés en Afrique de
l’Ouest, n’ont pas généré de filières de production de poissons dynamiques.
Depuis plusieurs années, les systèmes techniques qui rencontrent le plus de succès sont des systèmes
complexes, basés sur l’association de plusieurs espèces (polyculture) et la fertilisation organique. Ils
sont développés à différentes échelles (de l’autoconsommation à de grosses exploitations produisant
des centaines de tonnes), avec des niveaux d’intensification très variables (rendements de 500 kg à
15 t/ha/an). Nous présentons d’abord les principes et techniques communs à l’ensemble de ces sys-
tèmes, avant de détailler des données relatives aux systèmes les plus intensifs et les plus extensifs.
Les trois parties suivantes s’attachent à présenter la polyculture, puis l’alimentation et la fertilisation
et, enfin, les performances socio-économiques. En conclusion, une dernière partie traite de la diffu-
sion des techniques piscicoles au niveau du monde paysan et des dynamiques sociales qui naissent
autour de cette innovation.
Le modèle d’autosuffisance
Dans cette optique, chaque famille devrait posséder un petit étang dans son jardin pour produire le
poisson nécessaire au ménage à partir de déchets divers. Là encore la plupart du temps cette
approche s’est soldée par un échec :
- la qualité du produit (poissons de très petite taille du fait des reproductions anarchiques) et les
quantités obtenues sur ces très petites surfaces ne satisfont pas les ménagères ;
- les aménagements sont de trop mauvaise qualité pour garantir une production rentable.
Oreochromis niloticus.
Tilapia Zilli.
Hemichtomis
fasciatus. Ce dernier
est la clef du succès
pour les paysans
d’une production
4 régulière de gros
tilapias.
Tableau 2. Autres grandes espèces de pisciculture d’origine africaine.
Memento de l’agronome
Genre
Famille Espèces Caractéristiques et remarques diverses
(caractéristiques du genre)
Espèces très élevées et largement diffusées dans les
piscicultures africaines.
Clariidé Ces silures ont une seule nageoire sur le dos, ils
Ensemble de Clarias C. gariepinus et sont omnivores avec une tendance carnassière.
poissons appelés (une nageoire dorsale) C. anguillaris La distinction entre les deux espèces est une affaire
couramment silures. de spécialiste.
Ils ne se Note : d’autres espèces existent dont beaucoup
reproduisent restent de très petite taille.
quasiment pas en Espèces couramment élevées en particulier dans
étang et prolifèrent les zones de forêt.
à un tel point La première a en étang une croissance
qu’ils ne peuvent Heterobranchus
nettement moins forte que Clarias gariepinus et
atteindre une taille (1 nageoire dorsale suivie H. isopterus
Heterobranchus longifilis, elle est souvent utilisée
normale. d’une petite nageoire H. longifilis
comme espèce secondaire là où elle abonde.
adipeuse)
La seconde espèce a une tendance carnassière très
marquée et une forte croissance, elle n’est utilisée
qu’en élevage intensif.
Poisson présentant une forte croissance (peut
atteindre 3 kg en 6 mois de croissance) et dont le
Ostéoglossidés Heterotis H. niloticus régime alimentaire serait surtout benthophage.
Se reproduit assez facilement en étang.
Souvent introduit à partir des fleuves sahéliens.
Genre
Famille Espèces Caractéristiques et remarques diverses
(caractéristiques du genre)
Appelée couramment carpe commune
(dont il existe 3 grandes variétés : cuir,
Cyprinus C. carpio miroir commune), ces poissons sont surtout
Cyprinidés benthophages.
Ils ne se reproduisent que de façon artificielle.
Ces poissons
sont de grands Carassin, poisson très voisins de la carpe,
poissons Carassius C. auratus apprécié pour sa rusticité. Il est de plus petite
d’élevage au taille que la carpe commune.
niveau mondial Carpe herbivore (ou amour blanc), elle fait
et ont été souvent partie des carpes chinoises. Son aptitude à
introduits en consommer des végétaux fait de ce poisson
Afrique. Ictenopharyngodon C. Idella un bon outil pour lutter contre la prolifération
des végétaux et pour intensifier la pisciculture
Ils forment le d’étang.
groupe des Reproduction artificielle nécessaire.
carpes.
Carpe argentée, phytoplanctonophage.
Hypophthalmich-thys H. molitrix Intéressant en polyculture d’étang.
5 Reproduction artificielle nécessaire.
Heterotis,
un merveilleux poisson
Memento de l’agronome
d’accompagnement du tilapia.
Un remarquable échantillonnage d’une polyculture bien menée. Les Oreochromis niloticus sont de
grandes tailles et homogènes, les Hemichromis fasciatus ont éradiqué tous les alevins, les Heterotis
sont homogènes et n’ont pas fini leur croissance.
6
Association d’un carnassier à l’élevage de tilapia
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La polyculture du tilapia avec une espèce carnassière est une idée déjà ancienne. Peu de temps après
avoir identifié les tilapias comme espèces potentiellement intéressantes pour l’aquaculture, on s’est
rendu compte que leur continuelle prolifération facilitait certes leur diffusion mais rendait difficile l’ob-
tention de poissons de tailles intéressantes ; des essais d’introduction de carnassiers furent tentés
dès la fin des années 60, afin de supprimer les alevins au fur et à mesure de leur naissance dans
l’étang. Cette technique est souvent associée au sexage des tilapias dans le but de ne garder que les
mâles pour le grossissement. Toutefois, les erreurs de sexage (présence de quelques femelles) ren-
dent quand même nécessaire le recours aux carnassiers.
La plupart des projets ont retenu et retiennent encore le silure (souvent Clarias gariepinus) sous pré-
texte que cette association permet d’atteindre un meilleur rendement global, la croissance des tila-
pias en étant cependant affectée. Cette technique est très contraignante : il faut pouvoir disposer à
chaque début de cycle d’alevins de silures bien calibrés pour éviter que ceux-ci ne s’attaquent aux
tilapias en grossissement dans l’étang. De plus, si pour une raison quelconque la durée du cycle s’al-
longe, le silure, à croissance plus rapide, va délaisser les alevins de tilapia pour s’attaquer aux gros.
La valeur de la production s’effondre alors puisque les gros poissons coûtent plus cher que les petits.
Si certaines saisons les alevins de silures abondent, ils sont difficiles à trouver dans le milieu naturel
à d’autres moments de l’année. Le silure se reproduit rarement en étang (particulièrement en étang
fertilisé). La réalisation d’une écloserie devient alors une nécessité, mais rend aussi le pisciculteur
dépendant de structures étroitement liées à des financements extérieurs. Par ailleurs, les résultats
des petites écloseries en condition paysanne restent hasardeux, notamment à cause de la forte ten-
dance cannibale des alevins de silure.
Dans les milieux extensifs, le Clarias s’est révélé un piètre carnassier, incapable d’éradiquer les ale-
vins. Par contre, quelques individus ont une croissance si forte qu’ils sont capables de s’attaquer aux
gros tilapias au bout de 4 à 5 mois.
Face à cela, tous les paysans à qui on laisse le choix (et au vu des grandes difficultés pour s’appro-
visionner en alevins de silures) retiennent plutôt l’Hemichromis fasciatus, d’une gestion beaucoup
plus souple. Ce petit carnassier, de taille nettement inférieure au tilapia, ment ne peut s’attaquer qu’à
leurs alevins. Il limite aussi la prolifération des petites espèces de poissons indésirables (Tilapia zilli,
Hemichromis bimaculatus, etc.). Se reproduisant à un rythme comparable au tilapia, il a donc tôt fait
d’envahir le milieu. C’est avec ce carnassier que les croissances les plus rapides du tilapia ont été
observées. Ceci lui confère un nouvel avantage : il permet d’obtenir rapidement un produit de belle
taille, mieux apprécié par le consommateur. Pour les pisciculteurs qui utilisent un aliment ou fertili-
sant, l’éradication totale des alevins de tilapia (premiers compétiteurs des gros tilapias pour la res-
source alimentaire), permet de valoriser deux fois mieux les intrants. De plus, la présence de car-
nassiers facilite le contrôle des populations. Il n’est alors plus nécessaire de pratiquer de pêches fas-
tidieuses et hasardeuses pour éliminer les alevins. Ceci n’empêche pas, une fois le milieu contrôlé par
les Hemichromis d’utiliser judicieusement quelques silures mis après le début du cycle, et à une den-
sité où ils n’influenceront pas la croissance des Oreochromis niloticus.
8
La polyculture avec les cyprinidés
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En Afrique, les informations sur des polycultures tilapia-cyprinidés sont limitées. L’approvisionnement
en alevins de cyprinidés est souvent mal maîtrisé et c’est là la principale limite de cette association.
Dans le cadre d’une polyculture avec tilapia, la carpe herbivore (Ctenopharyngodon idella) présente
un fabuleux potentiel de développement si on mesure sa participation au rendement : en situation
assez extensive, l’introduction de carpes chinoises permet d’augmenter de 60 à 100 % le rendement
de cette production. Ces chiffres ont été obtenus grâce à un apport de végétaux frais qui permet une
intensification avec les moyens effectivement accessibles aux populations. La carpe herbivore permet
par ailleurs de limiter l’envahissement des étangs par des végétaux.
Pour la carpe commune, à partir des données de cycles de production il semble que l’addition de carpe
commune à élevage de tilapia soit favorable, l’action de « labourage » du fond facilite les flux de
matières organiques ou inorganiques à travers le réseau trophique. Les effets spécifiques de
l’Heterotis et de la carpe commune n’ont jamais été comparés et aujourd’hui il n’est pas possible de
se prononcer sur leur éventuelle compétition ou complémentarité. Au Cameroun, depuis 40 ans, en
pays Bamiléké, la carpe commune jouit d’une excellente réputation mais la faible quantité d’alevins
produits les rend indisponibles pour le producteur de base.
Même dans des systèmes extensifs, le pisciculteur n’hésite pas à « nourrir » son
étang en vue d’accroître la production de poisson.
Il était traditionnellement connu que l’apport de la fertilisation organique était en mesure de stimu-
ler l’ensemble des compartiments de cet écosystème, davantage qu’une fertilisation minérale qui ne
pouvait stimuler que la photosynthèse. On s’est aussi aperçu que parfois le tilapia avait tendance à
ingérer directement une partie des fertilisants. Il est donc difficile d’établir une limite claire entre la
fertilisation et l’alimentation et lorsqu’on utilise des sous-produits de faible valeur alimentaire (des
10 sons de céréales, des déchets d’élevage),ce qui est le plus souvent le cas en Afrique, il est plus juste
de parler de fertilisation que d’alimentation.
Les systèmes techniques de pisciculture les plus répandus sont basés sur la fertilisation organique
(fertilisation de l’eau des étangs par des sous-produits agricoles, végétaux (son et farine basse de riz,
de blé, de maïs...) ou animaux (déjections de porcs, volailles...). La fertilisation induit le développe-
ment d’une large gamme d’organismes dans l’étang (plancton, invertébrés...) qui servent de nourri-
ture aux différentes espèces de poissons élevées. Une fertilisation organique déficitaire en certains
éléments minéraux (son de riz déficitaire en azote...) peut être utilement complémentée par une fer-
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tilisation minérale (urée...). Enfin, la fertilisation peut être complétée par des aliments composés
industriels ou artisanaux dans certains cas, mais cette situation est rare. La fertilisation constitue la
principale charge dans ces systèmes d’élevage. Il est donc essentiel d’être en mesure d’optimiser les
pratiques en fonction des objectifs recherchés par le pisciculteur.
Tableau 4.
Simulation de l’importance du choix de la densité dans un environnement faiblement fertilisé ; PM indique le poids
moyen d’un poisson, évalué en général en divisant le poids d’un lot de poisson par le nombre d’individus.
atteint dès qu’il y a des reproductions dans l’étang), on s’aperçoit que le rendement est nul. Par
contre, si la densité est bien choisie et contrôlée, on peut obtenir rapidement de gros poissons, bien
appréciés sur le marché, avec un rendement légèrement inférieur au rendement maximal.
La pratique de la fertilisation reste un outil privilégié de l’amélioration des performances de la pisci-
11 culture d’étangs. Avant de rentrer dans des aspects plus techniques, il faut souligner l’impact de cette
gestion par le pisciculteur sur le milieu étang. La pratique de la fertilisation est un ensemble de gestes
qui, combinés à des observations quotidiennes, permet de gérer le milieu de l’étang afin d’améliorer
sa productivité. Les éléments pris en compte sont nombreux : le temps de pipage des poissons (le
matin les poissons sont à la surface et respirent la lame d’eau la plus chargée en oxygène), leur appé-
tit et leur comportement en général, la couleur de l’eau et la façon dont-elle évolue au cours de la
journée, les quantités d’aliment ou de fertilisation déversées et surtout les résultats de croissance
obtenus lors des pêches de contrôle. Une fois l’étang empoissonné, le pisciculteur dispose encore de
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nombreux moyens pour gérer son milieu : la fréquence et la façon dont il déversera les fertilisants,
le renouvellement éventuel de l’eau, les pêches de contrôle. Tout ceci rappelle que la fertilisation est
une composante importante de “ l’itinéraire technique “ ou du “ suivi du cycle des poissons “ au sein
duquel le pisciculteur à un rôle déterminant.
Tableau 6. Comparaison indicative entre une situation de pisciculture et une situation de pisciculture associée à un
élevage, en FCFA (1 000 FCFA = 1,52 €).
Figure 2.
Le modèle d’élevage
périurbain. Ce modèle permet
une parfaite autonomie du
pisciculteur pour la production
de ses alevins.
A cette rationalité du schéma d’exploitation, s’ajoute aussi une souplesse de gestion dans la mesure
où les durées de cycles pourront s’adapter suivant les performances techniques et le marché. En pra-
14 tique un retard de trois mois ne perturbe pas sensiblement la production.
La maîtrise de la technique par le paysan exige un certain savoir-faire : la fertilisation n’est possible
qu’à condition de posséder une bonne maîtrise de l’eau et une profondeur suffisante des étangs (60
cm). La maîtrise de l’élevage nécessite de préciser les quantités d’aliments ou de fertilisants, les crois-
sances des poissons déterminées par les pêches de contrôle, l’appétit des poissons, la couleurs de
l’eau, le temps de pipage.
L’emploi de carnassiers stricts (type Hemichromis fasciatus ou Parachanna obscura) permet un
contrôle de la population de tilapias, mais le maintien d’un stock suffisant de ces carnassiers est déli-
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cat.
La polyculture proposée systématiquement, associe l’Heterotis niloticus et l’Heterobranchus isopte-
rus. L’Heterotis a son propre cycle de production divisé en trois phases : les géniteurs sont dans un
étang de production de tilapias, l’étang de fingerlings est commun, les autres étangs de production
de tilapias servent à la fois à la production d’Oreochromis et d’Heterotis. Les juvéniles
d’Heterobranchus isopterus pêchés dans les marigots sont introduits à la densité maximale de 20 indi-
vidus par are dans les étangs de production de tilapias. Ces systèmes produisent des rendements de
l’ordre de 4 à 15 t/ha/an, selon le niveau d’apport de fertilisants. En conséquence, la principale
contrainte de ces modèles semi-intensifs est l’approvisionnement en intrants. Par exemple, il faut
entre 5 et 20 kg de son des moulins artisanaux pour produire 1 kg de poissons ! Ceci limite le déve-
loppement de ces techniques à la proximité immédiate de sources bon marché de ces sous-produits,
d’où le qualificatif de modèles périurbains.
Porter un diagnostic sur la performance des cycles des pisciculteurs en étangs fertilisés est délicat.
C’est en particulier lié à la différence d’environnement de chaque exploitation. Par exemple, les dis-
ponibilités physiques et les prix des sous-produits agricoles utilisables pour la fertilisation des étangs
(sous-produits de riz, déchets d’animaux) sont variables. Des indicateurs laissaient à penser que la
technique d’élevage décrite ci-dessus, pouvait être améliorée. Le premier indicateur est le niveau sou-
vent médiocre des rendements. Il semble indiquer que la pratique de la fertilisation (en dehors des
problèmes d’empoissonnement faciles à identifier et à enrayer tels que la gestion des carnassiers)
induit de nombreux problèmes. Le second est la faible taille finale des produits, alors que le marché
réclame une taille supérieure. Notons que toutes les études, certes partielles, montrent qu’à prix
constant la demande pour les poissons de pisciculture augmente lorsque la taille des poissons aug-
mente. Sur certains villages entre un poids moyen de 200 g et un poids moyen 400 g, la demande
avait été multipliée par plus de 50 ! Ceci rappelle les exigences des consommateurs qui, lorsqu’ils ont
le choix entre des poissons de mer et de pisciculture, ne privilégient ces derniers, à prix égal, que
s’ils sont de bonne taille.
Dans le but d’explorer les performances maximales du système technique basé sur la fertilisation
organique, le projet piscicole du Centre-Ouest en Côte d’Ivoire a organisé un concours du « meilleur
pisciculteur » en 1995-1996. Les résultats de ce concours ne représentent pas les résultats moyens
atteints par les pisciculteurs en milieux fertilisés dans le Centre-Ouest. En revanche, ils ont été obte-
nus en conditions réelles. Ils illustrent bien les potentialités de l’élevage de tilapias mâles sexés
manuellement et associés à un prédateur, lorsque les savoir-faire sont correctement transmis en
étangs fertilisés.
Traditionnellement, en Afrique, les meilleures productions sont obtenues avec une densité élevée. Les
résultats plus récents indiquent la possibilité d’obtenir de bons rendements avec des densités plus
faibles sur des périodes assez longues. Pour les cinq premiers cycles (figure 3) dont les rendements
dépassent tous 5t/ha/an (moyenne du rendement en Oreochromis niloticus mâle: 6,7 t/ha/an), la
moyenne des densités initiales est de 1,32 Oreochromis niloticus/m2. Quant aux GMQ (gain moyen
quotidien, en g/poisson/jour), ils sont compris entre 1,06 et 1,93 g/j, la moyenne étant de 1,6 g/j .
Il est intéressant de comparer ces chiffres avec ceux du meilleur pisciculteur de cette région obtenus
au cours de la première phase du projet en 1988, le GMQ moyen était alors de 0,7 g/j (variant de
0,51 à 1,05), le rendement moyen de 4,4 t/ha/an (variant de 1,5 à 6,6) et la moyenne des densité
de 2 Oreochromis niloticus/m2 (variant de 1,4 à 3).
Figure 3.
Courbes de
croissance des
Oreochromis
mâles des
différents étangs
du concours.
15
Bien que la polyculture ne soit pas forcément optimisée, son intérêt ne fait pas de doute. Le rende-
ment des espèces complémentaires peut atteindre plus de 30 % du rendement total. Par ordre d’im-
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portance, l’espèce principale est l’Heterotis niloticus, dont le rendement peut dépasser 1 000
kg/ha/an, avec des GMQ dépassant couramment 10 g/j. Ensuite vient le silure Heterobranchus isop-
terus, aux potentialités de croissance plus modestes (dans les cycles de concours son rendement
n’excède pas 500 kg, la moyenne des rendements disponibles sur l’échantillon est de 385 kg/ha/an).
Il est aussi intéressant de souligner que la relative homogénéité des résultats de ces concours a été
obtenue avec des sous-produits très diversifiés (son de riz, farine basse de riz, bouse de bœufs, fien-
te de poulet, urée...). Ce résultat se retrouve au niveau de l’ensemble des pisciculteurs performants :
à l’aide des intrants accessibles dans leur environnement, ils obtiennent des croissances normales
pour leurs poissons. Ceci traduit le caractère à la fois robuste et adaptable de ces modèles.
Il apparaît que l’objectif du pisciculteur n’est pas de maximiser la production à l’are mais d’optimiser
la croissance pour procurer la meilleure valorisation des liquidités dépensées. Le principal détermi-
nant de cette optimisation est le lien entre la densité d’élevage et les objectifs de croissance (taille
finale demandée par le marché et durée souhaitable du cycle pour le pisciculteur et pour sa trésore-
rie dans un environnement donné d’accessibilité aux intrants). Les pisciculteurs expérimentés ont une
très bonne maîtrise de ces équilibres : ils savent quelle densité adopter, compte tenu du niveau d’in-
tensification praticable (déterminé par la quantité d’intrants accessible au pisciculteur).
A ces niveaux d’intensification, les potentialités génétiques de croissance de la souche ne semblent
absolument pas limitantes (des croissances de 3,6 g/j entre pêches de contrôle ont été observées au
cours des cycles). Seules les ressources accessibles à chaque poisson (donc la densité) et les calen-
driers d’élevage sont à ajuster.
Présentation socio-économique
Ce type de pisciculture a permis la mise au point de modèles beaucoup plus souples et performants,
propres à s’adapter à des environnements divers et variés décrits dans la partie suivante.
Néanmoins, ce modèle garde une certaine portée de développement dans des environnements au
contexte socio-économique favorable, avec en particulier des sous-produits agricoles bon marché et
disponibles en quantité suffisante.
Le compte d’exploitation présenté ci-après est celui d’une ferme dont l’installation a débuté vers
1983, l’orientation marchande a été prise en 1986, et elle comportait 10 étangs fonctionnels lors du
suivi économique effectué en 1990 et 1991. Le fonctionnement de cette ferme a peu évolué par la
suite avec simplement une tendance à la réduction des besoins en fonds de roulement grâce à une
légère diminution de la densité d’empoissonnement, un raccourcissement des cycles et une légère
diminution des intrants. Cette ferme était toujours en activité en 2002 ; 229 jours de travail ont été
consacrés à l’exploitation et 260 à la commercialisation (déplacement maison-exploitation non com-
pris) ; en 1990, la productivité de la journée de travail est de 1 913 FCFA, la productivité de l’are est
de 20 790 FCFA (tableau 7).
A titre indicatif, les différentes comparaisons entre pisciculture et riziculture irriguée montrent une
meilleure productivité du travail pour la pisciculture (de plus de 60 %) ainsi qu’un revenu par unité
de surface 2 à 3 fois supérieur pour la pisciculture.
Le besoin en fonds de roulement pour la pisciculture est voisin de celui de la riziculture.
Seul le maraîchage offre une meilleure valorisation de la surface. Par contre la valorisation de la tré-
sorerie et la productivité du travail du maraîchage sont nettement moins élevées.
16
Tableau 7. Compte d’exploitation d’une ferme de 10 étangs de 4,5 ares, alimentation son de riz et fertilisation avec
des déchets d’abattoir (500 FCFA = 1,52 €, avant dévaluation). (O n : 0réochromis niloticus, H n : Hétérotis, H is :
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Heterobranchus isopterus, H lg : Heterobranchus longiflis, al : alevins). L’amortissement du petit matériel et des étangs
est calculé respectivement sur 5 et 20 ans.
17
En Guinée et en Côte d’Ivoire, le modèle
extensif répond aux attentes des paysans.
Un modèle extensif ne veut surtout pas dire
un modèle sans technicité.
Le modèle de base est un modèle extensif. Les densités d’empoissonnement visent à permettre l’ob-
tention de gros poissons en utilisant la productivité naturelle du milieu. Les Hemichromis sont mis en
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excès afin d’interdire la prolifération des tilapias ou des poissons indésirables. On peut ainsi espérer
que toute la nourriture disponible dans l’étang sera valorisée par les poissons. Les densités varient :
la densité d’empoissonnement des tilapias fluctue entre 0,1 et 0,2 poisson/m2. L’Heterotis est élevé
à la densité de 1/are. Des GMQ de 1,5 à plus de 2 g/jour sont fréquents pour les tilapias. Des GMQ
de plus de 10 g/j sont la norme chez l’Heterotis ; dans les milieux extensifs, ce poisson constitue
30 % du rendement total.
En milieu extensif, le rendement est de l’ordre de 600 kg/ha/an lorsque le milieu est ouvert (c’est-à-
dire lorsque le cours d’eau traverse l’aménagement et que le milieu se renouvelle en permanence à
l’occasion des pluies par exemple). Dès que le milieu est fermé (isolé du cours d’eau grâce à la
construction d’un canal de contournement) le rendement atteint facilement 1 t/ha/an. La pratique
d’une nourriture et/ou d’une fertilisation adaptée permet d’atteindre les mêmes rendements que dans
le modèle périurbain.
Figure 4.
Schéma de culture du riz inondé.
18
Performances économiques de ces modèles
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L’échantillon de pisciculteurs enquêtés en 1997 est un groupe de planteurs situé au sud-ouest de
Gagnoa en Côte d’Ivoire. Ce sont des migrants, en majorité des allogènes du nord et des Baoulé du
centre. Ces migrants se sont installés dans ces régions au cours des années 60.
Les principales caractéristiques des exploitations sont résumées dans le tableau 8, qui compare la
marge brute des différentes productions. La productivité par actif s’élève à 331 000 F en moyenne au
sein de laquelle la valeur de l’autoconsommation constitue 13 %.
● Valorisation de la surface
Sur les fermes déjà en place, la marge piscicole brute (287 380 FCFA/ha) est tout à fait comparable
et même supérieure à celle du cacao (193 869 FCFA/ha) par rapport à la surface occupée, et nette-
ment plus élevé que celle de l’ensemble de l’exploitation (94 500 FCFA/ha). Elle est largement supé-
rieure à celle des productions vivrières (dont le riz). Le développement de la pisciculture correspond
bien à une intensification de l’utilisation des bas-fonds.
Une forte hétérogénéité des marges par hectare des unités piscicoles est constatée. Tout d’abord,
l’expérience acquise explique certaines différences. Le nombre d’années depuis l’installation reflète
assez bien la maîtrise technique acquise, les fermes installées depuis moins de deux ans étant enco-
re soumises à des aléas de production importants. Trois pisciculteurs seulement ont déclaré avoir un
schéma annuel orientant les cycles d’élevage et les calendriers d’empoissonnement, ceci indique à
quel point l’activité est encore nouvelle.
Lorsqu’il est cultivé dans le barrage, le riz augmente cette marge de 29 % en moyenne. Cet accrois-
sement de valeur a été apprécié avec le riz à 120 FCFA/kg, prix minimal sur le marché rural à cette
époque.
Une étude menée par l’APDRA-CI sur le développement de la pisciculture dans le village de Luénoufla
(Côte d’Ivoire) en 2000 a mis en évidence des impacts socio-économiques importants. Situé au nord-
est de Daloa à la limite forêt-savane, la saison des pluies plus courtes et la faiblesse des précipita-
tions interdit de vider deux fois par an les barrages comme dans le cas précédent. Une légère inten-
sification de la production piscicole grâce à du son de riz et des déchets d’élevage est pratiquée, fré-
quemment la culture de riz est pratiquée dans la retenue ou à la périphérie (en amont ou en aval,
soit par maîtrise du remplissage ou par irrigation à partir de la retenue). La marge nette sur la pisci-
culture seule était légèrement supérieure à 500 000 FCFA/ha.
Les 3 valorisations les plus faibles correspondent aux exploitants encore nouveaux dans la piscicul-
ture (voir la partie valorisation de la surface). Le chiffre le plus élevé est vraisemblablement suréva-
lué car la grille ne correspond pas à de grandes surfaces. Ce n’est cependant pas une erreur de cal-
cul : ce chiffre correspond effectivement à un pisciculteur qui passe relativement peu de temps sur
sa pisciculture et produit une quantité appréciable de poissons ; il dispose d’une grande surface en
eau (0,8 ha) qu’il empoissonne correctement, et il confie la surveillance de son barrage aux femmes
qui y cultivent du riz.
Sans recours à du personnel supplémentaire pour la pisciculture, cette activité a contribué à améliorer
la productivité du travail, en participant pour 9 % à l’augmentation de la valeur ajoutée nette totale.
Ce calcul montre que la productivité du travail est forte sur la pisciculture lorsqu’un bon environne-
ment professionnel existe. Elle dépend cependant de la surface en eau, de la réalisation d’une cultu-
re de riz et surtout de la maîtrise technique du pisciculteur, encore imparfaite en de nombreux points.
A terme, les exploitations ne pratiquant que la pisciculture devraient avoir une valorisation au moins
égale à 3 000 FCFA/jour, voire bien supérieure sur les grosses piscicultures où elle devrait dépasser
5 000 FCFA/jour.
De nombreuses tâches nécessaires à une bonne pratique de la pisciculture sont favorisées par l’existence
d’une dimension sociale autour de l’activité.
Une succession d’acteurs différents intervient sur une même zone auprès de candidats différents,
souvent désabusés. Le jeu logique des acteurs consiste à « se vendre ». Ils affirment détenir les élé-
ments clefs de la technique et désorientent la dynamique d’innovation. Il serait préférable de recon-
naître les insuffisances des modèles proposés puis d’engager une démarche de recherche action, par-
tenariat dans lequel les professionnels sont impliqués et ont le pouvoir de sélectionner ce qui leur
convient.
L’initiation, la structuration et la consolidation de dynamiques sociales autour de l’innovation piscico-
le, sont à la base d’une véritable dynamique de professionnels de la pisciculture. Celle-ci est aujour-
d’hui, en milieu paysan, la seule réponse possible. Une fois résolu le problème de la diminution des
coûts de formation et de fonctionnement des ateliers piscicoles, elle seule peut proposer un cadre
structuré pour le développement de la pisciculture. Parmi ces dynamiques professionnelles, les plus
structurées sont celles qui sont orientées vers des objectifs internes à la société locale (entraide des
pisciculteurs, apport d’une caution quant à la sécurisation foncière et satisfaction de la demande loca-
le de poisson). Mais des mobiles externes (promotion par la pisciculture en faisant une prestation pour
un projet, promotion politique) peuvent stopper l’émergence de telles dynamiques. Les cadres au sein
desquels se négocie, se contrôle et se régule la prestation des courtiers de cette innovation sont très
variables ; ceci s’explique par une méconnaissance de l’activité, ainsi que par des précédents regret-
tables.
Certains facteurs intrinsèques changent profondément la nature des dynamiques et leurs relations
avec les institutions et pouvoirs locaux. La langue, et plus généralement le système d’information et
de communication au sein du monde agricole, jouent un rôle important. Lorsque la stratégie des opé-
rateurs de pisciculture est confortée par l’insertion de leur groupe dans le fonctionnement des insti-
tutions locales, le développement de la pisciculture en est stimulé. Comme toute innovation agricole,
certains enjeux sont indissociables du développement de la pisciculture (enjeux fonciers, enjeux de
21 pouvoirs, etc.). Leur analyse est donc indispensable : la façon dont s’est constitué le groupe de pro-
ducteurs éclaire souvent la nature des dynamiques qui se développent.
En ce sens, le cadre proposé par l’Etat n’est pas toujours adapté. Les relations entre bailleurs de fonds
et Etats aboutissent parfois à la proposition de projets avec crédits. Le paysan est alors dépendant
d’une structure incapable de résoudre la plupart des difficultés qu’il rencontre lors de la mise en place
de sa pisciculture.
Nombre de projets consistent à relancer les programmes de crédits en faveur de la pisciculture ou
des stations d’alevinage. La permanence et la cohérence d’une politique à moyen ou long terme res-
Memento de l’agronome
tent encore trop souvent un vœu pieux. Il est pourtant nécessaire que des structures de vrais pro-
fessionnels de la pisciculture participent à l’élaboration de ces stratégies... Mais ces structures sont
souvent inexistantes.
Les organismes de formation proposent de multiples activités, le plus souvent sans objectif de résul-
tats sur le terrain. Ici aussi, seule l’implication de structures de vrais professionnels est en mesure
d’orienter ces formations au regard de leurs effets sur le développement de la pisciculture.
Pour conclure, des structures animées par de vrais professionnels pourraient contribuer efficacement
à orienter le développement de la pisciculture... Mais elles demeurent pour l’heure inexistantes.
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(http://www.iclarm.org), contiennent beaucoup d’informations sur l’élevage du tilapia, leur tirage est
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