Le Livre Noir Medecretrae

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© Éditions Albin Michel, 2016

ISBN : 978-2-226-38983-1
Préface

Au long de mes émissions, j’ai toujours privilégié la fidélité, l’amitié


et la complicité, convaincu qu’à la télévision ou à la radio, on n’obtient
des résultats qu’à travers la confiance que l’on porte à son équipe. Parmi
les thèmes majeurs de l’émission Sans aucun doute, que j’ai animée sur
T.F.1, les litiges sur la santé et les erreurs médicales avaient bien
évidemment toute leur place. Il s’agissait de sujets prioritaires et de
préoccupations bien légitimes pour les victimes et les téléspectateurs…
J’étais rassuré : j’avais à mes côtés Dominique Courtois.
Au-delà d’une confiance jamais froissée, je m’appuyais sur un savoir
et une écoute essentiels à cette émission. Avec Dominique, les heures ne
comptaient pas, la fatigue non plus. Et le découragement, encore moins…
Le malade était toujours au centre du débat. Mon ami Dominique Courtois
défendait avec conviction et passion la vie, la peau d’un patient en proie à
l’injustice, à l’erreur. Face à des destins brisés, Dominique se cognait à
toutes les portes et les ouvrait. Même, et surtout, celles qui préféraient
abriter une loi du silence…

Fondateur de l’Association d’aide aux victimes d’accidents corporels


(A.A.V.A.C.), Dominique Courtois, ce pourfendeur de l’erreur médicale,
m’a ainsi accompagné – et m’accompagne toujours ! – quand il était
question de rétablir l’honneur et la dignité d’un homme ou d’une femme à
terre, désespéré de tout et fatigué de se battre seul. Le temps passe. Cela
fait près de vingt ans que les dossiers de santé et d’erreurs médicales nous
rassemblent, mon cher Dominique… Je souhaite rappeler que le docteur
Courtois s’est engagé dans toutes les batailles qui ont changé notre regard
sur les malades. Il s’est occupé de l’indemnisation des victimes du sida
par transfusion sanguine, il a dénoncé la sinistre affaire du Mediator®,
alerté les pouvoirs publics et les consciences sur les ravages des prothèses
mammaires P.I.P. Bref, quand il est question de santé, Dominique Courtois
n’est jamais bien loin des victimes. C’est une fierté de faire œuvre utile à
ses côtés.

Je me rappelle encore cette triste histoire d’un chirurgien voyou,


implanté à Nice, qui opérait dans une clinique désaffectée sans aucune
anesthésie. Dominique a mis sa colère au service des patients. Il est monté
au front, a dénoncé et mis fin à ces pratiques abjectes. C’était sur T.F.1, un
vendredi soir. Nous y avons tous gagné une part d’humanité plus grande…
Et puis, bien sûr, dans l’émission Ça peut vous arriver que j’anime sur
R.T.L., Dominique délaisse cette ville de Bordeaux, chère à nos racines et
si vitale à notre équilibre, lorsque je dois traiter un nouveau dossier
médical…

Alors, quand Dominique a décidé d’écrire cet ouvrage en compagnie


de son fils Philippe, brillant avocat spécialisé dans la défense des victimes
de dommages corporels, il a absolument tenu à ce que j’y figure à travers
cette préface. Je me suis senti très honoré par sa demande. Car c’est un
juste retour des choses pour tous les services qu’il m’a rendus et qu’il me
rend encore…

Lisez cet ouvrage. Il est écrit avec le cœur et la passion d’un homme
qui a fait de sa vie un combat pour que la santé soit juste et accessible à
tous.

Julien Courbet
Avant-propos
Le suicide de la médecine française

La maladie est déjà en soi une épreuve. Alors que dire quand s’y ajoute
la tragédie de l’erreur médicale ? Être malade de la médecine est la pire
des choses. C’est le désespoir dans l’espoir. Pendant trop longtemps, la
situation juridique des victimes d’erreurs médicales a été insupportable
face à des médecins tout-puissants. Heureusement, elle s’est améliorée à
la faveur de procès longs, difficiles, humiliants, épuisants. Des principes
nouveaux, hier encore inconcevables, ont été élaborés, conquis de haute
lutte. Et grâce à l’action tenace d’associations de victimes auprès du
gouvernement, la loi sur les droits des malades et la qualité du système de
santé a été adoptée définitivement en mars 2002. Le malade a enfin un
véritable statut ; et surtout des droits, non plus simplement des devoirs.
Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Certes, on peut
toujours faire un catalogue des échecs d’une profession, car aucune
n’échappe à la critique. Il existe dans le monde médical autant de
personnes sans scrupule, sans moralité, avides de pouvoir et d’argent que
dans n’importe quel autre corps de métier. Mais nous savons aussi ce que
nous devons au dévouement de nombreux médecins. Chaque année, plus
de 450 millions d’actes médicaux, c’est-à-dire des consultations et des
visites, des examens et des interventions chirurgicales, sont réalisés par
des hommes et des femmes qui se battent pour sauver des vies.
Cependant, nous devons aussi dire la vérité sur cette médecine des
temps modernes, que le monde entier nous envie : une médecine robotisée,
soumise aux exigences du marché, pressée de passer d’un patient à l’autre,
et qui trop souvent dans sa surhumanité se trompe, blesse et tue, faisant de
plus en plus de victimes. Et quand survient une erreur médicale, c’est la
loi du silence qui s’applique, laissant le patient seul et désemparé dans un
dédale d’obstacles juridiques…
Depuis trois ans, les scandales de santé publique se succèdent :
Mediator®, prothèses P.I.P., pilules contraceptives, amiante… Et ce,
malgré la mise en place d’organismes de contrôle. Et l’avenir risque de
nous réserver encore bien d’autres mauvaises surprises : téléphones
portables, lignes à haute tension, cigarettes électroniques, médicaments
hautement toxiques…

N’ayons pas peur de le dire, nous assistons aujourd’hui à un suicide de


la médecine française. Elle est soumise aux lobbies des laboratoires, au
mutisme des pouvoirs publics et à des connivences malsaines entre les soi-
disant organismes de défense et de contrôle. Et ce sont les patients qui en
sont les victimes innocentes. Il est temps d’écrire au grand jour, sans
langue de bois et à la lumière de témoignages saisissants de victimes, la
manière avec laquelle notre médecine s’est retournée contre nous. Le
moment est venu de dévoiler des révélations édifiantes sur nombre de
scandales sanitaires, qui briseront cette omerta insupportable.

Enfin, chacun doit pouvoir être en mesure de se défendre. Nous


sommes tous des consommateurs obligés d’actes médicaux, et donc des
victimes en puissance. Il faut être capable de combattre à armes égales
contre le corps médical, les organismes de santé et les assurances. D’où
notre volonté de transmettre des conseils à suivre et d’indiquer les
démarches juridiques à accomplir pour faire face à cette médecine qui,
elle aussi, devient malade… Pour ne plus jamais être une victime, mais un
patient reconnu et surtout respecté.
Chapitre 1

La médecine française est-elle


toujours la meilleure du monde ?

Notre médecine fut l’une des meilleures du monde, voire la meilleure,


sans aucun doute, pendant de nombreuses années. Mais l’est-elle encore
aujourd’hui ?
Certes, sur le plan de la santé publique, la couverture médicale offerte
par la France est l’une des plus enviées au monde. Notre dispositif de
sécurité sociale doit permettre à chacun d’entre nous de bénéficier de
soins médicaux. Ménages modestes, étrangers résidant sur le territoire
national, l’accès à la santé est garanti pour tous. La généralisation du tiers-
payant, c’est-à-dire la dispense d’avance de frais, devrait permettre un
accès aux soins facilité pour les plus défavorisés qui hésitent parfois à se
soigner, ce qui aggrave souvent leur pathologie. Cependant, la France est
en retard dans ce domaine. Elle fait partie des quatre derniers pays de
l’Union européenne n’ayant pas encore adopté ce dispositif.
Il n’est pas dans notre intention de remettre en cause le siècle des
Lumières, les éminents médecins comme Laennec, Trousseau, Bichat ou
Bernard, qui ont fait l’histoire de la médecine. Cependant, nous sommes
dans l’obligation d’admettre que notre médecine n’est plus la meilleure du
monde.
Le déclin de la médecine française résulte de plusieurs facteurs : les
médecins, les patients, mais aussi les différents gouvernements successifs,
sans oublier les organismes de contrôle et les laboratoires
pharmaceutiques, qui sont en définitive les véritables maîtres du jeu.

La grande responsabilité des médecins

Les progrès de la technologie, et en particulier de la chirurgie, sont


évidents depuis les dernières décennies. Reconnaissons que dans certains
domaines, comparés à leurs homologues étrangers, les spécialistes
français sont loin d’être des seconds bistouris. Pour les poses de stents ou
la chirurgie de la colonne vertébrale, nos chirurgiens se trouvent à égalité
avec leurs confrères américains, devant les Allemands ou les Britanniques.
La french touch est reconnue dans le monde entier, et force est de
constater que des milliers de blouses blanches viennent se former dans
notre pays.
Mais ne doit-on pas aussi attribuer les progrès de la santé à l’hygiène,
aux meilleures conditions de vie et au recul de la pauvreté ? Si l’on établit
des comparaisons à travers ce prisme, il est surprenant d’observer que les
habitants de nombreux pays européens sont en meilleure santé que nous,
avec des dépenses moins importantes dans ce domaine. Le médecin
français est le champion d’Europe de la prescription de médicaments, en
particulier des psychotropes, antimigraineux, hypertenseurs et
antibiotiques. Il délivre quatre fois plus d’ordonnances que le médecin
anglais et six fois plus que le médecin allemand. En raison d’une trop
large prescription d’antibiotiques, on assiste désormais à la résistance des
microbes ! En effet, 80 % des souches de staphylocoques présents dans la
population – et même 95 % si l’on prend en compte uniquement les
patients des hôpitaux – résistent à la pénicilline. Malgré toutes les
campagnes médiatiques de sensibilisation, certains médecins continuent à
prescrire des antibiotiques pour le moindre rhume, voire la grippe !
Pourtant, nous savons tous qu’ils n’ont aucune influence sur les virus.
Chaque année, notre médecine est responsable de plus de 10 000 morts
par maladies nosocomiales, et plus de 800 000 personnes sont victimes
d’infections au sein de nos hôpitaux. Sans compter les erreurs médicales et
autres effets indésirables, parfois graves, des médicaments, dont aucun
décompte officiel n’est possible car leur nombre est un secret bien gardé
par tous les acteurs de santé, publics et privés. Selon une étude récente
réalisée par le site américain MedicalesMedscape, 43 % des praticiens
français admettent ne pas toujours dire la vérité à leur patient, contre
seulement 10 % pour les médecins anglo-saxons. Plus grave encore, en cas
d’erreur médicale, 16 % des médecins reconnaissent qu’ils cacheraient la
vérité au patient, même si cette erreur devait nuire au malade.
La conscience professionnelle et l’éthique médicale se perdent,
jusqu’au plus haut de la hiérarchie. Que penser d’un grand chef de service
qui enseigne à ses internes que lorsqu’une erreur médicale survient, deux
réflexes s’imposent : « nier l’existence d’une erreur et contrôler le
dossier » avant d’en parler au patient ? Triste constat de responsabilités
non assumées.

Au cours d’une expertise médicale, un médecin expert très renommé, à


qui nous affirmions avec force que notre médecine était la meilleure du
monde, réfuta l’idée par un « non » catégorique. Il donna en exemple les
services des urgences des hôpitaux, dans lesquels devraient selon lui
officier les médecins les plus compétents et les plus qualifiés. Sa
démonstration se basait sur les hôpitaux de campagne installés sur le
théâtre d’opérations militaires, où les meilleurs praticiens sont en effet
affectés à la réception des blessés. Ces médecins doivent, en quelques
minutes, faire le bon diagnostic et orienter les blessés en fonction de leur
pathologie pour une prise en charge optimale. Bref, il faut aller vite et
dans l’urgence. Cela devrait être ainsi dans nos services d’urgence
hospitaliers. Car un bon interrogatoire et un diagnostic précis permettent
d’aiguiller les malades vers le service le mieux adapté. Or, il faut
reconnaître que la qualité de nos services d’urgence s’est dégradée par la
défection de médecins hautement qualifiés. Ceux-ci désertent les urgences
en raison de la charge de travail et de la médiocrité des salaires. En 2012,
il a été dénombré 18 millions d’admissions dans des services d’urgence.
Pourtant, la moitié d’entre eux ne disposent même pas d’une infirmière en
poste pour effectuer le premier tri des patients !

Par ailleurs, que ce soit à l’hôpital ou en cabinet, il n’est pas rare


aujourd’hui de se faire soigner par des médecins étrangers qui ont suivi
des études de médecine dans leur pays d’origine. Malheureusement, ceux-
ci n’ont pas toujours les compétences requises pour exercer en France. Et
la problématique de la barrière de la langue aggrave encore la situation.
Or, dans certains cas, chaque seconde perdue peut s’avérer fatale.
Le recours à ces praticiens peut certes pallier la diminution du nombre
de médecins en France, mais davantage de prudence dans leur recrutement
est nécessaire. L’ordre national des médecins ne fait aucune enquête sur le
cursus médical, l’authenticité du diplôme, ni même les éventuelles
difficultés rencontrées dans la pratique de la médecine dans son pays avant
d’autoriser le praticien à exercer sur le sol français. Il n’existe tout
simplement aucun contrôle concernant le passé médical du médecin
étranger venant s’installer en France !
Ceci peut, en partie, expliquer le drame qui s’est produit dans une
clinique du Sud-Ouest : une jeune femme est décédée au cours de son
accouchement. Un tel incident peut se produire si des complications
médicales imprévisibles et irréversibles surviennent. Dans le cas présent,
c’est une anesthésiste venant d’un pays de la Communauté européenne qui
semble en être la cause. La jeune maman de 28 ans devait être anesthésiée
en vue d’une césarienne. Au moment d’intuber la patiente, l’anesthésiste a
placé la sonde dans l’œsophage (vers l’estomac) au lieu de la trachée (vers
les poumons). Le manque d’oxygène a provoqué un arrêt cardiaque et la
patiente est décédée après trois jours de coma, laissant son mari effondré
avec le nouveau-né.
Selon des membres de l’équipe présents cette nuit-là, l’anesthésiste
comprenait mal le nom des médicaments et se montrait peu réactive. De
plus, sa fatigue et son apparent manque d’expérience étaient sans doute
liés à un état d’ébriété chronique, puisqu’elle avait plus de 2 g/l d’alcool
dans le sang quand elle s’est présentée devant les gendarmes le lendemain
des faits ! Elle n’a d’ailleurs pas caché boire pour lutter contre le stress,
d’autant plus qu’elle était arrivée en France peu de temps auparavant et se
sentait déprimée.
Ce drame récent n’est pas un cas isolé. Nous avons eu à défendre des
victimes ou des familles de victimes d’erreurs médicales (erreur de
prescription ou de dosage de médicaments, mauvaise utilisation
d’instruments, faute technique opératoire) imputables à des docteurs
venant de la Communauté européenne. Que penser d’un couple recruté par
un établissement hospitalier du centre de la France dont un seul était
réellement médecin, son conjoint servant de traducteur pendant les
opérations ? Comment expliquer à une famille que leur proche est décédé
car le personnel soignant ne savait pas rebrancher le système de
ventilation respiratoire, intervertissant la tubulure de perfusion et le tuyau
d’oxygène ?
Il est évident que les hôpitaux souffrent de la pénurie de spécialistes de
qualité. Mais cela vaut-il vraiment la peine de pourvoir les postes coûte
que coûte, jusqu’à faire appel à des médecins aux compétences non
vérifiées ou à recourir à des vacataires qui assurent des remplacements à
un tarif ruineux ?
Non, évidemment. Et l’actualité nous l’a prouvé puisque le
9 février 2016, huit internes en médecine générale, affectés dans des
hôpitaux de la région parisienne, ont été exclus de leurs services pour
incompétence notoire. Parmi eux se trouvaient trois jeunes originaires de
Roumanie, qui avaient commencé leurs études dans leur pays avant de
venir effectuer leur premier stage en France. On comptait aussi trois
Français qui avaient suivi quant à eux leurs études en Roumanie avant de
revenir pour leur internat. Et si ces jeunes médecins présentaient un
manque évident de pratique par rapport à ce qui est habituellement requis,
la langue française n’était visiblement pas entièrement maîtrisée par les
internes d’origine roumaine. Et Jean-Pierre Vinel, président de l’université
Paul-Sabatier de Toulouse de conclure : « C’est la première fois qu’un
hôpital prend une telle décision, mais c’est un phénomène que l’on
dénonce depuis des années et qui risque de s’aggraver ».

Les patients ont sans doute également une part de responsabilité. Et si


nous participions tous au dysfonctionnement de notre système de santé ?
Certes, il n’y a rien de pire que d’être malade de la médecine. De plus en
plus informé, notamment grâce à Internet où l’on trouve souvent tout et
n’importe quoi, le patient recherche toujours la perfection dans l’acte du
médecin. Le doute s’installe parfois de façon hâtive et l’acte médical
salvateur devient vite un acte fautif, objet d’un contentieux amiable ou
judiciaire. Le patient devient alors plaignant et le médecin incriminé.
Avec des explications claires et loyales, l’action n’a plus lieu d’être.
Mais le médecin peut se retrouver face à ses pairs, et même devant des
magistrats, et ce, pour des motifs banals. Qui n’a jamais eu envie de
reprocher à son médecin – voire de l’attaquer – au motif que la fièvre de
son jeune enfant n’est pas retombée assez vite, ou qu’un arrêt de travail a
duré plus longtemps que prévu ? Les affaires médicales sont de plus en
plus médiatisées et les fortes indemnisations obtenues ont fait tomber le
dogme médical. Les succès et les innovations de la médecine sont occultés
par les ratages et les scandales médicaux à répétition. Nous pouvons même
supposer que des spécialistes, comme les obstétriciens et les anesthésistes,
vont finir par disparaître tant leur responsabilité n’a de cesse d’être mise
en cause.
Nous ne voulons plus ressentir la douleur, si faible soit-elle. Nous
refusons d’attendre. Nous souhaitons un diagnostic précis, un traitement
rapide et efficace. Nous consultons parfois trop vite, sans que cela soit
justifié, et n’hésitons pas à multiplier les examens complémentaires.
D’autant plus que nous avons une bonne couverture de santé. Mais la
médecine est le résultat d’un long apprentissage. Elle n’est pas un don
inné. Elle est exercée par des hommes et des femmes qui ont dû, au cours
de leur cursus universitaire, acquérir de vastes connaissances, mais aussi
une pratique méticuleuse. Or, nous voulons toujours être mieux soignés,
avec plus de médicaments, souvent plus coûteux, par des praticiens à qui
nous ne pardonnons aucune hésitation, et encore moins une faute. Par nos
exigences en matière de santé, nous contribuons donc à discréditer notre
médecine.

La mauvaise gestion gouvernementale


de la santé

Des inégalités qui se creusent

De nombreux pays envient notre système de prise en charge de la


santé, notre célèbre Sécurité sociale. Ce qui en fait l’excellence et forge sa
particularité, c’est l’universalité de l’accès aux soins. Il s’agit là d’un des
principes fondamentaux de notre République. Cependant, depuis quelques
années, le déficit croissant des dépenses de santé a entraîné l’État à
prendre des mesures qui pourraient mettre en péril l’égalité d’accès aux
soins de chaque citoyen. Notre Sécurité sociale, qui repose sur le
financement de chacun selon ses moyens et une distribution selon les
besoins, reste toujours d’actualité. La grande majorité des Français
souhaite que ce système perdure et demeure public. Malheureusement, ce
dispositif que le monde entier nous envie n’est plus aussi performant et
pourrait même disparaître si nos gouvernants ne prennent pas des mesures
radicales afin de juguler un gouffre financier abyssal.

L’offre de soins est, par ailleurs, répartie sur le territoire de façon très
inégalitaire. 92 % des personnes interrogées pour le compte de la
Fédération hospitalière de France pensent que les patients qui ont le plus
d’argent ont aussi plus de chances de se faire soigner. Dans les zones
rurales, un nombre croissant de nos concitoyens sont touchés par des
difficultés d’accès aux soins. À la campagne et dans les banlieues, les
délais de prise en charge s’allongent, les déserts médicaux se multiplient.
Et ces disparités, records en Europe, s’accroissent. Toujours selon une
enquête de la Fédération hospitalière de France, les plus favorisés, c’est-à-
dire ceux qui habitent dans les zones urbaines, sont en meilleure santé et
ont une et demie à deux fois plus de chances de guérir que les autres. Les
inégalités sont aussi le fruit des différences de revenus, ce qui explique
l’engorgement des urgences hospitalières, puisqu’on n’y débourse pas
d’argent pour se faire soigner. Reste à espérer que la généralisation du
tiers-payant permette un meilleur accès aux soins, même si celui-ci
rencontre actuellement une grande réticence de la part du corps médical,
qui craint une inflation des actes et une étatisation rampante de la
médecine. Pourtant, on ne consulte pas par plaisir, mais parce que l’on est
malade. Gageons que les patients respecteront ce principe et ne vont pas
multiplier les consultations et les actes sous prétexte qu’ils paraîtront
gratuits.

Cette inégalité de l’offre de soins est renforcée par un aspect financier.


On trouve d’un côté des consultations ou des interventions remboursées,
mais avec des délais d’attente de plusieurs semaines, voire de plusieurs
mois ; et de l’autre, pour ceux qui ont les moyens de payer des
dépassements d’honoraires pouvant atteindre plusieurs centaines d’euros,
des consultations pour lesquelles il n’y a pas de file d’attente. Comment
expliquer une telle situation ? Ainsi, pour éviter une fuite de ses meilleurs
éléments vers le secteur privé, le gouvernement permet aux praticiens
hospitaliers de consacrer 20 % de leur temps à une activité libérale dite
« privée » et d’appliquer les prix qu’ils désirent. La plupart des grands
pontes ne s’en privent pas. Les dépassements d’honoraires, qui ne sont pas
pris en charge par la Sécurité sociale (et seulement en partie par les
mutuelles), sont devenus monnaie courante. D’après une enquête du site
capital.fr, 86 % des chirurgiens, 77 % des gynécologues et 60 % des
ophtalmologistes en facturent. On se moquait de la médecine anglaise,
mais il faut reconnaître que notre médecine est une des plus inégalitaires
des pays d’Europe de l’Ouest. Certes, notre médecine peut être hautement
spécialisée et exceller avec ses techniques de pointe. Mais
paradoxalement, elle se caractérise par des inégalités à la fois sociales et
territoriales. Et bien qu’on nous rappelle que l’espérance de vie est en
constante augmentation, il faut savoir qu’un Français sur cinq décède
aujourd’hui avant l’âge de 65 ans. Cette mortalité précoce est plus
importante qu’en Espagne, en Suède et en Angleterre. Dans ce domaine,
notre pays est considéré comme l’un des mauvais élèves de l’Europe. Il est
également pointé du doigt dans les domaines du recours aux médecins
spécialistes et de la prévention.

Formation, réforme hospitalière, prévention :


des solutions qui fâchent

La formation des médecins est une des clés de voûte du système. La


question de la permanence des soins se pose en lien avec celle de la
démographie médicale. Il est opportun de s’interroger sur la nécessité d’un
numerus clausus en faculté de médecine. Le numerus clausus (« nombre
fermé », en latin) désigne le nombre ou le quota d’étudiants admis chaque
année en deuxième année de médecine. Il est fixé tous les ans par les
facultés sous le contrôle du ministre de l’Enseignement supérieur. Ce
chiffre, qui s’élevait à 8 000 places en 2012, a connu une baisse
importante pendant vingt-cinq ans, avant de commencer à remonter au
début des années 2000. Il était de 4 000 en 1990 et le Journal officiel a fixé
le numerus clausus à 7 633 élèves pour l’année 2015/2016 (contre 7 497
l’année précédente). Dans le même temps, la population française a
augmenté et la proportion des seniors – qui sont d’importants
consommateurs de soins – a explosé. Mais parallèlement, en regard de
cette augmentation, l’offre de nouveaux médecins s’est effondrée. Et,
facteur aggravant, une grande partie des praticiens est aujourd’hui proche
de la retraite. Aussi, ce n’est pas l’augmentation du numerus clausus
depuis 2001 qui va résoudre la pénurie de médecins, d’autant qu’une
dizaine d’années est nécessaire à leur formation. Néanmoins, une solution
se profile : partir étudier dans un autre pays d’Europe, doté d’un numérus
clausus plus souple (Belgique, Espagne, Italie, Roumanie, Croatie) ou
inexistant, puis revenir en France. L’idéal serait de faire comme
l’Allemagne, pays prévoyant qui a fixé un numerus clausus supérieur à son
besoin en médecins.
D’autres éléments éclairent aussi cette situation : les nouveaux modes
de vie, la faible rémunération des praticiens, l’augmentation de la
féminisation du corps médical, le statut du médecin ou encore sa
responsabilité pénale. Les cohortes d’étudiants comptent de plus en plus
de femmes. D’une manière générale, la féminisation touche les
professions libérales, y compris en médecine générale. Mais les femmes
induisent des pratiques professionnelles différentes : elles s’orientent
davantage vers un exercice en groupe, de préférence en ville, privilégiant
les consultations aux visites et évitant les gardes. Elles tendent à
s’organiser afin que leur exercice professionnel ne se fasse pas au
détriment de leur vie privée, prenant en compte les grossesses et leur rôle
de mère. Malheureusement, il peut arriver que les médecins libéraux
fassent passer leurs considérations familiales et personnelles avant la
santé de la population. Ils s’installeront de préférence dans des grandes
villes ou dans des régions agréables, à proximité de la mer ou de la
montagne. Cette attitude fait augmenter le nombre de déserts médicaux.
La faible rémunération des médecins, et en particulier des généralistes,
est souvent mise en exergue pour expliquer une certaine désaffection de
cette profession. Il est certain que si l’on tient compte des années d’études
nécessaires et du tarif horaire d’un médecin qui prend le temps
d’interroger et d’examiner correctement un patient (entre trois quarts
d’heure et une heure), d’autres professions peuvent se révéler plus
lucratives et attractives. Cependant, et cela est rassurant, nombre de
médecins ne choisissent pas ce métier sur le seul critère de la rentabilité.
Réjouissons-nous de voir que la vocation existe encore.
Le risque de responsabilité pénale, auquel s’ajoute le risque
médiatique, peut perturber aussi la pratique quotidienne de la médecine.
L’exercice médical individuel devient parfois anxiogène. Avant, les
malades avaient une certaine peur du médecin, des examens et des
traitements, mais aujourd’hui la tendance s’inverse et c’est au tour des
médecins d’avoir peur. Ils commencent à se surprotéger en multipliant les
examens diagnostics, aggravant ainsi la surconsommation médicale.
Nous sommes face à un choix de société, qui se pose dès la faculté de
médecine. Le dialogue singulier médecin-malade va-t-il disparaître ? Les
spécialités médicales se multiplient et, dans le cursus universitaire, il y a
peu de place pour la médecine clinique. Celle-ci est mal-aimée par les
étudiants, jugée archaïque car elle oblige à se confronter directement au
corps humain. Les nouvelles formes de médecine, la santé informatique
(e-médecine), la santé mobile (m-médecine), la robotique chirurgicale
connaissent une croissance fulgurante. Mais il est nécessaire que la
médecine clinique conserve sa primauté. C’est ce que résume le docteur
Bernard Kron, chirurgien et membre de l’Académie nationale de
chirurgie : « La panoplie des nouveaux moyens d’investigation et
thérapeutiques bouleversera de plus en plus la démarche médicale. Mais,
c’est tous les jours, en consultation ou au lit des patients, du cas anodin au
plus sérieux, que l’option finale de la décision doit se prendre, ce qu’aucun
logiciel ne peut faire. »

Si la formation des médecins laisse à désirer, que dire de


l’organisation du système hospitalier français ? En 2006, le professeur
Guy Vallancien a remis à Xavier Bertrand, ministre de la Santé de
l’époque, un rapport sur l’évaluation de la sécurité, de la qualité et de la
continuité des soins chirurgicaux en France. Il expliquait que la France est
le pays du monde où le nombre d’établissements de soins publics et privés
rapporté à la population est le plus élevé : 3 200 pour 63 millions
d’habitants (soit 1/20 000 habitants) contre 1/40 000 en moyenne en
Europe. Le professeur Vallancien a également évalué la qualité des
plateaux techniques des hôpitaux français. Il a jugé que 130 d’entre eux
étaient insuffisants, médiocres, voire dangereux. Aucune suite n’a été
donnée à son enquête. Par ailleurs, au cours d’un débat au Sénat le
29 janvier 2015, Gilbert Barbier, sénateur du Jura, indiquait qu’« il y a
quelques années, le nombre de lits excédentaires était évalué à 60 000 par
Gérard Larcher », l’actuel président du Sénat. Le retard en équipements
lourds d’imagerie nuit au diagnostic précoce et à la prise en charge des
maladies graves. Certains C.H.U. sont performants, d’autres ne disposent
pas de toutes les spécialités et, pour subsister, traitent des patients pour
des affections banales, à un tarif journalier excessif. Il nous faut désormais
avoir le courage de fermer des établissements hospitaliers sous-équipés ou
non rentables, des maternités ne réalisant pas un nombre suffisant
d’accouchements. Certes, ce sont des décisions difficiles, incomprises et
critiquées par la population pour des raisons de commodité, et redoutées
par les élus car impopulaires, mais elles sont indispensables.
La multiplication des réformes qui se contredisent a suscité le doute au
sein de la population, d’autant que de nombreuses études arrivent au
même constat : celui d’un système à bout de souffle. L’épidémiologie fait
défaut en France. Le dépistage et la prévention sont pourtant des sujets
d’avenir. Il est par exemple primordial de travailler en amont pour
empêcher les jeunes de tomber dans l’addiction du tabagisme, de
promouvoir une bonne alimentation, ou encore de prévenir le surpoids,
sachant que l’on prévoit une augmentation de 55 % du nombre des
diabétiques d’ici 2025. Les facteurs de risque sont identifiés : tabac,
alcool, environnement, produits illicites. En principe, cela fait plus de dix
ans que la France s’est dotée d’une politique de prévention, dont les effets
tardent malheureusement à se faire sentir. A-t-on vraiment les moyens, ou
n’est-ce qu’un vœu pieux supplémentaire ? Le moment est venu d’agir.
Car la France bat aussi des records d’infections iatrogènes (c’est-à-dire
dues à une intervention médicale) à cause de notre « culture du
médicament ». Il faudrait éduquer les patients, rationaliser les
prescriptions, et peut-être pourrons-nous un jour dire à nouveau que nous
avons le meilleur système de santé au monde.

L’hégémonie des laboratoires pharmaceutiques

Une fabrication délocalisée

Les Français sont les premiers consommateurs européens de


médicaments. Le poids des dépenses de médicaments dans notre P.I.B. est
le plus élevé d’Europe. Les médicaments génériques sont 30 % plus chers
chez nous que chez nos voisins, voire 100 % pour les antihypertenseurs.
Les laboratoires avancent des coûts importants associés à la recherche,
alors qu’ils n’y consacrent que 15 % de leurs investissements, contre 20 à
25 % pour la publicité et le marketing. Dans le même temps, les
pharmacies rencontrent un problème tout aussi grave : la multiplication
des difficultés d’approvisionnement. Car il faut savoir que la fabrication
de nos médicaments a été, dans une large mesure, délocalisée.
Aujourd’hui, entre 60 % et 80 % des principes actifs sont fabriqués en
Inde ou en Chine. Pire encore, il n’existe souvent que deux lieux de
production pour approvisionner l’ensemble des laboratoires et pharmacies
du monde entier. Aussi, au moindre incident, les usines ne sont plus
fournies en matière première. Les monopoles d’exploitation scellent notre
dépendance à l’égard de l’industrie pharmaceutique et nuit à la traçabilité
et à la qualité des produits.

Une mise sur le marché insuffisamment contrôlée

Le gouvernement propose de ne plus rembourser les produits de santé


qui le sont aujourd’hui à hauteur de 10 %, en invoquant l’absence d’intérêt
médical pour le patient. On peut donc se demander pourquoi avoir
remboursé ces produits s’ils sont aujourd’hui reconnus inefficaces ? Cette
situation s’explique parce qu’au moment de leur demande d’autorisation
de mise sur le marché, les laboratoires pharmaceutiques ont utilisé toute
leur puissance et leurs relations pour obtenir l’aval des pouvoirs publics.
Et que penser de la mise sur le marché de médicaments qui seront ensuite
détournés de leur objectif premier ? Ou encore de ceux qui devraient,
selon le laboratoire fabricant, améliorer un traitement, mais dont on
apprend par la suite que les études ont été influencées pour des raisons qui
ne sont pas étrangères aux intérêts économiques du laboratoire ? On peut
citer le Mediator® ou les pilules de troisième et quatrième génération,
mais les exemples sont légion. Nombre de médicaments qui ont obtenu
leur autorisation de mise sur le marché (A.M.M.) ont finalement été
retirés de la circulation après avoir gravement endommagé la santé des
patients ou même tué certains d’entre eux, comme ce fut le cas pour le
Vioxx®, l’Isoméride® ou le Mediator®. Les laboratoires
pharmaceutiques, dont la puissance financière est presque sans limites,
sont passés maîtres dans l’art du lobbying. Comme pour les fabricants de
tabac, ils « œuvrent » auprès de toutes les instances nationales, y compris
les représentations politiques, et ont même des envoyés permanents au
Parlement européen pour intervenir auprès des députés.

Des médecins trop complaisants

Les laboratoires pharmaceutiques sont omniprésents dans la vie d’un


médecin depuis sa première année de faculté jusqu’à sa retraite. Outre le
passage régulier de visiteurs médicaux vantant les mérites de leurs
produits, le praticien jouit souvent de cadeaux, de voyages pour des
congrès dits « scientifiques » (lors desquels il est en général accompagné
de son conjoint), et cela malgré des dispositions législatives les
interdisant. Prenons un exemple récent : sur 6 millions de Français
malentendants, la moitié seulement est équipée d’un appareil car le prix de
vente des prothèses auditives est exorbitant par rapport à leur prix de
revient. Les premiers bénéficiaires de cet état de fait sont
les audioprothésistes, c’est-à-dire les vendeurs. Mais les médecins O.R.L.,
c’est-à-dire les prescripteurs, ne sont pas en reste et reçoivent des cadeaux
de la part des deux principales enseignes fabriquant ces appareils pour en
vanter les mérites. Pour s’en convaincre, il suffit de chercher sur Internet
le nom de l’une ou l’autre de ces enseignes d’audioprothèses pour trouver
la longue liste des « largesses » qu’elles consentent aux médecins O.R.L.
Pour les seules années 2012 et 2013, on trouve des congrès et des
symposiums en Turquie (Istanbul), aux États-Unis (Washington et New
York), en Afrique du Sud (Le Cap), en Chine (Hong Kong), en Hongrie
(Budapest), en Corée du Sud (Séoul), des assises O.R.L. à Nice, des repas
et des soirées de formation médicale continue à Paris, à Méribel et autres
villes attrayantes… Avant même d’être médecin, au cours de son cursus
universitaire et dès qu’il a posé un pied dans un établissement de santé
(pour un stage, son externat ou son internat), l’étudiant tombe entre les
mains des laboratoires pharmaceutiques qui financent une partie de sa
formation. On pourrait même dire que nous sommes sous leur coupe
depuis notre naissance, car dès la maternité, tel ou tel laboratoire se
manifeste toujours par la distribution gratuite de couches et de lait…

Des liens douteux avec les gouvernements

Dotés d’une puissance financière qui dépasse souvent nos frontières,


les laboratoires pharmaceutiques sont les interlocuteurs privilégiés de
plusieurs ministères, dont celui de la Santé bien entendu. Ils savent user, et
même abuser, de leurs relations pour obtenir l’autorisation de mise sur le
marché d’un médicament (souvent plus cher que son prédécesseur, mais
sans réelle efficacité supplémentaire) ou pour faire diligenter une
campagne massive de vaccination. Souvenons-nous de la campagne contre
l’hépatite B, et plus récemment de celle contre la grippe A (H1N1) qui
s’est révélée un fiasco médical, mais aussi financier, pour nous, les
contribuables. En revanche, elles ont rapporté un véritable pactole aux
laboratoires, avec 94 millions de vaccins commandés et payés par l’État.

La faillite totale des organismes de contrôle

Suite à l’affaire du sang contaminé (sida et hépatite C) et à celle de


l’hormone de croissance, nos dirigeants avaient affirmé que nous étions
désormais à l’abri de toute récidive car nos organismes de contrôle
veillaient. À voir la multiplication des nouveaux scandales (Mediator®,
prothèses mammaires P.I.P., pilules contraceptives), on aurait plutôt
tendance à croire qu’ils faisaient la sieste. À l’inverse des États-Unis, qui
possèdent un organisme de contrôle totalement privé et indépendant, la
célèbre F.D.A. (Food and Drug Administration), la France ne dispose que
d’organismes de contrôle publics inféodés aux gouvernements successifs
et dépendant financièrement des laboratoires. Pire encore : après les
récents scandales sanitaires, le gouvernement a remplacé en 2012
l’A.F.S.S.A.P.S. (Agence française de sécurité sanitaire des produits de
santé) qui avait largement fait défaut, par un nouvel organisme dénommé
l’A.N.S.M. (Agence nationale de sécurité des médicaments). Or,
l’A.F.S.S.A.P.S. était financée à 80 % par les taxes sur le chiffre d’affaires
des laboratoires pharmaceutiques et les redevances versées par les firmes
qui déposaient un dossier de demande d’autorisation de mise sur le
marché. Pour l’A.N.S.M., le mode de financement a changé puisqu’il
reçoit des subventions de l’État, via les taxes et redevances de l’industrie
pharmaceutique. Les laboratoires pharmaceutiques apparaissent donc
toujours en filigrane derrière ces institutions censées nous protéger. Enfin,
ce dernier organisme n’a de nouveau que le nom : mis à part quelques
licenciements, les salariés demeurent les mêmes, sans changement dans
leurs pratiques.
La responsabilité de l’A.F.S.S.A.P.S. a été mise en cause dans de
nombreuses procédures, comme dans le scandale du Mediator®. Un grand
nombre d’experts qui siégeaient à l’A.F.S.S.A.P.S. intervenaient aussi en
leur qualité d’expert pour les laboratoires pharmaceutiques, ce qui
constituait là un conflit d’intérêts majeur. Bien entendu, ces experts ne
faisaient pas étalage de cette double casquette très lucrative. De même,
l’A.F.S.S.A.P.S. est responsable d’une absence totale de réactivité de ses
propres services devant l’afflux de déclarations de complications dans le
cas des prothèses mammaires P.I.P. Ce dysfonctionnement total des
organismes de contrôle et les conséquences humaines et financières qui en
découlent jettent l’opprobre sur notre système de santé qui se veut sans
reproche. Pendant les Trente Glorieuses (1946-1975), les établissements
de soins ont en effet bénéficié d’un développement continu, mais sans
forcément prendre en considération le sentiment de déshumanisation, de
cloisonnement entre les services, de morcellement des tâches dû à une
extrême spécialisation. Et tous les pays européens sont confrontés au
même défi : produire une offre de qualité accessible à tous. La politique de
santé demeure aux mains des gouvernements nationaux. Mais pour que le
système perdure, il leur appartient de prendre les mesures qui s’imposent,
même si elles sont parfois impopulaires au sein du corps médical et chez
les patients.
Les plus optimistes trouveront que le système de santé français, s’il
n’est plus le meilleur du monde, reste extrêmement performant. Pour
l’apprécier à sa juste valeur, nous pouvons reprendre les termes du
président du Haut Conseil de la Santé publique, pour qui la France est
désormais en la matière « un pays moyen, parfois meilleur, parfois moins
bon que ses voisins selon les domaines ». Renforcer la prévention, réguler
le prix des médicaments, séparer décisions publiques et groupes d’intérêt,
sont des impératifs et des pistes d’économies. Notre système de santé est à
la croisée des chemins. Notre médecine était la meilleure du monde, mais
aujourd’hui elle ne l’est plus.

Les dérives du secret médical

Comme le précise l’ordre national des médecins, le respect de la vie


privée et le secret médical sont des droits fondamentaux du patient qui
s’imposent à tous les médecins.
Le secret médical couvre tout ce que connaît le médecin sur le patient
dans l’exercice de sa profession, tout ce que lui a confié son patient, mais
aussi ce qu’il a vu, entendu ou compris. Cette définition est d’ailleurs
exprimée dans une citation du serment d’Hippocrate que se doit de
prononcer tout jeune médecin. Le rôle du secret médical est mis en
exergue quand le médecin déclare : « Admis dans l’intimité des personnes,
je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu à l’intérieur des maisons,
je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à
corrompre les mœurs. » Il est évident qu’il ne peut y avoir de médecine
sans confidences, pas de confidences sans confiance et pas de confiance
sans secret. C’est d’ailleurs ce qu’exprimait magnifiquement le professeur
Louis Portes (président du Conseil national de l’Ordre des médecins), dans
une allocution à l’Académie de médecine en 1950, quand il parlait du
moment de la consultation dans l’intimité du cabinet médical, entre le
patient et son médecin, en indiquant : « C’est la rencontre d’une confiance
(le patient) et d’une conscience (le médecin). »
Le secret médical permet la confiance totale qui doit s’installer entre
vous et votre médecin. Vous devez pouvoir tout dire à votre médecin en
étant assuré que le secret des conversations sera préservé. Pour assurer la
continuité des soins ou déterminer la meilleure prise en charge possible,
les personnels de santé peuvent toutefois avoir besoin d’échanger des
informations sur un patient. C’est ce que l’on appelle le « secret partagé ».
Mais vous pouvez refuser à tout moment que des informations vous
concernant soient communiquées à un ou plusieurs professionnels de
santé. L’article L.1110-4 du Code de la santé publique définit parfaitement
les limites de ce secret partagé. Il est précisé que « tout patient pris en
charge par un professionnel, un réseau de santé ou tout autre organisme
participant à la prévention et aux soins, a droit au respect de sa vie privée
et au secret des informations la concernant ». Par professionnel de santé, il
faut comprendre les professions médicales (médecin, chirurgien-dentiste,
sage-femme), mais aussi paramédicales (infirmiers, kinésithérapeutes,
orthophonistes, ambulanciers, assistants et auxiliaires de service social,
secouristes…). Si le diagnostic ou le pronostic s’avère grave, le médecin
peut transmettre des informations à la famille ou aux proches, et cela dans
le seul intérêt du malade, sauf si celui-ci s’y oppose de manière formelle.
Conformément à la loi du 4 mars 2002, dite « loi Kouchner », les
ayants droit d’un malade décédé peuvent demander des informations aux
professionnels de santé, mais uniquement dans la mesure où celles-ci sont
nécessaires pour connaître les causes de la mort, défendre la mémoire de
la personne décédée ou faire valoir leurs droits. Depuis cette loi, vous
pouvez avoir accès à votre dossier médical, soit en allant vous-même le
consulter, soit en demandant sa transmission à vous-même ou à un
médecin de votre choix. Dans ce dernier cas, vous devez adresser une
lettre recommandée avec accusé de réception au directeur de
l’établissement où les soins ont été prodigués, mais aussi au médecin qui a
pratiqué l’intervention ou qui vous a pris en charge. Vous devez joindre
une copie d’une pièce d’identité et, en cas de décès du patient, la preuve de
votre qualité d’ayant droit (livret de famille ou acte de notoriété établi par
un notaire). Il vous sera alors adressé un devis correspondant aux frais de
duplication des pièces médicales demandées.
La possibilité d’accéder directement à son dossier médical est en soi
une bonne chose, mais elle a entraîné des effets pervers insoupçonnés. Il
n’est pas rare que les médecins constituent deux dossiers médicaux de
façon concomitante. L’exemplaire destiné au patient est alors expurgé de
toute annotation particulière et délesté de certaines pièces médicales.
C’est bien sûr celui-ci qui vous sera transmis. Le dossier complet est gardé
bien à l’abri ; seuls l’interne et le chef de clinique y ont accès. Il n’est pas
rare qu’au cours d’une réunion d’expertise, l’expert médical soit en
possession de ces deux dossiers.
Le médecin du travail ne peut avoir accès à votre dossier médical que
si vous lui avez donné votre accord. Le service de santé au travail n’étant
pas un lieu de soins, le médecin du travail ne peut ni demander, ni diffuser
d’informations. Votre employeur ne peut donc obtenir aucun
renseignement sur votre état de santé auprès de votre médecin du travail.
Fort heureusement !
Le praticien se sent protégé par le secret médical auquel il se réfère
sans cesse. Dans le confort de son cabinet, ne subissant aucun contrôle, le
médecin (généraliste ou spécialiste) décide à la fois du diagnostic, du
traitement et de sa durée, des examens biologiques et examens
complémentaires, des transports en ambulance, du nombre de visites… A
priori, tout cela est pour le bien du malade. Mais il faut savoir que le
praticien est protégé par sa corporation et l’Ordre des médecins est
toujours bienveillant à son encontre, même s’il commet une erreur. En
plus de vingt ans passés à défendre des victimes d’accidents corporels,
nous avons eu l’occasion d’être témoins de situations pour le moins
équivoques de la part de certains Conseils départementaux de l’Ordre des
médecins : pressions sur la victime afin qu’elle retire sa plainte, enquête
sur les faits incriminés à l’impartialité fort discutable, tout est bon pour
tenter de dissuader une victime de continuer ses démarches auprès de la
section disciplinaire. Couvert par le secret médical, le médecin peut
s’affranchir de toute responsabilité économique, sociale et médicale. Dans
son cabinet, véritable cocon protecteur, il est la cible privilégiée des
laboratoires et ses « patients » sont devenus ses « clients ».

Quel avenir pour notre médecine ?

L’O.M.S. (Organisation mondiale de la santé) définit la santé comme


« un état de bien-être physique, mental et social ». La médecine doit
contribuer à entretenir la santé. Mais est-ce toujours le cas à l’heure
actuelle ?

Notre médecine peut-elle encore être humaniste ?

Une médecine « humaniste », et pas seulement humanitaire, serait une


médecine qui s’occuperait des problèmes des individus et mettrait
l’homme au centre de ses préoccupations. Confucius disait : « Le piètre
médecin soigne la maladie, le bon médecin soigne le malade, le grand
médecin soigne la société. » Voilà de belles promesses. De nos jours, sont
réputés bons médecins, efficaces, énergiques, ceux qui ont une importante
clientèle et répondent aux demandes de leurs patients (prescriptions
spécifiques, arrêt de travail…). Mais ils ne vont disposer que de cinq à dix
minutes seulement par patient. Aussi réalisent-ils souvent plus de
cinquante actes par jour. À leur décharge, nous devons reconnaître qu’ils
perçoivent des honoraires anormalement bas, non revalorisés depuis de
nombreuses années, alors que les études qu’ils ont suivies sont longues et
difficiles. Mais peu nombreux sont les praticiens qui prennent encore le
temps d’avoir une approche globale, humaine et humaniste du patient, et
qui ne sont pas de simples machines à prescrire des ordonnances.
Qu’elle semble loin, l’époque où les rapports entre les malades et leur
médecin étaient faits de respect, de confiance, voire même de véritable
vénération, plaçant ainsi le médecin au-dessus de toute critique. Dans les
petites villes, il existait des notables : le maire, le curé, le médecin, le
pharmacien… On allait les voir pour les maux du corps mais aussi pour
ceux de l’âme. Sans oublier la figure du médecin de famille, qui
connaissait les maladies mais aussi et surtout ses patients, leur condition
sociale, leur environnement familial et professionnel, leurs habitudes de
vie, leurs préoccupations. Il était alors plus facile de comprendre l’origine
ou le facteur déclenchant d’une maladie et de participer ainsi de façon plus
humaine à leur médication.
Les praticiens n’ont plus cette formation classique de jadis. Le
médecin de famille devient rare, l’amour du métier se perd. Jusqu’en
1950, on pouvait penser que le diplôme de médecine était un certificat de
bonne moralité ; ce n’est plus vrai aujourd’hui. Le médecin n’est pas au-
dessus de la suspicion légitime. Il existe de très bons médecins, mais aussi
des mauvais, à l’instar de toutes les autres professions. La seule différence
dans le cas de la médecine, et a fortiori de la chirurgie, c’est que le
praticien travaille sur le corps humain et que l’erreur se paie comptant,
tournant en tragédie souvent irréversible.

Aujourd’hui, on se soucie principalement de la dimension scientifique


de la médecine. Nous perdons de vue son humanité. Notre médecine est
entrée depuis longtemps dans l’ère industrielle. De manière concrète, il
faut garder à l’esprit que chacun d’entre nous finance les honoraires des
médecins, les soins, mais aussi les frais de marketing et de développement
de l’industrie pharmaceutique. Cette industrie a donc intérêt à faire
prescrire les spécialités les plus chères, à agir sur le nombre et le volume
de prescriptions des médicaments. Les laboratoires pharmaceutiques vont
se concentrer sur les médecins les plus prescripteurs, à qui des visiteurs
médicaux vanteront les mérites des spécialités les plus rentables. Pour le
professeur Diane Harper, « le profit potentiel pour les actionnaires semble
plus important que l’intérêt sanitaire ». Cette Américaine, professeur de
médecine, a participé aux études sur le Gardasil®, vaccin censé prévenir le
cancer du col de l’utérus, mais sur lequel pèsent de nombreuses
interrogations concernant son efficacité réelle. Autre exemple : le
Sovaldi®, du laboratoire américain Gilead, qui permet d’obtenir la
guérison de plus de 90 % des porteurs d’hépatite C chronique, quelle que
soit la souche du virus. Ce médicament coûte 19 000 euros pour un mois
de traitement. Cela implique malheureusement de faire le tri entre les
patients et de ne retenir que ceux qui présentent un stade avancé de la
maladie, car le traitement de tous les malades coûterait 3 milliards d’euros
à la Sécurité sociale ! Gilead explique ce prix de revient exorbitant par un
coût de recherche important. Toutefois, à la demande du ministère de la
Santé, le laboratoire a baissé le prix de la boîte de comprimés de 24 % le
24 novembre 2014. Le 10 février 2015, l’association Médecins du monde a
attaqué la validité du brevet du Sovaldi®. Il s’agit d’une initiative à suivre
de très près car, sans brevet, le prix du traitement pourrait être réduit à
moins de 300 € au lieu de 40 000…
Les laboratoires pharmaceutiques sont devenus des trusts
internationaux dont la puissance financière est colossale, et qui ont pour la
plupart leur siège social dans des pays au régime fiscal plutôt favorable.
Ils n’hésitent pas à utiliser des méthodes contestables (effets secondaires
non déclarés, études incomplètes et même parfois mensongères) pour
obtenir le plus vite possible une mise sur le marché de leur produit. Ainsi,
le laboratoire américain Merck, qui produit le Victrelis® pour le
traitement de l’hépatite C, en est venu à licencier son directeur des affaires
médicales. Ce médecin avait osé dénoncer un conflit d’intérêts manifeste
dans l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché de ce
médicament. Un médecin hépatologue parisien renommé était en effet
accusé d’être à la fois expert auprès de l’Agence nationale du médicament
et rémunéré par Merck pour faire la promotion du Victrelis® (certes
efficace, mais coûteux).
Notre mode de protection sociale contribue aussi à cette dérive
industrielle. L’industrie pharmaceutique orchestre tout et les malades sont
pris en otage. Les procès en réparation contre les laboratoires
n’aboutissent que difficilement et après de nombreuses années de
procédure (talc Morhange®, hormones de croissance et plus récemment
Vioxx®, Isoméride® ou Mediator®). Comment espérer qu’une médecine
confiant ses diagnostics cliniques à la technologie, et ses traitements à une
industrie toute-puissante, puisse répondre de façon adaptée à la pathologie
et à la souffrance humaine ?

Un autre signe de l’industrialisation de notre médecine est son


automatisation de plus en plus importante. Informatique, robotisation, la
médecine bénéficie en effet en permanence de nombreuses avancées
technologiques qui, dans l’ensemble, lui ont été et lui seront bénéfiques.
L’informatique a fait son entrée dans les cabinets médicaux et les
établissements hospitaliers. Dans les hôpitaux, les médecins consignent
désormais toutes les informations concernant les patients dans un dossier
d’hospitalisation numérique. L’abandon des dossiers papier a été
fastidieux, mais aujourd’hui le dispositif fonctionne. En milieu libéral, les
médecins doivent tenir une « fiche d’observation » qui correspond à un
dossier professionnel informatisé pour chacun de leurs patients. Votre
médecin peut donc se servir de son ordinateur pour consulter le dossier
qu’il a constitué pour vous et qu’il complète à chacune de vos visites. Il
accède à de nombreuses fonctions, comme celle concernant les contre-
indications et les interactions entre les médicaments. Ainsi, en un seul
clic, il vérifie si votre nouveau traitement comporte un risque ou non.
Il faut savoir que chaque patient peut disposer d’un dossier médical
personnel (D.M.P.), qui est un carnet de santé informatisé et sécurisé,
accessible sur Internet. À l’occasion d’une consultation ou de votre
admission dans un établissement de soins, le professionnel de santé pourra
créer votre D.M.P. Les informations qu’il contient sont personnelles et
confidentielles, et relèvent du secret professionnel. Le D.M.P. ne peut être
créé qu’avec votre accord, et les professionnels de santé ne peuvent y
accéder sans votre autorisation. Il peut contenir vos comptes rendus
d’hospitalisation et d’intervention, vos documents radiologiques, vos
résultats d’analyses biologiques, vos antécédents et allergies, les actes
importants réalisés et les médicaments que vous prenez. Vous
comprendrez qu’un tel dossier permet d’éviter la répétition d’examens
radiologiques et biologiques coûteux si vous consultez plusieurs
praticiens, et qu’il revêt une importance capitale pour votre prise en
charge en cas d’urgence, pouvant même vous sauver la vie (en cas
d’allergie grave par exemple).
L’informatique a aussi contribué à la vulgarisation de la médecine et
des termes médicaux. Certains sites Internet bien réalisés sont en mesure
de donner des réponses à quelques-unes de vos préoccupations (de
nombreuses personnes ont d’ailleurs aujourd’hui le réflexe de consulter
Internet à la recherche d’une solution d’automédication pour le moindre
petit bobo). Rappelons néanmoins que la plus grande vigilance est de mise
et qu’il ne faut pas croire tout ce qui peut circuler sur le web. Aux États-
Unis, Google propose même des consultations virtuelles sur le Web. Ce
système permet de mettre en relation des patients avec des médecins, par
l’intermédiaire d’une webcam. Les médecins sont sélectionnés en fonction
de vos symptômes et un spécialiste vous sera attribué si vous avez des
douleurs particulières. Cet outil ne peut toutefois avoir qu’un but
consultatif et ne remplacera jamais une vraie consultation, ni l’examen
clinique, ni ce rapport privilégié entre le médecin et son patient que l’on
appelle le colloque singulier. L’informatique autorise aussi des
visioconférences entre praticiens géographiquement éloignés, la
transmission de données (comme par exemple les images radiologiques) et
même des interventions chirurgicales en direct.
Malgré ce tableau prometteur, il est impératif que les utilisateurs de
ces données informatiques et des logiciels existants possèdent une parfaite
maîtrise de leur application. Nous avons rencontré, dans un établissement
de la région parisienne, un cas de décès d’une personne allergique à la
pénicilline. Une mention « allergie à la pénicilline » était pourtant portée à
de nombreuses reprises dans son dossier, mais, au moment de la
prescription fatale, le professionnel de santé ne savait pas qu’il devait
interroger son ordinateur sur les contre-indications du patient. De même,
une erreur d’interprétation d’un logiciel de radiothérapie a entraîné la
surirradiation de plus de 450 malades et le décès de douze patients au
centre hospitalier d’Épinal entre 2001 et 2006. L’irradiation devait être
localisée pour traiter des cancers de la prostate, mais, suite à une mauvaise
manipulation induite par la méconnaissance d’un logiciel, le
radiophysicien et deux radiothérapeutes ont surirradié des centaines de
patients, entraînant des brûlures très profondes. Ces trois médecins ont été
condamnés en première instance à quatre ans (trois pour le radiophysicien)
de prison dont dix-huit mois fermes et à une interdiction d’exercer la
médecine. La procédure en appel s’est tenue en novembre et
décembre 2014 à Paris. Le 8 juillet 2015, la cour d’appel de Paris a
confirmé la culpabilité des trois praticiens condamnés en première
instance, mais a réduit leur peine à trois ans de prison avec sursis tout en
confirmant leur interdiction définitive de pratiquer. La technologie, aussi
performante soit-elle, a ses limites et il ne faut jamais oublier que derrière
les machines, nous avons besoin d’hommes attentifs et compétents.
L’informatisation a aussi permis le développement de la santé mobile,
ou « m-santé », qui connaît un grand engouement auprès des investisseurs
et des sociétés informatiques innovantes. Pour l’Organisation mondiale de
la santé, « la m-santé est la fourniture de services de santé ou
d’informations liées à la santé via les technologies mobiles (tablettes,
smartphones, capteurs divers…). C’est donc l’utilisation d’appareils
mobiles et sans fil pour améliorer l’état sanitaire, les services de santé et
la recherche en santé ». Depuis plusieurs mois apparaissent sur le marché
des bracelets connectés disposant de capteurs de mouvement ou de rythme
cardiaque… Certains cabinets financiers prédisent un grand avenir à cette
nouvelle forme de médecine et estiment à plusieurs dizaines de milliards
d’euros ses retombées économiques. Ils citent en particulier les
applications ciblant les maladies chroniques fréquentes comme le diabète,
l’insuffisance respiratoire ou les maladies cardiovasculaires. Ainsi, il est
maintenant possible d’enregistrer les faits et gestes d’une personne à son
domicile (poids, positions, déplacements) par l’intermédiaire
d’équipements spécifiques. Par exemple, le laboratoire Sanofi
commercialise un « glycomètre connecté », c’est-à-dire un appareil
capable d’analyser la glycémie (le taux de sucre dans le sang) en ligne, ce
qui représente une avancée considérable pour les diabétiques. Ces
bracelets sont souvent bon marché, il est aisé de s’en procurer pour moins
de 50 euros. Ils contiennent des capteurs de mouvement, de température et
mesurent le rythme cardiaque ou le nombre de calories brûlées. Ils laissent
même des messages sur le nombre de pas que vous avez effectués dans la
journée, ou la qualité de votre sommeil. L’avenir nous dira si ces
différents gadgets dédiés au bien-être ne sont que des phénomènes de
mode. Mais il faut convenir que certaines de ces applications pourraient
permettre des avancées significatives dans le domaine de la santé, pour la
prévention et la surveillance de nombreuses maladies.
Malheureusement, ces appareils intéressent aussi les mutuelles de
santé, les laboratoires et les assureurs. Un nouveau danger se pose : celui
de la protection des données. En effet, collecter des données pour les
monnayer ensuite est très tentant pour les fabricants d’objets connectés ou
les développeurs d’applications. Certes, il ne s’agit que d’informations
concernant le bien-être et non le domaine médical à proprement parler,
mais le pas peut vite être franchi par de grandes entreprises telles que
Apple, Google ou Facebook, connues pour « fouiller » dans les données
personnelles de leurs utilisateurs.

La robotique fait désormais partie de notre médecine. Force est de


constater que dans de nombreux domaines médicaux, de la radiologie à la
chirurgie en passant par le handicap et la formation des professionnels de
santé, la robotisation a engendré des avancées considérables. Un des
problèmes majeurs pour les médecins est de parvenir à localiser la
maladie du patient. Grâce aux systèmes de guidage des robots, on réussit
aujourd’hui à visualiser l’organisme humain de différentes manières. Nous
pensons bien sûr en premier lieu à l’I.R.M., technique radiologique qui
utilise un champ magnétique pour obtenir des images. C’est un examen
médical indolore, dont le seul inconvénient réside dans le fait que le
patient est examiné dans une sorte de tunnel, situation difficile à gérer
pour les claustrophobes. Notons qu’une I.R.M. ouverte, plus agréable pour
les patients, est toutefois en service depuis peu. Autre avancée
spectaculaire : la réalité virtuelle a fait son entrée dans les blocs
opératoires. Un chirurgien peut préparer son opération en étudiant
l’anatomie de son patient reconstituée en trois dimensions à l’aide des
images prises par un scanner ou par I.R.M. Tous les éléments de
l’organisme y figurent en transparence et sont colorés pour mieux les
distinguer. Cette technologie permet de réaliser une chirurgie « ciblée »
grâce à la localisation précise des lésions et des tumeurs, mais aussi de
déterminer la meilleure stratégie opératoire. Ces images peuvent aussi être
exploitées pendant l’intervention. Dans les blocs opératoires de pointe, les
images en 3D sont superposées et combinées avec des images réelles
prises par un système robotisé qui scanne le corps du malade, ou par une
mini-caméra introduite dans son corps. Elles sont diffusées sur un
moniteur et guident le chirurgien. L’opération est plus rapide et présente
moins de risque d’erreurs et de complications.
Les robots semblent promis à un grand avenir dans le monde médical.
Les « robots chirurgiens » sont une réalité, le « robot infirmier » et ceux
qui corrigent un handicap sont en expérimentation. Rassurez-vous, ils
n’opèrent pas encore tout seuls. Cependant, ils permettent des gestes
opératoires précis et donc moins de suites opératoires pour les patients,
avec des risques infectieux moindres. Cette chirurgie est peu invasive, car
elle limite la taille de l’incision et donc la durée d’hospitalisation. La
robotique médicale est déjà utilisée pour les interventions de chirurgie
thoracique et viscérale. Le « robot chirurgien » permet d’opérer à distance,
soit dans la même pièce avec une machine comme intermédiaire, soit
depuis un endroit éloigné. Le chirurgien commande les gestes qui sont
effectués par la machine et dispose de la vision du champ opératoire sur
son écran. Même si les mains du chirurgien ne sont pas en contact direct
avec le corps du patient, le robot est en quelque sorte leur continuation ;
une sensation tactile est d’ailleurs transmise par la machine. Bien sûr, le
robot ne peut pas prendre seul une quelconque décision ni remplacer une
intervention humaine. Les robots d’opération à distance les plus connus se
nomment Da Vinci et Zeus. Certains prétendent que le résultat obtenu ne
serait pas toujours aussi bon que par une intervention manuelle. Mais ce
qui importe surtout, ce n’est pas la performance du robot, c’est la
compétence du chirurgien qui l’utilise. Les promesses de la robotisation
sont aussi très nombreuses dans le domaine du handicap, et des avancées
fréquentes nous laissent entrevoir des possibilités inespérées. Les robots
peuvent déjà remplacer un bras ou une jambe amputés, devraient
permettre à des personnes paraplégiques de marcher à nouveau, ou pallier
des handicaps encore plus dramatiques.
Il existe aussi des robots qui facilitent le perfectionnement des
étudiants en médecine et en chirurgie dentaire. Ces « robots patients »
réagissent comme de véritables patients, en émettant des gémissements,
en bougeant les bras en cas de douleur et même en communiquant grâce à
un procédé de synthèse vocale. Un « hôpital virtuel », créé à Nancy,
comprend des salles d’intervention et des salles de travaux pratiques où
les étudiants réalisent des interventions chirurgicales, des points de suture
ou des soins dentaires sur des robots reproduisant les caractéristiques du
corps humain. Depuis quelque temps, la faculté de médecine de Bordeaux
dispose de deux mannequins enrichis de technologie, un adulte (prénommé
Raymond) et un enfant. Ainsi, des praticiens déjà confirmés, comme des
anesthésistes réanimateurs ou des chirurgiens, mais aussi les internes,
perfectionnent leurs connaissances pratiques. Réalistes et réactifs, ils
permettent aux internes d’apprendre et de répéter les bons gestes
techniques et d’être confrontés à des cas précis, proches de la réalité, afin
de prendre de bonnes décisions et d’appliquer les protocoles appris en
cours. Pour éviter les risques d’erreurs dans la distribution de
médicaments (responsables de 9 000 à 12 000 décès par an), le centre
hospitalier d’Aulnay-sous-Bois a équipé ses services d’armoires
robotisées et de chariots de distribution de médicaments mobiles
informatisés. Les ordonnances sont automatiquement enregistrées sur
l’armoire de stockage robotisée du service, et seuls les tiroirs
correspondant aux médicaments prescrits peuvent s’ouvrir. Grâce à cette
technique, le nombre d’erreurs dans la délivrance des médicaments a
diminué de 90 %.

Dans l’avenir, rien ne nous empêchera d’utiliser les robots pour


apporter du soutien aux personnes âgées ou pour augmenter
l’intercommunication avec des enfants autistes ou handicapés. Lorsqu’un
robot ressemble à un être humain, on l’appelle « humanoïde », et s’il a en
plus un visage humain, il s’agit alors d’un « androïde ». Au Japon, un
robot humanoïde dénommé Pepper parle dix-neuf langues, parvient à
reconnaître les visages et à lire les émotions (froncements de sourcils,
sourires). Utilisé dans les magasins, il a augmenté la fréquentation de
50 %. Des robots du même modèle que Pepper vont bientôt faire leur
apparition dans la vie quotidienne des Japonais et ont déjà été
précommandés par 10 000 personnes. Dans la même veine, le professeur
Hisi Gouro, responsable du département robotique de la faculté d’Osaka, a
créé un robot androïde à son effigie ; ce robot peut donner des cours à sa
place.
L’introduction des robots dans le monde médical est donc pleine de
promesses pour l’avenir. Cependant, il ne faudra jamais oublier que
derrière les robots se trouvent des hommes, avec leurs compétences, leur
savoir, mais aussi leurs faiblesses et leurs défauts. Les médecins devront
toujours garder à l’esprit deux principes fondamentaux. Tout d’abord,
comme l’écrivait Hippocrate dans son Traité des épidémies, « Primum non
nocere » (« Avant tout, ne pas nuire »). Et ensuite, replacer le patient au
centre des préoccupations, non comme un simple porteur de symptômes
d’une maladie, mais comme un être humain qui doit être examiné sur le
plan organique, fonctionnel et psychique.
Remettre un peu d’humanité dans notre médecine, certes industrielle et
robotisée, mais aussi riche d’avenir, est un enjeu majeur pour demain. Il
suffit de penser au cœur artificiel développé par la société Carmat, aux
greffes de mains, au test sanguin de dépistage précoce du cancer du
poumon, à la reconstruction de la moelle épinière par transplantation de
cellules nerveuses du nez… Des chercheurs américains et sud-coréens ont
même réussi à fabriquer une véritable « peau artificielle » présentant une
élasticité et une sensibilité comparables à l’épiderme humain. Cette peau
artificielle se rétracte et s’étend selon les mouvements et contient des
capteurs détectant la pression, la température et l’étirement. Ce nouveau
type de peau serait à même dans le futur de recouvrir les prothèses. Plus
fou encore, le neurochirurgien Sergio Canavero, de l’université de Turin,
prétend être capable de réussir à greffer une tête humaine sur un autre
corps, sans risque de paralysie ou de décès. Pour cette intervention, qu’il
pense parvenir à réaliser dans un délai de deux ans, il aura besoin de plus
de 100 chirurgiens, anesthésistes, techniciens et infirmières, et il évalue le
coût d’une transplantation de tête à 10 millions d’euros…
Il convient toutefois d’être d’une extrême prudence, car en voulant
ainsi repousser les limites de la science, et à force de bafouer la morale et
l’éthique médicale, le risque de ne plus rien maîtriser existe…

Les actions de groupe sont-elles


bénéfiques ou illusoires ?

Inspirés par nos voisins américains, les différents gouvernements


français ont tous souhaité introduire la procédure d’action de groupe dans
notre droit, dans un souci de renforcer les pouvoirs du consommateur. Le
droit américain autorise des cabinets d’avocats capables de supporter le
coût financier d’une telle procédure, à prendre l’initiative d’une telle
action dès qu’ils ont connaissance d’un dommage de masse, et à constituer
leur groupe par la publicité. Leurs honoraires sont ainsi calculés en
pourcentage sur les résultats de l’action. Les personnes concernées sont
toutes les victimes potentielles, même si elles n’ont pas manifesté leur
volonté d’intervenir. L’objectif du gouvernement français est d’inciter les
consommateurs à agir lorsque les préjudices subis individuellement sont
d’un montant peu élevé mais les plaignants nombreux. Ainsi, la loi du
17 mars 2014, dite « loi Hamon », a introduit cette procédure dans notre
système judiciaire. Malheureusement, cette loi est destinée à s’appliquer
dans le domaine commercial, et les contentieux médicaux en sont exclus
de prime abord. C’est ainsi que les premières actions de groupe ont été
mises en place à l’encontre des banques ou des opérateurs de téléphonie.

La loi de Santé 2015, discutée devant le Parlement en janvier 2015 et


adoptée en deuxième lecture le 14 décembre 2015, envisage enfin la
procédure d’action de groupe dans le domaine de la santé. La difficulté est
de déterminer les préjudices susceptibles d’être réparés dans une telle
action. En effet, il est aisé de chiffrer un préjudice dit « patrimonial », en
raison de l’existence d’une facture (de réparation ou de travaux, par
exemple). Mais dans le domaine médical, la plupart des préjudices ne se
réparent pas. Ils s’évaluent de manière médico-légale, et on parlera alors
de préjudices « extrapatrimoniaux » (préjudice moral, souffrances
endurées…). L’action de groupe pourrait être salvatrice, notamment pour
les victimes de produits de santé. Car ces derniers ont été à la source de
scandales générant des dommages sériels, affectant les consommateurs de
manière similaire. Le recours aux Commissions de conciliation et
d’indemnisation (C.C.I., instituées par la loi du 4 mars 2002) s’est révélé
peu adapté à ces dommages causés par la défectuosité ou la mauvaise
utilisation de produits de santé. Peu de dossiers concernant un médicament
ont été déposés devant les C.C.I., les victimes préférant engager
directement une procédure judiciaire (par exemple dans le cas du
Mediator®, des prothèses P.I.P. ou des pilules de troisième et quatrième
génération). Au fil des années et des scandales sanitaires, l’État a aussi
décidé, de manière opportune, de mettre en place des fonds
d’indemnisation autonomes pour la prise en charge de victimes
déterminées. On peut citer le Fonds d’indemnisation des transfusés et des
hémophiles (F.I.T.H., pour les victimes du sida) ou le Fonds
d’indemnisation des victimes du Mediator®, sous l’égide de l’Office
national d’indemnisation des accidents médicaux (O.N.I.A.M.).
Néanmoins, la mise en place d’une action de groupe dans le domaine de la
santé et du dommage corporel va permettre de poursuivre l’évolution
indemnitaire induite par les juridictions et les gouvernants depuis
plusieurs années.
L’esprit de l’article 45 de la loi de Santé 2015 est proche des
dispositions mises en place dans le cadre du droit de la consommation.
Une association d’usagers du système de santé agréée aura la faculté
d’engager une procédure pour faire reconnaître la responsabilité d’un
produit de santé dans la survenue de dommages sériels. L’objectif est de
mutualiser les coûts liés à une procédure souvent lourde sur le plan
financier pour les victimes qui agissent de manière individuelle. Une fois
l’action engagée, une phase de jugement sur la responsabilité conduirait à
la reconnaissance de l’existence du manquement et définirait le groupe des
victimes qui seraient susceptibles de demander réparation des dommages
subis. À ce stade, le magistrat serait en mesure de définir les critères liés
aux dommages présentés par le groupe, compte tenu des caractéristiques
du produit en cause.
De même, le magistrat pourrait, sur demande, désigner un médiateur
pour trouver une solution amiable afin d’accélérer le processus
d’indemnisation et d’envisager la réparation individuelle des préjudices en
cas d’échec de la médiation. S’agissant d’un dommage corporel, une
évaluation individuelle serait réalisée pour tenir compte de l’étendue des
préjudices présentés par chaque victime. Dans le délai fixé par le juge,
chaque personne remplissant les critères déterminés pourrait adhérer au
groupe, soit en saisissant le responsable de ses dommages d’une demande
d’indemnisation fondée sur le premier jugement, soit en donnant mandat à
l’association qui a introduit l’action en première phase. Cette procédure ne
concernera que les dommages résultant de manquements survenus
postérieurement à la date d’entrée en vigueur prévue de la loi ou, s’il
s’agit de manquements « continus », qui n’ont pas encore cessé à cette
date.
Certaines critiques s’élèvent contre ce projet. Les professionnels du
droit s’inquiètent d’une prise de pouvoir par les associations de
consommateurs, dans un domaine où la technicité des principes de
responsabilité, mais aussi de l’évaluation des préjudices, nécessitent des
connaissances avérées. L’objectif premier de ce dispositif était d’éviter les
abus du système américain dans la médiatisation d’actions. Or, les actions
menées par des associations dans le domaine du droit de la consommation
ont été réalisées et annoncées par le biais de communiqués de presse et de
plans médias parfaitement préparés. Il serait regrettable que les victimes
d’un produit de santé passent au second plan. Cependant, il faut bien
reconnaître que seule la publicité de la démarche entreprise par les
associations ou d’un jugement obtenu permettra à l’ensemble des victimes
concernées d’être informées et de se manifester.
Derrière ces inquiétudes légitimes, il est important de relever que la
mutualisation des coûts d’une procédure dans la responsabilité médicale
n’est pas négligeable. En droit français, il convient au demandeur
d’apporter la preuve de son dommage et de la défectuosité du produit mis
en cause. La possibilité pour les victimes de se regrouper leur évitera
d’avancer des sommes importantes pour faire valoir leurs droits, car ce
sont les associations de victimes qui assumeront les frais de la procédure
mettant en cause la responsabilité du fabricant du produit incriminé.
Cependant, il sera impératif de respecter le principe de la réparation
intégrale, qui est en France un principe fondamental. Une expertise
médicale sera indispensable afin d’évaluer les différents préjudices pour
chacune des personnes concernées. Les dommages causés aux victimes
dans le domaine de la santé sont souvent très différents d’un patient à
l’autre. La réparation ne sera jamais la même pour tous. Donc, si le
nombre des victimes est conséquent (comme cela est actuellement le cas
pour les victimes du Mediator® et des prothèses mammaires P.I.P.), le
temps de réalisation de ces expertises médicales ne sera pas réduit et
s’étalera si nécessaire sur plusieurs années.
Un autre problème reste inquiétant. Au début de la procédure, le
laboratoire mis en cause ne connaît pas le nombre de personnes
susceptibles de réclamer une indemnisation, et ne pourra donc pas
transiger. Pourtant, c’est un des grands principes des actions de groupe
américaines, repris dans la loi de 2015. L’approche du dossier par les
différents protagonistes sera ainsi différente selon qu’il concerne 1 000 ou
10 000 personnes. Pour donner un exemple récent, dans le cas du
Mediator®, des négociations secrètes se sont tenues entre les avocats de
trois associations de victimes et ceux des laboratoires Servier pour mettre
en place un protocole d’accord collectif et systématique. La négociation a
échoué, le laboratoire Servier voulant limiter l’indemnisation aux seules
victimes qui avaient engagé une procédure, alors que les associations
voulaient inclure les milliers de dossiers de victimes qu’elles détenaient.
De plus, gardons à l’esprit que la société mise en cause, la plupart du
temps un laboratoire, ne se laissera pas condamner facilement. L’action de
groupe n’accélérera sans doute pas les procès et la problématique de la
responsabilité du fabricant, très complexe à déterminer dans le cas d’un
produit de santé, reste entière. Par ailleurs, derrière les laboratoires se
trouvent toujours des compagnies d’assurances qui feront tout pour éviter
de payer, ou en retarder l’échéance. Toutefois, reconnaissons que ces
nouvelles actions de groupe dans le domaine de la santé, bien qu’éloignées
du modèle des class actions américaines, ont au moins le mérite d’exister.

Les médicaments génériques sont-ils


réellement efficaces ?

Un médicament générique est produit à partir d’un médicament dont le


brevet est tombé dans le domaine public. Contrairement aux idées reçues,
un médicament générique n’est pas la copie conforme du
médicament référent, appelé « princeps ». Le principe actif est le même,
mais la forme (gélules, comprimés, poudre, sirop) et les excipients
(diluants, conservateurs ou colorants) peuvent différer et avoir des effets
néfastes sur certains patients. Le médicament générique est aussi en
général moins cher que le princeps. Il existe trois catégories de
médicaments génériques :
La vraie copie, ou « autogénérique », dans laquelle on va retrouver la
même molécule active, avec le même dosage, la même apparence et
les mêmes excipients.
Les médicaments similaires, qui contiennent le même principe actif
avec le même dosage, la même forme que le médicament original,
mais dont les excipients sont différents.
Les médicaments assimilables, dont le principe actif se présente sous
une autre forme chimique que celle du médicament de marque, tout en
ayant le même dosage.
Les médicaments génériques portent le nom de la molécule active,
suivi le plus souvent du nom du laboratoire qui les fabrique. Ces
différences perturbent en général les consommateurs et sèment le doute
sur la fiabilité des génériques. Alors, qu’en est-il ?
Pour avoir l’autorisation de fabriquer un médicament générique, le
laboratoire doit démontrer qu’après sa prise, les quantités de la molécule
active retrouvées dans le sang et l’organisme sont identiques à celles
retrouvées après l’absorption du médicament original, avec une marge
autorisée de plus ou moins 7 à 8 % ; c’est ce qu’on appelle la
biodisponibilité. Il peut exister une différence de quantité de molécule
active contenue dans le médicament générique et celui de marque. C’est
pourquoi de nombreux spécialistes, comme les cardiologues et les
infectiologues, sont réticents envers les génériques.
De même, dans les traitements qui exigent des dosages de grande
précision (diabète, hypothyroïdie, hypertension artérielle ou épilepsie), il
est difficile d’équilibrer les paramètres biologiques avec les génériques
dont la quantité de molécule active est variable en fonction des
laboratoires qui les fabriquent. Certains scientifiques émettent l’hypothèse
que la différence d’efficacité entre le générique et le médicament princeps
ne viendrait pas du principe actif mais des excipients qui n’auraient pas le
même degré d’absorption au niveau de la muqueuse intestinale.
Par ailleurs, nous avons vu que les médicaments génériques présentent
parfois des formes, des couleurs et des goûts différents des médicaments
de marque. Ainsi, les troubles que peuvent rencontrer certaines personnes
habituées depuis des années à leur médicament ne sont pas étonnants. Il
s’agit souvent de confusions, de mauvais suivis et même d’un arrêt total
de la prise des génériques. La confusion est encore plus grande quand le
pharmacien change de médicament générique au gré de ses arrivages, de
ses préférences ou de ses intérêts financiers. Tout cela est donc
préjudiciable au patient et le met en danger.

Alors, les médicaments génériques sont-ils plus dangereux que les


princeps, simplement moins efficaces ou parfaitement équivalents ? C’est
l’une des questions que l’on se pose tous. Pour le ministère de la Santé, il
n’y a pas de place pour le doute : les génériques et les médicaments
princeps sont identiques. Précisons néanmoins que la Sécurité sociale y
trouve son compte puisqu’elle a réalisé grâce à eux une économie de
8 milliards d’euros en dix ans. Aujourd’hui, compte tenu de son déficit
grandissant, la raison économique seule justifie malheureusement le
remplacement systématique d’un médicament. Pourtant, un nombre non
négligeable de patients trouve les médicaments génériques moins
efficaces, plus difficiles à prendre et causant davantage d’effets
secondaires. Le changement des excipients est susceptible de causer des
effets secondaires de type allergique, qui n’existent pas avec le
médicament de marque (allergies au gluten, irritations oculaires ou
manifestations cutanées). Ce risque d’allergie est reconnu par les
laboratoires qui produisent les génériques. Pour preuve, le plus important
fabricant de médicaments génériques, le laboratoire Mylan, précise dans
une de ses campagnes publicitaires qu’il « s’engage à choisir les
excipients qui limitent les intolérances ». Pourtant, l’Agence du
médicament, statistiques en main, affirme qu’il n’existe pas davantage
d’effets secondaires avec les médicaments génériques qu’avec ceux de
marque. L’explication est simple : il est très difficile, voire impossible, de
faire une déclaration d’effets indésirables auprès de l’Agence du
médicament, car le médecin ne connaît pas forcément le nom du générique
que le pharmacien a vendu à son patient. Et les patients ne conservent pas
les boîtes. Des médecins généralistes, mais aussi des neurologues, des
diabétologues, des endocrinologues, des spécialistes, des professeurs ou
des chefs de service s’interrogent sur le « tout générique » du
gouvernement. D’un mois à l’autre, d’une pharmacie à l’autre, les
médicaments génériques diffèrent et ce sont des dizaines de milliers de
patients, consommateurs « aveugles », qui sont concernés.

Le pharmacien est la clé de voûte du système des médicaments


génériques. Et là encore, plusieurs dérives sont à déplorer. En effet, ce
n’est pas le médecin généraliste qui prescrit les génériques, comme il est
d’usage dans d’autres pays européens, notamment l’Allemagne, mais c’est
le pharmacien qui l’impose. Le médecin oublie souvent, sciemment ou par
mégarde, d’inscrire sur l’ordonnance la mention manuscrite « non
substituable » devant le nom du médicament de marque. Le patient se voit
alors remettre de la part du pharmacien un générique. Parfois, le
pharmacien s’affranchit même de la mention « non substituable » en
prétextant que le médicament princeps est en rupture de stock. En toute
logique, il va choisir le générique qui lui rapporte le plus, en fonction des
accords passés avec les principaux laboratoires fabriquant des génériques
(Mylan, Teva, Biogaran…). Les marges des pharmaciens sont plus
importantes quand ils vendent des génériques. Ce système commence
toutefois à changer, car leurs honoraires seront bientôt calculés par boîte
vendue et non plus en fonction du prix. Pour tenter d’imposer leurs
produits, les laboratoires « génériqueurs » font même bénéficier les
pharmacies de boîtes gratuites ou de ristournes financières en fin d’année.
La Sécurité sociale et les autorités sanitaires ne font pas preuve d’une
transparence totale dans le domaine des médicaments génériques. Certes,
la lutte contre le déficit chronique de la Sécurité sociale est essentiel, bien
que d’autres pistes, plus lucratives que la prescription de médicaments
génériques, puissent être exploitées (fraude aux arrêts de travail et aux
allocations familiales par exemple). Le développement des génériques
permettra certainement de réaliser des économies substantielles d’ici
quelques années, mais cela ne suffira pas à combler le « trou » de la
Sécurité sociale. Mais parfois, dans certaines situations, il est impossible
de privilégier les génériques. Par exemple, si le médecin prescrit du
Doliprane®, le pharmacien ne peut pas délivrer du paracétamol à la place,
dans la mesure où celui-ci ne fait toujours pas partie du répertoire des
génériques. Cela est d’autant plus regrettable que le Doliprane® est le
quatrième médicament le plus remboursé en France et représente une
dépense annuelle de plus de 300 millions d’euros pour la Sécurité sociale.

Quant aux laboratoires pharmaceutiques, leur attitude est pour le


moins critiquable. Par exemple, le nom de Biogaran, célèbre laboratoire
producteur de médicaments génériques, a une notoriété croissante parmi la
population. De même, Servier est un laboratoire connu, notamment en
raison du scandale du Mediator®. Pourquoi citer ici ces deux
laboratoires ? Tout simplement parce que Biogaran appartient à Servier !
Monsieur Jacques Servier a eu l’idée d’anticiper l’arrivée des génériques.
Ou disons plutôt qu’il a été bien informé au niveau ministériel. En effet,
monsieur Servier a créé Biogaran, filiale de Servier, en 1996, l’année
même où le générique a reçu sa définition légale en France. Ainsi,
Biogaran serait en mesure de prendre de vitesse les autres laboratoires et
d’inonder le marché de génériques dès que les médicaments princeps ne
seraient plus protégés par leurs brevets. Biogaran commercialise plus de
700 médicaments génériques et vend plus de 20 millions de boîtes de
génériques par mois. Le slogan de Biogaran est : « Votre santé nous est
précieuse. » On peut se permettre d’en douter quand on connaît le nombre
de victimes et de décès induits par le Mediator®, autre médicament du
laboratoire Servier.
Certains laboratoires contestent de manière officielle les génériques
pour favoriser la vente de leurs propres spécialités. Ainsi, l’Autorité de la
concurrence a récolté un montant cumulé de 55,9 millions d’euros grâce
aux amendes infligées aux laboratoires Sanofi et Schering-Plough pour
« dénigrement des génériques ». Il aurait pourtant fallu avant tout
sensibiliser les patients quant à l’intérêt d’utiliser les génériques, sans les
imposer comme une sorte de sanction. C’est aux médecins de prescrire les
génériques et non aux pharmaciens de les ordonner, mais il faut
reconnaître que la loi les y contraint. Le choix final devrait revenir au
patient : soit celui-ci accepte de payer son ordonnance et exige des
médicaments de marque, soit il souhaite bénéficier du tiers-payant et il
accepte les génériques. Malheureusement, prenons garde, car les dernières
nouvelles ne sont pas rassurantes. 25 médicaments génériques, comme le
célèbre Ibuprofène, viennent d’être retirés du marché en France, mais
aussi en Allemagne, en Belgique et au Luxembourg. Ils ne sont, soi-disant,
pas dangereux, mais les essais cliniques obligatoires ont été réalisés en
Inde et les laboratoires indiens ont modifié certaines données, en
particulier au niveau des électrocardiogrammes. Voilà un nouvel élément
qui renforce la suspicion à l’encontre des médicaments génériques.

Soyons des lanceurs d’alerte !

Erin Brockovich, Edward Snowden, Hervé Falciani… Autant de noms


célèbres à l’origine de la divulgation de scandales retentissants. Tous sont
des « lanceurs d’alerte ». L’expression a été employée pour la première
fois en 1996 par deux sociologues, Didier Torny et Francis
Chateauraynaud. Ils la définissent ainsi : « une personne ou un groupe qui
estime avoir découvert des éléments qu’il considère menaçants pour
l’homme, la société, l’économie ou l’environnement et qui, de manière
désintéressée, décide de les porter à la connaissance d’instances
officielles, d’associations ou de médias, parfois contre l’avis de sa
hiérarchie ». Ils se sont basés sur trois exemples de risques (la vache folle,
le nucléaire et l’amiante) pour expliquer cette nouvelle notion, qui a été
ensuite vulgarisée par André Cicolella, chercheur en santé
environnementale à l’Institut national de l’environnement industriel et des
risques. Ce dernier avait été licencié pour avoir rédigé une publication sur
les risques de l’éther de glycol. À la différence du délateur, dont le but est
de nuire, le lanceur d’alerte est de bonne foi et animé de bonnes intentions.
Il souhaite divulguer un état de fait dont il a connaissance et qu’il estime
potentiellement dommageable pour la société. Depuis les années 1990,
plusieurs personnes ont lancé des alertes et se sont exposées à des
poursuites émanant de leurs employeurs ou d’autres acteurs. Devant cette
menace latente, des mouvements associatifs ou politiques ont demandé la
protection des lanceurs d’alerte sur le plan législatif. En 2007, le Grenelle
de l’environnement a proposé une protection juridique des lanceurs
d’alerte. Le 4 avril 2013, l’Assemblée nationale a adopté une loi les
protégeant dans le domaine des risques sanitaires et environnementaux. La
nouvelle définition adoptée par les députés indique que « toute personne
physique ou morale a le droit de rendre publique ou de diffuser, de bonne
foi, une information concernant un fait, une donnée ou une action, dès lors
que la méconnaissance de ce fait, de cette donnée ou de cette action lui
paraît faire peser un risque grave sur la santé ou sur l’environnement ».
Dans le domaine de la santé, il est difficile de reprocher au patient
d’avoir failli à son devoir de lanceur d’alerte. Dans la plupart des cas, ce
sont les médecins généralistes ou spécialistes, les chirurgiens, les
directeurs d’hôpitaux ou de cliniques qui portent une lourde
responsabilité. Mais soyez néanmoins dans la mesure du possible des
acteurs vigilants de votre santé. N’hésitez pas, dès qu’un fait anormal se
produit, à questionner votre médecin traitant, votre spécialiste, ou à faire
vous-même une déclaration de pharmacovigilance auprès de l’Agence du
médicament. Actuellement, le nombre de signalements d’effets
indésirables de médicaments par les usagers est très faible, de l’ordre de
1 500 par an. N’hésitez pas à vous regrouper en association de victimes
pour être plus puissant, et comme nous l’avons vu, vous pouvez désormais
engager une action de groupe.
Chapitre 2

Les scandales médicaux

La deuxième moitié du XXe siècle a connu son lot de scandales de santé


publique. Souvenons-nous du Distilbène® (prescrit dans les années 1970
aux femmes enceintes pour éviter les fausses couches et, par la suite,
responsable de nombreuses pathologies chez les enfants et petits-enfants
de ces consommatrices), du talc Morhange® (dont des flacons frelatés ont
empoisonné des centaines de nourrissons en 1972, tuant une quarantaine
de bébés), de l’amiante, de l’hormone de croissance ou encore du sang
contaminé… Pour y remédier, les gouvernants successifs ont mis en place
des structures chargées d’assurer notre sécurité et notre santé. Toutefois,
force est de constater que la multiplication de ces organes de contrôle n’a
pas permis d’éviter la survenue ou la révélation d’autres scandales qui
sont autant de bombes à retardement. Ainsi, la dernière décennie a vu
éclater de nombreux problèmes de santé qui nous prouvent une fois encore
que notre médecine peut se retourner contre nous : les prothèses
mammaires P.I.P., le Mediator®, la pilule Diane 35® ou les pilules de
troisième et quatrième génération.

L’affaire du Mediator® : un tsunami

Un laboratoire accusé de mensonges


L’affaire du Mediator® constitue un scandale sanitaire d’une ampleur
inégalée en France en ce qui concerne un médicament. Pendant plusieurs
dizaines d’années, des patients aux médecins en passant par les
organismes de contrôle, tous ont été bercés par l’illusion. Deux
médicaments sont incriminés dans ce scandale : l’Isoméride® et le
Mediator®.
L’Isoméride® a été mis sur le marché en France par le laboratoire
Servier le 15 novembre 1985. Ce coupe-faim, dont le produit actif est la
fenfluramine, a vite connu un grand succès, non seulement chez les vrais
obèses, mais aussi chez de très nombreuses personnes voulant perdre
quelques kilos superflus, et on estime que 7 à 10 millions de Français en
ont absorbé entre 1985 et 1997. Surnommé le « coupe-faim intelligent », il
était censé réduire la consommation des glucides et réguler le poids des
personnes obèses. Toutefois, un lien est établi dès 1995 entre la prise
d’Isoméride® et l’apparition d’hypertension artérielle pulmonaire. En
juillet 1997, on s’aperçoit que l’Isoméride® est aussi la cause d’anomalies
des valves cardiaques. Aussi est-il retiré de la vente en France le
15 septembre 1997. Pourtant, bien avant ces dates, de nombreux
organismes, comme le Centre de pharmacovigilance de Besançon,
l’Agence française du médicament ou encore la Mayo Clinic aux États-
Unis, avaient mis en garde sur les complications liées à l’Isoméride®. Car
le danger était réel et la médecine a fermé les yeux : le médicament
multipliait par trois le risque d’apparition d’hypertension artérielle
pulmonaire au bout de trois mois d’utilisation, et par vingt-trois après un
usage de douze mois ! Depuis, le laboratoire Servier a été condamné à
indemniser des victimes présentant des complications liées à la prise
d’Isoméride®.
Mais le médicament qui a le plus marqué l’opinion publique est le
Mediator®. Mis sur le marché dès 1976 par le même laboratoire, il était
prescrit comme adjuvant d’un régime adapté aux hypertriglycéridémies ou
au diabète asymptomatique avec surcharge pondérale. Dans la mesure où
il faisait perdre du poids et maigrir, bon nombre de médecins l’ont alors
prescrit en le détournant de son indication première. Et, bien sûr, tout en
permettant son remboursement par la Sécurité sociale…
Amélie, qui a pris du Mediator® pour maigrir à l’âge de 26 ans, nous
raconte comment son médecin traitant lui a prescrit le « coupe-faim
miracle ».

Nous sommes au mois d’avril 1987. J’ai rendez-vous chez


un nouveau médecin généraliste car, ayant pris quelques
kilos pendant l’hiver, je souhaite lui demander conseil pour
maigrir avant l’été. Mon ancien médecin traitant ne se
sentait pas suffisamment expert en la matière…
J’ai déjà essayé sans succès de nombreux régimes et la
perte de 5 kilos me suffirait. Le nouveau médecin me reçoit
et m’annonce : « J’ai ce qu’il vous faut pour maigrir
presque sans efforts. Je vais vous prescrire du Mediator®,
il fait des merveilles. » Il m’explique alors que ce
médicament a été mis sur le marché pour le traitement des
patients diabétiques, mais que le visiteur médical du
laboratoire Servier, qui fabrique le Mediator®, lui aurait
confié qu’il pouvait être utilisé comme coupe-faim et
faisait perdre du poids sans trop de contraintes
alimentaires. Le pharmacien chez qui je me rends ensuite
me donne trois boîtes de Mediator® en me disant : « Vous
verrez, vous allez maigrir en mangeant ce que vous
voulez ! » C’est donc heureuse que je quitte la pharmacie et
me précipite chez moi pour avaler le fameux cachet blanc
qui va me faire maigrir si facilement. Je vais le prendre
3 fois par jour pendant 3 mois et, effectivement, tout en
mangeant en quantité raisonnable, je perds mes 5 kilos
superflus. Voilà un médicament magique qui fait maigrir
dans la joie et la bonne humeur !
Je ne savais pas encore que j’allais vivre une véritable
descente aux enfers dans les années qui suivraient.

Le Mediator®, médicament à base de chlorhydrate de benfluorex, a été


interdit en France le 30 novembre 2009 par l’A.F.S.S.A.P.S. Plus de
5 millions de patients en avaient pris depuis 1976 et, quand il a été retiré
du marché, 300 000 personnes étaient toujours sous traitement. Par
ailleurs, plus de 2,9 millions d’utilisateurs ont été traités pendant trois
mois ou plus, durée à partir de laquelle le risque de développer une
valvulopathie du cœur augmente.
Pour notre jeune victime, Amélie, c’est au bout de trois ans de
traitement que le diagnostic de valvulopathie sera posé, impliquant une
intervention chirurgicale lourde de conséquences.

Enchantée par l’effet du Mediator®, je demande à mon


nouveau médecin traitant de me le prescrire tout au long de
l’année. Mais après trois ans de prise, je commence à
ressentir des difficultés au cours de mon jogging dominical,
pour monter les escaliers ou même faire les courses au
supermarché. J’attribue cette fatigue passagère au stress
que je rencontre dans mon nouveau métier. Cependant, mon
état de santé continue à se dégrader. Je suis constamment
essoufflée, avec l’impression que le volume de mes
poumons a été réduit et que mon cœur bat plus vite. Mon
médecin ne s’inquiète pas, mais je sais que quelque chose
ne va plus. Je n’ai que 29 ans et je me traîne comme une
petite vieille. Je dors toute la journée du dimanche, au
grand désespoir de mon entourage, et je deviens moins
performante sur le plan professionnel. Je prends donc
rendez-vous avec un autre médecin généraliste.
Au cours de la consultation, qui va durer plus d’une heure –
au lieu des dix minutes réglementaires avec l’autre
médecin –, ce nouveau docteur me pose de nombreuses
questions sur mes antécédents, mes traitements en cours et
mes préoccupations de santé actuelles. Bien entendu, je lui
parle de mon obsession de conserver mon nouveau poids et
lui vante les mérites du Mediator®, ce qui lui provoque une
moue dubitative. À l’auscultation, il me découvre un
souffle au cœur et me prescrit plusieurs examens : analyses
sanguines et urinaires, radiographies et, par acquit de
conscience malgré mon jeune âge, un bilan cardiaque.

Comment des médecins peuvent-ils prescrire des médicaments, qui


plus est détournés de l’usage pour lequel ils ont obtenu leur autorisation,
sans questionner leurs patients sur leurs antécédents ? La parole des
visiteurs médicaux des laboratoires semble avoir pour certains davantage
de valeur que la détresse des malades. Amélie aura perdu un temps
précieux en faisant confiance à son généraliste prescripteur de produits
miracles et peu soucieux des conséquences.

Ce n’est que trois mois plus tard, soit presque quatre ans
après ma première prise de Mediator®, que je me retrouve
dans la salle d’attente du cardiologue. Je n’avais que 30 ans
et j’étais entourée de personnes âgées. Mon tour vient et me
voilà assise devant le cardiologue qui va anéantir le reste de
ma vie. Il réalise une échographie cardiaque qui le laisse
perplexe et l’incite à refaire l’examen. Sur l’écran de
l’échographe, il me montre alors que mes valves cardiaques
aortiques et mitrales se ferment mal, provoquant des fuites
de sang et obligeant mon cœur à travailler davantage. Il est
très étonné par l’état de mes valves compte tenu de mon
âge, et évoque diverses maladies de l’enfance qui
pourraient avoir entraîné leur dégradation. Mais je n’ai
jamais eu de telles affections. Je suis effondrée.
Au fil des années, mon état de santé s’aggrave. Les valves
cardiaques deviennent de moins en moins souples, laissant
passer de plus en plus de sang lors des contractions de mon
cœur. Je suis licenciée et je deviens un véritable poids mort
pour toute ma famille. Je dois me résoudre à entrer à
l’hôpital pour me faire opérer le 11 juin 2007, soit
pratiquement vingt ans après ma première prise de
Mediator®. L’opération dure cinq heures et consiste à
remplacer la valve aortique dégradée par une valve
mécanique. Je dois désormais prendre des anticoagulants et
surveiller régulièrement différents paramètres sanguins.
Comment peut-on en arriver à ce stade de déchéance
physique, simplement pour avoir avalé quelques petits
comprimés blancs dont la vertu présumée était de faire
maigrir sans efforts ?

L’ingéniosité tient au fait de présenter l’Isoméride® et le Mediator®


comme deux médicaments totalement différents et ne contenant pas la
même molécule. Or, l’Isoméride® a été retiré du marché en 1997 parce
qu’il contenait de la fenfluramine, c’est-à-dire une amphétamine dotée
d’un fort pouvoir anorexigène dont on connaît les complications, en
particulier l’hypertension artérielle pulmonaire. Le Mediator® contient,
certes, une autre molécule, le benfluorex, et le laboratoire Servier a
toujours prétendu qu’il n’avait aucun lien avec l’Isoméride®. En réalité,
les deux principes actifs, la fenfluramine et le benfluorex, dérivent l’un
comme l’autre de la norfenfluramine, molécule dont on connaît la toxicité
comme anorexigène. Cela va fonctionner pendant de nombreuses années
grâce à un lobbying efficace auprès des médecins, en particulier des
cardiologues, et auprès des organismes de contrôle et des instances
ministérielles à tous les niveaux. Il faudra attendre novembre 2009 – soit
plus de dix ans après le retrait de l’Isoméride® – pour que l’A.F.S.S.A.P.S.
retire enfin le Mediator® du marché.
Mais que de temps perdu ! Que de souffrances et d’angoisse pour les
milliers de victimes dont plusieurs centaines vont décéder ! Les pouvoirs
publics prennent la mesure du scandale de manière tardive et tentent de
réagir a posteriori à une situation qu’il aurait fallu empêcher en amont.
Des Comités de suivi des victimes du Mediator®, regroupant les
différentes instances (ministère de la Santé, parlementaires,
A.F.S.S.A.P.S., Direction générale de la santé, C.N.A.M., pneumologues,
dont le docteur Irène Frachon) et des associations de victimes se
réunissent au ministère de la Santé. Le ministre de l’époque, Xavier
Bertrand, est présent à toutes les réunions. Des associations de victimes
comme l’A.V.I.M. (Association des victimes de l’Isoméride® et du
Mediator®, réunissant plus de 5 000 victimes) se constituent. Enfin, les
médias dévoilent sur la place publique les méfaits du Mediator®. Notre
jeune victime, Amélie, apprend en 2009 le scandale du Mediator® par les
médias.

Deux ans plus tard, en 2009, différentes études publiées


dans la presse commencent à mettre en cause la dangerosité
du Mediator®, qui pourrait être à l’origine
de complications des valves cardiaques et de la survenue de
l’hypertension artérielle pulmonaire. Des pneumologues du
centre hospitalier de Brest, et en particulier le docteur Irène
Frachon, mettent en cause ce médicament dans l’apparition
de ces complications cardiovasculaires. Son livre, intitulé
Le Mediator® : combien de morts ?, paraît en librairie en
2010 après quelques démêlés judiciaires avec le laboratoire
Servier. À la lecture de cet ouvrage passionnant et
courageux, je comprends aussitôt que je fais partie de ces
milliers et peut-être de ces dizaines de milliers de victimes
du Mediator®.
Ensuite, tout va s’enchaîner très vite. Les médias
s’emparent de cette affaire et nous entendons des choses
difficiles pour nous, victimes, meurtries au plus profond de
nous-mêmes. En fait, beaucoup de personnes ou
d’organismes de contrôle savaient depuis longtemps que le
Mediator® était dangereux, mais tous ont préféré se taire,
par lâcheté ou par intérêt.

En avril 2011, le laboratoire Servier propose d’indemniser les victimes


par la création d’un fonds d’indemnisation, mais il fixe ses propres
conditions, inacceptables, avec une indemnisation partielle des victimes et
un renoncement à toute possibilité de réparation civile devant la justice.
Face à cette intransigeance, une loi est votée à l’Assemblée nationale le
30 juillet 2011, créant un fonds d’indemnisation des victimes du
Mediator® sous l’égide de l’O.N.I.A.M. Un collège d’experts est chargé
d’étudier les dossiers des victimes et d’établir la réalité d’un lien entre les
pathologies et la prise du Mediator®. Précisons néanmoins que le
laboratoire Servier a tout mis en œuvre pour contester les faits et se
soustraire à son obligation d’indemnisation. La grande majorité des
victimes semblait vouloir s’orienter vers une action civile devant le
tribunal de grande instance, afin d’obtenir une juste indemnisation. De
nombreuses victimes ont aussi déposé une plainte pénale devant le pôle de
santé publique du tribunal de grande instance de Paris pour tromperie
aggravée, blessures et homicides involontaires. Aujourd’hui, l’instruction,
menée par trois juges, est terminée et un procès devrait se tenir, bien que
le laboratoire Servier use et abuse de tous les recours mis à sa disposition.
Les victimes – du moins celles qui ne seront pas décédées de leur maladie
induite par le Mediator® – pourront participer à un grand procès au cours
duquel le laboratoire Servier, mais aussi d’autres organismes tels que
l’A.F.S.S.A.P.S., devront répondre de leurs actes.
L’union des malades et leur solidarité font leur force. C’est pourquoi
Amélie, malgré une santé chancelante et peu de moyens financiers à cause
de sa longue maladie, a décidé de se battre.

Grâce à la télévision, je fais la connaissance d’un médecin,


le docteur Courtois, qui se bat depuis les années 1990
contre le laboratoire Servier à propos du Mediator® et d’un
autre médicament, l’Isoméride®, qui contient la même
molécule. Il est président de l’Association des victimes de
l’Isoméride® et du Mediator®, qui regroupe plus de
5 000 victimes. Je contacte cette association et j’ai le
plaisir de converser directement avec le docteur Courtois,
qui m’expose ses différents projets.
L’A.F.S.S.A.P.S. a interdit le Mediator® fin
novembre 2009. Pour ma part, par l’intermédiaire des
avocats de l’A.V.I.M., j’ai porté plainte contre le
laboratoire Servier auprès du pôle de santé publique du
tribunal de grande instance de Paris, pour tromperie
aggravée, prise illégale d’intérêts et blessures
involontaires.
J’ai aussi déposé mon dossier de demande d’indemnisation
auprès du fonds d’indemnisation des victimes. Mais que
vaut une compensation financière, même conséquente, face
à mes souffrances et mes angoisses ? La procédure pénale
avance et j’ai été convoquée par un médecin expert
cardiologue désigné par le tribunal de grande instance de
Paris. L’étude de mon dossier, et en particulier des résultats
des examens anatomopathologiques pratiqués sur la valve
cardiaque aortique qui a été changée, a permis à l’expert
judiciaire de conclure à l’existence d’un lien entre mon
affection cardiaque et la prise du Mediator®.
Monsieur Servier, le patron du laboratoire Servier, est
désormais mort, mais sa forfaiture reste. Je prie le ciel,
chaque jour, afin de survivre jusqu’au jour du procès, car je
veux voir dans le box des accusés ceux qui ont gâché ma
vie pour leurs seuls intérêts financiers.

Les vœux d’Amélie viennent d’être, en partie, exaucés. En effet, le


22 octobre 2015, soit huit ans après la révélation du scandale du
Mediator®, le tribunal de grande instance de Nanterre a reconnu pour la
première fois la responsabilité civile du laboratoire Servier. Le tribunal a
estimé que le laboratoire a laissé sur le marché un médicament
« défectueux » dont il ne pouvait « ignorer les risques ». Pour le tribunal,
la seule suspicion des risques (valvulopathies et hypertension artérielle
pulmonaire) obligeait le laboratoire Servier à « informer les patients et les
professionnels de santé », notamment dans la notice d’utilisation. La
justice a aussi reconnu « un lien direct et certain » entre la prise du
Mediator® et la survenue de valvulopathies.
En défense, le laboratoire Servier affirme pour sa part que les risques
cardiovasculaires liés à la consommation de Mediator® n’ont été
identifiés que tardivement, ainsi qu’en attesteraient les décisions des
autorités de santé et les publications scientifiques. En effet, le laboratoire
avance comme argument que ces autorités ont considéré jusqu’à fin 2009
– c’est-à-dire avant que les données recueillies dans le courant de cette
même année ne soient révélées – que les connaissances scientifiques ne
permettaient pas d’estimer que le rapport bénéfice-risque était
défavorable, et que le faible nombre de cas rapportés ne suffisait pas à la
mise en évidence d’un signal significatif justifiant le retrait du
médicament, ni même la modification des informations à destination des
professionnels de santé ou du public.
Poursuivant son raisonnement, le laboratoire – qui conteste le rapport
de l’I.G.A.S. (Inspection générale des affaires sociales) qu’il juge non
contradictoire et orienté – indique que, malgré la parenté chimique qui
existe entre la dexfenfluramine (Isoméride®) et le benfluorex
(Mediator®) du fait de leur métabolite commun (la norfenfluramine) et
qui a toujours été une information disponible et connue, il ne peut en être
déduit que de mêmes effets doivent en être attendus. De même, le
laboratoire argue du fait que l’enquête de pharmacovigilance confiée au
Centre régional de pharmacovigilance (C.R.P.V.) de Besançon en 1995,
devenue officielle à partir de 1998, n’a pas montré de signal de toxicité
cardiovasculaire du Mediator® jusque dans le courant de l’année 2009.
Le laboratoire affirme donc qu’avant 2009, compte tenu du faible
nombre de cas rapportés de valvulopathies et d’hypertension artérielle
pulmonaire (H.T.A.P.) sous benfluorex ainsi que de la position des
autorités de santé et de la communauté scientifique, le Mediator® ne
pouvait être considéré comme un produit défectueux. Au pire, ces
éléments serviraient à démontrer que le défaut du Mediator®, s’il était
rapporté, n’a pu être identifié que postérieurement à sa mise en
circulation, ce qui constituerait une cause d’exonération de sa
responsabilité.
Malgré cette vive argumentation, le tribunal de grande instance a
condamné le laboratoire qui a formé appel de la décision.

Pour le procès pénal, l’échéance est plus lointaine. Le souhait de la


Chancellerie serait de le voir se tenir concomitamment à l’inauguration du
nouveau Palais de Justice de Paris, soit en 2017. De plus, le laboratoire
Servier, qui bénéficie de la présomption d’innocence tant que l’affaire
n’est pas jugée, pose en effet toutes les questions prioritaires de
constitutionnalité (Q.P.C.) qu’il lui est possible d’opposer. La question
prioritaire de constitutionnalité est un droit reconnu à toute personne qui
est partie à un procès ou une instance de soutenir qu’une disposition
législative porte atteinte aux droits et aux libertés que la Constitution
garantit. Nous sommes donc contraints d’attendre l’épuisement de toutes
les Q.P.C. Alors viendra le temps du procès pénal pour tromperie
aggravée, prise illégale d’intérêts, mais aussi et surtout blessures et
homicides involontaires.
Rien n’aurait pu se faire sans le courage et l’opiniâtreté d’une
pneumologue du C.H.U. de Brest, Irène Frachon. C’est elle qui a réussi à
démontrer le lien de causalité entre la prise du Mediator® et l’apparition
des complications à type des valves cardiaques et de l’hypertension
artérielle pulmonaire, dans l’indifférence et même l’hostilité de nombreux
confrères, en particulier cardiologues. Seule, elle s’est dressée contre les
différents organismes, contre certaines sociétés scientifiques et contre
toutes les idées reçues pour démontrer la grande dangerosité du
Mediator® et les ravages que ce médicament causait. Sans le docteur Irène
Frachon, le Mediator® serait encore en vente dans les pharmacies. Elle
représente ce que l’on appelle un lanceur d’alerte, comme il en existe
depuis longtemps aux États-Unis.

Une tragédie en deux actes pour les victimes 1


Selon le docteur Irène Frachon, en 2010, la dénonciation sur la place
publique de la toxicité redoutable du Mediator®, dissimulée pendant plus
de dix ans, et l’annonce de son terrible bilan humain (des centaines, voire,
sans doute, des milliers de morts) ont déclenché un séisme dans le monde
médical et l’opinion publique, sans épargner la sphère politique. Mais
elles ont surtout été un coup de tonnerre pour les nombreux
consommateurs du Mediator®, craignant pour leurs vies. Ce fut aussi une
révélation insupportable pour ceux qui ont réalisé que le mal dont ils
souffraient était la conséquence d’un empoisonnement délibéré. Ceux-là
ont endossé malgré eux la triste qualification de victimes du Mediator®.
Lorsqu’on se penche sur les parcours de ces victimes, composés de
drames intimes irréversibles se déroulant la plupart du temps sur plusieurs
années, on distingue au sein de chaque histoire individuelle deux périodes
historiques essentielles. La première étape, celle du développement
« naturel » d’une pathologie cardiaque grave (appelée valvulopathie, c’est-
à-dire une atteinte pathologique des valves du cœur et plus rarement une
hypertension artérielle pulmonaire, ou H.T.A.P.), demeure inexpliquée ou
rattachée à des causes peu convaincantes. La seconde étape débute en 2010
lorsque l’on révèle que cette pathologie cardiaque est la conséquence
d’une intoxication par un médicament. Au choc de cette annonce succède
le combat pour la reconnaissance et la réparation des immenses dégâts
provoqués par la prise de ce médicament.
Cette seconde phase représente une nouvelle épreuve pour les
victimes, confrontées au déni et à la violence procédurière sans relâche du
laboratoire démasqué, soutenu envers et contre tout par une majorité de la
communauté médicale. Tandis que la justice s’enlise, les victimes
souffrent et meurent.
Il paraît essentiel de revenir sur ces deux étapes clés de l’affaire du
Mediator® : l’histoire de la commercialisation d’un produit hautement
dangereux et le récit de sa révélation et du positionnement des principaux
acteurs face à cette catastrophe sanitaire.

Premier acte : la commercialisation du Mediator®


(1976-2009)
Le Mediator® a été commercialisé par le laboratoire Servier dans plus
de cinquante pays dans le monde, et en volume important en France. Ce
médicament a été présenté et autorisé sur le marché pour le traitement
d’une anomalie du bilan sanguin appelée « hypertriglycéridémie »
(correspondant à un « excès de gras » dans le sang), ainsi que comme
adjuvant au traitement du diabète chez des personnes en surpoids. Il a été
remboursé au taux maximal par la Sécurité sociale jusqu’à son retrait du
marché, et a probablement rapporté près d’un milliard d’euros au
laboratoire.
La molécule active du Mediator®, le benfluorex, appartient à une
famille de molécules dérivées de l’amphétamine, fabriquées et brevetées
par Servier, les fenfluramines. Le principal effet des fenfluramines, sur
l’animal comme sur l’homme, est un effet coupe-faim, dit
« anorexigène ». Deux fenfluramines sont officiellement commercialisées
comme coupe-faim à partir de 1963 : la dl-fenfluramine (sous les noms
commerciaux de Pondimin® et Ponderal®) et la dexfenfluramine
(Isoméride® en France à partir de 1985 et Redux® aux États-Unis à partir
de 1996). Ces produits bénéficient d’une promotion commerciale très
offensive. Servier présente immédiatement le benfluorex comme une
molécule différente des autres fenfluramines, et sans lien avec
l’amphétamine. Il lui attribue des propriétés distinctes, niant l’effet coupe-
faim et prétendant une action « métabolique » favorable pour le diabète et
l’excès de gras, ce qui n’a jamais été démontré ! En réalité, une fois
ingérées, toutes ces molécules se transforment dans l’organisme en une
seule molécule active détentrice de l’effet coupe-faim, la norfenfluramine.
En pratique, le premier effet toxique grave suspecté avec les
fenfluramines, dont le benfluorex, concerne une maladie rare des
vaisseaux du poumon, appelée hypertension artérielle pulmonaire
(H.T.A.P.), mortelle sans traitement. Cette alerte a été précédée par une
épidémie d’H.T.A.P. décrite dans les années 1970 en Suisse avec un autre
dérivé de l’amphétamine, l’aminorex (dont le nom commercial est le
Menocil®), aussitôt retiré du marché. À partir des années 1980, faisant le
rapprochement avec l’épidémie suisse, des médecins avertissent sur des
observations d’H.T.A.P. survenant après exposition à une fenfluramine.
Ces alertes sont d’emblée contestées par Servier, mais conduisent une
équipe française de l’hôpital Antoine-Béclère de Clamart à étudier la
question. Ils remarquent alors que près d’un quart des patients suivis pour
une H.T.A.P. ont été exposés antérieurement à ces produits, ce qui ne peut,
bien sûr, être le fait du hasard. Ils confirment donc l’alerte en 1993.
Pourtant, il faut attendre les résultats d’une étude épidémiologique
internationale, publiée en 1996, qui attestent un très important excès de
risque d’H.T.A.P. pour que les autorités de santé françaises prennent les
premières précautions, sans interdire toutefois l’usage de ces produits.
Usant d’une stratégie d’influence efficace, Servier parvient tout de même
à commercialiser une fenfluramine aux États-Unis en 1996, sous le nom
de Redux®, via la firme américaine Wyeth.
Le deuxième effet toxique grave des fenfluramines, suspecté depuis
1992 par des médecins belges, est également observé par les Américains et
publié en 1997. Il s’agit du développement d’anomalies des valves
cardiaques atteintes par une fibrose pathologique. Ces valvulopathies
consistent en la perte de l’étanchéité naturelle de ces valves qui se mettent
à fuir en entraînant une insuffisance cardiaque progressive pouvant être
mortelle. Pour les patients, la maladie se manifeste par l’apparition d’un
essoufflement tenace et croissant, survenant essentiellement à l’effort,
souvent accompagné de palpitations et de douleurs thoraciques, avec
parfois des épisodes d’asphyxie aiguë. Dans certains cas, une opération
chirurgicale à cœur ouvert pour remplacer les valves cardiaques par des
prothèses s’avère indispensable, malgré les risques vitaux de cette
chirurgie et les contraintes ultérieures de traitement et de surveillance.
Après la confirmation de ce grave effet toxique, suite à des études
épidémiologiques menées après le retrait mondial des fenfluramines (à
l’exception du benfluorex), les chercheurs américains identifient que le
métabolite principal des fenfluramines, la norfenfluramine, est
responsable des valvulopathies par une action directe sur des récepteurs
présents à la surface des valves du cœur. Des class actions, ou actions
collectives en justice, se déclenchent alors aux États-Unis, permettant à
quelques dizaines de milliers de victimes de ces produits de percevoir des
indemnisations financières importantes.

En France, où la commercialisation du benfluorex (Mediator®) se


poursuit, deux notifications sont transmises à l’A.F.S.S.A.P.S. et à Servier
en 1999. L’une concerne un cas d’H.T.A.P. très grave (malgré une greffe
pulmonaire de sauvetage, la patiente décédera en décembre 2014) survenu
après exposition au Mediator®, et l’autre un cas de valvulopathie
émergente sous Mediator®. En Suisse, les questionnements sur la sécurité
d’emploi du benfluorex entraînent son retrait du marché dès 1998, suivi
par l’Espagne puis l’Italie suite à un cas de valvulopathie grave survenue
sous benfluorex et publié par une équipe espagnole en 2003.
Ces événements vont déclencher deux types de réponse de la part des
responsables français : Servier fait disparaître d’abord toute mention de la
présence de norfenfluramine dans les documents pouvant être consultés
par les médecins, et cherche à dissuader les acteurs susceptibles de traiter
ou d’effectuer des déclarations de pharmacovigilance. L’A.F.S.S.A.P.S.
met en place une enquête de pharmacovigilance sur le Mediator® à propos
du risque d’H.T.A.P., mais sans mention du risque de valvulopathie ! Pire
encore, aucun médecin prescripteur, aucun cardiologue, aucun
consommateur de Mediator® n’est averti de la mise en place de cette
enquête !
Il est utile, pour mesurer le poids d’une telle désinformation (Servier)
ou non-information (A.F.S.S.A.P.S.), de lire le commentaire d’un
chirurgien cardiaque en 2007, à propos d’une valvulopathie
« inexpliquée », dont l’origine médicamenteuse chez sa patiente ne faisait
pourtant pas de doute : « Il y a la notion d’un traitement récent par
anorexigène, mais il ne s’agit pas de la famille de la fenfluramine dont la
commercialisation a été arrêtée en 1997. » Grande erreur ! Il s’agit bien du
Mediator® ! Mais Servier trouve la parade et affirme que ce dernier « se
distingue radicalement des fenfluramines, tant en termes de structure
chimique et de voies métaboliques que de profil d’efficacité et de
tolérance ». Le dossier est donc classé inexpliqué et ne sera pas notifié en
pharmacovigilance.
Malgré cette absence quasi complète d’informations pertinentes sur les
risques du benfluorex, quelques cas d’H.T.A.P. et de valvulopathies sont
notifiés à partir de 1999, dont un en 2006, toujours sans aucune prise
de décision de la part de nos autorités. Or, le chiffre de ventes du
Mediator® a explosé après le retrait des fenfluramines coupe-faim
(notamment l’Isoméride®) en 1997, alors même qu’il est présenté comme
sans lien avec ces produits. Aujourd’hui, on sait de façon formelle que le
Mediator® a été détourné de son indication d’adjuvant antidiabétique pour
être prescrit hors autorisation de mise sur le marché (A.M.M.) et
consommé massivement pour ses effets coupe-faim, dans un contexte de
pesants non-dits.

À partir de 2007, le cas d’une patiente souffrant d’H.T.A.P. et exposée


de longues années au Mediator® alerte le docteur Irène Frachon. En effet,
une information assez floue, émanant de la revue indépendante Prescrire,
laisse entendre que le Mediator® est proche de l’Isoméride®. Interrogé à
ce sujet, Servier reste fidèle à sa ligne de conduite et dément cette
proximité chimique. Mais de fil en aiguille, après avoir identifié un
certain nombre de patients victimes de cette intoxication, les cardiologues
de l’hôpital de Brest découvrent que dans près de deux tiers des cas
inexpliqués de valvulopathies, une exposition au Mediator® avait précédé
les premiers troubles cardiaques. Cette démonstration scientifique – dont
la qualité a fait l’objet de vives critiques de la part de l’A.F.S.S.A.P.S. – est
nécessaire pour interdire le Mediator®, interdiction décidée malgré tout
par l’Agence en novembre 2009. Ces accusations de « mauvaise science »,
dévoyées et colportées dans les milieux « autorisés » (« experts » divers,
épidémiologistes, cardiologues…) avec la complicité active du réseau
d’influence de Servier, ont eu pour effet de nuire aux procédures
ultérieures d’expertise des cas individuels de patients atteints, en
minimisant la portée de ces nouvelles connaissances et en alimentant la
stratégie de déni appliquée par Servier et ses avocats. Pourtant, une étude à
grande échelle de la Caisse nationale d’assurance maladie (C.N.A.M.)
réalisée par le docteur Alain Weill, alerté par l’équipe brestoise, a
confirmé ce lien, de même que toutes les études ultérieures réalisées
depuis. En réalité, ces équipes ne faisaient que vérifier avec le benfluorex
ce qui avait été démontré dix ans auparavant avec les autres
fenfluramines : toutes ces molécules se transforment bien dans
l’organisme en une molécule active semblable et toxique pour le cœur, la
norfenfluramine.

Comment expliquer qu’il ait fallu attendre plus de dix ans pour obtenir
un retrait qui s’imposait à l’évidence dès 1997 par analogie avec les autres
fenfluramines ? C’est une question qui sera au cœur d’un futur procès
pénal mettant en accusation les dirigeants de Servier, mais aussi
l’A.F.S.S.A.P.S. ainsi que des professeurs de médecine ou de pharmacie
ayant conseillé le laboratoire alors qu’ils étaient partie prenante sur des
décisions de santé publique dans le domaine du médicament. Les chefs
d’inculpation vont de tromperie aggravée, escroquerie, blessures et
homicides involontaires ou négligence, jusqu’à des qualificatifs de trafic
d’influence, prise illégale d’intérêts et même corruption.
Le dossier d’instruction est aujourd’hui clos. Ce sera ensuite au
tribunal de déterminer s’il y a eu dissimulation constante et délibérée de la
part de Servier sur la nature du benfluorex, et par là même sur ses dangers,
aux médecins qui auraient pu en constater les effets, ce que les différents
acteurs mis en cause contestent. Le dossier d’instruction pointe aussi un
nombre important de « doubles casquettes » au sein des experts influents
dans le monde de la santé, laissant suspecter que ces derniers ont
volontairement occulté des alertes sur le Mediator® afin de ne pas
contrarier les intérêts d’une firme puissante et reconnaissante à bien des
égards envers ses « bons serviteurs ».
Comment se fait-il toutefois que les cardiologues, même s’ils
ignoraient le risque cardiovasculaire du Mediator® et sa parenté avec
l’Isoméride®, n’aient pu découvrir la cause de ces valvulopathies, si
nombreuses durant trente-trois ans, alors qu’il aurait suffi d’interroger
avec soin les patients pour découvrir l’élément commun : le Mediator® ?
La réponse est simple : lorsque les fenfluramines ont été mises sur le
marché à partir des années 1960, les services de cardiologie et de chirurgie
cardiaque français étaient saturés de patients souffrant des conséquences
cardiaques, et notamment valvulaires, d’une maladie de l’enfance, le
rhumatisme articulaire aigu (R.A.A.), contracté à partir d’une angine ou
d’une scarlatine non traitée par antibiotiques. Les valvulopathies dites
post-rhumatismales étaient donc légion. Or, les lésions valvulaires
générées par l’exposition aux fenfluramines miment par certains aspects
les lésions post-rhumatismales. La prescription massive après-guerre
d’antibiotiques pour traiter les angines a eu raison du R.A.A., disparu
après 1960. Les conséquences cardiaques à long terme ont commencé à
décliner, remplacées insensiblement par des valvulopathies
médicamenteuses. Les cardiologues n’y ont vu que du feu pendant des
années, assimilant de façon un peu dogmatique l’étiologie de ces
valvulopathies à un « équivalent » de R.A.A. en l’absence de tout R.A.A.
identifié… et pour cause ! Cette confusion historique, dont on retrouve
aisément la trace aussi bien dans les manuels de cardiologie que dans les
dossiers de patients souffrant d’authentiques valvulopathies causées par le
Mediator® (ou l’Isoméride®) et qualifiées de façon abusive dans
l’ensemble des documents médicaux de « rhumatismales », a pesé lourd
dans la méconnaissance du risque médicamenteux.

Deuxième acte : l’après-Mediator®


Lorsque le Mediator® a été retiré du marché fin novembre 2009,
l’A.F.S.S.A.P.S. aurait pu se saisir de la question de façon responsable,
mettre en avant l’incroyable désinformation et aviser personnellement
chaque consommateur du Mediator® du risque cardiaque démontré, afin
d’inciter à un dépistage et une prise en charge adaptée de conséquences
cardiaques jusque-là ignorées ou mal qualifiées. Il n’en a rien été.
L’A.F.S.S.A.P.S. s’est contentée de poster sur son site un introuvable lien
vers un « Questions/Réponses » indigent et sonnant davantage comme une
autojustification qu’une véritable aide dédiée à l’intérêt du patient. Elle a
laissé à Servier le soin d’« informer » les médecins ! Cet exposé partial
des faits ayant conduit au retrait du Mediator® est depuis produit dans les
opérations d’expertise opposant les victimes à Servier et sert de toute
évidence les intérêts de ce dernier. Pourquoi Servier s’avouerait-il
responsable lorsque l’autorité de santé se disculpe elle-même en
fournissant un argumentaire irrecevable, mais portant le sceau d’une
validation officielle ?
De même, on aurait pu penser que ces révélations, amplifiées par la
fermeté du ministre de la Santé Xavier Bertrand, puis renforcées par un
implacable rapport de l’Inspection générale des affaires sociales
(I.G.A.S.), auraient permis un traitement rapide, humain et solidaire de la
détresse des victimes. C’était sans compter sur l’impitoyable culture de
déni caractérisant le fonctionnement de Servier, et hélas aussi sur la
crispation majeure de trop de professionnels de santé directement
concernés par ce drame. Beaucoup resteront arc-boutés sur la conviction
d’observer encore les conséquences cardiaques du R.A.A., pourtant
éradiqué depuis plus de cinquante ans. Et puis, pourquoi contrer un
partenaire commercial comme Servier, devenu l’incontournable
dispensateur des deniers nécessaires à l’organisation de multiples congrès
médicaux ainsi qu’aux activités débordantes des sociétés savantes et de
leurs adhérents aux carrières bien soignées ? Vers qui se tourner, sur qui
compter ?

Trois voies de recours s’offrent à toutes les victimes du Mediator®,


même celles qui au final s’avéreront ne souffrir ni de valvulopathie ni
d’H.T.A.P. imputable au Mediator®, mais dont l’inquiétude n’en sera pas
moins grande dans l’effroi collectif né de cette affaire. Tout d’abord la
plainte pénale, initiée par certaines victimes, conduira à l’ouverture d’une
enquête préliminaire suivie d’une longue instruction judiciaire au pôle
santé de Paris, après l’échec d’une tentative de « guerre éclair » par
citation directe devant le tribunal de grande instance de Nanterre. En
mai 2015, et bien que l’instruction soit close depuis plus d’un an et riche
de documents et expertises, le déluge de recours et de contestations
produits par le laboratoire enterre la perspective d’un procès pénal tenu
dans un délai décent (que l’on peut tenter de définir arbitrairement à
moins de cinq ans après le dévoilement du délit). Tout juste faut-il espérer
que cet indispensable procès se tiendra un jour, afin de permettre aux
survivants du Mediator® de se réconcilier un peu avec la société dans
laquelle ils vivent.
Ensuite, au niveau indemnitaire, existe la voie de recours civile par
saisie d’un tribunal de grande instance (celui de Nanterre la plupart du
temps), assisté d’un avocat, afin d’entamer un long, coûteux et incertain
processus de reconnaissance et d’indemnisation. Ce processus comprend
notamment, comme au pénal, une étape d’expertise contradictoire avec
argumentaires écrits et réunions associant le plaignant, Servier, conseils et
avocats, ainsi que l’expert désigné par le juge.
Néanmoins, en parallèle, les victimes ont désormais la possibilité de
saisir le juge des référés en vue d’obtenir la reconnaissance d’un préjudice
d’anxiété. Initialement reconnu pour les victimes de l’amiante, ce
préjudice a été admis pour le Mediator® : le 28 janvier 2016, le tribunal
de grande instance de Nanterre a accordé à douze plaignants le bénéfice de
ce préjudice et alloué la somme de 1 500 euros au motif qu’ils devaient
subir « un suivi médical contraignant dans les deux années suivant l’arrêt
de la prescription ou de sa commercialisation, et au-delà, au regard du
risque qui ne peut être actuellement exclu de développer une hypertension
artérielle pulmonaire ». Le laboratoire Servier s’était opposé pour sa part à
cette reconnaissance.
Enfin, après avoir acquis la conviction que les revendications légitimes
des victimes face au laboratoire Servier se mueraient en un combat sans
merci et inégal du pot de terre contre le pot de fer, Xavier Bertrand, en
étroite concertation avec le député P.S. Gérard Bapt, a fait voter à
l’unanimité le 30 juillet 2011 à l’Assemblée nationale une loi
d’indemnisation consacrant le principe d’une procédure amiable ouverte
gratuitement aux victimes du Mediator® sous l’égide de l’O.N.I.A.M.,
créé par la loi Kouchner de 2002. Cette procédure, déterminée par la loi,
comprend la mise en place d’un collège d’experts désignés par plusieurs
parties : ministère de la Santé, O.N.I.A.M., Ordre des médecins,
spécialistes de la réparation du dommage corporel, associations de
patients et Servier lui-même en tant que premier responsable, censé
procéder au règlement des procédures amiables après réception de l’avis
du collège.
Du vivant de Jacques Servier, relayé après sa disparition par son
successeur Olivier Laureau, la firme n’a cessé de proclamer son
engagement à procéder à l’indemnisation de toutes les personnes ayant
souffert du Mediator®. La réalité est que le laboratoire, via ses cabinets
d’avocats, conteste pied à pied l’intégralité des plaintes, faits, documents
produits par les victimes, quelle que soit la procédure suivie,
n’indemnisant que de mauvaise grâce lorsque l’expertise est formelle, en
échange de l’abandon par les victimes traumatisées de toute procédure en
cours contre l’entreprise et du silence total sur le montant et la nature des
transactions, souvent misérables. Les experts sont volontiers récusés,
bousculés, attaqués par Servier jusque devant les tribunaux, au titre de leur
prétendue partialité, alors qu’il n’est question que d’un savoir scientifique
péniblement acquis face au déni violent du laboratoire et son obstruction
constante à l’approfondissement des connaissances sur ces valvulopathies.
C’est ainsi que la firme va jusqu’à écrire aux sociétés savantes de
cardiologie pour leur reprocher la mise en ligne d’un article pédagogique
sur les valvulopathies médicamenteuses !

Alors, qui peut conseiller et accompagner dans ce dédale de


démarches, pavé de chausse-trappes, les victimes déboussolées du
Mediator® ? En l’absence de possibilité d’actions collectives coordonnées
ou d’un guichet unique de recours sous l’égide des pouvoirs publics (rôle
que pourrait jouer à l’avenir une institution comme l’O.N.I.A.M. sous
condition d’une évolution législative sensible), l’offre de recours est de
qualité très hétérogène. Elle comprend bien entendu des avocats (souvent
engagés, mais eux-mêmes parfois déstabilisés par une telle démonstration
de mauvaise foi, inhabituelle y compris dans le monde brut et âpre des
prétoires) et des associations de victimes. Parmi ces dernières, l’A.V.I.M.
et l’association C.A.D.U.S. Ces associations, souvent nées d’une
expérience douloureuse de leur fondateur, permettent, en rassemblant de
nombreuses plaintes, d’éviter la dispersion complète des procédures, qui
laisserait chaque victime isolée face à des cabinets d’avocats aux moyens
illimités. S’agissant d’un dommage collectif, il est très important de
disposer d’une vision d’ensemble afin d’évaluer la cohérence des
expertises entre elles et d’en détecter les défauts majeurs, car seul
l’adversaire y a accès. Mais quelle charge pour ces citoyens engagés et
bénévoles, submergés par la quantité de dossiers à accompagner !
Associations de victimes, députés et sénateurs (Gérard Bapt, Xavier
Bertrand, François Autain), revue Prescrire, épidémiologistes, jusqu’à la
ministre de la Santé Marisol Touraine, tous ont pointé en décembre 2012
(un an après la mise en place d’un collège d’experts à l’O.N.I.A.M.) la
nécessité de renforcer la compétence de l’expertise. Actuellement, le
collège d’experts à l’O.N.I.A.M., renforcé par des cardiologues
spécialistes de valvulopathies et de bons échographistes, instruit de façon
un peu plus satisfaisante le défi posé par l’indemnisation juste d’un drame
de santé publique de grande ampleur. La politique d’éreintement des
victimes menée sans relâche par Servier aura malheureusement porté en
partie ses fruits, certaines ayant abandonné des démarches éprouvantes sur
le plan psychologique et d’autres étant décédées avant d’avoir obtenu la
reconnaissance de leur préjudice.

C’est ainsi que, suivant le fil de l’histoire du Mediator® dès son


origine en 1976, on découvre une affaire meurtrière, mêlant la dérive sans
retour d’un laboratoire pharmaceutique français et, hélas, la complaisance
d’une communauté médicale plénipotentiaire, détournée de l’intérêt des
malades devenus victimes par le mirage du progrès médical continu, vanté
par les commerçants du médicament, et la promesse de prospérité
éternelle. Cela ne concerne pas tous les médecins, et certains
accompagnent comme ils le doivent leurs patients. Mais si aujourd’hui de
nombreux praticiens déplorent avec amertume la rupture de confiance des
patients depuis « le scandale médiatique du Mediator® », comment ne
peuvent-ils voir que cette fracture s’est élargie face à l’absence de réaction
collective du corps médical, que l’on attendait dressé et révolté, en
apprenant le décès, par mise en danger délibérée, de centaines de leurs
patients ?

Diane 35® ou le drame du détournement


d’un médicament

La course à la rentabilité

Toutes les femmes connaissent, plus ou moins, les différents types de


contraceptifs oraux mis à leur disposition. La contraception orale, moyen
contraceptif hormonal féminin qui permet d’éviter la grossesse, se
présente sous la forme de comprimés à prise quotidienne, communément
appelés « pilules contraceptives » ou, tout simplement, « la pilule ». Celle-
ci occupe une place prépondérante en France, alors que le stérilet est le
premier choix contraceptif au niveau mondial et notamment en Chine.
C’est à l’endocrinologue Gregory Pincus que nous devons l’idée de la
pilule contraceptive. Il a émis l’hypothèse que l’arrêt de l’ovulation durant
la grossesse était lié à l’action d’une hormone, la progestérone. En mettant
au point une hormone synthétique semblable à la progestérone, il devenait
donc possible de bloquer la fécondation.
Il existe deux types de pilules contraceptives : la pilule progestative
qui ne contient que de la progestérone, et la pilule combinée qui contient
deux dérivés de l’œstrogène et de la progestérone. L’œstrogène bloque
l’ovulation, c’est-à-dire le largage d’un ovocyte par l’ovaire. La
progestérone a un effet contraceptif qui empêche le passage des
spermatozoïdes en diminuant l’épaisseur de la paroi de l’utérus,
provoquant ainsi un effet abortif, et en bloquant également l’ovulation,
mais pas de façon systématique.
Parmi les contraceptifs oraux combinés, on distingue :
Les contraceptifs oraux dits de « première génération » qui contiennent
une forte dose d’œstrogène ;
Ceux de « deuxième génération » qui contiennent comme progestatif
du lévonorgestrel ou du norgestrel ;
Ceux de « troisième génération » qui contiennent comme progestatif
du désogestrel, du gestodène ou du norgestimate ;
Ceux de « quatrième génération » qui contiennent comme progestatif
de la drospirénone.
Les pilules de première et deuxième génération sont anciennes et les
laboratoires pharmaceutiques n’en font plus la promotion car leur
rentabilité financière est faible. Pour augmenter les ventes des nouvelles
pilules de troisième et quatrième génération, plus rentables, l’industrie
pharmaceutique a fait croire, par l’intermédiaire de visiteurs médicaux
persuasifs, à de nouveaux avantages. En réalité, dans le rapport bénéfices-
risques, les risques étaient beaucoup plus importants. Pendant des années,
les médecins ont prescrit ces nouvelles pilules sous prétexte qu’elles
faisaient prendre moins de poids ou qu’elles n’étaient pas à l’origine de
poussées d’acné, de nausées, de jambes lourdes, de douleurs mammaires…
Malheureusement, les risques de ces nouvelles pilules sont avérés. Elles
ont entraîné chez certaines femmes de graves complications, en particulier
l’augmentation du risque de la formation de caillots sanguins, connu sous
le nom de « risque thromboembolique », autrement dit la survenue d’une
phlébite ou d’une embolie pulmonaire. Un caillot sanguin peut aussi
migrer vers le cœur ou le cerveau, provoquant alors un infarctus ou un
accident vasculaire cérébral (A.V.C.). Il ne faut donc jamais oublier que la
pilule est un médicament à part entière et qu’il comporte en tant que tel
des risques.

Une utilisation détournée


Dans le scandale de ces pilules de troisième et quatrième génération, la
pilule Diane 35® occupe une place toute particulière. Des plaintes ont été
déposées entre les mains du Procureur de la République de Paris. Compte
tenu de la spécificité de ces produits, une enquête préliminaire toujours en
cours à ce jour a été ouverte au pôle de santé publique de Paris.
Parmi ces plaintes, le produit Diane 35®, mis sur le marché en France
en 1988, est concerné. L’indication officielle de Diane 35® est ainsi
libellée : « traitement de l’acné chez la femme : l’efficacité est modérée et
ne s’observe qu’après plusieurs mois de traitement ». Le fabricant, le
laboratoire Bayer, avait obtenu en France l’autorisation de mise sur le
marché pour cette seule indication dermatologique. Mais en pratique, on a
surtout tendance à la prescrire comme contraceptif, notamment aux
adolescentes présentant quelques problèmes d’acné. Il s’agit du « petit
plus » de ce produit de santé, véritable produit « deux en un ».
Il était donc facile de vanter les propriétés de ce produit miracle. Une
victime, Marjorie, se rappelle les circonstances de prescription de sa pilule
Diane 35®.

J’ai cherché dans mes souvenirs qui m’avait prescrit Diane


35® pour la première fois. Je me souviens avoir
accompagné ma mère chez son gynécologue. C’était en
1999. J’avais à peine 16 ans, je n’étais jamais allée voir un
tel spécialiste. Finalement nous n’avons fait que discuter et
ma mère est restée tout le temps avec moi. Nous avions
confiance en lui. Il savait que ma mère était victime
d’atroces migraines qui pouvaient l’obliger à rester
couchée trois jours et qu’elle était sous traitement (petit
détail qui aura son importance par la suite). Je le revois
nous annoncer avec un superbe sourire : « Je vais te
prescrire une petite pilule que les jeunes filles adorent, car
non seulement elle est contraceptive, mais en plus elle
permet de lutter contre l’acné pour avoir une belle peau. »
Je venais pour une contraception, je repars avec en bonus
une solution pour mon acné, et ce, sans avoir rien demandé.
J’ai pris Diane 35® durant 7 ans.

Le résumé des caractéristiques de Diane 35® est ambigu puisqu’il est


d’abord indiqué pour le traitement de l’acné, et détaille ensuite le mode
d’emploi en cas de recherche d’un effet contraceptif. Mais pour la Sécurité
sociale, Diane 35® n’est remboursé que pour le traitement de l’acné.
Quelques études mettent en lumière la dangerosité potentielle de ce
produit de santé. À la fin de l’année 1994, l’instance de réglementation
pharmaceutique allemande a entrepris une étude sur l’innocuité de Diane
35® après le décès, des suites d’un cancer du foie, d’une femme qui avait
utilisé ce produit comme contraceptif durant plusieurs années. Au terme
de cette étude, on a restreint l’indication de Diane 35® (d’abord en
Allemagne, puis dans d’autres pays d’Europe et en Malaisie) à un usage de
deuxième intention pour traiter les cas graves d’acné chez les femmes
présentant des symptômes de déséquilibre hormonal. C’est sous cette
seule indication que Diane 35® a obtenu son autorisation de mise sur le
marché au Canada en 1998. Il est alors établi que le progestatif présent
dans Diane 35®, la cyprotérone, est toxique pour le foie. La Food and
Drug Administration n’a, quant à elle, jamais approuvé la vente de ce
médicament aux États-Unis.
Par la suite, les inquiétudes de la communauté scientifique ont
davantage concerné le risque de thromboembolie veineuse, et plusieurs
études ont conclu que Diane 35® entraînait trois fois plus de risques sur ce
plan que bon nombre de contraceptifs oraux des deux premières
générations. La maladie thromboembolique veineuse se caractérise par la
formation d’un caillot de sang dans une veine, qui va perturber la
circulation sanguine. Ses deux formes principales sont la thrombose d’une
veine profonde, ou phlébite, qui se rencontre surtout au niveau des
membres inférieurs, et l’embolie pulmonaire avec la formation d’un
caillot sanguin au niveau des poumons, pouvant provoquer le décès, ou
dans une artère, migrant vers le cerveau et responsable d’un accident
vasculaire cérébral. C’est de cette dernière complication dont a été victime
Marjorie.

Nous sommes le 22 juin 2006 quand j’ai un étourdissement


en sortant de ma douche. En me regardant dans le miroir, je
m’aperçois que chacun de mes yeux a une moitié qui voit
clair et l’autre qui voit des petits points lumineux. Ne
craignant rien de grave, je me rends à un rendez-vous
programmé chez un client. Arrivée sur place, j’installe mon
ordinateur portable, et reste bouche bée devant mon tableau
Excel. Je ne distingue aucun chiffre et j’ai terriblement mal
à la tête… Mon client m’appelle un taxi et je file chez mon
médecin qui, à l’exposé de mes symptômes, semble
paniqué et me demande d’aller aux urgences pour passer un
scanner.
Allongée chez moi en attendant que mon conjoint me
conduise à l’hôpital, mon bras gauche est douloureux
jusque dans l’épaule. Il bouge, mais je ne le sens plus.
Arrivée aux urgences, un neurologue me prend en charge et
me fait un doppler des artères du cou. Il me demande si je
suis un traitement médicamenteux, je lui réponds que non.
Il me regarde et me dit : « Vous êtes sûre ? Vous ne prenez
pas la pilule ? » Je lui apprends alors que je suis sous Diane
35®.
Les résultats de l’I.R.M. tombent, mais ils doivent être
précisés par une ponction lombaire. Le neurologue me dit :
« Nous avons vu que des petits vaisseaux sanguins se sont
bouchés dans votre cerveau. Nous devons faire des examens
supplémentaires pour en découvrir la cause, y remédier si
nécessaire et en suivre l’évolution. » Les jours se
succèdent, les examens aussi : I.R.M., doppler, ponction
lombaire, échographie cardiaque, échographie
transœsophagienne, prises de sang tous les jours, bilan
ophtalmique…

Aucune explication ni aucun diagnostic ne seront évoqués, car aucun


lien n’a été fait à cette époque entre la survenue de l’A.V.C. et la prise de
Diane 35®. Pourtant, dès avril 2003, l’Agence canadienne avait reçu onze
notifications d’accidents thromboemboliques veineux, dont un mortel,
depuis la commercialisation de Diane 35® en 1998. Au vu de l’ensemble
de ces éléments, il apparaît de manière scientifique que la cyprotérone
n’est pas un progestatif de choix pour un contraceptif oral : elle expose à
un risque accru de thromboses veineuses, difficile à justifier par ses effets
cutanés. En d’autres termes, les composants de Diane 35® seraient
susceptibles d’engendrer de graves complications pour ses
consommatrices.
L’affaire dite des pilules de troisième et quatrième génération (et donc
de Diane 35®) éclate avec un premier dépôt de plainte en décembre 2012,
et une extraordinaire médiatisation. Rapidement, différentes plaintes sont
déposées auprès du pôle de santé publique de Paris à partir du
14 décembre 2012. C’est à ce moment-là que Marjorie fait le lien avec sa
propre histoire.
Nous sommes le 2 janvier 2013. Ma mère m’a alertée à
plusieurs reprises sur un reportage qu’elle a vu aux
informations concernant une jeune Bordelaise qui a fait un
A.V.C. à cause de sa pilule. Il y a d’abord ces images de
Marion L. avec son histoire, puis une interview en direct de
son avocat, maître Courtois. Une fois le sujet terminé, je
me tourne vers mon conjoint sans dire un mot, et je me
rends compte que nous avons la même expression sur le
visage : les yeux écarquillés, la bouche ouverte. Nous
venions de réaliser ce qui m’était arrivé 7 ans auparavant.
Je réalise que ma pilule est à l’origine de mon A.V.C. Ce
qui me paraissait inconcevable à l’époque se révèle grâce
au témoignage de Marion L. Je prends conscience que des
indices, des preuves ont été déposés à charge contre ma
pilule, mais que personne n’a pris le risque de se mouiller
et de l’incriminer directement. Pour moi, un médicament
est la réponse à une maladie ; c’est peut-être ce qui
explique que je n’ai pas réussi à réaliser qu’elle pouvait
être la cause de mon A.V.C. L’une des premières choses que
j’ai pensées après avoir découvert Marion, c’est : « Je ne
suis pas seule, on est au moins deux ! » J’ai réalisé ensuite
que nous devions être des dizaines, des centaines peut-être,
mais j’étais loin d’imaginer que nous étions des milliers
tous les ans, et tout cela dans un silence et une indifférence
assourdissants.

L’obligation de sécurité
et le principe de précaution mis en cause

Les plaintes déposées reprochent au directeur général du laboratoire


Bayer Santé d’avoir commis une première faute en suggérant, tant dans le
résumé des caractéristiques du produit destiné aux professionnels que dans
la notice de Diane 35® destinée aux consommateurs, que ce médicament
constitue un contraceptif, alors qu’il ne détient une autorisation de mise
sur le marché qu’en qualité d’antiacnéique. En agissant de la sorte, le
laboratoire Bayer Santé aurait commis une faute grave caractérisée qui
exposait autrui à un risque sérieux qu’il ne pouvait ignorer. Bayer Santé
aurait en outre violé de façon délibérée l’obligation de sécurité. En ne
répercutant pas ces informations capitales aux consommatrices, le
directeur général du laboratoire Bayer Santé en poste à l’époque des faits
litigieux aurait donc commis une deuxième négligence. Accusations qui
sont constatées, comme nous le verrons plus loin.

Lorsque le produit n’offre plus la sécurité nécessaire, le fabricant doit


alors en informer les autorités compétentes et prendre les mesures qui
s’imposent afin de prévenir les risques pour les consommateurs. Au
premier rang de ces mesures : le retrait du marché. Or, dès 1994, la
toxicité pour le foie de la cyprotérone contenue dans Diane 35® ainsi que
le risque accru de développement d’un cancer du foie étaient démontrés.
Dès 2001, des études épidémiologiques ont mis en évidence le fait que le
médicament Diane 35® est associé à une augmentation de survenue
d’accidents thromboemboliques veineux par rapport aux autres
contraceptifs oraux combinés, et notamment aux pilules de deuxième
génération. Ainsi, alors que le risque pour la santé des consommatrices
était scientifiquement prouvé et porté à la connaissance du fabricant, ce
dernier ne semble avoir pris aucune mesure efficace pour protéger la santé
et la sécurité des utilisatrices. Compte tenu de ses missions, de ses
fonctions et des moyens dont il disposait, le directeur général du
laboratoire Bayer Santé n’en avait-il pourtant pas non seulement la
possibilité, mais, plus encore, l’obligation ?
Par ailleurs, le principe de précaution s’impose aux autorités publiques
en les obligeant à prendre des mesures destinées à prévenir certains
risques liés à l’environnement et à la santé. S’agissant de ce dernier
domaine, c’est justement l’A.F.S.S.A.P.S. qui s’est vu confier à l’époque
une mission de police sanitaire pour tous les produits de santé. Ainsi,
lorsqu’un médicament est soupçonné de présenter un danger pour la santé
humaine dans des conditions normales d’emploi, l’A.F.S.S.A.P.S. (devenue
l’A.N.S.M.) peut prendre des mesures de suspension de fabrication et de
commercialisation, ou fixer des conditions restrictives d’utilisation de ces
produits. Or, en l’espèce, alors que des études scientifiques faisaient état
de la toxicité de ce médicament dont il était de notoriété publique qu’il
était prescrit comme contraceptif hors A.M.M., le directeur général de
l’A.F.S.S.A.P.S. ne semble pas avoir mesuré le danger et n’a pris aucune
décision destinée à protéger les consommatrices. Il importe de rappeler
que l’accès à une contraception sûre, efficace et adaptée pour toutes les
femmes qui décident d’y avoir recours est pourtant une priorité de santé
publique. Pour Diane 35®, comme pour d’autres médicaments, les
organismes de contrôle ont failli à leur mission de protection de la santé
des utilisateurs. Tout le monde, notamment les praticiens et de surcroît le
laboratoire, savait que Diane 35® était utilisé comme contraceptif oral.
Les médecins ne pouvaient ignorer, en prescrivant Diane 35®, qu’ils
induisaient une fraude à la Sécurité sociale par un remboursement abusif.
Tous les scientifiques connaissaient le risque accru de survenue
d’accidents thromboemboliques veineux, dont certains ont
malheureusement provoqué des issues fatales par le biais d’embolies
pulmonaires.

Après la révélation de ce scandale, les ventes des pilules de troisième


et quatrième génération ont baissé de 60 % sur la période janvier-avril
2014 par rapport à la même période en 2012. Dans le même temps, les
ventes des pilules de première et deuxième génération ont augmenté de
36 % et la vente de stérilets de 45 %.
Marjorie a décidé de se battre :

Aujourd’hui, je poursuis mon action de sensibilisation aux


côtés de Marion L., qui est devenue une amie, ainsi que de
sa famille et de l’association A.V.E.P. (Association pour les
victimes d’embolies pulmonaires et d’A.V.C.). Ensemble,
nous travaillons avec les institutions pour faire bouger les
choses, améliorer les pratiques professionnelles de
prescription et de prise en charge des accidents, faire
réévaluer les statistiques d’accidents (en 2013, environ
3 500 cas avérés de thrombose et une vingtaine de décès par
an : embolies pulmonaires et phlébites, hors A.V.C., selon
l’A.N.S.M.) et de risques d’accident (de 3 à 4 pour 10 000
par an pour les pilules de troisième et quatrième génération
annoncés par les laboratoires, nous sommes passés
aujourd’hui à 12 pour 10 000 pour certaines molécules
comme celle utilisée dans Diane 35® selon l’Agence
européenne du médicament). Nous militons pour une
meilleure information des femmes car toutes les
contraceptions hormonales comportent des risques de
thromboses, le bénéfice-risque doit être sans cesse expliqué
à la patiente pour qu’elle ait conscience des risques et
surtout qu’elle sache quoi faire si elle détecte des signes
avant-coureurs. Nous luttons contre la non-indépendance de
certains médecins vis-à-vis des laboratoires
pharmaceutiques et menons bien d’autres actions, mais
pour ma part je me concentre sur ces domaines.
Il aura fallu qu’une victime dépose plainte au pénal fin 2012 pour que
des décisions soient enfin prises, sous la pression des médias. Pourquoi
attendre une plainte pour s’intéresser à un produit connu pour être prescrit
hors autorisation de mise sur le marché ? La justice doit-elle se substituer
au silence assourdissant des agences chargées de sécuriser notre santé ?
Nombre de victimes ont pu se reconnaître dans les plaintes déposées par
ces femmes qui ont eu le courage d’affronter les laboratoires.
Marjorie a en définitive mené à bien son cursus universitaire, mais au
prix de nombreuses souffrances et de séquelles irréversibles :

En 2013, je suis enfin diplômée en expertise comptable, un


véritable exploit compte tenu de mon histoire. J’ai encore
des séquelles (invisibles pour les autres) au niveau de mon
bras gauche, une hypersensibilité à la lumière, et une
fatigabilité irréversible souvent handicapante, qui
déclenche parfois d’autres troubles, tel un cercle vicieux :
problèmes de concentration, de mémoire… Cela peut
paraître minime comparé à d’autres qui ont eu moins de
chance, mais c’est toujours trop par rapport à ce que j’étais
avant. Et la punition ne s’arrête pas là car, financièrement,
qui vous indemnise parce que vous êtes moins performant
au travail et que votre évolution professionnelle s’en trouve
très ralentie ? De plus, il y a d’autres conséquences
pénibles, notamment lorsque vous voulez vous assurer :
prêt immobilier, contrat de prévoyance en tant
qu’indépendant, assurance décès… Votre antécédent
d’A.V.C. est gravé dans le marbre des questionnaires de
santé des assurances. Lorsque vous aurez la chance d’être
assuré, sachez que ce ne sera pas forcément pour tous les
risques, et surtout que vous aurez l’honneur de payer une
surprime.
La position adoptée par le laboratoire mis en cause est pour
le moins révélatrice. Ce dernier indiquant dans un
communiqué que le risque de formation de caillot dans le
sang lié à la prise de Diane 35® était « connu et clairement
indiqué » dans sa notice d’information, et que ce
médicament (et non pas pilule contraceptive) contre l’acné
ne devait être prescrit que « dans le respect des contre-
indications ». L’enquête en cours devrait permettre de
déterminer la réalité des faits contestés et de préciser la
prise de risque.

Devant l’absence de contrôle et de réactivité de l’A.N.S.M. et la


violation de la notion de sécurité par les laboratoires, ce sont les victimes
elles-mêmes qui ont pris en charge leur destin. Par le dépôt de plaintes
pénales, elles ont permis d’étaler au grand jour le scandale manifeste des
pilules de troisième et quatrième génération et de contribuer à éviter la
survenue de nouvelles complications graves et de décès. Ces victimes ont
joué leur rôle de lanceurs d’alerte, attitude que l’on attend maintenant de
chacun d’entre nous, devant la démission évidente et coupable des
médecins et des organismes de contrôle.

Le Pradaxa®, anticoagulant sans antidote…

De manière générale, un anticoagulant est un médicament utilisé pour


empêcher ou retarder la coagulation du sang. En contrepartie, les
anticoagulants, rendant le sang plus fluide, peuvent provoquer des
saignements, voire des hémorragies graves, si leur posologie n’est pas
parfaitement adaptée et surveillée. Pour simplifier, il existe des
anticoagulants oraux, notamment les antivitamines K ou A.V.K., comme
en contient par exemple le Previscan® dont vous avez peut-être entendu
parler, et des anticoagulants injectables, dont l’action est plus rapide,
comme l’héparine. Ces anticoagulants sont prescrits aux patients souffrant
de troubles cardiaques ou vasculaires, ou dans le cas d’un infarctus du
myocarde. Ils sont aussi utilisés à titre préventif après une intervention
chirurgicale ou une fracture. Malheureusement, la prise d’anticoagulants
oraux, simples d’utilisation, impose de surveiller de façon régulière le
taux de coagulation dans le sang et donc de réaliser des prises de sang
répétées et contraignantes. En revanche, en fonction de l’indice de
coagulation du sang, il est facile d’adapter la posologie.
En 2008, de nouveaux anticoagulants oraux (appelés les N.A.C.O.)
apparaissent sur le marché. Bien entendu, pour les laboratoires, c’est la
découverte du siècle, car avec ces nouveaux anticoagulants, un contrôle
sanguin n’est plus nécessaire. Les visiteurs médicaux font donc leur
travail et vantent les mérites de ces nouveaux produits. Les médecins
gobent leur argumentaire et les prescrivent en remplacement des
anticoagulants classiques. Malheureusement, les laboratoires n’ont pas
assez insisté sur un fait capital : aucun antidote n’existe en cas de
surdosage. Et des accidents hémorragiques parfois dramatiques ne tardent
pas à survenir.

C’est dans ce contexte qu’un nouveau médicament appelé Pradaxa®,


l’un des anticoagulants de la famille des N.A.C.O. produit et
commercialisé par le laboratoire Boehringer Ingelheim, a été mis sur le
marché avec autorisation le 18 mars 2008. Sans possibilité de contrôle de
son action et surtout en l’absence d’antidote en cas de surdosage, les
complications sont rapidement apparues. Des familles dont un proche est
décédé peu de temps après la prise de ce produit ont vite acquis l’intime
conviction que le Pradaxa® en était la cause et ont déposé une plainte
auprès du pôle de santé publique de Paris.

Une information biaisée du consommateur

Le responsable de la mise sur le marché doit fournir au consommateur


« les informations utiles qui lui permettent d’évaluer les risques inhérents
à un produit pendant sa durée d’utilisation normale ou raisonnablement
prévisible, et de s’en prémunir lorsque ces risques ne sont pas
immédiatement perceptibles par le consommateur sans un avertissement
adéquat ». Pour le cas des médicaments, ces informations doivent toutes
figurer sur la notice incluse dans la boîte. Or, dans le cas du Pradaxa®, il
ressort à sa lecture que les explications concernant la balance bénéfices-
risques sont tout à fait lacunaires.
De plus, il apparaît, à l’analyse des études et des essais réalisés sur ce
produit, qu’il n’apporte pas d’amélioration du service médical rendu dans
la prévention des accidents thromboemboliques veineux par rapport à
l’héparine. Enfin et surtout, il n’existe pas encore d’antidote, ni de
traitement spécifique d’efficacité prouvée, en cas de survenue d’un
accident hémorragique lié à l’action de ce médicament. En d’autres
termes, on ne peut endiguer l’effet de ce produit de santé en cas de grave
hémorragie et le décès du patient semble la seule issue.
Pour Nathalie, qui a déposé une plainte, la cause du décès de sa mère
ne fait aucun doute.

Tout commence par un coup de téléphone, le 13 octobre


2012. C’est ma sœur Marie : « La maison de repos vient de
m’appeler, maman est hospitalisée, ils attendent les
pompiers. Elle saigne beaucoup, elle a des rectorragies, ils
l’hospitalisent aux urgences… » Je travaille depuis douze
ans dans un S.M.U.R. (Service mobile d’urgence et de
réanimation). Pour moi, à ce moment-là, il n’y a pas
d’urgence ni d’inquiétude. J’appelle l’hôpital à
10 heures 30 et demande à parler avec l’urgentiste qui
prend soin de ma mère. Il m’apprend que son état est très
préoccupant.
J’arrive à l’hôpital, mes sœurs sont à l’extérieur : « On
nous a fait sortir de la pièce, les aides-soignants la
changent, elle a rempli de pleins bassins de sang. Le
médecin nous dit qu’on ne peut pas arrêter ce
médicament… » Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Je
traverse le couloir, je rentre en salle de déchoquage. Ma
mère est là… Je lui parle, mais elle ne répond plus. Le
médecin urgentiste entre, et demande à me voir dans son
bureau. « J’ai commandé du sang pour la transfuser, mais je
n’arrive pas à arrêter l’hémorragie avec ce nouvel
anticoagulant. » Je ne comprends plus rien. Les
cardiologues ont prescrit à ma mère du Pradaxa® il y a un
mois et demi pour une fibrillation auriculaire, dont une des
principales complications est la survenue d’un A.V.C. C’est
pour cette raison qu’il est préconisé de mettre en place un
traitement anticoagulant chez ce type de patient. Le
Pradaxa® aurait aussi l’avantage d’éviter les prises de sang
répétées car il serait plus sûr, et là on me dit qu’on ne peut
pas arrêter l’hémorragie !
À 11 heures 50, notre maman décède, entourée de trois de
ses filles. L’hémorragie sous Pradaxa® a été fatale.

Des essais cliniques mal conduits


Pour obtenir l’autorisation de mise sur le marché du Pradaxa®, le
laboratoire a réalisé des essais cliniques sur des patients. Chacun de ces
tests a exposé les patients à des hémorragies graves à une fréquence
similaire. Cependant, il s’avère que les conditions de ces essais étaient
différentes des situations habituelles de soins. Ainsi, les patients les plus
fragiles, âgés ou ayant un traitement médicamenteux lourd, et qui sont
pourtant les plus exposés aux risques hémorragiques, se sont trouvés sous-
représentés. De ce fait, la transposition des résultats des essais aux
situations réelles de soins était hasardeuse. En outre, au cours des essais
cliniques, les patients sont sélectionnés puis soumis à un contrôle appuyé.
Les conditions d’un essai clinique protègent donc davantage des effets
indésirables des médicaments que lors de l’utilisation en situation de soins
habituelle. En définitive, les patients qui font partie d’un essai clinique
sont surveillés au moindre effet secondaire, à la différence d’un patient
lambda prenant le produit seul à son domicile.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il apparaîtrait que le Pradaxa®
ne minore pas le risque de survenue d’accidents hémorragiques graves,
qu’il majore la survenue de sécrétion des plaies opératoires et qu’il ne
bénéficie d’aucun antidote connu en cas d’accident, alors qu’une
hémorragie sous antivitamine K est résorbable par l’administration de
vitamine K. Or, ces informations, pourtant capitales, ne sont pas portées à
la connaissance des patients par le biais de la notice du produit.

Le principe de prévention en question

Une obligation de vigilance concernant les risques des produits


commercialisés est imposée aux responsables de leur mise sur le marché.
Lorsque le produit n’offre plus la sécurité nécessaire, le fabricant doit en
informer les autorités compétentes et prendre les mesures qui s’imposent.
Au premier rang : la suspension du produit en première intention.
Si les conditions d’utilisation du Pradaxa® semblent, de prime abord,
plus simples que celles des autres anticoagulants, il apparaît, au fil des
prises, que le bénéfice escompté diminue compte tenu du nombre de
signalements réalisés (tout en gardant à l’esprit que la part de sous-
notifications reste inconnue…). En 2011, le Pradaxa® a été le médicament
au plus grand nombre de signalements pour effets indésirables graves à la
Food and Drug Administration. En octobre 2011, soit six mois après
l’autorisation du produit, l’Agence du médicament australienne (T.G.A.) a
reçu 297 notifications d’effets dont 70 hémorragies graves. Le 7 novembre
2011, au bout d’environ douze mois, le Centre national de
pharmacovigilance néozélandais avait reçu 295 notifications d’effets
indésirables imputés au produit, dont 51 hémorragies graves. En France,
pour la même période, l’Agence du médicament a reçu 210 notifications
d’effets indésirables dont 50 hémorragies et malheureusement, parmi ces
dernières, six se sont avérées fatales.
L’importance de ces chiffres montre bien que le produit contesté n’a
pas été assez étudié, notamment chez les patients les plus fragiles. Plus de
recul aurait été nécessaire sur certains effets indésirables, tels les
sécrétions des plaies. On peut donc reprocher au laboratoire, considérant
ces éléments qu’il ne pouvait méconnaître, de ne pas avoir alerté les
autorités de santé nationales et européennes sur ces nouvelles données,
lesquelles justifiaient une suspension sans conteste de la
commercialisation et une réévaluation du rapport bénéfices-risques du
produit. À ce sujet, le laboratoire Boehringer Ingelheim aurait fait savoir
que des recherches étaient en cours sur la mise au point d’un antidote. On
peut regretter que le laboratoire n’ait pas commercialisé de manière
simultanée le Pradaxa® et son antidote, ce qui aurait pu peut-être éviter de
nombreux décès… Car il faudra attendre plus de six ans pour que le
laboratoire Boehringer Ingelheim mette au point un antidote qui neutralise
les effets anticoagulants du Pradaxa®. La commercialisation de ce
médicament, le Praxbind®, a été autorisée le 25 septembre 2015 par
l’Agence européenne du médicament.
De même, selon deux études réalisées à partir des données de
Medicare (l’assurance santé gouvernementale aux États-Unis), le
Pradaxa® augmente le risque de saignements majeurs et gastro-
intestinaux. Ces données sont en contradiction avec celles de l’essai sur
lequel se sont appuyées les agences pour autoriser le produit sur leur
marché respectif. Les résultats communiqués « sont une source
d’inquiétude parce qu’il apparaît que les risques de saignements associés
au produit sont supérieurs à ceux observés avec la molécule jusqu’ici
utilisée, et significativement accrus par rapport à ce qui avait été
originellement rapporté lors de l’approbation de la F.D.A. ».
Contestant tout lien de causalité et de défectuosité de son produit, le
laboratoire Boehringer Ingelheim annonçait pourtant le 28 mai 2014 avoir
trouvé un accord amiable suite aux plaintes déposées aux États-Unis. Cet
accord mentionne le versement de 650 millions de dollars US, soit
470 millions d’euros.

Le manque de précautions des médecins

La prescription des nouveaux anticoagulants oraux, et du Pradaxa® en


particulier, ne doit pas être faite en première intention, mais toujours après
un échec des anticoagulants classiques. En effet, on ne dispose d’aucun
moyen pour mesurer, en pratique courante, le degré d’anticoagulation
obtenu, puisque les dosages sanguins sont réputés inutiles. De plus, du fait
de la brièveté de leur durée de vie, plus courte que celle des
antivitamines K, leur action est très sensible à l’oubli d’une prise. Et
surtout, l’absence d’un antidote en cas de surdosage est totalement
aberrante.
Dans ces conditions, comment le Pradaxa® a-t-il obtenu la préférence
des prescripteurs et des patients ? Le cas des médecins cardiologues
prescripteurs nous laisse perplexe. En effet, les cardiologues questionnés
indiquent qu’ils ont suivi les recommandations de la Société européenne
de cardiologie. Soit. Mais sur quels critères se fonde cette société pour
recommander la prescription du Pradaxa® ? Voilà une question à laquelle
Nathalie donne une réponse pour le moins corrosive :

Avant tout, je veux vérifier les propos du cardiologue, qui


aurait prescrit le Pradaxa® à ma mère sur les
recommandations de la Société européenne de cardiologie
parues en 2012 à propos de la fibrillation auriculaire. Je
découvre alors Grange Blanche, le site d’un cardiologue
expert indépendant à l’Agence nationale de sécurité du
médicament. Celui-ci a mis en ligne les déclarations
publiques des rédacteurs des recommandations de la
Société européenne de cardiologie. En résumé, 10 % des
rédacteurs des recommandations n’ont pas d’intérêt avec
l’industrie pharmaceutique, 33 % ont des liens d’intérêt
avec un laboratoire qui ne présente aucun traitement lié aux
recommandations, 26 % ont des liens avec B.M.S. (qui
commercialise le nouvel anticoagulant Eliquis®), 38 % avec
Boehringer Ingelheim qui commercialise le Pradaxa®, et
42 % avec Bayer qui commercialise le Xarelto®…
Peut-on alors vraiment se fier aux recommandations de la
Société européenne de cardiologie, dont les rédacteurs ont
autant de liens d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique ?
Comment les prescripteurs, démarchés par les laboratoires,
formés par les laboratoires où les recommandations sont
fortement liées à l’industrie pharmaceutique, peuvent-ils
prescrire en toute indépendance et en disposant
d’informations fiables ? Outre le flou total des
recommandations, une question me hante toujours :
comment ce médicament a eu son autorisation de mise sur
le marché ?

Laboratoires, médecins, justice :


à qui la faute ?

La défaillance des organismes de contrôle

Ces scandales ont tous le même dénominateur : la défaillance coupable


des organismes de contrôle. En effet, à l’origine chargées de protéger
notre santé et en théorie indépendantes, les agences de santé ont vocation à
éviter la survenue de ces problèmes. Chaque pays dispose de tels
organismes. Mais ces derniers, devant pourtant protéger les mêmes
valeurs, ne semblent pas exercer leurs attributions avec la même ardeur.
Voilà de quoi laisser quelque peu perplexe.
Ainsi, dans le scandale des prothèses mammaires P.I.P., la Food and
Drug Administration n’a pas hésité à traverser l’Atlantique pour venir
contrôler sur place la société en cause et les unités de fabrication situées
dans le Var. À son retour sur le territoire américain, la F.D.A. a refusé la
commercialisation des prothèses à base de silicone sur son sol.
L’A.F.S.S.A.P.S., dont le siège est à Bagnolet en région parisienne, ne s’est
jamais rendue dans le Var pour effectuer un contrôle similaire… Voici
donc deux organismes chargés de la sécurité sanitaire, qui ont une notion
diamétralement opposée de leur fonction. Le résultat est malheureusement
connu : 30 000 victimes en France et plusieurs centaines de milliers à
l’étranger. Un simple contrôle aurait pourtant permis de stopper ce
scandale. Il aurait été facile de démasquer la supercherie par une simple
visite de l’entreprise. Tout le monde savait que le gel de silicone était
défectueux et non conforme (en fait un gel absolument pas médical, utilisé
dans la confiserie et les composants électroniques).
Dans le domaine du médicament, le rôle exact des agences demeure
flou. Et, preuve d’une certaine honte à la suite du scandale du Mediator®,
l’A.F.S.S.A.P.S. a changé d’appellation pour devenir l’A.N.S.M. En fait, si
le nom est différent et si une petite partie de la direction a été remplacée,
l’A.N.S.M. a repris les missions, les obligations et les compétences
exercées par l’ancienne agence, ainsi qu’une grande partie du personnel et
les locaux…

Laboratoires et agences de sécurité sanitaire :


des liens opaques

Le lien entre les laboratoires pharmaceutiques et les agences de


sécurité sanitaire a toujours été dénoncé, mais jamais endigué. Il convient
de garder à l’esprit l’importance économique pour un laboratoire
pharmaceutique de disposer d’une autorisation de mise sur le marché. On
parle ici de milliards d’euros. Certains ministres, parlementaires ou hauts
fonctionnaires n’hésitent pas, une fois leur mandat terminé, à se mettre au
service des laboratoires afin de les aider à obtenir le fameux sésame
permettant de commercialiser leurs produits sur le territoire français.
Il est vrai que les mécanismes concernant l’obtention de cette
autorisation et donc son remboursement par la Sécurité sociale peuvent
nous laisser perplexes, pour ne pas dire soupçonneux. Comment expliquer
par exemple que pour le Mediator®, le remboursement par la Sécurité
sociale a été maintenu au taux maximum jusqu’à son retrait du marché,
alors que toutes les études scientifiques sérieuses mettaient en évidence
des risques largement supérieurs au bénéfice obtenu ?
Le financement de ces structures chargées de nous sécuriser est, lui
aussi, discutable. Afin de ne pas alourdir l’impact financier de leur
organisation sur les contribuables, les organismes de sécurité sanitaire
disposent d’un budget propre alimenté en grande partie par les taxes sur
les laboratoires. Il est certain que la délocalisation de ces derniers hors de
notre territoire conduirait à une forte diminution des revenus émanant de
cette taxe. On comprend l’intérêt de conserver les sociétés laborantines sur
notre sol. Refuser la mise sur le marché d’un produit de santé à un
laboratoire pourrait avoir des conséquences économiques importantes sur
les finances de l’État, mais aussi des organismes de contrôle. Ainsi,
comment peut-on être juge et partie, ou en tout cas lié à une structure dont
nous devons contrôler l’innocuité du produit ?
La même problématique existe entre les experts présents au sein de ces
organismes de contrôle et les laboratoires. Le scandale du Mediator® en
est l’exemple type. Le lobby pharmaceutique est omniprésent.
L’association Regard citoyen a publié en mars 2015 des chiffres édifiants
qui mettent en lumière le rôle trouble des laboratoires. Entre 2012 et 2014,
l’industrie pharmaceutique aurait offert 1,7 million de repas au corps
médical, au prix moyen de 42 euros. Au total, sur cette période, ce sont
237 millions d’euros qui ont été distribués aux médecins par les
laboratoires sous forme de voyages, de repas, de nuits d’hôtel… Il existe
une porosité néfaste entre l’industrie pharmaceutique et le monde médical.
Pourtant, suite au scandale du Mediator®, une loi était censée imposer
aux laboratoires de déclarer tous les avantages financiers accordés aux
professionnels de la santé. Malheureusement, de nombreuses restrictions
concernant la publication de ces données n’ont pas permis la transparence
escomptée. On apprend néanmoins que les trois laboratoires les plus
généreux sont Novartis (17,9 millions d’euros), Servier (13 millions
d’euros) et GlaxoSmithKline (11,7 millions d’euros). Les déclarations
d’intérêts obligeant tout médecin à indiquer l’existence d’un lien avec un
laboratoire ne constituent pas un frein à cette réalité bien plus économique
que sécuritaire. Cependant, en mars 2015, le Conseil national de l’Ordre
des médecins et l’association de médecins Formindep ont obtenu du
Conseil d’État que le montant des contrats passés entre les laboratoires et
les médecins soit enfin révélé. Et là, on ne devrait pas être au bout de nos
surprises.

La responsabilité des médecins

Outre la déficience des organismes de contrôle et la cupidité des


laboratoires obsédés par la rentabilité de leurs produits, d’autres acteurs
ont aussi joué un rôle important dans la survenue ou l’ampleur de ces
récents scandales : les médecins ! En prescrivant des médicaments hors
A.M.M. en toute connaissance de cause afin que leurs patients bénéficient
d’un remboursement illégal par la Sécurité sociale, ils ont fait le lit des
dernières affaires. En rédigeant pour le compte des laboratoires des
rapports d’expertise qui n’étaient pas le reflet de la vérité, certains
médecins experts ont contribué à la mise sur le marché de médicaments
dont l’efficacité n’était pas démontrée, mais la nocivité certaine.

Le rôle de la justice

Il convient de noter que tous les scandales de santé publique récents


ont été révélés grâce au courage d’une ou de plusieurs victimes. Il faut
qu’un patient médiatise le scandale pour que les autorités prennent
conscience, souvent tardivement, de la nécessité de prendre des mesures.
C’est pourquoi nous devons tous devenir des lanceurs d’alerte afin de
suppléer les carences avérées des organismes de contrôle officiels et
porter les coupables devant les tribunaux.
Mais le rôle de la justice est-il de s’ériger en protecteur de notre
santé ? Depuis cinq ans, nous sommes submergés par ce type d’affaires et
la justice est venue pallier le manque de réactivité des organismes de
contrôle. Les victimes des prothèses P.I.P. ont ainsi pu bénéficier d’un
procès dans un délai correct, leur permettant de ne pas attendre une trop
longue instruction, mais surtout faisant cesser les injures à leur encontre.
Une nouvelle délinquance est-elle née ? Celle du profit face à la santé
humaine ? Seul l’avenir nous le dira. Ce qui est certain, c’est que la justice
a un rôle à jouer. Mais même si elle condamne les responsables, ce sera
bien peu comparé aux années de souffrances passées, présentes et futures
des milliers de victimes. Parce que ce sont les victimes qui ont eu la peine
la plus lourde : la perpétuité. Vivre à perpétuité avec le souvenir, les soins,
les contrôles, les complications, les souffrances, la peur et l’angoisse.

Oui, les médicaments peuvent tuer !

En France, neuf consultations sur dix se terminent par la rédaction


d’une ordonnance. Pourtant, la prescription des médicaments devrait
toujours être la plus juste et la plus pertinente possible, ce qui est loin
d’être le cas. En effet, plus il y en a de prescrits, plus grands sont les
risques d’interactions médicamenteuses, c’est-à-dire que la prise d’un
médicament modifie l’efficacité d’un autre qui se trouve, au même
moment, dans l’organisme. Si les effets thérapeutiques s’ajoutent ou se
multiplient, on parle alors de potentialisation ou de synergie. Si, au
contraire, les effets sont diminués ou annulés, il s’agit d’inhibition ou
d’antagonisme. Certains effets indésirables, parfois graves, peuvent
apparaître au cours de la prise simultanée de plusieurs médicaments.
Par exemple, des médicaments à base de plantes peuvent modifier
l’action anticoagulante des antivitamines K. Les antibiotiques sont
susceptibles d’entraîner ou de subir des interactions diminuant, voire
annulant, leur efficacité. Ils peuvent aussi réduire l’efficacité d’une
contraception orale. Certains médicaments, comme le Mediator®, ont
carrément tué des patients parce qu’ils contiennent des substances
toxiques pour l’organisme. Il est évident qu’il est difficile pour un
médecin de connaître tous les médicaments par cœur, et plus encore leurs
interactions. Il existe des logiciels d’aide à la prescription, mais leur usage
semble encore rencontrer des réticences et ne pas être très répandu. On
conviendra aussi que notre pharmacopée contient bien trop de
médicaments, dont une grande partie est inefficace voire même néfaste,
puisque 180 médicaments suffiraient à soigner la majeure partie des
maladies !

Les patients français ne sont pas non plus assez raisonnables. Un


patient s’attend toujours à sortir de chez son médecin avec une ordonnance
entre les mains. Cela fait partie de nos exceptions culturelles. En France,
90 % des consultations se terminent par une ordonnance, contre seulement
72 % en Allemagne et 43 % aux Pays-Bas. Le fait de ne pas avoir de
prescription médicale à la fin d’une consultation équivaudrait pour le
Français à une mauvaise écoute et une mauvaise prise en compte de sa
maladie. Selon un rapport de l’A.N.S.M., chaque Français consommerait,
en moyenne, 48 boîtes de médicaments par an, ce qui est excessif !
Soulignons enfin le rôle prépondérant de la pharmacie clinique à
l’officine. Le pharmacien devrait toujours accompagner la délivrance du
médicament par une information. Il est censé contrôler si la posologie est
bien conforme à l’âge, au poids et aux autres traitements associés du
patient. Le pharmacien doit aussi faire attention aux interactions entre les
médicaments et avec l’alimentation.

Un éternel recommencement et des essais cliniques


qui tournent au drame

Tout médicament, pour être efficace, comporte des risques qu’il faut
connaître et évaluer. Médecin, pharmacien, patient, chacun de ces acteurs
de santé doit prendre ses responsabilités pour arriver à une utilisation
rationnelle et raisonnée des médicaments. Le 15 octobre 2015 a éclaté un
nouveau scandale, celui de la Dépakine®, dont il est à ce jour impossible
de déterminer l’importance. Ce médicament, produit par le laboratoire
Sanofi depuis 1967 et dont le principe actif est le valproate de sodium, est
utilisé en particulier pour le traitement de l’épilepsie. Pourtant, dès 1982,
une étude, parue dans la revue scientifique The Lancet, accuse la
Dépakine® d’avoir des effets indésirables sur le fœtus, provoquant
notamment des malformations et des atteintes neurologiques. En 1996, des
documents confidentiels font apparaître les premiers cas de déclarations
de pharmacovigilance concernant des malformations de nouveau-nés. Le
scandale arrive aujourd’hui sur la place publique, alors que
80 000 femmes en âge de procréer prennent de la Dépakine®. Toujours les
mêmes questions se posent : pourquoi avoir attendu autant d’années pour
transmettre l’information aux parents et aux médecins prescripteurs ?
Pourquoi les neurologues ont-ils continué à prescrire de la Dépakine® à
des femmes enceintes alors que les risques étaient connus depuis 1982,
date à laquelle la littérature scientifique (cf. The Lancet) a commencé à
aborder ses efforts secondaires ? Combien d’enfants sont nés avec des
complications liées à ce médicament ? Nous sommes peut-être à la veille
de voir apparaître une « génération Dépakine® », après celle du
Distilbène®. La ministre de la Santé, Marisol Touraine, a demandé à
l’A.N.S.M. et à l’assurance maladie de recenser les enfants qui ont pu être
victimes des effets indésirables de cet antiépileptique et à l’Inspection
générale des affaires sociales (I.G.A.S.) d’ouvrir une enquête. L’affaire est
donc grave et touche des enfants, par centaines, voire par milliers.

Un nouveau drame de la santé est survenu le 16 janvier 2016. Ce jour-


là, six personnes sont hospitalisées en urgence au C.H.U. de Rennes, dont
une en état de mort clinique d’après les médecins. Or, ces individus
participaient à un essai thérapeutique portant sur un médicament du
groupe pharmaceutique portugais Bial. Désigné par le nom de code 1 Bial
35, ce médicament est destiné au traitement des troubles de l’humeur et de
l’anxiété, ainsi que des troubles moteurs liés à des maladies
neurodégénératives (comme la maladie de Parkinson). Biotrial, laboratoire
privé implanté à Rennes, a testé la molécule sur 90 patients, tous
volontaires et âgés de 18 à 55 ans. Les personnes hospitalisées auraient
commencé à prendre la molécule incriminée à la dose la plus élevée à la
date du 7 janvier, et les premiers symptômes neurologiques seraient
apparus dès le 10 janvier. Le processus est donc extrêmement rapide.
Ce drame nous invite à nous interroger sur les phases
d’expérimentation des médicaments. Après de très longs essais sur
l’animal, il existe trois étapes avant la mise sur le marché d’un
médicament. La première phase concerne des patients, tous volontaires,
informés et qui connaissent toutes les conséquences possibles de l’essai –
décès compris. Ils signent un document de consentement éclairé et sont
assurés en cas de survenue d’une complication. Le but est de mesurer la
tolérance du produit et de déterminer la dose maximale sans que
l’organisme réagisse mal. La deuxième phase permet d’étudier l’efficacité
de la molécule et de déterminer la dose optimale d’utilisation. Elle porte
sur quelques centaines de personnes, en général malades. La troisième
phase compare le traitement soit à un autre traitement de référence, soit à
un placebo. Elle porte sur plusieurs milliers de malades. L’objectif est de
montrer l’efficacité du médicament et d’évaluer le rapport efficacité-
tolérance.
Dans le cas du C.H.U. de Rennes, le drame s’est produit au cours de la
première phase de l’expérimentation. Les essais cliniques constituent en
effet une étape indispensable dans le processus d’élaboration des
médicaments avant leur mise sur le marché. La survenue de décès au cours
de la première phase est rarissime, puisqu’on travaille sur des personnes
en parfaite santé, régulièrement examinées et avec des doses entièrement
contrôlées. Pour l’Agence nationale de sécurité du médicament
(A.N.S.M.), « il n’y a jamais eu un événement aussi grave en France ».
L’Inspection générale des affaires sociales (I.G.A.S.) a été chargée
d’inspecter le site d’expérimentation de Biotrial. Enfin, une enquête pour
homicide et blessures involontaires a été ouverte par le pôle de santé du
tribunal de grande instance de Paris.
Tout a-t-il été bien vérifié en amont ? Des doutes sont permis. Le
principe actif de ce médicament d’un laboratoire portugais était fabriqué
en Hongrie, le médicament lui-même était élaboré en Italie, et
l’expérimentation clinique avait lieu en France… Ce qui montre encore
une fois les risques sur la santé de l’internationalisation des processus de
production, si chacun n’effectue pas les contrôles nécessaires pour assurer
la qualité et la conformité du médicament en question. De plus, à ce stade
de l’expérimentation, il n’existait aucun antidote. Il convient désormais de
déterminer où se cache l’erreur qui a causé le décès d’un patient.
Or, l’I.G.A.S. a révélé trois manquements majeurs dans la gestion de
l’essai clinique. Son rapport estime que le laboratoire Biotrial « ne s’est
pas tenu suffisamment informé de l’état du patient hospitalisé » le
10 janvier et qu’il a continué à administrer la molécule aux autres
volontaires le 11 janvier. Le deuxième manquement réside dans le fait que
« le laboratoire n’a pas formellement informé les autres volontaires de
l’incident survenu la veille ». Cette attitude semble contraire à la notion de
consentement éclairé car les autres volontaires, informés, auraient pu
refuser la poursuite de l’essai clinique. Enfin, il est reproché au laboratoire
d’avoir tardé à signaler l’accident aux autorités. Toutefois, les causes
exactes ne sont pas encore connues bien que l’hypothèse d’une trop grande
concentration du produit actif dans l’organisme de la victime soit avancée.
Affaire à suivre.
1. Le docteur Irène Frachon nous a fait la gentillesse et l’honneur d’accepter d’expliquer
en quelques pages le scandale du Mediator® tel qu’elle l’a vécu, et de pointer du doigt
tous les dysfonctionnements inadmissibles dont a bénéficié, à de nombreux niveaux, le
laboratoire Service. Qu’elle en soit chaleureusement remerciée en notre nom et en celui
des victimes à qui elle a rendu leur dignité.
Chapitre 3

Les scandales paramédicaux


et sanitaires

D’autres scandales sanitaires ont eu pour facteur déclenchant


l’utilisation de produits industriels toxiques comme l’amiante, ou
l’implantation dans le corps humain de dispositifs médicaux dangereux
non conformes aux caractéristiques déclarées pour l’obtention de
l’autorisation de mise sur le marché. Dans le domaine industriel, le
scandale de l’amiante et ses dizaines de milliers de morts est bien entendu
dans tous les esprits. On attend encore pas moins de 100 000 morts
supplémentaires jusqu’en 2050. Plus récemment, l’affaire des prothèses
mammaires P.I.P. a contraint plus de 20 000 femmes à faire retirer en
urgence des prothèses contenant un gel défectueux et potentiellement
toxique. La chirurgie esthétique, en se banalisant, est désormais à la portée
de tous. Il est évident que la multiplication des actes, réalisés par des
professionnels dont les compétences ne sont pas toujours optimales, peut
causer des complications physiques ou psychiques souvent irréversibles.
Enfin, l’utilisation à grande échelle des compléments alimentaires,
bénéfiques dans des conditions précises, semble connaître des dérives en
promettant des résultats spectaculaires.

Les prothèses mammaires P.I.P.


Nous aurions presque affaire à une banale tromperie, commise par des
personnes sans scrupule, si des femmes n’étaient pas condamnées à devoir
subir au mieux des explantations et, au pire – malheureusement pour la
grande majorité d’entre elles –, des souffrances extrêmes et des
complications graves, parfois mortelles…

Un scandale de cupidité et de profit

Un implant ou prothèse mammaire est une prothèse utilisée en


chirurgie plastique pour augmenter le volume d’un sein, soit à visée
esthétique pour convenance personnelle, soit dans un but de reconstruction
après l’ablation d’un sein suite à un cancer.
En 1961, en observant une poche de sang en salle d’opération, des
plasticiens de Houston, aux États-Unis, ont l’idée d’un sac en silicone.
L’implant qu’ils développent est constitué d’une enveloppe en silicone
remplie d’un gel épais et visqueux, lui aussi en silicone. Ce type d’implant
connaît un grand succès, mais sera interdit en France en 1995 suite à des
plaintes d’Américaines atteintes de cancer, considérant là que des fuites
du gel composant leur prothèse seraient responsables de leur maladie.
Et les chiffres sont impressionnants. On estime que 30 000 femmes ont
porté les tristement célèbres prothèses mammaires dites P.I.P. (Poly
Implant Protheses). La firme P.I.P. a inondé l’Europe de l’Ouest
(Angleterre, Espagne, Allemagne), de l’Est, les pays d’Amérique du Sud
(Venezuela, Colombie, Brésil, Argentine), l’Iran, la Turquie, Israël,
l’Australie, la Thaïlande, le Japon, la Chine ou encore les Émirats arabes
unis. En France, environ 400 000 femmes portent des prothèses
mammaires. Alexandra, présidente de l’Association des porteuses de
prothèses P.I.P. (Association P.P.P.), résume le cheminement de ces
femmes et les difficultés, la souffrance et les doutes qui le parsèment.
Pour beaucoup, la femme siliconée symbolise l’image
même de la futilité, du superficiel… Quelle image
erronée ! Je suis porteuse d’implants mammaires en
silicone depuis presque six ans. Mes motivations n’étaient
ni futiles, ni irréfléchies, puisque j’ai patienté plus de dix
ans entre le moment où j’ai pris cette décision et celui où
j’ai pu y accéder financièrement. J’ai été mère très tôt, par
choix, et n’ai de ce fait pas connu mon corps de femme.
Avant mes grossesses, j’avais ce que l’on peut appeler une
poitrine « généreuse », qui s’est amoindrie au fil des
enfantements. Ma décision de me faire opérer ne tenait pas
à une image que je voulais renvoyer aux autres, mais à
l’image que je percevais de moi. Me contempler dans un
miroir était devenu une épreuve, malgré le regard
bienveillant et rempli d’amour de mon mari. Comment
accepter le regard de l’autre quand on ne s’accepte pas soi-
même ? Cette opération, j’y ai eu recours pour moi et
personne d’autre.
Les jours qui ont suivi l’intervention, je ressentais une
angoisse dans l’attente du retrait du pansement compressif.
Mais mes attentes furent satisfaites au-delà de mes
espérances. J’avais enfin une poitrine digne de ce nom ! Un
sentiment d’apaisement m’envahit, mes craintes
s’évanouirent, je pouvais enfin être moi sans avoir honte de
me dévoiler à mon mari, je pouvais enfin me regarder dans
un miroir sans détester ce que je voyais, je pouvais enfin
revivre. Et le changement n’était pas uniquement physique,
il était bien plus profond que cela, je me suis ouverte et
épanouie de manière extraordinaire, mon époux me dira
bien plus tard que cette opération m’a transformée
positivement.

P.I.P. a pour objet social la conception et la commercialisation de


prothèses mammaires préremplies de gel de silicone, destinées à la
chirurgie esthétique et à la chirurgie reconstructrice. La société P.I.P. a
commercialisé ces prothèses en France dans des établissements de soins
(cliniques et hôpitaux), ainsi que chez des distributeurs. Les chirurgiens
esthétiques avaient même la possibilité de se fournir directement auprès
de l’entreprise.
Mais la fraude était en quelque sorte « innée » au sein même du
processus de production de la société P.I.P. En prévision de chaque
inspection par un organisme de contrôle, le gel défectueux que contenaient
les implants était remplacé par celui conforme à l’autorisation de mise sur
le marché. Le 17 mars 2010, l’agence a effectué une inspection au sein de
la société P.I.P. à la Seyne-sur-Mer. Au cours de ce contrôle,
l’A.F.S.S.A.P.S. a recueilli des éléments qui prouvaient l’utilisation de
matières différentes de celles prévues dans le dossier de conception, et qui
avaient permis d’obtenir le droit de commercialisation selon la norme CE.
Aussi l’A.F.S.S.A.P.S. a-t-elle décidé le 29 mars 2010 de suspendre la mise
sur le marché et l’utilisation des implants mammaires P.I.P. préremplis de
gel de silicone.
En effet, l’agence a constaté que « le nombre d’incidents signalés dans
le cadre de la matériovigilance concernant les implants mammaires
préremplis de gel de silicone fabriqués par la société Poly Implant
Protheses a augmenté de façon significative par rapport aux implants
produits par les autres fabricants, et il s’agit essentiellement de ruptures
de l’enveloppe de la prothèse. […] Une diffusion anormale de silicone au
travers de l’enveloppe peut générer une fragilisation de cette dernière et
pourrait donc expliquer le taux de rupture observé en matériovigilance.
[…] La diffusion de silicone dans l’organisme peut également conduire à
la survenue de complications locorégionales. […] Les incidents de
vigilance fondent une suspicion de danger ».
La société P.I.P. a reconnu par ailleurs avoir commercialisé des
implants sans qu’il existe une traçabilité réelle des produits de nature à
garantir leur conformité. Aucun numéro de lots précis n’était indiqué sur
les implants ! Cela signifie donc qu’il n’y avait là aucune possibilité de
connaître le devenir des prothèses après leur mise en vente.

Le combat des victimes

De nombreuses femmes porteuses d’implants mammaires P.I.P. ont été


anéanties et désemparées en apprenant les déclarations de l’A.F.S.S.A.P.S.
Heureusement, Alexandra, qui a réussit à regrouper un grand nombre de
victimes potentielles au sein de son association P.P.P., nous livre son
témoignage.

Nous sommes le 31 mars 2010. Alors que j’écoute les


informations télévisées, j’apprends que les prothèses
mammaires fabriquées par le laboratoire Poly Implant
Protheses viennent d’être retirées du marché par décision
des autorités sanitaires. Or, c’est la marque des implants
que je porte ! Au début, il est simplement dit que les
implants ont été retirés du marché et rappelés car ils sont
remplis d’une silicone différente de celle déclarée dans le
cahier des charges par l’entreprise qui la fabrique. Rien
d’alarmant en soi… et pourtant, des groupes de discussion
se forment et la suite se dessine comme une évidence : nous
avons été trompées, nous devons agir ! La première chose
que beaucoup de ces femmes et moi-même ferons, c’est de
prendre rendez-vous avec le chirurgien qui nous a opérées
afin de lui faire part de nos doutes et de lui poser nos
questions. Évidemment, ces derniers nous répondront qu’ils
sont les premiers surpris (la suite des événements et divers
témoignages nous permettront d’en douter) et qu’il n’y a
aucune contre-indication à garder les prothèses P.I.P. J’en
viens néanmoins à me demander ce qui pousserait les
autorités sanitaires à retirer des implants du marché s’il
s’agissait « juste » d’un détail et si cela ne représentait
aucun risque pour les porteuses de ces derniers. C’est ainsi
que l’Association P.P.P. a vu le jour le 4 avril 2010. Très
vite, la magie d’Internet aidant, et avant même que le
compte en banque de l’association ne soit créé, nous
recevions entre trente et cinquante bulletins d’adhésion par
jour. Mais nous étions encore très loin d’imaginer la
suite…

Saisie par le procureur de la République, la section de recherches du


groupe Santé publique-environnement-lutte anti-terroriste intervient sur le
site de la société P.I.P. Il ressort des expertises réalisées par
l’A.F.S.S.A.P.S., rendues publiques le 28 septembre 2010, que « les
analyses confirment que le gel P.I.P. n’atteint pas le degré de qualité d’un
gel de silicone destiné à des implants mammaires. Le test d’allongement
jusqu’à la rupture est non conforme, ce qui démontre une fragilité des
enveloppes remplies de gel P.I.P. et explique un taux de rupture supérieur à
la moyenne. » Il est aussi démontré que le gel P.I.P. présente un pouvoir
irritant que l’on ne retrouve pas sur les gels de silicone des autres
prothèses, ni sur celui déclaré dans le dossier de mise sur le marché. Le
contact du gel avec les tissus peut être provoqué par une rupture de
l’enveloppe ou par une fuite du gel à travers l’enveloppe. Cela conduirait à
des réactions inflammatoires chez certaines patientes.
L’A.F.S.S.A.P.S. indique aussi que les performances et la sécurité des
prothèses P.I.P. ne sont pas conformes à ce qu’elles devraient être.
Toutefois, l’agence elle-même aurait expurgé de ce fameux rapport des
informations concernant ses propres manquements, ainsi que d’autres
éléments qu’il aurait dû contenir… S’agit-il d’une simple rumeur ou d’une
information fondée ? La vérité devrait finir par éclater car l’A.F.S.S.A.P.S.
est mise en cause dans plusieurs actions pénales. L’A.F.S.S.A.P.S.
démontre par ailleurs une importante hétérogénéité dans la qualité des
prothèses et conclut que toute personne porteuse d’implants P.I.P. doit
bénéficier d’un examen clinique complété par une échographie ! Et, bien
sûr, toute rupture ou suspicion de rupture d’une prothèse doit conduire à
son explantation, ainsi qu’à celle de la seconde.

Les fautes étaient donc connues ! Mais ces informations n’arrivent


encore aujourd’hui qu’au compte-gouttes et ce n’est que grâce à des
journalistes que les victimes apprendront que le gel contenu dans les
prothèses P.I.P. n’est pas un gel médical mais un mélange « maison » de
produits, toxiques pour certains, mis au point par le fondateur de P.I.P.,
Jean-Claude Mas. Aussi, après ces révélations, l’Association P.P.P.
demande à être entendue par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot,
qui accuse de manière étonnante une fin de non-recevoir.
En novembre 2011, tout bascule enfin. L’affaire P.I.P. prend une
tournure inattendue, bien plus sombre. L’une des adhérentes de
l’Association P.P.P., Edwige, décède des suites d’un lymphome T. Or, un
certificat médical affirme qu’il s’est développé au contact d’un implant
mammaire fissuré. Émue, choquée et en colère, Alexandra décide de
médiatiser ce décès.
Le 23 décembre 2011, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la
Santé, Xavier Bertrand, recommande l’explantation des prothèses de la
marque P.I.P. même sans signe clinique de détérioration.
La Sécurité sociale prend en charge l’explantation et la réimplantation
dans le cadre d’une maladie de longue durée (pathologie cancéreuse). Une
prise en charge partielle (explantation uniquement) est octroyée aux
femmes ayant eu recours à cette chirurgie dans un cadre esthétique. Cette
discrimination entre « bonnes » et « mauvaises » victimes va être mal
perçue par la grande majorité des femmes, et amplifiée par l’attitude
mercantile d’un grand nombre de chirurgiens esthétiques. Alexandra a des
mots très durs envers cette profession.

Je me rends compte que dans le domaine de la chirurgie


esthétique, le patient n’a aucune garantie. Même en cas de
ratage manifeste, très peu de chirurgiens reconnaîtront leur
responsabilité et la victime se retrouvera souvent à devoir
payer à nouveau.
Lors d’une réunion au ministère de la Santé, le président
d’un syndicat de chirurgiens esthétiques nous a
« gentiment » expliqué que les chirurgiens, ayant des frais,
ne pouvaient se permettre de réopérer à moins de
1 500 euros dans le cadre d’un remplacement de prothèses
P.I.P. Quoi de plus normal que de devoir repayer lorsque
l’on est victime ? En plus, ces messieurs nous font un prix
qu’ils jugent eux-mêmes raisonnable…
Peut-être que 1 500 euros est pour eux un prix raisonnable
au vu de leur salaire, mais pour une personne lambda,
économiser 1 500 euros n’est pas si simple ! N’ont-ils
aucune morale ? Rien n’est normal dans cette affaire. Une
entreprise qui met sur le marché un gel défectueux en toute
impunité pendant près de vingt ans, des alertes ignorées,
des manquements effroyables de la part d’organismes
chargés d’assurer notre sécurité, une certification CE
délivrée sur des mensonges, des chirurgiens qui savent
qu’il y a un souci avec ces implants mais qui se taisent, tout
comme les employés de P.I.P… et, malgré tout, c’est aux
victimes de payer !

Suite à cette décision de retrait préventif, les explantations vont se


multiplier pour celles qui en ont les moyens, les autres étant condamnées à
patienter et à vivre dans l’angoisse. En effet, il n’existe aucun signe avant-
coureur permettant aux femmes concernées de savoir si une prothèse va se
rompre. Par ailleurs, les implants ont des compositions différentes selon
les lots, la fabrication du gel ne répondant à aucun protocole précis. Et
dans tous les cas, explantation ne veut pas dire guérison. Alexandra l’a
compris :

Malheureusement, même si se faire retirer les implants


P.I.P. est un vrai soulagement, il n’en reste pas moins que
l’extraction ne signifie pas pour autant la fin des problèmes
de santé. Qu’adviendra-t-il de la silicone industrielle et
irritante qui s’est répandue dans le corps des femmes ayant
eu des ruptures ou des suintements de silicone au travers de
l’enveloppe ? La silicone ne se résorbe pas, et la plupart du
temps elle ne peut pas être retirée chirurgicalement. Quel
impact pour la santé des victimes dans l’avenir ?
J’ai déjà vu assez de photos montrant le gel répandu dans
les tissus organiques, provoquant des inflammations, des
douleurs, allant jusqu’à ronger les os. Je me rappelle les
photos prises lors d’une intervention d’extraction de
prothèses rompues, montrant des « creux » dans les côtes
de la patiente, là où le gel s’était aggloméré. Qu’on ne
vienne pas me dire que le gel P.I.P. n’a pas d’incidence sur
la santé. C’est un produit dangereux et toxique !
Les mois passent mais rien ne bouge. Les chirurgiens ne
s’estiment pas responsables et refusent de réopérer les
victimes à moindre frais alors que ce sont eux qui ont
choisi de travailler avec cette marque d’implants, et que
c’est à eux que les victimes ont fait confiance en tout
premier lieu… Ils tiennent un discours qui se veut
rassurant, quand ils ne vont pas jusqu’à se moquer
ouvertement des patientes angoissées qui se présentent à
eux dans l’espoir d’une aide appropriée. C’est inadmissible.

Jean-Claude Mas n’est incarcéré à titre provisoire qu’en mars 2012,


pour seul et unique motif de « défaut de paiement de caution » ! Pire
encore, il ne restera derrière les barreaux que quelques mois, jusqu’en
octobre 2012. Le jour de sa libération, c’est un homme d’apparence
misérable qui répond aux journalistes : « Je suis ruiné, je n’ai plus rien. »
Un premier procès pénal a lieu en avril et mai 2013 à Marseille. Les
victimes sont surprises d’apprendre les qualifications professionnelles de
certains salariés de cette entreprise : un soudeur devenu directeur du
directoire, une esthéticienne devenue comptable, un pâtissier devenu
assistant de production, un cuisinier devenu technicien… Bien entendu,
Alexandra témoigne tout en faisant partager la détresse et les souffrances
de toutes les autres victimes.

17 avril 2013, c’est le jour J, l’ouverture du premier procès


P.I.P. Lorsque nous arrivons devant le palais de justice
improvisé, il y a environ 400 victimes et beaucoup de
journalistes venus du monde entier. Première déception, les
victimes sont reléguées au fond de la salle. Deuxième
déception, les prévenus ne nous feront pas face. Troisième
déception, il manque à mon sens beaucoup de monde sur le
banc des prévenus. Où sont tous les ex-employés de P.I.P. ?
N’est-il pas inadmissible que l’A.F.S.S.A.P.S. et T.U.V.
(l’organisme allemand certificateur des implants P.I.P.) ne
soient pas parties civiles ? Tous ont joué un rôle dans cette
affaire.
S’ensuivent des journées longues et fastidieuses, à regarder
les responsables de ce scandale se renvoyer la balle. Mais
le plus pénible a été d’entendre les victimes raconter leur
calvaire. La douleur, qu’elle soit physique ou morale, est
perceptible dans leurs mots et ne laisse personne
indifférent, à l’exception des prévenus qui ne montrent
guère d’intérêt pour les récits de leurs victimes.
Je vais à mon tour témoigner à la barre. Lorsque je parle
des douleurs que les victimes portent malgré elles, me
reviennent en mémoire les heures passées au téléphone à
écouter ces femmes brisées. Je passe alors au ton
accusateur et décidé de celle qui montre les bourreaux du
doigt, et quitte la barre en ayant le sentiment d’avoir fait ce
pourquoi j’étais là, et les applaudissements dans la salle me
confortent dans cette idée. Les témoignages et les
plaidoiries se poursuivent jusqu’à la clôture de ce procès
éprouvant, dont le verdict ne sera rendu que sept mois plus
tard.

Les principaux responsables poursuivis pour les faits de tromperie


aggravée ont été reconnus coupables et condamnés par le tribunal
correctionnel de Marseille le 11 décembre 2014. Alexandra était présente,
accompagnée de nombreuses victimes, pour l’énoncé du jugement.
Bien que ne doutant pas un instant de la condamnation des
prévenus, je m’interroge sur les peines qui vont être
prononcées. Messieurs Jean-Claude Mas, Claude Couty,
Thierry Brinon, Loïc Gossart ainsi que mademoiselle
Hannelore Font sont tous reconnus coupables. Ce mot
résonne ! Ils sont maintenant moins arrogants qu’ils ne
l’étaient lors du procès.
Enfin, après presque quatre ans d’attente, une partie des
responsables sont reconnus coupables par la justice. Même
si les peines prononcées peuvent paraître, et sont,
dérisoires.
Nous avons aussi obtenu une indemnisation spécifique pour
le préjudice « d’anxiété ». C’est une première en France
dans le domaine de l’erreur médicale d’indemniser le fait
de craindre, tous les matins, que nos implants non encore
explantés ou que le gel de silicone laissé en place puissent
induire des complications pouvant se révéler graves.

Certains condamnés choisissent d’interjeter appel de cette décision,


obligeant les victimes à endurer un nouveau procès en novembre 2015,
devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence. Ce dernier témoigne encore une
fois d’un manque de respect évident. Les arguments de la défense nient
l’évidence. S’ils ne contestent pas leur responsabilité dans l’infraction
reprochée, ils combattent unanimement la dangerosité du produit.
S’appuyant sur les rapports récents, la défense des cinq prévenus argue de
l’absence de complication grave pour la santé des femmes concernées.
Malheureusement, il apparaît que ces études qui n’ont que cinq ans de
recul ne peuvent constituer de preuves formelles afin de tenter de rassurer
l’ensemble des femmes implantées par ces prothèses.
Après dix jours d’audience, le procureur a demandé dans ses
réquisitions quatre ans de prison ferme avec mandat de dépôt pour Jean-
Claude Mas, assortis de 75 000 euros d’amende et de l’interdiction
d’exercer toute activité en rapport avec la profession médicale. La notion
« mandat de dépôt » signifie que monsieur Mas devra être incarcéré le jour
même de l’énoncé du jugement, soit le 2 mai 2016 si le procureur est
suivi. Pour les autres prévenus, il a demandé des peines de dix-huit mois à
trois ans de prison dont une partie pourra être assortie du sursis.

Aujourd’hui, nous voilà donc sans doute à la veille d’un nouveau


scandale sanitaire, à plus grande échelle encore, concernant les prothèses
mammaires en général. En effet, les autorités sanitaires s’inquiètent d’un
nouveau cancer qui n’apparaîtrait que chez les femmes porteuses
d’implants mammaires, le « lymphome anaplasique à grandes cellules ».
Vingt-quatre cas, dont deux mortels, sont actuellement recensés en France,
et seraient apparus uniquement chez des femmes porteuses de prothèses
mammaires texturées (dont la surface n’est pas lisse), en particulier en
provenance d’un fabricant américain. Quand on sait que
400 000 Françaises portent des implants mammaires, on comprend
l’inquiétude manifestée par les autorités sanitaires.
Nous laisserons à Alexandra la conclusion de ce terrible gâchis
humain :

Ce que je retiens de l’affaire P.I.P., c’est que tout le système


de veille sanitaire est à revoir, que la norme CE ne garantit
rien puisqu’elle est donnée à l’aveuglette, que dans le
domaine médical, qui est devenu un business lucratif, être
victime est un véritable parcours du combattant et que si
vous coûtez de l’argent à l’État, on fera tout pour que vous
abandonniez votre lutte. À notre époque, nous ne devrions
pas voir de scandales comme P.I.P., le Mediator®, ou les
pilules. Dans un monde où le profit passe avant la santé, ne
doutez jamais de votre force. Unissez-vous, et agissez !

Chirurgie esthétique :
quand le rêve devient cauchemar

Quelle femme n’a pas rêvé un jour d’être plus belle, plus désirable, de
paraître plus jeune, d’avoir une peau lisse et sans rides disgracieuses, des
courbes harmonieuses et de surcroît à la bonne place ? Ceci est d’ailleurs
aussi de plus en plus valable pour les messieurs. Malheureusement, la
réalité n’est pas si simple et le rêve peut vite virer au cauchemar.
Lors d’une opération à visée esthétique, le médecin a une obligation de
résultat sur ce qu’il s’est engagé à obtenir. Toutefois, certains experts
refusent cette obligation de résultat mise à la charge du chirurgien,
considérant que, dès l’instant où il intervient sur le corps humain, il existe
un aléa. Celui-ci serait inhérent à toute intervention pratiquée sur le corps
humain et lié aux réactions imprévisibles de ce dernier. Aussi préfèrent-ils
alors parler d’« obligation de moyens renforcée », c’est-à-dire une
obligation de moyens qui est appréciée beaucoup plus strictement que
celle du chirurgien traditionnel. Néanmoins, les tribunaux tendent à se
rapprocher d’une obligation renforcée proche d’une obligation de résultat.
Vous devez toujours aborder avec beaucoup de sérieux une intervention de
chirurgie esthétique (lifting, rhinoplastie, liposuccion…), même si elle
peut vous paraître minime, voire anodine (injection de silicone, de botox,
peeling…).
En cas de complications ou d’échec, le chirurgien vous proposera
souvent une « reprise gratuite ». Cependant, il est difficile d’accepter cette
solution car il y a fort à parier que vous ne souhaiterez plus être opéré par
un chirurgien en qui vous n’accordez plus votre confiance. Certains
peuvent aussi proposer le remboursement de tout ou partie des honoraires
perçus. Si vous acceptez cette transaction amiable, il vous sera difficile de
continuer une action quelconque par la suite, car vous devrez signer un
document dans lequel vous vous engagez à interrompre toute poursuite en
échange du remboursement. En l’absence d’un accord amiable, vous avez
la possibilité d’engager une procédure devant les tribunaux. Ne perdez
jamais de vue que le résultat obtenu peut être différent de celui que vous
attendiez et que le chirurgien vous a montré sur son écran d’ordinateur.
N’oubliez pas cette phrase qui peut expliquer bien des échecs et des
rancœurs : « Le chirurgien fait les sutures, mais c’est le patient qui fait les
cicatrices. »

Aussi, avant toute décision de chirurgie esthétique, il convient de se


poser les bonnes questions :
Cette intervention est-elle nécessaire pour améliorer ma vie ?
Vais-je me reconnaître dans mon nouveau corps ?
Vais-je supporter le regard des autres après cette chirurgie ?
Suis-je réellement prêt à assumer les risques inhérents à cette
intervention ?
Ensuite, quelques précautions élémentaires sont à prendre :
Il ne faut jamais se faire opérer en urgence ou sur une décision hâtive.
Le chirurgien doit impérativement respecter un délai de réflexion de
quinze jours entre la consultation et la date de l’intervention.
Essayez d’obtenir plusieurs avis et ne faites jamais une confiance
aveugle.
Assurez-vous que le médecin choisi a une spécialisation en chirurgie
plastique, esthétique et reconstructrice (ce n’est malheureusement pas
toujours le cas).
Prenez des photographies de la zone concernée par la chirurgie, mais
aussi de l’ensemble de votre corps, avant et après l’intervention, et
datez-les. Certes, tout chirurgien esthétique prendra aussi de
nombreuses photographies, mais, dans le cas de problèmes
postopératoires, il n’est pas rare de le voir prétendre qu’il ne les
retrouve plus dans son ordinateur.
Exigez que le médecin que vous avez choisi soit celui qui vous opère.
Cela peut paraître évident, mais nombre de chirurgiens délèguent leurs
opérations à l’insu de leurs patients.
Demandez à votre chirurgien de vous indiquer avec précision par écrit
les suites opératoires classiques (douleur, œdème, paralysie
transitoire) et les risques graves et même exceptionnels. Il vous fera
d’ailleurs dater et signer un formulaire de décharge, appelé le
consentement éclairé.
Demandez un devis clair et précis que vous signerez conjointement
avec le chirurgien. N’oubliez pas de garder précieusement un
exemplaire de ce devis signé. Les praticiens ont la mauvaise habitude
de garder l’exemplaire signé par les deux parties et de ne vous donner
qu’un exemplaire non daté et non signé.
Enfin, demandez le nom de l’assurance de votre chirurgien.
Le consentement est la pierre angulaire de toute intervention
chirurgicale. Il doit être libre, c’est-à-dire que l’accord du patient ne doit
pas être obtenu par la force ou la ruse. Le médecin ne doit pas mentir ou
omettre des détails sur le traitement ou l’intervention chirurgicale dans le
but d’obtenir du malade son approbation. Il doit aussi être éclairé, c’est-à-
dire que le praticien doit donner une information simple et loyale pour
permettre au malade de prendre la décision qu’il souhaite.
Il est important que les médecins consacrent à la consultation
préopératoire le temps nécessaire pour donner les explications au patient
concernant le déroulement de l’intervention chirurgicale, les suites
opératoires classiques, les complications et les risques encourus, y
compris les complications rares et exceptionnelles. Cette notion de
consentement libre et éclairé du patient est impérative non seulement pour
les actes chirurgicaux, mais aussi pour tous les soins dentaires
(prothèses…). Vous devez toujours connaître les risques pour chaque acte
et donner ainsi votre accord après réflexion (sauf cas d’urgence, bien
entendu). La notion de non-consentement éclairé du malade est de plus en
plus retenue par les tribunaux en cas de litige. Elle peut en effet être
appliquée pour des faits remontant à plus de vingt ans, et obtenir gain de
cause !

Gardez toujours à l’esprit que la chirurgie esthétique, même pour une


opération anodine, comporte des risques inhérents à toute intervention
chirurgicale. Les complications peuvent se présenter sous la forme de
rougeurs, de douleurs, de cicatrices disgracieuses ou d’infections. Par
ailleurs, l’anesthésie, qu’elle soit locale, locorégionale ou générale,
présente aussi son lot de risques. Enfin, sachez que le tabagisme multiplie
par quatre les risques de complications lors d’une opération chirurgicale.

Compléments alimentaires :
bénéfiques ou dangereux ?

Les compléments alimentaires sont de plus en plus consommés par les


Français. Il en existe pour toutes sortes d’indications : être en meilleure
forme, baisser son taux de cholestérol, maigrir rapidement et sans efforts,
éviter la chute précoce des cheveux, diminuer les signes du vieillissement
ou tout simplement avoir une peau lisse et bronzée… Un Français sur cinq
(dont les trois quarts sont des femmes) consomme ces poudres, pilules,
liquides ou autres préparations aux vertus soi-disant miraculeuses. Cette
industrie représente un chiffre d’affaires de plus d’un milliard d’euros par
an. Plus de 500 nouveaux produits arrivent sur le marché chaque mois. Or,
il convient de ne surtout pas croire que les compléments alimentaires sont
inoffensifs et que seuls les médicaments seraient puissants au point
d’entraîner des effets secondaires dangereux. Il faut aussi garder à l’esprit
que des compléments alimentaires ne se consomment que sur une période
de trois mois maximum pour limiter d’éventuels effets secondaires
néfastes. Chaque année, on recense en effet plusieurs accidents mortels
dus aux compléments alimentaires.
Pour le ministère des Affaires sociales et de la Santé, les compléments
alimentaires sont définis comme « des denrées alimentaires dont le but est
de compléter un régime alimentaire normal et qui constituent une source
concentrée de nutriments ou d’autres substances ayant un effet
nutritionnel ou physiologique ». Comme leur nom l’indique, ces produits
ne peuvent en aucun cas remplacer un régime alimentaire normal. Ils se
présentent sous différentes formes orales – comprimés, pastilles, gélules,
poudres ou préparations liquides – et sont ingérés en petites quantités.
Rappelons aussi que ce ne sont pas des médicaments, qu’ils n’ont aucune
action thérapeutique et que, par conséquent, ils ne peuvent ni guérir, ni
même prévenir une maladie.
Les compléments alimentaires les plus vendus en France sont ceux
réputés faire mincir. Ils peuvent certes aider à perdre du poids, à condition
de respecter en parallèle une hygiène de vie associant un régime adapté et
une activité physique régulière. Les gélifiants, par exemple, sont
composés de plantes qui ont la propriété d’absorber une grande quantité
d’eau. Ces plantes, qu’il faut prendre avant les repas, gonflent au niveau
de l’estomac et coupent ainsi l’appétit. On trouve aussi des produits
drainants, souvent également à base de plantes, qui ont une action
diurétique en augmentant le volume des urines. On leur prête par ailleurs
une action bénéfique sur les reins et le foie. Les compléments alimentaires
« brûleurs de graisses » contiennent des extraits de plantes, des vitamines
et des acides aminés. On reconnaît à certains la possibilité de bloquer les
graisses au niveau de l’intestin, évitant ainsi le passage dans la circulation
sanguine.
La deuxième catégorie de compléments alimentaires à succès sont les
vitamines et les minéraux. Mais pourquoi les ingérer ? La question mérite
d’être posée car elle met en lumière un dysfonctionnement dans nos
habitudes. En effet, une alimentation saine et équilibrée est censée fournir
à notre organisme l’ensemble des vitamines et minéraux nécessaires à son
bon fonctionnement.

Mal utilisés, les compléments alimentaires peuvent avoir des


conséquences néfastes sur la santé et entraîner des effets toxiques en cas
de surdosage (dépassement des doses préconisées) ou de surconsommation
(prise simultanée de plusieurs compléments alimentaires). L’Agence
nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du
travail (A.N.S.E.S.) a publié en octobre 2014 un rapport dans lequel elle
dénombre 1 500 cas d’effets indésirables provoqués par des compléments
alimentaires, des aliments enrichis et des boissons énergisantes. Ils sont à
l’origine des trois quarts de ces effets néfastes.
Comment expliquer une telle situation ? Tout d’abord, la qualité des
compléments alimentaires est plus qu’aléatoire. Dans la mesure où il ne
s’agit pas de médicaments, ils ne sont pas soumis à une autorisation de
mise sur le marché et échappent aux contrôles scientifiques qui apportent
une garantie de qualité. Seul le distributeur est responsable de la
conformité de la mise sur le marché, dans le respect des normes en
vigueur et sans tromper le consommateur. En outre, les compléments
alimentaires sont vendus sans aucune ordonnance de prescription dans les
pharmacies, les grandes surfaces, les magasins spécialisés en diététique,
les magasins bio et bien entendu sur Internet. Vous devez d’ailleurs être
vigilant si vous optez pour ce dernier mode d’approvisionnement : lisez
leur composition, renseignez-vous sur l’interaction des différents
ingrédients et sachez que si le site est localisé à l’étranger, vous risquez
d’acquérir des produits contenant des substances interdites par la
législation française.
Mais il n’y a pas que la qualité des compléments alimentaires qui peut
être mise en doute. Leur efficacité est elle aussi sujette à caution. En
l’absence d’une alimentation saine et équilibrée et d’une bonne hygiène de
vie, vous êtes susceptible de présenter des carences en vitamines,
minéraux et oligoéléments. Baisse de la forme, fatigue, diminution de la
concentration et des facultés intellectuelles, chute des défenses
immunitaires, altération de la peau… Il est tentant de penser qu’en avalant
quelques pilules vous retrouverez la vitalité de vos 20 ans. La simple
lecture des étiquettes et les inscriptions concernant leurs « allégations de
santé » pourront d’ailleurs vous en convaincre. En effet, la législation
européenne autorise les distributeurs et les fabricants de compléments
alimentaires à apposer sur les étiquettes une mention expliquant qu’il est
bénéfique pour la santé de consommer tel aliment ou l’un de ses
composants (comme par exemple des vitamines ou des minéraux). Dans
ces conditions, pourquoi se compliquer la vie en achetant et cuisinant des
aliments, si vous pouvez remplacer une partie d’entre eux par une boîte de
gélules ?
De grandes désillusions guettent les consommateurs de compléments
alimentaires. Ainsi, une étude, présentée en 2010 au congrès mondial de
l’obésité de Stockholm et concernant neuf produits amaigrissants vendus
en Allemagne, a mis en évidence que ces compléments alimentaires
n’entraînaient aucune perte de poids ! Pour certains scientifiques, la prise
de compléments alimentaires à doses élevées et sur une longue durée
favoriserait même l’apparition de certains cancers. Selon une étude de
l’université de Caroline du Nord, une consommation prolongée de
compléments contenant de la vitamine A augmenterait le risque
d’apparition du cancer du poumon, surtout chez les fumeurs. Selon
d’autres études réalisées au Canada et aux États-Unis, ceux contenant de
la vitamine E accroîtraient l’apparition des cancers de la prostate, ainsi
que le taux de mortalité des malades déjà atteints. Une trop grande
consommation de zinc aurait les mêmes conséquences.
Encore plus préoccupant, des scientifiques avancent l’hypothèse que
les compléments alimentaires auraient aussi une action néfaste sur le
traitement des cancers. L’efficacité de la chimiothérapie pourrait en effet
être perturbée par les compléments contenant de la vitamine C. Cependant,
cette étude n’a été réalisée que sur des souris de laboratoire, et rien ne
permet aujourd’hui de transposer ces résultats à l’homme.
Par ailleurs, des complications cardiovasculaires, comme des A.V.C.
ou un risque accru d’infarctus du myocarde, ont été observées chez des
sujets ayant consommé de grandes quantités de compléments alimentaires,
en particulier ceux destinés à perdre du poids. Par exemple, la synéphrine,
que l’on trouve dans l’écorce d’orange amère et à laquelle on prête des
vertus amaigrissantes, déclencherait, en association avec la caféine, de
l’hypertension, des troubles cardiaques et même neurologiques.
Plusieurs études montrent aussi qu’une grande consommation de
compléments, à raison d’une prise quotidienne pendant plusieurs années,
peut entraîner une augmentation de la mortalité. Une étude américaine
concernant 41 000 femmes dont l’âge moyen est de 61 ans a mis en
évidence que l’utilisation de compléments alimentaires contenant du fer
accroissait la mortalité, notamment chez les sujets les plus âgées, et que
celle-ci était proportionnelle à la quantité ingérée. Pour ces mêmes
scientifiques, une hausse de la mortalité surviendrait avec la prise de
manganèse.
Enfin, leur consommation par les femmes enceintes ou qui allaitent est
proscrite en dehors de tout avis médical. On attribue à la vitamine A une
augmentation des risques de malformation au cours du premier trimestre
de la grossesse.
Une interaction est aussi possible entre vos médicaments et la grande
majorité des compléments alimentaires. Si vous êtes fumeur, vous devez
éviter les compléments alimentaires contenant des antioxydants (comme
la vitamine A ou le bêta-carotène) car on pense que ceux-ci augmentent la
survenue des cancers du poumon. Veillez à être vigilant en achetant des
compléments alimentaires contenant un mélange de plantes, car certaines
peuvent induire des complications cardiovasculaires ou contenir des
substances cancérogènes (noix de muscade, cannelle, fenouil ou basilic).

Une alimentation saine et équilibrée (cinq fruits et légumes par jour,


comme dit le slogan) vous permet d’éviter d’avoir recours à des
compléments alimentaires. Par ailleurs, les carences en vitamines et sels
minéraux sont rares. Mais il peut être difficile de résister à toutes les
publicités. Évitez cependant toute automédication et prenez l’avis de votre
médecin traitant avant tout achat de compléments alimentaires. L’idéal est
de faire des analyses afin de doser les vitamines et les sels minéraux et de
dépister d’éventuelles carences. Cette démarche permet de se faire
prescrire des compléments strictement adaptés aux besoins et d’éviter les
interactions avec les médicaments.
Privilégiez les circuits traditionnels sécurisés pour vous fournir et
n’achetez pas de produits sur Internet, surtout à l’étranger. Par ailleurs, les
cocktails de plantes sont à proscrire, ainsi que les pilules miracles
regroupant plusieurs composants et associant des vitamines et de la
caféine. En résumé, allez consulter votre médecin et achetez vos
compléments alimentaires en fonction de vos stricts besoins, pour un
temps limité, dans les pharmacies ou les espaces diététiques des grandes
surfaces ou des magasins spécialisés.

L’amiante mortel

Après avoir connu ses heures de gloire, l’amiante fait désormais peur.
Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler le périple du porte-avions
Clemenceau, renfermant des tonnes d’amiante dans sa coque, et dont
plusieurs pays ont refusé de voir le « désamiantage » s’effectuer dans leurs
ports entre 2003 et 2009.
L’amiante est un matériau qui possède des propriétés physiques et
chimiques spécifiques et dont le prix de revient est peu élevé.
Incombustible, il constitue un bon isolant thermique et électrique et résiste
à la traction et à l’action corrosive des produits chimiques. Grâce à ses
propriétés, il a trouvé de multiples applications dans l’industrie, en
particulier dans le bâtiment (agent ignifuge, isolation des tuyaux et des
chaudières, gouttières et joints d’étanchéité, revêtements de sol…) et dans
l’industrie automobile et ferroviaire (garnitures de freins, pots
d’échappement, joints et garnitures de fenêtres…).
L’utilisation intensive de l’amiante a débuté vers 1930. À partir de
cette date, des milliers de tonnes d’amiante ont été posés, tant au sein des
bâtiments publics que des habitations privées. Après la constatation de
nombreuses maladies graves dues à l’amiante, l’utilisation de ce matériau
a diminué à partir de 1970. Malheureusement, même si l’amiante n’est
plus utilisé aujourd’hui, il en reste de grandes quantités dans les bâtiments
au niveau de leur structure ou de leurs équipements (tuyaux, chaudières,
isolation…). Les différentes maladies induites par l’inhalation des fibres
d’amiante apparaissant après un délai de vingt à cinquante ans après
l’exposition au matériau, cela signifie que nous sommes au début de
l’apparition massive des cancers et autres maladies liés à l’amiante.
Plombiers, électriciens, maçons, chauffagistes, couvreurs…
900 000 professionnels sont potentiellement exposés à l’amiante dans le
cadre de leur travail. Et beaucoup en sous-estiment le risque. Or, la
situation est inquiétante : tous les bâtiments dont les permis de construire
ont été délivrés avant le 1er juillet 1997 sont susceptibles de contenir de
l’amiante. Selon les prévisions du Haut Conseil de la Santé publique,
« l’amiante devrait être responsable de 100 000 décès jusqu’en 2050 ». La
France devrait donc connaître dans les prochaines années une épidémie de
cancers dus à l’amiante, dont le point culminant est attendu entre 2020 et
2025. Pour le dire autrement, un tiers des retraités français seront
concernés !

De graves maladies

L’amiante présente un risque pour la santé lorsque les fibres se


détachent des matériaux et se propagent dans l’air ambiant. En l’absence
de précautions particulières, les fibres peuvent être inhalées, pénétrer les
voies respiratoires et se déposer dans les alvéoles des poumons. Hormis
les plaques pleurales, les trois principales maladies liées à l’exposition
aux fibres d’amiante sont l’asbestose, le cancer du poumon et le
mésothéliome.
Les plaques pleurales désignent une lésion bénigne de la plèvre, c’est-
à-dire de la paroi qui enveloppe les poumons. Elles ne déclenchent aucun
signe clinique et de ce fait sont découvertes à l’occasion d’examens
radiologiques systématiques, souvent dans le cadre de la surveillance des
personnes qui ont été exposées à l’amiante. Les plaques pleurales se
rencontrent chez plus de 50 % des personnes qui ont été en contact
important avec l’amiante. Ce pronostic est bon dans la majorité des cas.
L’asbestose est une maladie due à l’accumulation des fibres d’amiante
dans les alvéoles des poumons. Ces fibres sont enveloppées de tissu
cicatriciel, ce qui va rendre les poumons de moins en moins élastiques. La
personne atteinte présente des difficultés à respirer, avec des
essoufflements. La période de latence est de quinze à vingt ans après la
première exposition. L’asbestose est une maladie irréversible qui continue
à évoluer, même après l’arrêt de l’exposition aux fibres d’amiante.
Maladie « irréversible », elle s’aggrave peu à peu, diminuant la capacité
respiratoire et provoquant, à terme, le décès.
L’exposition aux fibres d’amiante multiplie par cinq le risque de
développer un cancer du poumon. Ce risque devient cinquante fois plus
élevé si l’exposition à l’amiante est associée à l’usage du tabac. Le cancer
du poumon se déclare trente à quarante ans après l’exposition initiale aux
fibres d’amiante.
Enfin, le mésothéliome est une forme rare de cancer de l’enveloppe
des poumons et de la cavité abdominale, dont les principaux symptômes
sont l’essoufflement et l’apparition de douleurs abdominales. Le
mésothéliome, dont la première cause est l’inhalation d’amiante,
n’apparaît également que trente à quarante ans après l’exposition initiale à
l’amiante.
Bien que ces quatre maladies constituent les affections les plus
connues et les plus fréquentes, l’amiante serait à l’origine d’autres maux
tout aussi graves : cancer du larynx, cancer du système gastro-intestinal
(en particulier de l’œsophage), de l’estomac et des intestins, cancer du
rein.

Une législation trop tardive

En France, l’asbestose ne fut reconnue maladie professionnelle qu’en


1945 et il fallut attendre 1977 et la première grande campagne contre
l’amiante pour obtenir un règlement limitant l’empoussièrement en
amiante dans l’air. En 1954, le risque de cancer du poumon était établi.
Quant aux mésothéliomes (cancers de la plèvre et du péritoine), leur
relation certaine avec l’exposition à l’amiante est connue depuis 1960.
Toutefois, les premiers textes réglementaires sur l’amiante et la santé ne
concernaient que l’aspect « réparation » (reconnaissance de la maladie
professionnelle en 1945) ! Il faudra attendre plus de trente ans pour voir
des textes définissant les mesures d’hygiène et de contrôle, et interdisant
les flocages à base d’amiante. Différents décrets réduiront l’utilisation de
l’amiante avant d’aboutir à son interdiction définitive sous ses formes les
plus nocives en janvier… 1997. Or, nous côtoyons toujours l’amiante resté
dans les bâtiments, mais aussi dans les trains ou les automobiles que nous
utilisons, voire dans la vie quotidienne avec nos grille-pain, nos joints de
fours et de cuisinières et nos tuyaux en éverite par exemple.
Sachez que les « maladies de l’amiante » sont au premier rang des
maladies professionnelles en France. Une maladie est dite
« professionnelle » si elle est la conséquence directe de l’exposition d’un
travailleur à un risque chimique ou biologique, ou qu’elle résulte des
conditions dans lesquelles il exerce son activité. En principe, la victime
qui en est atteinte bénéficie d’une « présomption d’imputabilité » qui la
dispense du fardeau de la « preuve de l’origine professionnelle » de la
maladie. Ces dernières années, de nombreuses victimes de l’amiante ont
engagé des procédures contre les industriels responsables de négligence
d’information et de protection envers leurs employés. Les juges ont conclu
que les employeurs avaient commis des « fautes inexcusables ».
Les industriels ne sont pas les seuls à devoir être montrés du doigt.
« La mise en cause de l’État dans une affaire de santé publique est l’une
des raisons pour lesquelles l’instruction patine », indiquait Odile Barral,
du syndicat de la magistrature. Ces paroles sont citées par la journaliste
Nolwenn Weiler, qui travaille autour des problématiques de santé et
d’environnement, dans un article du 11 octobre 2012. En effet, outre les
industriels gros consommateurs d’amiante (l’entreprise Eternit, la
S.N.C.F., les chantiers de l’Atlantique, l’équipementier automobile Valeo),
il faudrait aussi explorer les responsabilités d’autres intervenants du
lobbying proamiante et en particulier le Comité permanent amiante
(C.P.A.). Ce comité, créé en 1982, avait pour vocation d’améliorer la
gestion de l’amiante et de prévenir les risques pour la santé. Il était
composé d’industriels, de scientifiques, de représentants des ministères et
d’organisations syndicales. Or, il était en relation avec le pouvoir politique
de l’époque, ce qui pourrait expliquer que des mesures en faveur de la
poursuite de l’utilisation de l’amiante ont été prises, en particulier par les
ministères du Travail et de la Santé ! C’est d’ailleurs en sa qualité de
directrice des relations du travail de 1984 à 1987 au ministère du Travail
que Martine Aubry fut inquiétée dans ce dossier et mise en examen, en
novembre 2012, pour homicides et blessures involontaires.
En effet, une action pénale est en cours depuis de nombreuses années.
L’instruction de « l’affaire de l’amiante » dont la juge Marie-Odile
Bertella-Geffroy avait la charge, s’articule autour de deux axes. D’une
part, une inertie des pouvoirs publics français, suspectés de n’avoir pas
pris la mesure des risques encourus par les ouvriers en contact avec
l’amiante. Mais aussi, d’autre part, un immense lobbying industriel
destiné à prolonger l’usage de cet « isolant miracle » pourtant réputé
cancérigène depuis les années 1950.
Car ce n’est qu’en 1977, soit 46 ans après l’Angleterre, que la France
prendra le premier décret limitant le taux d’empoussièrement de
l’amiante. Dès 1978, le Parlement européen préconise des recherches pour
utiliser des produits de remplacement sûrs. En 1983, une directive
européenne accentue les mesures de précaution. La France ne va traduire
cette mesure qu’en 1987, alors que, dès 1986, la Suisse et le Danemark
interdisent totalement l’amiante. De fait, en France, l’alerte sanitaire ne
sera véritablement donnée qu’en 1994, déclenchant le processus
d’interdiction qui aboutira en 1997. Entendue au pôle financier du tribunal
de grande instance de Paris, Martine Aubry estimait n’avoir reçu aucune
alerte de la part des autorités françaises laissant penser que les normes ne
protégeaient pas les ouvriers.
Pourtant, pour la magistrat, des signes existaient et auraient dû
justifier des mesures plus rapides. En mars 2013, la garde des Sceaux
Christiane Taubira a décidé de décharger la juge Marie-Odile Bertella-
Geffroy de ses fonctions au pôle de santé du tribunal de grande instance de
Paris. En effet, depuis une réforme de 2011, le chef d’une juridiction
spécialisée ne peut se maintenir plus de dix ans à son poste. Par
application du décret, Marie-Odile Bertella-Geffroy a donc quitté le pôle
de santé publique en laissant derrière elle un travail inachevé.
Cette décision va enterrer ou tout au moins ralentir de plusieurs années
l’action pénale dans le dossier amiante. Plus grave encore, en juin 2014, la
chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a annulé les mises en
examen de plusieurs protagonistes du scandale de l’amiante, dont Martine
Aubry et cinq membres du Comité permanent amiante (C.P.A.) qui ne
seront pas renvoyés devant les tribunaux. Le 14 avril 2015, Martine Aubry
a été mise définitivement hors de cause. En effet, la Cour de cassation a
rejeté le pourvoi que les victimes avaient formé contre la décision. Cette
affaire concernait en particulier l’exposition à l’amiante des salariés de
l’usine Ferodo-Valeo de Condé-sur-Noireau dans le Calvados. Seules huit
personnes restent mises en examen, dont six anciens directeurs ou
employés de l’usine de Condé-sur-Noireau. Cette décision de la Cour de
cassation va priver les victimes de l’amiante d’un grand procès qui aurait
permis de condamner les responsables de cette catastrophe sanitaire.
En Italie, deux anciens dirigeants d’Eternit (le plus gros producteur
français d’amiante avant l’interdiction en 1997) ont été condamnés à
plusieurs années de prison. En France, la justice traîne, certes faute de
moyens, mais aussi en raison de l’absence d’une volonté claire du
gouvernement d’éclaircir cette dramatique affaire. Plus de dix-huit ans
après le premier dépôt de plainte, des dizaines de milliers de victimes
attendent toujours un procès pénal et la justice semble ne pas vouloir
condamner les responsables.

Afin de tenter de réparer les préjudices subis par les victimes, le Fonds
d’indemnisation des victimes de l’amiante (F.I.V.A.) a été créé. Il est
réglementé par la loi du 23 décembre 2000 et le décret du 23 octobre 2001.
Le F.I.V.A. est un établissement public administratif dont le conseil
d’administration est présidé par un magistrat de la Cour de cassation et
composé de représentants de l’État, de partenaires sociaux, d’associations
de victimes et de personnalités qualifiées. Les victimes de pathologies
liées à l’exposition à l’amiante ainsi que leurs ayants droit peuvent obtenir
du F.I.V.A. la réparation de leurs préjudices. Cette indemnisation complète
celle réalisée par ailleurs, notamment par les régimes de Sécurité sociale,
pour assurer une réparation intégrale. Le F.I.V.A. permet ainsi d’éviter aux
victimes une procédure contentieuse. Chaque victime reçoit une offre
d’indemnisation pour tous les postes de préjudices reconnus par les
tribunaux.
Peuvent être indemnisées par le F.I.V.A. toutes les personnes qui,
pendant leur activité professionnelle, ont subi une exposition certaine à
l’amiante et ont développé une maladie induite par l’inhalation des fibres
d’amiante, ainsi que leurs ayants droit, généralement les membres de la
famille (conjoint, enfants, frère, sœur, parents…). Cette indemnisation est
aussi étendue à ceux qui se sont trouvés à proximité de l’amiante, même
en dehors de leur travail (victimes environnementales). Nous avons par
exemple rencontré des femmes victimes de maladies pour avoir nettoyé
pendant des années les vêtements de travail souillés d’amiante de leur
mari.

Où en est-on aujourd’hui ?

Le scandale sanitaire lié à l’amiante est loin d’être terminé. Dans un


rapport, le Haut Conseil de la Santé publique estime que l’amiante sera
encore responsable de 100 000 décès entre aujourd’hui et 2050. Ces
estimations alarmantes sont d’ailleurs confirmées par l’Institut de veille
sanitaire. Actuellement, on considère qu’il existe un risque lorsque la
concentration de fibres d’amiante par litre d’air dépasse 5 fibres. Selon un
communiqué de l’Union sociale pour l’habitat, « l’ensemble des
constructions allant des années 1960 jusqu’au début des années 1990 peut
être concerné par l’amiante ». Cela représente plus de quinze millions de
logements, dont trois millions de logements H.L.M., et ainsi plusieurs
dizaines de millions de personnes. Le désamiantage des seuls immeubles
H.L.M. pourrait s’élever à 2,4 milliards d’euros par an. Aussi, des
décisions s’imposent, mais les pouvoirs publics ne semblent pas prendre la
mesure exacte de ce grave problème de santé publique.
À l’heure actuelle, nous sommes tous entourés d’amiante. Et pour
longtemps ! Certains matériaux libèrent spontanément des fibres
d’amiante, comme les flocages, les calorifugeages, les faux plafonds, les
tresses, les cartons et certains enduits. D’autres ne les libèrent que lors
d’une intervention (perçage, découpage, décapage, ponçage…), comme les
dalles vinyle-amiante et les produits amiante-ciment (éverite). Il convient
alors de prendre quelques précautions ! Avant d’intégrer un logement,
demandez un diagnostic amiante, y compris pour les parties communes
dans le cas d’un appartement. Et avant d’entreprendre des travaux,
renseignez-vous sur la nature des sols (dalles vinyle-amiante par
exemple), des peintures, des flocages et des faux plafonds. De même,
avant de pratiquer des travaux de perçage, découpage, décapage, ponçage,
faites-en un maximum en plein air, ventilez la pièce et mettez un masque
de protection, des gants et des vêtements adaptés.
Bien entendu, dans le cas d’un désamiantage, il convient de faire appel
à des professionnels agréés, car les règles de confinement des locaux et
des matériaux amiantés doivent être strictement respectées.
De même, si votre profession vous amène à être en contact avec de
l’amiante, il est nécessaire de passer une visite médicale tous les ans, avec
une première consultation avant la prise du poste. Par ailleurs, des
radiographies pulmonaires et des épreuves fonctionnelles respiratoires
doivent être réalisées de façon régulière. Les travailleurs qui ont côtoyé
l’amiante peuvent bénéficier d’une surveillance post-professionnelle
gratuite, prise en charge par la Sécurité sociale. Une consultation médicale
et un scanner thoracique sont conseillés tous les cinq ans en cas
d’exposition forte à l’amiante. Précisez à votre médecin référent votre
passé de travailleur exposé à l’amiante. Il pourra demander des
radiographies pulmonaires classiques, les compléter par un scanner
thoracique en cas de doute, et éventuellement vous adresser à un
pneumologue.

Si vous avez développé une maladie liée à l’amiante, vous pouvez


demander une prise en charge auprès de votre centre d’assurance maladie
qui vous accordera soit un capital, certes modique, pour les plaques
pleurales, soit une rente mensuelle pour les autres types de pathologie,
après une enquête qui dure de trois à six mois. Vous avez aussi la
possibilité de constituer un dossier pour le Fonds d’indemnisation des
victimes de l’amiante qui, après étude des documents que vous aurez
transmis, vous proposera éventuellement une indemnisation plus
conséquente (capital et rente). Pour la démarche auprès du F.I.V.A., nous
vous conseillons vivement de vous rapprocher d’une association de
victimes de l’amiante qui sera à même de vous aider pour la constitution
de votre dossier. Elle étudiera aussi la proposition d’indemnisation faite
par le F.I.V.A. afin de savoir si elle est conforme à votre maladie et aux
jurisprudences de la cour d’appel de votre région.
Chapitre 4

Les scandales à venir

Certains scandales sanitaires ont déjà provoqué de nombreuses


victimes et continuent d’en faire, comme l’amiante pour laquelle il semble
acquis, en s’appuyant sur les estimations du Haut Conseil de la Santé
publique, de l’Institut national de veille sanitaire et du Centre
international de recherche sur le cancer, que le bilan sera de 3 000 à
4 000 morts par an jusqu’en 2050. Pour d’autres cas, par exemple les
lignes à haute tension, les téléphones portables, les cigarettes
électroniques et les éoliennes, l’inquiétude grandit, en particulier chez les
scientifiques et les médecins. Des dysfonctionnements de l’organisme
humain à cause de ces produits sont certains, mais il est difficile d’en
définir l’ampleur au sein de la population pour les années à venir.

Principe de précaution
et principe de prévention

Face aux nouveaux dangers potentiels qui grondent telle une menace,
mais dont nous ne connaissons pas encore avec certitude les risques réels,
deux principes essentiels s’imposent : le principe de précaution et celui de
prévention.
Le principe de précaution est une notion qui préconise l’adoption de
mesures de protection avant que des preuves scientifiques complètes
démontrent l’existence d’un risque. Une action ne devrait pas être différée
parce que l’existence d’un danger n’est pas encore prouvée
scientifiquement. C’est pourquoi, dans le doute, des dispositions sont
prises pour éviter les dangers et les complications liés à un risque
potentiel sur la santé ou l’environnement.
La prévention consiste, quant à elle, à prendre des mesures pour éviter
qu’une situation ne se dégrade, ou qu’un accident, une épidémie ou une
maladie ne survienne. Dans le cas où le danger est démontré, l’objectif de
la prévention est de réduire la probabilité d’apparition de ce risque. Il
existe alors une action de prévision et de protection pour tenter d’écarter
le risque ou, au moins, en limiter l’étendue et les conséquences. Par
exemple, nous connaissons tous les mesures de prévention des accidents
domestiques, de la route, du travail, ou encore des suicides et des risques
concernant la santé (maladies cardiovasculaires, cancers ou maladies
infectieuses).

Lignes à haute tension :


risque ou désinformation ?

Les lignes à haute tension sont problématiques pour la santé des


citoyens. La question de leur risque est légitime, même si aucune réponse
précise n’est à ce jour disponible de la part de la communauté scientifique.
Cependant, certaines décisions de justice ont reconnu la nocivité des
lignes à très haute tension sur les animaux. Concernant les humains, les
plaintes et les enquêtes sanitaires se multiplient sans réponse claire
suffisante de la part de la justice ou des médecins ! Ce qui ne manque pas
d’alarmer les riverains. En France, des troubles variés ont été mis en
évidence dans plusieurs exploitations situées à proximité de lignes. Par
exemple, à Tulle, l’ensemble d’un troupeau de vaches et de cochons
présentait des hématomes, des hémorragies, des problèmes respiratoires,
digestifs et surtout cardiaques, induits pas les multiples décharges reçues
au contact de pièces de métal chargées en électricité. Dans le Calvados,
des vaches ont souffert de maladies à répétition, de problèmes de fertilité
et d’inflammation des mamelles. La justice semble bien embarrassée pour
statuer et les jugements ne satisfont personne. Certaines enquêtes déjà
publiées à l’étranger évoquent même des risques de leucémie chez les
enfants. Faut-il donc enterrer les lignes à haute tension ou déplacer les
habitants ? Encore une fois, les intérêts ne manqueront pas de s’affronter.
Le réseau de lignes à haute (H.T.) et très haute tension (T.H.T.) en
France s’étend sur environ 100 000 km. Il est géré par la société Réseau de
transport d’électricité (R.T.E.). On estime à environ 350 000 le nombre de
Français qui vivent à proximité de ces lignes à haute et très haute tension.
La circulation du courant électrique dans ces lignes crée des champs
magnétiques à très basse fréquence. Et l’interaction des champs
magnétiques va créer des courants électriques dans les tissus biologiques.
Une question se pose alors : ces champs magnétiques sont-ils dangereux
pour la santé humaine, et plus particulièrement pour les enfants ?
Les ondes électromagnétiques produites par les lignes à haute tension
sont appelées « à basse fréquence » (au contraire des ondes émises par les
téléphones portables par exemple, qui sont à haute fréquence). Une onde
traduit la façon dont le champ varie dans l’espace. De la même manière
qu’une vague qui se déplace à la surface indique la variation de la hauteur
de l’eau, l’onde caractérise la variabilité des champs électriques et
magnétiques en tout point. Ses caractéristiques sont la fréquence, la
longueur d’onde et l’amplitude. La fréquence, exprimée en hertz, donne le
nombre de fois qu’un maximum (ou un minimum) est atteint par seconde.
La longueur d’onde, exprimée en mètres, marque la distance entre deux
maxima. L’amplitude indique la hauteur du sommet et traduit l’intensité
du phénomène. L’onde électromagnétique la plus courante est la lumière
et, d’ailleurs, toutes les ondes électromagnétiques se déplacent à la vitesse
de la lumière.
Pour se rendre compte de l’effet des ondes électromagnétiques, il
suffit de tenir à la verticale un tube de néon sous une ligne à très haute
tension (400 000 volts) : il s’allume tout seul. Le champ
électromagnétique créé par la ligne à très haute tension ionise le gaz qui se
trouve à l’intérieur du tube et provoque un phénomène de
photoluminescence. Il en est de même en disposant un fil métallique tendu
entre deux piquets, isolé du sol et non relié à une source d’électricité. Le
contact avec ce fil provoquera une décharge électrique dans votre corps,
témoignant ainsi de la présence du courant dans le fil. Il se passe donc
bien quelque chose sous les câbles.

Des risques conséquents pour la santé

Les champs électriques et magnétiques ont donc des effets sur le corps
humain qu’ils traversent. Mais qu’en est-il pour la santé ? Pour de
nombreux scientifiques, il n’y aurait « vraisemblablement » pas de risque.
Mais le terme « vraisemblablement » laisse planer le doute… Trois types
de maladies font débat : l’électrohypersensibilité, les pathologies
neurodégénératives et les leucémies.
L’électrohypersensibilité définit un ensemble de symptômes variés et
non spécifiques d’une pathologie particulière (maux de tête, problèmes
digestifs, nausées, douleurs articulaires, vertiges, irritabilité, fatigue,
difficultés de concentration, perturbations du sommeil, picotements,
brûlures, perte de mémoire, perturbations auditives et visuelles…).
Certaines personnes attribuent spontanément ces symptômes à une
exposition aux champs électromagnétiques. Pour le professeur Dominique
Belpomme, cancérologue et président de l’Association pour la recherche
thérapeutique anticancéreuse (A.R.T.A.C.), les malades appelés
électrosensibles (E.H.S.) sont difficiles à comptabiliser, mais
représenteraient de 1 à 10 % de la population. Ils pourraient augmenter
jusqu’à 25 % à la fin du siècle. Officiellement, il n’a pas été démontré de
lien causal à ces différents troubles et certains scientifiques parlent d’un
effet « nocébo », c’est-à-dire d’une nuisance imaginée, mais qui peut
engendrer des effets réels sur la santé. Un concept qui renvoie le patient
électrosensible tant à une maladie avérée qu’à une forme de paranoïa ! Des
diagnostics préliminaires ont été posés en France alors que
l’électrohypersensibilité est déjà reconnue comme un handicap en Suède.
Une anecdote illustre bien cet effet nocébo. En avril 2009, plusieurs
médias ont évoqué une plainte collective des habitants de la ville de Saint-
Cloud, en banlieue parisienne, suite à l’installation de deux antennes-relais
à proximité de leurs logements. Ces victimes faisaient état de symptômes
graves, comme des saignements de nez, des maux de tête, des vertiges…
Pourtant, ces antennes n’étaient pas encore branchées et donc inoffensives.
Un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix
scientifiques et technologiques (O.P.E.C.S.T.) suggère par ailleurs la
possibilité d’un lien entre certaines maladies neurodégénératives, en
particulier la maladie d’Alzheimer, et les champs électromagnétiques,
hypothèse concernant les conducteurs de trains en Suisse.
Quant à la leucémie, il s’agit d’une maladie qui se caractérise par la
production d’un trop grand nombre de globules blancs immatures qui, en
quittant la moelle osseuse, vont circuler dans le sang et envahir tous les
organes. À partir d’une étude réalisée en France entre 2002 et 2007, les
chercheurs ont observé une augmentation du risque de leucémie chez
l’enfant de moins de cinq ans, habitant à moins de 50 mètres d’une ligne à
très haute tension. Cependant, si l’on admet l’existence d’un lien entre la
leucémie de l’enfant et les champs électromagnétiques, précisons que le
risque est faible (moins d’un cas de leucémie aiguë de l’enfant de moins
de 15 ans par an). Néanmoins, des recherches supplémentaires doivent être
menées en ce qui concerne la leucémie lymphoïde aiguë chez l’enfant.

Les résultats controversés des études scientifiques

On peut donc penser que le courant électrique a des effets sur les êtres
vivants. Le Centre de recherche et d’information indépendant sur les
rayonnements électromagnétiques (C.R.I.I.R.E.M.) a réalisé en 2008 une
étude sur les conséquences sanitaires des lignes à très haute tension. Il a
comparé des personnes exposées à une ligne à très haute tension et des
personnes non exposées. Les conclusions de cette étude nous laissent
perplexes :
Apparition de troubles de la mémoire, de l’audition et du sommeil,
maux de tête et états dépressifs chez les riverains proches des lignes à
haute tension ;
Augmentation des découvertes de leucémies, de cancer du sein et de la
thyroïde chez les riverains exposés aux champs électromagnétiques ;
Apparition de courants électriques parasites dans les structures
métalliques (portails, abreuvoirs, clôtures…) pouvant perturber les
animaux ;
Perte de poids, nervosité, agressivité, hésitation, ralentissement de la
croissance, modification de la production de lait chez les animaux ;
Augmentation des anomalies de fonctionnement des appareils
électriques et électroniques.
Une étude britannique mettant en vis-à-vis les lignes à haute tension et
les cas de leucémie chez l’enfant a été publiée en 2008 par des chercheurs
de l’université d’Oxford. Portant sur plus de 29 000 enfants souffrant de
cancer, dont 9 700 de leucémie, elle a montré que le risque de leucémie
augmente de 69 % pour les enfants dont le domicile se trouve à moins de
200 mètres de lignes à haute tension au moment de leur naissance. Et ceux
domiciliés à une distance comprise entre 200 et 599 mètres voient le
risque augmenter de 23 % par rapport aux enfants nés à plus de 600 mètres
d’une ligne.
Mais les scientifiques cultivent l’ambiguïté ! D’après le Centre
international de recherche contre le cancer (C.I.R.C.) de l’Organisation
mondiale de la santé (O.M.S.), « ce n’est pas l’exposition aux lignes à
haute tension qui serait possiblement cancérogène, mais le champ
magnétique, quelle qu’en soit l’origine, et dans des circonstances aussi
précises que rarement rencontrées ». Pour le C.I.R.C., les lignes de
transport de l’électricité ne représentent que 20 % des expositions les plus
élevées aux champs magnétiques d’extrême basse fréquence. Les autres
expositions proviennent des transports et des applications domestiques de
l’électricité. Le C.I.R.C. a classé les champs électromagnétiques émis par
les lignes à haute tension comme cancérogène possible, à un niveau
identique à celui du plomb et de l’essence. Selon un inventaire de
l’ensemble des publications scientifiques internationales effectué par le
Comité scientifique sur les risques émergents et nouvellement identifiés
pour la santé (S.C.E.N.I.H.R.) de la Commission européenne, « s’il existe
une association, dans certaines études épidémiologiques, entre les courants
électromagnétiques émis par les lignes et une forme rare de leucémie chez
l’enfant, aucun élément nouveau n’est intervenu et l’éventuelle relation de
cause à effet reste indéterminée ». De la même façon, des liens
existeraient entre les champs électromagnétiques et la maladie
d’Alzheimer, mais aucune relation de cause à effet n’a pu être démontrée.

En 2007, l’Organisation mondiale de la santé avait considéré comme


« insuffisantes » les preuves scientifiques d’un possible effet sanitaire à
long terme. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’« insuffisantes » ne
veut pas dire « inexistantes » et que nous parlons de la santé de chacun
d’entre nous. L’Institut national de veille sanitaire (I.N.V.S.) considère
d’ailleurs qu’en France, « le risque est faible et difficile à cerner, mais pas
pour autant négligeable ». Pourtant, le 28 mars 2009, l’ancienne secrétaire
d’État à l’Environnement, Nathalie Kosciusko-Morizet, faisait état de ses
doutes en déclarant : « Ces rayonnements électromagnétiques posent un
certain nombre de problèmes, on est loin de tout savoir sur cette question,
je voudrais que l’on fasse plus de recherches sur ce sujet. » Le 29 janvier
2009, au cours d’une table ronde au Sénat, Pierre Le Ruze, professeur de
physiologie et membre du C.R.I.I.R.E.M., insistait sur les dangers des
lignes T.H.T. Pour ce spécialiste, « les gens ressentent des perturbations
comme irritabilité, maux de tête, nausées, pertes de mémoire,
perturbations auditives, visuelles, cutanées, troubles du sommeil… ».
Aujourd’hui, les choses commencent à bouger, mais trop lentement ! La
loi Abeille, votée par le Parlement le 29 janvier 2015 et relative à la
limitation des ondes électromagnétiques, prend enfin en compte le
problème de l’électrohypersensibilité. Dans ces conditions et devant une
incertitude scientifique, il conviendrait sans nul doute d’appliquer le
principe de précaution concernant les lignes à haute et très haute tension
en France.

Quelles pistes envisager ?

Outre les lignes à haute tension, vous pouvez être confronté à des
ondes électromagnétiques :
Si vous résidez dans une agglomération de plus de 2 000 habitants ;
Si vous empruntez les transports en commun (T.G.V., R.E.R., T.E.R.,
métro, tramway) ;
Si vous fréquentez les centres commerciaux, les aéroports (portiques
de détection) ;
Si vous utilisez des appareils alimentés par des prises électriques
(aspirateur, four, appareils électroménagers, radio-réveil, cumulus
électrique…).
Les activités professionnelles, mais aussi de loisirs (sport en plein air,
pêche…), peuvent présenter des risques si vous les pratiquez sous les
lignes de transport d’électricité. Et si vous portez un dispositif médical
(stimulateur cardiaque, défibrillateur implantable, implant cochléaire…),
parlez-en à votre médecin et redoublez de vigilance. Il est en effet
impossible d’éliminer toute interférence entre les dispositifs médicaux et
les champs électromagnétiques. Cependant, selon les scientifiques, le
risque est faible.
Une préconisation avait néanmoins été proposée lors du Grenelle de
l’environnement. Il s’agissait d’imposer une limite de 100 à 200 mètres
entre chaque ligne à haute tension et les constructions qui l’entourent.
Malheureusement, cette recommandation n’a pas été retenue… Pourtant,
l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail
(A.F.S.S.E.T.) a récemment mis en cause les lignes à haute tension et
recommande « de ne plus augmenter le nombre de personnes sensibles
exposées autour des lignes de transport d’électricité à très haute tension et
de limiter l’exposition ». Des habitations ne devraient pas être construites
à proximité des lignes et l’implantation de nouvelles lignes devrait en
tenir compte. Il ne faut pas ignorer que les terrains proches des lignes
électriques ont un prix d’achat plus bas et attirent une population à faible
revenu. Pour éviter tout risque sanitaire, l’option serait l’enterrement des
lignes à haute tension, mais le coût est dix fois plus élevé que pour les
lignes aériennes et il existe aussi des contraintes techniques.

De plus, un décret de la loi Grenelle 2 définit désormais les modalités


de surveillance et de contrôle des ondes que ces lignes émettent. Une
inspection de l’ensemble du réseau électrique devrait être terminée pour
fin 2017, et chacun aura la possibilité de prendre connaissance de
l’intensité électromagnétique des lignes électriques françaises, a fortiori
de celles proches de son domicile ou de son lieu de travail. Une étude de
l’A.F.S.S.E.T. concernant les risques de leucémie chez le jeune enfant
propose une nouvelle évaluation dans les prochaines années. Les riverains
de lignes de transport d’électricité demandent aussi une surveillance
épidémiologique.
Aujourd’hui, retenons que les conclusions des différentes études
menées sont contradictoires. Cependant, personne ne peut nier que les
champs électromagnétiques traversent le corps humain et les différents
tissus de l’organisme. Même si, en l’état des connaissances actuelles,
aucun lien de causalité n’a pu être démontré entre l’exposition aux champs
électromagnétiques et la santé humaine et animale, une extrême prudence
s’impose. N’oublions pas que pour les victimes de l’amiante, les maladies,
en particulier des cancers pulmonaires, apparaissent entre vingt et trente-
cinq ans après la première exposition, sans aucun symptôme pendant cette
longue période.

Téléphonie mobile : la vigilance s’impose

La plupart des risques liés aux cancers ne peuvent être démontrés


qu’au bout de quinze ans pour la cigarette et trente à quarante ans pour
l’amiante. Aussi, en ce qui concerne l’utilisation des téléphones portables,
il est évident que nous ne disposons pas du recul nécessaire. Certaines
études auraient montré un risque plus important de tumeurs du nerf auditif
et du cerveau chez les utilisateurs précoces et fréquents. D’autres, menées
en Europe et aux États-Unis, ne permettent pas de conclure à une
augmentation du risque de cancer au niveau des régions exposées (tête et
cou). Personne ne peut cependant nier qu’il existe là encore une
pénétration des ondes électromagnétiques dans le corps humain. Dans la
mesure où aucune nocivité certaine des mobiles n’a été démontrée, mais
en l’absence de certitude scientifique d’innocuité totale, le principe de
précaution devrait donc s’appliquer de toute urgence pour les téléphones
portables.
Les technologies de transmission par radiofréquences, utilisées pour
les téléphones et le Wifi, sont en plein développement. De nouveaux
modèles de téléphones, dont certains destinés aux enfants, apparaissent en
continu sur le marché. La téléphonie mobile est une technologie récente
qui a fait l’objet de nombreux travaux et publications scientifiques dans le
monde. Les matériels nécessaires à son fonctionnement – les téléphones et
les antennes-relais – génèrent toujours des inquiétudes au sein des
populations. À ce jour, les travaux expérimentaux sur les effets de
l’exposition aux ondes émises par les téléphones ne permettent pas
d’affirmer de manière formelle leur caractère nocif. Mais il convient de
rester vigilants et de poursuivre les études.
Si l’on considère la puissance des mobiles, les ondes
électromagnétiques n’ont pas d’effet sur les gènes des cellules ; en
d’autres termes, elles ne sont pas « génotoxiques », ce qui exclut le risque
de cancer. Toutefois, d’autres maladies pourraient être induites et les avis
sont partagés. Certains travaux tendent à démontrer qu’il n’existe pas de
lien entre les téléphones portables et l’apparition de symptômes tels que
sensation de chaleur, maux de tête, fatigue. Mais des travaux sur l’animal
auraient mis en évidence que ces ondes électromagnétiques pourraient
modifier la barrière entre le sang et le cerveau et permettre à des
substances toxiques de pénétrer dans les cellules nerveuses. Ces travaux
ont été réalisés dans des conditions expérimentales et sont controversés,
mais on peut se demander ce qu’il adviendrait si ces résultats étaient
transposables à l’espèce humaine.
Divers effets biologiques ou physiologiques associés aux ondes des
téléphones (modification du tracé de l’électroencéphalogramme,
raccourcissement des délais de réaction à certains tests…) sont évidents,
mais ces effets ne peuvent être considérés comme nocifs en l’état actuel
de nos connaissances. Les données scientifiques n’indiquent aucune
sensibilité particulière des enfants aux rayonnements induits par les
téléphones portables ; cependant, leur cerveau est plus fragile car il est en
plein développement.
Enfin, l’usage des S.M.S. se multiplie et diminue l’exposition de la
tête aux ondes électromagnétiques. Un mot nouveau vient même
d’apparaître à ce propos dans la terminologie médicale : le Text Neck,
c’est-à-dire des douleurs apparaissant au niveau du cou en lien avec
l’envoi des textos. Plus de 180 milliards de messages sont envoyés en
France chaque année, soit plus de 5 400 textos par seconde ! De plus en
plus de jeunes consultent pour des maux de tête, des douleurs du cou et des
épaules, dont la cause serait une mauvaise posture au cours de l’utilisation
fréquente et de longue durée des téléphones portables, mais aussi des
tablettes et des ordinateurs. C’est ce que l’on appelle les troubles
musculosquelettiques, ceux qui induisent d’ailleurs le plus de maladies
professionnelles en France.

Les antennes-relais

La téléphonie mobile utilise des ondes électromagnétiques pour la


transmission de données entre un téléphone portable, mobile, et un relais,
fixe, relié au réseau, appelé station de base. La puissance des
rayonnements qu’elles émettent est plus faible que la puissance de ceux
reçus des émetteurs de radios et de télévision. Contrairement à ce qui a pu
être affirmé, les stations de base ne produisent aucun autre champ
électromagnétique que celui pour lequel elles ont été conçues. Cela
signifie que les symptômes décrits par les personnes habitant à proximité
des stations de base ne sont pas spécifiques et se rencontrent dans toute
population préoccupée ou anxieuse. Cependant, nombreux sont ceux qui
prétendent souffrir de la présence de stations de base de téléphonie mobile
à proximité de chez eux. Des mouvements de protestation collectifs se
développent contre l’implantation de nouvelles stations au voisinage des
zones d’habitation ou pour demander le démontage d’antennes posées à
proximité de bâtiments accueillant des enfants. Ces actions de protestation
constituent une véritable question de santé publique et un facteur de
désarroi social. Cette situation s’explique par la multiplication très rapide
de stations de base sur tout notre territoire, sans que les consommateurs
n’en fassent la demande, ainsi que par une politique plutôt opaque des
opérateurs. Retenons enfin que certains facteurs modifient notre
exposition aux ondes des antennes :
L’altitude du lieu. Les maisons situées dans des creux par rapport à
une antenne reçoivent moins de rayonnement.
La distance entre le lieu et l’antenne. Plus la distance est grande, plus
les ondes perdent de leur puissance. En effet, elles peuvent rencontrer
des obstacles (constructions, végétation) ou être déviées (objets et
constructions métalliques).
La direction de l’antenne. Le rayonnement est plus important si on se
trouve dans l’axe de l’antenne.
Le moment de la journée et la période de l’année. L’exposition aux
ondes dépend du nombre de communications passant par l’antenne-
relais. Ce nombre est plus élevé à certains moments de la journée et à
certaines périodes de l’année (les fêtes de fin d’année, par exemple).

Des expériences controversées qui interpellent

Plusieurs institutions ont conduit des études sur les rayonnements émis
par les téléphones portables. À l’université de Clermont-Ferrand, un plant
de tomate a été exposé à un champ électromagnétique pendant dix
minutes. Dans les feuilles, les chercheurs ont évalué les variations de
l’expression de trois gènes intervenant dans les réponses aux stress
environnementaux : après l’exposition, l’expression de ces gènes est trois
à cinq fois plus importante qu’en temps normal. Même si le reste de la
plante est protégé, l’exposition d’une seule feuille provoque le même effet
sur l’ensemble de la plante. Ces résultats nous interpellent, mais ne sont
pas transposables à l’homme et ne permettent aucunement d’en déduire
l’existence d’un risque sur les tissus humains.
Une équipe de l’université Purdue, en Indiana, aux États-Unis, a
découvert qu’après deux heures d’exposition, l’expression de 221 gènes de
cellules humaines a augmenté. Après 6 heures d’exposition, c’est 759
gènes qui sont concernés. Les gènes liés à la mort cellulaire sont
particulièrement concernés, au contraire de ceux liés à la réaction aux
chocs thermiques. Le problème réside dans le fait qu’il ne suffit pas de
détecter de tels effets génétiques pour en déduire des conséquences
biologiques majeures.
Des scientifiques de l’université de Los Angeles, en Californie, ont
étudié les impacts de l’utilisation du téléphone portable pendant la
grossesse. L’éventualité d’un lien entre l’usage du portable pendant la
grossesse et des troubles du comportement chez l’enfant a été évoquée.
D’après cette étude, les fœtus exposés aux ondes auraient 54 % de risques
supplémentaires de présenter des désordres du comportement, comme une
hyperactivité ou des perturbations émotionnelles. Cependant, les auteurs
de cette étude ne peuvent expliquer les raisons de cette association, ni le
mécanisme biologique sous-jacent.
Des chercheurs de l’université de Vienne ont soumis des cellules de
tissu humain à une exposition continue ou intermittente d’hyperfréquences
pendant plusieurs heures. Ils ont constaté des effets sur l’A.D.N. : les brins
simples et doubles étaient lésés. L’exposition continue aurait moins de
conséquences néfastes que l’exposition intermittente, ce qui permet
d’éliminer l’impact thermique. Ces résultats ont fait l’objet de critiques
acerbes, allant jusqu’à l’accusation de manipulation des données.

Mais un des effets, peut-être le plus sournois, de ces ondes serait


l’altération de la barrière sang-cerveau, qui a pour fonction de protéger le
cerveau en empêchant l’accès à des substances qui lui sont nocives.
Cependant, ce barrage laisse passer, tant du sang vers le cerveau que du
cerveau vers le sang, de nombreuses substances indispensables au bon
fonctionnement, soit du cerveau, soit du reste du corps. Sur ce plan, la
propriété des micro-ondes d’abîmer la barrière sang-cerveau est bien
connue des expérimentateurs de médicaments. La modification de la
perméabilité de ce barrage sous l’action des micro-ondes tend à aboutir à
une augmentation ou une diminution du flux de certains composants du
sang à travers cette barrière. Ainsi, des substances contenues dans le sang,
comme les sucres par exemple, peuvent voir leur quantité croître ou
baisser, perturbant le bon fonctionnement du cerveau et de l’organisme.
Plus grave encore, la modification de la perméabilité de la barrière
sang-cerveau par les micro-ondes engendre parfois l’apparition dans le
cerveau de substances qui devraient rester dans le sang. C’est le cas par
exemple de l’albumine, indispensable dans le sang mais véritable poison
pour le cerveau, où elle peut provoquer des lésions des cellules nerveuses.
Il en va de même avec certains métaux comme le fer, le cuivre, le
mercure, l’aluminium ou le manganèse, suspectés d’induire des maladies
de dégénérescence du système nerveux central telles les maladies de
Parkinson et d’Alzheimer. L’intensité de l’impact des micro-ondes sur la
barrière sang-cerveau dépend de la puissance du champ électromagnétique
et de la durée d’exposition. Cette action peut expliquer des symptômes qui
surviennent très rapidement après une exposition aux micro-ondes, comme
les maux de tête ou les vertiges. Dès lors, le parallèle avec les ondes des
téléphones devient évident.

De vrais dangers

Nous avons déjà abordé le phénomène de l’électrohypersensibilité au


sujet des lignes à haute tension. Les conclusions sont les mêmes dans le
cas des téléphones portables. Mais d’autres effets des ondes sont à noter.
La téléphonie mobile émet des ondes de haute fréquence (de 900 à
2 000 MHz), dont la longueur est de l’ordre de quelques centimètres. Ces
dernières ne traversent pas les tissus humains de part en part. Cependant,
elles sont en partie absorbées, c’est-à-dire qu’elles y déposent leur énergie
et que le corps est alors échauffé. C’est essentiellement la circulation
sanguine qui se charge de l’évacuation de cette chaleur. Cet impact
thermique est le seul qui fasse consensus pour expliquer les conséquences
des ondes sur la santé. Le métabolisme de notre corps est optimisé pour
fonctionner à 37,5 °C. Les protéines, comme le blanc d’œuf, coagulent à
une température de 57 °C. Il est certain qu’à une telle chaleur, les
fonctions vitales de l’organisme sont détruites. Par contre, une
température corporelle supérieure de quelques degrés à celle acceptable
pour le corps humain (41 °C) peut altérer les protéines véhiculées par le
sang.
À ce jour, l’apparition de cancers liés aux ondes électromagnétiques
des téléphones portables n’est pas prise en compte par les scientifiques. En
effet, compte tenu du niveau de puissance utilisé dans les téléphones
portables, les ondes électromagnétiques n’auraient pas d’impact
significatif sur les gènes de nos cellules et le risque de cancer devrait donc
être exclu. Mais le doute persiste. Ainsi, l’O.M.S. considère les champs
électromagnétiques de nos téléphones portables comme un « cancérogène
possible ». De plus, nous savons que le temps de latence entre une
exposition à un agent cancérogène et l’apparition des premiers signes
d’une maladie est toujours de plusieurs dizaines d’années.
Enfin, le tabagisme passif et ses conséquences sur l’organisme humain
sont une réalité. Or, sur le même principe, nous pouvons subir contre notre
gré les ondes de nos voisins, celles de leur téléphone ou de leur boîtier
Wifi. En outre, les antennes-relais situées dans les centres commerciaux
ou le métro nous « arrosent » à notre insu. Un jour, peut-être, nous verrons
des pathologies initiées, des années plus tôt, par cette « téléphonie
passive ».

Comment se préserver ?

Tout d’abord, il est possible de manifester son mécontentement et son


désaccord au moment de l’enquête publique concernant l’installation
d’une antenne-relais. Faire démonter une antenne déjà en place est
beaucoup plus difficile que de s’opposer à son installation. Vous pouvez
exprimer votre refus à titre individuel, mais une action collective, par le
biais d’une association par exemple, sera beaucoup plus efficace.
Si une antenne est implantée à proximité de chez vous, évitez de placer
dans votre logement des éléments sur lesquels les ondes
électromagnétiques se réfléchissent, comme de grands miroirs ou des
structures métalliques. Tentez de relier toutes les structures métalliques à
la terre. Une bonne mise à la terre de votre installation électrique est
impérative. En effet, les ondes électromagnétiques suivent les câbles
électriques qui entrent dans votre maison.
Sachez que les fenêtres, même avec du double vitrage, protègent moins
des ondes que les murs. Il est donc préférable de positionner les tables,
fauteuils et lits (à armature en bois de préférence) loin des ouvertures. Il
est aussi conseillé d’interposer entre l’antenne et votre habitation des
barrières végétales (arbres, buissons, haies) qui absorberont les ondes
électromagnétiques. Privilégiez les vêtements et sous-vêtements en fibres
naturelles (coton, soie, laine, lin…) afin d’éviter l’accumulation de
l’électricité statique sur votre corps. Enfin, si vous envisagez de
déménager, choisissez si possible un lieu d’habitation éloigné des
antennes, ou au moins qui ne soit pas situé dans l’axe d’une antenne-relais.
Évitez les immeubles qui ont une antenne sur le toit ou un appartement qui
se trouve juste à hauteur d’une telle installation. Une maison avec une
cave et de gros murs extérieurs est mieux protégée. L’épaisseur des murs
favorise la diminution de l’intensité des rayonnements
électromagnétiques. La cave peut être un « lieu refuge », car la terre
faisant écran aux ondes, la puissance de celles-ci est nettement inférieure à
celle observée dans les étages ou au rez-de-chaussée.
Les ondes des téléphones portables sont réputées dangereuses pour les
enfants, les femmes enceintes, les personnes âgées, les malades
immunodéprimés, les personnes hypersensibles aux rayonnements
électromagnétiques. Quant à l’utilisation du téléphone mobile, elle doit
être proscrite si vous prenez des médicaments (en particulier des gouttes
pour les yeux), si vous portez des lunettes à monture métallique, si vous
avez des dispositifs médicaux métalliques implantés dans le corps
(pacemaker, pompe à insuline, neurostimulateur), lors de périodes de
fatigue, de stress ou de dépression, et bien évidemment en cas de maladie
grave.
Et pour tous, des sensations de chaleur et des maux de tête peuvent
apparaître au cours de l’utilisation de votre portable. Ces symptômes
augmentent avec le nombre d’appels et leur durée. Réservez donc l’emploi
du téléphone pour les choses indispensables. De plus, pour limiter les
risques, des dispositifs dits « antiradiations » ou « bioprotecteurs »
existent. Il s’agit de petites plaquettes que l’on place sur les portables ou
de puces électroniques que l’on incorpore à la batterie du téléphone. Un
des derniers dispositifs mis sur le marché consiste en un patch, de
fabrication française, collé au dos de votre téléphone mobile et qui
pourrait supprimer une partie de son rayonnement. L’antenne, intégrée à
l’autocollant, diminuerait les émissions d’ondes sur la face avant de votre
téléphone, qui est en contact direct avec vous. Mais les avis divergent en
ce qui concerne l’efficacité de ces solutions. Comme la sensibilité aux
ondes de chacun d’entre nous est différente, vous pouvez expérimenter ces
systèmes et constater s’ils vous sont bénéfiques.
Dans tous les cas, évitez au maximum le contact du téléphone avec la
tête, pour préserver le cerveau des ondes. Le risque le plus important se
situe au moment où vous allumez votre téléphone (quand l’appareil
cherche à se connecter au réseau) ou quand vous vous déplacez (votre
téléphone cherche en permanence à localiser une antenne-relais). Le kit
mains libres filaire diminue les risques, mais gardez à l’esprit qu’il est
désormais interdit au volant. Ne portez pas non plus votre mobile sur vous,
en particulier dans la poche du pantalon (attention aux organes génitaux)
ou dans une poche de poitrine (près du cœur). Votre portable, même en
veille, continue à émettre des ondes, il est donc conseillé de l’éteindre si
vous n’en avez pas une utilité immédiate.
Notons que le mauvais temps – brouillard, neige ou pluie – augmente
la puissance d’émission de l’appareil car les communications sont plus
difficiles. Lorsqu’un orage éclate, il est conseillé d’éteindre son portable
pour supprimer tout risque d’électrocution. De même, proscrivez l’usage
du téléphone dans les lieux où l’on peut rencontrer des substances
inflammables (essence, alcool, éther), comme dans les stations-service ou
les hôpitaux.
De manière générale, ne l’utilisez pas dans les lieux où le réseau est
insuffisant, comme les caves ou les parkings souterrains. Votre mobile y
émet des ondes électromagnétiques plus puissantes qu’en situation
normale. Si vous utilisez votre portable dans un véhicule en déplacement
(voiture, train, tramway…), l’appareil cherche en permanence une
antenne-relais et augmente aussi sa puissance d’émission. Pour la même
raison, privilégiez les conversations brèves là où les antennes-relais sont
peu nombreuses (en zone rurale par exemple). Enfin, lorsque vous achetez
un téléphone, outre le design, l’ergonomie, la taille de l’écran ou la
puissance de la batterie, n’oubliez pas de contrôler la valeur du débit
d’absorption spécifique (D.A.S.) de l’appareil afin qu’elle soit la plus
faible possible. Cette précision est inscrite sur l’emballage et ce paramètre
est en rapport avec l’effet thermique produit.

Que nous réserve l’avenir ?

Il n’existe pas à l’heure actuelle de preuve scientifique démontrant que


l’usage des téléphones portables présente un risque certain pour la santé.
Partant du principe que cette hypothèse ne peut être exclue, des groupes
d’experts invitent chacun d’entre nous à adopter une attitude inspirée du
principe de précaution. Il convient donc d’être particulièrement méfiant
car les résultats de certaines études, toujours contestables mais qui ont le
mérite d’exister, sont inquiétants.
Les données des pays nordiques et du Royaume-Uni nous indiquent
que le risque d’avoir un cancer du cerveau augmente de 40 % chez les
personnes ayant utilisé leur téléphone depuis plus de dix ans, à raison de
plus de quinze heures par mois. La tumeur a tendance à se développer du
côté où vous mettez votre téléphone portable. En mai 2014, l’unité
Inserm-897 de Bordeaux a publié une étude démontrant que « l’utilisation
massive du téléphone portable, supérieure ou égale à 896 heures de
communications dans une vie, serait associée au développement de
tumeurs cérébrales ». La conclusion est que « chez ces personnes, le risque
d’avoir une association positive entre l’utilisation de leur téléphone
portable et le développement de tumeurs cérébrales est augmenté pour
celles qui téléphonent plus de quinze heures par mois ». Aussi, nous
devons faire face à une nocivité du téléphone portable pour les cellules du
cerveau, en particulier chez les jeunes.
Les deux études les plus récentes, menées par les chercheurs de
l’University Hospital d’Obrero en Suède et par l’Institut de santé publique
et d’épidémiologie de Bordeaux, ont déterminé que l’utilisation du
téléphone mobile augmente de 30 % le risque de gliome, forme rare de
tumeur cérébrale. Pour le docteur Gaëlle Coureau et ses confrères de
l’université de Bordeaux, le risque de gliome, cancer agressif qui atteint
les cellules du cerveau, serait doublé chez les utilisateurs intensifs de
téléphone portable. Rappelons que l’on admet une durée normale
maximale d’utilisation de quinze heures par mois.
Certains chercheurs émettent la possibilité d’une relation entre
l’utilisation du téléphone mobile et l’autisme. Ainsi, pour l’ensemble du
territoire des États-Unis, entre 1992 et 2003, des chercheurs ont mis en
évidence une relation entre le nombre de cas d’autisme dans les écoles et
le nombre de téléphones vendus. L’accroissement des cas d’autisme
pourrait aussi avoir un lien avec une exposition des femmes enceintes, et
donc des fœtus, aux ondes émises par les téléphones portables. Une
exposition de dix minutes seulement augmente la fréquence cardiaque du
fœtus et diminue la quantité de sang éjectée par le cœur à chaque
battement. Pour d’autres scientifiques, l’exposition d’un enfant à des
ondes de téléphone portable durant sa vie intra-utérine, mais aussi après sa
naissance, accroît le risque d’apparition de troubles comportementaux lors
de sa scolarisation, comme par exemple l’hyperactivité.
Toutefois, d’autres études se veulent plus rassurantes, mais la
prévention est nécessaire dès lors qu’un risque est envisageable. Alors,
faut-il attendre, sans rien faire, l’apparition de complications sanitaires
gravissimes dans dix, vingt ou trente ans ? Le professeur Belpomme a
étudié les problèmes d’électrohypersensibilité sur plus de 1 200 malades.
Il emploie des mots forts, comme « déni scientifique », pour caractériser
l’attitude des scientifiques et des pouvoirs publics face à une future
« catastrophe sanitaire de grande envergure ». Selon lui, on assistera à un
« scandale mille fois plus important que celui de l’amiante, car il concerne
des milliards d’individus qui abusent du portable ». Il est également
persuadé que l’utilisation abusive du téléphone portable (plus de vingt
minutes par jour) pourrait favoriser l’apparition de la maladie
d’Alzheimer.

Vers une nouvelle législation ?

Le lobbying des fabricants de téléphones portables est puissant et


l’indépendance des experts suscite des polémiques. Aux États-Unis, des
liens ont été dénoncés entre l’International Epidemiology Institute de
Rockville, dans le Maryland, et le fabricant Motorola. En France, la loi
dite « Abeille », du nom de sa rapporteuse Laurence Abeille, a été votée le
29 janvier 2015 et vise à encadrer et réguler la téléphonie mobile sans en
interdire le développement. Il est important de signaler qu’il s’agit du
premier texte en France qui instaure une démarche de précaution face aux
risques sanitaires potentiels induits par les antennes-relais, les téléphones
portables et les autres technologies sans fil.
Chaque nouvelle mise en place d’antenne-relais doit respecter une
procédure d’information préalable. Les appareils sans fil sont proscrits
dans « les espaces dédiés à l’accueil, au repos et aux activités des enfants
de moins de 3 ans ». Une campagne d’information et de sensibilisation
concernant « l’usage responsable et raisonné » des terminaux mobiles et
des appareils utilisant des radiofréquences (kit mains libres) doit être mise
en place. En même temps, le gouvernement doit fournir au Parlement un
rapport sur les personnes atteintes du « mal des ondes » et souffrant
d’électrohypersensibilité. La publicité pour un téléphone portable est
désormais contrainte de recommander l’usage d’un dispositif limitant
l’exposition de la tête aux ondes électromagnétiques. Il convient
d’attendre la promulgation de tous les décrets d’application de cette loi
publiée au Journal officiel le 10 février 2015.
Avec l’adoption de cette loi, un grand pas a été franchi. Un nouveau
principe, celui de la limitation de l’exposition du public aux champs
magnétiques, est admis dans le droit français. De nombreux pays comme
la Belgique, la Pologne, le Luxembourg, la Grèce, mais aussi la Chine, la
Russie et l’Inde ont fait le choix de diminuer la puissance des antennes-
relais, obligeant les opérateurs à en multiplier le nombre. Car l’actualité
récente semble donner raison aux plus pessimistes. Un jugement du
25 août 2015 au tribunal du contentieux de l’incapacité de Toulouse
reconnaît, après expertise médicale, que la plaignante Marine Richard,
âgée de 39 ans, est atteinte du syndrome d’hypersensibilité aux ondes
électromagnétiques dont « la description des signes cliniques est
irréfutable ». En effet, elle souffre de maux de tête, de picotements et de
troubles du sommeil. Dans ce jugement, il est estimé que sa déficience
fonctionnelle est de 85 % avec « restriction substantielle et durable pour
l’accès à l’emploi ». Que la justice reconnaisse l’existence d’un handicap
dû aux ondes électromagnétiques est une première en France et en Europe.

Cigarette électronique : pas si inoffensive ?

En France, l’utilisation de la cigarette électronique, ou « e-cigarette »,


est depuis plusieurs années en forte croissance. Fin 2013, on comptait
7 millions de « vapoteurs » en Europe. Au printemps 2015, on estimait
qu’il existait en France 400 000 « vapoteurs » et 1,5 million de
« vapoteurs-fumeurs » réguliers, qui se partagent entre le tabac et l’e-
cigarette. Devant cette popularité, un salon spécialisé a été consacré à
cette technologie à Paris. Comparée aux patchs, chewing-gums et autres
substituts nicotiniques, la cigarette électronique a changé le quotidien de
centaines de milliers de fumeurs de tabac.
Inventée par un scientifique chinois, Hon Lik, au début des années
2000, ce n’est qu’en 2007 qu’elle apparaît en France. Sa fabrication se
situe pourtant toujours quasi exclusivement en Chine. En revanche,
certaines recharges sont fabriquées dans d’autres pays. Reconnue moins
nocive pour la santé que la cigarette classique, il est cependant difficile
d’admettre une innocuité totale et les avis scientifiques divergent à ce
sujet. De plus, nous n’avons pas le recul suffisant pour juger des effets à
long terme pour le fumeur qui utilise la cigarette électronique, mais aussi
pour les tiers qui respirent la vapeur rejetée. En août 2014, l’O.M.S. a
recommandé aux États d’interdire la vente des cigarettes électroniques aux
mineurs et leur usage dans les lieux publics, estimant qu’elles
représentaient une grave menace pour l’adolescent et le fœtus. La
méconnaissance des substances absorbées renforce la controverse sur les
dangers de cette nouvelle cigarette. Comme pour d’autres dispositifs
(téléphones portables, lignes à haute tension) ou matériaux (amiante), sans
un recul de plusieurs dizaines d’années, le principe de précaution doit
s’imposer.

Les risques de la nouveauté

La cigarette électronique produit de la fumée en chauffant, grâce à une


résistance, un liquide contenu dans un « atomiseur ». La composition de ce
liquide est variable. Elle inclut généralement de la nicotine, du glycérol,
du propylène glycol et une multitude d’arômes au choix.
La nicotine, par la libération de dopamine au niveau du cerveau,
entraîne une sensation de bien-être. Cette sensation est obtenue plus vite
avec la cigarette électronique qu’avec une cigarette classique. Des
pneumologues estiment que le « vapotage » est moins nocif pour la santé
que la fumée de cigarette. Pourtant, l’O.M.S. a classé la nicotine en
« substance très dangereuse ». L’Union européenne a trouvé un accord qui
fixe le plafond de la nicotine dans les cartouches (20 mg de nicotine par
ml) et les recharges (maximum de 2 ml par recharge). La cartouche est le
réservoir de la cigarette électronique destiné à recevoir l’e-liquide. La
recharge est un récipient contenant le liquide (aux saveurs diverses) qui
permet de remplir la cartouche. Une loi reprenant ces dispositions devrait
être effective en France en 2016 ou 2017. Pour Jean-François Etter,
professeur de santé publique à la faculté de Genève, « toutes les formes de
consommation de nicotine qui n’utilisent pas la combustion sont
recommandées ». Le problème dans la cigarette électronique est que nous
réalisons nous-même notre mélange, et donc nous risquons de forcer sur la
dose de nicotine ou d’autres composants. Les vapoteurs qui fabriquent
leurs liquides sont rares, mais tous les ingrédients nécessaires sont
disponibles sur Internet. Par ailleurs, la nicotine contenue dans les e-
liquides entretient, ou crée, une dépendance à l’instar de la cigarette
classique. Il faudrait qu’elle soit considérée comme une aide au sevrage
pour les fumeurs avérés. Enfin, certains jeunes commencent à fumer grâce
à la cigarette électronique et personne, à ce jour, ne peut évaluer le risque
de passer ensuite à la cigarette classique.

Plus de 8 000 liquides sont proposés dans le commerce. Une simple


visite dans un magasin spécialisé vous permet d’en trouver une multitude.
Ces liquides sont composés de différents arômes, mais on y trouve aussi
des « exhausteurs de goût » qui font ressortir les saveurs (goût vanillé,
sucré…) et des « additifs » pour procurer des sensations de froid (effet
glaçon), un effet acidulé ou un parfum de fumée grillée. De même, des
« équilibreurs d’arômes » rendent le résultat plus homogène. Il s’agit à
chaque fois d’une véritable recette, d’une « potion magique », d’un
mélange de plusieurs produits. C’est justement là que réside tout le danger.
L’hygiène de la cigarette électronique laisse aussi à désirer. Comme
elle est réutilisable, l’embout accumule les germes et les bactéries. C’est
un peu comme si vous mangiez avec une cuillère sans jamais la nettoyer.
De plus, au cours du vapotage, la chaleur produite par la vapeur entraîne
une dilatation des bronches et peut contribuer à la dissémination de
germes dans les poumons.
En août 2014, l’O.M.S. a indiqué que l’inhalation des vapeurs émises
par les cigarettes électroniques pouvait constituer un grave danger pour les
femmes enceintes. Il existe peu d’études scientifiques sur ce sujet, mais
cette prise de position doit nous faire réfléchir sur le risque potentiel pour
la femme enceinte, et donc le fœtus, d’une exposition active (femme
enceinte fumant des cigarettes électroniques) ou passive. Des études de
cas cliniques sont nécessaires pour s’assurer que la cigarette électronique
est une alternative réellement saine pour les fumeuses n’arrivant pas à
arrêter de fumer pendant la grossesse. Il est capital que toute fumeuse
enceinte en parle à son médecin généraliste ou à son gynécologue pour un
avis médical. Mais la décision finale restera toujours un choix personnel.
Selon une étude de l’Institut national de la consommation, outre la
nicotine, les cigarettes électroniques feraient inhaler au consommateur
toutes sortes de substances comme le formol, l’acroléine ou
l’acétaldéhyde. Ainsi, en septembre 2013, l’association 60 millions de
consommateurs citait ces produits en précisant que « les cigarettes
électroniques peuvent émettre des composés potentiellement cancérogènes
en quantité significative ». Des scientifiques auraient aussi décelé des
traces de métaux lourds comme le nickel et le chrome. Autant
de substances dangereuses, toxiques, cancérogènes, dont la teneur varie
d’une cigarette électronique à l’autre. Des scientifiques américains ont
démontré que la vapeur des cigarettes électroniques induit sur certaines
cellules bronchiques précancéreuses des modifications comparables à
celles provoquées par la fumée du tabac. Mais cela n’établit pas que la
vapeur des cigarettes électroniques soit capable de créer des cellules
cancéreuses sur un tissu sain. Il est donc indispensable d’étudier les
différents effets de la cigarette électronique sur l’homme, et cela sur le
long terme.
Toujours en août 2014, l’O.M.S. a demandé à tous ses États membres
« d’interdire les inhalateurs aux arômes de fruits, de bonbons et de
boissons alcoolisées jusqu’à ce que des données empiriques montrent
qu’ils n’exercent pas d’attrait sur les mineurs ». Elle recommande aussi
« d’interdire la vente des cigarettes électroniques aux mineurs et
d’interdire leur usage dans les lieux publics fermés ». Personne ne nie
aujourd’hui l’existence d’un tabagisme passif, c’est-à-dire l’inhalation par
l’entourage de la fumée des cigarettes. On découvrira alors peut-être un
jour un « vapotage passif ».

Comment bien utiliser la cigarette électronique ?

Si vous associez les cigarettes classiques et le vapotage, les risques


pour votre santé ne vont pas beaucoup diminuer. Pour Yves Martinet,
professeur de tabacologie au C.H.U. de Nancy, « ce qui tue, ce n’est pas
le nombre de cigarettes fumées par jour mais plutôt le nombre d’années de
tabagisme ». Si vous désirez arrêter de fumer, mieux vaut choisir des
traitements dont les effets sont connus, comme les patchs, les gommes ou
les inhalateurs. Si vous choisissez la cigarette électronique, elle ne doit
être qu’une étape pour arriver au sevrage total. La cigarette électronique
semble, en l’état actuel des connaissances, beaucoup moins nocive que la
cigarette classique, mais gardez toujours à l’esprit qu’elle peut se révéler
dangereuse dans l’avenir. Si vous n’avez jamais fumé de tabac, n’essayez
pas la cigarette électronique pour faire comme les autres ou ressentir de
nouvelles sensations. Le risque est grand que cette e-cigarette, à cause de
la nicotine qu’elle contient, vous rende dépendant.
La cigarette électronique est-elle donc une alternative à la cigarette ou
un nouveau problème de santé publique à retardement ? Seul l’avenir nous
le dira. Mais dans le doute, le principe de précaution doit s’appliquer. Dans
cette optique, la publication le 29 septembre 2015 des résultats d’une
campagne de vérification entreprise en 2014 par la Direction générale de
la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes
(D.G.C.C.R.F.) montre de nombreuses anomalies concernant la sécurité
des cigarettes électroniques. Cette enquête conclut à une non-conformité
de 90 % des liquides prélevés et de près de la totalité des chargeurs. La
D.G.C.C.R.F. a noté que « l’étiquetage n’est pas adapté à la composition
du produit analysé », par exemple le taux de nicotine. Les étiquettes se
sont révélées trompeuses ou mensongères. Par ailleurs, 6 % de ces
produits ont été jugés dangereux pour des motifs d’absence d’étiquetage
de danger (absence du pictogramme de tête de mort, indispensable en
présence de nicotine) ou d’absence de dispositif de fermeture de sécurité
pour les enfants. Concernant les chargeurs, sur les quatorze modèles
analysés, « treize ont été déclarés non conformes, dont neuf dangereux en
raison de chocs électriques liés à un défaut d’isolation ». Cet organisme
précise avoir procédé « à plus de 1 300 saisies de produits non conformes
ou dangereux et à plus de 56 000 retraits et/ou rappels de la
commercialisation ». Un étiquetage non conforme ne rend pas un produit
dangereux pour autant, mais il est appréciable que les autorités soient aux
aguets.
Selon le groupe d’études de marché Xerfi, le commerce de la cigarette
électronique français pesait 395 millions d’euros en 2014 et atteindra
450 millions d’euros en 2018. Cependant, cette extrapolation semble trop
optimiste car le marché de la cigarette électronique commence déjà à
s’essouffler. Le nombre de magasins en France devrait passer de 2 500 à
2 000 dans ce même laps de temps.

Éoliennes : des dégâts sanitaires possibles

La montée en puissance de l’énergie éolienne terrestre, supposée


bénéfique sur le plan écologique, s’accompagne de graves nuisances et de
scandales multiples. Pensons à la triste défiguration des paysages, à la
dépréciation immobilière des zones concernées et aux soupçons de
corruption dans les processus qui ont permis leur installation. Mais le plus
inquiétant est que les éoliennes terrestres pourraient être à l’origine de
dégâts sanitaires dont l’importance va croître avec l’augmentation du parc.
Actuellement, la France compte plus de 5 500 éoliennes installées et
l’objectif du gouvernement et des industriels est de doubler la capacité à
l’horizon 2020. Cependant, des habitants proches des éoliennes se
plaignent d’un bruit obsédant, un ronronnement permanent qui perturbe la
qualité du sommeil. L’ombre des pales se projetant au sol peut aussi
revêtir un effet lancinant, et l’émission d’infrasons provoquer des
acouphènes. On évoque désormais un véritable « syndrome éolien »,
alliant des troubles du sommeil, des céphalées, des vertiges et des
acouphènes. Déjà, en 2006, l’Académie de médecine avait recommandé
d’implanter les éoliennes à une distance minimum de 1 500 mètres de
toute habitation. Les médecins allemands viennent, quant à eux, d’attirer
l’attention des pouvoirs publics sur les nuisances des éoliennes. En France,
les témoignages commencent à affluer : pollution visuelle, effet
stroboscopique des pales, flashs nocturnes, perturbations des radios et des
téléviseurs, bruits et infrasons. Certains scientifiques pensent déjà qu’il
s’agit d’un problème de santé publique qui pourrait prendre de graves
dimensions si l’implantation des éoliennes n’était pas sévèrement
contrôlée.
Chapitre 5

Assurances : attention danger !

Bienvenue dans le monde sans pitié des assurances ! Dans le cadre


d’un dommage corporel causé par un accident de la circulation ou du
travail, un accident domestique, une erreur médicale ou une agression,
chacun d’entre nous traite avec une compagnie d’assurances. Dans tous
ces cas, un médecin expert d’assurance évalue nos préjudices, et un
régleur de l’assurance établit une proposition d’indemnisation. Si nous
avons affaire à notre propre compagnie dans le cas d’un accident de la
route sans tiers responsable (assurance Responsabilité conducteur) ou d’un
accident domestique (assurance Garantie accidents de la vie), nous serons
amenés à être en contact avec la compagnie adverse, c’est-à-dire celle de
l’auteur du dommage corporel (conducteur fautif, médecin, établissement
de soins), dans le cas d’un accident avec tiers responsable.
N’oubliez jamais que vous êtes novice et que la partie est toujours
rude. Dans le cas de négociations amiables suite à une erreur médicale,
vous pourrez apprécier l’attitude pour le moins équivoque des médecins
experts mandatés (et payés) par les compagnies d’assurances qui
défendent les médecins ou les établissements hospitaliers et les cliniques
privées. Dans le cas d’une action en justice, les assurances font preuve
d’une mauvaise foi évidente. Elles vont jusqu’à contester les conclusions
du médecin expert désigné par la Commission de conciliation et
d’indemnisation ou par le tribunal, pourtant réputé d’une totale
impartialité, et utilisent toutes les voies de recours possibles pour retarder
votre indemnisation. Pour les victimes atteintes de graves préjudices
physiques, des assurances font traîner la procédure d’indemnisation de
façon manifeste, espérant en secret que le décès intervienne. Car, pour le
dire avec des mots crus, une victime décédée coûte en toute logique moins
cher à indemniser qu’un tétraplégique qui a la mauvaise idée de survivre.
Pour vous permettre de vous défendre à armes égales, nous vous livrons
ici quelques petits secrets des compagnies d’assurances.

Les bases de l’indemnisation

Incapacité permanente partielle (I.P.P.)


ou Déficit fonctionnel permanent (D.F.P.)

L’incapacité permanente partielle correspond à la réduction du


potentiel physique, psychosensoriel ou intellectuel dont reste atteinte la
victime. L’expert ne peut calculer l’incapacité permanente partielle
qu’après la consolidation, ce moment où les différentes lésions se sont
fixées, ont pris un caractère permanent et ne nécessitent plus de traitement
(sauf pour éviter une aggravation). Il est alors possible d’apprécier un
certain degré d’incapacité fonctionnelle constituant un préjudice définitif.
Après la consolidation, l’expert peut déterminer l’I.P.P. (ou D.F.P.).
Bien entendu, l’I.P.P. correspond uniquement aux séquelles en relation
directe, certaine et exclusive avec l’accident. Le taux d’I.P.P. varie de 1 à
100 %. La valeur d’indemnisation du point fluctue, d’une part en fonction
du pourcentage de l’I.P.P., et d’autre part en fonction de l’âge de la
victime.
Il semble important de vous signaler que vous êtes toujours en droit de
refuser, au moment de la consolidation, une nouvelle intervention
chirurgicale qui vous serait proposée, même si elle est réputée pouvoir
améliorer votre handicap. Le médecin expert doit évaluer votre déficit
fonctionnel en tenant compte de votre état, sans vous imposer une
intervention qui pourrait, peut-être, améliorer votre état de santé et donc
diminuer votre indemnisation.

La notion de préjudice

Les préjudices sont représentés par les conséquences d’un dommage


sur le plan physique, moral ou professionnel. Ils sont de plusieurs sortes
dont notamment :
Le préjudice fonctionnel, temporaire ou permanent représente les
atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, mais aussi la
douleur permanente qu’elle ressent, la perte de la qualité de vie et les
troubles dans les conditions d’existence qu’elle rencontre au quotidien
après sa consolidation.
Les souffrances endurées, physiques et morales, désignées aussi sous
le nom de quantum doloris ou pretium doloris, correspondent à toutes
les souffrances physiques et psychiques, ainsi que les troubles
associés, que la victime endure pendant sa maladie traumatique, c’est-
à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation (et cela
indépendamment du préjudice fonctionnel).
Le préjudice esthétique est l’ensemble des disgrâces dynamiques et
statiques imputables au médecin ou au dentiste et persistant avant et
après la consolidation.
Le préjudice d’agrément correspond à l’impossibilité définitive de
pratiquer une activité spécifique de loisir. Il est lié à la preuve d’une
activité ludique ou sportive exercée avant l’accident et dont la victime
est désormais privée.
Le préjudice professionnel et l’incidence professionnelle ont pour
objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant
la sphère professionnelle, par exemple une dévalorisation sur le
marché du travail, la perte d’une chance professionnelle ou
l’augmentation de la pénibilité du travail voire la perte de son emploi.
Le préjudice sexuel indemnise l’impossibilité totale ou partielle
d’accomplir l’acte sexuel ou de procréer.
L’incapacité temporaire totale (I.T.T.) ou déficit fonctionnel
temporaire (D.F.T.) correspond à la période d’indisponibilité pendant
laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine, directe et
exclusive avec la faute du médecin ou du dentiste, la victime n’a pu
exercer ses activités habituelles (période d’hospitalisation complète,
de jour ou à domicile).

Les médecins experts des compagnies d’assurances

Les médecins experts auprès des compagnies d’assurances sont


titulaires d’un diplôme spécifique, le C.A.P.E.D.O.C. (Capacité en
expertise en dommage corporel), géré par l’A.R.E.D.O.C. (Association
pour l’étude de la réparation du dommage corporel), organisme financé
par la F.F.S.A. (Fédération française des sociétés d’assurance), le
G.E.M.M.A. (Groupement des entreprises mutuelles d’assurance) et
Groupama. On comprend que les compagnies d’assurances en sont partie
prenante et peuvent donner une certaine direction à la formation de leurs
médecins experts. Le médecin expert d’assurances est donc un pur produit
du système. Chaque département possède sa liste d’experts (la liste
I.R.C.A.). Si une compagnie veut missionner un médecin expert dans une
région donnée, elle consulte cette liste et n’a qu’à faire son choix. Bien
entendu, chaque compagnie d’assurances a ses médecins préférés, qu’elle
choisit régulièrement.
Normalement, c’est la compagnie d’assurances du blessé qui fait le
recours auprès de celle du responsable qui devra indemniser. Mais les
compagnies d’assurances ont mis en place la convention I.R.C.A. Cela
veut dire que si votre taux d’I.P.P. est inférieur à 5 %, c’est votre
compagnie d’assurances qui vous fera examiner par son médecin expert et
qui fera ensuite le recours auprès de la compagnie adverse pour obtenir
l’indemnisation. En revanche, si votre taux d’I.P.P. se révèle supérieur à
5 %, c’est la compagnie d’assurances du responsable qui reprend le
mandat. Cette pratique est valable pour les petits dossiers, pour accélérer
les indemnisations. Mais il y a là un risque, puisque les compagnies
d’assurances ont donc des dossiers croisés ! Par exemple, un jour
l’assurance A doit indemniser l’assurance B, mais le lendemain c’est
l’assurance B qui devra indemniser l’assurance A pour un autre dossier. La
tentation est forte de s’entendre sur des renvois d’ascenseur. Et cela, sur le
dos des victimes.

Les médecins experts sont-ils compétents ? Il existe un hiatus entre


ceux qui ne gèrent que de petits dossiers et ceux qui s’occupent de dossiers
plus importants. Le mot « dossier » est un terme qui peut choquer, mais
c’est malheureusement bien celui utilisé par les compagnies d’assurances
pour désigner les victimes d’un dommage corporel. Vous n’êtes qu’un
numéro de dossier, à l’instar d’un dégât des eaux ou d’un cambriolage.
Les médecins qui ne prennent en charge que de « petits » dossiers
(fracture, entorse cervicale…) ne sont pas les plus compétents quand ils
sont missionnés sur les plus importants (traumatisme crânien,
tétraplégie…). Dans le cas d’un traumatisme crânien, 80 % des experts
font l’impasse sur l’étude des fonctions supérieures (pas de bilan
neuropsychologique pour tester la mémoire, par exemple). Pour ce type de
dossiers, il n’existe qu’une quinzaine de médecins experts spécialisés qui,
outre une juste évaluation des différents préjudices du blessé,
appréhendent aussi ses besoins et proposent des solutions adaptées pour
surmonter le handicap. Ces experts voient en général leurs conclusions
validées par les compagnies d’assurances, et ils sont acceptés par les
avocats des blessés.

Les médecins experts sont-ils par ailleurs indépendants ? Ceux qui


traitent de gros dossiers, qui sont reconnus et respectés par les avocats et
qui ne sont pas contredits par les compagnies d’assurances qui les ont
missionnés, sans doute. Mais quand un médecin expert débute, ses
rapports sont lus dans un premier temps par le médecin-conseil national
ou régional de la compagnie d’assurances. Si l’évaluation semble un peu
excessive, le médecin-conseil demande au médecin expert débutant de
diminuer son évaluation, et celui-ci a intérêt à obtempérer s’il veut
continuer à travailler avec la compagnie d’assurances qui l’a mandaté.
Ce type de pratique est intolérable, d’autant que les médecins experts
débutants peuvent être tentés d’anticiper les demandes des compagnies
d’assurances en sous-évaluant d’eux-mêmes leurs conclusions pour
satisfaire leur mandataire. Par ailleurs, les indemnisations sont parfois très
différentes d’une région à l’autre pour le même préjudice, au sein de la
même compagnie. Par exemple, pour l’une d’entre elles, la région Nord-
Bretagne donne des indemnisations correctes alors que la zone Sud est
particulièrement restrictive. Et cela, bien sûr, aux dépens des victimes !

Des pratiques contestables

En plus de faire pression sur leurs médecins experts, les compagnies


d’assurances ont aussi quelques « recettes » pour diminuer l’importance
des indemnisations.

L’indemnisation basée sur le certificat médical initial


Une technique répandue, pratiquée par certaines compagnies, permet
d’indemniser a minima. Il s’agit de proposer une indemnisation rapide et
définitive, en tenant compte uniquement du certificat médical initial. Ce
dernier est établi par un médecin qui énumère les différentes plaies et
traumatismes dont vous êtes victime après votre accident corporel.
Cependant, il n’est pas rare que ce certificat initial soit incomplet et que
d’autres pathologies apparaissent dans les jours qui suivent l’accident.
Pour la compagnie d’assurances, peu importe, ce certificat médical
initial est simplement vu par le médecin-conseil régional qui, sur dossier,
déterminera que le taux de D.F.P. est de 0 %. Dans sa grande générosité, il
propose une indemnisation sur la base de souffrances endurées légères
(1/7) et l’assurance vous octroie de 300 à 400 euros.
Cette démarche pourrait se comprendre pour les petites blessures,
comme une simple égratignure ou une petite plaie, sans arrêt de travail.
Mais quand il existe un traumatisme du rachis cervical avec un arrêt de
travail et que la compagnie d’assurances vous propose 500 euros, vous
devez exiger une expertise médicale car vos pertes de salaires doivent être
prises en compte. Dans les petits dossiers, les compagnies d’assurances
font ce qu’elles veulent car les victimes, non rompues à leurs pratiques, ne
sont que très rarement assistées par des avocats spécialisés.

Le détournement de la convention I.R.C.A.

Dans le cas de la convention I.R.C.A. (taux de D.F.P. inférieur à 5 %),


c’est la compagnie d’assurances du blessé qui indemnise, après une
expertise réalisée par son propre médecin. Elle se fera rembourser par la
suite par la compagnie d’assurances du responsable de l’accident. Si le
taux de D.F.P. est égal à zéro, le recours envers la compagnie d’assurances
du fautif est plafonné à 1 500 euros, quel que soit le coût total du dossier,
c’est-à-dire même si les frais d’hospitalisation et le coût d’un arrêt de
travail dépassent largement cette somme. C’est donc la propre compagnie
d’assurances du blessé qui devra payer le surplus au-delà des 1 500 euros.
Pour rentrer dans ses frais, cette compagnie peut faire croire à son assuré
qu’il s’agit d’un tout petit dossier et lui demandera de se faire établir un
certificat médical initial. Comme il n’y aura pratiquement rien sur le
certificat, la compagnie d’assurances du blessé lui proposera une
indemnisation de 100 ou 200 euros, mais récupérera les 1 500 euros auprès
de la compagnie d’assurances adverse. Imaginez donc le gain obtenu si de
telles pratiques sont réalisées sur des milliers de petits dossiers…

L’oubli volontaire de certains postes de préjudices

Une liste de préjudices indemnisables a été établie en juillet 2005 par


un groupe de travail dirigé par Jean-Pierre Dintilhac, président de la
deuxième chambre civile de la Cour de cassation. Pour réaliser sa mission,
le médecin expert est censé se référer à cette liste, que l’on appelle la
nomenclature Dintilhac.
Mais certains médecins experts occultent volontairement des
préjudices prévus par cette nomenclature. Par exemple, quand vous êtes en
période de gêne temporaire, il faut évaluer « l’aide temporaire de tierce
personne » qui vous a été nécessaire pour réaliser les actes de la vie
courante. C’est souvent le cas pour une fracture de la jambe ou du poignet,
et c’est votre famille qui joue alors le rôle de tierce personne temporaire.
Certains médecins-chefs de compagnie d’assurances demandent
toutefois à leurs médecins experts de ne pas inscrire cette évaluation dans
leur rapport alors que la nomenclature Dintilhac le demande. De la même
manière, l’étude des fonctions supérieures est occultée dans les cas de
traumatismes crâniens petits et moyens. C’est à se demander si les
médecins experts l’oublient sur demande ou parce qu’ils ne savent pas la
faire…
Des expertises aux conclusions minimisées

Trop de rapports d’expertise présentent un taux de D.F.P. de zéro. Pour


les compagnies d’assurances, cela signifie qu’il n’est pas nécessaire de
missionner un médecin expert et qu’elles peuvent simplement proposer
une indemnisation forfaitaire de quelques centaines d’euros. Cependant, la
réalité est toute autre.
Une compagnie d’assurances a, par exemple, demandé à l’un de ses
médecins-chefs de réétudier plusieurs dizaines de dossiers dans lesquels le
médecin expert avait évalué le taux de D.F.P. à zéro. Et là, grande surprise,
ou plutôt désagréable surprise pour les victimes : dans un tiers des cas, le
taux de D.F.P. avait été sous-évalué et était en réalité beaucoup plus
important.
Par exemple, pour un enfant qui présentait un traumatisme crânien
avec une lésion cérébrale, le médecin expert avait indiqué un taux de
D.F.P. de zéro après une consolidation rapide, sous prétexte que l’enfant
avait repris l’école. Le médecin expert n’avait donc pas tenu compte de la
réalité du traumatisme crânien et des difficultés rencontrées à l’école par
le jeune blessé. Tout ceci constitue ce qu’on peut appeler des petites
combines entre assurances.

Comment les compagnies récompensent-elles


les « bons » experts ?

Les compagnies d’assurances récompensent les « bons experts » en les


missionnant de manière régulière. Certains médecins experts diminuent
d’eux-mêmes les évaluations pour faire plaisir au médecin-chef dans
l’espoir d’obtenir davantage de missions d’expertise (il ne faut pas oublier
que les médecins experts des compagnies d’assurances vivent uniquement
des expertises qui leur sont confiées).
Par exemple, une grande compagnie d’assurances a demandé à l’un de
ses médecins-conseils de donner un avis, sur la simple étude des pièces
médicales du blessé, pour déterminer une première évaluation du dossier.
Cette dernière a permis à l’assurance de verser une provision à la victime
sur la base d’un taux de D.F.P. entre 0 et 1 %, de souffrances endurées à
1,5/7 et d’une gêne temporaire partielle de vingt-quatre mois.
Malheureusement, le médecin expert, emporté par son désir de bien faire,
n’a finalement retenu aucun poste de préjudice. Embarrassé par les
conclusions médicales de son médecin plein de zèle, le régleur de cette
compagnie d’assurances a dû écrire au médecin à titre confidentiel afin de
lui demander s’il ne lui était pas possible de modifier ses conclusions pour
pouvoir clore l’affaire. Vous comprenez que l’assurance ne pouvait
demander à la victime le remboursement de la provision déjà versée. Cette
assurance a eu la délicatesse de préciser « loin de vouloir remettre en
cause votre rapport », de peur qu’à l’avenir son médecin expert soit moins
empressé à minimiser les préjudices dans le seul but de lui plaire.
Les médecins les plus « restrictifs » obtiennent davantage de missions
que ceux qui seraient « trop généreux ». Par exemple, sur la région de
Rouen, les médecins experts sont extrêmement restrictifs, mais sont
fréquemment désavoués quand ils sont contestés par une action judiciaire.
On peut considérer qu’un tiers des médecins experts est très restrictif.

Comment lutter à armes égales ?

Il faut toujours avoir à l’esprit que les compagnies d’assurances, y


compris la vôtre, ne sont pas vos amies et qu’elles peuvent s’entendre
entre elles sur le dos des victimes. Ne leur faites jamais confiance
aveuglément ! Pour s’en convaincre, il suffit de voir l’attitude du régleur
de votre compagnie d’assurances, quand vous lui annoncez que vous avez
chargé un médecin expert indépendant et un avocat spécialisé de défendre
vos intérêts. Certains deviennent aussitôt désagréables ou coléreux et
d’autres vous jurent, la main sur le cœur, que l’indemnisation aurait été la
même et que vous allez perdre beaucoup de temps et d’argent. Il
vous expliquera aussi qu’il vous laissera tomber immédiatement s’il vous
prenait la fâcheuse idée d’engager un avocat. N’en croyez rien, entre une
victime qui fait aveuglément confiance à sa compagnie d’assurances et
celle qui fait intervenir un médecin expert indépendant et un avocat
spécialisé pour la défendre, l’indemnisation peut tripler.
Pour citer le directeur général d’une grande compagnie d’assurances,
« plus de 95 % des victimes nous font confiance et acceptent ce qu’on leur
donne sans contester un seul instant le montant de l’indemnisation
proposée ». Il est évident que dans ces conditions, les compagnies
d’assurances ont encore de beaux jours devant elles. Et cela se comprend
parfaitement. La victime, meurtrie dans sa chair et dans son âme, se
retrouve à l’hôpital ou dans un centre de rééducation, coupée de ses liens
familiaux et professionnels, et voit arriver son sauveur, le régleur de la
compagnie d’assurances, la personne en mesure de signer un chèque pour
lui permettre de faire face à ses premiers besoins financiers.
Selon ses compétences, le régleur peut faire des chèques d’un montant
plus ou moins élevé sans demander l’autorisation à son siège. Bien
entendu, il vous précisera qu’il répondra à toutes vos demandes et ne
manquera pas de vous faire signer avant toute chose un mandat qui donne
tout pouvoir à votre compagnie d’assurances pour vous défendre face à
celle du responsable de l’accident. Sachez que si vous avez signé un tel
mandat, vous avez la possibilité de le récuser à tout moment si vous
décidez de solliciter l’intervention d’un avocat spécialisé.

Alors, comment agir face à sa compagnie d’assurances ? Tout d’abord,


faites très attention à la rédaction du certificat médical initial, qui est un
document primordial pour la suite de ce dossier. En effet, les compagnies
d’assurances ne prendront en charge que les blessures en lien direct et
certain avec l’accident. Il peut toutefois arriver dans certains cas, par
exemple quand le pronostic vital est engagé et que vous êtes en
réanimation, que des lésions (fractures en particulier) soient oubliées.
Demandez toujours un certificat médical complémentaire dès que cela est
possible. Faites bien préciser toutes les lésions survenues à cause de
l’accident, en décrivant tout le corps humain en partant de la tête vers les
pieds. N’hésitez pas à exiger des radiographies des différentes parties du
rachis, des épaules, des genoux (l’apparition d’un problème de genou,
d’épaule ou autre ne sera pas prise en charge par le médecin expert de la
compagnie d’assurances si aucune mention concernant cette région du
corps n’est portée sur le certificat médical initial). Un problème récurrent
est l’apparition d’une hernie discale au niveau du rachis (cervical ou
dorso-lombaire) quelques semaines après l’accident. L’assurance
contestera toujours un lien de causalité et refusera toute prise en charge.
Vous comprenez donc l’importance capitale de réaliser des radiographies
de votre colonne vertébrale immédiatement après un accident.
Faites une liste précise de vos doléances et de toutes les difficultés que
vous rencontrez pendant le déroulement d’une journée. Et réfléchissez
aussi à ce qu’on appelle les préjudices d’agrément. N’oubliez pas de
mentionner toutes les activités sportives ou culturelles que vous pratiquiez
avant l’accident, non seulement en club, mais aussi à titre familial ou
individuel. N’attendez pas que le médecin expert vous questionne sur ce
sujet. Tout votre avenir va se jouer en deux ou trois heures d’expertise face
à un médecin expert qui applique les consignes de la compagnie
d’assurances qui l’a missionné.
Il est par ailleurs conseillé de contacter le plus vite possible après
votre accident un cabinet d’avocats spécialisés dans la défense des
victimes d’accidents corporels. Il existe une quinzaine de cabinets
spécialisés en France, qui prennent en charge exclusivement les intérêts
des victimes face aux différentes compagnies (celle du blessé et celle du
responsable de l’accident) et qui se déplaceront dans tout le territoire pour
vous aider. Ils vous aideront dans la constitution de votre dossier, dans vos
démarches auprès des différents organismes, dans la préparation et le
déroulement des expertises médicales en assistant aux réunions et en vous
faisant bénéficier de leur équipe de médecins experts indépendants. De
plus, au moment des différentes discussions avec la compagnie
d’assurances pour obtenir des provisions financières ou l’indemnisation
finale, votre avocat luttera à armes égales avec le régleur. En effet,
l’avocat connaît toutes les jurisprudences des différentes cours d’appel ; il
négociera en sachant parfaitement ce qu’il pourrait obtenir s’il décidait de
partir en procédure en cas d’échec des négociations. Souvent, les avocats
spécialisés obligent les régleurs des compagnies d’assurances à accepter
des indemnisations plus élevées que celles qui pourraient être obtenues par
une procédure. En effet, la transaction reste ainsi confidentielle et ne peut
pas faire jurisprudence. De plus, ayant en main la défense de nombreuses
victimes qui devront être indemnisées par ce même régleur, les avocats
spécialisés utilisent parfois aussi la menace, souvent très efficace,
d’arrêter les négociations et de partir en justice pour tous les dossiers.
Certes, il y a de quoi s’inquiéter du montant des honoraires de ces
avocats spécialisés, et cela d’autant plus qu’étant peut-être en arrêt de
travail, vos finances peuvent être limitées. Conscients de ce problème, les
avocats spécialisés dans la défense exclusive des victimes d’accidents
corporels s’adapteront à vos difficultés. Avec un médecin expert
indépendant et un avocat spécialisé dans la défense des victimes de
dommages corporels, vous avez la certitude qu’aucun préjudice ne sera
oublié et vous pourrez vous consacrer à votre convalescence et vous
reconstruire l’esprit tranquille.

Un exemple édifiant de malhonnêteté


Vous disposez d’une assurance « Garantie accidents de la vie »,
contractée auprès de votre agent d’assurances habituel ou auprès d’une
banque. En toute logique, vous pensez que vous serez pris en charge par
celle-ci en cas de survenue d’un accident dans la vie courante. En cas de
sinistre, la réalité est malheureusement plus complexe car la majorité des
compagnies fera tout son possible pour vous exclure du processus
d’indemnisation, pourtant prévu par votre contrat. Ce qui est arrivé à une
victime, Françoise, est un cas d’école et son témoignage est l’occasion de
découvrir les « bonnes pratiques » de certaines compagnies d’assurances.
En travestissant les faits survenus et en minimisant vos préjudices, le
médecin expert puis le régleur de l’assurance mettent tout en œuvre pour
ne pas vous indemniser et satisfaire au mieux leur employeur, c’est-à-dire
la compagnie d’assurances. Ils n’hésiteront pas à utiliser votre ignorance
médicale et juridique et à jouer sur votre détresse physique et morale. En
revanche, à la lecture de ce témoignage, vous comprendrez qu’il ne faut
jamais baisser les bras ni s’avouer vaincu. Des armes sont à votre
disposition pour faire respecter vos droits.
Rassurez-vous toutefois, il existe aussi, dans le domaine du dommage
corporel, quelques assurances d’une grande honnêteté, qui font passer la
composante humaine et les intérêts de la victime avant le culte du profit.

Mon épouse Françoise, âgée de 64 ans, est tétraparésique


(c’est-à-dire qu’elle éprouve des difficultés à bouger les
quatre membres et qu’elle a des problèmes sphinctériens)
suite à un « accident de la vie » survenu en Espagne le
4 août 2008. Elle a été violemment heurtée par une vague
en sortant de l’eau et a immédiatement présenté des
difficultés pour marcher, ainsi que des pertes d’équilibre.
Dès le lendemain, avant même l’apparition de problèmes
urinaires et l’aggravation des difficultés à marcher, nous
avons consulté un médecin dans un centre médical, à
Cuevas del Almanzora, près d’Alméria. Celui-ci, constatant
pourtant les difficultés à la marche, n’a réalisé que des
radiographies des genoux et a conseillé à mon épouse de
consulter son médecin traitant à son retour. Françoise, ne
voulant pas gâcher la fin de nos vacances, est restée encore
quelques jours en Espagne. Elle était alitée, avec de très
grandes difficultés pour marcher et des problèmes
sphinctériens.
De retour en France, elle a été hospitalisée à l’hôpital Jean
Hameau de la Teste de Buch, puis au C.H.U. de Bordeaux
dans le service d’un professeur de renom. Une I.R.M. a
objectivé une compression du canal rachidien suite à une
hémorragie au niveau des vertèbres cervicales C4 et C5.
Une intervention a été réalisée le 25 novembre 2008 avec la
mise en place d’une cage en titane et d’une greffe osseuse.
Malheureusement, ma femme garde aujourd’hui de graves
séquelles de cet accident. Elle se déplace en fauteuil
roulant, ne peut se tenir debout que quelques instants à
l’aide de deux cannes, elle a des troubles sphinctériens, ne
sent plus ses jambes… Mais en plus de cette atteinte
physique très grave, mon épouse et moi-même avons dû
surmonter d’immenses difficultés pour obtenir une prise en
charge par notre assurance.
En effet, nous avions contracté une assurance Garantie
accidents de la vie et mon épouse pensait à juste titre
obtenir une indemnisation pour ses différents préjudices.
Nous avons donc fait une déclaration d’accident auprès de
notre assurance. Conformément à notre contrat, la
compagnie a désigné un médecin expert de Bordeaux qui
examine mon épouse le 11 août 2009 à notre domicile.
Personne, et surtout pas l’assureur, ne nous a précisé que
Françoise avait la possibilité de se faire assister par son
médecin traitant, son chirurgien ou un médecin expert de
son choix.
Le médecin expert nous explique alors avec aplomb ce
qu’il souhaite entendre de notre part pour minimiser l’état
de santé de Françoise. Au cours de cette mémorable
expertise, je dois accompagner mon épouse aux toilettes,
car elle ne peut se déplacer seule. Je reviens ensuite dans la
pièce et trouve le médecin expert en train de fouiller dans
mes papiers. Interloqué, je l’interpelle et, sans se démonter,
il me répond que certaines choses sont susceptibles de
l’intéresser. Il demande ensuite à ma femme d’aller dans sa
chambre pour l’examen médical et tente une nouvelle fois
de lui faire minimiser son état. Devant une telle agression
verbale, nous fondons en larmes.
Dans les semaines suivantes, nous faisons part de cet
incident scandaleux à notre agent local d’assurance. Il
prend alors rendez-vous pour la semaine suivante avec un
responsable de Bordeaux, dont nous apprendrons par la
suite qu’il s’agissait d’un régleur de la compagnie.
L’entretien est à peu près du même calibre qu’avec le
médecin expert. Cette dame nous propose de faire un
« dire » (une réclamation) sans nous expliquer ni pourquoi
ni comment.
Quelques jours plus tard, contre toute attente, le médecin de
l’assurance conclut qu’« en l’absence de certificat médical
initial, il n’est pas possible d’imputer de façon directe et
certaine les séquelles importantes présentées par la victime
à l’accident allégué du 4 août 2008 ». Tout d’abord,
l’accident « allégué » du 4 août 2008 est attesté par de
nombreux témoins, français et espagnols, dignes de foi.
Ensuite, il existe bien un certificat médical initial, établi
par le médecin espagnol en date du 7 août 2008, et nous en
avons donné un exemplaire au médecin expert.
Malheureusement, ce médecin espagnol avait établi un
mauvais diagnostic. Les conclusions contestables de ce
médecin expert permettent donc à l’assurance de refuser
toute prise en charge. Pour elle, le dossier est
définitivement clos et le dialogue est totalement rompu. Se
sentant trahis par notre propre assurance, totalement
découragés et n’ayant pas les moyens financiers d’adapter
notre domicile au handicap de mon épouse, nous nous
trouvons désemparés et gravement atteints sur le plan
moral. Dire que si nous avions menti et indiqué que
Françoise était simplement tombée dans l’escalier à son
retour d’Espagne, l’assurance nous aurait indemnisés sur-
le-champ…

Gardez en tête que le but d’une compagnie d’assurances est en général


de payer le moins possible. Minimiser les dommages, invoquer des
certificats non conformes, faire traîner le dossier sur plusieurs années pour
décourager les victimes… Les pratiques les plus contestables sont
permises pour arriver à cette fin. Mais ne vous laissez pas impressionner,
vous êtes dans votre bon droit. Françoise a su trouver les ressources pour
voir son préjudice indemnisé.

Par chance, nous découvrons une association d’aide aux


victimes, l’A.A.V.A.C. Son président, le docteur
Dominique-Michel Courtois, nous rencontre et accepte de
nous aider. Le Dr Courtois nous propose de solliciter
l’intervention de Julien Courbet, qui anime l’émission Ça
peut vous arriver tous les matins sur R.T.L. Le Dr Courtois
et son fils, Me Philippe Courtois, interviennent en effet
régulièrement dans les émissions santé de cette station. Au
cours de l’émission, Julien Courbet contacte en direct un
des hauts responsables de notre assurance pour lui exposer
les faits et attirer son attention sur l’attitude inqualifiable
de sa compagnie. Cette personne, malgré ses hautes
fonctions, fait preuve d’une grande écoute et de beaucoup
d’humanité.
Le Dr Courtois obtient de sa part que soit organisée une
nouvelle expertise, dite d’arbitrage, à la charge de
l’assurance et confiée à un médecin expert auprès des
tribunaux, professeur de médecine légale au C.H.U. de
Bordeaux. Malgré une attitude mesquine et revancharde du
premier médecin (qui assistait à cette nouvelle réunion), le
nouveau médecin expert a reconnu l’existence du lien entre
l’accident du 4 août 2008 et les séquelles présentées par
mon épouse. Bien entendu, le Dr Courtois et Me Courtois
étaient présents à cette expertise, au cours de laquelle ma
femme et moi-même avons été traités avec considération et
respect, contrairement à la première fois.
Le premier médecin n’a pas hésité à contester ce nouvel
expert pour mettre en cause la véracité du certificat
médical initial établi en Espagne. Volontairement, il n’a pas
adressé de copie de sa contestation au Dr Courtois, ni
même à Me Courtois, en violation manifeste des règles du
contradictoire.
Quelques jours plus tard, nous voyons réapparaître le
régleur de l’assurance qui nous demande l’autorisation de
mandater un médecin expert espagnol de l’assurance afin
qu’il se rende au centre de soins où mon épouse a été
examinée en août 2008. Bien entendu, nous donnons notre
accord car nous n’avons rien à cacher. Les semaines passent
et nous n’avons aucune nouvelle. J’interroge notre
assurance et j’apprends que nous devons signer une
autorisation sur laquelle doit être inscrit le nom et le
numéro médical du médecin. Nous acceptons bien
évidemment. Des mois passent et toujours rien. Un de mes
fils, indigné, m’emmène en Espagne. Nous sommes reçus
par le directeur du centre médical de Cuevas del
Almanzora, qui nous indique qu’aucun médecin espagnol
mandaté par notre assurance ne s’est présenté pour accéder
au dossier de mon épouse. Il rédige le jour même un
document confirmant les termes du certificat médical
initial. Nous transmettons ce nouveau document à Me
Courtois qui, après une négociation avec le régleur de
l’assurance, obtiendra l’indemnisation de tous les
préjudices de Françoise, ainsi que la tierce personne et
l’aménagement du domicile et du véhicule. En réalité, nous
avons appris qu’il existait une grande rivalité entre les
représentants bordelais de cette compagnie d’assurances et
les instances parisiennes. Paris voulait indemniser et clore
rapidement ce dossier, explosif sur le plan médiatique,
mais Bordeaux faisait tout ce qui était en son pouvoir pour
ne pas indemniser et prouver son indépendance.
Conclusion

Notre médecine est malade. Tous ses acteurs ont failli. Les médecins,
les laboratoires pharmaceutiques, les organismes de contrôle, les
gouvernements successifs : tous ont contribué à son déclin. Nous, les
« consommateurs de médecine », sans être exempts de tout reproche,
sommes peut-être les seuls à pouvoir la sauver.
Le corps médical doit être respecté. Ces hommes et ces femmes de
savoir nous consacrent en effet une grande partie de leur temps, souvent au
détriment de leur vie de famille. Cependant, rien ne doit nous empêcher de
mettre en cause le responsable dès que survient une erreur médicale ou un
dysfonctionnement hospitalier, et d’obtenir la reconnaissance de la faute
et une juste indemnisation de nos préjudices.
Il est impératif que le patient du XXIe siècle devienne un lanceur
d’alerte. Dans les différents scandales évoqués, ce sont les médecins, les
chirurgiens, les directeurs de cliniques ou d’hôpitaux, les laboratoires
pharmaceutiques, les organismes de contrôle qui, par omission ou volonté
délibérée, ont fait peser un risque sur la santé des malades. Dans certains
cas, des centaines de patients sont morts. Dans d’autres, des milliers de
femmes ont dû subir des opérations chirurgicales en urgence. Mais à
chaque fois, un dénominateur commun existe : le profit. Devant cette
attitude scandaleuse, il nous revient de nous constituer en un contre-
pouvoir face au corps médical et aux laboratoires. Ainsi, nous deviendrons
des acteurs attentifs de notre santé, n’hésitant pas à questionner notre
médecin ou à faire une déclaration de pharmacovigilance.
Bien des périls nous guettent encore, même si les risques potentiels
sont difficiles à évaluer à l’heure actuelle. Il faut garder à l’esprit que
toute avancée technologique, si bénéfique pour l’homme soit-elle, peut
avoir des effets pervers. Nous devons rester vigilants, prôner la prudence
et exiger l’application du principe de précaution, c’est-à-dire l’adoption de
mesures de protection même si le risque n’est pas encore prouvé de
manière scientifique.
Aux erreurs médicales s’ajoutent ce que l’on appelle les « accidents de
la vie ». Personne n’est à l’abri de connaître un jour le drame du dommage
corporel. Ainsi, pour les victimes et leur famille, l’accident fait basculer
en une fraction de seconde toute une vie dans l’horreur et le désespoir.
Aucune indemnisation financière, aussi importante soit-elle, ne viendra
effacer un handicap ou remplacer la perte d’un être cher. Et s’il s’agit de
faire reconnaître la souffrance de la victime, c’est aussi une façon de
respecter sa mémoire en cas de décès.
Notre médecine souffre. Elle crée ses propres victimes. Et se défendre
n’est pas aisé. Aussi est-il nécessaire de comprendre comment résister
face à un corps médical qui refuse de reconnaître un acte fautif, et aux
compagnies d’assurances qui font passer leur intérêt financier avant celui
des victimes.
Annexe pratique
Que faire en cas de suspicion
d’erreur médicale ?

Réaliser un historique détaillé

Tout d’abord, réalisez un historique détaillé de votre maladie en


soulignant les différents points particuliers se rapportant au problème de
l’erreur médicale :
Quel a été le diagnostic posé ?
Quel a été le traitement instauré ?
Qui a commis une erreur et de quelle erreur s’agit-il ?
L’erreur a-t-elle entraîné des préjudices et, dans l’affirmative, quelle
est la nature de ces préjudices ?
Existe-t-il des preuves ou des témoignages se rapportant à cette
erreur ?
Cet historique détaillé est d’une grande importance pour la
compréhension de votre dossier et la recherche de l’existence d’une erreur
ou d’une faute. Vous devez noter, peut-être pas au jour le jour, mais
néanmoins avec des dates précises qui feront référence, les différentes
complications survenues après l’acte chirurgical ou le traitement mis en
cause. En effet, avec le temps, des détails importants pourraient vous
échapper. Il ne faut pas oublier que l’expertise médicale se déroulera
plusieurs années après les faits.
Demandez et conservez toutes les pièces justificatives de vos dépenses
suite à l’erreur médicale :
Frais pharmaceutiques ou appareillages non remboursés ou
partiellement remboursés ;
Frais de déplacements pour vous-même ou votre famille ;
Frais de séjour ;
Frais d’aide-ménagère ou d’aide à domicile ;
Perte de revenu, perte d’un emploi ou empêchement d’embauche.

Obtenir votre dossier médical

Avant de mettre en cause votre médecin, votre dentiste ou


l’établissement hospitalier qui vous a soigné, vous devez constituer un
dossier médical le plus complet possible. Mais sauf dans les cas d’une
extrême gravité, comme un décès par exemple, vous ne devez pas céder à
la précipitation. Sachez que, depuis la loi du 4 mars 2002, vous avez un
délai de dix ans pour demander la transmission de votre dossier médical
(concernant aussi bien les soins ou les actes réalisés à l’hôpital que ceux
effectués par un médecin ou un établissement privé) et donc pour engager
une procédure. Malgré tout ce qui pourra vous être répondu, vous devez
savoir que toutes les pièces de votre dossier vous appartiennent et que
vous en êtes le seul propriétaire. Cela s’applique aussi pour toutes les
radiographies, échographies, scanographies, scintigraphies, I.R.M… même
si l’on veut vous faire croire le contraire.
Demandez l’intégralité de votre dossier par lettre recommandée avec
accusé de réception. Si vous mettez en cause un médecin hospitalier, nous
vous conseillons d’écrire aussi au chef de service et au directeur de
l’hôpital. Vous pouvez ensuite obtenir votre dossier médical en vous
rendant sur place après avoir pris rendez-vous, ou en vous le faisant
expédier par la Poste. Il devra vous être communiqué dans un délai
maximum de huit jours s’il a moins de cinq ans, ou de deux mois s’il est
plus ancien. Si vous demandez l’envoi de votre dossier, vous ne devrez
payer que les frais de photocopie, de duplication des radiographies et les
frais de port.
Seule la personne adulte concernée peut réclamer elle-même son
dossier. Pour un mineur, c’est aux parents d’en faire la demande. Des
ayants droit peuvent retirer le dossier d’un défunt dans la mesure où les
informations médicales leur sont nécessaires pour connaître les causes de
sa mort, défendre sa mémoire ou faire valoir leurs droits.
Si l’établissement hospitalier que vous avez sollicité fait preuve d’une
mauvaise volonté certaine, vous pouvez vous adresser à la Commission
d’accès aux documents administratifs (C.A.D.A.).

Vos droits

La chirurgie

À la différence des soins dentaires ou des prothèses, un acte


chirurgical ne peut pas être refait ou simplement remboursé. Seules les
séquelles découlant de l’acte mis en cause peuvent être indemnisées. Vous
pouvez contester un acte chirurgical dans la mesure où les conséquences
de cet acte sont sans rapport avec les suites opératoires normales décrites
par votre chirurgien au cours de la consultation préopératoire.
Malheureusement, dans la majeure partie des cas, vous rencontrerez
des difficultés à obtenir la réparation des préjudices subis par une simple
démarche amiable auprès du médecin et de sa compagnie d’assurances. Il
faut souvent engager une procédure judiciaire pour obtenir une expertise
au cours de laquelle l’expert désigné par le tribunal déterminera
l’existence d’une erreur ou d’une faute, le lien direct et certain entre la
faute et votre état actuel, mais aussi l’ensemble de vos préjudices.
Les soins dentaires

La négligence du dentiste est soumise aux mêmes principes que celle


du médecin. En ce qui concerne les soins dentaires, il se forme entre le
dentiste et vous un véritable contrat dès le commencement des soins. Le
dentiste doit mettre en œuvre tous les moyens pour vous donner « des
soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la
science ». Comme tout médecin, il n’a pas une obligation de guérison,
mais doit utiliser toutes les techniques existantes dans l’art dentaire qu’il
doit d’ailleurs parfaitement maîtriser.
Avant toute chose, informez votre dentiste de votre problème et
demandez-lui de refaire gratuitement les soins incriminés, si vous lui
accordez toujours votre confiance. Dans le cas d’un refus de vous recevoir,
signifiez vos griefs dans une lettre recommandée avec accusé de réception.
Si votre dentiste ne donne pas suite à votre demande, vous pouvez
demander au Conseil départemental de l’Ordre des chirurgiens-dentistes
d’intervenir, soit en désignant un confrère en vue d’une conciliation, soit
en prenant des sanctions disciplinaires contre le dentiste mis en cause s’il
y a un manquement au code de déontologie. Si toutes les tentatives de
conciliation amiable ont échoué, vous pouvez engager des démarches
auprès des tribunaux.
Dans le cas des prothèses, votre dentiste a une obligation de résultat.
Le contrat n’est pas de même nature, le dentiste s’engage à « délivrer un
appareil sans défaut donnant toute satisfaction ». Vous pouvez donc mettre
en cause la responsabilité de votre dentiste sans avoir à faire la preuve
d’une faute dans la conception, la réalisation ou la mise en place de la
prothèse.
N’attendez jamais plus de quelques jours avant de demander soit à
modifier la prothèse, soit à la refaire. Et refusez immédiatement une
prothèse dont la teinte ne correspond pas à celle de vos propres dents.
Mais essayez toujours de trouver une solution amiable avec votre dentiste
avant d’engager une procédure.

Le rôle des associations de victimes

De nombreuses associations interviennent dans le domaine de la santé.


Il peut s’agir d’associations de patients (cancer, diabète, sida, maladies
rénales, leucodystrophies…) qui œuvrent pour améliorer les conditions de
vie des patients et aider la recherche scientifique par des manifestations
(Téléthon, Sidaction) et des dons. D’autres associations sont destinées à
regrouper des victimes spécifiques (Mediator®, prothèses P.I.P., pilules de
troisième et quatrième génération, hépatite C post-transfusionnelle…).
D’autres enfin ont une vocation plus généraliste, comme la défense des
victimes d’erreurs médicales, de maladies nosocomiales, de médicaments,
de vaccinations…
Les associations de victimes ont, pour la plupart, comme objectif de
regrouper les victimes afin d’engager différentes actions pour, à terme,
obtenir l’indemnisation de leurs préjudices. Ces associations sont des
associations dites « à but non lucratif », et relèvent de la loi du 1er avril
1901. Elles peuvent vous aider dans toutes vos démarches :
Constitution de votre dossier médical. L’association vous fournira les
listes des pièces médicales indispensables ou utiles. Elle vous
conseillera et vous aidera également pour l’obtention de ces
documents auprès des médecins ou des établissements souvent
réticents.
Étude approfondie de votre dossier. Des médecins de l’association
étudieront votre dossier médical pour déterminer l’existence d’une
faute, d’une erreur ou d’un aléa thérapeutique.
Assistance aux expertises médicales. Un médecin pourra vous assister
pour défendre au mieux vos intérêts face à la partie adverse (médecins
experts, représentants des différentes compagnies d’assurances,
avocats…). Ce médecin pourra adresser des « dires à l’expert » et à la
partie adverse s’il estime que toutes les bonnes questions n’ont pas été
posées ou si les réponses doivent être complétées.
Étude du rapport d’expertise. Un médecin déterminera votre
indemnisation en fonction des conclusions de l’expertise et des
différents préjudices pris en compte (D.F.P., D.F.T., souffrances
endurées, préjudices d’agrément, professionnel, familial, esthétique).
Choix de la meilleure démarche indemnitaire. L’association vous
conseillera sur la meilleure démarche à suivre (transaction amiable,
action judiciaire…) en vue d’être le mieux et le plus rapidement
indemnisé.
Les associations de victimes sont destinées en particulier aux
personnes qui n’ont pas les moyens financiers d’assumer les honoraires,
parfois conséquents, des médecins experts et des avocats. Pourtant, ces
victimes ont les mêmes droits que les autres. N’hésitez pas à solliciter
l’intervention d’une association de victimes quand vous suspectez une
erreur médicale.

La transaction amiable

Auprès du praticien mis en cause

Dans un premier temps, il est toujours possible de tenter une


transaction amiable auprès de votre médecin, de la clinique ou de
l’établissement hospitalier dans lequel vous avez été opéré. Une
discussion avec votre praticien, si ce dernier l’accepte, bien entendu, vous
donnera les précisions nécessaires pour la compréhension de ce que vous
estimez être une erreur médicale, lèvera les malentendus et apportera des
réponses satisfaisantes à vos questions. Cependant, ne rêvez pas, rares sont
les praticiens qui acceptent une telle démarche.

Auprès des compagnies d’assurances

Dans la grande majorité des cas, le médecin expert de la compagnie


d’assurances estimera qu’il n’existe aucun fait probant en faveur d’une
faute ou d’une erreur et votre médecin sera mis hors de cause par sa propre
assurance. Et même si la responsabilité professionnelle du médecin est
engagée, la compagnie qui vous assure organisera une expertise amiable
avec un de ses propres experts. Toutes les cartes sont donc entre les mains
de la partie adverse ! Par ailleurs, le montant de l’indemnisation obtenue
par une transaction amiable est souvent inférieur à ce que vous auriez
obtenu par la voie judiciaire, si vous êtes seul dans cette démarche.

Auprès des médiateurs


et des commissions de conciliation

Une transaction amiable peut aussi être tentée dans le cas d’une faute
survenue en milieu hospitalier, où il existe des médiateurs et des
commissions de conciliation dont le rôle est de vous expliquer les causes
et les raisons d’une faute éventuelle, en cherchant le plus souvent à
minimiser les séquelles ou tout simplement à nier toute notion d’erreur, de
faute ou de négligence de la part de l’établissement. Si vous choisissez
cette voie, il est conseillé de vous faire assister par un médecin dans toutes
les démarches.

Auprès du Conseil de l’Ordre du praticien

Si le litige avec votre médecin, votre chirurgien ou votre dentiste


persiste, vous pouvez être tenté de vous adresser au Conseil de l’Ordre des
médecins ou des chirurgiens-dentistes de votre département, qui désignera
un confrère en vue d’une conciliation. Le Conseil national de l’Ordre
pourra aussi prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre du médecin
mis en cause. Cette action n’entraînera qu’une sanction ordinale et non
financière. Mieux vaut être en possession d’un rapport d’expertise
médicale avant de saisir l’ordre. Votre position n’en sera que plus forte.
Mais si vous êtes convaincu d’être victime d’une erreur médicale, vous
pouvez aussi porter votre litige devant les tribunaux.

La voie judiciaire

La juridiction civile

Pour les soins dispensés en cabinet


ou établissement privé
Pour ces soins, vous devez mettre en cause la responsabilité de votre
praticien devant un tribunal civil (tribunal d’instance si le montant du
préjudice est inférieur à 10 000 euros, tribunal de grande instance si ce
montant dépasse 10 000 euros). Il est d’ailleurs difficile d’évaluer avec
précision le montant global des différents préjudices subis et, dans la
majorité des cas, vous avez intérêt à vous diriger directement vers le
tribunal de grande instance.
Attention, cette procédure ne peut se faire que par l’intermédiaire d’un
avocat et va donc entraîner des conséquences financières non négligeables
dès le départ. Toutefois, certaines de ces dépenses vous seront
remboursées en totalité (frais d’expertise) ou partiellement sous forme
d’indemnité (frais de procédure) si vous gagnez votre procès.
Bien évidemment, vous devez avoir en mains la totalité de votre
dossier médical et, si possible, une note de synthèse d’un médecin expert
qui a étudié votre dossier. Votre avocat « assigne » alors le praticien
incriminé ou l’établissement mis en cause devant le tribunal de grande
instance dont dépend le médecin ou la clinique, et demande la désignation
d’un médecin expert judiciaire. Cet expert devra se prononcer sur
l’existence ou non d’une faute imputable à vos adversaires. Quatre
procédures sont possibles :

• La procédure du référé
Il s’agit d’une action rapide (entre huit et quinze jours) permettant au
tribunal de décider la nomination d’un expert. En principe, si votre avocat
présente un bon dossier et si vos arguments en faveur d’une erreur de votre
médecin sont importants, vous obtiendrez la nomination de l’expert (et
cela d’autant plus que les honoraires de l’expert ainsi désigné seront à
votre charge).

• La procédure au fond
Si votre rapport d’expertise est favorable, votre avocat peut alors
engager une procédure « au fond » devant le tribunal de grande instance,
afin d’obtenir réparation de vos préjudices sur la base du rapport
d’expertise. Le délai entre cette démarche et le jugement peut varier de
quelques mois à plusieurs années en fonction de l’encombrement des
tribunaux. Bien entendu, la partie adverse (ou vous-même, si vous estimez
que les juges n’ont pas accédé de façon satisfaisante à vos demandes) a la
faculté de faire appel de cette décision.

• La cour d’appel
Le fait de porter l’affaire devant la cour d’appel entraîne la suspension
de l’exécution du jugement de première instance. Mais, dans bon nombre
de cas, les juges, s’ils reconnaissent la réalité de la faute de votre médecin
et estiment votre démarche légitime, peuvent vous accorder tout ou partie
de votre indemnisation avec la mention « exécution provisoire ». Dès lors,
la partie adverse devra vous verser le montant indiqué par le tribunal.
Mais la procédure repart néanmoins devant une nouvelle juridiction, la
cour d’appel. N’oubliez pas que celle-ci peut confirmer la décision de
première instance, l’aggraver en votre faveur, mais aussi l’annuler
totalement et émettre une nouvelle décision qui peut vous être totalement
défavorable. Il est donc conseillé, par prudence, de ne pas utiliser les
indemnités que vous aurez peut-être reçues.

• La Cour de cassation
Si le jugement du tribunal de grande instance vous a été défavorable et
que la cour d’appel a confirmé ou aggravé le premier jugement, vous avez
la possibilité de saisir la Cour de cassation, qui ne juge pas le fond de
l’affaire, mais contrôle le bon respect des règles de droit.
Pour accéder à la Cour de cassation, vous devez faire appel à un avocat
auprès de la Cour de cassation, seul habilité à intervenir devant cette
juridiction. C’est une démarche souvent coûteuse ; faites-vous conseiller
par votre avocat sur vos chances d’aboutir.
Soit la Cour de cassation rejette votre pourvoi et l’arrêt de la cour
d’appel deviendra définitif, soit elle « casse » tout ou partie de l’arrêt de la
cour d’appel et votre affaire sera à nouveau jugée, par une autre cour
d’appel que celle qui s’est déjà prononcée.

Pour les soins dispensés


dans un établissement public
En cas de litige avec un praticien exerçant dans un établissement
public, adressez votre demande à une juridiction administrative : le
tribunal administratif.

• Le recours préalable
Avant de s’adresser au tribunal administratif, vous devez, dans un délai
de 10 ans maximum après la date des faits incriminés ou de la
consolidation de vos séquelles, adresser un recours préalable auprès du
directeur de l’établissement mis en cause. Celui-ci pourra prendre acte de
votre recours, en reconnaître le bien-fondé, et déclencher une procédure
d’indemnisation amiable sur la base d’une expertise de la compagnie
d’assurances de son établissement.
Le directeur peut aussi ne pas donner de réponse à votre demande, ou
refuser une telle démarche et vous en tenir informé. C’est la situation dans
la majorité des cas. Vous disposez alors d’un délai de deux mois après
l’envoi de votre lettre recommandée avec accusé de réception pour vous
adresser au tribunal administratif ou pour saisir la Commission de
conciliation et d’indemnisation.

• Le tribunal administratif
Le tribunal administratif a pour vocation de régler les litiges survenant
entre les administrés et l’administration ou les services publics. Vous
devez adresser un mémoire écrit au président du tribunal administratif de
votre ville en indiquant clairement les griefs formulés contre
l’établissement hospitalier. Comme dans le cas d’une erreur médicale
commise dans un établissement privé, l’aide d’un avocat spécialisé dans le
dommage corporel est vivement conseillée.
Le tribunal administratif nomme un expert qui vous convoquera à une
réunion d’expertise avec toutes les parties mises en cause. Il fera parvenir
son rapport directement au tribunal administratif. Lorsque l’instruction de
votre dossier sera close, le tribunal fixera la date de l’audience publique.
Vous pourrez vous présenter seul à l’audience et défendre vous-même
votre dossier. Dans ce cas-là, vous n’avez pas de frais à engager (pas
d’honoraires d’avocat).
Sachez que le tribunal suivra dans la très grande majorité des cas les
conclusions du médecin expert qu’il a désigné. Le jugement vous sera
signifié par lettre recommandée quelques semaines plus tard. Comme dans
la juridiction civile, vous (ou la partie adverse) pouvez faire appel si le
jugement ne vous convient pas.

• La cour administrative d’appel


Les cours administratives d’appel sont compétentes pour statuer sur
les appels formés contre les jugements des tribunaux administratifs. La
présence d’un avocat est obligatoire. Vous disposez de deux mois après la
décision litigieuse pour former un appel. Le délai entre votre saisie de la
cour administrative d’appel et le jugement peut être de plusieurs mois,
voire plusieurs années. Si la décision rendue par la cour d’appel ne vous
convient pas, vous pouvez saisir le Conseil d’État.

• Le Conseil d’État
Le Conseil d’État est une juridiction administrative qui a des pouvoirs
plus étendus que la Cour de cassation (qui est une juridiction civile)
puisqu’il possède à la fois la qualité de Cour suprême de l’ordre
administratif par sa possibilité de cassation, mais aussi de juge de droit
commun en appel. Pour saisir le Conseil d’État, vous devez faire appel à
un avocat au Conseil d’État.

La juridiction pénale

Dans le cas d’une faute très grave, la voie pénale recueille aujourd’hui
la faveur des victimes ou des ayants droit. La juridiction pénale s’applique
à tous les modes d’exercice de la médecine, quelle que soit la spécialité,
dans le public ou dans le privé. Elle permet d’obtenir à la fois la sanction
pénale du praticien mais aussi la réparation des différents préjudices subis
si ce dernier exerce à titre libéral.
Mais sachez qu’il s’agit d’une solution qui ne permet d’obtenir un
jugement qu’après de longues années. Et dans un très grand nombre de
cas, votre plainte ne sera pas retenue par le procureur de la République,
sera classée sans suite ou fera l’objet d’un non-lieu après instruction de
l’affaire par un juge d’instruction.
Il convient donc de réserver la voie pénale pour les faits d’une extrême
gravité, et lorsque votre désir d’une sanction exemplaire est plus fort que
la demande d’une indemnisation financière.

• Le dépôt de plainte
Au premier abord, la voie pénale semble plus simple qu’une procédure
classique. En effet, vous pouvez déposer une plainte contre le médecin mis
en cause dans un des commissariats de votre ville, à la gendarmerie ou en
adressant une lettre recommandée avec accusé de réception au procureur
de la République de votre ville. Vous devez expliquer de façon claire et
précise le déroulement des faits incriminés et les préjudices subis, en
apportant des preuves (en particulier par des pièces médicales). Vous
pouvez réaliser cette démarche par vous-même, mais la rédaction du
document ne doit jamais être tendancieuse ni diffamatoire à l’égard du
médecin mis en cause et doit se résumer à l’énoncé des faits.

• L’enquête préliminaire
Votre dépôt de plainte va parvenir entre les mains du procureur de la
République qui va chercher à obtenir des renseignements complémentaires
sur les faits. Pour cela, il demande aux services de police ou de
gendarmerie de réaliser une enquête préliminaire. À la lecture du rapport
d’enquête préliminaire, deux possibilités s’offrent alors au procureur. S’il
estime qu’aucune infraction caractérisée ne peut être retenue à l’encontre
du médecin que vous avez mis en cause, il classera l’affaire sans suite et
vous informera de sa décision par une lettre. N’hésitez pas à le relancer
pour connaître sa décision. Vous ne pourrez contester un classement sans
suite qu’en déposant plainte auprès du doyen des juges d’instruction du
tribunal de grande instance de votre ville, et cette démarche n’est pas
gratuite… Si le procureur a trouvé dans le rapport des éléments probants
qui laissent supposer qu’une infraction pénale a bien été commise, il
déclenchera l’action publique, c’est-à-dire la tenue d’un procès pénal, ou
désignera un juge d’instruction chargé d’instruire votre affaire.

• Le juge d’instruction
Le juge d’instruction est un magistrat chargé par le procureur de la
République (ou par le doyen des juges d’instruction dans le cas d’un
classement sans suite) d’instruire votre affaire. Le juge d’instruction
demandera une ou plusieurs expertises médicales, convoquera les
différentes parties mais aussi tous les témoins qu’il jugera utile
d’entendre, et saisira tous les documents nécessaires au bon déroulement
de son enquête. Il peut aussi décider la mise en examen du médecin
incriminé. Dans la procédure pénale, le juge d’instruction est seul maître
du jeu ou presque… Vous avez en effet la possibilité de demander ou
d’orienter certaines démarches en sollicitant une entrevue pour lui faire
part de vos convictions.
Lorsque les investigations sont terminées, le juge d’instruction vous
convoque pour vous faire part de l’avancée de l’enquête et,
éventuellement, de la décision qu’il va prendre. S’il conclut qu’il n’existe
pas d’infraction caractérisée au code pénal à l’encontre du praticien que
vous avez mis en cause, il peut rendre une ordonnance de non-lieu. Si, au
contraire, il estime que l’enquête a permis de dégager un faisceau de
preuves mettant en évidence une ou plusieurs infractions, il va prononcer
une mise en examen à l’encontre du médecin incriminé. Il décidera alors,
par une ordonnance de renvoi, d’envoyer le praticien devant le tribunal
correctionnel pour y être jugé.
• Le tribunal correctionnel
Si vous voulez obtenir réparation des préjudices subis, vous devez
vous porter partie civile et il est conseillé de prendre un avocat. Si vous ne
vous êtes pas porté partie civile, le tribunal correctionnel pourra rendre
comme jugement une condamnation pénale à l’encontre de votre praticien,
une éventuelle peine de prison (ferme ou avec sursis) et une amende. Si
vous vous êtes constitué partie civile avec l’aide de votre avocat, outre la
condamnation pénale de votre praticien, les juges peuvent décider la
réparation des préjudices que vous avez subis et déterminer le montant de
vos dommages et intérêts. Le calcul se fera à l’aide du rapport d’expertise
demandé par le juge d’instruction.

• La cour d’appel
La partie adverse ou vous-même pouvez faire appel du jugement.
Cependant, en matière pénale, vous ne pouvez pas faire appel des peines
de prison ou des suspensions prononcées par les magistrats ; seule la
personne condamnée en a le droit, ainsi que le Procureur de la République.
En tant que partie civile, vous ne pouvez que contester les sommes qui
vous ont été allouées.

• La Cour de cassation
Si la décision d’appel ne vous convient pas sur l’indemnisation
obtenue uniquement, vous pouvez vous tourner vers la Cour de cassation.
Celle-ci peut confirmer la décision de la cour d’appel, et la procédure
arrive alors à son terme, ou casser l’arrêt en totalité ou en partie, et un
nouveau procès sera possible devant une nouvelle cour d’appel, autre que
celle qui a déjà jugé votre affaire.
Si vous estimez que votre procédure a duré trop longtemps, vous
pouvez déposer un recours auprès de la Cour européenne des droits de
l’homme. La Cour européenne a condamné la France a plusieurs reprises
pour des procédures anormalement longues. Vous recevrez alors des
dommages et intérêts.

Les juridictions ordinales

Si vous souhaitez surtout que votre praticien ne puisse plus jamais


commettre d’erreur, ou que vous considérez que la décision judiciaire ne
tient pas assez compte des préjudices que vous avez subis, vous pouvez
demander une sanction disciplinaire à l’encontre de votre praticien en
déposant une plainte auprès du Conseil départemental de l’Ordre dont il
dépend. En effet, l’action disciplinaire a pour but d’assurer le respect des
devoirs incombant à chacun de ses membres et, partant, de contribuer à la
sauvegarde de l’honneur et de l’indépendance de la profession dans
l’intérêt public. Les sanctions disciplinaires peuvent être un avertissement,
un blâme, l’interdiction temporaire d’exercer, ou la radiation pure et
simple du tableau de l’ordre.
Vous pouvez déposer une plainte contre votre praticien auprès du
Conseil départemental de son Ordre, dont vous trouverez les coordonnées
dans l’annuaire. Cette plainte prend la forme d’une lettre recommandée
avec accusé de réception contenant un historique détaillé des faits
incriminés, le double des pièces médicales correspondantes et, si possible,
la référence des articles du code de déontologie que vous estimez violés
par votre praticien.
Le président du Conseil départemental de l’Ordre dispose d’un délai
d’un mois à compter de l’enregistrement de la plainte pour organiser une
réunion de conciliation. En cas d’échec de cette réunion, il transmet la
plainte à la Chambre disciplinaire de première instance, avec l’avis motivé
du Conseil, dans un délai de trois mois à compter de l’enregistrement de la
plainte. Cette Chambre disciplinaire de première instance doit statuer dans
les six mois suivant le dépôt de plainte.
Vous recevrez alors une convocation à une séance de la Chambre
disciplinaire de première instance. Vous devez rester calme au cours de la
séance et bien expliquer les éléments que vous reprochez à votre praticien.
Vous pouvez aussi vous faire assister ou représenter. Ne profitez surtout
pas de cette entrevue pour régler des comptes avec votre praticien. Vous
serez averti de la décision de la Chambre par courrier quelques semaines
plus tard.
La Chambre disciplinaire nationale peut être saisie en appel des
décisions des Chambres disciplinaires de première instance. L’appel
contre les décisions des Chambres disciplinaires de première instance a un
effet suspensif. Les décisions rendues par la Chambre disciplinaire
nationale sont susceptibles de recours devant le Conseil d’État.

Gardez bien à l’esprit que, sauf dans les cas très graves, les jugements
des juridictions ordinales sont souvent décevants. Vous aurez l’impression
que le médecin a été plutôt soutenu par ses pairs que jugé par eux. Si vous
n’êtes pas satisfait de la décision ordinale, vous pouvez toujours, si cela
n’a pas été fait avant, engager une procédure, soit devant le tribunal de
grande instance, soit devant le tribunal administratif.

L’Office national d’indemnisation


des accidents médicaux et les Commissions
de conciliation et d’indemnisation

La loi relative aux droits des malades du 4 mars 2002, dite loi
Kouchner, vise à régler les difficultés rencontrées par les victimes
d’accidents corporels graves en leur permettant d’obtenir une
indemnisation facile et rapide. Cette loi s’applique aux victimes
d’accidents médicaux, mais aussi d’affections iatrogènes (affections liées
à des soins) et d’infections nosocomiales (infections contractées dans un
établissement de soins).
Pour faire appel à une Commission de conciliation et d’indemnisation
(C.C.I.), il est impératif que le dommage que vous avez subi ait eu lieu
après le 5 septembre 2001 et remplisse un des critères requis par la loi,
c’est-à-dire que vous présentiez des séquelles très graves. Sinon, votre
seul recours sera d’engager une procédure devant un tribunal.
En cas d’aléa thérapeutique, c’est-à-dire en l’absence de
responsabilité, l’indemnisation sera versée par un établissement public
appelé l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux
(O.N.I.A.M.).

L’Office national d’indemnisation


des accidents médicaux (O.N.I.A.M.)

L’O.N.I.A.M. a une double mission :


Organiser le règlement amiable des accidents médicaux en mettant en
place les Commissions de conciliation et d’indemnisation et assurer le
fonctionnement de ces structures ;
Indemniser les victimes d’aléas thérapeutiques dont l’indemnisation
est prévue par la loi.
L’O.N.I.A.M. n’intervient que pour le versement de votre
indemnisation, dans le cas d’un aléa thérapeutique, d’une infection
nosocomiale (si votre I.P.P. est supérieure à 24 %), ou pour une erreur
médicale fautive sans prise en charge par l’assureur. Par ailleurs,
l’O.N.I.A.M. indemnise pour le compte de l’État les victimes de
vaccinations obligatoires et d’hépatites C post-transfusionnelles.

Les Commissions de conciliation


et d’indemnisation (C.C.I.)
Si vous estimez être victime d’un dommage imputable à une action de
prévention, de diagnostic ou de soins, ou à des complications liées à une
vaccination obligatoire, vous devez saisir la C.C.I. dont vous dépendez. Si
elle estime que votre dommage présente le caractère de gravité défini par
la loi, la C.C.I. diligentera une expertise médicale (gratuite pour les
victimes) qui sera réalisée par un médecin expert inscrit sur la liste
nationale des experts en accidents médicaux.
En cas d’avis concluant à l’existence d’une responsabilité, l’assureur
de la personne désignée responsable doit présenter une offre
d’indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices dans un
délai de quatre mois. Si vous acceptez, l’assureur doit vous verser
l’indemnité dans un délai d’un mois. En cas d’avis concluant à l’existence
d’un aléa thérapeutique et lorsque le dommage présente un caractère
anormal au regard de l’acte médical et de la santé du patient, l’O.N.I.A.M.
vous fera directement une offre d’indemnisation en respectant les mêmes
délais.

Dans quels cas saisir une C.C.I. ?

Tout d’abord, il faut que l’accident médical, l’affection iatrogène ou


l’infection nosocomiale ait été causé(e) par un acte de prévention, de
diagnostic ou de soins réalisé à compter du 5 septembre 2001, et datant de
moins de dix ans après la date de votre consolidation. De plus, il est
nécessaire que le dommage subi ait une gravité correspondant à l’un de
ces cas :
Un D.F.P. supérieure à 24 % ;
Une durée d’incapacité temporaire totale d’au moins six mois
consécutifs ou six mois non consécutifs sur douze mois ;
L’inaptitude à exercer votre activité professionnelle ou la survenue de
troubles importants dans vos conditions d’existence.
Sans compétences particulières dans le domaine médical, il est
difficile d’évaluer l’importance réelle de vos préjudices et surtout de
déterminer si votre D.F.P. est supérieure à 24 %. Nous vous conseillons
donc de contacter un médecin expert ou une association de défense de
victimes afin de faire évaluer vos préjudices, constituer votre dossier
médical, et ainsi obtenir rapidement une évaluation de vos séquelles.
Dans la majorité des cas, il est conseillé aux victimes ou aux familles
de victimes de déposer un dossier auprès de la C.C.I. La victime obtient
alors gratuitement la réalisation d’une expertise médicale contradictoire
(c’est-à-dire entre elle-même et les différentes parties mises en cause), et
disposera par la suite d’un rapport d’expertise reconnaissant la faute ou
l’erreur médicale et évaluant les différents préjudices.

Dans quels cas être indemnisé par l’O.N.I.A.M. ?

Vous pouvez être indemnisé par l’O.N.I.A.M. dans les cas suivants :
Absence de faute, lorsque vos préjudices sont en rapport avec un acte
de prévention, de diagnostic ou de soins ayant entraîné des
conséquences anormales et très graves par rapport à l’acte pratiqué.
C’est ce que l’on appelle l’aléa thérapeutique.
Infection nosocomiale, c’est-à-dire une infection contractée au cours
d’un acte de soins ou d’hospitalisation ayant entraîné une I.P.P.
supérieure à 24 % ou un décès.
Dommage causé par un professionnel de santé ayant exercé en dehors
du champ de son activité professionnelle.
Complications liées à une vaccination obligatoire ou à une hépatite C
post-transfusionnelle.
Si vous êtes victime d’un accident médical fautif, l’assureur du
professionnel de santé mis en cause devra vous indemniser. En cas de
silence ou de refus de sa part, vous pourrez demander à l’O.N.I.A.M. de se
substituer à l’assureur.

Le montant de l’indemnisation

L’indemnisation doit assurer la réparation intégrale de tous les


préjudices subis (préjudice fonctionnel, souffrances physiques et morales
endurées, préjudice esthétique, préjudice d’agrément, pertes de salaires et
d’autres gains professionnels, frais médicaux non pris en charge par les
organismes sociaux…
L’ensemble de ces préjudices est évalué par le médecin expert choisi
par la C.C.I. L’expertise médicale est donc capitale dans la procédure
d’indemnisation. Aussi, n’assistez jamais seul à l’expertise, mais toujours
accompagné par un médecin et/ou un avocat. Et faites toujours contrôler la
proposition financière de l’O.N.I.A.M. ou de l’assureur par des personnes
habituées aux mécanismes d’indemnisation, comme par exemple les
avocats spécialisés dans la défense des victimes de dommages corporels.
Quoi qu’il en soit, si le rapport d’expertise de la C.C.I. vous est
favorable, nous vous conseillons d’arrêter vos démarches avec cette
commission et d’engager une procédure classique devant les tribunaux à
l’encontre du praticien ou de l’établissement dont la responsabilité a été
reconnue. Vous obtiendrez alors une indemnisation plus importante
qu’avec la C.C.I.

Avantages et limites

Nous disposons du recul nécessaire sur la pratique des C.C.I. et des


expertises réalisées dans ce cadre pour affirmer que la gratuité des
mesures d’expertise associée à la rapidité de l’obtention du rapport en fait
un avantage non négligeable pour les victimes. En effet, c’est à la victime
d’apporter la preuve de son dommage, de l’existence de la faute, mais
également du lien de causalité. Cette démonstration passe nécessairement
par une expertise médicale. Or, cette dernière représente un coût non
négligeable (entre 1 500 et 4 000 euros). La saisine des C.C.I. va permettre
d’obtenir la désignation d’un ou plusieurs experts, dont les honoraires
seront pris en charge par la solidarité nationale. De plus, les aléas
judiciaires entraînent souvent l’impatience des victimes, compte tenu des
délais parfois très longs pour obtenir une décision de justice. Dans le cadre
des C.C.I., la décision est connue et délivrée dans un temps correct suivant
le dépôt du rapport d’expertise.
Cependant, et c’est l’un des inconvénients majeurs, les avis des C.C.I.
ne sont pas opposables aux parties (médecin ou établissement) dont la
responsabilité est reconnue. En d’autres termes, malgré la reconnaissance
d’une faute par un expert et la confirmation de cette dernière par la C.C.I.,
la compagnie d’assurances du médecin ou de l’établissement incriminé
peut parfaitement refuser d’indemniser la victime. Dans une telle
situation, l’O.N.I.A.M. peut se substituer à l’assureur défaillant pour vous
indemniser (il ne s’agit toutefois pas d’une obligation et l’O.N.I.A.M. peut
ne pas proposer d’indemnisation). Certaines compagnies d’assurances,
coutumières du fait, n’hésitent donc pas à laisser les démarches se réaliser
tranquillement dans le cadre de la C.C.I. en participant aux opérations
d’expertise, mais refusent toute indemnisation une fois la décision rendue.
Quoi qu’il en soit, le recours à la C.C.I. vous permettra d’obtenir un
rapport d’expertise sans avoir à régler les honoraires des experts. Ce
rapport est réputé contradictoire, c’est-à-dire qu’il est opposable à toutes
les parties qui ont participé aux opérations d’expertise. Une fois ce rapport
en main, s’il vous est bien entendu favorable, vous pouvez engager une
procédure directement devant le tribunal pour obtenir l’indemnisation des
différents préjudices évalués au cours de l’expertise de la C.C.I.

La face cachée des expertises


L’expertise médicale représente le moment clé de votre démarche
d’indemnisation. Elle se tiendra au cabinet du médecin expert désigné par
la compagnie d’assurances ou du médecin expert judiciaire désigné par le
tribunal. Vous devez bien sûr y assister, mais seront aussi présents :
le médecin ou le représentant de l’établissement mis en cause ;
le ou les médecins experts des compagnies d’assurances adverses ;
le médecin-conseil que vous aurez choisi personnellement pour
défendre vos intérêts, ou à défaut le médecin de votre propre
compagnie d’assurances ;
les avocats des différentes parties, y compris le vôtre.
Il existe trois sortes d’expertises : l’expertise amiable contradictoire,
l’expertise d’arbitrage et l’expertise judiciaire.

L’expertise amiable contradictoire

Cette expertise est mise en place si vous avez décidé de gérer seul
votre contentieux avec la compagnie d’assurances du praticien ou de
l’établissement mis en cause. Vous serez aidé par un médecin indépendant
de votre choix ou par un médecin mis à votre disposition par votre
assurance si vous en faites la demande. Ce médecin vous assistera au cours
de chacune des réunions d’expertise diligentée par la compagnie
d’assurances adverse, pour veiller à son bon déroulement et défendre vos
droits pour une indemnisation juste de vos préjudices.
Dans le cadre de cette expertise amiable contradictoire, votre médecin-
conseil devra signer conjointement le rapport d’expertise avec le médecin
de la compagnie d’assurances adverse. Détail qui peut avoir son
importance dans la discussion, le médecin de la compagnie d’assurances
ne pourra obtenir le règlement de ses honoraires qu’après la signature du
rapport par votre médecin-conseil. Votre médecin-conseil a les mêmes
compétences et les mêmes prérogatives que le médecin de la compagnie
d’assurances.

L’expertise d’arbitrage

Si votre médecin-conseil estime ne pas avoir obtenu une évaluation


correcte de vos préjudices malgré une discussion animée et argumentée
avec le médecin de la compagnie d’assurances, vous pouvez contester le
rapport d’expertise et demander une procédure d’arbitrage.
Pour la réalisation de cette nouvelle expertise, la compagnie
d’assurances adverse vous proposera de choisir un nouvel expert, souvent
un médecin expert près la cour d’appel. Votre médecin-conseil pourra bien
entendu vous assister, mais cette fois-ci avec un rôle de conseil, sans être
habilité à contresigner le rapport d’expertise.
Notez que dans la grande majorité des cas, vous aurez déjà obtenu une
juste évaluation de vos préjudices au cours de l’expertise amiable
contradictoire. Les procédures d’arbitrage se rencontrent souvent à la suite
de litiges avec un nombre restreint de médecins de compagnies
d’assurances, avec lesquels il est difficile d’arriver à un accord amiable.

L’expertise judiciaire

Cette expertise est diligentée par le tribunal de grande instance, le


tribunal administratif ou le juge d’instruction dans le cadre d’une
procédure judiciaire. Au cours de cette réunion toujours impressionnante,
vous serez seul face à vos adversaires qui tenteront de démontrer l’absence
de faute. C’est la raison pour laquelle il convient d’être bien préparé et
impérativement assisté. La discussion deviendra vite difficile pour vous
car elle va se résumer à un débat technique comportant de nombreux
termes médicaux difficilement compréhensibles pour le profane.
En principe, le juge choisit un médecin expert spécialiste de la même
discipline que celle pratiquée par le médecin que vous avez mis en cause.
Cependant, il peut arriver que votre cas implique plusieurs spécialités
distinctes (par exemple gynécologie-obstétrique et pédiatrie pour un
problème d’accouchement). Dans ce cas, l’expert peut estimer que sa
compétence ne lui permet pas d’aborder tous les problèmes et va
demander à être assisté dans sa mission par un ou plusieurs « sapiteurs ».
Ces sapiteurs sont des médecins spécialistes exerçant des disciplines
différentes de celle de l’expert et qui vont donner leur avis sur les pans de
l’affaire qui les concernent. Leur intervention entraîne le versement d’un
complément d’honoraires.

Le déroulement d’une expertise

D’une manière générale, l’expertise se déroule en cinq temps, qui


feront chacun l’objet d’un chapitre du rapport qui sera par la suite rédigé
par l’expert.

• L’exposé des faits


Vous devez faire le récit de l’erreur médicale présumée telle que vous
l’avez vécue. Soyez précis, concis et ne faites pas de remarques
désobligeantes. Tenez-vous en uniquement aux faits tels qu’ils se sont
déroulés. À l’oral, vous risquez fort de perdre vos moyens et nous vous
conseillons de préparer par écrit un résumé des faits que vous lirez. Vous
éviterez ainsi d’oublier des détails qui vous paraissent anodins mais qui
peuvent être importants pour l’expert. L’expert devra rédiger dans son
rapport un exposé des faits le plus conforme possible à la réalité, en tenant
compte à la fois de votre récit et des documents médicaux fournis par les
parties.

• L’étude des pièces du dossier


Un expert consciencieux aura parfaitement étudié le dossier avant la
réunion d’expertise. Il va donc rappeler chronologiquement les faits en se
référant aux pièces médicales importantes. Il va confirmer, parfois
nuancer ou même contredire ce que vous venez de raconter.

• L’examen médical de la victime


Ce moment de l’expertise est capital, car il conditionne votre future
indemnisation. L’examen est réalisé uniquement par l’expert judiciaire et
doit se dérouler dans une pièce différente de la salle de réunion (si ce n’est
pas possible, tous les participants qui ne sont pas médecins doivent
impérativement quitter la salle). Votre médecin-conseil reste bien entendu
à vos côtés pour veiller au bon déroulement de l’examen. N’oubliez pas
que l’expert ne peut pas deviner les problèmes que vous rencontrez dans la
vie courante. Il est judicieux de lui transmettre une liste de toutes les
difficultés auxquelles vous êtes confronté au cours d’une journée normale,
du matin au soir (toilette, habillage, repas, courses…). Il en va de même
pour toutes les activités de loisirs qui vous sont devenues impossibles
depuis l’intervention chirurgicale ou le traitement incriminé. Dans cette
liste, vous mentionnerez aussi les différents préjudices moraux et
physiques que vous estimez subir, en expliquant ceux qui sont difficiles à
exprimer oralement (comme le préjudice sexuel, par exemple). Vous
devrez donner un exemplaire de ce document à chacune des parties.

• La discussion
C’est la discussion qui conditionne le jugement de votre affaire par le
magistrat. L’expert doit utiliser des termes compréhensibles par tout un
chacun, car son rapport est destiné à des non-médecins. Il doit répondre à
toutes les questions posées dans la mission d’expertise et déterminer s’il
s’agit d’une erreur ou d’une faute, d’une négligence ou même d’un aléa
thérapeutique en donnant des arguments précis. S’il considère qu’il n’y a
pas eu faute, il devra expliquer pourquoi, selon lui, les soins que vous avez
reçus étaient diligents, consciencieux et conformes aux données acquises
de la science.

• La conclusion
L’expert fait un résumé sommaire des chapitres précédents et donne sa
conclusion qui doit être claire, précise et motivée. Il doit établir si votre
état actuel, avec toutes les séquelles décrites au cours de l’expertise, est en
relation directe et certaine avec l’erreur ou la faute commise. Dans la
mission d’expertise, il est souvent précisé que l’expert doit adresser un
pré-rapport aux différentes parties, qui disposent alors de quatre semaines
pour transmettre leurs remarques. Ces remarques, que l’on appelle aussi
« dires à expert », sont d’une grande importance, car d’une part elles
seront annexées au rapport d’expertise, et d’autre part l’expert a obligation
d’y répondre. Profitez-en pour transmettre à l’expert de nouvelles
questions ou des remarques pertinentes, dont vous laisserez le soin de la
rédaction à votre médecin-conseil ou votre avocat.
À la fin de ses conclusions, l’expert judiciaire doit évaluer vos
différents préjudices, poste par poste, en leur attribuant un coefficient
parfaitement codifié (de 0 à 7 pour le préjudice de la douleur ou le
préjudice esthétique, de 0 à 100 % pour le déficit fonctionnel
permanent…). Votre avocat traduira ensuite ces coefficients en euros pour
estimer votre indemnisation. Gardez à l’esprit que l’expert n’est qu’un
« technicien médical » chargé d’éclairer le juge sur la réalité de la faute et
l’importance des séquelles. Le juge reste seul maître de la décision et peut
parfaitement rendre un jugement différent des conclusions de l’expert
judiciaire. Néanmoins, dans la grande majorité des cas, le juge va s’en
remettre aux conclusions de l’expert.

• Après l’expertise
Si votre avocat n’a pas participé à l’expertise, il est souhaitable que
vous lui fassiez un compte rendu circonstancié de la réunion (soit par
écrit, soit au cours d’un rendez-vous). Bien entendu, si vous étiez assisté
d’un médecin, celui-ci devra adresser à votre avocat un « rapport
d’assistance à expertise ».
Ne vous étonnez pas si vous avez constaté au cours de la réunion des
attitudes plus amicales que confraternelles entre l’expert et les conseils de
la partie adverse. Dans ces réunions d’expertise, le tutoiement est souvent
de mise, les experts et les médecins des compagnies d’assurances se
rencontrant très régulièrement. En revanche, si vous avez relevé des
anomalies manifestes dans le déroulement de la mission d’expertise, vous
devez bien entendu en avertir votre avocat.

Comment interpréter un rapport d’expertise

L’expert doit rendre son rapport dans le délai imparti par le juge.
Toutefois, dans certains cas, l’expert peut demander une prolongation de
quelques mois afin de mener des investigations complémentaires ou de
récupérer des pièces médicales importantes. Les juges accueillent toujours
de manière favorable la requête de l’expert si ses motifs sont légitimes.
Votre avocat et votre médecin-conseil recevront une copie du rapport.
La discussion de l’expert est particulièrement importante pour votre
avocat, qui va rechercher si l’expert reconnaît le lien de causalité entre
l’acte du médecin ou du dentiste présumé fautif et votre état actuel, mais
aussi si la notion de faute ou d’erreur apparaît clairement dans le
document.
La conclusion du rapport est très importante pour vous, l’expert y
répertoriant les différentes séquelles que vous présentez en attribuant à
chacune un coefficient.

• Si le rapport vous est favorable


Si l’expert, dans la discussion et la conclusion du rapport, reconnaît
bien d’une part la réalité de la faute du médecin ou de l’établissement que
vous avez mis en cause, et d’autre part le lien de causalité entre cette faute
et votre état actuel, le rapport d’expertise vous est favorable. Par
l’intermédiaire de votre avocat, vous pouvez donc approximativement
chiffrer le montant des indemnités auxquelles vous avez droit et demander
au tribunal l’indemnisation de vos différents préjudices.
N’oubliez pas que les magistrats ne peuvent pas juger ultra petita,
c’est-à-dire qu’ils n’ont pas la possibilité de vous accorder une somme
supérieure à celle que vous demandez, quand bien même elle serait
justifiée. Pour éviter cet inconvénient, votre avocat doit demander un
montant global d’indemnisation conforme aux conclusions du rapport,
mais aussi à vos exigences personnelles légitimes (ne pas oublier le
préjudice moral et le préjudice d’agrément, difficilement chiffrables à
partir du simple rapport d’expertise et laissés à l’appréciation des juges).

• Si le rapport vous est défavorable


Si, dans sa conclusion, l’expert ne reconnaît pas l’existence d’une
erreur ou d’une faute du médecin ou de l’établissement que vous avez mis
en cause, le rapport d’expertise vous est alors défavorable. L’expert peut
ainsi estimer que les complications que vous avez présentées au cours ou à
la suite de l’acte médical ou chirurgical incriminé ne sont pas en relation
directe avec une faute mais peuvent provenir d’une affection ancienne ou
concomitante à l’acte. Il peut aussi employer le terme d’« aléa
thérapeutique », qui désigne des complications dont la gravité et les
conséquences sont sans commune mesure avec l’acte pratiqué. Un aléa
thérapeutique, c’est « la faute à pas de chance »…
Si vous-même ou votre avocat pensez que le rapport d’expertise ne
reflète pas la vérité, ne tient pas compte d’arguments importants ou ne
répond pas (ou incomplètement) aux dires à expert de votre médecin, il est
conseillé de demander une contre-expertise. Cette demande de contre-
expertise doit être parfaitement motivée et argumentée. Il ne suffit pas de
critiquer le premier rapport d’expertise, mais il faut apporter des éléments
nouveaux (par exemple des documents médicaux dont vous ne disposiez
pas au cours de la première expertise).
Nous vous conseillons de faire réaliser une critique du rapport
d’expertise par un médecin expert, si possible agréé auprès des tribunaux
et des cours d’appel, qui donnera une nouvelle interprétation des faits. Ne
vous avouez surtout pas vaincu après un premier rapport d’expertise
défavorable. Au cours de la réunion de contre-expertise, vous connaîtrez
votre dossier, et surtout ses points faibles auxquels vous aurez pu remédier
entre-temps. Le stress de la première réunion aura disparu et vous pourrez
vous battre à armes égales contre la partie adverse. Dans des affaires qui
semblaient perdues, une contre-expertise (et même parfois deux) a permis
de mettre en évidence des fautes totalement occultées au cours de la
première réunion, et d’obtenir finalement gain de cause.

Textes de référence

Articles du code de déontologie

Un code de déontologie propre à chacune des professions de médecin


et de chirurgien-dentiste a été rédigé par le Conseil national de l’Ordre
intéressé et soumis au Conseil d’État. Le code de déontologie des
médecins comprend 112 articles, celui des chirurgiens-dentistes 81. C’est
en fonction de la violation d’un ou plusieurs articles du code de
déontologie que votre praticien sera jugé et condamné par la section
disciplinaire de son ordre.

Pour les dentistes


En cas de contestation d’honoraires :
Article 33 (R.4127-240 du code de la Santé publique)
Le chirurgien-dentiste doit toujours déterminer le montant de ses
honoraires avec tact et mesure. Les éléments d’appréciation sont,
indépendamment de l’importance et de la difficulté des soins, la situation
matérielle du patient, la notoriété du praticien et les circonstances
particulières. Le chirurgien-dentiste est libre de donner gratuitement ses
soins. Mais il lui est interdit d’abaisser ses honoraires dans un but de
détournement de la clientèle. Le chirurgien-dentiste n’est jamais en droit
de refuser à son patient des explications sur le montant de ses honoraires.
Il ne peut solliciter un acompte que lorsque l’importance des soins le
justifie et en se conformant aux usages de la profession. Il ne peut refuser
d’établir un reçu pour tout versement d’acompte. Aucun mode particulier
de règlement ne peut être imposé aux patients. Lorsque le chirurgien-
dentiste est conduit à proposer un traitement d’un coût élevé, il établit au
préalable un devis écrit qu’il remet à son patient.
En cas d’erreur ou de faute :
Article 3-1 (R.4127-204 du code de la Santé publique)
Le chirurgien-dentiste ne doit en aucun cas exercer sa profession dans
des conditions susceptibles de compromettre la qualité des soins et des
actes dispensés ainsi que la sécurité des patients. Il doit notamment
prendre, et faire prendre par ses adjoints ou assistants, toutes dispositions
propres à éviter la transmission de quelque pathologie que ce soit. Sauf
circonstances exceptionnelles, il ne doit pas effectuer des actes, donner
des soins ou formuler des prescriptions dans les domaines qui dépassent sa
compétence professionnelle ou les possibilités matérielles dont il dispose.

Article 27 (R.4127-233 du code de la Santé publique)


Le chirurgien-dentiste qui a accepté de donner des soins à un patient
s’oblige :
À lui assurer des soins éclairés et conformes aux données acquises de
la science, soit personnellement, soit, lorsque sa conscience le lui
commande, en faisant appel à un autre chirurgien-dentiste ou à un
médecin.
À agir toujours avec correction et aménité envers le patient et à se
montrer compatissant envers lui.
À se prêter à une tentative de conciliation qui lui serait demandée par
le président du Conseil départemental en cas de difficultés avec un
patient.
En cas de doute concernant le déroulement de la mission
d’expertise :
Article 50 (R.4127-257 du code de la Santé publique)
Le chirurgien-dentiste expert doit, avant d’entreprendre toute
opération d’expertise, informer de sa mission la personne qu’il doit
examiner.
Il doit s’abstenir, lors de l’examen, de tout commentaire.

Article 51 (R.4127-258 du code de la Santé publique)


Lorsqu’il est investi de sa mission, le chirurgien-dentiste expert doit se
récuser s’il estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à
l’art dentaire, sauf à provoquer la désignation d’un sapiteur. Dans la
rédaction de son rapport, le chirurgien-dentiste expert ne doit révéler que
les éléments de nature à fournir des réponses aux questions posées dans la
décision qui l’a nommé.
Hors ces limites, le chirurgien-dentiste expert doit taire ce qu’il a pu
apprendre à l’occasion de sa mission.

Pour les médecins


En cas de contestation d’honoraires :
Article 24 (R.4127-24 du code de la Santé publique)
Sont interdits aux médecins :
Tout acte de nature à procurer au patient un avantage matériel
injustifié ou illicite ;
Toute ristourne en argent ou en nature, toute commission à quelque
personne que ce soit ;
La sollicitation ou l’acceptation d’un avantage en nature ou en espèces,
sous quelque forme que ce soit, d’une façon directe ou indirecte, pour
une prescription ou un acte médical quelconque.
Article 29 (R.4127-29 du code de la Santé publique)
Toute fraude, abus de cotation, indication inexacte des honoraires
perçus et des actes effectués sont interdits.

Article 53 (R.4127-53 du code de la Santé publique)


Les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et
mesure, en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes
dispensés ou de circonstances particulières. Ils ne peuvent être réclamés
qu’à l’occasion d’actes réellement effectués. L’avis ou le conseil dispensé
à un patient par téléphone ou correspondance ne peut donner lieu à aucun
honoraire. Un médecin doit répondre à toute demande d’information
préalable et d’explications sur ses honoraires ou le coût d’un traitement. Il
ne peut refuser un acquit des sommes perçues. Aucun mode particulier de
règlement ne peut être imposé aux malades.
En cas d’erreur ou de faute :
Article 32 (R.4127-32 du code de la Santé publique)
Dès lors qu’il accepte de répondre à une demande, le médecin s’engage
à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et
fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a
lieu, à l’aide de tiers compétents.

Article 33 (R.4127-33 du code de la Santé publique)


Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand
soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure
du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu,
de concours appropriés.

Article 40 (R.4127-40 du code de la Santé publique)


Le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions
qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir
au patient un risque injustifié.

Article 71 (R.4127-71 du code de la Santé publique)


Le médecin doit disposer, au lieu de son exercice professionnel, d’une
installation convenable, de locaux adéquats pour permettre le respect du
secret professionnel et de moyens techniques suffisants en rapport avec la
nature des actes qu’il pratique ou de la population qu’il prend en charge.
Il doit notamment veiller à la stérilisation et à la décontamination des
dispositifs médicaux qu’il utilise et à l’élimination des déchets médicaux
selon les procédures réglementaires. Il ne doit pas exercer sa profession
dans des conditions qui puissent compromettre la qualité des soins et des
actes médicaux ou la sécurité des personnes examinées.
Il doit veiller à la compétence des personnes qui lui apportent leur
concours.
En cas de non-respect de votre consentement libre et éclairé :
Article 35 (R.4127-35 du code de la Santé publique)
Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il
conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les
investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il
tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à
leur compréhension.
Toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le
praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans
l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave, sauf dans les cas où
l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination.
Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les
proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a
préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle
doit être faite.

Article 36 (R.4127-36 du code de la Santé publique)


Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être
recherché dans tous les cas.
Lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les
investigations ou le traitement proposé, le médecin doit respecter ce refus
après avoir informé le malade de ses conséquences. Si le malade est hors
d’état d’exprimer sa volonté, le médecin ne peut intervenir sans que ses
proches aient été prévenus et informés, sauf urgence ou impossibilité.

Article 41 (R.4127-41 du code de la Santé publique)


Aucune intervention mutilante ne peut être pratiquée sans motif
médical très sérieux et, sauf urgence ou impossibilité, sans information de
l’intéressé et sans son consentement.
En cas de doute concernant le déroulement de la mission
d’expertise :
Article 105 (R.4127-105 du code de la Santé publique)
Nul ne peut être à la fois médecin expert et médecin traitant d’un
même malade.
Un médecin ne doit pas accepter une mission d’expertise dans laquelle
sont en jeu ses propres intérêts, ceux d’un de ses patients, d’un de ses
proches, d’un de ses amis ou d’un groupement qui fait habituellement
appel à ses services.

Article 106 (R.4127-106 du code de la Santé publique)


Lorsqu’il est investi d’une mission, le médecin expert doit se récuser
s’il estime que les questions qui lui sont posées sont étrangères à la
technique proprement médicale, à ses connaissances, à ses possibilités ou
qu’elles l’exposeraient à contrevenir aux dispositions du présent code.

Article 107 (R.4127-107 du code de la Santé publique)


Le médecin expert doit, avant d’entreprendre toute opération
d’expertise, informer la personne qu’il doit examiner de sa mission et du
cadre juridique dans lequel son avis est demandé.

Articles du code de Procédure pénale

Article 221-6 – Des atteintes involontaires à la vie


Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues
par l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou
manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la
loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire
puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
En cas de manquement délibéré d’obligation de sécurité ou de
prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont
portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 € d’amende.

Article 222-19 – Des atteintes involontaires à l’intégrité de la


personne
Le fait de causer à autrui, dans les conditions et selon les distinctions
prévues par l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention,
négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence
imposée par la loi ou le règlement, une incapacité totale de travail pendant
plus de trois mois est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 €
d’amende.
En cas de manquement délibéré d’une obligation de sécurité ou de
prudence imposée par la loi ou le règlement, les peines encourues sont
portées à trois ans d’emprisonnement et à 45 000 € d’amende.
Article 223-6 – De l’entrave aux mesures d’assistance et de l’omission
de porter secours
Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque
pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité
corporelle d’une personne et qui s’abstient volontairement de le faire est
puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de
porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou
pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en
provoquant un secours.

Adresses utiles et définitions

Les associations d’aide aux victimes

Association d’aide aux victimes d’accidents corporels (A.A.V.A.C.).


Association d’aide aux victimes d’erreurs médicales, d’accidents de la vie,
d’hépatite C post-transfusionnelle, de complications suite à une
vaccination ou à la prise d’un médicament…
Site Internet : www.aavac.asso.fr
E-mail : [email protected]
Association P.P.P. Association de défense de femmes porteuses de
prothèses P.I.P.
Site internet : www.associationppp.com
E-mail : [email protected]
SOS Amiante. Association d’aide aux victimes de l’amiante dans
toutes leurs démarches pour obtenir la meilleure indemnisation.
Site Internet : www.victimes-amiante.org
E-mail : [email protected]
Fédération nationale des victimes de la route (F.N.V.R.).
Association d’aide aux victimes des accidents de la route.
Site Internet : www.fnvictimesdelaroute.asso.fr
E-mail : [email protected]
Handicap-Indemnisation. Association d’aide aux victimes de la
circulation qui présentent de graves séquelles, dans leurs démarches
indemnitaires et pour toutes les aides techniques et prothétiques.
Site Internet : www.fnvr-handicap-indemnisation.org
E-mail : [email protected]
Décès-Indemnisation. Association d’aide aux familles de victimes
décédées au cours d’un accident de la circulation et d’aide auprès des
compagnies d’assurances en transaction amiable ou au cours de
procédures.
Site Internet : www.fnvr-deces-indemnisation.org
E-mail : [email protected]
Maison des victimes. Association d’aide aux victimes d’accidents
corporels (accidents de la route, accidents de la vie, erreurs médicales…).
Site Internet : www.maisondesvictimes.asso.fr
E-mail : [email protected]

Les organismes de contrôle

A.F.S.S.A.P.S. (Agence française de sécurité sanitaire des produits


de santé). Elle a été créée par la loi du 1er juillet 1998 relative au
renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité des
produits destinés à l’être humain. Avant d’être remplacée en 2012 par
l’A.N.S.M., elle garantissait la qualité, l’efficacité et la bonne utilisation
de tous les produits destinés à l’homme.
A.N.S.M. (Agence nationale de sécurité du médicament). Elle a
remplacé l’A.F.S.S.A.P.S. le 1er mai 2012, à la suite du scandale du
Mediator®. Son objectif est de garantir la sécurité des patients lors de
l’utilisation des médicaments et des produits de santé. Elle doit aussi
veiller à un meilleur encadrement des prescriptions et lutter contre les
conflits d’intérêts.
C.D.C. (Center of Disease Control and Prevention). Principale
agence gouvernementale américaine (Atlanta, États-Unis) pour la
protection de la santé et la sécurité publique. Ces centres interviennent
pour le contrôle et la prévention des maladies.
D.G.C.C.R.F. (Direction générale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes). Sa mission est de définir
et faire respecter les règles de concurrences favorables au développement
d’un marché ouvert et transparent, d’informer et de protéger les
consommateurs et de préserver leur sécurité physique et leur santé.
E.M.A. (Agence européenne des médicaments). Organe décentralisé
de l’Union européenne dont le siège est situé à Londres. Sa principale
mission est la protection et la promotion de la santé publique et animale,
et la supervision des médicaments à usage humain et vétérinaire. Elle est
chargée de l’évaluation scientifique des demandes d’autorisations
européennes de mise sur le marché des médicaments.
F.D.A. (Food and Drug Administration). Agence américaine des
médicaments et des produits alimentaires. Créée en 1906, la F.D.A. est
responsable de la pharmacovigilance, c’est-à-dire des études, du contrôle
et de la réglementation des médicaments avant leur commercialisation.
Cet organisme a le pouvoir d’autoriser la commercialisation de
médicaments étrangers sur le sol américain. Contrairement à l’A.N.S.M.,
la F.D.A. a un financement totalement indépendant des laboratoires, ce qui
lui donne une liberté totale.
H.A.S. (Haute autorité de santé). Autorité publique indépendante à
caractère scientifique, créée par la loi du 13 août 2004 relative à
l’assurance maladie. Elle agit pour améliorer la qualité du système de
santé afin d’assurer à tous un accès durable et équitable à des soins aussi
efficaces, sûrs et efficients que possible.
I.G.A.S. (Inspection générale des affaires sociales). Corps de
contrôle interministériel du secteur social qui contrôle, audite ou évalue
des structures et des politiques, conseille les pouvoirs publics et apporte
son concours à des projets. Elle intervient à la demande des ministres ou
sur la base de son programme d’activité. En novembre 2010, l’I.G.A.S. a
réalisé une mission d’enquête relative au Mediator®.

Lexique des termes médicaux

Accident médical : dommage survenu à l’occasion d’un acte médical


ou paramédical (intervention chirurgicale, soins, examens divers…) ou à
l’occasion de la prise d’un médicament ou de l’utilisation d’un autre
produit de santé.
Affection iatrogène : problème de santé ayant pour origine une
intervention médicale.
Aléa thérapeutique : acte de prévention, de diagnostic ou de soins
ayant entraîné des complications gravissimes sans aucun rapport avec
l’acte pratiqué.
Ayant droit : personne qui a acquis un droit de la victime. Il peut
s’agir d’un conjoint, des ascendants ou descendants, d’un concubin ou
d’une personne ayant conclu un P.A.C.S. avec la victime.
Certificat médical initial : certificat établi par le médecin qui
examine la victime d’un dommage corporel pour la première fois,
notamment aux urgences. Le certificat médical initial doit mentionner
toutes les lésions qu’il aura constatées sur l’ensemble du corps.
Consolidation : stabilisation de l’état de santé de la victime.
Consolidation ne veut pas dire guérison. On parle également de
« stabilisation des séquelles traumatiques ». C’est uniquement au moment
de la consolidation qu’il est possible d’évaluer les différents préjudices de
la victime.
Déficit fonctionnel permanent (D.F.P.) : incapacité constatée
médicalement établissant que le dommage subi a une incidence sur les
fonctions du corps humain de la victime, mais aussi sur sa qualité de vie et
ses conditions d’existence. Son taux varie de 1 à 100 %.
Déficit fonctionnel temporaire (D.F.T.) : période d’hospitalisation de
la victime, mais aussi « perte de qualité de vie et des joies usuelles de la
vie courante » qu’elle rencontre pendant la maladie traumatique
(séparation de la victime de son environnement familial et amical durant
les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des
agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime,
préjudice sexuel pendant la maladie traumatique, etc.).
Établissement de santé : structure publique (hôpital, dispensaire,
centre hospitalier régional, centre de rééducation) ou privée (clinique),
avec ou sans hébergement, qui a pour vocation de dispenser des soins de
courte (hospitalisation ambulatoire) ou de longue durée.
Incapacité temporaire totale (I.T.T.) : période d’indisponibilité
pendant laquelle, pour des raisons médicales en relation certaine, directe
et exclusive avec la faute de son médecin, une personne n’a pu exercer ses
activités habituelles.
Incidence professionnelle : préjudice subi par la victime en raison de
sa dévalorisation sur le marché du travail ou de l’augmentation de la
pénibilité de l’emploi qu’elle occupe, imputable au dommage.
Infection nosocomiale : une infection est dite nosocomiale (du grec
nosokoméone, qui signifie « hôpital ») si elle était absente au moment de
l’admission dans l’établissement de soins.
Pharmacovigilance : surveillance des médicaments et prévention du
risque d’effets indésirables résultant de leur utilisation. La
pharmacovigilance repose sur le signalement sans délai par les
professionnels de santé des effets indésirables susceptibles d’être dus à un
médicament.
Préjudice : conséquence d’un dommage sur le plan physique, moral,
professionnel. On distingue le préjudice fonctionnel (déficit fonctionnel
temporaire, D.F.T., ou permanent, D.F.P.), les souffrances physiques et
morales, le préjudice esthétique, le préjudice d’agrément, le préjudice
professionnel et le préjudice sexuel.
Préjudice d’agrément : impossibilité définitive d’exercer une activité
spécifique de loisir. Le préjudice d’agrément est lié à la preuve d’une
activité ludique ou sportive exercée avant l’accident.
Préjudice esthétique : ensemble des disgrâces dynamiques et
statiques imputables à la faute du médecin et persistant après la
consolidation. Le préjudice esthétique est calculé sur une échelle graduée
de 1 à 7.
Produit de santé : produit utilisé dans le cadre d’activités de
diagnostic, de prévention ou de soins (prothèses, produits sanguins,
organes ou tissus utilisés pour des greffes, médicaments…).
Souffrances endurées : désignées aussi sous le nom de quantum
doloris ou de pretium doloris, elles correspondent à toutes les souffrances
physiques et psychiques, ainsi qu’aux troubles associés, que doit endurer
la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident
à celui de sa consolidation (et cela indépendamment du D.F.P.). Les
souffrances endurées sont calculées sur une échelle graduée de 1 à 7.

Lexique des termes juridiques

Action publique : action portée devant une juridiction pénale pour


l’application des peines à l’auteur d’une infraction.
Assignation : acte de procédure adressé par le demandeur par
l’intermédiaire d’un huissier de justice à la personne qu’il juge
responsable d’une faute, pour l’inviter à comparaître devant une
juridiction de l’ordre judiciaire.
Audience : séance au cours de laquelle une juridiction prend
connaissance des prétentions des parties, instruit le procès, entend les
plaidoiries et rend son jugement. Dans la majorité des cas, l’audience est
publique. On parle de huis-clos quand le public n’est pas admis aux
débats.
Classement sans suite : décision prise par le ministère public écartant
l’opportunité de l’action publique (infraction insuffisamment caractérisée,
décès du responsable…).
Code civil : ensemble des lois regroupant les matières qui font partie
d’une même branche du droit.
Commission rogatoire : acte par lequel un magistrat chargé de
l’instruction d’une affaire délègue ses pouvoirs à un autre magistrat ou à
un officier de police judiciaire pour qu’il exécute un acte d’instruction à sa
place.
Conseil de l’Europe : organisation internationale créée en 1949 et
ouverte aux États démocratiques, exerçant son activité dans tous les
domaines (sauf le domaine militaire).
Conseil d’État : plus haute juridiction de l’ordre administratif
possédant des attributions à la fois juridictionnelles et administratives. En
matière juridictionnelle, il peut juger les décisions des tribunaux
administratifs. En matière administrative, il peut émettre des avis sur les
questions ou sur les projets de textes dont il est saisi par le gouvernement.
Cour de cassation : juridiction placée au sommet de la hiérarchie pour
les juridictions civiles et pénales de l’ordre judiciaire. La Cour de
cassation, saisie par un pourvoi, ne s’intéresse qu’aux questions de droit et
non aux questions de faits.
Délibéré : phase de procédure pendant laquelle les magistrats se
concertent avant de rendre leur décision.
Dommages et intérêts : somme d’argent destinée à compenser le
dommage subi par une personne.
Doyen : membre le plus ancien dans la fonction.
Droit commun : règles normalement applicables en droit civil.
Enquête préliminaire : enquête réalisée d’office ou à la demande du
procureur par la police ou la gendarmerie avant l’ouverture d’une
information judiciaire, et permettant au ministère public de décider de
l’opportunité d’engager des poursuites.
Exécution provisoire : bénéfice permettant au gagnant d’un procès de
faire exécuter le jugement dès sa signification, malgré l’effet suspensif
que peuvent entraîner les voies de recours choisies par l’adversaire.
Indemnisation : versement d’une somme d’argent destinée à réparer
un préjudice.
Instruction : phase de la procédure au cours de laquelle les parties
précisent et prouvent leurs prétentions et le tribunal réunit les éléments
qui lui permettront de trancher.
Juridiction : synonyme de tribunal.
Mémoire : document écrit contenant l’exposé des prétentions de la
personne qui veut demander réparation de ses préjudices.
Ministère public : ensemble des magistrats de carrière qui sont
chargés, devant certaines juridictions, de demander l’application de la loi
et de veiller aux intérêts généraux de la société.
Mise en examen : la mise en examen remplace l’ancienne
« inculpation ». Elle concerne toutes les personnes pour lesquelles il existe
des indices graves et des faits concordants pouvant constituer une
infraction. Une personne mise en examen ne peut plus être entendue en
qualité de témoin.
Mise sous scellés : le greffier du tribunal de grande instance appose
une bande de papier ou d’étoffe portant un cachet de cire marqué d’un
sceau afin d’empêcher l’ouverture de documents.
Non-lieu : décision par laquelle un juge d’instruction ne donne pas de
suite à l’action publique.
Ordonnance : décision rendue par le chef d’une juridiction. La même
qualification est donnée aux décisions rendues par les juges d’instruction.
Ordonnance de renvoi : décision par laquelle le juge d’instruction
estime ses investigations terminées et les charges pesant sur la personne
mise en examen suffisamment importantes pour renvoyer l’affaire devant
le tribunal correctionnel.
Partie civile : nom donné à la victime d’une infraction lorsqu’elle
exerce les droits qui lui sont reconnus devant les juridictions répressives.
Perte de chance : préjudice résultant de la disparition, par la faute
d’un tiers, de la probabilité d’un événement favorable et donnant lieu à
une réparation partielle tenant compte de la chance perdue.
Plainte : acte par lequel la partie qui estime être l’objet d’une
infraction porte celle-ci à la connaissance du procureur de la République,
soit directement (par courrier ou en se constituant partie civile), soit par
l’intermédiaire d’une autre autorité (police, gendarmerie).
Pourvoi en cassation : recours contre une décision, en dernier ressort,
porté devant la Cour de cassation et fondé sur la forme de la procédure et
non sur le fond. Dans le cas d’une juridiction administrative, le pourvoi se
fait devant le Conseil d’État.
Préjudice : dommage matériel (perte d’un bien, d’une situation
professionnelle…), moral ou physique (souffrance, atteinte au respect de
la vie privée, atteinte psychologique engendrée par une affection grave)
subi par une personne du fait de la faute d’un tiers.
Prescription : principe selon lequel l’écoulement d’un délai (10 ans
pour les crimes, 10 ans pour les erreurs médicales, 3 ans pour les délits, 1
an pour les contraventions) entraîne l’extinction de l’action publique et
rend donc toute poursuite impossible.
Procédure : ensemble des formalités qui doivent être suivies pour
soumettre une prétention à un juge.
Procédure au fond : ce qui fait la matière du procès par opposition à
la procédure. En matière d’erreur médicale, la procédure au fond va
intervenir après l’obtention du rapport d’expertise.
Procureur de la République : magistrat placé à la tête d’un tribunal
de grande instance. Il est parfois assisté par un procureur adjoint et
presque toujours par des substituts.
Référé : procédure contradictoire qui permet, dans certains cas, à une
partie d’obtenir d’un magistrat unique une décision rapide.
Requête : demande écrite, adressée directement à un magistrat.
Sursis à statuer : décision d’un juge entraînant une suspension
provisoire de la procédure.
Suspensif : qui reporte à une date ultérieure l’exécution d’un
jugement.
Tribunal administratif : juridiction administrative de droit commun
qui rend des jugements susceptibles d’appel devant la cour administrative
d’appel dont il relève. Il existe 36 tribunaux administratifs.
Tribunal correctionnel : formation du tribunal de grande instance
compétente en matière de délit pénal.
Tribunal de grande instance : tribunal siégeant au chef-lieu de
chaque département. Il s’agit d’une juridiction de droit commun de
première instance. Il existe 173 tribunaux de grande instance.
Bibliographie

Notre médecine est-elle toujours


la meilleure du monde ?

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Remerciements

Nous tenons à remercier très sincèrement les victimes et les familles


de victimes des différents scandales médicaux récents qui nous ont
apporté leur précieux témoignage au travers de ce livre.

Malgré leurs souffrances physiques et leur détresse morale, ces


personnes ont accepté de raconter ce qu’elles ont vécu afin que nous
puissions prendre conscience du fait qu’aucun d’entre nous n’est à l’abri
d’une défaillance, parfois mortelle, de la médecine.

Le combat de ces victimes, souvent regroupées en association, mérite


d’être relevé et soutenu.

Enfin, nous remercions vivement Lise Boëll et Estelle Cerutti des


éditions Albin Michel, qui ont porté et rendu possible ce projet, ainsi que
Damien Bergeret, Caroline Bee, Guillaume Clapeau, Nathalie Combaz,
Cécile Meissonnier et Nolwen Terrien pour leur précieuse collaboration.

À la mémoire de Laurent COURTOIS

Nous avons écrit ce livre en mémoire de notre fils et frère, décédé dans
un accident de la circulation.

Il n’avait que 23 ans, venait d’être reçu à son D.E.S.S. en droit de la


santé et se destinait à la profession d’avocat spécialisé dans la défense des
victimes d’accidents corporels, en particulier dans le domaine des erreurs
médicales.
Sa disparition brutale a modifié nos carrières professionnelles
respectives : l’un a cessé d’exercer l’activité de chirurgien maxillo-facial
pour se consacrer à la défense des victimes, l’autre a abandonné ses études
de médecine pour celles d’avocat en droit de la santé. Ce qui devait être un
choix professionnel est devenu une vocation en sa mémoire.
DES MÊMES AUTEURS

DR DOMINIQUE-MICHEL COURTOIS
Accidents de la route : l’envers du décor,
Jacques-Marie Laffont éditeur, 2004

Affaires médicales, la vérité,


avec Gilbert Collard,
Jacques-Marie Laffont éditeur, 2002

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