Comptabilité de Gestion
Comptabilité de Gestion
Comptabilité de Gestion
Yves DE RONGé
Comptabilité
de gestion
3e édition
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Yves DE RONGé
Comptabilité
de gestion
3e édition
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Imprimé en Belgique
Dépôt légal :
Bibliothèque nationale, Paris : juillet 2013 ISSN 1373-0150
Bibliothèque royale de Belgique, Bruxelles : 2013/0074/023 ISBN 978-2-8041-7509-2
À Karine
INTRODUCTION GÉNÉRALE
Un large débat sur la pertinence de la comptabilité de gestion a fait rage pendant une
bonne dizaine d’années à la fin du siècle dernier, suite notamment à l’ouvrage des profes-
seurs Johnson et Kaplan 1, paru en 1987, mettant en cause la pertinence des systèmes de
comptabilité de gestion, utilisés par les entreprises américaines, pour aider à la prise de déci-
sion et assurer le contrôle de l’organisation. La représentation comptable de l’entreprise
américaine était souvent, d’après ces auteurs, décalée par rapport à la réalité économique et
technologique de l’entreprise que la comptabilité de gestion est censée modéliser 2. Autre-
ment dit, la représentation de l’entreprise, donnée par le système d’information comptable,
ne modélise pas l’entreprise d’aujourd’hui mais correspond à ce qu’elle était dans un passé
plus ou moins lointain. L’entreprise a changé mais la représentation comptable n’a pas été
adaptée à la nouvelle réalité économique et technologique de l’entreprise. À cette époque,
certains auteurs ou gourous du management n’étaient pas loin de prôner la disparition de la
comptabilité de gestion et son remplacement par des indicateurs de gestion et des mesures
de performance non financiers.
Les scandales financiers du début de ce siècle qui ont ébranlé la communauté finan-
cière et comptable portaient essentiellement sur la comptabilité financière. Les réponses des
autorités de régulation des marchés ou des législateurs aux problèmes comptables et de con-
trôle interne mis en évidence dans ces scandales se sont focalisées sur le « reporting » finan-
cier et le système de contrôle interne, comme l’illustre la loi Sarbanes Oxley aux États-Unis.
L’introduction des normes IAS/IFRS et en particulier, le principe de valorisation des actifs à
la juste valeur, occupent aujourd’hui une place centrale dans les débats portant sur les matiè-
res comptables, suite notamment à la crise des « subprimes » et de leur impact sur les institu-
tions bancaires.
Même si les problématiques de comptabilité de gestion ont quitté le devant de la
scène, le débat sur la pertinence des modèles de comptabilité de gestion n’est pas purement
académique et reste d’actualité. Quelle que soit leur stratégie, la plupart des entreprises
d’aujourd’hui sont confrontées à une contrainte de maîtrise de leurs coûts qui se traduit par
une réduction continue de ceux-ci pour rester compétitifs sur des marchés de plus en plus
concurrentiels. Dans ce contexte, de nombreuses entreprises s’interrogent aujourd’hui
encore sur la pertinence de leurs systèmes comptables. Certaines organisations ont décidé
d’implanter de nouveaux systèmes de comptabilité de gestion 3 pour mieux répondre à leurs
1. Voir l’ouvrage H. Johnson and R. Kaplan, Relevance Lost : The Rise and Fall of Management Accoun-
ting, Boston, Harvard Business School Press, 1987.
2. voir par exemple, l’article de R. Kaplan, Accounting lag : the obsolescence of cost accounting systems,
California Management Review, 1986, vol. 27, n°2, p. 174-199.
8 / Comptabilité de gestion ———————————————————————————
3. Le plus souvent en parallèle avec ceux qui existaient auparavant et qui continuent d’être utilisés.
————————————————————————— Introduction générale / 9
mes comptables est essentiel pour adapter les systèmes d’information comptables aux nou-
veaux besoins d’information qui naissent suite aux modifications de la technologie et de
l’environnement concurrentiel.
***
Cette nouvelle édition du livre comporte quatre parties. Le système budgétaire et les
outils spécifiques de la comptabilité budgétaire constituent une partie à part distincte dans
cette édition.
La première partie est consacrée à la présentation des concepts et principes fonda-
mentaux de la comptabilité de gestion. L’objectif de cette partie est d’identifier un ensemble
de concepts de base et de principes de construction de systèmes de comptabilité de gestion,
qui sont communs aux différents types de systèmes comptables observés dans la pratique
des entreprises de secteurs d’activité variés et de différents pays avec leurs traditions comp-
tables spécifiques.
Le premier chapitre discute brièvement les principales visions du rôle de l’entre-
prise d’aujourd’hui. Il compare la vision anglo-saxonne traditionnelle de l’entreprise dont
l’objectif et la raison d’être sont la création de valeur pour l’actionnaire avec une vision
émergente où le rôle de l’entreprise est la création de valeur partagée. Cette dernière est
définie par Porter et Kramer (2011) comme une création conjointe de valeur économique et
de valeur pour la société, en répondant aux besoins de celle-ci. Ce chapitre présente ensuite
le rôle des différentes parties prenantes de l’organisation dans ces deux visions. Il se conclut
par une discussion de deux conceptions de l’organisation qui influencent la représentation
comptable qu’on peut en construire : l’organisation vue comme un ensemble de fonctions ou
comme un ensemble de processus.
Le deuxième chapitre traite des concepts de coût, d’objet de coût et d’inducteur de
coût. La distinction entre, d’une part, les charges directes et indirectes en fonction de la
« traçabilité » des coûts aux objets de coûts et, d’autre part, entre charges variables et fixes
en fonction de leur comportement, suite aux variations des inducteurs de coût, constitue
l’essentiel de ce chapitre.
Les principes de construction d’un système de comptabilité de gestion font l’objet
du troisième et dernier chapitre. Après une brève analyse coûts-avantages de l’information
comptable produite et de l’impact des facteurs contextuels comme la technologie, la straté-
gie ou la structure sur la conception des systèmes d’information comptable, les règles de
modélisation des coûts sont développées, évaluées, avec un regard critique, et illustrées par
un exemple.
La deuxième partie traite de ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui les systèmes
traditionnels de comptabilité de gestion. Son objectif est double. Il s’agit, d’une part, d’illus-
trer comment les concepts et principes fondamentaux développés dans la première partie ont
été traduits dans les systèmes de comptabilité de gestion des entreprises industrielles depuis
le début du vingtième siècle et, d’autre part, de présenter les différents outils élaborés par la
comptabilité de gestion pour aider à la décision de management et au contrôle de l’organisa-
tion.
10 / Comptabilité de gestion ———————————————————————————
distorsions importantes dans les coûts de revient qui en découlent sont ensuite exposés. Il se
conclut par la présentation de la problématique du subventionnement croisé entre objets de
coût que le système traditionnel risque de générer.
Le deuxième chapitre développe ensuite les principales caractéristiques du modèle
de représentation de l’entreprise, fondé sur les notions d’activité et de processus : le modèle
d’Activity Based Costing (ABC) ou la comptabilité par activités. Il se centre, en particulier,
sur la procédure de calcul du coût de revient des objets de coût qu’elle permet.
Les principes de gestion des activités et des processus de l’entreprise, sur la base de
l’information comptable ainsi produite, sont ensuite présentés et illustrés par une série
d’exemples dans le troisième chapitre. Il y est montré l’usage qui peut être fait de l’informa-
tion produite par la comptabilité par activités pour orienter la gestion opérationnelle et stra-
tégique des activités et processus.
Le quatrième et dernier chapitre est consacré à une évaluation critique des systèmes
de comptabilité et de gestion par activités en essayant de mieux comprendre les raisons de
son peu de succès dans les pratiques des entreprises contemporaines. Il présente les avanta-
ges et les limites d’une telle approche. Il se termine par le présentation d’une alternative sim-
plifiée du modèle de comptabilité par activités : le Time Driven ABC.
La quatrième et dernière partie de l’ouvrage est consacrée à la comptabilité budgé-
taire. L’information comptable n’est plus seulement une représentation de la consommation
passée de ressources de l’entreprise mais elle permet également de construire une image pré-
visionnelle de la consommation de ressources de l’entreprise, à travers un ensemble de bud-
gets, traductions comptables des politiques que l’entreprise a choisi de mener dans les
différents domaines de production, ventes et autres fonctions importantes de l’entreprise.
L’outil des coûts préétablis ou coûts standard fait l’objet du premier chapitre. Un
coût préétabli ou standard est un coût prévisionnel, établi a priori et qui possède souvent un
caractère normatif. Les coûts standard vont permettre de préparer et d’établir les budgets
opérationnels.
Le deuxième chapitre traite du système budgétaire et des budgets, en montrant la
cohérence et la pertinence d’un tel outil dans les systèmes traditionnels de comptabilité de
gestion. Les principes de l’élaboration du budget général de l’entreprise et de l’ensemble de
budgets opérationnels y sont introduits et illustrés à l’aide d’un exemple simplifié.
Le troisième chapitre est consacré au contrôle budgétaire et à la méthode de l’analyse
des écarts. Cette dernière permet de comparer les ressources réellement consommées avec les
prévisions tout en essayant d’expliquer les divergences les plus importantes entre prévisions
et réalisations. Cette analyse va permettre d’informer les responsables hiérarchiques des déra-
pages budgétaires, d’identifier les actions correctives à mettre en place et d’évaluer les perfor-
mances des différentes entités organisationnelles et de leurs responsables.
Le quatrième et dernier chapitre reprend, dans une première section, les principales
critiques que les praticiens adressent au système budgétaire et à son fonctionnement dans les
entreprises. Il présente ensuite un modèle alternatif de construction des budgets, issu du
modèle ABC/ABM, discuté dans la troisième partie de cet ouvrage : la budgétisation à base
d’activités (l’Activity Based Budgeting). Il se conclut par la présentation des alternatives au
12 / Comptabilité de gestion ———————————————————————————
À la suite de l’exposé du plan de cet ouvrage, il apparaît que ce dernier n’a pas été
conçu et n’est pas destiné, en priorité, aux techniciens de la comptabilité mais s’adresse
essentiellement aux étudiants en sciences de gestion et aux praticiens de la gestion des entre-
prises. En charge d’assurer l’enseignement de la comptabilité et du contrôle de gestion aux
étudiants de master en sciences de gestion de la Louvain School of Management de l’Uni-
versité catholique de Louvain, le défi a été de construire un cours qui permette aux étudiants
de mieux saisir la raison d’être, l’intérêt et les principes fondamentaux qui sous-tendent la
comptabilité de gestion, tout en leur fournissant une vue large des différentes formes que
prennent les systèmes de comptabilité de gestion dans les organisations qui les emploieront
au sortir de leurs études. Le projet de cet ouvrage est né de cet enseignement et est, sans con-
teste, marqué par le contexte de crise de la comptabilité de gestion, évoqué au début de cette
introduction.
L’objectif premier est de fournir au lecteur une compréhension du rôle que l’infor-
mation comptable peut jouer dans la prise de décision et le contrôle des organisations et des
conditions qui garantissent la pertinence, pour la gestion, de l’information comptable pro-
duite. Il s’agit dès lors de présenter, d’une part, les concepts et les principes fondamentaux
de la comptabilité de gestion et, d’autre part, leur mise en œuvre dans les différents types de
systèmes de comptabilité analytique développés dans les entreprises industrielles, commer-
ciales et de services. L’objectif complémentaire est de fournir une introduction aux princi-
paux outils de la comptabilité de gestion, en les illustrant d’exemples dont le niveau de
technicité a volontairement été limité. La lecture de cet ouvrage nécessite une connaissance
de la comptabilité financière, de ses principes fondamentaux et de ses mécanismes de comp-
tabilisation mais aucune connaissance préalable en comptabilité de gestion n’est requise. Le
lecteur, désireux d’aller plus loin dans l’étude de certaines thématiques trouvera dans la
bibliographie, en fin de cet ouvrage, des références utiles à l’approfondissement de ses
centres d’intérêt.
PREMIÈRE PARTIE
LES CONCEPTS
FONDAMENTAUX
SOMMAIRE
Introduction
Chapitre 1
Une vision de l’organisation
Chapitre 2
Les concepts de coût
Chapitre 3
Les principes de construction d’un système de comptabilité de gestion
14 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
INTRODUCTION
L’ambition de cette première partie est de proposer au lecteur une synthèse des con-
cepts et des principes qui sous-tendent la construction des systèmes de comptabilité de ges-
tion.
Ces derniers doivent produire une information comptable, fiable et pertinente sur
l’ensemble des transactions qui prennent place au sein d’une organisation et avec l’ensemble
des parties prenantes qui sont en relation d’affaires avec elle. Ils doivent offrir une modélisa-
tion adéquate de la consommation de ressources par l’entreprise. Les opérations d’une orga-
nisation traduisent la mise en œuvre de stratégies extrêmement différentes et s’inscrivent
dans des environnements compétitifs d’une grande variété. De plus, les entreprises peuvent
choisir d’exercer leurs opérations dans des structures organisationnelles qui peuvent revêtir
différentes formes et elles mettent en œuvre un large éventail de technologies.
Pour produire une information de qualité, le système de comptabilité de gestion doit
être représentatif de la réalité de l’entreprise et de son environnement. Il doit assurer une
représentation correcte, une modélisation adéquate du fonctionnement de l’entreprise dans
sa consommation de ressources, qu’elles soient matérielles, humaines ou financières. Il en
résulte que la diversité des situations en termes de stratégie, de structure organisationnelle,
de technologie et d’environnement compétitif conduit à l’existence d’une certaine variété
des systèmes de comptabilité de gestion dans la pratique des entreprises.
Une analyse fine des systèmes les plus performants permet cependant d’identifier
un certain nombre de principes généraux qui restent constants quelle que soit la situation
particulière de l’entreprise et qui, dès lors, peuvent guider la conception d’un système de
comptabilité de gestion.
La vision de l’organisation qui traverse cet ouvrage fait l’objet du premier chapitre.
Il présente les principaux acteurs qui constituent la communauté d’intérêts qu’est l’entre-
prise et qui en définissent les objectifs. Les visions alternatives bien que complémentaires de
l’organisation comme ensemble de fonctions et comme ensemble de processus sont ensuite
discutées avant de conclure par une brève description du concept de chaîne de valeur.
Le deuxième chapitre est tout entier consacré à la présentation des concepts de coût
les plus souvent utilisés en comptabilité de gestion. En particulier, il traite des deux grandes
distinctions entre d’une part les charges directes et indirectes et d’autre part les charges
variables et fixes. Il se conclut par la discussion d’autres notions de coût comme le coût mar-
ginal et le coût d’opportunité.
Le troisième chapitre traite des principes de construction d’un système de compta-
bilité de gestion. L’analyse coûts-avantages de l’information comptable produite et en parti-
culier l’arbitrage entre la précision de cette information et le coût de son obtention sont
examinés dans une première section. L’impact des facteurs contextuels comme la technolo-
gie, la stratégie et la structure est évalué dans une deuxième section. Le chapitre se termine
par une discussion approfondie des principes de la modélisation des coûts.
CHAPITRE 1
UNE VISION
DE L’ORGANISATION
SOMMAIRE
Introduction
Section 1 L’organisation et ses objectifs
Section 2 L’organisation, ensemble de fonctions et l’organisation, ensemble de processus
Conclusion
16 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
INTRODUCTION
Avant d’introduire les principaux concepts et principes nécessaires à la construction
d’un système de comptabilité de gestion, il nous semble important de présenter dans un
premier temps la vision de l’entreprise qui sous-tend l’ensemble de cet ouvrage.
Cette redéfinition du rôle de l’entreprise n’est pas sans influence sur les outils de
gestion qu’il faut développer pour soutenir une stratégie de développement durable et de res-
ponsabilité sociétale. Elle pose notamment la question du rôle de la comptabilité de gestion
et de sa capacité d’inclure dans la représentation de l’entreprise qu’elle propose l’ensemble
des interrelations de l’entreprise avec son environnement social, économique et environne-
mental. Le présent ouvrage n’a pas pour ambition de proposer de nouveaux outils pour
répondre à ces besoins nouveaux 2, mais de faire l’inventaire de ceux qui existent déjà et sont
utilisés pour la comptabilité et le contrôle des organisations contemporaines.
La première section de ce chapitre est consacrée aux principaux acteurs qui sont
classiquement considérés comme partie prenante ou sont en relation avec l’organisation et
vont contribuer à la définition de ses objectifs.
1. M. Porter and M. Kramer, « How to reinvent capitalism- and unleash a wave of innovation and growth »,
Harvard Business Review, Jan-Feb. 2011, p.61 Traduction de l’auteur.
2. Le développement de nouvelles mesures plus larges de la performance des entreprises fait l’objet de
recherches actuelles, mais n’a pas encore débouché sur des outils comptables facilement adaptables aux
caractéristiques spécifiques de chaque organisation.
—————————————————————— Une vision de l’organisation / 17
Section 1
L’ORGANISATION ET SES OBJECTIFS
vue, la maximisation de l’intérêt pour l’ensemble des groupes d’acteurs intéressés à l’entre-
prise. Cette affirmation n’est cependant pas démontrée 5.
La vision alternative considère qu’on ne peut limiter l’objectif de l’entreprise à la seule
maximisation du profit, mais que l’entreprise doit viser à la satisfaction des intérêts des diffé-
rents groupes, des différentes parties prenantes qui la constituent ou sont en liaison avec elles, y
compris bien entendu ses propriétaires. Cette vision plus large des objectifs de l’entreprise
même si elle n’est pas plus démontrée que la première est celle qui sera retenue dans ce livre.
Ces deux visions de l’objectif de l’entreprise ont également influencé le développe-
ment et l’orientation du contrôle de gestion. En effet, comme l’a montré R. Teller 6, le con-
trôle opérationnel qui s’appuie sur les systèmes d’information comptable peut se déployer
selon deux logiques :
• un contrôle opérationnel à logique financière est mis en place lorsque l’organisation
se définit un objectif financier global (un objectif de profit ou de taux de rentabilité
par rapport aux capitaux investis). Le contrôle opérationnel prend alors la forme
d’un contrôle ex post sur les résultats financiers obtenus. Un tel contrôle est souvent
soutenu par une comptabilité de gestion en coût complet, développée dans la
deuxième partie de cet ouvrage et un système budgétaire qui fera l’objet de la
quatrième partie ;
• un contrôle opérationnel à logique stratégico-fonctionnelle est fondé sur une
logique de transformation de stratégies en actions, conduites par des centres d’acti-
vités construits à partir d’une analyse des processus transversaux à l’organisation.
Le contrôle porte moins sur les résultats que sur les modalités de l’action. Il se
fonde sur des modèles de représentation de l’organisation à base d’activités qui
seront présentés dans la troisième partie de cet ouvrage.
Notre objectif n’est pas ici d’analyser, d’un point de vue critique, ces deux visions,
mais bien d’identifier une vision de l’organisation qui nous permette de nous aider à cons-
truire un système de comptabilité de gestion qui produise une information pertinente pour la
prise de décision.
La maximisation du profit et donc de la valeur pour l’actionnaire ne nous paraît pas
un objectif atteignable, car elle suppose que les dirigeants d’une entreprise disposent d’une
rationalité substantive qui leur permettrait d’identifier la meilleure décision dans le champ
de l’ensemble des décisions possibles. Comme l’a montré H. Simon 7, les dirigeants de
l’entreprise commerciale font le plus souvent preuve, dans leurs prises de décision, d’une
rationalité procédurale qui vise à la sélection d’une alternative satisfaisante par rapport à
l’objectif recherché, étant donné les limites de leurs capacités cognitives.
5. Un certain nombre de faits récents nous amène à nous interroger sur ce lien automatique entre maximisa-
tion de la valeur pour l’entreprise et maximisation pour les autres groupes d’acteurs de l’entreprise. Ainsi
l’annonce d’un plan de licenciement massif entraîne immédiatement une hausse significative du cours de
l’action, à court terme, mais pas nécessairement durable, et donc du bien-être de l’actionnaire, mais la contri-
bution au bien-être des personnes licenciées apparaît nettement moins clairement, à la suite de cette décision.
6. Voir R. Teller, Le Contrôle de gestion : pour un pilotage intégrant stratégie et finance, Paris, Editions
Management et Société, 1999.
7. Voir Simon H., Models of Bounded Rationality, Boston, MIT Press, 1982.
—————————————————————— Une vision de l’organisation / 19
Dans une vision alternative où les objectifs des autres parties prenantes sont pre-
miers, la réalisation d’un niveau de profit suffisant, voire très important, découle de l’atteinte
des objectifs primaires.
Parmi les autres groupes d’intérêt, parties prenantes de l’entreprise, les clients jouent
clairement un rôle prépondérant. Ils définissent la valeur de la production de l’entreprise, qu’il
s’agisse d’un produit ou d’un service. Le client a des attentes en termes de fonctionnalités que
doit lui offrir un produit ou un service, de prix maximum qu’il est prêt à payer pour les obtenir,
d’un niveau minimum de qualité à rencontrer et de délais de livraison maximum qu’il est prêt à
supporter. En fonction de ses exigences ainsi définies en termes de fonctionnalités, de coût, de
qualité et de délais, le client va ou non acquérir le produit ou le service fourni par le client. Il
constitue l’instance de valorisation de la production de l’entreprise et conditionne ainsi très nette-
ment la capacité de l’entreprise à réaliser du profit. L’orientation client est aujourd’hui certaine-
ment une clé de la réussite de l’entreprise commerciale et, sans doute plus globalement, de toute
organisation, même du secteur non marchand 10.
8. Les propriétaires, les actionnaires ont apporté à l’entreprise le facteur rare qui était le capital qui rendit pos-
sible la construction des usines, l’acquisition des machines nécessaires à la production ou la construction des
réseaux de distribution. Il apparaît aujourd’hui, dans certains secteurs de l’économie, que le facteur rare est la
connaissance détenue par les travailleurs et que la clé du succès de l’entreprise est la capacité à mobiliser la con-
naissance individuelle accumulée dans la tête des gens et la connaissance organisationnelle, résultat d’un
apprentissage collectif. Dans le cas de Microsoft, l’entreprise n’a pas eu besoin de capitaux extérieurs pour se
développer, mais la rémunération de ses employés par des actions de Microsoft dont la valeur augmentait avec
les succès des produits de l’entreprise a permis de mobiliser la connaissance des employés sans laquelle l’entre-
prise ne peut se développer. Voir T. Stewart, « Intellectual capital », Fortune, March 17, 1997.
9. Pour une discussion de la relation entre objectif primaire et objectifs secondaires, voir Atkinson A., Ban-
ker R., Kaplan R. et M. Young, Management Accounting, 2nd edition, Prentice Hall, 1997, pp. 503-505.
10. Dans les services publics, on observe la même évolution qui vise à redéfinir le rôle du service public en
fonction des besoins des usagers, qui sont d’ailleurs de plus en plus rebaptisés « clients ».
11. Dans l’analyse stratégique, facteur critique déterminant la réussite d’un objectif stratégique que s’est
donné l’entreprise.
20 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
extérieur à l’entreprise, joue un rôle essentiel dans la définition des objectifs de l’entre-
prise 12.
12. L’histoire industrielle montre qu’un certain nombre d’entreprises qui n’ont pas orienté leur action en
fonction des besoins de leurs clients, mais ont obéi à des logiques internes de production ou d’innovation
technologique sans référence au marché externe ont soit disparu ou n’ont dû leur salut qu’à une restructura-
tion radicale et à l’implantation d’une orientation marché.
13. L’entreprise multinationale va se trouver confrontée à différents environnements légaux, variant d’un
pays ou d’un groupe de pays à l’autre. La recherche du cadre légal le plus favorable peut affecter un certain
nombre de décisions relatives à la localisation géographique de ses activités de production et de distribution
ainsi qu’à la localisation de ses profits là où le niveau de taxation est le plus faible.
14. En particulier, le droit social va réglementer les relations de l’entreprise avec ses employés (contrat de
travail, salaire minimum, cotisations sociales, règles de licenciement, concertation sociale...). Le droit fiscal
va déterminer la part des revenus à verser à l’État. Le droit des sociétés et le droit commercial vont réglemen-
ter les relations de l’entreprise avec ses actionnaires, sec clients et fournisseurs. Le droit de l’environnement
va définir un ensemble de règles à respecter pour la protection de l’environnement.
15. Indépendamment d’ailleurs de la pertinence écologique de la décision. Il n’est pas impossible que la
meilleure décision du point de vue écologique soit de se débarrasser de la plate forme de forage comme Shell
envisageait de le faire.
16. Lors de l’assemblée générale des actionnaires de Shell en mai 1997, un groupe de pression Pirc a pro-
posé au vote de l’AG une résolution demandant la présentation annuelle d’un rapport d’audit externe sur la
performance environnementale et de respect des droits de l’homme du groupe, résolution qui a été rejetée.
Depuis lors, Shell a passé un accord avec une ONG pour établir périodiquement un rapport d’audit relatif à la
performance environnementale et sociale du groupe.
—————————————————————— Une vision de l’organisation / 21
17. On parle d’« empowerment » pour désigner la délégation de la prise de décision aux niveaux les plus bas
de la hiérarchie de l’organisation.
22 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
que, réduction du temps de travail, congés sabbatiques,…) et ont gardé des compétences
dont elles avaient besoin pour assurer leur développement et performance à long terme.
18. Les ressources humaines sont fournies par une entreprise extérieure dans le cas de contrats de sous-
traitance (ou d’outsourcing) où la gestion de certaines activités non stratégiques, comme la restauration col-
lective ou l’informatique administrative, n’est plus réalisée en interne, mais confiée à des entreprises externes
pour qui la fourniture de ces activités constitue la compétence centrale.
19. Certains accords entre fournisseurs et clients viennent brouiller les frontières de l’entreprise. Par exem-
ple, Wal Mart, l’entreprise de distribution la plus performante dans la grande distribution aux États-Unis, a
confié à Procter and Gamble la gestion des rayons de ses magasins qui présentent les produits P&G. Cette
dernière suit l’évolution des ventes et des stocks dans le magasin et procède elle-même aux commandes,
livraisons et achalandage.
20. Au lieu de minimiser le coût d’achat du bien et du service, il s’agit de minimiser le coût total pour l’orga-
nisation qui est la somme du coût d’achat et de tous les coûts entraînés par l’achat dans l’ensemble de l’orga-
nisation tels que les coûts de stockage, les délais de livraison, les coûts de non qualité, la gestion
administrative des commandes, l’inspection à l’entrée...
—————————————————————— Une vision de l’organisation / 23
1.6 Conclusion
En conclusion, l’entreprise commerciale définit une mission, une vision qui se
traduit par un ensemble d’objectifs pour les différentes parties prenantes. Parmi ces objec-
tifs, il en est un qui est souvent déterminant : la réalisation d’un niveau satisfaisant de profit,
qui assure une rémunération adéquate du capital investi par les actionnaires propriétaires. De
plus en plus d’entreprises choisissent de définir leurs objectifs en termes de création de
valeur partagée qui combine création de valeur pour la société et création de valeur économi-
que. L’atteinte des objectifs doit se faire dans le respect de contraintes légales et des attentes
définies par la communauté civile et politique au sein de laquelle l’entreprise est insérée et
est fortement déterminée par le degré de satisfaction des besoins de la clientèle à laquelle
s’adressent les produits et services qu’elle fournit 21. Elle dépend également de la satisfac-
tion des objectifs des employés qui les pousse à mettre leurs compétences et leurs efforts au
service de l’entreprise et de ses objectifs et des fournisseurs qui procurent à l’entreprise les
ressources dont elle a besoin pour sa production.
En vue d’atteindre le niveau de profit satisfaisant, l’entreprise choisit la stratégie
adéquate 22 pour satisfaire les attentes des clients tout en évaluant la pertinence de la straté-
gie par rapport aux capacités et attentes des employés, des fournisseurs et de la communauté
civile et politique 23.
L’étape suivante est alors de configurer l’organisation d’une façon qui lui permette
de mettre en oeuvre la stratégie suivie. Il existe essentiellement deux modes de configuration
des organisations par les fonctions et/ou par les processus, qui seront développés dans la
section suivante.
Section 2
L’ORGANISATION, ENSEMBLE DE FONCTIONS
ET L’ORGANISATION, ENSEMBLE DE PROCESSUS
Il existe différentes formes de structure organisationnelle telles que la structure
fonctionnelle, la structure multidivisionnelle et la structure matricielle 24. Notre propos n’est
21. Les profits ne seront générés que si les produits ou services de l’entreprise trouvent acquéreurs auprès
d’une clientèle suffisamment large pour que les revenus générés dépassent les coûts.
22. Selon Porter, il existe essentiellement deux stratégies génériques que l’entreprise peut suivre : une straté-
gie de leadership par les coûts et une stratégie de différenciation des produits. Elles seront développées dans
le chapitre 3, section 2 de cette partie.
23. Des outils d’analyse stratégique comme l’analyse SWOT, qui mettent en regard les opportunités et
menaces de l’environnement d’une part et les forces et faiblesses de l’organisation d’autre part, permettent
de guider la direction dans l’identification de la stratégie adéquate.
24. Certains parlent aussi aujourd’hui de l’organisation transversale. Voir à ce propos, Tarondeau J.C. et R.
Wright, « La transversalité dans les organisations ou le contrôle par les processus », Revue Française de ges-
tion, Juin-Juillet-Août 1995, pp. 112-121.
24 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
pas ici de procéder à une analyse détaillée de ces différentes structures 25 mais plutôt de nous
concentrer sur deux modes de conception de l’organisation, la vision par les fonctions et la
vision par les processus qui sont d’ailleurs combinés dans la structure matricielle.
25. Le lecteur intéressé par une analyse approfondie des différentes formes de structure organisationnelle se
référera utilement à l’ouvrage de Hage, Theories of organization : Form, Processes and Transformation,
John Wiley, New York, 1980.
26. Elle s’inscrit dans la vision taylorienne de l’entreprise qui sera développée dans le chapitre 1 de la
deuxième partie de cette ouvrage. Voir les travaux de A. Chandler, repris dans la bibliographie de cet
ouvrage, qui documentent son émergence
27. Dans une entreprise multidivisionnelle, une division représente un secteur d’activités, un métier particu-
lier.
—————————————————————— Une vision de l’organisation / 25
Direction générale
division verticale entre fonctions, comme indiqué dans la figure 1, l’organisation processus
présente une vision plus horizontale de l’organisation.
L’organisation est constituée d’un ensemble de processus qui sont eux-mêmes des
regroupements d’activités. Ces deux concepts méritent d’être soigneusement définis.
28. Dans ce paragraphe, seule une définition générale du concept d’activité est présentée. Une définition et
une analyse plus complète de l’activité sont proposées dans la troisième partie de cet ouvrage.
29. Cette distinction entre client interne et client externe est discutée plus loin au point B. de ce chapitre.
26 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
30. La gestion par les activités sera développée dans la troisième partie de cet ouvrage.
31. Voir Lorino P., « Le déploiement de la valeur par les processus », Revue française de gestion, Juin-
Juillet-Août 1996, p. 55.
32. Voir Hammer M. et J. Champy, Reengineering the corporation, Harper Business, 1993.
—————————————————————— Une vision de l’organisation / 27
A. LA TRANSVERSALITÉ DU PROCESSUS
Une caractéristique majeure du processus est la transversalité par rapport à l’organi-
sation fonctionnelle classique de l’entreprise en ce sens qu’il rassemble différentes activités
réalisées au sein d’unités organisationnelles qui dépendent de différentes fonctions de
l’entreprise, comme le montre la figure 2.
Les concepts d’activité et de processus introduisent une vision alternative de
l’entreprise. Cette conception transversale de l’entreprise contraste fortement avec la vision
fonctionnelle classique. Cette dernière se caractérisait par une division très nette entre
chaque fonction de l’entreprise sans prendre en compte leurs interactions. L’optimum global
de l’entreprise est atteint par la sommation des optimums locaux, générés au sein de chaque
fonction. Pour être efficace, un tel fonctionnement suppose qu’il n’y a pas de réelles interdé-
pendances entre les fonctions et qu’une décision prise dans une fonction n’a pas d’effet sur
les autres. Si cette hypothèse d’indépendance entre les divisions n’était pas rencontrée, du
point de vue de la prise de décision, une conception fonctionnelle de l’entreprise, faisant fi
des interdépendances, pouvait conduire, dans certains cas, à des effets pervers. C’était par
exemple le cas lorsque les décisions de gestion qui apparaissaient optimales du point de vue
d’une fonction particulière (R&D, production,...) où la décision était prise se révélaient
désastreuses pour l’entreprise dans son ensemble.
La fonction achats qui a déjà été évoquée plus haut, permet d’illustrer le problème.
Supposons que l’entité qui s’occupe des achats dépend de la fonction administrative et que
les objectifs qui lui sont assignés sont de minimiser les coûts d’achat. Le département
Achats, étant donné les objectifs qui lui sont assignés, va choisir systématiquement les four-
nisseurs qui lui assurent les prix les plus bas et aura tendance à commander en grandes
Direction générale
Processus 2
Processus 3
quantités pour bénéficier des rabais liés aux quantités commandées. Les conséquences pour
l’entreprise sont dans certains cas les suivantes :
• taux de rebuts importants dus essentiellement à la moindre qualité des matières
achetées, ce qui aura un impact négatif sur le coût de la fonction production ;
• nécessité de surfaces de stockage importantes, gestion complexe et coût important
du stockage, qui entraîne notamment une augmentation du besoin en fonds de roule-
ment.
La décision qui est optimale pour la fonction achats se révèle sous-optimale pour
l’entreprise dans son ensemble.
La vision par les processus propose au contraire une optimisation globale qui vise à
diminuer le coût total du processus en optimisant les interactions entre les activités constitu-
tives du processus. Elle va considérer l’ensemble du processus logistique tel qu’il a été défini
plus haut : sélection et qualification des fournisseurs, émission des bons de commande,
gestion administrative des commandes, paiement des commandes, contrôle des livraisons,
contrôle de qualité à l’entrée, stockage, transport des matières ou composants jusqu’aux ins-
tallations de fabrication,.... La politique d’approvisionnement consiste souvent alors à sélec-
tionner un petit nombre de fournisseurs présentant des caractéristiques communes (solidité
financière, certification ISO 9000 33, capacité de livrer en juste à temps,...) avec lesquels on
entre en relations de partenariat de long terme 34, ce qui va permettre une minimisation du
coût total de la fonction achats pour l’ensemble de l’entreprise : le recours à des fournisseurs
certifiés ISO 9000 permet par exemple de supprimer le contrôle de qualité à l’entrée et réduit
fortement le taux de rebuts dans la production, dû souvent à une qualité insuffisante des
matières premières ou des composants acquis auprès de fournisseurs extérieurs.
L’exemple de la conception d’un nouveau produit permet aussi d’illustrer la diffé-
rence entre l’approche fonctionnelle et l’approche par les processus.
Dans l’organisation fonctionnelle telle que décrite dans la figure 1, la conception
d’un nouveau produit procédait de façon séquentielle, par métiers. Les premières étapes
étaient du ressort de la fonction recherche et développement qui évaluait la faisabilité de
l’idée du nouveau produit, développait le concept et passait ensuite à une phase de concep-
tion du produit. Lorsque la phase de conception du produit était terminée, la fonction R&D
transmettait le projet à la production qui traitait les phases successives de définition des pro-
cessus industriels, de test de ces processus avant de passer à la fabrication en série. Lorsque
le produit entrait en phase de production, la fonction marketing était chargée d’assurer
l’écoulement du produit et de fixer le prix du produit sur la base notamment d’une étude de
33. La certification ISO est la reconnaissance par des experts extérieurs à l’entreprise que le processus de
production respecte les procédures prévues qui garantissent un niveau de qualité défini au départ.
34. L’industrie automobile constitue un remarquable exemple de ce phénomène : introduction systématique
de la gestion en juste à temps, politique systématique de réduction du nombre de fournisseurs, installation
des usines des fournisseurs de composants à côté de celles du constructeur automobile (exemple : nouvelle
implantation de Volkswagen au Brésil et de certains de ses fournisseurs), ce qui suppose une relation de par-
tenariat de longue durée (certains fournisseurs de Renault Vilvoorde qui venaient de construire de nouvelles
installations à côté du siège de Vilvorde ont expérimenté le risque d’un tel partenariat),...
—————————————————————— Une vision de l’organisation / 29
coût de revient du produit durant la phase de fabrication, transmise par la fonction financière
dont dépend la comptabilité de gestion.
L’avantage de cette approche appliquée par une grande majorité de l’industrie manu-
facturière américaine et européenne jusqu’il y a une trentaine d’années, provenait essentielle-
ment de la spécialisation fonctionnelle qui assurait qu’à chaque phase du développement du
nouveau produit les meilleures décisions étaient prises, du point de vue de chaque métier en
tirant tout le profit possible des compétences spécialisées réunies au sein de chaque fonction.
La figure 3 représente d’une part la courbe du coût réel total du produit sur l’ensem-
ble de son cycle de vie (courbe OAB) et la courbe des coûts irrémédiablement engagés 37 sur
la même période (courbe OXB). Il montre qu’à l’issue de la phase de lancement du produit,
plus de 80 % du coût total du produit sur l’ensemble du cycle de vie sont irrémédiablement
engagés, ce qui signifie que tout effort de réduction des coûts durant la phase de production
ne pourra jamais concerner que moins de 20 % du coût total du produit sur l’ensemble de la
période.
Les espaces de liberté laissés aux concepteurs sont les plus grands tout au début de
la phase de conception. Au fur et à mesure que des choix technologiques sont opérés, la
marge de liberté dans les phases ultérieures du processus se restreint. Les opportunités de
maîtrise et de réduction radicale des coûts de production sont d’autant plus importantes
qu’on se situe plus en amont dans le processus de conception du nouveau produit. Il est donc
important que ceux qui prennent les décisions en amont du processus tiennent compte de
l’impact de leurs choix sur les activités situées en aval du processus.
35. Voir l’ouvrage de Blanchard B., Design and manage to life cycle cost, M/A Press, 1978.
36. La notion de cycle de vie du produit, développée dans le domaine du marketing, représente l’espace de
temps qui va du lancement d’un nouveau produit sur le marché jusqu’à son abandon. Elle est généralement
divisée en quatre phases successives : la phase de lancement, la phase de croissance, la phase de maturité et
la phase de déclin. Sa durée totale est très variable d’un produit à un autre mais tend à se réduire.
37. Il s’agit de coûts pas encore nécessairement dépensés mais qui seront irrémédiablement déboursés et
qu’on ne pourra en aucune façon réduire, étant donné les choix techniques qui ont été posés jusque là.
30 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
80
Total
des
coûts
Les Japonais appliquent une approche par processus de ce type depuis de longues
années 38. La première étape du développement d’un nouveau produit est l’identification
d’un besoin dans le marché et la définition des fonctionnalités qu’il devrait offrir aux clients
potentiels pour rencontrer leurs besoins. La deuxième étape est la définition du prix de vente
du produit projeté pour le consommateur final, sur la base d’une étude approfondie du
marché. Le prix de vente ainsi fixé (qualifié de prix de vente cible) et les objectifs de profit
découlant de la stratégie à long terme de l’entreprise conduisent à déterminer le coût de
revient cible, comme étant la différence entre le prix de vente cible et l’objectif de marge de
profit 39. Dans une troisième phase, les ingénieurs de R&D et de la production sont chargés
de développer un produit avec un ensemble de fonctionnalités définies au départ tout en res-
pectant la contrainte du coût de revient cible, établi à priori. Une telle définition de leur tâche
oblige les concepteurs à évaluer en permanence leurs choix techniques à l’aune du coût
qu’ils représenteront en fabrication. L’avantage de cette approche est double : il permet la
mise sur le marché de produits à coût maîtrisé et il permet de considérablement améliorer la
vitesse d’introduction de nouveaux produits sur le marché.
38. Pour une description des pratiques de gestion japonaises et de leur impact sur les systèmes de comptabi-
lité de gestion, le lecteur se référera utilement aux travaux de R. Cooper et notamment à son ouvrage : R.
Cooper, When enterprises collide », Boston, Harvard University Press, 1995.
39. Ces techniques de détermination du coût de revient, connues sous l’appellation de « target costing »,
sont présentées dans la troisième partie de cet ouvrage (chapitre 3).
—————————————————————— Une vision de l’organisation / 31
40. Avant même que les constructeurs japonais n’y aient implanté des usines.
41. Le terme production désigne ici aussi bien la fourniture de biens, de services ou d’une combinaison des
deux.
42. Une distinction est introduite entre les activités créatrices de valeur pour le client final et celles non créa-
trices voire destructrices de valeur pour le client final. Ces distinctions seront approfondies dans la troisième
partie de cet ouvrage.
32 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
Le modèle de chaîne de valeur, tel que présenté dans la figure 4, a fait l’objet de cri-
tiques 44 car il ne distingue pas suffisamment entre le processus logistique qui permet de pro-
duire et de livrer au client un produit et le processus d’ingénierie de conception du produit
qui a été défini plus haut.
43. Ce concept de chaîne de valeur (« value chain ») a été introduit par Michaël Porter dans son ouvrage
Competitive Advantage, The Free Press, New York, 1985.
44. Voir par exemple Lorino, 1996, op. cit., p. 60-61.
—————————————————————— Une vision de l’organisation / 33
Il n’en reste pas moins que le concept de chaîne de valeur a le grand mérite d’attirer
l’attention sur les interrelations entre les différentes fonctions au sein de l’entreprise et
même plus globalement dans les relations de celle-ci avec les fournisseurs et les clients. Ce
dernier point est particulièrement important car il montre comment les processus de l’entre-
prise peuvent s’articuler avec les processus des fournisseurs et des clients. Certaines entre-
prises, comme cela a été évoqué plus haut 45, redéfinissent leurs relations avec leurs
fournisseurs et leurs clients afin d’optimiser les processus et les activités qui ont trait à leurs
échanges.
CONCLUSION
La vision fonctionnelle et la vision par les processus vont fortement orienter la con-
ception des systèmes de comptabilité de gestion. Dans la deuxième partie de ce livre, le
modèle classique de la comptabilité de gestion, particulièrement adapté à une vision fonc-
tionnelle de l’organisation et fortement inspiré par elle, sera présenté et analysé en détail. La
troisième partie montrera l’impact de la vision par les processus et les activités sur la con-
ception et la pertinence des systèmes de comptabilité de gestion.
À partir de cette vision générale de l’organisation, les concepts de coût les plus
importants et les principes directeurs de la construction des systèmes de comptabilité de
gestion feront l’objet des deux prochains chapitres.
LES CONCEPTS
DE COÛT
SOMMAIRE
Introduction
Section 1 Les concepts de coût, de valeur, d’objet de coût et d’inducteur de coût
Section 2 Le critère de traçabilité : les concepts de charge directe et indirecte
Section 3 Le comportement des coûts : les charges variables et les charges fixes
Section 4 L’articulation entre l’axe direct/indirect et l’axe fixe/variable
Section 5 Les autres concepts de coût
Conclusion
36 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
INTRODUCTION
Un gestionnaire, quelle que soit sa responsabilité dans l’entreprise, lorsqu’il doit
prendre une décision, se fonde sur un ensemble d’informations et, notamment, sur des
données en termes de coût, comme le montrent les exemples suivants :
1. Le responsable du marketing d’un nouveau produit qui présente des attributs spéci-
fiques qu’aucun autre concurrent n’offre aujourd’hui doit choisir son prix d’intro-
duction sur le marché et le coût de production et de commercialisation de ce produit
est certainement une des informations principales dont il tiendra compte dans sa
prise de décision 1.
2. Dans le cadre de sa stratégie de réduction des coûts, une entreprise manufacturière
envisage d’externaliser un certain nombre de services qui assurent des compétences
non stratégiques pour l’organisation comme, par exemple, le département d’infor-
matique administrative, le département maintenance ou le département transport.
Pour évaluer l’intérêt d’externaliser ces services, les dirigeants se doivent de
connaître leur coût total de fonctionnement afin de le comparer aux propositions de
prix pour les mêmes services provenant de firmes dont la compétence de base est
constituée précisément par la fourniture de ces activités de service. Il est nécessaire
d’identifier les coûts évitables en cas d’externalisation du département.
3. Le responsable du développement d’un nouveau produit est souvent confronté à un
choix entre plusieurs options techniques possibles qui permettent d’offrir la même
fonctionnalité au produit ; toutes choses étant égales par ailleurs 2, il choisira
l’option la plus favorable sur la base d’une analyse comparative de leurs coûts res-
pectifs sur la durée du cycle de vie du produit.
4. Une banque commerciale, soumise à une pression concurrentielle accrue, souhaite
procéder à une analyse de rentabilité de ses différents segments de clientèle. Pour ce
faire, elle a besoin d’une information précise sur les revenus et les coûts spécifique-
ment attribuables à chaque segment de clientèle.
Dans chacun de ces exemples, la connaissance du coût apparaît pertinente pour infor-
mer la prise de décision des gestionnaires à différents niveaux de responsabilité au sein de
l’organisation. Il est à noter cependant qu’il s’agit d’un coût différent dans chaque exemple :
coût d’un produit, coût d’un département, coût d’une opération technique et coût d’un client.
Ce chapitre est consacré à la définition d’un ensemble de concepts de base de la comp-
tabilité de gestion, tous relatifs à la notion de coût. Ils constituent les fondements sur la base des-
quels les principaux modèles de comptabilité de gestion et leurs variantes sont élaborés.
Dans une première section, les concepts de coût, d’objet de coût et d’inducteur de
coût feront l’objet d’une analyse détaillée.
1. La connaissance du coût de fabrication d’un produit est également utile dans les secteurs des bien où le
marché fixe les prix.
2. Si les différentes options techniques permettent toutes d’assurer la même qualité au produit et de respec-
ter les délais de fabrication, par exemple.
————————————————————————— Les concepts de coût / 37
La deuxième section sera consacrée au critère de traçabilité des charges qui intro-
duit une distinction entre des charges comptables directes et indirectes par rapport aux objets
de coût.
La troisième section traitera du comportement des charges et en particulier de leur
variabilité avec les inducteurs de coût.
Dans la quatrième section, les deux dimensions direct/ indirect et variable/fixe
seront considérées simultanément et la pertinence des différentes simplifications opérées
dans la pratique sera discutée.
La cinquième et dernière section proposera un ensemble de notions de coût qui sont
régulièrement utilisées en comptabilité de gestion, telles que le coût marginal, le coût d’oppor-
tunité, les coûts « éteints », les coûts cachés, les coûts contrôlables et les coûts joints.
Section 1
LES CONCEPTS DE COÛT, DE VALEUR, D’OBJET DE COÛT
ET D’INDUCTEUR DE COÛT
1.1 Le concept de coût
Chacun a une intuition de ce que signifie le mot coût tellement il est devenu central
dans le monde d’économie marchande qui est le nôtre. Et pourtant, tenter de définir ce con-
cept, tellement présent dans notre vie quotidienne, n’est pas chose aisée.
Traditionnellement, les économistes ont eu recours à la notion de coût d’opportunité
pour définir le coût dans un contexte de prise de décision. Dans cette perspective, un coût se
définit comme une ressource sacrifiée, ou à laquelle on renonce, pour atteindre un but spéci-
fique. Concrètement, il s’agit d’un montant monétaire qu’il faut payer pour acquérir un bien
ou un service.
Pour illustrer la vision classique du coût portée par les comptables, reprenons la
définition proposée par le Plan Comptable Général français de 1982 (PCG 1982) : le coût est
« une somme de charges relatives à un élément défini au sein du réseau comptable. Un coût
est défini par les trois caractéristiques suivantes :
• le champ d’application du calcul : un moyen d’exploitation, un produit, un stade
d’élaboration du produit... ;
• le contenu : les charges retenues, en totalité ou en partie, pour une période
déterminée ;
• le moment du calcul : antérieur (coût préétabli), a posteriori (coût constaté) à la
période considérée ».
• un même produit, par exemple, peut avoir différentes mesures de son coût, selon
qu’il s’agisse d’un coût préétabli ou d’un coût constaté ou selon la nature des
charges qui sont prises en compte dans son calcul 3 ;
• le champ d’application défini semble se limiter à la fonction production de l’entre-
prise. Comme on le verra dans la troisième partie de cet ouvrage, cette fonction voit
son importance se réduire dans beaucoup d’entreprises aujourd’hui au profit
d’autres fonctions comme le marketing ou la recherche et développement. Cela a
conduit au développement d’un concept qui permet de ne pas limiter le calcul du
coût au seul produit : l’objet de coût.
3. On verra dans la deuxième partie de cet ouvrage qu’il existe différentes méthodes de calcul du coût de
revient d’un produit qui chacune donne un coût différent du produit en fonction des charges qui sont ou non
prises en compte dans sa détermination.
4. Ces systèmes de calcul de coûts seront développés dans la deuxième partie de l’ouvrage.
————————————————————————— Les concepts de coût / 39
trale dans la littérature de comptabilité de gestion 5. Cette évolution s’explique par le souci
croissant de maîtrise des coûts et par l’échec des programmes de réduction des coûts basés sur
une diminution unilatérale des dépenses dans l’ensemble des départements sans procéder à
une analyse sérieuse des facteurs de causalité qui expliquent le comportement des coûts.
Un inducteur de coût se définit comme étant un facteur susceptible d’avoir un
impact sur le coût d’un objet de coût. Autrement dit, toute modification de l’inducteur de
coût entraîne un changement dans le coût total de l’objet de coût. Un inducteur de coût
renvoie à une notion de causalité : c’est le facteur qui explique le coût. Si on agit sur la
cause, le coût se modifie 6.
EXEMPLE
Dans une usine d’assemblage de voitures, le coût total des composants incorporés dans un
véhicule varie proportionnellement avec le nombre de voitures fabriquées. Le coût total des
pneus varie avec le nombre d’autos fabriquées. L’inducteur de coût, le facteur de causalité qui
explique la variation du coût total des pneus est le nombre de voitures fabriquées, le volume
de production.
Dans la filiale en charge de la commercialisation des voitures fabriquées dans l’usine, les
vendeurs sont rémunérés à la commission qui correspond à un pourcentage du chiffre
d’affaires mensuel qu’ils réalisent. En conséquence, leur rémunération est strictement
proportionnelle au chiffre d’affaires réalisé. L’inducteur de coût qui explique la variation du
coût total des vendeurs est le chiffre d’affaires.
Dans un processus de fabrication industrielle et dans de nombreux secteurs de servi-
ces, d’autres inducteurs de coût que le volume de production peuvent expliquer la variation
du coût total de fabrication.
EXEMPLE
Si, dans une usine, les machines qui appartiennent au même processus de production sont
placées à grande distance les unes des autres, le besoin est créé d’une activité de transport
interne pour acheminer les en-cours de production d’une machine à l’autre (figure 1). Une
telle implantation des machines au sein de l’usine implique aussi très souvent la création
d’aires de stockage intermédiaire devant chaque machine et le recours à une activité de
gestion des stocks intermédiaires. Il est probable que les frais de ces deux activités de trans-
port et de stockage intermédiaire vont varier avec le volume de production. Plus on produit,
plus il y aura des frais de transport interne. Le volume de production, c’est-à-dire le nombre
d’unités produites, n’est cependant pas le seul facteur de causalité des coûts encourus pour le
transport et le stockage intermédiaire même s’il peut exister une corrélation statistiquement
significative entre la variation du volume de production et la variation du coût total de ces
deux activités 7. Il est à noter que ces deux activités qui consomment des ressources et repré-
5. Elle apparaît d’abord dans la littérature américaine décrivant les premières applications de la méthode
ABC de comptabilité par activités qui sera développée dans la troisième partie de cet ouvrage.
6. Il ne faut pas confondre le concept d’inducteur de coût avec celui d’unité d’œuvre qui sera présenté dans
le chapitre 3. L’unité d’œuvre varie avec un ensemble de coûts mais cette corrélation statistique ne renvoie
pas nécessairement à une causalité.
7. Le volume de production pourrait alors être retenu comme unité d’œuvre de ces activités. Voir
chapitre 3, Section 3 pour une discussion de ce concept.
————————————————————————— Les concepts de coût / 41
sentent un coût pour l’entreprise productrice, ne créent pas de valeur pour le client final, qui
n’est donc pas prêt à les payer : il s’agit d’activités non créatrices de valeur 8. Une réelle
maîtrise de ces coûts dépend de l’identification de leur principal facteur de causalité. Pour
réduire de façon décisive le coût ultime du transport interne, il faut agir sur la cause. Dans ce
cas, l’inducteur est l’agencement des machines appartenant au même processus de produc-
tion dans l’usine. En modifiant l’implantation des machines et en les rapprochant géographi-
quement, il est possible d’agir efficacement sur la cause des coûts de transport interne jusqu’à
éventuellement faire disparaître le besoin d’accomplir cette activité.
Stock
Largeur de l’usine : 1 km
Machine 1 Machine 2
Transport
Stock
Stock
Machine 3 Machine 4
Longueur de l’usine : 1 km
8. Cette notion d’activité non créatrice de valeur ou sans valeur ajoutée sera définie et discutée de façon
approfondie dans la troisième partie de cet ouvrage.
42 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
Production
Nombre d’unités produites
Nombre de réglages des machines
Coûts directs de travail de production
Marketing
Nombre de campagnes publicitaires
Nombre de personnes employées à la vente
Chiffre d’affaires en francs
Logistique outputs
Nombre de produits distribués
Nombre de clients
Poids des produits distribués
Service clientèle
Nombre de coûts de téléphone au service
Nombre de produits suivis
Heures consacrées au service après-vente
Stratégie et administration
Nombre de membres de la direction générale
Heures de conseil juridique sous-traitées
Le tableau 2 illustre la diversité des inducteurs de coût qui causent les coûts dans les
différentes composantes de la chaîne de valeur d’une organisation. Les personnes en charge
des différentes activités constitutives de la chaîne de valeur de l’entreprise sont sans doute
les mieux à mêmes d’identifier les inducteurs de coût les plus importants. La qualité de la
collaboration et du dialogue avec eux vont déterminer la qualité et la pertinence du système
d’information comptable mis en place.
Section 2
LE CRITÈRE DE TRAÇABILITÉ : LES CONCEPTS DE CHARGE
DIRECTE ET INDIRECTE
Le coût a été défini comme un ensemble de charges relatives à un objet de coût.
Cette section traite de la traçabilité des charges encourues au sein d’une organisation, c’est-
à-dire de la possibilité de les rattacher à un objet dont on veut mesurer le coût. Selon le
critère de traçabilité, on distingue les charges dites directes et les charges dites indirectes.
————————————————————————— Les concepts de coût / 43
Lorsqu’on veut attribuer l’ensemble des charges au coût des objets de coût, comme
les produits, il faudra utiliser une méthode d’allocation pour répartir les charges indirectes
entre les produits. Les charges indirectes sont le plus souvent allouées aux produits en utili-
sant des clés de répartition, souvent appelées unités d’œuvre 9.
9. Les principes généraux des méthodes d’allocation des charges indirectes aux produits, en utilisant le
concept d’unité d’œuvre, sont présentés dans le chapitre suivant.
44 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
Il est important de noter que le caractère direct ou indirect d’une charge comptable
dépend de l’objet de coût considéré. Autrement dit, une charge peut être directe par rapport à
un certain objet de coût et indirecte par rapport à un autre. Dans l’encadré précédent, le coût
de la consommation d’énergie est une charge directe si l’objet de coût est l’usine mais il
constitue une charge indirecte si l’objet de coût est le produit.
Pour un objet de coût particulier, comme le produit, la distinction entre les charges
qui lui sont directes et indirectes n’est pas un donné de la nature ni nécessairement une con-
trainte qui s’impose pour des raisons technologiques ou organisationnelles. Dans un grand
nombre de cas, la distinction direct/indirect résulte d’un choix précis de l’entreprise en
termes d’organisation de la saisie et de la collecte de l’information 10. Dans certaines situa-
tions, moyennant un coût pour l’achat d’un instrument de mesure adéquat, il est possible de
rendre direct un coût qui était jusqu’alors indirect par rapport à un objet de coût, comme le
montre l’exemple suivant.
EXEMPLE
S’il y a un unique compteur d’électricité pour toute une usine, le coût d’électricité est direct
si l’objet de coût est l’usine mais il est indirect par rapport aux différents départements au
sein de l’usine ou par rapport aux différents produits qui sont fabriqués dans l’usine. Si dans
cette même usine, on décide d’installer un compteur d’électricité pour chacun des départe-
ments de l’usine, en lieu et place d’un seul compteur pour toute l’usine, le coût d’électricité
devient un coût direct pour chacun des départements mais il continue à être indirect pour les
produits fabriqués dans l’usine. Un système de mesure plus précis pourrait également rendre
la charge d’électricité directe à chacun des produits fabriqués dans l’usine.
10. Cette question de l’arbitrage entre la précision et le coût de l’information comptable sera examinée en
détail dans le chapitre suivant.
————————————————————————— Les concepts de coût / 45
Section 3
LE COMPORTEMENT DES COÛTS : LES CHARGES VARIABLES
ET LES CHARGES FIXES
Dans de nombreuses organisations, une des clés d’une bonne maîtrise de la perfor-
mance est une compréhension suffisamment fine du comportement des coûts, et, en particu-
lier, de leurs lois de variabilité.
Dans l’industrie manufacturière caractérisée par une production de masse de pro-
duits standardisés, le principal inducteur de coût des produits fabriqués était le volume de
fabrication. Dans cet univers, la modélisation classique du comportement des coûts suite à
une modification du niveau d’activité, mesuré par le volume de production, distinguait
entre :
• les charges qui varient avec les changements dans le volume de production, dites les
charges variables ;
• les charges qui restent inchangées quel que soit le volume de production, les charges
fixes.
Cette vision classique du comportement des coûts fait l’objet du paragraphe 3.1.
Dans de nombreuses entreprises offrant des biens et services personnalisés en fonc-
tion des préférences de leurs clients, il existe plusieurs sources de variabilité des coûts et des
charges fixes par rapport au volume de production 11 peuvent être variables avec un autre
inducteur de coût, comme par exemple le nombre de lots de production. Cette modélisation
du comportement des coûts sera développée au paragraphe 3.2.
11. Cette fixité apparente des charges au volume de production se vérifie sur une plage restreinte du niveau
d’activité (ici, le volume de production) et sur un horizon de temps déterminé, cf. infra.
12. Elles sont aussi appelées charges opérationnelles.
46 / Les concepts fondamentaux —————————————————————————
passe par l’origine des axes, ce qui signifie que s’il n’y a pas de production, le coût variable
est nul.
L’équation de la courbe représentée à la figure 2 peut s’écrire de la façon suivante :
y = ax = 50,00 € x
où y = coût variable total ;
x = volume de production ;
a = coût variable par unité produite = 50,00 €.
300 000
250 000
200 000
Euros
150 000
100 000
50 000
0
500
1 000
1 500
2 000
2 500
3 000
3 500
4 000
4 500
5 000
5 500
6 000
Volume
La figure 3 représente le coût des pneus par voiture fabriquée. On constate que le
coût unitaire des pneus est le même quel que soit le volume de production.
Euros
50,00
500
1 000
1 500
2 000
2 500
3 000
3 500
4 000
4 500
5 000
5 500
6 000
Quantités
Comme il apparaît à la lecture des figures 2 et 3, un coût est dit variable par rapport
à un inducteur de coût comme le volume de production, lorsque le coût par unité d’inducteur
de coût est fixe et que le coût total varie avec le nombre d’unités de l’inducteur de coût.
L’analyse de ces deux figures fait apparaître une hypothèse très forte de linéarité du
comportement du coût total en fonction du volume produit, qui ne correspond pas, dans la
plupart des cas, au profil réel de l’évolution des charges dites variables. Dans notre exemple,
si les pneus ne sont pas fabriqués par le constructeur automobile mais achetés auprès d’un
fabricant de pneus et qu’un contrat de fourniture à long terme prévoyant un volume d’achat
et un prix d’achat unitaire sur la période a été négocié, la stricte proportionnalité du coût
variable total avec le volume de production est respectée.
Dans bien des situations de production de biens et de services, deux phénomènes
courants empêchent le respect de l’hypothèse de linéarité du comportement des charges
variables totales :
• les rendements croissants au fur et à mesure que le volume de production augmente ;
• les rendements décroissants au delà d’un certain seuil d’activité, lorsqu’on approche
la capacité maximale.
travail disponibles par semaine, le recours à des heures supplémentaires se traduit par un
coût unitaire de l’heure de travail plus élevé. De plus, la surcharge d’activité entraîne une
baisse de la productivité due à un niveau trop élevé de stress et de fatigue.
Volume
Coût unitaire
O P
Volume
Volume
Une charge fixe, si on la calcule sur une base unitaire, par unité de produit par
exemple, diminue au fur et à mesure que le niveau d’activité comme le volume de produc-
tion, s’accroît. Dans l’exemple de l’entrepôt, si l’amortissement ou le loyer est réparti entre
tous les produits stockés dans l’entrepôt, la part attribuée à chaque produit diminue au fur et
à mesure qu’augmente le volume de produits stockés. La figure 7 représente l’évolution, en
fonction du volume, de la charge unitaire fixe par unité de produit stockée.
Le coût fixe unitaire (Charges fixes totales/ Quantités produites) est variable et il
suit une fonction de la forme a/x qui correspond à une branche d’hyperbole, comme le
montre la figure 7.
Cette dichotomie entre coûts fixes et variables, fondée sur le volume de production,
ne permet plus une modélisation adéquate du comportement des coûts dans de nombreuses
organisations où la structure de causalité des coûts s’avère nettement plus complexe. Elle
reste valable dans les environnements où le volume de production constitue le principal
voire l’unique inducteur de coût.
60 000
40 000
30 000
20 000
10 000
0 1 2 3 4 5 6
Volume
y=b
z Volume
Les charges sont fixes sur un horizon de temps plus ou moins long. Elles sont la
résultante d’une décision qui a été prise à un moment donné et qui est non réversible sur cet
horizon. Plus la période de temps considérée est longue, plus la possibilité d’agir sur les
coûts fixes augmente. Sur le long terme, une grande partie des charges deviennent variables
au sens où elles ne s’imposent plus comme la résultante de décisions passées. Il reste qu’un
ensemble de charges qui rendent possible l’existence de l’entreprise sont fixes quel que soit
l’horizon de temps considéré, sauf à remettre en question l’existence même de l’entreprise.
Dans le cas de la location d’un entrepôt, si l’horizon de temps considéré va au delà de la
période prévue dans le contrat de bail, il devient possible de ne pas renouveler le contrat de
bail et la charge cesse d’être fixe.
PREMIÈRE PARTIE
Les concepts fondamentaux ........................................................... 13
Introduction ..................................................................................................................... 14
Chapitre 1
Une vision de l’organisation ......................................................................................... 15
Introduction ..................................................................................................................... 16
Section 1 L’organisation et ses objectifs ....................................................................... 17
1.1 Les entrepreneurs et actionnaires ........................................................ 17
1.2 Les clients ............................................................................................... 19
1.3 La communauté civile et politique ....................................................... 20
1.4 Les salariés de l’organisation .............................................................. 21
1.5 Les fournisseurs ..................................................................................... 22
1.6 Conclusion ............................................................................................. 23
Section 2 L’organisation, ensemble de fonctions
et l’organisation, ensemble de processus ....................................................... 23
2.1 L’organisation, ensemble de fonctions ................................................ 24
2.2 L’organisation, ensemble de processus .............................................. 24
2.2.1 Le concept d’activité ..................................................................... 25
2.2.2 Le concept de processus ............................................................... 26
A La transversalité du processus .................................................................. 27
B Le processus orienté vers un client ............................................................. 31
2.3 Le concept de chaîne de valeur ........................................................... 32
Conclusion ........................................................................................................................ 33
Chapitre 2
Les concepts de coût ........................................................................................................ 35
460 / Comptabilité de gestion ——————————————————————————
Introduction ..................................................................................................................... 36
Section 1 Les concepts de coût, de valeur, d’objet de coût et d’inducteur de coût ........ 37
1.1 Le concept de coût ................................................................................ 37
1.2 Le concept de valeur ............................................................................ 38
1.3 Le concept d’objet de coût ................................................................... 38
1.4 Le concept d’inducteur de coût ........................................................... 39
Section 2 Le critère de traçabilité : les concepts de charge directe et indirecte ............. 42
2.1 La charge directe .................................................................................. 43
2.2 La charge indirecte .............................................................................. 43
Section 3 Le comportement des coûts : les charges variables et les charges fixes ....... 45
3.1 La modélisation classique du comportement des coûts ..................... 45
3.1.1 Les charges variables ................................................................... 45
A L’impact des rendements croissants sur le comportement des charges variables ............... 47
B L’impact des rendements décroissants sur le comportement des charges variables ............ 47
C Synthèse du comportement des charges variables ............................................. 48
3.1.2 Les charges fixes .......................................................................... 49
3.2 Une modélisation alternative du comportement des coûts ............... 50
3.2.1 L’amplitude des variations du niveau d’activité ............................... 51
3.2.2 L’horizon de temps considéré ........................................................ 51
3.2.3 Les coûts mixtes ............................................................................ 52
3.2.4 L’impact des inducteurs de coût autres que le volume sur le comportement
des coûts ...................................................................................... 52
Section 4 L’articulation entre l’axe direct/indirect et l’axe fixe/variable ................... 56
Section 5 Les autres concepts de coût ........................................................................... 58
5.1 Le coût marginal ................................................................................... 59
5.2 Le coût d’opportunité ........................................................................... 59
5.3 Les « sunk costs » : les coûts engagés indifférents ou coûts éteints .. 60
5.4 Les coûts cachés ................................................................................... 61
5.5 Les coûts contrôlables .......................................................................... 61
5.6 Les coûts joints ...................................................................................... 61
5.7 Le coût de période ................................................................................ 61
Conclusion ....................................................................................................................... 62
Chapitre 3
Les principes de construction d’un système de comptabilité de gestion ........... 63
Introduction ..................................................................................................................... 64
Section 1 Un principe d’économie : l’analyse coûts-avantages
de l’information comptable produite .............................................................. 65
1.1 Le coût de récolte et de traitement de l’information .......................... 66
1.2 Le degré et le type de concurrence ..................................................... 68
————————————————————————— Table des matières / 461
DEUXIÈME PARTIE
LES SYSTÈMES CLASSIQUES DE COMPTABILITÉ DE GESTION ... 93
Introduction ..................................................................................................................... 94
Chapitre 1
Les caractéristiques principales de l’entreprise « traditionnelle » ...................... 95
Introduction ..................................................................................................................... 96
462 / Comptabilité de gestion ——————————————————————————
Chapitre 2
La méthode du coût de revient complet .................................................................... 107
Chapitre 3
La méthode du coût de revient complet :
aspects comptables et adaptations techniques ...................................................... 145
Chapitre 4
L’adaptation du modèle de coût de revient complet à différents modes
d’organisation de la production .................................................................................. 187
Introduction ................................................................................................................... 188
Section 1 Le process costing dans l’environnement de production en continu ............. 188
1.1 Premier cas : production en continu sans en-cours de fabrication . 190
1.2 Deuxième cas : production en continu avec en-cours
de fabrication en fin de période ....................................................... 191
1.3 Troisième cas : production en continu
avec en-cours de production en début et en fin de période ........... 194
Section 2 Les entreprises travaillant sur commandes .................................................. 197
2.1 Les caractéristiques des entreprises travaillant sur commandes .... 197
2.2 Le modèle simplifié de comptabilité analytique
dans les entreprises travaillant sur commandes .............................. 197
2.3 L’adaptation de la méthode des sections homogènes
aux entreprises travaillant sur commandes ...................................... 199
2.3.1 L’affectation des charges directes aux commandes .................... 200
2.3.2 La répartition primaire des charges indirectes
aux commandes entre les centres d’analyse principaux
et les centres d’analyse auxiliaires ............................................... 200
2.3.3 L’allocation du coût des sections auxiliaires aux sections principales
en fonction des services que ces dernières ont consommés .......... 200
2.3.4 L’allocation du coût des sections principales
aux différentes commandes réalisées ........................................... 201
2.4 Le devis estimatif ................................................................................ 203
2.4.1 Le traitement des charges directes aux commandes ..................... 203
A Les matières premières ...................................................................... 203
B Le travail direct de production ............................................................... 204
————————————————————————— Table des matières / 465
Chapitre 5
Les méthodes du coût de revient partiel .................................................................. 209
Introduction ................................................................................................................... 210
Section 1 Le « direct costing » ..................................................................................... 210
1.1 Les principes fondamentaux du « direct costing » ........................... 211
1.2 La distinction entre charges variables et fixes :
difficultés pratiques de mise en œuvre ............................................. 215
1.3 La distinction entre charges directes et indirectes
dans la méthode du coût de revient variable .................................. 216
1.3.1 Un traitement simplifié des charges variables indirectes ................ 217
1.3.2 Un traitement différencié des charges variables directes
et indirectes ................................................................................ 217
Section 2 Le « direct costing » évolué .......................................................................... 219
Section 3 L’impact sur le résultat de l’entreprise du recours à différentes méthodes
d’évaluation du coût de revient des produits finis ....................................... 221
3.1 La production est supérieure aux ventes ........................................... 222
3.2 La vente est supérieure à la production ............................................ 224
3.3 Les méthodes d’évaluation des stocks :
Le point de vue du droit comptable .................................................. 226
Section 4 L’analyse Coût-Volume-Profit ...................................................................... 227
4.1 Les hypothèses fondamentales des modèles d’analyse
coût-volume-profit ............................................................................... 227
4.2 L’analyse CVP dans l’entreprise monoproduit ................................. 229
4.3 Les analyses de sensibilité .................................................................. 231
4.3.1 Une modification du prix de vente ............................................... 232
4.3.2 Une modification des coûts fixes ................................................. 233
4.3.3 La comparaison de structures de coûts alternatives .................... 233
4.3.4 Un volume minimum de ventes pour atteindre un objectif
de profit cible ............................................................................. 234
466 / Comptabilité de gestion ——————————————————————————
TROISIÈME PARTIE
LES SYSTÈMES DE COMPTABILITÉ DE GESTION
PAR ACTIVITÉS ........................................................................................................ 249
Chapitre 1
La remise en cause du modèle traditionnel de comptabilité de gestion .......... 253
Chapitre 2
La comptabilité par activités ....................................................................................... 281
Introduction ................................................................................................................... 282
Section 1 Le modèle de représentation de l’entreprise
sur la base du concept d’activité .................................................................. 282
1.1 Le concept d’activité ........................................................................... 282
1.1.1 La définition du concept d’activité ............................................... 283
1.1.2 La typologie des activités ............................................................ 286
A Les activités de conception .................................................................. 286
B Les activités de réalisation ................................................................... 287
C Les activités de maintenance ................................................................ 287
D Les activités discrétionnaires ................................................................. 287
1.1.3 La hiérarchie du coût des activités ............................................... 288
1.2 Le concept de processus ..................................................................... 289
Section 2 Les systèmes de comptabilité à base d’activités ......................................... 291
468 / Comptabilité de gestion ——————————————————————————
Chapitre 3
La gestion des activités ou Activity Based Management (ABM) ...................... 317
Chapitre 4
Une évaluation critique du modèle ABC/ABM
et une reformulation simplifiée .................................................................................. 329
Introduction ................................................................................................................... 330
Section 1 L’évaluation de la pertinence des hypothèses du modèle ABC/ABM ......... 330
1.1 Les études descriptives d’implantation de systèmes ABC/ABM ..... 331
1.2 La validation statistique des hypothèses de comportement
de coûts sous-jacentes au modèle ABC/ABM ................................. 335
1.3 Les études portant sur l’impact de l’adoption du modèle ABC/ABM
sur la performance de l’entreprise ................................................... 336
————————————————————————— Table des matières / 469
Section 2 Les avantages de la comptabilité et de la gestion par les activités ............. 337
Section 3 Les limites de la comptabilité et de la gestion par les activités ................... 339
3.1 L’articulation du modèle ABC avec la structure
de responsabilités de l’organisation ................................................. 339
3.2 Les critiques techniques du modèle de la comptabilité
par activités ......................................................................................... 340
3.3 La critique des fondements théoriques du modèle ABC/ABM
et de ses conséquences pour la gestion de l’entreprise ................. 342
3.4 La critique radicale du rôle d’un système comptable
pour la gestion de l’entreprise ........................................................... 343
Section 4 Une reformulation simplifiée du modèle ABC/ABM :
le Time Driven ABC (TDABC) ........................................................................ 344
Conclusion ...................................................................................................................... 349
QUATRIÈME PARTIE
La comptabilité budgétaire ............................................................ 351
Chapitre 1
La méthode des coûts préétablis ou coûts standard ............................................. 353
Chapitre 2
Les budgets ..................................................................................................................... 369
Chapitre 3
Le contrôle budgétaire .................................................................................................. 401
Chapitre 4
Le système budgétaire : critiques et alternatives ................................................. 439
Comptabilité, contrôle&finance
L’objectif de cette collection est double :
• offrir une série de manuels d’enseignement supérieur couvrant
l’ensemble des champs de la finance d’entreprise et de marchés
- comptabilité générale ou financière
- comptabilité analytique et de gestion
- analyse des états financiers et audit
- contrôle de gestion
- fiscalité…
• accueillir les chercheurs et les spécialistes dont les publications
intéresseront les praticiens et les cadres d’entreprise.
RONCOM
ISBN 978-2-8041-7509-2
ISSN 1373-0150 www.deboeck.com