Fiscalité Nummérique
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SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2011-2012
RAPPORT D´INFORMATION
FAIT
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini, président ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre
Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de
Montesquiou, Roland du Luart, vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy, secrétaires ;
M. Philippe Adnot, Mme Michèle André, MM. Jean Arthuis, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël
Bourdin, Christian Bourquin, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric
Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené,
Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, François Marc, Marc Massion, Gérard
Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung.
-3-
SOMMAIRE
Pages
C. THE QUESTION OF DIGITAL TAXATION HAS ENTERED THE PUBLIC ARENA ........... 67
1. The creation of the National Digital Council (Conseil national du numérique –
CNNum) .............................................................................................................................. 67
2. Media and telecom professionals are calling for taxation fairness between national
players and the groups based abroad................................................................................... 67
3. A tax debate on four levels: an equation with Networks, Culture, State and European
Union .................................................................................................................................. 68
II. WHAT ARE THE CONCRETE ASPECTS FOR A NEUTRAL AND FAIR
DIGITAL ECONOMY TAXATION? .................................................................................. 68
EXAMEN EN COMMISSION................................................................................................... 77
ANNEXES.................................................................................................................................. 101
Mesdames, Messieurs,
1
Source : http://www.psychologies.com/Culture/Medias/Articles-et-Dossiers/Casseroles-
numeriques.
2
Cf. les actes du forum de fiscalité numérique du 14 février 2012 (Annexe V).
-8-
1
Rapport d’information n° 398 (2009-2010) du 7 avril 2010 présenté par Philippe Marini, alors
rapporteur général.
-9-
1
Proposition de loi n° 682 (2011-2012) présentée par Philippe Marini, sénateur, le
19 juillet 2012, dont le dispositif figure en annexe VI.
- 10 -
1
Cf. le rapport d’information n° 398 (2009-2010) du 7 avril 2012.
2
Proposition de loi n° 682 (2011-2012) pour une fiscalité numérique neutre et équitable
présentée par M. Philippe Marini.
- 11 -
1
Ibid.
- 12 -
The mechanism outlined for the proposed Bill is part of a global road map for a
neutral and fair taxation of digital economy. This report was presented by Mr. Philippe Marini
in front of the finance committee and adopted on June 27th, 2012.
The road map includes three levels: national, European and international.
***
At the national level, the proposed Bill for a neutral and fair taxation of digital
economy, filed on July 19th, 2012 (cf. annexe VI), includes two sections:
- firstly a procedural section with an obligation for players based abroad to
declare a tax from certain thresholds of business activity which would target large groups (the
“over the tops”1 but also France established companies) based on the procedural model for
approving online betting sites, but respecting the principles of non-discrimination and
proportionality ;
- secondly a taxation section with two series of taxation, one intended to re-establish
taxation fairness by taxing advertising and e-commerce services, and the second concerning on
line taxation, regarding to net neutrality and financing the cinematographic industry, by extension
to foreign players taxes video on demand services (VOD).
***
In a longer-term perspective, two other proposals deserve specific support and the
search for synergies at the European level with MP’s from member states which are experiencing
the same problems of distortion of competition at the European level (United Kingdom,
Germany, Italy, Spain etc):
- at the European level, renegotiate the schedule for implementing the VAT
directive on electronic services (2008/8/CE – February 12th, 2008) in order to bring its
application deadline nearer than 2015 or 2019, the term of the transition phase;
- at the international level, convince and make the MP’s in the Member states
aware about initiating a process to renegotiate the OECD rules for taxing profits by taking
the specificity of the digital economy and the dematerialization of flows of wealth into account.
***
For more details, see the summary (page 65).
1
Also named « GAFA » which stands for Google, Apple, Facebook and Amazon.
- 13 -
1
Cf. le rapport d’information n° 398 (2009-2010) précité.
2
Marie-Christine Lepetit, directrice de la législation fiscale - Table ronde du 7 avril 2010.
- 14 -
1
A noter que l’amendement relatif à la publicité en ligne a été repris et déposé dans les mêmes
termes par Jack Ralite et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des
sénateurs du parti de gauche. Par ailleurs, Nicole Bricq (Soc – Seine-et-Marne) déclarait :
« Nous voterons ces amendements identiques, car, depuis la loi du 1er août 2006 relative au droit
d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, dite « loi DADVSI », le groupe
socialiste ne cesse de demander la taxation d’Internet. En vain. Nous souscrivons à un grand
nombre des propos de M. le rapporteur général de la commission des finances ».
2
L’application de cet article, originellement fixée au 1 er janvier 2011, a été reportée au
er
1 juillet 2011 à la demande du Gouvernement lors de la discussion des conclusions de la CMP
« afin de laisser le temps de prévoir les modalités de l’instruction fiscale et de prendre les
contacts nécessaires avec les professionnels » (François Baroin, séance du 15 décembre 2010).
- 15 -
I. ʊ Il est institué, à compter du 1er juillet 2011, une taxe sur l’achat de services de publicité en ligne.
Par services de publicité en ligne sont désignées les prestations de communication électronique autres
que les services téléphoniques, de radiodiffusion et de télévision dont l’objet est de promouvoir
l’image, les produits ou les services du preneur.
II. ʊ Cette taxe est due par tout preneur, assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée au sens de l’article
256 A et établi en France, de services de publicité en ligne et est assise sur le montant, hors taxe sur la
valeur ajoutée, des sommes versées au titre des prestations mentionnées au I.
III. ʊ Le taux de la taxe est de 1 %.
IV. ʊ Cette taxe est liquidée et acquittée au titre de l’année civile précédente lors du dépôt de la
déclaration, mentionnée au 1 de l’article 287, du mois de mars ou du premier trimestre de l’année
civile.
V. ʊ La taxe est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions,
garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées,
instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.
1
Ces deux opérateurs qui exercent leurs activités dans le domaine des ventes en ligne sont
davantage concernés par la taxe sur le commerce électronique (cf infra).
- 16 -
1
Georges Tron, secrétaire d’Etat chargé de la fonction publique : « Puisque nous sommes tous
d’accord pour reconnaître l’intérêt de ce sujet et des questions posées, notamment en termes de
concurrence européenne, et pour constater qu’une réflexion globale doit être engagée sur la
fiscalité, je peux prendre l’engagement, au nom du Gouvernement, de constituer un groupe de
travail regroupant des parlementaires, des experts, des entrepreneurs, afin de nourrir une
réflexion globale. [ …] Monsieur le rapporteur général, si vous en êtes d’accord, je vous propose
donc de constituer ce groupe de travail, afin de développer notre réflexion et de voir si, en fin de
compte, nous devons reprendre votre amendement dans sa forme actuelle ou si nous devons
intervenir sous une autre forme » (Séance du 23 novembre 2010 – cf. annexe II).
- 17 -
1. Un sujet transversal…
1
Source : avis n° 8 du 14 février 2012 du Conseil national du numérique relatif à ses pistes de
réflexion en matière de fiscalité du numérique. Cet avis a formulé plusieurs recommandations
- 19 -
tendant à l’assujettissement des acteurs étrangers de l’Internet à l’imposition sur les bénéfices :
le cycle commercial complet et la notion d’établissement stable virtuel. Celles-ci sont présentées
et commentées plus loin dans le présent rapport.
1
Rapport d’information n° 478 (2011-2012) du 11 janvier 2012.
2
Rapport d’information n° 571 (2011-2012) du 26 janvier 2012.
3
Proposition de loi n° 118 (2011-2012) visant à assurer l’aménagement numérique du territoire.
4
Rapport d’information n° 385 (2011-2012) « Les ressources propres : un nouveau test de la
capacité de l’Union européenne à se réinventer » présenté par Pierre Bernard-Reymond le
21 février 2012.
5
Rapport d’information n° 272 (2011-2012) du 18 janvier 2012.
- 20 -
fiscaux parmi les plus prospères : Luxembourg, Jersey ou Monaco [et qu’il]
faut un cadre transparent et équitable »1.
Eu égard à l’importance économique croissante du secteur de
l’économie numérique, la commission d’enquête a consacré une section de son
rapport à l’examen de l’optimisation fiscale internationale des entreprises
du numérique. Faisant référence aux études menées par la commission des
finances et, notamment, aux initiatives de taxation de la publicité en ligne et
du commerce électronique, la commission d’enquête a indiqué qu’elle
soutenait « les travaux tendant à fonder l’imposition des entreprises de
l’économie numérique sur une composante de leur chiffre d’affaires plutôt que
sur leurs bénéfices : il s’agit d’assurer des recettes fiscales aux États où
réside la création de valeur et non à ceux où sont domiciliés les groupes
multinationaux. Dans l’hypothèse où les négociations ne produiraient pas de
résultats tangibles à brève échéance, votre commission préconise la mise au
point de nouvelles formes de taxes sectorielles ayant une efficacité
démontrable, et qui pourraient être instituées au moins à titre transitoire »2.
Le secteur du numérique : quelques ordres de grandeur.
Parmi les segments de l’industrie numérique :
- celui des télécommunications représente 2 000 milliards de dollars au niveau
mondial, et affiche une rentabilité de l’ordre de 9 % ;
- les matériels électroniques grand public représentent 1 000 milliards de dollars pour
une rentabilité de 5 % à 6 % ;
- la publicité atteint 500 milliards de dollars, dont une partie bénéficie aux
fournisseurs de contenu, environ 100 milliards alimentant des entreprises telles que Google,
Yahoo ou MSN ;
- viennent ensuite l’industrie du logiciel, avec 260 milliards de dollars et le secteur de
la musique et du cinéma qui représentent globalement quelques dizaines de milliards de dollars.
Source : rapport n° 571 (2011-2012) présenté par Catherine Morin-Desailly, présidente du
groupe d’étude « Médias et nouvelles technologies », « Actes de la table ronde du
26 janvier 2012 sur la fiscalité du numérique », cité également par le rapport de la commission
d’enquête sur l’évasion fiscale précitée.
1
Rapport n° 673 (2011-2012) présenté par Eric Bocquet (CRC – Nord).
2
Ibid.
- 21 -
1
« L’Etat doit repenser la fiscalité du numérique », par Jean-Bernard Lévy, président de Vivendi,
Xavier Niel, fondateur et vice -président d’Iliad, Stéphane Richard, PDG de France Télécom et
Olivier Roussat, directeur général de Bouygues Telecom. (Le Monde, 16 Novembre 2001).
2
« Google 2,4 % rate shows how $60 billion lost to tax loopholes » (Bloomberg – par Jesse
Drucker – 21 Octobre 2010) ; « Amazon: £7 billion sales, no UK corporation tax » (The
Guardian – par Ian Griffiths – 4 avril 2012) ; « How Apple sidesteps billions in taxes » (The
New-York Times – par Charles Duhigg et David Kocieniewski – 28 avril 2012); “Apple, sa
montagne de cash et la peur de la banalisation” (Les Echos – par Romain Gueugneau –
2 avril 2012).
3
« Au début, vous participez à la course, ensuite vous achetez le champ de courses. Maintenant
vous possédez tous les chevaux, donc vos chevaux gagnent toutes les courses ! », source :
www.washingtonpost.com, 21 septembre 2009.
- 22 -
quelque 200 milliards de dollars d’ici trois ans, dont les 2/3 « bloqués » à
l’étranger, dans l’attente de négociations fiscales avec le Congrès américain
préalablement à tout rapatriement des fonds.
Ce sujet est donc devenu un enjeu de premier plan dans l’actualité
économique et fiscale, tant d’un point de vue national qu’international car sont
touchés par ces distorsions fiscales de concurrence tous les grands Etats de
consommation. En effet, l’essor des transactions électroniques soulève le
problème du recouvrement de l’impôt non seulement en Europe, mais aussi
aux Etats-Unis.
1
Georges Tron, secrétaire d’Etat chargé de la fonction publique : intervention précitée du
23 novembre 2010.
2
Source : communiqué de presse n° 029/032 du 12 juillet 2012 commun au ministre de
l’économie et des finances, au ministre du redressement productif, au ministre délégué chargé du
budget et à la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, de l’innovation et
de l’économie numérique. La mission a été confiée à MM. Pierre Collin, conseiller d’Etat, et
Nicolas Colin, inspecteur des finances, pour une remise des conclusions à l’automne 2012.
- 23 -
Deux sujets, l’impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée
(TVA), illustrent tout particulièrement les difficultés qu’éprouvent les Etats à
établir et percevoir les taxes applicables aux ventes dématérialisées sur
Internet.
En matière de TVA et d’impôt sur les sociétés, on assiste à un
déplacement de la matière imposable des grands pays de consommation du
e-commerce d’où proviennent les flux de richesses (Allemagne,
Grande-Bretagne, France, Italie, Espagne) vers les pays d’établissement des
« GAFA » : Luxembourg et Irlande. L’enjeu pour les finances publiques est
loin d’être négligeable :
- s’agissant de la TVA sur les services électroniques, l’étude
commandée en 2009 par la commission des finances au cabinet Greenwich
consulting avait évalué à 300 millions d’euros la perte de recette fiscale
engendrée en 2008 pour la France, et près de 600 millions d’euros pour
2014 ;
- s’agissant de l’impôt sur les sociétés, le Conseil national du
numérique (CNNum), créé le 27 avril 2011, estime que « les revenus générés
par quatre de ces acteurs (Google, iTunes, Amazon et Facebook) oscilleraient
entre 2,5 et 3 milliards d’euros en France », et que ceux-ci « acquittent en
moyenne 4 millions d’euros par an au titre de l’impôt sur les sociétés alors
qu’ils pourraient être, si on appliquait le régime français, redevables
d’environ 500 millions d’euros ».
applicables qu’à partir du 1er janvier 2015 : la TVA due sera celle du pays du
consommateur final (et non plus celui du prestataire).
C’est lors de ce conseil que la date d’application de la TVA sur les
services électronique a été repoussée du 1er janvier 2010 au 1er janvier 2015
avec une période de transition jusqu’au 1er janvier 2019, à la demande du
Luxembourg. Les modalités précises de cette phase transitoire sont exposées
dans l’encadré ci-dessous et illustrent les conditions tout à fait particulières
qui ont entouré cette prise de décision dans le cadre du « paquet TVA ».
1
Source : communiqué de presse du 4 décembre 2007 de Jean-Claude Juncker relatif à l’accord
intervenu au Conseil « Affaires économiques et financières » sur le paquet TVA
(http://www.gouvernement.lu/salle_presse/actualite/2007/12/04-ecofin/index.html).
- 28 -
Volume
CA déclaré Emplois (ETP)
d’activité
Non
Luxembourg 3 801 M€
communiqué
Irlande 90 M€ 35 M€ 50
Autres - 3,5 M€ -
Source : étude réalisée par le cabinet Greenwich Consulting pour la commission des finances du Sénat
(données 2009).
d’actualiser ces travaux. Dans cette optique, il est demandé que les
représentants du Gouvernement français auprès de l’OCDE formulent, à
cet égard, une proposition d’inscription à l’ordre du jour des travaux de
l’organisation.
1
En Italie, Bartolini domine le secteur des transports, ce qui entraîne des coûts logistiques deux
fois supérieurs aux prix pratiqués en France. Par ailleurs, les investissements marketing afin
d’asseoir une marque sont très importants et passent sur Internet par des campagnes de publicité
« display » à grande échelle et du référencement payant sur des mots-clés très concurrentiels à
forts volumes de trafic. Aussi, le succès du site italien lancé par Kiabi a reposé en grande partie
sur la présence de magasins physiques et pas seulement sur sa présence sur le net.
2
Source : Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD).
- 33 -
1
Lors du déplacement à Rome des 2 et 3 juillet derniers, ont été rencontrés MM. Vieri Ceriani,
sous-secrétaire d’Etat au Ministère de l’économie et des finances en charge des questions
fiscales, Mario Baldassarri, Président de la Commission des finances du Sénat, Giancarlo
Giorgetti, Président de la Commission du budget à la Chambre des députés et Sandro Gozi,
membre de la Commission de la politique de l’Union Européenne à la Chambre des députés.
2
Dans cet esprit, votre rapporteur se rendra les 1er et 2 octobre prochains à Londres.
- 34 -
technologies, des services rendus et des flux vidéo, sans pour autant participer
à l’effort fiscal, ni à l’effort de financement des réseaux.
Ce constat est un argument supplémentaire pour définir une
nouvelle fiscalité du numérique qui inclue les géants mondiaux de
l’Internet afin de ne pas peser exclusivement sur les acteurs français.
1
Ce syndicat a été créé en juillet 2003 à l'initiative des principales régies publicitaires
françaises afin de promouvoir et développer le média Internet en France. Il regroupe les
principales régies publicitaires actives sur Internet (AOL, Lagardère, M6, TF1, Yahoo,
Microsoft, Orange, etc.). En revanche, il faut noter que Google, bien qu’étant le principal acteur
du marché, n’adhère pas à ce réseau.
2
Source : Baromètre du marché publicitaire – juin 2012 – (Kantar Media et CNC).
- 41 -
1
Ce taux diffère de celui établi par le « baromètre du marché publicitaire » car il est le fruit
d’un agrégat différent de données, effectué au niveau européen et pour des années de références
différentes.
2
Source : IAB Europe
- 42 -
1
L’auteur du présent rapport est à l’origine de ce régime qui s’est substitué à un grand nombre
de dispositifs antérieurs devenus totalement archaïques et appliqués de manière très inégale sur
le territoire.
2
Source : fascicule « Voies et moyens », tome I, annexé au projet de loi de finances pour 2012.
- 45 -
1
Ce taux de 7 % s’applique au secteur du livre physique depuis le 1 er avril 2012 et pour le livre
numérique depuis le 1er janvier 2012. Le report de trois mois de l’entrée en vigueur de la mesure
pour le livre physique a été décidé en raison de la complexité de l’adaptation des relations entre
les éditeurs et les libraires.
2
Article 24 du projet de loi de finances rectificative pour 2012.
3
Depuis le 12 décembre 2011, le Luxembourg applique le même taux de TVA au livre numérique
qu’au livre papier, soit 3 %. Auparavant le livre numérique était soumis à un taux de 15 %.
4
Source : « Livre numérique : l'UE somme Paris et Luxembourg de renoncer à la TVA réduite »
(AFP – 3 juillet 2012).
- 46 -
Ceci n’est pas sans présenter de risque sur le plan juridique puisque la
Commission européenne a ouvert, le 3 juillet dernier, une procédure
d'infraction contre la France et le Luxembourg « qui appliquent aux livres
numériques des taux de TVA potentiellement incompatibles avec le droit de
l'Union ».
La législation de l’Union européenne permet aux Etats membres d’appliquer des taux
réduits de TVA à une liste limitative de biens et de services énoncée à l’annexe III de la Directive
TVA. Le téléchargement de livres numériques est considéré comme un service fourni par voie
électronique qui n’est pas inclus dans cette liste et ne peut donc bénéficier du taux réduit.
Dans sa communication de décembre 2011 sur le futur de la TVA, la Commission a
entamé une réflexion sur la possibilité de faire converger les taux de TVA applicables
respectivement aux livres traditionnels et aux livres numériques. La Commission fera des
propositions d’ici la fin 2013. Toutefois, une convergence vers le taux réduit actuellement
applicable aux livres traditionnels ne peut être envisagée sans modification de la Directive TVA.
La France et le Luxembourg ont néanmoins décidé d’appliquer, à compter du
1 er janvier 2012, des taux réduits aux livres numériques, en violation de la législation de l’Union.
Ces taux sont respectivement de 7 % [5 ,5 % à compter du 1er janvier 2013] pour la France et 3 %
pour le Luxembourg.
Cette situation crée de graves distorsions de concurrence au détriment des opérateurs
des 25 autres Etats membres de l’Union dans la mesure où les achats de livres numériques se font
aisément dans un autre Etat membre que celui de résidence du consommateur et que les règles
actuelles prévoient l’application du taux de TVA de l’Etat membre du prestataire, et non de celui
du client. Des acteurs locaux du marché du livre électronique se sont plaints de ce que certains
acteurs dominants de ce marché aient réorganisé leur circuits commerciaux pour bénéficier de ces
taux réduits, ce qui aurait eu des effets notables sur les ventes de livres (électroniques ou non)
dans les autres Etats membres au premier trimestre 2012.
La Commission estime que ces dispositions pourraient ne pas être conformes au droit
européen et a décidé d’envoyer aux deux Etats membres des lettres de mise en demeure. Cette
première étape vise à permettre aux deux pays d'expliquer leur position. La France et le
Luxembourg disposent d’un mois pour soumettre leurs observations. Si ces éléments ne sont pas
jugés suffisants, la Commission pourrait formellement constater l’infraction et demander aux
deux pays de changer leur législation via un avis motivé, deuxième étape de la procédure
d’infraction.
Source : European audiovisual observatory, Enders Analysis « Digital Europe: Diversity and
Opportunity » (8 mai 2012)
1
Communication au Parlement européen, au Conseil et au Comité économique et social
européen sur l’avenir de la TVA – COM (2011) 851 final.
2
Une mission a été confiée sur ce sujet, il y a 18 mois, à Jacques Toubon, délégué de la France
pour la fiscalité des biens et des services culturels.
- 48 -
1
« Le défi numérique : comment renforcer la compétitivité de la France ? » (rapport mai 2011).
2
Cf. les développements ci-dessus sur la nécessité de relancer les travaux de l’OCDE en la
matière.
- 49 -
1
Source : CE, arrêt du 14 février 1944, req. n° 67442, RO, p.38.
- 53 -
1
Au surplus, il convient également de souligner que, même si cette jurisprudence du Conseil
d’Etat a été confirmée à plusieurs reprises en 1989 et 1991, elle concernait des situations où des
entreprises françaises ont fait valoir à bon droit qu’elles échappaient à l’impôt sur les sociétés à
raison des opérations qu’elles effectuent à l’étranger, même en l’absence de tout établissement
hors de France ou de représentant qualifié à l’étranger, dès lors que celles-ci forment un cycle
commercial complet et se détachent, par leur nature ou leur mode d’exécution, des opérations
faites en France. Selon cette jurisprudence, les opérations qu’une société française réalise à
l’étranger dans le cadre d’un cycle commercial complet sont imposables à l’impôt sur les
sociétés si elles n’apparaissent pas détachables de celles effectuées en France (source :
www.doc.impots.gouv.fr). A ce jour, aucune décision ne s’est appliquée au cas de sociétés
étrangères pour lesquelles la notion de cycle commercial complet aurait été admis à raison
d’opérations effectuées en France.
- 54 -
sur le modèle procédural de l’agrément accordé aux sites de jeux en ligne, soit
pour le régime spécial de déclaration des services fournis par voie électronique
qui est une procédure simplifiée et dématérialisée permettant de respecter les
principes du droit européen de non discrimination et de proportionnalité ;
- d’autre part, un volet fiscal comportant une série de taxations. Elle
est destinée à assurer la neutralité fiscale en matière de taxation sur la
publicité en ligne et sur les services de commerce électronique (Tascoé) au
dessus de certains seuils d’activité. De manière complémentaire, une seconde
catégorie de taxation, ayant pour objet d’établir l’équité fiscale en étendant
aux acteurs étrangers de l’Internet les dispositifs existant au profit de la
culture, est proposée au titre de la fourniture de vidéogrammes à la demande
(article 2).
1
Le cadre de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la
régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne repose sur le principe de la
délivrance d’un agrément et impose une série de conditions aux opérateurs afin de rendre
possible la collecte des prélèvements obligatoires.
2
Source : Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL).
- 57 -
1
« L’obligation de désigner un représentant fiscal est, selon la Commission, contraire à la libre
circulation des personnes et des capitaux dans la mesure où elle s’avère à la fois discriminatoire
et disproportionnée au regard de l’objectif tendant à assurer l’efficacité du contrôle fiscal et à
lutter contre l’évasion fiscale » (CJUE - 5 mai 2011 - C 267/09 Commission / Portugal).
2
A ce stade, il n’a pas été jugé opportun de proposer d’élargir l’assiette des taxes sur les
services de télévision (art. L. 115-6 et suivants du code du cinéma et de l’image animée) et sur
services fournis par les opérateurs de communication électronique (art. 302 bis KH du CGI) car
celles-ci font l’objet de procédures en cours devant la commission européenne et la CJUE. La
taxe actuelle sur les services de télévision est loin d’être négligeable, et représente 558 millions
d’euros pour 2012.
- 59 -
2. Le volet fiscal
1
Ce rendement peut être comparé au montant de la taxe sur la publicité télévisée qui est évalué à
54 millions d’euros pour 2012 (fascicule « Voies et moyens » annexé au PLF 2012).
2
Il convient de préciser que le seuil de 20 millions d’euros d’entrée dans le champ d’application
de la taxe correspond au chiffre d’affaires moyen des régies Internet mentionné par Luc Tran
Thang, président du syndicat des régies Internet, lors du forum de fiscalité numérique du
14 février 2012. Par ailleurs, bien que le SRI soit tenu par le secret des affaires de ne pas
divulguer le chiffre d’affaires de ses membres en matière de publicité en ligne, il peut être
- 60 -
considéré qu’entrent dans le taux de 0,5 % les grandes régies françaises (Orange, Lagardère,
TF1 ou Amaury Média) et dans le taux de 1 % Google et le groupe PagesJaunes. (Source :
www.latribune.fr, 19 juillet 2012, « La nouvelle taxe Google toucherait-elle Google ? »).
1
Pour mémoire, le rendement fiscal de la Tascom s’établit à 600 millions d’euros au bénéfice
des collectivités locales et est applicable aux surfaces de vente au détail supérieures à 400 m2
dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à 460 000 euros.
- 61 -
1
Le rendement de la taxe sur la vente et la location de vidéogramme représente 32 millions
d’euros.
2
Le rendement de l’extension de la taxe sur les services de télévision aux services en ligne est
difficilement chiffrable dans la mesure où les principaux acteurs du marché n’ont pas encore
déployé leurs services ou ne publient pas de chiffre d’affaires pour la part de leur audience
française. A titre d’ordre de grandeur, le rendement de la taxe actuelle sur les services de
télévision est évalué à 558 millions d’euros pour 2012 (fascicule voies et moyens annexé au
projet de loi de finances pour 2012).
- 62 -
code général des impôts) car celle-ci fait l’objet d’une procédure devant la
Commission européenne et la CJUE. En effet, en 2009, pour compenser
partiellement la suppression de la publicité à la télévision publique, la France
a introduit une taxe spécifique sur le chiffre d’affaires des opérateurs de
télécommunications au titre de leur autorisation à fournir des services de
télécommunications (y compris l’Internet et la téléphonie mobile). Or, selon la
Commission, une telle taxe constitue en réalité une charge administrative
incompatible avec le droit européen.
*
* *
- 63 -
1
Report n° 398 (2009-2010), « Le développement du commerce électronique: quel impact sur les
finances publiques? », April 7 th, 2012, by Philippe Marini.
- 66 -
1
Georges Tron, Secretary of State for the Civil Service: « Since we are all agreed on the interest
of this subject and the questions asked, notably in terms of European competition, and that there
must be global review of taxation, I can make the commitment, on behalf of the Government, to
establish a working group of MP’s, experts, entrepreneurs, response for a global review. [….]
Reporter General, if you agree, I propose setting up this working group, for our review, and to
see whether we should take your amendment in its current form, or whether we should be
involved in a different form » (Meeting of November 23 rd 2010).
- 67 -
1
« L’Etat doit repenser la fiscalité du numérique », by Jean-Bernard Lévy, president of Vivendi,
Xavier Niel, founder and vice-president of Iliad, Stéphane Richard, chairman and CEO of France
Télécom and Olivier Roussat, CEO of Bouygues Telecom. (Le Monde, November 16, 2001).
- 68 -
claim all the virtues (economic growth, freedom of expression etc) but at the
same time whose behavior is purely intended for tax avoidance purposes. This
is the reason why the neutrality of the net implies taxation fairness.
There are two topics which illustrate the difficulties States encounter
in applying and collecting the tax of dematerialized sales over the Internet.
- In Europe, the main challenge concerns the flight of taxable income
linked to corporation tax. The international taxation rules do not enable the
revenues from turnover realized in France to be satisfactorily collected. In
addition the part connected to the VAT on the sale of dematerialized property
or services to consumers in France (e.g. iTunes, Skype) must not be
- 70 -
considered solved. In effect, up until 2015, the company invoices the end
consumer VAT from the head office. After 2015, the company must invoice
the VAT for the place of consumption and it is only after a transition phase i.e.
from 2019 that the company will repay it directly to the State where the
consumer lives. This date is far too far away and requires renegotiation at
the European level.
- In the United States, Amazon is in conflict with several states
about the non-collection of “sales tax” and the failure to repay it to the
competent tax authorities. This is a tax on sales applied in the majority of
American States and Canada. This indirect taxation is levied at the
point-of-sale and paid to the state by the trader. It is a tax which is only paid
by the consumer. However the application of this tax on distance sales poses
the problem of its collection. Outside France and Europe, tax avoidance by the
large Internet sites is affecting all the world’s regions including the countries
were e-commerce originated. It should be remembered that in the tax
avoidance circuits (“double Irish” and “Dutch sandwich”) Google’s and
Apple’s profits are piling up in tax havens and can only be repatriated to the
United States under the cover of taxation amnesties1.
1
“Google 2,4 % rate shows how $60 billion lost to tax loopholes” (Bloomberg – by Jesse
Drucker – October 21, 2010);
“Amazon: £7 billion sales, no UK corporation tax” (The Guardian – by Ian Griffiths –
April 4, 2012);
“How Apple sidesteps billions in taxes” (The New-York Times – by Charles Duhigg and David
Kocieniewski – April 28, 2012);
“Apple, sa montagne de cash et la peur de la banalisation” (Les Echos – by Romain Gueugneau –
April 2, 2012).
- 71 -
1
Compte de soutien à l’industrie des programmes audiovisuels (audiovisual industry fund).
- 73 -
EXAMEN EN COMMISSION
alors même que ces groupes utilisent les infrastructures et les services publics
situés sur le territoire national.
La nouveauté est que ces débats s’amplifient dans les grands Etats
de consommation : la France mais aussi la Grande-Bretagne, l’Allemagne,
l’Italie, sans oublier le premier marché qui est celui des Etats-Unis. C’est
pourquoi, il y a déjà trois ans, la commission des finances avait commandé
en 2009 une étude au cabinet Greenwich Consulting et organisé, le
7 avril 2010, une première table ronde sur l’impact du développement du
commerce électronique sur les finances de l’Etat. Le constat était sans appel.
Quelles que soient les impositions considérées (impôt sur les sociétés, TVA,
taxe sur la publicité), les grands acteurs mondiaux du commerce électronique
ont bâti leur modèle économique et établi leurs sièges sociaux dans les États à
« fiscalité basse » : Irlande et Luxembourg principalement.
Ensuite, la commission des finances a donné une première traduction
sur le plan législatif à la première version de la taxe sur la publicité en ligne
dont l’idée avait été lancée par le rapport « Zelnik ». C’est sur ma proposition,
d’abord dans le premier collectif de 2010, puis en loi de finances pour 2011,
que le Parlement a institué une taxe sur les services de publicité en ligne égale
à 1 % du montant de la prestation. A l’époque, cette initiative improprement
qualifiée de « taxe Google » avait recueilli, dans son principe, une large
approbation du Sénat. Mais par la suite, cette disposition a été supprimée en
loi de finances rectificative pour 2011, avant la date d’entrée en vigueur de
la taxe, sous la pression très forte et médiatique du secteur de l’Internet et avec
comme argument, en partie fondé, que ne s’appliquant qu’aux annonceurs
basés en France, elle présentait le risque de voir les groupes délocaliser leurs
activités d’annonceur et donc de ne faire peser cette taxe nouvelle que sur
les PME françaises. Certes, le dispositif proposé, alors réalisé dans l’urgence,
comportait des imperfections, mais il a eu le mérite d’installer le sujet dans
le débat public.
Aujourd’hui, tous les acteurs et professionnels du secteur s’accordent
sur le danger que représente la concurrence déloyale des grands acteurs de
l’Internet basés dans les pays à fiscalité basse : les fameux « GAFA » (Google,
Apple, Facebook et Amazon).
Nos collègues de la commission de la culture, dont
Catherine Morin-Desailly, que je remercie de sa présence, et de la délégation à
la prospective se sont également emparés de la question. Je signale à cet égard
que Joël Bourdin a publié un rapport intitulé « Commerce électronique :
l’irrésistible expansion ».
Par ailleurs, le Conseil national du numérique (CNNum), créé
le 27 avril 2011, s’est prononcé, le 14 février dernier, dans des termes qui
coïncident très largement avec notre démarche : « Comment faire contribuer
aux finances de l’Etat des groupes qui, en parfaite conformité avec les règles
fiscales françaises et européennes, sont établis fiscalement dans d’autres pays
de l’Union européenne que la France, et ne paient donc pas en France d’impôt
- 79 -
sur les sociétés alors même que ces groupes utilisent les infrastructures situées
sur le territoire français, les services publics français, bénéficient d’avantages
fiscaux et sociaux pour l’embauche d’ingénieurs formés par le système
scolaire et universitaire français ? »
En ce sens, plusieurs tribunes ont été publiées par les opérateurs de
télécoms et les groupes de médias, notamment Vivendi et sa filiale Canal +.
Je note également qu’en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, les journalistes
ont également décrit et « décortiqué » dans le détail les stratégies
d’optimisation fiscales. Je saisis cette occasion pour préciser que ni Apple, ni
Google, ni Amazon ne contestent sur le fond les investigations menées par
le Guardian et le New-York Times selon lesquels ces entreprises échappent
également au fisc des Etats américains. Il faut noter que nos collègues
sénateurs d’outre-Atlantique commencent également à s’en émouvoir. Le sujet
n’est plus tabou et est devenu un enjeu de premier plan dans l’actualité
économique et fiscale car sont touchés par ces distorsions fiscales de
concurrence tous les grands Etats de consommation.
Deux sujets illustrent les difficultés qu’éprouvent les Etats à appliquer
et percevoir les taxes applicables aux ventes dématérialisées sur Internet.
Au niveau européen, l’enjeu principal concerne la fuite des recettes
fiscales liées à l’impôt sur les sociétés. De ce point de vue, les règles
internationales existantes ne permettent pas de rattacher de manière
satisfaisante les revenus liés à un chiffre d’affaires développé en France.
L’évolution de ces concepts nécessitera un consensus euro-américain qui n’est
pas impossible mais qui demandera du temps. Par ailleurs, le volet relatif à
la TVA ne doit pas être considéré comme résolu s’agissant de la vente de
biens ou de services dématérialisés à destination de consommateurs sur
le territoire français. En effet, jusqu’en 2015, l’entreprise facture au
consommateur final la TVA du siège social, puis à compter de 2015,
l’entreprise devra facturer la TVA du lieu de consommation mais, au terme
d’une phase de transition, ce ne sera qu’à partir de 2019 que l’entreprise la
reversera directement à l’Etat du lieu de résidence du consommateur. Je vous
expliquerai plus loin pourquoi cette échéance est trop lointaine et nécessite
une renégociation européenne.
Pour l’heure, nous constatons une distorsion très nette entre les pays
d’établissement des « GAFA » (Luxembourg et Irlande) et les grands pays de
consommation du e-commerce d’où proviennent les flux de richesses
(Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie, Espagne). Dans le cas des
services de vidéo à la demande (video on demand – VOD), il apparaît très
clairement que le Luxembourg est le premier pays d’établissement des sites
fournisseurs de VOD alors que les principaux pays de consommation de ces
services sont la France et l’Allemagne. Cette situation est également vraie
dans le domaine du commerce électronique (Amazon et Apple étant implantés
au Luxembourg) et dans le domaine de la publicité en ligne (la régie
publicitaire de Google étant basée à Dublin).
- 80 -
sur les sommes, hors commission d’agence et hors taxe sur la valeur ajoutée
payées par les annonceurs aux régies pour les services de publicité dont
l’audience est obtenue en France, cette taxe serait calculée en appliquant un
taux de 0,5 % à la fraction comprise entre 20 millions d’euros et 250 millions
d’euros et de 1 % au-delà.
Il ne s’agit pas d’une mesure de rendement car le gain fiscal escompté
se situerait en l’état du marché à un niveau inférieur ou égal à 20 millions
d’euros, dont la moitié acquitté par le principal acteur : Google. Cela reste une
piqûre d’épingle, mais il est important d’initier un mouvement. Ce rendement
peut être comparé au montant de la taxe sur la publicité télévisée qui est
évalué à 54 millions d’euros pour 2012.
La taxe sur les services de commerce électronique (Tascoé) est moins
consensuelle, j’en conviens. Elle a pour objectif de transposer au commerce
électronique la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) dont le rendement
fiscal s’établit à 600 millions d’euros au bénéfice des collectivités locales.
Pour mémoire, la Tascom est applicable aux surfaces de vente au détail
supérieures à 400 m2 dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à
460 000 euros.
Cette nouvelle version de la Tascoé diffère très sensiblement de
la taxe initialement proposée en loi de finances 2011, qui était due par
le preneur établi en France et assise sur les activités de commerce électronique
entre professionnels. Le rendement fiscal de la Tascoé pouvait atteindre
500 millions d’euros (0,5 % d’un chiffre d’affaires de 100 milliards d’euros
dans le e-commerce B to B) et sa portée dépassait très largement la seule
transposition de la Tascom, sans pour autant impacter les principaux sites
visés, notamment Amazon et Apple. Aussi, la Tascoé ici présentée prévoit,
dans le même esprit que la Tascom, une taxation du vendeur professionnel au
consommateur final (B to C) par parallélisme entre commerce de détail
physique assujetti à la Tascom et commerce de détail électronique soumis à
la Tascoé. Les redevables de cette taxe, qu’ils soient établis en France ou à
l’étranger, seraient soumis à la même obligation de déclaration d’activité que
celle prévue pour la taxe sur la publicité en ligne, ce qui permettrait
d’assujettir les grands groupes de vente en ligne.
J’ai conscience que de fortes résistances vont « se faire jour » mais
j’ai la conviction que la loi doit être faite parce qu’on l’estime juste et
équitable pour les finances publiques et non pour tel ou tel secteur
économique.
Concernant l’assiette de la Tascoé, les prévisions de la Fédération de
l’e-commerce et de la vente à distance (Fevad) font état d’un chiffre d’affaires
de vente en ligne de 37 milliards d’euros en 2011. Les projections pour 2012
font état d’une croissance de 20 % et d’un chiffre d’affaires de l’e-commerce
qui avoisine 45 milliards d’euros, pour ensuite dépasser les 70 milliards
d’euros en 2015. A cette échéance, le rendement d’une taxe de 0,5 % pourrait
atteindre plus de 225 millions d’euros en 2013 et 330 millions d’euros en
- 87 -
2015. Le rendement d’une telle taxe apparaît d’ores et déjà important. Son
application pourrait être envisagée dès 2013, sans attendre les négociations
à moyen et long termes nécessaires en matière de TVA et d’IS (notion
d’établissement stable virtuel).
Par ailleurs, il pourrait être intéressant de territorialiser cette
ressource vers les collectivités et de s’en servir pour faciliter la péréquation.
Cette idée serait en cohérence avec la perspective d’érosion du commerce
physique au profit du e-commerce et donc de la compensation du préjudice
ainsi causé aux territoires.
Ces estimations devront être ajustées à la baisse pour tenir compte de
l’exonération des entreprises dont le chiffres d’affaires est inférieur
à 460 000 euros (ce montant étant le même que celui qui déclenche
l’exigibilité de la Tascom) et de la déductibilité de la Tascom, dans la limite
de 50 % du montant de la Tascoé, pour les entreprises assujetties à la Tascom
qui pratiquent à la fois le commerce physique et le commerce électronique.
Enfin, pour conclure ce volet fiscal, je propose d’étendre aux acteurs
de l’Internet établis en France et à l’étranger certaines taxes existantes
relatives aux services de télévision et à la fourniture de vidéogrammes à
la demande (VOD) pour rétablir une forme d’équité fiscale et trouver une
convergence d’approche avec nos collègues de la commission de la culture.
Ces prélèvements étant effectués au bénéfice du centre national du cinéma et
de l’image animée (CNC), l’élargissement de l’assiette proposé pourrait entrer
dans une réflexion plus globale sur la réduction des taux actuels.
Aussi, l’extension de l’assiette de la taxe aux fournisseurs de services
de télévision en ligne permettrait d’assujettir les nouveaux services
numériques tels que Google TV, YouTube, Dailymotion, Apple TV, qu’ils
soient établis en France ou à l’étranger.
A titre d’ordre de grandeur, le rendement de la taxe actuelle sur les
services de télévision est loin d’être négligeable, et représente 558 millions
d’euros pour 2012 et celui de la taxe sur la vente et la location de
vidéogramme 32 millions d’euros.
Il reste que l’essentiel de l’enjeu fiscal se situe sur le terrain de
la TVA et de l’imposition des bénéfices.
S’agissant de la TVA, les règles issues de la directive 2008/8/CE du
12 février 2008 qui concernent les services de télécommunication et les
services e-commerce ne seront applicables qu’à partir du 1er janvier 2015 :
la TVA due sera celle du pays du consommateur final (et non plus du pays du
prestataire). Mais entre 2015 et 2019, il subsistera un régime transitoire durant
lequel la TVA continuera à être perçue par le prestataire au taux, par exemple,
de 15 %. Le Luxembourg reversera une partie de la TVA ainsi perçue au pays
dans lequel est établi le consommateur. Ce n’est qu’à partir de 2019 que
la TVA sera due par chaque prestataire au taux du pays de résidence du
consommateur final. Cette échéance est trop lointaine. Elle favorise les
- 88 -
III – AUDITIONS
ANNEXES
ANNEXE I
EXTRAIT DE LA SÉANCE DU 16 FÉVRIER 2010
LOI N° 2010-237 DU 9 MARS 2010 DE FINANCES
RECTIFICATIVE POUR 2010
fait un exposé rigoureux, très sévère mais très digne sur Google, et le grand
auditorium, archi-plein, a applaudi chaleureusement.
M. Jean-Léonce Dupont, président. - Quel est l’avis du
Gouvernement ?
M. Eric Woerth, ministre. - Je remercie tout à la fois
M. le rapporteur général de nous permettre d’aborder ce sujet complexe, dont
nous ne ferons pas le tour ce soir, et M. Ralite de la clarté de sa présentation.
Les recettes publicitaires en ligne représentent 2,1 milliards d’euros –
c’est une somme considérable –, dont la moitié à peu près provient des liens
sponsorisés, captés à 80 % environ par Google. On le voit bien, il s’agit d’un
acteur absolument majeur et incontournable en ce domaine.
En proposant d’instaurer une taxe, monsieur le rapporteur général,
vous êtes en quelque sorte le premier à tirer !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des
finances. - Oui, c’est mon caractère impatient !
M. Eric Woerth. - C’est d’ailleurs pour cela que vous avez déjà un
texte à soumettre au Gouvernement.
Le rapport Zelnik n’a été remis qu’au mois de janvier dernier au
Président de la République. Celui-ci a demandé à la ministre de l’économie, de
l’industrie et de l’emploi de formuler des propositions fiscales sur
l’organisation de cette taxe. Une expertise a été engagée en collaboration avec
les services du ministère de la culture et de la communication. Vous avez
d’ailleurs souligné, monsieur le rapporteur général, que ce travail n’était pas
très avancé. S’il en est ainsi, c’est bien parce que la demande est plus récente
que vous ne le pensez.
Monsieur le rapporteur général, votre amendement n’est pas sans
poser problème et vous avez-vous-même mentionné les difficultés qu’il
suscitait.
La première difficulté concerne les hébergeurs. En effet, le plus
souvent, l’hébergeur n’est qu’un prestataire technique, qui ne perçoit pas de
recettes publicitaires.
La deuxième difficulté consiste à définir précisément ce que l’on
entend par « activité publicitaire sur Internet ». C’est une notion assez vaste et
un domaine difficile à cerner. Le e-marketing offre en effet un éventail de
prestations nouvelles de publicité et de promotion, comme les achats de mots-
clés.
La troisième difficulté concerne les questions de territorialité.
Comment taxer des opérateurs qui s’établissent partout en Europe, parfois
même en dehors de l’Europe, et qui s’adressent à des clients français avec des
publicités portant éventuellement sur des produits étrangers ? Cela pose un
véritable problème d’appréhension fiscale.
- 107 -
J’ai reçu des messages sans doute identiques aux vôtres, monsieur le
rapporteur général. Trois m’ont été adressés encore aujourd’hui. J’ai assisté, il
y a quelques jours, à un débat organisé par la SACD, la société des auteurs et
compositeurs dramatiques : il a porté presque essentiellement sur cette
question. M. Toubon, qui participait à ce débat, a d’ailleurs montré une ferme
assurance et la volonté d’aller dans ce sens.
Demain, notre commission de la culture reçoit M. Marc Tessier, le
rapporteur de la commission sur Google. La question est évoquée dans son
rapport, auquel j’ai d’ailleurs emprunté, pour le combattre, l’argument selon
lequel, puisqu’il serait prohibitif de vouloir faire comme Google, nous
devrions accepter ses conditions.
Bien sûr, ces mesures ont des défauts ; les grandes réformes ne se
sont jamais faites au cordeau, mais se sont construites sur une base
fondamentale.
Tout est dit dans l’argumentation du président de la commission des
finances. Tous ces grands géants ont tissé une sorte de toile – c’est leur
mondialisation -, qui court-circuite tous les professionnels, tous les publics et
tous les États ! Alors, il faut un acte, même s’il n’est pas d’une pureté extrême
– en général, quand on est pur, on ne réussit pas –, qui soit le fruit d’une
volonté politique affirmée.
« Il serait dommage que nous nous séparions », me dit M. Marini. Je
lui répondrai : « Il serait dommage que vous décidiez cette séparation en vous
abstenant aujourd’hui » !
Cette politique de yo-yo, où l’on avance et retire des dispositifs, n’est
pas une pratique parlementaire constructive. Aussi, non seulement je maintiens
cet amendement, mais notre groupe demandera au Sénat de se prononcer par
scrutin public.
Rappelez-vous des difficultés rencontrées lors de la suppression de la
publicité à la télévision, mesure appliquée avant que nous en ayons discuté au
Parlement. Le Conseil d’Etat vient de régler la question, même si M. Lefebvre,
UMP, fait semblant de ne pas comprendre et prétend que rien n’est changé.
Nous avons saisi le Conseil d’État et nos collègues socialistes ont
saisi le Conseil constitutionnel. Les deux nous ont donné raison : ce n’est pas
bien que l’exécutif se soit substitué au législatif, ce n’est pas bien que la
télévision ait perdu de son indépendance dans un vote obligé.
Le Conseil constitutionnel a avalisé la loi, mais il a ajouté, dans un
considérant n° 19, une réserve fondamentale : sans compensation exacte, la
télévision perd son indépendance.
Nous n’avons rien fait de merveilleux, nous avons simplement osé !
Sur des questions aussi fondamentales, il faut que la France ose et, quand elle
aura créé un exemple, une jurisprudence, même un peu boiteuse, on
commencera alors à découdre cette espèce de monopole de faux droit qui tente
- 114 -
d’enserrer le monde, alors qu’ Internet est l’une des plus belles inventions
humaines, malheureusement mal appliquée, à cause de la pratique des
propriétaires de ces grands groupes. (M. Thierry Foucaud applaudit.)
M. Jean-Léonce Dupont, président. - La parole est à M. le président
de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des
finances. - Monsieur Ralite, je voudrais vous lancer un ultime appel. Nous
avons, sur le fond, une vraie convergence d’analyse et de volonté politique,
mais nous ne devons pas nous tromper d’instrument. En votant cet
amendement, nous risquons d’afficher une sorte d’impuissance politique, à
l’heure où notre démocratie souffre d’un décalage trop fréquent entre la parole
politique et l’effectivité de l’action.
Il serait infiniment préférable que vous preniez part aux travaux qu’a
engagés la commission des finances sur ce sujet. Vos collègues Thierry
Foucaud et Bernard Vera peuvent en témoigner, nous entendons avancer et
formuler, dans des délais raisonnables, des propositions précises afin que nous
disposions, demain, d’instruments suffisamment efficaces pour atteindre les
objectifs que nous partageons.
M. le rapporteur général l’a rappelé, du fait de la montée en puissance
de l’économie numérique, nous risquons de voir s’évaporer nos assiettes
fiscales. Il serait vraiment dommage que vous nous demandiez de nous
prononcer ce soir par un vote dont l’issue donnerait l’apparence d’une fracture
entre nous, alors que, sur le fond, nous sommes, je le répète, en profonde
convergence.
Je souhaiterais donc vraiment que vous renonciez à ce scrutin public.
M. Jean-Léonce Dupont, président. - Monsieur Ralite, qu’en est-il
en définitive de l’amendement n° 110 ?
M. Jack Ralite. - Monsieur le président, je voudrais bien accéder à la
demande du président de la commission des finances, mais je ne le peux pas.
À l’entendre, nous risquons, en votant cet amendement, d’afficher notre
impuissance politique. Mais, en ne le votant pas, nous nous enfermons dans
une impuissance politique démissionnaire !
En tant que parlementaire, cet aspect de la politique me hante.
Combien de fois a-t-on entendu l’argument consistant à dire que ce sera mieux
demain ? Pour ma part, je souhaiterais que ce soit un peu mieux aujourd’hui !
Si, humainement, il est toujours intéressant de constater une
convergence de vue, je suis au regret de vous indiquer que je ne peux pas, en
mon âme et conscience, retirer cet amendement, car j’aime trop ce sujet et ce
qu’il implique pour notre pays et pour le monde entier.
M. Jean-Léonce Dupont, président. - Je mets aux voix
l’amendement n° 110 de M. Ralite, tendant à insérer un article additionnel
après l’article 9.
- 115 -
ANNEXE II
EXTRAIT DE LA SÉANCE DU 22 NOVEMBRE 2010
LOI N° 2010-1657 DU 29 DÉCEMBRE 2010 DE FINANCES
POUR 2011
L’idée d’une taxe sur la publicité sur Internet était évoquée depuis
déjà un certain temps. Plusieurs raisons justifient sa création.
Premièrement, ces entreprises ayant leur siège dans des pays à
fiscalité basse – je pense en particulier à Google, localisée en Irlande,…
M. Jean Desessard. - Ah !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des
finances. - … mais cet exemple est loin d’être unique –, les pays de
consommation ne bénéficient aucunement des retombées fiscales liées à
l’activité de ces sites. Or ce sont bien les pays les plus peuplés d’Europe, ceux
où se trouvent les gisements de consommation les plus importants, qui sont
directement touchés puisque les publicités en ligne sont d’autant plus efficaces
qu’elles s’adressent à un large public de consommateurs. Ce public, il est en
Allemagne, en France, au Royaume-Uni ; il est moins nombreux en Irlande ou
dans les autres États plus faiblement peuplés.
Aussi, cette taxe rétablirait l’équité entre les États sièges de ces
plateformes Internet et les États de résidence des consommateurs, dont les
comportements sont orientés par les publicités diffusées sur ces sites.
Deuxièmement, cette taxe permettrait d’établir un traitement
équitable entre les différents supports de publicité, à savoir la publicité
audiovisuelle, la publicité radiophonique et la publicité dans la presse écrite
traditionnelle. En effet, la publicité à la télévision étant assujettie à des taxes,
le maintien du statu quo aurait pour conséquence d’entretenir une vraie
distorsion de concurrence au bénéfice des plateformes établies dans les pays à
fiscalité très basse.
Troisièmement, nous avons voulu respecter le droit communautaire.
Pour ce faire, nous avons recherché différentes formules.
L’année dernière, nous avions évoqué la taxation des hébergeurs,
mais celle-ci ne s’est pas révélée efficace et elle a été critiquée à juste titre.
En définitive, nous avons considéré que la bonne formule consistait à
prélever une faible taxe sur l’annonceur, établi en France, de services de
publicité en ligne. Cette taxe serait assise sur le montant, hors taxe sur la
valeur ajoutée, des sommes versées et ne concernerait que les transactions
électroniques business to business, dites « B2B », c’est-à-dire les transactions
effectuées entre entreprises. Elle serait acquittée dans les mêmes conditions
que la taxe sur la valeur ajoutée. De la sorte, l’administration fiscale serait
compétente pour assurer le contrôle du dispositif dans la mesure où le
redevable de la taxe serait établi en France.
D’après les estimations en notre possession, le produit de cette taxe se
situerait entre 10 millions et 20 millions d’euros si l’on appliquait un taux de
1 % sur les transactions réalisées, ainsi que nous le proposons.
L’enjeu est économique : il s’agit de rétablir la neutralité du marché
publicitaire. C’est aussi un enjeu d’équité, car la neutralité fiscale est une
- 119 -
national ; seules les entreprises françaises, celles qui n’ont pas la possibilité de
s’installer hors de France, celles dont le chiffre d’affaires est loin d’atteindre
celui des centrales d’achat – c’est ce qui se passe dans la publicité –, resteront
sur le territoire national.
Qui paiera, en réalité, cette taxe ? Ce sera le consommateur, parce
qu’elle sera répercutée, à un moment ou à un autre, sur le prix du produit.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - C’est
toujours le consommateur qui paie !
M. Philippe Dominati. - Le Gouvernement britannique, malgré le
plan de rigueur sans précédent qu’il a engagé pour rétablir l’équilibre de ses
comptes publics, a pour projet de faire passer de 7 % à environ 10 % du
produit intérieur brut la part du commerce par Internet.
Cette taxe, dont on sait très bien qu’elle sera finalement supportée par
le consommateur ou par les petites entreprises, serait un bien mauvais signe
adressé au commerce par Internet, lequel est appelé à se développer à l’avenir.
Il ne faudrait pas qu’elle entrave la compétitivité des entreprises du secteur.
Je comprends et partage le souci exprimé par M. le rapporteur général
de traiter sur un pied d’égalité les supports publicitaires traditionnels et les
nouveaux supports, mais je considère qu’il serait inopportun que notre pays
soit le seul à mettre en place cette taxation ; en l’espèce, une approche
européenne est nécessaire. Le raisonnement qui vaut pour la taxe Tobin, qu’a
évoquée voilà quelques instants notre collègue Jean Desessard, vaut aussi pour
cette taxe.
M. Guy Fischer, président. - Le sous-amendement n° I-459,
présenté par M. Jégou, est ainsi libellé :
Alinéa 6 de l’amendement n° I-10
Rédiger ainsi cet alinéa :
« II. - Cette taxe est due par tout preneur, établi en France, de services
de publicité en ligne pour une somme supérieure à 3 000 euros par an. Cette
taxe est assise sur le montant, hors taxe sur la valeur ajoutée, des sommes
versées. »
La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. - Nous souscrivons sans réserve à
l’amendement de la commission ; néanmoins, il nous semble qu’une taxation
des services de publicité en ligne pénaliserait notamment les PME et les TPE
françaises, qui ont recours à Internet pour rendre plus visibles leurs produits et
leurs services et, ainsi, gagner en compétitivité. Elle leur imposerait en outre
des démarches administratives supplémentaires.
Parce que cette taxation freinerait leur développement, nous
souhaitons, à travers cet amendement, en exonérer les petites entreprises de
nos territoires de manière à préserver leur compétitivité. À cette fin, nous
- 121 -
Le vœu de la commission des finances est en effet que cette piste soit
explorée, en concertation avec les professionnels du secteur, en liaison avec
les instances communautaires et en particulier avec l’Allemagne, dont la
situation est semblable à la nôtre.
En caricaturant, on pourrait dire qu’il y a aujourd’hui deux catégories
d’États européens : d’une part les grands États, les plus peuplés, qui
fournissent les consommateurs ; d’autre part, les petits États, qui sont des
plateformes à basse fiscalité, d’où partent les factures adressées aux dits
consommateurs.
Voilà le vrai problème ; nous l’avons abordé hier avec Christine
Lagarde, en nous demandant si la zone euro pouvait survivre quand tous ses
membres se livrent à une concurrence fiscale exacerbée. C’est là un sujet de
fond, stratégique, qu’il nous faut traiter.
La commission souhaite ainsi que chacun de ceux qui le souhaitent
donne son opinion sur le cap vers lequel nous voulons nous diriger. Par la
suite, nous prendrons ensemble les dispositions qui s’imposeront pour que la
réflexion se structure, qu’un groupe de travail se mette en place, qu’une
méthode soit définie et que nous progressions à un rythme raisonnable. Ce
rythme ne doit pas être trop lent car le commerce en ligne gagne chaque jour
des parts de marché, au détriment des circuits de distribution classiques. Le
déséquilibre va augmenter, et avec lui les risques d’une concurrence fiscale
débridée à l’extrême dans l’espace européen.
M. Guy Fischer, président. - La parole est à Mme Catherine
Procaccia, pour explication de vote.
Mme Catherine Procaccia. - Je tiens à remercier Philippe Marini de
laisser toutes les sensibilités s’exprimer. Son exposé comme celui de
M. le ministre ont apaisé mes inquiétudes.
À la lecture de l’amendement de la commission, je m’étais en effet
demandé si le Sénat voulait donner l’image d’une institution opposée à la
modernité, à Internet et au commerce en ligne. Après avoir taxé la publicité et
avant d’évoquer le cas de la télévision mobile, nous sommes en train
maintenant de discuter du commerce sur Internet. Comme cela a été dit, ce
dernier est voué à gagner des parts de marché. J’espère toutefois que le Sénat
– et en particulier la commission des finances, que je connais bien – ne
s’opposera pas à cette nouvelle forme de commerce, adaptée aux réalités du
XXIe siècle.
Ce qui m’a le plus inquiétée, monsieur le rapporteur général, c’est le
système que vous proposiez de mettre en place, dans lequel les acheteurs
auraient été taxés, et non pas ceux qui ont délocalisé les plateformes d’achat.
Un moyen très simple de détourner une telle taxation aurait en effet été de
faire son choix sur Internet, puis de passer commande par fax ou par courrier !
Le système proposé par cet amendement serait alors tombé en totale
- 131 -
désuétude, et l’on serait revenu à des pratiques d’il y a dix ans, quand les
confirmations de commande étaient envoyées par écrit.
Ma deuxième inquiétude, que la commission lèvera probablement,
concerne les collectivités locales, qui traitent de plus en plus souvent leurs
commandes et leurs appels d’offres via Internet. Il ne faudrait pas que ces
opérations soient concernées par le nouveau système, sans quoi nous
pénaliserions nos collectivités !
Enfin, il serait très simple pour les entreprises disposant de filiales à
l’étranger de demander à celles-ci de passer commande à leur place,
s’exemptant ainsi de la taxation française. Je pense donc que, tel qu’il a pour
l’instant été esquissé afin d’ouvrir la réflexion, le système proposé par la
commission ne gênerait que les PME et n’atteindrait absolument pas les
objectifs qu’il entend viser.
Je suis donc rassurée d’entendre que l’amendement de la commission,
que je n’aurais pas voté en l’état, ne vise qu’à ouvrir une réflexion.
M. Guy Fischer, président. - La parole est à M. Jean Louis Masson,
pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. - Cet amendement me semble très pertinent.
Il n’y a pas de raison, à moins qu’un lobby particulier ne prenne la défense de
la vente sur Internet, que les transactions en ligne ne soient pas taxées.
Rétablir l’équité dans la participation aux charges publiques est un
élément fondamental de justice. La personne qui a un magasin paie des impôts
de tous les côtés et celle qui vend sur Internet n’en paie quasiment pas.
Je regrette vivement que l’on reporte cette mesure nécessaire, comme
cela arrive chaque fois que sont avancées des propositions potentiellement
intéressantes.
Nous sommes confrontés, comme les Irlandais, à un problème de
déficit budgétaire. Si nous ne voulons pas connaître la même situation qu’eux,
il nous faudra à un moment donné renoncer à cette politique de non-
fiscalisation.
Les Irlandais ne veulent faire payer ni les uns ni les autres,
moyennant quoi les voisins paient pour eux ! À ce propos, je regrette que la
France ait accepté de s’associer au soutien des Irlandais sans exiger d’eux
qu’ils instaurent une fiscalité sur les entreprises à un taux au moins égal au
taux moyen de la zone euro.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des
finances. - Très bien !
M. Jean Louis Masson. - Ce serait la moindre des choses ! Avant
d’appeler à l’aide ses voisins parce qu’elle n’a plus d’argent, l’Irlande devrait,
comme tous les autres pays, faire payer des impôts à ses concitoyens ainsi
qu’à l’ensemble des entreprises implantées sur son territoire. À défaut, les
Irlandais ne devraient pas s’étonner de ne plus avoir le sou !
- 132 -
place et sur pièces ? Quoi qu’il en soit, permettez-moi de douter quelque peu
de leur efficacité tant le réseau devient complexe et épars.
Nous sommes à la veille de mutations fondamentales. En faisant
transiter l’impôt par les entreprises, qu’elles soient industrielles ou
commerciales, nous prenons le risque d’accélérer toutes les délocalisations. Il
va être temps d’ouvrir un débat sur la question de savoir qui paie l’impôt. Or
je réaffirme devant vous, mes chers collègues, que c’est toujours le citoyen qui
s’acquitte de cette charge.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Eh oui !
M. Jean-Jacques Mirassou. - Sauf certains !
M. Jean-Pierre Sueur. - Et le bouclier fiscal !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. - Ne
vous inquiétez pas ! Nous en parlerons du bouclier fiscal lors de l’examen des
articles de la deuxième partie.
Dans ces conditions, préparons-nous à refonder le pacte républicain
sur un impôt qui sera soit un impôt sur la consommation, soit un impôt sur le
revenu, soit un impôt sur le patrimoine, mais qui dans tous les cas sera
directement assumé par le citoyen et non, comme on le croit, par l’entreprise,
car pas une seule entreprise ne pourrait survivre si elle ne reportait pas sur ses
clients le poids des impôts dont elle doit s’acquitter.
Le débat que suscite cet amendement est donc tout à fait crucial. Nous
devons nous en saisir avec une franche détermination, monsieur le secrétaire
d’État.
M. Guy Fischer, président. - La parole est à M. le secrétaire d’Etat.
M. Georges Tron. - Comme vous, monsieur le président de la
commission de finances, je trouve ce débat tout à fait important. Il est
prospectif dans la mesure où il s’attache à un domaine en évolution, un
domaine qui évolue en raison de la globalisation, en raison de la
transformation des modes de communication.
Nous devons donc mener une réflexion approfondie sur la façon dont
doit évoluer parallèlement la fiscalité qui s’y rapporte, et ce dans un double
objectif de rendement et d’équité. Comme le rapporteur général et le président
de la commission, le Gouvernement est parfaitement convaincu de cette
nécessité.
Cependant, je réitérerai les quelques réserves que j’ai émises tout à
l’heure.
J’apporterai, premièrement, quelques nuances aux propos de
M. Masson. Monsieur le sénateur, on ne peut pas dire qu’aucun n’impôt ne
pèse sur le commerce en ligne. Une TVA s’applique aux ventes effectuées par
le biais d’Internet. La question est de savoir si les contrôles sont effectifs…
- 134 -
Mme Nicole Bricq. - C’est la raison pour laquelle nous nous sommes
opposés à cette mesure, dans la mesure où c’est une hausse d’impôt déguisée !
Par conséquent, ayez un discours cohérent et ne venez pas invoquer
maintenant l’intérêt du consommateur !
J’en viens à mon deuxième point.
J’ai lu dans la presse économique la description du montage d’une
grosse entreprise américaine. Est-il normal qu’une entreprise ait son siège aux
Bermudes – c’est tout un programme –, une filiale en Irlande quasiment
défiscalisée, et que tout un circuit de bénéfices reparte par la Hollande ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des
finances. - Ah ah !
Mme Nicole Bricq. - Tout ça pour ne pas payer d’impôt sur les
sociétés…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des
finances. - 2,4 % !
Mme Nicole Bricq. - Certes, mais c’est quand même extravagant !
Pouvons-nous continuer à accepter ce type de montage au cœur même de
l’Europe ?
M. Didier Guillaume. - Non, impossible !
Mme Nicole Bricq. - Dernière remarque : nous faisons partie de
l’Union européenne et de la zone euro, nous devons donc tenir compte de nos
partenaires. Mais est-ce une raison pour ne pas agir à l’échelon national ?
Chaque fois que nous voulons prendre des mesures, on nous dit qu’il faut
attendre, opérer au niveau européen, se mettre d’accord avec l’Allemagne,
bref, on ne peut jamais rien faire.
J’évoquerai néanmoins un précédent. Le groupe socialiste a voté au
Sénat, lorsque Jacques Chirac était encore Président de la République, la taxe
sur les billets d’avion en faveur de l’aide au développement. Je me souviens
que la majorité avait traîné les pieds. Au départ, la France était le seul pays à
instaurer une telle taxe. Que n’avons-nous entendu ! Nous allions mettre en
péril tous les voyagistes, la compagnie nationale, pourquoi agissions-nous
seuls, etc.
Or nous avons été rejoints, d’abord par quatre-vingts pays ;
aujourd’hui, ils sont plus d’une centaine à payer cette taxe.
M. Jean Arthuis, président de la commission des
finances. - D’ailleurs, on ne sait pas où va cet argent !
Mme Nicole Bricq. - Cet exemple prouve que nous pouvons parfois
défendre un point de vue au niveau national et parvenir à le faire adopter par
nos partenaires.
- 137 -
éviter d’émettre des signaux négatifs, comme l’a souligné Philippe Dominati,
tout en fixant un calendrier et des modalités de travail.
Monsieur le rapporteur général, si vous en êtes d’accord, je vous
propose donc de constituer ce groupe de travail, afin de développer notre
réflexion et de voir si, en fin de compte, nous devons reprendre votre
amendement dans sa forme actuelle ou si nous devons intervenir sous une
autre forme.
M. Guy Fischer, président. - La parole est à M. Jack Ralite, pour
explication de vote.
M. Jack Ralite. - Permettez-moi de faire une petite remarque à ce
point de la discussion.
Empruntant l’expression à un tiers, j’ai l’habitude de dire que nous
avons tous un héritage et que nous devons le défendre, mais que, en même
temps, nous devons nous en défendre. Autrement, nous risquons de connaître
des retards d’avenir et d’être, comme on dit, inaccomplis. Or, comme le disait
René Char, « l’inaccompli bourdonne d’essentiel ».
Mme Marie-Thérèse Hermange. - C’est vrai !
M. Jack Ralite. - A priori, voyant quelqu’un qui avance une
proposition respectueuse de cette philosophie qui m’est très chère, j’éprouve
un intérêt réel.
Lors d’une réunion culturelle qui se tenait à Avignon, le ministre de
la culture, M. Frédéric Mitterrand, disait, dans le même esprit, que, pour
inventer du nouveau, il fallait vraiment qu’acteurs privés et publics apprennent
à travailler ensemble. Il ajoutait même qu’il faudrait une « sorte de
galanterie ».
Avant de débattre d’un sujet aussi important, peut-être faudrait-il que
nous nous donnions le temps de travailler, parce que nous ne disposons pas
tous de l’outillage nécessaire – M. le rapporteur général en détient une partie,
mais c’est son métier ! Nous, nous ne sommes pas complètement outillés pour
réagir immédiatement, nous n’avons pas rencontré tous les intéressés.
Même en se limitant au seul secteur de la culture, on ne peut mesurer
toutes les conséquences de cet amendement. La technologie est-elle une
fatalité ou, puisqu’il s’agit d’une invention humaine, la question n’est-elle pas
plutôt de la civiliser et de la maîtriser ? Voilà une vraie question !
Je suis ennuyé de la façon dont la question est posée et dont le débat
se déroule. Oui, il faut penser à neuf dans une situation neuve, mais on ne peut
le faire qu’au prix d’un travail inouï, parce qu’il est plus difficile de délier que
de relier. Il faut donc envisager des structures où le débat démocratique soit
possible pour faire progresser la réflexion sur ce type de question.
Dans le cas présent, ce dossier est « piloté » par la commission des
finances, mais d’autres commissions, comme celle de la culture, sont
également concernées. En effet, cet amendement touche tout un pan de la
- 141 -
ANNEXE III
COMPTE RENDU DE LA TABLE RONDE SUR LA FISCALITÉ
DU COMMERCE ÉLECTRONIQUE
(MERCREDI 18 MAI 2011)
Je ne nie pas qu’il y ait antinomie entre des groupes qui peuvent
optimiser et des petites et moyennes entreprises, bien sûr, et notre démarche a
le mérite de la faire apparaître. La prise de conscience doit être collective car
on ne peut se satisfaire du statu quo. C’est une affaire d’équité : pourquoi
Internet serait-il épargné par une taxe qui s’applique à la télévision ou aux
journaux gratuits ? Je souligne ici l’intermodalité de la publicité et la nécessité
d’une neutralité de la fiscalité quel que soit le support – nous reviendrons tout
à l’heure sur l’optimisation territoriale.
M. François Momboisse. – C’est le plus important….
M. Jean Arthuis, président. – On peut toujours créer une filiale dont
le chiffre d’affaires sera inférieur au seuil de taxation – à moins que vous ne
taxiez les groupes ?
Mme Maxime Gauthier. – Pas à ce stade.
M. Jean Arthuis, président. – Les mailles du filet sont donc assez
larges…
M. Joël Bourdin. – L’assiette réside dans la relation d’entreprise à
entreprise. S’agit-il bien de business to business (B to B), et non de business to
consumer (B to C) ?
M. Jean Arthuis, président. – Il s’agit bien de business to business,
mais c’est le consommateur qui paye in fine.
M. Philippe Marini, rapporteur général. – La taxe se répercutera
en effet sur le prix.
M. Olivier Esper, directeur des relations institutionnelles de
Google France. – Je vous remercie de m’avoir invité pour la deuxième fois.
Quel chemin parcouru depuis l’an dernier ! Google est un acteur important du
secteur. Nous avons annoncé le 12 mars notre volonté d’une forte présence en
France, où la contribution de Google dépasse le seul champ de la fiscalité pour
stimuler tout l’écosystème.
M. Yoram Elkaïm, directeur juridique de Google Europe du Sud,
Europe de l’Est, Moyen-Orient et Afrique. – Google a décidé de s’implanter
en Europe. Son siège de Dublin rayonne sur l’Europe, le Moyen-Orient et
l’Afrique. Nous aurions pu – Internet le permet en théorie – centraliser notre
activité en un lieu unique mais nous avons fait un autre choix. Nous
employons un millier de salariés en Irlande, dont beaucoup de Français.
L’Europe attire des entreprises innovantes, il faut s’en féliciter. S’agissant de
la structure du groupe, l’administration fiscale a eu l’occasion de se
convaincre qu’il n’y a pas de perte de TVA pour la France.
M. Jean Arthuis, président. – Le B to B est neutre, mais le problème
demeure pour les ventes aux particuliers.
M. Yoram Elkaïm. – Nous voulons rester compétitifs sur un marché
très concurrentiel où les géants d’aujourd’hui peuvent devenir les nains de
demain. L’optimisation fiscale permet d’investir davantage en recherche-
- 149 -
éviter l’engorgement d’un réseau où le trafic double de volume tous les deux
ans. On pourrait instituer un droit de péage. Je suggère de suspendre la mise
en œuvre de la taxe, pour réfléchir très vite à ce péage, dans le cadre du
nouveau conseil national du numérique.
M. Jean Arthuis, président. – M. Gilles Babinet, président de ce
conseil, reviendra sur ce sujet. Pour le moment, parlons de Google et de sa
créativité fiscale, associant le Double Irish au Dutch Sandwich.
M. Philippe Marini, rapporteur général. – Le Double Irish est un
montage d’optimisation fiscale qui combine le droit de la propriété
intellectuelle et la fiscalité. Il est donc principalement utilisé par des
entreprises détenant des brevets dans le domaine pharmaceutique ou les
nouvelles technologies, comme Google, Facebook ou Microsoft.
Le montage est le suivant : la société de droit américain Google US
Inc. concède ses droits de propriété intellectuelle à Google Ireland Holdings,
une société de droit irlandais située aux Bermudes. En contrepartie, celle-ci
verse à Google US Inc. une redevance calculée pour limiter la charge fiscale
aux États-Unis. Il semble qu’en 2006, le fisc américain ait approuvé le
montant de ce prix de transfert.
Le « centre de management effectif » de Google Ireland Holdings
étant situé hors du territoire irlandais, cette société est exemptée d’impôt sur
les bénéfices en Irlande. D’autre part, elle est la société-mère d’une filiale
Google Ireland Ltd., installée à Dublin, qui y emploie 2 000 personnes.
Celle-ci est concessionnaire des droits de propriété intellectuelle détenus par
sa société-mère, en contrepartie d’une redevance avoisinant les 5,4 milliards
de dollars. Google Ireland Ltd. réalise 88 % du chiffre d’affaires non-
américain de Google, soit environ 11 milliards de dollars.
La redevance payée par Google Ireland Ltd. constitue une charge
fiscalement déductible pour cette société. En outre, les redevances liées à
l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle sont totalement exemptées
d’imposition en Irlande lorsqu’elles sont transférées à l’extérieur du pays vers
un Etat membre de l’Union européenne. C’est ici qu’intervient le Dutch
Sandwich, puisqu’une société néerlandaise s’interpose entre les deux sociétés
de droit irlandais : la redevance transite par la Google Netherlands Holdings,
dont c’est la seule fonction.
Au total, 99,8 % des bénéfices réalisés à Dublin seraient ainsi perçus
par Google Ireland Holdings, sise aux Bermudes... où les bénéfices ne sont pas
imposés.
Une difficulté ultime persiste toutefois : les bénéfices rapatriés aux
États-Unis depuis les Bermudes sont imposés au taux ordinaire de 35 %.
L’administration Bush avait appliqué en 2005 une imposition exceptionnelle
de 5 % pour les bénéfices rapatriés de l’étranger ; cette opération avait permis
le retour de 300 milliards de dollars, apportant 15 milliards de recettes
fiscales. Google et d’autres entreprises américaines attendent aujourd’hui une
- 153 -
d’Asie et des services venant des États-Unis. Dans son rapport, Mario Monti
lève un tabou en osant parler de politique industrielle : si l’on veut un marché
ouvert, il ne doit pas être désarmé !
Quelques mois après mon rapport, les constats viennent confirmer
mes observations. Les États-Unis consacrent à leur programme de recherche
numérique 55 milliards de dollars par an ; l’Europe, 22 milliards d’euros. Neuf
des dix plus grandes entreprises qui investissent dans la recherche sont
américaines.
M. Philippe Marini, rapporteur général. – Suivez-vous des dossiers
ou des initiatives particulières dans le cadre de l’emprunt national ?
M. Jean-Michel Hubert. – Sur les 4,5 milliards du grand emprunt,
deux milliards seront consacrés aux opérations d’investissement,
essentiellement sur la fibre optique.
M. Jean Arthuis, président. – Bref, le consommateur pourra plus
facilement passer commande au Luxembourg ! Décidément, la dérogation dont
bénéficie le Luxembourg nous est insupportable ! Nous faisons le constat de la
désindustrialisation de l’Europe et, pour sa part, la France a fait le choix de la
consommation. Nos modèles fiscaux sont-ils un accélérateur de
délocalisation ?
Dans la vente à distance, l’entrepôt peut se situer dans un pays voisin.
La règle veut que l’entreprise qui facture au-delà de 100 000 euros en vente à
distance dans un pays autre est soumise à la TVA dans le pays de destination.
Mais à quel moment ce seuil est-il franchi ? Quel contrôle est exercé ?
Mme Maïté Gabet. – Jusqu’à 100 000 euros, la vente à distance est
imposée à la TVA dans le pays d’origine ; au-delà, à la TVA du pays de
destination.
M. Jean Arthuis, président. – Arrivez-vous à exercer un contrôle ?
Mme Maïté Gabet. – Une société luxembourgeoise qui vend à
distance en France s’immatricule auprès de la Direction des résidents à
l’étranger et des services généraux (DRESG) et y dépose les déclarations de
TVA, en déclarant le chiffre d’affaires réalisé en France. L’administration
fiscale peut soit contrôler la déclaration en France, soit demander à nos
collègues luxembourgeois ou d’ailleurs de vérifier que la société établit
correctement la base d’imposition pour le territoire donné. Le règlement TVA
a été modifié pour distinguer le siège de l’entreprise du lieu où celle-ci doit
payer la TVA. Un État est obligé de diligenter un contrôle fiscal à la demande
d’un autre État. Des contrôles ont déjà eu lieu sur cette base.
M. Jean Arthuis, président. – Voilà un beau sujet de contrôle sur
pièces et sur place pour le Parlement, car, en pratique, les choses ne doivent
pas être aussi simples.
Mme Maïté Gabet. – Je n’ai pas dit qu’elles l’étaient. Il faut que les
vérificateurs parlent anglais, soient formés, se déplacent... Mais ce sont les
- 162 -
ANNEXE IV
EXTRAIT DE LA SÉANCE DU 22 JUIN 2011
LOI N° 2011-900 DU 29 JUILLET 2011 DE FINANCES
RECTIFICATIVE POUR 2011
Encore un pas, donc, et, dans le but d’instaurer une régulation digne
de ce nom, et peut-être aussi de gérer la crise des dettes souveraines, nous
deviendrons bientôt des adeptes du fédéralisme européen…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des
finances. - Certainement pas !
M. Bernard Frimat, président. - Je mets aux voix l’article 7 bis.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le
Sénat, par assis et levé, adopte l’article 7 bis.)
- 175 -
ANNEXE V
Pages
et très haut débit. Chacun sait, parmi les élus, que la demande ne cesse de se
développer. Lorsqu’on a le sentiment, dans un département, d’avoir fait face
aux besoins, ceux-ci se renouvellent aussitôt car on sollicite des flux encore
plus puissants. C’est ce que j’ai pu constater dans mon département. Lorsque
le conseil général dit « tant de communes sont équipées à haut débit », on lui
demande le très haut débit et un très haut débit de plus en plus ambitieux.
Je partage également les préoccupations des opérateurs quant à la
multiplication des taxes qui sont affectées au cinéma, à l’audiovisuel public et
aux droits d’auteur. Comme eux, et comme les professionnels de la publicité et
de la culture, je pense qu’il faut tâcher de définir une nouvelle fiscalité du
numérique qui inclue dans l’assiette des impositions l’essentiel, c’est-à-dire
l’activité des géants mondiaux. Ces entreprises ne devraient plus pouvoir
réaliser des bénéfices dans les pays où la forte demande intérieure s’explique
notamment par la qualité du modèle de protection sociale, sans contribuer
parallèlement au financement de ce modèle sinon, je n’hésite pas à le dire,
nous sommes purement et simplement dans une économie de « traite ». Bien
entendu, avec les technologies d’aujourd’hui, c’est encore plus efficace et plus
lucratif que dans les siècles passés.
J’attends donc du forum des pistes concrètes. Mes collègues et moi-
même - je vois également François Trucy, membre de la commission des
finances, qui a été le rapporteur en charge du projet de loi devenu la loi sur les
jeux en ligne - attendons donc des pistes concrètes, opérationnelles à court
terme, pour rétablir l’équité fiscale entre acteurs nationaux et étrangers. A plus
long terme, la réflexion sur la fiscalité du numérique se poursuivra et le
Parlement devra servir d’aiguillon au débat. Je vois également Joël Bourdin, le
président de notre délégation à la prospective, qui nous incitera à penser
« long terme ». Mais nous devons pouvoir conjuguer les différents horizons
pour effectuer des propositions, assurer une présence dans les débats
financiers et budgétaires et, dans la foulée, sensibiliser nos collègues des pays
où la même problématique existe, rechercher des convergences au plan
communautaire. Tout ceci dans l’intérêt de la croissance, du développement
des transactions et dans le respect de l’équité. Ce sont bien des enjeux vitaux.
Permettez-moi de répéter, en conclusion, que le développement du
commerce électronique est véritablement un thème transversal. C’est un sujet
de société qui doit, je l’espère, transcender les clivages politiques et contribuer
à l’équilibre des finances publiques. On doit pouvoir y parvenir. Si l’on n’y
parvenait pas, cela questionnerait très sérieusement nos institutions. Mesdames
et messieurs, je vais à présent passer la parole au maître d’œuvre de cette
rencontre, Pascal Perez, pour le lancement de la première table ronde. Merci
de votre attention.
- 181 -
s’exposer sur un sujet très médiatique, et les journalistes et les associations qui
ont relayé cette idée, sans oublier notre équipe du cabinet « Formules
économiques locales ».
Nous allons commencer par une première table ronde au cours de
laquelle l’objectif va être de partager, dans un premier temps, les réflexions du
cabinet Arthur D Little qui a mené une étude sur les acteurs du numérique.
Est-il possible de parler de fiscalité numérique sans redéfinir ce qu’est
l’économie numérique ? Nous entendrons également Pierre Louette, président
de la FFT et secrétaire général du groupe France-Télécom Orange, qui nous
exposera le point de vue de son entreprise sur les acteurs de l’économie
numérique tels qu’ils auront été présentés. Puis nous aurons un débat avec
Gilles Le Blanc, professeur d’économie à Mines Paris Tech, sur la croissance
et la fiscalité dans le secteur des nouvelles technologies. Ignacio Garcia Alvez,
directeur du cabinet Arthur D Little, va nous faire partager les conclusions de
son étude.
M. Ignacio Garcia Alves, directeur du cabinet Arthur D Little. –
Mesdames, Messieurs, c’est un honneur de pouvoir vous présenter, en ces
lieux, l’étude que nous avons réalisée pour mettre en perspective l’économie
des télécoms en France. Lorsque la Fédération française des télécoms nous a
sollicités, nous avons tout de suite accepté pour deux raisons. La première,
c’est que nous étions convaincus que dans la cacophonie actuelle, en ce qui
concerne la contribution des télécoms en France, il était intéressant de mettre
un peu de rigueur dans l’analyse. La deuxième raison était que ce secteur des
télécoms se trouve devant toute une série de défis majeurs et qu’il est
important de les mettre en perspective. Je ne vais pas commenter tous les
chiffres mais vous allez voir que les enjeux sont nombreux. Tout d’abord les
emplois, 300 000 emplois dépendent de ce secteur. Les investissements
atteignent 6 milliards d’euros. Enfin, la fiscalité est importante, et comprend
ce qu’on appelle la surfiscalité propre aux télécoms. Outre la TVA et l’impôt
sur les sociétés, cette fiscalité spécifique représente 1,2 milliard d’euros.
L’investissement nécessaire dans ce secteur, pour les quinze
prochaines années, sera d’environ 100 milliards d’euros. Mais ce secteur peut
contribuer positivement, par exemple, à créer de l’emploi. Les études qui ont
été menées sur l’impact du très très haut débit font estimer que cet
investissement pourrait engendrer à peu près 100 000 emplois. Il peut
contribuer, en matière de développement durable, à réduire les émissions de
gaz à effet de serre. Il peut encore contribuer à l’attrait des investissements
directs étrangers et puis aussi à essayer de connecter toute une nouvelle
économie qui concerne « l’Internet des objets ». Environ 300 millions d’objets
pourraient être connectés.
Tout d’abord, les télécoms sont devenues un critère majeur pour les
investissements directs étrangers. Quand on demande aux chefs d’entreprises
étrangers de quelle façon ils évaluent un pays pour y investir, - et notamment
la France -, le premier critère, ce sont les infrastructures de communication,
avant le transport, la logistique, et même avant la taille du marché. Ce qui est
- 183 -
qui investit en France. Le fait qu’il investisse 10 euros par Français et par
mois est un indicateur intéressant. Il y a des clients « mobiles » et des clients
« fixes » mais l’ensemble représente donc 6 milliards d’euros dans les
télécoms. En comparaison avec d’autres réseaux d’infrastructures, ce chiffre
est bien supérieur. On voit également que ce secteur, au fil de ces dernières
années, a continué à investir et à maintenir cette équation d’à peu près 10 % de
l’investissement par rapport au chiffre d’affaires. Mais le secteur n’y arrive
plus. Le besoin en investissement est tellement énorme, que ce soit la fibre
optique ou le très haut débit mobile, que le pourcentage est en train de
diminuer et risque de se réduire encore davantage, notamment du fait que les
revenus des opérateurs ne sont plus en train d’augmenter et risque même de
décroître. Ceci pose une question très difficile : est-il possible de continuer à
augmenter ces investissements alors qu’en même temps, le chiffre d’affaires
diminue ? Près de 100 milliards d’euros sont nécessaires, dont à peu près
40 milliards d’euros pour les nouvelles infrastructures qui n’existent pas
encore. Les opérateurs s’interrogent beaucoup sur la façon d’arbitrer dans
toute cette masse d’investissement. Si on se met un peu en perspective, et je
crois que c’est un peu le débat ,on peut dire que c’est un secteur qui se trouve
à l’intérieur d’un éco-système et qu’il nourrit donc également d’autres
acteurs : des constructeurs qui déploient les réseaux, qui fournissent les
terminaux et les fournisseurs de contenus et services. C’est un éco-système qui
doit être équilibré pour que chacun puisse gagner sa vie et qu’il y ait un
équilibre entre ce qui est investi entre chaque secteur et la fiscalité de chacun
des acteurs. Mais sans cette infrastructure, il est impossible de fournir tous ces
services et de nourrir, également, tous ces constructeurs. Pour entrer dans la
partie de la fiscalité, c’est un secteur qui est mis à contribution à hauteur d’à
peu près 1,2 milliard en 2010. Je crois que c’est même en train d’augmenter en
2011 du fait de nouvelles taxes qui se sont rajoutées. On a un peu l’impression
que les télécoms sont perçues comme une « vache à lait », à laquelle on
rajoute des taxes. On peut en comprendre la raison, mais dans cette équilibre
entre investissements, taxes, réduction des prix, retour aux actionnaires, ça
commence à faire beaucoup. Cette surfiscalité représente à peu près 20 % de
leurs investissements annuels.
Ensuite, c’est un secteur qui est très attaché à la France par son
infrastructure, par ses emplois, par sa fiscalité, et donc il peut moins optimiser
sa fiscalité en allant vers d’autres pays. Quand on compare cela avec d’autres
acteurs qui réussissent à payer moins de 5 % de leurs revenus, il y a une
différence. Il y a également une différence avec les Etats-Unis et on voit que
c’est une différence philosophique. Les Etats-Unis ont voté une loi qui est
« l’Internet Tax Freedom » qui interdit toute taxe spécifique sur l’Internet.
Cela ne veut pas dire qu’Internet ne paie pas de taxe, ils payent leurs taxes
normales, la TVA et l’impôt sur la société. Mais les Etats-Unis ont compris
que le secteur de l’Internet, et également le secteur des télécoms, étaient des
secteurs fondamentaux pour l’économie et donc qu’il fallait les protéger pour
qu’ils puissent se développer. Ils ont compris également que c’était une
infrastructure qui allait créer de la richesse.
- 185 -
d’euros. Ce chiffre d’affaires est encore plus important quand on cumule tout.
Par ailleurs, ce secteur a peut-être mal choisi l’indicateur de grandeur sur la
base duquel il est jugé : l’EBITDA. L’EBITDA est un agrégat assez grossier.
Il s’agit de la différence pure et simple entre un chiffre d’affaires et le coût des
ventes directement imputables. C’est donc un solde assez frustre qui forcément
ressort à des niveaux très élevés. On dit qu’on a 34 % à 35 % d’EBITDA.
Certains comme Free, dans le domaine de l’ADSL, ont 40 % de marge. C’est
également un agrégat qui est pauvre à partir duquel on commence à payer
beaucoup de choses. A partir de ce solde, on va commencer à investir et, vous
l’avez vu dans les chiffres qu’Arthur D Little a présentés, nous investissons
beaucoup. Nous investissons une proportion considérable, environ 14 % du
chiffre d’affaires de chacune des entreprises du secteur. Nous investissons
beaucoup et de façon très utile d’une part pour l’économie du pays et,
également, pour le développement de la connaissance. Des indicateurs ont
montré ce qu’apportait chaque milliard supplémentaire, posé dans le
numérique, au développement de la richesse du pays.
De plus, après avoir investi, dans le cas de France Télécom - et c’est
valable pour d’autres groupes - nous remboursons de la dette. Nous
maintenons un multiple d’EBITDA dans des proportions correctes. Puis nous
commençons à distribuer de l’argent à toute une série de parties prenantes – et
chez France Télécom, elles sont encore plus nombreuses que dans d’autres
groupes-. Tout d’abord l’Etat, qui représente 27 % du capital du groupe, qui
est un actionnaire tout à fait substantiel, tout à fait intéressé à recevoir des
dividendes importants. L’Etat a de multiples besoins, aussi bien
d’interventions que de financements. Donc, nous contribuons au financement
de l’Etat par ces dividendes. Nous devons apporter l’essentiel des revenus du
Fonds stratégique d’investissement (FSI), par exemple. Le FSI investit en de
nombreux endroits, dans des entreprises qui ne font pas remonter de
dividendes. Nous, nous en faisons remonter, c’est ce qui permet d’investir à
droite ou à gauche et puis nous contribuons à l’alimentation des finances
publiques, nous distribuons de l’argent aux actionnaires privés et aux
personnels. Nous menons une activité de distribution.
Cet agrégat n’est donc pas forcément le meilleur. Aujourd’hui, nous
allons chercher de plus en plus à être jugés sur un agrégat qui serait plutôt un
EBITDA moins le CAPEX, c’est-à-dire ce qui reste quand on a produit de la
richesse et quand on a aussi investi.
Deuxième réflexion, France Télécom en contribuant à peu près à
hauteur de 1,4 % au PIB du pays, soit 1,7 % de la formation brute de capital
fixe, est un acteur important de l’investissement. Nous employons en direct, en
France, environ 104 000 personnes. Nous en faisons vivre au moins autant,
peut-être même deux fois plus, en emplois indirects. Nous contribuons au
développement de filières industrielles complètes, comme les équipementiers
de réseaux, d’accès radios type Alcatel par exemple, dans notre pays. Nous
estimons payer au total, TVA comprise, pas loin de quatre milliards d’euros
- 187 -
d’impôts sous toutes les formes. On nous dit souvent : « vous êtes fiscalisés
plus que les autres parce que vous n’êtes pas délocalisables ».
Malgré cela, nous continuons à faire notre travail et France Télécom
continue à recruter, ce qui peut surprendre dans l’environnement économique
actuel mais Stéphane Richard s’y est engagé à son arrivée et cet engagement a
été respecté.
En ce qui concerne la fiscalité, je souhaiterais simplement aborder
trois thèmes qui nous sont chers. Tout d’abord, le thème de la surfiscalité. Puis
je voudrais dire quelques mots de ce qu’on pourrait appeler le coût complet
d’une mesure et ensuite un mot de la reterritorialisation qui est un thème qui
m’est particulièrement cher.
En ce qui concerne la surfiscalité, elle est de 25 % pour les télécoms.
Tout d’abord, on nous avait dit que la taxe professionnelle allait disparaître et
se verrait substituer un nouvel impôt, l’IFER, mais qu’on ne payerait pas plus
d’IFER que de taxe professionnelle. De fait, nous payons plus d’IFER que de
taxe professionnelle.
Ensuite, s’agissant du financement de la télévision publique. C’est
une autre très noble cause. On ne sait pas très bien pourquoi on la finance et
cela a d’ailleurs été jugé illégal au niveau européen, aussi bien en Espagne
qu’en France. Peut-être faudra-t-il un jour que l’Etat rembourse ces montants-
là. Il se verra condamné, tôt ou tard, soit en manquement soit en exécution. A
ce moment-là, il se verra sans doute obligé de créer une nouvelle taxe pour
financer le remboursement du financement de la télévision publique. Donc, on
finance la télévision publique et on finance aussi le compte de soutien aux
industries de programmes (COSIP). Cette année, grâce aux efforts de
l’industrie en général et grâce à la bonne intelligence des parlementaires de ce
pays, on a obtenu, finalement, que ce financement soit quand même plafonné.
Je rappelle qu’à l’origine un accord avait été établi, au terme duquel on
maintenait un taux réduit de TVA sur une partie des abonnements des
opérateurs de télécoms en contrepartie de quoi on allait financer l’industrie des
programmes. Finalement, il n’y a plus de taux réduit de TVA et on a quand
même maintenu le financement. On avait un moment craint que le CNC se
trouve surfinancé mais il a su faire face à cette abondance de liquidités et a su
trouver de quelle façon les dépenser. On parle maintenant de la création d’un
centre national de la musique. J’ai lu qu’il était question de financer aussi un
nouveau centre du livre.
Ceci m’amène à la deuxième réflexion, le coût complet d’une mesure.
En payant autant d’impôts, nous allons nous trouver très vite face à des choix
qui vont être assez simples. Est-il possible de payer tous ces impôts,
contribuer à essayer de résorber un peu la question du chômage dans le pays,
investir dans l’ensemble des territoires, déployer la fibre parce que c’est une
mission d’intérêt général, à laquelle nous sommes attachés, et puis, dans le
même temps, continuer à investir dans la recherche ? C’est un peu compliqué.
- 188 -
numérique et quels sont les mécanismes en jeu pour bien distinguer les
réponses et les champs d’application possibles.
Je crois qu’un certain nombre de confusions demeurent. Donc, je vais
reprendre très rapidement. Il y a deux approches possibles. La première est
celle du lien avec la croissance économique et la seconde, peut-être plus
intuitive, est celle de l’entreprise, de la nouveauté qui a été apportée par le
numérique et de ses conséquences dont on a beaucoup parlé.
L’idée était, en numérisant l’information, de rendre son coût
beaucoup plus faible et de rendre plus faciles des opérations qui sont en réalité
très coûteuses dans notre économie, à savoir : chercher le bon produit,
chercher le bon magasin, comparer les offres. Tout cela entraîne ce qu’on
appelle les coûts de transaction et le numérique a baissé radicalement ce coût.
Il offre donc une efficacité et diminue les barrières à l’entrée. On a vu
effectivement dans le commerce se multiplier des dizaines de milliers de sites.
Pour autant, cette efficacité accrue ne fait pas disparaître des économies
d’échelle qui existent, à proprement parler, dans le matériel des serveurs, dans
les sites, dans le transport et la logistique liés aux volumes et puis surtout dans
le marketing et la publicité. Si bien qu’avec une configuration qui semble très
concurrentielle, on a vu en réalité l’offre se concentrer très rapidement avec
des acteurs traditionnels et des acteurs nouveaux, largement étrangers. Le fait
que nous achetions des biens et des services à l’étranger n’est pas radicalement
nouveau. Ce qui est nouveau c’est, en terme d’entreprise, l’attache physique
qui a lieu avec le territoire. Le commerce international de biens et de services
donne forcément lieu a un enregistrement local, donc à des emplois, donc à un
lieu, donc éventuellement à des taxes sur l’aspect fiscal pour à la fois traiter
les commandes, le paiement, le transport, le service après-vente, la
distribution. Il y a donc un gain, y compris local, économique et fiscal
d’importation de biens et de services. Ça a toujours été le cas.
Ce qui change dans ce commerce électronique vis-à-vis d’acteurs
étrangers, ce sont deux choses de nature très différente. La première, c’est que
l’absence d’attache locale en terme de magasin rend possible l’externalisation
d’une partie des différentes fonctions citées précédemment : le paiement, la
gestion des commandes, la distribution, éventuellement le service après-vente.
Et même toutes les opérations, dans un cas qui reste minoritaire mais qui est
important, celui du bien lui-même numérique, informationnel. Vous avez parlé
en introduction des biens culturels. Aujourd’hui il existe un autre service très
important, qui pèse plus lourd et dont les enjeux sont peut-être moins visibles,
c’est le tourisme. Mais il ne s’agit que d’une feuille d’information puisque
c’est du papier et qu’il n’y a pas de contenu matériel. Cette modification
touche, en ce qui concerne la fiscalité, aux éléments de taxe sur la
consommation véritablement et, éventuellement, des taxes liées à la présence
d’un acteur économique, via des locaux ou autres, sur un territoire.
La deuxième modification, c’est que cette activité étant par essence,
mondiale, on retrouve des stratégies d’optimisation de leur impôt sur les
sociétés Ce qui en soit n’est absolument pas nouveau. Cette optimisation
- 191 -
fiscale existe dès lors qu’on est présent sur différents marchés mondiaux avec
de grandes possibilités de faire bouger les choses. C’est assez classique, on a
des filiales, on fait des transferts intra-groupes, on fait des redevances entre les
différentes filiales. Cela existait bien avant le numérique et ne s’applique pas
qu’aux acteurs étrangers puisque les acteurs français le font très bien
également. Mais le point spécifique que va apporter le numérique, c’est que la
valeur des actifs, c’est-à-dire ce sur quoi les entreprises jouent, ce n’est pas
comme traditionnellement des magasins, des usines, des entrepôts ou autres,
ce sont principalement des logiciels et des brevets attachés aux logiciels. Et ça
c’est par nature quelque chose de très différent. Ce qui change radicalement
c’est l’approche de l’entreprise.
L’autre approche c’est, bien sûr, de considérer l’Etat. On ne voit pas
seulement les contributeurs de fiscalité mais également celui qui les perçoit.
Le décalage entre l’explosion du commerce électronique (+ 20 % par an de
croissance depuis cinq ans) et la croissance globale de notre pays, de son
produit intérieur brut (1,1 % depuis dix ans) semble un véritable mystère.
Toute nouvelle activité dans une économie qui se développe, - ce qui est le cas
du commerce électronique -, va normalement toucher la croissance par
différents biais : la consommation des ménages, l’investissement, lorsque les
acteurs de ces nouvelles activités vont déployer du capital, le commerce
extérieur si on vend à l’étranger et si on le substitue à des importations. Il faut
ajouter également la dernière composante de la croissance qui est la dépense
publique puisque toute nouvelle activité étant fiscalisée, fournit des moyens
qui peuvent être utilisés dans un tout autre domaine par l’Etat.
Or on n’observe rien de tel. Ce développement de l’activité, non
seulement fait échapper une base fiscale, mais surtout n’entraîne pas la
croissance économique de notre pays. On a donc également une perte globale
liée à cette absence d’effet d’entraînement que devrait avoir, historiquement,
toute nouvelle activité, même totalement importée. Et ce point spécifique joue
un rôle très particulier en France parce que notre croissance est massivement,
principalement liée à la consommation. C’est une caractéristique française.
Les trois quarts de la progression de notre PIB, depuis dix ans, sont dus à la
consommation. Plus de la moitié des recettes de l’Etat sont indirectement
tirées de la taxe à la consommation qu’est la TVA. Cette absence de prise du
développement d’une activité via la consommation joue donc chez nous un
rôle très important.
De ce fait, - et je vais publier un « policy paper » sur ce thème dans
les prochaines semaines - les comparaisons internationales classiques menées
sur l’impact du numérique qui regardent l’accumulation du capital et la
production de la productivité montrent que la France, finalement, bénéficie,
certes, d’une dynamisation de son économie via le numérique mais en profite
moins que d’autres pays. Et l’une des explications de cette différence vient,
indépendamment des effets fiscaux, du fait que cela touche principalement la
consommation des ménages. Or, dans le cas du numérique, cette
consommation échappe assez largement à l’ancrage territorial.
- 192 -
publique par incitation, ne se sont pas projetés dans cette nouvelle activité de
croissance que l’on observait quand même partout dans le monde, y compris
aux Etats-Unis qui sont un exemple. Cette question peut aider à réfléchir à des
mesures, y compris fiscales. Elle peut aider à réfléchir à ce que seront notre
croissance et nos ressources de demain.
M. Pascal Perez. – Merci pour cet exposé qui ouvre des perspectives
très concrètes pour le court et le moyen terme et je souhaiterais que nos
participants à la table ronde réagissent à tes propos.
M. Ignacio Garcia Alves. – Par rapport à la question « pourquoi n’a-
t-on pas réussi et pourquoi d’autres ont réussi ?» je pense que la Chine et les
Etats-Unis ont adopté une politique fiscale très efficace sur la partie logicielle.
Ils ont su créer tout l’environnement nécessaire, pour devenir les leaders dans
ce domaine, en ce qui concerne les mécanismes de taxes, d’emplois, de
facilités, tout ce qui concerne la création d’entreprises. L’Europe, elle, n’a pas
vraiment choisi cette bataille et manquait un peu de vision à l’époque, je pense
que c’est l’une des raisons.
M. Pierre Louette. – J’ai été très intéressé par ce que disait Gilles Le
Blanc, notamment sur l’absence d’effet d’entraînement, parce que ça rejoint
un peu le thème de la déterritorialisation. Quelque chose se crée, dont on
profite assez peu. Ce qui est frappant c’est que, dans le domaine de l’Internet
comme dans celui du commerce, il existe différents modèles. Un modèle dans
lequel on échange des bits contre des bits, c’est-à-dire typiquement ce que fait
un Apple avec Itunes. Il s’agit vraiment d’un produit numérique acheté sur un
vecteur numérique, payé de façon numérique. Il y a là quelque chose de
presque pur et parfait dans le développement et le succès et cela nous échappe
totalement.
Ce modèle peut renvoyer de l’argent vers des ayant-droit qui sont
localisés un peu autour de la planète mais c’est quand même un modèle qui se
constitue de façon désincarnée, « désintermédiée » aussi, et déterritorialisée.
C’est en suspens, c’est un peu « gazeux ». Par voie de conséquence, cela n’est
pas inscrit ou très peu, dans la réalité d’un pays.
Concernant le commerce du tourisme, on a aussi une transaction en
ligne, une recherche et puis cela devient quelque chose de physique dans un
pays. La France en bénéficie d’ailleurs énormément mais c’est vrai un peu
partout.
Mais en dehors de cet aspect du commerce, il existe tout de même
quelques exemples de réussite dans le commerce électronique français. Je ne
veux pas citer de noms, mais on a réussi, malgré tout, à obtenir de grands
succès dans le domaine du commerce électronique, alors même que rien n’a
particulièrement été fait en matière d’environnement, de simplification des
procédures, ou de création de zones franches de développement d’opérateurs
de commerce afin de les faire bénéficier de toutes les conditions du succès. Ils
se sont quand même bien développés. On y arrive malgré tout mais c’est
toujours un peu plus compliqué pour les Français.
- 194 -
mêmes pour tous, mais ce sont des différences de traitement entre les acteurs
français et les grands acteurs qui ont été cités, principalement américains. Ces
distorsions sont le résultat de deux éléments.
D’une part, l’absence d’harmonisation communautaire en matière de
taux d’imposition. Vous êtes acteur américain, vous souhaitez vous implanter
en Europe pour proposer une activité de téléchargement à vos clients et vous
avez le choix entre plusieurs Etats européens. Pourquoi iriez-vous vous établir
dans un Etat où vous seriez plus imposé que dans un autre ? C’est finalement
une décision de gestion assez saine de s’implanter là où l’on paie le moins
d’impôt.
D’autre part, l’inadaptation des règles fiscales qui sont très anciennes
et qui ne permettent pas aux Etats de consommation de capter la valeur créée
par les activités du numérique. La marge de manœuvre des gouvernants qui
souhaitent introduire de nouvelles taxes fiscales ou para-fiscales est
extrêmement étroite compte tenu de ce cadre fiscal séculaire qui ne permet pas
d’appréhender complètement les richesses créées par ces activités numériques.
S’agissant du cadre technique, il n’y a que deux principes qui
expliquent ces traitements de faveur. Le cadre fiscal qui s’applique en France
à ces activités numériques date de 1914, c’est la loi sur l’impôt sur le revenu,
et de 1965, c’est le cadre de l’impôt sur les sociétés. On demande donc à une
loi de 1965 d’essayer de capter des richesses du numérique. Il y a donc une
certaine inadaptation de règles qui n’avaient pas du tout anticipé ces
développements informatiques et numériques.
Puis il y a les conventions fiscales et c’est sans doute la pierre
angulaire du système en la matière parce que les activités sont essentiellement
internationales. Les conventions fiscales qui sont pratiquement toutes, - en
tout cas celles de la France -, basées sur le modèle OCDE qui date de 1945 et
qui sont fondées sur le principe d’établissements stables. Cette notion a déjà
été évoquée et c’est effectivement le fondement de la situation que l’on
connaît aujourd’hui.
Enfin, il y a un quatrième pilier fiscal qui est le système de la TVA et
qui date de 1954. On a donc un cadre fiscal qui date des années 50-60 et on
essaie de le solliciter pour qu’il capte des créations de valeur qui sont des
activités quelque peu « gazeuses » comme le disait tout à l’heure
Monsieur Louette et qu’on a du mal à capter. Sachant que tous ces systèmes
fiscaux sont basés sur un critère physique, une activité physique, de magasin.
Il existe donc deux grands principes qui font qu’aujourd’hui un grand
nombre de sociétés sont établies au Luxembourg ou en Irlande. Premièrement,
un principe basé sur les conventions fiscales, selon lequel un Etat, tel la
France, ne peut taxer en France que les sociétés étrangères qui ont, sur son
territoire, un établissement stable.
Lorsque vous téléchargez des fichiers depuis les sites de Google ou
Amazon, vous téléchargez auprès d’une société irlandaise ou
- 201 -
Etats qui conduit, dès lors que le taux de TVA n’est pas harmonisé au sein de
l’Union européenne, à s’implanter dans un Etat où le taux de TVA est le plus
bas.
Et de ce fait, quand on tient un discours qui consiste à jeter l’opprobre
sur les acteurs, on se trompe de cible. Ce sont plutôt les Etats qui pratiquent du
dumping fiscal qui devraient être visés par ces mesures. Les résultats seront
sûrement meilleurs si on met en œuvre une discussion collective, comme cela
a été fait en matière de TVA, permettant de modifier les fondements du
système, plutôt que de créer de petits impôts qui finalement ont très peu de
portée, sont très sectoriels et rapportent, comme la « taxe Google »,
20 millions d’euros, ce qui représente vraiment un petit impôt.
Voilà donc les deux grands principes, établissement stable et TVA. Je
ferai un bref rappel des discussions antérieures sur la fiscalité du numérique.
C’est amusant de voir ce débat ressurgir aujourd’hui. Il n’est pas nouveau, il y
a eu énormément de discussions au début des années 2000. Les travaux de
l’Union européenne, en 1996, avaient prévu d’instaurer ce qu’on appelait une
« bits tax », une taxe sur les octets, qui a vite été abandonnée parce qu’on
taxait des octets sans aucune considération de la valeur des informations
transmises. Vous pouvez avoir une grande photo qui ne vaut rien mais qui
prend beaucoup d’octets et, en comparaison, un petit rapport de recherche
d’une grande valeur potentielle mais pouvant revêtir le format Word. Donc,
taxer les octets échangés n’avait pas grande pertinence puisqu’on ne
considérait pas la valeur sous-jacente des informations échangées.
Puis il y a eu cet important « Internet tax freedom act » de 1998. Les
Etats-Unis ont souhaité privilégier le secteur et se sont interdit d’introduire
toute taxe sur les activités numériques. Ensuite, de 2000 à 2003, l’OCDE a fait
un important travail pour essayer d’adapter les règles des conventions fiscales
à ce nouveau secteur d’activité.
En 2000, des tas de rapports sont parus sur la manière de modifier les
conventions fiscales pour éventuellement créer un nouveau concept
d’établissement stable afin que les Etats de consommation puissent bénéficier
de l’activité numérique. La conclusion de l’OCDE a été très claire : en
pratique, il est impossible de modifier les règles, on ne peut que les adapter.
Deux conclusions ont été tirées : un site ne constitue pas un établissement
stable et un serveur peut, en revanche, en constituer un.
On constate que pendant dix ans, il n’y a plus eu aucune étude de
doctrine, de gouvernement ou d’Institut international sur ce thème. Depuis
2003, depuis le rapport Ottawa de l’OCDE, il y a eu une sorte de renoncement.
Les Etats se sont dits qu’il n’y avait finalement pas de solution, que mieux
valait essayer de capter ce qui était possible et qu’ils verraient ensuite.
Actuellement, crise oblige, on essaie de ressortir les projets des
tiroirs, sans doute pour construire de nouvelles assiettes fiscales et on voit le
débat se repositionner sur le numérique.
- 203 -
dollars dans les territoires européens, avec une vision qui consistait à
interconnecter toutes les métropoles européennes. A ce titre, nous avons
déployé de la fibre, des data centers et nous avons profondément investi.
L’inconvénient, c’est que les plus grands acteurs de l’Internet sont aussi mes
clients. Je me trouve entre le marteau et l’enclume.
Ceci dit, je voyage beaucoup et je regarde ce qui se passe dans les
différents pays, notamment autour du « cloud ». J’observe les différentes
législations qui sont en train de se mettre en place que ce soit en Angleterre,
en Irlande, au Luxembourg, en France, (je suis aussi PDG de la filiale
française) et dans d’autres pays de type plus exotique.
Pour en venir au « cloud », c’est quelque chose qui est en train de
révolutionner à nouveau le monde de l’Internet et de l’informatique. C’est la
possibilité, pour une entreprise ou un particulier, de louer, tout simplement,
des ressources (un logiciel, des ressources serveurs, des données) à sa
convenance, où que soit localisée cette ressource. Et ça c’est relativement
important. L’ancêtre du « cloud », c’est l’électricité. Il y a quelque temps,
chacun construisait sa centrale électrique. On va bientôt louer. Le particulier
entrera dans une pièce, appuiera sur un bouton et il y aura de la puissance
numérique.
Pour revenir au « cloud », le « container » a permis de délocaliser la
production en Chine. La fibre, il ne faut pas l’oublier, a permis de délocaliser
les services. On pense à l’Inde mais la fibre a permis de délocaliser beaucoup
de services, à Londres aussi. La Bourse française est partie grâce ou à cause de
la fibre. Il faut donc bien penser, lorsqu’on déploie de la fibre, que c’est un
accélérateur de tendance dans un sens mais dans l’autre aussi. Le « cloud »
n’est ni plus ni moins que la délocalisation de la consommation. Cela veut dire
que, de plus en plus, la consommation va pouvoir technologiquement se
localiser à l’endroit le plus efficace pour elle. Et je rebondis aussi sur ce que
M. Le Blanc a dit puisqu’effectivement, la France subit de plein fouet cet
effet-là du fait de son orientation à la consommation.
Je vais essayer d’être beaucoup plus pragmatique et de vous donner
des exemples que j’observe tous les jours, soit transporter par nos réseaux, soit
naître dans nos « data centers ». On a vu naître « Meetic », entre autre, et à ce
sujet, je pense que l’industrie du numérique française, contrairement à ce qui a
été dit, est extrêmement performante par rapport à d’autres pays. On a des
acteurs du numérique qui ne sont pas puissants à hauteur d’un Facebook ou
d’un Amazon mais en comparaison de l’Angleterre, de l’Allemagne ou de
l’Italie, nous n’avons pas à rougir et la plupart du temps, cela s’est fait malgré
les pouvoirs publics ou malgré la fiscalité. Meetic est une vraie réussite
française.
Je pense qu’on pourra parler aussi, plus tard, des jeux sur Internet
puisqu’il y a quelques PME françaises qui ont participé à l’élaboration de ces
plate-formes-là dans le cadre de la nouvelle loi. Je vais vous donner deux
exemples. Je vais prendre un exemple sur les particuliers pour vous montrer
- 205 -
social, ont toujours fait l’objet d’une régulation très singulière partout en
Europe et en France.
Cette régulation a d’abord été strictement quantitative. C’est un
principe d’interdiction des jeux d’argent et de hasard. Puis, cette régulation
quantitative s’est assouplie, avec un principe d’interdiction sauf exceptions
limitativement énumérées par le législateur. En 2010, ces principes de
régulation quantitative ont été confrontés et mis à mal par la réalité de
l’économie numérique. Quand, dans un marché domestique, il existe une
demande réelle de jeux d’argent et de hasard, la régulation quantitative,
l’interdiction, la prohibition ou le monopole peuvent-ils être un outil de
régulation efficace ? La réponse était manifestement non. En France, comme
partout en Europe. Quand cette demande est forte sur le marché domestique, si
en face l’offre est faible, quantitativement et qualitativement, la demande
trouve à se satisfaire auprès d’opérateurs illégaux qui, trop nombreux, peuvent
être très difficilement combattus.
Donc, en mai 2010, le législateur français, - et il n’est pas le seul en
Europe - a substitué à cette régulation quantitative une régulation qualitative et
le marché s’est ouvert. Il s’est ouvert à la concurrence pour générer une offre
légale, attractive, transparente et contrôlée. Et d’une certaine façon, et c’est
assez singulier, l’ouverture à la concurrence n’a pas été une finalité de
l’ouverture mais un instrument de régulation de ce secteur économique très
particulier. Depuis cette ouverture, la demande sur le marché français a très
majoritairement basculé de l’illégal vers le légal.
En 2009, l’offre sur Internet de jeux d’argent et de hasard, dans les
secteurs des paris sportifs, du poker et des paris hippiques qui sont traités par
la loi de mai 2010, représentait un peu moins de 650 millions d’euros de
mises. En 2011, dans le cadre de ce nouveau marché régulé, cette offre légale,
transparente, contrôlée, et fiscalisée dans les conditions qu’on va évoquer dans
un instant, a représenté 10 milliards d’euros de mises. 650 millions avant mai
2010, annuels, 10 milliards en 2011.
Aujourd’hui, 46 agréments ont été délivrés à 34 opérateurs. Chaque
opérateur doit être agréé préalablement pour prester en France. Ces opérateurs
n’ont pas à être établis fiscalement en France. Ils ne sont pas non plus dans
l’obligation de localiser leurs serveurs informatiques, leurs plateformes
informatiques en France pour prester. Ils doivent être établis fiscalement dans
un pays de l’Union européenne ou dans un pays de l’espace économique qui a
passé avec la France un traité de coopération fiscale.
Dix milliards d’euros d’assiette imposable, puisque l’assiette qui a été
retenue est l’assiette des mises, et un demi milliard d’euros de recettes fiscales
en 2011. Un peu moins de cent millions d’euros s’agissant des paris sportifs.
Les prélèvements obligatoires représentent 9,3 % des mises ; 215 millions
d’euros pour les paris hippiques. Les prélèvements obligatoires représentent
14,4 % et 154 millions d’euros de recettes fiscales pour le poker, le
- 209 -
naturellement, passe de l’illégal vers le légal, avec la sécurité que lui offre la
légalité.
Alors la boucle, d’une certaine façon, est bouclée. Et se pose
évidemment, à la lumière de l’expérience, la question de l’attractivité eu égard
aux choix fiscaux. Et il faut donc toujours interroger l’assiette et les taux pour
savoir si le curseur a été placé au bon endroit. L’autorité de régulation s’est
déjà exprimée sur cette question fiscale en estimant que l’assiette était
probablement économiquement difficilement justifiable. L’assiette qui a été
choisie repose sur les mises. La logique économique d’un opérateur, c’est son
produit brut des jeux (PBJ), c’est-à-dire les mises moins les gains. Mais alors,
puisqu’il n’y a pas d’établissement fiscal en France, se pose la question de la
capacité à recouvrer un impôt qui serait assis sur le PBJ et non sur les mises.
Et donc on a un problème de norme OCDE qui doit être réglé, soit parce qu’on
éclaircit cette question des normes OCDE qui visent à éviter les doubles
impositions, soit parce qu’on règle le problème avec des conventions fiscales
bilatérales, donc un problème d’assiette.
Aujourd’hui, les mises, demain, peut-être, si le problème juridique est
réglé, le PBJ et puis un problème de taux : quand on applique au PBJ le taux
qui est aujourd’hui appliqué aux mises, on s’aperçoit que ces taux
d’imposition sont extrêmement variables d’un secteur à l’autre. Cela
représente 35 % du PBJ pour le poker, 50 % du PBJ pour les paris sportifs et
près de 60 % du PBJ pour les paris hippiques. Or, pour les paris sportifs, je ne
rentre pas dans le détail des jeux, ce sont des paris à cote fixe, c’est-à-dire que
l’assiette du produit brut des jeux peut produire une double peine. Vous
pouvez avoir une assiette très importante mais un PBJ négatif si les joueurs
sont plus malins que vos coteurs. Donc vous payez beaucoup d’impôts alors
que votre activité est déficitaire.
Voilà les éléments de témoignage que je pouvais apporter du point de
vue de l’autorité de régulation des jeux en ligne. Encore une fois, je pense
qu’il y a des éléments reproductibles, ou en tout cas qui peuvent faire l’objet
d’interrogations quant on réfléchit à une fiscalisation du numérique, et puis il
y a des dispositions d’encadrement qui tiennent compte de l’activité très
particulière, pour des raisons d’ordre public et d’ordre social, que sont les jeux
d’argent et de hasard, même sur Internet.
M. Pascal Perez. – J’ai deux questions à vous poser. La première,
c’est comment les opérateurs étrangers se sont-ils comportés lorsqu’ils ont vu
arriver une régulation et une réglementation des jeux en ligne en France ?
Avez-vous dû utiliser la procédure qui consiste à faire bloquer des sites situés
à l’étranger ?
M. Jean-François Vilotte. – Je ne partage pas l’avis selon lequel
aucun acteur du numérique n’a intentionnellement des activités délictuelles. Je
pense que beaucoup d’acteurs du numérique ne sont pas seulement dans une
recherche d’optimisation fiscale mais franchement dans des postures
intentionnelles de contournement des lois nationales.
- 211 -
domaine sociétal en tout cas. Nous ne sommes, à mon sens, qu’au début de la
réflexion, que ce soit au niveau des élus locaux ou au niveau national. Et c’est
une réflexion qui est tout à fait passionnante.
Si on distingue la création et l’industrie culturelle, on trouve des
exemples intéressants. L’une des grandes réussites en France est le cinéma,
avec le CNC. Le CNC résulte d’une politique du cinéma, conduite avec
constance depuis de longues années, qui a permis que nous ayons en France à
la fois une capacité de création et une industrie cinématographique qui marche
bien. Mais chacun a participé : l’Etat, le législateur, les acteurs économiques
eux-mêmes, les collectivités territoriales qui ont maintenu un réseau de salles,
etc… Il existe, en France, plusieurs milliers de salles dans des communes de
moins de 10 000 habitants. Il y a donc là quelque chose d’intéressant.
Comment cela s’est-il fait ? Simplement parce qu’il y a eu un système
de taxation de l’industrie cinématographique qui est revenue à la fois vers la
création et vers le soutien au maintien des réseaux.
Et aujourd’hui, en ce qui concerne le numérique, il existe un système
de soutien à l’équipement numérique des salles de cinéma qui fonctionne bien,
avec un financement qui est pratiquement assuré, autour de 80 %, par le CNC
lui-même. Bien que le législateur ait plafonné un peu ses recettes, le CNC
s’est procuré des équipements des salles en matière numérique. Cette politique
du cinéma a permis de conserver cette industrie.
On étudie actuellement la mise en place du même type de projet en ce
qui concerne la musique, éventuellement le spectacle vivant, mais nous ne
sommes pas totalement dans la même logique. Notamment, la question se pose
de savoir comment l’industrie culturelle sur le numérique va ou peut
contribuer à cela. Aujourd’hui, je n’ai pas la réponse mais les élus locaux sont
mobilisés sur cette question.
Il est vrai que les données sont un élément d’attractivité. Nous en
avions énormément dans notre pays et cela constitue un facteur d’attractivité
économique global. C’est d’ailleurs une évolution qui se fait peu à peu.
La culture est désormais considérée comme un élément d’attractivité
touristique et économique. L’industrie numérique a son rôle à jouer dans ce
domaine. Je ne peux pas en dire beaucoup plus parce que ma propre réflexion
est certainement loin d’être aboutie sur la question.
M. Pascal Perez. – Je remercie les participants de cette deuxième
table ronde.
- 218 -
TRIBUNE LIBRE :
BIG BROTHER FISCAL, TAXER EN SACHANT TOUT SUR
TOUS ? QUELS IMPÔTS DANS L’ÉCONOMIE DE LA
CONTRIBUTION ?
mesures techniques sont toujours partielles mais il faut qu’elles soient inscrites
et encapsulées dans une vision d’ensemble.
Le sénateur américain Al Gore avait porté un programme qui
inscrivait déjà en filigranes la protection fiscale, c’est-à-dire le soutien par
l’Etat de cette industrie. Ne pas taxer, c’est subventionner d’une autre
manière. C’est une action qui a été argumentée très fortement par Al Gore et le
parti démocrate à l’époque, disant que la reconquête économique du monde
par les Etats-Unis se ferait par le numérique.
Je connais très bien le sujet parce que, en tant que directeur de l’INA,
j’ai été en charge d’institutions et d’activités économiques et j’ai beaucoup
suivi la politique américaine dans cette matière. Cette politique est pensée très
en profondeur depuis les années 80. Dès la fin des années 80, les Etats-Unis
avaient pris la décision de ne pas aller, par exemple, sur la TV HD en disant,
qu’il fallait faire converger l’informatique avec les télécoms et l’audiovisuel.
Cette politique, qui a maintenant presque 30 ans, l’Europe ne l’a jamais eue.
L’Europe n’a jamais eu ce genre de réflexion et c’est ce qui la met aujourd’hui
dans une situation, extrêmement préoccupante, de déclin.
Par rapport à cela, une approche globale de ces questions doit être une
approche de recapacitation structurelle des territoires. Quand je dis les
territoires, je veux dire les nations, le continent européen lui-même mais aussi
les villes, les régions, les départements. On a beaucoup parlé de
déterritorialisation, mais la numérisation est aussi un processus de
reterritorialisation. Les collectivités territoriales ont des capacités d’action
avec le numérique qu’elles n’avaient absolument pas avec l’analogique. Vous
ne pouvez rien faire au niveau des technologies analogiques quand vous êtes
une ville ou un département parce que les tickets d’entrée sont infiniment trop
élevés. En plus, il y a toute une réglementation de l’accès aux fréquences,
etc… mais vous pouvez faire énormément de choses avec le numérique.
Il y a donc des capacités d’« initiative absolument » formidables.
Encore faut-il qu’il y ait une politique, une « compactibilisation » des
différents niveaux de territorialité et une négociation, à un moment donné, de
synthèse territoriale au niveau de la nation.
Il faut amener dans la table de négociation des politiques ce que
j’appellerais de la synthèse territoriale. Il faut négocier la valeur des
populations. L’économie de la contribution ne fonctionne que dans la mesure
où les gens qui sont destinataires des réseaux numériques ne sont pas des
consommateurs. Ils consomment mais ce n’est pas ce qui fait qu’ils sont des
acteurs du réseau. Ils sont des contributeurs, parfois très peu, et souvent
d’ailleurs sans le savoir.
Sur Facebook, la traçabilité est très souvent masquée, les gens ne s’en
rendent même pas compte. Quand on va sur des services beaucoup plus
évolués, typiquement Wikipédia, c’est de la contribution très volontaire et
même très réfléchie et qui s’organise de plus en plus. Aux Etats-Unis, des
- 222 -
que ceci est tout particulièrement le cas pour le secteur de la culture mais
également pour les médias, quels qu’ils soient, l’audiovisuel comme la presse.
C’est le cas de façon directe par le biais de la désintermédiation
organisée par les grandes plateformes de l’Internet qui facilite l’accès aux
œuvres – et je ne parle même pas de piratage - et également de façon indirecte
avec les nouveaux modèles économiques dont le financement est
majoritairement assuré par la publicité en ligne dont les créateurs de contenus
ne bénéficient pas ou peu. Un intervenant à notre table ronde du 26 janvier a
indiqué que la publicité en ligne représente 500 milliards de dollars, dont
100 milliards alimenteraient des entreprises telles que Google, Yahoo, Msn.
En outre, ces véritables « aspirateurs » de publicité captent une partie des
recettes publicitaires, qui permettent habituellement aux médias traditionnels
de vivre et contribuer au financement de la création mais aussi de la diffusion
de la culture et de l’information.
Je pense notamment à la presse qui n’est pas en bonne santé en ce
moment et qui dépend très fortement des recettes publicitaires. On voit bien
que le secteur souffre de leur contraction sans pour autant que les modèles
économiques en ligne ne permettent pour l’instant de compenser ce manque à
gagner. Et dans une assemblée comme le Sénat qui est très attachée au
pluralisme et aux libertés, c’est une réelle préoccupation de se dire comment
ce secteur va pouvoir survivre, se réformer et muter pour assurer les grands
principes de la démocratie que sont le pluralisme, la diversité et
l’indépendance des médias.
Je pense aussi aux chaînes de télévision qui se partagent en nombre
croissant un gâteau publicitaire dont la taille va tendre forcément à se réduire
au fur et à mesure que les géants de l’Internet le siphonneront. Elles assurent,
on l’a dit ce matin aussi, une majeure partie du financement de la production
cinématographique et audiovisuelle. Aujourd’hui nous entrons dans une
seconde révolution numérique, qui va bouleverser encore plus la donne, je
pense notamment à l’info-nuage, le cloud computing, et bien sûr, la télévision
connectée. A cet égard, l’application de la contribution à l’audiovisuel public,
anciennement appelée redevance, aux ordinateurs ou aux terminaux
informatiques, équipés pour recevoir la télévision dans le cas où on n’a pas un
poste de télévision traditionnel, n’a toujours pas été résolu. J’avais avancé
cette proposition en 2010 dans mon rapport sur les comptes de « France
télévision : « quelle ambition pour la télévision publique ? ».
Cet exemple que je viens de citer montre bien qu’il faut aborder la
question de la fiscalité numérique dans sa globalité. Il faut en définir
clairement les objectifs, puis les différentes modalités : quelles assiettes, quels
taux, au bénéfice de qui ? Et ceci dans un contexte qui évolue très rapidement.
Il ne faut pas attendre la révision des règles européennes de TVA, prévue pour
2015. D’ici 18 mois à 2 ou 3 ans, les plateformes de l’Internet auront eu les
moyens de capter l’essentiel de la valeur ajoutée des secteurs récréatifs et
culturels. Les distorsions fiscales auront donc irréversiblement structuré les
marchés et ceci en partie d’ailleurs grâce à une fiscalité américaine
- 228 -
de service de publicité, n’acquitte pas la TVA. Cette TVA est ce qu’on appelle
auto-liquidée par le client français. On a une entreprise française qui va
déclarer la TVA sur sa déclaration et qui va immédiatement la déduire,
- lorsqu’elle est autorisée à déduire 100 % de la TVA - ce qui est pour la
plupart du temps le cas.
Quand on a regardé l’ensemble de ces taxes et principaux impôts, on
s’est rapidement focalisés sur les autres taxes, les anciennes taxes parafiscales
et notamment les taxes liées à la dépense de publicité. Historiquement, ce sont
des taxes qui ont toujours bien fonctionné. En France, nous possédons une
expérience et un savoir-faire sur la façon d’appréhender les revenus liés à la
publicité. Souvent, c’est en fonction des dépenses et on a vu qu’il existe un
lobbying assez fort, une position qui peut-être entendue d’un point de vue
économique. L’idée aujourd’hui, c’est de reposer le problème en se situant sur
le terrain des « revenus ». Je mettrais ce terme entre guillemets car il y a
vraiment une discussion à avoir au niveau de l’assiette.
Concernant la validité de cette proposition, sur le plan du droit fiscal
interne, c’est relativement simple. Nous ne devrions pas rencontrer d’obstacle
au Sénat pour créer une telle taxe. Sur le plan du droit fiscal international, en
revanche, nous nous heurtons à un obstacle significatif, l’obstacle de la notion
d’impôt sur les bénéfices. Lorsqu’on taxe les revenus, la frontière entre le
terme bénéfices et le terme revenus est relativement minime. On pourrait
finalement classer la taxe sur les revenus de la publicité en ligne dans la taxe
sur les chiffres d’affaires. Dans ce cas-là, les traités, c’est-à-dire, les
conventions fiscales ne s’appliqueraient pas et on ne pourrait pas être limité
par la théorie de l’établissement stable.
Maintenant, il faut savoir qu’on aura forcément des débats. L’idée est
également de réfléchir sur ce sujet-là, peut-être également avec les services du
ministère des finances.
En droit communautaire, de nombreuses taxes ont fait l’objet
d’enquêtes, d’avis, de procédures au niveau de la Commission européenne. Au
sein du Cabinet, nous avons travaillé avec mes confrères spécialistes en droit
communautaire et droit constitutionnel Eric Diamantis et Laurent Batou. Une
solution consisterait à créer une taxe non affectée, liée au budget général et qui
ne serait pas destinée à subventionner telle ou telle industrie ou secteur
d’activités afin de limiter les problématiques d’aides d’Etat.
En droit communautaire, il faut également regarder les problèmes de
liberté d’établissement, de distorsion de concurrence, mais après études, ce
sont des sujets sur lesquels on peut avoir un certain confort. C’est le cas
également au niveau du droit constitutionnel. Le principe à prendre en compte
en droit constitutionnel, c’est le principe d’égalité des contribuables devant
l’impôt et là, on voit que le Conseil constitutionnel, en ce qui concerne la taxe
liée au financement de l’audiovisuel suite à la suppression de la publicité, a
évolué, a fait une interprétation assez large en utilisant un concept de
rationalité, et lorsqu’on est en face de gros contributeurs ou de personnes qui
- 231 -
redistribue ? C’est une question plus interne à notre pays. Voilà quelques
éléments d’appréciation sur ce projet mais je crois que Monsieur a quelque
chose à ajouter.
M. Luc Tran Thang. – Je suis étonné de voir que le problème des
nouvelles pistes fiscales envisageables n’ait pas encore été soulevé. Nous
sommes relativement gênés par les conventions fiscales et par deux
conventions fiscales principalement, celle avec l’Irlande et celle avec le
Luxembourg, qui nous empêchent de taxer les acteurs qui sont en Irlande et au
Luxembourg. A ce sujet, une réponse très simple pourrait être apportée. Elle
consisterait à mettre fin à ces conventions fiscales. La France l’a déjà fait avec
le Danemark. Le Danemark nous a en fait imposé la fin de la convention
fiscale et cela n’a pas du tout gêné les échanges entre la France et le
Danemark. Nous avons des directives communautaires qui permettent une
exonération retenue à la source sur les dividendes, sur les intérêts, sur les
redevances. Nous avons le régime-mère, filiales, etc…
Il existe des directives communautaires qui nous permettent d’assurer
une sorte de neutralité fiscale sur les échanges principaux entre la France et
l’Irlande, la France et le Luxembourg. Nous pourrions très bien nous passer
des conventions fiscales.
Dès lors que nous avons enlevé cette barrière de la convention fiscale,
nous pouvons aménager dans notre propre droit interne d’autres critères de
cycles complets d’activités. Nous pouvons avoir des critères qui permettent de
taxer autre chose qu’un cycle complet d’activités sans avoir cette barrière des
conventions fiscales. Mettre fin à la convention fiscale France-Luxembourg
qui est une vieille convention fiscale datant de 1958 et qui a été peu mise à
jour serait une solution éventuellement envisageable.
- 239 -
de vendre des services, au-delà des frontières, dans tous les Etats membres
sans être gênée. Au niveau européen, on considère que la fantaisie française de
créer un représentant responsable constitue une entrave. Nous avons été
autorisés, à titre exceptionnel pour les jeux en ligne, à être un peu plus rigides.
Si nous voulions mettre en place l’équivalent pour l’Internet et la publicité,
nous n’aurions pas du tout la garantie d’avoir le feu vert de la Commission
européenne. Je passe la parole à Maïté Gabet.
Mme Maïté Gabet, chef du bureau des affaires internationales de
la DGFIP. – Maxime Gauthier a décrit ce que pourrait être une taxe
alternative à une taxe sur la consommation, donc à la TVA, et une taxe sur la
publicité. J’aimerais revenir sur la problématique de l’impôt sur les sociétés.
Vous avez parlé tout à l’heure de quatre grands acteurs majeurs sur l’Internet
qui n’acquitteraient pas correctement leur impôt en France. Je ne pense pas
que ces acteurs majeurs aient un concurrent français.
Il faut éviter d’entrer dans une problématique de détournement de la
concurrence, c’est-à-dire une non taxation de ces acteurs-là, qui représentent
une concurrence déloyale vis-à-vis des acteurs français et communautaires, car
on parle de groupes américains implantés au Luxembourg. Pour ces groupes
américains, nous n’existons pas en tant qu’Etat, seule la zone Europe existe. Et
tous ces acteurs là se comportent en France de la même façon qu’ils se
comportent en Italie, en Espagne, en Grande-Bretagne et en Allemagne.
Face à cela, que dit l’Union européenne ? Il y a une problématique
communautaire à prendre en compte, fondée sur la liberté de circulation des
personnes et des capitaux, principe fondateur, et la liberté d’établissement des
personnes physiques. Si une entreprise américaine décide de s’implanter au
Luxembourg et si elle est vraiment implantée au Luxembourg, les principes
généraux du droit communautaire sont applicables. La France n’a pas a priori
de griefs à faire au regard de la construction communautaire.
En revanche, la problématique de l’établissement stable existe, et elle
n’est pas tout à fait morte. C’est-à-dire que l’administration fiscale française
peut décider, à un moment donné, de considérer que ces géants internationaux
ont un établissement stable en France.
La difficulté que vous évoquez, Monsieur Tabaka, est que, selon
quelques arrêts communautaires, un établissement stable d’une société
étrangère est un établissement qui n’est pas implanté dans un territoire mais
qui y déploie un cycle complet d’activités, une installation fixe d’affaires. En
2000, l’OCDE a travaillé sur la notion d’établissement stable dans le domaine
du commerce électronique. Il en a tiré la conclusion que, si vous avez un
serveur, vous n’avez pas forcément un établissement stable. Mais si vous avez
un serveur avec du personnel autour, vous pouvez avoir un établissement
stable. Je pense que la réponse à cette problématique d’impôt sur les sociétés
devrait d’abord être communautaire et bâtie sur l’angle d’un concept
communautaire qui n’exige pas une innovation terrifiante.
- 248 -
l’autre pays. Il faut donc pouvoir se déplacer dans l’autre pays, y intervenir. Il
faut donc être sûr que si l’on crée une nouvelle taxe, sur la problématique de la
publicité par exemple, cette taxe est couverte par les conventions existantes.
Lorsqu’il y a eu la problématique des jeux en ligne, il a fallu s’assurer que les
jeux en ligne étaient couverts au niveau communautaire.
Et dernier élément, la question du recouvrement des taxes. Pour
recouvrer un impôt dû par une personne qui n’est pas sous votre juridiction,
les moyens de coercition transfrontaliers sont moins forts que les moyens de
coercition frontaliers, nationaux. Ce n’est pas un tableau apocalyptique, c’est
l’état du droit tel qu’il est aujourd’hui avec les difficultés qui sont les nôtres.
M. Gilles Le Blanc, professeur d’économie à Mines Paris Tech. –
Je voudrais réagir sur les notions d’établissement stable. Je suis étonné de
l’attitude de l’administration sur ce type de problématiques même si elles sont
techniques. La notion d’établissement stable telle qu’elle est appréhendée
aujourd’hui par les administrations françaises, mais également étrangères, et
surtout telle qu’elle a été appréhendée au moment où les conventions fiscales
ont été conclues, ne visait pas le problème de la fiscalité du numérique. On
reste dans une définition générale du modèle OCDE, impersonnel mais qui
semble s’éloigner très sensiblement de la notion d’un établissement stable
virtuel.
On n’a pas de cycle commercial complet, on fait généralement
référence à une installation fixe d’affaires. On pense qu’il y a un établissement
stable parce que, par exemple, il y a un serveur, certains éléments d’attaches
territoriales, qui permettent de déterminer si une entreprise étrangère possède
ou non un établissement stable en France ou dans un Etat. Il est donc
extrêmement aisé pour un fournisseur de services quelconque, de livraison de
biens également, de ne pas avoir d’établissement stable en France en n’ayant
tout simplement pas d’installation électronique ou informatique en France. Je
ne pense pas que les commentaires récents du comité fiscal de l’OCDE soient
opposables aux Etats signataires de conventions.
L’administration fiscale pourrait essayer, mais je crains que ce soit
une bataille perdue d’avance. L’idée, c’est de remplacer des outils vieux et
obsolètes par des nouveaux. Concernant le droit européen, je ferai un peu les
mêmes remarques. Créer une nouvelle taxe ne veut pas dire mettre en place un
mécanisme discriminatoire. Cette taxe aurait vocation à s’appliquer à
l’ensemble des acteurs, qu’ils soient établis en France, dans un autre Etat
membre, voire à l’étranger, et, en particulier, en dehors de l’Union
européenne. Et en ce qui concerne la notion de représentant fiscal, on peut
imaginer que les autorités communautaires pourraient considérer que
l’obligation de recours à un représentant fiscal ne serait pas disproportionnée
par rapport au but du législateur, par rapport au système fiscal, par rapport à la
cohérence du système fiscal. Si certaines entraves à la liberté d’exercice sont
proportionnées au but recherché, à la cohérence du système fiscal, on pourra
toujours recourir à ce mécanisme de représentant fiscal.
- 250 -
forum. La richesse des propos qui sont tenus et des débats qui ont lieu
aujourd’hui prouvent que l’on est exactement dans ce que nous essayons de
mobiliser. Depuis déjà des années à la Fédération française des télécoms, nous
encourageons ce combat pour la justice et l’équité fiscale. Pourquoi sommes-
nous sensibilisés, peut-être beaucoup plus que d’autres et depuis plus
longtemps que d’autres sur ce terrain ? Pour des raisons assez simples qui ont
d’ailleurs été dites mais que je vais rappeler très rapidement.
Depuis des années, les opérateurs qui sont à la Fédération française
des télécom investissent régulièrement entre 6 et 7 milliards d’euros par an. Ils
constituent, dans cette chaîne du numérique, et de très loin, les acteurs qui
investissent le plus en France. De ce fait, lorsque ces acteurs sont taxés,
surfiscalisés, - et c’est le cas en France avec un milliard par an de
surfiscalité -, c’est une forme manifeste d’injustice contre laquelle nous
essayons de nous élever.
Cette surfiscalité, si elle était mieux employée, permettrait sans doute
à l’économie nationale de gagner en compétitivité. On pourrait aller plus vite
en développant du numérique sous toutes ses formes et, grâce à toute cette
croissance accrue et cette compétitivité développée, nous pourrions sans doute
voir l’Etat bénéficier, directement, par l’impôt, de revenus et de recettes
supplémentaires. Le premier axe de notre combat, et depuis longtemps, c’est
cette injustice fiscale.
Le deuxième axe, dont on a beaucoup parlé dans cette réunion
aujourd’hui, c’est celui de l’iniquité. Les grands acteurs du Web dont nous
parlons depuis ce matin, qui sont essentiellement anglo-saxons et
nord-américains, sont des acteurs qui interviennent, et maintenant de manière
absolument flagrante, de plus en plus comme des concurrents directs des
opérateurs français. Ce sont des concurrents qui interviennent dans le domaine
de la téléphonie, dans le domaine de la messagerie, dans le domaine de la
transmission de données sous toutes ses formes, dans le domaine de l’accès au
contenu. Ils font le même métier que nous.
Nous sommes donc bien dans une situation concurrentielle,
absolument dissymétrique en termes de règles appliquées aux uns et aux autres
puisque ces acteurs ne souffrent pas de la fiscalité française à laquelle nous
sommes soumis et ne sont évidemment pas soumis à la surfiscalité que les
opérateurs subissent pour un grand nombre d’entre eux. Cette surfiscalité peut
avoir des raisons d’être et nous les acceptons tout à fait. Les opérateurs
français se disent légitimes à contribuer au financement de la culture dès lors
que cela correspond aux activités qu’ils développent grâce à cette culture et à
cette création française. En revanche, ce qu’ils ne tolèrent pas, c’est que les
autres acteurs qui bénéficient également de cette culture française et de cette
création française échappent totalement à cette imposition spécifique à
laquelle ils sont soumis.
Pour reprendre encore vos propos de tout à l’heure, Madame Gabet,
ceux qui travaillent dans le domaine, comme moi, depuis suffisamment
- 253 -
longtemps, ont connu une époque, pas si lointaine, où les principaux acteurs
du search étaient français. Aujourd’hui si Google fait 90 % du search en
France, c’est bien parce que au-delà de la qualité de ses services, il a bénéficié
d’un certain nombre de possibilités qui ont été favorables à son
développement. Tous ces acteurs-là ne sont pas, et loin s’en faut, des ennemis.
Ce sont des partenaires avec lesquels nous souhaitons travailler, mais nous
souhaitons travailler dans un régime de concurrence et de complémentarité
loyal et équitable. Nous voulons qu’il y ait un terrain de jeu qui soit le même
pour tous les acteurs.
Maintenant, quelles sont les propositions que nous faisons depuis très
longtemps ? Il s’agit en fait d’élargir l’assiette fiscale et ceci au bénéfice de
l’ensemble des contributeurs de cette assiette, que ce soit le monde de la
culture, les collectivités locales. Des possibilités ont été évoquées tout à
l’heure, notamment à travers la CVAE, qui laissent un certain nombre
d’opportunités à étudier.
Dans cette refonte de la fiscalité du numérique, nous ne visons pas le
consommateur. Nous ne sommes pas dans une situation où c’est le
consommateur qui est la cible de cette nouvelle fiscalité. Il s’agit bien de
régler un certain nombre de problèmes d’équilibrage de cette fiscalité entre les
différents acteurs de l’Internet au sens large.
Dans ce cadre là, pour élargir l’assiette fiscale, un certain nombre de
principes doivent être respectés. Premièrement, comme cela a été dit par
plusieurs intervenants, il est clair que toute taxe qui serait éventuellement
créée dans ce domaine du numérique, pour éventuellement en remplacer
d’autres, devrait s’appliquer à l’ensemble des acteurs. Pas uniquement aux
grands acteurs américains. Si, par exemple, on crée une taxe dans le domaine
de la publicité, sur les revenus publicitaires, un certain nombre d’acteurs, qui
font d’ailleurs partie de la Fédération française des télécoms, y seraient
éventuellement soumis. Nous sommes dans l’équité.
Deuxième critère auquel doit répondre ce type de taxe ou de fiscalité
du numérique, et cela a été dit également, il faut un principe de seuil. Nous ne
voulons pas, à travers cette nouvelle fiscalité, frapper indument la dynamique
de ce secteur, qui est extrêmement importante, utile à l’ensemble de
l’économie et qui peut concerner l’ensemble des acteurs, qu’ils soient
nationaux ou extraterritoriaux. Il ne s’agit pas de pénaliser l’innovation en
France, de pénaliser les PME ou les entreprises en cours de développement et
en train de prendre leur élan sur ces trajectoires. Il s’agit de travailler sur des
possibilités de paliers, de seuils, en-deçà desquels cette fiscalité ne serait pas
appliquée.
Ensuite, s’il y a lieu de créer une nouvelle taxe, cela doit rentrer dans
un rééquilibrage global de la fiscalité, de sorte que les entreprises qui sont en
France et qui payent déjà l’impôt sur les sociétés, la TVA et un certain nombre
de taxes puissent, grâce à ce rééquilibrage, trouver une juste application de
- 254 -
cette nouvelle fiscalité, qui ne les pénalise pas mais qui s’applique exactement
à ceux qui échappent à la fiscalité de droit commun.
Encore une fois, nous ne visons pas le particulier, il s’agit de régler
des problèmes entre professionnels. Il est nécessaire maintenant, à nos yeux en
tout cas, qu’au-delà des problèmes qui ont été évoqués et qui sans doute,
méritent un travail juridique extrêmement sérieux vers l’Union européenne,
- beaucoup de solutions doivent passer par l’Europe -, de prendre des
initiatives, en France, et de les prendre rapidement. Même si en termes de
recettes fiscales, ces initiatives portent sur une assiette et sur une recette
relativement faibles, elles donneront le ton de cette volonté qu’exprime la
France d’intervenir dans ce débat qui ne doit pas durer trop longtemps, parce
que 2015 ou 2019, dans le monde de l’Internet, c’est infini.
Ceux qui sont autour de cette table ne savent pas ce qu’ils seront, en
termes de développement et de business à l’horizon de 2019. Il s’agit donc de
penser non seulement à la protection de nos emplois mais aussi au
développement de ces emplois et il est extrêmement important que l’on
accélère ces calendriers et qu’on les adapte au rythme de l’Internet. Voilà la
demande que fait la Fédération française des télécoms.
M. Philippe Marini, sénateur, président de la commission des
finances. – Merci, M. le directeur général, de l’avoir exprimée aussi
clairement. Quelques instants d’échanges avec la salle.
M. Gilles Le Blanc, professeur d’économie à Mines Paris Tech. –
Puisque nous arrivons au moment de conclure, il serait temps d’ouvrir un
nouveau « gouffre ». Je suis un peu déçu par ce débat. Il a été dit très
justement ce matin qu’il y avait trois acteurs principaux je laisse de côté les
plus importants qui sont les usagers contributeurs producteurs
consommateurs -, mais dans le business, il y a les fournisseurs de
convergence, ou plus exactement les opérateurs réels du réseau. Il y a les
producteurs de tuyaux et il y a les offreurs de contenus. Pour être plus précis,
les détenteurs de droit de la propriété intellectuelle sur le contenu des tuyaux.
Le problème, puisque nous sommes dans la fiscalité, c’est que l’assiette ne
peut fonctionner que sur les richesses nouvelles.
Concernant les détenteurs de la propriété intellectuelle, il n’y a rien
de nouveau. On connaît cela part cœur, depuis les Traités de Berne, de Paris et
de Madrid. Cela date de plus d’un siècle.
En ce qui concerne les opérateurs fournisseurs de tuyaux, on sait à
peu près ce qu’il en est. En revanche, il existe un vide en ce qui concerne
Amazon, Google, Apple et Facebook. Il faudrait que la puissance publique ait
une discussion avec eux.
Je pense que le problème, ce ne sont plus les outils fiscaux mais le
changement de conception de l’économie et de ce qui représente la richesse.
En ce qui concerne les réseaux, on nous apprend que ce qui compte, c’est le
lien et que les pôles n’ont aucun intérêt. Autrement dit, il ne s’agit pas de
- 255 -
savoir si le lieu d’établissement est virtuel ou non, s’il est à tel endroit ou tel
autre. Il s’agit d’une réalité, qui est le lien, la relation. Chaque fois qu’il y a
un clic, il y a un lien, une relation. C’est ça qui produit de la richesse. C’est un
peu l’objet de ma métaphore de la pollinisation. Ne nous occupons plus de la
cire des abeilles, de la cire des bougies et du miel mais occupons nous de la
pollinisation. Si la pollinisation est la richesse, quel est l’impôt qui peut
frapper cela ? L’unité de mesure c’est le clic. Pourquoi Google est riche,
pourquoi les opérateurs de convergence sont riches ? Parce qu’ils font
travailler gratuitement 13 millions de cliqueurs par seconde. C’est même
19 millions pour Google. C’est pour cela que l’idée d’octroi est importante. Si
on ne touche pas cette unité de mesure qu’est le « clic », on peut discuter à
n’en plus finir parce que, ce qui a été dit, c’est qu’il est très difficile de frapper
les pôles. On ne peut pas les toucher, alors que numériquement, on a les liens.
Occupons-nous des liens ! Là il y a un problème, un obstacle épistémologique
dramatique dont les économistes sont victimes. Ils sont les victimes et les
producteurs de cette illusion qu’est l’idée de penser que la richesse ne se crée
que comme le solde d’un flux. Le flux ne compte pas et la circulation ne crée
pas de richesse. On dit que le flux n’importe pas, que d’ailleurs la TVA est
neutre sur les flux. Et on regarde juste ce qui reste comme solde dans la poche
des gens à la fin. Mais de cette façon, on ne fait contribuer que les acteurs de
la vieille économie et on oublie complètement de faire contribuer les autres.
C’est pour cela qu’en ne touchant pas l’unité de mesure qu’est le « clic », vous
ne frapperez ni Google ni les autres et vous discuterez sur une base qui est
infinitésimale.
M. Philippe Marini, sénateur, président de la commission des
finances. – Monsieur le Professeur, merci de vos remarques. Tout le monde
poursuit le même objectif. Les sujets relatifs à Internet sont tels qu’on se
passionne volontiers. Alors que toutes celles et ceux qui sont en mesure de
prendre leur plume et de rédiger, dans le cadre juridique qui s’applique, des
contributions, veuillent bien le faire ! C’est un appel que je me permets de
lancer.
Nous avons une demande d’intervention au premier rang, peut-être
une deuxième et ensuite, si vous le permettez, il va falloir conclure pour
respecter les engagements de temps pris vis-à-vis des uns et des autres.
M. Michaël Trabbia, directeur des affaires publiques du Groupe
France Télécom Orange. – Juste une remarque. On pourrait s’étonner que des
acteurs industriels proposent, voire suggèrent, une nouvelle taxe. Yves Le
Mouël l’a bien dit, notre souci est de rétablir l’équité fiscale et cela doit se
traduire aussi, finalement, par une baisse des prélèvements sur les acteurs
existants, à due proportion.
M. Philippe Marini, sénateur, président de la commission des
finances. – A due proportion ou non, cela dépend de l’avenir.
M. Michaël Trabbia. – En tout cas, cela ne doit pas se traduire par
une augmentation. Je crois qu’il faut quand même être clair sur ce point. Tout
- 256 -
ceci, évidemment, a un intérêt pour l’Etat, pour les bénéficiaires des recettes,
puisqu’on va redonner une dynamique à cette assiette qui aujourd’hui n’en a
plus. Les acteurs bénéficiaires de taxes affectées ont bénéficié pendant des
années d’une croissance très forte parce que le numérique et les opérateurs se
développaient. Aujourd’hui, depuis 5 ans, il n’y a plus de croissance sur le
secteur et il est même possible que cette croissance devienne négative, en
particulier en France avec la concurrence exacerbée qui se tient aujourd’hui.
L’important, à recette constante, c’est également de retrouver la dynamique de
cette assiette et, pardonnez-moi d’insister sur ce point, ça ne doit pas se
traduire par une augmentation des prélèvements.
M. Philippe Marini, sénateur, président de la commission des
finances. – Votre message est bien passé.
Mme Bénédicte Sander, directeur fiscal des Pages Jaunes. – Je
voulais juste dire qu’effectivement, en France, parmi les régies publicitaires, il
n’y a pas forcément que des PME. Il y a des entreprises qui payent beaucoup
d’impôts sur les sociétés. Il ne faut donc pas les écraser avec une nouvelle
taxe. Et a priori les effets de seuils ne joueront pas pour elles, il faut donc
faire attention à cela.
M. Philippe Marini, sénateur, président de la commission des
finances. – Absolument. Alors y a-t-il d’autres contribuables dans la
salle désireux de payer moins d’impôts ou pas davantage ? Qu’ils veuillent
bien se manifester !
- 257 -
ANNEXE VI
PROPOSITION DE LOI POUR UNE FISCALITÉ NUMÉRIQUE
NEUTRE ET ÉQUITABLE
Article 1er
Le titre II de la première partie du livre Ier du code général des
impôts est complété par un chapitre XXI ainsi rédigé :
« Chapitre XXI
« Fiscalité numérique
« Section I
« Régime d’imposition de certains services fournis par voie
électronique
« Art. 302 bis ZO. – I. – Lorsqu’une personne non établie en France
est redevable de l’un des prélèvements mentionnés aux articles 302 bis ZP,
302 bis ZQ et 1609 sexdecies B, elle est tenue de souscrire une déclaration
dont le modèle est fixé par l’administration. Cette déclaration est déposée,
accompagnée du paiement, dans les conditions fixées en matière de taxe sur le
chiffre d’affaires.
« II. – Cette déclaration est souscrite par le redevable par
l’intermédiaire d’un représentant établi en France, accrédité par
l’administration fiscale, qui s’engage à remplir les formalités lui incombant, à
acquitter les prélèvements à sa place et à tenir un registre des opérations
relevant de ce régime d’imposition à la disposition de l’administration fiscale
de l’Etat membre de consommation. Le registre des opérations est
suffisamment détaillé pour permettre à l’administration de l’Etat membre de
consommation de vérifier l’exactitude de la déclaration des prélèvements
susvisés.
« Lorsque le redevable, qu’il soit établi dans l’Union européenne ou
hors de celle-ci, n’a pas de représentant tel que défini à l’alinéa précédent, il
souscrit cette déclaration, dans les mêmes conditions que celles prévues par le
régime spécial de déclaration de la taxe sur la valeur ajoutée visé à l’article
298 sexdecies F, auprès du service des impôts des entreprises étrangères de la
direction des résidents à l’étranger et des services généraux.
- 262 -
« Section II
« Prélèvements sur certains services fournis par voie électronique
« I. Taxe sur la publicité en ligne.
« Art. 302 bis ZP. – I. – Il est institué une taxe sur la publicité
diffusée en ligne par voie électronique autre que téléphonique, de
radiodiffusion et de télévision.
« Cette taxe est due par les personnes qui assurent la régie des
services de publicité dont l’objet est de promouvoir l’image, les produits ou
les services de l’annonceur.
« On entend par régie toute personne physique ou morale qui fournit à
un annonceur ou une agence des services de publicité diffusés en ligne. La
régie peut fournir cette prestation pour le compte d’un tiers diffuseur ou en
effectuer la diffusion pour son propre compte.
« La taxe est assise sur les sommes, hors commission d’agence et hors
taxe sur la valeur ajoutée, payées par les annonceurs aux régies pour les
services de publicité destinés à être reçus par le public établi en France
métropolitaine et dans les départements d’outre-mer. Sont considérés comme
entrant dans le champ d’application de la taxe les services de publicité en ligne
fournis au moyen de moteurs de recherches, d’affichage de messages
promotionnels, d’affiliation de liens, d’envois de courriels, de comparateurs de
produits et de services en ligne sur téléphonie mobile.
« II. – La taxe est calculée en appliquant un taux de 0,5 % à la
fraction de l’assiette comprise entre 20 millions d’euros et 250 millions
d’euros et de 1 % au-delà.
« III. – Cette taxe est liquidée et acquittée au titre de l’année civile
précédente lors du dépôt de la déclaration, mentionnée au 1 de l’article 287, du
mois de mars ou du premier trimestre de l’année civile.
« IV. – La taxe est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures
et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la
valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les
règles applicables à cette même taxe.
« II. Taxe sur les services de commerce électronique
« Art. 302 bis ZQ.- I.- Il est institué une taxe sur les services de
commerce électronique.
« Pour l’application du présent article, est assimilée à un service de
commerce électronique la vente ou la location de biens ou de services sur
demande individuelle formulée par un procédé de communication électronique
autre que téléphonique.
« Le fait que le prestataire de services et le preneur communiquent
par courrier électronique ne vaut pas présomption que le service soit fourni par
voie électronique.
- 263 -
« II. – Cette taxe est due par les personnes qui vendent ou louent les
biens et services, au titre des opérations mentionnées au I, à toute personne,
établie en France y compris dans les départements d’outre-mer, qui elle-même
n’a pas pour activité la vente ou la location de biens et de services.
« III. – La taxe est assise sur le montant hors taxe sur la valeur
ajoutée du prix acquitté au titre des opérations mentionnées au I.
« La taxe ne s’applique pas lorsque le chiffre d’affaires annuel du
prestataire du service de commerce électronique est inférieur à 460 000 euros.
« IV. – Le taux de la taxe est de 0,25 % de la fraction de l’assiette
mentionnée au III. Le cas échéant, les sommes versées au titre de la présente
taxe sont diminuées du montant acquitté par le redevable de la taxe sur les
surfaces commerciales prévue par l’article 3 de la loi n° 72-657 du 13 juillet
1972 instituant des mesures en faveur de certaines catégories de commerçants
et artisans âgés, dans la limite de 50 % du montant de la présente taxe.
« V. – Cette taxe est liquidée et acquittée au titre de l’année civile
précédente lors du dépôt de la déclaration, mentionnée au 1 de l’article 287 du
présent code, du mois de mars ou du premier trimestre de l’année civile.
« VI. – La taxe est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures
et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la
valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les
règles applicables à cette même taxe.
« VII. – Le produit de la taxe est réparti entre les ensembles
intercommunaux et les communes n’appartenant à aucun groupement à
fiscalité propre, bénéficiaires nets des versements du Fonds national de
péréquation des ressources intercommunales et communales mentionné à
l’article L. 2336-3 du code général des collectivités territoriales, au prorata des
sommes perçues à ce titre l’année précédente. »
Article 2
Le premier alinéa de l’article 1609 sexdecies B du code général des
impôts est ainsi rédigé :
« Il est institué, à compter du 1er juillet 2003, une taxe sur les ventes
et locations de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public établi en
France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer. »
- 264 -
Article 3
Dans les six mois suivant l’entrée en vigueur de la présente loi, le
Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’impact sur les
finances publiques des pratiques d’optimisation fiscale mises en œuvre par
certains acteurs de l’économie numérique basés hors du territoire français en
matière de taxe sur la valeur ajoutée, d’imposition des bénéfices et de toutes
taxations spécifiques.
Le rapport analyse la faisabilité et chiffre l’impact des points
suivants :
1° L’identification de nouvelles assiettes fiscales permettant
d’instaurer une taxation des flux numériques et une contribution assise sur la
valeur ajoutée des entreprises issue de leurs activités numériques sur le
territoire français ;
2° L’extension de la taxation des services de télévision aux nouveaux
acteurs de la télévision connectée et de tous services similaires rendus par des
opérateurs basés à l’étranger à destination du public français ;
3° L’anticipation au 1er janvier 2014, au lieu du 1er janvier 2015, de la
date d’entrée en vigueur de la taxe sur la valeur ajoutée du pays de
consommation applicable aux services électroniques, au sens de la directive
2008/8/CE du Conseil, du 12 février 2008, modifiant la directive 2006/112/CE
en ce qui concerne le lieu des prestations de services, et la réduction de la
durée de la période transitoire ;
4° La redéfinition, aux niveaux européen et international, des règles
d’imposition des bénéfices des entreprises dans le contexte du commerce
électronique.