Miguel Abensour - Le Nouvel Esprit Utopique

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Le Nouvel esprit utopique

Author(s): Miguel Abensour


Source: Le Cahier (Collège international de philosophie), No. 3 (mars 1987), pp. 111-114
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40972414
Accessed: 14-03-2016 02:43 UTC

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Le Nouvel Miguel Abensour
esprit
utopique

Ce séminaire s'est proposé comme une réflexion à la fois philosophique


et historique sur utopie et émancipation dans la modernité. Poser la ques-
tion de l'utopie aujourd'hui (avec pour présupposition le fait que l'utopie
ou le geste utopique appartient à l'économie générale de l'humain), si l'on
veut se tenir aussi bien à l'écart d'un dogmatisme anti-utopique (l'utopie
mènerait nécessairement à des formes de domination totalitaire) que d'un
dogmatisme systématiquement favorable à l'utopie (l'utopie se tiendrait
par une grâce d'état hors de l'expérience totalitaire) implique d'effectuer
une série de déplacements qui permettent d'ouvrir un espace d'auto-
réflexion critique pour l'utopie tel que la pensée de l'utopie intègre à sa
démarche la critique de l'utopie et opère la destruction des mythes qui
la ruinent.
L'idée de Nouvel esprit utopique implique d'abord de s'opposer à tout
discours globalisant sur l'utopie en mettant en valeur la pluralité des
traditions et des expressions utopiques dans la modernité. On peut ainsi
distinguer trois formes : le socialisme utopique, le néo-utopisme, le nouvel
esprit utopique. Ce terme désignerait, en un premier sens, une constellation
particulière d'œuvres utopiques du 19e siècle conquérant leur spécificité
dans et par un changement de forme de l'utopie, irréductibles à ce que
Ton nomme traditionnellement le socialisme utopique - ancien esprit uto-
pique, si l'on veut. Par ailleurs, l'insistance sur cette constellation a pour
effet d'arracher l'histoire de l'utopie à la généalogie du marxisme en mon-
trant, d'une part, qu'il s'agit d'une tradition autonome, de l'autre, qu'il s'agit
d'une forme de pensée ou de pratique qui s'est continuée et développée
au-delà de l'apparition du discours marxien.
Révéler cette tradition dont les noms seraient P. Leroux, Déjacque,
Cœurderoy, Gauny, William Morris, permet d'énoncer autrement la ques-
tion de l'utopie aujourd'hui. En partant du texte de W. Benjamin, 77zèses
sur Vhistoire (1939-1940), et de l'ouvrage de Adorno et Horkheimer, Dia-
lectique de la raison (1947), nous serons en mesure de donner une consis-
tance philosophique à la tradition que nous dégageons. En effet, tant
W. Benjamin que Adorno et Horkheimer, ont eu pour tâche de faire appa-
raître la dialectique de V émancipation, à savoir le mouvement paradoxal,
le retournement par lequel l'émancipation moderne s'est transformée en
son contraire et a donné naissance à de nouvelles formes de domination
et d'oppression. De par cette inversion, la dialectique de l'émancipation

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a introduit à une expérience de la répétition. La question formulée en 1942


étant : « Pourquoi l'humanité, orientée vers l'émancipation, au lieu de s'en-
gager dans des conditions vraiment humaines, retombe-t-elle dans une nou-
velle barbarie ? » La réponse à cette question est à rechercher, selon Adorno
et Horkheimer, non pas dans une causalité externe, l'emprise de mytho-
logies nationalistes, païennes, mais dans le mouvement d'auto-destruction
de la raison sous forme de régression en mythologie. Or, c'est face à cette
dialectique de l'émancipation moderne que le nouvel esprit utopique prend
sens et consistance : il s'agirait d'un type nouveau d'intervention contre
cette dialectique, où l'interprète pourrait distinguer plusieurs moments :
- l'accès à une conscience plus ou moins aiguë de ce retournement de
l'émancipation moderne en son contraire ;
- la volonté de repérer et de nommer les points aveugles du projet de
l'émancipation (par ex. idée de progrès, valorisation acritique du travail,
domination de la nature, image du corps, etc.) à partir desquels s'effectue
et se met en marche ce processus d'inversion de l'émancipation moderne ;
- ces nœuds de l'émancipation ainsi isolés, il s'agirait d'investir ces foyers
aveugles et de procéder à un travail de déconstruction et de critique par
des voies inédites. Bref, désigner de nouveaux objets au travail de l'utopie
ou encore élaborer de nouveaux gestes permettant de penser autrement
l'utopie.
Cette identité du nouvel esprit utopique ainsi redécouverte, il apparaî-
trait possible de nouer dans notre présent un autre rapport à l'utopie qui
ne soit ni un rapport antiquaire, ni un rapport oscillant entre la valorisation
et la dévalorisation. Le Nouvel esprit utopique qui serait la manifestation
dans l'histoire du paradoxe de l'utopie, mieux sa mise en forme, permet-
trait de formuler autrement quelques unes des questions fondamentales
auxquelles engage la réflexion sur l'utopie, utopie et société réconciliée,
utopie et communauté, utopie et système, utopie et séparation... Plus
encore, le Nouvel esprit utopique ne contiendrait-il pas une invite à s'inter-
roger, à travers la tradition et au-delà d'elle, sur les gestes spéculatifs de
nature à ouvrir sur une autre pensée de l'utopie ?
Notre départ ainsi assuré, le travail s'est déployé dans trois directions
principales :

, Les interprètes notent à juste titre une floraison


/. La pensee de de j»utopie au ¡ge siècle, mais ont tendance à pas-
l utopie dans ser sous s¡jence un phénomène contemporain et
la modernité paranèle qui ne fut pas sans effet sur l'expression
de l'utopie socialiste, à savoir, l'existence d'un discours multiple sur l'utopie.
Dans un premier temps, nous nous sommes efforcés de restituer ce

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discours dans ces trois grandes tendances : a) du discours libéral au dis-


cours contre-révolutionnaire ; b) le discours marxien : il s'agit, d'une part,
de reformuler ce discours dans sa complexité et dans son rapport avec
le mouvement jeune-hégélien et de comprendre l'opération exacte qu'a
effectuée la critique marxienne de l'utopie (qui n'est pas seulement une
négation) et, d'autre part, de ramener cette critique à ses justes propor-
tions, à savoir une des positions possibles face à l'utopie, et seulement une
position, en cessant de considérer la pensée de Marx comme le tribunal
suprême devant lequel citer l'utopie ; c) enfin la critique démocratique mal
connue en tant que telle : à travers l'œuvre de Ferrari, de Quinet et de
Michelet, il s'agit de montrer comment au 19e siècle une critique inédite
de l'utopie a pu être énoncée dans une nouvelle perspective, celle de la
logique de la révolution démocratique.

// Le Nouvel esorit NouS aVOnS tenté de Présenter une Première


. . 'Ë forme du nouvel esprit utopique à partir de
hl í osop h' le . • I'œuvre de Pierre Leroux en mettant en valeur
p hl í osop h' le . • successivement les deux versants de sa pensée :
erre eroux. une r¿fjexjon critique sur l'utopie qui, œuvre du
soupçon, s'efforce en même temps de reconnaître la spécificité de l'inter-
vention utopique dans le champ social et la nouveauté de l'utopie socia-
liste cherchant à instituer un nouveau lien social. Puis la reprise du
mouvement utopique et la volonté de le repenser dans le cadre d'une philo-
sophie de l'humanité, en sachant faire accueil à la finitude et soumettre
l'orientation de l'utopie vers l'association à l'hétérogénéité irréductible de
ce que Leroux appelait le « lien humain ». C'est dans cette perspective que
nous avons analysé l'articulation originale que Leroux a proposée entre
utopie, démocratie et religion.

111 1 e N 1 ^ans cette dernière Partie, nous avons


111 Y t 1 e N " °UVet 1 emprunté une tout autre voie, puisque, nous tour-
j Y . t angemen p£ nant vers une utopie « littéraire », les Nouvelles
angemen ^ ^ nulle part, nous nous sommes donné pour
wir amani € morns. m™* ' ^ ^che dinterPréter cette novation utopique à par-
wir amani morns. t¡r du chan^emmt de forme que Winiam Morris
a su imprimer à l'utopie. Après avoir présenté les apories de la critique
morrisienne, nous avons insisté sur la structure duelle de l'utopie de William
Morris (la superposition dans le même texte du modèle de l'utopie classi-
que et la déconstruction du paradigme) et nous avons montré comment,
à l'aide d'une utopie expérimentale fonctionnant comme une œuvre
ouverte, William Morris a tenté de désigner les points aveugles des projets

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d'émancipation sociale qui lui étaient contemporains, et comment il a


exploré les « lignes de fuite » d'une œuvre qui, se mesurant en permanence
à l'épreuve de la répétition, mettrait en scène la différence utopique, une
altérité par rapport à ce qui existe. Pour mener à bien cette interpréta-
tion, nous avons confronté l'œuvre utopique proprement dite, les Nouvel-
les de nulle part aux textes théoriques de William Morris portant sur la
société socialiste, la question du travail, l'art et le socialisme, etc.

Aussi bien la novation technique de William Morris, qui va dans le sens


d'une utopie libertaire et sachant faire l'épreuve de la fragilité, que la reprise
philosophique de Pierre Leroux ne manquent pas, dans leur effectuation
même, d'engendrer de nouvelles questions philosophiques. C'est pourquoi,
en conclusion de ce parcours, je me suis interrogé non pas tant sur les
thèses propres au Nouvel esprit utopique que sur les mouvements géné-
raux de pensée, les gestes spéculatifs susceptibles de donner naissance à
une autre pensée de l'utopie (par exemple, le choix du petit chez Adorno).
Il ne s'agit pas tant de thématiser cette novation utopique ou de lui surim-
poser une grille de lecture philosophique que d'accueillir cette novation
en laissant surgir l'interrogation philosophique dont elle est grosse, en
laissant s'opérer une confrontation entre cette nouvelle utopie et des
questions telles que la question de l'infini, de l'extériorité, l'idée d'huma-
nité, celle de rédemption, etc.
Dans la recherche de cette autre pensée de l'utopie, nous avons tenté
d'instaurer pour finir une communication avec l'œuvre de E. Levinas, qui
porte en elle une incontestable dimension utopique. On pourrait définir
l'intervention de Levinas sur les grandes pensées de l'utopie, M. Buber,
E. Bloch (ce qui est une autre manière pour l'utopie de se continuer en
notre siècle) comme « critique emphatique », et se donnant pour visée de
rechercher comment penser autrement l'utopie. La question serait donc :
sous quelles modalités nouvelles Levinas nous invite-t-il à penser l'utopie
puisqu'il ne s'agit pas, en l'occurrence, de produire des contenus utopi-
ques, mais de s'interroger sur la forme même de la pensée de l'utopie,
de déterminer son élément propre (la rencontre) et les catégories à l'aide
desquelles la penser ? Cette recherche pourrait procéder en trois temps :
le souci de l'utopie - utopie et système, ou l'utopie sous l'emprise de l'onto-
logie ; utopie et désaisissement. En quoi l'énigme de l'utopie a-t-elle à voir
avec ce que Levinas désigne comme « la lumière de l'utopie » ?

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