La Période Axiale

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LA PÉRIODE AXIALE : COMMENT L´EUROPE SE SITUE DANS L´HISTOIRE DE L´HUMANITÉ


23 mars 2012, par Laurin Berresheim

L´Union européenne peut être considérée comme étant le fruit de la reconnaissance d´une identité commune aux pays de l
´Europe. Il s´agirait là non seulement d’une identité constituée par une différenciation par rapport à d´autres identités,
extérieures à l´Europe, mais surtout d´une identité fondée sur des valeurs propres et communes, qui ont guidé la
conscience européenne à travers l´histoire. Pour mieux comprendre la spécificité de ces valeurs, il convient de porter le
regard sur l’origine historique de celles-ci, une époque dévoilée par le philosophe Karl Jaspers, que je souhaite présenter au
lecteur : la période axiale.
La période axiale décrit le plus grand bouleversement qui n’ait jamais eût lieu dans l’histoire de l’humanité. Entre les années
800 et 200 avant J.C. de nombreux évènements et changements extraordinaires se sont accumulés de tout part dans le
monde. La Chine a vu la naissance des philosophies de Mo-Ti, Tschung-Tse et Lie-Tse, tandis qu’en Inde a vécu Buddha et
les Upanischad ont vu le jour. En même temps, Zarathustra enseigna le combat éternel entre le Bien et le Mal dans
l’univers, alors que les prophètes Elias, Jesaias, Jereminas et Deuterogesaias parcoururent la Palestine. C’est durant cette
même époque que sont nées en Grèce les philosophies de Parmenides, Heraklit et Platon, qu’ont vécu Homère, Archimède,
Thucydide, et qu’ont été écrites les premières grandes tragédies.
Toutes ces apparitions ont eut une chose en commun : pour la première fois dans l’histoire, l’homme a découvert sa propre
conscience ; il a découvert que ‘l’Être’ était une chose totale et que rien n’échappait à la pensée ; il s’est rendu compte de la
dichotomie fondamentale entre le monde matériel et le monde de l’esprit. C’est au fil de cette révolution que l’homme a
abandonné le mythe comme moyen d’explication à sa propre existence et qu’il a commencé à se fier à sa propre faculté de
penser pour trouver une explication au monde. De plus, l’ordre social établi n’a plus été accepté comme étant un ordre divin
ou suprême, mais l’homme a découvert qu’il avait la capacité de pouvoir choisir lui-même l’ordre auquel il souhaitait
adhérer. C’est ainsi que Platon découvre et compare dans La République tout ordre social possible pour en déduire le
mieux adapté à la communauté des hommes. C’est ainsi que les philosophes et les scientifiques grecs examinent et
confrontent toutes les visions du monde possibles, afin de dévoiler celle qui représente véritablement la réalité.
Ce bouleversement a coïncidé en trois lieux différents de la planète ; trois peuples ont subis la même évolution
simultanément, sans avoir été conscients l’un de l’autre : la Chine, l’Inde et l’Europe. Je ne veux pas poursuivre plus loin la
question que se pose Jaspers dans son œuvre : comment est-il possible que ce phénomène ait pu coïncidé dans trois
parties du globe à la même époque, alors qu’elles étaient complètement isolées l’une de l’autre ? Ce que je constate dans
l’évolution brièvement décrite ci-dessus - et qui nous intéresse - est que, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité,
l’Europe se démarque comme étant une entité particulière parmi d’autres. Ainsi, nous pouvons nous demander, quelle a été
la spécificité du développement européen par rapport aux autres communautés qui ont connu un essor comparable pendant
cette époque ?
la particularité de l’Europe
Les valeurs et les caractéristiques qui définissent ensembles la spécificité du monde occidental depuis la période axiale
forment un complexe trop large pour être élaboré entièrement ci-dessous. Néanmoins, il vaut la peine d’en évoquer
brièvement quelques unes, qui décrivent très pertinemment à mon avis ce qui fonde l’identité européenne. Tout
d’abord, Jaspers cite dans son œuvre la liberté politique : nulle part ailleurs qu’en Europe le monde n’a connu une notion de
liberté individuelle, telle qu’elle a vu le jour en Grèce antique sous la forme de peuples d’hommes libres et autonomes, unis
face au despotisme de pouvoirs étrangers.
Ensuite, le monde occidental a été profondément marqué par sa conséquente rationalité : l’européen avait une volonté
insatiable d’élaborer chaque pensée en toute sa profondeur, avec toutes ses implications et ses conséquences. Cette
rationalité a été à la base de grands systèmes philosophiques au Moyen Age, tel que la Somme théologique de Thomas
d’Aquin, où chaque pensée est examinée minutieusement dans son rapport avec tout un système métaphysique. Mais on la
trouve également reflétée dans l’art, tel que dans l’architecture gothique des églises médiévales ou les compositions
minutieuses de Bach.
Enfin, malgré tout, la prétention à l’exclusivité, la volonté de pouvoir absolu, liée à une intolérance totale face aux valeurs
étrangères, a aussi fait parti de la spécificité européenne. Les ambitions de l’empire romain à conquérir le monde entier ou
même l’expansion continue de l’Église, qui ont profondément marqués l’histoire de l’Europe, témoignent de cette volonté à
imposer ses propres valeurs dans le monde entier.
Je pense qu’il est fondamental de reconnaître que ces valeurs ont constitué la spécificité de la conscience européenne
depuis la période axiale, si l’on veut comprendre la suite de l’évolution européenne. Aux alentours du XVIe siècle, un second
grand bouleversement a eu lieu dans l’histoire de l’humanité ; celui-ci, en revanche, n’a trouvé son essor uniquement en
Europe. Il s’agit de la découverte des sciences modernes, qui a profondément transformé le rapport de l’humanité à la
réalité. La nouveauté de celles-ci est qu’elles refusent toute sorte de dogmatisme, tel qu’il avait été propagé par l’Église
jusqu’alors. Tout individu doit par le moyen seul de sa propre pensée être capable de participer à la découverte du monde ;
tout en conformité avec la grande devise “cogito ergo sum”.
Par ailleurs, les sciences modernes radicalisent l’interrogation de la réalité : tout phénomène vaut la peine d’être examiné, et
plus rien n’a le droit d’échapper à la connaissance humaine. Ces principes de la science reflètent bien les valeurs qui ont
guidés l’Europe depuis la période axiale, et, pour cette raison, je pense que la période axiale est fondamentale pour
comprendre la particularité de l’Europe. En même temps, ce sont ces même valeurs qui ont de nouveaux porté l’Europe à
vouloir dominer le monde entier par le moyen de la colonisation. C’est ainsi que l’Europe, qui cent ans auparavant aurait
encore été invisible sur le globe terrestre face aux grands empires voisins, l’Inde et la Chine, a commencé à dominer le
globe terrestre. C’est de cette manière finalement que l’Europe a été à l’origine de l’union de l’histoire de l’humanité.
Depuis ce moment où l’Europe a affirmé son identité en propageant ses valeurs dans le monde entier, le monde a encore
beaucoup changé. Désormais, nous n’adhérons plus à l’exclusivité de nos principes. Surtout les horreurs que nous avons
vécu au long du XXe siècle nous ont appris, que la foi au progrès absolu est une illusion qui peut être très dangereuse. Par
ailleurs, il semble que la nouveauté du vingt-et-unième siècle est que même les dernières grandes autorités religieuses vont
s’effondrer au gré de peuples qui cherche l’autodétermination. Ainsi, il peut sembler que le monde se décompose et se
parcelle progressivement. Approchons-nous donc la grande époque nihiliste, annoncé par le philosophe allemand Friedrich
W. Nietzsche, dans laquelle nous aurons abandonné toute valeur supérieure, pour nous résigner à mener notre vie comme
des bêtes qui ne se contentent seulement de l’immédiat ?
À mon avis, l’Union européenne témoigne du contraire : il semble qu’il existe une volonté des êtres humains à s’unir malgré
la pluralisation continuelle de la société et que nous n’avons pas encore tout à fait perdu la foi en l’existence de valeurs
communes. Peut-être l’Union européenne sera justement un premier pas vers l’union de tous les peuples sur terre, afin de
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s’accorder sur de nouvelles valeurs communes, outre de nos valeurs culturelles, religieuses ou ethniques singulière, pour
donner un nouveau sens à notre existence sur cette planète. Il se pose la question : comment l’Union européenne réagira-t-
elle face aux nouveaux défis lancés par le XXIe siècle ? Tiendra-t-elle, par exemple, à son unité, malgré la crise financière
actuelle ?

Vos commentaires

1. Le 23 mars 2012 à 11:25, par Arthur  En réponse à : La période axiale : Comment l´Europe se situe dans l´histoire de l
´humanité
Je ne peux m’empêcher de réagir à certains points de cet article.
« Enfin, malgré tout, la prétention à l’exclusivité, la volonté de pouvoir absolu, liée à une intolérance totale face aux valeurs
étrangères, a aussi fait parti de la spécificité européenne. »
Pour commencer, je ne pense pas que l’intolérance face aux valeurs étrangères soit une spécificité européenne. A ce titre,
la dhimmitude ottomane est un exemple assez éloquent : on qualifie souvent ce principe qui accorde une certaine liberté de
culte aux Juifs et aux Chrétiens résidant dans l’Empire ottoman comme une forme de tolérance, cependant ces individus
restaient considérés comme des infidèles, ils ne pouvaient accéder à l’administration et les railleries, voire les violences, à
leur égard était monnaie courante. Ce n’est pas précisément une forme de tolérance.
Ensuite, pour parler d’intolérance vis-à-vis des valeurs étrangères, il faut qu’il y ait connaissance de ces valeurs.
Précisément, la civilisation occidentale, terme que je trouve plus approprié qu’identité européenne, est la seule qui dans son
histoire ait manifesté un intérêt pour les autres civilisations, qui se soit penché sur les autres modes de représentation et qui
ait établi une anthropologie. Au XVIe siècle en effet, avec les nombreuses missions jésuites qui accompagnent les
explorateurs portugais ou espagnols, mais dès le XIIIe siècle avec les récits d’explorateurs, certes fantasques, comme
Marco Polo qui parle sans jugement de valeur des pratiques de la cour du Khan qu’un chrétien trouverait pourtant odieuse.
A contrario, les grandes civilisations, bien plus brillantes que la civilisation occidentale à la même époque (songeons qu’à
Ispahan au XVIe siècle des architectes persans construisent une place Royale plus vaste que la place de la Concorde, alors
que Versailles n’est qu’un marais et Paris un cloaque à ciel ouvert) ont périclité et se sont affaiblis par ce repli sur elles-
mêmes, justement convaincues de leur suprématie.
Ce que vous nommez prétention à l’exclusivité (soit la foi chrétienne que vous vous gardez bien de nommer) est plutôt une
prétention à l’universalité : c’est en effet l’un des premiers systèmes qui propose une destinée exceptionnelle pour l’homme
en tant que créature de Dieu, indépendamment de son origine culturelle. L’enthousiasme (au sens littéral) des nombreux
missionnaires est animé par cette certitude qu’il existe une destinée commune pour l’humanité toute entière qui est
largement valorisée dans le discours chrétien.
Il est de bon ton de battre sa coulpe en imposant à l’occident la responsabilité de tous les malheurs de l’humanité, mais ce
n’est pas sur la base de la repentance qu’on construit un édifice radieux et solide, mais sur celle de l’orgueil ! Celui du legs
de cette brillante civilisation, ingénieuse, curieuse, entreprenante et sure d’elle-même qu’est la civilisation occidentale. Est-
ce à dire que je nie les erreurs qui ont été commises ? Certainement pas, mais l’histoire n’est pas seulement là pour nous
apprendre à ne pas reproduire nos erreurs, elle doit aussi être une source d’inspiration pour nos succès à venir.

2. Le 25 mars 2012 à 15:51, par Laurin  En réponse à : La période axiale : Comment l´Europe se situe dans l´histoire de l
´humanité
Merci Arthur pour ton commentaire ! Je penses que tu as tout à fait raison de remarquer qu’il est très dificile de prétendre
que les valeurs nommées dans mon article auraient été uniques en Europe. Personellement, je connais beaucoup trop peu
les autres cultures non-européenne pour pouvoir affirmer qu’elle n’aient pas connu de concepts pareils ou du moins
semblables. À cette occasion, je souhaite donc avertir le lecteur (européen) de ne pas s’enorgueiller de qualités qui auraient
seulement atteint le continent Européen et auraient fait preuve de la supériorité prétendue de l’Europe. Mon intention n’a
certainement pas été là !
Cependant, je pense devoir te corriger. Quand Jaspers parle de la ‘prétention à l’exclusivité’, il n’a pas à l’esprit
l’intolérance ; celle-ci ne serait que ‘liée’ à cette prétention. Cette prétention à l’exclusivité désignerait plutôt l’attitude qui a
guidé les grands empires européens, tel que, par exemple, l’empire romain, qui s’était fondé sur l’idée d’une conquête du
monde entier, telle qu’elle a été reprise plus tard par Napoléon, voir Hitler. Par ailleurs, il fait aussi la différence entre
l’universalité - comme tu la décris toi-même - et cette exclusivité.
De nouveau, il m’est impossible de confirmer qu’il s’agisse ici d’une idée authentiquement européenne. Néanmoins, je crois
qu’il faut comprendre l’intention de Jaspers, lorsqu’il nous indique ces différentes propriétés. Il est indéniable que l’Europe a
connu une évolution unique dans le monde entier, lorsqu’elle a vécu l’industrialisation. En nous montrant les différentes
valeurs qui ont guidées le developpement historique en Europe, Jaspers cherche juste à nous livrer une explication possible
à ce phénomène. Certes, elles ne sont peut-être pas uniquement apparu dans cette région du monde ; mais du moins, elles
ont sûrement contribué d’une certaine manière à ce dévelopement. Dans cette mesure, en prenant compte de l’effet qu’elles
ont produit au final, on peut dire qu’elle ont été spécifique à l’Europe et il est légitime que nous nous identifions avec celles-
ci.
Finalement, le mérite que je reconnais à Jaspers dans mon article n’est pas forcément d’avoir livré une analyse très précise
des valeurs et concepts européens, mais plutôt d’avoir relevé que les pays de l’Europe, guidés par leurs valeurs communes,
ont certainement formé une entité particulière qui a vécu un développement différent des autres entités, telles la Chine ou
l’Inde.

3. Le 27 mars 2012 à 10:08, par Arthur  En réponse à : La période axiale : Comment l´Europe se situe dans l´histoire de l
´humanité
Je comprends mieux ce qu’il faut entendre par prétention à l’exclusivité.
Cela dit, si par là il entend la volonté de s’ériger en système unique, au delà des frontières, ce n’est pas une constante
européenne, mais une constante impérialiste. Au delà de ça, rare sont les empires à avoir eu la volonté de rallier l’ensemble
des peuples sous une même bannière (l’Europe, moins que les autres !).
Les grands empires ont souvent recherché davantage un équilibre des puissances, une répartition équilibrée du monde,
plutôt qu’un système hégémonique. Du reste, si l’exclusivité a pu être un temps une prétention romaine, force est de
constater qu’elle a revu à la baisse son ambition puisque dès Claude elle fixe ses frontières, n’effectuant qu’une timide
percée vers le Danube sous Trajan. Pour le Reich, celui de Charlemagne se borne à un patrimoine exorbitant, finalement
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divisé entre ses héritiers, signe qu’il ne souhaitait pas créer un empire universel. Le IIIe Reich s’établit comme un espace
vital, étendu sur l’ensemble du territoire occupé par la race aryenne, soit assez restreint à l’échelle du monde. Les deux
empires auxquels je pense (il y en a d’autres), qui aient répondus à une prétention à l’exclusivité sont ceux d’Alexandre, qui
pour la première fois abolit l’irréductible dichotomie entre le Barbare et le Civilisé (s’inspirant ainsi de la politique Perse), et
de Gengis Khan qui ne semblait se préoccuper ni de race, ni de culture, ni de religion, mais semble bien avoir souhaité
étendre son empire jusqu’à épuisement de ses forces. Ces deux empires ont en commun leur caractère asiatique, donc non
européen.
Je ne cherche pas tellement adopter un ton professoral (encore que j’aime bien ça, je dois le reconnaître), mais je me méfie
des systèmes universalisant comme celui de Jaspers, très séduisant en apparence, mais qui ne résiste pas à l’épreuve des
faits. L’Histoire est complexe et c’est en la simplifiant par de pareils systèmes qu’on glisse dangereusement vers
l’ethnocentrisme qu’on cherche à éviter. Si a posteriori la prétention à l’exclusivité semble être une caractéristique
européenne, c’est peut-être simplement parce que l’Occident a réussi là où l’Orient semble avoir échoué. Réduire l’identité
européenne à une constante politique propre à tout système impérialiste, c’est la vider de sa substance, de ce qui fait sa
vraie force. L’Europe existe, elle a un sens, c’est son Histoire.
A ce titre, je ne peux que m’inscrire en faux contre le dernier paragraphe de ton article. Il ne faut pas passer outre les
valeurs culturelles et religieuses de l’Europe pour espérer entretenir ce patrimoine. L’Europe ne nous a pas laissé que ses
frontières en héritage, elle nous laisse son passé, sa mémoire, ce qui est un don bien plus précieux encore.

L'âge axial

Olivier Postel-Vinay dans mensuel 429 daté novembre 2016 -


L'idée a été lancée par le philosophe Karl Jaspers dans Origine et sens de l'histoire  (Plon, 1954), publié en 1949 en
allemand. Prenant le contre-pied de l'opinion convenue selon laquelle l'avènement du christianisme fut le grand tournant de
l'histoire de l'humanité, Karl Jaspers le situe plus tôt, entre 800 et 200 av. J.-C., avec des penseurs comme Socrate,
Confucius et Bouddha. Il nomme cette période l'« âge axial ». Extraordinaire coïncidence, en effet, qu'à peu près au même
moment, dans trois continents fort éloignés les uns des autres, soient apparues les célèbres figures de la pensée critique
qui instruisent encore aujourd'hui, consciemment ou non, la majeure partie de l'humanité. Les sociologues accordent plus de
crédit à cette thèse que les historiens. Comment l'expliquer ? A lire dans Books, novembre-décembre 2016.

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