Sociologie de La Communication de Masse

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LES FONDAMENTAUX
LA BIBLIOTHÈQUE DE BASE DE L'ÉTUDIANT

— 1 cycle —

SOCIOLOGIE
DES
COMMUNICATIONS
DE MASSE

André Akoun

HACHETTE
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LES FONDAMENTAUX
LA BIBLIOTHÈQUE DE BASE DE L'ÉTUDIANT
EN SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES
— 1 cycle —

Dans la même collection :

La Psychanalyse (M. Lobrot et Th. Bonfanti) n 25


La Psychologie sociale (A. Mucchielli) n 26
Introduction à l'anthropologie (Cl. Rivière) n° 49
Les Sciences de l'information et de la communication
(A. Mucchielli) n 50
Droit de la communication (L. Franceschini) n" 73
Histoire de la théorie sociologique (P. Demeulenaere) n° 98

ISBN 2-01-145238-4
© HACHETTE LIVRE 1997, 43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays.
Le Code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d'une part,
que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une
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Synopsis

Une société de communication

Grande presse, radio, cinéma, télévision, magnétoscope, Minitel, multimédia,


les moyens d'information et de communication se sont multipliés sous le
signe de la vitesse. La planète rétrécit, l'ubiquité abolit le lointain. Hier
l'information marchait au pas du cheval, aujourd'hui tous les événements qui
se passent dans le monde nous sont contemporains. Réalise-t-on qu'il y a
moins d'un siècle, en 1898, la bataille de Fachoda qui nous brouilla avec
l'Angleterre n'a été connue du public que deux mois après l'événement?
Cet avènement d'une communication sans limites ni de publics ni de
distances est peut-être ce qui caractérise, plus que tout autre phénomène,
notre temps. Nous sommes à l'ère des multimédias.
Société de communication : il y a là une dénomination paradoxale. Toutes
les sociétés sont des sociétés de communication. Veut-on dire que nos
sociétés remplissent mieux que d'autres cette fonction qui est le ciment de
tout édifice social ? Il est vrai que la communication y joue un rôle essentiel
dans la mesure où les anciennes médiations sociales - corporation, village,
famille, paroisse - se sont affaiblies et surtout ont perdu leur caractère de
certitude fondée sur la nature ou en Dieu. Elles n'ont plus cette permanence
qui caractérisait la société traditionnelle et grâce à quoi l'individu recevait
l'évidence de son identité. Obligé de « faire le point » sans cesse et pour son
propre compte, l'individu de nos sociétés démocratiques a besoin d'une
masse énorme d'informations, perpétuellement renouvelées et actualisées,
pour être en état de répondre aux sollicitations d'un monde en continuel
bouleversement.

L'affaiblissement des groupes intermédiaires tels que la famille, la


paroisse, etc., l'éloignement et l'abstraction de ce qui incarnait, hier encore,
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la communauté vivante, créent un manque que les médias visent à combler


en offrant de nouvelles formes de liens sociaux, dans un modèle réticulaire
qui allie l'isolement de chacun et sa relation potentielle avec tous, n'importe
quand.
Enfin, il faut ajouter que nos sociétés sont des sociétés séculières, qui ne se
pensent plus fondées sur un ordre transcendant. Dès lors c'est la communi-
cation, l'accord des hommes entre eux qui seul peut légitimer le lien social et
le vivre-ensemble. Comme l'écrit Hegel (Principes de la philosophie du
droit) : « Le principe du monde moderne exige que ce que chacun accepte lui
apparaisse comme quelque chose de légitime », c'est-à-dire comme quelque
chose dont l'acceptation résulte d'une démonstration à partir d'une argumen-
tation et d'un débat.

Pourtant, paradoxalement, nos sociétés peuvent aussi bien être définies


comme des sociétés où la communication est la plus problématique, car
l'évolution du paysage médiatique montre la constitution d'un univers saturé
de messages où plus rien ne semble véritablement être dit ni être entendu, et
d'où tout sens est absent. Plus les médias développent leur autonomie - et
donc leurs « effets » - et plus il apparaît qu'ils aboutissent à fabriquer un
élément (au sens où l'on dit de la mer qu'elle est un élément) composé
d'images qui est aussi bien communication qu'incommunication.

Le c o n c e p t d e m a s s m e d i a

Par ce terme de mass media (issu du mariage étrange de l'anglais mass et


du latin media, pluriel de medium mais conventionnellement utilisé comme
un nom commun), on désigne des techniques de diffusion artificielle de
messages, liées à la mécanisation et au progrès scientifique, depuis l'inven-
tion de l'imprimerie. On pourrait retenir la définition de Marshall McLuhan
(D'œil à oreille) : « Ma définition des médias doit s'entendre dans un sens
très large; elle inclut toute technique, quelle qu'elle soit, susceptible de créer
des prolongements du corps humain ou des sens, depuis le vêtement jusqu'à
l'ordinateur. »

Mais c'est là une définition trop extensive pour qui s'interroge sur les
communications de masse à proprement parler.
Quant à la notion de masse, elle mérite qu'on s'y attarde. Elle est grosse
d'hypothèses implicites sur la nature et le rôle des mass media. On peut
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caractériser ainsi la masse, en reprenant l'analyse qu'en donne Herbert


Blumer (Symbolic, Interactionism : Perspective and Method, Prentice Hall,
Englewood Cliffs, New Jersey, 1969) : « Les membres qui la constituent
viennent de n'importe quelle origine sociale, occupent n'importe quelle
position ; les individus y sont anonymes les uns pour les autres, ils ont peu
d'interactions ou d'expériences communes et ils sont séparés physiquement,
ce qui les distingue de la foule. Celle-ci, en effet, est rassemblée dans un
même lieu et forme une unité psychologique fusionnelle, une âme collec-
tive. » (Voir A. Akoun, « Relire Gustave Le Bon », Ethno-Psychologie, n 2,
avril-juin 1979.)
À définir ainsi l'audience par la notion de masse, on induit inconsciemment
que cette audience est indifférenciée, « massive » et dominatrice. La notion
de mass media, dans ses équivoques, souligne cependant le sentiment d'ori-
ginalité et l'impression d'ambivalence que les nouvelles techniques de
communication suscitèrent à l'origine de leurs études.
L'histoire des médias est d'abord celle des mutations technologiques qui
les rendent industriellement possibles, puis, le progrès aidant, de plus en plus
sophistiquées, raffinées, différenciées. C'est aussi l'histoire d'une mutation
sociopolitique, l'avènement des temps modernes et de ce type de société que
nous nommerons « société démocratique » sans entendre, par ce terme, une
forme particulière de gouvernement, mais ce bouleversement dans la façon
dont les hommes pensent leur rapport au monde, à autrui, à eux-mêmes, et
qui s'exprime par la sécularisation du politique et par l'individualisme.
Francis Balle présente l'univers des médias comme celui de « la double
aventure de l'industrie et de la liberté ». L'image est forte mais reste floue du
fait de la multiplicité des sens et des valeurs qu'implique le terme « liberté ».
Nous dirons donc que les médias résultent du mouvement de sécularisation
et d'individualisme, qui inaugure, à partir du XV siècle, la modernité occi-
dentale, et de l'industrialisation qui naît au XIX siècle. Cet espace social, avec
le socle d'un nouvel ordre symbolique, est la terre natale de notre monde de
communication.

Nous analyserons la façon dont la sociologie a empiriquement étudié, en


affinant sans cesse ses approches, la relation émetteur-récepteur-effets. Nous
esquisserons ainsi une rapide histoire de la sociologie des médias et de ses
acquis. Cette sociologie, nourrie d'enquêtes quant aux façons dont est produit
ou dont est reçu un message par un public est, cependant, trop souvent restée
prisonnière d'une approche purement technique, tributaire d'une conception
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linéaire et instrumentale de la communication, sous l'égide du schéma-


programme de H. Lasswell (who, says what, in which channel, to whom,
with what effect). Ce schéma de la transmission des messages, d'émetteur à
récepteur, se prête à une approche quantitative avec les apparences de la
rigueur mathématique. Mais c'est une approche qui ne s'interroge pas sur le
lien qu'il y a entre médias et société et sur les types de sociabilité qu'im-
pliquent puis qu'induisent les nouvelles formes de communication. D'où
l'intérêt des tentatives telles que celle de M. McLuhan, pour penser les
médias de façon globale, car on ne saurait en rester à une étude empirique et
technique.
Ajoutons qu'un tel schéma procède d'une démarche analytique qui fait
problème en négligeant le caractère holistique du phénomène de la commu-
nication. D'une façon plus générale, il est difficile de faire abstraction de
l'espace social et de ses fondements pour comprendre la communication.
Il n'est, évidemment, nullement question de récuser l'approche empirique
qui a dominé des décennies d'études sur les effets des médias. Un des effets
attendus de ces recherches empiriques, par leur perpétuel approfondissement,
est de contribuer à se mettre elles-mêmes en question et à soulever de nou-
velles interrogations quant à la complexité de la communication médiatique.
Ainsi, elles obligeront à des exigences théoriques qui mèneront à comprendre
l'univers médiatique à partir de l'espace symbolique dans lequel il s'inscrit
et fonctionne, c'est-à-dire à partir de la façon dont une société se pense, pense
son rapport au monde et son rapport à elle-même. En outre, les nouvelles
conceptions théoriques ne sauraient se passer de l'enquête empirique sans
laquelle elles ne seraient plus que des spéculations gratuites. Disons, pour
pasticher Kant, que l'enquête sans cadre théorique est aveugle, mais qu'une
spéculation générale sans l'appui des enquêtes est vide.
Enfin, en soumettant la communication au schéma linéaire de la trans-
mission des messages d'un lieu à un autre, on était amené à réduire la
communication à une finalité purement informative et à la modification
qu'elle introduirait dans l'environnement cognitif des agents sociaux. Or la
communication déborde l'information. On peut communiquer sans que rien,
du point de vue de la quantité d'informations, ne soit transféré. La commu-
nication a pour fin première d'organiser un espace social de consensus, une
communauté d'identités partagées, de reconnaissance réciproque.
L'interrogation sociologique sur la communication moderne ne saurait être
restreinte à une étude sur l'impact des technologies nouvelles, les effets de la
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télévision sur les mœurs, l'usurpation du pouvoir par les nouveaux clergés
médiatiques, les variations des publics, les conséquences du zapping et de
l'image virtuelle, toutes questions dont on ne saurait contester l'intérêt, mais
qui impliquent qu'on sache évaluer leur assignation dans l'espace de l'indi-
vidualisme démocratique. C'est pourquoi il nous faudra définir le statut de la
modernité. Nous le ferons à partir d'une rapide histoire des médias du point
de vue de leurs progrès technologiques, des débuts de la presse jusqu'à la
révolution du numérique. Cette histoire est aussi celle de la façon dont se
restructure chaque fois le champ global des médias dès lors qu'un nouveau
média naît qui semble menacer ceux déjà là. Ainsi aura-t-on pronostiqué la
fin de la presse avec la venue de la télévision. Mais c'est un fait, les médias
ne se détruisent pas les uns les autres, ils se complètent et se renforcent
réciproquement.
La communication ne saurait donc pas plus éluder les interrogations et les
hypothèses de l'approche holistique que contester la nécessité de l'approche
par l'enquête. De même, elle ne peut se dispenser des apports de la réflexion
et de l'histoire de la philosophie. Nous n'aborderons pas cet aspect des
choses. Du moins voudrions-nous en justifier rapidement le recours.

Sociologie et philosophie

La sociologie n'est pas une science au sens où le sont les sciences dites
exactes : son objet est l'homme, lequel se définit par le rapport qu'il entre-
tient avec la temporalité qui introduit l'imprévisible, l'indéterminé et fait de
la sociologie une discipline du sens. Oublier que l'homme, par son ouverture
au temps, est voué au sens, qu'il lui est assujetti en même temps qu'il en est
la source obscure, c'est réduire la sociologie à un positivisme qui en fait
l'alibi d'un « savoir » purement technique. Aucune sociologie ne peut faire
l'économie du recueil et du traitement de données empiriques - traitement
mathématique, lorsque faire se peut. Mais cette approche empirique doit être
« pensée », c'est-à-dire rapportée à une interrogation générale dont la philo-
sophie est le modèle et la source.
Par exemple, comment nier que, depuis ses origines, la philosophie a été
une réflexion sur la communication ? Elle fait, avec Socrate et Platon, du
dialogue une démarche dans laquelle elle voit le moyen d'arracher l'individu
à l'immédiateté de ses opinions, pour le faire accéder à l'universalité de son
essence. De ce fait, elle ne part pas de l'homme dans son ipséité, mais dans
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son rapport originaire à autrui et à cet autrui collectif qu'est la Cité. Il serait
donc étrange que, sur la communication, la philosophie n'ait rien à dire au
sociologue.
La philosophie a l'ambition de rendre compte de ce qui est. Confrontée à
ce fait radicalement nouveau, l'entrée des masses dans l'arène publique, elle
découvre que ces masses ne sont pas des réalités purement quantitatives,
qu'elles s'organisent dans des solidarités internes au moyen de « visions du
monde », d'idéologies, c'est-à-dire d'univers de signes grâce à quoi les indi-
vidus trouvent les repères identificatoires qui les rendent membres de la
communauté. Cet univers de signes qui institue la communication sociale et
effectue l'intégration de l'individu dans le collectif, la philosophie veut en
déterminer la place et la fonction, mais aussi la nature ; elle cherche à le faire
en référence à une conception générale de l'homme dans son rapport avec
autrui, avec lui-même, avec le monde. Deux philosophes peuvent être retenus
qui dessinent des espaces de pensée gouvernant encore - mais le sait-elle ? -
la sociologie des communications. Hegel offre une théorie des signes où
ceux-ci ont un rôle fondateur. Marx semble envisager sérieusement l'exis-
tence et la consistance de ces mondes de la communication où se manifestent
ce qu'il appelle « les formes de la conscience sociale » mais, en fin de
compte, il n'y voit que des épiphénomènes, des superstructures qui renvoient,
quant à leur condition d'existence et leur fonction, à une réalité muette, à un
sol où, durement, les hommes produisent et se produisent : le monde de l'éco-
nomie. Ainsi désigne-t-il, d'un côté, une matérialité qui, en soi et hors de
toute symbolisation, engendre l'histoire des hommes et, de l'autre, des sortes
d'élaborations secondaires, ces langages, ces réseaux d'échanges de signes,
plaqués sur une société définie, dans son être, sans eux et hors d'eux. Or nous
retrouvons dans la sociologie et dans la façon dont elle aborde les médias une
économie analogue. Lorsque les médias sont pensés comme de simples tech-
nologies utilisées par les différents pouvoirs politiques et sociaux, instrument
du viol des foules ou, inversement, de leur exaltation lyrique, ne reste-t-on
pas sous la dépendance d'une approche réaliste identique qui instrumentalise
la communication ?

Une autre tradition philosophique, dont tant Hegel que Marx se sont voulus
le dépassement, est celle qu'on résume, par référence à Descartes, sous le
titre de « philosophie du cogito ». Celle-ci part de la considération que le
sujet humain est définissable indépendamment des types de relations et des
formes de communication dans lesquels il s'appréhende. Ainsi enfermé dans
son quant-à-soi métaphysique, propriétaire de son être, chaque sujet commu-
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de savoir s'ils seront capables de survivre à une version divertissante de ce


qu'ils ont à dire », elle souligne ce qui menace de faire disparaître le monde
spécifique de la culture comme lieu de l'universel : l'indifférenciation des
domaines - et des messages - dans un univers où n'existe que le moi, lui-
même réduit à un moi-consommateur. Elle montre, en même temps, les deux
logiques qui se renforcent l'une l'autre : la logique d'un monde qui soumet
la diversité des objets à leur équivalence fonctionnelle, et la logique de
médias qui « détruisent la culture pour engendrer le loisir et modifient les
objets culturels en vue de persuader les masses q u ' peut être aussi
divertissant que My Fair Lady et, pourquoi pas, tout aussi éducatif. »
Perte de la volonté des hommes de s'inscrire dans une histoire et de se
situer dans une mémoire, primat donné à un présent qui devient la seule
réalité, l'univers des médias, dans le foisonnement de ses technologies,
multiplie, en apparence, les moyens de préserver la mémoire de l'oubli et
de constituer un conservatoire des souvenirs. En réalité il en va tout autre-
ment. L'emballement de la diffusion médiatique et sa connivence avec
l'égotisme post-moderne, signent ce constat que plus rien n'est dit puisque
dit dans l'aplatissement d'une succession d'instants qu'aucun sens ne
relie.
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Conclusion

I - LES MONDES VIRTUELS

Ainsi donc, la communication moderne de masse a connu trois moments.


Ce fut d'abord le moment de l'écrit et de l'imprimé, qui permit le livre et
la grande presse. Ce fut ensuite, se surajoutant au premier et l'obligeant à
s'y adapter, le moment de l'image, celui de la radio, du cinéma et de la télé-
vision. Avec l'informatique, nous entrons dans un troisième moment, celui
du cybermonde, le monde du virtuel, qui induit de nouvelles formes de lien
social (ou de déliaison sociale) et crée un nouvel environnement.
Le virtuel est l'objet d'une grande confusion d'idées et d'une surabondance
de fantasmes qui traduisent le malaise de la pensée devant sa nouveauté.
D'une part, on s'exalte sur les possibilités qui s'ouvrent et on bâtit une pros-
pective utopique sur la cyber-Cité, d'autre part, on s'inquiète des espaces de
violence et de pornographie que le réseau permet, jouant du vide juridique et
de la porosité des frontières entre le licite et l'illicite en ce domaine.

A/ La s i m u l a t i o n utilitaire

À coté de ces projections naissent d'autres utopies selon lesquelles, grâce à


l'informatique réticulaire, une nouvelle Cité, plus démocratique, plus commu-
nicationnelle se créerait. Le savoir serait accessible à tous, et chacun partici-
perait au projet d'« intelligence collective ». C'est ainsi que le ministère de
l'Éducation nationale entamera le chantier de la démocratisation d'Internet
comme il voulut le faire avec le micro-ordinateur dans les années 80.

En réalité, on ne saurait penser de façon unitaire les effets des techniques


ouvertes sur le virtuel. Il faut distinguer ceux des effets qui s'inscrivent dans
une finalité utilitaire et poursuivent l'entreprise pluriséculaire de rendre
l'homme maître et possesseur de la nature, et ceux qu'induit le nouvel
environnement de l'individu, un environnement qui se caractérise par une
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nouvelle économie de l'imaginaire et non pas par la simple extension de la


« civilisation de l'image ».
Ce qui caractérise la réalité virtuelle utilitaire, c'est que le virtuel ne
remplace pas le réel, il aide à le dominer et à lui donner sens. Comme l'écrit
J . - L Wessberg dans la revue Le Futur antérieur (1992/3, L'Harmattan), la
simulation informatique n'est pas vraiment la substitution de la réalité par la
simulation, mais son prolongement : « L'objet virtuel se comporte comme le
modèle idéel de l'objet réel. »
Le virtuel peut simuler le réel et, ainsi, aider à lui donner sens. Prenons
l'exemple de la Marine nationale qui, jusqu'alors, analysait les comportements
des navires en fonction de la houle. Les résultats de ces études étaient restitués
sous forme de tableaux de chiffres et de courbes dont la compréhension restait
le privilège des seuls ingénieurs ( Pradenc, « Réalités virtuelles sous l'effet
de la houle », in : Le Monde informatique, 1997). En se dotant d'un système
de présentation interactif en images 3D des calculs de simulation, la Marine
nationale a donné l'occasion à ses membres de visualiser les effets de la houle
sur les bateaux. Ainsi, la simulation virtuelle permet de concevoir des proto-
types virtuels que l'on soumet aux influences simulées du réel.
D'abord réservé au domaine militaire et à un usage stratégique, ce type de
virtuel s'est étendu au monde du travail et au monde des jeux vidéo. Prenons
l'exemple du « Deuxième monde » - projet lancé par Canal Plus à
l'automne 1994, conçu et réalisé par la société Cryo, spécialiste du jeu et de
l'image de synthèse. Le « Deuxième monde » vous propose d'évoluer dans
un espace virtuel qui décrit environ 5 % de la ville de Paris sous forme
d'images en trois dimensions. Une trentaine de sociétés, telles que Peugeot,
Kodac, Virgin, le Printemps ou la Banque populaire se sont déjà jointes à
l'aventure. Car le « Deuxième monde » est un espace où l'on pourra effec-
tuer des achats réels grâce aux techniques du commerce électronique et du
paiement par carte bancaire.
Autre exemple, la société Infobyte vient de reconstituer virtuellement la
basilique Saint-Pierre de Rome dans ses deux versions : l'une contemporaine,
et l'autre telle qu'elle était au XVI siècle avant sa reconstruction. La réalité
virtuelle permettra de visiter des sites archéologiques ou historiques comme
les grottes de Lascaux, Pompéi, la grotte Cosquer.
La simulation réaliste contribue aussi à la prise de décision. La mise en
scène virtuelle et l'utilisation d'images « réalistes » peuvent donner une
consistance visuelle à n'importe quelle hypothèse de travail. Mais le virtuel
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ouvre une autre aventure dès lors qu'il quitte le monde de la besogne et de la
reproduction du monde réel pour inventer un univers virtuel qui « réalise »
l'imaginaire.

B/ L e s c y b e r m o n d e s i m a g i n a i r e s

Notons d'abord que la création de simulacres n'a rien d'une bouleversante


nouveauté. La nouveauté est ailleurs, dans un nouveau mode d'installation de
l'homme dans le monde. Car on ne saurait dire que l'image est le signe
distinctif de notre temps. Le commerce de l'image est consubstantiel à
l'histoire humaine. On sait le rejet de toute représentation de l'Absolu dans
les monothéismes issus de la religion du Livre, parce qu'on ne saurait ni
nommer, sinon par le détour d'une métaphore, ni représenter Dieu - et donc
le visage de l'homme qui est à son image. Ceci n'a nullement empêché
l'invention et la multiplication d'images, d'icônes, et autres supports de la
ferveur, parce que la foi a besoin de supports imaginaires pour s'alimenter.
De même en est-il des pouvoirs politiques, qui ont su chaque fois mobiliser
les affects par la mise en scène, comme le montre G. Balandier dans Le
Pouvoir sur scène. Ainsi Pierre Ansart nous décrit-il, dans La Gestion des
passions politiques. le faste à fonction à la fois imaginaire et symbolique de
l'entrée triomphale du roi et de la reine à Paris le 26 août 1660, montrant
comment cette fête « peut être repensée comme une exceptionnelle mise
en scène de "bons sentiments" politiques, comme un lieu d'exaltation de
l'affectivité politique, en même temps qu'elle constitue un moment exem-
plaire de l'éducation et de l'inculcation de ces sentiments conformes. »
Cependant, tant l'imaginaire religieux que l'imaginaire du pouvoir ont,
tous les deux, comme caractéristique de renvoyer à un référent extérieur à sa
représentation. Avec le virtuel nous ne sommes plus tout à fait dans ce
rapport au monde de l'image qui fut celui du théâtre ou même du cinéma. Le
spectacle était alors une écriture. Ce qu'il donnait à voir renvoyait à un jeu
d'acteurs. Il fonctionnait comme un analogon, médiateur entre le spectateur
et un autre ordre. Il en allait comme de la représentation des dieux par l'art
grec où ce qui était donné était et n 'était pas, le dieu représenté. Avec les
nouvelles techniques de communication (NTC), la notion de spectacle
change de sens. L'utilisateur est inséré dans l'univers des simulacres. Il l'ha-
bite. Il perd la notion de distance, de durée, il vit dans un monde dématé-
rialisé, sans obstacles ni sanctions, pris qu'il est dans les filets de la passivité
hypnotique du virtuel, et enfermé dans un monde qui nourrit ses fantasmes.
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C/ Un m o n d e p o s t - m o d e r n e

Nous l'avons souligné, les technologies ne fonctionnent que dans leur


mariage avec l'esprit du temps. Le temps, aujourd'hui, celui d'une modernité
désenchantée et qui voit l'individu se replier sur des milieux qui le protègent
de l'extérieur et lui offrent la chaleur d'une famille ou d'une tribu, est celui
de Narcisse qui ne rêve que d'être entre soi. La technique lui offre la réali-
sation de ce vœu. Dans sa visée utilitaire, comme dans sa visée imaginaire.
Un autre modèle de l'union de ces deux visées, c'est celui résultant de la
révolution des services téléphoniques par la numérisation. C'est ainsi que le
téléphone portatif permet de rester en relation, où qu'on soit, avec toute
personne, tout service utile à notre activité, et d'être joignable par tous,
partout. Mais le téléphone portatif permet aussi de maintenir la bulle dans
laquelle j'habite et d'annuler l'environnement réel. Par lui, la rue dans
laquelle je marche, le restaurant où je déjeune, deviennent un simple fond
annulé par mon lien avec un univers présent/absent, réel/virtuel. Je suis
membre d'un groupe réticulaire, d'un groupe à distance, dans un monde de
l'ubiquité et où se délitent, se défont, les liens du face-à-face, ceux qu'offre
le réel de la co-présence.

II - S Y N T H È S E F I N A L E

Nous avons vu le développement rapide et diversifié des nouvelles tech-


niques de communication et les études faites pour comprendre les chemins
de persuasion des messages. Nous voudrions conclure en rappelant quelques
données qui nous semblent importantes.

◆ En premier lieu, la nature des rapports entre techniques et société. Nous


avons insisté, dans notre mise en garde, contre tout déterminisme technolo-
gique qui verrait dans la nature et les fonctions des médias la cause, la source
des nouvelles formes de sociabilité. Dans cette voie, McLuhan est allé loin.
Mais les médias n'agissent qu'en s'inscrivant dans l'espace de significations
et de valeurs propres à une société et que nous avons résumé par la notion
hégélienne d'Esprit d'un monde ou d'Esprit du temps. Les techniques inter-
viennent selon la logique du social mais elles en accentuent tel trait aux
dépens de tel autre. Ainsi nous faut-il prendre en considération les effets
qu'engendre une communication technicisée, médiatisée par tout un bazar
d'appareils-prothèses.
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Dans son article « Pratiques de communication et figures de la médiation »


(in : Sociologie de la communication, CNET, 1997), Josiane Jouet écrit,
soulignant la technicisation de la communication : « Les principes de
programmation et de logique séquentielle sont désormais inscrits dans les
modes d'emploi des appareils courants et sont devenus, à travers l'expérience
empirique, partie intégrante des schèmes mentaux d'un grand nombre d'usa-
gers. » Analysant la complexité du mariage des demandes sociales, réelles et
imaginaires, avec les machines informatiques, elle montre que celles-ci
permettent à des usagers « de s'adonner à leurs pulsions et d'élaborer un
mode d'échange fondé principalement sur l'imaginaire ».
Si les techniques élargissent les moyens d'action, disons que l'imaginaire
social leur impose ses fins. C'est pourquoi il nous paraît essentiel de n'ana-
lyser les médias que dans leur rapport avec l'univers symbolique qui les
accueille, en l'occurrence l'individualisme démocratique et son destin, pour
reprendre le titre de notre ouvrage ( Akoun, La Communication démo-
cratique et son destin).

◆ En deuxième lieu, notre survol de l'histoire des médias nous montre qu'un
nouveau média ne tue pas un ancien mais réorganise le champ des techniques
de communication de sorte que s'établit une complémentarité. La radio n'a
pas tué la presse, ni la télévision la radio, ni le cinéma et les productions
vidéo, le livre, etc. Mais chaque fois, il y a restructuration. La presse, aujour-
d'hui, s'adresse à un public que la radio a informé avant elle, et après que
la télévision a mis - ou a semblé mettre - l'actualité sous son regard avec
l évidence de l'image.

◆ En troisième lieu, il nous faut prendre en compte les effets socio-politiques


et socio-culturels de la mondialisation de la communication. Nous entrons
dans l'ère d'Internet qui n'en est qu'à ses premiers pas. Or nous voyons déjà
combien s'effritent les frontières nationales et combien sont difficiles les
diverses régulations. Chacun, de plus en plus, a possibilité de contact avec
n'importe qui dans le monde. À cette transformation macroscopique s'ajoute,
par l'informatique et ses conséquences sur le travail, sur les loisirs, sur la vie
familiale, une redistribution plus délicate et plus fragile entre l'intime et le
public, entre l'espace privé et l'espace commun.
Dans notre seconde partie, nous avons vu comment la sociologie, préoc-
cupée d'étudier les effets des messages médiatiques, a débuté par une
approche influencée par les modèles des ingénieurs de l'information et en
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prenant pour autre chose qu'un instrument heuristique le programme de


Lasswell : « Qui, dit Quoi, à Qui, par quel Moyen, avec quels Effets ». Mais
nous avons vu aussi que la logique de rigueur qu'impose toute recherche
empirique a fait évoluer le cadre théorique en référant les messages aux
contextes de plus en plus complexes dans lesquels ils s'échangent.
Sans récapituler ici l'itinéraire qui nous mène, d'une relation causale
simple entre les messages et leurs effets sur les récepteurs, à un ensemble
de conclusions dont James D. Halloran (1977) se fait l'écho, reprenons
l'épilogue amusé et sérieux de Ien Ang (op. cit.) : « Les individus, dans les
sociétés modernes médiatisées, sont complexes et contradictoires ; les textes
de culture de masse sont complexes et contradictoires ; enfin leurs utilisateurs
produisent de la culture complexe et contradictoire. »
Disons, pour conclure, que nous devons savoir distinguer l'information,
qui vise à modifier notre espace cognitif, et la communication qui, indépen-
damment de tout contenu voire en l'absence même de contenu, actualise le
lien social latent qui unit les hommes et contient cet appel à l'intersubjectivité
comme garant de notre identité propre. Notre temps peut ainsi être compris
comme le temps de la surinformation, mais peut-être est-il aussi celui de l'in-
communication ou de la sous-communication. Mais c'est là un problème qui
déborde une sociologie des médias et exige une approche plus large, voire
méta-sociologique.
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