Lecture 14
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Lecture 14
Notre coutume d'aller visiter les ouvriers nous fit faire la connais-
sance d'un jeune tailleur de pierres, plus g que nous de huit ou dix ans. Il
nous faisait asseoir sur un moellon1, ou par terre ct de lui, et quand il avait
une grande pierre scier, Pierrette jetait de l'eau sur la scie, et j'en prenais
l'extrmit pour l'aider ; aussi ce fut mon meilleur ami dans ce monde. Il tait
d'un caractre trs paisible, trs doux, et quelquefois un peu gai mais pas sou-
vent. Il avait fait une petite chanson sur les pierres qu'il taillait, et sur ce
qu'elles taient plus dures que le cur de Pierrette, et il jouait en cent faons
sur ces mots de Pierre, de Pierrette, de Pierrerie, de Pierrier, de Pierrot, et cela
nous faisait beaucoup rire tous les trois.
C'tait un grand garon, grandissant encore, tout ple et dgin-
gand, avec de longs bras et de grandes jambes et qui, quelquefois, avait l'air
de ne pas penser ce qu'il faisait. Il aimait son mtier, disait-il, parce qu'il
pouvait gagner sa journe en conscience, ayant song autre chose jusqu'au
coucher du soleil.
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Lorsqu'il taillait un gros bloc, ou le sciait en long, il commenait
toujours une petite chanson dans laquelle il y avait toute une historiette qu'il
btissait mesure qu'il allait, en vingt ou trente couplets plus ou moins.
Quelquefois il me disait de me promener devant lui avec Pier-
rette, et il nous faisait chanter ensemble, nous apprenant chanter en partie ;
ensuite il s'amusait me faire mettre genoux devant Pierrette, la main sur
mon cur, et il faisait les paroles d'une petite scne qu'il nous fallait redire
aprs lui.
Cela ne l'empchait pas de bien connatre son tat 2 car il ne fut
pas un an sans devenir matre-maon. Il avait nourrir, avec son querre et
son marteau, sa pauvre mre et deux petits frres qui venaient quelquefois le
regarder travailler avec nous. Quand il voyait autour de lui tout son petit
monde, cela lui donnait du courage et de la gaiet.
1 une pierre
2 son mtier