Bachelard Et de Broglie

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DE LA MOBILIT DE LA PENSE SELON UNE PHILOSOPHIE CONTEMPORAINE

Author(s): Julien Benda


Source: Revue de Mtaphysique et de Morale, 50e Anne, No. 3 (Juillet 1945), pp. 161-202
Published by: Presses Universitaires de France
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40899168
Accessed: 22-01-2016 00:02 UTC

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DE LA PENSE
DE LAMOBILIT
CONTEMPORAINE
SELONUNEPHILOSOPHIE

La mobilitde la penseestl'objet,selonune philosophie con-


temporaine, d'un vritable axiome. Le dynamisme de la rai-
son , la plasticit de la science, la fluidit du bon esprit,
son refusde se figer en aucune sorted' arrt, d'adopter
aucune rigidit, aucune cristallisation , son application
se moulersur la mouvancede la ralit y sontaujourd'hui
des monnaiesmentalestellement reuesqu'on ne s'avise mme
plus d'en vrifier l'aloi. C'est pourtantce que nousavonstent.
La pensedontnousdiscuterons la mobilitserad'abordla pen-
se scientifique.Aussibien est-cede celle-lque la philosophie
ici en cause lgifre.
Le dogmede la mobilitde la penseconnotedeuxides dis-
tinctes.
D'unepart,on veutdireque la pense,ayantadoptuneposi-
tion,doittreprte la quittersi l'exprience la lui montre inad-
quate la ralit.Une telle mobilit est admise aujourd'huipar
tous les penseurs; on cherchele modernequi la conteste.Unde
ses tenantsles plusillustres, Lon Brunschvicg, comparequelque
part une certainescience un
contemporaine photographe qui, la
ttesous son drapnoir,dirait la nature: Attention ! je prends
votreimage; ne bougeonsplus. On se demandeo estaujour-
d'hui,parmiles hommesqui pensent, un tel simpliste.L'auteur
dclare,d'ailleurs,qu'il s'en prendsurloutaux universauxde
l'anciennescolastiqueet aux cadres de la logique pripat-
cienne*. Lorsque,il y a vingt-cinq ans, une brillantethsepar-
tait en guerre contre le savant qui prtendraitaujourd'hui
dduirele monded'un principepralabledonnune foispour

sancedu 31 mai 1923.


1. Bulletinde la SocitFranaisede Philosophie,
Revue de Mta. - T. LV (no 3, 1945). 1i

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162 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE,

toutes1,on avait le sentimentdj alors qu'elle s'escrimait


contredes fantmes. Il n'estpas un hommede science,et depuis
de longuesannes,qui ne trouverisibleAugusteComtes'insur-
geant contreRegnaultparce qu'il songeait reviserla loi de
Mariotte. II fautadmettreles thoriessans y croire, c'est-
-direen tanttoujoursprt les abandonner,professait il y a
plus d'un demi-sicle une hauteautorit 2,approuve
scientifique
par un philosophequi estune des btesnoiresde nos censeurs.
Nous lisionsrcemment ici mmeque Bergson,loin d'trehos-
tile la science,veut seulement l'empcherde sortirde son
domaine3. On chercheo estaujourd'huile savantqui prtend
fairesortirla sciencede son domaine,si Ton entendpar l lui
fairedireautrechoseque des affirmations toujourstenuespour
modifiables. Les catgoriesde Kant,de Renouvierou d'Hamelin
n'ontrien voir avec les positionsde la sciencesur un sujet
dtermin : Nous sommescontraires, dclaraitl'un d'eux, la
mthodequi prtendrvlerpar les anticipations de l'espritle
mondede l'exprience, et dduire,de la naturedu filetjet par le
pcheur,l'individualit des poissonspris dans le filet' Ces
penseursn'ont,d'ailleurs,jamais donnles catgoriesqu'ils pro-
posaientcommetantle derniermotde la question.La ciblepar
excellence de nos raobilistes,Taine, dnonce l'impossibilit
d'avancero se trouvala pense de Bacon et de son cole
cause de son inaptitude changersous l'actionde l'exprience8.
Il y a l une mobilitdont,encore une fois,toutle mondeest
d'accordpourl'exigeraujourd'huidu savantdignede ce nom.
Mais, par la mobilitde la pense on veut dire aussi autre
chose,et c'est surtoutcelle-lqu'on veutdire. On veutdireque
la pensedoit,non pas procderd'un tat fixe un autretat
fixe,maisrepoussertoutefixitet adopterune perptuelleins-
tabilit.C'est l'ide exprime,pour citer ses aptresles plus
notoires,par Bergsonquand il proposecommetypeparfaitde la
pensela dure en tant qu'elle est incessantemobilit,

1. Les Paralogismesdu nationalisme,par L. Rougier(1920),p. 430.L. Bruns-


hvicgfonaitsur le mmeadversairedansla sancesusdite.
Deville,Etudesurla Dissociation,
2: Sainte-Glaire 3essai,
citeparRenouvier,
nouvelledition,p. 105.
3. F. Alqui,Revuede Mtaphysique et de Morale,avril1944.
4. Renouvier, eue parA. Darbon,tiennede Mtaphysique et ae Morale,szs.
S. Histoirede la Littratureanglaise,t. 1, p. 401*

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 163

inquituded'me1, changement ininterrompu et nonsucces-


siond'arrts,qu'elle estsemblable une pentedouceet nonaux
marchesd'un escalier, l'coulement d'unemlodieen tantque
celle-ciseraitignorantede toutefixit2;parM. GastonBachelard
quandil parlede 1' anxit de la sciencecontemporaine, quand
il veutque le doute soit pourle savant,non pas un tatprovi-
soire,maisessentiel3,quandil dclareque, lorsquele surratio-
nalisme qu'il vientde dcrireaura trouvsa doctrine, il
pourratremisen rapportavec le surralisme, car la sensibilit
et la raisonserontrenduesl'uneetVautre leurfluidit4 ; par
M. CharlesSerrusquandil rprouvela visionstatique de la
science,qui consiste s'arrteraux rsultatsde la science,
impliquantpar l que la sciencene doit connatreaucune posi-
tionfixe,mmepassagre;par M. Masson-Oursel quandil crit:
La penseestune dansefantaisiste qui joue parmides pos-
se
turessouplesetdesfigures varies5; parM.MauriceBlondelquand
il veut,selonson exgte,que l'exprience, ds qu'ellenous sai-
sit, nousentrane horsde l'instant, horsde l'acquis,horsde son
propreplanpeut-tre, horsdu reposen toutcas 6 ; parM. Paul
Valry(nous sommesfonds citerce littrateur parmiles phi-
losophes,ceux-cifaisanttatde sa penseau pointde lui conf-
rerla prsidence des sances de commmoration du Discoursde
la Mthodeet de la naissancede Spinoza) quand il condamne
l'arrtsur une ide parce qu'il est un arrtsur un plan
inclin7, ou dclareque l'esprit,c'estle refusindfini d'tre
quoi que ce soit8, ou encore : 11n'existepas d'espritqui soit
d'accordavecsoi-mme ; ce ne serait un
plus esprit, ou encore :
une vritablepensene dure qu'un instant,commele plaisir
des amants9. C'est bien vers l'absence de toute fixitque
Renan,exaltde toutun mondede penseurs,semblepousserub
hymnequandil entonnedans YAvenirde la Science: Le grand

4. Introduction la Mtaphysique.
2. Donnesimmdiates, p. 121.
3. Le NouvelEspritscientifique, p. 147,148,164.
4. Citpar P. Eluard,Donnera Voir,p. 119.
5. Le Fait mtaphysique, p. 58.
et
6. La Philosophiede M. Blondel,par J. Mercier,Revue de Mtaphysique
de Morale,1937.
7. Mauvaisespenses,p. 10.
8. La Soire avecM. Teste.
9. L'Ide fixe.

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164 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

progrsde la rflexion modernea t de substituer la catgorie


du devenir la catgoriede Ttre...,le mouvement l'immobi-
lit. Nous ne parlonspas des proscriptions de toutefixation de
l'espritlances par de purs littrateurs, reus comme tels -
L'espritmeurts'il croitpossder (Montaigne) ; Celui qui
change sans cesse, celui-l est mon ami (Nietzsche); Les ides
nettessontles plus dangereuses,parcequ'alorson n'ose plus en
changer (AndrGide), - encore que la philosophiequi se
veutsrieusene laisse pas toujoursd'enfairetat.
Or, cetteconception noussembleentirement fausse.Une pen-
se scientifique est une positionfixede l'esprit,quitte ce que
cettefixitne soitreueque commeprovisoire, et la mobilitde
la scienceconsistedansle passagedun tatfixeA un autretat
fixeB, nondansl'absencede toutefixit.La modification spiri-
tuelle qu'on nous donnecommeprsidant la science,singu-
lirement la scienceactuelle1,est un mouvement qui passe,
soitchezl'individu, soit traversl'histoire,d'unarrtde l'esprit
un autrearrt; elle est une modification par bonds,parpulsa-
tions,non par une continuitde mouvance,exemptede tout
arrt.La vritnous semblediteici par Renouvier,comment
par Goblot: Toutescienceest croyance(c'est--dire fixit): Je
crois savoir. Je me juge suffisamment clair; j'estimequ'un
nouvel examenne m'apporterapas de lumirenouvelleet je
prendsle partide m'arrter ce qui pour le momentme parat
le vrai2. La rapiditavec laquelleces croyancesse remplacent
aujourd'huil'une l'autrene doit pas nous donnerle changesur
le faitque chacune d'elles a t fixe au momentqu'elle fut
embrasse;quand M. Bachelardnous signaleavec quelle pres-
tesseen ces derniresannesla physiquea abandonnses posi-
tions successives3,prestessequi mettrait,parat-il,en che
l'appel cartsienaux ides claireset distinctes, c'est--dire arr-
tes,il ne faudraitpas qu'il en conclueque ces positionstaient
privesdans l'espritde ceux qui les adoptaientde limitation
elles-mmes, mais doues d'on ne sait quelle fluidit la
manired'un liquide ou d'un gaz. Pareillement, du faitque le
savantmoderneremplaceune notionarrtepar d'autresplus

1. G. Bachelard, Le Nouvel Esprit scientifique,p. 142.


2. Goblot, Trait de Logique, p. 385.
3. Op. cit., p. 133.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 165

nombreuseset plus troitesqui serrentde plus prsla ralit,il


ne s'ensuitnullementque ces nouvellesnotionsne soientpas,
elles aussi, de la pense arrte; quand le mme philosophe
exaltela sciencecontemporaine parcequ'ellepratique le plura-
lismesous l'identique, parcequ'elle dcouvre des variations
sous l'identique1, nous lui feronsobserverque ces variations
sontelles-mmes de l'identiqueet n'ontrien voir avec cette
espce de trmulation viscraleque, sous le nom d'anxit,il
assigneaux conceptions de cettescience.Au reste,les aptresde
l'incessantemobilitde l'actuelle pense scientifiquerecon-
naissenteux-mmes implicitement qu'elleprocdeparsuccession
de positionsfixes.M. Bachelardnousparle- sans douteavec la
rapiditdu lion confessantqu'il a mangle berger- de cette
pense se faisantun appui de son mouvement , des appuis
de la
indispensables pense, de la thoried'Heisenberg permet-
tantde appuyersur des expriencesfictives ; il signalela
trscourte duredes repos dans l'volutionde la science
moderne2. Je crois bien qu'il seraitcontraintd'accorderque
tousles changements que faitcettescience,elle les fait partir
de quelquechose,c'est--dire partird'une positionfixe.Dans
sonappelau surrationalisme , l'auteurrclamepourla pense
l'agressivit, l'imprudence , ce qu'ErnestMachnommait le
courageintellectuel ; ces qualitsn'empchent nullementla
pense,toutau contraire, de prendreson pointd'appui,pourles
sur
exercer, un tat fixe.Quand Malebranchedclareque la
raisona toujoursdu mouvementpour aller plus loin , c'est
pour allerplus loin partird'un tatfixe; plus expliciteencore
est Anaxagorequand il nonce: L'espritimprimele mouve-
ment un pointdonnpourl'tendreplus avantet encoreplus
avant. Ajoutonsque, sous un angle simplement pratique,la
doctrine de la pensescientifique incessamment mobileest inte-
nable; si la sciencen'acceptaitaucunde ces statismes qui la
rendentformulable et par consquenttransmissible, elle vivrait
dans un perptuel insaisissableet n'avanceraitjamais. Mais j'ai
hted'envenir la principaleraisonpourlaquelleon veutcroire
que la nouvellephysiquemaniede la pensemobile.
1. Op. cit., p. 139, 146.
2. Op. cit., p. 57, 133, 134.
3. Citpar P. Eluard,Donnera Voir,p. 119.

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166 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

Cetteraisonest que le physicien moderneprendpourobjetsde


sa pense, chose en effetnouvelle,certainesralits qui ne
relventpas de la fixit, mais bien,pourquelque mesure,de la
mobilit: la probabilit de prsenced'unlmentau lieu de son
existenceen un pointfixe,sa vitesseindterminable si sa position
est dtermine et rciproquement (incertitudes 'Heisenberg), le
paquetd'ondes5voireVtalement du paquetd'ondes,se substi-
tuant Fonde localise,la transitionentrecomportements du
photon correspondant l'effetphotolectrique1, l'essentielle
instabilitde l'atome,certainespossibilitsde phnomnes dont
la sciencefaittatautantque de phnomnes effectus2, la pr-
sencepotentielledes lectronsdans l'atome3,la compntration
de ralitsconsidresjusqu'alors commelimiteschacune
elle-mmeet extrieuresl'une l'autre, l'intrusionl'un dans
l'autredu tempset de l'espace4,de la masseet de l'nergie,de la
matireet de l'lectricit....Ces nouveauxidats de la science
sontbiendesmobilits.Mais- et l gtl'quivoque- la pense,
parcequ'elleprendpourobjetsces ralitsnonarrtes,n'enest
pas moinspourcela une ralitarrte,parla bonneraisonqu'il
n'ya de pensequ'arrteet qu'une pensemobilen'estpas une
pense,toutau moinsscientifique. Et, en effet,la probabilit de
du
prsence corpuscule est une chose mobile, mais Vide de cette
probabilit est unechosearrte,qui relvede la dfinition et du
calcul ; l'idede probabilitn'estvague,c'est--dire mobile,que
chez les espritsnon-scientifiques (voir,dans Les Sentiersde la
Science d'Eddington,l'oppositionentrela conceptionscienti-
fiquede probabilitet la conceptionsentimentale) 5. Le cercle,
disait Spinoza, est une chose, l'ide du cercle est une autre
chose,qui n'a pas de centreni de priphrie ; de mme,dirons-
nous,les incertitudes d'Heisenberg sont une chose ; l'idede ces
incertitudes est une autrechose qui n'a rien d'incertain, mais
consisteen une affirmation de l'espritfortnette6. L'ide d'tale-
i. Cf.L.*deBroglie,Matireet Lumire,d. 149.
2. Id., p. 291.
3. L. de Broglie,Continuet Discontinuen Physiquemoderne,p. 104.
4. Plus exactement des conceptstempset espace,les ralitstempset espace
restant,aux yeux du savant,des chosesfoncirement distinctes.Voir sur ce
pointAndrMetz,Temps,Espace,Relativit,p. 148et 121.
5. On pourraitdirede mmeque l'ided'infinin'estvagueque chezles potes
et fortnettechezles espritsscientifiques
; voirla dfinitionde Cantor.
6. La voicisous uneformequi metbienen lumirecettenettet: Tantqu'on

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 167

mentn'a riend'tal,l'ide de transition riende transitif, l'ide


de possibilitriende possible,en tantque possiblesignifienon
fix*. L'atome,nousdit-on2, est devenirautantqu'tre. Mais
ride de l'atomen'estpas devenir. La matiredu corpuscule,
assure-t-on 3,chappeau principed'identit. Mais l'ide de cet
chappement ne lui chappepas. Et encore4 : Le proprede la
sciencemoderne l'tre,qui estimmo-
est qu'au lieu de considrer
bilit,elle considrela relation,qui est mobilit. Mais l'ide
d'une relationest un tre. Pareillement,la pntration rci-
de
proque l'espace et du temps, de la masse et de l'nergie,est
une mobilit ; mais l'idede cette pntration, conceptbinaire
le
espace-temps, matire*nergie, est une chose qui n'a rien de
mobile,mais prsente,comme tout concept,l'identit soi-
mme. Nous revenonstoujours rappeleraux aptresde la
science anxieuse le mot de Renouvier: Tout savoir est
croyance, c'est--direfixit,mmes'il prendpour objet une
non-fixit.
L'allusion une pensemobile,sinonscientifique, du moins
pouvanty mener, forme la matire expressede deux ouvragesde
M. GastonBachelard,La Psychanalysedu Feu et L'Eau et les
Rves,qui en annonceun troisimesoutenantau sujet de. l'air
les mmesvues que pources lments.La thseest qu'il existe
une connaissancedes choses purement images, qui agit
au-del de la rveriedes formes, celle-citantencore trop
statique,et emprunte aux chosesqu'elleconnat(on a soinde les

ne pourrapas explorerla natureautrement que par photonscomplets,il fau-


dra renoncer obtenirdes renseignements parfaitement prcisau pointde vue
du tempset de l'espace.Plus grandeest la certitudesur la qualitdu mouve-
ment,plus grandeest l'incertitude sur la position. (JamesJeans,Nouvelles
bases philosophiques de la Science,trad. Lalande, p. 239.) - Sur la liaison
entrel'idede prohabilit scientifiqueet l'ide de dtermination : Qu'onexp-
rimentesur un systmeatomiquequelconqueauquel on a faitsubir une pr-
parationdonneet qui, par consquent,se trouvedans un tatdonn,le rsul-
tat n'estpas, en gnral,dtermin, c'est--direque, si l'exprience e^trpte
un certainnombrede foisdansles mmesconditions, on peutobtenirplusieurs
rsultatsdiffrents. Si l'on rptel'exprienceun grandnombrede fois,on
s'apercevraque le rapportentrele nombrede fois qu'on obtientun rsultat
donnet le nombretotald'expriences est dtermin, c'est--dire qu'ily a une
probabilit dtermine pour que l'on obtienneun rsultatdonn choque fois
qu'on excutel'exprience. (Dirac,1930.Citpar JamesJeans,id., p. 53.)
1. L'ide de douleur,disaitLachelier,n'estpas douloureuse.
2. Bachelard,op. cit., p. 67.
3. Id., p. 86.
A. Id., p. 99.

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1)8 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

choisirmobiles)leur mobilit.Ayantcitune page de La Mon-


tagne,o Michelet dcritpathtiquement le sourdtravailde l'eau

parvenant percer une masse limoneuse,l'auteurnous parle

d'images dynamiques , d'une pense qui saisitla vie mat-
riellede l'eau dans son essence,dans sa contradiction , d'une

imaginationqui participe la vie des substances qu'elle
voque*. Faut-ildirequ'uneimage,fut-cecelled'undynamisme,
est une chose minemment statique,j'entendsidentique elle-
mmependantle tempsqu'elle s'nonce,et qu'elle ne participe
en rien,sinon par mtaphore, la vie des choses qu'elle
figure? L'image de l'eau n'a rien de liquideet celle du feu rien
de dvorant.Maisretenons ces plaidoyers pourune connaissance
qui seraitviergede toutefixit.
L'auteurfaitmieux; il veutque cetteconnaissancepurement
imageconduiseparvoie de continuit la connaissancescien-
tifique,laquellecomporterait ainsi, par sa source,un lment
de
de mobilit ; c'est ce que l'on croitcomprendre quandon le voit
dclarer2qu'il s'attachemoins trerationaliste qu' le devenir.
c'est--dire y parveniren commenant par replongerdans
se
cetteprimordiale et salutairemobilit.Nous avouonsne pas voir
comment la connaissancede l'eau la manirede Claudelou de
Paul Eluard,pour prendreles exemplesqu'il exalte,conduira
la connaissancequi consiste penserque cettesubstanceest
faited'oxygneetd'hydrogne. Mais ces ouvragessontcapitaux
en tantque volontde croire une penseessentiellement ins-
tableet de la valoriser,mmedu pointde vuede la science.
Notonsqu'il ne s'agit nullementde nierl'existenced'tatsde
consciencemobiles.Bergsonnoussemblemettre le doigtsurune
ralitindniablequand il parle du schmaqui prsenteen
termesde devenir,dynamiquement, ce que les imagesdonnent
commedu toutfait, l'tatstatique3. (On voitque Bergson
nie, commenous, l'image dynamiquede Bachelard.) Ce que
nous soutenons,c'est que ces tatsde consciencemobiles,non
seulementn'ontpareux-mmes riende scientifique - ils ne son!
* -
mme pas des reprsentations mais qu'ils ne sauraienten

4. G. Bachelard, L'Eau et les Rves, p. 149-150.


2. L'Eau et les lioes, p. 9-10.
3. L'nergie spirituelle, p. 199.
k. Le scheme est une forme de mouvement intrieur et non pas la repr-

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J. BENDA, - DE LA MOBILITDE LA PENSE. 169

aucune sorte conduire,par voie de continuit, l'espritde


science. (Contreles argumentsde Bergsonpour prouvercette
continuit, cf. D. Essertier,Les Formesinfrieures de l'Expli-
cation,p. 4.) Notrethse est celle de Delacroixcrivant(Les
GrandesFormesde la Viementale: spcificit de l'intelligence) :
La scienceest autrechose que la disciplinede l'action, ou
encore: L'intelligence est un faitpremier.Les diversestenta-
tivesde dduction de l'intelligence onttouteschou 'l .
Cettedistinctionentreun objet mobileet l'ide que l'on ea
prendqui, elle,n'estpas mobile,peuts'illustrer d'exemplessans
fin. Quand Renan veut qu'on passe du bien au mal par de
nuancesaussi insensiblesque cellesdu cou de la colombe,l'ide
qu'il prendde cetinsaisissableest,elle,fortsaisissable, preuve
qu'on l'nonce,on la transmet, on la juge. Quand les mlanco-
liques nous parlentd'un vague l'me qui n'estni de la joie

ni de la tristesse,ni de l'espoirni du dcouragement, etc.,l'ide
qu'ils prennentde ce vague impliquede la fixit,du seul fait
qu'ilsen parlent,le dcrivent autrui,en discutent ; pourque ce
vague resttvague,il faudraitqu'ils se bornassent l'prouver
et que, prcisment, ils n'en prissentpas l'ide; c'est ce que
comprennent potesquand ils dclarentqu'une motionse
les
supprimepar le faitqu'elles'exprime.On a critsur l'instabilit
des livresqui n'ontriend'instable,sur l'anxitdes livresqui
n'ont rien d'anxieux.J'noncel de purs truismes,qu'il faut
pourtantrappeler ceux qui paraissentcroireque l'ide d'une
chose mobilepeut tremobile.Il y a des poqueso direque 2
et 2 font4 constitueuneoriginalit.
Avantde poursuivre disonsque, pournous,la penseimplique
fixit,immobilit, sous un doublepointde vue : Io du pointde
vue du sujetpensant: penser,c'est faireprendre l'espritune
positionidentique elle-mmependantun certaintemps; l'es-
seniationd'une forme. (J. Burloud,Essai d'une Psychologiedes Tendances,
p. 223.) Et encore(p. 77) : Le schemeest bien dynamique,maisn'estalors
pas reprsent. L'auteurreproche Bergson(p. 73), avec raison selonnous,
de fairedu schemeune reprsentation. Notrethse est ici celle de Spinozaet
de Taine, savoirqu'on ne sauraitse reprsenter sans affirmer (cf. Traitde
Psychologie, de G. Dumas,t. V, p. 121)ou encorequ'unereprsentation, dirong-
nous,est la reprsentation de quelquechose,quitte ajouterque tousles tats
de consciencene sontpas des reprsentations.
1. CitparJ.Burloud{id., p. 413),qui combatla doctrinepar aes arguments
qui noussemblentpeu probants.Encoreveut-il(p. 306)que la penserfl-
chie soit certainsgardsun faitpremier.

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170 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

pritqui serait perptuelle mouvance, refusindfinid'tre


quoi que ce soit , consisteraiten un coulement spirituelqui ne
connatrait aucune penseen tantqu'une penseest une chose
formulable et par consquentarrte*; 2 du pointde vue de
l'objetpens: penser,c'est penserquelquechose,c'est--dire une
chose quoi je confreVidentit elle-mme du fait que je la
pense,cettechoseft-elleune mobilit; penserle changement,
c'est l'immobiliser;sinon,commedisentles bergsoniens, on le
vit,on ne le pense pas. Ces deux mobilitssont d'ailleursle
mmefait; l'esprits'imposel'identit soi-mmepar le mme
acte qu'il l'impose sonobjet.Il suitde toutcela que la loi de la
penseest l'immobilit (plusexactement, commenous le verrons
plusloin,l'immobilisation); immobilit, d'ailleurs,momentane,
et qui n'empchenullementcetteautremobilit,propre,selon
nous, la science,qui consiste passer,sous l'actionde l'exp-
rience,d'uneimmobilit uneautre.
En somme,il existedeuxconceptions de la pense: dansl'une,
la pensene connataucune espce d'arrt,si courtsoit-il,mais
un incessantdpassement d'elle-mme parelle-mme, nonseule-
mentdans le champ de sa comptence, mais dans la naturede
son activit; dans l'autre, elle s'exercetoujours sur un objet
dtermin,qui peut tre une mobilit,et interprte ses exp-
riencesd'aprs des principesinvariables,du moinsdans leur
essence; dans Tune, pour prendreles expressionsde Bruns-
chvicg,elle consisteen un perptueldonnant; dans l'autre,elle
ne sait que du donn; dans l'une, elle se veut indfiniment
ouverte ; dansl'autre,elle accepte(Hamelin)l'vocationd'un
savoirdfinitif. La premireest la conceptionmtaphysicienne
- potique,gnreuse- de la pense; elle estcellede Spinoza,
de Hegel (moinsla croyance la transformation de la naturede
la penseavecle temps),du nouveaurationalisme ; la seconde
en estla conceptionscientifique ; elle est celle de Descartes.Un
signe des -
temps qui tient videmment l'immense prestigede
la sciencemoderne - est la
que conceptionmtaphysicienne se
donneaujourd'huipourla vraieconceptionscientifique ; prten-
tion qu'ignoraitSpinoza.

1. Voirinfra,p. 14.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 17i

*
*

La confusion que noussignalons proposde la mobilitde la


pensescientifique paraten deux articles,qui sontle typedu
jeton verbal dont on n'examineplus la caution. L'un est le
perptueldevenirde la science, dontil est trsmalaisde
savoir si Ton entendpar l unesuccessiond'tatsfixes,de plus
en plus voisinsd'un but, soit une volutionpar discontinuit,
laquellenoussemble,en effet, la marchede la scienceet que nul
aujourd'hui songe contester,ou bien un mouvement
ne qui,
par imitationde la dure , consisteraiten un changement
ininterrompu, essentiel,parat-il, l'espritdu savant. Cette
secondeconception,que nous tenonsdonc pourfausse,semble
bien tre celle de maintsphilosophesquand ils rapportent le
devenirde la scienceau faitqu'elle doitse moulersur le rel en
tantqu'il est incessantemouvance, ressaisirla ralitdans
la mobilitqui en est l'essence1. - L'autre,d'un dbitplus
mondialencore,est l'invocation la sciencesouple . L de
mme,si l'on prtendparlerd'une science qui, nonantdes
affirmations, n'y tientjamais assez pourne points'en ddireen
faveurd'autresplus vraies,noussommestousaujourd'huiparti-
sans d'une science souple. Et nous le sommesencore si Ton
entendpar l une sciencequi, uneaffirmation uniqueet rudi-
mentaire, en substitueune multiplicit d'autresplus articules
qui s'approchent plus de la ralit, de la mmemanirequ'un
polygone de cent ctscirconscrit une circonfrence s'approche
plus de cettecourbeque ne le faitun carr; parexemplelorsque,
en faitde physique,elle substitueau conceptuniqued'lectricit
les deux conceptsd'lectricitpositiveet ngative,considrs
commecorrespondant deuxralitsdistinctes et non la mme
de ;
change signe lorsque, en faitde physiologie, elle introduit
danla notionde nerfstactilesla subdivision en nerfsrcepteurs
des excitationsmcaniqueset nerfsrcepteursdes excitations
thermiques, ces derniersse subdivisant eux-mmes en rcepteurs
du froidet rcepteursdu chaud2; lorsque,en faitde transfor-
1. La Pense et le Mouvant, p. 35.
2. Cf. H. Piron,Psychologieexprimentale,
p. 86 sqq., qui donned'autres
exemples.

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172 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

misme,elle diffrencie la notionde variationen variationindivi-


duelleet passagreet variationdurableet hrditaire1. C'estl
une souplesse de la science quoi toutle mondesouscrit.
Mais d'autres entendentvisiblementpar science souple une
scienceexempted'affirmation, en tantque l'affirmation est une
pense limite elle-mme; ils entendent une scienceprocdant
par pensequi soit la foiselle-mme et autrechosequ'elle,par
pense ouverte, ide voisinede la pense anxieuse ; par
pensequi relvede la plasticit de la raison,de la raison
souple2. Or une tellepensen'estpas une pensescientifique
et, selonnous,n'estpas une pensedu tout.Une pensescienti-
fiqueest une pense raide(ce qui ne veutpas diresimple,voir
plusloin)en ce sensqu'elleprtend adhrer elle-mme, neft-ce
qu'enl'instanto elle s'nonce.Elle est,a-t-onditexcellemment,
une pense qui doit pouvoirtre rfute3, c'est--dire qui
prsenteune positiondfinie,assignable,ce que les avocats
appellentune base de discussion. Et sans doutemaintepen-
se scientifiquea commencpar un tatd'espritprivde pense
arrte,par un tat vague (en est-il vraimentpriv? nous le
recherchons plusbas), mais celui qui connatcet tat,le connat
pour en sortir,sous peine de ne riennoncerde scientifique4.
Toutmondessein,dit Descartes,ne tendaitqu' quitterle sol
mouvantpourtrouverle roc et l'argile. Ceux qui demandent
l'espritd'adopter comme caractre, non mais
provisoire, orga-
nique,la souplesseainsientendue, l'invitent ne jamais prendre
d'altitudescientifique5.
1. Cf.E. Guyenot,Les Sciencesde la Vieau XVII* et XVIII* sicles; l'Ide
d'volution,p. 379.
2. Ou encoreune scienceprocdantpar pense disponible ; une pense
ssidntifiquen'est pas une pensedisponible,en ce sens qu'elleest unepense
qui a prisparti,du moinsmomentanment.
3. Meyerson, La Deductionrelativiste,p. 187.
4. Du moinslui-mme ; car souventPaul profite
de cettatvaguechezPierre
pournoncer,lui, Paul, quelque chosede scientifique.
5. On pourraitles comparer ceux qui dfinissent l'artiste(cf.Bergson,La
Perceptiondu Changement) l'hommequi pouse l'incessantemobilitdes
choses au lieu de se fixerdans une de ses dterminations ; commesi Dante,
Rembrandtou Wagner,voire Debussy,n'avaientpas pratiqucettefixation,
alor3que celui qui la refusene serajamaisqu'undilettante. Ceux-lconfondent
treartisteet tre un artiste;chosestoutautres,souventcontraires.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 173

Cetteconceptiond'une sciencedontles ides n'ontpas pr-


senterde contoursrigoureux a pourconsquencelogiqued'appa-
renterla science la posie. Et, de fait,ce rapprochement est
courantchezles tenantsde la raisonsouple.M. Bachelard,dans
les livressusdits,proposevisiblement certainspotesmodernes,
particulirement dispensateurs de fluidit, Mallarm,Tristan
Tzara,Eluard,commeespritsdontle savant auraitintrt,pour
quelque mesure, imiterle mcanismepsychologique.Il ne
faudrait pas pousserbeaucouples fidlesde cettecole pourles
voirentonner l'airde bravourecheraux mesromantiques : Le
le vrai savant *. Est-ce besoin de dire cetteasser-
poteest que
tionest purement littraire et que la posien'a jamais rienpro-
duitde srieusement scientifique?
Une conceptionvoisine consiste annexer la posie,non
seulement la science,maisla philosophie. Plus le modede phi-
losophersera existentiel, plus il se rapprocherad'une cration
d'essencepotique, dclare M. GabrielMarcel,qui dnie du
mmecoup au commentateur du philosophele droitde juger
ses ides en tantqu'ides et en les sparantde la personnede
leur auteur2.Dj Boutroux,dans son introduction la tra-
ductionde la Philosophiedes Grecsd'EdouardZeller,professait
que la philosophie,en sa nature, participede l'art ; quoi
Renouvierrpondaitque la philosophieparticipede l'artparce
qu'elle comportedes facteursde l'ordrepassionnelet l'exercice
d'unelibreactivit,maisqu'elle en diffre profondment parsa
suprmatie critique et par 1' essentiellerationalit de ses
1. La manie sentimentale de concilierles choses les plus essentiellement
distinctesse voitparfoischezles espritsles plus avertis.On est confondude
lire chez Claude Bernard: II viendraun teups o le savant,le poteet le
prtreparleront la mmelangue. (Cit sans rfrencepar J. Herv,De la
Physique la Religion, 1929).
2. Nouvelle Revue Franaise, juin d939 : Dsespoir et Philosophie . Pour
ce qui est de la formation des doctrines,Brunschvicg a videmment raison
(Orientation du Rationalisme,p. 324) de ne la trouvervraiment intelligible
que si on tientcomptede la complexitparticulirede leurauteur: tempra-
mentphysiqueet intellectuel, ducationet carrire,etc.Reste savoirsi ce
qui intressela philosophiec'est la formationdes doctrinesou les doctrines
elles-mmes, en tantqu'elles ontagi commedoctrineset indpendamment de
leur formation.

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174 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

formes1.Caractreque l'cole ici en cause refuseradicalement


cetteactivit.
Nos mobilistes,pourdoterla scienced'encoreplus de fluidit,
l'exhortent adopterles mursde la musique.Bergsonnous
donnela mlodie,en tantqu'elle seraitpure mobilit,comme
l'imageexactede la dure,laquellelui apparatla vraiemthode
scientifique,du moinsd'une certainescience; un de ses dis-
*
ciplesexalteraune biologiemusicale . De mme,pourla phi-
losophie,M. GabrielMarceladmrelebergsonisme en raisonde
sesressemblances avec la musique3; un professeur de philosophie
aurait,m'assure-t-on, faitrcemment son auditoireun cours
sur la mthode en prenant comme modle celle de Gabriel
Faur; un exgtedu philosopheAlain le loue parceque les
ides sontlies chez lui des mouvements, commeles thmes
chez le musicien*1 , ce qui leur permetd'ignorertouteadqua-
tion la ralit,autrementdit d'treparfaitement gratuites.
Pour nous,il nousapparatque tousceux qui nousontaccrusde
quelque connaissancerelle,ft-ellela plus subtile,en matire
de scienceou de philosophie, l'ontfaithorsde touteimitation des
mursde la musique,en tantqu'elleseraitelle-mme (ce qu'elle
n'estpas, selonnous)refusde toutefixitdans la conscience.Il
est vraique, pour les penseursici en vue,le rle de ces disci-
plines,toutau moinsde la philosophie, n'estpas d'enrichir notre
connaissance, mais de nous dispenser un certaintatd'me.
D'aucunsparaissentallerplus loinet admettre que ce n'estpas
seulement la posieet la musique,maisle rvequi, en tantqu'on
peut y voir une reprsentation souple, constituepour quelque
mesurel'imagede ce que doittrela science,du moinsde l'tat
psychologiquedontelle doitpartir.M. Bachelardprtendmon-
trer, propos de l'eau, commentles rvess'associentaux
connaissances5 , cependantqu'il veutvoirl'origined'une con-
naissanceobjective,donc scientifique, des chosesdans un tat
de l'esprit s'occupant surtoutde nouer des dsirs et des

des doctrinesphilosophiques,
i . Esquisse d'une classicationsystmatique
t. II, p. 140.
2. M. Janklvitch,
Bergsontsme et Biologie,m Hennede mtaphysique
et 09
Morale,1929.
3. Bergsonisme et Musique, Revuemusicate, maps192&.
4. R. Fernandez,NouvelleRevueFranaise,juilletMI.
5. G. Bachelard,LEau et les Rves,p. 129-137.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 175

rves1. A ces penseursnous soumettons cet avis d'unillustre


savant: J'airencontr dans mesrves(ou hallucinations) des
images optiques ou musicalessusceptiblesd'une application
artistique.Par contre,je ne sais aucuncas de dcouverte scien-
tifique faite par hallucination, ni dans les grands exemples
classiquesde l'histoire,ni dansma propreexprience2. Henri
Poincarconstatede mmele peu de valeurdesidesqui, dit-il,
me sontvenuesle matinou le soir dansmonlit, l'tatsemi-
3
hypnagogique. Descartescrit4: Qu'un gomtreinventt
quelque nouvelledmonstration (en songe), son sommeilne
l'empcherait
pas d'tre vraie ; condition,ajoutons-nous,
qu'elle soit vraie,ce que Descartesn'assurenullement. L'tat
mentaldu rve,dit FranoisPaulhan5,esttrsapte nous faire
pntrer la divagationde l'espritfaux. Dans le rve,poursuit-il,
on bauche des thories,on se sent illuminpar une ide sou-
daine, et l'on reconnatau rveilqu'ona presstendrement sur
soa curun navet. Suiventplusieursexemplesemprunts au
livre de Delbuf: Le Sommeilet les Rves.D'autres veulent
assimilerl'activitscientifique, non au rve,mais la rverie.
Un jeune psychologueleur rpondexcellemment : L'idation
de l'hommeintelligent est dure et douloureuse ; celledu rveur
est molleet agrable6.
Les prescripteurs de toutefixationde la pensesententleur
thsesi fragilequ'ils prouventparfoiscommele besoinde la
dsavouer. Parce que nous appelionsl'attention,proteste
Bergson,sur la mobilitqui est le fonddes choses,on a pr-
i. L'Eau et les Rves,p. 9-10.Et encoro[Psychanalysedu Feu, p. 50) : La
sciencese formepluttsur une rverieque sur une exprience, et il fautbien
ds expriencespoureffacer les brumesdu songe. L'auteurindiquefortbien
ailleurs{id.,p 129)la diffrence entrela connaissancescientifiqueet la connais-
sancesensoiiele,ldusil pennevisiblemeutque la premiresortde la seconde
par voie de continuit.Ainsisemble-t-il croire(p. 106)que l'alchimie,lie selon
lui une immenserveriesexuelle, a t un acheminement la chimie
scientifique,alors que celle-ci,commedit fortbien D. Essertier(Ouv. cit.,
p. 197),a suc d l'alchimie en l'assassinant, de mmeque les machines
volantesde RogerBaconn'ontconduiten rien l'aviation.
2. ErnestMach,La Connaissanceet l'Erreur,trad,franaise,p. 171.
3. Scienceet Methode,p. 55.
4. Discoursde la Mthode,IV.
5. Espritslogiqueset Espritsfaux, p. 332sqq.
. EtienneSouriau,Pense vivanteet Ptrfectionformelle,p. 8. On trouve
la mmeide chez un pote,plus soucieux,il est vrai,de mettresa griffe sur
le mondeextrieur que d'en pouserl'ineffablemouvance: Le penseurveut,
le songeursubit. (VictorHugo,Les Travailleursde la Mer,I, vi.)

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176 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

tendu que nous encouragions je ne sais quel relchementde


l'esprit. Parce que permanencede la substancetait nos
la
yeux une continuitde changement, on a dit que notredoctrine
tait une justificationde l'instabilit1. Cetterponselaisse
intactel'accusationqu'ellecroitconfondre : aussi longtempsque
les motsaurontun sens,une pensequi consisteen une conti-
nuitde changement est une pensequi ignoretoutestabilit,
toutefixit2; moinsqu'elle ne se fixesur cettecontinuit de
changement elle-mmeconsidrecommeune permanence ;
maison a alors Yidede la dure,le conceptde dure,ce qui est
toutautrechose que la dure,laquelledoit trepurgede tout
concept.Une ligne plus haut,l'auteurdclarepourles besoins
de sa cause : Notreintuition estrflexion. Or il prononcedans
le mmeouvrage(p. 88) : Ds que nousen cherchons unerepr-
sentationintellectuelle nous
(de l'intuition), alignons la suite
es uns des autresdes tats devenus distinctscommeles perles
d'un collier,etc. , tatsqui sonttoutautre chose que l'intui-
tion; aussi bien la thsede Yvolutioncratrice*est que, si
Tiutuition pouvaitdevenirrflexion, elle nousdonnerait le secret
du monde,autrement ditqu'elle ne Testpas. Rappelonsaussi au
matre,qui paratl'oublier,qu'il ne s'estpas born appeler
l'attentionsur la mobilitqui est le fonddes choses, maisqu'il
a enjoint la pensed'pousercettemobilit.Retenonsde tout
eela combienle prestigede la pensestabilisedoitpersister
demeurer fortpourque ses piresennemiscroientbon de soutenir
qu'ils la respectent.

Un argumentfrquemment produitpar les philosophesici


viss, voire pour excuserleurs outrances,est qu'ils ont voulu
ragir contre une pensepar grossirement
affirmations mas-

sives , contreune fermet exemptede nuances, dontTaine
serait,selon eux, le symbole.Ils ne paraissentpas voirque le

i. La Pense et le Mouvant, p. 110.


2. En direction. Il est bien vident qu en nature, la dure, comme a cru
devoir nous le rappeler M. Etienne Borne dans une sance de la Socit de
Philosophie de Toulouse, est fixit,puisqu'elle est conscience ; de mme qu'un
cours d'eau est fixit,du fait qu'il est eau.
3. Cf., p. 123-125.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 177

sens de la nuancen'impliquenullement le rejetde la fermet et


le
que propre du vrai est
penseur prcisment la fermet dans la
nuance. La sciencemodernediffrencie, dans l'ide globale de
masse,les ides de quantitde matire, de capacitd'impulsion,
de quotientde la forcepar l'acclration, de coefficient de la loi
d'attraction universelle : l'ide de chacunede ces nuancesestune
ide fortnette,aux contoursfortbien arrts.Nos mobilistes
semblent croirequ'unepense nuance est une pense mobile,
alors qu'elle est une pense qui s'est subdiviseen plusieurs
immobilits, le grandnombrede celles-cin'en faisantpas une
mobilit.C'est le cas de leurrappelerla parolede leurmatre:
Avecdesarrts,si nombreux soient-ils, vousne ferezjamais du
mouvement. On peut mmese demandersi ce n'est pas la
pensenonnuancequi seraitla pensemobile,avec le conti-
nuel va-et-vient qu'elle faitentreses composantesimplicites,
sans savoirs'arrter aucune. Spinoza enseignaitque les ides
confusesdrivent de Dieu commeles ides distinctes ; les mobi-
listestiendraient volontiers qu'ellesen drivent seules. Du moins
c'est elles qu'ils honorentquand ils exaltentun tatde l'esprit
o nosides s'enchevtrent les unesdansles autres (la dure),
ou un modede penserqui s'accomplitdans le nuageux,dans
l'obscur,dans l'inintelligible, presquedans le contradictoire1 ,
Une couleur,dit l'un d'eux,succde une couleur,un son
un son, une rsistance une rsistance.Chacunede ces quali-
ts, prise part, est un tat qui semble persistertel quel.
Pourtantchacunede ces qualitsse rsout, l'analyse,en un
nombrenormede mouvements lmentaires2. Nonpas de mou-
vementslmentaires, rpondla science,mais d'tatslmen-
taires,dontchacun,lui aussi, semblepersister tel quel , du
moinsun certaintemps.
L'opposition,au moinsvirtuelle, entrela nuanceet la nettet
s'exprime dans ce lemme de Boutroux : Chercher la nuance,au
risquemmed'effleurer la contradiction, tel estle moyende sai-
sirla ralit3. Observonstoutefois la timidit d' effleurer .

1. Ed. Le Roy,La Logiquede l'Invention, Revuedes Deux-Mondes,1905,


p. 203.
2. Bergson,Evolutioncratrice,p. 325.
3. De l'Ide de Loi naturelle,dans La Scienceet la Philosophiecontempo-
raine,p. 16-17.
Revue de Ma. - T. LV (no 3, 1945 12

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178 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

Voiciun exemplesaisissantde la volontqu'une pensenuan-


ce soit une pensemobile. Lorsque M. Einstein,critBruns-
chvicg,nous suggrede corrigeret de compliquer les lignesdu
newtonianisme, tropsimpleset tropschmatiques pourconvenir
exactement au rel,il affermit chez le philosophela conviction
qu'il tait effectivement utile de fairepasser la critiquekan-
tienned'un tat cristallin un tat collode1 . Est-il
besoinde direque la pensed'Einsteinn'a riende collode ?
Maisle remarquable estque Brunschvicg veuillequ'ellele soit.
L'ide que la perception de la nuanceest chosespcialedans
la connaissance,qu'en particulierelle impliquel'abandon des
murs habituellesde la pense scientifique,parat dans ce
texte- texteplus soupirqu'articul,pluttrvqu'crit,et
dit Musset- o l'on enjoint la pensede s'arrter au point
prciso une logique tropbrutalefroisserait la dlicatessedu
rel2 . L'auteurne semblepas se douterqu'unelogique,pour
n'trepas tropbrutale - par exemple,celle de Diracou de
Louis de Broglie- n'enestpas moinsde la logique.Maisnotons
cettesortede phobiede l'affirmation. On songe ces sensibilits
traitesde pathologiquesparune scienceirrvrencieuse, qui ne
peuventsouffrir la rude lumire du jour, mais seulement le clair-
obscurd'unechambreaux voletsclos.
Les observations de nuancesfaitespar Stendhaln'ontriende
mobile. Celles de Proust,parce qu'elles prennentpourobjet
des tatsd'me fuyants, n'ont,en tantqu'idesde ces fuyances,
riende fuyant.Une nuancepeut tremobile; la nolationd'une
nuance est une chose fixe.C'estce que semblentavoircompris
certaines littraturesmodernes(dadasme, surralisme)qui
veulent,si on les entendbien, consisterdans la vie elle-mme,
non dans une notationde la vie. On voitmaljusqu' ce jour ce
qu'est unelittrature qui n'estpas une notation.
WilliamJamesclassaitles hommesen espritsdurset esprits
tendres.La nuance,en tant qu'elle est scientifique, relvede
l'espritdur, comme tout ce qui est ;
scientifique les philosophes
susditsla tiennentapparemment pourun don de l'esprittendre.

1. L'Orientation du Rationalisme,in Revuede Mtaphysique et de Morale,


1920,p. 342.L'auteurplace les motscristallinet collodenuiruguillemets, lais-
santentendre qu'il ne sontpas de lui; maisil est clairqu'il y ouscrit.
2. Bergson,citavec enthousiasme par Ed. Le Roy,td.

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J. BENDA. - DE hk MOBILISE DE LA PENSE. 179

Signalonsune erreurvoisine*pratiquepar les mmesphilo-


sophes. Constamment ils.s'lventcontrela penseclaire,parce
qu'avec sa clart,assurent-ils, elle mconnatl'extrmecom^
plexitdes choses,dnoncent, par exemple,les purilesratio-
nalisationsdu clair1. Cettecole confondvisiblement clartet
simplicit et ne semble pas voir que certainesnotions trs claires
peuvent tre minemment compliques; les notions de la math-
matiquesuprieuresont fortclaires,si clair veut dire intelli-
gible, cependantque singulirement peu simples; de mme
celles de la rcentephysiqueet autressciencesavances.Il est,
d'ailleurs,certainqu'ilexisteune clartpurile; maisil enexiste
une autre qui l'est si peu qu'elle n'est comprhensible qu'
quelques-uns.On se demandetoutefois si la doctrinede telpen-
seur ici en cause, bien que se rclamantde l'espritde science,
n'estpas celledes mystiques, savoirque touteclartestpurile,
par le seul fait qu'elle est clart. Clartau sens cartsien; car
pour le mystiqueil existe une autre clart - la visionpar
l'amour- qui, elle,n'a riende puril.
Jepataugeais,dclareun de nos contemporains racontantsa
jeunesse, dans les marcages du rationalisme et je pensaisque le
monde entier est aussi explicablequ'unemachine battre2. On
a parfoisle sentiment que tels critiquesmodernesdu rationa-
lisme. Bergson,Brunschvicg,M. Bachelard,M. Rougier,lui
prtent le mmesimplisme que notrefougueuxpote.
Une autre de leurs croyancessembletreque, pourla science,
du moinspour l'anciennescience, clair signifiereprsentable,
visuellement reprsentable, imaginable.C'est contrece ra-
lismegrossier que s'lveM. GastonBachelardau nomdu nou-
vel espritscientifique . Faut-ilrappelerqu'il n'enestrienet que,

d. G. Bachelard,L'Eau et les Rves,p. 249.Un litterateur(J.Rivire,Corres-


pondanceavec AtamFournies,dcembre1906)dnoncela mme purilit :
Ah1 Dieu,crftte bonneclartfranaise, commeelle estg<ntille,maiscomme
elle est purile1 On pourraitlui rpondrepar ces motsde Renouvier: Qui
nous dlivrerade la clartfranaise,si toutson mritese rduii l'ordre,
la modration, l'observation du convenuet des convenances....Il est une
autreclart,dontla Franceautrefoisse vantait.C'estla clartdes auteursqui
se comprennent toujourseux-mmes, ne convientle public partagerque des
ides suffisamment mrieset exactement communicables. On n'estjamais plus
prsde cettequalitque lorsque,au jugementde certains,on paratla fuir.
(Essais de Critiquegenerate.Observationservantde prfaceau deuxime
essai.) Maisest-iljuste d'opposerun penseursrieux un aimableimpulsif?
2. Paul Claudelexpliquantsa conversionsous l'actionde Rimbaud.

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i 80 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

mmepour la sciencedu xixesicle,telle notion,par exemple


taitconsidrecommeclaire,alors qu'elle ne
celle d'entropie,

rpondait aucune ralitimaginable,mais uniquementparce
que l'entitalgbriquequ'on dsignaitsous ce mot / -ft- tait
parfaitement bienintelligible. Pareillement, pource qui est de ia
sciencemoderne.M. Louis de Broglienous ditque la coordi-
nationde nos connaissancessurles atomesn'a pu se fairequ'au
dtriment de la clartde nosreprsentations *
; il ne ditpas : de
la clartde nos ides. Et, de fait,l'ide de probabilitde pr-
sence,ou de fonction quatre variables,qui remplacele mot
onde commetropchargde sens imag,sontdes ides par-
faitement claires,si l'on entendpar clairesqui rpondent une
conceptionde l'espritidentique elle-mme, une dfinition.
Mais, l aussi, on se demandesi l'ide de dfinition, en tant
qu'elle est un cas particulier de l'ide n'est
d'immobilit, pas, au
les
fond,repoussepar penseurs ici en cause2.
Par la mmepositionqu' l'gard de la nuance,ces philo-
sophesveulentque l'espritde finesseimpliquela mobilitde la
pense. L'espritde finesse,dit Bergson3, est le refletde l'in-
tuitiondans l'intelligence , l'intuition tantpourlui incessante
mobilit.L encoreil y a une erreurtrsrpandue,dontil suffit
d'noncerle contrepied pourque toutle mondela reconnaisse:
une pensefinepeuttreunepensetrsarrte.C'est,au con-
traire,la pensepaisse,la penseexemptede rigueurqui est
une pensemobile,qui danse dans ses contourscommedansun
vtementtrop large et se traduitpar un styleflasque,encore
qu'affectant souventles dehorsdu dfinitif. Voirla pense de
runionpublique.
k

de l'colebergsonienne
Les mobilistes la sainepen-
conoivent
se commeune continuit de conscience,
commeun courantde

1. L'Avenirde la Science,Pion,1942,p. 20.


2. On se le demandequand on voit un savant modernedclarerdans un
ouvrage,toutimprgnd'ailleursdu plus fermeespritde science,que de la
sciencedsormaisil fautbannirles motsde notionset de concepts. (E. Jti-
vet,La Structuredes nouvellesThoriesphysiques,p. 131.)
3. La Penseet le Mouvant,p. 100.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 18i

pense(streamofthought), surquoi se dtachent, seloneux,des


moments de nettet, que leur nettet nous rend particulirement
sensibles,les ides,les concepts,maisqui, en raisonde leurrup-
ture avec la ralitspirituelle, leur semblentdes phnomnes
anecdotiques, assez peu dignes de considration. Us les com-
parent, non sans ddain, aux coups de timbale dans une conti-
nuitsymphonique. Ils ne paraissentpas voirque ce sont ces
coupsde timbalequi constituent les penseset qu'un espritqui
consisterait en un pur coulementspirituel,indemnede toute
concentration autourd'unpointdtermin, connatrait peut-tre
de la pense,mais ne connatrait pas une pense. Une pense
n'estpas un mouvement de l'esprit,maisun tatde l'espritou,
si elle estmouvement, elle est un mouvement limitet dfini,du
moinstendant l'tre1.La positionde ces philosophes pourrait
s intituler: l'espritcontrela pense2.Quandleurmatredclare:
La choseet Ytatne sontque des instantansartificiellement
prissur la transition ; et cettetransition, seule naturellement
exprimente, est la pense mme3 , il omet d'ajouterque ce
sont ces prisesartificielles sur la transitionqui constituent la
et alors
pensereprsentable transmissible, que l'espritqui s'en
tiendrait la transition naturellement exprimente serait
condamn un silence,peut-tre mtaphysiquement suprieur,
mais du pointde vue du savoirhumain- ce que l'auteurest
loin d'avouer- essentiellement strile. Un psychologuelui
rpondfortjustement: La pense pure (sans motset sans

images),dansla mesureo elle estvraiment pureet se distingue
du contenusensibleauquel elle s'appliqueou qu'elleenveloppe,
est une pense-tendance, une ide-force, un rapportactifet rien

de plus4. Dans le mme sens le littrateur plushautcit,aprs
avoir assimilla saine pense un mobilequi cheminesurun
plan inclin,ajoute que tout arrt de la pense(c'est--dire
toute ide formelle) est donc d quelque rsistancepas-

1. Delacroixva jusqu' dire, avec raison selon nous,qu'il n'y a conscience


que s'il y a conscienceborne.
2. Cettepensequi ignoretoutedtermination, voirecelle de nous-mme ;
qui peut, en outre,par distension, devenirla consciencede l'Univers,
n'est-cepas la Pense,attributde la Substanceinfiniede Spinoza?Les thmes
da la mtaphysique sontsi peu nombreux1
3. Dure et Simultanit, p. 54-55.
4. J. Burloud, Essai d'une Psychologie des Tendances, p. 79.

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182 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

sive , que la satisfactionqu'on trouve la fixerest une rsis-


tance de ce genre,aussi bien que le seraitla fatigueou tout
autre cause trangre la pensequ'elle suspend1. Notez le
mprisqu'on jettesur ces fixations, qui sontdonc des suspen-
sions de la pense(ces suspensionspeuventtreles plusriches
noncsde la science)en les comparant une fatigue.L'auteur
ne semblepas s'apercevoirque ce sontces rsistances - ces
fatigues - qui fontque l'esprita des penseset que sans
elles il consisteraitdans un monotonedbitmentalqui ne res-
sembleraitpas plus une pense que l'ternelronronnement
d'un ruisseaune ressemble une uvremusicale.Il dclare
d'ailleursquelque part n'estimerla pense que comme une
exprimentation purement psychiquesans objet2 , ce qui est la
rpudiation, expressecettefois,de touteactivitscientifique, du
moinsexprimentale. Le curieuxestque ce contempteur de toute
dtermination de l'esprit,qui se montreen cela un purmystique,
passepourun intellectualiste 3.
Cetteposition,qui consistedans la vnrationde l'espriten
soi, paroppositionaux ralisationsde l'esprit,lesquelles,du fait
qu'ellessontdes chosesfixables,sonttenuesparcettecolepour
des dchetsde l'esprit,est une positionmystique: la mystique
de l'esprit.Elle est l'antipodede l'espritscientifique,lequelest
une positionpratique,en ce qu'il faittatdes propositions de
l'esprit, de ses rsultats, selon le reproche de M. Serrus 4, et
ne se soucienullement de concider avec sa naturemtaphysique.
Ces vues sur la pense considre dans l'individunous
paraissentvaloir aussi pour la pense traversl'histoire.L
aussi la fortepense,s'il est plausiblequ'elle soit trssouvent

i. P. Valry,loc. cit. L'auteurprononceauparavant: II n'est pas d'ide


qui ait sa fin en elle-mmeet interdiseou absorbetout dveloppement ou
touterponseultrieure. Proposqui demanderait trenuanc,au lieu de
tombercommeun oukase; il y a, en mathmatique, des ides - de limite,
de
d'quation, groupe, d'ensemble- qui semblent fortbien avoirleur finen
elle-mme.(Avoirune finen soi-mmeou interdire des dveloppements ult-
rieurssontdeux idestoutesdiffrentes.) En outre,pourqu'uneide permette
des dveloppements ou des rponses,il fautqu'ellesoit fixe,et noninsaisis-
sable la faond'un mobilesur un plan inclin.
2. Gil dans le Romantismeallemand,publicationdes Cahiersdu ud,
p. 141.
3. Nousessayonsd'expliquercettemaldonnedansun prochainouvrageinti-
tul : La Francebyzantine.
4. Cf.supra, p. 3.

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J. BENDA. - BE LA MOBILIT DE LA PENSE. 183

prpareparle courantspirituel de sonpoque,nous semble


pourtantconsisterdans une ruptuTe d'aveclui, prcisment par
qu'elleapporte l'ide,alorsque celle-ci,avec la pen-
la fixation
se qui repoussetoutefixit,se contentaitd'tre dansl'air .
Cetteruptureest si relleque la fortepenseproduittoujours,
mmedans l'ambiancequi l'attendait,un sentimentd'tonn-
ment.Le rledes grandspenseurs,observejustementRibot,a le
caractredes actionsbrusques1.
En somme,qu'il s'agisse de la pense considredans l'indi-
vidu ou traversles ges, l'ide de penseest lie pour nous,
non pas l'idede continuit, maisde discontinuit, nonpas de
ncessit,mais d'accident,de chose qui auraitpu ne pas tre.
C'est pourquoila grandepense scientifique - commel'artis-
tique avec laquelle, bon droit,on si
l'identifie souventsous ce
-
rapport nous donneune impressionde miracle.Impression
enveloppedansl'idede gnie.
On pense volontiersdevantces doctrinesde continuit la
clbreexpriencede du Bois-Raymond, faisantpasserun cou-
rantlectriquedans un filde laitond'une maniresi parfaite-
mentcontinueque, malgrla haute intensito parvenaitle
courant,la temprature du fils'leva peine. L'ide de conti-
nuitne serait-ellepas associable celled'absenceou du moins
de faiblessed'effet
? Faut-ilrappelerque les actions continues
dontparlentcertainsgologueset transformistes sontdes suc-
cessionsd'actionsdiscontinues?(VoirnotreouvrageLe Bergso-
nismeou une Philosophiede la Mobilit,noteD : Evolution-
nismeet Continuit. Nousy citonsce motde Renouvier: L'es-
prit,dontles oprations sontdiscontinues .)

La croyance l'instabilit
essentiellede la pensescientifique
revtencoreles formessuivantes:
a. Une pense scientifique cesse d'tre valable du seul fait
qu'elle est au
parvenue but qu'elle poursuivaitet s'y estarrte.
Cettethsese trouvelonguementsoutenuepar un savantcon-
temporain,qui dclare que ses confrres saventqu'en tra-

1. L'volution des Ides gnrales, p. 246.

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184 REVUE DE MTAPHYSIQUEET D MORALE.

vaillantau perfectionnement de leursthoriesils travaillent


leurdestruction et assignecommedevise la scienceentire
la belle phrasede Montherlant : Tout ce qui est atteintest
dtruit1. Dans le mmesens nous entendions rcemment un
jeune philosophe,membredu juryd'une soutenance thse2, de
assurer qu'un dramephilosophiquednou n'offre plus d'in-
trt.C'est peu prsle motde Barrs: Une chosecesse de me
retenirds qu'elle a perduson mystre ; mot naturelchezun
pote,mais qui tonnechez des hommesdont la fonctionest,
non seulementde chercher claircirles mystres , mais de
souhaiterd'y russir.Le lecteura dj rponduqu'il est par-
faitement fauxque ce qui est atteintsoit pour cela ncessai-
rementdtruit.On ne voitpas que la connaissancede la nature
des orbitesplantairesou de la loi des proportions dfiniessoit
dtruiteparce qu'elle a t atteinte,ni mmeparce qu'on a
cherch la perfectionner. Dire que l'air est composd'oxy-
gne et d'azote n'est pas infirmparcequ'on y a depuis ajout
l'argon. Complterune affirmation n'estpas la dtruire.Mais
apparemment les savantsen questionentonnent ici une ide
la modeplusqu'ils n'yrflchissent.
L'ide que ce qui est atteintestdtruitest infiniment voisine
de cette autre, particulirement chre Brunschvicg,selon
laquelle une scienceachevequivaudrait la mortde l'esprit;
ce qui impliquecetteide romantiquequ'il n'y a vie que s'il y
a agitation,la srnitne faisantpas partiede la vie. Mme
romantisme dans ce dcretd'Alain: Toute ide devientfausse
ds que l'on s'en contente. En quoi la thoriede la division
devientelle fausse parce qu'on s'en contente ? Il est d'ailleurs
certainque la facilit se contenterest souventun obstacle

1. L'volutiondes Sciencesphysiqueset mathmatiques, par G. Bouligand,


Ch. Brunold,etc., Flammarion, p. 85. - On remarqueracombiende philo-
sophesmettentaujourd'huileur pense sous l'autoritde littrateurs, voire
de potes,dontla valeur en tant que penseursestpluttcontestable : on se
demandece que les noms de Montherlant, de Claudel,de TristanTzara,de
Paul Eluardviennentfairedans des crits prtention srieuse.Notezque la
pensede ces littrateursn'estpas prisepar ces philosophesen tantqu'objet
de clinique,commel'taitcelledes symbolistes par Ribot,maiscommedirec-
tive,commemodle mditer(notamment par M. G. Bachelarddans la Psy~
chanalysedu Feu, VEau et les Rves).Il y a l, dans les mursde la philoso-
phie,une nouveautqui voudraitune tude.
2. La thsede M. Ad. Wolf: La Sensationet Vintage,Facult de Toulouse,
1942.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSEE. 185

au progrsde la science; mais c'est l une toutautre ide1.


b. L'espritscientifique ne conoitpas de problmesdontla
solutionsoit acquise, mais seulementdontla solutionest dans
le devenir.Cettepositionest celle de Bergsonquandil assure
que les solutionsdes problmesscientifiques doiventtre sans
cesse corrigespar les solutionsqu'on donnerades problmes
suivants2 et,chosepluscurieusede la partd'unespritsi averti,
par HenriPoincar dclarant: II n'y a pas de problmes
rsolus;il n'ya que des problmesplusou moinsrsolus3. A
quoi l'on rpond: lo qu'il existedes rsultatsscientifiques aux-
quels la science postrieure n'a rien chang; on ne voit pas en
quoi la rsolution de l'quation du deuxime degr ou de la
mesurede Tare d'ellipseont t corriges parla solutionde
problmes suivants,en quoi ellessont plus ou moinsrsolus ;
la thoriede la capillarits'enseigneaujourd'huitelle exacte-
mentqu'elle futinventepar Laplace il y a centcinquanteans;
les lois de la rfraction n'ontpas changparce qu'on a adopt
successivement pour la lumirela thoriede l'mission,des
ondulations ou des branlements lectro-magntiques ; 2 pour
ce qui regardeles solutionsqui, en effet, ne sontque provisoires,
dontle savantsait qu'ellesne sontque provisoires, il les consi-
dre dans leur stabilitmomentane,qui lui permetde les
penser,de les enseigner, voire de les corriger,et non dans un
incessant devenir surlequel son espritn'auraitaucuneprise.
Toutescienceest fixit, quitte changerde fixit.
c. Une pensevraimentscientifique .doitrendrecomptedela
totalitdu rel, au lieu d'en dcouperarbitrairement une por-
tion et de la traiterisolment.Cettethse,encorequ'elle ne le
voiepas toujours,prchebienl'instabilit l'espritscientifique,
puisqu'ellepourratoujoursluireprsenter, quel que soitle tout
qu'il considre,qu'il y a quelque chose au-delqui le rclame

1. C'estun peu la pense de Nietzsche,beaucoupplus plausible que celle


d'Alain,malgrce qu'elle a encorede grossirement massif: Toute ide
devientvnneuseds que l'on s'en contente.
2. Evolutioncratrice,p. 225.
3. H. Poincar,Confrence sur l'Avenirdes Mathmatiques. - Poincardit
encore: Nous ne sommespas srs que le soleil se lvera demain. Surce
scepticisme,on pourraitdiremondain,voird'excellentes pages de A. Fouille:
Les Philosophiesanti-intellectualistes,
p. 244 sqq. Voiraussi une trs bonne
critiquedes paradoxesde Poincar,notamment sur l'espace,dans P. Delbet,
La Science et la Ralit, p. 130 sqq.

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186 REVUE DJS MTAPHYSIQUE ET DE MURALE.

et lui dfenddoncde se fixer; ses adeptesnous montrent, d'ail-


leurs,une pensescientifique avide de totaliti , c'est--dire
par cela mmeen tatd'instabilit ; on a le sentiment qu'ils nous
parleraientvolontiers,avec un exgtede la philosophiede
M. Blondel,de 1' angoissede la totalit 2. La thsea t sou-
tenue,en ce qui concernel'histoire, parTolstoetrcemment par
M. Paul Valry,se gaussantde cetexercicequi retientquelques
faitsdansune immensit et se prtendune sciencel Elle l'est
dans touteson ampleurpar l'auteur de Yvolutioncratrice
quandil crit (p. 225) : II faudrait,pour qu'une thse ft
dfinitive, que l'espritpt embrasseren bloc la totalitdes
choseset les situerexactement les unesparrapportaux autres,
ou encoreparle philosophede YExpriencehumaineet la Cau-
salitphysique prononant(p. 203): Suivantquel critrium
dciderons-nousqu'un phnomnedonn dans une srie est
assez loign d'un autre dans l'espace et dans le tempspour
que nousl'endclarionsindpendant? Jevois,dans monjardin,
les feuillesqui tombent ; cela me suffit-il pour devinerque la
masse totalede la planteest intresse ce phnomne?Je
regardeun morceaude charbonbrlerdans machemine; est-ce
assez pour comprendre que je rcupre monprofitune cha-
leurjadis fourniepar les soleils prhistoriques ? L'erreurde
ces penseurs(est-elleinvolontaire ?) est de croire qu'en lui
enjoignant de connatre de la totalitdu rel ils assignentson
rle la science(cela est formel chez Brunschvicg), alorsqu'ils
l'assignent la mtaphysique. Le Tout, ditexcellemment un
critique3,est une ide de mtaphysicien (nous oserions dire de
mystique) : il n'est pas une ide de savant. Et, en effet,il n'ya
de scienceque de quelque chose,c'est--dired'une chose con-
sidre- artificiellement d'ailleurs- commelimite, quitte en
4
reculerla limitesous la leon de l'exprience ; quand l'esprit

4. G. Bachelard,op. cit.,p. 444.


t. L'Avenirde l Science,Pion,4942,p. 426-427.
3. A. Darbon,La Mthode de Synthtiquedans tissaiau. tiameiin,mnevue
de Mtaphysique et de Morale,4929.
4. Pensantjustifiersa thsede la totalit,
L. Brunsehvicg montre(Id., Ibid.)
JeanPerrinqui, ayantd'abordexpliqul'explosionde l'atomepar la prsence
des rayonsX ou des rayonsY, se demandesi ces rayonsne pourraientpas
avoireux-mmes une origine laquelle il se peut que personnen'aitsong.
Il se peut que le rayonnement actif sortede dessousnos pieds, du centre
ardentde la plante. JeanPerrin,en vraisavantqu'il est,ne faitque reculer

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 187

a voulunoncerquelque chose de scientifique sur l'Univers-


en lui tendantle principede Garnot; en parlant,avec Einstein,
de sa courbure- il Ta considrcommelimit.Louisde Broglie
a montrque si les conceptsd'individualit et mmede systme,
de choselimite,nes'adaptent
c'est--dire pas la ralit,ils sont
pourtantindispensables la
pour dcrire, c'est--dire pour faire
oeuvrede science*. Descartesest peut-tre fautif,comme le lui
reproche(est-ce bon droit?)M. Bachelard2,de ne considrer
l'objetque dgagde relationsavec d'autresobjets3,mais il fait
parfaitement preuved'espritscientifique en s'abstenantde le re-
garder dans son rapport avecle Tout. Vouloir tudierl'ensemble
danstoutesa complexit, ditexcellemment M. PierreDelbet,ce
seraitse condamner l'impuissance.Simplifier les problmesest
une conditionindispensable du succs4. Nous nepouvonsnous
dfendre de citercetteparole du jeune Lachelier Ravaisson,
dans unelettreinditequi nousesttombesous les yeux: Mon
sujetde thseseraplus troit,c'est--dire plussrieux. Toute
dtermination est ngation, dclarenon sans hauteurSpinoza
au nom de la Substance.infinie,c'est--dirmouvante ; mais
toutescience,rpondrons-nous, est dtermination 5. D'ailleurs
Spinozaqui, lui, ne se mprenait pas sur la naturede son action,
lgifraitpour la mtaphysique et nullementpour la science.
De mmen'enveloppons-nous pas dans notrecritiquedes mta-

la bornedu phnomnequ'il considreet ne se prparenullement embrasser


la totalit.- G. Bachelard(Psychanalysedu Feu, p. 129) montrece qu'il y
a d'antiscientifique vouloir embrasserla totalitd'un phnomne; voir
aussi H. Poincar,Scienceet Mthode: Le choixdes faits*.
1. L. de Broglie,Matireet Lumire, Ralitphysiqueet idalisation,
p. 312 sqq.
2. Op. cit.,p. 142.
3. L. de Brogliea montrTerreurde l'anciennephysiqueconsidrantles
corpusculescommesans interaction et s'ignorantl'un l'autre{Individualisme
et Interactiondans le Mondephysique,in Revue de Mtaphysique,1937),
mais n'en prchepas pourcela la considration du Tout.
4. P. Delbet,La Scienceet la Ralit,p. 117.Il cite,nonsans saveur,cette
boutaded'unironiste: Le botanistequi veut dcrirel'artichautdcritla
tige,le fond,les feuilles,le foin.Le mtaphysicien liminetoutcela et tudie
le reste. Un psychologuede l'espritscientifique critfortjustement: rLa
sciencen'estpossiblequ' la conditionqu'on puissedcouperdans l'ensemble
du reldes systmesrelativement clos et considrercommengligeablestous
les phnomnes qui ne fontpas partiede ces systmes. (J.Picard,Essai sur
la Logiquede l'Inventiondans les Sciences,p. 167.)
5. Le motde Spinozaest invoqu par Brunschvicg mais,apparemment, au
nomde la science(Sancede la Socitfranaisede Philosophiedu 24 fvrier
1921)en rponse une trsjuste objectionde M. GabrielMarcel.

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188 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

physiciensrsolus comme MM. Blondel, Lavelle, Le Senne


qui, loin de sommerla science de donner le Tout, se d-
tournentd'elle au contraire, parce qu'ils reconnaissent
que, par
essence,elle n'a pas le donner.Au surplus,nous touchonslu
une attitudetrs frquentechez certainsantiscientistes mo-
dernes:condamnerla science ne plus dire un mot, vu que
toutmotestun dcoupagearbitrairedans la ralit,et l'y con-
damnersous prtexte d'espritultra-scientifique.

Nous avonsditplus haut que la mobilitde la science con-


siste dansle passaged'une positionfixeA une autre B. Les
tenantsde la mobilitviergede toutefixitse demanderont si,
par le mot de passage, nous ne leur donnons de
pas gain cause;
si nousne confrons pas ainsi la positionA la facultd'tre
la foiselle-mmeet tendance treautrechose qu'elle, c'est--
dire l'essentiellemobilit.Telle n'est en rien notrepense.La
positionA passe la positionB sous l'actionde Vexprience,
nullementen raison d'une tendance changerqui lui serait
intrinsque. Le caractrenatureld'une pense scientifique (je
diraisde toutepense)est la stabilit,et cellesque l'exprience
n'est pas venue dmentir- il y en a de nombreuses- de-
meurent ce qu'ellessontdepuisdes siclessans paratreen souf-
frir.Certesmaintshommesde scienceont dclar que l'ide
qu'ilsnonaient seraitdpasse,maisils ne l'en ont pas moins
tenuepourstabledansle tempsqu'ils l'adoptaient. Je prends
le partide m'arrter,faitdire Renouvierau savant, ce qui
pourle moment meparatle vrai. Newtonsavaitque sa loi de
l'attractionn'taitqu'un stadedans la connaissancequ'il sou-
haitait; elle n'en formaitpas moinsdansson espritun tatqui
n'avaitriende mobile; de mmepourLavoisier,prvoyant que
le plus grandnombredes corps qu'il regardaitcommesimples
cesseraientplus tardd'treclasss commetels1; pour Poincar
annonantque la victoiredu principede relativitobtenuepar
l'expriencede Michelsonseraitunjour plus complte2.L'atfa-

1. Hoefer,Histoirede la Chimie,p. 519.


2. Electricitet Optique,1901,p. 536.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 189

chementde l'esprit soq ide est chose si naturellechez le


savantqu'en gnralce n'estpas le savantPaul qui changelui-
mmesa doctrinemais un autre,Pierre,qui le plus souvent
rencontre en Paul unersistance.Historiquement, tous les pen-
seursdignesde ce nomontt fortattachs leursides. Ceux
qui condamnent la rigiditde la pense ne fontpas exception ;
les sceptiquessemblentavoirtpeu sceptiquessurla valeurdu
scepticisme et Bergsontrangement peu fluide dansl'adop-
tiondu bergsonisme.
La croyancequi veut qu'une positionde l'espritcomporte,
parla seul naturede celui-ci,la ngationde sa fixitetl'nonc
d'autrechosequ'ellea trouvsa pleineexpression dansle dogme
ditde la dialectiquehglienne.Rappelonsque, dansce systme,
une positionde l'espritA appelle,par sa seule existence,une
autre posilion,exactementsa ngationnon-A; ces deux posi-
tionss'unissentdansun tatmentalqui, tantfaitde deuxcon-
tradictoires, constitueexactement de la mobilitspirituelle(le
dialektisches moment) ; enfin,de cetteunionde contradictoires
jaillitunenouvellepositionB. Ce thmenoussemble,en ce qui
regardela pense scientifique, mais c'est elle qu'il prtend
dcrire,un tissud'affirmations fausses :
Io Si la positionA voitse produireen face d'elle la position
non-A,c'estpar Veffet de l'exprience, nullement en vertud'une
tendance la ngationd'elle-mme, ou simplement au change-
ment,qui seraitune donne de sa nature ; on ne compteplusles
positionsde l'espritqui n'ontjamais rencontrleurcontraire ; la
thsequi veutque la terretournesurelle-mme en vingt-quatre
heuresou que la lumiresoitde naturelectriqueattendencore
sonantithse (nousne disonspas soncomplment).
2 Mmedans le systmehglien,l'espritn'estpas la fois
A et non-A,n'estpas contradiction. En concdantque A suscite
ncessairement non-A,le processusmentalest le suivant: l'es-
pritestd'abordA, posilionfixe;il est- ensuite,etnonpas dans
le mmetemps- non-A,autrepositionfixe; ensuiteencoreil
confronte A avec non-Aeten faitune synthse B, qui estunetroi-
simepositionfixe'. En toutcela le dynamisme de l'esprita

4. La doctrineexacteenseigneque la nouvelle positionB estun effetde la


ngationde non-A(la ngationde la ngation).A quoi l'on a fortjustement
rpondu(Hffding, cit par Meyerson,De l'Explication dans les Sciences,I,

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190 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

consisten une successionde positionsfixes,du moinspendant


un certaintemps,en une transformation discontinue,non en
une absencede fixit ; s'il a connu un moment une telle absence
- au momentde la synthsede A avec non-A- il l'a connue
pour en sortir,en tantqu'il s'esttraduitpar une pensescienti-
fique,c'est--direformule et communicable. Il fautque l'hg-
lianismese rsigne: en tantqu'il se veutscience- et il se veut
tel- il avance,toutcommeson opposle cartsianisme, d'iden-
titsen identits.
Que dansla dialectiquehgliennela thsen'impliquenulle-
mentpar elle-mmeson antithseou contradiction, c'est ce
qu'tablitnettement ce raisonnement de Renouvier(c'est l'au-
teurqui souligne): De deux chosesl'une, ou l'objet chang
conserveune partiede ses qualitsantrieures...et on dit dans
ce cas que Vobjetrestele mmeobjettout en changeant,et non
pas qu'il se contredit ; ou bienl'objetchangn'a plus rien de
communavec le prcdent,c'estun autreobjet qui est venu,et
il n'ya l non plusaucunecontradiction. Il est du moinsimpos-
sible d'assigner ce que c'est qui se contredit1. Renouvier,
commeil faitsi souventet par quoi il est si antipathique toute
uneracede philosophes,perceici jour une confusiond'ides:
Videde changement estune tout autre choseque ride de con-
tradiction.Ajoutonsque la base de son raisonnement - de
deuxchosesl'une - lui alinetoutde suitecetterace qui veut
que l'on concilie les contradictoires et non que Ton choisisse
l'un l'exclusionde l'autre.
Il ne faudraitpas nonplus confondre le faitpar lequell'esprit,
pourprciser une de ses ides,voque l'ide contraire,avec le
faitpar lequelil adopterait leurcontradiction ; de ce que l'esprit,
pourprciserl'idede continu,suscitecelle de discontinu, il ne
s'ensuitnullement qu'il en supprimel'opposition, etmoinsencore
qu'il en fasseune synthse ; le faitque certainstresmathma-
de
tiques(l'espace Hubert) soient homognes la foisau continu
etau discontinu2n'empchepas ces deuxnotionsde demeurer

27), que par la ngationde non-A,l'espritretombesur A. La nouveautB est


donnepar l'exprience,nullementparla logiquedialectique.
1. Philosophieanalytiquede l'Histoire,tome IV, p. 68i.
2. Cf.AlbertLautman,Essai sur les Notionsde Structureet d'Existenceen
Mathmatique, p. 120sqq.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 19i

distinctes et de n'trel'objetd'aucunnouveauconcept,qui serait


leur fusion; de ce que Descartesformel'ide du parfaitpar
l'idede l'imparfait .*,il n'endrivenullement qu'il abolisseleur
distinction et qu'il fassed'ellesune symbiosequi lui donneune
nouvelleide.
Dans un articlequi est un hymneperduau dynamisme de la
tel
pense que nous le nions ici, un philosophecontemporain2
nonced'abord cetteproposition, dontnous sommestousd'ac-
cord: Les notionsqu'il (le sujet connaissant)prendde cette
matire(la matiredu connatre)ne doiventjamais tre consi-
dres commedfinitives ou statiques (nous reviendrons sur
la confusion de ces deux derniersmots). Maisil ajoute : Leur
rythme dialectique( ces notions)leur confrencessairement
ce relativisme et ce dynamismefoncierso nous retrouvons la
conclusioncapitalede la critiquecontemporaine. II est vident
que, pourFauteur,le rythme dialectique de ces notionscon-
sistedans un changementincessant,ignorantde toutefixit;
car s'il consistaitdans une successiond'tats fixes- ce qui
noussemble,encoreunefois,le vrai dynamisme de la science
- pointne seraitbesoin pour l'exprimer de cetteterminologie
toutespciale.
Notreauteurcite,pour l'approuver,ce textequi est comme
la chartede la dialectiquehglienne:
Dans la mesureo des combinaisonsdonnesrestentces
mmescombinaisons, nous devonsles apprcierselonla formule
oui est oui et nonest non (A est A, B est B). Mais dans
la mesureo ellesse transforment et cessentd'tretellesquelles,
nous devonsfaireappel la logiquede la contradiction. Il faut

que nousdisions oui etnon , ellesexistent et n'existent pas 3.
Toutel'quivoquegtdans les mots: se transforment. Veut-
on parlerd'une transformation continue,ignorantede toute
fixit?Alors,en effet, le principed'identit ne joue plus, la lo-
gique(?) de la contradiction s'impose. Veut-on parlerd'une
transformation discontinue,o un tat considrcommesem-
blable lui mme pendantun certaintempspasse un autre

IV.
1. Discoursde la Mthode,
2. Abe! Rey : La Critique contemporaine
; Le Matrialismedialectique,
tomeI.
Eacyclopdiefranaise,
3. Plekanov, Questions fondamentales du Marxisme, p. 100.

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492 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

considrsous le mmemode et infiniment rapprochdu pre-


mier? La pensepersistealors releverdu principed'identit ;
nous n'avonsnullement dire: Les chosesexistentet elles
n'existent pas , mais elles existentet d'autresensuiteexistent,
qui d'ailleursne nientselon aucunencessitles premires.Or
cette transformation discontinueest la seule qu'envisagela
science(on pourraitmmedirele langage),par la bonneraison
que l'essencede la science est d'introduire- arbitrairement,
mais cet arbitraireest sa naturemme- de la fixitdans le
changement, d'insrer,selon une formuleelbre,de l'identit
dans la ralit.Quand un autre dynamiste du mme bord
prononce, non sans ddain : le principe d'identit n'a que la
ported'une convention, cellede... stabiliser les tou-
proprits,
joursenvoiede transformation, des objetsempiriques surlesquels
on raisonne1,il noncesimplement du haut de sa superbele
moyengnialpar lequel l'esprita russi faireune scienceen
dpitde la mouvancedes choses.Quandle philosophede VEn-
eyclopdiefranaiseajoute: oui et oui, formule du statisme,
oui et non,formule du dynamisme ; or le statismen'estqu'appa-
rence, nouslui rpondrons que cette apparence est l'objet
de la science, alors que le rel l'est d'embrassement mystique;
t quand il conclutque le statique ne se suffitpas lui-
mme, nous lui rpliquerons qu'il se suffit lui-mmeen tant
que volont scientifique, condition de ne pas confondre,
comme il le et
fait,statique dfinitif, mais de comprendre que
le statique peut se savoirprovisoiresans nullementdevenir
pourcela mobilitinsaisissable.
La rponsetopique ceux qui mprisent les apparencesau
nomde la science a t faitepar Goblot en cette lumineuse
page : La science(paropposition la mtaphysique) se garde
biend'opposerl'tre ses manifestations empiriques,qui n'en
seraientque les apparences.Il ne s'agit pas de dchirerle voile
des apparencesempiriquesdans l'espoir de dcouvrirainsi la
ralitnue. Car cette ralit,les apparences,c'est--direles

1. L. Rougier,op. cit.,p. 444.Cetteconventionn'estencore,nous ditTau-


leur,toujourshautain,que celle de prendreles motsdonton se sert dans le
mmesens au coursd'unediscussion ; ce qui est simplementJa condition
de la pense,mmedansle soliloque.Voir toutefoisdans le
d:i1intelligibilit
iiiaieouvrage(p. 427)une bonnecritiquede la dialectiquehglienne.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 4$3

phnomnes (phnomne, en grec,signifieapparence),loin de la


la
voiler, rvlent la science *.
Prcisonsbien que nous n'assignonsla discontinuitqu'au
mouvement des chosestel qu'il est dans notrepense,cettedis-
continuit tantla conditionqui nousle rendpensable,du moins
scientifiquement ; nous ne l'attribuonsnullement ce mouve-
menten lui-mme.Que savons-nous,d'ailleurs,de ce mouve-
ment,fussions-nous ultra-bergsoniens? QuandSocratereprsente
au mobilisteCratyle: II n'ya pas de bon sens soutenirqu'il
existe une connaissance,si toutes choses se transforment et
qu'aucune ne demeure , il devrait dire : Si notice
esprit
n'admetque des choses qui se transforment et dont nulle ne
demeure. Notrethseest que la sciencen'est possiblequ'avec
une certaineide des choses, quitte ce que les chosessoient
toutautresque cetteide.
En somme,ce que nous reprochons ici certainshommesde
science,c'est,alors que le bergsonismeleur signifie, non sans
hauteur,qu'ils procdentpar successiond'arrtset ignorent
la mobilitpure,que lui, bergsonisme,dtient,de ne pas lui
rpondre qu'eu eiletils procdent ainsi, qu'ils en ontpleinecou-
science, au lieu de le nieret de prtendre qu'ils connaissent cette
puret.On diraitparfoisque le bergsonisme a russi crcer
chezle savantunesortede hontede sa proprenature.

J'enviens ce qu'on peutappelerla forteressedes mobilistes


:
l'invention.On sait que pour ces philosophesl'invention,qui
estla plus hautedes activitsmentales,est celle par excellence
qui consisteen une absence de fixitet c'est cette absence
qu'elledoitsa valeur.La thsetrouveson expressiontotaledans
la descriptionsuivante:
Me voici en face d'un problmediffcile.Mon esprits'est
commetenduversune solutionqu'il dsire,mais ne tientpas
encore.Cependant je commence prouverdes rsistancesqui
me prouventque monactionconqurantemorddj sur l'in-
i. Goblot, De VIntuition, in Journal de Psychologie, 1932, p. 352. Et plus
loin : II n'y a de relque les apparences.Ajoutons,bien entendu: pour la
science
Revue dkMta. - T. LV (n 3, 1943). i3

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194 REVUE DE METAPHYSIQUEET IXE MORALE.

connu.Des formess'bauchentet se dissipentaussitt.Je crois


chaque instantsaisirun fantme qui se drobe.A cetteaube
dela dcouverte, poque o je la vis sans pouvoirla parler,la
conditionabsolue du succs est que je ne m'arrtepas pour
essayerde fixerun rsultatpartielou pour critiquerces d-
marchesaccomplies.Ici la rflexion perdrait tout. Celui-l ne
trouverajamais rien que des habitudesintellectuellestyran-
niquesdtournent de s'abandonneraux tnbresfcondeso se
dploiel'actionintrieure l.
Notrethseest que l'invention n'exclutnullement l'existence
de la pense arrte,de l'affirmation; surtoutpointla tendance
ce modede pense,bien au contraire.Nous feronstrois re-
marques:
Io L'tat- appelons-levague - qui prcdel'invention n'est
point un tat exempt d'afiirmation. Il est faitd'affirmations qui
s'entrechoquent, se contredisent, tirentchacune soi, se d-
robentmutuellement quelque chose, triomphent tour tour,
n'arrivent pas ce que l'unes'imposedfinitivement aux autres,
maisexistenten tantqu'affirmations. L'auteurprcitle recon-
nat implicitement : il nous parlede formesqui s'bauchent
et se dissipentaussitt, maisqui, ne ft-cequ'un moment,
sontdes formes,c'est--dire des fixits ; il croit chaqueinstant
saisirun fantme, c'est--dire l'imagede quelque chose. Un
autreobservateurde l'invention, non mobilisted'ailleurs,nous
ditdans une page clbre : J'essayaisun grand nombrede
combinaisons ; les ides surgissaienten foule; je les sentais
commeseheurter2. Qu'est-ceque ces combinaisons, ces ides,
sinondesaffirmations qui,parcequ'elles ne parviennent pas s'en-
tendre* n'en sont pas moins des affirmations? Notez que Poincar
ditque ses idesse heurtent , nonqu'ellesse fondent;qu'elles
conservent acmeleur individualit. L'tal ici envisagest un
conflit d'affirmations, nonuneabsenced'affirmation. Uneabsence
d'affirmation est une absence de pense,disons un tat de
Fve,plu proprementde rverie.Or l'inventionscientifique,
en tant qu'elle veut un rsultat,n'a rien voir avec la rverie.
Newtoncherchaitsa thoriede l'attraction n'a riende commun

I. Ed. Le Roy, La Logique de l'Invention,ia Revite des Deux-Monde*, 1905,

2. H. Poincar, Science et Methode.

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J. BENDA. - DE L MOBILIT DE LA PENSE. 195

avec Rousseause dlectantdans un tat d'me sans objet au


borddu lac de Genve.D'o notreseconderemarque.
2 L'inventionscientifique tendversla fixit.Le chaos d'ides
instablesque dcritPoincarn'est pas un tat o elle se com-
plat,maisdontelles'efforce de sortiren faveurd'uneide stable.
La pensequi, encorevoile,ditprofondment l'esprit: Tune
mechercherais pas si tu ne m'avais dj trouve estune pense
fixe.ClaudeBernardassure,dansunephrasedevenueclassique,
que le chercheur risquefortde ne rientrouvers'il ne sait pas ce
qu'il cherche. Newton dclaraitavoir dcouvertsa loi sur la

gravitation y pensanttoujours, autrementdit en impri-
en
mant ses idesune direction dtermine, nonen se complaisant
dans leur ddale,et Darwincitait,parmiles formesd'espritqui
l'avaientmen ses rsultats, une patiencesans limitepour
rflchir sur unsujeti . L'tatd'espritlabilequ'exalteM. Ed. Le
Roynous estprsentparFauteurlui-mme comme tenduvers
une solutionqu'il dsire, c'est--dire versunefixit.C'estmi-
nemment de l'iuventionscientifique que l'on peut dire ce que
Delacroixdit de la penseen gnral,qu'elle tend la dter-
mination en partantdu chaos'2. Pareillement, le doute,s'il est
celui qui se lie l'invention, loin de vouloirresterle doute,
tend versunefixit ; an peutmme ajouter que, pour autant
qu'il estscientifique, il s'appuieds le dbutsur quelque chose
de fixe: II ne suftpas de douter,ditprofondment Poincar,
il fautsavoirde quoi l'on doute3. L'espritqui neveutconnatre
que le doute,observeEssertier4ne doutepas de quelquechose,
il doutede l'espritlui-mme. C'estbienle cas de ceux pourqui
Jedouteestunevaleuren soi : Nietzsche,M. Valry,M. Gide(voir
contrece genred'espritunepage de Spinoza,dans La Rforme
de l'Entendement). Ajoutonsque le doute,lui aussi, est un con-
flit,non une absence,d'affirmations. C'est ce qu'exprimecette
vue de Renouvier(c'est lui qui souligne): l'usage du doute
impliquela reprsentation que ce qui est ne soitpoint, elle-
mmefondesur la consciencedu pouvoird'avoir une ide
a place d'une autreide6. Aussi bien le savantqui ttonne,
II, p. i 09,
1. Ch. Darwin, Vieet G&rre*pondanee,
. G. Dumas,Traitde Psycnologte,
tomeV, p. lui.
3. ScienceetMthode.
4. Op. cit.,p. 7.
5. TroisimeEssai, p. xviri.

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196 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

ttonne partird'un pointfixe,j'en appelle tous les savants,


quitte ce qu'il dlaissece pointfixepourttonner autourd'un
autre,galement fixe.La ne
fixit, ft-ce que comme dsir,estau
fondde toutesles dmarchesde l'espritscientifique.
3 11n'y a inventionscientifique que lorsquecettetendance
la fixita trouvsa satisfaction.C'est ce qu'nonceencore
Poincarquand il crit1: Inventerc'est discerner, c'estchoi-
sir; et un autrepsychologuede cette activit,quand, aprs
avoirnotl'tatchaotiqueet selon lui ncessaireparlequel elle
dbute,il ajoute: Si l'ensemblen'exeraitun contrlesur le
jeu des lmentset ne faisaitun choixparmiles produitsde ce
jeu, il se produiraitdes divagationssans lien entreelles, des
parpillements sans portede l'imagination, des inventions sans
doute,en un sens,maisdes inventions de rveurou d'alin2.
L'tatchaotiquedontnous parlonsplus hautpeuttreune con-
ditionpralablede l'invention;il n'est pas l'invention. L'inven-
tionn'estpas dfiniepar le faitde chercher, mais de trouver ; or,
trouverc'est trouverquelquechose,et l intervient la condilion
que doit prsenter l'espritpour qu'il ait une pense,qui est de
contracter un tat de fixitau lieu de s'abandonner la multi-
plicitdes possibles3. Qu'elle soit littraire,artistique,scien-
tifiqueou industrielle,dit encore Paulhan,toutecrationintel-
lectuellersideen l'closiond'une ide synthtique c'est--dire
nondiffuse.Quand M. Ed. Le Roy,convenant que l'invention r-
side dans le faitde trouver, crit: C4elui-l
ne trouverajamais
rienque des habitudesintellectuelles dtournent de s'abandonner
aux tnbresfcondeso se dploie Faction intrieure , il
noncejuste le contrairede la vrit. Celui qui ne trouvera
jamaisrienest celuiqui, s'abandonnant aux tnbres du con-
tradictoire,assez semblablesen effet, tnbresde l'action,
aux

i. Science et Mthode,p. 48.


2. Fr. Paulhan,Psychologiede l'Invention.
3. Dans son ouvragesur la penseintuitive,M. Ed. Le Roydfinit cettepen-
se la vision par un espritd'une ralit spirituelle. On lui a reproch
(Goblot,Journalde Psychologie, 1932)de n'enpas donnerd'exemple; en vrit,
il n'en pouvaitpas donner,vu que, si une ralitpouvaittrela matired'un
exemple,c'est qu'elle constituerait un quelque chose,prsenterait donc une
certaineidentit elle-mmeet rompraitavec cetteincessantemobilitqui
est, pourl'auteur,le propred'uneralitvraiment spirituelle.L'auteurdclare
d'ailleursque la pense intuitivetelle qu'il l'entendpoursuitla perception
d'uneralitmtaphysique, non empirique.Il n'endonnepas moins,dans tout

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 197

ne sait pas comprendre qu'elles ne sontfcondes que si Ton


en sortpouren tirerune penseclaire,qui ne peuttrefournie
que par l'exercicede l'intelligence. On ne compteplus, en art
commeen science,les hommesqui, frmissants touteleurvie
d'innombrables ides, mais incapables d'aucune intervention
intellectuelle un peu srieuse,n'ontjamais rienproduitdontla
scienceait pu fairetat.J'oseraisles comparer ces personnes
qui ont tantde cheveuxque, disent-elles,elles ne peuventpas
se peigner.L'invention veutqu'on sache se peigner.
Il arrived'ailleurssouventque, du maquis d'ides o Pierre
resteemptr,Paul vienttirerune ide claire.Mais c'est Paul
qui est l'inventeur. L'ide que les mtauxaugmentent de poids
sous l'actionde l'airexistait,mle centautres,dans la pense
des alchimistes du Moyenge ; il n'en est pas moinsvrai que
l'inventeur en est celui qui l'a isole, l'a transforme en ide
nette,en a proclamla valeur. Il ne m'est d'ailleurs nullement
prouvque l'tat confuso cetteide taitchezles devanciers
de Lavoisierait t un prodrome ncessairede l'tatde clarto
il l'a mise.La croyance la ncessitd'un stadeobscurdans
l'histoiredesidesme sembleun postulatromantique.
On ne sauraittropsoulignerles singularits de cettedoctrine
qui veut que l'invention implique la ngation des mursde l'in-
telligence, du moins de ce que tout le monde entend sous ce mot.
ne
Pour parlerque de l'tapeprliminaire de l'invention propre-
mentdite,dans ce que M. Le Royappelle l'aubede la dcou-
verte et qui consiste,il l'noncelui-mme, en une tensionvers
une solution,n'est-onpas stupfaitd'apprendre que la condi-
tionabsolue du succs est que je ne m'arrtepas pourcritiquer
les dmarchesaccomplies, qu' ici la rflexion perdrait tout ;
commesi la vrit j'en appelleencore tous les savants-
-
n'taitpas que, ds le dbutde l'action,j'exercemonjugementsur
toutesles idesqui m'assaillent et que marflexion joue ; comme
si ce n'taitpas prcisment cette prsence continuelle de la cri*
tique d'elles-mmes qui distingueles ides chaotiquesdiriges
versun but scientifique de celles qui constituent la rveriepo-
tique(je ne dis pas l'invention potique qui, elle aussi, est diri-

son livre,cettepensequi ne sauraitrien articulerde dfinicommetantle


nerfde l'inventionscientifique.

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48 REVUE DE MTAPHYSIQUEET DE MORALE.

ge). Aussi bien Yeut-on que l'inventionne soit jamais due qu'
une fonction- l'intuition- qu'on oppose l'intelligence,
attendu, nous dit-on1, que l'intelligence combine et sparer
elle arrange, drange et coordonne,elle ne cre pas ; comme si
de coordonnerdes faitsentrelesquels on n'avaitencorevu aucun
rapport, par exemple le mouvement des plantes et la chute
d'une pierre,la respirationet la combustiond'un mtal,la vibra-
tion de la lumireet la polarisationdilectrique,n'tait pas mi-
nemmentune cration; on peut mmese demandersi la plupart
des grandes inventionsscientifiquesne reviennentpas Taper-
ception d'un rapport qu'on n'avait pas vu, c'est--dire une
coordination.Surtout veut-onque l'inventionne soit jamais due
au raisonnement; comme si on ne pouvait pas citer, non seule-
ment dans l'ordre physique, mais dans le biologique o l'on
insiste minemment- - on serait bien embarrass,dit Bergson,
de citer une dcouvertebiologique due au raisonnementpur -
mainteinventionparfaitementdue au raisonnement2; comme si
enfinl'intuition,dont personne ne songe nier l'importance,
n'taitpas tenue, pour faireuvre de science, de satisfaire la
vrification,et comme si celle-ci ne rintroduisaitpas les murs
de l'intelligence,en particulierla fixationde la pense, attendu
que vrifier,c'est encore vrifierquelque chose3. Pareillement,on
n'est pas peu surpris d'apprendre que l'intelligencene veut pas
reconnatreque son rle n'est pas seulementde comprendre,de
distinguer, de critiquer, mais aussi d'inventer(rle que, d'ail-
leurs, on lui dniait plus haut)*. On chercheo est le reprsen-
tant de l'intelligencequi adopte une telle doctrine. Mais toutes
ces thses nous intressentmoins par les assertionsqu'elles pro-
noncentque par la volont qu'elles expriment,qui est de chasser
l'intelligence,et notammentla fixationde la pense, des hautes
fonctionsde la connaissance.

1. Bergson,La Pense tl le Mouvant,p. 167.


2. Sur ce sujet,cf. l'ouvragecapital de J. Picard: Essai sur la Logique de
^Inventiondans les Sciences,notamment, au chapitreII : La Raison dans
l'invention des hypothses.
3. Unethsede M. E. Le Roy estque la logiquede l'invention de celle
diffre
de la vrification.Elle est rfutepar J. Picard,Essai sur les Conditions
posi-
tivesde VInventiondans les Sciences.

4. Voici le texte exact de Bergson: Le plus grand tortde ceux qui croi-
raientrabaisserl'intelligenceen rattachant la sensibilitles plus hautes
facultsde l'espritest de ne pas voir o est prcisment la diffrence
entre

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J. BENDA.. - DE LA MOBILITDE LA PENSE. 199

Disonsenfinque, dans notrethse,le dynamisme ne perdnul-


lementses droits.De ce qu'une penseest un tat stabilisd
Tesprit,elle n'en impliquepas moinsun dynamisme. Seulement
ce dynamisme, au lieu d'trece qui entranecettepensevers
autre chose qu'elle, est au contrairece qui l'applique contre
elle-mme ; au lieu d'trece qui la faitchanger,il est ce qui
l'empchede changer; au lieu d'treprincipede diffrence, il est
principe d'identit.Dire que est A, a-t-on fortjustement remar-
qu *,impliquetacitement en dpitd'un quelquechosequi dif-
frenciele secondA du premier, diffrence qui pourl'instant
ne m'intresse pas et laquelle m'oppose,faisantpar cette
je
opposition acte de dynamisme.On pourraitmmesoutenirque
c'est cet acte, par lequel l'espritbloque sa pense dans elle-
mmeau lieu de la laisser courir,qui mritele nomde dyna-
misme, en tantque ce motimpliquel'idede force,l'idede force,
dans la mesureo elle estlie l'ide de changement, Ttant
l'idede changement discontinu, c'est--direqui va d'u arrt
un autrearrt,cependantque l'ide de changement continu et
exemptd'arrtnous paratla ngationde l'ide de fore2. On
peut direencoreque ce dynamisme est volont,en dfinissant
avec WilliamJamesla volont,l'acte par lequel l'espritretient
son ide au lieu de la laisser chapper.Si Tonpose que la pen-
se naturelle- il sufftd'observerle vulgairepour s'en -con-
vaincre- a pour proprel'instabilit, le faitde se laissercon-
duirepar la diversitdu rel,on voitque la pensescientifique,

l'intelligencequi comprend,discute,accepte ou rejette,s'en tientenfin la


critique,et ceile qui invente. [Les Deux Sources de la Morleet de la Meli-
gion, p. 3*9-41.)La sensibilitqui accompagnel'inventionscientifique est une
sensibilitintellectuelle,ce que CiaudeBernarda appel un seottneBt de tes-
prit; elle n'a rien voiravec le pur tatdu curou du systemnerveuxq ue
la langue couranteentendsous ce motet qui n'a scientifiquement jamais rien
trouv.Il y a, dans la proclamation de Bergson,une quivoquesurle motsen-
sibilit,qu'on eut aimlui voirdissiper.C'estla mmequivoquque son eold
pratiqueconstamment entrela vie et la vie de l'esprit^Yoirnoireouvrage:
Le Bergsonisme ou une Philosophiede la Mobilit,p. 63 et 113.J
4. Meyerson, De l'Explicationdans tesSciences,1. 1, p. 131.
2. Sur Ioppo3itionentre les ides de forceet de continuit,voir notre
ouvrage: Le Bergsonismeou une Philosophiede la Mobilit,p. 13 et sqq.

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200 REVUE DE MTAPHYSIQUE ET DE MORALE.

par son application se fixersur un objet une fois choisi,


impliqueune forcequi travaillejuste en sens contraire;c'est
elle,et nonpas l'intuition avec ses mobilits,qui exigece renver-
sement,dontparleBergson,des murscourantesde la connais-
sance1. La pense scientifiquecomporteun dynamisme qui a
pour effetla fermet de l'esprit,par rsistance sa dispersion
naturelle; il lui est principede svrit,alors que le dynamisme
de l'incessantemouvance,de l'abandonv aux tnbres de l'action
intrieure , de la dure toutepure en tantqu'elle est la

formeque prendla successionde nos tatsde consciencequand
notremoise laissevivre,quandil s'abstientd'tablirune spara-
tionentrel'tatprsentet les tatsantrieurs2, est cole de
facilit,exactement de jouissance3, encoreque la svritcon-
naisseaussi ses joies. Il est grave,pourla moralitintellectuelle
de nos contemporains, qu'ilsjugentngligeablele dynamisme de
fermet et portentaux nuesceluide facilit4.

4. Ge dynamismede la pense,qui consiste mordresur les chosesau lieu


de subirlur mobilit,est bien marqupar Spinozaquand,ayantappel con-
cept une ide que l'espritformo titrede chosepensante, il prcise: iJe
dis conceptet non perception,parce que le mot perceptionsembleindiquer
que l'espritptitd'unobjat,tandisque conceptsembleexprimer une actionde
l'esprit(actio mentis). On pourraitdduirede l que toutepense,en tant
qu'elle est une actionde l'esprit,impliqueune lutteavec la ralit.C'estce
qu'exprimecetteassertiond'un psychologue: Nous ne pensonsqu'en face
d'une difficult (H. Delacroix,La Penseet le Langage,p. 98). Ces vues nous
invitent prciserle fameuxmot de Littr: tLe vrai savant se laisse con-
duirepar la vritcommeun entantpar la main. Motjuste s'il exprimeque
In vrai savant sait renoncerson i.ic quand la ralitla lui prouvefausse;
motimpropre, s'il veutdireque le vraisavants'offrepassivement aux donnes
du monde,alors que sod essenceest de leur rpondrepar une actionde son
esprit.Un philosophe(D. Roustan)appelle excellemment le comportement du
savantune adaptationoffensive .
2. Donnes immdiates, p. 76.
3. Voir Ed. Le Roy, Une Hnilosopnie nouvelle, p. b.
4. Voici une sommationpremptoire faite l'espritd'avoir ignorertoute
fermet et ne connatreque la mobilit.Elle lui est signifiepar un pote,
maisque nombrede philosophestiennentpourun penseur:
L'espritvole de sottiseen sottisecommel'oiseaude brancheen branche.
II ne peut faireautrechose.
L'essentielest de ne pointse sentirfermesur aucune.
<rMais toujoursinquiet; et l'aile prte fuircette plus haute et dernire
proposition o il vientcroirequ'il domine. (P. Valry,Tel quel, II, p. 327.)
On voitce qu'eussentdonnNewtonou Einsteins'ils ne se fussentappliqus
qu' ne pas se sentirfermesdans leurs ides, mais voler touteleur vie de
brancheen branche.Notezcettetonnanteaffirmation : l'espritne peutfaire
autrechoseque de voler de sottiseen sottise.

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J. BENDA. - DE LA MOBILIT DE LA PENSE. 201

La proscription de l'lmentfixedans la pensescientifique


prendencoreles formes suivantes:la volontque le savantcesse
de croire une ralitextrieure et antrieure lui (fausseinter-
de ou
prtation l'einsteinisme) procs du chosisme(Bergson,
Brunschvicg, Bachelard);- le procsdes ides claireset dis-
en
tinctes tant qu'inaptes la science biologique(Bergson,
Mourgues, Janklvitch) ; - le refusde reconnatre certainsl-
mentsde fixitdans l'activitscientifique traversl'histoire
(les o ges de l'intelligence) ; la volontque la raisonvarie
avec l'exprience(Brunschvicg).Ajoutonsle refusde croire
aucun principeimmuableen matirede moraleet d'esthtique.
Nous examinerons ces diversesformesdansun prochainouvrage
dontla prsentelude n'estqu'un chapitre,en mmetempsque
nous chercherons le fondement psychologique de cetteattitude,
de
lequel,disons-letout suite,nous paratrsiderdans le pou-
voirsensuelou motionnel de l'idede mobilit1.Nous voudrions
seulement ici, pourfinir, caractriser le rlequ'aurajou l'cole
ici en cause l'garddes besoinsde l'esprithumainet celuique
pourrait tenirla gnration qui va lui succder.
Pour nous fairecomprendre, nous emprunterons une compa-
raison la vie politique.La vied'une socit,rappellerons-nous,
impliquedeuxlmentsqui lui sontgalement vitaux: la gauche,
qui entretient le changement et n'honore que lui ; la droite,qui
faitfreinet obligecettesocit un certainfixisme. Or,on peut
direque la philosophiede ces cinquantedernires annesn'a, en
ce qui concernel'esprit,voulu connatreque la gauche.On peut
dire encoreque, tantdonnqu'un organismene vitque si, en
mmetempsqu'il possdela libert,il comprendune rsistance
la libert,qu'un tredontchaque tatseraitproprement nou-
veau au regarddu prcdent et qui ne sauraitopposerau perp-
tuel changement o le mondeextrieurle conviequelque sibi

1. Marquonsaussi la soumission la philosophie


allemande,la caractristique
de presquetousses reprsentants,dclareun historien qui d'ailleursleurrend
hommage,tant l'hostilitenversl'entendement, le Verstandt, qui fixe les
objets. (Em. Brhier,Histoirede la Philosophieallemande.)

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202 REVUE DE MTAPHYSIQUEET E .MORALE.

constareseraitune successiond'apparitions fuyantes quoi ne


convientpas le nomd'tre,la philosophiede ce dernierdemi-
siclemritele reproched'avoirprch l'esprit,avec une sorte
de frnsie,exclusivement la libert.Le rle de la gnration
montantenous semblel'appeleren quelque mesure reconsti-
tuerla droite; il devraconsister remettre en honneur,sous les
espces de l'identit soi-mme, dans le domaine de la science,
de la morale,de l'esthtique,cette rsistance la libert,indis-
pensable,autantque a libert, une vritable ralitde l'esprit.

Julien Benda.

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