Aymée Bonpland Par Cédric Cerruti

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ericanisme en construction : une pr


e-histoire de la
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Bonpland (1773-1858)
Cedric Cerruti

To cite this version:


Cedric Cerruti. Lamericanisme en construction : une pre-histoire de la discipline dapr`es
lexperience du naturaliste Ayme Bonpland (1773-1858). History. Universite de La Rochelle,
2012. French. <NNT : 2012LAROF043>. <tel-00921277>

HAL Id: tel-00921277


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UNIVERSIT DE LA ROCHELLE

COLE DOCTORALE
Socits, cultures, changes
Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique

THSE
prsente par :

Cdric CERRUTI

soutenue le 18 mai 2012


pour lobtention du grade de Docteur de lUniversit de La Rochelle
Discipline : Histoire

Lamricanisme en construction. Une pr-histoire de la discipline daprs


lexprience du naturaliste Aim Bonpland (1773-1858)

JURY
Jean-Paul DUVIOLS
Pilar GONZLEZ BERNALDO
Guy MARTINIRE
Didier POTON
Jacques SOL
Michel VAN-PRAT

Professeur mrite, Universit Paris IV


Professeur, Universit Paris VII
Professeur mrite, Universit de La Rochelle, Directeur de thse
Professeur, Universit de La Rochelle
Professeur mrite, Universit Grenoble II
Professeur, Musum national dHistoire naturelle

Volume 1

UNIVERSIT DE LA ROCHELLE

COLE DOCTORALE
Socits, cultures, changes
Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique

THSE
prsente par :

Cdric CERRUTI

soutenue le 18 mai 2012


pour lobtention du grade de Docteur de lUniversit de La Rochelle
Discipline : Histoire

Lamricanisme en construction. Une pr-histoire de la discipline daprs


lexprience du naturaliste Aim Bonpland (1773-1858)

JURY
Jean-Paul DUVIOLS
Pilar GONZLEZ BERNALDO
Guy MARTINIRE
Didier POTON
Jacques SOL
Michel VAN-PRAT

Professeur mrite, Universit Paris IV


Professeur, Universit Paris VII
Professeur mrite, Universit de La Rochelle, Directeur de thse
Professeur, Universit de La Rochelle
Professeur mrite, Universit Grenoble II
Professeur, Musum national dHistoire naturelle

mon pre, Jean Gabriel Cerruti.

REMERCIEMENTS

Cette recherche a bnfici de la vigilance de Guy Martinire ; il ma


honor dune confiance et dun soutien sans faille tout au long de ces annes.
Jacques Sol, luniversit de Grenoble II, ma donn got lhistoire des
mentalits, ma fait dcouvrir lAmrique latine et ma appris le mtier de
chercheur.
A La Rochelle, je dois beaucoup lensemble des enseignants et du
personnel de lUniversit qui ont facilit et entour mes travaux. Didier Poton,
particulirement, a grandement contribu leur existence. La Maison des Sciences
de lHomme et de la Socit ainsi que le CRHIA ont amplement soutenu leur
droulement. Michle Dunand a bien voulu mettre ma disposition lensemble
des ressources du Musum dHistoire naturelle de La Rochelle quelle dirige.
A Salamanque, les professeurs de la facultad de Geografa e Historia
Guillermo Mira Delli-Zotti et Jos Manuel Santos Prez mont donn les outils
pour comprendre lAmrique latine. Flavia Freienberg, avec qui jai collabor au
sein de lInstituto Iberoamrica, a ouvert mon apptit intellectuel pour son pays,
lArgentine.
Au cours de mes recherches menes en France, jai eu la chance de
rencontrer M. Philippe Foucault et Stephen Bell et dentrer en contact avec
Nicolas Hossard et Stphane Bdre ; nos changes ont t tout autant fconds
quessentiels pour le dveloppement de mes recherches. Gilles Bertrand,
Dominique Lanni, Jean-Marc Drouin et Thierry Lalande ont permis de faire
connatre celles-ci. Bernard Chevallier, pour sa part, ma grandement ouvert les
portes de Malmaison, Claude Mhats celles de luniversit de Pau et des Pays de

lAdour. Mona Huerta, Eric Monteiro et Ernesto Paredes, enfin, mont apport
leur appui afin que je puisse terminer ce travail de longue haleine.
A Buenos Aires, Roberto Schmit puis Jos Carlos Chiaramonte mont
fourni, depuis lInstituto de historia argentina y americana Dr. Emilio
Ravignani , une aide inestimable. M. Jos Laureano Amorn, Gustavo C. Giberti
et leur quipe mont offert, au Museo Farmacobotnico Juan A. Domnguez ,
une hospitalit la mesure de leurs grandes comptences. Jai galement eu le
bonheur de rencontrer M. Enrique Tandeter, alors directeur de lArchivo General
de la Nacin, dont lenthousiasme ma infiniment touch. Jai pu, aussi, partager
avec Guillermo Ottone sa passion bonplandienne .
A Corrientes, Aurora Arbelo de Mazaro et Gabriela Mabel Alvarez mont
chaleureusement accueilli au sein du Museo de Ciencias Naturales Amado
Bonpland , tout comme Leopoldo Jantus lArchivo General de la Provincia
ainsi quAntonio Krapovickas et Aurelio Schinini lInstituto de Botnica del
Nordeste. Gabriela Quionez et Julio Rafael Contreras Roqu mont apport leurs
grandes connaissances de Bonpland et de sa patrie adoptive. Enfin, Andrs R.
Ivern a bien voulu moffrir sa confiance en me permettant davoir librement accs
une importante collection de documents indits crits de la main de Bonpland et
lgue par son pre, lhistorien Andrs Ivern.
En Uruguay et au Paraguay, jai encore t accueilli avec gnrosit. A
Montevideo, jai eu la chance de rencontrer Alvaro Mones qui assumait alors la
direction du Museo Nacional de Historia Natural y Antropologa. Jai aussi pu
correspondre avec Fernando Ma Garzn et Alfredo Boccia Romaach. Tous ont
tmoign vis--vis de mes recherches la plus vive sympathie.
Puisque cette recherche touche aux clans, je voudrais remercier les miens.
Mon petit clan familial dabord ; ma fille Othilie qui, du haut de ses 75
centimtres, ma donn une force et un bonheur incroyables ; ma compagne
Hlne qui a courageusement subi mes humeurs difficiles ; ma mre Anne-Marie
et mes surs Christel et Cline qui, de prs ou de loin, mont permis davancer ici
et ailleurs. Mes clans amicaux ensuite ; le saint-pierrois, le bivrois, le grenoblois,
le rhodanien et mes compadres disperss en Euskal Herria, en Espagne, en
Colombie, en Uruguay et en Argentine, tous de cette famille de la buena gente.

SOMMAIRE

Introduction gnrale ...8

PREMIERE PARTIE : LE POLITIQUE ET LE SAVANT...34


Chapitre I : De lindpendantisme au transnationalisme (1799-1839)...40
Chapitre II : Du transnationalisme lamricanisme (1839-1852)..137
Chapitre III : Des amricanismes rioplatenses (1799-1858)220

DEUXIEME PARTIE : DU LABORATOIRE NATURALISTE EUROPEEN AU


TERRAIN AMERICANISTE : LES PERIPHERIES DE LHISTOIRE
NATURELLE...305
Chapitre IV. Linsertion dAim Bonpland au sein des centres scientifiques
franais (1798-1816) : le matriel amricain marginalis311
Chapitre V. LAmrique hispanique laube des indpendances : Grands Tours et
perspectives scientifiques (1748-1821)417
Chapitre VI. Du Grand Tour amricain la collecte priphrique (1817-1858)..495

TROISIEME PARTIE : ENTRE NATURALISME ET AMERICANISME :


LEMERGENCE DE CENTRES DE CULTURE SCIENTIFIQUE PREAMERICANISTES..589
Chapitre VII. Des thories naturalistes aux pratiques amricanistes : de nouveaux
terrains dapplication (1817-1858)...593

Chapitre VIII. De la coopration transatlantique au terrain de recherche


priphrique (1817-1849).683
Chapitre IX. Vers lamricanisme : la convergence des projets scientifiques
transatlantiques (1849-1858)....759

Conclusion gnrale..824

Sources et bibliographie...837

Annexes....906

INTRODUCTION GENERALE

De Humboldt Bonpland
La recherche dont Aim Bonpland (1773-1858), mdecin, naturaliste et
botaniste rochelais form au Musum national dHistoire naturelle constitue le
sujet central 1 , sinscrit dans le prolongement de celle consacre Alexandre de
Humboldt 2 . En effet, notre mmoire de matrise intitul Alexandre de Humboldt
et la Nouvelle-Espagne : reprsentation et interprtation dun modle politique
libral dans lAmrique ibrique fut rdig sous la direction de Jacques Sol,
professeur luniversit de Grenoble II et prsent en 1998. Notre tude tait

Issu dune famille de mdecins et pharmaciens rochelais, Aim Goujaud-Bonpland rejoint son
frre an en 1791 lEcole de mdecine de Paris. Il suit les cours des professeurs du Musum
national dHistoire naturelle, se spcialise dans la botanique et fait la connaissance en 1796
dAlexandre de Humboldt, jeune ingnieur des mines prussien venu ici goter latmosphre
rvolutionnaire avant de sembarquer pour un voyage autour du monde auquel il aspire depuis
plusieurs annes. Lopportunit lui en est fournie par son frre Guillaume qui le met en contact
avec Bougainville, charg du recrutement des savants pour une expdition laisse au
commandement du capitaine Nicolas Baudin. Humboldt et Bonpland sont tous deux slectionns
pour cette expdition qui est finalement ajourne. Alexandre dcide dorganiser sa propre
expdition en compagnie dAim dabord vers Alger puis Madrid o il obtient un sauf-conduit
pour lAmrique espagnole quils parcourent de 1799 1804. De 1804 1816, Bonpland travaille
la publication de la partie botanique du voyage puis lintendance des domaines de lImpratrice
Josphine. Il part en 1816 Buenos Aires afin de fonder un laboratoire de sciences naturelles la
demande des indpendantistes argentins mais est fait prisonnier par le dirigeant du Paraguay en
1821 au cours dune expdition scientifique. Libr en 1831, il poursuit son travail scientifique
quil dlaisse peu peu au profit de projets conomiques. Impliqu dans la guerre civile ayant lieu
de 1839 1852, Bonpland sinstalle la frontire argentino-brsilienne jusqu sa mort.
2
Alexandre de Humboldt (1769-1859) poursuit une brillante carrire de savant et de diplomate
aprs son retour dAmrique. Il collabore avec les plus grands scientifiques de son poque dans
presque tous les domaines des sciences naturelles et humaines ; cf. BOTTING Douglas, Humboldt,
un savant dmocrate, Paris, Belin, 1988 ; DUVIOLS Jean-Paul, MINGUET Charles, Humboldt.
Savant-citoyen du monde, Paris, Gallimard, 1994 ; GUIBERT Mireille, Alexandre de Humboldt. Le
dernier savant universel, Paris, Vuibert, 2006.

Introduction gnrale

consacre lEssai politique sur la Nouvelle-Espagne 3 analys comme une


tentative dapposer sur une partie du Nouveau Monde le modle politique libral
de lAncien. Postulant que le progrs chemine de lest vers louest, Humboldt
propose un projet de dveloppement devant placer la vice-royaut espagnole,
linstar de la rpublique des Etats-Unis laquelle il la compare, au centre de la
civilisation atlantique. Il sagit dun essai visionnaire autant politiquement que
scientifiquement, sappuyant la fois sur lhritage des Lumires et sur lesprit
positiviste qui en dcoule 4 . Cet ouvrage est rdit en 1825 5 aprs que le Mexique
ait acquis son indpendance, Humboldt adaptant son discours cette nouvelle
situation. Deux ans plus tard Bonpland et lui en sont remercis par loctroi de la
citoyennet mexicaine.
En outre, cette recherche vise complter les tudes consacres en
majorit Humboldt, Bonpland demeurant dans son ombre malgr une importante
activit dploye pendant et aprs leur voyage. Depuis 1969 et la publication de la
thse dEtat soutenue par Charles Minguet 6 , un grand nombre de recherches ont
t consacres Humboldt alors que son compagnon de voyage nest que peu
tudi. Notre intrt pour celui-ci a t suscit durant la prparation du DEA
relations et interactions culturelles internationales luniversit de Grenoble
II, le passage dune tude de laire culturelle traverse par Humboldt et Bonpland
vers celle parcourue uniquement par Bonpland devant la prolonger et la complter.
Cest dans ce but que Guy Martinire, professeur spcialiste de lAmrique latine
et du latino-amricanisme ayant enseign luniversit de Grenoble II, nous a
invits raliser une thse de doctorat base sur le corpus lgu par ce savant. De
ce fait, le mmoire de DEA rdig sous la direction de Jacques Sol prsente en
2000 Les relations et les images franco-amricaines travers les mdiations
dAim Bonpland (1773-1858) . Les multiples pistes de recherche lgues par le
botaniste y sont contenues. Prcisment, lintrt historiographique rside dans la
3

HUMBOLDT Alexandre de, Voyage de Humboldt et Bonpland, Partie 3, Essai politique sur le
royaume de la Nouvelle-Espagne, Paris, F. Schoell, 1811, 2 tomes et un atlas. Les deux hommes
parcourent entre 1799 et 1804 une partie des colonies espagnoles, Humboldt faisant publier ses
frais un ouvrage encyclopdique partir du matriel amricain.
4
A propos du contexte encyclopdique, universaliste et positiviste dans lequel sont plongs
Humboldt et Bonpland, cf. BLANCKAERT Claude, PORRET Michel, BRANDLI Fabrice (d.),
LEncyclopdie mthodique (1782-1832), Des Lumires au Positivisme, Genve, Droz, 2006.
5
HUMBOLDT Alexandre de, Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne, Paris, A. A.
Renouard, 1825 (seconde dition).
6
MINGUET Charles, Alexandre de Humboldt. Historien et gographe de lAmrique espagnole
(1799-1804), Paris, Maspero, 1969.
9

Introduction gnrale

richesse des problmatiques souleves par cette exprience transatlantique qui


contient trois thmes majeurs, savoir lhistoire du politique, des sciences et de
lconomie. Lespace et le temps dans lesquels volue le Rochelais ajoutent cette
richesse, puisque de 1799 1858 il parcourt pendant quarante-six ans une partie
de lAmrique comprise entre les Etats actuels du Mexique et de lArgentine 7 .
Ce foisonnement donne au sujet sa profondeur biographique ; il en rsulte
galement une difficult initiale qui nat de la varit des approches possibles. En
effet, le corpus a t et peut tre tudi sous diffrents aspects, aussi la
dlimitation des sources utiliser et du sujet traiter fut la premire tape. Les
seules sources de recherche notre disposition lors du DEA tant les lettres
amricaines dAlexandre de Humboldt et surtout la biographie crite par le
fondateur de la Socit des Amricanistes de Paris 8 , Thodore Jules Ernest Hamy,
lequel y ajoute une correspondance partielle mais suffisamment tendue dans le
temps pour cerner les enjeux historiographiques 9 , un premier plan de thse a t
esquiss. Les trois axes de recherche avaient pour thmes les mdiations
transatlantiques scientifiques et culturelles, le travail scientifique depuis
lexploration jusquaux tentatives de crations de laboratoires et enfin la rception
de ces diffrents apports amricanistes en France. Cette recherche consistait
valoriser les relations et les images franco-amricaines travers les mdiations de
Bonpland.
Nanmoins la question de la dlimitation du sujet de thse sest rapidement
repose, concernant dabord la partie du corpus utiliser. Parmi labcdaire
historiographique bonplandien allant de son action politique jusqu son zle
scientifique, fallait-il utiliser la totalit ou se consacrer un aspect en particulier ?
Ensuite, Bonpland pouvait-il tre utilis comme un archtype ou devait-il intgrer
7

Le premier voyage avec Humboldt effectu de 1799 1804 a pour destination les colonies
espagnoles comportant les Etats actuels du Venezuela, de Cuba, de Colombie, dEquateur, du
Prou, du Mexique et des Etats-Unis ; cf. annexe n 8, p. 948. Le parcours de Bonpland partir de
1817 englobe lArgentine, lUruguay, le Brsil et le Paraguay. Il existe une relation de cause effet
qui est analyser entre ces deux sjours, le second voyage de Bonpland tant li au premier.
8 Il sagit de la premire socit scientifique spcialise dans ltude de lAmrique ; cf.
LAURIERE Christine, La Socit des Amricanistes de Paris : une socit savante au service de
lamricanisme , in Journal de la socit des amricanistes, Paris, Muse de lHomme, 2009, vol.
95, n 2, pp. 93-115.
9
HAMY Thodore Jules Ernest, Lettres amricaines dAlexandre de Humboldt (1798-1807).
Prcdes dune notice de J.C. Delamtherie et suivies dun choix de documents en partie indits,
Paris, Guilmoto, 1905 ; Aim Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud,
Paris, Guilmoto, 1906.
10

Introduction gnrale

une tude comparative compose dautres scientifiques europens ayant parcouru,


tudi et jug lAmrique du Sud ? Enfin, quelle place accorder ce personnage
souvent prsent dans lombre de Humboldt ?

A lombre des crits bonplandiens


Un premier constat simposait, savoir quAim Bonpland nest pas
seulement le compagnon de voyage de Humboldt. Acqurant une remarquable
notorit ds son retour en France entre 1804 et 1816, il na cess de connatre par
la suite des phases de reconnaissance et doubli. Labondante bibliographie le
concernant tmoigne de la renomme dont le Rochelais bnficie parmi un milieu
vari de chroniqueurs. A cet gard, lhistoriographie bonplandienne peut tre
divise en deux catgories, les biographies et les tudes thmatiques. Les
premires paraissent ds avant la disparition du naturaliste des deux cts de
lAtlantique. En France, le gographe et mdecin Alfred Demersay 10 dite en
1853 dans le Bulletin de la Socit de Gographie de Paris une notice de 15
pages ; au Ro de la Plata le documentaliste et historien Pedro de Angelis publie en
1854 une autre notice de douze pages 11 . Ces premires esquisses sont compltes
en 1859, lorsque suite la disparition de Bonpland le docteur en mdecine
Adolphe Brunel, ayant rsid au Ro de la Plata, publie en 1859 un premier
ouvrage de 48 pages, puis un second en 1864 et enfin un troisime comportant 183

10

Beaucoup cit mais peu tudi, Alfred Demersay (1815-1891) est charg de mener une mission
dexploration au Paraguay entre 1844 et 1847. Il rencontre Bonpland, parvient Asuncin et publie
plusieurs ouvrages aprs son retour. Nous perdons sa trace au dbut des annes 1860 alors quil est
membre de la Socit de Gographie de Paris et charg en 1862 danalyser les archives dEspagne
et du Portugal. Il semble faire carrire dans ladministration prfectorale. Membre de la Socit
archologique et historique de lOrlanais, il est aussi correspondant de la Real Academia de la
Historia de Madrid Ballus, dans le Loiret, do il est originaire.
11
DEMERSAY Alfred, La vie et les travaux de M. Aim Bonpland, Correspondant de lInstitut
et du Musum dhistoire naturelle , in Bulletin de la Socit de Gographie de Paris, quatrime
srie, tome V, 1853, pp. 240-254 ; ANGELIS Pedro de, Amado Bonpland , in Revista del
Plata, novembre-dcembre 1854. Pedro de Angelis (1784-1859) est un historien et philosophe
originaire de Naples, bonapartiste et prtendument li la franc-maonnerie, il est nomm
prcepteur des enfants du roi de Naples en 1811. Aprs la chute de Murat, il sinstalle Paris o il
semble vivre essentiellement de sa plume. Il crit plusieurs ouvrages dhistoire et trois
dictionnaires biographiques avant dtre recrut par Rivadavia. Arriv Buenos Aires en 1827, il
simpose comme journaliste, biographe et surtout archiviste. Devenu le chantre du rgime de
Rosas, il demeure aprs sa chute un intellectuel incontournable.
11

Introduction gnrale

pages en 1871 12 . Il sagit dune biographie rdige comme les notices prcdentes
par un contemporain et familier de Bonpland.
Elle annonce celle publie en 1906 par Thodore Jules Ernest Hamy, le
premier biographe nayant pas connu Bonpland et ne se basant pas sur le
tmoignage oral. Hamy, fondateur et prsident de la Socit des Amricanistes de
Paris, membre de lInstitut et professeur au Musum est aussi le premier chercheur
sintresser Bonpland. Il ralise son tude grce aux travaux de ses
prdcesseurs et y ajoute une mthodologie scientifique grce une recherche
documentaire approfondie en Europe et en Amrique. En effet, il parvient
retrouver des documents notamment Berlin o ses recherches consacres
Humboldt le mnent sur la piste de son compagnon de voyage, dautres ensuite
appartenant aux descendants des Goujaud-Bonpland, dautres enfin grce un
minutieux travail de recherche documentaire men auprs de particuliers et
dinstitutions 13 . Surtout, Hamy diffuse le premier une partie de la collection runie
La Rochelle ainsi quune partie des fonds mis jour Buenos Aires en 1905 par
Eduardo Ladislao Holmberg neveu du baron Eduard Ladislas Kaunitz de
Holmberg avec lequel Aim Bonpland correspond et lui aussi professeur, charg
de lenseignement des Sciences Exactes, Physiques et Naturelles luniversit de
Buenos Aires. Il ne peut en revanche tirer profit des fonds remis Eugne Autran
par lun des petits-fils du botaniste, luniversitaire suisse enseignant les Sciences
Exactes Buenos Aires 14 se rservant la primaut de cette dcouverte quil distille
au compte-gouttes. Hamy livre tout de mme au public amricaniste une tude qui
fait encore autorit 15 .
Dautres notices biographiques paraissent irrgulirement de part et dautre
de lAtlantique mais nacquirent pas lenvergure de celle de Hamy qui demeure
une rfrence. Deux approches historiques se croisent au cours du XXe sicle, les
biographies romances dune part et les biographies documentes intgrant
Bonpland au sein de lhistoire des sciences dautre part. En 1943 George Sarton, le
12

BRUNEL Adolphe, Biographie dAim Bonpland. Compagnon de voyage et collaborateur dAl.


De Humboldt, Paris, L. Gurin & Cie, pour les ditions de 1859 et 1871 ; Toulon, E. Aurel, pour
ldition de 1864.
13
HAMY Thodore Jules Ernest, Aim Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique
du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, pp. VIII-X.
14
Et non franais contrairement ce qucrit Hamy, probablement tromp par celui quil a
rencontr et qui est probablement aussi celui qui lui refuse laccs aux manuscrits ; cf. ibid., p.
XCLV.
15
aux amis des tudes amricaines crit-il ; ibid., p. VIII.
12

Introduction gnrale

fondateur de cette discipline aux Etats-Unis, ralise une notice 16 destine


replacer Bonpland parmi les acteurs de lhistoire des sciences mais minimise son
parcours aprs son retour en Amrique intervenu en 1817 17 . La publication en
1950 de louvrage de Ren Bouvier et Edouard Maynial 18 deux membres de
socits savantes, essayistes et romanciers gt par un relan de biographie
romance , regrette Lucien Febvre 19 , nempche pas le genre de simposer au
gr des commmorations et des redcouvertes bonplandiennes . Le gographe
et membre du CTHS Roger Herv dfend encore en 1964 la belle tude
biographique 20 de Bouvier et Maynial.
Le travail partiel effectu par George Sarton comme celui romanc de
Bouvier et Maynial sont significatifs des approches pointillistes vis--vis du
savant. En 1968, loccasion du 110me anniversaire de sa disparition, la notice de
Sarton est rdite mais il faut attendre 1978 pour que paraisse une biographie
crite de la main du romancier argentin Luis Gasulla qui consacre les 615 pages de
son ouvrage 21 la vie rioplatense de Bonpland. La forme est celle du roman, les
dialogues sont imaginaires mais les sources sur lesquelles lauteur fonde son rcit
se rvlent de premier ordre, aussi cette biographie romance doit-elle tre
considre avec intrt car elle offre de nombreux lments totalement indits.
Lauteur nayant cit aucune de ses sources mais ayant certainement eu en sa
possession des documents originaux 22 , il faut attendre 1990 et Le pcheur
16

SARTON George, Aim Bonpland (1773-1858) , in Isis, Chicago, University of Chicago


Press, vol. 34, n 97, t 1943, pp. 385-399.
17
BELL Stephen, Aim Bonpland: un novateur optimiste dans le Sud-Brsil , in Dcouvertes et
explorateurs, Actes du Colloque international, Bordeaux, 12-14 juin 1992 / VIIe Colloque
dHistoire au prsent, Histoire au prsent, Maison des Pays Ibriques, Universit Michel de
Montaigne-Bordeaux III, Paris, LHarmattan, 1994, p. 133.
18
BOUVIER Ren, MAYNAL Edouard, Aim Bonpland, explorateur de lAmazonie, botaniste de
Malmaison, planteur en Argentine, 1773-1858, Paris, SEDES, 1950.
19
FEBVRE Lucien, Un explorateur naturaliste en Amrique du Sud , in Annales, Economies,
Socits, Civilisations, anne 1951, vol. 6, n 3, p. 419 ; profitons de loccasion que nous donnent
les auteurs de ce livre , ajoute Febvre, pour rappeler quil existe un solide travail du Dr Hamy,
dat de 1906. Et souhaitons que lhistoire des sciences du temps de Bonpland attire de jeunes
travailleurs moins soucieux de romancer des biographies ; ibid., p. 420.
20
HERVE Roger, Aim Bonpland de W. Schulz , in Annales de Gographie, 1964, vol. 73, n
395, p. 87.
21
GASULLA Luis, El solitario de Santa Ana, Buenos Aires, Santiago Rudea, 1978.
22
Les faits voqus par Luis Gasulla sont recoups en grande partie par les nombreux documents
prsents en Argentine. Cest pourquoi il faut lire attentivement les vnements voqus par lauteur
et pour lesquels nous ne disposons pas de sources, car Gasulla a probablement eu accs des fonds
privs. Dautres le remarquent ; cf. BELL Stephen, A life in shadow. Aim Bonpland in southern
south America, 1817-1858, Stanford, Stanford University Press, 2010, p. 236 ; CONTRERAS
ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, El Paraguay en 1857. Un viaje indito de
Aim Bonpland, Asuncin, Universidad Nacional del Pilar, 2006, pp. 60-61.
13

Introduction gnrale

dorchides de lcrivain Philippe Foucault 23 pour quune biographie romance


offre au lecteur la possibilit de dcouvrir le fonds conserv par Autran au Museo
Farmacobotnico Juan A. Domnguez de Buenos Aires. Il sagit dune
redcouverte biographique essentielle aprs celles de Brunel, Hamy, Bouvier,
Maynial et Gasulla. Philippe Foucault conserve la forme romance mais sappuie
sur un travail de recherche men en duo avec son pouse durant cinq ans des deux
cts de lAtlantique, offrant une synthse biographique de qualit 24 .
Lucien Febvre a raison lorsquil demande des travaux scientifiques ; ce
titre les biographies romances offrent des pistes de recherche sur lesquelles
sappuyer. Florence Trystram, historienne de formation et ditrice de Philippe
Foucault, repose la question des recherches mener sur Bonpland loccasion du
118e Congrs du CTHS se tenant Pau en 1993 sous la direction dYves Laissus,
directeur de la bibliothque du Musum national dHistoire naturelle 25 . Six ans
plus tard, lhistorien de formation devenu diplomate au Paraguay Heinz
Schneppen se demande si Bonpland doit encore demeurer el olvidado
compaero de Humboldt 26 . Cette remarque fait cho la parution, la mme
anne, dune biographie crite par le docteur en mdecine paraguayen Alfredo
Boccia Romaach centre sur les interactions entre Bonpland et le Paraguay, puis
dune autre en 2001 mettant en relief la complexit du personnage et les pistes
suivre le concernant 27 .
Cest la fois en France et en Amrique que les recherches universitaires
sorientent vers une approche historiographique de la vie du Rochelais. Nicolas
Hossard publie en 2001 un mmoire de matrise dirig par Denis Rolland
sappuyant sur les principales sources connues28 . Beaucoup de prcisions et de
mises au point concernent les prmices du second voyage en Amrique et les
nombreux centres dintrts conomiques et scientifiques du botaniste. Le
23

FOUCAULT Philippe, Le pcheur dorchides. Aim Bonpland, 1773-1858, Paris, Seghers,


1990.
24
Philippe Foucault mle comme Gasulla fiction et ralit mais cite la bibliographie et les sources
utilises.
25
TRYSTRAM Florence, Aim Bonpland (1773-1858) en Argentine , in LAISSUS Yves,
(coord.), Les naturalistes franais en Amrique du Sud: XVIe-XIXe sicles, Paris, CTHS, 1995.
26
SCHNEPPEN Heinz, Aim Bonpland : el olvidado compaero de Humboldt ? , in Historia
Paraguaya, Anuario de la Academia Paraguaya de la Historia, vol. XXXIX, 1999 (vol. spar).
27
BOCCIA ROMANACH Alfredo, Amado Bonpland. Carai Arandu, Asuncin, El Lector, 1999 ;
El polifactico Aim Bonpland, Fundacin de Historia Natural Flix de Azara, Serie Tcnica y
Didctica, Buenos Aires, n 1, 2001.
28
HOSSARD Nicolas, Aim Bonpland (1773-1858), mdecin, naturaliste, explorateur en
Amrique du Sud. A lombre des arbres, Paris, LHarmattan, 2001.
14

Introduction gnrale

principal apport de ce livre est de lever une partie du voile enveloppant les
diffrents domaines dans lesquels le savant simmerge partir de 1831, date de sa
libration neuf ans aprs son enlvement par les forces paraguayennes. Le champ
politique est privilgi juste titre, car il sagit sans doute de laspect du
personnage le moins connu en France et pourtant lun des plus significatifs de son
investissement dans la rgion du Ro de la Plata. En 2010 Stephen Bell, gographe
enseignant luniversit de Californie, publie la plus rcente et la plus complte
biographie propos de Bonpland 29 car mme si elle dbute en 1817, lauteur
noublie pas de faire rfrence aux acquis antrieurs du naturaliste. En outre, il
utilise les fonds dj connus et en apporte dautres dAllemagne, de Londres,
dAmrique du Nord et surtout du Brsil, terrain de recherche oubli mais pourtant
fcond puisque Bonpland y rside rgulirement, sa proprit brsilienne de So
Borja acquise en 1833 tant situe lest du ro Uruguay, tandis quil cultive
aussi le terrain lou Santa Ana partir de 1837 sur la rive occidentale du fleuve,
en territoire argentin. Les apports de Stephen Bell sont multiples mais cest
certainement lhistoire conomique qui profite le plus de cet ouvrage, les archives
de Bonpland fournissant ce sujet un clairage de grande valeur.
Aprs les approches biographiques, les tudes thmatiques constituent la
seconde catgorie de lhistoriographie bonplandienne . A cet gard, la
bibliographie de Stephen Bell en contient la totalit depuis quen 1860 Alfred
Demersay publie un premier article consacr la question des archives laisses
par Bonpland 30 . Aprs une srie de publications consacres entre 1905 et 1914 la
dcouverte des fonds lgus par Pompeyo Bonpland Autran, de nombreux
articles outre les ouvrages dans lesquels il est rgulirement cit lui sont
consacrs. Parmi les historiens sud-amricains ayant men des recherches vis-vis de Bonpland des annes 1920 aux annes 1950 figurent les Argentins Hernn
Felix Gmez, Alberto Palcos, Guillermo Furlong et Daniel Hammerly Dupuy 31 .
Lcole historique paraguayenne sintresse de mme au Rochelais travers
Enrique Bordenave, Efram Cardozo et Juan Francisco Prez Acosta. Lensemble
29

BELL Stephen, op. cit.


DEMERSAY Alfred, Note sur les manuscrits et les collections de M. Aim Bonpland , in
Bulletin de la Socit Gographique de Paris, quatrime srie, tome XIX, 1860, pp. 426-429.
31
Hernn Felix Gmez, par exemple, spcialiste de lhistoire de Corrientes, crit au dbut du XXe
sicle. Son apport est toujours considr comme fondamental, Jos Carlos Chiaramonte nous
layant confirm au cours de lun des entretiens quil a bien voulu nous accorder. On peut voquer
encore les travaux de Daniel Hammerly Dupuy, reconnus par Emilio Ravignani, fondateur de
lcole historique argentine au dbut du XXe sicle.
30

15

Introduction gnrale

de ces chercheurs sintresse essentiellement des aspects particuliers de


lexprience conomique et politique rioplatense dAim Bonpland.
En ce qui concerne les publications consacres spcifiquement au travail
scientifique de Bonpland, elles dbutent en 1909 avec la thse de mdecine
dfendue par Pompeyo Bonpland qui utilise certains journaux de mdecine de son
grand-pre. Trente ans plus tard, lArgentin Juan A Domnguez 32 enrichit
lhistoire de la mdecine grce une tude portant sur le traitement mdical
octroy par Bonpland la Grande Arme 33 lors de lpidmie de dysenterie se
dclarant en 1850 34 . En 1955, de nouveaux documents sont exhums et
abondamment comments par les professeurs de mdecine et historiens des
sciences argentins Anbal Ruz Moreno, Vicente A. Risolia et Rmulo
dOnofrio 35 . En 1960 le professeur dHistoire naturelle espagnol Enrique Alvarez,
en 1968 le botaniste britannique Lpez William T. Stearn puis en 1974 le Cubain
Jos Lpez Snchez, mdecin et historien de sa discipline, sintressent des
aspects plus gnraux du parcours scientifique de Bonpland 36 . Au cours de la
dcennie suivante, le mdecin correntino Andrs Ivern publie une srie darticles
traitant de thmes principalement mdicaux, utilisant un important fonds demeur
indit jusqu sa redcouverte lors dune mission de recherche que nous avons
mene en 2003. Lingnieur argentin Gustavo C. Giberti rdige en 1990 le premier
article propos du travail men par Bonpland sur la yerba mate ; enfin son
32

Professeur lEcole de Pharmacie de Buenos Aires depuis 1899 jusqu sa mort intervenue en
1946, Juan A. Domnguez dveloppe un travail denseignement et de recherche considrable dans
les domaines botaniques, chimiques, toxicologiques et zoologiques.
33
La Grande Arme ou Ejrcito Grande est forme en 1850 pour mettre fin au rgime de Rosas
qui dirige la province de Buenos Aires de 1829 1832 puis de nouveau entre 1835 et 1852, le
gouvernement de la Confdration Argentine lui tant attribue lors de son second mandat. Cette
arme comprend les corps de Corrientes, Entre Ros et Buenos Aires auxquels sajoutent ceux de
lUruguay et du Brsil.
34
DOMINGUEZ Juan A., Urquiza y Bonpland. Antecedentes histricos. La disentera en el
Ejrcito Grande en formacin, en 1850. Su tratamiento por la granadilla : Pieramnia Sellowii
Planch. v. Picraena (Pierasma) palo-amargo (Speg.) Speg. v. Castela Tweedie Planch. (Notas y
documentos inditos para la historia de la medicina argentina), Buenos Aires, Trabajos del Instituto
de Ciencias Mdicas de Buenos Aires/Facultad de Ciencias Mdicas de Buenos Aires, n59, 1939.
35
RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, Aim Bonpland.
Aportaciones de carcter indito sobre su actividad cientfica en Amrica del Sud, Buenos Aires,
Publicaciones del Instituto de Historia de la Medicina, vol. XVII, 1955.
36
ALVAREZ LOPEZ Enrique, El viaje a Amrica de Alexander von Humboldt y Aim
Bonpland y las relaciones cientficas de ambos expedicionarios con los naturalistas de su tiempo ,
in Anales del Instituto Botnico A. J. Cavanilles, t. 22, 1964, pp. 11-60 ; STEARN William T.
(Ed.), Humboldt, Bonpland, Kunth and trpoical american botany. A misccellany on the Nova
Genera Et Species Plantarum , Lehre, Verlag von J. Cramer, 1968 ; LOPEZ SANCHEZ Jos,
Bicentenario de Bonpland: un apostol de la ciencia en Suramrica , in Revista de la Bibiloteca
nacional Jos Marti, Cuba, vol. XVI, n 2, 1974, pp. 75-101.
16

Introduction gnrale

compatriote et gologue Eduardo Guillermo Ottone publie en 2002 et 2004 deux


articles traitant de ses travaux palontologiques et gologiques 37 .
Ces tudes, menes isolment par des chercheurs en sciences exactes sont
de grande valeur mais demeurent fragmentaires. Il en est de mme concernant les
tudes politiques et conomiques, Aim Bonpland tant utilis soit comme point
dappui pour dautres recherches, soit comme rfrence vnementielle. Jusqu
prsent seul Stephen Bell, ayant diffus partir de 1992 ses recherches sur le
personnage, est parvenu les regrouper dans une biographie scientifiquement
reconnue. Il nen demeure pas moins que Bonpland est trait comme un sujet de
micro-histoire la priphrie des grands domaines dtudes ; la rfrence de
Stephen Bell une life in shadow 38 est aussi un appel une redcouverte du
compagnon de voyage de Humboldt. Pour la premire fois, les 4 et 5 novembre
2010, le colloque international franco-argentin Aim Bonpland (1773-1858) et
les naturalistes-voyageurs franais en Amrique du Sud au sicle des
Indpendances , runit luniversit de La Rochelle des chercheurs franais et
amricains ; il parvient fonder une dynamique de recherche transatlantique
portant sur les problmatiques souleves par Aim Bonpland. Lexposition
prsente du mois doctobre 2010 jusquen fvrier 2011 au Musum dhistoire
naturelle de La Rochelle la seconde aprs celle organise en 1958 resserre
davantage les liens franco-amricains autour du botaniste. Un ouvrage dirig par
Guy Martinire et Thierry Lalande, auquel nous avons collabor, prsente le
botaniste dans son contexte historique 39 . La redcouverte est initie.

Des sources au travail de mmoire


37

GIBERTI Gustavo C., Bonplands manuscript name for the yerba mate and Ilex Theezans C.
Martius Ex Reisseck (Aquifoliaceae) , in Taxon, vol. 39, n 4, novembre 1990, pp. 663-665 ;
OTTONE Eduardo Guillermo, The French Botanist Aim Bonpland and Paleontology at Cuenca
del Plata , in Earth Sciences History, vol. 21, n 2, 2002, pp. 150-165 ; Aim Bonplands
drawings of the It Puc, 1834, and the history of the early geological representations in
Argentina , in Earth Sciences History, vol. 23, n 1, 2004, pp. 121-133.
38
Il sagit du sous-titre de sa biographie, Nicolas Hossard voquant quant lui un homme
lombre des arbres . Ces choix de placer Bonpland dans une pnombre sont significatifs du travail
qui reste raliser pour lui redonner un statut historiographique sinon majeur, du moins pertinent.
Le biologiste et historien des sciences argentin Julio Rafael Contreras Roqu, aprs avoir rdig
une uvre monumentale consacre Flix de Azara, prpare actuellement une biographie ddie
Aim Bonpland. Celle-ci devrait acqurir une reconnaissance gale celle de Stephen Bell, les
recherches menes antrieurement par Julio Rafael Contreras Roqu tant dune grande valeur.
39
MARTINIERE Guy, LALANDE (dir.), Aim Bonpland, un naturaliste franais aux Amriques
(1773-1858). De lorchide la yerba mate , Paris, Les Indes Savantes, 2010.
17

Introduction gnrale

Le corpus initial compos de louvrage de Thodore Jules Ernest Hamy


sest rapidement tendu lensemble des fonds connus, commencer par ceux
conservs par la Bibliothque Municipale de La Rochelle et par le Musum
dHistoire naturelle de Paris. La botaniste argentine Alicia Lourteig sest
particulirement consacre valoriser ce dernier fonds en ralisant en 1977 un
inventaire dtaill des manuscrits puis en publiant et commentant le journal de
voyage de Bonpland de So Borja Porto Alegre effectu en 1849 40 . Signalons
que linventaire de 1977 contient en outre une carte trs dtaille des diffrents
lieux visits par Bonpland que nous devons lingnieur agronome et botaniste
argentin Antonio Krapovickas, fondateur de lInstituto de Botnica del Nordeste
(IBONE). Dautres sources provenant des Archives Nationales de France et des
Archives du Ministre des Affaires trangres conserves Nantes, ainsi que les
copies de documents patiemment regroups au sein du Muse national du chteau
de Malmaison aprs leur dispersion au cours du XIXe sicle, ont t utilises. Les
recherches menes auprs de particuliers nont pas permis de dcouvrir dautre
documentation en France. Bonpland tant responsable de lintendance de
Malmaison et de Navarre, il est possible que des documents se trouvent en
Normandie. De mme, ses correspondances entretenues avec les scientifiques
franais et europens entre 1804 et 1808 peuvent conduire des dcouvertes
ncessitant des investigations de Madrid Vienne et de Londres Naples. Pour
des raisons de distance et de temps, nous nous en remettons aux travaux dj cits
car ils contiennent jusqu prsent lessentiel des sources europennes.
En outre, les fonds amricains conservs au Museo Farmacobotnico
Juan A. Domnguez reprsentent eux seuls une source de premier ordre
puisquils contiennent la plus grande partie de la correspondance du Rochelais
aprs son dpart dfinitif pour lAmrique 41 . Un quatrime fonds primaire

40

LOURTEIG Alicia, Aim Bonpland , in Bonplandia, Corrientes, Universidad Nacional del


Nordeste, Facultad de Ciencias Agrarias, tome III, n 16, 1977, pp. 269-317 ; LOURTEIG Alicia
(comp.), Journal de voyage de Sn. Borja a la Cierra y a Porto Alegre, Porto Alegre,
CNRS/Fundao de Amparo A Pequisa do Estado do Rio Grande do Sul, 1978.
41
Nous avons obtenu une copie microfilme de ces archives lors de notre premire mission de
recherche Buenos Aires en 2001. Cette copie ralise en 1986 prsente quelques diffrences avec
les archives prsentes au Museo Farmacobotnico, des documents ny figurant pas une slection
ayant certainement t effectue tandis que dautres ont depuis disparu.
18

Introduction gnrale

essentiel 42 a t dcouvert chez un particulier correntino lors dune mission que


nous avons ralise en 2003 ; il sagit du chanon manquant compltant les autres
fonds primaires. En effet il compte plusieurs centaines de folios, notamment une
partie des journaux de mdecine rdigs par Bonpland partir de 1833 43 . Andrs
R. Ivern en tant le lgataire, il na pu prciser comment son pre en avait fait
lacquisition sinon par lintermdiaire dun descendant dAim Bonpland. Ce
fonds que nous avons intitul Coleccin Andrs Ivern, Corrientes (CAIC)
contient parmi de prcieux manuscrits les journaux comptables de Bonpland lors
de sa dtention paraguayenne.
Parmi les autres sources utilises, toutes sont dj la disposition des
chercheurs et presque toutes ont t cites, hormis une correspondance prsente
la Biblioteca del Colegio Nacional de Buenos Aires. Les Archives nationales
argentines contiennent plusieurs sources, crites ou reues par Bonpland, les fonds
Pedro Ferr et Jos Mara Paz tant les plus prolifiques. A Corrientes, assez peu
darchives subsistent dans les fonds publics 44 . Nos investigations auprs des
particuliers ne nous a pas permis de retrouver dautres sources 45 , tout comme en
Uruguay et au Paraguay o, pourtant, Bonpland avait de nombreux
correspondants. Il est presque certain que des fonds privs restent dcouvrir, des
informations non encore vrifies et des rumeurs en faisant tat notamment au
Paraguay. Bonpland tant un pistolier conservateur, scrupuleux et trs
prolifique 46 , tout indique que des sources restent dcouvrir autant en Europe

42

Avec ceux de la Bibliothque de La Rochelle, du Musum dHistoire naturelle de Paris et du


Museo Farmacobotnico de Buenos Aires.
43
Ces journaux sont un excellent indicateur vis--vis du corpus, Bonpland exerant la mdecine
sans interruption.
44
Le docteur Leopoldo Jantus, actuel conservateur des Archives Historiques de Corrientes, nous
indiquait en 2002 que bon nombre de documents avaient t drobs au fil du temps. De plus, les
descendants dAim Bonpland possdaient des archives mais celles-ci ont disparu. Daprs Carlos
Bonpland, lors du legs effectu en 1905 certains documents furent rendus la famille mais ceux-ci
ont disparu tout comme ceux qui taient prsents au Museo de Ciencias Naturales de Corrientes. Il
existe peut-tre une corrlation entre ces indications et le fonds dAndrs Ivern, la redistribution
des manuscrits entre les enfants du botaniste ntant pas vrifiable. Le docteur Jos Laureano
Amorn, dfunt conservateur et mmoire du Museo Farmacobotnico avec qui nous conversions
souvent dAim Bonpland ou de lArgentine de Gardel, nous confiait qutant jeune tudiant il
avait assist dans ce mme lieu la destruction de documents crits de la main de Bonpland car
jugs trop personnels.
45
Sauf une lettre de Bonpland que Saturnino Madariaga nous a obligeamment permis de
reproduire.
46
A chaque lettre reue Bonpland indique la mention rpondu , prcisant souvent la date de sa
rponse ; ses journaux mentionnent aussi ses courriers envoys.
19

Introduction gnrale

quen Amrique 47 . Nous pensons, linstar de Julio Rafael Contreras Roqu et


Alfredo Boccia Romaach 48 , que les crits de Bonpland taient destins tre lus
par des tiers. Plus encore, nous estimons que cest en partie sa qute de
reconnaissance qui a amen le botaniste conserver prcieusement ses archives,
ses travaux et travers eux sa place historique 49 .

Entre le local et le global, une approche amricaniste


De nombreux champs historiographiques sont accessibles grce aux
sources lgues par le naturaliste rochelais ; les champs scientifiques, politiques,
culturels et plus largement lhistoire des reprsentations sont autant dapproches
possibles. Dans chacun de ces domaines, rptons-le, les apports sont trs partiels.
Quant aux champs de recherche offerts par Bonpland, ils concordent avec la
pratique actuelle de lamricanisme car ils rendent possibles, voire ncessaires,
des approches historiques varies, des recours la pluridisciplinarit et des
interactions internationales 50 .
En ce qui concerne le domaine scientifique, Bonpland est dabord dans
lombre de Humboldt puis dans celle dautres naturalistes ayant le mrite de
publier ou, mieux encore, de systmatiser leurs expriences amricaines. Dun
point de vue politique et social, sa participation la construction dune nation
amricaine comme son intgration celle-ci est largement passe sous silence ; ici
la macro-histoire ne laisse pas de place aux seconds rles. Lhistoire plus
gnralement culturelle et celle des reprsentations sen tient aux apports

47

Ainsi, Julio Rafael Contreras Roqu et Alfredo Boccia Romaach ont retrouv Lima puis ont
dit et comment en 2006 le journal du voyage de Bonpland ralis en 1857 Asuncin.
48
CONTRERAS ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, op. cit., p. 83. Les
auteurs se rfrent spcifiquement lexpression Seor Barn de Humboldt . Leur autre
hypothse est celle dune habitude dcriture prise par Bonpland. Or dautres sources la
dmentent ; ici il nous semble que Bonpland rdige un journal de voyage destin tre lu.
49
La forme dcriture de ses journaux trs proche des rcits de voyage comme la personnalit du
botaniste qui se dgage de ces recherches tendent dmontrer quil tait particulirement attentif
sa postrit.
50
La varit des approches historiques est synthtise in BERNABEU ALBERT Salvador, El
universo americanista. Un balance obligado para acabar el siglo , in Revista de Indias, vol. LX, n
219, 2000, pp. 271-306. Les aspects pluridisciplinaires et internationaux de la recherche
amricaniste sont quant eux affirms, par exemple, lors du bilan dress en 2010 in
COMPAGNON Olivier, Les Cahiers des Amriques latines : bilan dtape et perspectives , in
Cahiers des Amriques latines, n 65, 2010, pp. 7-16.
20

Introduction gnrale

idologiques

ou

aux

mcanismes

dappropriation

et

dadaptation

des

connaissances, plus rarement aux pratiques dveloppes par un acteur jug


secondaire de cette histoire. L encore labsence de publication produite par
Bonpland outil de recherche privilgi pour ce genre dtudes empche de ly
insrer.
Or, la documentation disposition permet de valoriser son action. On
retrouve des traces de correspondance scientifique entre Bonpland et Humboldt
bien sr, mais aussi Cavanilles, Pron, Pavn, Raffeneau-Delile, Thouin, Jacquin,
Bosc dAntic, Larraaga, Mirbel, Delessert ou Hooker. Les contacts politiques
nous au cours du Premier empire ainsi quavec Bolvar, San Martn, Rivadavia,
Rivera et Urquiza par exemple, les contacts conomiques nous avec les
entrepreneurs franais et trangers dnotent une activit riche et varie. Le
dpouillement de la correspondance que nous avons effectu de Bonpland nous
permet de dnombrer prs de 700 interlocuteurs pistolaires. Souvent dailleurs les
diffrents domaines voqus se mlent et se compltent, tout au long de la
premire moiti du XIXe sicle. Nous nous sommes donc efforcs de ne pas
utiliser ces fonds pour raconter une histoire particulire mais de les replacer dans
leur contexte historique, ce qui nous a amen effectuer de nombreux
recoupements et vrifications, tout en tant attentif aux moindres dtails. En effet,
parmi la masse des documents nous nous sommes souvent aperus que beaucoup
navaient pas reu toute lattention quils mritaient.
Il est donc difficile dessayer disoler un seul de ces domaines. Comment
parler dhistoire naturelle sans en voquer les retombes conomiques ? Peut-on
dissocier les relations troites entre lvolution politique et culturelle des deux
continents ? Au lieu de privilgier une thmatique, nous voudrions parvenir les
associer. En effet, ces approches sont susceptibles de se fdrer autour de
lhistoire des relations et des interactions culturelles transatlantiques. Rmi Hess
rappelle que lhistoire interculturelle des socits squilibre entre les grands
secteurs religieux, politique, conomique et informationnel 51 ; nous y ajoutons le
secteur scientifique.
Aussi, lusage des donnes biographiques comme corpus central se justifie
de par son ampleur, sa varit et son originalit. Dailleurs, lapproche
51

Remy Hess lcrit dans la prface de louvrage de Jacques Demorgon ; cf. DEMORGON
Jacques, Lhistoire interculturelle des socits, Paris, Anthropos, 1998, p. X.
21

Introduction gnrale

biographique est ncessaire la dfinition de lamricanisme lors de la premire


moiti du XIXe sicle ou plus exactement, du glissement des sciences naturelles
vers la science amricaniste en construction, car ntant pas formalise ni
institutionnalise sa gestation dpend du parcours des acteurs impliqus dans
ltude de lAmrique. Il sagit dapprhender les mcanismes permettant
lmergence dune science reliant le local et le global, lidologie et la pratique, la
science et la politique 52 . Ce nest pas un hasard si les relations entretenues par
Bonpland couvrent des champs aussi varis car, hormis le lien scientifique,
Bonpland acquiert et transfre des savoirs crant entre le voyageur europen et les
Amricains dautres relations et interactions dfinir par del une frontire
culturelle entre Occident et Extrme-Occident 53 . Pour cela le concept de
mdiateur, entendu comme producteur dune synthse intellectuelle et comme axe
de passage des savoirs entre tradition et occidentalisation 54 , permet de situer
Bonpland lintrieur de ce processus de construction dune science.
Les

sources

se

rapportant

Bonpland

constituent

une

mine

historiographique encore largement inexploite et nous ne prtendons pas en


raliser lanalyse exhaustive 55 . Si elle peut contribuer enrichir la biographie du
Rochelais partir dune majorit de sources dj connues, cette recherche na pas
pour but dtre uniquement une monographie ou une prosoprographie. Il sagit,
partir dune exprience, de contribuer lcriture de lhistoire de lamricanisme,
trs peu dhistoriens de formation ayant men des recherches sur Bonpland et
aucun ne layant replac dans ce contexte. Ceci ncessite dabord den dlimiter le
concept principal, lamricanisme tant dfini en 1845 par Domingo Sarmiento
comme lensemble des valeurs sopposant celles de la civilisation europenne
encenses par lauteur du Facundo, une manire dtre participant la
construction dune nation de manire ngative en empchant son progrs 56 .

52

Cf. LAISSUS Yves (coord.), Les naturalistes franais en Amrique du Sud : XVIe-XIXe sicles,
Paris, CTHS, 1995. Les expriences individuelles constituent lessentiel de louvrage.
53
ROUQUIE Alain, Amrique latine : introduction lExtrme-Occident, Paris, Seuil, 1987.
54
ARES QUEIJA Berta, GRUZINSKI Serge (coord.), Entre dos mundos. Fronteras culturales y
agentes mediadores, Sville, Escuela de Estudios Hispano-Americanos/CSIC, 1997.
55
Nous avons tent par exemple dapprofondir, partir des journaux de mdecine, le tableau
mdical de la rgion parcourue par Bonpland entre 1833 et 1858. Mais malgr la masse des
documents il manque des informations permettant de traiter en totalit cet aspect. Lannexe n 3 en
prsente des extraits et en explique les lacunes. Nanmoins, ces sources demeurent un sujet dtude
approfondir.
56
SARMIENTO Domingo Faustino, Facundo, Buenos Aires, Colihue, 2006 (1845). Notons que la
traduction franaise de 1853 ne reprend pas cette notion ; cf. SARMIENTO Domingo Faustino,
22

Introduction gnrale

En France, Pierre Musso relve le terme dans la Revue des Deux Mondes
date du 15 novembre 1846 57 sous la plume de Charles de Mazade, celui-ci
commentant en lapprouvant et lamplifiant le propos de Sarmiento. Le terme se
forge de manire dprciative par le biais dErnest Renan au cours de la seconde
moiti du XIXe sicle, celui-ci lemployant pour dsigner lhostilit la culture et
la socit amricaine entendue comme celle des Etats-Unis 58 . Au cours du
troisime quart du XIXe sicle, le Grand Dictionnaire Universel de Pierre
Larousse 59 propose une dfinition plus nuance et paradoxale distinguant
lamricanisme, lamricaniste et lamricomanie. Ainsi lamricanisme est dfini
comme une admiration politique et culturelle outre vis--vis spcialement des
Etats-Unis. Lamricaniste est celui qui aime les murs et les usages des
Amricains, tandis que lamricomanie en est la forme exagre. Lamricanisme
se rapproche donc de lamricomanie, probablement sous linfluence de Renan.
Michel Chevalier latinise quant lui lamricanisme en introduisant en France,
avec Jos Mara Torres Caicedo, le terme dAmrique latine 60 . Remarquons que
ces concepts contiennent des caractristiques politiques et culturelles mais pas
encore scientifiques, lacte fondateur en ce domaine tant linauguration du
premier Congrs des Amricanistes tenu Nancy en 1875 61 . Remarquons aussi
qu partir de 1875 lamricanisme en tant que discipline scientifique soriente
essentiellement vers le terrain latino-amricain, cest--dire l o se trouvent des
sujets et des objets dtudes en nombre, son but tant alors essentiellement ltude
des sciences naturelles amricaines. Pour cette raison, une recherche concernant
des savoirs non institutionnaliss favorise un regard sur les dlimitations mmes
des frontires entre les savoirs, ainsi que sur les frontires entre les savoirs et ce
qui est cens ne pas en relever. Dans le cas de lamricanisme, discipline
Civilisation et Barbarie. Murs, coutumes, caractres des peuples argentins. Facundo Quiroga et
Aldao, Paris, Arthus Bertrand, 1853.
57
MUSSO Pierre, Amricanisme et amricanisation : du fordisme lhollywoodisme , in
Quaderni, 2003, vol. 50, n 50-51, p. 231.
58
KASPI Andr, Les Etats-Unis daujourdhui : mal connus, mal aims, mal compris , in
Bureau de la formation continue des enseignants, Inspection gnrale de l'ducation nationale (d.),
Du modle amricain la superpuissance ? Sminaire national organis le 25 mai 2005 la Cit
internationale universitaire de Paris, Versailles, CRDP, 2006, p. 11.
59
LAROUSSE Pierre, Grand Dictionnaire universel du XIXe sicle, Paris, Larousse, 1990-1992
(1866-1878), 23 tomes et 4 supplments.
60
Cf. SANCHEZ ALBARRACIN Enrique, La convergence hispano-amricaniste de 1892. Les
rencontres du IVe centenaire de la dcouverte de lAmrique, thse de doctorat ralise sous la
direction de Bernard LAVALLE, Paris III-Sorbonne Nouvelle, 2006, p. 134.
61
Cf. LOGIE, tienne, RIVIALE Pascal, Le congrs des amricanistes de Nancy en 1875 : entre
succs et dsillusions , in Journal de la socit des amricanistes, vol. 95, n 2, 2009, pp. 151-171.
23

Introduction gnrale

traversant aujourdhui de part en part les sciences sociales, loccasion nous est
donne den saisir la nature, peu avant sa formalisation, sous langle des pratiques
plutt que des thories, ces dernires tant absentes du lexique scientifique.
Il existe donc plusieurs amricanismes, langlo-saxon fournissant la
France un modle politique, conomique et culturel tandis que le latino-amricain
offre un champ dtude principalement scientifique. Cette diffrenciation entrane
une posture et un postulat fondamental vis--vis du latino-amricanisme,
beaucoup plus tudi par les chercheurs mais aussi beaucoup plus mpris. Aussi
la masse des tudes en sciences humaines propos de lAmrique latine devance
et surpasse celles concernant laire culturelle anglo-saxonne, mais est fortement
connote par un prjug progressiste. Le latino-amricanisme est alors au centre
du terrain scientifique mais demeure la priphrie jusquaux annes 1930 et
notamment aux travaux mens par Claude Lvi-Strauss et Fernand Braudel So
Paulo. Leurs missions en mme temps que lapparition de lcole des Annales
mettent en lumire loriginalit du latino-amricanisme en France, lhistoire de ce
concept tant analyse dans louvrage fondateur de Jacques Chonchol et Guy
Martinire 62 .
Ces recherches mettent aussi en lumire la difficult des nations latinoamricaines se forger leur propre tradition scientifique et culturelle car du saintsimonisme jusqu la nouvelle histoire les outils intellectuels sont en grande partie
fournis par le Vieux Monde. Il faut attendre les annes 1990 pour quun
mouvement de relecture historique se gnralise parmi les historiens latinoamricains comme europens, tout du moins ceux concernant laire culturelle
tudie, savoir le Ro de la Plata 63 . A propos de cette notion gographique,
prcisons que la vice-royaut du Ro de la Plata est constitue historiquement par
les Etats actuels de lArgentine, du Paraguay, de lUruguay et de la Bolivie. Au
cours des guerres dindpendances une partie du Prou, du Chili et du Brsil
actuels annexent des territoires appartenant au vice-royaume. La rvolution de mai
1810 cre les Provinces Unies du Ro de la Plata voulant conserver les limites
62

CHONCHOL Jacques et MARTINIERE Guy, LAmrique latine et le latino-amricanisme en


France, Paris, LHarmattan, 1985.
63
Cette relecture existe depuis les origines cest--dire depuis le blocus franais de 1838 selon
Sarmiento, ds 1808 dans les faits, mais concerne jusqualors les partisans de Rosas, leurs
prdcesseurs et leurs hritiers. Ceux-ci affirment leur amricanisme comme une dfense contre
lintervention trangre alors que leurs adversaires, avant et aprs Sarmiento, prnent louverture
lEurope.
24

Introduction gnrale

coloniales espagnoles, mais les apptits brsiliens et les rivalits internes remettent
rapidement en cause ce projet.
Nous nous limitons aux aires gographiques et culturelles dans lesquelles
Bonpland se rend partir de 1817, la fois pour viter dlargir exagrment le
corpus documentaire comme pour conserver au sujet sa cohrence. En 1992, le
cinquime centenaire de la dcouverte de lAmrique est loccasion pour Michel
Paty de faire un bilan de lhistoire des sciences en Amrique latine 64 . Le Brsil et
lArgentine y ont une place de choix, lauteur en profitant pour rhabiliter les
historiens latino-amricains, voquer lhistoire des voyageurs comme un thme
presque inpuisable et dfinir trois objets dtude des sciences, dabord ellesmmes comme objets dhistoire, ensuite lhistoire des sciences comme discipline
et activit et enfin dun point de vue historiographique. En effet, la discipline
amricaniste telle quelle se dveloppe depuis Sarmiento et Hamy jusqu
recouvrir aujourdhui notamment lors des Congrs Internationaux des
Amricanistes un champ de recherche englobant lensemble des sciences
humaines et sociales. Il savre donc ncessaire de recourir une histoire
culturelle privilgiant les interactions de sujet sujet et la transmission sociale des
objets culturels 65 afin daborder cette partie de lhistoire de lamricanisme
comme un ensemble dinteractions entre les pratiques, les discours et les rseaux,
en y insrant les apports de Bonpland.
Le recours la notion de rseau simpose pour raliser une tude dhistoire
culturelle. En effet, le mdiateur est insparable dun ou plusieurs ensembles
fournissant les cadres llaboration dune pense et dune action 66 . Or, la
tendance isoler le voyageur dune de ces parties formatrices du discours est trs
prsente

dans

lhistoriographie

concernant

Bonpland.

Comme

Jacques

Demorgon 67 , nous pensons quil existe un lien irrductible entre le sujet individuel
et la hirarchie des aventures collectives humaines. Apprhender le voyageur ou le
savant daprs ses rseaux nest donc pas une nouveaut, bien que cette relation
soit souvent aborde de manire partielle. Entre le terrain et le laboratoire,
64

PATY Michel, Lhistoire des sciences en Amrique latine , in La Pense, Paris, n 288-289,
1992, pp. 21-45.
65
Cf. ORY Pascal, Lhistoire culturelle, Paris, PUF, 2004 ; POIRRIER Philippe, Les enjeux de
lhistoire culturelle, Paris, Seuil, 2004.
66
Cf. LEPETIT Bernard (dir.), Les formes de lexprience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin
Michel, 1995 ; LEPETIT Bernard, Carnet de croquis. Sur la connaissance historique, Paris, Albin
Michel, 1999.
67
DEMORGON Jacques, op. cit.
25

Introduction gnrale

llaboration du discours ou du rcit qui est un compte-rendu a posteriori de


lexprience utilise des pratiques beaucoup plus complexes que le regard ou
linstrument ce qui ne se lit pas dans le discours ou ce qui le complte. Pour cela,
il est indispensable dassocier le savant, et plus encore le voyageur-naturaliste, aux
milieux dans lesquels il produit. Si Jos Luis Peset 68 apprhende cette mise en
perspective quil juge ou trop vaste ou trop simplificatrice avec raison si lon
aborde le continent amricain dans son ensemble les tudes postrieures
concernant la priode rvolutionnaire franaise, animes notamment par Nicole et
Jean Dhombres 69 , dmontrent que pour un espace et un temps limits ltude
savre tout fait viable.
La mise en rseau est le pralable toute dmonstration voulant relier les
sciences leur environnement. Des modles sociologiques simples peuvent
sappliquer lhistoire des interactions culturelles transatlantiques afin de faire
apparatre les substrats constitutifs de la reprsentation et de comprendre quel rle
y est jou par chaque acteur, en compltant une lecture centre sur un personnage
ou un domaine. Le rsultat dune telle lecture rendrait lhistoire statique cest-dire dpendante dun temps, dun espace ou dun personnage. Au contraire,
lhistoire sociale que nous souhaitons utiliser met en avant les liens sociaux en
amont et en aval de cette nouvelle route des Indes. Cest donc partir de la praxis,
concept si bien accommod lhistoire culturelle, que nous proposons dtudier
cette partie des relations et interactions transatlantiques de la premire moiti du
XIXe sicle 70 . Pour ce faire, il faut considrer chaque mdiateur comme partie
prenante de la construction culturelle entre Europe et Amrique ; un Muiz 71 ne

68

PESET REIG Jos Luis, Ciencia y Libertad. El papel del cientfico americano ante la
Independencia, Madrid, CSIC, 1987.
69
DHOMBRES Nicole et Jean, Naissance dun nouveau pouvoir: sciences et savants en France
(1793-1824), Paris, Payot, 1989.
70
La dfinition du rseau social propose par Michel Bertrand dans le cadre de lhistoire de
lAmrique hispanique sapplique notre recherche. Il sagit d un complejo sistema relacional
que permite la circulacin de bienes y servicios, tanto materiales como inmateriales, dentro de un
conjunto de relaciones establecidas entre sus miembros, que los afecta a todos, directa o
indirectamente y muy desigualmente. ; BERTRAND Michel, Los modos relacionales de las
lites hispanoamericanas coloniales: enfoques y posturas , in Anuario IEHS, n 15, 2000, p. 74.
71
Francisco Javier Muiz (1795-1871), mdecin de formation et considr comme le premier
naturaliste argentin, demeure de lindpendance jusqu la chute de Rosas la priphrie
scientifique avant de participer la construction des sciences nationales. ). Il pratique la
palontologie dans la rgion de Lujn o il sinstalle en 1828. Correspondant avec Charles Darwin,
il retourne Buenos Aires en 1848 o il exerce des fonctions universitaires jusqu sa mort ; cf.
ONNA Alberto F., Estrategias de visualizacin y legitimacin de los primeros paleontlogos en
el R de la Plata durante la primera mitad del siglo XIX: Francisco Javier Muiz y Teodoro
26

Introduction gnrale

vaut pas un Darwin, pourtant le Rioplatense intgre le rseau cognitif du


britannique qui profite de ses apports parmi beaucoup dautres pour formuler
sa clbre hypothse. Le deuxime pr-requis aprs ltude en rseau consiste
alors privilgier la nature des liens autant ou plus que la nature des groupes euxmmes. Ltude en rseau savre donc un outil pour rconcilier le regard et la
ralit historique.
Il est dautant plus ncessaire daller vers cette voie que les tudes
culturelles, et encore plus les tudes interculturelles, regorgent de champs vierges.
Les tudes ce propos peuvent difficilement tre mises en relation. La relation par
le rseau est une solution, dans la mesure o il donne une cl supplmentaire
linterprtation. Le rseau transculturel est un moyen dapprocher la ralit des
interactions transatlantiques en allant au-del de lAmrique espagnole vue et
rve 72 , afin danalyser lAmrique vcue et restitue. Les transferts culturels
bien dfinis par Laurier Turgeon, Denys Delage et Ral Ouellet 73 permettent
desquisser une ligne de recherche qui doit prendre en compte les nouvelles
formes de lexprience nes vers 1810, fondamentalement diffrentes des
rfrences de lge classique dveloppes huis-clos autour de lAntiquit et des
lgendes noires ou dores. Lanalyse des cadres de diffusion doit prendre en
compte ces nouveaux modes de rencontre et la pluralit des mondes de
laction 74 , sorganisant en rseau autour de traditions culturelles diffrentes, et
dont lapproche biographique permet de rendre compte tout en limitant le cadre de
recherche 75 . A cet gard, les programmes de recherches crs lIHEAL et
lEHESS 76 replacent lindividu au centre de la problmatique historique. Au sein
de la Facult des Lettres, Arts et Sciences Humaines de La Rochelle, les projets de
Miguel Vilardeb , in MONTSERRAT Marcelo, Ciencia, historia y sociedad en la Argentina del
siglo XIX, Buenos Aires, Centro editor de Amrica latina, 1993, pp. 54-70.
72
DUVIOLS Jean-Paul, LAmrique espagnole vue et rve. Les livres de voyage de Christophe
Colomb Bougainville, Paris, Promodis, 1985.
73
TURGEON Laurier, DELAGE Denys, OUELLET Ral (dir.), Transferts culturels et mtissages
Amrique/Europe, XVIe-XXe sicle, Paris, LHarmattan, 1996.
74
LEPETIT Bernard, Histoire des pratiques, pratique de lhistoire , in LEPETIT Bernard (dir.),
Les formes de lexprience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995, p. 14.
75
DELACROIX Christian, DOSSE Franois, GARCIA Patrick, OFFENSTADT Nicolas (dir.),
Historiographies, Concepts et dbats, Paris, Gallimard, 2 vol., 2010 ; DOSSE Franois, Le pari
biographique. Ecrire une vie, Paris, La Dcouverte, 2005.
76
Au sein de lIHEAL, le laboratoire CREDAL a dvelopp un ple de recherche intitul
Circulation des savoirs et des pratiques culturelles , lquipe dirige par Mara Eugenia Cosio
Zavala ayant pour objectifs dtudier les Dynamiques migratoires et tudes de genre . Au sein
de lEHESS, le laboratoire MASCIPO dirig par Annick Lemprire accueille latelier de
recherches CORAM (Correspondance des migrants franais aux Amriques).
27

Introduction gnrale

recherche en cours mens par Didier Poton pour le Canada et Laurent Vidal pour
le Brsil 77 replacent les migrants au centre de lapproche historique.
Il sagit bien dvoquer des cultures et non des nations, sachant que
lAmrique du Sud possde les unes et construit pniblement les autres. Par
rseaux transculturels nous entendons donc les interpntrations dans une
perspective dynamique de construction rciproque. Ces rseaux appellent une
notion de transfert culturel englobant la vie conomique, dmographique,
psychique et intellectuelle des groupes sociaux mis en prsence 78 . Ensuite, le
rseau transculturel prsente lavantage de pouvoir rejeter justement des approches
nationales crant des frontires ignores par les pratiques, et qui ne se situent pas
l o une tude en rseau se doit de les dplacer. En effet, la construction de ces
nouveaux Etats suit une logique diffrente que celle de la construction nationale
cloisonne, sparant lvolution des aires hispano et luso-amricaines ; la science
et lhistoire culturelle prsentent des ressources privilgies pour effectuer une
approche

compare.

Enfin,

ce

type

dtude

en

rseau

permet

une

reconceptualisation dexpriences mettant en perspective de nouvelles


problmatiques concernant ltude des voyages et des voyageurs.
Les rseaux savrent un substrat essentiel dans la construction des
reprsentations. A quels niveaux, vers quelles personnes la dialectique civilisation
versus barbarie ou centre versus priphrie est-elle la plus diffuse ? Il sagit
danalyser

les

recoupements

entre

rseaux

scientifiques

et

politiques

transculturels, les frontires surtout quil est ncessaire de redfinir, afin de saisir
les rapports entre discours et rseau. Nous esprons grce au rseau dgager les
interactions entre les thmes discursifs et les mdiateurs. Le rseau constitu par
Bonpland impressionne de par sa diversit ; il sagit den analyser la nature, les
buts, lintensit, la frquence afin de dgager la nomenclature dun amricaniste ;
cest sans doute l la plus grande richesse que peut offrir lexprience de
Bonpland.
A travers celle-ci, entre le temps de lutopie et celui du ralisme, mais aussi
travers celle de ses contemporains, il sagit de mettre en avant laction de ces
personnes qui collaborent aux interactions culturelles internationales, participant

77

VIDAL Laurent, LUCA Tania de (dir.), Les Franais au Brsil. XIXe-XXe sicles, Paris, Les
Indes Savantes, 2011.
78
ESPAGNE Michel, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999, p. 1.
28

Introduction gnrale

la mise en rseau de ces laboratoires transatlantiques, leur rapprochement. Le


discours tend alors vouloir quilibrer la contradiction entre la qute de lautre et
de lailleurs avec sa propre formation intellectuelle, crant une tension entre
immersion et distanciation laquelle ne semble chapper aucun des voyageurs lors
de la premire moiti du XIXe sicle. Dans cette recherche de neutralit, le point
focal est le laboratoire, lieu suppos de lobjectivit, de lexprimentation positive,
les interactions entre science et socit en constituant quant elles le lien
informel.
Il nous apparat ncessaire de nous appuyer sur cette mthodologie et, afin
de linscrire dans lhistoire de lamricanisme, dajouter lapproche scientifique
une perspective politique. Ces deux approches sont la fois complmentaires et
indissociables puisquelles permettent de placer lamricanisme au sein dune
histoire des communications interculturelles trs bien analyses par Miquel
Rodrigo Alsina comme un processus de communication ncessitant, dans un
contexte dtermin, la diffrenciation entre les groupes, la comprhension, la
reconnaissance et lacceptation rciproque ainsi que la non monopolisation des
moyens de communication 79 . Entre cette histoire des communications
interculturelles consensuelle et lhistoire des interactions culturelles davantage
conflictuelle, nous choisissons dinclure la premire dans la seconde car elle
correspond tout fait ce que tente de raliser Bonpland en termes de mdiations
interculturelles. Les interactions supposent un contexte historique beaucoup plus
complexe, aussi sagit-il de replacer le Rochelais dans ce contexte dinteractions et
de lanalyser grce lui, la construction de lamricanisme dans le Ro de la Plata
tant intimement lie la construction politique ds le dbut de la geste
indpendantiste 80 .
En tudiant les relations transatlantiques dun point de vue politique ainsi
que les rapports entre europocentrisme et amricanisme, nous abordons la
problmatique de la conformit ou singularit de lAmrique en comparaison
lEurope 81 . Jos Carlos Chiaramonte 82 souligne quen ce qui concerne
79

RODRIGO ALSINA Miquel, Comunicacin intercultural, Barcelona, Anthropos, 1999, pp. 8081.
80
La geste indpendantiste est analyse dans louvrage de Genevive Verdo qui la fait dbuter ds
1808 ; VERDO Genevive, Lindpendance argentine entre cits et nation (1808-1821), Paris,
Publications de la Sorbonne, 2006.
81
Cf. GERBI Antonello, La disputa del Nuevo Mundo, historia de una polmica, 1750-1900,
Mexico, FCE, 1993 (1955) ; ROJAS MIX Miguel, Amrica en la concepcin ilustrada de la
29

Introduction gnrale

lArgentine, la premire moiti du XIXe sicle se caractrise par labsence dune


identit nationale dfinie, plus encore avant les bases doctrinales poses par la
Generacin del 37 83 en opposition lEurope. Afin dexpliquer cette
confrontation, nous prfrons les termes de contrainte et de sduction ceux
dattirance et de rpulsion, car dfinir de cette dernire faon les relations
transatlantiques implique une catgorisation trop rigide 84 . Dans le premier cas au
contraire, une marge de manuvre est laisse aux acteurs et lhistorien. Le rle
du conflit comme fondement de lidentit est particulirement prsent, Christian
Hermann voquant ce propos une rencontre manque 85 . Que ce soit dans le rejet
de la mtropole, puis dans le rejet de linterventionnisme europen, les
affrontements contribuent l encore forger des identits politiques opposes.
Or Aim Bonpland est un migrant malgr lui dans la mesure o, si les
annes 1817-1858 vcues dans le Ro de la Plata sont trs longtemps pour lui un
voyage devant le ramener bien dot en France, elles sont de fait un exil la
priphrie des centres scientifiques europens. Cet aspect nourrit justement
lhistoire des sciences et des changes entre les centres et les priphries, entre la
micro-histoire et lhistoire globale. En prenant comme outil de recherche la
construction des sociabilits suivant le modle propos par Pilar Gonzlez
Bernaldo pour Buenos Aires 86 et celui de Ricardo Cicerchia qui prne une histoire
minimaliste permettant, partir dexpriences particulires, de dgager des
interactions sociales de plus grande ampleur 87 , il sagit danalyser les sociabilits
et les sensibilits amricanistes construites par Bonpland. Dun village sur les
rives de lUruguay jusqu lInstitut de France, en passant par Buenos Aires, la
micro-histoire rencontre lhistoire globale. Entre priphrie et centre nous
historia , in ROIG Arturo Andrs (d.), El pensamiento social y poltico iberoamericano del
siglo XIX , in Enciclopedia Iberoamericana de Filosofa, Madrid, Trotta/CSIC, tome XXII, 2000,
pp. 261-294.
82
CHIARAMONTE Jos Carlos, Ciudades, provincias, Estados : orgenes de la Nacin Argentina
(1800-1846), Buenos Aires, Ariel, 1997, p. 251.
83
Cette gnration dintellectuels principalement argentins propose de construire une identit
nationale. Leurs projets sont varis mais tous relis aux inspirs de lEurope ou des Etats-Unis. Le
mouvement se diffuse en Amrique latine et rayonne en Argentine jusquaux annes 1880.
84
Or, il sagit den saisir la mobilit : Les couples de contraires doivent tre conus comme des
couples dynamiques , rappelle Michel Espagne ; cf. ESPAGNE Michel, op. cit., p. 44.
85
HERMANN Christian, La politique de la France en Amrique latine, 1826-1850 : une rencontre
manque, Bordeaux, Maison des Pays Ibriques, 1996.
86
GONZALEZ BERNALDO Pilar, Civilit et politique aux origines de la nation argentine. Les
sociabilits Buenos Aires, 1829-1862, Paris, Publication de la Sorbonne, 1999.
87
Cf. CICERCHIA Ricardo, Historia de la vida privada en la Argentina, Buenos Aires, Troquel,
1998-2006, 4 vol.
30

Introduction gnrale

souhaitons mettre en valeur le rle central de la priphrie et de lun de ses


acteurs.
Jean-Paul Duviols et Charles Minguet dcrivent Humboldt comme un
savant-citoyen du monde 88 . Bonpland pourrait tre compar son compagnon
de voyage et dfini comme lui mais ses statuts de migrant, naturaliste, mdecin,
mdiateur, homme politique et entrepreneur le rendent difficile rsumer en une
expression. Ses activits qui stendent du clan familial argentin aux relations
transatlantiques compliquent encore un tel rsum. Il sagit de comprendre
dabord cette complexit du personnage pour en analyser les actions et le replacer
au sein de lhistoire de lamricanisme, histoire elle aussi complexe. Cependant,
plutt que de mettre en avant des symboles biographiques comme ceux dcrits par
Charles Minguet 89 nous voudrions nous appuyer sur la biographie de Bonpland
afin danalyser les dynamiques amricanistes rioplatenses au cours de la premire
moiti du XIXe sicle. Lamricanisme peut-il alors tre abord comme un
ensemble didologies en action ayant comme proprit essentielle le
dveloppement dinteractions culturelles ?
Il sagit dune histoire transversale de par ses thmes et de par les aires
culturelles analyses, aussi notre choix de ne pas opter pour un plan chronologique
sexplique dabord par la multiplicit des chronologies intgrer. En effet, le
temps de la construction politique et scientifique nest pas le mme en France et
en Amrique. Ensuite, le temps de Bonpland est court par neuf annes de
dtention au Paraguay puis par plusieurs annes disolement au cours des annes
1840 qui le coupent du temps de la construction de lamricanisme. A linverse
des priodes font apparatre une activit abondante ; le temps de Bonpland est
distendu, il se condense ou samplifie. Enfin, notre mthodologie de recherche
sappuyant sur les interactions entre les rseaux, les discours et les actes ou les
pratiques, il savre ncessaire de diviser notre travail selon des approches
thmatiques. En effet si ces interactions voluent chronologiquement de manire
cohrente, en revanche elles se recoupent peu en ce qui concerne les aspects
politiques et scientifiques car, durant la premire moiti du XIXe sicle, le fait
politique prime sur llaboration scientifique qui nest qu peine esquisse. Il faut

88

DUVIOLS Jean-Paul, MINGUET Charles, op. cit.


Lauteur divise son ouvrage selon les populations rencontres et les rsultats scientifiques du
voyage.
89

31

Introduction gnrale

attendre la dcennie 1850 pour que les deux champs se rejoignent et interagissent
pour peu peu alimenter les laboratoires transatlantiques.
Dun point de vue scientifique, Aim Bonpland se situe donc dans ce qui
peut tre qualifi de priode pr-amricaniste au sens donn en 1875 au terme
damricanisme, savoir ltude scientifique globale du Nouveau Monde 90 . Au
sens historiographique il en est une figure parmi beaucoup dautres si lon
considre que les rseaux, les discours et les actes structurant lhistoire de
lamricanisme. Pour cela, la premire partie concerne lanalyse des interactions
entre le savant et le politique. Il sagit dun substrat essentiel pour comprendre
ensuite les comportements scientifiques du Rochelais et les replacer dans leur
contexte. Il sagit de comprendre non seulement un personnage mais un temps et
un espace historique. Du continent au clan, Bonpland non seulement se place dans
lvolution politique rioplatense mais aussi y participe diffrentes chelles 91 .
Ensuite les aspects scientifiques se divisent en deux temps, celui du transfert de
laboratoire et celui de lutilisation du terrain. Les Libertadores hritent des
perspectives scientifiques ouvertes lors de la seconde moiti du XVIIIe sicle par
les grandes campagnes naturalistes organises par la couronne espagnole. La
concidence entre lexprience acquise par Bonpland au contact des laboratoires
europens en France entre 1804 et 1815, sa situation prcaire aprs les Cent-Jours
et les projets scientifiques des indpendantistes latino-amricains est lobjet de la
seconde partie. Il sagit ici danalyser lvolution des interactions scientifiques
entre le Nouveau et lAncien Monde en analysant ladaptation de projets
scientifiques europens au Ro de la Plata. Enfin, les perspectives offertes par le
terrain de recherche rioplatense constituent le dernier thme de recherche. Ce
terrain est analys sparment car il acquiert une dimension particulire au cours
de la premire moiti du XIXe sicle. En effet, les transferts de laboratoires

90

Le Congrs international des Amricanistes a pour objet de contribuer au progrs des tudes
ethnographiques, linguistiques et historiques relatives aux deux Amriques, spcialement pour les
temps antrieurs Christophe Colomb, et de mettre en rapport les personnes qui sintressent ces
tudes , prcise le premier article du congrs tenu Nancy en 1875 ; Congrs international des
Amricanistes, Compte-rendu du congrs des Amricanistes. Premire session. Nancy,
Nancy/Paris, Crpin-Leblond/Maisonneuve, 1875, vol. 1, p. 7.
91
Louvrage dirig Jacques Revel, Jeux dchelles, expose que le prisme utilis fait apparatre des
phnomnes diffrents de la mme manire que le changement dchelle en cartographie ; cf.
REVEL Jacques (dir.), Jeux dchelles. La micro-analyse lexprience, Paris, Gallimard/Le
Seuil, 1996. Il sagit de runir ces chelles par lintermdiaire dun mdiateur, dun relais
amricaniste.
32

Introduction gnrale

chouant ou stagnant, le terrain scientifique amricain acquiert alors sa dimension


amricaniste.

33

PREMIRE PARTIE

LE POLITIQUE ET LE SAVANT

INTRODUCTION

Aborder lanalyse strictement politique de lexprience amricaniste


dAim Bonpland avant ltude des enjeux scientifiques permet dexposer les
fondements sur lesquels reposent ces enjeux. Comme lindique le titre de cette
premire partie, le politique prcde le savant. En effet, la lecture des sources le
poids des vnements politiques auxquels Bonpland parat soumis semble orienter
et souvent touffer ses projets sans que jamais il ne puisse vritablement avoir
prise sur eux. Entre 1789 et 1798 dabord, le jeune homme ne prend pas
clairement parti contrairement son frre an, Michel-Simon Goujaud-Bonpland,
partisan du nouveau rgime. Ensuite, les impressions et les analyses politiques
issues du voyage ralis entre 1798 et 1804 sont entirement rdiges par
Humboldt, son compagnon de voyage se ralliant toutefois au Premier empire et
la cause indpendantiste hispano-amricaine entre 1804 et 1814. En 1808,
Bonpland obtient le poste dintendant des domaines de limpratrice Josphine
situs Malmaison et Navarre. Mais la mort de Josphine de Beauharnais dont il
est aussi le botaniste ainsi que la chute de lempire napolonien le placent dans
une situation professionnelle incertaine. Les domaines offerts par Napolon Ier sa
premire pouse ne bnficient plus alors des ressources financires fastueuses
dont Bonpland profite jusqualors.
Bonpland opte en 1816 pour un voyage vers le Ro de la Plata puis un
retour en France aprs une mission scientifique ayant pour but lexploration du
Sud de lAmrique quinoxiale, la fondation dun tablissement dhistoire
naturelle et la cration dun tablissement agricole, mais lexpdition sachve en
1821 par son enlvement pour des raisons politiques. En effet, Bonpland choisit de
servir en mme temps que ses intrts ceux des dirigeants de la province de

Premire partie

Introduction

Corrientes, frontalire du Paraguay. Or, le territoire agricole quil entend valoriser


pour son profit et pour celui de Corrientes est aussi revendiqu par le
gouvernement de la rpublique du Paraguay indpendante depuis 1814. Aprs une
captivit de neuf annes, le savant sinstalle au cours des annes 1830 dans la
rgion frontalire des Missions entre le Brsil, le Paraguay et lArgentine afin
daccomplir ses projets conomiques et scientifiques avorts en 1821. Pour cela il
achte une proprit au Brsil en 1833 et en loue une autre dans la province de
Corrientes partir de 1837. Mais la scession de lEtat brsilien du Rio Grande do
Sul de 1835 1845, puis la Guerra Grande branlant les provinces argentines et
lUruguay au cours dune guerre civile de quatorze annes, entre 1839 et 1852,
brisent les efforts du Franais.
Entre 1852 et 1858, il profite des dernires annes de sa vie pour accomplir
en partie ses projets. Durant cette ultime priode le savant sappuie sur le nouveau
dirigeant de la province de Corrientes, Juan Pujol. En effet, celui-ci dcide de
fonder un cabinet dhistoire naturelle la tte duquel il nomme le Franais. De
plus, Pujol lui accorde la proprit de la terre quil cultive depuis 1837. Ces
annes de relative tranquillit lui permettent de finalement faire avancer ses
objectifs conomiques et scientifiques, grce lappui politique de Pujol.
Limpression qui se dgage de la biographie de Bonpland est alors moins celle
dun homme pris de libert, comme cela a t gnralement crit, que celle dun
individu soumis un contexte historique dfavorable.
Pourtant, au-del dune interprtation faisant de lui un homme libre ou
cras, nous voulons montrer que Bonpland effectue des choix raisonns et
adapts un contexte politique particulier dans lequel les enjeux locaux,
provinciaux, nationaux et transatlantiques interagissent. Les dcisions du Franais
sont dabord guides par sa formation scientifique, son exploration des colonies
espagnoles et lutilisation de cette exprience en France puis au Ro de la Plata. A
cet aspect scientifique sajoute la rencontre avec une civilisation, le dsir de
reproduire lexprience du voyage, le choix de soutenir les indpendantistes
amricains et ladhsion au projet politique rioplatense, autant daspects culturels
et politiques faonnant une attirance vis--vis du Nouveau Monde. La conjonction
de la connaissance et de lattirance cre chez Bonpland une sensibilit
amricaniste qui mrit lentement de 1798 1816.

36

Premire partie

Introduction

Aucun scientifique europen avant lui neffectue deux fois un voyage en


Amrique avec comme objectif lexploration, la publication de ses recherches
auxquelles sajoute lors du second voyage la fondation dun laboratoire. Ce choix
le conduit du naturalisme avec Humboldt vers lindpendantisme et par
consquent vers lamricanisme dans la mesure o une dimension idologique
sajoute la perception scientifique de lAmrique et dans la mesure o il
concrtise dans les actes son engagement. Il semble certain que le premier voyage
amricain de Bonpland influence sa pense politique puisquil prend parti pour les
indpendantistes ds son retour puis demande tre mandat auprs deux en
1808 si lon se rfre son tmoignage dat de 1815 92 . Bonpland se prsente dans
ce document comme un spcialiste du continent amricain offrant ce titre ses
services afin de servir un projet politique. Cette juxtaposition de plusieurs projets
politiques, scientifiques et conomiques recouvre un champ daction globalisant
caractristique de lamricanisme tel quil est institu depuis la fin du XIXe sicle
jusqu maintenant. En cela, les projets de Bonpland peuvent tre analyss comme
prcurseurs de lamricanisme institutionnel. La part du politique et de
lconomique tant indissociable de laspect scientifique, lhistoire des sciences ne
peut en faire abstraction particulirement vis--vis de lamricanisme. En effet,
lamlioration de la gouvernance coloniale est le fondement des voyages
scientifiques organiss principalement partir de la seconde moiti du XVIIIe
sicle par la couronne espagnole.
Cette particularit prsente une diffrence essentielle vis--vis dautres
voyages et travaux effectus en Europe car dans lAmrique hispanique, le savant
nest pas seulement un compilateur de savoirs mais aussi un instrument politique
au service de son pays. La priode 1815-1850 est particulirement fondatrice car
elle est dfinie pour lEurope comme une longue attente entre la fin dun ancien
pacte colonial et la mise en place dun nouveau, favoris par lindustrialisation et
lessor dmographique 93 . Durant cette priode des modles se construisent, se
discutent et se confrontent. A ce titre, le discours prononc par Simn Bolvar
Angostura en fvrier 1819, sil ne prend pas en compte linterventionnisme des
puissances-modles librales, se veut annoncer lavnement dune grande
92

AMFBJAD n 1263, Mmoire historique sur lmancipation de lAmrique hispanique. s. l.,


1815.
93
CONNAUGHTON Brian F., Amrica latina 1700-1850: entre el pacto colonial y el
imperialismo moderno , in Cuadernos Americanos, n 38, mars-avril 1993, p. 64.
37

Premire partie

puissance

hispanique

Introduction

continentale

combinant

dterminisme

naturel 94

et

volontarisme culturel. Au niveau du traitement de linformation, linteraction entre


le scientifique et le politique connat une nouvelle tape au moment des
indpendances latino-amricaines, les Croles pouvant dvelopper plus librement
et plus radicalement leurs propres thories. Probablement aussi largumentation
crole influence-t-elle ce moment le discours europen. Dans ce schma
politique, le savant a une fonction civilisatrice essentielle car il doit moderniser,
faire connatre et surtout contribuer au mouvement civilisationniste entendu
comme sentiment dappartenance une civilisation.
En Amrique, la nature est un enjeu politique autant que scientifique car
elle est surcharge dune idologie qui en fait un patrimoine possder, cultiver et
dvelopper depuis que les Europens y projettent leurs fantasmes, cest--dire
depuis le XVe sicle. Aussi le savant et particulirement le naturaliste est-il charg
de produire un contre-discours replaant les Etats indpendants dans le monde et
de leur donner un rang parmi les nations anciennes ou en formation. Nous
voudrions comprendre comment sarticule alors la dpendance entre le politique et
le scientifique. Lexprience dAim Bonpland permet daborder cette articulation
en analysant les identits locales autant que les formes didentit nationales et
internationales. Pour cela, nous nous appuyons sur les travaux fondateurs de Jos
Carlos Chiaramonte qui distingue trois formes didentit en interaction : hispanoamricaine, rioplatense et provinciale 95 .
Nous ajoutons cette approche une dimension transatlantique, associant
les acteurs locaux des partis europens, qui parat indissociable de la gestation
tatique amricaine. On peut aussi ajouter ces identits la forme transnationale et
partisane. A lintrieur de la province en effet, les factions forment une
subdivision assimilable au parti ; la forme transnationale associe quant elle des
provinces ou pays voisins porteurs de projets politiques diffrents. Bien quil ne
faille pas retomber dans un comparatisme ou dans une subordination vis--vis
dun suppos modle europen 96 , il sagit danalyser les interactions et les
94

Bolvar voque le peuple que podr elevarse a la grandeza que la naturaleza le ha sealado ,
cit in ibid., p. 66.
95
CHIARAMONTE Jos Carlos, Formas de identidad en el Ro de la Plata luego de 1810 , in
Boletn del Instituto Dr. E. Ravignani , Troisime Srie, n 1, premier semestre 1989, pp. 71-88.
96
Ds les premiers mouvements indpendantistes au Ro de la Plata, Les constitutions rioplatenses
nempruntent pas lEurope mais concident avec elle ; cf. VERDO Genevive, Le rgne du
provisoire. Llaboration constitutionnelle au Rio de la Plata , in LEMPERIERE Annick,
38

Premire partie

Introduction

barrires culturelles qui forment lamricanisme rioplatense. A ce titre, Bonpland


permet de mieux en apprhender la dimension transatlantique. En outre, son
immersion politique et culturelle met en lumire les formes didentit en
interaction au sein de la zone gographique quil habite au cours de la premire
moiti du XIXe sicle. Comment le voyageur m par un projet indpendantiste
devient-il un migrant participant la construction dune forme damricanisme
particulire ?
Pour rpondre cette question, le plan propos est chronologique. Certes,
certains aspects de la pense du Rochelais se modifient peu et pourraient donc tre
analyss de manire thmatique. Nanmoins ses rseaux, ses ides et ses actes
voluent avec le temps. Des ruptures les modifient, telle par exemple celle
exprimente en 1821 ou encore celles ayant lieu avec le dbut puis la fin de la
Guerra Grande. En outre, ces volutions concernent autant la micro-histoire de
Bonpland, la macro-histoire rioplatense et transatlantique que les articulations se
produisant entre elles. Le premier temps tudi couvre la priode durant laquelle
Bonpland volue dune pense indpendantiste vers une pense transnationale,
cest--dire depuis son voyage avec Humboldt jusqu son implication dans les
conflits internes au Ro de la Plata. Le deuxime temps recouvre la priode de la
Guerra Grande pendant laquelle le savant simmerge en sengageant et en
sadaptant aux mutations politiques rgionales. Enfin, le troisime temps
correspond son adaptation la construction amricaniste ne de la fin du conflit
rioplatense. Cest aussi loccasion de dresser le bilan de sa pense amricaniste
depuis son arrive au Ro de la Plata afin den dgager les structures.

LOMNE Georges, MARTINEZ Frdric, ROLLAND Denis (coord.), LAmrique latine et les
modles europens, Paris, LHarmattan, 1998, pp. 79-120 ; In historia veritas : le modle de
lAntiquit chez les rvolutionnaires hispano-amricains , in QUEIROS MATTOSO Katia de,
MUZART-FONSECA DOS SANTOS Idelette, ROLLAND Denis, Modles politiques et culturels
au Brsil. Emprunts, adaptations, rejets. XIXe et XXe sicles, Presses de lUniversit ParisSorbonne, 2003, pp. 107-122.
39

CHAPITRE I
De lindpendantisme lunitarisme (1799-1839)

INTRODUCTION
Proportionnellement lnorme masse de documents crits de sa main,
Bonpland livre peu dindices de sa propre reprsentation des colonies espagnoles
puis du Ro de la Plata. Au cours dune de ses rares confidences Alexandre de
Humboldt, il explique ne pas vouloir sengager outre-mesure sur ce terrain 97 . Le
Prussien, au contraire, sexprime longuement ce sujet et se montre en accord
avec une grande partie des revendications croles. Sa libert de parole et ses prises
de position sont une consquence directe de sa libert daction ayant permis une
immersion parmi les Amricains peu avant le dbut de la geste indpendantiste.
Ainsi, les essais politiques sur la Nouvelle-Espagne et Cuba, dits en France 98 ,
permettent lauteur de ne pas mnager ses critiques lgard du systme
colonial espagnol.
Un autre exemple dadaptation aux circonstances politiques est fourni par
les ouvrages dAuguste de Saint-Hilaire, dont les descriptions gographiques
sajustent aux changements politiques intervenus en Amrique du Sud entre les

97

je me suis limit autant que possible et ne tai pas dit la millime partie de ce quon peut dire
sur semblable sujet ; Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cit in HAMY Jules
Thodore Ernest, op. cit., p. 90.
98
HUMBOLDT Alexandre de, op. cit. ; Essai politique sur le royaume de la Nouvelle-Espagne,
Paris, A. A. Renouard, 1825 (seconde dition) ; Essai politique sur lle de Cuba, Paris, Gide,
1826, 2 tomes.

Premire partie

Chapitre I

annes 1820 et 1830, au fur et mesure de ldition de ses travaux 99 . Alcide


dOrbigny part quant lui pour les colonies espagnoles mais regagne la France en
provenance dEtats dont lindpendance est reconnue, ce qui se ressent fortement
dans son discours construit au contact des lites locales100 .
Quant Aim Bonpland, il ne reste presque aucun lment relatif sa
vision du lors de son expdition en compagnie de Humboldt, le rcit du voyage
ayant t crit par celui-ci 101 . Cest de cette premire rencontre avec le Nouveau
Monde que nat pourtant le dsir dy retourner, dsir ralis en 1817 lorsquil
parvient Buenos Aires. La destination quil choisit aprs plusieurs annes de
rflexion est choisie en fonction de lengagement pris par les missaires de la
jeune rpublique des Provinces Unies du Ro de la Plata 102 , Bernadino
Rivadavia 103 en tte, faire natre les sciences naturelles sur le sol sud-amricain.
Si la guerre civile empche Bonpland de mener bien ce projet, elle nous permet
en revanche de mettre jour quarante annes dimpressions de voyages et de
confrontation aux ralits politiques rioplatenses. Car sil se montre peu disert
concernant son premier voyage, Bonpland lgue lors de sa seconde rencontre avec
lAmrique une abondante documentation, essentiellement sous forme de
correspondances et de journaux de voyage. Lapproche du discours est donc
diffrente de celle dun Alcide dOrbigny, puisque si le rcit quoffre celui-ci est
structur et surtout publi a posteriori le tmoignage de Bonpland se prsente
99

SAINT-HILAIRE Auguste de, Province de S. Pedro de Rio Grande do sul, au brsil, Paris,
Pihan de la Forest, 1823 ; Voyage dans la province de Rio de Janeiro et de Minas Geraes, Paris,
Grimbert et Dorez, 1830, 2 tomes ; Voyage dans le district des diamans et sur le littoral du Brsil,
Paris, Gide, 1833, 2 tomes.
100
ORBIGNY Alcide d, Voyage dans lAmrique mridionale (le Brsil, la Rpublique Orientale
de lUruguay, la Rpublique Argentine, la Patagonie, la Rpublique du Chili, la Rpublique de
Bolivia, la Rpublique du Prou) excut pendant les annes 1826, 1827, 1828, 1829, 1830, 1831,
1832 et 1833, Paris, P. Bertrand, Strasbourg, Levrault, tomes I et II, Partie historique, Paris,
Bertrand ; Strasbourg, Levrault, 1835-1843.
101
Les seules notes de la main de Bonpland propos de ce voyage tiennent en quelques lignes ; cf.
MNHN, ms 456.
102
Cette rpublique se donnant pour frontires les limites de lancienne vice-royaut du Ro de la
Plata est proclame en 1811, succdant aux Provinces du Ro de la Plata cres lors de la
Rvolution de Mai 1810. De nombreux changements et superpositions de noms interviennent, le
terme de Confdration Argentine tant majoritairement employ partir de 1835 jusquen 1860,
lorsque le terme de Rpublique Argentine est adopt. Les principaux lieux explors par Bonpland
figurent sur la carte n 1, p. 51.
103
Bernardino Rivadavia (1780-1845) est successivement plnipotentiaire, ministre puis prsident
des Provinces Unies de la Plata. Il occupe cette dernire charge de 1824 1826 mais doit
dmissionner et sexiler lanne suivante, sa politique de tendance unitaire donnant un grand poids
Buenos Aires au dtriment des autres provinces qui demandent davantage dautonomie par le
biais dun systme fdral ; cf. PICCIRILLI Ricardo, Rivadavia y su tiempo, Buenos Aires,
Peuser, 1943.
41

Premire partie

Chapitre I

pour sa part comme une suite sans interruption dimpressions construisant une
vision mouvante dans le temps. Enlev en 1821 par le dirigeant du Paraguay,
libr neuf ans plus tard alors que le Ro de la Plata est confront aux difficults
qui suivent son indpendance, Bonpland est alors un prcieux tmoin de cette
construction politique.
Quatre phases jalonnent cette partie du parcours de Bonpland. De 1817
1821 il sinstalle dans une rgion et se confronte avec une nouvelle ralit
politique quil ne connat qu travers ses reprsentations forges lors de son
premier voyage dans un espace politique diffrent. Ensuite, de 1821 1831 il
demeure isol au Paraguay. De 1831 1834, Bonpland libr conserve un regard
de voyageur, puis entre 1834 et 1839 il se conforme la vie politique grce une
adaptation aux enjeux rioplatenses mais sans y participer directement. Il demeure
un observateur et un mdiateur projet dans un espace le Ro de la Plata et une
ralit les conflits gnrs par les tentatives de construction nationale qui
structurent la reprsentation de son espace de vie et plus gnralement de
lAmrique du Sud.
Durant ces phases les cercles relationnels de Bonpland voluent tout
comme les reprsentations quils suscitent. A limage de lAmrique du Sud se
superpose celle de la France, et lon peut se demander si, en 1839, aprs plus de
vingt ans passs sur le sol amricain, la vision ne sest pas inverse ; le Ro de la
Plata serait mieux compris, mieux assimil par Bonpland alors que la France se
serait idalise dans son esprit. Quelles articulations entre les rseaux, les discours
et les actes amnent ce changement, cette acclimatation ? Comment seffectue le
glissement dune sociabilit du voyageur vers une sociabilit du migrant ?
Dans un premier temps, Bonpland dveloppe une apprhension globale,
continentale et universaliste des enjeux politiques locaux en contradiction vis-vis dune ralit nettement fractionne. En effet, la dissolution de lapparente
unit coloniale hispano-amricaine au Ro de la Plata 104 entrane son
remplacement par dautres modles politiques mlant hritage colonial et rupture
104

Dans les faits, cette unit masque de profondes divergences. Concernant laire culturelle
principalement parcourue par Bonpland, cf. CHIARAMONTE Jos Carlos, Legalidad
constitucional o caudillismo: el problema del orden social en el surgimiento de los Estados
autonomos del litoral argentino en la primera mitad del siglo XIX , in Desarrollo Economico,
vol. 26, n 102, juillet-septembre 1986, pp. 175-196, et surtout Ciudades, provincias, Estados :
orgenes de la Nacin Argentina (1800-1846), Buenos Aires, Ariel, 1997 ; GARAVAGLIA Juan
Carlos, Poder, conflicto, y relaciones sociales. El Ro de la Plata, XVIII-XIX, Rosario, Homo
Sapiens, 1999.
42

Premire partie

Chapitre I

indpendantiste. A ces chelles coloniales et indpendantistes se superposent les


chelles provinciales et nationales, laire politique et culturelle rioplatense faisant
apparatre ses discontinuits et ses oppositions. Dans ce contexte de
fractionnement et dinstabilit, Bonpland prend pour appui une culture politique
caractrise par un bonapartisme et un patriotisme qui structurent sa pense et ses
actes. Cependant, son immersion politique et culturelle sur le long terme oblige le
naturaliste mtisser ses prismes. Entre le discours et les actes, plusieurs
impratifs interagissent et le font basculer de lobservation vers laction.

A. LA FIN DU MIRAGE INDEPENDANTISTE


Lanalyse des discours et des actes ne serait pas fonde si elle ne
comprenait pas une tude des rseaux qui les sous-tendent. Sur le terrain, les
facteurs relationnels dterminent la structure intellectuelle du voyage. Le choix de
litinraire, les recommandations, les guides, les interlocuteurs nourrissent une
rflexion qui, si elle a pour base une formation culturelle europenne ou
ethnocentriste, se transforme dans le temps et lespace. Ensuite llaboration du
rcit se place dans la continuit du voyage, car lcrivain part la rencontre de ses
publics. En recourant la figure du voyage littraire, le parcours du savant peut
tre apprhend comme un cheminement sur le long terme. En effet, la
construction du discours implique un rapprochement avec les attentes du public
profane et spcialis. Larticulation mixte entre le rcit pittoresque et la
formulation scientifique traduit ce double impratif. Pour cela, le recours aux
appuis corporatistes les plus larges 105 permet de crer ou prolonger la crdibilit
et lexistence de lancien expatri. Dans ce contexte, ladaptation du discours et
des actes est une consquence logique des contacts dvelopps avec les rseaux.
Le problme rside dans la dfinition du processus de formation et
dvolution des rseaux intgrs par Bonpland. Quelle est lincidence de ceux-ci
sur lvolution des actes et du discours du savant ? Comment seffectuent les
rapprochements transnationaux ? Pour aborder ces questions, il faut dans un
premier temps considrer la mixit sociale et nationale des relais dont il sentoure,
105

A commencer par les appuis politiques, mais aussi scientifiques, conomiques et ditoriaux.
43

Premire partie

Chapitre I

clairant la ncessit dune adaptation aux ralits amricaines. De cette


adaptation dcoule ensuite la formation dun rseau transfrontalier rgional,
national et international dtermin par un choix de lieu de vie favorable ce type
dchanges. Les rencontres avec dautres rseaux dintrts et dautres logiques
politiques permettent enfin dtudier les rseaux idologiques auxquels le
Franais sidentifie. A chaque niveau danalyse, le problme des liens entre le Ro
de la Plata et lEurope savre essentiel pour comprendre lvolution des
problmatiques.

1. Le rgne du provisoire
Lorsquil aborde les ctes rioplatenses, Aim Bonpland peroit lensemble
de la rgion travers le prisme indpendantiste. Son implication rpond cette
vision qui ne distingue pas les affrontements en germe ou dclars. Les
principales motivations du voyage entrepris par Bonpland lintrieur des
Provinces Unies du Ro de la Plata, son aboutissement tragique puis lheureux
dnouement lexploration de 1817 1821, la dtention entre 1821 et 1831, la
libration et la mise en place de nouveaux repres jusquen 1839 permet de
mettre en relief un profond changement dans la reprsentation et dans
lapprhension de lAmrique de Bonpland. Il nous livre les lments ncessaires
lanalyse de son adaptation aux ralits amricaines. En effet, lors de la priode
comprise entre 1817 et 1839, le regard gagne en comprhension ce quil perd en
distanciation, cest--dire quau gr de ses positionnements scientifiques ou
politiques Bonpland dveloppe une vision plus fine des enjeux amricanistes et
de son rle en tant que scientifique.

La confrontation aux problmatiques indpendantistes


Linterprtation europenne de Bonpland vis--vis des mouvements
indpendantistes savre maladroite. Cet imaginaire se construit ds avant 1817 ;
au cours des Cent-Jours Bonpland numre les atouts dont il dispose sur le

44

Premire partie

Chapitre I

continent sud-amricain. Il compte particulirement sur les rapports dvelopps


avec les hispano-amricains entre 1799 et 1804 pour sy implanter :
Jai voyag pendant cinq ans dans lAmrique Espagnole, jai tudi ce
pays, je connais personnellement et je suis mme li damiti avec ses
principaux habitants

106

Le premier voyage apparat comme le socle sur lequel le savant construit ses
convictions indpendantistes. Contrairement Humboldt qui ne va pas au-del du
discours 107 , Bonpland souhaite sengager activement pour cette cause grce au
rseau tiss avec des hommes quil estime disposs accueillir laide de la France
par son intermdiaire 108 .
A son retour en France, il a plusieurs fois loccasion de prouver sa
sympathie envers le mouvement indpendantiste. En 1815, lextrait reproduit cidessus montre que Bonpland ne se dtrompe pas en dfinissant cette aire
culturelle par lintermdiaire dune identit hispano-amricaine109 . Nanmoins, le
vocabulaire employ montre une mconnaissance de la profonde ralit
amricaniste. En effet, lAmrique espagnole est perue comme une seule entit ;
Bonpland emploi le terme de pays pour qualifier lensemble des vice-royauts
en dcomposition. Il sagit pour lui dun ensemble continental qui semble sans
nuances. Ce nest quune fois Buenos Aires quil constate les divisions et les
conflits partisans, mme si l encore il emploie les termes de pays et de
capitale 110 pour qualifier une entit politique embryonnaire, savoir les
Provinces Unies du Ro de la Plata proclames le 10 mai 1810.
Or, suivant la thse dOscar Oszlak 111 lEtat rioplatense manque des trois
conditions essentielles pour saffirmer comme tel, ne possdant ni la souverainet
106

AMFBJAD n 1263. Mmoire historique sur lmancipation de lAmrique hispanique, s.l., s.d.
[1815].
107
Cf. SCHNEIDER Hans, La idea de la emancipacion de Amrica en la obra de Alexander von
Humboldt , in Revista Nacional de Cultura, n147, 1961, pp. 73-96.
108
Cependant, aucun crit de sa main ne prcise lidentit de ces hommes ni leurs ides. Sil est
toutefois ais de les connatre grce aux rcits de Humboldt, il est impossible de reconstituer les
rapports entretenus entre eux et Bonpland.
109
Cf. CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), Historia general de las relaciones exteriores
de la Repblica argentina, Buenos Aires, Nuevohacer, Grupo Editor Latinoamericano, 1998, tome
II, p. 253.
110
Bonpland J. Lebreton, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 61.
111
OSZLAK Oscar, La formacin del Estado argentino, Buenos Aires, Editorial de Belgrano,
1985, cit in CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), Historia general de las relaciones
exteriores de la Repblica argentina, Buenos Aires, Nuevohacer, Grupo Editor Latinoamericano,
1998, tome I, p. 70.
45

Premire partie

Chapitre I

internationale, ni les moyens daffirmer son autorit lintrieur de son territoire,


ni la prsence dinstitutions publiques diffrencies et fonctionnelles. La
souverainet fragmente entre cits et nation mise en lumire par Genevive
Verdo 112 contrarie davantage la construction de lidentit collective ncessaire
lmergence dune nation 113 .
Loptimisme initial du Rochelais sefface donc rapidement une fois
locan franchi. Le 29 janvier 1817, il dbarque Buenos Aires laissant derrire
lui de nombreux amis et allis, devant constituer in situ et quasiment ex nihilo un
second ple relationnel puisquil na pas parcouru cette partie de lhmisphre
amricain 114 . En effet, la majorit des Amricains connus en Europe disparaissent
de son horizon pistolaire et la recommandation qucrit son principal
interlocuteur et soutien Londres, Bernadino Rivadavia, manque cruellement de
poids et de conviction si on la compare aux attentes du Franais 115 . Pour sa part,
la France est faiblement prsente dans le Ro de la Plata ; aussi doit-il se tourner
vers les autorits dune nation fantme non reconnue par les Europens afin
dobtenir toutes garanties concernant la poursuite de son travail et de sa carrire.
De 1817 1820, Adeline Delahaye et Aim Bonpland commettent une
srie de maladresses savrant nfastes leur situation. Pourtant bien intgr au
sein de la socit portea, le savant survalue les appuis politiques dont il dispose
ainsi que la capacit des lites soutenir ses projets. Le couple amne avec lui une
forme de sociabilit fort loigne de celles en vigueur au Ro de la Plata et au lieu
dy trouver la libert escompte, il se voit confront aux spasmes indpendantistes
entranant une suspicion lgard des trangers. Pourtant la problmatique
indpendantiste correspond aux esprances du Franais qui espre beaucoup de
lmancipation hispano-amricaine la veille de son dpart :
112

VERDO Genevive, op. cit.


Cf. CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit., tome I, p. 70.
114
Il le fait en conscience et sans regret : jai tout ced, je devais le faire et je men feliciterai
toute ma vie. , AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832.
115
Le 21 octobre 1816, Rivadavia recommande Pueyrredn Mr Bompland, bien conocido p.r su
Viage con el Baron de Umbolt, y p.r su merito en la Botanica, mas de sus calidades morales q.e le
recomiendan mucho mas. Es un Amigo particular mio, cuya circunstancia me obliga
recomandartelo muy especialm.te ; Comisin de Bernardino Rivadavia ante Espaa y otras
potencias de Europa (1814-1820) in Senado de la Nacion Argentina, tome I, in Coleccion de
obras y documentos para la Historia Argentina, Buenos Aires, Imprenta de la Universidad, 19331936, p. 167. On peut stonner que les motifs scientifiques du voyage soient oublis dans cette
lettre ; le seul appui de Rivadavia est cause de son amiti et de ses qualits morales. Lauteur
ajoute que Bonpland est charg de transmettre Pueyrredn des nouvelles de lEurope, et rien ne
concerne la mise en place dune structure scientifique.
113

46

Premire partie

Chapitre I

Cette partie du Nouveau-Monde qui dej compte plus de 20. millions


dhabitants offre a elle seule toutes les productions des Tropiques, de
lEurope et des grandes indes, ouvrira ses ports a toutes les nations.
Toutes les nations except lEspagne porteront bientt les fruits de
lindustrie dans lamrique Espagnole et rapporteront en change []
tous les produits de lamrique et des grandes Indes. Mais il est probable
que quelque nation sera particulirement favorise et cette prfrence
sera pour celle dont le caractre simpatise le plus avec le caractre
amricain et celle qui daprs ses moyens aura le plus contribu son
indpendance.

116

Cette longue citation mrite dtre reproduite car elle replace le projet
personnel de Bonpland dans son contexte politique et illustre cette la
problmatique construite autour de la mise en place dune coopration
transatlantique interdpendante et profitable la France condition quelle
assume ses responsabilits diplomatiques. En effet, Bonpland insiste ensuite sur la
ncessit vidente de damer le pion aux Britanniques, car leur ligne politique
hispano-amricaine est quivoque : ils dfendent les indpendantistes au Ro de la
Plata mais soutiennent la couronne espagnole au Mexique et se montrent dans la
premire rgion
trs interesss, trs avides dargent et quils nont pas seu dailleurs se
concilier lamiti des habitants du pays

117

tandis quune prsence franaise bien organise parat en mesure de stimuler


ladhsion des indpendantistes, avec en arrire-plan lide dun intrt commun
aux deux partis 118 .

116

AMFBJAD n 1263, Mmoire historique sur lmancipation de lAmrique hispanique, s. l., s.


d. [1815].
117
Ibid.
118
Les amricains [] aiment et comptent plus sur la France que sur toutes les autres nations :
Deux choses [] offrent le plus grand intert a la France. la premire serait de consolider
lindependance de lamrique Espagnole. Si cette ide est daccord avec sa politique [lEmpereur]
peut avec une seule promesse et quelque protection tre de la plus grande utilit aux amricains et
obtenir je crois une partie de terrein plus utile que toutes les possessions franaises dans les
Antilles. La seconde serait de sassurer ds prsent des liaisons trs intimes de commerce avec
les divers points [] independants.[] ces avantages je pense quon doit ajouter ceux quil y
aurait de voir des franais de toute classe mais choisis et connus par leur bonne conduitte se
decider a aller sur le continent de lamrique Espagnole. ces hommes seraient essentiellement
utiles au pays, y gagneraient bientt la confiance des amricains, et ils les affermiraient dans leurs
dispositions pour la France et les rsultats tourneraient lavantage de notre pays et des
amricains. , ibid.
47

Premire partie

Chapitre I

La confrontation aux intrigues politiques


Le projet esquiss par Bonpland en 1815 est en voie de ralisation deux
ans plus tard non plus au profit de Napolon mais au bnfice de son successeur.
Dans un contexte politique europen totalement diffrent, la pertinence de
lanalyse concernant une ncessaire fortification de la prsence franaise dans les
colonies espagnoles est cependant plus que jamais dactualit. En effet,
lambassadeur franais aux Etats-Unis Hyde de Neuville propose en 1817 au
prsident du conseil des ministres, le duc de Richelieu, la cration de deux
monarchies constitutionnelles Mexico et Buenos Aires afin de contrecarrer
linfluence politique et idologique nord-amricaine et surtout britannique, la
Grande-Bretagne disposant des moyens matriels suffisants pour imposer son
influence. Au contraire, les multiples faiblesses de la France matrielles,
politiques, diplomatiques disposent son gouvernement uvrer dans la
discrtion 119 .
Aussi, des ngociations secrtes sengagent-elles entre Paris et Buenos
Aires. Au cours de lanne 1817 un dialogue sinitie entre le ngociant Richard
Grandsire et le Directeur suprme de Buenos Aires Pueyrredn. Bien que
Grandsire ne dispose pas de mandat du gouvernement franais, il obtient un
accueil favorable de la part du Directeur et du secrtaire gnral du gouvernement
Gregorio Tagle 120 . Brossant un tableau conomique florissant de la rgion et des
avantages que la France est susceptible den tirer, notamment au dtriment des
Anglais, Grandsire suggre ltablissement dune reprsentation nationale
commerciale ou politique 121 . De retour Paris au mois de dcembre 1817, il
rapporte au gouvernement les bonnes dispositions des Rioplatenses envers la
France 122 . En effet, le chef de lEtat des Provinces-Unies Juan Martn de

119

Cf. CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit., tome II, pp. 244-245.
Gregorio Garca de Tagle (1772-1845), tudie la philosophie et le droit, simplique en politique
partir de 1810. Membre de la Loge Lautaro, il est appel au gouvernement par Pueyrredn en
1817. Ce dernier destitu en 1819, Tagle laccompagne dans lexil. Il revient en 1820 et prend la
tte de deux conspirations contre les rformes ecclsiastiques de Rivadavia ce qui le conduit de
nouveau en exil en 1823. En 1833, Balcarce le nomme ministre des Finances. En 1840 il est
dfinitivement emprisonn pour conspiration.
121
HAMY Jules Thodore Ernest, Les voyages de Richard Grandsire de Calais dans lAmrique
du Sud (1817-1827) , in Journal de la Socit des Amricanistes, Paris, 1908, tome 5, p. 7.
122
BELGRANO Mario, La Francia y la monarqua en el Plata (1818-1820), Buenos Aires, A.
Garca Santos, 1933, pp. 35-38.
120

48

Premire partie

Chapitre I

Pueyrredn 123 tente de se rapprocher de la France dont les sujets sont nettement
plus apprcis que leurs rivaux britanniques 124 , lesquels cherchent, eux aussi,
tirer parti de llan indpendantiste rioplatense, malgr le discrdit n de leurs
tentatives dinvasion des annes prcdentes 125 . En mars 1818, Pueyrredn
encourag par le soutien dune partie de lopinion politique parisienne126 demande
au duc de Richelieu ltablissement de relations entre les deux pays 127 .
Or, tandis que Buenos Aires recherche laide franaise, les agissements
autour de Bonpland inquitent suffisamment le pouvoir pour quil ladmoneste
une premire fois le 28 juillet 1818 propos des
scandaleuses runions quil permet dans sa maison o sont critiques les
mesures et les plans du gouvernement, par les trangers introduits le plus
souvent par son pouse lavertissant que si lingratitude de celle-ci ne se
corrige pas la Supriorit prendra les mesures quelle jugera
ncessaires.

128

Lavertissement prononc lencontre de lpouse sadresse indirectement au


mari, certainement moins en vertu de son rle de chef de foyer que pour son statut
dhte des Provinces Unies 129 . Cette anicroche, suffisamment srieuse pour faire
123

Dorigine franaise, Juan Martn de Pueyrredn (1777-1850) est nomm gouverneur de


Crdoba en 1810 par la Junte rvolutionnaire, puis reprsentant de la province de San Luis au
congrs de Tucumn et enfin lu Directeur Suprme des Provinces Unies du Ro de la Plata le 3
mai 1816. En 1819 il dmissionne, conscient de son incapacit ne pas pouvoir faire face aux
dissensions internes du pays.
124
Lors dun rapport remis au ministre des Affaires trangres en dcembre 1817, Richard
Grandsire fait part de la mauvaise rputation des Britanniques comme des grandes marques de
sympathie exprimes par Pueyrredn vis--vis des Franais dont il aime rappeler ses origines ;
cf. BELGRANO Mario, op. cit., p. 35.
125
Cf. ROBERTS Carlos, Las invasiones inglesas del Rio de la Plata (1806-1807), Buenos Aires,
J. Peuser, 1938.
126
Parmi laquelle figure celle de labb de Pradt dont les crits en faveur des rgimes du Ro de la
Plata retiennent lintrt du gouvernement franais ; cf. CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos
(dir.), op. cit., tome II, pp. 245-246.
127
BELGRANO Mario, op. cit., pp. 32-35.
128
escandalosas reuniones que permite en su casa donde se critica asi delas providencias del
Gobno como de sus planes, pr los extrangeros inducidos las mas veces pr su esposa
recombiniendole qe si la ingratitud de esta no se enmienda la Superioridad tomar las providencias
que crea conducentes. , cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO
Rmulo d, op. cit., p. 38.
129
Cet pisode mettant en scne une fois de plus les mauvaises intentions dAdeline Delahaye,
consacre par beaucoup de biographes comme la fauteuse de troubles, dcrite comme una
persona intolerante, dotada de un carcter atrabilario [un] temperamento querellante , daprs
RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 38, ne doit pas
masquer limplication du mari dans cette affaire. Certes, les auteurs dfendent Aim Bonpland car
no existi en el nimo del Gobierno la intencin de responsabilizar a Bonpland en forma
absoluta por la conducta de su consorte, desde el momento que poco despus lo design profesor
de Historia Natural. , crivent les auteurs. Il nen demeure pas moins que Bonpland est en contact
avec les Franais impliqus quelques mois plus tard dans une conjuration contre le gouvernement
49

Premire partie

Chapitre I

lobjet dun rapport ministriel, constitue un avertissement trs clair au sujet de


lobissance que doit observer le savant vis--vis de ses protecteurs parmi lesquels
Rivadavia ne figure plus, celui-ci tant reparti en mission en Europe.
Limplication d trangers doit attirer lattention sur linquitude du
gouvernement sud-amricain vis--vis du comportement du cercle form par
Aim Bonpland. Son avertissement intervient alors que le premier agent franais
Richard Grandsire est reparti la fin de lanne 1817 dans son pays ngocier des
accords entre son gouvernement et celui de Pueyrredn 130 , tandis quun second
agent non officiel en provenance de France, Le Moyne, envoy par le marquis
dOsmond reprsentant la couronne franaise Londres, nest pas encore arriv
Buenos Aires. Durant ce laps de temps Puyrredn adopte une position profranaise laquelle se joignent Manuel Belgrano 131 et San Martn. La latence de
six mois pendant lesquels aucun missaire franais ne ngocie directement
Buenos Aires, de la fin 1817 jusqu larrive de Le Moyne en aot 1818, permet
dmettre lhypothse quun cercle dmigrs ait pu se constituer autour de
Bonpland sans quil soit possible den identifier les membres. Bonpland connat
Grandsire ainsi que ses opinions politiques quil partage, Grandsire tant rest
attach lEmpire 132 . Avant son dpart pour lAmrique il est dailleurs
souponn darmer son navire pour tenter daller librer Napolon 133 mais son
attitude postrieure dmontre quil reprend pour le compte du nouveau rgime
lancien projet esquiss sous lEmpire, lintrt national primant sur celui de parti.
Dans ce contexte diplomatique trouble, les agissements dun groupe bonapartiste
ne peuvent que brouiller davantage une situation politique interne et diplomatique
fragile 134 .

bonaerense. Finalement, cet avertissement savre peut-tre salutaire dans la mesure o Bonpland
chappe au sort de ses compatriotes exils ou excuts.
130
Grandsire entreprend ce moment de dvelopper un ngoce de transport fluvial sur le Ro de la
Plata ; cf. HAMY Jules Thodore Ernest, op. cit., p. 10.
131
Manuel Belgrano (1770-1820) participe activement au dveloppement conomique de la viceroyaut du Ro de la Plata et de sa capitale comme secrtaire du consulado de Buenos Aires.
Brillant intellectuel, il joue un rle politique minent lors des vnements de mai 1810 puis
sengage dans la geste indpendantiste comme gnral, mais avec moins de succs.
132
Entr S. Carlos. LEglise, le College, les maisons tout est detruit lexception dune seule
chambre o on reuni quelques saints de bois. Dans cette chambre on trouve ecrit en lettre de [...]
sur la muraille vive napoleon. Cette inscritption je suppose t mise par Mr. De grandcire. ,
AMFBJAD n 1649, journal, sortie du Paraguay, 10 fvrier 1831.
133
HAMY Jules Thodore Ernest, op. cit., p. 3.
134
La fragilit dans laquelle se trouve le rgime porteo est mise en vidence par laccueil et
lbauche de ngociations avec Richard Grandsire, lequel se trouve Buenos Aires en tant que
50

Premire partie

Chapitre I

Carte n 1. Rgions explores par A. Bonpland (1817-1858)

Source : BELL Stephen, A life in shadow. Aim Bonpland in southern south America, 1817-1858,
Stanford, Stanford University Press, 2010, p. XIII.

voyageur particulier. Il nest muni daucune prrogative, mais toutes les initiatives de particuliers
sont examines avec un grand srieux par les indpendantistes en qute de reconnaissance.
51

Premire partie

Chapitre I

Si ce cercle probablement constitu de bonapartistes na pas intrt


contrarier le rapprochement franco-rioplatense en cours, en revanche il est
possible que ses membres dsapprouvent la constitution dobdience monarchique
que prpare le gouvernement de Puyerredn ou quils soutiennent au contraire les
candidatures dEugne de Beauharnais ou de Joseph Bonaparte proposes au
Directeur Suprme 135 . Quatre bonapartistes se trouvent prcisment Buenos
Aires jusquau mois daot 1818. Il sagit de Jean Lagresse, Charles Robert, Marc
Mercher et Georges Jung avec lesquels Bonpland a loccasion de sentretenir136 . Il
se peut quils quil sagisse des personnes mises en cause par le gouvernement
porteo en juillet, car hormis Jung ils publient entre mars et mai 1818
LIndpendant du Sud, un priodique rapidement interdit cause de sa campagne
de presse ouvertement favorable linstauration dune protection franaise sur les
Provinces Unies 137 , avant dtre impliqus dans un complot contre le
gouvernement porteo.
Leur dpart pour Montevideo en mme temps que larrive du colonel Le
Moyne au mois daot 1818 ne permet pas de douter que le cercle de Bonpland
est alors mis lcart des plans du gouvernement de Buenos Aires, le nouvel
agent franais ayant pour consigne dloigner les bonapartistes de Pueyrredn 138 .
Alors quau mois de septembre 1818 les membres du Congrs prparent les
esprits en faveur des Franais 139 , Aim Bonpland sentretient avec Le Moyne
mais ne peut que constater que celui-ci est un
ami de notre ambassadeur, et lon dcouvre daprs quelques phrases,
quil a de grands pouvoirs, ou une grande influence

140

Lambassadeur auquel fait rfrence Bonpland est le reprsentant des


commerants franais reconnu comme consul sans mandat officiel lui non plus
Antoine Franois Leloir. Celui-ci parvient introduire Le Moyne auprs de
Pueyrredn dont il connat les intentions pour en tre politiquement et
135

A propos des prtendants au trne, cf. BELGRANO Mario, op. cit., p. 50.
Cf. RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., pp. 49-50,
53.
137
PAPILLAUD Henry, Le journalisme franais Buenos Aires de 1818 nos jours, Buenos
Aires, Luis Lasserre, 1947, pp. 24-26.
138
CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit., tome II, p. 246.
139
BELGRANO Mario, op. cit., p. 57.
140
Bonpland C. Robert, 7 septembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente
A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 56. Ds le mois daot, Bonpland fait part Charles Robert
de son dsenchantement vis--vis de la situation politique, plusieurs arrestations ayant t
effectues partir du mois daot ; cf. ibid., pp. 54, 56.
136

52

Premire partie

Chapitre I

personnellement trs proche car il est mari une des nices du Directeur141 . Mais
Bonpland nen apprend pas davantage, ntant daucune manire mis dans la
confidence de la mission confie au colonel Le Moyne, laquelle consiste
remettre entre les mains du duc dOrlans ou dun autre prince europen le
pouvoir de la vice-royaut du Ro de la Plata 142 . Nanmoins, le savant sattend
dici quelques mois un changement considrable 143 sans en prciser la
teneur. Fait-il rfrence aux menaces de complot interne, aux ngociations francobonaerenses ou la crainte de voir arriver une expdition militaire espagnole ?

Le choix du dpart
Sil nest pas possible de connatre les informations dont il dispose, nous
pouvons nanmoins constater que Bonpland ne souhaite pas sengager davantage
sur un terrain politique totalement instable. Linscurit engendre par
lindpendance et les guerres de parti 144 lamne sloigner des intrigues,
prfrant dsormais entretenir de prudents rapports de courtoisie :
Nous avons visit et pourrions rendre visite tout le monde ; mais nous
vivons

dconomie,

et

nous

conservons

seulement

quelques

connaissances suffisantes pour maintenir la bonne harmonie et nos


relations.

145

Cette ligne de conduite, rendue ncessaire du fait de lincertitude politique dans


laquelle est plonge la capitale bonaerense selon lui 146 , est divulgue le 18
novembre 1818 soit deux semaines aprs le retour de Lagresse, Mercher, Jung et
Robert Buenos Aires, les quatre Franais ayant t persuads par Jos Miguel de
141

BELGRANO Mario, op. cit., pp. 45, 71, 109.


Ibid., p. 43. Stphane Bdre crit que les indpendantistes accueillent cette proposition moins
par conviction que pour sattirer les bonnes grces du Pape ; BEDERE Stphane, Le botaniste
Aim Bonpland au Paraguay, ou la dtention singulire dun botaniste franais au pays de la
Dictature Perptuelle , mmoire de matrise despagnol ralis sous la direction de Paul
ESTRADE, universit Paris VIII, 1996, p. 44.
143
Bonpland J. Lebreton, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 63.
144
Expression utilise notamment par Alcide dOrbigny ; ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I,
1835, p. 426.
145
Hemos visitado y podramos visitar todo el mundo ; p.o vivimos de economia, y solo
conservamos unos pocos conocim.tos q.e frecuentamos cuanto basta p.a mantener la buena harmonia
y nras relaciones. , Bonpland J. Lebreton, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ
MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 61.
146
Ibid.
142

53

Premire partie

Chapitre I

Carrera de simpliquer dans un vaste complot visant renverser les


gouvernements chiliens et porteos 147 . Le jour suivant lcriture de cette lettre le
gouvernement bonaerense, mis au courant du complot, ordonne les premires
arrestations 148 . Les sociabilits que Bonpland entretient confirment cette
distanciation, les sources tudies entre 1818 et janvier 1819 ne mentionnant
aucun des comploteurs. Au contraire, il frquente des cercles suffisamment
puissants pour lappuyer. Outre ses liens entretenus avec Pueyrredn, il assiste
frquemment aux rceptions organises par Esteban de Luca 149 au cours
desquelles il croise San Martn 150 .
Le 12 janvier 1819, Aim Bonpland est entendu son tour par le tribunal
charg de lenqute. Aucune charge nest retenue contre lui malgr les liens
lunissant aux conspirateurs, le Franais niant avoir eu connaissance des
prparatifs visant renverser le gouvernement hormis les vnements dj
publiquement connus 151 . Sa confidence Lebreton152 rdige en novembre 1818
propos dun prochain changement considrable laisse subsister un doute quant
la vritable nature des informations en sa possession. Nanmoins, il ne lui est
demand aucune explication sur ce point et il est rapidement disculp. Il nhsite
pas apposer sa signature par deux fois, les 2 et 3 avril 1819, sur le recours en
grce formul par des reprsentants de la communaut franaise afin dviter
Robert et Lagresse la peine de mort 153 .
147

Le gnral Jos Miguel de Carrera (1785-1821) combat en Espagne contre Napolon Ier avant
de revenir au Chili o il prend la tte de la junte en 1811. Une srie de dfaites subies contre
larme espagnole le force abandonner le pouvoir quil tente de reprendre sans succs par
lintrigue, suivi par une petite troupe de fidles. Il est finalement tu en 1821.
148
RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., pp. 50-51.
149
Esteban de Luca (1785-1824) participe la dfense de Buenos Aires contre les invasions
anglaises. Pote, journaliste et homme politique, il sengage aux cts de Rivadavia mais il meurt
accidentellement au retour dune mission diplomatique effectue au Brsil.
150
DOMINGUEZ Juan A., Aim Bonpland, su vida en Amrica del Sur y principalmente en la
repblica argentina , in Anales de la Sociedad Cientfica Argentina, tome CVIII, 1929, p. 420.
Une rencontre avec San Martn se trouve cite aussi in PALCOS Alberto, Amado Bonpland en
Amrica. Centenario de su muerte , in La Prensa, mai 1958. Cest lhistorien argentin Vicente
Fidel Lpez qui relate les faits pour la premire fois ; ainsi fait-il allusion au parapluie dpos dans
un recoin de la maison de Luca par Bonpland, muchas veces al lado de la espada de San
Martn LOPEZ Vicente Fidel, Historia de la Republica Argentina. Su origen, su revolucion, su
desarrollo politico hasta 1852, Buenos Aires, La Facultad, 1912 (1881), tome IX, p. 30. Les
rencontres seraient donc frquentes entre les deux hommes lorsque San Martn fait tape Buenos
Aires en 1818.
151
Ibid., p. 66.
152
Joaquim Lebreton (1760-1819) est nomm sous le Directoire chef du bureau des Beaux-arts du
ministre de lIntrieur. Influent sous le Premier Empire, il dmissionne et sexile au Brsil en
1816 pour y implanter une colonie dartistes.
153
Cf. PAPILLAUD Henry, op. cit., pp. 34-35. Les deux hommes sont toutefois fusills.
54

Premire partie

Chapitre I

En juin 1819, la renonciation de Pueyrredn sa charge et la dsignation


du gnral Rondeau 154 provoque en France lviction de Grandsire comme
intermdiaire du gouvernement rioplatense, lagent tant dsormais raval au rang
dintriguant au profit de Valentn Gmez 155 . En compagnie de Rivadavia, celui-ci
uvre pour ltablissement de relations entre Paris et Buenos Aires tout au long
de lanne 1819 avec en main les instructions de Pueyrredn, sans toutefois
pouvoir rien obtenir. A Buenos Aires, les ngociations sont confies Le Moyne
et surtout Leloir qui devient le seul intermdiaire vritablement digne de
confiance. A linstar de Grandsire en France, les bonapartistes semblent carts
des affaires politiques Buenos Aires mme si Dominique Roguin est charg en
septembre 1819 de transmettre la correspondance diplomatique du gouvernement
porteo

destination

de

Valentn

Gmez

et

Bernardino

Rivadavia,

correspondance intercepte par le gouvernement franais 156 .


Sil est disculp au dbut de lanne 1819, Bonpland nest cependant pas
en scurit dans la ville portea comme tend le prouver un vnement ayant lieu
dans le courant de lanne 1819, lorsque selon un tmoin
vous souffrtes avec votre Dame aux alentours de votre maison, au cours
dune nuit o vous furent malmens et maltraits par des personnes mal
intentionnes. Cet accident [] fut [] lorigine funeste de la srie
dpreuves que vous avez souffertes au Paraguay, o peut-tre vous vous
dirigetes pour ce motif.

157

De quel accident sagit-il ? Ce tmoignage est le seul relatant lexistence


dune agression dont sont victimes les poux Bonpland Buenos Aires et elle est
suffisamment grave pour tre considre comme tant lorigine dun dpart de la
province. Il parat improbable quil sagisse des moyens employs pour lamener
154

Jos Rondeau (1773-1844), militaire n Buenos Aires de pre franais, se mettant en valeur
lors des guerres dindpendance dans la Bande Orientale, un mouvement rvolutionnaire le porte
au poste de Directeur Suprme des Provinces Unies entre 1819 et 1820. Nomm gouverneur
provisoire et commandant militaire de la nouvelle rpublique uruguayenne, il occupe dautres
fonctions gouvernementales mais abandonne la vie politique aprs le dbut de la guerre civile, en
1836.
155
Valentn Gmez (1774-1839), prtre et homme politique proche de Rivadavia. Devenu recteur
de luniversit de Buenos Aires de 1825 1830, il sloigne de la vie politique jusquen 1839
lorsquil participe, bien que gravement malade, un complot visant renverser Rosas. Il steint
peu aprs cette tentative rate.
156
BELGRANO Mario, op. cit., pp. 116-118, 128, 172-176.
157
qe. Sufri con su S.a en las inmedic~ de su casa, en una noche qe. fueron maleados y
maltratados ambos pr unos malevolos. Este accidente [...] fu [...] el origen funesto de la serie de
padecimientos qe. ha sufrido en el Paraguay, adonde quiz se diriji pr aquella causa. ,
AMFBJAD n 1589, J. A. Molina Bonpland, Tucumn, 4 aot 1832.
55

Premire partie

Chapitre I

comparatre le 12 janvier devant les magistrats chargs denquter sur le


complot dans lequel sont impliqus ses compatriotes. En effet, la gravit des faits
aurait alors amen Pueyrredn le faire ramener manu militari ds le mois de
novembre de la mme manire quil procde avec ses compatriotes, au lieu
dattendre le retour de Bonpland parti cette poque en mission scientifique sur
lle de Martn Garca.
Cet pisode ntant recoup par aucune autre source connue, il savre
extrmement difficile analyser. Concide-t-il avec larrive de Rondeau au
pouvoir ? Celui-ci adoptant une attitude hostile vis--vis des bonapartistes, incitet-il des personnes mal intentionnes prodiguer un nouvel avertissement aprs
celui de juillet 1818, des doutes subsistant propos de limplication du Rochelais
dans le conjuration des Franais 158 ? Dautre part, la poursuite du conflit entre le
nouveau Directeur suprme et les dirigeants des provinces du Litoral peut-elle en
fournir un motif ? En effet, Bonpland a besoin de laide des autorits
paraguayennes et correntinas afin dy mener sa campagne dexploration. Stephen
Bell confirme cette proccupation puisquil signale que lors de son excursion sur
le Paran au cours de la seconde moiti de lanne 1819, Bonpland questionne
sans cesse les bateliers quil croise propos de ltat politique au nord du Ro de
la Plata 159 .
Mais ses frquentations rioplatenses partir du mois de juin 1819 ne
corroborent pas de telles hypothses. En premier lieu il maintient de bonnes
relations avec Jos Rondeau et son pouse 160 , ce qui tend exclure une action
directe du Directeur qui poursuit la politique de son prdcesseur avec lequel
Bonpland conserve aussi des liens. Ensuite il frquente Mme Escalada 161 , une
des filles dAntonio Jos Escalada. Or la famille Escalada est intimement lie au
gnral San Martn, principalement par lintermdiaire de Remedios qui en est la

158

Lors du jugement des Franais, Rondeau est alors Directeur suprme intrimaire. Ses attaques
violentes contre les Carrera visent selon Patrick Puigmal les liminer politiquement et
physiquement. La mme logique sapplique aux officiers bonapartistes qui les soutiennent
ajoute lauteur ; cf. PUIGMAL Patrick, Indpendance, politique et pouvoir au Chili et en
Argentine : Attitudes des officiers napoloniens dans les armes de libration (1817-1830) , in
Napoleonica. La Revue, n 4, avril 2009, p. 72. Les autres Franais amens comparatre sont
exils lexception de Bonpland.
159
BELL Stephen, op. cit., p. 43.
160
MNHN, ms 214.
161
Ibid.
56

Premire partie

Chapitre I

compagne mais aussi par celui de ses demi-frres 162 Manuel et Mariano qui
participent aux campagnes de San Martn, Manuel se trouvant en 1819 Buenos
Aires aux cts de Rondeau. Leur sur Mara Eugenia dont il peut-tre question
ici est marie Jos de Mara Camusso, un des rares ngociants porteos
pouvoir commercer avec le Paraguay 163 dirig par Jos Gaspar Rodrguez de
Francia 164 . Quil sagisse de Remedios, de Mara Eugenia ou dune autre des filles
dAntonio Jos Escalada, il nen demeure pas moins que Bonpland a accs aux
familiers de San Martn.
Parmi les autres personnalits frquentes par le botaniste au cours de la
seconde moiti de lanne 1819 figurent Bartolom Muoz, Jos Joaqun de
Araujo, Francisco Belgrano et Juan Andrs Gelly 165 . Ils occupent des postes
administratifs et gouvernementaux notables mais demeurent en retrait des
intrigues politiques, la passion commune des deux premiers pour lhistoire
naturelle constituant un lien privilgi avec Bonpland. Le dernier personnage

162

Remedios est lenfant du premier mariage dAntonio Jos Escalada. Manuel, Mariano et Mara
Eugenia voient le jour aprs le veuvage et les secondes noces dAntonio Jos Escalada.
163
Cf. IBARGUREN Carlos F., Jos De Mara Camusso. Biografa histrica , in Los
antepasados, a lo largo y ms all de la historia argentina [en ligne], 1983. URL :
www.genealogiafamiliar.net/documents/JOSE%2520DEMARIA%2520CAMUSSO.doc.
164
Jos Gaspar Rodrguez de Francia (1776-1840) appuie le soulvement rioplatense. Dsireux de
quitter la tutelle espagnole mais aussi de prserver lautonomie du Paraguay, il en soutient la
dclaration dindpendance. En 1814 il devient prsident de la Rpublique, puis Dictateur
Suprme lanne suivante. Son gouvernement quil exerce jusqu sa mort en 1840 se base sur
un fort isolationnisme et un despotisme lemmenant exercer un pouvoir personnel. Il demeure
une figure historique trs dbattue, sa dictature ayant permis de garantir lordre, la paix et
lindpendance de son pays ; cf. WILLIAMS John Hoyt, Paraguayan Isolation under Dr.
Francia: A Reevaluation , in Hispanic American Historical Review, vol 52, n 1, 1972, pp. 102122 ; WHIGHAM Thomas, COONEY Jerry W. (comp.), El Paraguay bajo el Dr. Francia :
ensayos sobre la sociedad patrimonial (1810-1840), Asuncin, El Lector, 1996.
165
MNHN, ms 214 ; AMFBJAD n 2044, journal, 1819-1823. Jos Joaqun de Araujo (17621835) nat Buenos Aires ; il y tudie la philosophie au Colegio de San Carlos. Il collabore au
journal El Telgrafo Mercantil paru entre 1801 et 1802 puis publie en 1803 la Gua de forasteros
del Virreinato del Ro de la Plata. Ami de Gregorio Funes, Araujo adhre avec lui aux ides du
physiocrate espagnol ilustrado Valentn de Foronda. Il participe aussi la rdaction de lEnsayo de
la Historia Civil del Paraguay, Buenos Aires y Tucumn publi par Funes en 1816 et 1817. Son
rudition fait dAraujo une figure centrale du milieu intellectuel rioplatense, et ses fonctions au
sein de ladministration financire coloniale lamnent au ministre des Finances en 1812.
Publiciste, numismate et amateur dhistoire naturelle, il collectionne les pices documentaires
relatives lhistoire du Ro de la Plata. Il meurt alors quil prpare une seconde dition de son
guide, le 10 mai 1835. Francisco Belgrano (1771-1833) est un des frres de Manuel Belgrano. Il
tudie au Colegio de San Carlos puis est conseiller du cabildo de Buenos Aires durant la premire
dcennie du XIXe sicle. En 1812, il devient membre supplant du Triumvirat. Juan Andrs Gelly
(1790- 1856) sengage en 1839 Montevideo dans la lutte contre Rosas. Nomm colonel lors du
sige de Montevideo, il sexile au Paraguay puis revient en Argentine o il est lu dput en 1860 ;
cf. RAMOS R. Antonio, Juan Andrs Gelly, Buenos Aires, Asuncin, 1972.
57

Premire partie

Chapitre I

possiblement identifiable est le Dr Viola 166 , savoir le prtre Domingo Viola


dont les frres sont impliqus dans des complots royalistes.
Les relations de Bonpland aprs juin 1819 amnent deux remarques. La
premire consiste confirmer lattitude du savant concernant la bonne harmonie
quil tente de maintenir parmi ses connaissances, puisquil frquente la partie
minente de llite dirigeante. La seconde remarque concerne particulirement les
relations entretenues avec les familles lies San Martn et Rondeau, les
dissensions entre les deux hommes saccentuant. En effet, le premier privilgiant
la lutte indpendantiste refuse de venir en aide au second engag quant lui dans
une lutte interne contre les dirigeants du Litoral 167 . Bonpland, qui observe avec
regret les premires convulsions indpendantistes, est-il alors pris parti par une
des nombreuses factions agissant Buenos Aires 168 ?
Pourtant, dautres sources mentionnent des relations avec Candelaria
Somellera de Espinosa prs de laquelle il habite. Avec la famille Somellera
laquelle sajoute les Murguiendo 169 , les Bonpland disposent de protecteurs
puissants 170 , plus ou moins illustres et tous politiquement influents Buenos
Aires. Parmi les patriciens quil frquente, la figure de Mara Snchez de
Thompson se dtache. Elle-mme est au centre dun vaste rseau qui rayonne
partir du salon quelle anime, Bonpland acqurant un degr de familiarit suffisant

166

MNHN, ms 214.
Les indpendantistes rioplatenses se divisent entre les unitaires, principalement prsents
Buenos Aires ; ils sont favorables une centralisation du pouvoir dans la capitale de lancienne
vice-royaut. Les fdralistes, dont les provinces dEntre Ros et Corrientes situes sur le littoral
des fleuves Uruguay et Paran sont les principales reprsentantes, demandent une plus grande
autonomie. La principale pierre dachoppement entre les deux partis est la question de la libre
navigation des fleuves et des droits de douane monopoliss par Buenos Aires ; cf. BURGIN
Miron, Aspectos econmicos del federalismo argentino, Buenos Aires, Solar, 1975 (1960) ;
WENTZEL Claudia, El comercio del Litoral de los rios con Buenos Aires: el area del Parana,
1783-1821 , in Anuario IEHS, Buenos Aires, Instituto de Estudios Histrico-Sociales,
Universidad Nacional del Centro de la Provincia de Buenos Aires, n 3, 1988, pp. 161-210 ;
SCHMIDT Roberto, ROSAL Miguel A., Las exportaciones del Litoral argentino entre 1783 y
1850 , in Revista de Historia Econmica, Madrid, RHE-JILAEH, vol. XIII, n 3, 1995, pp. 581607.
168
Les suspects ne manquent pas parmi les partisans de Carrera, les opposants Rondeau et les
royalistes franais ou espagnols.
169
AMFBJAD n 257, V. Aguilar Bonpland, Buenos Aires, 27 novembre 1820 ; DOMINGUEZ
Juan A., op. cit., p. 420.
170
Cf. SAGARNA Antonio (comp.), Archivo de Bonpland, tomo III : Documentos para la historia
de la repblica entrerriana del archivo de Aim Bonpland, Trabajos del Instituto Nacional de
Botnica y Farmacologa Julio A. Roca , Facultad de Ciencias Mdicas de Buenos Aires/Coni,
Srie II, n 1, 1939, p. 14.
167

58

Premire partie

Chapitre I

avec cette dernire pour donner des cours de dessin ses filles 171 , bien quil
demeure difficile de dterminer la nature exacte de ces relations. Seules deux
familles entretiennent avec certitude des relations troites avec les Bonpland, les
Aguilar et les Araujo entrent dans le cercle des intimes, et permettent en outre de
transmettre les projets du Franais au plus haut niveau 172 . Cest ceux-ci et par
lintermdiaire de ceux-ci que Bonpland plaide la cause dune politique
scientifique tatique.
Qui que soient les agresseurs, la malveillance dont est victime Bonpland
en 1819 traduit une inscurit politique qui ne concerne pas seulement le Franais
et qui augmente avec le temps. En effet, la guerre touche Buenos Aires lanne
suivante 173 . Le 1er fvrier 1820, les forces du Directoire sont dfaites par les
armes fdrales des dirigeants du Litoral. Le 23 fvrier, le trait du Pilar fait
perdre Buenos Aires son statut de capitale des Provinces Unies. Une nouvelle
entit politique sy substitue, la province de Buenos Aires rige sur le principe
dgale souverainet vis--vis des autres provinces rioplatenses 174 . Aussi, la
bonne harmonie quentretient Bonpland depuis 1818 semble sajouter au dbut de
1820 une distanciation puisque les manuscrits indiquent trs peu de contacts,
particulirement avec llite politique totalement absente des sources. Labsence
de traces pistolaires notamment avec les membres du Directoire exils
Montevideo sexplique aisment, le savant coupant probablement ses contacts
avec eux en choisissant de rester Buenos Aires alors aux mains des litorales. Ce
sjour qui se prolonge durant sept mois, jusqu son dpart pour le Paraguay,
montre quil ne craint pas de reprsailles et surtout quil dispose de nombreux
soutiens.

171

A ce sujet, cf. AYROLO Valentina, El matrimonio como inversin. El caso de los


Mendeville-Snchez , in Anuario de Estudios Americanos, tome LVI, n 1, 1999, pp. 147-171.
172
AMFBJAD n 258, V. Aguilar Bonpland, Buenos Aires, 4 dcembre 1820. Victoriano
Aguilar lui transmet les souvenirs de sa mre et de Henriquete, qe. siempre se acuerda de su tatito
Bonpland . De mme Jos Joaqun de Araujo fait preuve dune grande amiti, et en tant que
ministre des Finances de Pueyrredn intervient activement en faveur des projets de Bonpland.
173
Cf. SEGRETI Carlos S. A., El pais disuelto 1820-1821, Buenos Aires, Editorial de Belgrano,
1982, pp. 133-167.
174
Cf. GOLDMAN Noem, Los orgenes del federalismo rioplatense , in GOLDMAN Noem
(dir.), Nueva historia argentina. Tomo III : Revolucin, repblica, confederacin (1806-1852),
Buenos Aires, Editorial Sudamericana, 1998, pp. 107-111.

59

Premire partie

Chapitre I

Effectivement, le gnral Manuel de Sarratea 175 nomm gouverneur de


Buenos Aires fait son entre dans la ville le 18 fvrier accompagn de son ami
Jos Miguel de Carrera, reprsentant du gnral fdral victorieux Francisco
Ramrez 176 , celui-ci y parvenant le 25 fvrier. Bonpland trouve en Sarratea un
nouvel alli, les deux hommes se ctoyant en Europe en 1815 puis en Amrique
au plus tard en 1818, lamiti entre les deux familles ne se dmentant pas au cours
des quatre dcennies suivantes 177 . Sarratea joue un rle certainement dcisif dans
la liaison entre Bonpland et Ramrez mais les continuels retournements de
situation, commencer par le renversement du gouvernement de Sarratea en mai
au profit des directoriales laissent supposer que Bonpland conserve sa bonne
harmonie parmi eux. Il demande son passeport pour le Paraguay le 11 aot
1820 178 , le gnral fdraliste Manuel Dorrego exerant alors la fonction de
gouverneur. Le 23 septembre son dpart est dcid puisquil institue Manuel Jos
Galup comme son mandataire 179 ; le 25 le passeport lui est concd, au moment
de la transition de pouvoir entre Dorrego et Martn Rodrguez, ce dernier
appartenant la tendance unitaire.
Le comportement de Bonpland entre 1817 et 1820 nous amne penser
quil se montre davantage proche des fdralistes que des unitaires. Bien que ces
derniers laient recrut en la personne de Rivadavia et quils se montrent
favorables une influence franaise dans le Ro de la Plata, Bonpland semble ne
175

Manuel de Sarratea (1774-1849) est lu en 1811 membre du Premier Triumvirat. Il dirige les
troupes porteas dans la Bande Orientale mais sa dfaite face Artigas le contraint la dmission.
Aprs une mission diplomatique en Europe, il est lu en 1820 gouverneur de Buenos Aires mais la
paix quil signe avec les provinces de lInterior dclenchent une rvolte lobligeant
dmissionner. Il est ensuite nomm ministre en Grande-Bretagne en 1826, puis ministre
plnipotentiaire Paris en 1840 o il demeure jusqu sa mort.
176
Francisco Ramrez (1786-1821) sert dabord sous les ordres dArtigas contre les armes
espagnoles. Ses campagnes menes contre les Portugais et les armes de Buenos Aires le
convertissent en chef de facto dEntre Ros et Corrientes. Alli Estanislao Lpez, gouverneur de
Santa Fe, il prend loffensive contre le pouvoir porteo quil vainc Cepeda en 1820, imposant
par le trait du Pilar le principe de fdration. Inform la mme anne de la dfaite dArtigas face
aux Brsiliens, il proclame la rpublique dEntre Ros comprenant les actuelles provinces dEntre
Ros, Corrientes et Misiones. Ramrez aspire alors continuer la lutte contre le Brsil et surtout
rintgrer le Paraguay dans le giron des Provinces Unies. Aspirant assumer sur cette base
lorganisation du pays, ses anciens allis inquiets de sa monte en puissance se retournent contre
lui, le battent et le dcapitent en juillet 1821.
177
Comme il le rappelle Mariano E. Sarratea dans une lettre du 14 mars 1838. AMFBJAD n
211 ; cf. aussi BELL Stephen, op. cit., p. 123 ; MNHN, ms 214. Sarratea revenant dEurope en
1816, il est probable que les deux hommes se ctoient ds 1817. Dautre part, les archives du
Museo Framacobotnico Juan A. Domnguez contiennent une correspondance entre Bonpland
et les Sarratea stendant jusquen 1851.
178
Cf. RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 79.
179
AMFBJAD n646, Certificat donnant pouvoir Manuel Jos Galup, Buenos Aires, 23
septembre 1820.
60

Premire partie

Chapitre I

pas adhrer au projet unitaire dans la mesure o il se confond avec linstauration


dune hgmonie de Buenos Aires. Un document dat de 1832 indique son rejet
de la politique mene par les Bonaerenses en 1816, linvasion de lUruguay par
les Portugais tant alors selon lui le rsultat dune intrigue absurde mene dans la
ville alors sous le contrle du Directoire 180 . Un autre tmoignage corrobore cette
hypothse, Rivadavia prsent Colonia en 1834 se plaignant du silence de
Bonpland, lequel cesse toute relation avec son ancien recruteur unitaire 181 .

2. La question du Nordeste
Malgr le dsordre politique, Bonpland doit avoir reu des assurances pour
traverser les provinces dEntre Ros et Corrientes de la part des dirigeants
litorales. Au rle possiblement jou par Manuel de Sarratea sajoute celui attest
du colonel porteo Victoriano Aguilar, ami intime de Bonpland sa
correspondance en tmoigne et du gnral Lucio Norberto Mansilla 182 qui
accompagne Ramrez Corrientes aprs le trait du Pilar. Aguilar recommande
Lucio N. Mansilla Bonpland ds le mois doctobre 1820 183 , tandis que Ramrez
prpare la cration de la rpublique entrerriana en violation du trait du Pilar 184 .

180

AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 13 octobre 1832.


AMFBJAD n 398, J. J. Araujo Bonpland, Buenos Aires, 26 octobre 1834 ; AMFBJAD n
402, Ramallo Bonpland, Colonia, 15 novembre 1834.
182
Aguilar et Mansilla sont fdralistes et adhrent par la suite au rgime de Rosas. Victoriano
Aguilar (1790-1855) est n Buenos Aires, o il prend part la dfense de la ville contre les
Britanniques. Il poursuit une carrire militaire et est promu sergent-major en 1817, puis
commandant de Salto en 1821. Le parcours dAguilar est tortueux puisquil sert Rondeau,
Balcarce, Alvear, puis soppose Lavalle en 1828 avant de se mettre au service de Rosas puis de
son vainqueur, le gnral Urquiza et dtre nomm colonel en 1853. Le gnral Lucio Norberto
Mansilla (1792-1871) participe lui aussi la dfense du Ro de la Plata en 1806 et 1807, sert sous
les ordres dArtigas en 1812 puis au Chili sous les ordres de San Martn. Dtach auprs de
Ramrez en 1820, il se soulve aprs la mort de ce dernier contre son successeur Ricardo Lpez
Jordn dans lEntre Ros en septembre 1821 et prend le contrle de la province un court moment.
Mansilla rige alors Misiones et Corrientes en provinces indpendantes de lEntre Ros, pourvues
de leur propre gouverneur. Install Buenos Aires en 1826, il prend part la guerre qui oppose
entre 1825 et 1827 les Argentins aux Brsiliens pour le contrle de lUruguay. Dput durant la
prsidence de Rosas, acteur de la dfense du pays contre lintervention franco-argentine, il se retire
en France jusquen 1868 aprs la chute de celui-ci.
183
AMFBJAD n 256, V. Aguilar Bonpland, Corrientes ou au Paraguay, Buenos aires, 25
octobre 1820 ; AMFBJAD n 258, V. Aguilar Bonpland, Corrientes, Buenos Aires, 4 dcembre
1820.
184
Le trait prvoit lgalit de souverainet des provinces ; or la rpublique de Ramrez rassemble
trois provinces : Corrientes, Entre Ros et Misiones.
181

61

Premire partie

Chapitre I

Le savant accoste Corrientes le 28 novembre 1820, quatre jours aprs que


Ramrez se soit proclam Chef Suprme de la rpublique de lEntre Ros.

La voie paraguayenne
Anbal Cambas met une hypothse sduisante propos de lengagement
de Bonpland vis--vis du gnral entrerriano Francisco Ramrez. Le savant,
stimul par le potentiel naturel de la province dirige par le militaire, lui aurait
propos dtablir une colonie agricole avant de partir de Buenos Aires 185 . La
nuance est dimportance car elle place les projets conomiques au premier plan
des objectifs du savant, ce qui fragilise aussi lhypothse dune exploration
continentale au profit dintentions sdentaires. Elle montre en outre limportance
quacquiert peu peu la culture des produits subtropicaux dont la yerba mate 186 et
dautres produits du Nordeste dans lesprit de Bonpland 187 . Enfin, elle place
Ramrez lorigine du voyage de 1820. Mme si cette thse nous semble
infonde, elle amne sinterroger sur les liens entretenus entre Ramrez et
Bonpland, notamment lors de la courte prsence du caudillo Buenos Aires. En
effet, Stephen Bell insiste sur la recherche constante mene par Bonpland afin de
se placer sous la protection dun patron 188 . Ce trait de personnalit qui
caractrise Bonpland, auquel sajoutent une culture politique bonapartiste et une
sensibilit au charisme de ses contemporains 189 , savre cruciale pour comprendre
ses choix. Aussi la notion de patron, analyse par Stephen Bell dun point de vue
conomique, nous semble pouvoir parfaitement sadapter son comportement
politique.
185

CAMBAS Anbal, Historia poltica e institucional de Misiones, Posadas, SADEM, 1984


(1941), p. 270.
186
Yerba mate ou th du Paraguay, objet de commerce essentiel dans la rgion o elle est
consomme en abondance ; cf. ce sujet GARAVAGLIA Juan Carlos, Mercado interno y
economa colonial, Mexico, Grijalbo, 1983 ; GARAVAGLIA Juan Carlos, Reflexiones en torno
a la yerba mate (ilex paraguarienses) , in Suplemento Antropolgico, Revista del Centro de
Estudios Antropolgicos, vol. XXII, n 1, juin 1987, pp. 7-27.
187
Les sources confirment la fois lattrait de Bonpland pour le Nordeste comme son intrt pour
la yerba mate.
188
Stephen Bell fait apparatre ce trait de caractre dans sa biographie, ce qui le place en
contradiction avec la majorit des biographes insistant sur la qute de libert et dindpendance du
personnage. Toutefois, cette interprtation semble tout fait juste ; elle offre une cl essentielle
concernant le comportement du personnage.
189
Le temprament politique de Bonpland est tudi dans la partie suivante.
62

Premire partie

Chapitre I

Si la documentation ne permet pas de connatre les premires impressions


de Bonpland vis--vis de Ramrez alors que celui-ci se trouve Buenos Aires, en
revanche le premier parvient Corrientes alors que le second constitue une entit
politique imposante dfaut dtre solide. Aussi le savant peut-il se montrer
sduit par les ambitions du personnage, ce qui le pousserait se placer sous sa
protection. Nanmoins le but du savant tant laccs au Paraguay, il est plus
probable que dans un premier temps la personnalit quil souhaite approcher soit
Jos Gaspar Rodrguez de Francia. En effet, il tente plusieurs reprises dentrer
en contact avec celui-ci 190 , son objectif semblant bel et bien de rencontrer le
dictateur du Paraguay quil estime davantage que Ramrez et les autres
gouvernants rioplatenses de cette priode, aucune note de la main du naturaliste
ne mentionnant ceux-ci parmi les grands hommes amricains alors quil ne se
montre pas avare de compliments envers dautres. En outre, la fascination
quexercent Francia et le Paraguay sur les Europens ce moment est susceptible
davoir sduit Bonpland 191 . Enfin, le Franais affirme possder lautorisation de
Francia en aot 1820 192 ; il est donc, directement ou non, en contact avec un ou
des agents du gouvernement paraguayen 193 .
Corroborant cette hypothse, les termes employs par le voyageur envers
Francia aprs sa libration intervenue en 1831 nont pas la virulence laquelle les
Europens sattendent. Dautres avant et aprs lui sont alles au Paraguay et ont
publi avec succs ce qui peut tre qualifi de voyage en barbarie 194 . Or, le
discours de Bonpland propos de la priode 1821-1831 ne contient aucun lment
relatif la rhtorique civilisation versus barbarie, rhtorique frquente aussi bien
en Europe quen Amrique du Sud. La correspondance adresse ses
compatriotes met en avant linjustice avec laquelle il a t retenu, mais aussi sa
vie qui, malgr les privations, a t somme toute productive et heureuse. Le ton
190

Cf. BEDERE Stphane, op. cit., p. 33.


Un faisceau de conjonctions tend dmontrer que Francia et le Paraguay exercent une
fascination sur Bonpland. Les conjonctions concernant Francia tant trs tales dans le temps,
nous en ralisons le bilan dans le chapitre III, pp. 279-286, en mme temps quune analyse
concernant le point de vue de Bonpland vis--vis des dirigeants rioplatenses, sauveurs et tyrans.
192
Cf. BELL Stephen, op. cit., p. 44.
193
Stephen Bell mentionne la prsence de Jos Toms Isasi Buenos Aires au dbut de lanne
1818 en tant quagent commercial du Paraguay. Le gographe pense quil est fort probable que lui
et Bonpland soient entrs en contact, directement ou non ; ibid., p. 61. Le rseau qui relie
Bonpland et les Paraguayens nest pas connu ; il reste chercher dans le milieu conomique et
politique bonaerense de la fin des annes 1810 pour tenter dclaircir ce point.
194
Les principaux tmoignages sont regroups in RENGGER Johan Rudolf, CARLYLE Thomas,
DEMERSAY Alfred, El Doctor Francia, Asuncin, El Lector, 1996 (1827, 1843, 1856).
191

63

Premire partie

Chapitre I

gnral des crits du Franais savre plutt emprunt de bienveillance voire de


candeur envers son gelier ; il souligne dailleurs la gnrosit avec laquelle
Francia la libr. Cette dernire remarque peut paratre ironique, mais il ne blme
personne en particulier sauf la malchance ou sa mauvaise toile 195 .
Dailleurs, depuis Buenos Aires, Dominique Roguin, son ancien associ,
se moque de cette attitude lorsquil lui demande en 1833 de ses nouvelles et de
celles de son ami Francia 196 que Bonpland na jamais rencontr. Cependant, il
demeure sduit par le systme politique du dictateur car aprs sa mort lancien
dtenu parle de Francia
avec un tact et une modration parfaite, [] il lui rendait cette justice,
qu[] il tait parvenu rpandre dans ce pays le got du travail, des
arts et du bon ordre ; il ajoutait que son gouvernement stait adouci dans
les dernires annes de sa vie, et que des intentions louables avaient
perc plus dune fois travers son despotisme. 197

Le jugement modr de Bonpland vis--vis du systme politique despotique


instaur par Francia doit tre mis en perspective avec les troubles politiques qui
secouent au mme moment le reste des gouvernements du Ro de la Plata. On
retrouve aussi dans ce tmoignage des thmes chers au savant comme le travail et
lordre. A ce titre, Francia comme dautres aprs lui est susceptible dincarner
dans lesprit de Bonpland un lien entre Rousseau, Robespierre et Napolon, trois
personnages admirs par le Paraguayen 198 et imprgnant la culture politique du
Franais.

195

AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832 ; AMFBJAD n 567,
Bonpland F. Dickson, Buenos Aires, 27 mars 1832.
196
AMFBJAD n 1023, D. Roguin Bonpland, Buenos Aires, 9 aot 1833.
197
B*** Armand de (ROY Just Jean Etienne), Mes voyages avec le docteur Philips dans les
rpubliques de la Plata (Bueynos-Ayres, Montevideo, la Bande-Orientale, etc.), Tours, A. Mame,
1861, pp. 336-337.
198
Cf. RENGGER Johan Rudolf, CARLYLE Thomas, DEMERSAY Alfred, op. cit. A propos de
Napolon Ier dont Bonpland est lui aussi un admirateur, cf. RENGGER Johann Rudolph,
LONGCHAMP Marcelin, Essai historique sur la rvolution du Paraguay et le gouvernement
dictatorial du docteur Francia, Paris, H. Bossange, 1827, pp. 54-55.
64

Premire partie

Une

rgion

Chapitre I

priphrique

au

centre

de

la

problmatique

indpendantiste
Lenjeu de la prsence de Bonpland dans la zone misionera est de taille,
puisquil se trouve au cur de la problmatique concernant la dfinition des
frontires des nouvelles entits politiques. On comprend mieux lintervention
paraguayenne de dcembre 1821 si lon analyse la construction politique
indpendantiste. Cette intervention fait suite dautres coups de main bass sur la
politique de la terre brle et du pillage 199 , comme le constate Bonpland lors de
son premier voyage aux Missions au dbut de lanne 1821 jusqu Candelaria,
lieu stratgique sur le Paran. Le trait du 12 octobre 1811 reconnat
lappartenance du dpartement de Candelaria au Paraguay, mais la ratification qui
a lieu le 31 du mme mois en Argentine exclut ce dpartement, rapidement
occup par les forces paraguayennes 200 . Ce trait est dnonc par le Paraguay
deux ans plus tard lors de la proclamation de son indpendance 201 . Cinq missions
jsuites se situent alors dans le dpartement contest : Corpus, San Ignacio Min,
Loreto, Santa Ana et Candelaria, toutes tant visites par Bonpland lors de son
premier voyage. Ds le 3 novembre 1814, le cabildo de Corrientes dcide, afin de
contrer linfluence paraguayenne, de peupler les Missions et surtout le
dpartement de Candelaria avec des hommes, est-il prcis, honntes et trs
travailleurs 202 . En effet, la chute dmographique survenue aprs 1768 est un
facteur primordial de la politique de dveloppement 203 , outre les autres lacunes
constates par exemple par ladministrateur colonial et futur vice-roi Jacques de
199

La plus redoutable mais aussi la dernire avant celle de 1821 de ces incursions est ralise
en 1817. Francia profite de la dfaite du cacique misionero Andrs Guacurar face aux Portugais
pour saccager Candelaria, Santa Ana, Loreto, San Ignacio Min, Corpus et San Francisco de Paula.
Il fait transporter la population sur son territoire et la distribue dans les anciennes missions
jsuites. Bien que son tude repose sur une abondante documentation, lauteur de lHistoria
politica e institucional de Misiones ne propose pas une explication approfondie de linstallation et
de lenlvement de Bonpland. En effet, lauteur explique que Bonpland se fixe Santa Ana afin
dchapper au pril paraguayen. Or, cest bien le dpartement entier qui est sous la menace de
Francia. Dailleurs, aucun lment nest fourni concernant le rle jou par Nicols Arip, le
responsable politique correntino de la zone, et le coup de main est voqu comme la consquence
logique de la prsence de ce dernier ; cf. CAMBAS Anibal, op. cit., pp. 270-272.
200
Ibid., pp. 201-205.
201
Cf. BEDERE Stphane, op. cit., pp. 19-21.
202
Ibid., p. 43.
203
Aprs cette date, la rcupration dmographique des sicles antrieurs est stoppe. Entre 1768
et 1810, la population diminue de plus de moiti, passant de 88 000 40 000 ; cf. MAEDER
Ernesto J. A., BOLSI Alfredo S. C., La poblacin guarani de la provincia de Misiones en la
poca post jesutica (1768-1810) , in Folia Historica del Nordeste, n 5, 1982, pp. 67-106.
65

Premire partie

Chapitre I

Liniers en 1803 204 . Car le territoire des Missions occupe une place
dmographique non ngligeable au sein des Provinces Unies, largement devant
Corrientes 205 . La population misionera est volatile mais consquente, et donc la
primaut du contrle de celle-ci est un enjeu fondamental.
La dcision du cabildo correntino fait suite la cration, le 10 septembre
1814, des provinces dEntre Ros et de Corrientes. A cette dernire est adjointe la
rgion des Missions ; elle est dlimite au Nord par le Paran, instaurant la
souverainet des Provinces Unies sur le dpartement de Candelaria 206 . Gervasio
Posadas, Directeur Suprme des Provinces Unies, entend par cette mesure
rintgrer Candelaria au sein des Provinces Unies et fixer la frontire avec le
Paraguay 207 . Cest Andrs Guacurar, surnomm Andresito qui, sous les ordres
dArtigas, se charge de reprendre manu militari le dpartement en septembre
1815. Artigas met alors en place une administration territoriale crant une entit
politique propre aux Missions sous la direction de Flix Aguirre, mtisse
correntino et caudillo 208 des Indiens misioneros.
Cette pratique de dplacement et de regroupement des populations est un
caractre historique structurel des Missions. Outre la politique mene par les
jsuites, les deux dcennies prcdant la venue de Bonpland sont marques par
ces mouvements de population. Flix de Azara 209 est le premier conseiller au
vice-roi, aprs lexpulsion de lordre religieux, un repeuplement de la frontire
avec le Rio Grande brsilien. Lenvoi de colons en provenance de Patagonie, en
204

Cf. LOZIER ALMAZAN Bernardo, Linniers y su tiempo, Buenos Aires, 1989, p. 63.
La population de Misiones atteint 32 000 habitants en 1810, alors que la province de Corrientes
nen compte que 13 000 ; cf. CAMBAS Anibal, op. cit., p. 73.
206
Le cabildo correntino ne conteste videmment pas sa frontire Est ; mais il rclame une
rvision de la frontire Sud avec Entre Ros. Sa demande ainsi que le dcret est abandonne du fait
de la chute de lAssemble Gnrale en 1815.
207
CAMBAS Anibal, op. cit., p. 207.
208
Terme employ in FERRE Pedro, Memoria del brigadier general Pedro Ferre, octubre de
1821 a diciembre de 1842, Buenos Aires, Coni, 1921 (1845), tome I, p. 28.
209
LAragonais Flix de Azara (1742-1821) reoit une formation de militaire, ingnieur et
botaniste. En 1781 il reoit lordre de partir dlimiter les frontires entre les colonies espagnoles et
portugaises, ce qui le conduit tudier pendant vingt ans la nature rioplatense. Il sjourne
essentiellement dans lintendance du Paraguay. Il est rappel en Espagne en 1801, publie les
rsultats de son sjour puis se retire de la vie publique. En 2009, Nicolas Richard rdige ltude
prliminaire la rdition des voyages de Felix de Azara publis initialement en 1809, qualifiant
de gographie post-jsuite le travail effectu dans ce domaine par Azara. Le terme de post-jsuite
peut tre associ celui de pr-amricaniste. En 2011, Julio Rafael Contreras Roqu publie sa
biographie monumentale consacre lAragonais ; cf. RICHARD Nicolas, Etude prliminaire.
Une gographie post-jsuite au XVIIIe sicle , in AZARA Flix de, Voyages dans lAmrique
mridionale, 1781-1801, Rennes, PUR/CoLibris, 2009, pp. VII-L ; CONTRERAS ROQUE Julio
Rafael, Flix de Azara. Su vida y su poca, Huesca, Diputacin Provincial de Huesca, 2011, 3
tomes.
205

66

Premire partie

Chapitre I

1800 et 1801, est abandonn aprs lentre en guerre du Portugal en mars 1801.
Le 5 novembre 1802, le gouvernement des Missions est confi sur sa demande
Jacques de Liniers, lequel transmet un rapport la mtropole prnant le
dveloppement du commerce et linstallation de populations croles. Concernant
la population guarani, Liniers esquisse un plan de dveloppement complet mais
non mis en uvre par son successeur Bernardo de Velasco 210 . Bonpland en
reprend les grandes lignes sans que nous sachions sil a connaissance du rapport.
Si lon ne peut prouver quavant 1810, le retour dans les forts est
pratiqu 211 , en revanche il est certain quaprs cette date les Indiens fuient
massivement lenrlement forc. En 1817 et 1818, lors des invasions portugaises
et paraguayennes, une partie de la population se rfugie sur les bords du Miriay
et vers Tranquera de Loreto, formant de nouveaux villages et repeuplant les
anciennes missions 212 . Les destructions touchent Candelaria, Santa Ana, Loreto et
le campement dArip. La consquence directe est un rapprochement des
provinces du Litoral pour renforcer la dfense et favoriser le peuplement des
Missions 213 . Ironie du sort, lincursion de dcembre 1821 est la dernire avant une
priode de relative stabilit aux frontires, hormis une agression meurtrire
lanne suivante Ca Caray, prs dItat 214 . Bonpland note qu cette occasion
ils massacrrent hommes, femmes et enfants 215 .
Les Misioneros acquirent rapidement une puissante autonomie politique
entranant un conflit avec Corrientes. Le 9 septembre 1819, Asuncin de
Cambay, le gouverneur de Corrientes Juan Bautista Mndez et le reprsentant des
Missions, Francisco Javier Sit, dlimitent une ligne passant par Tranquera de
Loreto, la lagune Iber et le fleuve Miriay aprs une occupation du territoire

210

Liniers crit au roi, le 20 aot 1806, propos de son action dans cette province : remedi la
suerte infeliz de aquellos naturales que moran de hambre y desnudez por la fatal administracin
que les gobernaba; extermin abusos que fomentaban la rapia; dirigi la industria; proporcion
trabajos; estableci hospitales; aument las cosechas de algodn; proporcion que la hilasen y
tejiesen las mujeres; contrat el surtido de bienes y vestuarios ; cit in LOZIER ALMAZAN
Bernardo, op. cit, p. 65. Malgr les recommandations faites pour favoriser le dveloppement
conomique et culturel des villages aprs lexpulsion des Jsuites, les administrateurs successifs
maintiennent le rgime de communaut ; cf. AMABLE Mara Anglica, ROJAS Liliane Mirta,
Historia de la yerba mate en Misiones, Posadas, Montoya, 1989, p. 86.
211
MAEDER Ernesto J. A., BOLSI Alfredo S.C, op. cit., p. 65.
212
CAMBAS Anibal, op. cit. , p. 136.
213
Ibid.., p. 89.
214
La carte ralise par Antonio Krapovickas et reproduite dans lannexe n 10, p. 953, permet de
localiser prcisment la plupart des endroits cits.
215
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.
67

Premire partie

Chapitre I

corentino de plus dun an par ce dernier 216 . Mais la monte en puissance de


Ramrez Corrientes et son rle dans la campagne contre Buenos Aires est
consacre par le trait du Pilar. Entre juin et aot 1820, Ramrez, appuy par une
flottille portea, renverse Artigas. Le 25 septembre, aprs un mois de poursuite
infructueuse, Siti communique Ramrez la fuite dArtigas au Paraguay. Le 29 du
mme mois, la Rpublique entrerriana est proclame.
Les cadres militaires artigueos sont principalement maintenus dans leurs
fonctions. Len Esquivel, pourchass par le gouverneur mis en place par Artigas,
rintgre Corrientes au dbut de lanne 1821 217 . Lucio Mansilla, secrtaire
particulier dArtigas, poursuit ses fonctions auprs de Ramrez qui organise sa
Rpublique en quatre dpartements : Missions, Corrientes, Concepcin del
Uruguay et Paran. Les limites entre les deux premiers territoires sont alors fixes
au Paran, Haut Paran, Iber et ro Corrientes.
En 1820, la population souffre dun dsquilibre dmographique alarmant,
reconnu par les autorits et comment plus tard par les Europens 218 . Un
processus de mtissage dcoule de la disparition dune partie de la population
masculine et des mesures favorisant linstallation de Croles 219 . Aprs la
campagne de Ramrez dans les Missions, en dcembre 1820, le caudillo met en
place une politique de dplacement des populations vers la frontire misionera.
Pour ce faire, ses troupes parcourent la zone, son lieutenant Pris inspectant
particulirement San Ignacio o demeurent plus de 900 familles. Il sagit dviter
que les Indiens ne senfuient en territoire portugais ou dans les forts. A San
Javier par exemple, le capitaine Medina ne ramne que 22 Indiens, la plupart
stant rfugi dans les bois. La plupart sont destins venir peupler San Miguel,
les hommes tant destins servir sous les armes Corrientes 220 .

216

CAMBAS Anibal, op. cit., p. 136.


Cf. FERRE Pedro, op. cit., tome I, pp. 11-13.
218
Cf. PARISH Woodbine, Buenos Aires y las provincias del Rio de la Plata desde su
descubrimiento y la conquista por los espaoles, Buenos Aires, Hachette, 1958 (Londres, 1838),
p. 335 ; ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, pp. 122-123. Lexpulsion des jsuites et les guerres
civiles sont les causes successives nonces.
219
AMABLE Mara Anglica, ROJAS Liliane Mirta, op. cit., pp. 90-92.
220
Cf. CAMBAS Anibal, op. cit., pp. 84-86.
217

68

Premire partie

Chapitre I

La fin du mirage misionero


Malheureusement pour le savant, lEntrerriano pourtant li aux
fdralistes et Buenos Aires par le trait du Pilar tire profit de ses victoires non
seulement contre les unitaires de Buenos Aires mais aussi contre son chef Artigas
pour affirmer de nouvelles prtentions territoriales incluant la prise de
possession du Paraguay. Ce projet dinvasion contre Francia rend laccs au
Paraguay dsormais impossible par lentremise de Ramrez et des fdralistes. En
outre le troisime acteur politique en scne, Buenos Aires, retombe aux mains des
unitaires, cette nouvelle situation amenant deux changements majeurs. Dune part
les unitaires considrent depuis 1811 le Paraguay comme une province
appartenant la nation, aussi les fdralistes qui pouvaient favoriser un
rapprochement avec Francia ne dirigent plus les ngociations. Ensuite, le trait de
Benegas visant promouvoir lunit du pays sign le 24 novembre 1820 entre
Buenos Aires, Crdoba et Santa Fe exclut Ramrez des ngociations et le prive de
son alli principal, le gouverneur de Santa Fe Estanislao Lpez.
Les desseins dunification nationale de Ramrez sont dsormais mis en
pril par les signataires du trait de Benegas, anims des mmes intentions.
Malgr ces bouleversements et lisolement de Ramrez devant soutenir trois fronts
Crdoba, Santa Fe et au Paraguay, Victoriano Aguilar fait savoir Bonpland en
dcembre 1820 que, malgr limpossibilit daccder au Paraguay par
lintermdiaire du gnral enterriano, il ne doute pas que Francia lui concde
lentre de son territoire, confiant dans ses qualits dhomme de science et sr
quil peut sentendre avec un naturaliste tel que Bonpland 221 . En outre des liens
commerciaux, bien que limits et pisodiques, sont conservs entre Corrientes et
le Paraguay et constituent une porte dentre possible, comme le montre le regain
des importations paraguayennes en 1820 suite la brve leve du blocus contre le
Paraguay 222 .
Le gouvernement porteo de Martn Rodrguez, qui nomme ds novembre
1820 Bernardino Rivadavia ministre des Affaires trangres, propose le mme
mois la nomination de Bonpland la chaire de mdecine de lInstituto Mdico

221
222

AMFBJAD n 258, V. Aguilar Bonpland, Buenos Aires, 4 dcembre 1820.


CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit., tome II, pp. 123-124.
69

Premire partie

Chapitre I

Militar 223 . Il ne fait quasiment aucun doute que cette proposition qui implique une
charge enseignante et donc une prsence Buenos Aires vise hter le retour de
Bonpland 224 . Mais la nomination ratifie le 23 mars 1821 survient trop tard, car
bien que lobjectif du naturaliste demeure ldification dun jardin botanique
Buenos Aires, son voyage pour les Missions est dcid 225 sous lgide de
Francisco Ramrez.
Car entretemps celui-ci russit convaincre le savant de se placer son
service. Bonpland demeure prs de la ville de Corrientes du 28 novembre 1820
jusquen mai 1821, dans lattente de la fin des troubles secouant la zone
misionera 226 . Durant ce laps de temps, les correntinos pour qui cette zone
frontalire est de grande importance stratgique nont sans doute aucun mal
persuader Bonpland de sy rendre, celui-ci attendant ce moment depuis plusieurs
annes. Ramrez lui demande de raliser un inventaire des yerbales et des Indiens
prsents 227 dans le cadre du recensement quil ralise au sein de sa rpublique 228 .
Le gnral est tellement confiant en lengagement de Bonpland quil ne lui cache
pas en mai 1821 sa nomination la chaire de mdecine comme non plus sa
satisfaction de le voir demeurer au sein de la rpublique entrerriana 229 . Le gnral
ralise l un coup de matre, apprciant particulirement le choix du naturaliste
qui selon lui illustre lincapacit de Buenos Aires conserver des hommes de
valeur 230 .
Ses critiques sont lexpression des rivalits provinciales dont le Franais
est un enjeu mais ne sont pas dnues de fondement. En effet, Buenos Aires craint
de voir la rpublique entrerriana, redevenue finalement adversaire, profiter du
savant son seul avantage. Les critiques du caudillo sont justifies par les
atermoiements et le soutien en demi-teinte dont ont fait preuve les gouvernants
223

RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., pp. 81-83.
Rivadavia, toujours en Europe au moment de sa nomination, narrive Buenos Aires quen juillet
1821.
224
Comme le suggre PALCOS Alberto, op. cit.
225
AMFBJAD n 396, Bonpland J. J. Araujo, Corrientes, 13 avril 1821.
226
Cf. CASTELLO A. Emilio, Historia de Corrientes, Buenos Aires, Plus Ultra, 1984, p. 206.
227
Cf. BELL Stephen, op. cit., p. 51.
228
Cette partie du recensement ne voit pas le jour cause des convulsions que connaissent les
Missions.
229
Cit in GOMEZ Hernn F., Corrientes y la repblica Entrerriana, 1820-1821, Corrientes,
Imprenta del Estado, 1929, p. 145.
230
Cf. BOSCH Beatriz, Bonpland en Entre Ros , in La Prensa, 4 fvrier 1973. Aprs avoir
annonc Bonpland sa nomination la chaire de mdecine de Buenos Aires, Ramrez ajoute :
entre nosotros, sera igualmente apreciable, y acaso mas provechoso ; AMFBJAD n 2011, F.
Ramrez Bonpland, Coronda, 24 mai 1821.
70

Premire partie

Chapitre I

porteos au cours des annes antrieures. Cest dautant plus un coup de matre
quil se prpare aller affronter une puissante coalition en mme temps quil
insre Bonpland dans ses projets misioneros dans loptique dune consolidation
globale de son pouvoir. Bien quen avril 1821 le savant songe toujours un retour
vers Buenos Aires 231 , il simplique avec une grande conviction dans lexploration
et la mise en valeur des Missions. La dlimitation gographique des Missions
quil fixe en fonction de leur vgtation 232 peut savrer de grande utilit afin de
justifier un droit de proprit.
Le mois suivant il entame son voyage malgr lexistence de discordes
entre les officiers de Ramrez et le nouveau dirigeant du dpartement des Missions
Arip. Stant avanc depuis Ca Cat vers le Paran le Franais est mis en garde
par ces mmes officiers le 4 juin contre le dsordre rgnant mais, crit-il,
je regarde donc comme chimerique la plus part des raisons quils mont
allgu et dans ce moment je suis plus dcid que jamais executer mon
voyage

233

Dispos prparer son dpart dfinitif pour les Missions avec Philibert Voulquin,
il savance jusqu lancienne mission de Santa Ana. En chemin il reoit des
preuves de lallgeance dArip qui laccueille dans son campement avec faste le
29 juin.
Lors de ce premier voyage sur la piste de lhritage jsuite, Bonpland
dcouvre un potentiel agraire quil juge exceptionnel. En juillet 1821 il dcide de
rebrousser chemin, revenant Corrientes le 3 aot pour terminer ses prparatifs.
Ayant appris le dpart en campagne puis la dfaite et la mort du caudillo aux
forces santafesinas, le Franais reste soutenu par Evaristo Carriego, qui remplace
Fernndez Blanco la tte du commandement militaire de Corrientes, et par
Lpez Jordn 234 , nouveau dirigeant de la rpublique, lesquels reprennent leur
compte le projet de Ramrez 235 . Aussi repart-il en direction des Missions en

231

AMFBJAD n 258, V. Aguilar Bonpland, Buenos Aires, 4 dcembre 1820.


AMFBJAD n 2046, Voyage aux Missions, 19 juin 1821. Bonpland en est merveill.
233
Ibid.
234
Ricardo Lpez Jordn (1793-1846), indpendantiste, se joint en 1817 la cause de son demifrre Francisco Ramrez. Gouverneur en 1819 durant la campagne de Ramrez contre Buenos
Aires, il lui succde brivement aprs sa mort survenue en 1821 avant dtre chass du pouvoir par
Buenos Aires. En 1831, il est oblig de fuir en Uruguay suite des actions entreprises contre le
gouvernement porteo et ses allis. Revenu en Argentine avec Lavalleja en 1839, il est
immdiatement fait prisonnier jusquen 1842.
235
AMFBJAD n 2022, E. Carriego Bonpland, Salada, 27 septembre 1821.
232

71

Premire partie

Chapitre I

octobre, sachant que la situation politique est excrable entre Corrientes et ses
voisins.
Mais la promesse obtenue quelques annes auparavant de la part de Jos
Gaspar Rodrguez de Francia de lui ouvrir les portes de sa rpublique le pousse
insister pour sy introduire, malgr les menaces reues du dirigeant paraguayen
aprs quil apprenne que le naturaliste bnficie de la protection du cacique
misionero Arip. Ce dernier constitue lultime maillon de la chane de
commandement de la rpublique entrerriana dans les Missions, mais reprsente
surtout un danger pour le dirigeant paraguayen. Bonpland tente donc de sappuyer
simultanment sur une base bonaerense, un pouvoir correntino, un chef misionero
et un gouvernement paraguayen mfiants ou hostiles entre eux. Cette suite de
maladresses savre rapidement funeste.
Les interprtations de lenlvement de dcembre 1821 mises par de
nombreux spcialistes bonplandiens savrent justes mais emprises dun partipris contre Francia, rig en symbole du refus du libre-commerce. Les biographies
reprennent dans lensemble cette explication 236 ; or il sagit dune question de
droit national en mme temps quinternational. Il est vident quen repoussant la
frontire Candelaria, au-del du Paran, Francia souhaite prendre le contrle du
fleuve, le pueblo constituant une ouverture vers le Brsil indispensable pour briser
le blocus de la rpublique des Provinces Unies du Ro de la Plata. Il sagit du
principal motif de lintervention paraguayenne, comme lexplique trs clairement
Francia son dlgu Ortellado. Les Indiens, crit Francia,
ont linsolence de vouloir venir sinstaller en matre dans notre territoire,
et de sapproprier nos Yerbales

237

La rupture du statu quo dans le dpartement de Candelaria entrane le


risque de voir se dvelopper une population hostile Asuncin et susceptible de

236

A lexception notable de Leticia Halpern Donghi ; lauteure met en avant dans un excellent
article lespoir qui anime Bonpland jusqu la veille de son enlvement, savoir la constitution
dun cabinet dhistoire naturelle Buenos Aires ; cf. HALPERIN DONGHI Leticia, Aim
Bonpland , in IV Congreso Internacional de Historia de Amrica, Buenos Aires, Academia
Nacional de la Historia, 1966, tome V, pp. 250-251. Stphane Bdre runit dans son mmoire
lensemble des motifs poussant Francia intervenir en raison denjeux territoriaux, conomiques
et politiques ; cf. BEDERE Stphane, op. cit., pp. 34-50. Georges Fournial privilgie pour sa part
la thse de lespionnage dans son chapitre consacr Bonpland ; FOURNIAL Georges, Jos
Gaspard Rodriguez de Francia. Lincorruptible des Amriques, Paris, Messidor, 1985.
237
tienen la insolenca de querer venir seorear en ntro territoria, y hacer aprovechamto de
ntros Yerbales ; VIOLA Alfredo, Cartas y Decretos del Dictador Francia , in Estudios
Paraguayos, 1990, tome III, p. 819.
72

Premire partie

Chapitre I

sarmer grce aux revenus de la yerba, cette situation pouvant entraner des
dsertions paraguayennes 238 . En outre, limportance stratgique de Candelaria
rejoint la question de la stabilit interne du rgime, lequel nest pas labri des
coups de force de ses opposants 239 . Il sagit donc dune intervention plus
dfensive quoffensive. Cette question du droit du sol nest toujours pas rsolue
selon Alfred Demersay en 1860, lequel donne raison aux Paraguayens quant la
proprit du dpartement de Candelaria et de ses trois pueblos 240 . Il ne sagit pas
non plus de chercher un quelconque espionnage, Francia lui-mme admettant que
Bonpland se trouve l pour chercher fortune 241 . En outre, dautres Europens
exprimentent les foudres de Francia. Or, les enlvements ne concernent que
rarement des voyageurs scientifiques ; Grandsire ou dOrbigny ne sont pas
inquits. Il nen est pas de mme pour ceux sinstallant vritablement ou mettant
en pril les intrts stratgiques de Francia 242 .
Francia profite de la situation politique chaotique des Provinces Unies. Il
annonce Ortellado, en mme temps que lopration, la droute de Ramrez. Son
adversaire direct limin, Francia peut rcuprer la zone litigieuse :
En russissant la prsente entreprise que jordonne, les choses que je
prpare pour plus tard afin de garantir la Rpublique et son commerce
saplaniront.

243

La destruction de ltablissement a donc des vises plus larges, et avant tout


rgionales. Les motifs avancs rtrospectivement par Bonpland concernant son
enlvement font essentiellement rfrence au conflit conomique et frontalier
entre le Paraguay et les Provinces Unies 244 . Il nest aucunement question de
238

Ibid., p. 815.
Cf. WILLIAMS John Hoyt, The Conspiracy of 1820, and the Destruction of Paraguayan
Aristocracy , in Revista de Historia de America, n 75/76, 1973, pp. 141-156.
240
DEMERSAY Alfred, Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et des
tablissements des jsuites, Paris, Hachette, tome 1, p. 12.
241
VIOLA Alfredo, op. cit., tome III, p. 815.
242
Les enlvements dtrangers sont une pratique politique officialise par Francia, comme le
relate le Bulletin de la Socit de Gographie, premire srie, tome IV, n 29, septembre 1825, p.
200 : On sait que plusieurs savans de diverses nations sont dtenus au Paraguay par le Directeur
suprme de ce pays, le Docteur Francia, comme ayant enfreint le dcret, par lui rendu, qui
prononce contre les trangers qui franchissent les limites de son territoire, la peine de dtention et
mme de mort dans certains cas. En 1814, leur nombre slevait 67. Ils habitent diffrents
cantons, dont ils ne peuvent scarter qu quelques lieues. Toute correspondance au dehors leur
est interdite.
243
En logrando la presente empresa qe dispongo, se allanarn las coss qe preparo pa despues
fin de asegurar la Repca y su comercio. , cit in ibid., p. 820.
244
Dans une lettre crite au gouverneur de Corrientes Rafael Atienza, Bonpland insiste sur son
intention dexplorer las antiguas missiones guaranys situadas sobre la ribera izquierda del Parana

239

73

Premire partie

Chapitre I

reconnaissance internationale245 ; Francia est trop fin politique pour esprer de


telles consquences dun enlvement. Cest dailleurs Arip qui lintresse avant
tout. Il sagit de la premire partie dun plan de contrle de la rive gauche du
Paran. Il faut nanmoins attendre un an avant que des forces paraguayennes ne
sy installent et renforcent leur position, afin dviter une nouvelle tentative de
reconqute 246 . Suite la droute de Ramrez, le Miriay redevient la frontire
misionera avec la rcupration des dpartements dEsquina et Curuz Cuati. En
janvier et fvrier 1822, Corrientes fait souscrire des traits dincorporation aux
pueblos de San Miguel, Yateb et San Roquito reprsentant 1 700 familles,
laccord de 1824 entrinant celui du Quadrilatre de 1822 247 . Dailleurs, cette
ligne politique est suivie par le successeur de Francia qui dans son manifeste du
13 fvrier 1848 revendique une partie des Missions quil fait occuper. Cette
politique doccupation dfensive temporaire suivie depuis la proclamation de
lindpendance paraguayenne est sans consquence territoriale long terme
puisque les Paraguayens se replient en cas de danger politique 248 . Il sagit
essentiellement pour ce gouvernement de sassurer une route commerciale avec le
Brsil 249 .

pertenecientes Corrientes [...] francia contra todo derecho de naciones mando invadir un suelo
ajeno . Concernant lexploitation des yerbales, il lexprime en termes de cohabitation plutt que
de concurrence : Se hallaba en estas missiones un numero considerable de Correntinos y de
naturales qe hacian desde dos aos el comercio de la hierba mate y se savia de un modo positivo qe
el dictador francia era enterado de aquel comercio , AMFBJAD n 1650, Demande de certificat
de captivit, 16 avril 1834.
245
cuesta suponer al gobernante paraguayo [...] tan alejado de los hechos cotidianos, como para
prescindir de esa gruesa circonstancia y arrancar, poco menos que por la fuerza, un
reconocimiento, en la ocasin, nada menos, en que lesiona gavamente a la cultura y al derecho ,
commente Alberto Palcos ; PALCOS Alberto, Bonpland en el Paraguay. Causas de su
cautivero , in La Prensa, Buenos Aires, 20 juillet 1941, s. p.
246
Cette version saccorde avec celle dfendue avec rigueur par BEDERE Stphane, op. cit., p. 41.
Lpisode est dailleurs trs bien insr lintrieur du contexte politique rgional par AMABLE
Mara Anglica, ROJAS Liliane Mirta, op. cit., pp. 102-104.
247
CAMBAS Anibal, op. cit., pp. 137-138.
248
Cf. DEMERSAY Alfred, Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et des
tablissements des jsuites, Paris, Hachette, tome 1, p. 14.
249
Pour que le commerce fleurisse Itapa, le contrle de Candelaria est donc essentiel. Artigas
en exil, Ramrez mort, Buenos Aires emptr dans ses intrigues politiques, en 1821, le moment est
propice pour raffirmer la prpondrance paraguayenne sur la zone. Francia envoie des troupes
tablir un fort et une garnison permanente San Miguel. Bonpland, gneur plusieurs titres, est
captur. L'anne suivante, d'autres troupes construisent un fort Tranquera de Loreto. En peu de
temps, le dpartement est repris en main. Ds le 1er fvrier 1823, le commerce avec le Rio Grande
do Sul s'officialise et transite par Itapa aprs la dmarche officielle entreprise par Jos Pedro
Csar, commandant des Missions brsiliennes. , BEDERE Stphane, op. cit., p. 41.
74

Premire partie

Chapitre I

B. DU BONAPARTISME AU PATRIOTISME
Si en Europe llaboration du discours est laboutissement dune logique
relationnelle, il en va de mme lautre bout de la chane. En effet, la construction
de limage de lAmrique est fonction des rseaux. Le personnel diplomatique
qui, en dernier ressort, rapporte linformation Paris, dpend le premier des liens
tisss dans leur pays daffectation. Les particuliers franais, bien que peu
nombreux, ont fortement recours leurs reprsentants. Bien quils simmergent
dans la socit locale, lattache nationale ou europenne savre indispensable afin
de garantir les investissements effectus dans la rgion et bnficier dune
assistance en cas de conflit. Les appuis de Bonpland montrent comment, par le
biais dintrts essentiellement conomiques, un rseau franco-rioplatense se
construit et dveloppe sa propre argumentation. Dans le cas de Bonpland,
bonapartisme et patriotisme sont indissociables. A travers son vcu et celui de ses
compatriotes il sagit danalyser la cration dune culture politique des migrants.

1. La constitution dun cercle patriotique


La premire phase depuis son arrive Buenos Aires jusquaprs son
enlvement par les soldats paraguayens permet au voyageur de prendre contact
avec la ralit politique et de nouer de premires relations avec les lites locales et
la petite communaut franaise. Celle-ci, entre 1817 et 1821, possde loriginalit
de mler danciens migrs, de nouveaux bonapartistes et dautres encore
royalistes.

Cette

communaut

est

en

outre

confronte

aux

spasmes

indpendantistes, ce qui loblige se repositionner politiquement non seulement


par rapport dventuelles dissensions internes mais aussi vis--vis des diffrents
partis qui se constituent dans le Ro de la Plata. Cest cette situation que se
confronte Aim Bonpland ; travers son positionnement, son entourage et ses
choix il sagit desquisser un tableau de la prsence franaise au Ro de la Plata
lors des premires annes de lindpendance rioplatense 250 .
250

En se basant surtout sur lanalyse de la priode pr-indpendantiste, Mickal Augeron et


Laurent Vidal plaident pour ltude dune France amricaine dont le poids et la diversit doivent
tre mesurs au-del des frontires coloniales ; cf. AUGERON Mickal, VIDAL Laurent, Du
75

Premire partie

Chapitre I

Une culture politique bonapartiste


Aim Bonpland a vingt ans en 1793 ; ce nest pas seulement un homme
des Lumires mais aussi un fils de la Rvolution 251 . Hormis des tats de service
en tant que chirurgien de marine rien ne transparait concernant ses convictions
politiques de jeunesse, alors que son frre montre trs tt son attachement
rpublicain 252 . Jusqu son choix de partir avec Humboldt en 1798 il vit dans une
rpublique fragilise par linstabilit intrieure et la guerre extrieure. A son
retour en 1804, il trouve un empire stable et puissant. Certes la guerre est prsente
mais hors des frontires. Le voyageur, certainement impressionn par le
changement de rgime, demeure nanmoins en retrait vis--vis de celui-ci de 1804
1808. Sa posture scientifique nexplique pas cette neutralit, de nombreux pairs
sengageant alors politiquement comme le dmontre louvrage de Nicole et Jean
Dhombres dans lequel le nom de Bonpland ne figure pas253 .
La premire trace dun engagement politique vis--vis du rgime imprial
date de 1808. En ce sens il sagit dune anne charnire puisque dune part il se
rapproche indirectement du rgime par le biais de son engagement au service de
limpratrice Josphine. En outre, explique-t-il en 1853,
me trouvant Paris, tout tait dispos pour ma prsentation la grande
famille maonnique ; mais des circonstances particulires, quil est
inutile de rapporter, me privrent de cet avantage si dsir

254

Enfin, son exprience amricaine forge en compagnie dun des plus grands
esprits de son temps lamne proposer ses services pour favoriser les
mouvements indpendantistes hispano-amricains. Cette offre est rvlatrice en ce
quelle reflte la fois une adhsion lempire napolonien en mme temps
quune envie de sengager dans le processus initi outre-Atlantique.

comptoir la ville coloniale : la France et ses Nouveaux Mondes amricains. Bilan


historiographique et perspectives de recherche (c. 1990-2001) , in GIRALDO Manuel Lucena
(coord.), Las tinieblas de la memoria, Debates y perspectivas. Cuadernos de historia y ciencias
sociales, n 2, 2002, pp. 141-171. Or, ce champ de recherche est encore en friche en ce qui
concerne le Ro de la Plata.
251
Certes lhritage du sicle des Lumires est rvolutionnaire et lenseignement quil reoit est
faonn par les principes du XVIIIe sicle. Mais politiquement Bonpland nest pas un homme de
lAncien Rgime, sa culture politique tant par dfinition contemporaine.
252
Cf. FOUCAULT Philippe, op. cit., p. 20.
253
DHOMBRES Nicole et Jean, op. cit.
254
AMFBJAD n 974, Bonpland J. P. Gay, So Borja, 19 avril 1853.
76

Premire partie

Chapitre I

Son engagement bonapartiste se confirme en 1815 lorsquil propose de


nouveau ses services lempereur dans des circonstances politiques pourtant
nettement plus dfavorables. Cette proposition sexplique par ses rencontres avec
les Amricains en la personne de Bolvar ds 1804 puis surtout avec les
missaires prsents en Europe en 1814 et 1815. Ds lors, Bonpland dveloppe une
admiration pour la grandeur napolonienne dont il espre retrouver des hritiers
dans le Nouveau Monde. Il propose de se rendre en Amrique espagnole afin dy
affermir la prsence franaise :
LEmpereur tant Bayonne en 1808 et voulant faire le bonheur des
Espagnols envoya des dputs sur les divers points de lAmrique
Espagnole. [] Je suis autoris croire que les dputs qui ont t
envoys en Amrique eussent russi si ils avaient dj t connus dans le
pays. [] convaincu que je pourrais tre utile mon pays lEmpereur
et enfin lamrique joffris alors mes services lEmpereur

255

Ce rapport rdig durant les Cent-Jours est un plaidoyer conciliant


patriotisme et amricanisme. Trs tt en relation avec les indpendantistes
amricains, le Franais espre resserrer les liens entre son gouvernement et les
nations mergentes. Mais aprs son arrive Buenos Aires il ne simplique pas
politiquement auprs des dirigeants, prfrant se cantonner au rle qui lui
convient plus de passeur culturel, fidle en cela lhritage du sicle des
Lumires.
En 1825, le tmoignage de lmissaire brsilien Correa da Cmara auprs
de Francia conforte lide dun Bonpland de plus en plus bonapartiste mesure
quil sloigne de lpope napolonienne. Le Brsilien rencontre un homme
isol, enferm dans une prison ciel ouvert. Le rcit quil en fait est dautant plus
important quil sagit du seul tmoignage direct permettant danalyser ltat
desprit dans lequel se trouve le Franais lors de sa dtention. Concernant
particulirement sa vision du Premier empire, Correa da Cmara crit :
Cet homme professe publiquement tre un partisan fervent de Napolon
et il pleure en repensant ces temps heureux

255

256

AMFBJAD n 1263, Mmoire historique sur lmancipation de lAmrique hispanique, s.l.,


1815.
256
Cit in RAMOS R. Antonio, La poltica del Brasil en el Paraguay bajo la dictadura del Dr.
Francia, Buenos Aires, Asuncin, Nizza, 1959, p. 122.
77

Premire partie

Chapitre I

Outre la dtresse dans laquelle se trouve Bonpland, cette citation nous renseigne
sur lattachement de celui-ci au rgime imprial. Dailleurs, cette dtresse peut
tout fait expliquer la nostalgie qui sempare de lui, les souvenirs aidant
certainement supporter dix annes de claustration.
Peut-tre est-ce au cours de cette priode que son bonapartisme samplifie
et sidalise. A ce titre, la raction de Bonpland alimente dune manire
particulire la formation de la lgende napolonienne. Construisant sa propre
reprsentation, il demeure ds lors attach lempire napolonien comme le
montre une note voquant, en 1840, le grand homme de notre sicle 257 . Lors
dun autre tmoignage recueilli en 1845, Bonpland rsidant alors So Borja
alors que la Guerra Grande dchire les provinces argentines, il accueille un
voyageur franais dans un petit salon o pour toute dcoration figurent les
portraits de Napolon Ier et Josphine 258 . Les tmoignages de ses contemporains
rvlent un attachement sans faille259 . Il est tout fait plausible quen dveloppant
cette culture bonapartiste, Bonpland dveloppe aussi la culture du grand homme et
du sauveur. Ceci nest pas incompatible avec des opinions rpublicaines,
lhistoriographie ayant dmontr les continuits entre la Rvolution franaise et
lempire napolonien.
Une preuve supplmentaire est prsente alors que la paix est rtablie dans
le Ro de la Plata et que de lautre ct de lAtlantique le Second empire voit le
jour. La concidence des vnements pousse Bonpland sadresser Napolon III
le 12 janvier 1854 :
Je serais heureux Sire de pouvoir prsenter votre Majest les travaux
que jai faits dans lAmrique du Sud comme jai eu lhonneur doffrir
sa Majest lEmpereur et roy ceux que jai faits dans les rgions
quinoxiales []. Je visiterais les restes de lincomparable Malmaison et
peut-tre serais-je assez heureux pour voir lhomme tonnant qui par son
intelligence sans gale et lnergie de son caractre a sceut rtablir
lEmpire, maintenir la paix en Europe et emploie tous ses puissants
efforts pour faire jouir le vieux monde dun avenir tranquille.

257

AMFBJAD n 1733. Voyage dans le Paran. Paran. 13 mai 1840.


B*** Armand de (ROY Just Jean Etienne), op. cit., p. 315.
259
En 1850, le docteur Chauvis lui crit ce quil pense de Louis-Napolon Bonaparte : je crains
de blesser vos affections en vous parlant avec trop peu de respect dun nom [que] vous voulez voir
entourer de considration , Chauvis Bonpland, Alegrete, 17 fvrier 1850 ; AMFBJAD n 1175,
Chauvis Bonpland, So Borja, Alegrete, 17 fvrier 1850.
258

78

Premire partie

Chapitre I

Puisse, Votre Majest, tendre ses bienfaits sur ces rgions {les bords du
Plata et de lUruguay} si riches par leurs productions , si bonnes habiter
et dans lesquelles le commerce franais trouve un dbouch si
avantageux lindustrie de notre Pays. 260

Tout est rsum ici. La nostalgie, la filiation, lallgeance, la confiance, la


protection et la participation de Napolon III aux destines des deux mondes
atteste dune culture politique idaliste et transatlantique.

Bonapartisme et patriotisme
Cette culture ajoute lengagement indpendantiste de Bonpland
permettent dexpliquer ses attitudes politiques ainsi que celles vis--vis de ses
compatriotes. Afin de comprendre comment se construisent les solidarits au sein
de la communaut franaise, il faut dabord apprhender la manire dont
seffectue ce regroupement. A partir de quelles valeurs, de quels intrts communs
ces expatris sidentifient-ils ? La petite colonie franaise qui se forme dans le Ro
de la Plata arrive par vagues successives. Dabord, quelques royalistes parmi
lesquels figure Liniers profitent aprs 1789 du pacte de famille et parviennent
acqurir des positions prminentes. Dune manire gnrale, le Ro de la Plata
apparat ds avant les indpendances comme un lieu o lascension sociale semble
relativement aise. A ce propos, les familles dirigeantes de la province de
Corrientes sont issues la fois danciens lignages mais aussi denfants de
migrants parvenant trs rapidement intgrer, sassocier ou former leur propre
clan 261 . Juan Martn de Pueyrredn est lui-mme le fils dun commerant franais,
aussi est-il important de rappeler que jusquaux annes 1810 la socit rioplatense
apparat comme une socit ouverte 262 .
260

AMFBJAD n 338, Bonpland Napolon III, Montevideo, 12 janvier 1854. Nous utilisons les
accolades pour signaler les mentions ratures dans le document original.
261
Cf. AYROLO Valentina, op. cit. Ltude gnalogique ralise par Juan Cruz Jaime met en
lumire ce phnomne dans la province de Corrientes ; cf. CRUZ JAIME Juan, Corrientes. Poder
y Aristocracia, Buenos Aires, Letemendia, 2002.
262
A ce sujet, rappelons que dernier vice-roi, Santiago de Liniers, comme le premier dirigeant
indpendantiste porteo, Juan Martn Pueyrredn, sont dorigine franaise. Carlos A. Stoetzer
explique quen 1776 la cration de la vice-royaut du Ro de la Plata dveloppe la faade
atlantique et entrane des changements extraordinaires grce un afflux nouveau de migrants
espagnols issus du milieu du commerce et de lindustrie. Ceux-ci bouleversent une socit
jusqualors fonde sur le clerg et larme ; cf. STOETZER Carlos A., La Rvolution franaise,
79

Premire partie

Chapitre I

Il existe probablement un lien entre lintgration aise des trangers


jusquaux annes 1830 et leur faible nombre, un changement se produisant partir
de la seconde moiti de cette dcennie. Dans son tude portant sur le parcours
dun immigrant franais en Argentine au cours de la seconde moiti du XIXe
sicle, Pauline Raquillet reprend la thse de James R. Scobie qui distingue les
trangers et les immigrants, les premiers se dfinissant par un statut social lev
au contraire des seconds 263 . Or, ce processus dintgration est jusquaux annes
1850 le seul en vigueur tant donn la faiblesse du nombre de migrants parvenant
dans le Ro de la Plata, lexception de lUruguay qui en accueille ds les annes
1830 un nombre important.
Avec larrive des bonapartistes, des divisions apparaissent parmi les
Franais. Si Aim Bonpland sen entoure, il sait dans un premier temps demeurer
en retrait politiquement comme il la fait lors de son retour en France en 1804. Il
sagit alors de connatre les hommes qui lentourent partir de la fin des annes
1810 et les rapports entretenus entre eux. Tous les auteurs saccordent placer
Bonpland parmi les notables de la petite communaut franaise de Buenos Aires
son arrive, le plaant sur un pied dgalit avec le consul royaliste Leloir.
Certains soulignent aussi que les deux hommes sont les premiers soutenir leurs
compatriotes condamns aprs le complot rat de 1818. Un bonapartiste et un
royaliste apparaissent donc cte cte afin de dfendre des Franais. En ce sens,
comment seffectue ce rapprochement ? Bonpland est-il au mme titre que le
consul Antoine Franois Leloir un point de ralliement majeur, comme le pensent
certains historiens 264 , ou noccupe-t-il quune position secondaire ? Sil est en
contact avec les Franais arrivant Buenos Aires, peu nombreux il est vrai, son
influence semble bien maigre en ce qui concerne les affaires politiques.
le Ro de la Plata et le Chili (1770-1808-1816/1817-1830-1833) , in HERMANN Christian,
MANIQUIS Robert M., MARTI Oscar R., PEREZ Joseph (dir.), Les rvolutions dans le monde
ibrique (1766-1834), tome II. LAmrique, Bordeaux, PUB, 1991, pp. 364-365. Dans la province
de Corrientes beaucoup de gouverneurs sont issus de limmigration europenne ; leurs aeuls
occupent pour la plupart des professions commerciales. La facilit avec laquelle ces migrants
intgrent les lites correntinas ainsi que la rapidit avec laquelle ils acquirent des responsabilits
politiques na pas encore t analyse. Cependant, la synthse effectue par Michel Bertrand
concernant les rseaux des lites hispano-amricaines montre que leurs intrts conomiques, leur
souci pour la puret du sang et les rapports de clientlisme ou de compadraje favorisent
lexogamie ; BERTRAND Michel, op. cit., pp. 69-72.
263
RAQUILLET Pauline, Alfred Ebelot. Le parcours migratoire dun Franais en Argentine au
XIXe sicle, Paris, LHarmattan, 2011, p. 40 ; SCOBIE James R., Buenos Aires, del centro a los
barrios, 1870-1910, Buenos Aires, Solar, Hachette, 1977 (1974).
264
RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 49.
80

Premire partie

Chapitre I

Laffaire de la conjuration des Franais entrane une raction de solidarit


immdiate de la part dun certain nombre dimmigrs vis--vis de leurs deux
compatriotes condamns mort. La ptition signe par 31 dentre eux explique
qu
une distance si grande de leur patrie, tous les franais se considrent
comme faisant partie dune mme famille. Que le bras de la justice
atteigne quelques uns dentre eux, le coup qui les frappe ne peut pas
demeurer sans effet sur les autres.

265

Les recherches menes ne permettent pas didentifier avec certitude tous les
signataires, mais hormis Leloir 266 ceux que les sources permettent de reconnatre
savrent tre danciens serviteurs du Premier empire. Labsence du colonel
Dauxion Lavaysse, bonapartiste pass au service de Pueyrredn, sexplique par le
rle de dlateur quil joue lors du premier complot tent par les frres Carrera. La
prsence dun nomm Durand parmi les ptitionnaires tonne car le dlateur du
complot des Franais, appel Dr D. par les juges, serait le docteur Durand. Or
la prsence du docteur Jean-Charles Durand Buenos Aires en 1818, ancien
chirurgien de ltat-major de lEmpire, est atteste 267 .
Sil sagit du mme, cela confirme quau sein du milieu bonapartiste des
dissensions existent, videmment. Si leur compromission force certains partir de
France, alors que nombre danciens serviteurs de Napolon parviennent
conserver des places honorables dans leur pays, leurs ambitions ou leurs intrts
les poussent dans des directions diffrentes. Ainsi de Lagresse qui choisit de
servir Carrera, de Dauxion Lavaysse qui choisit Pueyrredn ou de Freycinet qui
aprs avoir servi la cause indpendantiste retourne en France en 1820 268 .
Bonpland lui-mme nest pas inquit la Restauration mais choisit pourtant de
partir. Aussi ne faut-il pas surestimer lexistence dune solidarit et dun pouvoir
que certains croient dtenir plutt fantasmatique. Les exemples de Robert et
265

La colonie franaise se runit aprs lexcution de Robert et Lagresse pour faire clbrer des
funrailles en prsence du consul Leloir ; cf. PAPILLAUD Henry, op. cit., pp. 32, 36.
266
Cf. HAMMERLY DUPUY Daniel, El naturalista Bonpland y la conpiracin de Jos Carrera
contra OHiggins y San Martn , in Historia, vol. IV, n 13, 1958, p. 87.
267
PAPILLAUD Henry, op. cit., p. 33 ; RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A.,
dONOFRIO Rmulo, op. cit., pp. 69-71.
268
Cf. DUVIOLS Jean-Paul, Voyageurs franais en Amrique. Colonies espagnoles et
portugaises, Paris, Bordas, 1978 ; KIRCHEIMER Jean-Georges, Voyageurs francophones en
Amrique hispanique au cours du XIXe sicle : rpertoire bio-bibliographique, Paris, Bibliothque
nationale, 1987 ; PUIGMAL Patrick, Indpendance, politique et pouvoir au Chili et en Argentine
: Attitudes des officiers napoloniens dans les armes de libration (1817-1830) , in Napoleonica.
La Revue, n 4, avril 2009, pp. 2-17.
81

Premire partie

Chapitre I

Lagresse montrent dune part quils peuvent rapidement devenir des pions aux
mains des factions ; dautre part sil existe des noyaux on ne peut pas encore
parler de communaut soude. Il y a simplement une adaptation aux ralits en
fonction des intrts de chacun.
Entre 1817 et 1820, des affinits apparaissent clairement autour de
lhritage bonapartiste. Lors du sjour bonaerense de Bonpland, celui-ci frquente
le cercle des partisans du Premier Empire les plus impliqus dans laction
politique en faveur des intrts franais. En effet, les bonapartistes savrent de
remarquables agents de Louis XVIII au Ro de la Plata. A cet gard, il faut
souligner quil ny a pas contradiction entre bonapartisme et patriotisme, mme si
cette deuxime posture sert les vues du nouveau rgime. De la mme manire
quen France, beaucoup de partisans de Napolon Ier passent au service de Louis
XVIII, des agents franais en Amrique du Sud mettent leurs rseaux la
disposition du nouveau rgime. Loin dtre une punition, la diplomatie officieuse
mene par ces Franais269 constitue un moyen de rachat ou, plus prosaquement,
une manire de se rorienter tout en demeurant en conformit avec leurs valeurs.
Les agissements de Richard Grandsire confirment cette hypothse, puisque ce
bonapartiste apparat comme un intermdiaire privilgi entre le ministre
royaliste et la communaut franaise rioplatense dobdience bonapartiste. A la
fin des annes 1810 et au dbut des annes 1820, il se charge particulirement de
coordonner laction franaise vers le Paraguay, afin den ouvrir le march son
pays 270 .
A la fin des annes 1810, deux attitudes se dessinent par rapport la
France de la part des bonapartistes. Soit linstar de Richard Grandsire, ils
choisissent de servir le nouveau gouvernement ; soit ils demeurent en retrait en
attendant un changement de rgime, une amnistie ou un adoucissement du rgime
pour retourner en France tel Narcisse Parchappe 271 . Ainsi des rseaux se forment
269

Lalliance officielle avec lEspagne empche toute intervention diplomatique ouverte.


Lutilisation des bonapartistes permet donc de couvrir les agissements de la monarchie.
270
Cf. WHIGHAM Thomas, Bonpland, el Dr. Francia y la realidad paraguaya: unas cartas de
Richard Grandsire , in Anuario del Instituto de Investigaciones Histricas Dr. Jos Gaspar
Rodrguez de Francia, vol. 9, n 9, septembre 1990, pp. 45-50.
271
A lexemple de Parchappe, le cercle des Franais de Corrientes encore plus restreint connat
aussi ses divisions. En effet, Parchappe dnonce au gouverneur Ferr son compatriote Lacour
dcrit comme un homme de talentos escasos, de comportaciones bastante mala y genio pesimo .
Parchappe explique que Lacour na jmais t militaire, quil vint de France comme precepteur du
fils de monsieur Belmar qui lui-mme tait venu Buenos Aires pour y fonder un tablissement
dagriculture, Aprs lchec et le retour de Belmar en France, Lacour prpose au gouvernement
82

Premire partie

Chapitre I

comme celui entretenu par la maison Roguin, Meyer et Cie dobdience


bonapartiste qui joue un rle dintermdiaire pour les transactions notamment
celles scientifiques de Bonpland entre Montevideo et Buenos Aires. Cette
maison est en contact avec une autre socit base Montevideo, la socit des
bonapartistes Brayer et Cavaillon, ce dernier servant son tour de relais avec la
France. Cavaillon reprsente le commerce franais Montevideo au moins depuis
1819 avant de devenir le reprsentant du rgime franais en 1825 272 . Cest au sein
de cette socit que Charles Robert connat Jos Miguel de Carrera 273 . En 1820,
Dominique Roguin lui aussi sollicite lappui officiel du ministre des Relations
Extrieures pour dfendre les intrts des rsidents franais au Ro de la Plata 274 .
Ainsi, le bonapartisme cde peu peu la place au patriotisme. A ce titre il apparat
un rflexe patriotique dans la faon dont Bonpland sentoure, explicable par la
similitude de parcours avec ses diffrents compatriotes.
Comme laction scientifique que Bonpland souhaite mener se veut
profitable aux deux parties, il ne se contente pas dappuyer les intrts franais
dans la rgion mais, linstar de ses compatriotes engags aux cts des
Libertadores, participer lpanouissement dune civilisation prolongeant
lexprience rvolutionnaire franaise. Cette notion prdomine lintrieur du
cercle bonapartiste qui en plus de se racheter ou de se rorienter, compte soutenir
linfluence politique de la monarchie franaise pour seconder la construction dun
rgime rpublicain outre-Atlantique.

porteo de se rendre dans lInterior lever des plans mais ses capacits mises en doute lui font
essuyer un refus. Il part alors a la campaia pour sinstaller son compte mais Parchappe nen
sait pas plus, hormis sa rputation de buveur et lexcrable considration dont il jouit parmi ses
compatriotes. Aussi demande-t-il Ferr quil ne sengage pas auprs de lui et que cette
dnonciation demeure confidentielle. Les Franais qui ctoient Bonpland mettent en avant
labsence de solidarit de leurs compatriotes non par manque de patriotisme mais par mfiance
envers les aventuriers , la rputation et lhonneur du nom franais tant trs prsent dans leur
conduite.
272
Il exerce officiellement partir de 1825 la fonction de vice-consul honoraire titre gratuit, en
raison probablement de son aisance financire ; cf. BERAUD Gilles (d.), MIRET Enric, DORY
Daniel (coll.), Lettres dAmrique dAlcide dOrbigny, La Rochelle, Rumeur des Ages, 2002, p.
23.
273
RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 47.
274
AMAEP, D. Roguin au ministre des Relations Extrieures, Le Havre, 3 octobre 1820.
83

Premire partie

Chapitre I

2. Lengagement patriotique
Aim Bonpland trouve sa sortie du Paraguay, en 1831, une situation
diplomatique clarifie. Les nouveaux Etats sud-amricains ayant t reconnus par
la France, de nouveaux enjeux se mettent en place. Les sources diplomatiques
offrent une vision officielle de la France sur lAmrique latine. Mais bien
quils en soient la voix, les diplomates franais reprsentent-ils leurs compatriotes
migrs ? A la lecture de correspondances prives, on se rend compte que souvent
les Franais du Rio de la Plata sont en dsaccord avec la politique suivie par leur
pays. A ce titre, des dissensions grandissent entre les rsidents franais de plus en
plus nombreux, leurs reprsentants et leur gouvernement. Dans ce nouveau
contexte aboutissant lintervention arme de la France contre Buenos Aires,
Bonpland comme dautres est amen choisir son camp.
Entre enjeux nationaux et enjeux privs, nous voudrions saisir la rception
de la politique franaise en Amrique du Sud par une partie de ses sujetscitoyens . En effet, les migrs franais crent leur propre strotype de ce que
doit tre et faire la France dans une Amrique en construction politique,
conomique, sociale et culturelle. A travers le corpus dun mdecin naturaliste
Franais rsidant quarante ans au Rio de la Plata, il sagit danalyser lvolution
dun certain regard patriotique. La correspondance entretenue par Aim Bonpland
avec ses compatriotes permet de mieux connatre les attentes dune petite
communaut se voulant, elle aussi, la reprsentante dun grand pays.

Les devoirs de la France


Le savant reprend trs vite contact avec la diplomatie franaise. Les
premires nouvelles donnes au consul Mendeville quelques jours aprs sa sortie
du Paraguay concernent la situation des Franais vivant au Paraguay 275 . Il affirme
tout aussi rapidement son point de vue sur ses reprsentants. Ds son sjour
Buenos Aires, en 1832, il porte des jugements tranchants vis--vis des missaires

275

AMFBJAD n 717, Bonpland J.-B. W. de Mendeville, So Borja, 25 fvrier 1831.


84

Premire partie

Chapitre I

de la France. De La Forest, ancien consul au Chili nomm en 1830 ce mme


poste en Argentine et connu pour ses ides librales, Bonpland crit quil
a scu faire respecter le nom francais et sattirer lestime des plus grandes
masses

276

tandis que son successeur, Mendeville et surtout sa femme, Mariquita Snchez,


sont caractriss par leur nullit ; ils salissent le nom franais daprs lui 277 .
La posture idologique de La Forest et son action au Chili en faveur de la
faction librale explique le jugement de Bonpland. Concernant Mendeville, la
posture de Bonpland parat plus difficile expliquer tant donn les efforts que le
consul dploie, spcialement le 26 juillet 1832 lorsquil accde la demande du
savant pour demander officiellement la libration des autres Franais dtenus au
Paraguay 278 . Mais, hormis lattachement du consul au rgime royaliste, sa
mauvaise gestion des intrts franais au cours des annes 1820 culminant en
1830 avec la reconnaissance de lindpendance argentine sans contrepartie
explique lopinion dfavorable de Bonpland son encontre. La question des droits
des Franais prend alors une importance croissante pour les expatris et
singulirement pour Bonpland. Quant lacrimonie de Bonpland envers
Mariquita, elle peut sexpliquer par le fait que cette dernire est alors, linverse
de Bonpland, antirrosista. Les deux personnes stant connues en 1817, dautres
raisons plus lointaines mais demeures inconnues peuvent expliquer cette
raction.
En 1832 Aim Bonpland se lie damiti avec Aim Roger 279 , lequel
devient lanne suivante vice-consul ; cest une bonne acquisition 280 crit
Roguin dautant plus que Mendeville est remplac par Vins de Peyssac. Mais les
conduites diplomatiques savrent rapidement quivoques, puisque lon assiste
des louvoiements entre neutralit et interventionnisme qui apparaissent ds avant
la reconnaissance officielle des Etats sud-amricains. Deux facteurs expliquent
cette attitude : linstabilit des gouvernements amricains mais aussi europens, et
la question de la protection des droits franais. Ce second motif est plus puissant
aux yeux de Bonpland comme aux yeux de beaucoup de ses compatriotes. Ds
276

AMFBJAD n 321, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 14 juillet 1832.


Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cit in HAMY Jules Thodore Ernest, op.
cit., p. 91.
278
AMFBJAD n 1712, notes diverses, Buenos Aires, 6 dcembre 1836.
279
AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
280
AMFBJAD n 1023, D. Roguin Bonpland, Buenos Aires, 9 aot 1833.
277

85

Premire partie

Chapitre I

1832 les bases de la diplomatie franaise nonces par de Broglie et rptes


chaque changement de gouvernement insistent sur la neutralit que doivent
maintenir les reprsentants franais vis--vis des affaires internes ainsi que sur la
modration propos des griefs dont peuvent souffrir les Franais 281 . La stricte
neutralit est demande aux consuls, sauf si la scurit de leurs compatriotes
savre menace.
Cette question contribue grandement au glissement idologique des
bonapartistes vers le patriotisme, le progressisme et le libralisme. Suite aux lois
adoptes Buenos Aires aux cours des annes 1820 et 1830 trs dfavorables aux
trangers, on passe dune perspective de rapprochement intercontinental la
notion dune intervention franaise. Le banquet patriotique clbr en 1832 par les
amis de Bonpland associe le bonapartisme au patriotisme 282 , le respect du nom
franais tant prsent ici comme lors de ses premires correspondances et ne
faisant que samplifier au cours des annes suivantes.
Il en va de mme en ce qui concerne lensemble des expatris, la
diffrence quau lieu de contribuer la construction dun imaginaire amricain en
France, ils participent celle dun imaginaire franais en Amrique. Leurs
discours sont aussi riches que ceux des voyageurs mais leurs paroles nacquirent
pas la rsonance de celles de leurs compatriotes, sauf lorsquils parviennent
occuper des fonctions diplomatiques signifiantes. Or cette configuration tend
diminuer, car si le personnel consulaire est constitu laube des indpendances
rioplatenses dhommes issus de la socit civile et dj implants dans la rgion,
ils sont peu peu vincs par des mtropolitains moins lgitimes auprs de leurs
281

AMAEN, Montevideo, Lgation n 1. De Broglie recommande au consul de Montevideo en


fvrier 1832 une stricte neutralit : Cette circonspection est particulirement ncessaire dans des
Etats aussi frquemment agits par des rvolutions que ceux de lAmrique du Sud et cest l
surtout que la conduite dun agent peut exercer linfluence la plus heureuse comme la plus nuisible
dans les rapports de son gouvernement avec le gouvernement territorial. Je nai pas besoin de dire
quil les compromettrait gravement sil voulait prendre couleur et jouer un rle dans les affaires
intrieures du pays o il rside, si, pour se faire homme de parti, il renonait mal propos
lattitude de rserve et dimpartialit que commandent tout la fois sa qualit dtranger et les
intrts de la mission dont il est charg. Jai appris avec plaisir le succs de vos dmarches en
faveur du sieur Milhas dont la proprit avait t saisie par ordre du prsident Fructuoso Rivera et
japprouve entirement la manire dont vous avez soutenu les droits une indemnit. Cest en
apportant dans toutes les rclamations de ce genre le mme esprit de fermet, de modration et de
persvrance, que vous parviendrez, je nen doute pas, les faire triompher, et protger
efficacement les intrts dont la dfense vous est confie. Lessentiel est de ne prsenter que des
demandes raisonnables, de ninsister que sur des satisfactions rellement dues et de ne point en
riger en affaires tout ce qui nen aurait vritablement ni limportance ni le caractre .
282
AMFBJAD n 2036, Banquet Patriotique clbr par les Franais habitant Buenos Aires, 29
juillet 1832.
86

Premire partie

Chapitre I

compatriotes. Le consulat, symbole de la France en Amrique et garant des


relations transatlantiques, est aussi le lieu o se concentrent les dbats sur les
actions mener au nom dides parfois dconnectes des ralits du terrain. Nous
ne pouvons pas ici dtailler les rseaux mis en place par les diplomates franais
hors de leur capitale de rattachement 283 , privilgiant au contraire le point de vue
de quelques immigrs sur leurs reprsentants mais surtout sur le rle jouer par
leur pays dans cette partie de lAmrique hispanique. Car ct de la France
officielle, les membres de la socit civile se voient pris entre un
interventionnisme imprialiste et un nationalisme amricaniste, tentant de sy
adapter avec plus ou moins de russite.
A ce problme sajoute celui de la construction politique des Etats dont
Bonpland annonce ds 1832 qu il faudra se charger de leur ducation 284 . La
situation parat simple au Franais pour qui les peuples amricains, arrirs, ont
besoin dun sauveur et dun ducateur qui ne peut tre que la France. La faute
nest plus aux Espagnols mais aux nouveaux rgimes qui ncessitent une tutelle ;
les Amricains sont jugs comme non encore majeurs politiquement 285 . Ce
jugement, commun parmi les voyageurs, rvle une ignorance face la situation
politique complexe rioplatense.
Lincomprhension de Bonpland est nanmoins partielle, puisque ses notes
contiennent au cours de cette priode dobservation des analyses plus nuances.
Nanmoins, la cration dun Etat civilis passe selon lui par lintervention
franaise qui est non seulement une obligation mais surtout un devoir pour
imposer le sentiment public, lordre et le progrs. Le discours de Bonpland relatif
au rle de la France dans le Ro de la Plata ne varie pas dans ses grandes lignes,
cest--dire quil est empreint dune croyance dans lintervention externe comme

283

Cet aspect essentiel pour la comprhension de la politique extrieure demeure peu ou pas
tudi. Les sources offertes par les correspondances diplomatiques sont utilises majoritairement
pour analyser une position, une volution politique ou une vision du pays. L encore, il est
souhaiter le dveloppement de recherches portant sur les rseaux mis en uvre par les consuls afin
de mener bien un type de travail rput pour y avoir frquemment recours. Signalons le travail
dEstela Nari au sujet du personnel diplomatique prsent en Uruguay ; NARI Estela, Les rapports
France-Uruguay pendant la Guerra Grande. Le conflit vu par les Franais (pourquoi lUruguay
nest pas devenu franais). 1839-1852, thse de doctorat dhistoire ralise sous la direction de
Guy MARTINIERE, Paris III, IHEAL, 1998.
284
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cit in HAMY Jules Thodore Ernest, op.
cit., p. 91.
285
Ibid.
87

Premire partie

Chapitre I

solution aux problmes internes. La France, videmment, doit tre larbitre des
conflits rioplatenses.
Ce type de discours, totalement en contradiction avec la ligne
diplomatique neutraliste officiellement suivie en France est, partir de 1836, au
cur des complications diplomatiques franco-porteas. En effet, la mort du
consul Vins de Peyssac survenue le 22 mai 1836 confre Aim Roger le poste
de consul intrimaire. Or Rosas qui est au pouvoir depuis 1835 grce, notamment,
au soutien de Vins de Peyssac, sinquite de linfluence croissante des Franais et
promulgue une loi obligeant tout commerant tranger mari dans le pays
acqurir la nationalit argentine, ceci entranant une autre obligation, savoir le
service militaire au sein de la milice locale 286 . Cette loi sajoute celle du 10 avril
1821 qui ordonne aux trangers de servir militairement le pays en cas de
ncessit. La Constitution de 1826 donne ensuite la nationalit argentine aux
trangers ayant servi dans larme et ceux tablis avant 1816, puis une loi de
1829 transforme en citoyen argentin tout individu prenant les armes 287 . Le cadre
juridique mis en place propos de la nationalit remet donc en cause la
permanence de la nationalit dorigine. Aim Roger sengage alors dans une
confrontation dbouchant sur lentre en conflit de la France.

Du recueillement la canonnire
Nanti dun rle de mdiateur de plus en plus notable, ami intime du consul
Roger, Bonpland reoit par ce biais les chos de la xnophobie dont sont victimes
ses compatriotes et, plus gnralement, les Europens. Quil sagisse de
problmes daccession la proprit, de mise lcart des marchs, denrlements
forcs ou de pertes de nationalit, sans doute le prjudice le plus gravement
ressenti, les plaintes reviennent de manire rcurrente. En 1836, les antagonismes
se cristallisent autour dHyppolite Bacle. Ce natif de Genve qui ne connat pas
Bonpland personnellement lui confie depuis Buenos Aires ses dboires
286

Cf. LEDUC Jean, Dun empire lautre. Les Pellion cavalier et marins au service de la
France, 1809-1868, Paris, Editions du Gerfaut, 2003, pp. 216-217.
287
Cf. COOKE John W., GUARDO Ricardo C., Reforma de la Constitucin Nacional : Proyecto
de ley y fundamentos , in COOKE John W., Obras completas. Accin parlamentaria, tome I,
Buenos Aires, Colihue, 2007 (1948), pp. 203-205.
88

Premire partie

Chapitre I

conomiques et, alors que ses rapports avec Rosas se dtriorent, son intention
dimmigrer en Bolivie ou au Chili 288 . Choisissant finalement de sinstaller au
Chili en octobre 1836, il retourne Buenos Aires en 1837 afin de terminer ses
prparatifs de dpart. Rosas le fait alors emprisonner plusieurs mois pour avoir
aid les ennemis du rgime et avoir envoy des informations stratgiques au
gouvernement franais. A peine libr, il meurt des suites de sa dtention le 4
janvier 1838 289 . Dautres cas de mauvais traitements sont voqus 290 , cette
question du droit des trangers sajoutant dautres complications diplomatiques.
Mais contrairement au renoncement de La Forest en 1832, Roger refuse de cder
Rosas qui demande sa rfutation. Appuy par le gouvernement franais, il rdige
un ultimatum en septembre 1838 dans lequel il exige ce qui na pas t ngoci en
1830, savoir le statut de la nation la plus favorise gal aux Britanniques 291 .
Le dbat autour des prtentions dAim Roger mrite une attention
particulire puisquelles aboutissent des consquences diplomatiques graves.
Lultimatum dit en franais et en anglais par limprimerie de lEtat de Buenos
Aires ds 1838 prouve limportance des enjeux. Il reprend les demandes de Roger,
la rponse du gouvernement ainsi que plusieurs autres pices. Dun point de vue
international, lintervention franaise a des vises plus globales 292 . Cependant
Buenos Aires, la question du droit des gens napparat pas comme un simple
prtexte mais vritablement comme un enjeu politique primordial majeur.
Lapprobation de Paris acquise provisoirement marque un rapprochement de vues
mais contient aussi le dbut du processus de rupture entre les Franais prsents au
Ro de la Plata et leur patrie dorigine.

288

AMFBJAD n 901, H. Bacle Bonpland, Buenos Aires, 15 aot 1836.


SZIR Sandra M., De la cultura impresa a la cultura de lo visible. Las publicaciones peridicas
ilustradas en Buenos Aires en el Siglo XIX , in GARABEDIAN Marcelo H., SZIR Sandra M.,
LIDA Miranda, Prensa argentina siglo XIX. Imgenes, textos y contextos, Buenos Aires, coleccin
Investigaciones de la Biblioteca Nacional, Teseo, 2009, pp. 64-65 ; ROGER Aim, Ultimatum
adress par M. A. Roger, consul de France au gouvernement de Buenos-Ayres charg des relations
extrieures de la Confdration Argentine, avec la rponse de ce dernier et d'autres pices
l'appui, Buenos-Ayres , Imprimerie de lEtat, 1838, p. 22.
290
Ceux de Pierre Lavie, Blaise Despouy, Martin Larre, Jourdan Pons, Salvat Garrat ; cf. ibid., pp.
22-30.
291
ROGER Aim, Ultimatum adress par M. A. Roger, consul de France au gouvernement de
Buenos-Ayres charg des relations extrieures de la confdration Argentine, avec la rponse de
ce dernier et d'autres pices lappui, Buenos Aires, Imprimerie de lEtat, 1838, p. 34.
292
Comme dtourner lattention de la Grande-Bretagne des questions mditerranennes ; cf.
PUENTES Gabriel A., La intervencin francesa en el Ro de la Plata. Federales, unitarios y
romnticos, Buenos Aires, Theoria, 1958, p. 60.
289

89

Premire partie

Chapitre I

En 1838 les objectifs de la France justifient une intervention arme. Les


mots utiliss sont rvlateurs de la position des missaires franais sur place
puisquil sagit den terminer avec le rgime de Rosas comme avec celui dAlger.
Le discours menaant tenu par le contre-amiral Leblanc en 1838, usant de
lexemple qui ne peut se justifier d'Alger, pour [] rappeler la manire
dont elle chatie les imprudents qui s'exposent loffenser

293

exprime en sus du mpris vis--vis de la place des porteos sur lchelle de


civilisation telle que la France la conoit, une intention plutt quune
consquence. La rfrence lAlgrie et consquemment la sujtion de Buenos
Aires, bien quelle sinscrive dans lorgueilleuse et grande maladresse
diplomatique franaise, est avant tout un moyen pour assurer un statut et une
protection jugs prioritaires non seulement vis--vis du gouvernement de Rosas,
mais encore et surtout aprs sa chute.
De cette tension rsulte la formation dune pratique amricaniste fonde
sur lappartenance des rseaux dintrts patriotiques dcentraliss. Il sagit dun
point primordial voquer lorsque lon tudie les modles politiques et culturels,
car sil y a des copies et des adaptations, il existe surtout un profond rejet
constitutif de lindpendantisme. Roguin en est victime dans la Bande Orientale,
puisquil voit ses terres acquises en 1827 avec Joachim Meyer redistribues en
1837 294 . Aussi, les ractions patriotiques dont le discours interventionniste est la
rsultante sexpliquent-elles dabord par un rflexe dfensif plutt que par une
prdisposition lagressivit que sous-tendrait un devoir de civilisation. Le rseau
construit autour de Bonpland demande tre complt par des recherches
approfondies sur les personnes avec lesquelles il sassocie, mais il offre tout de
mme un modle non ngligeable relativement aux solidarits franaises
lintrieur du Ro de la Plata. Ces solidarits alimentent un discours avant tout
usage interne, bnficiant toutefois dune porte externe limite mais existante.
Cette porte se traduit parfois dans les actes, cest--dire au travers dengagements
politiques vis--vis dune cause amricaniste en conformit avec une idologie
imprialiste.
293

AMAEN, Buenos Aires, Lgation n1, 1838. La citation provient de Felipe de Arana, ministre
des Affaires trangres argentin. La position dArana est trs claire vis--vis de cette question :
pour lui la patrie adoptive prvaut sur la patrie dorigine. La proclamation traduite en espagnol
se retrouve dans les archives de Bonpland ; cf. AMFBJAD n 1017, ordre du jour, s. l., s. d.
294
KLEINPENNING Jan M. G., Peopling the Purple Land: an Historical Geography of Rural
Uruguay, 1500-1915, Amsterdam, CEDLA, 1995, pp. 119-125.
90

Premire partie

Chapitre I

Quant Corrientes, si lon se place du point de vue franais, la province


est quasiment absente de la correspondance diplomatique, particulirement celle
de Corrientes. A linverse, il sagit du thme majoritairement dvelopp en
Argentine et par Bonpland car le bon gouvernement, selon lui, est incarn par le
modle europen des Lumires qui se dveloppe Corrientes non seulement dans
le discours mais aussi, fait rare pour lespace et le temps voqus, dans les
actes 295 . Pour comprendre la situation des Europens, il est ncessaire de rappeler
que les lois et la pratique politique de la province de Corrientes sont nettement
plus favorables aux trangers que celles de la province de Buenos Aires 296 .
La Constitution de dcembre 1821 se caractrise par une volont
dintgration des trangers la province correntina 297 . Ds la fin des annes
1820, Corrientes accueille les Franais fuyant la menace dun recrutement
militaire bonaerense suite la guerre argentino-brsilienne, augmentant leur
nombre qui passe de 2 en 1814 41 en 1833, soit le double des Britanniques
cette date 298 . A titre dexemple, cest un Franais qui en 1831 obtient le monopole
pour lexercice de la pharmacie. En 1833, une affaire concernant le Franais
Serrus, remis au consul Mendeville alors que la loi de Corrientes pse sur lui,
montre les bons rapports entretenus par la province envers la France 299 . Le faible
nombre dimmigrants prohibe toute tentative danalyse quantitative ; ce nest
dailleurs pas notre ambition, puisquil sagit daborder des transferts culturels ne

295

En effet, Jos Carlos Chiaramonte souligne qu Corrientes nous constatons une cration
constitutionnelle prcoce laide dun rgime reprsentatif effectif [], et avec des gouverneurs
se succdant au pouvoir selon des normes constitutionnelles, au point de russir canaliser
lgalement les rivalits politiques sintensifiant au dbut des annes 1830 , CHIARAMONTE
Jos Carlos, op. cit., p. 48.
296
GOMEZ Hernn Felix, Historia de la provincia de Corrientes. Instituciones de la provincia de
Corrientes, Corrientes, Amerindia, 1999 (1922).
297
Bien que les trangers ne puissent se dplacer dans la province, se excepta al extranjero que
fomentase establecimientos de agricultura ; cit in FERRE Pedro, op. cit., tome I, p. 242. Pour
des motifs similaires, Alcide dOrbigny obtient de Ferr lautorisation de parcourir la province en
avril 1827. La Constitution de 1821, comme celle de 1824, rserve le commerce provincial aux
natifs, pour compenser le quasi-monopole des trangers sur le trafic portuaire. Mais ds le 8 mars
1822, le premier tranger est naturalis, en la personne de Francisco Meabe ; cf. CASTELLO A.
Emilio, op. cit., pp. 177, 217. Francisco Meabe (1794-1853), basque sinstallant Corrientes vers
1815, assume un rle notable dans les finances publiques de la province.
298
Cf. CHIARAMONTE Juan Carlos, Mercaderes del Litoral. Economa y sociedad en la
provincia de Corrientes, primera mitad del siglo XIX, Buenos Aires, FCE, 1991, p. 64.
299
AGNBA, fondo Pedro Ferr, leg. 4, Mendeville P. Ferr, Buenos Aires, 3 dcembre 1833.
Mendeville se met la disposition du gouverneur pour tout ce quil peut ncessiter dEurope et
spcialement de France.
91

Premire partie

ncessitant

Chapitre I

point

ce

socle 300 .

Cependant

un

facteur

important

dappartenance rsidant dans le rejet, voire la xnophobie dont sont victimes les
Franais ou plus gnralement les Europens, la prise de position de Bonpland
comme dautres en faveur de Corrientes la fin des annes 1830 acquiert tout son
sens. En effet, lappui naval franais donne confiance aux unitaires en conflit avec
Rosas et facilite lalliance entre Corrientes et les forces uruguayennes de Rivera
en fvrier 1839 301 .

3. Un cercle li par lconomie


Lintgration

du

Franais

aux

circuits

conomiques

locaux,

et

particulirement les connexions entretenues avec ses compatriotes, permet


desquisser un tableau des solidarits franaises en ce domaine. Au-del des
qualificatifs, la plupart de ces voyageurs se constituent en rseaux dintrt.
Bonpland appartient la catgorie dinvestisseurs constitue par les voyageurs
sintressant de plus ou moins loin aux applications des dcouvertes scientifiques,
associs ou non des techniciens, et pour la plupart bonapartistes 302 . Nous
voudrions dgager limportance, lors des premires dcennies de lindpendance
de cette partie du continent ibro-amricain, de ce rseau.

300

Alors que les recherches dmographiques analysent des mouvements de masse, la recherche
sur les transferts, sorte dhistoire sociale de la vie culturelle, se proccupe de pourcentages infimes
de la population globale dont la part dans le dveloppement du systme culturel est sans rapport
avec la dfinition quantitative du groupe , explique Michel Espagne, op. cit., p. 96. Nous
adhrons cette approche qui correspond la conjoncture rioplatense et tout fait applicable
lexprience de Bonpland bien quelle doive tre nuance par ailleurs. En effet, limmigration
que connat lArgentine la fin du XIXe sicle modifie profondment les cadres culturels. Il faut
donc prendre soin de ne pas revenir une lecture superficielle du phnomne.
301
SALVATORE Ricardo, Consolidacin del rgimen rosista , in GOLDMAN Noem (dir.),
op. cit., p. 373. Fructuoso Rivera (1784-1854), n dans le dpartement actuel de Durazno, en
Uruguay, est issu dune famille modeste. Il prend part la lutte pour lindpendance de son pays
en combattant au service de Jos Artigas. Aprs la dfaite de ce dernier, il entre au service des
Portugais puis rejoint de nouveau les indpendantistes commands par Juan Antonio Lavalleja en
1825. Ses victoires lamnent devenir le premier prsident de la rpublique de lUruguay de
1830 1834. En 1836 il tente de renverser son successeur et rival Manuel Oribe, reprenant le titre
de prsident entre 1838 et 1843. Mais le soutien de Rosas permet Oribe de reprendre le pouvoir,
Rivera devant sexiler une premire fois en 1845 puis une seconde fois en 1847 Rio de Janeiro. Il
meurt alors quil est rappel au pouvoir, aprs la dfaite de Rosas.
302
Cf. POTELET Jeanine, Le Brsil vu par les voyageurs et les marins franais, 1816-1840, Paris,
LHarmattan, 1993, pp. 26-27.
92

Premire partie

Chapitre I

Un cercle li par lintrt commercial


Des contacts sont nous au Brsil, Rio de Janeiro prcisment
avec Acard, ancien jardinier de Malmaison responsable de la grande serre et de
Bois-Prau, ainsi quavec Joachim Lebreton alors prsident de lAcadmie
Impriale de Rio de Janeiro, bonapartiste connu notamment du consul franais qui
entrave ses agissements. Bonpland tente aussi de se mettre en contact avec SaintHilaire, connu pour ses sympathies royalistes. Ces interlocuteurs sont requis afin
de faire parvenir Buenos Aires des semences et des plantes pour alimenter le
jardin botanique du botaniste mais leurs rapports ne passent pas ltape du contact
direct et de lengagement conomique.
Le premier cercle dinvestisseurs franais form par Bonpland partir de
1817 appartient tout dabord aux cercles de la bourgeoisie commerante,
initiatrice des premiers rapprochements vers lAmrique du Sud. Ce dmarrage a
lieu lors des annes 1816 et 1817, rapidement relay ds 1818 par la politique
du nouveau ministre de la Marine, la baron Portal, dployant dans la zone tudie
des personnels, officiers ou mdecins verss dans les sciences naturelles, en
collaboration avec des institutions scientifiques prestigieuses dont le fer de lance
savre tre la Musum dhistoire naturelle 303 . Aussi, parmi les Franais lis
Bonpland, se mlent savants et ngociants souvent unis par des proccupations
dordre conomique similaires. Nous retrouvons dailleurs nombre de ces contacts
autour des projets conomiques esquisss par Bonpland 304 . En outre, ltroitesse
de la communaut franaise cette poque explique le rapprochement de ses
membres.
Cependant, lexistence de noyaux au lieu dune vritable communaut
ainsi que les divisions politiques au grs des ambitions se rpercutent au niveau
des projets conomiques. Entre 1817 et 1821, plusieurs personnages essentiels de
par leur implication conomique ou politique constituent le cercle que frquente
Bonpland. Il sagit de Grandsire, Brard, Razac, Voulquin, Parchappe et
Roguin 305 . Nombre du premier cercle de Bonpland le sont aussi de dOrbigny,

303

Cf. RIVIALE Pascal, Un sicle darchologie au Prou (1821-1914), Paris, LHarmattan,


1996, pp. 238-239.
304
Cf. chapitre VII.
305
Joaquim Meyer, lassoci de Roguin, napparat pas aussi proche que ce dernier.
93

Premire partie

Chapitre I

hormis lentomologiste Jean Thodore Lacordaire 306 qui narrive Buenos


Aires quen 1824 et en repart en 1830, soit durant la dtention de Bonpland au
Paraguay. Dominique Roguin, surtout, apparat comme le nud de ce rseau
conomique ; cest lui qui incite dOrbigny partir pour Corrientes 307 . Les autres
Franais dont sentoure Bonpland Buenos Aires semblent jouer un rle
davantage secondaire 308 .
Le voyage aux Missions revt un autre aspect si on le replace dans son
contexte gopolitique. En effet, la rgion de Corrientes et du Paraguay profite
dabord au commerce anglais. Les premiers sy installer sont Tuckermann,
Postlethwaite et les frres Robertson. Les maisons anglaises bnficient de
lantriorit dimplantation au Ro de la Plata, profitant ds 1793 des guerres
rvolutionnaires, puis des guerres napoloniennes et en 1808 du renversement
dalliance en Espagne, puis ds 1811 des consquences de lindpendance, enfin
de la suprmatie maritime consacre par le Congrs de Vienne 309 . En 1811 sont
fondes

les

Chambres

Commerciales

britanniques,

organes

puissants

dinformation, de pression et de sociabilit, ferms aux trangers jusquen 1829,


date laquelle les Croles y sont admis 310 . Le 22 juillet 1817, les frres
Robertson signent un accord commercial avec le gouverneur artigueo Juan
Mndez, portant sur la vente darticles militaires 311 . En mars 1820, lintrt
britannique pour le commerce avec le Paraguay est au plus haut 312 .
La forte prsence des Britanniques ajoute une connotation nationaliste aux
projets de Bonpland. A ce propos, le projet que soumet Bonpland en 1815
sinscrit dans une continuit, linfluence franaise dans les colonies espagnoles
tant un enjeu rcurrent de la politique trangre de ce pays. Ds la Restauration,
la tentative dintronisation dun Bourbon au Ro de la Plata confirme les
ambitions politiques de la France qui acquirent, avec Grandsire, une rsonnance

306

ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, p. 82.


Ibid., p. 81.
308
Cest le cas de Pierre Benoit qui malgr sa fonction de dessinateur naccompagne pas Bonpland
dans les Missions, ou de Lacour qui assiste le botaniste.
309
Sur la politique commerciale britannique en Amrique du Sud au dbut du XIXe sicle, cf.
BERNECKER Walther, Las relaciones entre Europa y Latinoamerica durante el siglo XIX.
Ofensivas comerciales e intereses econmicos , in Hispania, vol. LIII, n 183, janvier-avril 1993,
pp. 186-188.
310
Cf. FERNS H. S., Gran Bretaa y Argentina en el siglo XIX, Buenos Aires, Solar, 1992 (1960),
p. 87.
311
CASTELLO A. Emilio, op. cit., p. 178.
312
BELL Stephen, op. cit., pp. 146-147.
307

94

Premire partie

Chapitre I

conomique. Lintention de livrer une vritable course vers le Paraguay est


confirme par une lettre de celui-ci crite Paris en septembre 1818. Grandsire,
attach lInstitut, annonce son correspondant au Ro de la Plata, Pierre Saguier,
larrive du savant Buenos Aires, en compagnie de beaucoup dautres
Franais en partance pour les anciennes missions jsuites. Grandsire se montre
trs clair :
Je vous le rpte encore, mon cher M. Saguier, ce nest pas seulement
une opration de commerce quoi vous devez penser, mais une opration
en grand, qui tout en vous procurant des avantages immdiats doit
envisager particulirement lavenir. Quelles richesses de produits doit
offrir le Paraguay! [...] Noubliez pas que, si nous prenions pied au
Paraguay, le commerce anglais recevrait un coup terrible.

313

Richard Grandsire, zl partisan dun rapprochement franco-paraguayen,


tient lui-mme ses informations remises en 1817 au ministre des Affaires
trangres des membres du gouvernement Pueyrredn 314 . Il sagit par
consquent de dconnecter lAngleterre de ce circuit conomique, les faibles taxes
permettant de gros bnfices 315 . Bonpland apporte pour sa part la garantie de
pntrer au Paraguay par lintermdiaire dAraujo, garantie apprciable puisquil
sagit de percer un nouvel axe commercial. Les intrts scientifiques et
conomiques sont donc lis au plus haut niveau, les pionniers franais faisant
office de liaison entre micro et macro-histoire. Lattitude des Franais lgard
des colonies espagnoles aprs 1815 est bien connue dans ses grandes lignes : les
gouvernements se taisent, les particuliers agissent.
Malgr lidentification de quelques uns dentre eux, il manque encore un
tableau exhaustif de ces envoys particuliers offrant une peinture exotique mais
pas trs claire (transfuges de rgimes, savants, ngociants, militaires,
aventuriers) des relations prcises entretenues avec leur gouvernement, ou leurs
apports tant en Amrique quen Europe. On pourrait par l mme en apprendre
plus concernant la carrire politique de ces agents en tout genre. Les faits
confirment les projets noncs en 1818, Bonpland partant effectivement pour le
Paraguay entour de bonapartistes.
313

Lettre cite in FOURNIAL Georges, op. cit., pp. 190-191.


La relation de Grandsire est releve in BEDERE Stphane, op. cit., p. 49. Cette remarque du
voyageur indique par contre lopinion positive du gouvernement porteo vis--vis du Paraguay,
ainsi que son intrt pour le communiquer la France.
315
CASTELLO A. Emilio, op. cit., p. 177.
314

95

Premire partie

Chapitre I

Tel est aussi le cas de Narcisse Parchappe, issu de lEcole polytechnique,


ancien officier dartillerie de lEmpire et en relation avec Bonpland Buenos
Aires 316 . Exil Montevideo, il rejoint Bonpland Corrientes via le Brsil puis
demeure quant lui au service de cette province de 1821 jusquen 1829, date
laquelle Buenos Aires parvient lenlever aux Correntinos afin de lutiliser pour
participer la consolidation de sa frontire mridionale317 . Cette petite bataille du
savoir, essentielle pour la construction des sciences rioplatenses, concide avec les
ambitions des proches de Bonpland. En effet, la province de Corrientes semble
tre un point de ralliement de plusieurs bonapartistes avant dtre celui- des
antirrosistas.

Un cercle li par lartre fluviale uruguayenne


Tout dabord, un certain nombre dassocis disparaissent de son horizon
pistolaire partir de 1831. Bien que Parchappe se soit intgr pendant plus de
dix ans dans le Ro de la Plata, il retourne finalement en Europe en 1830. Dautres
comme Brard et Voulquin sont bien l mais nentretiennent plus de relations
avec le savant bien quils soient installes Ca Cat 318 . Philibert Voulquin lui
crit au dbut de lanne 1832 pour lui signifier quil a en sa possession ses
ouvrages 319 , puis plus aucune trace de correspondance ne subsiste aprs cette date.
En aot 1834 lors dun voyage dans les Missions Bonpland rside douze jours
chez Brard qui vit toujours dans le mme pueblo, preuve que les deux hommes
demeurent en bons termes 320 . Quant Franois Chevallier, on lui en donne des
nouvelles pisodiques ; il est apparemment tanneur Corrientes en 1831 et y

316

Cf. HAMMERLY DUPUY Daniel, op. cit., p. 88.


Cf. GRAU Carlos A., El fuerte 25 de Mayo en Cruz de Guerra, con un estudio sobre las
fronteras bonaerenses, y una traduccin anotada del Diario redactado por el ingeniero Narciso
Parchappe, publicado por A. dOrbigny, sobre el viaje y operaciones de la expedicin fundadora
del fuerte, La Plata, Publicaciones del Archivo histrico de la provincia de Buenos Aires,
Contribucin a la historia de los pueblos de la provincia de Buenos Aires, vol. XXV, 1949.
318
AMFBJAD n 843, P. Voulquin Bonpland, Ca Cat, 13 janvier 1832 ; AMFBJAD n 523, P.
Brard Bonpland, Corrientes, Ca Cat, 14 octobre 1841.
319
AMFBJAD n 843, P. Voulquin Bonpland, Ca Cat, 13 janvier 1832.
320
Etant donn le lieu o se trouvent les deux hommes, il semble difficile que des liens persistent
si ce nest de manire pistolaire. Or aucune trace napparat ce propos.

317

96

Premire partie

Chapitre I

demeure encore en 1836 321 . En 1837, un compadre lui parle de chevalier


chico , probablement son fils. Enfin en 1838, depuis Corrientes, Mariano de
Sarratea crit Bonpland que Mr Chevalier a termin sa carrire 322 .
Les anciens associs du Rochelais ont donc russi leur intgration
conomique. En effet, Chevalier profite de lexpansion des tanneries Corrientes
constate par dOrbigny sous limpulsion de Biscayens 323 . Le capitaine Chamorro
linforme que Jean Cadac a acquis dAguirre 10 lieues de terres de lAguapey
jusquau Cuay chico, et Blaise Despouy depuis le Cuay chico jusqu Tariri
possde 10 autres lieues 324 . Quant Brard et Voulquin, ils semblent avoir
persist dans lexploitation ou le commerce misionero comme le prouve leur lieu
de rsidence et il ne serait pas tonnant quils demeurent en relation avec Roguin.
Ainsi, les trois compatriotes ralisent les projets commencs en 1821 alors que
Bonpland, en sortant du Paraguay, voit ses conomies dilapides par un cher
compatriote 325 .
Pourtant aprs dix ans de latence et disolement, Bonpland accorde une
importance primordiale la reconnexion avec ses compatriotes franais qui
demeurent un repre essentiel pour les plus petits services326 . Aussi lheure de
recommencer une grande exploitation, il sadresse des Franais bass Buenos
Aires et Porto Alegre 327 . Il semble que Brard et Voulquin ne soient plus partie
prenante. Il cite encore un autre Franais, Liotard qui, aprs avoir fait de
mauvaises affaires [Buenos Aires] comme confiseur soccupe avec succs de
la fabrication de sucre Ca Cat depuis 1831 malgr les obstacles climatiques 328 .
Il semble bien que la position sociale acquise par ses compatriotes incite
Bonpland prendre ses distances avec eux, prenant exemple sur leur russite pour
se lancer dans dautres projets.
321

Il est aussi reu par le Franais Grasse, mari Julie Chevalier, San Antonio de Mburucuya ;
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, 17 aot 1834.
322
Le gendre de Chevalier a pour commis le fils du matre de poste de Pay Ouvr ; AMFBJAD n
1695, voyage de So Borja Corrientes, 28-29 dcembre 1831 ; AMFBJAD n 901, H. Bacle
Bonpland, Buenos Aires, 15 aot 1836 ; AMFBJAD n 602, J. Gramajo Bonpland, Corrientes, 2
aot 1837 ; AMFBJAD n 214, M. de Sarratea Bonpland, Corrientes, 12 juillet 1838.
323
ORBIGNY A. d, op. cit., tome I, 1835, pp. 203, 349-350.
324
AMFBJAD n 1701, journal, notes diverses, 1833-1835.
325
AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
326
AMFBJAD n 1818, Vandry Bonpland, Santo Angel, 15 aot 1833 ; CAIC, journal de
voyage, Missions portugaises, 29 septembre 1833 ; AMFBJAD n 1703, voyage de So Borja dans
la province de Corrientes, 18 avril 1834.
327
AMFBJAD n 1484, E. Nouel Bonpland, Buenos Aires, 14 mai 1833 ; AMFBJAD n 1195,
Inconnu Bonpland, Porto Alegre, 20 mai 1833.
328
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.
97

Premire partie

Chapitre I

Sappuyant sur laction conomique 329 , le cercle de Bonpland soriente


particulirement vers la pntration commerciale le long des fleuves Paran et
principalement Uruguay. Aprs lchec des tentatives dinstallation au Paraguay
effectues au dbut des annes 1820 par le Paran et les annes de captivit subies
par Bonpland, celui-ci reprend contact ds sa libration avec ses anciens
compagnons de voyage, So Borja puis Corrientes. En 1832, son sjour
Buenos Aires lui permet de se connecter de nouveau avec les expatris vivant
dans la capitale portea. Les personnages composant ce cercle sont de par leurs
activits trs mobiles et trs tendus dans la rgion, puisquil sagit en grande
majorit de ngociants entretenant des liaisons commerciales directes ou non.
Une constante au sein de lvolution des relais rside dans la prsence de
compatriotes linformant de la situation des villes-ports, o se trouvent aussi les
bases arrires de ses biens. Cette continuit gographique savre indispensable au
soutien commercial. En effet, de par leurs statuts dabord, les Franais qui
demeurent en relation avec Bonpland aprs 1831 sont avant tout des ngociants. Il
y a dabord Dominique Roguin, avec qui Bonpland sassocie en 1820, avant de
maintenir avec lui une correspondance soutenue durant les dcennies postrieures.
Roguin, install dans les villes-ports de Buenos Aires puis de Montevideo, y
dveloppe une activit essentiellement base sur le march urbain. Boissire,
reprsentant de la maison Chauviteau, est lui aussi en trs bons termes avec
Bonpland en 1832 Buenos Aires ; ils se voient presque autant que avec Aim
Roger, la personne la plus proche du savant 330 . A la fin des annes 1830, la
principale source dchanges que constitue Buenos Aires est abandonne au profit
de Montevideo et Porto Alegre. Mais jusque l les liens avec Buenos Aires sont
privilgis puisquil sagit du principal dbouch de lUruguay.
Roguin se prsente ce titre comme un relais sr le long de la faade
atlantique, au mme titre que Joseph Ingres dont la maison-mre se trouve Porto
Alegre 331 . Ses activits sont cependant nettement plus tendues vers lintrieur.
En effet, install lui-mme So Borja depuis 1820, au carrefour entre le Brsil et
329

Outre le contournement des obstacles diplomatiques que permet aisment laction conomique,
elle sert la fois la pntration franaise en Amrique du Sud et les intrts rioplatenses.
330
AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
331
Joseph Ingres, rsident au Brsil depuis 1820, possde deux maisons de commerce, lune
Porto Alegre o se trouve son associ Robillard, lautre So Borja o il rside lui-mme depuis
novembre 1830 ; AMFBJAD n1510, J Ingres J. G. R. de Francia, So Borja, 1835. La lettre est
rdige par Bonpland.
98

Premire partie

Chapitre I

le Paraguay, le Franais est oblig de fuir Buenos Aires au dbut des annes 1830
pour trafic darmes 332 . Il dveloppe alors un vaste rseau commercial le long du
ro Uruguay, depuis Montevideo jusquau Paraguay, avec des succursales Salto
dans la Bande Orientale et Itaqui au Brsil diriges par des compatriotes. A lest
du ro Uruguay, un autre associ occupe un terrain Santo Angelo, sur la route de
Porto Alegre. A louest de ce fleuve, Ingres pntre au Paraguay par
lintermdiaire des ngociants correntinos et riograndenses. En 1835, il tente sans
succs de dvelopper des rapports commerciaux avec Jos Gaspar Rodrguez de
Francia en lui garantissant les bonnes dispositions du nouveau gouvernement
franais 333 . Bonpland retrouve Ingres en 1836 lorsquil se rend Buenos Aires 334
alors quil est install dsormais Salto 335 . Au dbut de la Guerra Grande, Ingres
offre ses services au gouvernement de Corrientes par lintermdiaire de Bonpland,
avant de disparatre de son horizon pistolaire 336 .
Cependant, Dominique Roguin, Jos Ingres et leurs associs franais
nentretiennent pas de relations conomiques fortes avec Bonpland, du moins les
sources ne permettent-elles pas daffirmer quil ait exist des projets
dassociation. A cet gard, un travail considrable reste effectuer afin de
complter, de manire aussi exhaustive que possible, une typologie des acteurs et
des solidarits franaises dans le Ro de la Plata de la premire moiti du XIXe
sicle. A lintrieur mme du cercle dont fait partie Bonpland, peu de
renseignements affleurent concernant ses compatriotes.
Dautres acteurs conomiques rsidant lInterior font leur apparition, tel
Despallire qui a acquis une estancia dans lEntre Ros 337 et qui laccueille
Paysand 338 . Serny qui commerce pour Joseph Ingres et son associ canadien
Robillard Santo Angel 339 lui devient trs li lorsque Bonpland sinstalle So

332

Ils esprent le retrouver Colonia ; AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja,
13 octobre 1832.
333
AMFBJAD n 1510, J. Ingres Francia, So Borja, 1835.
334
AMFBJAD n 1710, voyage de So Borja Santo Thom, 18 juin 1836.
335
AMFBJAD n 614, J. Ingres Bonpland, Salto, 10 juillet 1836.
336
Cf. BELL Stephen, op. cit., p. 264.
337
AMFBJAD n 1023, D. Roguin Bonpland, Buenos Aires, 9 aot 1833.
338
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 22 octobre 1832.
339
CAIC, journal de voyage, Missions portugaises, aot-octobre 1833.

99

Premire partie

Chapitre I

Borja 340 ; Vandry entre en relation avec les deux hommes depuis Santo Angelo 341 .
Il visite aussi plusieurs franais dont Sacriste, Duval et Lasserre 342 .
Henri Cadac, qui apparat frquemment dans les notes de Bonpland,
commerce entre les missions brsiliennes et Buenos Aires puis Montevideo. Il
joue avec les frres Lardapide un rle dintermdiaire pour les Franais qui
habitent le haut de lUruguay 343 . Cadac partage avec Bonpland la mme passion
pour la botanique, car des planches peintes par lui se trouvent au Musum
dHistoire naturelle de Paris sans que lon puisse en tablir la provenance. Parmi
la profession mdicale, deux confrres installs au Rio Grande do Sul apparaissent
de manire rcurrente. Il sagit dApollon de Mirbeck et de Bocquin des Hilaires,
pour lesquels il savre difficile de dresser un portrait dtaill. Comme les
voyageurs sattardent peu sur les conditions de vie de leurs compatriotes, le dtail
de leurs conditions de vie demeure inconnu.
Toutefois, ils appartiennent dans lensemble la catgorie des classes
moyennes ; ils sont mdecins, imprimeurs, artisans, professeurs, leveurs,
exerant souvent dailleurs plusieurs de ces activits, et aussi souvent amens en
changer. Cette mobilit professionnelle facilite les rencontres et les associations.
Tel est le cas dEdouard Nouel qui, aprs avoir essuy un chec Buenos Aires
dans la fabrication de chandelles, part avec son ancien associ Arsne Isabelle
pour rejoindre Bonpland, afin de se livrer la vie aventureuse des voyages dans
les missions 344 . Dune manire gnrale ces contacts apparaissent progressistes
dans le domaine conomique, la libre navigation tant essentielle pour eux, mais
aussi politiquement ; il sagit dun noyau qui saccorde sur le parti de la paix pour
leurs affaires.
Limplication de Bonpland le long de la frontire argentino-brsilienne
quivaut celle dAntoine Thedy, surnomm le pre des Franais345 malgr
son origine suisse, le long de la frontire argentino-uruguayenne. Les deux

340

AMFBJAD n 1703, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, 18 avril 1834.


AMFBJAD n 1818, Vandry Bonpland, Santo Angelo, 15 aot 1833.
342
AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires Concordia, 15 mars 1837.
343
Bonpland orthographie ce dernier La Serre. Au sujet des relations entre Franais, Henri
Cadac est en relation avec Bonpland, Ingres et Crat en 1835. En 1841, il assure la liaison entre
Montevideo et Salto ; AMFBJAD n 1168, H. Cadec Bonpland, Itaqu, 24 octobre 1835 ;
AMFBJAD n 1378, H. Cadac Bonpland, Montevideo, 6 janvier 1841.
344
AMFBJAD n 1161, Garnier frres Bonpland, Buenos Aires, 18 septembre 1833.
345
ISABELLE Arsne, Viaje a la Argentina, Uruguay y Brasil, 1830-1834, Buenos Aires, Emec,
2001 (1835), p. 178.

341

100

Premire partie

Chapitre I

hommes sapparentent des chargs daffaires officieux, soucieux des avoirs et


des solidarits de la petite communaut franaise. Au dbut des annes 1830,
Antonio Thedy qui rside Salto sapprte essayer de cultiver la yerba et
demande Bonpland la marche suivre ainsi que des graines 346 . Pour sa part,
Bonpland entreprend un voyage la fin de lanne 1832 au nom de la science
mais avec aussi des vises conomiques long terme. En effet, il est question
dtablir dans la zone misionera une scierie et de faire venir une machine
tisser 347 . Bonpland semble avancer un moment ttons avant den revenir ce
quil sait faire de mieux, cest--dire lagriculture. Car de lautre ct de
lUruguay les colonies agricoles commencent fleurir. Lindpendance
uruguayenne, acquise en 1828, amne les premires entreprises prives
dimmigration sous lgide de Francisco Aguilar, Juan Mara Prez, Jorge
Tornquist et Samuel Fisher Lafone, les migrants tant de 1830 1842 pour moiti
des Franais 348 . Or, Bonpland se lance au cours de cette priode dans une
exploitation grande chelle dont lanalyse dtaille figure dans le chapitre VII.
Retenons dors et dj de cette nouvelle association quelle implique parmi ses
membres le vice-consul Buenos Aires Aim Roger, ami devenu intime au mme
titre que Roguin. Enfin, au moment de lclatement de la Guerra Grande le savant
est sur le point de sassocier avec Louis Nascinbene dans une entreprise constitue
de part et dautre du fleuve Uruguay 349 . Mais les liens des Franais le long de
lUruguay se brisent avec Buenos Aires partir du blocus de 1838. Ces relations
se caractrisent donc par leur caractre transfrontalier, suivant un triangle
Corrientes-So Borja-Buenos Aires au cours des annes 1830, puis CorrientesSoBorja-Montevideo par la suite, comme le montrent les cartes pages suivantes.

346

AMFBJAD n 1116, A. Thedy Bonpland, Salto, 8 octobre 1833.


AMFBJAD n 1484, Nouel Bonpland, Buenos Aires, 14 mai 1833 ; AMFBJAD n 1195,
Inconnu Bonpland, Porto Alegre, 20 mai 1833.
348
KLEINPENNING Jan M.G., op. cit., pp. 221, 226.
349
AMFBJAD n 168, L. Nascinbene Bonpland, 26 avril 1839 ; AMFBJAD n 727, Bonpland
L. Nascinbene, Santa Ana, 4 juin 1839.
347

101

Premire partie

C.

LE

Chapitre I

CHEMINEMENT

VERS

LIMMERSION

TRANSNATIONALE

Trs rapidement aprs son arrive Buenos Aires, la ncessit dune


protection politique devient obsolte cause de linstabilit gouvernementale
bonaerense face laquelle Bonpland ne dispose pas de soutiens solides. Pour ce
motif, il envisage un retour en France ds 1818, tout comme lors de la dgradation
politique des annes 1830. Le choix de demeurer en Amrique est soutenu dans
les deux cas par son adaptation aux intrts dfendus par les rseaux quil intgre.
Dans le premier cas, il peut sappuyer sur un cercle suffisamment solide pour le
convaincre quun voyage au Paraguay est possible. Dans le second cas, il choisit
de simpliquer directement dans la lutte politique pour soutenir la faction quil
sest choisi. Entre ces deux moments le Franais passe dun rle de conseill
celui de conseiller, la protection politique octroye impliquant un certain nombre
de devoirs dont lincorporation au parti du protecteur constitue le premier dentre
eux.
Il sagit en somme dun mlange de clientlisme et de compadraje auquel
Bonpland doit se plier avec plus ou moins dinclination durant les dcennies
suivantes. Jusquen 1835, Aim Bonpland se considre encore comme un
voyageur 350 . Cette mentalit explique ses jugements qui changent partir de cette
date. Une apprhension plus fine des enjeux politiques locaux ainsi quune
immersion au sein des provinces littorales, notamment en matire conomique
sont les deux principes auxquels Bonpland sattache. Ces deux principes modlent
son discours durant toute la dcennie 1830, et au-del. Mais partir de 1835, la
confrontation directe aux ralits rioplatenses, et principalement aux conflits,
loblige faire concider le discours et les actes.

350

Cf. le graphique n 1, p. 110. La nature et le nombre des correspondants indiquent que


Bonpland tisse encore peu de liens avec les Rioplatenses.
102

Premire partie

Chapitre I

Carte n 2
Relations pistolaires dtailles entre A. Bonpland et ses compatriotes (18311858)

Source : AMFBJAD, CAIC, AGPC, MNHN, AGNBA, AGNM.

103

Premire partie

Chapitre I

Carte n 3
Relations pistolaires simplifies entre A. Bonpland et ses compatriotes
(1831-1858)
Le nombre de correspondants se divise dans chaque province ou Etat entre les correspondances
effectues lintrieur de laire gographique concerne et celles effectues dune aire
gographique vers lautre.

Source : AMFBJAD, CAIC, AGPC, MNHN, AGNBA, AGNM.


104

Premire partie

Chapitre I

1. Limmersion correntina
Les annes 1830 voient le retour et la publication des ouvrages dAlcide
dOrbigny, dont une part notable est consacre lArgentine et particulirement
Corrientes, province que Bonpland apprend connatre son tour puisquil y vit
de manire sporadique partir de 1831, puis sy installe en 1838. Il sagit donc
dune vision complmentaire, prolongeant celle dautres Europens propos dun
pays en formation de la part dun voyageur qui, la diffrence de dOrbigny,
dcouvre son statut dimmigr en mme temps quil dcouvre la socit
rioplatense.
Des noces des patriotismes argentins et franais leur confrontation,
comment Aim Bonpland parvient-il concilier patriotisme et amricanisme ?
Enlev en 1821 par le dirigeant du Paraguay, libr en 1831 alors que le Ro de la
Plata connat les difficults inhrentes la construction politique nes de
lindpendance, Bonpland en devient alors un prcieux tmoin avant que den tre
un participant. A travers son immersion politique, le naturaliste devient aussi
acteur et informateur au sujet de la question de lidentit nationale souleve par
lhistoriographie argentine 351 .

Le discours du voyageur
Lors du banquet patriotique clbr Buenos Aires par la communaut
franaise en janvier 1832, Bonpland salue le Restaurateur des lois Juan
Manuel de Rosas alors champion de la lgalit et de lordre. A ce titre il se flicite
de la nouvelle des captures de Lavalleja 352 et du colonel Garzn, adversaires de
351

Ce dbat nat avec lindpendance, les analyses abondant depuis cette poque. Parmi les
travaux offrant une synthse concernant lespace et le temps de Bonpland, cf. TJARKS Germn O.
E., Momentos crticos en la bsqueda del ser nacional en el Ro de la Plata , in Jahrbuch fr
Geschichte von Staat, Wirtschaft und Gesellschaft Lateinamerikas, Bhlau Verlag, n 6, pp. 239256 ; QUATTORCHI-WOISSON Diana, Un nationalisme de dracins. LArgentine pays malade
de sa mmoire, Paris, CNRS, 1992 ; VELUT Sbastien, LArgentine. Des provinces la nation,
Paris, PUF, 2002 ; VILLAVICENCIO Susana, Sarmiento y la emergencia de la nacin cvica ,
in COLOM GONZALES Francisco (d.), Relatos de Nacin: la construccin de identidades
nacionales en el mundo hispnico, Madrid, Francfort, Iberoamericana, Vervuert, 2005, vol. 1, pp.
171-190.
352
Juan Antonio Lavalleja (1784-1853) est un militaire et patriote uruguayen. Il met en route le
second mouvement dindpendance de son pays, aprs lchec dArtigas, lorsquen 1825 il passe
105

Premire partie

Chapitre I

Rosas, par le gnral brsilien Barreto Pereira Pintos 353 . Rosas apparat
probablement dans lesprit de Bonpland comme lhritier des Pueyrredn et des
Rondeau tentant une quinzaine dannes plus tt dunifier le pays. Cette tendance
lunit laquelle adhre Bonpland correspond sa vision de Rosas, mais
Bonpland est aussi certainement attir par lhomme providentiel capable de
fdrer une nation et de permettre denvisager des rapprochements idologiques et
tangibles entre la monarchie de Juillet et la Confdration Argentine rappelant les
idaux croiss exprims entre 1815 et 1821.
Cette admiration vis--vis de Rosas est confirme par lethnocentrisme
politique du Franais qui constitue une grille de lecture aboutissant un jugement
uniforme des gouvernements amricains : aveugles, ambitieux, ayant la folle
prtention de sassimiler nos anciens gouvernements dEurope . Il prvoit leur
chute infaillible, cause par limminence de guerres intestines comme extrieures.
Cette socit rgresse, mine par les luttes de partis aveugles et ambitieux 354 .
Quant aux Amricains en gnral, ils ne sont pas encore dignes dtre
libres 355 . Ces phrases crites elles-aussi en 1832 ne contredisent pas la pense
de ce bonapartiste partisan dun rgime fort mais traduisent sa vision
manichenne et continentale, cest--dire globale, de la politique. Comme la
plupart des voyageurs, Bonpland interprte difficilement la construction politique
argentine. Darwin, pourtant non rput pour son faible envers les dictateurs, crit
que la tyrannie semble jusqu prsent mieux adapte ces pays que le
rpublicanisme 356 ; aussi le Britannique juge-t-il positivement Rosas en tant
quhomme dEtat 357 . Pour sa part, Narcisse Parchappe le compare un Hercule,
moins homme dEtat que chef de troupe mais capable, en 1836, de redresser le
pays 358 . Aussi, les jugements assns par Bonpland au dbut des annes 1830

de Buenos Aires avec les Trenta y Tres Orientales do devait natre larme de lindpendance
dfinitive, proclame en 1828. Il est second par Fructuoso Rivera, lequel devient le premier
prsident de lUruguay en 1830.
353
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 23 octobre 1832.
354
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 90.
355
Ibid., pp. 90-91.
356
DARWIN Charles, Voyage dun naturaliste autour du monde, Paris, La Dcouverte, 1992
(1875), vol. 1, p. 141.
357
Ibid., vol. 1, p. 80.
358
ORBIGNY Alcide d, op. cit., pp. 630-632.
106

Premire partie

Chapitre I

sont-ils similaires ceux dautres voyageurs et penseurs contemporains qui


prolongent, en substance, lancienne dispute du Nouveau Monde 359 .
Rosas apparat donc comme le sauveur dont a besoin le pays. Cependant, il
nest pas le seul faire ladmiration de Bonpland. En effet, Pedro Ferr aussi
profite de ses louanges. Ds le contact tabli avec le gouverneur de Corrientes, en
1831, Bonpland lui promet que
ma conduite et le temps vous donneront les preuves les plus sincres de
ma plus profonde et sincre gratitude.

360

Aussi dcrit-il en 1832 avec la mme emphase la province de Corrientes comme


la plus riche, la plus libre et la plus heureuse dAmrique du Sud

361

Pourtant le Franais sadresse un adversaire de Rosas. Ce discours contradictoire


laisse transparatre une incomprhension de la politique argentine.
Cette contradiction ainsi que la vision dune socit arrire sexpliquent
par la vision continentale de Bonpland. En effet, ses commentaires politiques sont
en dcalage avec lespace et le temps dans lesquels il vit. Ses notes dcrivent
surtout les guerres dindpendance passes, la vision voulant couvrir dailleurs le
continent dans son entier. En effet, lAmrique du Sud est le prisme par lequel
Bonpland peroit la vie politique, quil voque les relations internationales ou
provinciales. Ainsi de la France qui, en 1832, doit venir sauver lAmrique. Ainsi
dArtigas, en qui il voit un homme capable de diriger le sous-continent entier ;
ainsi de la province de Corrientes, quil dcrit comme la province la plus prospre
dAmrique du Sud 362 . Cette gnralisation du discours, outre quelle ne peut
sappuyer sur la dcennie coule quil vit coup des changements intervenus
dans lhistoire des nouveaux Etats, dvoile aussi une absence de clairvoyance vis-vis de la situation politique et de ses nuances.
Le politique nest quune toile de fond, et Bonpland dans un premier temps
nen atteint que la partie merge, cest--dire les plus hauts dirigeants : les
prsidents argentins et uruguayens, le gouverneur de Tucumn et celui de
Corrientes bien sr, dont lamiti est base sur un mme attachement lesprit des
Lumires. Mais le contenu des changes entre Ferr et Bonpland ne fait nullement
359

Cf. GERBI Antonello, op. cit., pp. 559-721.


mi conducta y el tiempo le daran las pruevas mas sinceras de mi mas profunda y sincera
gratitud. , AMFBJAD n 25, Bonpland P. Ferr, So Borja, 14 dcembre 1831.
361
AMFBJAD n 24, Bonpland P. Ferr, So Borja, 17 octobre 1831.
362
AMFBJAD n 24, Bonpland P. Ferr, So Borja, 17 octobre 1831 ; AMFBJAD n 1698,
voyage de Buenos Aires So Borja, octobre 1832.
360

107

Premire partie

Chapitre I

allusion aux tensions que connat la province. Le consulat franais et la haute


socit de Buenos Aires ferment le cercle de ses premires relations. Quant aux
autorits subalternes, et avant tout militaires, limage quil en donne dnote un
mpris et une incomprhension des acteurs et des enjeux politiques. Mpris pour
les titres militaires quil juge pompeux au vu de la ralit du commandement
exerc, mpris pour les officiers dont il note la nullit ; incomprhension du
fractionnement politique, de lmergence des Etats-provinces 363 qui
prolongent par les luttes civiles les guerres dindpendance au lieu de sy
opposer.
La question de la construction nationale mise au premier plan par Pedro
Ferr est tout au plus pour lui une gne dans son travail scientifique, qui
loccupe entirement jusquen octobre 1832, date laquelle il remet au Musum
dhistoire naturelle de Paris vingt-cinq caisses de matriaux dhistoire naturelle 364 .
Le discours est un discours dordre, au nom du bien public, dfini comme le
dveloppement du commerce, du libre change et du bon gouvernement 365
quil retrouve la fois chez Rosas et chez Ferr. Nanmoins, la cl de son
aveuglement se trouve dans une note de son journal crite lors de son dpart de
Buenos Aires au mois doctobre 1832 ; elle concerne sa conviction de voir la fin
proche du conflit entre unitaires et fdralistes 366 .

Laccs la notabilit
A sa sortie du Paraguay, Bonpland choisit immdiatement de consolider
les contacts esquisss en 1821 avec loligarchie correntina. Malgr la protection
offerte par Fructuoso Rivera, le prsident du nouvel Etat uruguayen, il prfre se
tourner vers celle propose par le gouverneur de Corrientes Pedro Ferr avec
363

Lexpression est employe in CHIARAMONTE Jos Carlos, op. cit.


AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, octobre 1832. En 1837, il ne remet
que trois caisses au Musum.
365
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 28 dcembre 1831 ; AMFBJAD n
1737, voyage de Corrientes Montevideo, octobre 1840 ; AMFBJAD n 2036, Banquet
Patriotique clbr par les Franais habitant Buenos Aires, 29 juillet 1832. Rappelons que Ferr
emploie des moyens similaires lintrieur de la province quil dirige ; en effet, il obtient en
janvier 1831 la sanction dune loi lui octroyant les pleins pouvoirs en matire de chtiment pour
toute atteinte lordre public, loi de facults extraordinaires selon lanalyse de CASTELLO A.
Emilio, op. cit., p. 252.
366
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 14 et 23 octobre 1832.
364

108

Premire partie

Chapitre I

lequel il est li damiti depuis 1821 et qui est alors le chantre de lidentit
correntina, se prononce contre les tratres la province installs Buenos Aires
ds le dbut des annes 1820 367 . Cette position annonce les choix futurs de Ferr
comme de Bonpland, savoir pour ce dernier une rupture davec les
atermoiements des annes 1810-1820 368 . Elle est stimule par les liens nous avec
Ferr devenu gouverneur de la province, lintgration de ses anciens compagnons
de voyage grce la protection accorde par les autorits locales et le dsir de
mener bien son entreprise avorte en 1821. Aussi poursuit-il en 1831 dans la
voie de lintgration en cherchant des soutiens au plus haut niveau.
De 1831 1834, Bonpland entretient peu de rapports avec les Amricains,
ce qui sexplique par son statut de voyageur. Ses notes de voyage datant de 1834
font apparatre une esquisse dtude conomique de la province. Il dsire que le
gouvernement correntino mette fin la fraude des mesures 369 et se montre
soucieux du bien public, comme en tmoigne ses commentaires sur la production
de sirop value 80 000 arrobes et piastres pour lanne 1833 qui est mauvaise
; cela est peu pour un tat mais, nuance-t-il, il sagit dune autonomisation
louable vis--vis de limportateur traditionnel de canne sucre paraguayen.
Surtout, cela reprsente beaucoup pour un nombre infini de particuliers 370 ,
lexploitation se dveloppant autour de petites structures contribuant beaucoup
lexistence des habitants de la Province de Corrientes 371 . La production du tabac
367

no debis tener confianza en aquellos que viven entre esos hombres , FERRE Pedro, op. cit.,
tome I, p. 36.
368
Linstallation de Bonpland dans cette partie du Ro de la Plata nest pas effectue dans le but
dattendre la venue dune compagne paraguayenne, comme lcrit Philippe Foucault dans sa vision
romantique. Il semble plus logique dy voir au contraire la concrtisation dun projet esquiss en
1821 mais non ralis en partie cause des rticences de sa compagne dj peu encline supporter
les conditions de vie bonaerense. Sa disparition aide probablement Bonpland dans son choix de
sinstaller dans les Missions ; cf. FOUCAULT Philippe, op. cit., p. 285. Aucune source ne prouve
que Bonpland fonde une famille durant sa dtention paraguayenne.
369
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.
370
Ibid.
371
Ibid. La canne sucre est la branche dagriculture favorite pour tous les hommes qui ont
quelques capitaux. Bonpland numre les principaux lieux o la canne est cultive : dabord Ca
Cat, San Antonio de Mburucuya, San Luis del Palmar, San Antonio, Arrerumgua. Moins
importants sont Saladas, San Roque, les bords du San Lorenzo, el Sombrero, Corrientes, las
Lomas, las Encenadas, Itat, Goya et Bella Vista. La culture utilise les terrains occups par les bois
de palmiers. Son intrt pour cette branche est sans cesse stimul par les chiffres que lui donnent
les particuliers. Basterrechea install sur les bords du San Lorenzo, lui affirme que 100 plants de
canne donnent deux azumbres ou huit frascos, et quatre azumbres de mosto donnent une azumbre
de sirop. A Sombrero, Serapio Mantilla obtient les mmes rsultats. Ces chiffres sont nettement
suprieurs ceux du Paraguay, de Ca Cat et de Corrientes. Pour cette dernire ville, la proportion
est de 5 ou 6 pour 1 ; AMFBJAD n 1706, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, 20
et 21 aot 1834.
109

Premire partie

Chapitre I

pour la mme anne est value 12 000 arrobas, dont 5 000 pour le dpartement
de Ca Cat, donnant un produit de 48 000 piastres 372 . Ces notes, destines une
publication, montrent nanmoins une curiosit et une implication qui croissent
rapidement.
A partir de 1834, il commence se lier vritablement avec la communaut
franaise de la province de Corrientes mais surtout avec les notables et les
militaires de cette province. On peut constater un changement dans la nature de sa
correspondance daprs le graphique n 1, europenne pour 40% depuis sa
libration au mois de fvrier 1831 jusqu la fin de lanne 1834, puis de plus en
plus amricaine.
Graphique n 1
Correspondants d'Aim Bonpland

Correspondances changes

(1831-1845)

300
250
200
150
100
50
0
1831

1833

1835

1837

1839

1841

1843

1845

Annes

Corrientes
Pays limitrophes

Brsil
Europe

Sources : AMFBJAD, CAIC, AGPC, MNHN, AGNBA, AGNM.

Comme en 1817, Bonpland acquiert rapidement un statut de notable


partir de 1831. Dans la capitale provinciale tout dabord, aprs un premier sjour
au dbut de lanne 1832 Bonpland est appel au chevet de la famille Araujo en
1834. Apprenant ce voyage et apprenant que Bartolom Noguera lui offre
372

AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834. Pour
lanne 1834, Bonpland estime la rcolte de miel de Ca Cat 3 000 arrobas, celle de
Mburucuy 7 500 arrobas. Concernant le tabac, la production respective de Ca Cat et
Mburucuy est estime 6 ou 8 000 arrobas, et 3 4 000 arrobas ; AMFBJAD n 1706, voyage
de So Borja dans la province de Corrientes, 20 aot 1834.
110

Premire partie

Chapitre I

lhospitalit, Esteban Mara Perichn lui demande, sur la requte de son pouse
Pastora, de venir sinstaller chez eux. Dans le mme temps, Pedro Ferr charge un
employ de venir ses devants et de laccompagner jusque chez lui 373 . Ces petites
luttes hospitalire vis--vis du savant sont caractristiques des sociabilits prives
et rvlatrices du statut dont Bonpland jouit auprs des lites de la ville. Elles se
poursuivent de manire rcurrente jusquen 1839 374 .
Il noue dans le mme temps des relations damiti avec les familles
Fonseca, Gramajo 375 et Perichn, cette dernire devenant particulirement intime.
Trs fiers de leur ascendance franaise, cette identification des Perichn facilite
srement leur amiti 376 . Ils permettent Bonpland dentrer en relation notamment
avec Serapio Mantilla, figure politique de la ville, propos dune affaire de
biens 377 . En 1835, Esteban Mara Perichn va jusqu lui demander de venir vivre
leurs cts, arguant quil pourrait vivre en paix, au milieu des plantes dont il
pourrait dcouvrir les vertus mdicinales et au milieu des personnes qui toutes
lapprcient 378 .
Lors de son sjour Curuz Cuati, les 28 et 29 dcembre 1831, Bonpland
fait connaissance avec la petite oligarchie du village 379 et prend lhabitude de
loger chez les Araujo 380 , une famille correntina notable. A San Roque, en 1834, il
en fait une fois de plus lexprience :

373

Avec toutes les formes usites : espera sera Vd firme y constante a no despreciar su antiguo
rancho en donde lo aguardamos con ancia , AMFBJAD n 346, E. M. Perichn Bonpland,
Corrientes, 20 aot 1834 ; AMFBJAD n 105, P. Ferr Bonpland, oratorio del Carmen, 30 aot
1834.
374
AMFBJAD n 1726, journal, Corrientes, 10 novembre 1839.
375
AMFBJAD n 358, J. Perichn Bonpland, Corrientes, 21 octobre 1842.
376
AMFBJAD n 345, E. M. Perichn Bonpland, Corrientes, 27 mai 1821.
377
Il lui conseille de laisser ses chevaux chez Serapio Mantilla au lieu de les emmener jusqu
Corrientes pour quils soient en scurit ; AMFBJAD n 346, E. M. Perichn Bonpland,
Corrientes, 20 aot 1834.
378
Bartolom Noguera partage ce sentiment ; AMFBJAD n 347, E. M. Perichn Bonpland,
Batel, 1er janvier 1835 ; AMFBJAD n 734, B. Noguera Bonpland, Corrientes, 15 fvrier 1835.
379
Il sagit du commandant Mariano Araujo et de son frre le capitaine Antonio, de lancien
commandant Ledesma, des ngociants et estancieros Juan et Jos Mara Baraado, du colonel
Ramrez, dAntonio Vivar et Joacqun Madariaga ; AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja
Corrientes, 28-29 dcembre 1831. Lors de la fte clbre le 25 mai 1837 les autorits principales
sont : Araujo et Ramrez, le colonel Lpez chico et le lieutenant-colonel Bern de Astrada.
AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 24 mai 1837.
380
Ibid.
111

Premire partie

Chapitre I

aussitt mon arrive les visites propres des pays Espagnols ont
commenc. M.Mr rolon, Delgado, Romero, fernandez, Rodriguez et une
multitude dhabitants sont venus augmenter la fatigue du voyage.

381

Il devient familier de loligarchie de Ca Cat la mme anne 382 puis de celle de


San Roque en 1836 383 . En 1837, Mariano Araujo tant absent de Curuz Cuati il
rencontre pour la premire fois le commandant Pucheta 384 . Enfin, il rencontre
celle de Bella Vista en 1838 385 .
Le compadraje lui permet de devenir familier des clans correntinos car il
sintgre en outre la logique terrienne provinciale 386 . En 1835 un premier projet
auquel est associ Symonds fait appel aux relations du lieutenant-colonel Bern
de Astrada 387 qui senquiert des terrains disponibles. Il est question dacqurir un
terrain au Rincn de la Merced, mais laffaire choue malgr lappui dAraujo388 ,
son rseau ntant pas encore assez puissant. A cette date, Bonpland se considre
lui-mme encore comme un voyageur et commence seulement tisser un vritable
rseau. Aussi lui faut-il attendre deux ans pour quil obtienne un terrain, signe de
lacquisition dun rel statut social.
En mme temps quil tisse un rseau Aim Bonpland acquiert un rle
dintermdiaire trs rapidement. Dans une lettre date du dbut de lanne 1834,
Pierre Nascinbene se flatte de son amiti reue Corrientes, qui lui a permis

381

AMFBJAD n 1704, voyage dans la province de Corrientes, 4 mai 1834. Lintrt manifest
par les lites hispano-amricaines vis--vis des savants est dj exprimente par Bonpland et
Humboldt lors de leur voyage commun, par exemple Caracas ; cf. ACUA MENDOZA
Enrique, Alejandro de Humboldt y su relacin con la lite criolla en la ciudad de Caracas, 17991810 , in Ensayos Histricos, n 10, 1998, pp. 35, 39-40.
382
Francisco Bernab Esquivel commandant, Benigno Alcaras, Remigio et Alejandro Soleil ;
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.
383
Il y rencontre madame Vivar et la famille Fernandez ; AMFBJAD n 1711, voyage de So
Borja Corrientes. 22 septembre 1836.
384
AMFBJAD, n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 9-10 avril 1837.
385
AMFBJAD n 1723, voyage de Corrientes Santa ana, 2 juillet 1838.
386
AMFBJAD n 374, Juan B.Pucheta Bonpland, So Borja, La Cruz, 14 fvrier 1836.
387
Genaro Bern de Astrada (1801-1839) suit une carrire militaire dans la province de
Corrientes ; nomm gouverneur la mort de Rafael de Atienza, en 1837, il rveille les conflits
latents avec Buenos Aires. Corrientes exige la libre navigation de ses fleuves, lhabilitation de
ports pour le commerce outre-mer ainsi que llaboration dune constitution nationale court
terme. En outre, lEntrerriano Echage envahit la province en 1838 pour la punir de ne pas avoir
envoy de troupes Oribe. Pour se protger dune nouvelle invasion, Bern de Astrada cherche
lappui de Rivera, ce qui le convertit en ennemi dclar de Rosas. Le 31 mars 1839 il est dfait et
tu par lalli entrerriano de Juan Manuel de Rosas, Pascual Echage.
388
Le terrain doit tre achet une veuve 600 pesos, en sus des frais, avec prs de 900 terneros
pour 2 pesos pice, prix jug exorbitant, ainsi que tous les outils. Elle donne la prfrence
Francisco Cartis de Goya ; AMFBJAD n 1113, E. Symonds Bonpland, Curuz Cuati, 30 mars
1835.
112

Premire partie

Chapitre I

dobtenir un traitement par Ferr 389 . En 1836 son degr de respectabilit est tel
quil obtient un passe-droit pour faire passer du cheptel hors de la frontire
argentine 390 . Appel en septembre au chevet de Pedro Cabral, chef du parti fdral
de la province, il se heurte Faustino Ros, jeune homme l air suffisant qui
lui dnie le passage du ro Miriay. Face au peu dattention porte la
recommandation du commandant Serapio Pucheta, Bonpland semporte et note
dans son journal :
oblig de me facher. jinspire de la crainte et on se determine me
conduire et me faire passer le Mirian.

391

Comme dautres trangers, un facteur important rside dans limmersion


rapide au sein des socits locales, surtout par le biais de lassociationnisme
conomique 392 ; ils forment ou intgrent des socits mixtes et emploient de la
main duvre locale. Mais sils sont immergs, ils sont loin dtre bien reus.
Bonpland fait figure dexception dans la mesure o il parvient intgrer la plupart
des clans de Corrientes. Aussi joue-t-il les intermdiaires auprs de ses
compatriotes pour obtenir des concessions de terrain, des marchs publics ou
diverses recommandations auprs des autorits. Il devient lui-mme rapidement
un personnage auquel il faut rendre visite lors de son passage. Enfin, en 1839 le
vainqueur de Pago Largo sadresse lui pour obtenir la garantie de la neutralit
des trangers, Bonpland se positionnant dsormais comme un reprsentant
minent de la petite communaut europenne 393 .

389

AMFBJAD n 167, P. Nascinbene Bonpland, Paran, 17 fvrier 1834.


Malgr lautorisation ncessaire au dplacement des btes, Juan B. Pucheta compte livrer celles
de Bonpland So Borja por qe estoy seguro qe mi Gobno no me h de desaprobar toda cosa qe
remitida para V. , AMFBJAD n 374, J. B. Pucheta Bonpland, La Cruz, 14 fvrier 1836.
391
AMFBJAD n 1711, voyage de So Borja Corrientes. 19 septembre 1836.
392
Les socits commerciales fondes ce moment sinscrivent dans lmergence de nouveaux
rapports sociaux contractuels qui se superposent ou remplacent les formes dorganisation sociale
fondes sur les rseaux familiaux ; cf. GONZALEZ BERNALDO Pilar, op. cit., pp. 94-95.
393
AMFBJAD n 727, Bonpland L. Nascinbene, Santa Ana, 4 juin 1839 ; AMFBJAD n 616, J.
Ingres Bonpland, Salto, 14 mars 1839. AMFBJAD n 1592, Bonpland P. Echage, Santa Ana,
9 juin 1839.
390

113

Premire partie

Chapitre I

De Rosas Ferr : limmersion politique


La gographie des rseaux que nous ne pouvons quesquisser, du fait de
leur caractre fragmentaire 394 , nous semble toutefois suffisamment riche pour tre
prsente 395 . Le moyen utilis pour mesurer lvolution des rseaux sappuie sur
lensemble connu de la correspondance change par le Franais. Bien quelle ne
soit pas exhaustive, elle permet den retracer fidlement lvolution. Le graphique
n 2, reprsentant les fluctuations des changes pistolaires entretenus de 1831
1858, rsume assez exactement lvolution gographique et lintensit de ces
liens.
Graphique n 2

Correspondances d'Aim Bonpland


(1831-1858)

Correspondances changes

200
180
160
140
120
100
80
60
40
20
0
1831-33

1834-36

1837-39

1840-42

1843-45

1846-48

1849-51

1852-54

1855-58

Annes
Corrientes
Pays limitrophes

Brsil
Europe

Sources : AMFBJAD, CAIC, AGPC, MNHN, AGNBA, AGNM.

Deux phases peuvent dors et dj tre distingues. La premire allant de


1831 1842, la seconde depuis cette date jusquen 1858. Au cours de la premire
phase, on constate une immersion croissante vis--vis du Ro de la Plata, et
particulirement dans la province de Corrientes. Les relations avec lEurope
394

A ce propos, cf. ESPAGNE Michel, op. cit., p. 195.


Les correspondances recenses entre 1831 et 1858 reprsentent un total de 2 277 entres, soit
une moyenne de 82 changes pistolaires par an.

395

114

Premire partie

Chapitre I

demeurent stables, mais elles deviennent ngligeables la fin de cette priode qui
culmine entre 1840 et 1842, du fait de lengagement politique de Bonpland vis-vis des conflits rioplatenses.
De par son statut de mdecin dabord, il dveloppe une correspondance
qui, trs rapidement, prend un caractre politique et militaire, suite aux demandes
des autorits locales, principalement correntinas. A partir de 1834, il se lie avec
les notables et les militaires de la province. En simpliquant directement dans les
actes, il acquiert une vision plus fine des enjeux politiques rioplatenses. Il
convient en 1834 avec le gouverneur Atienza 396 qui succde Ferr en 1833 et
qui figure parmi le patriciat de Corrientes, de linformer des vnements
frontaliers par lintermdiaire du commandant de La Cruz 397 . Les courriers
changs prouvent quil devient rapidement un observateur privilgi 398 . Les
autorits lui demandent en 1834 et 1835 denvoyer de larmement la frontire
paraguayenne, en plus des renseignements quil obtient depuis sa chacra de So
Borja des ngociants brsiliens, les seuls lgalement autoriss commercer avec
Francia 399 . Le successeur de Ferr, bien que rosista, partage encore les ides de
son prdcesseur notamment en matire de valeurs politiques librales. A travers
la dnomination dArgentin rserve aux habitants de Buenos Aires puis
revendique partir des annes 1830 par les provinciaux, surtout les
Correntinos 400 , Bonpland retrouve lunit quil espre.
Mais le dogme fdraliste, rpercut au cours des annes 1832 et 1833 par
Pedro de Angelis dans son journal El Lucero, insiste sur le principe selon lequel
les provinces sont libres et indpendantes, et que personne na le droit de les
traner de force une assemble nationale . En outre, chaque province dispose
396

Rafael de Atienza (1803-1837) dont le pre arrive dEspagne vers 1780, participe aux
campagnes contre Artigas et contre les Misioneros. Elu gouverneur en 1833 la suite de Pedro
Ferr, il parvient maintenir de bonnes relations avec Buenos Aires.
397
AMFBJAD n 11, R. Atienza Bonpland, Corrientes, 20 mai 1836.
398
Pedro Moreno et Manuel Antonio Ledesma se rjouissent de la victoire de Lavalle sur
Lavallejas et Bento Manuel Ribeiro. Ledesma lui affirme que Lavallejas senfuit en direction du
Paraguay, poursuivi par Rivera, et que Lavalle lui coupe la retraite ; AMFBJAD n 724, P. Moreno
Bonpland, Saladas, 30 aot 1834 ; AMFBJAD n 1162, M. A. Ledesma Bonpland, Curuz
Cuati, 20 septembre 1834. Le gouverneur Atienza crit que les informations de Bonpland me
serviran de guia para establecer mis medidas , AMFBJAD n 11, R. Atienza Bonpland,
Corrientes, 20 mai 1836.
399
Ibid. ; AMFBJAD, n 348, J. B. Pucheta Bonpland, La Cruz, 28 octobre 1835 ; AMFBJAD
n 724, P. Moreno Bonpland, Saladas, 30 aot. Dans les faits, So Borja est un lieu de
concentration de marchandises provenant aussi bien dArgentine que dUruguay, de nombreux
commerants brsiliens faisant office de passeurs .
400
Cf. CHIARAMONTE Jos Carlos, Ciudades, provincias, Estados : orgenes de la Nacin
Argentina (1800-1846), op. cit., pp. 231-242.
115

Premire partie

Chapitre I

aux yeux dAngelis de droits similaires ceux dune nation et demeure libre de
sassocier comme la France est libre de sassocier lAngleterre 401 . Le statut
d Etat-province nonc ici explique la logique qui conduit le gouvernement
de Corrientes malgr ses rticences initiales sur ce sujet refuser la province
de Buenos Aires la dlgation des relations extrieures 402 et dvelopper sa
propre politique internationale. Lindpendance et la souverainet recherche par
la province de Buenos Aires afin de sassurer le monopole des droits de douane se
retourne alors contre elle-mme.
Durant cette priode, Bonpland fournit des preuves de son dsir de
pacification de la province, mme lorsque la propagande fdraliste dAtienza,
formule contre les partisans de Pedro Ferr accuss dunitarisme, se concrtise
dans les actes. En effet Atienza, rlu gouverneur au dbut de lanne 1837 grce
au soutien de Rosas, entame une politique clairement favorable aux ambitions de
celui-ci, entranant une rupture dfinitive avec Ferr, Rivera alors prsident de la
rpublique uruguayenne et les rpublicains brsiliens, les Farrapos 403 . Bonpland
semble alors rompre ses relations avec Ferr, semblant confirmer lisolement dans
lequel celui-ci se dit confin 404 .
401

son libres e independientes, y que nadie tiene el derecho de arrastrarlas por la fuerza a una
asemblea nacional ; cit in ibid., p. 237.
402
Sur le statut discut de capitale de Buenos Aires, cf. ALIATA Fernando, Cultura urbana y
organizacin del territorio , in GOLDMAN Noem (dir.), Nueva historia argentina. Tomo III :
Revolucin, repblica, confederacin (1806-1852), Buenos Aires, Editorial Sudamericana, 1998,
pp. 229-237.
403
Le terme de farrapo qui signifie dguenill , loque , est attribu par le Brsil aux
sparatistes du Rio Grande do Sul cause de leur tenue. Bonpland constate leur pauvret mais
surtout leur discipline, leurs intentions pacifiques vis--vis des habitants de So Borja, le
rtablissement de lordre, le respect vis--vis des habitants, labsence de pillage ; les soldats
achtent ce dont ils ont besoin. Les incursions des forces lgalistes en territoire correntino sont au
contraire violentes ; de multiples perscutions sont commises et lgitimes par les officiers.
Les crits de Bonpland au cours de cette priode est dautant plus louable quil est un des rares
franais pouvoir tmoigner de ces troubles entre 1835 et 1840 ; cf. POTELET Jeanine, op. cit.,
pp. 48-49.
404
CASTELLO A. Emilio, op. cit., p. 263, remarque que malgr les dclarations virulentes du
gouverneur contre les unitaires argentins telles que factieux, impies, iniques, hors-la-loi
aucune action coercitive nest mene contre les opposants, aucune atteinte aux liberts nest
noter. Il semble nanmoins que des pressions sexercent contre les opposants les plus notables,
pour le moins de manire indirecte. Comment expliquer sinon labsence de correspondance entre
Bonpland et Ferr ? Une longue lettre est adresse Ferr le 28 novembre 1836 ; intervient ensuite
un long silence rompu en juin 1838 ; cf. AMFBJAD n 27, Bonpland P. Ferr, Buenos Aires, 28
novembre 1836 ; AMFBJAD n 106, P. Ferr Bonpland, Corrientes, 29 juin 1838. Pedro Ferr
relate dans ses mmoires, op. cit., p. 90, quil mne, cette poque, une vie entirement retire
[]. Mais ce ne ft pas suffisant pour quils cessent de me perscuter. [Atienza] menaait ceux
qui maintiendraient des relations avec moi, ce que je ressentis fortement lorsque ceux qui se
disaient mes amis alors que jexerais le gouvernement cessrent de me rendre visite, pour ne pas
dplaire Atienza, et ceci affectant mme les personnes de mon entourage le plus proche, ce qui
causa de graves prjudices mes intrts .
116

Premire partie

Chapitre I

Dj engag politiquement vis--vis dAtienza, la position de Bonpland est


dsormais dlicate. Il choisit pourtant de confirmer cet engagement malgr des
doutes concernant la poursuite de son exprience amricaine qui culminent
justement entre 1836 et 1838 alors quclate une guerre civile au sein du territoire
dans lequel il possde une proprit et que le parti unique de Corrientes, fdral,
se scinde en deux groupes rivaux celui de Ferr et celui dAtienza. Bonpland
voque trs srieusement un prochain retour en Europe, en mme temps quil
parle tout aussi srieusement de former un nouvel tablissement agricole en
Amrique 405 . Au fur et mesure que lon dcouvre dans ses notes une vision plus
fine de ltat des provinces quil parcourt, on dcouvre aussi une incertitude
croissante quant aux orientations prendre. Le naturaliste choisit de confirmer son
engagement auprs de Rafael Atienza, pour lequel il fait office dinformateur 406 .
Cela peut aussi sembler une dcision partisane, car Bonpland adhre au discours
pacificateur et fdraliste dAtienza 407 .
Ainsi, de 1834 1837 Bonpland informe rgulirement le gouvernement
de Corrientes des principaux vnements aux frontires depuis son poste
dobservation privilgi de So Borja, fentre sur le Brsil et le Paraguay 408 . Mais
en mme temps quil acquiert le statut de conseiller Atienza lui confie les
dispositions militaires prises lors du soulvement de Rivera409 et dintermdiaire
du gouverneur, Bonpland se familiarise avec les enjeux politiques locaux et
sinforme de ses pratiques 410 ; il sagit pour lui dune ducation politique

405

AMFBJAD n 323, Bonpland Humboldt, So Borja, 14 juillet 1836 ; AMFBJAD n 1623,


Bonpland E. Geoffroy Saint-Hilaire, Buenos Aires, 25 fvrier 1837 ; cf. aussi la correspondance
cite in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., pp. 99-102, 122-123, 127. Aprs cette date, le
thme du retour devient une constante du discours de Bonpland.
406
AMFBJAD n 347, E. M. Perichn Bonpland, Batel, 1er janvier 1835 ; AMFBJAD n 349, E.
M. Perichn Bonpland, Goya, 16 dcembre 1835 ; AMFBJAD n 362, P. Perichon Bonpland,
Buenos Aires, Corrientes, 5 novembre 1836 ; AMFBJAD n 614, J. Ingres Bonpland, Salto, 10
juillet 1836.
407
En mai 1837, Atienza est dcid se mettre en campagne contre Rivera, mais il en est empch
par sa maladie ; AMFBJAD n 10, R. Atienza Bonpland, Corrientes, 10 mai 1837.
408
AMFBJAD n 12, 18, 347, 348, 349, 362, 376, 614.
409
Les mesures consistent renforcer le rgiment de grenadiers stationn Curuz Cuati par un
autre de tirailleurs, puis de former avec ces forces un cordon frontalier dfensif et destin filtrer
les soldats dOribe en cas de dfaite de celui-ci. En outre, les forces de la province sont regroupes
et renforces ; AMFBJAD n 12, R. Atienza Bonpland, Corrientes, 5 aot 1836.
410
En 1834, le Franais Nascinbene de retour de Buenos Aires lui confie laide de cette province
Corrientes contre le Paraguay ; AMFBJAD n 167, P. Nascinbene Bonpland, Paran, 17 fvrier
1834. Au dbut de lanne 1835, il relve les propos de Crespon Velasques, commandant de
frontire, et Pedro Regalado qui annoncent quen Xbre 1835 le Gouvernement du Parana sera
chang et que le nouveau Gouverneur sera Ortiz quoique ce ne soit pas la volont generale. Les
deux hommes affirment que par la force ils peuvent tout faire parce quils ont des hommes a leur
117

Premire partie

Chapitre I

importante. Les informations sont peu peu recueillies avec scepticisme 411 , puis
avec une profondeur danalyse des acteurs et des contextes nouvelle 412 . Cela
explique son refus des offres de Vilardeb, car les renseignements quil recueille
afin denvisager un dplacement Montevideo le poussent refuser ; il est
confort dans son sjour Corrientes 413 alors que les premiers gouvernements
indpendants uruguayens doivent traiter la rpartition des terres en prenant en
compte les hritages compliqus de la priode coloniale, artiguista, et de
loccupation portugaise 414 .
Cest aussi un choix de raison, puisque Bonpland attend des autorits de
cette province la concession dun terrain, esprant profiter dune conjecture
conomique

favorable 415 .

Bonpland

constate

un

contrle

conomique

gouvernemental svre, initi par le dcret doctobre 1829 visant contrler les
activits des courtiers et viter la contrebande 416 et y participe au nom du bon
disposition. , AMFBJAD n 1707, voyage, juin 1835. En septembre 1836, il discute avec Serapio
Mantilla de lattitude politique de Corrientes vis--vis de Rosas et des unitaires ; AMFBJAD n
1711, voyage de So Borja Corrientes, 23 septembre 1836. En mars 1837, il apprend qu
Paysand les partisans de Rivera et particulirement Lima viennent rgulirement et ont chass
Paredes, partisan de Lavalleja qui dj harcelait la ville en 1832. A Concordia, il apprend que Salto
vient dtre attaque par les partisans de Rivera et se trouve sous les armes ; AMFBJAD n 1718,
voyage de Buenos Aires Concordia, 15 et 21 mars 1837. Puis il apprend par B. Soares que Bento
Manuel Ribereiro emprisonne le prsident de la province, Antonio Jos Ferreira, et le livre
Rivera avec la complicit de Neto et Calderao (Bonifcio Caldern ?) ; AMFBJAD n 1090, B.
Soares Bonpland, So Borja, 18 avril 1837 ; AMFBJAD n 615, J. Ingres Bonpland, So Borja,
19 avril 1837.
411
En mai 1837, le colonel Olazbal venant de La Cruz fait part de lintention de Frutos Rivera
de revolutioner la province de Corrientes avec 500 Entrerrianos, et des propositions faites
Olazbal par le sergent-major Mendoza, parent de Frutos. Bonpland met en doute la vracit du
rcit ; AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 11-15 mai 1837.
412
Cest le cas lorsquil recueille le tmoignage de Juan Altamirano concernant la personnalit de
Rivera et ses rapports avec Artigas en droute ; AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia
Curuz Cuati, 17 mai 1837. Ingres comprend lui aussi parfaitement la situation ; AMFBJAD n
615, J. Ingres Bonpland, So Borja, 19 avril 1837.
413
Sur ces offres, cf. chapitre VI, pp. 535-536 et chapitre VIII, pp. 708-711 ; AMFBJAD n 401,
Ramallo Bonpland, Santa Ana, 27 juin 1834. Alors que Vilardeb lui fait ces offres, Noguera lui
crit quil ny a ni stabilit ni scurit Montevideo, et que le lieu nest pas propice au bonheur
des savants. Le mme crit : No dudo se habra V. divertido algo con el cambio de cosas occurido
recientamente. Yo creo que el Sor Veron [Bern de Astrada] marcha bien. Y sobre todo, veo que
quiere ser Govor Constitucional que para mi es la mayor de las virtudes que el ao 38 pueden
adornar un Magistrado. , AMFBJAD n 734, B. Noguera Bonpland, Corrientes, 15 fvrier
1835 ; AMFBJAD n 735, B. Noguera Bonpland, Curuz Cuati, 25 mars 1838.
414
Cf. MILLOT Julio, BERTINO Magadalena, Historia econmica del Uruguay, tome I,
Montevideo, Fundacin de Cultura Universitaria, 1991, pp. 131-139.
415
AMFBJAD n 10, R. de Atienza Bonpland, Corrientes, 10 mai 1837 ; AMFBJAD n 12, R.
de Atienza Bonpland, Corrientes, 5 aot 1836 ; ESPINOZA Nemecio Carlos, Amado Bonpland.
Una historia olvidada , Santa Fe, Colmegna, 1997, pp. 176-177. Lindustrie et le commerce
sont en plein essor, le Trsor Public de Corrientes enregistrant un excdent budgtaire durant le
mandat de Rafael de Atienza.
416
Cf. CHIARAMONTE Juan Carlos, Mercaderes del Litoral. Economa y sociedad en la
provincia de Corrientes, primera mitad del siglo XIX, op. cit., p. 68.
118

Premire partie

Chapitre I

gouvernement et de ses propres intrts 417 . Ltat de sant dAtienza peut aussi
expliquer la conduite de Bonpland. Gravement malade, le gouverneur dlgue une
premire fois sa charge Juan Felipe Gramajo de mai juillet 1837. Sa mort
survenue la fin de lanne 1837 permet Bonpland de se ranger aux cts de
Genaro Bern de Astrada, avec lequel il entame une correspondance ds avant son
accession au poste de gouverneur. Cette intimit perdure jusquau 31 mars 1839,
jour de la dfaite et de la mort du correntino face aux troupes rosistas 418 . Durant
ce laps de temps, limaginaire patriotique, la vision dun ensemble amricain
cohrent, les repres du pass cdent la place aux doutes.
Le discours parat ambigu, changeant selon les interlocuteurs : aux uns il
dcrit une situation chaotique, aux autres il offre des gages de stabilit. Ce double
discours est le reflet des informations contradictoires quil reoit : dune part
alarmistes, fondes sur les menaces de guerre, dembrasement ; dautre part
optimistes lorsqu la fin de lanne 1838 on lui propose la fois une rente et un
terrain en Uruguay ainsi que le poste de directeur du Jardin botanique de Rio de
Janeiro. Cependant Bonpland est trop impliqu conomiquement pour sinvestir
dans une nouvelle entreprise, mme scientifique. Il connat suffisamment la valeur
de la terre et celle de ses appuis Corrientes pour renoncer tant davantages.

2. Limmersion rioplatense
En choisissant de demeurer sur le sol amricain, Bonpland entreprend la
construction dun rseau de sociabilits impliquant des aspects conomiques et
politiques provinciaux mais aussi transfrontaliers. A ce titre il dveloppe un rle
417

En franchissant le fleuve-frontire, Bonpland aperoit lexploitation bovine de lancien


commandant de La Cruz, Chamorro, qui a tabli l ce puesto pour faire plus facilement la
contrebande avec les Portugais mais cet artifice ne lui a pas russi parce quil a t apel
Corrientes et probablement il perdra son emploi et la confiance du gouvernement . Celui-ci forme
au mme moment un potrero o se trouvent enferms des chevaux, et exerce encore ses fonctions
en 1839 ; AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, Corrientes, 23-26 dcembre
1831. AMFBJAD n 619, J. Ingres Bonpland, Santa Ana, 28 dcembre 1839. Il informe Atienza
de la contrebande argentino-brsilienne ; AMFBJAD n 19, Bonpland R. Atienza, So Borja, 22
juin 1837 ; AMFBJAD n 1720, journal, So Borja, juillet 1837. Sa proprit est envahie par les
chevaux en attente de passer en contrebande lUruguay, par des individus qui tous soccupent
seulement de jeu et de contrebande , AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa
ana, 28-31 juillet 1838.
418
AMFBJAD n 6, G. Bern de Astrada Bonpland, Santa Ana, Quartier Gnral Pago
Largo, 31 mars 1839.
119

Premire partie

Chapitre I

de mdiateur et par l devient vritablement un acteur dune socit frontalire en


construction, la fois barrire et pont. Il sagit pour lui comme pour tous les
autres acteurs de trouver sa place parmi la construction qui seffectue entre 1831
et 1839.

Limmersion transfrontalire
Depuis So Borja jusqu Buenos Aires, limmersion de Bonpland est
dune ampleur rduite, priphrique non plus continentale mais rgionale et
transnationale, puisquelle se dessine autour de lartre fluviale sparant
lUruguay, le sud du Brsil et la rgion du nord-est ou Litoral argentin, et
aboutissant Buenos Aires puis Montevideo et Porto Alegre. Dun dbouch
lautre, le naturaliste modifie son approche de la rgion : de labstrait vers le
concret, du global au local, du pass au prsent. Il abandonne ses projets
dagriculture en grand, que ce soit en Europe ou en Amrique. On peut constater
un changement dans la nature de sa correspondance 419 , europenne pour 40%
depuis sa libration jusqu la fin de lanne 1834, puis de plus en plus
amricaine ; en 1835 seulement 15% des changes pistolaires concernent le
vieux continent. De plus, cette mme anne, lessentiel des lettres amricaines ont
pour auteurs ou destinataires des personnalits locales 420 . De fait, Bonpland
adhre une pratique sociale qui privilgie les rseaux transfrontaliers. Le temps
du rcit est dsormais le prsent.
Entre 1831 et 1834 il existe peu de rapports pistolaires avec le Brsil,
Bonpland privilgiant Corrientes. De 1835 juin 1842, date de son dernier
change pistolaire avec lEurope jusquen 1849, seulement 9% de sa
correspondance est change avec le vieux continent et 18% avec des rsidents
trangers, en majorit franais 421 . Le rseau transfrontalier est de loin le plus
constant ; les ruptures y sont trs rares 422 . Suivant sa logique de prosprer

419

Cf. graphique n 1, p. 114.


Sur les lettres amricaines, seulement 10% en 1835 sont adresses ou reues des capitales ; le
reste est constitu par des communications locales, contre 50% lors de la priode prcdente.
421
68% de la correspondance est localise.
422
AMFBJAD n 739, B. Noguera Bonpland, Buenos Aires, 1er janvier 1851 ; BCNBA,
Bonpland G. Valds, 28 avril 51.
420

120

Premire partie

Chapitre I

lintrieur, le savant sancre en priphrie et choisit de travailler lchelon local.


Au dbut des annes 1830 un projet de socit transfrontalire est esquiss, visant
le dbouch porteo 423 . En cela le projet de Bonpland nest pas en conformit
avec la ralit conomique des rgions se tournant vers leurs marchs respectifs,
et dans le cas du Litoral vers le Rio Grande do Sul et lUruguay ; Bonpland a une
vision subcontinentale encore en dcalage avec lvolution historique, car si
Buenos Aires demeure le centre visible de la Confdration Argentine, lunit est
grandement mise en danger par le dveloppement de liens conomiques
priphriques 424 .
Sa vision conomique est gne par la ralit politique car, sil est vrai que
les provinces du Litoral tablissent des rapports troits avec leurs voisins, elles se
coupent en revanche de Buenos Aires cause de labsence de pouvoir centralis.
Cette partition explique les reproches adresss par Bonpland, au nom du bien
commun, aux diffrentes factions qui lempchent de mener bien ses projets
conomiques. Afin que la richesse espre puisse se conserver, le naturalisteentrepreneur accorde peu peu ses vues conomiques au contexte politique,
sappuyant pour cela

sur plusieurs amis puissants comme il aime le

rappeler 425 .
Le lien fluvial savre ce titre primordial, les communications le long de
lUruguay et du Paran en faisant un rseau transfrontalier qui, au dbut des
annes 1830 et malgr un contrle frontalier troit entre le Brsil, le Paraguay et
Corrientes 426 , nempche pas la contrebande. La frange orientale de la province de
Corrientes, peu peuple et peu contrle, empche la rgulation du commerce des
deux cts de lUruguay, car les capitales sont trs loignes de leurs frontires
respectives, surtout partir de la guerre des Farrapos en 1835 427 . Le gu de Santa
Ana, par exemple, est facilement traversable, tant gu de janvier juin 428 . Face
la ville du Paran, Bonpland constate en 1832 que la pointe sparant le Paran

423

AMFBJAD n 1658. s. l., s. d.


Cf. CHIARAMONTE Juan Carlos, op. cit., pp. 51-52.
425
Cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 123.
426
Le domestique riograndense qui accompagne Bonpland lors de ce voyage est aussi un soldat, et
nobtient pas la permission de passer la frontire ; AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja
Corrientes, 22-23 dcembre 1831.
427
CHIARAMONTE Juan Carlos, op. cit., pp. 70, 77.
428
AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa Ana, 28-31 juillet 1838.
424

121

Premire partie

Chapitre I

dun de ses affluents, le Caami, est trs utile dans les temps de guerre et de tout
tems aux contrebandiers 429 .
Cette importance accorde aux fleuves concide avec le dveloppement de
sa proprit de So Borja acquise en 1833, centre dune zone frontire et
commerciale prospre mais expose entre lArgentine, le Brsil et le Paraguay.
Aprs trois tentatives, Bonpland se relance dans une entreprise agricole dirige
une nouvelle fois avec succs. Ne seraient-ce les entraves politiques, les bnfices
savrent certains :
Buenos Aires est une grande ville qui augmente chaque anne. Il y a
constamment de quatre-vingts cent navires sur rade ; tous les bords du fleuve
Uruguay sont couverts dhabitations qui augmentent prodigieusement et qui
font un commerce actif. San Borja, o je fais ma rsidence principale, a plus
que tripl en population depuis quatre ans. La province de Corrientes, la
Savana ou lEnte-Rios, depuis dix ans ont acquis une population et une
augmentation de fortune au-del de toute expression; la Cisplatine qui, depuis
trois ans, a t deux fois le thatre de la guerre, offre des sources de richesses
inpuisables

430

confie-t-il en 1836. Cette vision de la situation florissante dont jouit le Ro de la


Plata explique une persvrance peu commune. Elle dfinit aussi le milieu
gographique lintrieur duquel Bonpland se situe dsormais, dune ampleur
rduite non plus continentale mais rgionale et transfrontalire, puisquelle se
dessine autour de lartre fluviale sparant lUruguay, le sud du Brsil et la rgion
du nord-est ou Litoral argentin, et aboutissant Buenos Aires.
Cependant, une nouvelle fois linscurit joue en dfaveur du Franais. Il
constate ds 1832 le dpeuplement d la guerre Colonia 431 puis remarque
linscurit rgnant la frontire cisplatine, notamment Salto432 . Ce climat
dinscurit se dveloppe du ct oriental de lUruguay ; il en a connaissance
daprs des nouvelles indirectes et parfois infondes 433 . Alors quil se trouve
Alegrete en 1835, il constate dj la diversit et la haine partisane notamment du
429

AMFBJAD n 1696, voyage lestancia de D. J. Santos Maciel afin de connatre la plante


connue Santa Fe sous le nom de Raiz de Guaycur, 20 fvrier-5 mars 1832.
430
Bonpland M. Gigaud, Buenos Aires, 1er dcembre 1836, cit in HAMY Jules Thodore
Ernest, op.cit., p. 100.
431
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 14 octobre 1832.
432
AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires Concordia, mars 1837.
433
Julin Montaa se retire de lUruguay par peur des tueries et pillages commis par Juan
Chiberte, rumeurs savrant fausses ; AMFBJAD n 723, J. Montaa Bonpland, Arroyo de
Mirian, 27 janvier 1835.
122

Premire partie

Chapitre I

parti lavallejista contre Fructuoso Rivera et les Bruits faux que ce parti rpand
chaque jour. Les vols de btail la frontire du ro Quareim qui sont attribus
aux Charrouas aux Correntinos et a dautres semblent tre faits par les mmes
Portugais. 434 Cette clairvoyance vis--vis de la situation politique globale lui fait
crire que tous les esprits sont fixs sur lintrigue, la formation des Provinces, la
nomination de la rgence 435 . Cette apparition de la province est un premier pas
vers une apprhension plus fine de la situation rioplatense.
Mais en 1837 linscurit se rapproche avec larrive des Farrapos, aussi
traverse-t-il la frontire 436 . Son capataz Jos Mariano Cardozo linforme du
mouvement de population, les familles de So Borja passant elles-aussi de lautre
ct de lUruguay. Le lieutenant-colonel Soares da Silva, commandant de la ville,
se met en marche pour Itapa avec sa famille, passe par So Joo Mini avant de
sarrter finalement San Mateo. En juillet 1837, So Borja est dsert437 . Yuca
Louveiro passe lUruguay pour recruter des hommes afin de dfendre So Borja,
mais le chef des Farrapos Bento Manuel Ribeiro doit y arriver le 29 juin et se
proclamer dictateur puis nommer Lima e Silva gnral en chef 438 .
Mais ce nest que lorsque les ennuis le touchent personnellement que
Bonpland prend la mesure des vnements. En juillet 1837, lorsque les
rpublicains du Rio Grande do Sul arrivent So Borja, ses commentaires
changent de teneur. Il suppose dabord une disposition la violence de la part de
Joo Manuel de Lima e Silva, un des chefs du mouvement 439 , mais sa rencontre
avec celui-ci et dune manire gnrale avec les Farrapos savre finalement une
agrable rvlation :
en faisant compliment Lima sur la subordination et le bon ordre qui
rgne dans ses troupes, il me dit ce sont des Elves du gnral Lavalle.
434

AMFBJAD n 1701, journal, notes diverses, 1833-1835.


Ibid.
436
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 2 mars 1837, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 122.
437
AMFBJAD n 917 et 919, J. M. Cardozo Bonpland, So Borja, 23 septembre 1836 et 8
janvier 1837. AMFBJAD n 1720, 1721, journaux, So Borja, juillet 1837.
438
AMFBJAD n 1720, 1721, journaux, So Borja, juillet 1837.
439
Joo Manuel de Lima e Silva (1805-1837) est issu dune famille de militaires apparente au duc
de Caxias dont il est loncle. Lima e Silva se marie la sur du colonel farrapo Jos de Almeida
Corte Real. Dtach en 1828 au Rio Grande do Sul afin dy commander le 28me bataillon de
chasseurs allemands, il est colonel de garnison Porto Alegre quand la rvolte des Farrapos clate
en 1835. Il sengage alors leurs cts et assume leur commandement militaire, tant promu
cette occasion premier gnral de larme farrapo. Il meurt prs de So Borja le 29 aot 1837,
suite une attaque des forces impriales brsiliennes qui le capturent puis lassassinent lors de sa
dtention.
435

123

Premire partie

Chapitre I

Aucun gnral ninstruit aussi bien ses soldats et ne maintient la


subordination comme ce gnral. Ami de toute la famille de Lavalle sans
connoitre le gnral cet loge toucha mon cur. [Il] occupera
certainement une page dans lhistoire de la revolution de lAmerique du
Sud. [] je ne peux dissimuler le plaisir que jai prouv voir cet
homme 440 .

La reprsentation nest plus calque sur le schma classique admirationrpulsion, mais sur ladaptation aux acteurs et aux vnements, Bonpland
nhsitant pas remettre en cause ses prjugs, voire ses fidlits. Les hsitations
de 1837 traduisent en effet la confrontation entre les prjugs, la fidlit ses
soutiens, et la rencontre avec les Farrapos qui forcent son respect 441 . Le Franais
commence se rapprocher des tendances politiques proches de ses propres
idaux, la faction rpublicaine en ce qui concerne le Brsil, le parti constitutionnel
pour Corrientes.
Serny, ami intime de Bonpland, rsume lopinion des trangers sur la
guerre brsilienne :
Ils se sont tapp dur. pour peu que cela dure, les deux partis se dtruiront
& alors nous pourrons avoir espoir dtre tranquille.

442

Mais Bonpland, sil est toujours partisan de la paix, se range du ct des


Farrapos. Cest le rsultat de son intgration et le dbut dune autre logique qui
demeure cependant attache la dialectique indpendantiste qui domine encore la
vie politique 443 . Il se place dans lhistoricit, lobservation ; il sagit dune phase
de transition vers lengagement mais aussi vers une vision davantage
archologique et amricaniste.
Il sadapte la vie politique rioplatense caractrise par linexistence
dune classe dirigeante niveau interprovincial, la seule existence de classes ou
groupes sociaux de portes locales 444 , immersion palpable puisquelle se
traduit par le passage de la neutralit vers une attitude politique active,
caractrise justement par une action visant rapprocher les dirigeants locaux,
440

AMFBJAD n 1721, journal, So Borja, 8 juillet 1837.


Cf. AMFBJAD n 1007, Bonpland Mendeville, Corrientes, 18 juin 1838 ; AMFBJAD n
1721 journal, So Borja, juillet 1837.
442
AMFBJAD n 1170, B. Serny Bonpland, So Borja, 2 dcembre 1837.
443
La fte du 25 mai, jour jamais mmorable dans lequel les habitants de Buenos-Ayres ont
dclar leur independance , est clbre Curuz Cuati ; AMFBJAD n 1719, voyage de
Concordia Curuz Cuati, 23 mai 1837.
444
CHIARAMONTE Jos Carlos, op. cit., p. 22.
441

124

Premire partie

Chapitre I

non au niveau interprovincial mais transnational. Pour cela Bonpland construit


son rseau de manire transfrontalire. A la mort dAtienza, il renoue avec le parti
de Ferr en la personne du successeur au poste de gouverneur de la province,
Genaro Bron de Astrada. En outre, il se tient cart de Rivera qui maintient des
relations avec les Impriaux brsiliens 445 .
En 1838, ds son installation Santa Ana effective, Bonpland est mis au
courant des vnements politiques par Maciel, commerant originaire de
Montevideo et lavallejista, ainsi que par Fortunato Boaventura Soares da Silva 446 .
Il constate les ravages qui en 1839 continuent de toucher le Rio Grande do Sul, 25
chaumires dmigrs brsiliens subsistant sur la cte de Corrientes hauteur de
Mercedes, dont les principaux sont la famille du lieutenant Philiberto de Nelo 447 .
Linscurit lest du ro Uruguay explique finalement le choix du Franais de
sinstaller sur la cte orientale, dautant plus quil y jouit dun rseau
incomparable beaucoup plus solide.

Un rseau fragile
Ds 1831, Bonpland tente dtablir des contacts avec lEtat du Rio Grande
do Sul 448 . Mais la recherche dune protection locale de ce ct du fleuve savre
plus difficile. Bien quil sinstalle ds 1831 So Joo Mini puis en 1833 So
Borja et quil accde l encore un statut de notable influent, son rseau demeure
fragile. A So Joo Mini, une trace seulement subsiste de la visite du lieutenant
Gomez et de sa femme 449 . Le volume de sa correspondance nous apprend que la
dcennie 1830 est faible par rapport au Brsil 450 . Certes il devient le compadre de
Boaventura Soares da Silva qui commande So Borja 451 , mais ce rseau
445

AMFBJAD n 1, 13, 58, 60, 602, correspondance entre Bonpland, Gramajo, Atienza et Bern
de Astrada, juillet-aot 1837.
446
Maciel linforme de la manuvre de Lavalleja, lequel pour assurer la fuite dOribe Las
Higueritas promet Rivera la reddition de Paysand, sans le faire. Boaventura Soares lui apprend
la nomination de Lavalleja en remplacement dOribe ; AMFBJAD n 1723, journal, voyage de
Corrientes Santa ana, 1-5 aot 1838.
447
AMFBJAD n 1724, voyage dans le haut de lUruguay, 22 janvier 1839.
448
MNHN, ms 215, n 20, note pour le commandant et administrateur des missions portugaises,
So Borja, 8 dcembre 1831.
449
CAIC, journal de voyage, missions portugaises, 10-23 aot 1833.
450
Cf. graphique n 1, p. 114.
451
AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa Ana, 10 juillet 1838.
125

Premire partie

Chapitre I

demeure trs localis. En effet, Bonpland ne peut jouir de la protection brsilienne


au mme titre que celle offerte par Corrientes car le centre du pouvoir se situe
Porto Alegre, capitale trop loigne pour bnficier dune protection efficace.
Dautre part, il existe une impossibilit par essence, les deux Etats
sopposant rgulirement pour le contrle des Missions 452 . A titre dexemple, le
discours de type amricaniste qui apparat chez Ferr en 1826 a pour but de
motiver ses troupes contre les Brsiliens 453 . Aussi la protection suit-elle le
systme des vases communicants, toute sollicitation dun ct de la frontire
entranant un recul de la protection octroye de lautre ct. Linscurit le touche
de prs en fvrier 1839 lorsquil apprend quune tentative dassassinat a t
fomente contre lui par les lgalistes brsiliens, qui laccusent de soutenir les
rvolts. Aussi malgr un lieu de rsidence tabli au Brsil entre 1831 et 1838,
Bonpland choisit de servir le pouvoir correntino.
Cependant le rapprochement entre Corrientes et les indpendantistes
riograndenses lui permet-il de jouer un rle de mdiateur. Aprs avoir espr
lintervention concerte des Brsiliens et des Argentins 454 contre les rpublicains,
il devient leur porte-parole auprs de Gramajo puis de Bern de Astrada auxquels
il demande que soient acceptes les offres de paix de Lima. Il se charge aussi avec
Serny de faire revenir les habitants de So Borja et parvient en convaincre
quelques uns, Bonpland esprant que le reste des habitants suivra cet exemple. La
troupe compose dOrientaux et non de Brsiliens fait peur aux habitants,
notamment aux marchands, mais la bonne conduite de ceux-ci Itaqui les fait
revenir en partie 455 . Suite aux propositions de Lima envoyes par le colonel Jos
Victoriano Orique, le gouvernement de Corrientes est tout aussi dispos
dvelopper les relations damiti et de bonne intelligence entre les deux provinces.
Le gouvernement de Corrientes soutient le mme systme rpublicain que les
riograndeses, perteneciendo la Confederacin Argentina et exigeant comme
unique garantie Lima pour juger de limportance de sa proposition la destruction
de Rivera pour conclure un pacte.

452

Cf. LARGUIA Alejandro, Misiones orientales. La provincia perdida, Buenos Aires,


Corregidor, 2000.
453
FERRE Pedro, op. cit., tome I, pp. 276-277.
454
AMFBJAD n 18, Bonpland R. Atienza, Santa Ana, 8 juin 1837.
455
AMFBJAD n 1721, journal, So Borja, 8-11 juillet 1837.
126

Premire partie

Chapitre I

En outre, Bonpland dveloppe un cercle de relations stendant le long du


ro Uruguay. Le terme de cercle nest pas dfini par un lieu physique mais par
une multitude de liens inter-frontaliers. Ce cercle se dveloppe lintrieur du
territoire rioplatense-riograndense, sur plusieurs centaines de kilomtres. Il ny a
pas non plus de centre dfini, mais un ensemble de liens pistolaires ou directs
tisss par des relations dintrts. La distribution de ce cercle pouse laxe
commercial uruguayen et se dilue dans lespace local par les associations et
lenracinement conomiques. Les correspondances sont tablies majoritairement
du sud du Brsil jusquaux villes-ports de Buenos Aires et surtout Montevideo,
suivant laxe commercial partant du Brsil et du Paraguay jusquaux dbouchs
atlantiques, o se trouvent soit les maisons-mres, soit les financiers. Les
changes sont particulirement denses le long de la frontire entre Corrientes et le
Rio Grande do Sul, du fait des lieux de rsidence de Bonpland situs aux
carrefours des transactions conomiques entre lArgentine et le Brsil. Cette
intensit correspondant l encore celle des changes commerciaux, Bonpland
sassociant avec des Amricains partir des annes 1830.
Ce rseau transnational passe par So Borja 456 puis descend lUruguay en
passant par Salto 457 , Concordia 458 et Paysand 459 pour arriver jusqu Buenos
Aires et Montevideo o Ventura Salinas le recommande Solano Garca, viceprsident de lAssemble nationale uruguayenne et son cercle 460 . Les Perichn
sont par ailleurs lis Rivera, un membre de leur famille tant aide de camp du
gnral uruguayen. Ce rseau est stimul en 1838 par lintervention franaise,
Bonpland faisant office dintermdiaire entre Corrientes, So Borja et le consulat
de Buenos Aires 461 .
456

AMFBJAD n 167, P. Nascinbene Bonpland, Paran, 17 fvrier 1834. Pierre Nascinbene quil
a dj prsent Ferr lui demande des renseignements sur lconomie de So Borja pour son
frre Louis.
457
AMFBJAD n 1194, Abadie Bonpland, So Borja, 30 aot 1833. Abadie, depuis Salto, lui
demande de prsenter une procuration Don Ricardo.
458
AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires Concordia, 21 mars 1837. Bonpland possde
des lettres de recommandation de Henry Hoker pour le commandant de Concordia le colonel
Navarro et loge chez lui. Navarro fait office dintermdiaire commercial pour Bonpland et solidifie
ses relais.
459
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 22 octobre 1832. Bonpland est
accueilli Paysand par Eusebio Galn, mari Gonzalez de las Conchas, sur recommandation de
J. J. de Araujo depuis Buenos Aires.
460
AMFBJAD n 583, V. Salinas S. Garca, Corrientes, 12 octobre 1836.
461
AMFBJAD n 831, Bonpland A. Roger, Corrientes, 16 mai 1838 ; AMFBJAD n 832,
Bonpland A. Roger, Corrientes, 16 mai 1838. Bonpland crit propos de Jos Castelli : je
lautorise montrer une lettre et les caisses tous les batiments de lescadre quil rencontrera
127

Premire partie

Chapitre I

Priphrie et civilisation
Si pour les fdralistes argentins la province leurs provinces constitue
la base de la civilisation rioplatense, deux questions se posent. Premirement,
comment expliquer la reconnaissance de Buenos Aires comme capitale, admise
par beaucoup dentre les fdralistes 462 ? Ensuite, est-ce la province ou la
campagne qui occupe le centre ? La diffrenciation entre province et campagne
implique deux ressentiments diffrents par rapport lidentit, et montre une
volution dans la lecture du pays. Dans un cas lopposition a lieu entre ville et
campagne donc plutt entre deux modes de vie ; dans lautre cas lantagonisme
entre province et province, ou entre province et nation, reflte un enjeu politique.
Bonpland ne doute jamais du rle de capitale attribu Buenos Aires, car
si elle nest pas le centre de la civilisation, la ville saffirme comme le cur
politique du Ro de la Plata. Les nombreux sjours effectus Montevideo par
Bonpland ne font pas apparatre cette ville comme une concurrente srieuse pour
la cit portea. Avant que Montevideo ne soit la nouvelle Troie, elle est Jricho
tandis que Buenos Aires est Jrusalem. La mtaphore signe dIngres en 1836 463
fait cho la nouvelle Rome de Pradt 464 . Elle est significative de la
prpondrance accorde Buenos Aires malgr la naissance des Etats-provinces.
En 1835, la rupture pistolaire davec Buenos Aires au profit de la voie
uruguayenne et brsilienne est due des raisons pratiques avant tout 465 . Quant au
necessairement sur son passage mais surtout Monsieur le Contre amiral Leblanc Convaincu
quainsi que vous il saura reconnatre le service que rend la France Mr Castelli et ceux quil est
port rendre. Bonpland loue son got pour la France et profite de son rle dintermdiaire entre
Roger et Ferr.
462
La pratique fondatrice dun centralisme porteo est constitue par lattribution de facto des
pouvoirs en matire de politique trangre, bien avant lofficialisation de ceux-ci.
463
AMFBJAD n 614, J. Ingres Bonpland, Salto, 10 juillet 1836.
464
Dominique Dufour, abb de Pradt (1759-1837), commence sa carrire politique lors de la
runion des Etats gnraux de 1789 en tant que dput du clerg du bailliage de Caux, en
Auvergne. Sigeant la Constituante, il migre finalement en Belgique en novembre 1792. Il tient
l un bureau daffaires et commence sa carrire de publiciste par un pamphlet incitant les
monarchistes lutter contre les vautours tricolores . Revenu en grce sous le Premier empire, il
est nomm aumnier ordinaire de la cour. Bon serviteur du rgime, sa carrire culmine en 1812
lorsquil devient ambassadeur de France Varsovie. Nayant pas rpondu aux attentes de
Napolon pour qui la Pologne devait servir de base linvasion de la Russie, il est limog de son
poste puis, ralli aux Bourbons, vinc par ceux-ci. De retour en Auvergne, labb gallican et
libral se montre favorable un rgime reprsentatif, ce qui lui vaut dtre surveill durant la
Restauration. Parmi ses nombreux essais, LEurope et lAmrique depuis le congrs dAix-laChapelle publi en 1821 marque le dbut dune srie dcrits sur le Nouveau Monde faisant de
labb un spcialiste des questions politiques de ce continent.
465
Il crit Humboldt ds 1835 par la voie de Porto Alegre ; AMFBJAD n 907, 10 janvier 1835.
128

Premire partie

Chapitre I

rle conomique prpondrant quil attribue en 1836 466 Buenos Aires, une
lgitimit politique forte sy ajoute avant 1839. Dans une note antrieure
dcembre 1838 adresse Peter Sheridan 467 , il voque la grande Capital de la
republica argentina 468 . Sil rompt ses relations avec cette ville aprs 1837, les
causes en sont avant tout politiques. Ainsi de ses relations avec Angelis arriv en
1827 qui font long feu, probablement en raison de dsaccords politiques et
culturels 469 . En 1838, il change de dbouch, prfrant Montevideo et Porto
Alegre en raison du blocus franais quil approuve.
Mais surtout, Bonpland naime pas la mentalit portea. La base de
lidentit nationale est pour lui lintrieur du pays. Il ne reproche pas linstar
de dOrbigny lducation effmine de la classe bourgeoise Buenos-Ayres470
mais ds son arrive dans les Provinces Unies du Ro de la Plata, Bonpland adopte
une position fortement conditionne par le clivage ville-campagne et clairement
en faveur de cette dernire 471 . Cette apprhension nest pas sans rappeler celle de
Humboldt en Nouvelle-Espagne, exprime dans des termes similaires 472 et surtout
dans une perspective coloniale. La province, aux yeux du voyageur, devient
progressivement un centre dintrt et de civilisation au fur et mesure de son
mergence en tant quentit politique, mais aussi lorsque le voyageur simmerge
et, comme cest le cas pour Bonpland, sidentifie la province.
Bonpland se forge une identit culturelle, gographique fonde sur
lInterior et le fleuve, base identitaire dans une province o passer un fleuve

466

A cet gard, Bonpland saccorde avec la majorit de ses contemporains.


LIrlandais Peter Sheridan, n vers 1793, arrive Buenos Aires en 1817. Il est avec John Harrat
un des rares Europens introduire des moutons en Argentine partir des annes 1820, les
estancieros locaux ne sy intressant que trs peu. Il exporte la laine vers Liverpool, profitant des
faibles droits de douane sur cette marchandise ; cf. MURRAY Thomas, The Story of the Irish in
Argentina, New York, P. J. Kenedy & Sons, 1919, pp. 40-41, 54-65, 92-93, 123-126, 186-190,
199-203 ; BETHELL Leslie, Argentina since independence, Cambridge/New York, Cambridge
University Press, 1993, p. 36.
468
AMFBJAD n 1042, Bonpland P. Sheridan, s. l., s. d.
469
Aprs 1837, Pedro de Angelis prend le parti de Rosas alors que Bonpland se range aux cts de
Ferr. En outre, labsence des sciences naturelles parmi les proccupations de Pedro de Angelis
peut avoir jou un rle dans cet loignement. Entre la politique et la science enfin, laffaire Bacle
est prendre en compte puisquen 1834 Angelis obtient le monopole des lithographies
bonaerenses au dtriment de Bacle ; cf. SABOR Josefa Emilia, Pedro de Angelis y los orgenes de
la bibliografa argentina. Ensayo bio-bibliogrfico, Buenos Aires, Solar, 1995, pp. 45-46, 73-78.
470
ORBIGNY Alcide d, op. cit., p. 467.
471
Bonpland J. Lebreton et Acard, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO
Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., pp. 60, 63.
472
HUMBOLDT Alexandre de, Essai politique sur le royaume de la Nouvelle Espagne, Paris, Utz,
1997 (1811), pp. 359, 648.
467

129

Premire partie

Chapitre I

signifie changer de continent 473 et sur le lien avec les villes-ports. Lors de sa
premire halte sur la route des Missions, le 11 mai 1821, la poste de Las Lomas,
Bonpland change quelques mots avec le responsable du lieu, un nomm Lopez :
Ce brave matre de Poste avait form depuis peu de jours une plantation
de la plante (cactus) qui produit la figue Morique et il nous a assur que
pour obtenir promptement des fruits et pour les avoir bons quil fallait
planter les branches qui partaient ou plutot qui cette mme anne avaient
port fruit. La mme chose arrive chez une multitude de plantes que nous
cultivons et nos jardiniers se valent de cette connoissance quand ils
greffent soit pour avoir des fleurs ou des fruits et je ne cite ce fait que
pour montrer quil y a partout des observateurs.

474

Le 14 mai 1821, Bonpland se voit confirmer par le matre de poste Varrios


lintuition selon laquelle la Palma negra et blanca sont la mme plante. Il se
flicite de son explication trs claire et trs prcise .
Ces extraits sont caractristiques de lempathie premire avec laquelle
Bonpland accueille, en bon observateur lui aussi, les remarques de ses htes de
fortune ; il tmoigne aussi de lhumanisme sur lequel se fonde sa mthode
dinvestigation, en cherchant aux marges de la vie police les marques
universelles de la civilisation. Il existe dailleurs une communaut de pense ici
avec dOrbigny 475 . Le rcit ne met pas en exergue lopposition entre civilisation et
barbarie, mais dsire plutt dmontrer la complmentarit qui existe entre les
diverses approches dun mme problme. Par ailleurs, il prend note du remde
dune correntina ge contre une diarrhe qui avait resist tous les traitements
de la facult de mdecine de B. ayres 476 . Limmersion de Bonpland nest pas
limite au substrat social dominant ; il senracine beaucoup plus profondment
dans la structure sociale. Cest ce qui fait son intrt car il combine plusieurs
niveaux dimmersion et sadapte au fonctionnement de la socit rioplatense.
Cette immersion change relativement son prisme sur les traditionnelles
problmatiques de civilisations.

473

Lorsque Bonpland dcide dhabiter Santa Ana, le Correntino Manuel Fernndez se flicite de le
retrouver bajo un mismo continente ; AMFBJAD n 1434, M. Fernndez Bonpland, Esquina,
28 avril 1838 ; cf. CHIARAMONTE Juan Carlos, op. cit., pp. 78-79.
474
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions.
475
Les Indiens dotent tous les animaux dun nom gnrique, et souvent dun nom despce. Tous
sont bons naturalistes , dixit ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, p. 334.
476
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 1er janvier 1821.
130

Premire partie

Chapitre I

Le premier signe de civilisation est aperu aprs sa sortie du Paraguay


lestancia du docteur Acosta, travers quelques meubles et quelques livres 477 .
Mais cest aprs San Roque que tout lui annonce un pays civilis 478 . Noguera est
selon Bonpland le plus moderne des estancieros de la province ; ses corrals
valus 1 500 piastres et sa maison qui offre les commodits de celle dune
grande ville font constater Bonpland que cest celui qui se traite le mieux 479 .
Car on constate un changement de jugement aprs sa dtention vis--vis des
murs ; sa sentence est lourde concernant un pays o il vaut mieux vivre seul
quen socit 480 . En 1832 il espre revenir en Europe et y vivre au milieu de la
civilisation 481 . En passant devant Purificacin la mme anne, il aperoit
lancienne maison dArtigas :
cest bien dun Espaol avec tant de monde et dans un laps de temps si
grand de navoir pas termin ce petit edifice et de navoir pas log ses
officiers et ses troupes dune manire convenable

482

Le Paran, axe fluvial primordial, demeure non cartographi, ce qui


prolonge une habitude de 3. sicles funeste lactivit conomique qui, pour
sa part, se dveloppe de manire incalculable 483 . Doit-on attribuer Bonpland les
rflexions similaires mises par Darwin, lors de son voyage sur le Paran ? Car
lAnglais, aprs avoir bross le portrait de lindolence espagnole sur ce point,
regrette labandon dans lequel est laiss un pays tant vant par Bonpland 484 . Sans
aller jusqu affirmer linfluence de Bonpland, on saperoit quil existe des
points communs vidents, partags dailleurs par lensemble des Europens,
concernant la libert de navigation.

477

la maison sa distribution, son ameublement rapellent leurope plus une petite bibliotheque qui
renfermant quelques livres de jurisprudence mont fait passer un heureux moment. Depuis 10 ans
je navais pas vu un seul livre , AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 26
dcembre 1831.
478
les habitations sont plus raproches et les terres cultives. Jai vu de la canne sucre bien
petite, des champs de patate douce, trs peu de mandioca , AMFBJAD n 1695, voyage de So
Borja Corrientes, 4 janvier 1832.
479
AMFBJAD, n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 23 mai 1837.
480
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 90.
481
AMFBJAD n 567, Bonpland F. Dickson, Buenos Aires, 27 mars 1832.
482
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 25 octobre 1832.
483
Aussi il serait digne dun Gouvernement clair de faire lever un plan exact du Parana ,
AMFBJAD n 1713, journal, Corrientes, octobre 1836.
484
DARWIN Charles, op. cit., tome I, pp. 152-153. Lauteur poursuit sa critique en dnonant le
manque de maturit politique de ce pays, comme tous les Etats espagnols de lAmrique du
Sud .
131

Premire partie

Chapitre I

Comme dOrbigny, Bonpland nuance son propos. En 1836, peu de


distance de la frontire brsilienne, il rencontre un couple paraguayo-brsilien :
lhomme et la femme sont entirement devenus Correntinos 485 , constate-t-il
sans en prciser les caractres. DOrbigny les dfinit pour sa part apathiques et
indolents dans le domaine de la mise en valeur des terres 486 . Il prcise que les
habitants du Sud de Corrientes sont plus joueurs, moins francs et simples que ceux
du Nord et ont la haine de ltranger ; ceux de Curuz Cuati ont pris les murs
brigands de lEntre Ros. Mais le voyageur leur concde un degr moindre de
superstition et une douceur de caractre due peut-tre au mlange avec les
Guaranis 487 .
Au cours des annes 1830, Bonpland apprend nuancer ses propos. Un
matre de poste provoque ds 1832 un commentaire logieux de la part du
voyageur qui insiste une nouvelle fois sur son degr de civilit 488 , tout comme
Saint-Hilaire dix annes plus tt 489 . En 1837 la poste de San Lorenzo est digne
dloges :
ainsi que de coutume jai t trs bien trait [] la china de ce lieu
reprsente parfaitement nos meilleurs aubergistes. lhomme seul qui
voyage en Amrique peut aprecier ce que vaut un bon accueil, une bonne
rception.

490

Certes, toutes les postes ne se valent pas, mais une nuance existe au contraire
dautres rcits, notamment par une relative absence de la gnralisation et du
jugement compar entre lindividu et la socit comme dans le cas du rcit des
Robertson qui reprennent limage dune civilisation dans son enfance, presque au

485

AMFBJAD n 1711, voyage de So Borja Corrientes, 16 septembre 1836.


ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, pp. 138, 143. Cette remarque concerne
lasschement des terres, et lon peut penser que Bonpland soucieux de dveloppement le rejoint
sur ce point.
487
Ibid., pp. 118, 123, 146, 180, 368-388, 413.
488
Le matre de poste de Pay Ouvr est un de ces vieux multres civiliss qui accueillent bien
les voyageurs. Ce brave homme me fit comble de politesse et mobligea a dormir dans sa
maison . La nuit suivante il est accueilli avec la mme hospitalit par des particuliers ;
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 31 dcembre 1831 et 1er janvier 1832.
489
SAINT-HILAIRE Auguste de, Viagem ao Rio Grande do Sul (1820-1821), So Paulo, Itatiaia,
1974, pp. 19, 24.
490
AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 17 avril 1837. Les mmes
impressions se retrouvent chez lensemble des voyageurs. Cf. par exemple DARWIN Charles, op.
cit., pp. 25-27.
486

132

Premire partie

Chapitre I

stade de la barbarie, et encore plus tard par dOrbigny qui voque des vestiges de
civilisation 491 .
Au contraire, le botaniste crit de manire pointilliste ses remarques. A
propos des Marques nouvellement installs prs de lUruguay, il crit sa joie de
voir chez eux une bibliothque, de la moutarde de Maille , du trs beau sucre
de betterave et du champagne dlicieux 492 . Cest tout le contraire de
dOrbigny qui rsume les mois passs dans la rgion de Corrientes par ce
jugement laconique :
Je nai pas besoin de dire tout ce que jai souffert. Vous pouvez
seulement vous en faire une ide, voyageant dans des lieux encore
sauvages ou habits par des Indiens ou des Espagnols qui ne valent gure
mieux.

493

La faible dichotomie narratrice est certainement une caractristique essentielle du


rcit lgu par Bonpland. A la diffrence de ses contemporains 494 , peu de
gnralisation, peu de comparaisons avec lEurope transparaissent dans ses
journaux ; On ne peut sempcher de comparer ces annotations celles de
Humboldt, empreintes dune volont de classification qui donne son rcit toute
sa profondeur ou bien encore, la relation dAuguste de Saint-Hilaire, dsavoue
par ailleurs par Bonpland 495 .
Les jugements vis--vis des festivits et du dcorum, le regard port sur les
traditions culturelles sont importants relever dans la mesure o ils sont
significatifs du degr dimmersion et de comprhension des voyageurs. Ceux-ci se
montrent la plupart du temps trs critiques lorsquils se trouvent confronts aux
491

ROBERTSON John et William Parish, Cartas de Sudamrica, Buenos Aires, Emec, 2000
(1843), pp. 54-59 ; ORBIGNY Alcide d, Viaje por Amrica meridional, Buenos Aires, Emec,
tome I, 1998, pp. 143-144.
492
Il dcrit aussi des roues en fonte et des plaques de tle pour couvrir les maisons et en relve leur
curiosit ; AMFBJAD n 1717, voyage dans la province de Corrientes, 11 juin 1837.
493
A. dOrbigny aux professeurs administrateurs du Musum, 16 septembre 1828, cit in
BERAUD Gilles (d.), MIRET Enric, DORY Daniel (coll.), op. cit., p. 35.
494
Et la diffrence de nombreux auteurs attribuant Bonpland des intentions non vrifiables, et
bien souvent anachroniques. Lutilisation du manuscrit n 1653 par Guillermo Furlong en est un
bon exemple. En effet, lauteur utilise les propos tenus dans celui-ci pour justifier lattitude du
naturaliste lors de son voyage de 1820-1821. Or, si nous admettons la postriorit de ce document,
il sagit alors dune faute de jugement. Sil faut reconnatre la carence documentaire de cette
priode, il ne faut surtout pas dplacer les sources, au risque de perdre tout le sens de lexprience
de Bonpland. Sachons tirer parti rarement des rares tmoignages de voyageurs parvenus jusqu
nous sans avoir t remanis par la publication ; FURLONG Guillermo, En el centenario de
Aim Bonpland, 1858-1958 , in Anales de la Academia de Ciencias Exactas Fsicas y Naturales
argentina de Geografa, tome XV, n 2, 1958, pp. 64-65.
495
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cit in HAMY Jules Thodore Ernest, op.
cit., p. 87.
133

Premire partie

Chapitre I

coutumes trangres. Les divertissements de la fte que ne justifieraient pas


lignorance et la grossiret des sicles de barbarie , les solennits
transatlantiques du 25 mai sont perus par dOrbigny comme une espce de
parodie des murs et des usages de lancien monde sur le territoire du
nouveau 496 . La comprhension de ces rituels sociaux sont encore dfinies
comme des soires demi barbares sexpliquant par ltat relatif de la
civilisation 497 . Au contraire, Bonpland trouve la fte de Mercedes donne
Corrientes brillante 498 , et mme si les toasts ports Curuz Cuati au soir du
24 mai 1837 sont mdiocres, les menuets fastidieux danses locales mieux
excuts la commission charge des dcorations avait surpas les desirs de
tout le monde 499 ; Salto le bal en lhonneur de Ferr est jug trs bien 500 .
Les parallles avec lEurope vont jusqu comparer les lieux les plus
symboliques :
Sta Lucia est le versaille, le Meudon, le Montmorency de Montevideo.
Cest le Lieu dadoption pour les bains, les promenades des riches

501

Lopposition classique et lapidaire entre sauvagerie et civilisation fait place une


perception fine de la part du botaniste.

CONCLUSION
Le Franais, confront aux conflits internes et externes du Ro de la
Plata, construit son discours amricaniste partir dune utopie partage par
lEurope et les rpubliques de la Plata, de la reconnaissance de ces rpubliques par
la France et de la confrontation entre la France et un gouvernement rioplatense.
Entre persistances et changements, Aim Bonpland se confronte et sadapte
lamricanisme rioplatense en gestation. La combinaison de sa dimension
internationale, nationale et provinciale permet de relier rseaux, discours et
pratiques grce la position mdiane du savant. Son rseau franais, mais aussi
une partie de ses interlocuteurs amricains, le confortent dans sa perception dune
496

ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, p. 135.


Ibid., pp. 137, 204, 210.
498
AMFBJAD n 1711, voyage de So Borja Corrientes, 24 septembre 1836.
499
AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 24-25 mai 1837.
500
AMFBJAD n 1743, journal, voyage de Santa Ana lEntre Ros, 18 septembre 1842.
501
AMFBJAD n 1740, voyage de Montevideo Corrientes, Santa Luca, 1er janvier 1841.
497

134

Premire partie

Chapitre I

France devant servir de modle et ayant le devoir de limposer au Ro de la Plata.


Entour de bonapartistes et surtout imprgn de cette culture politique, son
discours se fige autour des valeurs vhicules par le Premier empire. Dans ses
pratiques politiques il adopte une posture pragmatique, commenant sengager
localement et assez faiblement vis--vis des autorits correntinas. Si aucune
source ne prouve quun rle politique est jou par le savant auprs de son pays, il
se rapproche trs fortement dAim Roger avec lequel il projette sans succs
une entreprise conomique. En ce sens il tente de faire ce quil crit en 1815,
savoir participer laccroissement de linfluence franaise dans la rgion par
capillarit. Lintervention navale de 1838 dcide par Roger donne au discours de
Bonpland une dimension supplmentaire, laction individuelle quil prne tant
confirme par laction arme entreprise au nom de la nation franaise.
En outre, cette vision des valeurs portes et apportes par la France savre
en adquation avec le discours de libert prn par les indpendantistes puis par
ceux dentre eux sopposant la politique portea, la province de Corrientes tant
ce titre en premire ligne du combat men contre lexclusivisme de Buenos
Aires. En effet, la geste rvolutionnaire franaise ainsi que la geste napolonienne
sont utilises comme rfrences par les Rioplatenses 502 . Cette convergence entre
allgories politiques franaises et desseins politiques amricains biaisent
davantage limage que Bonpland construit de son pays. La France recouvre une
partie de sa puissance mais nest plus en mesure de traduire en actes ses discours
hgmoniques, ce dont Bonpland et beaucoup de ses interlocuteurs sont pourtant
persuads. Son image de la France sidalise, les changements intervenus en
Europe parvenant Bonpland de manire dforme, tandis que les changements
quil exprimente en Amrique modifient son prisme de lecture au contact de
rseaux et de pratiques locales engendrant un discours toujours globalisant.
A ce titre, les hsitations et les contradictions concernant les prises de
position de Bonpland traduisent dabord le dsir de prendre le parti de la scurit
pour ses avoirs, le rflexe dfensif produisant un discours interventionniste. Si
limmersion nest pas totale, lacclimatation quant elle savre russie.
Bonpland, de laction conomique laction politique, se trouve en accord avec la
pratique politique dune partie des provinces de lInterior et sy adapte, bien que
502

Cf. LEMPERIERE Annick, LOMNE Georges, MARTINEZ Frdric, ROLLAND Denis


(coord.) LAmrique latine et les modles europens, Paris, LHarmattan, 1998.
135

Premire partie

Chapitre I

cette modification ne soit pas la consquence dune acculturation mais de la


concidence daffinits idologiques. Pour cela on ne peut parler dacculturation
mais plutt de mtissage, le Franais superposant ses rseaux, ses discours et ses
actes. Elle le fait cheminer dun statut de voyageur vers celui de migrant. Ici les
pratiques locales sont donc utilises pour renforcer un discours global prexistant
encore proche de la rhtorique civilisation versus barbarie. La pense de
Bonpland, marque par leuropocentrisme, se nourrit dexpriences, de
frustrations, de contacts avec des rseaux amricains locaux et didentification
ceux-ci. Ces annes marquent pour Bonpland la mise en place dune pense qui le
conduit une prise de position sans ambigut lors de la prochaine dcennie,
savoir la lutte contre la tyrannie. En attendant une tude dtaille des mouvements
transfrontaliers qui permettrait de mieux comprendre linterpntration des
cultures rioplatenses 503 , cette immersion sert le Franais au cours de la priode de
guerre qui souvre en 1839.

503

Des recherches sur les relations frontalires de cette aire gographique commencent se faire
jour ; cf. par exemple IRIGOIN Mara Alejandra, SCHMIDT Roberto (d.), La desintegracin de
la economa colonial. Comercio y moneda en el interior del espacio colonial (1800-1860), Buenos
Aires, Editorial Biblos, 2003.
136

CHAPITRE II
Du transnationalisme lamricanisme (1839-1852)

INTRODUCTION
En 1838 la situation politique se dgrade entre Buenos Aires et les
provinces littorales, ce qui provoque lanne suivante leur entre en conflit et
lembrasement du Ro de la Plata 504 . Dans la province de Corrientes gouverne
par les fdralistes depuis 1810, larrive au pouvoir de Rosas entrane une
division interne entre libraux antirrosistas et fdralistes rosistas. En outre, la
province est frontalire avec le Paraguay, le Chaco, Santa Fe, lEntre Ros,
lUruguay, le Rio Grande do Sul et Misiones. Chacune de ces entits politiques
possdant ses propres systmes politiques, ses propres intrts et le choix de ses
alliances, les gouvernants de Corrientes doivent se positionner par rapport cette
situation frontalire complexe. Aux dissensions internes sajoutent donc des
contraintes externes qui obligent les dirigeants comme les individus sengager et
sadapter selon un systme de reprsentation bas sur lattraction et la rpulsion
vis--vis de la politique suivie par les entits politiques frontalires. Pour cette
raison des stratgies transnationales sont trs vite mises en place par les
Correntinos.
Comment Bonpland sadapte-t-il cette situation ? Sil savre capable de
sadapter en tissant un rseau avec les clans correntinos, la fin de lalliance inter504

Cf. HERRERA Luis Alberto de, Orgenes de la Guerra Grande, Montevideo, A. Monteverde y
Ca, 1941, 2 volumes.

Premire partie

Chapitre II

clanique provinciale qui accompagne le dbut de la Guerra Grande en 1839 505


loblige modifier ses alliances et son approche politique. Il accompagne en cela
la mutation politique que connat le Nordeste et participe la question de la
construction dune identit politique au sein de cette rgion. Il le fait non plus en
spectateur mais en vritable acteur ; lobservateur devient partisan. Ce nest pas
un hasard puisque les conflits rioplatenses jusqualors en germe amnent la
France intervenir directement. Cest donc autant par ncessit que par
conviction quil prend une position ferme dans le conflit qui clate et cest lors de
cette priode que les actes et le discours concident.
Ses prises de position au cours de la Guerra Grande diffrent de celles des
unitaires argentins chasss de Buenos Aires avec larrive au pouvoir de Rosas.
Bonpland prne lunit mais non lunitarisme, cest--dire la tentative dunir les
opposants au dirigeant porteo grce une alliance transnationale. En ce sens,
unitarisme et transnationalisme sont intimement lis dans son esprit car en
privilgiant une action politique globale visant rapprocher plusieurs entits
politiques, Bonpland confirme par ses actes dune part le morcellement politique
rioplatense, dautre part limpossibilit de recourir une alliance limite aux
provinces de la Confdration Argentine afin de rsoudre le conflit. En 1840,
Bonpland nemploie plus un langage universaliste mais parle dunion, la plaie
lintrieur du Ro de la Plata continuant dtre la division. De mme, lespace
dans lequel il se projette est moins dfini par un continent que par une nation, des
pays, des individus ou des lieux mis au service du dveloppement de la
civilisation.
Dans ce contexte de construction dune frontire politico-culturelle il
sagit la fois de se dterminer par rapport la frontire atlantique, cest--dire
lEurope, comme par rapport aux frontires internes qui ne sont quesquisses. A
lintrieur de ce processus de dfinition dun sentiment national, la province
priphrique de Corrientes joue un rle central. Il sagit donc de dfinir la
frontire politico-culturelle que tente de construire lentit politique correntina et
danalyser travers ce statut frontalier la manire dont Bonpland sy insre et
construit sa propre frontire.

505

Cf. CRUZ JAIME Juan, op. cit., pp. 26-27.


138

Premire partie

Chapitre II

L encore lordre chronologique prdomine mais les jalons ne sont pas


figs car les vnements, le temps et lespace historique diffrent selon les entits
politico-culturelles concernes. Aussi les limites chronologiques peuvent paratre
floues mais elles concordent avec les limites des aires culturelles analyses. Ici les
frontires chronologiques ne peuvent pas tre fixes par des batailles ou des
traits, la question des repres temporels sappliquant aussi bien la dfinition des
grandes res historiques qu la micro-histoire dont Bonpland est le centre. Aussi
dans un premier temps son engagement est-il analys depuis 1839 jusqu la fin
de ses missions diplomatiques menes au dbut des annes 1840. Cest le temps le
plus fort de son engagement puisque dans un second temps, du dbut des annes
1840 jusquau dbut de la dcennie suivante il se retire de laction politique et
sadapte aux mutations de laire culturelle rioplatense grce la rnovation de son
rseau transfrontalier. Dans un troisime temps, entre la fin des annes 1840 et le
dbut des annes 1850, on assiste un cloisonnement gographique corrlatif
llargissement de son rseau. Ces trois temps accompagnent les mutations
politiques rioplatenses.

A. LENGAGEMENT POLITIQUE TRANSNATIONAL


Lengagement senracine profondment dans lindpendantisme du
Franais qui rejoint la question de la construction nationale argentine. Les
vnements provoquent alors un changement de position, lentre en conflit
simultane de Corrientes et de la France contre Rosas en 1838 lamenant
sengager son tour. En effet, Bern de Astrada sallie dune part avec Rivera en
lutte pour la prsidence de lUruguay contre Oribe, soutenu quant lui par Rosas.
Dautre part, lattitude belliciste de la France signifie pour Bonpland lespoir
concret de voir sinstaller la civilisation et redonne son discours une dimension
universaliste sous la forme dun unitarisme transatlantique.
La province de Corrientes cristallise cette problmatique puisquen 1839
elle porte le discours civilisateur auquel adhre Bonpland. De par son implication,
il arrive alors lier lintrt particulier et lintrt gnral. Lintrt particulier de
lagriculteur, du colon alli au gouvernement de Corrientes et lintrt gnral du

139

Premire partie

Chapitre II

pays et des partis qui entament un combat contre la tyrannie du dictateur


Rosas la province de Corrientes en tte, Bern de Astrada puis Pedro Ferr se
faisant les champions de lorganisation constitutionnelle du pays 506 .

1. Lengagement dans la geste patriotique rioplatense


Lengagement politique dAim Bonpland rsonne comme une rupture
dans la continuit. La rupture, constitue par une prise de risque politique, dcoule
directement de limmersion culturelle et politique vcue au cours des annes
1830. A ce titre le gouvernement constitutionnel en place Corrientes se
dveloppe ds les annes 1830 non seulement dans le discours mais aussi, fait rare
pour lespace et le temps voqus, dans les actes 507 . Il lui permet dadhrer au
discours correntino autant par conviction le retour du bon gouvernement
incarn par le modle europen des Lumires garant des progrs de la civilisation,
crit Bonpland 508 que par souci de ne pas tre inpoltico 509 .

1839 : Vers le passage aux actes


Au dbut de lanne 1839, Aim Bonpland se consacre un voyage de
prospection agricole dans le haut de lUruguay avant de revenir So Borja au

506

Cf. GOMEZ Hernn Felix, op. cit., pp. 231-241. Un proche de Bonpland lui fait part de ses
sentiments aprs linvestiture de Bern de Astrada : Je ne doute pas que les changements
survenus rcemment vous auront amuss quelque peu ; le nouveau dirigeant dsire tre
Gouverneur Constitutionnel, ce qui pour moi est la plus grande des vertus dont lanne 38 puisse
orner un Magistrat , AMFBJAD n 735, B. Noguera Bonpland, Curuz Cuati, 25 mars 1838.
507
En effet, Jos Carlos Chiaramonte souligne qu Corrientes nous constatons une cration
constitutionnelle prcoce laide dun rgime reprsentatif effectif [], et avec des gouverneurs
se succdant au pouvoir selon des normes constitutionnelles, au point de russir canaliser
lgalement les rivalits politiques sintensifiant au dbut des annes 1830. , CHIARAMONTE
Jos Carlos, op. cit., p. 48,
508
Cf. CERRUTI Cdric, Un Rochelais en Terrae cognitae : le discours et les actes.
Lengagement politique dAim Bonpland dans le Ro de la Plata. 1831-1840 , in MOREAU
Christian, DORY Daniel (dir.), Alcide dOrbigny. Entre Europe et Amrique. Textes et contextes
dune uvre, Rennes, PUR, pp. 129-146.
509
Le mot est souvent employ par Ferr, et peut se dfinir comme le fait de trahir son
appartenance la fois institutionnelle, militaire, familiale, personnelle, savoir tout lensemble
complexe qui dfinit la sociabilit politique argentine de cette premire moiti du XIXe sicle entre
ancien et nouveau rgime, pour employer une terminologie europenne.
140

Premire partie

Chapitre II

mois de fvrier 510 lorsque la proclamation de la guerre le surprend. En effet, deux


jours aprs que Rivera ait dclar la guerre Rosas, le 24 fvrier 1839, le
gouverneur de Corrientes Bern de Astrada ouvre son tour les hostilits,
confiant dans le soutien que devrait lui apporter Rivera en vertu de lalliance
signe le 31 dcembre 1838 511 . Au dbut du mois de mars 1839 les prparatifs de
la bataille entre Genaro Bern de Astrada et Pascual Echage 512 , le gouverneur
dEntre Ros alli de Rosas, sont pour le Franais le signal dun embrasement
gnral. Alors quil visite les malades du campement correntino, tout, crit-il,
annonce la destruction du pays soit quon la veuille ou non. 513
En effet, avant la destruction cest la dfense du pays qui se joue dans la
province de Corrientes. Aprs la geste rvolutionnaire, le premier acte de la geste
patriotique se met en place. Les acteurs de Pago Largo sont conscients de la
dimension nationale et historique de leur rle 514 , alimentant le discours
provincialiste de lhistoriographie argentine 515 . En outre les renforts promis par
Rivera narrivent pas, scellant le dbut dune ferme hostilit entre les allis. Pour
ce motif pragmatique et peut-tre grce un esprit de tolrance insuffl par le
Franais, le gouvernement appelle les cadres de larme pardonner aux
dserteurs et tout mettre en uvre pour les enrler de nouveau 516 .
510

AMFBJAD n 1724, voyage dans le haut de lUruguay, janvier-fvrier 1839.


Cf. CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit., tome I, pp. 119-120.
512
Pascual Echage (1797-1867) est nomm responsable militaire de la province de Santa Fe en
1825. Dsign gouverneur de lEntre Ros en 1832, il est rlu en 1837. Aprs 1839 Echage
participe la Guerra Grande aux cts des fdralistes. Dfait en 1841 par Lavalle, il est remplac
dans sa charge par le gnral Urquiza mais occupe lanne suivante par la force le gouvernement
de Santa Fe. Il organise alors plusieurs expditions au Chaco. Aprs la dfaite de Rosas il effectue
un court sjour en Europe avant de revenir en Argentine occuper un poste de snateur.
513
AMFBJAD n 1725, journal, visite au campement de G. Bern de Astrada, mars 1839.
514
Antonio Navarro crit avant de tomber au combat : estamos con una posicin unica de
salvar el pais dejarlo en manos del enemigo . AMFBJAD n 732, A. Navarro Bonpland, Pago
Largo, 1er avril 1839.
515
Ce discours positiviste affirmant que le pouvoir politique des caudillos se construit grce
lignorance des masses rurales apparat durant les deux dernires dcennies du XIXe sicle. Au
cours des deux premires dcennies du XXe sicle, lcole historique constitutionnaliste insiste sur
la lgitimit des organisations provinciales vis--vis du caudillisme de Rosas. La bataille de Pago
Largo occupe une place centrale dans ce combat. Hernn F. Gmez en fait une tape primordiale
de son histoire de Corrientes ; cf. GOMEZ Hernn F., Historia de la provincia de Corrientes.
Desde el tratado del Cuadrilatero hasta Pago Largo, Corrientes, Imprenta del Estado, 1929.
Lhistorien argentin insiste dans dautres crits sur ce moment ; cf. GOMEZ Hernn F., Pago
Largo y Bern de Astrada. Consideraciones a base de los documentos del Archivo General de la
Nacin , in Pginas de Historia, Corrientes, Imprenta del Estado, 1928, pp. 189-198 ; Bern de
Astrada. La epopeya de la libertad y de la constitucionalidad, Corrientes, Amerindia, 1999 (1939).
516
Le dcret dat du 13 mars 1839 est reproduit in GOMEZ Hernn F., Historia de la provincia de
Corrientes. Instituciones de la provincia de Corrientes, Corrientes, Amerindia, 1999 (1922), pp.
303-304. De retour du camp le 8 mars 1839, Bonpland crit : la plus part ne sont vritablement
que des recrues. il semble regner un grand dsordre dans cette troupe lequel provient du manque
511

141

Premire partie

Chapitre II

Mais le pessimisme du Franais concernant ltat des troupes correntinas


est vrifi quelques jours plus tard, car suite la dfaite et la mort de son
protecteur Bern de Astrada face aux allis de Rosas, le Ro de la Plata plonge
dans la Guerra Grande. Le jeu des alliances entrane lensemble de la rgion dans
la guerre et lestancia de Bonpland tant une prise de choix, sa proprit de Santa
Ana est saccage 517 .
Cependant sa personne est prserve 518 . Cette protection dont il bnficie
est difficilement interprtable dautant que la rpression dEchage est froce 519 .
Il sagit pour la comprendre de se replacer dabord dans le processus
dengagement de Bonpland. En effet, au lendemain de Pago Largo celui-ci nest
pas encore pass aux actes. Certes il visite le campement de Bern de Astrada
mais il effectue des soins mdicaux et fait de mme pour les soldats dEchage
aprs la bataille. Du ct des forces franaises, aucune source ne le dsigne
comme engag auprs delles et il na encore rencontr aucun compatriote sous
les armes. A cette attitude neutre sajoute le statut scientifique de Bonpland et
surtout ses cercles relationnels forgs au cours des annes 1830. En effet,
Bonpland a soutenu le rosista Atienza et la accompagn jusqu ses derniers
instants. Cette protection locale est certainement la raison pour laquelle Echage
se montre magnanime vis--vis de lui. Dailleurs lEntrerriano ne se contente pas
de le mnager, il profite au contraire du statut de Bonpland pour lui demander de

de bons chefs et de la propension tres grande quont les Correntinos pour ne pas servir. Depuis peu
de jours on compte un grand nombre de Dserteurs et la desertion continuera positivement malgr
que le Gouverneur ait dej fait une execution. La conjonction entre les commentaires de
Bonpland, au lendemain de son sjour Curuz Cuati, et la rsolution de Bern de Astrada
intervenant quelques jours plus tard, peut tre interprte sans trop de risques comme le rsultat de
linfluence du Franais auprs du gouverneur correntino. Si lon ajoute que le 13 mars, il se trouve
Curuz Cuati en compagnie du gouvernement, les doutes sont presque nuls. Cette tolrance vis-vis du refus de porter les armes est une constante chez Bonpland. Sa rencontre avec un homme
ayant fui les luttes indpendantistes naltre aucunement une excellente opinion son sujet ;
AMFBJAD, n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 17 mai 1837.
517
HAMY Jules Thodore Ernest, op. cit., p. 134. La proprit de So Borja avait dj souffert de
la guerre civile brsilienne.
518
AMFBJAD n 168, L. Nascinbene Bonpland, 26 avril 1839 ; AMFBJAD n 1592, Bonpland
P. Echage, Santa Ana, 9 juin 1839.
519
Cette dfaite, prsente par lhistoriographie locale comme celle de la civilisation face la
barbarie, cote la vie 800 des 1 300 prisonniers qui sont gorgs sur ordre du commandant des
forces rosistas Urquiza ; cf. ZINNY Antonio, op. cit., pp. 35-36 ; GOMEZ Hernn F., Pago
Largo y Bern de Astrada. Consideraciones a base de los documentos del Archivo General de la
Nacin , in Pginas de Historia, Corrientes, Imprenta del Estado, 1928, pp. 189-198 ; Bern de
Astrada. La epopeya de la libertad y de la constitucionalidad, Corrientes, Amerindia, 1999 (1939).
142

Premire partie

Chapitre II

garantir la neutralit des trangers prsents au sein de la province 520 . Il sagit


peut-tre l dun accord expliquant dun point de vue local la tranquillit obtenue
par Bonpland.
Il permettrait aussi de mesurer la porte politique acquise par le Franais
qui poursuit avec Echage sa dnonciation de la contrebande. Proccup par ses
avoirs, Bonpland dnonce les abus auprs de tous les gouverneurs, quils soient ou
non de son obdience politique 521 comme dautres Franais pour qui la
contrebande signifie un manque gagner 522 . En outre, il faut absolument
roccuper toutes les habitations dfaut de quoi le gouvernement, comme cela est
dj arriv, est susceptible dinstaller des capataces en lieu et place des
possdants 523 . Aussi malgr les pertes subies pendant et aprs la bataille 524 il
sagit de participer rapidement au rtablissement de lordre conomique comme
social et politique.
Tandis que Bonpland sattelle rparer les pertes subies Santa Ana, le
nouvel ordre politique instaur par Echage dans la province ne rsiste pas son
dpart. En effet le gouverneur rosista et fdraliste install par lEntrerriano, Jos
Antonio Romero, se heurte une opposition politique et populaire qui clate le 6
octobre sous le commandement de Pedro Ferr 525 . Avec lui le conflit acquiert une
dimension transnationale car il sengage dans un combat pour son pays et pour
la cause des peuples 526 . Celui-ci commence par un rapprochement avec les
Farrapos qui implique aussi pour Bonpland dans une premire mdiation
520

AMFBJAD n 168, L. Nascinbene Bonpland, 26 avril 1839 ; AMFBJAD n 1592, Bonpland


P. Echage, Santa Ana, 9 juin 1839.
521
AMFBJAD n 1592, Bonpland P. Echage, Santa Ana, 9 juin 1839. A Santa ana il constate
une contrebande mesquine et sans limites car le commandant Gregorio Ledesma ferme les
yeux; il apprend ici la mesure du gouvernement visant refouler les individus et familles qui
accourent de toutes parts pour contrebande : jamais mesure aussi [sage] naura t plus
propos execute , AMFBJAD n 1737, voyage Montevideo, Santa Ana, 3 novembre 1840 ;
AMFBJAD n 1730, journal, Santa Ana, 13 mars 1841
522
Joseph Ingres crit Bonpland : Dites Ferr quil [est] de la plus grande ncessit quil
mette une garde au Passo de Santanna [] Il passe ici journellement des Gauchos qui amnent
journellement des chevaux vols, quils vendent presque pour rien : [] Mais quil choisisse aussi
un homme de bien et intelligent, vous savez comme ce District a t command jusquici ; ce
Chamorro est un misrable qui se vend comme tou gueux ; cet homme est un misrable qui ne
devrait pas exister sur cette frontire. , AMFBJAD n 619, J. Ingres Bonpland, Santa Ana, 28
dcembre 1839.
523
Echage, en sus dimposer une norme indemnisation de guerre, fait rorganiser le territoire et
les proprits teriennes ; cf. ZINNY Antonio, op. cit., p. 38.
524
pero ha sido efecto del desorden crit-il ; AMFBJAD n 727, Bonpland L. Nascinbene,
Santa Ana, 4 juin 1839.
525
ZINNY Antonio, op. cit., pp. 39-40.
526
la causa de los pueblos , AGNBA, coleccin Carlos Casavalle, Ferr, Ferr M. Leiva,
Corrientes, 7 octobre 1839.
143

Premire partie

Chapitre II

politique signifiante puisquil introduit Jos Mariano de Matos, ministre de la


Guerre, de la Marine et vice-prsident de la Rpublique riograndense auprs du
gouverneur correntino en dcembre 1839 527 . Ce geste sinscrit dans la continuit
des rapports entretenus avec Matos, jusqualors davantage conomiques mais
incluant ds lors un contenu politique transnational de poids, dans la continuit
des discours et des actes du Franais 528 .
Car avec lengagement de Bern de Astrada puis le retour aux affaires de
son ami Ferr en 1839, en retrait de la vie politique depuis 1833, Bonpland est
amen lutter plutt qu renoncer encore une fois aprs avoir tout perdu. Toute
ide de neutralit lui apparat dsormais chimrique face lenvenimement de la
situation. Ce choix de lengagement politique jamais expriment est le rsultat
dun enracinement et de ruptures dj expliqus. Bonpland sen justifie en
rappelant son engagement en faveur de lindpendance amricaine de 1805
1814 529 . Son discours est donc marqu par un retour des rfrences dpassant le
contexte politique immdiat ; il identifie la guerre qui commence en 1839 la
lutte pour lindpendance au nom dun mme combat pour les liberts et contre la
dictature et lobscurantisme. Cette justification rvle le prisme par lequel il
peroit la guerre qui sannonce, le plaant dans la filiation indpendantiste
revendique au mme moment par les antirrosistas ce qui une fois encore lui
permet de donner une cohrence ses actes, le pass clairant et justifiant le
prsent.
Aussi le discours saccompagne-t-il dune entre en campagne vritable,
puisquon le voit aux cts des principaux chefs militaires ds la fin de lanne
1839. Le 6 novembre il rejoint Ferr San Roque. Les deux hommes sjournent
ensuite Corrientes pour que le mdecin soigne le gouverneur, puis ils se mettent
en route le 5 dcembre afin de rejoindre larme de Lavalle530 ; la fin de lanne

527

AMFBJAD n 1002, J. M. de Matos Bonpland, Cacapara, 12 dcembre 1839.


Ainsi que dans la continuit des rapports troits entre le Rio Grande do Sul et les provinces
argentines ; cf. SCHEIDT Eduardo, Ecos da revoluo farroupilha no Rio da Prata , in Revista
electrnica
ANPHALAC
[en
ligne],
n
2,
2002.
URL :
http://www.anphlac.org/revista/revista2/revista_anphlac_2.pdf
529
Il parat exagrer cet engagement, puisque aucune participation concrte nest relever avant
1814. Mais les propos se veulent une profession de foi en faveur de lunion contre Rosas.
530
AMFBJAD n 1726, journal. Juan Lavalle (1797-1841), n Buenos Aires, sengage de 1812
1823 aux cts des Libertadores et accde au grade de gnral en vertu de ses grandes capacits
militaires. De retour Buenos Aires en 1823, il est charg de surveiller la frontire indigne. En
1826, il est envoy combattre contre le Brsil o il sillustre encore. Unitaire, il renverse en 1828
le gouverneur fdraliste Manuel Dorrego quil fait fusiller, ce qui augmente lhostilit son gard
528

144

Premire partie

Chapitre II

1839 les allis sont prts prendre loffensive. Le 29 dcembre Joseph Ingres,
rcemment arriv Santa Ana aprs avoir t spectateur dune guerre
descarmouches entre Rivera et Echage, fait part Bonpland de ses craintes vis-vis de loffensive promise par lOriental :
Fruto [Rivera] samuse toujours avec les Entrerrianos, et fait
journellement des petits exercices pour exercer ses soldats et ses
Ennemis. Qui diable sait quand ce charivari finira.

531

Contrairement Ferr, instruit par la leon de Pago Largo 532 , Bonpland se montre
confiant envers lalli uruguayen 533 . Loffensive de celui-ci mene au moment o
Ingres crit ces lignes donne raison Bonpland. La victoire de Cachanga stoppe
lavance dEchage et permet Ferr de prendre loffensive.

1840 : Le passage aux actes


Ce passage dun rle de mdiateur celui de belligrant se traduit par la
prsence dun vocabulaire de combat, dfinissant en mai Rosas comme
lhomme sanguinaire que tout les homme de jugements veulent voir priv
de lautorit dont il fait un si mauvais usage

534

Avec lemploi de termes comme dictature , homme sanguinaire ou


d ennemis pour qualifier Rosas et son rgime, un processus didentification se
met en place partir de cette anne. Il fait cho aux propos et aux actions
amricanistes de Rosas 535 , le discours du Franais saccompagnant dactes
engags.
Le premier janvier 1840, Pedro Ferr dclare la guerre au gouvernement
de Buenos Aires et ses allis. Aprs six mois datermoiements, Aim Bonpland

lobligeant sexiler dans la Bande Orientale, laissant le pouvoir Rosas. Avec la Guerra Grande,
Lavalle espre reprendre le pouvoir. Il envahit lEntre Ros en 1839 mais ses tentatives pour
renverser Rosas, dabord avec lappui correntino puis avec le faible soutien des provinces du
Nord, chouent. En 1841, il est finalement tu par les fdralistes Jujuy.
531
AMFBJAD n 619, J. Ingres Bonpland, Santa Ana, 29 dcembre 1839.
532
Cf. CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit., tome I, pp. 119-120.
533
AMFBJAD n 1726, journal, Santa Ana, dcembre 1839.
534
AMFBJAD n 1733, voyage dans le Paran, 7 mai 1840.
535
Le terme d actions amricanistes est emprunt NARI Estela, op. cit., p. 133, pour
qualifier les agissements anti-europens de Rosas assimils trop rapidement de la barbarie,
prcise Estela Nari. Lengagement de Bonpland au nom du droit des colonies espagnoles
lindpendance est, lui aussi, un acte amricaniste.
145

Premire partie

Chapitre II

apprend la retraite dEchage suite au combat de Rosario 536 et sengage


concrtement aux cts des antirrosistas regroups au sein de la deuxime Arme
Libratrice forme en majorit de soldats correntinos et dirige jusquen juillet
par le gnral Juan Lavalle. En janvier, alors que ce prestigieux tacticien issu des
guerres dindpendance marche sur Buenos Aires Bonpland espre que, comme
Napolon Ier au retour de lle dElbe, il prenne la ville sans un seul coup de
feu 537 . Mais lespoir suscit par larrive de ce sauveur est de courte dure car des
msententes sinstallent entre le vaniteux gnral et lambitieux Rivera 538 pour le
contrle des oprations militaires. Aussi Lavalle, dcid prendre lEntre Ros
avant de fondre sur Buenos Aires part-il le 28 fvrier la rencontre dEchage
avec les seules forces regroupes par le gouvernement de Corrientes. Cette
initiative inquite les Franais dont lescadre est ancre La Esquina et invitent
Ferr une premire entrevue le 7 mars, celui-ci demandant Bonpland de
laccompagner 539 . Il y apprend les buts de lescadre franaise, savoir rduire la
batterie du Rosario, soutenir la progression de Lavalle dans lEntre Ros et
protger le commerce de Corrientes 540 .
Mais Lavalle, prenant de plus en plus ses distances vis--vis des allis,
opte pour un affrontement direct avec Rosas, persuad de le dfaire sans pertes.
Ayant besoin des navires franais et de larme de rserve reste Corrientes mais
ne reconnaissant plus dautre autorit que la sienne, les relations politiques entre
le gnral et les allis deviennent excrables. Ferr envoie alors Gregorio Valds
et Aim Bonpland Montevideo pour y mener des ngociations avec Rivera et le
chef de lescadre franaise, lamiral Dupotet 541 . Bien que le titre de diplomate ne
soit pas reconnu par les autorits montevideanas en vertu de sa nationalit, le

536

AMFBJAD n 1726, journal, Saladas, 9 dcembre 1839.


AMFBJAD n 227, janvier 1840 et s.n.
538
A ce propos, cf. SOSA DE NEWTON Lily, Lavalle, Buenos Aires, Plus Ultra, 1967, pp. 115140.
539
AMFBJAD n 1728, sjour Santa Luca.
540
AMFBJAD n 1729, voyage dans la province de Corrientes, 8 mars 1840.
541
Jean Henri Joseph Dupotet (1777-1852) remplace lamiral Leblanc mais ne dispose, comme
son prdcesseur, que de pouvoirs militaires. Nanmoins il est reu par Felipe de Arana, ministre
des Affaires trangres de la Confdration, ce qui entrane une tension avec Buchet de Martigny,
consul de France Montevideo. Il est finalement remplac son tour par lamiral Mackau.
Dupotet commence sa carrire comme marin lge de 16 ans. Il se distingue durant les guerres de
la Rvolution et de lEmpire, notamment Trafalgar. En 1828, il accde au grade de contre-amiral
et devient par deux fois, en 1830 et 1834, gouverneur de Martinique. Devenu vice-amiral en 1841,
il met fin sa carrire en 1845 alors quil exerce la fonction dinspecteur gnral des ports de
lAtlantique.
537

146

Premire partie

Chapitre II

Franais commence ds son arrive, le 14 mai, ngocier avec les allis 542 .
Malgr ladmiration quil lui voue, Bonpland est oblig de constater que Lavalle
contribue dtruire lalliance antirrosista 543 . Le savant entreprend alors de mener
trois ngociations ; lune avec les Franais afin dobtenir un soutien logistique
pour Corrientes et un changement de politique, une autre avec les Argentins
unitaires rfugis et une dernire et difficile avec Rivera pour le convaincre
dentrer en campagne.
Concernant lappui franais, il parvient convaincre Dupotet dabord
favorable Lavalle et couvert par ses instructions limites au blocus et Buchet
de Martigny denvoyer Corrientes un convoi sous escorte 544 devant marquer le
dbut de communications rgulires entre Corrientes et Montevideo, la France
fournissant du matriel et Corrientes pouvant ouvrir une route ses produits
commerciaux 545 . Bonpland persuade aussi les consuls Baradre et Buchet de
Martigny de retirer leur soutien Lavalle tandis quil voit Dupotet fulminer contre
linsubordination de lunitaire argentin 546 . Les consuls pensent procurer un
tuteur sain desprit 547 Lavalle, optant pour Valentn Alsina 548 puis lui
prfrant Julin Segundo de Agero 549 plus mme de corriger la position de
Lavalle 550 . Enfin, Bonpland fait part de la posture des consuls, particulirement
Buchet de Martigny, trs favorable au Correntino du fait de leur similitude davec
celle de Ferr faite dunion et de libert des peuples. Le sens de lhonneur et le
jugement de Buchet de Martigny partags par son compatriote lui donnent

542

PAZ Jos Mara, Memorias pstumas, Buenos Aires, 2000 (1855), vol. II, pp. 313-314.
AMFBJAD n 1733, voyage dans le Paran, 7 mai 1840.
544
Comptant de 24 28 velas avec vestidos, vveres, buques, municiones, etc., etc. Cuantes
cosas se han pedido , FERRE Pedro, op. cit., tome II, pp. 613-614 ; AMFBJAD n 1734, journal,
Montevideo, 14 mai 1840.
545
AMFBJAD n 47, Bonpland P. Ferr, Montevideo, 15 juin 1840. Bonpland obtient de
Dupotet louverture de cette route en virtud de la gran estima qe tiene el Sor almirante para
V.E. . Mieux encore, Bonpland espre recevoir les meilleures armes franaises en plus de celles
que Buchet de Martigny attend dj et quil rserve Corrientes.
546
FERRE Pedro, op. cit., tome I, p. 125.
547
sana de juicio , ils pensent au docteur Alsina ; cf. AMFBJAD n 46, Bonpland P. Ferr,
Montevideo, 15 mai 1840.
548
Valentn Alsina (1802-1869) est juriste, crivain et politicien unitaire argentin. Antirrosista, il
est arrt Buenos Aires mais parvient fuir en Uruguay en 1837. Il participe lopposition
depuis Montevideo puis dirige le soulvement porteo du 11 septembre 1852 contre Urquiza.
Dmissionnaire, il reprend le tte de la province de Buenos Aires une seconde fois en 1858, la
bataille de Cepeda mettant fin ses fonctions. Il termine sa carrire en tant que snateur.
549
Julin Segundo de Agero (1776-1851), cur et politicien unitaire, soutient Rivadavia en 1826
puis Juan Lavalle en 1828. Aprs la victoire des fdralistes, il fuit Montevideo o il joue le rle
de conseiller auprs de Lavalle et o il demeure jusqu sa mort.
550
FERRE Pedro, op. cit., tome II, pp. 607-608, 613.
543

147

Premire partie

Chapitre II

confiance 551 pour interfrer auprs de lui afin dobtenir le dsaveu dAlsina et
Lavalle, obtenant du diplomate quon discute de la nomination dun mentor
auprs de ce dernier 552 .
Il se charge ensuite dinformer Ferr de la situation politique
lembouchure du Ro de la Plata. Valentn Alsina faisant partie des dirigeants
unitaires argentins, Bonpland le sermonne pour ne pas stre mis en contact avec
le gouverneur correntino, sappuyant sur linsatisfaction de Buchet de Martigny
engendre par cette attitude desservant lunion indispensable des antirrosistas,
dautant que sa nationalit lui ordonne de tout mettre en uvre pour sa patrie 553 .
En effet, les contacts indispensables qui doivent se nouer entre Corrientes et
Montevideo doivent leur tour encourager davantage limplication franaise. La
mise en route de ce cercle vertueux est semble-t-il confie Gregorio Valds,
aucune source nattestant dautres contacts entre Bonpland et les unitaires.
Nanmoins, il est probable que des contacts sinstaurent avec eux et
particulirement avec Juan Bautista Alberdi554 , alors exil Montevideo, car il
profre lui aussi lunion de la famille argentine forme en 1810 555 .
Quant Rivera, Bonpland entame avec lui de longues et infructueuses
ngociations. Pour obtenir son appui, dont lalliance a ncessairement besoin et
dont lacquisition est peu sre, Bonpland choisit de flatter son orgueil ; il lui crit
que
Dieu a dsign le gnral Rivera pour tre le librateur des peuples de
lAmrique du Sud

556

Bonpland semble croire ce quil crit, du moins dans le fond si ce nest dans la
forme qui elle prsente une grammaire mtisse car lpistolier dbute l un
551

AMFBJAD n 46, Bonpland P. Ferr, Montevideo, 15 mai 1840. Malheureusement, le


manuscrit sarrte brutalement alors que Bonpland sapprte informer Ferr de la voz general
entre los hombres de mas categoria para qe sepa todo y puea fixar su juicio sobre el estado presente
de las cosas, y la necesidad de obrar pronto, con la mayor eficacidad .
552
AMFBJAD n 1734, journal, Montevideo, 14 mai 1840.
553
AMFBJAD n 46, Bonpland P. Ferr, Montevideo, 15 mai 1840.
554
Juan Bautista Alberdi (1810-1884) est un des piliers de la Generacin del 37. Il sexile sous le
rgime de Rosas et termine ses tudes de droit Montevideo, puis voyage en Europe et en
Amrique du Sud. Ecrivain et journaliste, il sinstalle Valparaso o il rdige un trait de droit
national dont sinspire la constitution argentine de 1853. Urquiza le nomme deux ans plus tard
plnipotentiaire auprs des gouvernements franais, espagnols et britanniques. En 1861, la dfaite
dUrquiza Pavn le pousse sexiler en France, o il meurt. Cependant, sa pense exerce une
grande influence au cours des annes 1880 auprs de lEtat argentin en consolidation.
555
Cf. CHIARAMONTE Jos Carlos, Ciudades, provincias, Estados : orgenes de la Nacin
Argentina (1800-1846), Buenos Aires, Ariel, 1997, pp. 640-645.
556
AMFBJAD n 194, Bonpland au Prsident de la Rpublique Orientale, Salto, 17 juillet 1840.
148

Premire partie

Chapitre II

dialogue teint dadmiration. Or, la lettre crite le 17 juin accompagne celle de


Buchet de Martigny Ferr linformant du retrait effectu par Rivera de la
province dEntre Ros, privant la coalition de son meilleur soutien terrestre 557 .
Aim Bonpland quitte Montevideo le 23 juillet, aprs que Lavalle ait t
dfinitivement mis hors dtat de nuire par Echage le 16 du mme mois, ce
dernier reprenant loffensive. Ferr demande alors au gnral Paz de prendre la
tte de larme de rserve, ce qui amne Bonpland jouer les intermdiaires entre
le pouvoir civil et militaire de Corrientes. A Paz, un des grands stratges argentins
de lpoque 558 , il donne des conseils relativement la dfense de la province et
lesprit de ses hommes. Lorsque le gnral sinquite des nombreuses dsertions
survenues en aot puis en novembre 1840 559 , Bonpland lui rpond quaucun type
de chtiment ne peut les combattre. Les Correntinos
ont cette tendance naturelle retourner chez eux, et aucune crainte ne
peut les arrter. En 1820, le dfunt gnral Ramrez punissait de la peine
de mort les dserteurs et cette punition si lourde nempchait pas la
dsertion.

560

Cependant, larrive de Paz redonne une forme dunit la coalition.


Malgr une situation militaire dlicate, Bonpland peut se fliciter de la bonne
coordination permettant le retrait des forces de Pascual Echage au mois
doctobre 1840 de la province de Corrientes. Il en impute le mrite aux bonnes
dispositions de Ferr, au talent militaire de Paz ainsi qu aux
demonstrations et au renfort matriel de Rivera 561 . Lembellie sur le front sud
557

FERRE Pedro, op. cit., tome II, p. 614.


Jos Mara Paz (1791-1854) tudie les mathmatiques, le latin et le droit luniversit de
Crdoba. Il intgre larme rioplatense en 1811 et prend part aux premires batailles de la guerre
civile argentine. Entre 1825 et 1829, Paz se distingue contre les Brsiliens. Nomm ministre de la
Guerre par Lavalle en 1829, il choisit de mener campagne contre les forces fdrales de lInterior.
Matre de Crdoba, Paz fonde en 1830 la Liga del Interior mais il est fait prisonnier lanne
suivante. Libr en 1839, il parvient fuir Montevideo en 1840. Au mois de juillet, il se rend
Corrientes o Ferr le nomme chef de larme correntina. Ses succs lamnent prendre Paran
en 1842, mais Ferr lui retire son soutien au moment o Paz se fait nommer gouverneur de cette
province. Exil Montevideo, il prend en charge la dfense de la ville entre 1842 et 1844. Appel
de nouveau Corrientes par les Madariaga en 1845, il doit sexiler de nouveau en 1846 suite sa
tentative de coup dEtat. Il sinstalle Rio de Janeiro puis revient Buenos Aires o il participe au
soulvement du 11 septembre 1852. Lanne suivante, Paz exerce sa dernire fonction politique en
tant que ministre de la Marine et de la Guerre de Buenos Aires.
559
PAZ Jos Mara, op. cit. vol. II, pp. 300-302, 309.
560
AGNBA, Sala VII, archivo del general Jos M. Paz, leg. 99, aos 1815-1840. Propension
remarque aussi in ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, pp. 356-357.
561
En outre, la gurilla correntina, larrestation des affilis dEchage dans Goya et lvacuation
de cette ville contribuent freiner lavance de lEnrerriano ; AMFBJAD n 1736, journal,
Corrientes, 4 et 19 octobre 1840.
558

149

Premire partie

Chapitre II

saccompagne dune excellente nouvelle en provenance du nord. En effet, aprs


avoir sign un trait damiti, de commerce et de navigation avec Corrientes le 31
juillet, Jos Gaspar Rodrguez de Francia vient de trpasser. Europens et
Amricains souhaitent voir entrer rapidement en scne ce nouvel acteur. Or, la
mconnaissance du Paraguay quen ont les lites correntinas en 1840 leur fait
recourir aux notions du Franais qui instruit par la voie brsilienne les dirigeants
rioplatenses des affaires paraguayennes 562 .
Le gnral Paz sintresse particulirement ce pays, puisque la mort de
Francia offre la possibilit douvrir un nouvel espace politique ; on demande alors
Bonpland dintervenir auprs du nouveau gouvernement en faveur des ennemis
de Rosas :
A personne nchappe la magnitude et la transcendance de cet
vnement, et de plus, il va exciter des aspirations, produire des calculs
plus ou moins judicieux et peut-tre crer de nouvelles combinaisons.
Vous raliserez de quelle utilit nous sera votre jugement sur ce quil se
pense, se projette et se fait l. [] Vous seriez plus quutile ce
gouvernement en faisant valoir ses rapports et son aptitude auprs des
Paraguayens, que ce soit pour tablir des relations politiques ou purement
commerciales. Dtes-nous aussi quelque-chose concernant ceci, cest-dire, votre opinion sur la politique qui doit tre mene dans le cas
prsent

563

La rponse de Bonpland reflte un certain optimisme quant lorientation


politique du Paraguay mais pense juste titre quil nest pas possible de les
impliquer dans limmdiat 564 .
Il est prfrable de se tourner vers le Brsil o les victoires des Farrapos
font esprer Bonpland des mois voire des annes de paix 565 . La souverainet
doit se construire, partir de Corrientes, grce une alliance transnationale

562

AMFBJAD n 192, Bonpland F. Rivera, Salto, 10 juillet 1840.


J. M. Paz Bonpland, 5 novembre 1840, cit in DOMINGUEZ Juan A., op. cit., p. 516. Le 8
novembre, Bonpland apprend par le colonel Ramallo le dcs du Dictateur, intervenu le 20
octobre. Jos Mara Paz en est inform par Ferr le 30 octobre. Ferr ne sachant comment ragir
face lvnement, Paz demande conseil Bonpland.
564
je prsume que les Paraguayos suivront pendant quelque temps le systme de leur premier
Dictateur mais que peu peu ils smanciperont. , AMFBJAD n 328, Bonpland Humboldt,
Montevideo, 30 dcembre 1840. Bonpland confie Paz les mmes espoirs ; cf. AMFBJAD n 62,
Bonpland J. M. Paz, Santa Ana, 10 novembre 1840.
565
AMFBJAD n 1739, journal, Montevideo, 22 dcembre 1840.
563

150

Premire partie

Chapitre II

dfaut dtre transatlantique 566 , afin de construire la nation contre les factions. La
consolidation passe par lalliance avec les Farrapos, lUruguay et la France, au
nom dune
identit de principes et parce que la cause que Corrientes dfendait tait
celle de lhonneur et de la justice de la France, ainsi que celle de la
scurit de lEtat Oriental 567

Paz, moins enclin rejeter lide dune alliance transnationale que Lavalle
qui combat encore dans la province de Buenos Aires sinquite en novembre
de la position de la France et de lAngleterre concernant la question dOrient 568 .
Cette dernire puissance se tournant plus vers les affaires europennes, elle
voudra finir rapidement avec lAmrique et une concession opportune de Rosas
pourrait priver lalliance de ces prcieux allis. En cas contraire Paz, qui ignore
encore la rcente signature du trait Arana-Mackau 569 , espre un dbarquement
permettant de terminer rapidement la guerre 570 . A Bella Unin, Bonpland apprend
la rumeur concernant la signature dun accord bien qu Beln le vicaire se montre
lui aussi confiant vis--vis du combat men contre Rosas 571 .
Cet optimisme est confirm par les renseignements concernant lEntre
Ros demands Bonpland par le gnral qui ignore la position dEchage et
dOribe 572 , mais aussi par un espion dont seuls Paz, Ferr et Bonpland
connaissent lexistence. En effet, Rivera est entr en contact avec le gnral
566

La France se dsengage du conflit en octobre.


por identitad de principios y porque la causa que Corrientes defendia era la del honor y de la
justicia de la Francia, asi como la de la seguridad del Estado Oriental , in FERRE Pedro,
Mensage. El Gobernador y Capitan General Al Honorable Congreso General Constituyente de la
Provincia, AGPC, Correspondencia official, 1840, tome 245.7, 28 novembre 1840, p. 3.
568
La question dOrient est la cause majeure du retrait franais ; elle est, dit Bonpland, pour nous
un coup mortel ou pour le moins funeste, quand au contraire elle a redonn vie Rosas. Il ny pas
de doute que limminence dune guerre en Orient a dtermin le cabinet franais conclure le plus
rapidement possible la question franaise dans la Plata , in AGNBA, Sala VII, archivo del general
Jos M. Paz, leg. 99, aos 1815-1840.
569
Ce trait sign le 29 octobre 1840 enlve lappui franais aux antirrosistas. Felipe de Arana
(1786-1865) est issu dune puissante famille commerante et terrienne bonaerense. Etudiant le
droit au Chili, il retourne Buenos Aires o il participe aux vnements de 1810. Il est ministre
des Affaires trangres de 1835 1852, dployant une grande adresse pour dfendre la
souverainet de lArgentine, notamment lors du trait sign avec la France en 1840. Ange Ren
Armand de Mackau (1788-1855) dbute brillamment sa carrire sous le Premier Empire. Il est
promu contre-amiral en 1825 puis vice-amiral en 1837. Charg de mission plusieurs reprises en
Amrique, il effectue aussi une carrire politique qui dbute en 1830 avec un sige de dput
Lorient et qui culmine entre 1843 et 1847 lorsquil exerce la fonction de ministre de la Marine et
des Colonies. Nomm amiral lanne de sa dmission, il ne sert pas la Deuxime Rpublique mais
devient snateur en 1852.
570
AMFBJAD n 175, J. M. Paz Bonpland, Villanueva, 5 novembre 1840.
571
AMFBJAD n 1737, voyage Montevideo, Bella Unin, 15-16 novembre 1840.
572
AMFBJAD n 175, J. M. Paz Bonpland, Villanueva, 5 novembre 1840.
567

151

Premire partie

Chapitre II

Urquiza qui commande les forces entrerrianas, par Monsieur Chaine envoy
secrtement :
Cest cet individu qui est charg par le Prsident de mettre la zizanie
entre Urquiza et Echague par le moyen du [premier]. Echage proche
dabandonner le gouvernement Mr Dubois indique un Garcia pour tre
chef de lEntre-ros.

573

En outre, il semble que Lavalle, qui a renou ses relations avec Ferr et Paz, se
rapproche de Buenos Aires 574 . Bien que Rosas, ayant repris lle de Martn Garca
et le contrle du fleuve de la Plata, fait arraisonner les navires et arrter tous les
opposants 575 , la fin du mois de novembre les vnements semblent jouer en
faveur des antirrosistas.
Toujours en novembre, Bonpland est mandat une nouvelle fois auprs de
Rivera par Paz et Ferr. Il apprend que les Orientaux disposent dune flotte qui
vient de se doter 10 12 navires supplmentaires et indique Ferr quil a aperu
seulement deux navires de guerre porteos mouillant dans lembouchure du ro de
la Plata ; il sait aussi que Rosas manque de marins. Aussi propose-t-il, maintenant
que lUruguay est plus sr pour naviguer que le Paran, dtablir des relations de
commerce par lUruguay et de compenser laugmentation des frais des
commerants en baissant les droits de douane. Il se charge den faire la publicit
Montevideo pour lavantage des commerants et du gouvernement. Enfin, Rivera
fait mouvement avec ses troupes San Jos afin douvrir enfin les hostilits 576 .
Le premier dcembre Bonpland arrive confiant Montevideo. Par du titre
d agente de negocios del Exmo gobno de la Provincia de Corrientes 577 il rvle
de nouveau un certain talent diplomatique auprs des diffrents partis luttant
contre Rosas, flattant lorgueil de Rivera et sachant ngocier des subsides avant
que desprer obtenir son entre en campagne. Ainsi obtient-il dans un premier
temps des pices dartillerie pour Corrientes 578 . Mais la fin du mois de
573

AMFBJAD n 1736, voyage de Corrientes Montevideo, 28 octobre 1840 ; AMFBJAD n


1738, voyage de Corrientes Montevideo, novembre 1840.
574
Jos Mara Paz peut ainsi suivre le mouvement de larme de Lavalle : Los desertores del
ejrcito libertador han cesado de llegar, lo que indica que es cierto el movimiento hacia la
Capital , AMFBJAD n 176, J. M. Paz Bonpland, Villanueva, 10 novembre 1840 ; AMFBJAD
n 35, Bonpland P. Ferr, Las Maras, 26 novembre 1840.
575
il sera donc prudent pour tout individu qui a pch contre rosas de ne pas y aller ,
AMFBJAD n 1738, voyage de Corrientes Montevideo, 26 novembre 1840.
576
AMFBJAD n 34 et 35, Bonpland P. Ferr, Salto et Las Maras, 20 et 26 novembre 1840.
577
AMFBJAD s. n., Bonpland F. Rivera, Salto, 19 novembre 1840.
578
AMFBJAD n 1739, journal, Montevideo, 25-27 dcembre 1840.
152

Premire partie

Chapitre II

dcembre, Bonpland ralise limportance de la force militaire de Rosas ainsi que


la situation critique de Lavalle et Lamadrid 579 qui mnent une guerre spare des
autres antirrosistas 580 . Lanne sachve sur une note dinquitude car, crit-il, si
la victoire nest pas encore assure la faute en incombe lincapacit des partis
rgionaux saccorder 581 . Les douze annes qui suivent confirment son
apprciation.

2. La dception patriotique
Avant daborder la question des dissensions internes, il est ncessaire de
sarrter sur lattitude franaise au moment de lengagement de Bonpland. Certes,
des travaux ont t mens ce sujet 582 mais des analyses restent effectuer
laune de la documentation et des problmatiques touchant le naturaliste, en
scartant des approches chronologiques classiques. En effet, si la politique suivie
par la France dans le Ro de la Plata de lindpendance la chute de Rosas savre
linaire, alternant neutralit et interventionnisme, les problmatiques se modifient
lintrieur des cadres chronologiques en fonction des interactions entre les
acteurs gopolitiques. Entre 1838 et 1840, la premire intervention franaise est
un choc autant politique que culturel et symbolique. Pourtant les rapports
entretenus avec les Europens apparaissent comme autant dimpasses pour le
dveloppement national. Lattitude des grandes puissances fait rapidement perdre
leurs illusions aux plus lucides dentre eux.
579

Ibid., 20 et 27 dcembre 1840. Gregorio Aroz de Lamadrid (1795-1857), originaire de


Tucumn, sengage aux cts de Manuel Belgrano puis tente sans succs de prendre le pouvoir
Tucumn entre 1825 et 1827, sous la bannire unitaire. Aprs la prise de pouvoir de Lavalle,
Lamadrid combat de nouveau dans lInterior, entre 1828 et 1831, sans plus de succs. Il reprend la
lutte contre Rosas en avril 1840 aprs que celui-ci lait envoy Tucumn combattre les unitaires.
Dsign chef de larme de cette province, il mne une campagne avec Lavalle qui se termine en
septembre 1841 par une dfaite totale et la fuite des restes de larme unitaire au Chili par la
cordillre des Andes. En 1846, Lamadrid quitte son exil pour venir combattre Montevideo. Il
commande une partie de larme antirrosista Caseros puis soutient le soulvement porteo du 11
septembre. Il passe les dernires annes de sa vie Buenos Aires o il rdige ses mmoires.
580
Cf. FERRE Pedro, Memoria del brigadier general Pedro Ferre, octubre de 1821 a diciembre
de 1842, Buenos Aires, Coni, 1921 (1845), tome I, pp. 117-129. Ferr relate les manuvres de
Lavalle en vue de servir ses intrts plutt que ceux de lalliance contre Rosas, dont il prend
connaissance notamment grce Bonpland. Mais dans un premier temps Lavalle fait figure de
sauveur, ce en quoi Bonpland reflte un tat desprit gnralement rpandu.
581
AMFBJAD n 1739, journal, Montevideo, dcembre 1840.
582
Cf. par exemple COLLI Nestor, La poltica francesa en el Ro de la Plata. Rosas y el bloqueo
francs de 1838-1840, Buenos Aires, Alberdi, 1963 ; HERMANN Christian, op. cit.
153

Premire partie

Chapitre II

Des chansons la mitraille


Lors de ce conflit priphrique pour la France linterventionnisme de leur
pays est dans un premier temps mal vcu par beaucoup de ressortissants franais,
car le blocus de Buenos Aires oblige certains dentre eux migrer vers
Montevideo. Parmi les correspondants de Bonpland dans les villes-ports se
trouvent des commerants qui jugent cette intervention tout fait contreproductive leurs affaires. Les premires plaintes reues par Bonpland ce
propos sont crites au dbut de lanne 1839 par Alexandre Constantin, oblig de
se transporter de Buenos Aires Montevideo. Il se lamente de ltat de ces pays
o lon se dmne comme des Diables dans un bnitier pour sortir du
blocus et en faire sortir les autres.

583

Le blocus est davantage ressenti comme une gne ; la politique dintimidation


franaise restant sans effet est trs mal perue par les immigrs europens.
Bonpland reproche en mai 1840 la strilit du blocus car aucun arraisonnement
systmatique grce auquel on eviterait les communications et on oterait
dimmenses ressources aux ennemis 584 ne se produit.
A ce moment le personnel diplomatique franais devient la cible prfre
des immigrs et le reste jusquaprs la Guerra Grande. Son inefficacit est
ressentie au dbut du blocus comme un mal passager, dautant qu Buenos Aires
Les fils du pays y sont jusqu prsent moins bien traits que les Etrangers
selon Constantin qui attend en fvrier 1839 que tout finisse comme toujours par
des chansons , malgr linefficacit dun grand nombre de diplomates de toutes
grandeurs et de toutes formes []. Tout le monde sen mle et nous autres
proltaires tous les premiers. 585 Constantin nest pas Candide puisquil travaille
depuis plus dune dcennie dans les ports rioplatenses ; son jugement a posteriori
ingnu concerne une situation indite. Cet optimisme qui est une valeur sre de
lhistoire cyclique des conflits contredit mais donne raison au tmoignage
alarmiste de Bonpland.
En outre, la position britannique se durcit vis--vis de la France. Au mois
de dcembre 1839, Londres voque pour la premire fois la volont franaise
583

AMFBJAD n 889, A. Constantin Bonpland, Montevideo, 26 fvrier 1839.


AMFBJAD n 1733, voyage dans le Paran, 7 mai 1840.
585
AMFBJAD n 889, A. Constantin Bonpland, Montevideo, 26 fvrier 1839.

584

154

Premire partie

Chapitre II

denvahir le Ro de la Plata afin de se rendre matre de lapprovisionnement


manufacturier sud-amricain et den exclure les Anglais 586 . Ajoute la question
dOrient, la question rioplatense entrane les deux puissances au bord dun
affrontement qui freine les ardeurs guerrires du ministre Soult 587 . Aussi
loptimisme initial des expatris savre de courte dure car lenlisement du
conflit entrane les commentaires des traits desprit vers la critique amre et
systmatique des reprsentants franais dont Bonpland ne peut que constater,
malgr ses efforts, les divisions. Le contre-amiral Dupotet entretient un soutien
quivoque vis--vis de Rosas et de Rivera tandis que son suprieur hirarchique,
le vice-amiral Leblanc, adhre depuis Rio de Janeiro aux vues de Lavalle 588 . A
cela sajoute la msentente entre Dupotet dune part et son chef dtat-major
Auguste-Nicolas Vaillant, les consuls Buchet de Martigny et Baradre dautre
part 589 qui rejoignent les vues de Bonpland.
Le ton nest plus la plaisanterie car le comportement du consul de France
Buenos Aires, plus occup soigner ses relations avec Rosas que de protger
ses nationaux, inquite puisquau dbut de lanne 1841 on insulte hommes et
femmes dans la rue 590 . Le colonel rosista Antonio Ramrez ne manque pas de
rappeler que los asquerosos ynmundos pirates Franceses empchent
laccomplissement de la Causa Santa de la Confederacin Argentina . A la
devise dsormais familire Mueran los Unitarios sajoute Mueran los
asquerosos ynmundos Franceses 591 . La terreur sinstalle Buenos Aires tandis
que le consul britannique Mandeville est plus occup faire la cour la fille de
Rosas que de protger les intrts de sa nation. En mars 1841 lambiance est la
dbcle chez les Franais ; le consul de Montevideo vend les toilettes de son
pouse avant de partir, suivi par nombre de ressortissants592 .
586

Lditorial du priodique United Services Gazette est cit in GRAHAM-YOOLL Andrew,


Pequeas guerras britnicas en Amrica latina, Buenos Aires, Editorial Legasa, 1985 (1983), p.
118.
587
Sur les motifs du retrait franais, cf. ARANA Enrique, La intervencin francesa en el Ro de
la Plata (1838-1840). El tratado de paz Mackau-Arana , in Segundo congreso internacional de
historia de Amrica, Buenos Aires, Jacobo Peuser, 1938, vol. IV, pp. 18-35 ; CAILLET-BOIS
Teodoro, La convencin Mackau 1840 , in Segundo congreso internacional de historia de
Amrica, Buenos Aires, Jacobo Peuser, 1938, vol. IV, pp. 121-140 ; NARI Estela, op. cit., pp. 126134.
588
AMFBJAD n 1734, journal, Montevideo, 14 mai et 27 juin 1840.
589
Ibid., 14 mai 1840.
590
AMFBJAD n 1741, voyage de Montevideo Corrientes, fvrier-mars 1841.
591
AGNBA, coleccin Carlos Casavalle, proclama de A. Ramrez.
592
AMFBJAD n 1024, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 16 mars 1841.
155

Premire partie

Chapitre II

Ainsi le plaidoyer de John Lelong adress la presse en avril en tant que


vice-dlgu de la population Franaise de la rive gauche de la Plata insiste
avant tout sur labsence de protection envers ses compatriotes et marque le dbut
dune distanciation entre les expatris et leur pays. Ce mmoire, ainsi que celui lu
un an plus tard lAssemble nationale 593 restant sans rponse, les Franais mais
aussi les Europens se regroupent Montevideo au sein de la Lgion Franaise
partir de 1843, Buenos Aires au sein du Club des Etrangers, refuge identitaire
dont la cration sexplique par la dtrioration de leur situation. Ds mars 1841, le
climat dincertitude est parfaitement rsum par Dominique Roguin :
Lhorizon politique est de tous les cts que lon se tourne charg
Mitraille, et [] personne nest assez avance encore en astrologie
(judiciaire) pour pouvoir faire ses affaires daprs la connaissance des
astres. Cet tat de choses durera-t-il longtemps ? Cest l la grande
question.

594

Un an plus tard, aprs le total dsengagement franais, Bonpland install


So Borja converse avec son voisin Francisco Meabe. Ils prdisent un [u]n triste
avenir 595 politique pour les rgions quils habitent. Puisque lEurope se
dsengage, la politique de la lance doit faire son apparition dfaut dune
politique de la canonnire dfinitivement abandonne en 1842 :
La question sera uniquement dcide par les lances, et lUnion, et non
par lintervention Etrangre. Le fait est que les hommes qui aujourdhui
prsident nos destines, se sont dj convaincus de cette vrit

596

Dsormais les discours de Bonpland et de ses compatriotes se focalisent


contre Rosas et identifient la cause unitaire celle de la civilisation. Ils enracinent
la polarisation du discours entre une vision europocentriste charge des thmes
civilisateurs et progressistes et une vision amricaniste empruntant
lindpendantisme et au nationalisme. Cette polarisation touche donc tous les
protagonistes et donne lieu llaboration dun combat idologique faonnant la
construction politique rioplatense. Dans cette optique, le fait que la sphre prive
593

Le mmoire de 1841 est intitul Question de la Plata , et une copie parvient aux mains du
gnral Paz ; cf. AGNBA, Sala VII, archivo del general Jos M. Paz, leg. 100, ao 1841. Quant au
mmoire de 1842, il est qualifi d absurde par le reprsentant argentin Paris ; cf. AGNBA,
Sala IV, leg. 10. 1. 4. 12, Sarratea F. de Arana, Paris, 28 avril 1842.
594
AMFBJAD n 1024, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 16 mars 1841.
595
AMFBJAD n 1743, voyage de Santa Ana Salto, 4 juin 1842
596
la cuestion solo sera desidida pr las lanzas, y la Union, y no por la intervencion Estrangera.
Caso que los hombres que hoy presiden nuestros destinos, se han ya convencidos de esta verdad ,
AMFBJAD n 334, F. Meabe Bonpland, Curuz Cuati, 7 octobre 1842.
156

Premire partie

Chapitre II

de la plainte devienne un enjeu public par le biais de lintervention franaise et de


ses rpercussions participe llaboration dune identit amricaniste, dautant
plus que la dimension dmographique les Franais se comptent par milliers
Montevideo sajoute celle politique.

Unitarisme et interventionnisme : la France, oui mais


Aim Bonpland se heurte non seulement aux divisions entre les
plnipotentiaires franais mais aussi la place que ceux-ci et travers eux la
France doit tenir aux cts des Amricains. Chaque parti rioplatense possde sa
vision du rle jouer par ce pays, Rosas faisant office de plus petit dnominateur
commun dans lquation rsoudre pour ses opposants. En raison de ses liens
avec Corrientes, la rsolution de lquation laquelle le facteur Bonpland
contribue naborde ici que rapidement les principaux acteurs externes.
Depuis 1838, Juan Lavalle soppose toute intervention trangre sur le
sol argentin du fait de ses ides exagres damricanisme 597 . Au nom de ce
principe, il exige que les oprations militaires de lescadre franaise qui se trouve
prs de Corrientes en mars 1840 soient subordonnes son commandement,
chaque lment quelle peut lui offrir tant selon ses partisans plus efficace que
quarante sous le commandement de Rivera 598 . Les allis se disputent les secours
franais tout en leur niant tout droit dingrence ; ils marquent par l leur frontire
et parfois leurs propos entranent de srieuses msintelligences. Cest le cas entre
le reprsentant de Rivera Corrientes, le docteur Derqui, et le commandant de
lescadre franaise prsent dans cette mme ville. Venant de la mauvaise
ducation et surtout lextrme amour propre de Derqui, la msentente oblige
celui-ci sexcuser par crit auprs de Lalande de Calan 599 . Si Lavalle est
finalement convaincu dentrer en campagne aux cts de lescadre par Florencio
Varela 600 , lun des leaders politiques unitaires, ses dfaites lobligent rejoindre

597

SOSA DE NEWTON Lily, op. cit., p. 113.


AGNBA, coleccin Carlos Casavalle, F. F., F. F. a F. V., 16 fvrier 1840.
599
AMFBJAD n1733, voyage dans le Paran, 11 mars-1er mai 1840.
600
SOSA DE NEWTON Lily, op. cit., pp. 112-115.
598

157

Premire partie

Chapitre II

la coalition forme au Nord-Ouest contre Rosas, laquelle emploie les mmes


termes autoritaires envers lamiraut franaise 601 .
Il nest pas question dides mme exagres damricanisme sinon
dans les discours hormis pour Ferr qui souhaite dabord une relle union
transatlantique et savre moins ambitieux que ses allis 602 . Le changement de
gouvernement franais en juillet 1840 lui fait esprer une persvrance de sa
prsence navale dans les eaux rioplatenses car linverse savrerait selon lui
dsastreux pour le pays 603 . Cependant au nom de la nation argentine cette
union doit prendre la forme dune association des peuples correntinos et franais,
rfrence vague 604 mais originale dans le Ro de la Plata. Corrientes reprsente la
nation et son bon gouvernement, la France une assistance indispensable comme le
montre ds le mois de mars 1840 le convoi de ravitaillement qui provoque l
enthousiasme des habitants ; Ferr au moment de sembarquer avec Lalande
de Calan est conduit bord par tous les habitants 605 .
La France est source despoir mais le hros est Ferr, ce qui pose la
question de linfluence relle et idologique du pays auprs des lites et de la
masse correntinas. Non quelles soient incultes comme laffirment classiquement
les voyageurs de passage sinon proccupes davantage par la construction
nationale et la sauvegarde provinciale que par une quelconque identification ou
construction politique calque sur le modle europen 606 . Bien que lintervention
arme franaise concide avec le soulvement correntino, la concertation est trs
limite et les vnements sont plus parallles que croiss. Les patriotismes
rciproques se rencontrent mais demeurent distance, autant par les
atermoiements des Franais que par la mfiance des Correntinos envers une
nation imprialiste. A cet gard, les ngociations menes par Bonpland entre mai
et juillet 1840 sont exemplaires puisquelles instaurent entre les deux peuples un

601

Le colonel Pedro Rodrguez del Fresno crit Mackau : No dudo [...] que V.E. querr prestar
la cooperacin que la Francia debe a los aliados , lui rappelant que la facult de reprsenter a
las provincias aliadas a t retire Rosas, ajoutant que no tememos que V.E. quiera, ni deba
entrar en ninguna clase de negociacion avec le Porteo ; AGNBA, coleccin Carlos Casavalle,
Fresno, Fresno Mackau, Santa Fe, 4 novembre 1840.
602
Du moins ses ambitions sont-elles moindres, Ferr souhaitant avant tout protger la province de
Corrientes alors que Paz et Lavalle veulent jouer un rle national.
603
FERRE Pedro, op. cit. tome II, p. 611.
604
CHIARAMONTE Jos Carlos, Formas de identidad en el Ro de la Plata luego de 1810 , in
Boletn del Instituto Dr. E. Ravignani , Troisime Srie, n 1, premier semestre 1989, p. 83.
605
AMFBJAD n 1733, voyage sur le Paran, 11 mars et 1er mai 1840.
606
Cest ce quil ressort des changes pistolaires de Bonpland.
158

Premire partie

Chapitre II

trait officieux damiti et de commerce. Il ralise pour Ferr ce que nont pas
russi les plnipotentiaires des capitales atlantiques. La position gographique
priphrique de Corrientes lui permet de poser les limites de lingrence franaise
dans un conflit lui-mme priphrique. Paz, Ferr et Bonpland ont cette lucidit
de reconnatre la situation politique excentre dans laquelle ils se trouvent.
Avec le trait Mackau-Arana, linfluence franaise sestompe dans le
Nord-Est tout comme son intrt pour cette partie de lArgentine. Le trait
Mackau-Arana joue en faveur du discours patriotique de Lavalle et Ferr est
oblig de suivre celui-ci. En effet, le gouverneur de Corrientes dnonce la trahison
de Mackau vis--vis des attentes de ses compatriotes prsents dans le Ro de la
Plata mais ajoute que le retrait franais est loccasion de mettre fin la dsunion
du pays qui risque dtre le jouet de nimporte quelle autre nation , Ferr allant
jusqu vanter la porte anti-imprialiste de Rosas 607 . Finalement, la fin de
lanne 1840 qui est le jouet de qui ? La France se retire sans aucun bnfice
tandis que Corrientes obtient suffisamment de soutien pour se maintenir hors de
porte des rosistas et organiser son arme de rserve.
En ce sens, lintervention franaise peut tre considre comme un acte
fondateur de lidentit rioplatense dans la mesure o elle permet une
identification commune contre lingrence trangre. De plus, au mois de janvier
1841, Bonpland converse avec Baradre et Florencio Varela propos du protocole
franco-argentin et propos de louvrage antirrosista publi par Varela 608 quil
transmet Ferr et Paz. Il demande Ferr dtre particulirement attentif aux
termes du trait 609 car celui-ci ne signifie pas, selon lui, la fin des ngociations
entreprises par la France et lAngleterre. Dans son rapport Ferr, Bonpland note
que Ribeiro a protest devant Mackau, que Buchet de Martigny et la dputation
franaise sont partis, quAley a remplac le commandant Penaud dans le Paran,
lequel est charg par Mackau daller prvenir Lavalle du trait. Une telle

607

A propos de Rosas, Ferr ajoute : je nocculte pas chez lui ni noublierait jamais de louer la
fermet de caractre avec laquelle il soutient les droits de la Nation contre les ambitions
trangres , in FERRE Pedro, op. cit., tome I, pp. 69, 111.
608
VARELA Florencio, Sobre la convencin de 29 de octubre de 1840. Desarrollo y desenlace de
la cuestin francesa en el Ro de la Plata, Montevideo, Imprenta de la Caridad, 1840.
609
AMFBJAD n 40, Bonpland P. Ferr, Salto, 19 janvier 1841.
159

Premire partie

Chapitre II

mission ne cesse de donner rflchir 610 crit Bonpland qui y voit probablement
une tentative de Mackau pour stopper les projets de Lavalle.

Des idaux croiss mais incompatibles


Bonpland semble dabord retomber dans une vision manichenne et
continentale de la politique : lAmrique du Sud possde son tyran le plus cruel,
Rosas, et son hros capable de le renverser par la seule force de son prestige, le
gnral Lavalle, ce en quoi Bonpland sous-estime profondment le soutien
populaire dont bnficie Rosas 611 . Lopinion, mtine dune rfrence au vieux
monde rfrence servant prsent lAmrique au lieu de lui tre dfavorable
reprend celle gnralement admise par les partisans de Lavalle, dont Bonpland fait
partie un moment avant de se rtracter partir du mois de mai 1840 lorsquil se
confronte la ralit politique en allant Montevideo pour la premire fois. Le
donquijottisme de Lavalle lui apparat de plus en plus vident, tel que le dcrit
Ferr dans ses mmoires 612 .
En juin 1840, tandis que son confrre et compatriote Bocquin des Hilaires
vante depuis le Rio Grande do Sul la civilisation et la libert quest en train de
faire triompher Lavalle 613 , Bonpland a chang de hros en choisissant Rivera.
Cependant, le vritable sauveur est la France :
Nos diffrends avec Rosas ont amen une escadre franaise dans la Plata.
La France devait par suite de cela se couvrir de gloire; faire le bonheur de
toute lAmrique du Sud. La France devait agir avec ses propres forces;
seule elle devait abattre Rosas, dont toute la conduite la rendu indigne de
traiter avec elle

614

610

Semejante mission no deja de dar de pensar. , AMFBJAD n 34, Bonpland P. Ferr, Salto,
20 novembre 1840. Penaud propose Lavalle un asile et une pension en France ; BROSSARD
Alfred de, Considrations historiques et politiques sur les rpubliques de la Plata dans leurs
rapports avec la France et lAngleterre, Paris, Guillaumin, 1850, p. 252.
611
AMFBJAD n 227, Bonpland P. Serrano, Santa Luca, 28 janvier 1840 ; AMFBJAD s.n.
612
Cf. FERRE Pedro, op. cit., tome I, p. 123.
613
AMFBJAD n 510, Bocquin des Hilaires Bonpland, Alegrete, 7 juin 1840. Il parat sr, critil, que le general Lavalle marchera de triomphe en triomphe, et quil ira arborer le drapeau
unitaire, le drapeau de la civilisation sur la cathedrale de Buenos-ayres.
614
Bonpland C. F. de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840, cit in HAMY Jules Thodore Ernest,
op. cit., p. 139.
160

Premire partie

Chapitre II

crit-il ds son arrive Montevideo un correspondant en France. Le ton et le


temps utiliss dvoilent la place que doit occuper son pays dans le Ro de la Plata
et son comportement dsastreux pour ses allis comme pour lui-mme.
Nanmoins Bonpland surestime les vises franaises, lintervention directe tant
dsormais carte par le ministre Guizot et le crdit de la France dprci en
Uruguay.
A la fin de lanne 1840, alors que la France se retire du Ro de la Plata
aprs avoir sign un trait qui consacre labandon pur et simple de ses anciens
allis, Bonpland en explique posment aux autorits de Corrientes les motifs. La
faute diplomatique nest pas pour lui uniquement imputable la France qui, croitil, si elle parvient viter la guerre en Mditerrane doit revenir dans la rgion
la premire occasion, comme le commande son honneur et ses intrts 615 . Pour
cette raison, il adhre totalement au discours prononc par Pedro Ferr devant le
Congrs le 28 novembre 1840 616 et lui demande de le transmettre aux Orientaux
le plus rapidement possible car, en plus de dnoncer les agissements de Lavalle
pour glorifier ceux de Rivera, il place clairement Corrientes parmi les peuples
de la Rpublique argentine. La lutte pour la libert et la civilisation est affirme,
mais le combat est aussi men pour la souverainet et l indpendance de
la province, en instaurant notamment un bureau des Affaires trangres.
Lidentit hispano-amricaine ou continentale, aprs avoir t une utopie
indpendantiste, est absente du plaidoyer de Ferr ; elle ne redevient une
construction historique quultrieurement par ses successeurs. Labsence de
rfrence au ser americano est compense par l identit de principes francocorrentino sur laquelle sappuie le discours, lauteur regrettant le retrait de la
France sans pour autant recentrer son discours autour dune base idologique
continentale 617 , au nom dune tradition similaire la franaise mais indpendante

615

AMFBJAD, n1739, journal, s. l., 17-27 dcembre 1840.


AMFBJAD n 40, Bonpland P. Ferr, Salto, 19 janvier 1841; FERRE Pedro, Mensage. El
Gobernador y Capitan General Al Honorable Congreso General Constituyente de la Provincia,
AGPC, Correspondencia official, 1840, tome 245.7, 28 novembre 1840.
617
Ferr condamne lattitude franaise dans ces termes : El almirante Makau olvidando los
compromisos de su nacion en esta parte del nuevo mundo, el pronunciamiento de la Camara de
Paris y de sus compatriotas en el Rio de la Plata ha firmado un tratado [...] con el tirano de Buenos
Ayres [...]; pero no necesitamos de sus auxilios para triunfar. [Mackau], faltando los deberes de
una potencia grande y civilizada, [...] se ha prosternado los pies del que ha ofendido y
vilipendiado el nombre Frances, [...] lleve tras si la maldicion de los Pueblos Argentinos y el
desprecio de las naciones, mientras los libertadores, venciendo sin su apoyo, nos hacemos mas
gloriosos y damos una idea clasica de nuestra constancia y valor , in ibid., p. 10.
616

161

Premire partie

Chapitre II

de celle-ci. En effet, cest lidentit et la valeur rioplatenses qui sont exaltes par
opposition la lchet franaise. Ce nest dailleurs pas cette nation qui est mise
en cause mais un de ses reprsentants, Mackau.
La roccupation franaise des fleuves annonce par le gnral Paz en mars
1841 fait esprer Bonpland une prompte rectification de la conduite
honteuse tenue par ses compatriotes 618 . Il compte particulirement sur la
mdiation de Dupotet Paris pour que Corrientes obtienne le soutien du
gouvernement 619 . Mais son excs didalisme est dsavou par la position
franaise qui se manifeste au contraire partir de 1841 par son manque de
confiance vis--vis de Corrientes, ce qui pousse davantage la province se situer
lintrieur du cadre politique et idologique rioplatense.
Bonpland est certainement sensible aux observations du gnral Paz qui,
voyant les Anglais tenter de se rapprocher du Paraguay en aot 1841, constate
combien le France perd de son influence, autant en Orient quau Sud, autant en
Europe quen Amrique 620 . Le rle fondateur des entits provinciales dans
lorganisation nationale parat avoir totalement chapp aux diplomates franais.
Lattachement de la France aux formes de ngociations dEtat Etat, de Buenos
Aires Paris lui masque une grande partie de la ralit politique. Bonpland est
certainement frustr, car ses efforts pour obtenir laide de la France ne permettent
pas de rgler la question de la Plata. Son excs de patriotisme layant amen
croire que lintervention franaise serait capable de permettre une solution
densemble au conflit, il sagit de la fin dun rve dautant plus difficile accepter
que mme Ferr, le plus francophile des allis, y voit un ventuel danger pour la
souverainet nationale. Cette frustration est double, puisque ses efforts pour
raliser lunion seffondrent eux aussi.

618

AGNBA, archivo del general Jos Mara Paz, leg. 100, ao 1841, Bonpland J. M. Paz, Santa
Ana, 25 mars 1841 : la conducta de mis paysanos me tenia muy avergonzado pero ahora si la
mancha inefaable se va borrar un poco.
619
Ibid.
620
AMFBJAD n 186, J. M. Paz Bonpland, Villa Nueva, 16 aot 1841.
162

Premire partie

Chapitre II

3. La dception transnationale
En 1840, lengagement politique dAim Bonpland sest dj heurt aux
antagonismes des allis antirrosistas qui contribuent pour une bonne part au
retrait franais. Ds sa rencontre avec Dupotet, celui-ci dj dispos se
dsengager confirme son intention face lattitude de Lavalle. Les jalousies des
gouvernements censs uvrer ensemble contre Rosas incitent le contre-amiral
vouloir dsengager la France de ce bourbier car, confie-t-il Bonpland, les
mesquineries des uns et des autres empchent lunion ncessaire la rsolution du
conflit 621 . Le seul ne pas entrer dans ces intrigues est Pedro Ferr 622 , ce que
lintress confirme dans une lettre au gnral Paz 623 .
Cependant, face au danger rosista lunique solution envisageable consiste
poursuivre cet engagement interne en tentant duvrer pour unir les diffrents
partis. Aussi entre 1841 et 1842 le Franais tente-t-il dviter une implosion de la
coalition, utilisant ses rseaux pour offrir des mdiations transnationales. Mais les
barrires partisanes ont des consquences funestes sur le bien politique commun
cher Bonpland. En se basant sur les mdiations de Bonpland, il sagit de
comprendre comment la problmatique unitariste se dissout dans le nationalisme.
En outre, de 1839 1852 les fluctuations de la diplomatie franaise entre
neutralit et interventionnisme ne sont pas pour plaire Bonpland, comme ses
correspondants. Tout au long de la Guerra Grande lambigut demeure 624 .

Des mdiations transnationales complexes


Envoy en Uruguay demander du matriel militaire, le Franais se voit
rapidement oblig de faire office de mdiateur entre Rivera, Paz, Ferr et quelques
autres personnages irascibles, beaucoup souhaitant tirer profit du cadavre de

621

FERRE Pedro, Memoria del brigadier general Pedro Ferre, octubre de 1821 a diciembre de
1842, Buenos Aires, Coni, 1921 (1845), tome I, pp. 124-126.
622
Ibid.
623
AGNBA, archivo del general Jos M. Paz, leg. 100, ao 1841, P. Ferr J. M. Paz, 8 janvier
1841.
624
Cf. NARI Estela, op. cit., pp. 119-125.
163

Premire partie

Chapitre II

Rosas quils imaginent bientt entre leurs mains 625 . Ds le chemin du retour
Corrientes entam, Bonpland doit faire face aux premires graves accusations
portes par Rivera contre Paz, le premier jugeant les demandes du second
exorbitantes 626 . En outre, Rivera souponne Paz de mener des ngociations
secrtes avec Juan Manuel de Rosas. Malgr ses tentatives dexplication
Bonpland se spare dun Rivera furibond le 4 janvier 1841 627 .
Les deux hommes se retrouvent quatre jours plus tard, Rivera accusant
cette fois Bonpland dtre mandat pour soudoyer des officiers afin de les amener
Corrientes 628 . Entre Rivera qui se prpare lentement et qui ne veut rien donner et
Paz, press dobtenir un appui logistique permettant une offensive dcisive, le
Franais temporise et convainc Paz dattendre 629 . Dans le mme temps Pedro
Ferr soutient son chef militaire en mettant en doute les bonnes dispositions de
Rivera sallier aux Correntinos 630 , Bonpland suppliant pour sa part Paz de ne
rien demander Rivera et de se limiter lui transmettre les nouvelles
militaires 631 . Paz, qui entre dans une colre noire contre Rivera et Bonpland, sousestime pourtant les efforts de ce dernier 632 .

625

Notamment propos de questions de comptences. Ainsi Bonpland retransmet Ferr lattitude


de Gregorio Valds, qui confie son intention de quitter le pays sil nest pas reconnu comme il le
mrite ; AMFBJAD n 40, Bonpland P. Ferr, Salto, 19 janvier 1841.
626
PAZ Jos Mara, op. cit., pp. 313-314.
627
Rivera sappuie sur une lettre de lpouse du gnral Paz son mari, lenjoignant de la
rejoindre aprs son dpart de Buenos Aires grce lintervention du consul britannique
Mandeville, ayant lui rapporter des communications dArana et Rosas. Bonpland essaie de
justifier lattitude de Paz, sans succs ; AMFBJAD n 1740, voyage de Montevideo Corrientes,
Estancia de la Azotea, 3-4 janvier 1841.
628
Ibid., Durazno, 8 janvier 1841.
629
cest un bon ami que nous devons conserver tout prix , crit-il Paz. Au dbut de lanne
1841, dans une lettre Bonpland, Paz constate avec amertume que lennemi se prpare envahir
avec vigueur et, sans doute, avec des forces suprieures, la province de Corrientes. Vous saurez
dj au courant que pour lui rsister il conviendrait davoir pris le temps de mettre sur pied une
arme respectable et pour cela jai demand avec tant danticipation des officiers, des uniformes,
des munitions, etc. Rien nest venu, comme vous le savez ; cit in DOMINGUEZ Juan A., op.
cit., p. 516.
630
Cf. AGNBA, archivo del general Jos M. Paz, leg. 100, ao 1841, P. Ferr J. M. Paz, 4
janvier 1841. Bonpland ngocie avec Rivera et la flotte franaise une intervention et se fait le
porte-parole de Rivera qui, pour sa part, ne se met pas en contact directement avec les dirigeants
correntinos. Ferr souponne dans ce silence la volont de lUruguayen de rcuprer la direction
des oprations militaires. Pour sa part, Bonpland tente dexcuser cette attitude : luego qe.
[Rivera] ha convenido de una cosa no gusta de qe. se vuelven a hacer observaciones ni tampoco qe.
no se haga lo convenido .
631
AGNBA, archivo del general Jos M. Paz, leg. 100, ao 1841, Bonpland J. M. Paz, Salto, 15
janvier 1841.
632
il a fallu une patience et une constance toute preuve pour obtenir cet argent je dirais plus il
a fallu joindre cela une politesse tout fait francaise. Si javais cd aux avis de ceux qui
mentouraient jeusse abandonn la partie et je naurais rien emport. , AMFBJAD n 1741,
voyage de Montevideo Corrientes, 4 et 12 mars 1841.
164

Premire partie

Chapitre II

Bonpland ne doute pas encore, en fvrier 1841, du soutien matriel de


lUruguayen la cause argentine et supplie Ferr de le rencontrer 633 . Il excuse le
silence de Rivera par le secret absolu dont il entoure ses plans, persuad que celuici attend le moment opportun pour se mettre en campagne. Il est de mme
persuad que Rivera est un homme de parole qui fournira les 12 000 pesos et les
officiers promis lorsquil aura obtenu des garanties de la bonne foi de Paz 634 .
Pour sa part, Paz demande Bonpland de faire cesser les tergiversations de
Rivera face au danger dune invasion imminente du gnral Echage et de le
pousser fournir le soutien matriel promis sans lequel Corrientes nest pas en
mesure de rsister 635 . Bonpland, qui attend Salto larrive de ces renforts aprs
avoir ngoci personnellement lacheminement dartillerie, se veut toujours
rassurant quant la combativit de Rivera, bien quil rejoigne sur certains points
Ferr qui, pour sa part, juge lattitude de lUruguayen incomprhensible,
promettant beaucoup mais donnant peu 636 .
Malgr lespoir de voir arriver Rivera San Jos et de le voir passer
lUruguay 637 , Bonpland redoute que la msalliance entre Paz et Ferr concernant
la direction des oprations militaires 638 ne soit porte devant Rivera et nincite
celui-ci davantage de prudence. Bonpland exhorte Ferr rencontrer
directement Rivera, une entrevue entre les deux hommes savrant de la plus
haute importance pour sceller lalliance. Ferr transmet immdiatement cette
proposition Rivera, ajoutant quil ne peut cependant quitter sa province 639 . Mais
dans le mme temps le Franais demande au gouverneur correntino de ne pas
presser Rivera sengager ses cts 640 . Rivera se montrant rticent pour passer
lUruguay, la campagne comme la capitale uruguayenne tant de plus en plus en

633

AMFBJAD n 39, Bonpland P. Ferr, Salto, 15 janvier 1841.


AMFBJAD n 1740, voyage de Montevideo Corrientes, Durazno, 8 janvier 1841 ; AGNBA,
archivo del general Jos M. Paz, leg. 100, ao 1841, Bonpland J. M. Paz, Salto, 15 janvier 1841 ;
AMFBJAD n 44, Bonpland P. Ferr, Salto, 8 fvrier 1841.
635
AMFBJAD n 179, J. M. Paz Bonpland, Villanueva, 9 fvrier 1841.
636
AGNBA, archivo del general Jos M. Paz, leg. 100, ao 1841, Bonpland J. M. Paz, Salto, 12
fvrier 1841. La conducta inconsiderada de Rivera, crit Bonpland, es una mescla rarissima
de bien y de mal . Mais il est dans son intrt de ne pas abandonner ses allis pour sa propre
scurit et parce que toda la banda oriental [] le hecharia la piedra y perderia quanto puede
tener en el espiritu de los hombres .
637
AMFBJAD n 41, Bonpland P. Ferr, Salto, 24 janvier 1841.
638
Paz la dsire tandis que Ferr souhaite la remettre Rivera.
639
Le 7 fvrier, Valds rejoint Ferr muni dune lettre de Bonpland dans laquelle il exprime cette
ncessit ; AGNBA, fondo Pedro Ferr, leg. 4, P. Ferr F. Rivera, Corrientes, 8 fvrier 1841.
640
AMFBJAD n 1741, voyage de Montevideo Corrientes, fvrier-mars 1841.
634

165

Premire partie

Chapitre II

faveur des Blancs 641 , Rivera ne peut laisser son pays sans risquer de perdre le
pouvoir.
Moins que des susceptibilits personnelles, il sagit pour chacun des allis
de tenir ses positions. Dans le cas de Ferr, le passage du fleuve implique moins
de risques politiques mais son attitude peut tre interprte comme un geste
politique visant marquer son indpendance. A ce titre, le conseil de Bonpland de
ne pas sengager aux cts de Rivera vise probablement le mme but, savoir
conserver Corrientes une vritable indpendance politique et militaire,
lexprience de Lavalle ayant montr les risques confier une arme aux mains
dun commandant tranger la province.
Jusquau mois daot 1841, Bonpland espre un soutien logistique et une
action militaire coordonne entre Paz, Rivera et les Farrapos. En effet, ds janvier
le Franais pense que les Farrapos sont quantitativement et qualitativement
meilleurs que les lgalistes 642 . Ds quil prend connaissance du rassemblement
des troupes rpublicaines Alegrete, il se flicite de cet heureux vnement, car il
signifie lentre en lice des Farrapos aux cts des antirrosistas :
Il faut que les pays qui par leur position doivent tre unis le soient
rellement et saident rciproquement. Cest mon avis le seul moyen de
sortir du profond marcage dans lequel nous nous trouvons. [] Dehors
les partis, au bien gnral et nous en profiterons tous.

643

Il se montre en contact avec plusieurs dentre eux644 , sans que rien ne prouve quil
joue un rle politique.
Limplication de Bonpland dans la recherche dune solution transnationale au
problme rioplatense dmontre o, pour lui, se situent les frontires du bien
commun. Cependant, plutt que de se conformer, Bonpland parat anticiper
641

A propos des opposants Rivera, Bonpland note qu il est triste de voir Comme le parti des
Blancs se propage et parle avec une Libert sans exemple. A Montevideo, la presse annonce que
dans la ville des gens sexpriment ouvertement contre le gouvernement ; Malgr lexil de 18
officiers, le parti des Blancs est libre de ses paroles ; AMFBJAD n 1741, voyage de Montevideo
Corrientes, 14 fvrier 1841.
642
AMFBJAD n 41, Bonpland P. Ferr, Salto, 24 janvier 1841.
643
es preciso qe. los payses quienes por su posicion deben ser unidos lo sean de veras y qe. se
ayuden reciprocamente. Es el solo medio mi parecer, de salir del hundo pantano en qe. nos
hallamos. [...] fuera partidos, al bien gnral y todos participaremos de el. , BCNBA, Bonpland
G. Valds, Salto, 24 janvier 1841. Dix ans plus tard, le mme raisonnement doit inciter le
Paraguay entrer dans lalliance antirrosista, car cest son alliance naturelle ; S. Derqui J.
Pujol, Corrientes, 10 octobre 1851, in PUJOL Juan, Corrientes en la organizacin nacional,
Buenos Aires, G. Kraft, 1911, tome 1, p. 168.
644
Cf. BELL Stephen, op. cit., p. 126 ; AMFBJAD n 1741, voyage de Montevideo Corrientes ;
le 5 mars il dort dans lestancia de Bento Manuel Ribeiro et rencontre en avril dautres militaires.
166

Premire partie

Chapitre II

lalliance transnationale qui intervient aprs lchec dune entente lintrieur de


la nation argentine, comme en tmoignent ses dmarches auprs des Uruguayens
et des sparatistes brsiliens avant quune alliance soit ratifie avec Corrientes.
Mais Rivera neffectue aucun mouvement et rompt lalliance avec le 17 aot, au
grand soulagement de Ferr lass de ne rien voir venir 645 mais au grand dam de
Bonpland, irrit de lapathie de lOriental faisant chouer lunion entre Corrientes,
la Bande Orientale et la rpublique riograndense. Le gouvernement correntino
cherche mnager les deux camps. Il est en cela fidle aux vues de Ferr qui
nentre pas dans les conflits internes au camp antirrosista 646 .

Un amalgame funeste
Une relative tranquillit rgne jusquen septembre 1841, lquilibre des
forces permettant Bonpland de se consacrer ses activits personnelles. Mais
linvasion de la province de Corrientes par Echage en septembre puis la mort de
Lavalle le 9 octobre 1841 qui met dfinitivement fin lalliance du Nord
marquent le dbut dune offensive des forces rosistas contre Corrientes. Le
ralliement du gouverneur de Santa Fe obtenu par Derqui, envoy par Corrientes,
est d pour Bonpland aux efforts de Rivera dans une lettre adresse au ministre
farrapo Jos Mariano de Matos 647 . Certes Derqui est favorable Rivera, lequel a
intrt ne pas voir Corrientes tomber entre les mains de Rosas. Mais surtout
Rivera sappuie depuis 1837 sur les Riograndenses ; aussi croyons-nous que
Bonpland met en avant Rivera afin de provoquer lintervention militaire des
Brsiliens, le danger imminent permettant ainsi la formation dune alliance
transnationale plus quhispano-amricaine.
Lcrasante victoire de Paz sur Echage intervenue le 29 novembre 1841
Caaguaz fait esprer Ferr un nouveau rapprochement avec Rivera. Bonpland
est alors envoy une seconde fois auprs de lUruguayen afin de tenter dobtenir

645

CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit., tome I, p. 121.


FERRE Pedro, op. cit., tome I, pp. 124-126 ; AGNBA, archivo del general Jos M. Paz, leg.
100, ao 1841, P. Ferr J. M. Paz, 8 janvier 1841 : con el sacrificio de mi sangre desearia la
fucin de los partidos y la union estrecha y firme de los enemigos de la Tirania. Par ailleurs,
Ferr laisse Paz toute libert pour agir, dont le commandement militaire.
647
AMFBJAD n 1004, Bonpland J. M. de Matos, Santa Ana, 15 novembre 1841.

646

167

Premire partie

Chapitre II

des secours. La mission mene de septembre 1841 mars 1842 se solde par un
nouvel chec. Aprs avoir rencontr Rivera en dcembre, Bonpland attend Salto
51 jours, au lieu de la semaine prvue initialement, avant dobtenir seulement la
moiti des 10 000 patacones promis larme de Paz 648 . Bonpland en incombe la
faute au receveur, Feliciano Vasquez, dont on lui assure quil est un petit
tyran . Mais ce rapport ne convainc ni Ferr ni Paz, Bonpland ayant t le jouet
de Rivera. En effet, il est parfaitement concevable que celui-ci ait profit de
linexprience diplomatique et de la bonne opinion de Bonpland son gard pour
mnager le plus longtemps possible ses propres forces. Le Franais nest pas
compltement dupe, puisquil connat la faiblesse militaire dans laquelle se trouve
Rivera 649 .
A lchec de cette mission sajoute la parution de deux lettres de Ferr et
de Paz parues dans un journal de Montevideo citant son nom :
Cest une inconsquence extrme. [] il sera donc prudent pour tout
individu qui a pch contre rosas de ne pas [] aller [ Martn
Garca]

650

Les duperies de Rivera nentranent pas encore la fin de son action politique en
vertu de son attachement Ferr, des bonnes nouvelles en provenance de Santa
Fe 651 , des renseignements concernant la position difficile de lEntre Ros glans
lors de ses voyages 652 et grce lunion transnationale signe secrtement entre
Corrientes et les Farrapos le 29 mars 1842. Cette union, tant souhaite par le
Franais, lincite demeurer actif. Bonpland appuie pour cela la demande du
gouvernement rpublicain riograndense auprs de celui de Corrientes pour
lobtention de chevaux en mai 1842. Profitant de ses relations privilgies avec
648

Ce qui est trs loin de couvrir les frais dune guerre de longue dure telle quelle est planifie.
Baltasar Acosta en promet 50 000 dans un premier temps, avant de descendre 25 000 puis 10
000 ; cf. AMFBJAD n 196 et 36, Bonpland F. Rivera et P. Ferr, 3 et 4 dcembre 1841.
649
Selon Bonpland, Rivera nest pas capable de runir les 2 000 fantassins annoncs car il nen a
que 300 en dcembre ; AMFBJAD n 1742, voyage de Santa Ana Montevideo, 22-26 dcembre
1841.
650
AMFBJAD n 1738, voyage de Corrientes Montevideo, 25 et 28 novembre 1841.
651
AMFBJAD n 581, G. Garca y Castro Bonpland, Arroyo, 10 janvier 1842.
652
Bonpland savre un agent de renseignements remarquable. Lorsque larme dUrquiza pntre
Salto, les migrs de la province de lEntre Ros qui arrivent Montevideo sont envoys
lintrieur du pays, afin dviter quils puissent communiquer avec leur province dorigine. Malgr
ou cause des mesures rigoureuses dUrquiza, notamment la peine de mort pour les dserteurs, les
soldats de cette province affluent en Uruguay, ce qui ne devrait pas permettre Urquiza de
rassembler plus de 2 000 hommes. AMFBJAD n 1741, voyage de Montevideo Corrientes,
fvrier-mars 1841 ; AMFBJAD n 1742, voyage de Santa Ana Montevideo, dcembre 1841janvier 1842.
168

Premire partie

Chapitre II

Pedro Ferr, il le supplie daccder la demande de lenvoy brsilien, Antonio


Jos Machado de Oliveira, malgr la situation militaire dlicate de Corrientes 653 .
Celle-ci saggrave lorsquen juin, alors que larme de rserve correntina
savance dans lEntre Ros, les propos du commandant de Salto apprennent
Bonpland que Rivera ne veut pas intervenir pour couvrir Paz 654 . Alors quil se
trouve Salto le 30 juin, Bonpland apprend que la ville voisine de Concordia,
situe en territoire argentin, a t prise par une petite troupe compose de 70 80
hommes, sous le commandement du colonel Oliveira. Si dans ses consquences
cette prise est dramatique 19 personnes sont assassines elle lest encore plus
de par ses causes, savoir une double trahison : celle dOliveira qui trahit le
gnral Paz ; celle surtout de Rivera qui
travaille trs utilement pour lui et pour son pays mais il le fait au
dtriment des pays voisins

655

Les dimensions patriotique et partisane se soutiennent mutuellement, faisant


apparatre clairement laffinit entre faction et nation. A cet gard, limaginaire
national uruguayen est encore une fois en dcalage avec la pratique politique
htrogne et conflictuelle 656 . Labandon dans lequel Rivera a laiss Concordia en
refusant de la doter dune garnison exprime pour Bonpland un chec politique
majeur, savoir la volont affiche par Rivera dabandonner ses allis dont les
rangs se sont pourtant grossis danciens opposants leur sort, et ainsi se
couvrir de gloire 657 .
Le 8 septembre 1842, Bonpland retrouve Ferr au paso de Higos aprs
deux annes de sparation. Entretemps, Rivera semble avoir dmenti Bonpland en
traversant lUruguay pour soutenir Paz qui sempare de la capitale de lEntre
Ros. Depuis mars 1842, le titre de gouverneur dEntre Ros que sarroge Paz
inquite Ferr qui craint de ne pouvoir contrler lambition du Cordouan. Le
diffrent qui en dcoule oppose Paz et Manuel Leiva qui occupe alors le poste
de ministre des Affaires trangres de Corrientes Ferr, ce dernier entretenant
653

AMFBJAD s. n., Bonpland P. Ferr, Santa Ana, 7 mai 1842.


AMFBJAD n 1743, voyage de Santa Ana au Salto, 11 juin 1842.
655
Ibid., 30 juin 1842 ; cf. aussi AMFBJAD n 207 : dans le brouillon de cette lettre adresse
Rivera le 13 avril 1842, Bonpland, aprs avoir voqu des affaires purement familiales, rature la
dernire phrase : [ no dudo] que prestara sus utilissimos servicios .
656
TORRES Mara Ins de, Discursos fundacionales: nacin y ciudadana , in ACHUGAR
Hugo, MORAA Abel (d.), Uruguay : imaginarios culturales. Tomo I : Desde las huellas
indgenas a la modernidad, Montevideo, Trilce, 2000, pp. 133-139.
657
AMFBJAD n 1743, voyage de Santa Ana au Salto, 30 juin 1842.
654

169

Premire partie

Chapitre II

alors Bonpland de sa version des vnements laquelle il adhre, conformment


son propre jugement 658 . A la fin du mois de septembre 1842, Ferr et Paz se
retrouvent Paysand autour de Rivera afin de sceller une nouvelle et phmre
alliance. Mais Jos Mara Paz refuse daller saluer Ferr et fait mander ses
officiers auprs du gouverneur de Corrientes. Cest Ferr qui rend visite Paz le 8
octobre, aprs quune alliance ait t conclue la veille entre Rivera, le prsident de
la rpublique du Rio Grande do Sul Bento Gonalves da Silva, le gouverneur de
Corrientes, celui de Santa Fe Estanislao Lpez et le gnral Paz. Celui-ci, malgr
ses inconsquences et son ambition, se rconcilie provisoirement avec Ferr. La
dmarche du Correntino
demontre de la manire la plus claire le patriotisme du gouverneur de
Corrientes et les efforts quil ne cesse de faire pour obtenir la paix et le
bien de tous. 659

Bonpland se flicite de cette


amalgamation de ces quatre tats qui aurait du se faire depuis longtems

660

et de lcartement de lambitieux Paz qui se voit confirm nanmoins dans son


titre de gouverneur de lEntre Ros tandis que Rivera obtient la direction de
lalliance antirrosista. Le terme dEtat employ par Bonpland cette occasion est
le signe dun changement fondamental de sa vision politique du Ro de la Plata.
Les trois Etats-provinces ou mini-Etats, dfinis par leur capacit se faire
reconnatre politiquement, disposent de la mme lgitimit que lUruguay de
Rivera.

En

plaant

leur

tte

le

reprsentant

dun

pays

reconnu

internationalement et dfini nationalement ils sarrogent une lgitimit politique


au mme titre que les Riograndenses signataires dune alliance militaire avec
Rivera le mme mois. Corrientes appuie cette alliance au nom dun mme
sentiment rpublicain, une alliance ibro-amricaine surpassant les traditionnelles
alliances hispano-amricaines. La notion didologie transnationale connat un
moment important de sa construction.

658

Ibid., voyage de Santa Ana lEntre Ros, 8 septembre 1842. Bonpland aide Ferr et sa suite
passer la Bande Orientale. 19 personnes composent le convoi : le fils du gouverneur Vicente
Ferr, Pedro Igarzabal son beau-frre, le docteur Alsina, le colonel Miguel Virasoro, le
commandant du port de Corrientes Santiago Mendez, le premier secrtaire Pampn, Roxas, deux
aides de camp, un cuisinier et neuf soldats de toute confiance .
659
Ibid., 29 septembre-8 octobre 1842.
660
AMFBJAD n 1744, voyage de Santa Ana la Bande Orientale, 8 octobre 1842.
170

Premire partie

Chapitre II

Dans cette perspective, il semble plus logique dvoquer un Etat-frontire


propos de Corrientes. En effet, en nous appuyant sur des modles
existants 661 nous pouvons aborder la construction politique correntina postindpendantiste comme celle dun Etat-frontire, car aux interactions politiques
interprovinciales sen ajoutent dautres interethniques, transnationales et
transatlantiques 662 . Cela peut expliquer ltonnement de Bonpland aprs la dfaite
dArroyo Grande, le 6 dcembre 1842. Le sentiment patriotique, qui parat
profondment ancr chez les Correntinos, scroule aprs la droute face aux
troupes dOribe :
Il est inconcevable de voir labattement et le dcouragement des
Correntinos ! ces homme qui avant et aprs la bataille de Caa guazu se
considraient les premiers soldats du monde sont tout fait tombs dans
le nant

663

Bonpland rejette sur Rivera la responsabilit de la dfaite, voquant des fautes


enormes dont les resultats seront funestes , la plus grande tant davoir voulu
faire combattre ensemble Correntinos et Orientales afin quils se partagent la
gloire de la victoire alors quils ne se connaissent pas, contrairement aux troupe
dOribe 664 .
661

Lexpression dEtat-frontire est utilise notamment par Alain Joxe qui le dfinit comme une
entit politique prcdant lEtat-nation. Il est la fois dlimit par une frontire conventionnelle,
fixe et, explique Joxe, une frontire au sens amricain et espagnol du terme, cest--dire
conflictuelle, mouvante, lieu daffrontement entre deux bandes militaires antagonistes
socialement ; cf. JOXE Alain, Le rempart social. Essai sur limprial-militarisme, Paris, Galile,
1979. Dans le cas de Corrientes, les interactions concernent plus de deux acteurs et ne sont pas
uniquement militaires et antagonistes. Le modle gographique propos par Jean Rivelois propos
du Mexique, cet Etat tant selon lauteur une superposition de deux modes de structuration sociospatiale, celui des Etats-Unis et celui du Mexique, permet de penser lEtat-frontire autrement que
comme un lieu de conflits ; cf. RIVELOIS Jean, La planification urbaine lpreuve de la
culture politique. Une ville en dveloppement : Guadalajara (Mexique , in Revue Tiers Monde,
Paris, Armand Colin, tome 36, n 141, pp. 67-85. Le terrain africain tudi notamment sous la
direction de Zekeria Ould Ahmed Salem en ce qui concerne lEtat-frontire mauritanien met en
vidence les liens entre les facteurs locaux, rgionaux et globaux dune part, les concepts de
centralit et de rseaux dautre part. LEtat est apprhend comme un lieu o interagissent les
cultures, les socits, les conomies et les ethnies ; cf. OULD AHMED SALEM Zekeria (dir.), Les
trajectoires d'un Etat-frontire. Espaces, volution politique et transformations sociales en
Mauritanie, Dakar, CODESRIA, 2004.
662
Nous rejoignons sur ce point lanalyse de Silvia Ratto propos de ltude des frontires latinoamricaines, lhistorienne souhaitant que soit mise en place un champ de recherche des espaces
frontaliers mettant davantage en relief leur spcificit comme lieu de rencontre des cultures. Les
tudes microrgionales lui paraissent dailleurs des terrains privilgis ; RATTO Silvia, El
debate sobre la frontera a partir de Turner. La New Western History, los Borderlands y el estudio
de las fronteras en Latinoamrica , in Boletn del Instituto Dr. E. Ravignani , troisime srie,
n 24, second semestre 2001, p. 125.
663
AMFBJAD n 1744, Santa Ana, dcembre 1842.
664
AMFBJAD n 1744, voyage de la Bande Orientale Santa Ana, 8-10 dcembre 1842.
171

Premire partie

Chapitre II

Laire culturelle rioplatense est fractionne par les conflits internes,


lmergence dentits nationales, les alliances transnationales et transatlantiques.
A ce titre, Corrientes possde un statut de province mais, fond sur lunit des
solidarits inter-claniques remises en cause aprs 1810, ce statut devient obsolte.
En effet, la socit coutumire doit sadapter aux nouvelles sociabilits
indpendantistes. Le fdralisme traditionnellement implant dans la province se
scinde alors en fonction des enjeux conomiques, territoriaux et patriotiques.

B. LADAPATATION A UNE AIRE CULTURELLE EN


MUTATION
Entre le dbut des annes 1840 et le dbut de la dcennie suivante la
pense du naturaliste abandonne une reprsentation barbare du Nouveau Monde,
avant de se stabiliser, par le biais de la lutte politique, suivant une position
antirrosista reconnaissant par effet de miroir le caractre civilis de ses ennemis.
Son originalit rside dans sa pratique nouvelle de lamricanisme, alliant
exprimentation politique et idologique, suscitant aussi de nouvelles formes
dautoperception. En analysant maintenant le mtissage culturel dAim Bonpland
au cours de ces annes, il sagit de mettre en lumire le statut dEtat-frontire de
Corrientes.
Lengagement politique de Bonpland est directement cause de la chute
brutale de sa correspondance partir de 1843, aprs que la dfaite de son ami et
gouverneur de la province de Corrientes Pedro Ferr le force lexil dans le Rio
Grande do Sul. Les rapports du Franais avec Corrientes souffrent de la dfaite de
1843 et on peut constater quau cours des annes 1840 il se tourne vers le Brsil
afin de rompre lisolement dans lequel il se trouve. Durant une grande partie de la
dcennie, de 1842 1849 exactement, Bonpland ne reoit aucune correspondance
en provenance dEurope, preuve dune rupture importante car si les changes avec
le Vieux Monde ne sont pas intenses, ils reprsentent un cordon ombilical
scientifique et conomique de premier ordre. La fin des annes 1840 puis la
dcennie suivante prsentent une situation politique permettant de nouveau cette

172

Premire partie

Chapitre II

connexion, tandis que les relations avec Corrientes sintensifient au dtriment de


celles entretenues avec le Brsil 665 .
La dfaite dArroyo Grande est autant un choc quune leon mditer. Les
enseignements quen retient Bonpland ds les jours suivants dstructurent
totalement ses convictions transnationales. Arroyo Grande signifie aussi pour le
Nordeste le passage vers une autre tape de sa construction politique, la geste
patriotique alimente jusque l par des mcanismes politiques transnationaux et
claniques acqurant une dimension inter-clanique et factieuse. En ce sens, les
sociabilits politiques porteas atteignent Corrientes. Aprs lempreinte nationale
et unitaire laisse par les caudillos Lavalle et Paz, les factions correntinas laissent
leur tour leur empreinte quil sagit danalyser. Les changements de lignes
politiques, entranent Corrientes la fdrale vers les unitaires. Le fait que
Corrientes se soit identifi ou plutt alli Paz et Lavalle et encore dans la geste
indpendantiste ne signifie pas que la province se soit identifie cette cause.
Ce sont davantage des luttes de partis et non des conflits provinciaux,
encore moins nationaux, qui consument les coalitions auxquelles participe
Corrientes. La province exprimente une volution politique originale, la geste
patriotique

lorientant

vers

un

modle

politique

caractris

par

une

interpntration des clans et des factions forgeant la construction dun Etatfrontire sinstallant en mme temps dans le processus de construction nationale.

1. Du rseau transnational au rseau intra-clanique


Au cours des annes 1830, Aim Bonpland parvient intgrer les clans
correntinos. Son rseau stend non seulement Corrientes mais aux pays
limitrophes et jusquen France, lui donnant une dimension transatlantique
fondamentale. Intgr dans une socit extrmement politise, la confrontation
la guerre loblige adopter des stratgies didentification nouvelles en raison des
volutions sociopolitiques et de leur complexit puisquelles stendent des
relations citadines dans le sens que lui donne Genevive Verdo aux relations
transatlantiques. Laire culturelle dans laquelle volue le Franais savre le
665

Cf. graphique n 3, p. 186.


173

Premire partie

Chapitre II

thtre dun changement majeur au cours des annes 1840, lapparition de


nouvelles formes de sociabilits politiques dont la violence et la terreur occupent
une place centrale amenant sans doute un bouleversement des mentalits 666 .

La construction dune identit transnationale : des clans aux factions


Aim Bonpland se trouve au cur de ce processus et apporte beaucoup
sa comprhension. Au cours des pisodes les plus sanglants de la guerre civile, il
parvient conserver ses protections. Une premire fois en 1839, il obtient
limmunit dEchage. Durant la dcade 1840, il maintient le contact et offre ses
services aux Madariaga puis aux Virasoro, les deux familles qui saffrontent pour
la domination de la vie politique correntina. Ainsi en 1843 Bonpland acquiert la
confiance du clan Madariaga, pourtant adversaire acharn de Pedro Ferr. Une
troisime fois, aprs la bataille de Vences marquant le 27 novembre 1847 la
dfaite des Madariaga, il bnficie une nouvelle fois de la protection des
vainqueurs, Benjamn Virasoro et Justo Jos de Urquiza 667 .
Ds la dfaite dArroyo Grande Ferr entreprend dans un premier temps de
rassembler les restes de son arme, mais la dsagrgation de celle-ci et ses appels
dsesprs ne permettent plus doffrir la moindre rsistance face larme rosista,
666

Si les sources le permettent, il serait intressant douvrir un champ de recherche concernant les
fluctuations du sentiment patriotique parmi les soldats engags dans les guerres rioplatenses. Cela
permettrait daffiner ltude des mentalits forges aprs lindpendance et de comparer les
discours des chefs avec le ressenti des hommes de troupe. Plus gnralement, lensemble des
populations touches par la guerre ont certainement connu un profond changement dans leurs
relations sociales et dans leurs mentalits.
667
AMFBJAD n 1609, Bonpland B. Virasoro, So Borja, 28 dcembre 1847 ; AMFBJAD n
1131, Bonpland M. A. Urdinarrain, So Borja, 24 janvier 1848. Le Correntino Benjamn Juan
Virasoro (1812-1897) est membre du parti fdral de Corrientes. Il lutte dabord aux cts des
antirrosistas Pago Largo, Caaguaz et Arroyo Grande avant de rejoindre le camp de Justo Jos
de Urquiza et Pedro Cabral. Chass par les Madariaga, il participe la bataille de Vences au cours
de laquelle Urquiza bat dfinitivement les Madariaga et installe les Virasoro au pouvoir
Corrientes. Nomm gnral et gouverneur de Corrientes en dcembre 1847, il exerce le pouvoir
avec ses frres jusquen 1852. Alors quil se trouve Buenos Aires, il est dpos par Juan Pujol.
Benjamn se retire Rosario o il demeure et participe encore de nombreuses campagnes, parmi
lesquelles figurent les batailles de Cepeda et Pavn. LEntrerriano Justo Jos de Urquiza (18011870) dbute en 1819 une activit de propritaire terrien et entrepreneur. En 1826, il est lu
gouverneur provincial. Au cours des annes 1830, il sert sous les ordres dEchage. En 1842, il
assume la direction de lEntre Ros et consolide son pouvoir grce ses victoires dcisives sur les
antirrosistas Arroyo Grande en 1842, India Muerta en 1845, Laguna Limpia en 1846 et Vences
en 1847. En 1851 il se prononce contre Rosas quil dfait Caseros lanne suivante. Il devient le
premier prsident argentin de 1854 1860. Aprs la bataille de Pavn, Urquiza se consacre
ladministration de sa province o il meurt assassin.
174

Premire partie

Chapitre II

Ferr sexile alors que Bonpland demeure dans son estancia de Santa Ana.
Pourtant, le Franais est lun des plus proches conseillers du gouverneur et
vraisemblablement son vritable homme de confiance, en consquence de quoi il
aurait du prendre le mme chemin. En effet, ds 1839 Bonpland sest
personnellement engag envers le fdraliste Echage mais a trahi la parole
donne en soutenant Ferr. En 1842 son implication politique est connue de tous,
notamment du nouveau gouverneur rosista Pedro Cabral ; pourtant il demeure en
partie sur le territoire correntino de dcembre 1842 jusquen avril 1843.
Les biographes de Bonpland passent sous silence ce premier paradoxe qui
sexplique par le fait que si Pedro Cabral bard de la bannire fdrale, il est
dsign par Ferr lui-mme car si cet homme de gouvernement correntino est
proche des ides de Rosas, il savre aussi issu dune famille distingue
socialement et respecte dans la province 668 . Il faut attendre le 20 mars 1843 pour
que Cabral lgifre contre son prdcesseur, premire alerte avant lalarme
dclenche le 13 avril lorsque Jos Antonio Virasoro 669 prend le pouvoir
Corrientes. Cest ce moment seulement que Bonpland, craignant pour sa vie,
dcide de se retirer dans son petit coin 670 riograndense, esprant que les
vnements politiques lui permettent de revenir en Argentine671 . Juan Cruz Jaime
explique que larrive de Cabral signifie la fin de lalliance inter-clanique qui
gouverne en alternance Corrientes depuis 1820 et provoque une guerre des
clans 672 . Bonpland, voyant son rseau forg au cours des annes 1830 scrouler,
est forc de fuir la province.
Plus prcisment, cest Jos Antonio Virasoro qui met fin ce mode de
fonctionnement politique et la lutte qui sensuit nest pas seulement inter-clanique
mais aussi factieuse ou intra-clanique, les brches touchant les clans eux-mmes.
Le divorce entre autorit et civilit mis en relief Buenos Aires par Pilar
Gonzalez Bernaldo 673 stend au Nordeste, les prmices de cette rupture pouvant

668

Cf. CASTELLO A. Emilio, op. cit., pp. 333-336.


Jos Antonio Virasoro (1814-1860) connat le mme parcours que son frre. Aprs avoir
soutenu les forces commandes par le gnral Paz, il passe au service dUrquiza et commande les
troupes correntinas lors de la bataille de Caseros. Promu colonel en 1857, puis gouverneur de la
province de San Juan en 1859, il y est assassin lors dun mouvement rvolutionnaire conduit par
Antonio Aberastain.
670
AMFBJAD n 958, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 aot 1850.
671
AMFBJAD n 1209, journal dagriculture, So Borja, 1843-1844.
672
CRUZ JAIME Juan, op. cit., pp. 26-27.
673
GONZALEZ BERNALDO Pilar, op. cit., pp. 145-178.
669

175

Premire partie

Chapitre II

tre perues lors du pronunciamiento de Cabral appuy par les 80 officiers


prisonniers de Caaguaz, Justo Daz de Vivar et ses deux frres, des membres des
familles Noguera, Garrido, Regueral, Latorre, Galarraga et le clan Araujo
auxquels sajoute un parent de Ferr 674 . Cependant, ds le dbut de lanne 1841,
Bonpland tmoigne dune tentative de pronunciamiento rprouve dans la capitale
correntina par Paz et les Madariaga laquelle prend part le propre oncle de ces
derniers. Lvnement est significatif dune rupture politique cruciale car lorsque
Bonpland rencontre ces derniers, ils lui confient leur peur du discrdit risquant de
rejaillir sur eux et leurs hsitations quitter la province, ce dont Bonpland les
dissuade 675 .
En 1840, Bonpland conseille Paz, tant donn les dissensions internes du
congrs provincial, de se retirer et dabandonner le pays son triste sort 676 .
Lapparition de dirigeants non provinciaux, Paz en 1840 et avant lui Lavalle suite
Pago Largo sont aussi dcisives dans le changement politique et les dissensions
se produisant Corrientes. Le vritable point de dpart du changement des
pratiques politiques se produit Pago Largo, le 31 mars 1839, car non seulement
il signifie la fin de lindpendance militaire de Corrientes mais marque aussi une
rupture dans la pratique de la guerre, Pago Largo donnant lieu une violence et
une terreur jamais exprimentes depuis 1810. Finalement, ltonnement de
Bonpland vis--vis du comportement des soldats correntinos aprs Caaguaz
sexplique par leur souvenir de Pago Largo. La geste patriotique correntina
apprend la terreur en mme temps que la dislocation du systme clanique.
Ferr se rfugie en 1843 au Rio Grande do Sul accompagn des
Madariaga. En janvier 1843, tandis que Ferr sjourne chez Bonpland les
Madariaga se trouvent Alegrete afin de solliciter de la part du prsident la
permission de rsidence pour eux et leurs hommes, en compagnie du Franais677
qui leur sert probablement dintermdiaire. En mars, les Madariaga reprennent le
pouvoir mettant fin vingt annes de rgne des clans Fernndez Blanco et
Atienza allis depuis 1820, dont Ferr fait partie. Ils dclarent celui-ci tratre la
patrie en raison de son choix de fuir la province plutt que de poursuivre la

674

AMFBJAD n 1744, voyage de Santa Ana lEtat Oriental, 8-10 dcembre 1842.
AMFBJAD n 1741, voyage de Montevideo Corrientes, fvrier-mars 1841.
676
AGNBA, Sala VII, archivo del general Jos M. Paz, leg. 99, aos 1815-1840.
677
AMFBJAD n 1043, B. Gonalves da Silva Bonpland, Alegrete, 4 janvier 1843.
675

176

Premire partie

Chapitre II

rsistance 678 . Ce motif est plus que discutable sachant queux-mmes prfrent
sauver leur famille et leurs biens plutt que leur province avant de revenir au
pouvoir, adoptant la mme attitude lors de leur dfaite face aux Virasoro en 1847.
Il sagit surtout pour eux dloigner les autres clans du pouvoir, tout comme le
font ensuite les Virasoro durant un dbut de gouvernement marqu par des
rglements de compte sanglants.

Intra-clanisme et transnationalisme
Plusieurs mois scoulent avant que Bonpland ne traverse de nouveau
lUruguay. Il tergiverse ; doit-il demeurer en retrait ou franchir le Rubicon et
risquer de se jeter dans la gueule des Madariaga ? Pour rsoudre cette question il
adresse trs tt une premire demande Joaqun Madariaga 679 afin de connatre
son opinion sur un ventuel retour, puis une seconde son frre Juan en juin 1843
dans laquelle il propose ses services comme batelier, mdecin et probablement
informateur. Une troisime lettre date du 21 juin indique que Bonpland sest
occup de soigner Pedro Madariaga, lun des frres du clan. Laspect mdical joue
sans doute un rle important dans les lettres que les Madariaga adressent
Bonpland en juin 1843 680 , Joaqun sexcusant davoir tant tard lui rpondre, ses
obligations politiques layant oblig le faire attendre. Il est probable, bien
quaucune source ne latteste, que le silence des nouveaux dirigeants sexplique
par un temps de rflexion quils se donnent afin de dcider de lutilit ou non du

678

Aprs la dfaite de Ferr Arroyo Grande, les frres Madariaga laccusent davoir lchement
abandonn la province aux mains de lennemi, lui prohibant laccs Corrientes. De fait, si Ferr
entreprend dans un premier temps de rassembler les restes de son arme, la dsagrgation de celleci et les appels dsesprs ou dsesprants de Ferr ne permettent plus doffrir la moindre
rsistance face larme rosista. Avant de sexiler, Ferr dsigne lui-mme son poste Pedro
Cabral, homme de gouvernement correntino alli de Rosas ; cf. CASTELLO A. Emilio, op. cit.,
pp. 333-336.
679
Joaqun Madariaga (1799-1848) est lu dput de Curuz Cuati en 1838. Lanne suivante,
Ferr le nomme commandant de Mercedes. Alli Rivera et Paz, la dfaite dArroyo Grande
loblige se retirer Alegrete, do il prpare la reconqute de Corrientes mene bien en 1843.
Elu gouverneur jusquen 1847, il est cette date dfinitivement battu par Urquiza et termine ses
jours au Brsil.
680
A ce propos, cf. chapitre VII, pp. 668-670.
177

Premire partie

Chapitre II

Franais. Les secondes et troisimes lettres de Bonpland, appuyes par des offres
de services, renforcent cette hypothse 681 .
En effet, une intervention europenne se profile et les Farrapos peuvent
savrer dutiles allis 682 . En outre les ngociations pour obtenir un nouveau
soutien de Rivera rendent lamiti de Bonpland indispensable. Les Madariaga sont
prts oublier son compadraje vis--vis de Ferr car Bonpland est moins
considr comme un homme de clan que comme quelquun au service du bien
commun. Il la montr au dbut de la Guerra Grande en tentant de concilier les
diffrents partis, et ce rle de mdiateur peut savrer trs utile aux Madariaga.
Aussi prfre-t-ils voir en lui un alli, le Franais obtenant en juin de
Joaqun Madariaga les flicitations, comme patriote ami de mon pays ajoutant
quil peut
quand il le souhaite venir jouir de la libert qui fleurit de nouveau dans la
Province, dans laquelle vous avez acquis des considrations tant
mrites.

683

Juan Madariaga 684 insiste quant lui sur les idaux partags :
Ami, comme je sais que vous ltes de la libert, lhumanit et la
civilisation, je ne doute pas que vous ltes de nous et de la cause qui
depuis si longtemps a guid Corrientes et quelle soutiendra avec
dignit.

685

681

Cf. AMFBJAD n 153, 154, 155, Joaqun et Juan Madariaga Bonpland, 26 juin, 10 juillet et
15 aot 1843.
682
Bonpland est en contact avec eux, au point quil chappe de peu en 1838 une tentative
dassassinat. Les meurtres tant devenus journaliers depuis plusieurs semaines, Bonpland trouve
alors refuge Santa Ana. En 1839 les Brsiliens laccusent encore une fois de soutenir les rvolts.
A la fin de la guerre civile riograndense, les officiers rpublicains qui contrlent Santa Ana le
reconnaissent comme un des leurs. AMFBJAD n1724, voyage dans le haut de lUruguay, 27
janvier-1er fvrier 1839 ; AMFBJAD n773, Pinheiro de Ulha Bonpland, Alegrete, 8 janvier
1843 ; AMFBJAD n1748, voyage de Corrientes So Borja, Santa Ana, 14 juillet 1844.
683
como patriota amante de mi pais []. U. puede cuanto guste venir gozar de la libertad qe
florece otra vez en la Prova, en qe U. ha adquirido tan merecidas consideraciones. , AMFBJAD n
153, J. Madariaga Bonpland, Corrientes, 17 juin 1843.
684
Juan Madariaga (1809-1879), originaire de Corrientes, combat partir de 1839 sous les ordres
de Juan Lavalle. Aprs la mort de celui-ci, il retourne Corrientes, prend le pouvoir en 1843 puis
envahit lEntre Ros. Battu et captur par Urquiza la bataille de Laguna Limpia, ce qui permet la
signature du trait dAlcaraz en aot 1847. Mais le rejet du trait par Rosas entrane linvasion de
Corrientes par les forces entrerrianas et la fin du pouvoir des Madariaga. Juan participe ensuite
la campagne de 1851-1852 contre Rosas, soutient la rvolution portea du 11 septembre et
sinstalle dfinitivement Buenos Aires o il occupe plusieurs postes honorifiques.
685
Amigo, como s qe es vm de la libertad, la humanidad y la civilizacion, no tengo duda qe lo es
de nosotros y de la causa qe por tanto tiempo ha conducido Corrientes y qe sostendr con
dignidad. AMFBJAD n 154, J. Madariaga Bonpland, Villanueva, 26 juin 1843.
178

Premire partie

Chapitre II

Dans le mme temps, la demande de Ferr pour revenir Corrientes est rejete ; il
lui faut attendre 1848 pour quil puisse revenir sinstaller dans la province dEntre
Ros 686 . Faute de cette prsence, le Franais hsite encore repasser lUruguay.
A la fin de lanne 1843, Bonpland transborde un premier chargement
probablement li un autre dont il sentretient au dbut de lanne suivante avec
un membre de la famille Madariaga, avant de se rendre au chevet de Joaqun
Corrientes 687 . Son voyage concide avec le retour en grce du gnral Paz, de
nouveau appel la tte de larme. Le retour de Paz en juin 1844, ainsi que la
politique dalliance du gouverneur rassure Bonpland ; les Madariaga nhsitent
pas faire confiance des hommes ayant servi le clan ennemi. Nanmoins, durant
leur gouvernement Bonpland demeure majoritairement So Borja malgr les
assurances reues de la fratrie correntina. Les soins mdicaux donns
Madariaga finissent de rtablir une certaine confiance 688 , nanmoins insuffisante
pour que les rapports excdent quelques services commerciaux. Bonpland ne joue
aucun rle politique il nentre pas en contact avec les Franais ni avec Paz qui
finit par se retourner contre les Madariaga et demeure au Brsil le temps de leur
gouvernement. Cette entente tout au plus cordiale montre la rserve du Franais
vis--vis dun clan qui a exil Ferr, confisqu les biens de ses ennemis
employant les mmes mthodes que Rosas et qui adopte des mthodes militaires
contraires aux principes du Franais 689 .
De plus, ces pactes sont fragiles et soumis aux alas militaires. Au vu de
cette situation, il nous semble que la frontire la plus mince soit celle qui spare
les factions des nations. En extrayant les principales caractristiques de ces
relations et en en dfinissant les frontires, il apparat quune msentente cordiale
rgne parmi ces groupes. Les Madariaga sappuient sur les factions et non sur les
clans tandis que leurs successeurs exprimentent des msententes internes leur
686

CASTELLO A. Emilio, op. cit., pp. 341-342. La demande de Ferr, qui intervient un mois
aprs celle effectue par Bonpland, est peut-tre une tentative de lancien gouverneur pour profiter
des bonnes dispositions des Madariaga envers son ami.
687
AMFBJAD n 1745, Lettre de retour So Borja pour A. Bonpland, J. F. Valle, commandant
du Passo, dcembre 1843; AMFBJAD n 1746, passeport du Quartier Gnral de Frontire pour
A. Bonpland et son cortge, 23 novembre 1843 ; AMFBJAD n 156, J. L. Madariaga Bonpland,
Santo Tom, 9 janvier 1844.
688
La mre de Joaqun ne tarit pas dloges et de gratitude propos de lintervention de bonpland ;
AMFBJAD n159, M. de los Angeles Acosta de Madariaga Bonpland, Corrientes, 13 juillet
1844.
689
En dcembre 1843, les premires oprations menes dans lEntre Ros se caractrisent par une
consigne plusieurs fois rprouve par Bonpland, savoir lexcution des dserteurs ; cf.
CASTELLO A. Emilio, op. cit., pp. 344-345.
179

Premire partie

Chapitre II

fratrie. En effet, les Virasoro qui en 1843 prennent parti pour le camp rosista se
rfugient dans lEntre Ros. Cette attitude parat guide par une lutte de clans,
mais le clan Virasoro est divis entre le cadet Benjamn, mari une cordouane et
clbre pour sa cruaut hrite de ses coreligionnaires Echage et Urquiza, et
lan Miguel, mari une sur de Pedro Ferr et nettement plus tolrant. La
mfiance de Bonpland envers les frres Virasoro provient des nombreuses
exactions commises par Benjamn, commencer par lexcution des quatre
colonels commandant larme vaincue 690 . De plus, laccession de Benjamn au
poste de gouverneur ne satisfait pas les rosistas soutenant sans succs la
candidature de Gregorio Araujo 691 , un compadre de Bonpland jug trop tendre par
les soutiens des Virasoro.

2. Ladaptation dans les actes : une restructuration relationnelle


Il est question dindividualisation de la politique au cours des annes 1840
Corrientes, celle-ci participant la formation dune nouvelle pratique politique
non plus clanique mais partisane. Des parallles historiographiques peuvent tre
effectues avec dautres situations analogues. Un modle qui pourrait sappliquer
en raison des luttes intrafamiliales est celui de la guerre civile rvolutionnaire
telles celles subies par la France ou lEspagne, mais afin dviter lanachronisme
et parce que la situation de Corrientes est spcifique le modle rvolutionnaire
porteo nous semble le plus proche, en y ajoutant la dimension frontalire de
Corrientes. Ce changement rend la position de Bonpland plus vulnrable dans la
mesure o son rseau prend en compte des pratiques politiques qui tendent
devenir obsoltes.

Un rseau territorial vulnrable


Lartre fluviale sur laquelle repose le rseau de Bonpland se fragilise
partir des annes 1840. Il y a dabord la coupure davec Buenos Aires dj
690
691

ZINNY Antonio, op. cit., pp. 64-68.


CASTELLO A. Emilio, op. cit., p. 365.
180

Premire partie

Chapitre II

consomme ; de septembre 1843 juillet 1848 aucun courrier nest chang entre
la ville atlantique et le naturaliste. La rupture de ses relations avec Montevideo o
il a tiss de solides appuis est davantage prjudiciable ; il lui faut attendre le 13
juillet 1847 pour recevoir des nouvelles de cette ville 692 . Linterruption pistolaire
entre Bonpland et ses correspondants uruguayens est due pour sa part la seule
bataille dArroyo Grande. La domination du gnral Oribe 693 sur la campagne
uruguayenne et le sige de Montevideo quil instaure coupent les voies de
communication vers le sud-est et vers lEurope.
En outre, il na plus accs aux villes-ports qui sont des points stratgiques
le long du fleuve. Ces villes sont disposes selon un systme de miroir, cest-dire qu chacune delle correspond une autre de lautre ct de la frontire
fluviale 694 . En remontant lUruguay, Concepcin situe dans lEntre Ros reflte
Paysand, fonde en Uruguay et dont Bonpland saisit limportance stratgique
lors de son voyage de 1842 695 . La ville est de plus un lieu dtablissement pour
une soixantaine de Franais en 1845, effectuant des liaisons pour profiter du
commerce florissant encourag par le gouvernement 696 . De ce fait la guerre
npargne pas la ville de toutes les scnes tragiques selon le tmoignage de
Charles Legard tabli l pendant toute la Guerra Grande 697 .
Plus au nord de la province, Concordia et Salto se rflchissent elles-aussi.
Salto, qui profite de la disparition de Beln en 1840 pour attirer les flux
commerciaux en provenance du Nord, joue un rle primordial dans lorganisation
du rseau de Bonpland de par limportance du commerce des Franais sur
lUruguay, en plus dtre le lieu par o transitent la majorit des informations et

692

AMFBJAD n 896, Blanc et Constantin Bonpland, So Borja, Buenos Aires, 7 septembre


1843 ; AMFBJAD n 1766, C. de Acua Bonpland, So Borja, Buenos Aires, 15 juillet 1848 ;
AMFBJAD n 1025, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 13 juillet 1847.
693
Manuel Oribe (1792-1857) est alors en position de force aprs la bataille dArroyo Grande ; il
oblige les forces antirrosistas se rfugier dans Montevideo dont il commence le sige en fvrier
1843. Participant aux guerres dindpendance ds 1812, il combat aux cts dArtigas, de Buenos
Aires et des royalistes portugais avant de rejoindre les forces uruguayennes en 1825. Promu
gnral en 1832 puis ministre de la Guerre et de la Marine en 1833, Oribe accde la prsidence
de lUruguay le premier mars 1835. Rivera se soulve lanne suivante et obtient le contrle du
pays aprs sa victoire Palmar, le 15 juin 1838, sur le parti blanco dOribe. Mais, grce au soutien
de Rosas, Oribe bat successivement Lavalle en 1840 puis Rivera, chef du parti colorado, en 1842,
contrlant son tour le pays jusquen 1851. Oribe est finalement cart du pouvoir jusqu sa
mort.
694
Cf. carte n 1, p. 54.
695
AMFBJAD n 1744, voyage de Santa Ana lEtat Oriental, 6 octobre 1842.
696
B*** Armand de (ROY Just Jean Etienne), op. cit., pp. 279-280.
697
AMFBJAD n 670, C. Legard Bonpland, Paysand, 19 dcembre 1850.
181

Premire partie

Chapitre II

des rumeurs militaires entre 1841 et 1842 698 . Abadie, Page et Manuel Silva sont l
les personnes de confiance sur lesquelles Bonpland sappuie autour de la voie
fluviale uruguayenne. Mais partir du mois de mars 1841 et de la prise dun
navire brsilien par les forces entrerrianas, linscurit sinstalle dans le haut de
lUruguay, obligeant les ports de Santa Ana, Itaqui et So Borja couler leurs
produits par voie de terre, ce qui provoque dimportants convoyages vers Salto699 .
Surtout, la coupure dfinitive de cette route aprs la bataille dArroyo Grande
impose une rorientation des voies de communication.
Entre Corrientes et le Rio Grande do Sul trois villes-miroirs se font face.
La Cruz et Itaqui sont inutilisables cause des mouvements de population
provoqus par la guerre au mme titre que Santo Tom et So Borja. Pour cette
raison Restauracin et Uruguaiana sont fondes plus au sud en 1843 700 ,
proximit de la frontire entre les trois pays. Entre 1842 et 1849 Bonpland se
trouve donc isol dune grande partie de ses allis, ce qui ressent sur
lappauvrissement du volume de sa correspondance 701 .
La voie paraguayenne tente le Franais lorsque se pose le problme de la
succession de Francia et de louverture du pays. Encore est-il plus spectateur
quacteur de la cure qui sannonce autour du cadavre du Supremo ; les Porteos,
les Brsiliens et les Anglais sactivent alors pour obtenir des audiences
Asuncin. En juillet 1841, Juan Andrs Gelly fait part Bonpland de ses craintes
et lui demande de faire parvenir rapidement une lettre davertissement
Asuncin, le Franais tant avec le commandant du poste dItapa le seul
intermdiaire sur lequel sappuyer. Gelly insiste sur le danger pour le Paraguay
dune ouverture brutale aux ambitions trangres aprs 25 annes dune stricte
politique disolement Le message quil dsire dlivrer au nouveaux dirigeants est

698

AMFBJAD n 201, Bonpland F. Rivera, Salto, 20 janvier 1841 ; AMFBJAD n 41, Bonpland
P. Ferr, Salto, 24 janvier 1841 ; AMFBJAD n 1741, voyage de Montevideo Corrientes, Salto,
3 12, 14 fvrier, 1-2 mars 1841 ; AGNBA, archivo del general Jos M. Paz, leg. 100, ao 1841,
Bonpland J. M. Paz, Salto, 15 fvrier 1841 ; AMFBJAD n 1743, journal, voyage de Santa Ana
au Salto, 14 juillet 1842.
699
Depuis que les Entre-rianos ont pris au dessus du Salto un batiment de Sn. Borja, qui portait
une facture de Mr. Jose Ingres dont la valeur est de 7000 P. le commerce de Sn. Borja, Itaqui, Sta
Ana et autres ports ont pris la rsolution denvoyer leurs charges par terre. , AMFBJAD n 1741,
voyage de Montevideo Corrientes, Salto, 3 mars 1841.
700
Cf. BELL Stephen, op. cit., p. 135.
701
Cf. graphique n 2, p. 117.
182

Premire partie

Chapitre II

que la Politique des nouvelles Rpubliques doit tre rduite cette sage
maxime, Amiti, Paix, et Commerce avec toutes les Nations, traits avec
aucune

702

Juan Andrs Gelly craint que les missaires de Rosas et de lAngleterre,


partis de Buenos Aires au dbut du mois de juillet 1841, convainquent le nouveau
gouvernement de signer un trait dautant plus que selon lui ils marchent main
dans la main. Le gouvernement de Buenos Aires fait appel Pedro Sheridan pour,
sous

prtexte

dorganiser

une

expdition

commerciale,

entamer

des

pourparlers 703 . Bonpland est directement averti par Sheridan de cette mission car
lenvoy britannique ncessitant sa recommandation lui confie le but de ce voyage
visant tablir une influence anglaise au Paraguay 704 . Ferr et Paz en sont
informs selon les vux de Gelly, qui voit en eux les personnes capables de
contrer ces influences 705 . A Asuncin, les Correntinos se montrent les plus
convaincants. En effet, les plnipotentiaires Gregorio Valds et Juan Mateo
Arriola signent le 31 juillet 1841 deux traits entre le gouvernement de Corrientes
et celui du Paraguay, lun portant sur un accord commercial, lautre concernant la
dlimitation frontalire. Lalliance charge dincrdulit706 est en cela conforme
aux souhaits de Gelly.
Limmobilisme de la France dans cette question explique peut-tre
linactivit de Bonpland. En outre lactivit enregistre Itapa en 1842 est nulle,
le commerce seffectuant louest du pays par eembuc 707 . Si les relations
semblent suffisamment affermies pour que Bonpland espre une ouverture du
Paraguay au commerce 708 , son loignement du lieu o il seffectue ne favorise pas

702

que la Politica de las nuevas Republicas debe estar reducida esta sabia maxima, Amistad,
Paz, y Comercio con todas las naciones, tratados con ninguna , AGNBA, archivo del general Jos
M. Paz, leg. 100, ao 1841, J. A. Gelly P. Ferr, Montevideo, 16 juillet 1841.
703
Cf. AMFBJAD n 141, J. A. Gelly Bonpland, Montevideo, 15 juillet 1841 ; AMFBJAD n
184 bis, Bonpland J. M. Paz, s.l., 31 juillet 1841.
704
AMFBJAD n 1039, P. Sheridan Bonpland, Buenos Aires, 4 juillet 1841.
705
Un autre Paraguayen proche de Bonpland soutient trs tt la politique de Corrientes vis--vis du
Paraguay. Il sagit de Manuel Jos Baez, qui espre une rapide alliance entre les deux
gouvernements. Baez crit: Ferr puede contribuir mucho a que el Paraguay siga un sistema de
orden, de Libertad bien entendida y de prosperidad, entablando con aquel relaciones estrechas de
amistad , in AMFBJAD n 55, M. J. Baez Bonpland, Montevideo. 30 avril 1841.
706
Le 2 aot 1841, Ferr confie Paz que sil parat exister algo de amistad entre les deux
gouvernements, Corrientes doit se tenir prt repousser toute incursion arme des Paraguayens ;
AGNBA, archivo del general Jos M. Paz, leg. 100, ao 1841, P. Ferr J. M. Paz, Corrientes, 2
aot 1841.
707
AMFBJAD n 892, Bonpland Blanc et Constantin, Montevideo, 1er fvrier 1842.
708
Ibid.
183

Premire partie

Chapitre II

ses vues. Bonpland consolide ses relais Itapa en 1843 709 mais hsite
probablement se tourner vers un territoire dans lequel il ne dispose daucun
appui. Il faut attendre novembre 1845 pour quune consolidation des relations ait
lieu, grce la signature dun trait dalliance dfensive et offensive, sans que le
Paraguay ne sengage au del du discours 710 . L rside un motif supplmentaire
pour que Bonpland ne resserre pas plus les liens avec la Chine amricaine 711 .

Lapproche brasilianiste : une position politique quivoque


En 1840, une remarque anecdotique crite Santa Ana signale quil doit
aller au Brsil pour se procurer des choux, de ltoupe, du brai et dautres biens
utiles la prosprit de lestancia correntina en plein dveloppement 712 . La rive
orientale de lUruguay nest encore quun lieu dapprovisionnement, sa proprit
de So Borja tant laisse entre les mains dun contrematre laissant son tour
celle-ci labandon. En retrouvant Ferr Alegrete en janvier 1843, il acquiert
la certitude que toute les calomnies dont on avait couvert Mr Ferre se trouvaient
fausses 713 et lui procure les appuis ncessaires pour quil puisse mettre sa
famille labri So Borja. Ferr, ne connaissant absolument pas ce terrain et
soucieux de ne pas provoquer de remous politiques, a donc recours aux relations
du Franais afin dobtenir des lgalistes brsiliens un sauf-conduit jusqu Porto
Alegre avec lespoir de se placer sous leur protection, pour profiter des garanties
quoffre un gouvernement lgal et constitu 714 .
Ce changement dattitude politique de la part de Ferr vis--vis de ses
anciens allis farrapos reflte la transparence idologique caractrisant lEtatfrontire. Lphmre rpublique du Rio Grande do Sul, nest dabord pas
considre comme un agglomrat de rvolts ou de factieux, dans la mesure o ils
acquirent une lgitimit et une lgalit au regard de certains de leurs voisins,
Corrientes en particulier mais aussi Rivera qui signe un trait dalliance avec eux.
709

Luchi se rendant Itapa propose son entremise pour Bonpland et leur ami Marcelino ;
AMFBJAD n 1407, L. de Luchi Bonpland, s. l., 27 aot 1843.
710
Cf. CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit., pp. 121-123.
711
A propos de cette expression, cf. chapitre VII, pp. 642-645.
712
AMFBJAD n 1737, voyage de Corrientes Montevideo, Santa Ana, 3 novembre 1840.
713
AMFBJAD n 1744, journal, Santa Ana, janvier 1843.
714
AMFBJAD n 132 et 133, P. Ferr Bonpland, 20 mars et 19 avril 1843.
184

Premire partie

Chapitre II

Bonpland se fait leur porte-parole auprs du gouvernement correntino 715 et ils


partagent un mme projet dautonomie face au centralisme politico-administratif
de la mtropole 716 ; ils construisent aussi leurs propres codes de
reprsentation 717 . Les oppositions un tel modle politique sont aussi nombreuses
que les belligrants. La dmonstration politique ou les preuves de civisme
semblent ne pas peser lourd face aux intrts personnels ou claniques. En de des
rseaux provinciaux, les rseaux familiaux brouillent la lisibilit des projets
publics. Au niveau supranational, les querelles de personnes guident les conduites
diplomatiques. Toutes ces difficults confirmes par le jugement de Ferr
semblent inhrentes au pr-Etat riograndense.
Aim Bonpland ne pouvant quitter ses avoirs poursuit une stratgie
transnationale se focalisant vers le Brsil mme si en 1844 laspect de sa proprit
na gure chang, ses terres prenant doucement lallure dun potager 718 . Ce nest
qu partir de 1845 que So Borja devient un rel point dancrage, les
correspondances brsiliennes prenant de plus en plus de place notamment dun
point de vue politique. Entre 1848 et 1851 21% des changes sont effectus avec
Corrientes, 15% avec les pays limitrophes, 9% avec lEurope et 55% avec le
Brsil. Les changes internes au Rio Grande do Sul sont remarquables par leur
intensit car Bonpland reconstruit partir de ce moment des rseaux solides,
preuve dun dynamisme et dune implantation le poussant vers lintrieur des
terres ou, plus exactement, vers lAtlantique.

715

Cf. AMFBJAD n 1721, journal, So Borja, juillet 1837 ; AMFBJAD n 58, Bonpland J.
Gramajo, gouverneur intrimaire, So Borja, 15 juillet 1837 ; Dr. Juan Gramajo gobernador
interino.San Borja 15 de julio de 1837 ; AMFBJAD n 602, J. Gramajo Bonpland, Corrientes, 2
aot 1837 ; 1170, AMFBJAD n 1170, B. Serny Bonpland, So Borja, 2 dcembre 1837.
716
Ce terme pertinent de par sa connotation coloniale est emprunt PELUFFO Gabriel,
Alegora y utopa republicanas. Consideraciones sobre la produccin alegrica en el Ro de la
Plata en el siglo XIX , in ACHUGAR Hugo, MORAA Abel (d.), Uruguay : imaginarios
culturales. Tomo I : Desde las huellas indgenas a la modernidad, Montevideo, Trilce, 2000, p.
225.
717
Ibid., pp. 224-229.
718
Cf. BELL Stephen, op. cit., p. 157.
185

Premire partie

Chapitre II

Graphique n 3

Correspondants d'Aim Bonpland

Correspondances chang

(1845-1858)

160
140
120
100
80
60
40
20
0
1845

1847

1849

1851

1853

1855

1858

Annes

Corrientes
Pays limitrophes

Brsil
Europe

Sources : AMFBJAD, CAIC, AGPC, MNHN, AGNBA, AGNM.

Tout comme Ferr, Bonpland effectue un revirement politique aprs 1843.


Pour lexpliquer, il faut rappeler que sa position est complexe puisquil est au
centre dune aire culturelle extrmement complexe. Il soutient Ferr tout en
devant soutenir ses adversaires au pouvoir Corrientes, il se trouve dans un pays
o il a soutenu les rpublicains alors que les impriaux sont en train de gagner la
guerre et enfin le ro Uruguay est aux mains des partisans de Rosas. Bonpland se
trouve effectivement isol politiquement mais il administre cette situation en se
positionnant comme un intermdiaire indispensable.
Dsormais isol des questions dhonneur ou de justice, il sadapte la
pratique politique nouvelle dans cette rgion en dveloppant un double jeu. Dj
familiaris avec la pratique du renseignement quil effectue pour Atienza au cours
des annes 1830, le savant sengage dans un rle dagent de renseignement vis-vis des Madariaga. Il profite des liens crs avec les clans auparavant et utilise le
phnomne dintra-clanisme pour recevoir des renseignements de Corrientes et en
transmettre son tour. Le schma est similaire celui dvelopp avec Atienza,
la diffrence prs que les services rendus concernent un nombre dacteurs plus
vari et surtout interagissent avec les clans correntinos. Au dbut de leurs
relations Joacqun Madariaga stonne auprs de Bonpland de la cause que
186

Premire partie

Chapitre II

viennent dfendre les Argentins 719 prsents dans la Bande Orientale comme ceux
de Santa Fe 720 , dvoilant dans ces lettres la nouvelle pratique politique en uvre.
En effet, si lattitude de Santa Fe est rptitive, celle des Argentins rvle la
transformation du panorama politique auquel Corrientes prend part.
Le Franais fait office dagent triple. Tandis quil soutient les Madariaga
Corrientes, il reste li Ferr auquel il transmet sans doute les informations
obtenus de ceux-ci. Il les transmet certainement aussi aux Farrapos et aux
lgalistes avec lesquels il sentretient tour tour. La ligne de front se situant prs
de So Borja, il peut rencontrer en janvier 1843 le prsident rpublicain 721 puis en
fvrier les principaux chefs lgalistes. Les armes des rpublicains riograndenses
tant de plus en plus accules par les lgalistes, il semble tre parvenu imposer
sa neutralit bien quil conserve des relations privilgies avec les Farrapos
comme en tmoigne la correspondance amicale change lorsquil se trouve dans
leur zone dinfluence 722 et les renseignements militaires quil transmet un
proche de leur dirigeant 723 . En 1844 leur discours est celui dune participation de
la France aux cts des peuples opprims 724 ne pouvant que sduire le
patriote. Son estancia de Santa Ana devient un point de passage utilis par les
rpublicains brsiliens auxquels il fournit son chaland afin quils puissent se
transborder de Corrientes en Uruguay 725 . En 1845, alors que leur mouvement est
presque dissous, les officiers rpublicains qui contrlent la zone de Santa Ana le
reconnaissent comme un des leurs et linforment des vnements militaires, le
commandant Acua profitant de son hospitalit 726 .
Dans la province de Corrientes, le clan Virasoro propose lui aussi sa
protection Bonpland aprs avoir chass les Madariaga en 1847. Bonpland hsite
719

Yo distribuo U. las felicitaciones, como patriota amante de mi pais, y de la causa qe tan


bizarramente, vienen hoy defender los Argentinos. , AMFBJAD n 153, J. Madariaga
Bonpland, Corrientes, 17 juin 1843.
720
AMFBJAD n 154, J. Madariaga Bonpland, Corrientes, 26 juin 1843.
721
AMFBJAD n 773, Pinheiro de Ulha Cintra Bonpland, Alegrete, 8 janvier 1843.
722
Ibid.
723
AMFBJAD n 1052, J. A. Silveira Bonpland, s. l., 17 octobre 1844.
724
povos opprimidos , ibid.
725
Le major Bern charg du transport la laisse au paso de Higos ; AMFBJAD n 1748, voyage de
Corrientes So Borja, Santa Ana, 14 juillet 1844. Depuis le mois davril de cette anne, les
Farrapos qui se trouvent proches de la dfaite se rfugient dans les pays voisins favorables leur
cause ; cf. HARTMANN Ivar, Aspectos da Guerra dos Farrapos, Novo Hamburgo, Feevale,
2002, p. 70 ; POENITZ Gustavo Enrique, Actividad diplomtica y militar del Gral. Jos M. Paz
como Director de la Guerra en Corrientes (1845-1846) in Temas de Historia Argentina y
Americana, n 5, 2004, pp. 140-141.
726
AMFBJAD n 1749, voyage de So Borja Santa Ana, mars 1845.
187

Premire partie

Chapitre II

car carts du pouvoir, les Virasoro nentretiennent plus alors aucun change avec
lui, except une trace de soins donns au cours de lanne 1844, lors dun voyage
effectu pour rendre visite au nouveau gouverneur Madariaga 727 . Il sagit dune
nouvelle preuve du double jeu dploy par Bonpland, celui-ci profitant des
divergences dintrts lintrieur du clan. A son tour, Jos Antonio Virasoro lui
demande des informations concernant ltat politique du Brsil o se trouvent les
sauvages rfugis 728 , cest--dire ses anciens amis du gouvernement
Madariaga. Bonpland correspond mais demeure encore en retrait, la dsunion
clanique que ne connaissent pas les Madariaga ne lui offrant pas une scurit
suffisante il ne saventure pas jusqu Corrientes car il ne rompt pas avec les
opposants regroups San Donato prs de la frontire correntina. Ceux-ci
entretiennent une correspondance active avec le nouveau protg de leurs
adversaires. Par lintermdiaire de Gregorio Valds, dsavou par Madariaga en
1843 729 mais de nouveau runi avec lui dans lexil 730 , Bonpland informe les
proscrits des vnements politiques se droulant en Argentine.

Une nouvelle stratgie didentification base sur le rseau francobrsilien


Aprs le dbut de la Guerra Grande les migrations sont plus difficiles
comme lexprimentent Bonpland et ses compatriotes. Mais si lon choisit de
rester, force est de choisir son camp ; dans ce cas la majorit adhre dans un
premier temps au discours europen, au moins jusquau trait Mackau-Arana de
novembre 1840. Lenlisement qui sensuit complique les dplacements et les
interactions. Labsence de participation lintervention franco-anglaise montre
727

CAIC, journal de mdecine n 10, voyage entre So Borja et Corrientes pour rendre visite au
gouverneur Joaqun Madariaga, 1er mai-12 juillet 1844.
728
salvajes asilados , AMFBJAD n 1610, J. A. Virasoro Bonpland, Restauracin, 13 juillet
1848.
729
AMFBJAD n 154, J. Madariaga Bonpland, Corrientes, 26 juin 1843.
730
Gregorio Valds ainsi que les Madariaga sont dclars, loccasion dun des premiers actes
lgislatifs promulgus par le nouveau gouvernement le 8 janvier 1848, reos de alta traicin a la
patria y fuera de la ley ; ZINNY Antonio, op. cit., p. 67. Gregorio Valds ou Valdz est natif de
Buenos Aires mais stablit Corrientes, o il sert successivement les gouvernements de Pedro
Ferr, Madariaga et Pujol. Administrateur et homme politique habile, il occupe notamment les
postes de plnipotentiaire au Paraguay en 1841, secrtaire gnral et gouverneur dlgu auprs
des Madariaga et ministre des Affaires trangres et de la Guerre aprs 1852.
188

Premire partie

Chapitre II

dans quel isolement se trouve alors Bonpland. Afin de rompre cet isolement il
cherche une route vers lAtlantique et des soutiens pour la trouver mais
contrairement Buenos Aires un club des trangers est difficilement ralisable
So Borja ; pourtant Bonpland parvient si ce nest crer un club, du moins une
association informelle de Franais le long de lUruguay et de la route So BorjaPorto Alegre. Les distances qui les sparent sont grandes, mais comme le rappelle
Thedy vers 1845, les visites de bon voisinage quil rend Bonpland depuis
Salto se comptent en centaines de kilomtres 731 .
Pour ce faire, Bonpland ractive dans un premier temps son rseau
constitu au dbut des annes 1840. En novembre 1845, une premire source
indique la prsence du mdecin Apollon de Mirbeck venu dUruguaiana Santa
Ana. En janvier 1846 Bonpland crit de nouveau Antoine Thedy qui se trouve
Itaqu, puis en aot de la mme anne le mdecin Bocquin des Hislaires entame
Alegrete une correspondance avec son confrre 732 . A ces anciennes connaissances
sajoute le vicaire Jean-Pierre Gay dont la premire preuve de rencontre est
fournie en avril 1846 733 . Le religieux est un premier soutien de poids puisquil est
en contact avec de nombreux notables cariocas. Tous sont installs dans le Rio
Grande do Sul, la rive argentine tant aux mains des rosistas.
En 1846 il se tourne paralllement vers le nouveau prsident de lEtat
brsilien pacifi afin douvrir une route vers Porto Alegre, lui joignant en guise de
sauf-conduit un mmoire sur la valorisation de lexploitation de la yerba mate.
Cette piste croise celle dAntonio Chaves, politicien et homme daffaires venant
jusqu So Borja pour le rencontrer lanne suivante afin de lui proposer une
association conomique. Il est prsumable que le mmoire de Bonpland soit
731

Cit in B*** Armand de (ROY Just Jean Etienne), op. cit., p. 292.
AMFBJAD n 453, A. de Mirbeck Bonpland, So Borja, Santa Ana, 19 novembre 1845 ;
AMFBJAD n 1119, A. Thedy Bonpland, Itaqu, 23 fvrier 1846 ; AMFBJAD n 512, Bocquin
des Hilaires Bonpland, Alegrete, 25 aot 1846.
733
Bonpland F. J. de Souza Soares de Andrea, Porto Alegre, 28 octobre 1849, cit in HAMY
Jules Thodore Ernest, op. cit., p. 156. Toutefois, Bonpland est en relation avec un nomm Victor
Gay en 1840 et 1841. Il sagit peut-tre dun parent du vicaire n en 1815 Grenoble, lequel se
rend en 1842 Montevideo dans le but driger une glise pour les rsidents franais. Il sinstalle
lanne suivante Santa Catalina, puis en 1844 Rio de Janeiro o il enseigne la mdecine, en
particulier lhomopathie lInstituto Homeoptico do Brasil. Naturalis brsilien en 1849, Gay
est nomm vicaire So Borja en 1850 puis Uruguaiana o il rside de 1874 jusqu sa
disparition. Il initie Bonpland la franc-maonnerie riograndense et lhomopathie. Des liens
troits unissent les deux hommes ; Bonpland en fait son excuteur testamentaire. En 1862, Gay
prsente un travail sur les jsuites lInstituto Histrico Geogrfico Brasileiro dont il devient
membre. Il steint en 1891, aprs avoir publi plusieurs travaux historiques, thologiques et
linguistiques.

732

189

Premire partie

Chapitre II

tomb entre les mains de Chaves, le poussant venir en personne la rencontre


du Franais. Le soutien politique dont dispose le Brsilien est un puissant motif de
dplacement, cependant pas aussi fort que celui dont dispose un autre personnage
susceptible davoir crois la route du Brsilien, savoir Alfred Demersay venu
la demande du gouvernement franais explorer le Paraguay en compagnie du
plnipotentiaire Jos Antnio Pimenta Bueno. En effet, Demersay est pass par la
capitale de lempire o il sest li avec le mdecin franais du souverain et
lempereur lui-mme. Ce dernier savre dailleurs le mieux inform pour
indiquer lexplorateur lendroit o se trouve Bonpland 734 .
Lino Lagos ayant rtabli depuis le mois davril 1844 des relations
diplomatiques entre la province de Corrientes et le Brsil 735 , larme correntina
sy fournit en matriel militaire afin dentamer une campagne contre la province
dEntre Ros. Le 4 fvrier 1846 lavant-garde de larme de Paz, aux ordres de
Juan Madariaga, engage le combat contre Urquiza Laguna Limpia. La dfaite et
larrestation de Madariaga aboutit un accord propos par Urquiza qui dune part
reconnat la facult de Buenos Aires diriger les relations extrieures mais,
dautre part, dsengage Corrientes du conflit men par la Confdration contre
lUruguay, la Grande-Bretagne et la France 736 . En mai 1846, Bonpland se rjouit
de cette dfaite qui selon lui se transforme en victoire ; il espre que la capture
puis la libration du gnral Juan Madariaga par Urquiza amne finalement la
paix dans la province de Corrientes 737 . Un dernier obstacle reste franchir en la
personne dOribe qui assige Montevideo. Cet indfectible alli de Rosas est la
dernire personne pouvoir barrer la route Bonpland.
Grce un intermdiaire inconnu, Bonpland entre dabord en contact avec
le commandant de Concordia Manuel Antonio Urdinarrain 738 mais nopte pas
pour la voie fluviale contre lavis de certains compatriotes le poussant prendre la

734

DEMERSAY Alfred, op. cit., pp. XXXIX-XL.


Lino Lagos est mandat par le gnral Paz Porto Alegre tandis que Braulio Costa est envoy
Rio de Janeiro. La recherche dune alliance militaire contre Rosas choue car les Brsiliens
estiment que Corrientes est un alli trop faible. Nanmoins les relations commerciales reprennent,
ce qui permet larme correntina de prparer sa campagne ; cf. POENITZ Gustavo Enrique, op.
cit., pp. 140-143.
736
CASTELLO A. Emilio, op. cit., pp. 355-360.
737
aqui estamos en el caso, me parece, de hacer la aplicacion del dicho qe dice no hay mal qe por
bien no venga. La captura del Sor general segun las voces generales va traer nos la Paz y todos
debemos V.E. y al acontecimiento del dia un resultado inesperado , AMFBJAD n 135,
Bonpland J. Madariaga, s. l., 28 mai 1846.
738
AMFBJAD n 1131, M. A. Urdinarrain Bonpland, Uruguay, 22 novembre 1847.
735

190

Premire partie

Chapitre II

route de Montevideo, soit par le Brsil soit par lUruguay, le fleuve semblant libre
pour la navigation en 1847. Dautres se montrent moins confiants 739 , aussi ses
atermoiements perdurent-ils jusquen 1848. Mais en octobre 1847 Rivera est fait
prisonnier, puis le 14 mai 1848 la France lve le blocus instaur contre Buenos
Aires depuis 1845. Suivant les conseils de Sara Bocquin des Hilaires, peut-tre
rassur en outre par les lettres en provenance de Montevideo signes de Demersay
et de Roguin, il se prpare pour aller Porto Alegre ds avril 1848 740 . Le choix de
cette route sexplique aussi par le dveloppement de son levage ovin sur les rives
de lUruguay, au cur de la route commerciale qui va du Rio Grande do Sul
Montevideo, permettant dviter ainsi le contrle douanier de Buenos Aires, afin
de se connecter avec les mtropoles europennes 741 .
Alors que la France demeure aux cts des Montevideanos et que le Brsil
ne sest pas encore prononc contre Rosas, Bonpland parvient entrer dans la
ville le 29 aot 1849 muni dune autorisation spciale accorde par Oribe, en
vertu de son statut scientifique 742 . Cette autorisation exceptionnelle est
probablement obtenue grce sa posture fdrale rappele en tte dune lettre
adresse le 2 fvrier 1849 Benjamn Virasoro et portant la mention
Viva la federacin argentina! Mueran los salvajes unitarios!

743

Llimination de Rivera que Bonpland a soutenu, sa neutralit vis--vis de


lintervention europenne entreprise depuis 1845 et la voie ouverte par Demersay
qui a lui aussi russi franchir le sige ajoutent du poids sa demande.

3. La pense mtisse : acculturation et dculturation


Il sagirait presque deffectuer un exercice de divination en abordant le
thme du mtissage culturel sachant quaucune source nest disponible concernant
739

AMFBJAD n 1494, J. A. Pimenta Bueno Bonpland, Asuncin, 15 dcembre 1846 ;


AMFBJAD n 454, A. de Mirbeck Bonpland, Uruguaiana, 19 avril 1847 ; AMFBJAD n 513, S.
Bocquin des Hilaires Bonpland, Pellotas, 13 mars 1848.
740
AMFBJAD n 821, A. R. Chaves Bonpland, Rio Pardo, 10 avril 1848 ; cf. LOURTEIG Alicia
(comp.), Journal de voyage de Sn. Borja a la Cierra y a Porto Alegre, Porto Alegre,
CNRS/Fundao de Amparo A Pequisa do Estado do Rio Grande do Sul, 1978.
741
Cette pratique tend samplifier durant les annes 1840 ; cf. CHIARAMONTE Jos Carlos, op.
cit., pp. 38-41.
742
AGNBA, Sala VII, archivo y coleccin Andrs Lamas, leg. 44.
743
AMFBJAD n 1606, Bonpland B. Virasoro, So Borja, 2 fvrier 1849.
191

Premire partie

Chapitre II

dventuelles introspections mises par Bonpland. Contrairement aux rciteurs


de voyage qui aiment exposer des explications propos des motifs, des jalons et
des conclusions ; qui rcitent en somme leur exprience et en tirent un bilan
permettant danalyser lacculturation effectue, avec Bonpland nous ne disposons
ni de bilan ni de conclusion mais dun vcu public. A juste titre les biographes
insistent sur son acculturation, les daguerrotypes raliss dans les annes 1850
ajoutant au caractre un aspect physique accultur, lhomme au visage burin
dvoilant une physionomie quasiment guaranise 744 .
Les annes 1840 sont pour le Franais une tape importante dans la
construction de sa personnalit comme elles le sont pour la construction de la
personnalit rioplatense. Ces histoires parallles se rapprochent davantage dans la
mesure o la coupure pistolaire davec la France entrane un changement de
comportement et un mtissage quil sagit danalyser. Cet isolement
transatlantique est fondamental pour expliquer lvolution de Bonpland tout
autant que son choix de sinstaller au Brsil. Le fait de scarter de lEurope lui
permet dvacuer momentanment laspect transatlantique tout comme il lui
permet de prendre ses distances ses distances vis--vis des vnements politiques
rgionaux. Enfin, son recentrement sur les aspects rgionaux et locaux lamne
renforcer son mtissage culturel.

La permanence identitaire
Laire culturelle de Bonpland se rduit la province de Corrientes et au
Rio Grande do Sul. Sa pratique politique se mtisse et sadapte aux pratiques
sociopolitiques de cette aire. Observateur des changements structurels oprs
depuis 1839, il ajuste son comportement aux vnements. A ce titre, il dveloppe
un double discours adapt et similaire ce quil a expriment. Alors quil se
trouve proscrit de la province de Corrientes en 1842, Ferr qui se trouve en
territoire brsilien fait appel Bonpland. Celui-ci ne se contente pas de lhberger

744

Cf. annexe n 7, p. 946.


192

Premire partie

Chapitre II

et de lui faire oublier ses preuves 745 , mais le rhabilite comme en tmoigne son
journal faisant cho aux propos de Ferr. Evoquant les crimes imputs lancien
gouverneur, Bonpland crit :
les hommes senss et ceux qui reflechissent doivent se rappeler la chute
de Napoleon et tout ce quon fulminait contre lui. Cest aujourdhui la
mme chose quoiquen trs petit.

746

Deux permanences se lisent ici. Dune part celle que les biographes
analysent comme une preuve de la fidlit du Franais envers ses amis. Sachant
quil partage avec Ferr la mme vision politique, cette fidlit politique atteste
dune continuit malgr la rupture politique. Un autre caractre identitaire
structurel rside dans la rfrence la France et plus particulirement Napolon.
Ce second trait rvle un ancrage patriotique immuable malgr la distanciation
spatiale et temporelle ; il se montre ici comme un homme ancr dans le pass. Ses
liens avec les Franais vivant le long de lUruguay confirment les deux constances
voques puisque le parcours de ceux-ci, malgr une reconstitution trs difficile
effectuer, suppose des affinits idologiques similaires. En effet, tous se situent au
dbut des annes 1840 dans la zone dinfluence des antirrosistas en Uruguay puis
la fin de la dcennie ils se dplacent au-del de la frontire scurise du Rio
Grande do Sul.
Les termes employs par les Madariaga sont eux aussi significatifs dun
ancrage culturel et politique du Franais dfini comme patriote ami de mon
pays et ami de la libert, lhumanit et la civilisation 747 . Dautres
permanences vis--vis du gouvernement des Virasoro se font jour car dune part le
clan sappuie sur Urquiza et dautre part leurs actes entrent en cohrence avec les
vues de Bonpland. En effet, ils fondent une cole de mdecine et un tablissement
dducation de bonne tenue, le Collge Argentin, dveloppent lconomie et le
commerce notamment par lobligation de la culture du coton impose aux
745

Cf. FERRE Pedro, op. cit., tome I, p. 185 : sobre la incertidumbre de mi destino y de mi
familia, se me aglomeraban a la imaginacin mil ideas tristes, cuando en aquellos momentos se me
presenta mi antiguo amigo don Amado Bonpland, que habiendo sabido de mi llegada, vino en el
acto a verme. Este ilustre y benemrito anciano, fiel y constante amigo de sus amigos, a quien la
naturaleza dot de todas aquellas cualidades que hacen amable a una persona y que por intuicin
de ella misma parece que sus padres le pusieron el nombre de Amado, para que lo fuere, como lo
es de todos. Este amigo, con slo su presencia, me llen de placer y distrajo mis pensamientos. Me
llev a su casa en la villa donde estaba hospedado hasta que compr la que actualmente poseo.
746
AMFBJAD n 1744, journal, Santa Ana, janvier 1843.
747
AMFBJAD n 153, J. Madariaga Bonpland, Corrientes, 17 juin 184 ; AMFBJAD n 154, J.
Madariaga Bonpland, Villanueva, 26 juin 1843.
193

Premire partie

Chapitre II

propritaires locaux et une tentative douverture au Paraguay. Cela ne les


empche pas de mener des campagnes contre ce pays afin dimposer leur
domination sur les Missions, ce que Bonpland ne peut quapprouver puisquelles
sont au centre de ses proccupations politiques et scientifiques.
Pareillement, Bonpland demeure en bons termes avec les Farrapos jusqu
la fin du mouvement. il ne fait aucun doute que leurs idologies se rejoignent mais
leur dfaite face un rgime imprial peut-tre une explication du ralliement de
Bonpland une structure politique quil approuve et qui de plus offre les gages
dordre et de paix sinon de progrs qui sont au centre de sa pense. Cet
faisceau de similitudes identitaires explique que, finalement, le double jeu men
par Bonpland peut tre lui aussi interprt comme une constance intellectuelle car
si les relais varient au gr des revirements politiques, il est quant lui un modle
de constance en se montrant fidle tous les dirigeants correntinos hostiles
Rosas partir de 1840 et en choisissant de ne pas les abandonner dans la dfaite.
Dans cette optique les Virasoro apparaissent comme un cas isol, mais ils se
connectent avec Bonpland alors que celui-ci restructure sa pense aprs un temps
datermoiements.

Le discours du vaincu : vers une dculturation


Limplication puis lisolement qui correspondent au pourrissement,
lenlisement de la situation diplomatique et politique ainsi que les pertes de
repres exprimentes par Bonpland font craindre une dstructuration culturelle,
voire une dculturation travers la perte de valeurs sans assimilation dautres.
Ses permanences identitaires savrent de solides piliers car lEurope et
particulirement la France apparat comme un modle et un refuge face aux alas
politiques locaux. Le sentiment dabandon vcu en 1840 est confirm
Montevideo en septembre 1843 ; le vice amiral rappelle que les Franais doivent
rester neutres au risque de perdre leur droit la protection 748 . Lapathie de
Bonpland en 1845 correspond une perte de repres identitaires qui lamnent
hsiter fuir Santa Ana et So Borja vers dautres villes. Une preuve
748

AGNM, II, Ex Archivo y Museo Histrico Nacional, archivo Andrs, Caja 153, Carpeta 7, An.
A. Lamas, Montevideo, 11 septembre 1843.
194

Premire partie

Chapitre II

supplmentaire de cet isolement rside dans lventualit dun retour en France


non voqu alors quil maille son discours tout au long de son existence
rioplatense.
O aller ? La question ne se pose pas au cours des annes 1830 lorsque des
propositions scientifiques lui proviennent dUruguay et du Brsil, Bonpland
prfrant rester dans la zone misionera 749 . Elle commence sesquisser ds la
mort du docteur Francia intervenue, Bonpland envisageant alors de retourner au
Paraguay. Bien quil lui faille attendre 1857 pour sy rendre, il noue des contacts
avec les nouveaux dirigeants, notamment Vicente Roa, secrtaire du Consulat et
auparavant log chez Bonpland entre 1823 et 1829. Au cours des annes 1840 il
consolide ses relais paraguayens, Jos Antonio Pimenta Bueno, relais fort auprs
du prsident paraguayen auprs duquel il fait office de conseiller trs influent si
lon en croit Demersay 750 , se montrant intress voir Bonpland venir instruire et
habiter le pays 751 . Ce dernier mdite srieusement jusquen 1847 cette
proposition, allant jusqu envisager de sinstaller dans son ancien lieu de
dtention, Santa Mara 752 .
Aprs avoir refus en 1845 loffre des Perichn consistant laccueillir
Corrientes, il hsite en 1846 et 1847 entre demeurer Santa Ana ou sinstaller
Alegrete, Uruguaiana ou Montevideo 753 . Aprs la bataille de Vences livre le 26
novembre 1847, il opte pour Santa Ana tout en conservant So Borja pour le cas
o des troubles clatent Corrientes 754 , sappuyant sur Jos Antonio Virasoro et
Santa Ana dune part 755 , Chaves et So Borja dautre part. Mais en dcembre
1849, loccasion dexploiter la yerba au Rio Grande do Sul lui chappe 756 . En
mars 1850, Frederico de Vasconcellos 757 conseille Bonpland de quitter So
749

Cf. chapitre VIII, pp. 708-711.


le petit nombre de mesures librales dcrtes (sinon mises excution) par le prsident, lui
ont t inspires par lhabile ministre de lempereur D. Pedro. , explique DEMERSAY Alfred,
Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et des tablissements des jsuites, Paris,
Hachette, tome 1, p. LI.
751
AMFBJAD n 373, Bonpland J. A. Pimenta Bueno, So Borja, 8 novembre 1846 ;
AMFBJAD n 1494, J. A. Pimenta Bueno Bonpland, Asuncin, 15 dcembre 1846.
752
Mirbeck lui crit propos de cette option : jenvisage cela pour vous comme le plus triste des
exils , AMFBJAD n 455, A. de Mirberck Bonpland, Uruguaiana, 26 juillet 1847.
753
AMFBJAD n 455, A. de Mirbeck Bonpland, Uruguaiana, 26 juillet 1847.
754
AMFBJAD n 609, P. Igarzabal Bonpland, Corrientes, 8 janvier 1848.
755
AMFBJAD n 1610, J. A. Virasoro Bonpland, Restauracin, 13 juillet 1848.
756
AMFBJAD n 1135, F. de Vasconcellos Bonpland, Rio Pardo, 20 dcembre 1849.
757
Lingnieur des mines portugais Frederico Augusto de Vasconcellos de Almeida Pereira Cabral
(1820-1886) arrive dans le Rio Grande do Sul la fin des annes 1840 afin dy prparer la venue
de colons. Il est notamment charg dtudier les ressources du sous-sol. Vasconcellos retourne
750

195

Premire partie

Chapitre II

Borja, espre mme que la guerre ly poussera, et de venir sinstaller Porto


Alegre ou prs de cette ville o lattendent ses vrais intrts 758 . Bonpland
choisit une nouvelle fois de rester car sa clientle et ses dbiteurs len
empchent 759 .
La confusion rgne aussi dans lesprit dautres Franais. A propos de So
Borja dabord, une lettre curieuse moins par son contenu que son contenant est
adresse au naturaliste par Demersay depuis Asuncin en 1846. En effet, le
courrier est adress Monsieur Bonpland, Saint Borgia, Rpublique de
Corrientes 760 . Cette mconnaissance de la ville dans laquelle Demersay sjourne
plusieurs semaines, comme du thtre gopolitique dans lequel il se dplace est
plus excusable que la seconde erreur accordant un peu vite lindpendance
Corrientes qui, malgr ses pratiques souverainistes, nest pas une rpublique mais
une province argentine se battant justement pour participer lorganisation
nationale. Ces erreurs de la part dun gographe sont rvlatrices du regard encore
myope port par les voyageurs sur cette rgion. Mais surtout, elles sont un
lment ajouter au statut dEtat-frontire reprsent par Corrientes dans la
mesure o elle lui confre une dimension indtermine.
Ds le dbut de la Guerra Grande un mouvement migratoire seffectue.
Les centaines de personnes concernes nentrent pas dans le cadre de notre tude
mais elles font cho lexprience de Bonpland 761 . Ce mouvement migratoire
interne sintensifie probablement avec lamplification de la terreur et sa
propagation aux Europens, Mirbeck rapportant Bonpland en 1845 le massacre
de Verdun sous les ordres dUrquiza, gorgs avec el indulte en la mano 762 .
Apollon et Ama de Mirbeck installs Uruguaiana se trouvent pris dans la guerre
sans savoir eux non plus o aller, Ama parvenant sembarquer pour Buenos
Aires. En avril 1847 elle doit revenir dEurope et en octobre elle est de retour
ensuite au Portugal, puisquil tudie partir de la fin des annes 1860 la gologie de la zone du
fleuve Douro.
758
AMFBJAD n 1136, F. de Vasconcellos Bonpland, Col du Para-Sa, Picada de Santa Cruz, 16
mars 1850.
759
AMFBJAD n 1137, Bonpland F. de Vasconcellos, So Borja, 22-25 avril 1850.
760
AMFBJAD n 1632, A. Demersay Bonpland, Asuncin, 4 septembre 1846.
761
Ces expriences sont difficilement restituables. Pour la province de Corrientes seul le
tmoignage de Louis Dupr demeure. Sadressant de Pay Ouvr au gouverneur le 27 mars 1841, il
lui fait part de son souhait de sortir de la province en raison de son tat de sant. Il appuie sa
demande en rappelant quil a fait le voyage de la Esquina pour aller demander laide de lescadre
franaise ; AGPC, Correspondencia oficial, tome 107, fol. 120, L. Dupr P. Ferr, Pay Ouvr, 27
mars 1841.
762
AMFBJAD n 452, A. de Mirbeck Bonpland, Santa Ana, 14 dcembre 1845.
196

Premire partie

Chapitre II

Uruguaiana 763 . Une vaste recherche reste mener hors du cercle de Bonpland afin
de reconstituer les mouvements migratoires au cours des annes 1840, aussi bien
pour les Europens que pour les Amricains. Lexprience des Mirbeck montre
encore une fois comment les relations et les interactions transatlantiques
permettent de relier micro-histoire et histoire globale.

La pense mtisse restructure


Depuis 1817, Bonpland mle la geste napolonienne la geste rioplatense.
Le premire lui permet au cours des annes 1840 de restructurer sa pense en la
mtissant davantage. La geste rioplatense ne sidentifie plus la napolonienne
mais sy soumet. Bonpland se diffrencie en cela de la province sous influence
des Madariaga, puisque ceux-ci font voter une loi honorifique pour le gnral
Lavalle par le Congrs de Corrientes en septembre 1843764 . La statufication de
Lavalle vise assimiler le patriotisme provincial la geste patriotique ce qui doit
permettre au gnral Paz, de nouveau recrut par les Correntinos, den tirer profit.
Mais pour le Franais ces deux acteurs nappartiennent plus son
panthon contrairement Ferr qui parat encore en mesure de sauver
la province argentine qui depuis le rgne {sanglant} de Rosas est dsole
par des lieues journalires de sang

765

en 1842. A ce titre, les alliances transnationales cherches par Ferr sont partie
intgrante de la dfinition politique d autonomie nationale correntina 766 . Le
paradoxe de cette forme de pense se situe donc dans laffirmation dun
particularisme provincial devant promouvoir le ser politique argentin.
Lutilisation du terme de province argentine par Bonpland cette date
annonce son mtissage qui samplifie alors qu Montevideo les exils
rioplatenses cherchent depuis larrive au pouvoir du sanglant Rosas dfinir
une forme dargentinit. Alberdi insiste sur la ncessit de lunion de tous les
Argentins, ou plus exactement de la famille argentine forme en 1810. Ce
763

AMFBJAD n 454 et 456, A. de Mirbeck Bonpland, Uruguaiana, 19 avril et 17 octobre 1847.


Cf. PUJOL Juan, op. cit., tome 1, pp. 106-108.
765
AMFBJAD n 1744, journal, voyage de Santa Ana la Bande Orientale, 8 octobre 1842.
766
Cf. CHIARAMONTE Jos Carlos, Formas de identidad en el Ro de la Plata luego de 1810 ,
in Boletn del Instituto Dr. E. Ravignani , Troisime Srie, n 1, premier semestre 1989, p. 76.

764

197

Premire partie

Chapitre II

souhait dun retour largentinisme et au patriotisme primitif 767 rvle


lambigut des limites de la lidentit nationale, car lesprit de mai 1810
incorpore selon lui les provinces uruguayennes et paraguayennes. En 1845
Florencio Varela propose une ide similaire en y ajoutant la cration dune
rpublique msopotamique alliant Entre Ros et Corrientes. La mme anne, le
Facundo de Domingo Faustino Sarmiento associe lArgentine et la campagne
lide de barbarie et lEurope et la ville celle de civilisation des Lumires 768 .
Bonpland se rapproche-t-il de la vision alberdista dune Grande Argentine,
ce qui ferait de Corrientes une province parmi dautres, et pourquoi pas parmi
celle du Rio Grande do Sul ? Est-il tent par le dveloppement dun Etat-frontire
correntino ou rgional ? Dans quelle mesure la pense de Ferr correspond-elle
ses propres ides ? Il nous manque une pice essentielle pour dessiner la carte du
labyrinthe de la solitude 769 dans lequel il se trouve, celle du manuscrit n 46 date
du 15 mai 1840. La partie manquante claire sans doute sa position par rapport
aux acteurs runis Montevideo en 1840 770 , spcialement concernant les unitaires
qui napparaissent pas ou peu dans ses archives.
En 1842, ses journaux personnels indiquent dabord deux visions. Lune
concerne le statut provincial de lArgentine, lautre fait rfrence aux Etats
santafecinos, entrerrianos et correntinos engags aux cts de lEtat uruguayen.
Labsence de tmoignages politiques au cours des annes qui suivent rend
lanalyse de cette contradiction difficile. En 1848, au seuil de son rengagement,
il crit quil sabstient de toute rflexion propos de la rvolution intervenue en

767

vuelta al argentinismo y patriotismo primitivo . Les articles de Juan Bautista Alberdi crits
entre dcembre 1838 et janvier 1839 sont reproduits in CHIARAMONTE Jos Carlos, Ciudades,
provincias, Estados : orgenes de la Nacin Argentina (1800-1846), Buenos Aires, Ariel, 1997,
pp. 640-645.
768
Sur ce point, cf. par exemple ABELLAN Jos Luis, La idea de Amrica. Origen y evolucin,
Madrid, Istmo, 1972, pp. 151-155. Domingo Faustino Sarmiento (1811-1888), n San Juan, est
crivain et politicien. Dorigine modeste, il exerce diffrents emplois avant de devenir gnral. Il
voyage en Europe et aux Etats-Unis, o il exerce la fonction dambassadeur de 1865 1868 avant
dtre Prsident de la Confdration Argentine entre 1868 et 1874. Il meurt Asuncin, ville dans
laquelle il sjourne longuement la fin de sa vie en vertu de son bon climat. Outre Facundo, citons
deux autobiographies et un ouvrage dorientation positiviste crit en 1883, Conflictos y armonas
de las razas en Amrica, dans lequel Sarmiento postule linfriorit raciale de la socit hispanoamricaine et propose limitation des Etats-Unis dont la civilisation contribue la prosprit de ce
pays.
769
Expression emprunte PAZ Octavio, Le labyrinthe de la solitude, Paris, Gallimard, 1997
(1950).
770
Et lon peut se demander si cette partie a t vole ou volontairement dtruite.
198

Premire partie

Chapitre II

1848 Paris 771 . Ces annes de silence correspondent un mtissage demeurant


ce jour nigmatique propos de sa position politique relle.
Seuls des faisceaux de discours et dactions permettent de linterprter. Il y
a dabord lassimilation de lidentit crole fonde sur la religion quil adapte
son discours politique 772 . Il y a ensuite son adaptation la praxis politique, la
mauvaise opinion concernant Jos Justo Balbuena, lgaliste par intrt
financier 773 , tant un des nombreux exemples de son rejet de ladhsion par
intrt. Cependant, malgr ses ides initiales, il se rapproche des rosistas. En
fvrier 1841, Chaine lui assure quUrquiza jouit dune grande popularit dans
lEntre Ros, quil est aussi devenu trs obligeant et maintient un trs bon
ordre dans sa zone dinfluence 774 . Se souvient-il de cela lorsquen 1845 Mirbeck
lui relate le massacre de Durazno 775 ?
En 1847, il sadresse se renseigne auprs du commandant de Concordia
sous les ordres dOribe avant de dcider un voyage Montevideo 776 . La
propension la msalliance et aux aspirations de grandeur, caractres structurels
de llite rioplatense, entrane des revirements que le Franais assimile. En 1848
ils doivent jouer contre Rosas lui-mme, comme le comprend bien Gregorio
Valds propos dUrquiza 777 qui fait de plus en plus figure de recours face
Rosas. Lalliance du premier avec les Virasoro, la dcision du voyage
Montevideo malgr Oribe finissent dindiquer un rapprochement vis--vis des
allis de Rosas. Cette posture apparat autant pragmatique quidologique, ces
allis tant sur le point de se retourner contre lui.
La perspective de la fondation dune nation unie a probablement men
Bonpland vers Oribe et Montevideo do il renoue ses contacts aprs huit ans
771

AMFBJAD n 1368, transcription dun article publi dans le Journal do Commercio, 2 avril
1848.
772
Lantirrosista Castelli lui confie en 1839 : El poder de los tyranos es un insulto al Ser
Supremo : dudar de su castigo, es desconocer la justicia de Dios. Pour obtenir lappui de Rivera,
il lui crit que Dieu a dsign le gnral Rivera pour tre le librateur des peuples de lAmrique
du Sud ; AMFBJAD n 1726, journal, Corrientes, 23 novembre 1839 ; AMFBJAD n 194,
Bonpland F. Rivera, Salto, 17 juillet 1840. En 1843, Joaqun Madariaga confie la victoire laide
de Dieu : La justicia la humanidad, la Civilisacion es la divina de los regeneradores de
Corrientes, y es imposible mi entender qe para conseguir al triunfo de tan recomandables
sentimtos no se empaa tambien el cielo en protegernos. AMFBJAD n 155, J. Madariaga
Bonpland, Corrientes, 10 juillet 1843.
773
AMFBJAD n 201, Bonpland F. Rivera, Salto 20 janvier 1841.
774
AMFBJAD n 1741, Voyage de Montevideo Corrientes, Salto, 3 fvrier 1841.
775
AMFBJAD n 452, A. de Mirbeck Bonpland, Santa Ana, 14 dcembre 1845.
776
AMFBJAD n 1131, M. A. Urdinarrain Bonpland, Uruguay, 22 novembre 1847.
777
AMFBJAD n 243, G. Valds Bonpland, San Donato, 8 aot 1848 : al fin sus mismos
tenientes lo derribaron ya que sus enemigos han sido tan desacordados pa haberlo hacho ya .
199

Premire partie

Chapitre II

avec Bartolom Noguera 778 , malgr sa prise de position contre Rivera et Ferr au
lendemain de la bataille de Arroyo Grande 779 . Lapprentissage politique de
Bonpland lamne mieux connatre le Ro de la Plata, mais aussi savoir utiliser
le langage et les pratiques politiques de cette rgion ; son discours sadapte
finalement cette ralit. Les dlimitations quil utilise selon les changes
pistolaires permettent cette analyse des stratgies mises en uvre. Il faut prciser
que ces jugements ne sont pas le produit dun imaginaire politique prexistant en
France, mais bel et bien le produit de faits constats et reconnus par les acteurs
rioplatenses eux-mmes.
Aussi, Bonpland use-t-il de la voie diplomatique afin de donner du poids
son argumentation et du reste, les diplomates europens sont trs demandeurs
dinformations. Cet intrt mutuel est mis en vidence lors de la rencontre du
Franais avec son consul Montevideo, Antoine Devoize, en 1849. Les
informations que lui fournit Bonpland sont apprcies pour la justesse de
lanalyse, tandis que celui-ci en profite pour demander une nouvelle fois le
secours de la France au nom des gouvernements antirrosistas 780 qui pensent,
comme Gregorio Valds, que la libralit exprimente en Europe depuis 1848
doit ncessairement rencontrer un cho en Amrique 781 . Devoize ne croit pas aux
alliances contre Rosas quil explique comme les impulsions de peuples dpourvus
de rflexion 782 .
Cette pense europocentriste opposant civilisation et barbarie, Bonpland
la reporte alors sur le peuple paraguayen. Limmersion ne se dpart pas de cette
dialectique mais la frontire idologique est repousse ; elle nest plus
transatlantique mais transnationale. Bonpland partage les vues dautres migrants
tels Mirbeck qui voit les Paraguayens comme des semi sauvages et rien de
plus 783 . Ce clivage participe la restructuration de sa pense dautant quune
haine rgne vis--vis des Paraguayens dans la province de Corrientes, le Franais
adhrant ici la pense crole. Les incursions paraguayennes de 1849 menes en
778

AMFBJAD n 738, B. Noguera Bonpland, Buenos Aires, 4 aot 1850.


La victoire des troupes dOribe sur celles de Rivera, le 6 dcembre 1842, ouvre la route de
Corrientes et de Montevideo lalli de Rosas.
780
Cf. NARI Estela, Les rapports France-Uruguay pendant la Guerra Grande. Le conflit vu par
les Franais (pourquoi lUruguay nest pas devenu franais). 1839-1852, thse de doctorat
dhistoire ralise sous la direction de Guy MARTINIERE, Paris III-IHEAL, 1998, pp. 438-439.
781
AMFBJAD n 243, G. Valds Bonpland, San Donato, 8 aot 1848.
782
NARI Estela, op. cit., p. 439.
783
AMFBJAD n 455, A. de Mirbeck Bonpland, Uruguaiana, 26 juillet 1847.
779

200

Premire partie

Chapitre II

territoire correntino cause des contestations entre les deux gouvernements


nationaux propos des Missions font courir le bruit dune guerre imminente 784 .
Le 24 juillet, depuis Porto Alegre, le beau-frre de Pimenta Bueno lui annonce
que 1 000 Paraguayens occupent la tronquera de Loreto et 2 000 le village de
Santo Thom. 10 000 hommes sont prts passer le Paran pour que lArgentine
reconnaissance lindpendance paraguayenne. Selon Bonpland, le Brsil qui pour
sa part entretient une haine ancienne avec lArgentine est lorigine de ces
mouvements 785 .
Les

topiques

de

Bonpland

concernant

le

Paraguay et

le

Paraguayen dvoilent o se situent dsormais les frontires de sa civilisation :


Dans un pays ou il ny a pas de debouchs, o les hommes sont
naturellement indolents et vivent souvent sans travailler, il faut
necessairement quils voyent quelques avantages pour sortir de leur
extrme apathie.

786

Ds avant la ratification dun autre trait non respect par le Paraguay sign contre
Rosas en novembre 1851 entre le Paraguay, le Brsil, lUruguay, Entre Ros et
Corrientes 787 , Bonpland crit :
Je crois daprs les donnes que jai acquises que ces grands rpublicains
ne passeront ni le Parana, ni le rio Paraguay

788

Cette frontire entre les deux mondes est mince, polymorphe ; il faut
dailleurs ce propos voquer des marches aux contours flous, zones frontires
autant gographiques quidologiques. Ltude des contours mouvants de telles
communauts savre ici prolixe, concernant les lites tout autant que le peuple.
Son attitude cet gard rapproche Bonpland dune dfinition classique de
lamricanisme, voluant dun discours rousseauiste vers une conviction
civilisatrice, pousant de ce fait les vues gnralement dfendues en Europe en les
adaptant la pense crole.
Mtiss politiquement, se dfinissant par rapport ses voisins immdiats
selon le schma dattraction et de rpulsion comme par rapport sa situation au
784

Cf. CARDOZO Efram, op. cit., pp. 143-147.


AMFBJAD n 1061, J. Silvero Bonpland, Restauracin, 4 janvier 1850. Silvero, rcemment
nomm juge de paix Curuz Cuatia, ne cache pas Bonpland sa rancur contre les malditos
Paraguayos et jure quils le paieront cher.
786
AMFBJAD n 887, Bonpland Desmarest et Ducoing, Montevideo, 30 aot 1850.
787
BENITEZ Luis G., Historia diplomtica del Paraguay, Asuncin, Cromos, 1997, p. 88.
788
Creo por los datos qe he adquirido qe estos grandes republicanos no pasaran ni el Parana, ni el
rio Paraguay , BNCBA, Bonpland G. Valds, s. l., 30 juillet 1851.
785

201

Premire partie

Chapitre II

sein dune entit politique suprieure, Bonpland, le Rochelais rioplatense 789 , peut
tre considr lui-mme comme un homme-frontire 790 au sein de cet Etatfrontire quest alors Corrientes. Lexpression dhomme-frontire caractrise
notamment Ulysse, errant entre lhellnisme et la barbarie 791 . Jean-Robert Henry
dfinit lhomme frontire ou le frontalier propos des rapports franco-algriens
comme un individu habitant une frontire symbolique entre des socits qui se
posent la fois comme proches et diffrentes. Places en situation dantagonisme
ou dexhibition de leurs diffrences, ces socits crent des tensions symboliques
que lindividu subit et tente de dpasser 792 . Pour cela et en raison de la place
quoccupe lindividu dans la geste patriotique rioplatense, la faction et la frontire
tiennent une place importante dans le schme propos 793 .

C. VERS UN CLOISONNEMENT AMERICANISTE


Aprs avoir dfini les rseaux idologiques auxquels sidentifie Bonpland,
il sagit de prciser lutilisation des connaissances produites quen fait le Franais
la fin de la Guerra Grande. A ce titre, il en fait bon usage puisquelles lui
permettent dtendre son rseau et ses connaissances. Lacquisition et la
restitution des connaissances tant en interaction avec lacquisition et la restitution
des reprsentations, il convient dexpliquer comment certains discours mergent
ou se prennisent de la fin des annes 1840 et au dbut des annes 1850. Or, aprs
un rengagement politique sensible, Bonpland semble en dcalage vis--vis des
789

Jos Laurano Amorn aimait dire que le Rochelais tait devenu argentin, la question de
largentinit de Bonpland ayant t souvent aborde par ses biographes qui saccordent avec le
point de vue du docteur Amorn.
790
Nous prfrons ce terme celui de personnage-frontire, employ surtout par les chercheurs en
littrature et caractrisant moins ce que devient Bonpland. En histoire, il est utilis notamment par
Guillaume Mazeau concernant Charlotte Corday, outsider de lhistoire et personnage-frontire
de la Rvolution , deux caractristiques sappliquant au contexte amricaniste de Bonpland ;
MAZEAU Guillaume, Le procs Corday : retour aux sources , in Annales historiques de la
Rvolution franaise [En ligne], n 343, janvier-mars 2006 (2009). URL :
http://ahrf.revues.org/9812. Catherine Nesci emploie le terme de personnage-frontire propos de
la Parisienne pruvienne Flora Tristan comme un regroupement dantithses entre culture et
nature ou sdentarit et errance ; cf. NESCI Catherine, Le flneur et les flneuses. Les femmes et
les villes lpoque romantique, Grenoble, ELLUG, 2007, p. 362.
791
Cf. HARTOG Franois, Mmoires dUlysse. Rcits sur la frontire en Grce ancienne, Paris,
Gallimard, 1996.
792
HENRY Jean-Robert, Les frontaliers de lespace franco-maghrbin , in COLONNA Fanny,
DAOUD Zakya (dir.), tre marginal au Maghreb, Paris, CNRS ditions, 1993, pp. 301-311.
793
Cf. graphique n 6, p. 293.
202

Premire partie

Chapitre II

vnements car tandis que dans les capitales atlantiques des changements dcisifs
se dessinent, il demeure confin dans sa proprit de So Borja. Le contraste est
saisissant par rapport ses engagements antrieurs.
Trs bien inform, il choisit pourtant de se cloisonner. La mobilit qui le
caractrise jusquen 1850 cesse jusquen 1853. Ce cloisonnement gographique
reflte un abandon du transnationalisme, au moment o les entits nationales
rioplatenses saffirment. Celles-ci entranent une compartimentation et une
redfinition des aires culturelles dans lesquelles Bonpland volue. Dans le
Nordeste argentin de nombreuses questions politiques ne sont pas rgles mais la
nationalisation de ces questions loblige devoir choisir dfinitivement vers
quelle nation se tourner.

1. Le transnationalisme entre deux rives


De la fin des annes 1840 au dbut des annes 1850, Bonpland restreint
ses choix entre So Borja et Santa Ana, le Brsil ou lArgentine. Il sagit dun
choix cornlien puisque le Brsil lui offre la civilisation, dans la mesure o sa
situation politique plus stable et son niveau de dveloppement scientifique plus
lev savre attrayant. A linverse Corrientes se trouve encore dans une situation
politique et scientifique prcaire, mais Bonpland dispose l dattaches politiques
et familiales fortes. Il lui faut donc trancher entre un choix de raison dans le sens
scientifique du terme et un choix davantage affectif. Beaucoup de ses
compatriotes ont opt comme lui pour la rive orientale de lUruguay par dfaut,
tandis quil dispose de privilges des deux cts du fleuve. En position de force, il
dbute un double jeu concurrentiel entre les deux pays afin den tirer le meilleur
parti.

Laspiration brsilienne
Laspiration

brsilienne

est

dabord

quantitativement

forte.

Les

correspondances avec les rsidents de ce pays augmentent de manire


203

Premire partie

Chapitre II

significative entre 1847 et 1849 et demeurent un niveau trs lev jusquen


1851 794 . Qualitativement, le contenu des changes montre que Bonpland est
convoit par le Brsil avant que la France ne le redcouvre grce, notamment,
Demersay 795 . Il dveloppe trs vite avec les rsidents franais et brsiliens des
relations scientifiques. Si lon excepte Demersay qui nentre pas dans cette
catgorie, le vicaire Gay savre un confrre de talent puisquil tudie lInstituto
Homeoptico do Brasil fond en 1843 Rio de Janeiro. Une forte amiti nat
entre les deux hommes, Bonpland ayant t probablement sduit par ce mdecin
missionnaire arpentant le Rio Grande do Sul afin de soigner les plus pauvres,
lInstitut Homopathique ayant t fond dans ce but.
Par lentremise de Demersay il reoit louvrage de Joseph-Franois-Xavier
Sigaud, mdecin de Pedro II, sur les maladies du Brsil ; les confrres entament
partir de ce moment une correspondance. Par un intermdiaire non identifi, il se
procure aussi la thse dAntonio Antunes da Luz sur la syphilis 796 . Le dsir du
Brsil sexprime concrtement au dbut de lanne 1847, le docteur Jos Martins
da Cruz Jobim, premier mdecin de lempereur, venant jusqu So Borja pour lui
commander une tude climatique de la ville remise Porto Alegre au mois daot
1849, agrmente dobservations minralogiques et botaniques 797 . En plus de
celles-ci figure son mmoire sur lexploitation de la yerba mate remis au prsident
de lEtat riograndense. Ce sont aussi les lusophones qui lhonorent avant les
Argentins le 21 mars 1851 en lui confrant le titre de membre de la Sociedad
Imperial Hortculo Brasiliense 798 . La Facult de Paris compte dhabiles
reprsentants au Brsil 799 heureux de correspondre avec lui.
A ses compatriotes sajoutent dautres personnages le poussant rsider au
Brsil pour des motifs conomiques ou culturels. Les deux principaux
interlocuteurs fortifiant son lien avec Porto Alegre sont F. Pomatelli et Chaves. Le
premier est diteur 800 , aussi des changes culturels et politiques sinstaurent entre
794

Cf. graphique n 2, p. 114.


Cf. chapitre IX, pp. 761-763.
796
AMFBJAD n 1280, thse dAntonio Antunes da Luz, Proposicos sobre syphilis, 4 dcembre
1847 ; AMFBJAD s. n.
797
Bonpland F. Arago, Montevideo, 28 septembre 1849, cit in HAMY Jules Thodore Ernest,
op. cit., pp. 150-151 ; MNHN, ms 208, Bonpland J. M. da Cruz Jobim, Porto Alegre, 5 aot 1849
; AMFBJAD n 1320 et 1319, observations thermomtriques effectues So Borja, mars et mai
1850.
798
AMFBJAD n 1986, diplme de la Sociedad Imperial Hortculo Brasiliense, 21 mars 1851.
799
DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, p. 30.
800
Pomatelli ouvre le premier atelier typographique Porto Alegre en 1849.
795

204

Premire partie

Chapitre II

la ville-port et la ville-frontire du Rio Grande do Sul 801 . Des preuves daffection


lui proviennent de Porto Alegre en 1851, ses rapports avec cette partie du Rio
Grande do Sul saffinant et devenant plus personnels 802 . Quant Chaves, il
limplique dans une entreprise agro-botanique partir de 1847 sappuyant sur la
politique de dveloppement mise en place par lEtat riograndense base sur
linstallation de colons et le dveloppement des voies de communications entre
Porto Alegre et le ro Uruguay, rsolvant le problme de la distance et des
dbouchs commerciaux. Jusquen 1850, Bonpland est dispos sinstaller au
Brsil.
De plus les nouvelles quil reoit dAsuncin en 1850 ne sont pas
rassurantes, les relations entre le Paraguay et le Brsil senvenimant au point que
Gelly, alors ambassadeur du Paraguay au Brsil, envisage trs srieusement un
conflit arm 803 . En effet, depuis 1849 le nouveau prsident paraguayen Carlos
Antonio Lpez 804 tente dincorporer les Missions son pays afin de fortifier sa
position politique aprs la victoire de Rosas quil estime imminente. Mais ce
dernier commet la faute de dcider linvasion du Paraguay en mars 1850, alors
que dans le mme temps les Brsiliens poursuivent leur politique doccupation
des Missions 805 .
Vasconcellos, depuis le Rio Grande do Sul, explique en outre que le
changement de prsident Porto Alegre montre clairement que le Brsil veut
tout prix la paix avec ses voisins, mais il parait quil se prpare la guerre , les
premires ngociations devant dcider rapidement de la suite des vnements car
au mois de mars les hispaniques se prparent dj la guerre. Cest la version
de ceux qui la dsirent tout prix 806 et cest celle qui se profile en aot 1850 807 .
Bonpland modre lenthousiasme de Vasconcellos quant aux amliorations
801

Pomatelli demande des nouvelles du Paraguay et de Gelly ; il lui demande aussi de recueillir
des souscriptions pour une publication de romans dits Porto Alegre ; AMFBJAD n 778 et
780, F. Pomatelli Bonpland, Porto Alegre, 11 mai 1850 et 20 mai 1851.
802
AMFBJAD n 791, A. V. Porto Bonpland, Porto Alegre, 19 mai 1851 ; AMFBJAD n 780, F.
Pomatelli Bonpland, Porto Alegre, 20 mai 1851.
803
AMFBJAD n 309, J. A. Gelly Bonpland, So Borja, Asuncin, 13 fvrier 1850 ;
AMFBJAD n 310, J. A. Gelly Bonpland, Asuncin, 22 avril 1850.
804
Carlos Antonio Lpez (1790-1862) est consul (1841-1844) puis prsident (1844-1862) du
Paraguay. Il rompt lisolement conomique et diplomatique du pays dans lequel lavait plong
Francia et tente de normaliser les relations politiques avec ses voisins. Il signe diffrents traits
avec lArgentine et le Brsil, sans parvenir toutefois conclure avec ces pays une paix durable.
805
CARDOZO Efram, op. cit. pp. 145-149.
806
AMFBJAD n 1136, F. de Vasconcellos Bonpland, col du Para-Sa, picada de Santa Cruz,
16 mars 1850.
807
AMFBJAD n 1138, F. de Vasconcellos Bonpland, Porto Alegre, 28 aot 1850.
205

Premire partie

Chapitre II

attendre du changement de direction dans la province de San Pedro. Le dpart de


Souza Soares de Andria ne risque pas darranger la situation politique de la
province non plus que son remplacement par Pimenta Bueno, en dpit des faveurs
dont il jouit Porto Alegre car, selon Bonpland, les intrts particuliers
provisoirement acquis sont autant de pertes pour le bien commun riograndense 808 .
Les vnements le dcident en 1850 demeurer So Borja quil dveloppe de
manire considrable tandis que Santa Ana dprit. Mais la faiblesse de son assise
relationnelle So Borja, lisolement conomique dans lequel sombre le Rio
Grande do Sul et la meilleure position conomique de Santa Ana lamnent se
tourner dfinitivement vers Corrientes en 1853.

Le choix dune patrie adoptive


Les correspondances brsiliennes seffondrent partir de 1852 au profit de
Corrientes 809 . Un des motifs de ce changement rside dans lchec conomique
brsilien mais il nest pas le seul. En effet, depuis 1847 Bonpland dveloppe un
double jeu vis--vis des deux pays afin de choisir le lieu de son installation
dfinitive. Ce jeu doit plaire Bonpland qui se sent dsir et reconnu, cette
recherche de reconnaissance tant au centre de sa pense et de ses actes. Aussi
joue-t-il sur lanimosit sculaire entre les deux aires culturelles pour en tirer son
parti. Le choix est entre ses mains, ce qui constitue un changement fondamental
puisquil subit les vnements politiques plus quil nen bnficie depuis trois
dcennies.
Alors que Bonpland se tourne de plus en plus vers le Brsil, il joue sa carte
matresse le 28 octobre 1849 Porto Alegre lorsquil envoie son rapport sur
lexploitation de la yerba mate la fois au prsident du Rio Grande do Sul et au

808

A part les intrts particuliers, je suis fach pour le Brsil et pour les habitants de la Province
de San Pedro de ce qui est arriv Mr. Andrea. Les hommes ne sont pas des Dieux. Jai toujours
t davis quil fallait considrer leurs qualits et leurs dfauts et tablir une juste compensation.
Jai eu lhonneur de connatre ici personnellement S.E. Pimento Buena. Cest un homme afable,
instruit, rempli dexcellentes manires et bien capable de remplir lemploi lev qui vient de lui
tre confi. Demain les ambitieux, les jaloux crieront contre lui et nous aurons la douleur de le voir
se retirer, soit oblig, soit de bonne volont , AMFBJAD n 1137, Bonpland F. de
Vasconcellos, So Borja, 22-25 avril 1850.
809
Cf. graphique n 3, p. 183.
206

Premire partie

Chapitre II

ministre des Affaires trangres correntino, Juan Pujol 810 . Il choisit de sadresser
Pujol au lieu de Virasoro parce que ce docteur en droit de lUniversit de
Crdoba a servi les Madariaga avant de servir les Virasoro ; il sagit donc dun
homme habile et suffisamment indispensable pour tre sollicit par les deux clans
ennemis. Ensuite, Pujol semble intress au plus haut point par le dveloppement
conomique de sa province et par la perte consquente que pourrait entraner
lengagement de Bonpland par les Brsiliens. Enfin, une source indique quen
1848 lui et Bonpland se connaissent 811 , le Franais ayant pu juger des qualits du
ministre.
Miguel et Benjamn Virasoro crivent au Franais le 30 janvier 1850, plus
de deux ans aprs leur prise de pouvoir. Peut-tre sagit-il du temps ncessaire
pour acqurir des gages vis--vis du Franais et mesurer les ventuelles
consquences dun exil de Bonpland vers le Brsil. Les deux frres prennent la
plume pour le pousser dlaisser le Rio Grande do Sul au profit de Corrientes,
afin de satisfaire ainsi aux dsirs de sa famille et de la province 812 . Les solliciteurs
sappuient sur des motifs tout fait valables puisquen matire dintrt, Santa
Ana dispose encore dun potentiel dactivit important. Concernant sa famille, il
est vident que sa compagne, ses enfants et la grande majorit de ses familiers
tant Argentins, largument est de poids.
En effet, son assise relationnelle fait de Corrientes la patrie dadoption du
savant. Lattraction est plus quconomique, elle relve dun sentiment
dappartenance lattirant vers lArgentine. Alors quon lui offre la possibilit
dorganiser lexploitation des yerbales Santa Cruz, au sein de la province
pacifie du Rio Grande do Sul, le Franais offre ses services au gouvernement de
Corrientes

810

Bonpland F. J. de Souza Soares de Andria, Porto Alegre, 28 octobre 1849, cit in HAMY
Jules Thodore Ernest, pp. 152-156 ; Bonpland J. Pujol, Porto Alegre, 28 octobre 1849, in
PUJOL Juan, op. cit., pp. 141-146. Juan Pujol (1817-1861) nat dans la province de Corrientes.
Docteur de la facult de Droit de Crdoba en 1838, il simplique politiquement partir de 1843.
Ministre de la Guerre de Joaqun Madariaga, puis des Affaires trangres de Benjamn Virasoro,
Pujol lui succde de 1852 1859. La province de Corrientes connat sous son mandat une priode
de stabilit et dessor. Pujol termine une carrire brutalement interrompue comme ministre de
lIntrieur de la Confdration Argentine.
811
AMFBJAD n 513, S. Bocquin des Hilaires Bonpland, Pellotas, 14 mars 1848.
812
AMFBJAD n 1145, M. Virasoro Bonpland, Corrientes, 30 janvier 1850 ; cf. AMFBJAD n
1609, Bonpland M. et B. Virasoro, So Borja, 28 dcembre 1847.
207

Premire partie

Chapitre II

en un pays qe he adoptado Como una nueva patria y en el que tengo


muchos conocidos.

813

Le jeu men par Bonpland envers les deux pays nen est cependant pas moins
sincre, tout autant que cette phrase qui, pensons-nous, rvle autant une
manuvre quune vritable attraction. Tout indique quil est prt sinstaller l
o ses intrts conomiques sont les mieux situs.
Utilisant les ressorts nationalistes, Bonpland sadresse au gouverneur
Benjamn Virasoro afin de lui annoncer les avances agricoles riograndenses
concernant les mrinos et la yerba 814 . Il compte sur une mulation en flattant les
Correntinos ; ce nest plus la France qui doit duquer lAmrique, mais ce nest
pas non plus le Brsil qui doit instruire lArgentine. Au contraire, lArgentine doit
montrer lexemple au Brsil, la bipolarisation autour du savant replaant
Corrientes au sein dune entit politique suprieure. Laffrontement des
nationalits entrane dans le mme temps une complmentarit et une forme de
continentalit des savoirs et des avoirs 815 . Cette tactique de la yerba initie en
1849 se prolonge jusquen 1853, Bonpland ne possdant pas jusqu cette date les
garanties politiques ncessaires pour repasser lUruguay.

2. Un rengagement prudent
Le sjour Montevideo effectu entre le 29 aot et le 7 octobre 1849
redonne souffle Bonpland en le replongeant dans laire culturelle transatlantique
qui comporte trois grands lments. Dabord la France envers laquelle il demande
immdiatement un engagement fort contre le second lment, les rosistas. Enfin
les adversaires du rgime porteo constituent le dernier lment, celui quil
connat le mieux et pour lequel il peut faire office dintermdiaire. Cependant
Bonpland se rengage timidement aux cts des antirrosistas, fort de sa
connaissance de leurs faiblesses politiques. Le naturaliste effectue alors un second
voyage Montevideo o il demeure du 6 aot au 15 novembre 1850. La situation
813

AMFBJAD n 1606, Bonpland B. Virasoro, So Borja, 2 fvrier 1849.


Ibid.
815
Cf TABOADA-LEONETTI Isabelle, Citoyennet, nationalit et stratgies dappartenance ,
in COSTA-LASCOUX Jacqueline, HILY Marie-Antoinette, VERMES Genevive (dir.), Pluralit
des cultures et dynamiques identitaires. Hommage Carmel Camilleri, Paris, LHarmattan, 2000,
pp. 95-120.
814

208

Premire partie

Chapitre II

politique est alors funeste pour les antirosistas qui ne dtiennent plus que la
capitale uruguayenne. Seule lescadre franaise soutient encore faiblement les
assigs, Bonpland esprant que la France intervienne cette fois positivement dans
la Guerra Grande.

La reconnexion transatlantique montevideana


Lun des motifs avous du voyage entrepris en 1849 en direction de la
capitale uruguayenne est de se tenir au courant du droulement des affaires
politiques ; cest aussi loccasion de rencontrer les notables locaux et trangers 816 .
Parmi ceux-ci, Jos Luis Bustamante savre tre un relais sr. Aprs avoir crit
un pamphlet sur le rendez-vous historique manqu par la France avec
lUruguay 817 , cet exil argentin cesse la publication du Correo de la Tarde pour
se consacrer la rdaction dune histoire de la guerre dans la Banda Oriental quil
doit faire parvenir au Franais ds que possible. Cette nouvelle activit doit selon
Bonpland offrir Bustamante un poste de ministre 818 , ce quil obtient en 1852, ses
ambitions se limitant au ministre de la Presse. Bonpland retrouve aussi retrouve
un cercle transnational autour de Roguin, le docteur Liautaud, Bustamante et
Devoize 819 .
Bien que les renseignements quil peut fournir sont apprcis, ses
demandes de secours auprs de Devoize 820 sont ignores, les diplomates franais
nentendant pas le faire participer aux ngociations quil dnonce rapidement.
Depuis 1845 lincursion de la flotte anglo-franaise jusquau Paraguay ne fait que
confirmer aux regards europens ltat arrir des provinces antirrosistas 821 .
Car malheureusement pour Corrientes, la priorit des plnipotentiaires franais
demeure la rsolution des questions porteas et montevideanas. La dissociation de
la question rioplatense et la rorientation de la marine vers les ports atlantiques
816

AMFBJAD n 1639, Bonpland Demersay, Porto Alegre, 10 juin 1849 ; MNHN, ms 209,
journal de voyage, 1849-1850, 7 octobre 1849.
817
BUSTAMANTE Jos Luis, Los cinco errores capitales de la intervencin francesa en el Plata,
Buenos Aires, Solar, 1942 (1849).
818
BCNBA, Bonpland G. Valds, So Borja, 28 avril 1851.
819
AMFBJAD n 671, D. Liautaud Bonpland, Montevideo, 29 janvier 1851.
820
Cf. NARI Estela, op. cit., pp. 438-439.
821
Cf. MACKINNON Lauchlan Bellingham, La Escuadra Anglo-Francesa en el Paran. 1846,
Buenos Aires, Hachette, 1957 (1848).
209

Premire partie

Chapitre II

expliquent le peu dintrt de la France pour lintrieur argentin 822 . Elles


lgitiment corrlativement la reprsentativit de Rosas vis--vis de la nation
argentine obtenue le 31 aot 1850 grce un nouveau trait sign avec lamiral
franais Leprdour.
Pourtant, lopinion soutient lintervention franco-anglaise initie en 1845
contre les actes barbares, la cruaut et loppression du rgime de Rosas lequel, la
fin de lanne 1845, atteint le sommet de limpopularit en France et en GrandeBretagne 823 , celle-ci retirant son soutien au rgime ainsi que ses intrts
financiers. Mais Henry Southern, envoy en 1848 traiter avec Rosas, met en garde
contre le vide politique qui suivrait son limination, car il a dcouvert les
moyens de gouverner un des peuples les plus turbulents et agits du monde ;
aussi la fin de son rgime serait le signal du dsordre et des luttes intestines, qui
entraneraient le pays dans la misre. 824 Un trait est donc rapidement sign
entre les Britanniques et les Porteos, le dsengagement de la France survenant
ensuite pour des motifs ne pouvant satisfaire ses ressortissants 825 . Pourtant, la
stabilisation de la nouvelle rpublique franaise fait esprer une intervention
dcisive en Amrique la fin de lanne ; des forces considrables sont
attendues dun jour lautre Montevideo et le gouvernement franais dispose
dun grand crdit dans la capitale uruguayenne assige 826 .
La veille mme du jour de la signature du trait Arana-Leprdour,
Bonpland recouvre sa verve patriotique en crivant Paris son espoir que la
guerre sarrte grce la France, sr qu
Aujourdhui la grande masse des habitants, la masse soufrante pleine de
confiance dans la France, est bien dispose travailler de nouveau. Si ce
cas dsir arrive lagriculture et le commerce offriront dimmenses
avantages et les franais auront ici un droit et une prference suprieure
celle de toutes les autres nations

822

827

Cf. AMAEN, Buenos Aires, Lgation n1, 1838-1872 ; Arana prend soin de passer sous silence
la question correntina au cours des ngociations avec la France ; Pedro Ferr est voqu une seule
fois dans la correspondance diplomatique dpouille.
823
Cf. GRAHAM-YOOLL Andrew, op. cit, pp. 133-135, 141-142.
824
H. Southern Palmerston, Buenos Aires, 10 janvier 1851, cit in ibid., p. 145.
825
Leprdour, de retour de France le 23 juillet 1850, fait part de ses instructions au gouvernement
de dfense de Montevideo qui lincitent traiter avec Oribe. Il conclut sur ces mots : Antes que
todo soy francs. As, pues, que dejemos el asunto , cit in RELA Walter, op. cit., p. 107.
826
AMFBJAD n 972, J. P. Gay Bonpland, Alegrete, 14 novembre 1848.
827
AMFBJAD n 958, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 aot 1850.
210

Premire partie

Chapitre II

Cest exactement linverse qui se produit le lendemain avec ce trait


similaire celui sign par Mackau neuf ans plus tt 828 . Il fait cho aux propos de
Bonpland qui nont, eux non plus, absolument pas chang depuis une dcennie.
Cette peur du vide politique est une constante chez les Europens et
particulirement chez les Britanniques. Mais plus la guerre tourne en faveur des
rosistas, plus lintervention trangre doit savrer dcisive. La continuit
discursive du Franais sexplique par une peur de lenlisement diplomatique, de
labsence de solution interne et finalement du vide politique quentranerait la
victoire des rosistas.
Demersay, interlocuteur privilgi de Bonpland, lui fait part en 1849 de
ses inquitudes aprs son retour en France :
Dans le cas ou lintervention prolongerait encore sa marche trop lente
cette belle partie dAmrique finira de se perdre totalement et il ne
restera veritablement ses habitants soit indigenes et exotiques que les
yeux pour pleurer. 829

Un an plus tard, le trait Arana-Leprdour ratifie cette marche trop lente


prvue ds le dbut des ngociations. Le changement de rgime qui se produit en
France en 1848 ne permet pas desprer longtemps une inflexion dans la politique
amricaine, malgr les pourparlers engags une nouvelle fois avec Rosas 830 . A
Montevideo, les instructions de Bastide donnes Leprdour en vue de ngocier
une paix sont perues par certains comme un nouveau coup dpe dans leau.
LAnglais Symonds, aprs avoir attendu en vain une premire aide de son
gouvernement suite ses pertes Corrientes dcide de retourner en Angleterre,
non sans se lancer avant dans une diatribe contre linefficacit de la diplomatie
europenne 831 .
Mais les indignes comme les exotiques esprent encore une volte-face
grce un rejet du trait par le nouveau rgime franais. Le rapport de Napolon
Daru, envoy plaider la cause des Montevideanos devant lAssemble nationale,

828

Le choc doit tre dautant plus vif pour Bonpland car il le replace dans une situation analogue
celle o il se trouve en 1840, la diffrence quil ne dispose plus des mmes atouts pour faire face
ce nouvel abandon.
829
AMFBJAD n 1639, Bonpland A. Demersay, Porto Alegre, 10 juin 1849.
830
El almirante Le Predour est en Bs. Ayres desempeando (se supone) una comision de M.
Bastide pa. Hacer una nueva tentativa de ajustar una paz, pero en la cual comision se sabe ya con
certeza qe. no arribar a nada. , AMFBJAD n 1115, H. Symonds Bonpland, Montevideo, 14
mars 1849.
831
Ibid.
211

Premire partie

Chapitre II

met en lumire une situation sans dignit, car ce nest ni la paix, ni la guerre ;
cest une situation intermdiaire imagine depuis peu 832 par Leprdour. Daru a
mauvaise mmoire, la signature de la convention de 1849 se situant dans la ligne
diplomatique franaise suivie depuis longtemps, comme on la toujours fait
prcise son grand regret le vice-consul franais Porto Alegre 833 . En effet la
solution labore en 1849, en recherchant un compromis impossible trouver, et
en voulant sauver les apparences, savre finalement vide de sens 834 comme celui
de 1840.
De mme que lon nattend plus rien des mdiations menes avec Rosas
par Leprdour, de mme attend-on des efforts de Daru une prochaine arrive de
troupes franaises 835 . Bonpland participe indirectement 836 aux efforts en direction
de la France et se contente dapprouver les reproches faits aux diplomates
europens ainsi que lespoir dun revirement favorable aux ressortissants franais,
et digne dune grande puissance 837 . Une constante est noter dans
largumentation de Bonpland au cours de ces annes concernant les devoirs de la
France envers ses ressortissants du Ro de la Plata. Les manquements en ce
domaine mettent largement en cause le personnel diplomatique. La confusion des
ides en matire politique est semblable celle que Bonpland constate
relativement ltablissement de colons. Bonpland souhaite voir se terminer la
guerre heureusement et humainement . Cependant, les atermoiements de la
France et sa mconnaissance de la ralit finissent par lirriter 838 . Non seulement
la France, mais aussi
tous les reprsentants [] sont 1000 lieues de la question ; ils la traitent
comme des commerants cupides. Se serait pour la France une honte sils
832

DARU Napolon, Rapport lAssemble lgislative franaise sur les Affaires de la Plata,
Montevideo, Imprimerie franaise, 1850, p. 14.
833
AMFBJAD n 564, Decazes Bonpland, Porto Alegre, 9 septembre 1849.
834
NARI Estela, op. cit., pp. 322-414.
835
AMFBJAD n 1115, H. Sysmonds Bonpland, Montevideo, 14 mars 1849.
836
Daprs tout ce qui sest imprim en france, on doit savoir que la verge de fer qui
malheureusement domine sur cette partie de ces beaux parties paralyse tout. Depuis la mmorable
bataille del arroyo de grande les communications sont devenues plus difficiles, le sont encore et la
prudence conseill de rester tranquille dans un petit coin , AMFBJAD n 958, Bonpland F.
Delessert, Montevideo, 30 aot 1850.
837
Un sujet britannique exprime Bonpland son espoir que le gouvernement franais demuestre
a la poblacion de estos paises el verdadero valor de las baladronas con cuales l los ha alucinado
pot tanto tiempo. , AMFBJAD n 1115, H. Symonds Bonpland, Montevideo, 14 mars 1849.
838
Un ami de Restauracin saccorde avec lui pour constater qu Efectivamente todo se vuelve
desgracia y contratiempo en este pretendido mejor de los mundos , et espre que no digamos
con el bueno de lafontaine. Quen sort-il souvent ? du vent ! , AMFBJAD n 650 et 651, J.
Landereche Bonpland, Restauracin, 27 mars et 7 juin 1851.
212

Premire partie

Chapitre II

ne concluaient pas cette question dans lhonneur et en assurant une


garantie positive la population franaise sur les rives de la Plata et de
lUruguay. Toute celle-ci et les habitants du pays seraient trop
maltraits. 839

Le 29 janvier 1851, lapprobation par lAssemble franaise ntant pas


encore connue les dernires nouvelles reues de France par la flotte datant de
novembre 1850 on fait courir en ville des canards de toute espce840 . Seuls
les commentaires du discours prsidentiel parvenus jusquaux deux camps nont
pas eu dautre rsultat que damuser pendant quelques jours la crdulit des
Badauds blancs & rouges 841 . Le 16 fvrier 1851, Jos Luis Bustamante transmet
les nouvelles arrives de France qui font prsumer une fin prochaine et positive de
la question de la Plata 842 .
Lultime projet dalliance interne pouvant faire se mouvoir la France
consiste crer une rpublique indpendante en fusionnant les provinces de
Corrientes et dEntre Ros. La rfrence la rpublique entrerriana de 1820
traduit une impasse significative dans lorganisation nationale, aussi lintervention
franaise demeure-t-elle toujours une solution. Bonpland espre que lannonce de
lalliance de Corrientes et de lEntre Ros suffise dcider le gouvernement
franais prendre une position ferme 843 , en passant par del la gestion
catastrophique des deux agents sur place quil accuse non seulement
dincomptence, mais aussi de trahison envers les intrts franais et
amricains 844 .

839

todos los represententes [...] estan 1000 leguas de la question; la tratan como comerciantes
codiciosos. Seria una verguenza por la francia si no terminasen esta question con honor y
asegurando una garantia positiva la poblacion francesa sobre las margenes del Plata y del
Uruguay. toda ella y los habitantes del Pays serian demasiado maltratados , BCNBA, Bonpland
G. Valds, So Borja, 27 juillet 1851.
840
AMFBJAD n 671, D. Liautaud Bonpland, Montevideo, 29 janvier 1851.
841
Le message du prsident, aussi insignifiant au sujet de Montevideo que le sont dordinaire les
pices officielles de ce genre , donne lieu aux commentaires fantaisistes des Bavards blancs et
rouges , AMFBJAD n 671, D. Liautaud Bonpland, Montevideo, 29 janvier 1851.
842
AMFBJAD n 1597, J. L. Bustamante Bonpland, Montevideo, 16 fvrier 1851.
843
BCNBA, Bonpland G. Valds, 27 juillet 1851.
844
Ces Messieurs nont pas sceu juger de ltat des choses : ils se sont tromps et ont tromp le
gouvernement , AMFBJAD n 1640, Bonpland A. Demersay, So Borja, 10 novembre 1851.
213

Premire partie

Chapitre II

Bruits de bottes et coups de pioches


Le rengagement est seulement discursif vis--vis de la position franaise,
il savre plus complexe vis--vis des positions rioplatenses. Son pass plaide en
faveur dune action, la rorganisation plus rcente de ses rseaux plaide en faveur
dune neutralit et les vnements qui interviennent au seuil de la dcennie 1850
en Amrique incitent rflchir. Dautre part les vues politiques du savant sont
estimes par leur justesse danalyse autant par les Franais que par les
Amricains, mais eux esprent plus quun beau discours de la part du savant. Le
graphique n 3 indique une rorientation de sa correspondance vers Corrientes et
les pays limitrophes partir de 1850.
Entre incertitudes, rumeurs et bruits de bottes, Bonpland apprend en avril
1849 dun ngociant anglais rencontr Santa Cruz et tabli Rio Pardo, Mr
Guillerme , quOribe est dmoralis, que la msentente rgne entre les soldats
argentins et uruguayens, que Pacheco est de retour Montevideo et harcle les
postes dOribe autour de la ville 845 . Le 5 aot 1849 il sort de sa retraite politique,
demandant Pimenta Bueno dimprimer une lettre envoye par Ferr846 . Au dbut
de lanne 1850, Bonpland entre de nouveau en contact avec plusieurs personnes
au Paraguay 847 alors que Jos Antonio Virasoro lui demande comment faire
passer des armes du Brsil au Paraguay 848 . Tandis quil est au cur des
prparatifs dune alliance, ses informateurs lui font prendre conscience du
changement de situation depuis Porto Alegre. Pomatelli pense en fvrier que la
paix avec Rosas doit tre conclue 849 , mais le projet rosista dinvasion du Paraguay
ratifi en mars entrane une nouvelle volte-face de Carlos Antonio Lpez,
lattitude du Bonaerense le poussant mnager ses voisins immdiats. En mai des
rumeurs de prparatifs de guerre lui parviennent du Brsil mais non plus dirigs
seulement contre le Paraguay mais aussi contre lArgentine 850 .
Le 21 mai 1850, Bonpland sembarque pour Montevideo en descendant
cette fois lUruguay. Au cours de ce voyage il passe dune ville-miroir lautre,
845

MNHN, ms 208, 19 avril 1849.


Ibib.
847
Il sagit de Juan Antonio Gelly, Bernardo Serrato, Antonio Casimiro Balt et Pablo Vial ;
MNHN, ms 209, 6 janvier 1850.
848
AMFBJAD n 1612, J. A. Virasoro Bonpland, Restauracin, 30 janvier 1850.
849
AMFBJAD n 777, F. Pomatelli Bonpland, Porto Alegre, 1er fvrier 1850.
850
AMFBJAD n 746, F. de Normann Bonpland, Porto Alegre, 14 mai 1850.
846

214

Premire partie

Chapitre II

sarrtant le 9 juillet Concepcin del Uruguay, non loin de lestancia du gnral


Urquiza. Le lendemain il lui adresse une lettre depuis Paysand 851 ; trois jours
scoulent puis les 13 et 14 il rencontre le gnral, profitant de ses appuis auprs
des Virasoro de plus en plus proches dUrquiza. Sa posture fdrale se confirme,
cette rencontre tant une nouvelle fois une rvlation pour le Franais qui donne
des conseils mdicaux pour les troupes de lEntrerriano 852 . Cependant, le statut
de Bonpland acquiert une dimension supplmentaire puisque son rseau couvre
une aire gographique comprise entre Asuncin, Porto Alegre, Montevideo et
Buenos Aires.
A la fin de lanne 1850, il joue une nouvelle fois les intermdiaires en
envoyant de Montevideo 24 exemplaires de lAgrirpolis que possde Valentn
Alsina pour Urquiza, Corrientes et le Paraguay 853 . Les unitaires de Montevideo
renouent par ce biais avec lespoir dun revirement de situation. Au dbut de
lanne suivante, Bonpland profite de ses nouveaux rseaux paraguayens et
porteos pour sinformer des mouvements militaires sans quitter So Borja. De
Buenos Aires, Noguera linforme en janvier 1851 de lincertitude faisant suite la
guerre dclare par Rosas au Paraguay. Il attend dici deux mois la rsolution
franaise de ratifier ou non le trait Leprdour, lattitude du Paraguay dpendant
de cela 854 . Le mme mois, des contacts sont tablis avec le prsident du Paraguay
qui le Franais fait part de son intention de venir prochainement 855 . Ses deux
relais privilgis Asuncin, Pimenta Bueno et Gelly tant partis 856 , ses relations
demeurent marginales. Bonpland se montre peu disert vis--vis du Paraguay,
fidle un silence presque total depuis sa sortie du pays, silence justifi surtout
par labsence de contact direct avec le territoire 857 . La question paraguayenne
nest que peu ou pas aborde par Bonpland lors de ses correspondances du fait de
lisolement qui y subsiste. Il lui faut attendre sept ans, depuis son projet
dinstallation au Paraguay jusqu son voyage de 1857, avant de pouvoir et
vouloir se rendre Asuncin, dix-sept ans si lon prend en compte les germes de

851

MNHN, ms 209, Bonpland a J. J. Urquiza, Paysand, 10 juillet 1850.


A propos de cette rencontre et des aspects mdicaux, cf. chapitre VII, p. 668.
853
AMFBJAD n 259, V. Alsina Bonpland, Montevideo, 29 octobre 1850.
854
AMFBJAD n 739, B. Noguera Bonpland, Buenos Aires, 1er janvier 1851.
855
AMFBJAD n 332, Bonpland C. A. Lpez, s. l., s. d. (v. 5 janvier 1851).
856
AMFBJAD n 777, 780, F. Pomatelli Bonpland, Porto Alegre, 1er fvrier 1850, 20 mai 1851.
857
AMFBJAD n 201, Bonpland a F. Rivera, Salto, 20 janvier 1841; AMFBJAD n 784, Bonpland
A. V. Porto, So Borja 2 avril 1850.
852

215

Premire partie

Chapitre II

ce projet dinstallation qui datent de 1840, plus longtemps encore en sachant que
le Paraguay est un mythe itratif du savant 858 .
Plusieurs informations parviennent Bonpland concernant la formation
dune grande alliance contre Rosas. Pomatelli, depuis Porto Alegre, linforme ds
fvrier 1851 de larrive de matriel militaire. Selon toute apparence, crit-il, la
paix sera de courte dure 859 . Bonpland saisit la porte de ce renseignement ; dans
une lettre que lui remet un compatriote depuis Uruguaiana en avril celui-ci instruit
Bonpland des informations quil glane dans les journaux, ce qui, crit-il, confirme
les dires de Bonpland qui lui certifiait daprs ses contacts entretenus avec les
Virasoro que dici peu on verrait les grands travailler srieusement la paix en
faisant la guerre 860 . Gregorio Valds le tient inform depuis San Donato 861 et en
mai 1851 Pomatelli, qui a accs aux comptes militaires de Porto Alegre, informe
le Franais des prparatifs brsiliens et de leurs buts uniquement dfensifs 862 ; il
sagit de nouvelles l encore en provenance de son nouveau rseau quadrilatre.
Jusquen juillet 1853, Bonpland ne quitte plus So Borja, ne prenant
aucune part la chute de Rosas. Cependant, il reoit rgulirement des nouvelles
des vnements de tous cts, Restauracin savrant un point central pour la
circulation de linformation en provenance dArgentine et dUruguay. Le 1er juin
1851 Jos Antonio Virasoro lui confirme de cette ville quil est sur les talons de
Rosas 863 . Bonpland apprend du mme lieu et le mme mois quun front
antirrosista est constitu, tout du moins dans les esprits 864 . Ses relais brsiliens lui
transmettent le dbut du rcit de voyage de Xavier Marmier qui est parti
quelques jours avant son arrive Montevideo en 1850 trs espr par les
assigs 865 . Le 30 juillet 1851, il apprend avec deux mois de retard la Triple
858

Cf. chapitre VII, pp. 638-642.


AMFBJAD n 779, F. Pomatelli Bonpland, Porto Alegre, 27 fvrier 1851.
860
AMFBJAD n 760, J. Paillot a Bonpland, Uruguaiana, 18 avril 1851 ; MNHN, ms 209,
Bonpland J. Virasoro, Restauracin, So Borja, 11 mars 1851.
861
AMFBJAD n 249, G. Valds Bonpland, San Donato, 26 avril 1851.
862
AMFBJAD n 780, F. Pomatelli Bonpland, Porto Alegre, 20 mai 1851.
863
AMFBJAD n 1607, J. A. Virasoro Bonpland, Restauracin, 1er juin 1851.
864
Jos Antonio len informe au dbut de juin 1851 ; cf. AMFBJAD n 1607, J. A. Virasoro
Bonpland, Restauracin, 1er juin 1851. Julin Silvero rsume ltat desprit en ces termes : En
toda la Provincia de Entre Rios y en toda esta no se no se oyen otros gritos sino los de Viva la
Confederacion Argentina! Viva la Provincia de Entre-Rios! Viva la Provincia de Corrientes!
Viva la Republica del Paraguay! Viva el Imperio del Brasil! Viva la Republica Francesa!
Muera el Tirano del Plata! Mueran los degolladores Rosas y Oribe! Viva la Organizacion
Nacional , AMFBJAD n 1067, J. Silvero Bonpland, Restauracin, 5 juin 1851.
865
BCNBA, P. Chaves Bonpland, s.l., 10 juillet 1851 ; MARMIER Xavier, Buenos Aires et
Montevideo en 1850, Buenos Aires, El Ateneo, 1948 (1851).
859

216

Premire partie

Chapitre II

Alliance conclue entre les forces correntino-entrerrianas dUrquiza, celles de


Montevideo et celles du Brsil 866 . Sil sen flicite, le botaniste se consacre
nanmoins exclusivement, jusquen fvrier 1852, piocher ses 1 600 plants
dorangers dans sa proprit de So Borja 867 .

CONCLUSION
Aprs lassimilation analyse lors du chapitre prcdent, ltude
concernant les annes de la Guerra Grande met en lumire une forme de
mtissage individuel parallle au mtissage politique rioplatense. Rseaux, ides,
discours et actes forment un ser politique mtiss dans son aspect transnational
dabord. Comme Humboldt est dfini en tant que savant-citoyen du monde 868 ,
Bonpland saffirme comme un homme-frontire entre diffrentes aires culturelles.
Il ne sagit ni dacculturation ni de dculturation mais dune pense mtisse
construite au contact de ces aires. A ce titre, la principale particularit du Franais
consiste glisser constamment de la recherche de solutions individuelles celle
de solutions collectives. Ce type de personnage est sans doute minoritaire,
cependant dautres individus comprenant tout ou partie des caractristiques de
Bonpland sont probablement prsents. Les migrants possdent cette facult
contenir plusieurs dimensions et le naturaliste peut aider affiner leur tude dans
le cadre transatlantique.
En effet, ce type de personnage peut tre utilis modle dadaptation et
darticulation entre le rseau, le discours et les actes. Les diffrents niveaux de
sociabilit quil intgre permettent desquisser un modle de mtissage autant
individuel que social. Il amne lhistoire des ides et des sociabilits une
exprience riche car il se dgage de ltude de ces niveaux et de leurs connexions
un certain nombre de barrires que Bonpland combat et qui nous permettent de
mettre en relief six formes didentits politiques : clanique, partisane, provinciale,
nationale, transnationale et transatlantique. La forme partisane sexprime
lintrieur du cadre provincial par des luttes pour le contrle du pouvoir excutif,
866

BCNBA, Bonpland G. Valds, So Borja, 30 juillet 1851.


Bonpland Humboldt, Montevideo, 25 dcembre 1853, cit in HAMY Jules Thodore Ernest,
p. 174.
868
DUVIOLS Jean-Paul, MINGUET Charles, op. cit.
867

217

Premire partie

Chapitre II

sans pour cela quune adhsion populaire soit forcment ncessaire, ni que les
forces en prsence proviennent exclusivement du srail869 local, quil soit
politique ou conomique. Cette forme didentit nimplique donc pas un
rattachement systmatique la figure du caudillo telle quon la dfinit
gnralement 870 . Dabord, lambition personnelle ne reconnat pas la limite
familiale dans une socit souvent dfinie par les liens du sang. Mme si le noyau
familial est un polarisateur puissant, il nempche pas lclatement partisan.
Ensuite, ces luttes sexpriment dans des proportions varies. Elles peuvent affecter
des aires gographiques trs rduites. Il peut sagir enfin de remises en cause
provinciales.
Ni lespace ni le temps ne bornent les querelles de clans. Les barrires
provinciales sont les moins voques par Bonpland hormis quelques notes
propos de leurs divergences, mais presque rien napparat propos des conflits
interprovinciaux si fortement constitutifs de lhistoire de Corrientes. Bonpland
note surtout les bienfaits amens par les coalitions interprovinciales. Nanmoins
lalliance quil privilgie est hispano-amricaine ou, pour mieux dire,
transnationale. En effet, la proximit gographique du monde lusophone empche
de se limiter une analyse en termes dhispanisme ; on pourrait au mieux parler
daire ibrique, mais la notion est trop vague pour dfinir la situation correntina.
A ce titre, la dimension politique amricaniste est essentielle dans la mesure o
elle offre durant la geste patriotique des possibilits de modles politiques
originaux. Les implications et les expriences politiques de Bonpland sinscrivent
dans cette recherche de solutions au dmembrement postcolonial parmi lesquelles
llaboration ou la conception de pr-Etats, dEtats-frontires, dEtats
transnationaux et dassociations transatlantiques. Concernant cette dernire
solution, si le rang que doit tenir la France est une constante du discours de

869

Lemploi du terme srail fait rfrence louvrage de CHEHABI H. E., LINZ Juan J. (d.),
Sultanistic Regimes, Baltimore-Londres, The Johns Hopkins University Press, 1998, pour qui la
formation de certains Etats sud-amricains, dont ceux qui nous intressent, emprunte au modle
oriental.
870
Cf. GOLDMAN Noem, SALVATORE Ricardo, Caudillismos rioplatenses. Nuevas miradas a
un viejo problema, Buenos Aires, EUDEBA, 1998. Le caudillismo implique des alliances
complexes vis--vis des lites provinciales. Les tudes montrent que depuis la proclamation de
lindpendance jusqu ltablissement de lordre institutionnel en 1853, une continuit politique
existe qui dpasse le clivage traditionnel entre hros de lindpendance et caudillos. Cependant,
lanalyse de ce phnomne suscite des interprtations divergentes ; cf. BUCHBINDER Pablo,
Caudillos y caudillismo: una perspectiva historiogrfica , in GOLDMAN Noem,
SALVATORE Ricardo, op. cit., pp. 31-50.
218

Premire partie

Chapitre II

Bonpland, celui-ci reflte les actes de celle-ci plus exactement les non actes et
offre un modle dhistoire transatlantique circulant de lindividu la nation.
Bonpland parvient mal dissocier modle europen et terrains amricains
en nabandonnant pas ses rfrences europocentristes. Certes, il comprend la
logique politique interne dautant mieux quil y participe, et reconnat pour le
mme motif lautonomie de dveloppement laquelle postule le Ro de la
Plata 871 . Cependant il est probable quen changeant de statut, cest--dire en
prenant conscience de sa condition dimmigr, sdentaire qui remplace celle du
voyageur, nomade et des dangers qui laccompagnent, la reprsentation se
transforme aussi, celle de la France sidalisant tandis que son apprentissage
politique lamne mieux connatre le Ro de la Plata et savoir utiliser le
langage et les pratiques politiques de cette rgion. Son discours sadapte
finalement cette ralit. Il participe ainsi la construction dune forme
damricanisme politique originale proche de celle qui simpose partir de 1852,
idologiquement en demande doutils europens qui lui permettent de construire
un difice politique adapt aux pratiques amricaines.

871

Reconnaissance de la dissociation des priorits des deux mondes que Bonpland apprend ses
dpens, puisque ses propositions de mise profit des produits rioplatenses principalement pour
les colonies franaises demeurent lettre morte pendant vingt ans. En 1853, le ministre de la
Guerre sollicite les mmes produits qui pourrissent depuis 1832 au Musum. Bonpland, amer,
constate : Ctait depuis longtemps prvu lorsque jai reu la demande quon madresse
seulement aujourdhui. [...] Aujourdhui, on demande par hasard les mmes graines que jenvoyais
de mon propre mouvement , Bonpland Humboldt, Montevideo, 25 janvier 1851, cit in HAMY
Jules Thodore Ernest, op. cit., p. 182.
219

CHAPITRE III
Des amricanismes rioplatenses (1799-1858)

INTRODUCTION
Plusieurs formes damricanismes sont cres selon laire culturelle au
sein de laquelle ils se dveloppent. Dans le cas du Ro de la Plata il se construit
partir de 1808, lorsque le cordon politique est rompu vis--vis de lEspagne. Cet
amricanisme, destin remplacer lunit coloniale originelle, se rattache
toutefois elle par lintermdiaire des racines colombiennes, dfaut de vestiges
prcolombiens suffisamment signifiants pour les Rioplatenses. Ce processus de
rattachement un pass mythique est bien connu et analys autant en France
quen Amrique latine. Hormis les rvoltes rprimes la fin du XVIIIe sicle
plus prcoces mais non moins signifiantes, le mouvement dmancipation
hispano-amricain connat ses prmices dans la vice-royaut du Ro de la Plata.
En 1816, le choix queffectue Bonpland de venir implanter une tradition
scientifique dans la capitale de la vice-royaut, alors que dautres possibilits lui
sont offertes, est rvlateur de lantriorit du processus amricaniste rioplatense.
Cet aspect chronologique est important car elle fait du Ro de la Plata un espace
de rfrence et un modle fondateur qui sinscrit dans lhistoire de la construction
des nations hispano-amricaines.

Premire partie

Chapitre III

Dans dautres aires, le cheminement vers une identit est plus tardif ou
utilise dautres symboles et dautres chemins pour se forger 872 . Laire lusophone
utilise des rfrences diffrentes hrites de lanimosit sculaire entre le Portugal
et le Brsil. La geste artiguista 873 est la premire tentative de construction
politique transnationale amenant au conflit entre hispaniques et lusophones. Cette
confrontation des aires culturelles est la composante initiale de la formation des
nations rioplatenses 874 , la construction politique brsilienne prsentant trs tt une
forme de stabilit et dhomognit plus aboutie 875 . La place occupe par
Bonpland dans ce processus est dautant plus significative quil propose un
modle transnational extrmement difficile construire.
Le rle de lEurope est bien sr important. Lacte de reconnaissance des
indpendances quelle leur octroie participe laffirmation identitaire amricaine,
tout comme les confrontations engendres par le Vieux Continent. L encore les
interactions sont multiples selon les acteurs politiques, les deux principaux que
sont la Grande-Bretagne et la France diffrant leur approche selon leurs intrts
rciproques. A lintrieur de ce cadre transatlantique, la micro-histoire laquelle
se rattache Aim Bonpland fournit des donnes qui permettent de linsrer dans la

872

Il est impossible de citer ici lensemble des travaux mens au sujet de la construction identitaire
hispano-amricaine. A la suite de Nathan Wachtel propos du Prou, les chercheurs ont dmontr
quau Mexique, terrain privilgi des recherches amricanistes franaises, les processus
identitaires se dveloppent par le biais du mtissage entre les cultures croles et indiennes ; cf.
WACHTEL Nathan, La vision des vaincus. Les Indiens du Prou devant la Conqute espagnole,
1530-1570, Paris, Gallimard, 1992 (1971) ; ALBERRO Solange, Les Espagnols dans le Mexique
colonial. Histoire dune acculturation, Paris, Armand Colin, 1992 ; GRUZINSKI Serge, La
pense mtisse, Paris, Fayard, 1999. Ces mtissages sont plus difficilement identifiables pour la
socit rioplatense, laquelle se construit en excluant en grande partie la culture indienne.
Cependant, le Nordeste argentin offre un terrain de recherche fcond ce sujet dans la mesure o
le mtissage est plus prsent, quil concerne les religieux jsuites, les Indiens ou les lusophones.
873
Jos Gervasio Artigas (1754-1850), hros national uruguayen, mne une insurrection contre
lEspagne partir de 1811. Il devient lune des figures du fdralisme, dfendant les droits des
provinces rioplatenses de lintrieur contre les pouvoirs de Buenos Aires. En incluant les Indiens
dans les structures politiques quil esquisse, Artigas se dtache invitablement des projets de ses
contemporains. Vaincu par les forces unitaires, il sexile en 1820 au Paraguay o il passe les trente
dernires annes de sa vie.
874
Notre propos nest pas de nous placer dans une vision de choc des civilisations, mme si ce
point de vue mrite dtre dbattu. Au contraire, comme cest par ailleurs le cas avec la
confrontation entre la Confdration Argentine et lEurope, notre analyse est transculturelle. La
dimension conomique transnationale entre les aires lusophones et hispaniques montre, par
exemple, quil ne sagit pas simplement de chocs mais aussi dinterpntrations et dmulations.
875
La guerre des Farrapos dment cette affirmation, beaucoup dautres exemples pouvant appuyer
un dmenti ce sujet. Cependant, laire culturelle brsilienne prsente une unit appuye sur un
systme politique cohrent entre 1810 et 1850 nettement plus solide, car dans le mme temps les
projets politiques multiples voqus lors des chapitres prcdents dans le cas du Ro de la Plata
sont autant de fractures se propageant jusqu la plus simple unit de la structure sociale, savoir
le clan.
221

Premire partie

Chapitre III

construction de lamricanisme politique moderne, cest--dire tel quil se dessine


partir des annes 1840 entre le Ro de la Plata et lEurope. La fin de la Guerra
Grande permettant de donner une impulsion cette construction ; il sagit
danalyser grce aux donnes lgues par le naturaliste lidentit amricaniste qui
se construit ce moment.
Pour cela, lexamen de la position sociale et culturelle interne dans le
cadre gopolitique rioplatense du Franais permet dclaircir dans un premier
temps sa participation en tant que rflecteur dun amricanisme en formation et
son affirmation comme recours et modle ltude de ce phnomne. Sa position
externe vis--vis de la France et de lEurope le situe l encore au cur du
processus amricaniste transatlantique qui se fait jour. Dans les deux situations, il
sagit dun positionnement priphrique, dans le sens o il nest pas au centre des
rseaux de sociabilits qui impriment cette construction. Cependant il exerce une
influence chelle rduite ; lapproche micro-historique permet de dgager des
discours et des actes exerant une influence sur des constructions politiques de
plus vaste amplitude. Il sagit presque de rtro-histoire, car au cours de cette phase
les discours et les actes transatlantiques rappellent ceux produits au cours de la
dcennie 1810. Pour Bonpland, il sagit de la concrtisation du programme dfini
ds avant son dpart ; cest en somme autant un bond en avant quun retour en
arrire. Aussi il savre ncessaire dans un dernier temps de raliser une
nomenclature des structures dfinissant lamricanisme du Franais intgrant la
geste indpendantiste et la geste patriotique. Cette synthse amricaniste permet
de clore lanalyse de la dimension politique de ce qui peut tre qualifi de geste
transnationale pour le Ro de la Plata.

A. LES DISCOURS DES VAINQUEURS


Lantirrosismo triomphe le 3 fvrier 1852 lors de la bataille de Caseros,
inversant le rapport de force entre Buenos Aires et la Confdration Argentine
mais ne rglant pas le problme de la construction nationale avant le rattachement
de la capitale portea la nation, intervenue une fois encore par les armes
Pavn en 1861. Aussi lemploi du pluriel apparat-il le plus appropri pour

222

Premire partie

Chapitre III

qualifier les discours politiques qui se mettent en place sous lgide de vainqueurs
dsunis entre ces deux batailles. Aim Bonpland nassiste pas la conscration de
lunit argentine, dcdant alors que les conflits auxquels participent certains
Correntinos opposent les Porteos aux Provincialistes suivant lancien schma
sappuyant sur de nouvelles formes de sociabilits politiques 876 .
Durant le cours laps de temps compris entre 1852 et 1858, le naturaliste
dploie une grande nergie afin profiter du calme dont jouit la province de
Corrientes sous ladministration du gouverneur Juan Pujol cessant sa mort en
1861 877 et de la libert de navigation sur lUruguay pour affirmer son discours
amricaniste et dcider de son enracinement correntino. Il dispose de lexprience
et du recul ncessaire pour aborder les questions politiques dun point de vue
scientifique ; en cela il devient un amricaniste avant que ce mot ne revte sa
signification actuelle. La notion damricanisme au sens politique tant forge au
cours des annes 1840 en Amrique il apparat dun point de vue rioplatense
amricaniste, tant un des nombreux participants aux discours des vainqueurs
forgs notamment par Sarmiento, utilisateur de ce nologisme en 1845 878 . Ces
discours sont multiples selon les aires culturelles et les aires de sociabilit. A ce
titre, Bonpland aide les lire selon les chelles provinciales, nationales et
transnationales.

1. Amricanisme et provincialisme : les discours priphriques


Lge ainsi que lenracinement social et terrien du naturaliste ne
lempchent pas de dployer une grande activit sociale et politique avant tout
lchelle provinciale. Le 2 juillet 1852, le gouverneur Benjamn Virasoro alors
Buenos Aires est dmis de ses fonctions par le Congrs de Corrientes qui laccuse
de despotisme et de tyrannie. Le 11 juillet, aprs la nomination de trois
gouverneurs successifs, Juan Pujol assume finalement cette fonction 879 . Les luttes
internes se poursuivent nanmoins, la correspondance entretenue entre le Franais
et Gregorio Valds faisant apparatre un climat dincertitude qui perdure jusquen
876

Cf. GONZALEZ BERNALDO Pilar, op. cit., pp. 252-263.


Cf. ZINNY Antonio, op. cit., pp. 73-75.
878
SARMIENTO Domingo Faustino, op. cit.
879
Cf. PUJOL Juan, op. cit., tome 2, pp. 58-59, 73-74.
877

223

Premire partie

Chapitre III

juillet 1853, lorsquun second soulvement est rprim Corrientes 880 . Aprs
Ferr, cest Juan Pujol qui incarne le cheminement correntino vers la stabilisation
politique au cours des annes 1850.
A loccasion de ces tentatives de pronunciamiento, le jeune gouverneur
fait part dune autorit laquelle beaucoup ne sattendent pas. Pour cette raison,
Bonpland est sr que M. Pujol sera de nouveau lu 881 . En effet, depuis
Montevideo, le diplomate Lucien de Brayer demande Bonpland de fliciter
Pujol pour sa rlection la tte du gouvernement de Corrientes intervenue au
dbut de lanne 1854. La bonne nouvelle que Brayer nesprait pas savre tre
un grand pas vers la consolidation de ldifice social . Plus que le fruit du
bon sens des concitoyens de Pujol 882 , cette lection rsulte avant tout dune
lgitimit politique acquise par le rtablissement de lordre 883 , mais aussi de sa
politique de prsence et de la propagande ralise durant les deux premires
annes de son mandat, et qui malgr les critiques de quelques libraux 884 lui
permettent daccder au ministre de lIntrieur de la Confdration en 1859.
Avant cela, Pujol devient en 1854 le premier gouverneur constitutionnel de la
province de Corrientes 885 depuis Bern de Astrada et le dbut de la Guerra
Grande.

Enracinement provincial et sensibilit amricaniste


En 1853, ce sont les discours et les actes de Juan Pujol qui dcident Aim
Bonpland sinstaller dfinitivement Santa Ana. Ce dernier prend ses
880

AMFBJAD n 254, G. Valds Bonpland, Corrientes, 21 juillet 1853. Un premier soulvement


dirig par Jos Antonio Virasoro a lieu au mois de fvrier afin de rtablir son clan au pouvoir. Il
est rprim par le gnral Cceres, cart de son commandement par Pujol qui le juge trop
ambitieux. Effectivement, le militaire prpare un pronunciamiento que Pujol touffe grce
larrestation de 42 notables correntinos.
881
Bonpland F. de Vasconcellos, Montevideo, 10 dcembre 1853, cit in HAMY Jules Thodore
Ernest, op. cit., p. 167.
882
AMFBJAD n 520, L. de Brayer Bonpland, Montevideo, 20 fvrier 1854.
883
Bonpland F. de Vasconcellos, Montevideo, 10 dcembre 1853, cit in HAMY Jules Thodore
Ernest, op. cit., p. 167.
884
Dont le percepteur du fils an de Bonpland, Louis Marceaux ; cf. AMFBJAD n 703, L.
Marceaux Bonpland, Restauracin, 22 novembre 1857.
885
Juan Pujol est lauteur de la Constitution provinciale tablie en accord avec la Constitution
nationale labore aprs la chute du rgime rosista ; cf. GOMEZ Hernn Felix, Vida pblica del
Dr Juan Pujol. Historia de Corrientes de marzo 1843 a diciembre 1859, Buenos Aires, J.
Lajouane & Cia, 1920, pp. 193-202.
224

Premire partie

Chapitre III

dispositions au cours dun voyage Montevideo lui permettant de revoir aussi,


pour la premire fois depuis 1820, Buenos Aires. Il part le 8 mai 1853 de So
Borja et revient le 25 mars 1854 Santa Ana, rsidant plusieurs mois
Montevideo puis quatre jours Buenos Aires avant de reprendre le chemin de
Corrientes. Son passage dans la ville portea ressemble plus un plerinage qu
un vritable ancrage lui permettant de consolider une base de sociabilit
amricaniste ou transatlantique. Le centre de ces sociabilits se trouve dsormais
dans la priphrie correntina.
Sappuyant sur les rseaux mis en place depuis So Borja au cours des
annes 1840, Bonpland sinstalle Santa Ana do il se doit dtre prsent pour
diriger ses activits conomiques et partir de laquelle il peut communiquer plus
facilement avec lensemble des villes-ports. La situation priphrique dans
laquelle il se situe lui permet nanmoins dtre au centre dun vaste rseau de
sociabilits, lequel demeure efficace malgr sa distanciation spatiale. Cette
attitude est significative du lien entre provincialisme et amricanisme tel quil se
dveloppe au cours des annes 1850, la province devenant capable de se connecter
directement avec les villes atlantiques et avec lEurope. La sensibilit
amricaniste telle quelle se dfinit et que Bonpland prouve Corrientes place la
campagne au centre de la civilisation argentine, comme le montre les liens entre
amricanisme et nationalisme analyss par la suite. Avant cela, il sagit dtudier
le processus interne la priphrie correntina auquel Bonpland participe, fait
nouveau, en accdant des fonctions administratives officielles.
En effet, si linstar de ses prdcesseurs, le gouverneur Pujol demande la
venue du savant dans la province ds sa prise de pouvoir 886 , les projets politiques
dvelopps par Pujol concident avec ceux de Bonpland. Il sagit dune attraction
rciproque entre les deux hommes pouvant se concrtiser grce la construction
dun ordre social provincial prenne. Pour cela Pujol sappuie sur le savant de
plusieurs faons. Trois projets constituent les piliers de la politique correntina et
rpondent aux sensibilits amricanistes du Franais.
Le premier aspect, la fois scientifique et ducatif, intervient le 10 octobre
1854 lorsque Bonpland est nomm Directeur en Chef de lExposition Provinciale

886

AMFBJAD n 65, J. Pujol Bonpland, Restauracin, 18 novembre 1852.


225

Premire partie

Chapitre III

Permanente de Corrientes 887 . Cette institution a deux fonctions, lune tant de


promouvoir les sciences naturelles lintrieur du cadre provincial et de faire de
Corrientes un modle de laboratoire pratique. Elle constitue une base sociale
cohrente concernant la mise en place dun ordre ducatif provincial. Lautre
fonction, celle pour laquelle Pujol dcide de sinvestir, est initie par lautorit
nationale qui le sollicite afin de faire connatre les produits argentins en Europe.
Le futur Muse possde donc une dimension double, la fois provinciale et
transatlantique. Il rassemble les intrts dfinissant lamricanisme comme une
idologie en action ayant pour finalit le dveloppement dinteractions culturelles.
En ce sens, la micro-histoire des sociabilits savre lie directement la macrohistoire dune science en gestation 888 .
Le second aspect concernant la construction dun ordre social provincial
cohrent repose sur lconomie. Les changes et les rencontres entre Pujol et
Bonpland font apparatre l encore une conjonction dides principalement autour
de la valorisation des yerbales. La nomination de Bonpland en tant quInspecteur
Gnral des yerbales correntinos intervient aprs quil propose de nouveau
Pujol, en 1854, de dvelopper ce quil considre comme une mine inpuisable. En
outre, le savant ne se limite pas cet unique aspect du dveloppement
conomique ; il intervient dans tous les domaines en relation avec les rgnes
vgtaux et minraux de la province. Concrtement, il multiplie les envois de
graines et de plants et inspecte les environs de La Cruz o des rumeurs circulent
sur la prsence dune mine de mercure. Les bnfices en retirer concernent l
encore la province comme les liens avec lEurope, la valorisation du territoire
passant par son peuplement europen ; le positionnement amricaniste saffirme
grce la consolidation de lordre conomique.
Enfin une dernire srie dactions imprime au projet correntino une
cohrence territoriale au travers de la consolidation de ses frontires. Cette
thmatique est ancienne et rejoint celles de lconomie, du peuplement et de
lducation par la recherche dune consolidation identitaire passant par la mise en
place dun contrle des actions menes depuis les provinces et les Etats voisins.
En septembre 1851 un membre de la famille Perichn, proche de Bonpland, est

887

AMFBJAD n 73, nomination de Bonpland en tant que directeur en chef de lExposition


Provinciale Permanente, Corrientes, 10 octobre 1854.
888
Lhistoire de la cration de lExposition Permanente est relate dans le dtail pp. 781-806.
226

Premire partie

Chapitre III

nomm receveur Goya, mesure urgente selon Derqui au vu des abus de la


contrebande 889 . En 1852, le Brsil est souponn de vouloir viter une alliance du
Paraguay avec lArgentine pour sriger en arbitre entre ces deux pays 890 .
Postrieurement, le gouvernement correntino est dpendant du conflit entre le
Brsil et le Paraguay. Il ne peut agir par exemple contre lincursion de troupes
brsiliennes rgulires sur son territoire. La loi douanire du 3 octobre 1853
accompagne les actions entreprises depuis deux ans, cette consolidation des
douanes tant lgalement reconnue mais difficile faire respecter 891 .
Juan Pujol se veut confiant quant la rsolution du conflit ; il pense quun
arrangement pacifique est possible entre eux et raffirme plusieurs fois
Bonpland que malgr les attitudes belliqueuses comprhensibles, selon lui, dans
la mesure o elles permettent de renforcer les positions diplomatiques respectives,
le conflit doit se rgler sans les armes. Cet optimisme, partag logiquement par
des colonisateurs tel quAuguste Brougnes comme par le vieil migr dsabus
quest Roguin, est loin de ltre par Bonpland qui voit les mouvements de troupes
la frontire brsilienne comme les prmices dune prochaine entre en
campagne 892 . Pourtant jusqu la veille de sa mort les nouvelles confirment un
embellissement des relations argentino-brsiliennes 893 .
Lunique mesure immdiatement envisageable demeure le meilleur
contrle des yerbales pills par ces voisins encombrants, en attendant une
rsolution du diffrent paraguayo-brsilien 894 . La question des provinces
frontalires et de lUruguay tant rgle depuis Caseros et les revendications
paraguayennes tant provisoirement attnues 895 , les Brsiliens constituent en
1854 le principal danger dans la mesure o ils sinstallent sur les terres misioneras
correntinas afin dy cultiver la yerba mate. Bonpland dnonce minutieusement au

889

PUJOL Juan, op. cit., tome 1, p. 164.


S. Derqui J. Pujol, Corrientes, 9 janvier 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, pp. 20-22.
891
PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 178.
892
sil y a matire rompre il y aura matire renouer, recommencer les dtes ngociations sur
de nouvelles bases. La guerre ne convient ni lun, ni lautre des deux pouvoirs belligerants ,
AMFBJAD n 1028, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 1er avril 1855.
893
AMFBJAD n 707, L. Marceaux Bonpland, Restauracin, Goya, 28 fvrier 1858.
894
AMFBJAD n 82, Bonpland J. Pujol, Restauracin, 11 janvier 1855.
895
Le contentieux portant sur le territoire des Missions est rgl en juillet 1852 par la mission
Derqui mene au Paraguay. La libre navigation est acquise, lindpendance du Paraguay reconnue
par lArgentine et les Missions intgres ce pays, contre la volont du Brsil dsireux de
conserver les Missions au Paraguay et le Paraguay sous sa coupe ; cf. les lettres de Derqui Pujol,
Asuncin, 12 juillet et 15 septembre 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, pp. 69-70, 142-145.
890

227

Premire partie

Chapitre III

gouverneur ces pratiques et demande une intervention, autant au nom du principe


de souverainet que pour empcher des pratiques juges criminelles :
Il se trouve actuellement San Javier une dizaine de Brsiliens [], sans
compter les ouvriers []. On massure plus encore, cest quils sont l
avec lassentiment dune autorit correntina, quils possdent des fermes
et mme que lun dentre eux tient le rle de Commandant. [] Du fait
de cette manire de travailler les sept yerbales immenses que jai visit
dans toute leur splendeur aux alentours de San Angel se sont perdus,
ainsi que rcemment le yerbal de Santo Cristo qui semblait
inpuisable.

896

Bonpland se rfre explicitement la complicit des commandants de


Santa Cruz et Santo Tom, qui sont rappels leur devoir par Pujol sans rsultat
aucun. La difficult contrler ces points conomiquement primordiaux est sans
cesse rappele Pujol par Bonpland 897 . Il manque des hommes capables de
rtablir lordre 898 , dplore le Franais qui estime 240 000 arrobes la yerba
rcolte sur les terres de San Javier en 1855. Les producteurs sont parfaitement
connus, la famille Huergo notamment qui possde une fabrique Itaqu. Pujol
envoie Francisco Surez inspecter les forts, mais contrairement Bonpland il ne
constate pas dexploitation illgale 899 . Bonpland sert dans ce domaine de relais et
dinformateur 900 . En 1857, il appuie sa critique en affirmant quen suivant ses
recommandations, la province de Corrientes disposerait dors et dj dun quasi
monopole sur cette branche de commerce 901 .
La question frontalire rejoint ici les questions culturelles et conomiques,
lordre social voulu par Pujol et Bonpland reposant sur ces trois piliers.
Concernant la consolidation frontalire, provincialisme et amricanisme se
896

Se hallan actualmente trabajando en San Javier como diez brasileos [], sin contar los
peones []. Me aseguran ms, es que se hallan all con la anuencia de una autoridad correntina,
que tienen ranchos y aun que uno de ellos hace de Comandante.[] As es que por este modo de
trabajar se han perdido los siete yerbales inmensos que he visitado en todo su esplendor en las
inmediaciones de San Angel y recientemente el yerbal que pareca inagotable de San Cristo. ,
Bonpland Pujol, Santa Ana, 31 dcembre 1854, in PUJOL Juan, op. cit., tome 4, p. 308.
897
Cf. par exemple AMFBJAD n 82, Bonpland J. Pujol, Restauracin, 11 janvier 1855 ; PUJOL
Juan, op. cit., tome 5, pp. 136-137.
898
Faltan hombres capaces , in ibid., p. 138.
899
Ibid., tome 6, pp. 172, 217.
900
En mai 1856 il remet Pujol le supplment au commentaire de la loi douanire uruguayenne
rdig par Louis Mathieu ; le 20 juillet 1857 il lui fait part de la satisfaction provoque
Restauracin par la nomination du nouveau juge de paix, surtout parmi la classe riche des
commerants et des carcamales [vieilles peaux] , in PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 123 et
tome 7, p. 100.
901
PUJOL Juan, op. cit., tome 7, p. 156.
228

Premire partie

Chapitre III

rencontrent travers les enjeux identitaires gnrs par le gouvernement de Pujol.


En effet, sa politique de consolidation provinciale sappuie sur une souverainet
territoriale qui consolide et redfinit les limites des interactions culturelles et
politiques. Le cadre dans lequel sinscrivent toutes ces actions et sur lequel
reposent les piliers sociaux analyss est gographiquement centr sur les
Missions. Nanmoins, la dimension nationale du projet port par Pujol permet
Corrientes de passer dun statut dEtat-frontire celui de province nationale.

De lEtat-frontire la province nationale


Aprs lordre, lunit apparat comme un socle fondamental dans la
construction politique correntina. Il sagit de faire passer Corrientes dun statut
dEtat-frontire isol une province nationale intgre. Au nom de ce principe
dunit, Pujol demande en 1851 lindpendance et la souverainet confisque par
ladministration portea et dont la libre navigation est une consquence logique
crit-il Pedro de Alcantara Bellegarde, ministre plnipotentiaire du Brsil 902 . Or,
Corrientes est la cl de vote fluviale 903 de lunit, la base provinciale du pouvoir
sappuyant selon Vicente Fidel Lpez 904 sur laxe Buenos Aires-Entre RosCorrientes, les autres provinces ntant pas suffisamment puissantes pour
sopposer cette alliance 905 . La contradiction de la thorie de Lpez rside dune
part dans linstauration dune hgmonie politique ignorant la majeure partie des
provinces, dautre part dans linclusion de Buenos Aires dans une alliance
provinciale, par nature contraire aux intrts et lidentit de la ville portea
fortement anti-provinciale dans les termes la dnomination dArgentin rserve

902

PUJOL Juan, op. cit., tome 1, p. 159.


Le Paran et lUruguay forment cette cl de vote gographique, lEntre Ros en constitue les
piliers et Buenos Aires la base.
904
Vicente Fidel Lpez (1815-1903) tudie le droit puis participe au mouvement antirrosista de la
Generacin de 1837, ce qui le force sexiler au Chili en 1840. Il y frquente Sarmiento et
Alberdi pendant quatre ans puis se rend au Brsil et Montevideo pour simpliquer activement
dans lopposition au rosismo. De retour Buenos Aires en 1852, il est nomm ministre de
lInstruction Publique de la Confdration. En 1868, aprs une priode de retrait de la vie
politique, Lpez occupe les fonctions de recteur de lUniversit de Buenos Aires et joue un rle
central dans les gouvernements successifs, particulirement en matire de politique financire.
Romancier et historien, son ouvrage majeur dans ce dernier domaine concerne lhistoire de
lArgentine.
905
V. F. Lpez J. Pujol, Montevideo, 7 janvier 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 14.
903

229

Premire partie

Chapitre III

aux habitants de Buenos Aires, est revendique partir des annes 1830 par les
provinciaux, surtout les Correntinos 906 .
Afin dasseoir la lgitimit du gouverneur sur des bases solides et viter
ainsi un renversement, une politique de prsence savre indispensable
lexercice du pouvoir, elle le personnifie mieux que ne saurait le faire une
constitution, comme le dit Vicente Fidel Lpez Pujol ds le dbut de lanne
1852 907 . A cet gard, le Rio Grande do Sul peut avoir servir dexemple Pujol car
aprs la fin de la guerre des Farrapos le couple imprial entame le 6 octobre 1845
un tour pour lgitimer son pouvoir. Suivant en outre les conseils de Lpez et de
Bonpland, Juan Pujol parcourt avec succs le territoire plac sous son mandat si
lon en croit les observations du Franais au dbut de lanne 1855. En effet, aprs
avoir longtemps souhait et demand la venue du gouverneur Restauracin,
Bonpland constate que celle-ci produit la disparition presque totale des opposants.
Si le Franais se fait le porte-parole du gouverneur auprs des habitants, il
lencourage nanmoins ritrer ses visites dans cette zone de la province, et ce
malgr la bonne opinion de la majorit des habitants son gard 908 afin
dentretenir sa popularit 909 .
La presse est un autre pilier de lunitarisme ; elle a pour but de toucher les
responsables politiques alors que les visites ont pour rle dimprgner les
sensibilits publiques par capillarit. En labsence dune imprimerie correntina en
1851, Derqui sadresse au rdacteur bonaerense de lIris Argentino et initiateur de
la Generacin del 37 Marcos Sastre, pour publier un article concernant la libert
de navigation 910 . Encore faut-il que cette presse soit suffisamment soumise aux
nouveaux dirigeants, ce qui nest pas le cas aprs la chute de Rosas. Les opposants
Pujol utilisent quant eux La Organizacin afin dattaquer le nouveau rgime.
Malgr la virulence des attaques, toute censure est impossible mettre en place.
Tout au plus les antirrosistas essayent dempcher larrive de journaux de

906

Cf. CHIARAMONTE Jos Carlos, Ciudades, provincias, Estados : orgenes de la Nacin


Argentina (1800-1846), Buenos Aires, Ariel, 1997, pp. 231-242.
907
V. F. Lpez J. Pujol, Montevideo, 8 janvier 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 17.
908
Bonpland J. Pujol, 21 fvrier 1855 et 20 juillet 1857, in PUJOL Juan, op. cit., tome 5, p. 32 et
tome 7, p. 100.
909
Les visites sont inscrites comme une obligation dans la constitution de 1854. Antonio Zinny
recense sept dlgations du pouvoir de la part de Pujol durant ses mandats, trois afin de soumettre
des rbellions et quatre afin de visiter la province ; ZINNY Antonio, op. cit., p. 75.
910
S. Derqui J. Pujol, Santa Catalina, 6 novembre 1851, in PUJOL Juan, op. cit., tome 1, pp.
190-191.
230

Premire partie

Chapitre III

Buenos Aires jusqu Corrientes, o de nombreux notables sont favorables


Rosas, puis contre lorganisation quimpose Pujol qui les prive de leur
influence 911 .
Pour dvelopper lorganisation provinciale, la presse qui se dveloppe au
cours des annes 1850 Corrientes constitue un apport fondamental
lintgration nationale de la province. Pujol met profit la reprise des
communications avec Montevideo, en octobre 1851, afin de faire venir le matriel
ncessaire ltablissement dune imprimerie 912 . Mais la libert dexpression
initiale qui permet au parti dEulegio Cabral dutiliser le nouvel organe priodique
La Opinin afin dattaquer Pujol est peu peu restreinte au nom du patriotisme et
de la civilisation 913 . Cette publication devient peu peu un outil de propagande au
service de Pujol, le tmoignage dun compatriote nouvellement arriv expliquant,
comme vous le savez, crit-il Bonpland, que ce nest quun journal
dinsolences et degoutant a lire , occultant ce qui se produit rellement 914 . Pour
sa part, Bonpland note l amlioration des journaux, dun point de vue formel
comme dans leur contenu ; cette presse doit selon lui occuper une place
distingue dans la bibliothque de tous les hommes aimant le pays et sa
prosprit 915 . Le contenu favorable Pujol est approuv par le Franais au nom
du bien commun et de la paix. En effet, prcise-t-il, les crits du gouverneur lui
ont dj permis par deux fois de convaincre Urquiza que sa plume a plus deffet
que les armes 916 .
Car si Juan Pujol sappuie sur une politique de rconciliation provinciale,
parvenant runir la majorit des clans pour gouverner 917 , la concorde nest pas
seulement un discours servant le provincialisme. Il sagit dune vision patriotique
prenant appui sur un processus de construction nationale, comme le montre le

911

En juillet 1852, ce groupe contrle le gouvernement correntino. Leur discours, qualifi de


rosista par Derqui, rpercute les bruits dun tat insurrectionnel Buenos Aires, dun
dsaccord des provinces, du risque de guerre avec le Brsil et lUruguay ; S. Derqui J. Pujol,
Corrientes, 24 octobre 1851 et 12 juin 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 1, pp. 180-181 et tome
2, pp. 53-54, 60-62.
912
D. Urquiza J. Pujol, Montevideo, 26 octobre 1851, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 185.
913
Fonseca S. Derqui, Corrientes, 26 avril 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 37.
914
AMFBJAD n 700, L. Marceaux Bonpland, Corrientes, 9 aot 1857.
915
debe ocupar un rango distinguido en la biblioteca de todos los hombres amantes del pas y de
su prosperidad , in PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 88.
916
Cf. ibid. et tome 7, p. 100.
917
Cf. CRUZ JAIME Juan, op. cit., pp. 28-29.
231

Premire partie

Chapitre III

mandat quil effectue en tant que ministre argentin de lIntrieur 918 . Pour cela, il
sentoure de collaborateurs capables de mener bien ce projet parmi lesquels
Grgorio Valds figure comme son bras droit. La rencontre entre les deux
hommes se droule linitiative de Bonpland en novembre 1852 alors que Valds,
ayant soutenu les Madariaga alors adversaires du nouveau gouverneur, se trouve
rfugi So Borja. Le Franais pousse Valds proposer ses services au
gouverneur en profitant des liens entretenus au cours des annes 1840 entre
Valds et Urquiza ainsi quen usant de son prestige personnel 919 .
Ce geste de rconciliation provinciale entre Valds et Pujol en appelle
dautres visant en finir avec les divisions claniques provinciales ranimes aprs
la victoire des troupes correntinas, entrerrianas et brsiliennes contre Rosas et le
soulvement porteo qui couve partir de juin 1852 avant de senflammer le 11
septembre. Car en juillet 1852 le retour dun certain calme interne nempche pas
le contrle du gouvernement par un groupe proche des ides dfendues par Rosas.
Aussi Pujol doit-il les affronter Corrientes et les empcher dobtenir un soutien
depuis Buenos Aires o sont stationnes leurs forces. Il parvient exclure les
Madariaga et les Virasoro de la province afin de consolider une sociabilit
politique en accord avec son projet fdral, ce travail ne pouvant seffectuer que
sur le long terme afin denraciner la Civilisation Argentine 920 dans un terreau
provincial fertile dfini par Bonpland comme un patriotisme clair 921 .
Sil se trompe sur les causes du mouvement porteo qui relve de la
question de larticulation politique entre la province et la patrie, Bonpland est en
revanche trs bien inform sur ses consquences, en particulier sur lmergence

918

Pour cela, la presse correntina sert son projet national ; cf. GALIANA Enrique Eduardo, La
Prensa Correntina como Grupo de Presin del Federalismo Argentino y la Constitucin
Nacional , in GALIANA Enrique Eduardo, Temas de Historia, vol. II., 1998, pp. 89-126.
919
Los ausentes pierden siempre. [] Urquiza mi parecer, debe recordar se mucho las
conferencias de xxx y pienso qe. V. debe ya tener en el un buen amigo. , BCNBA, Bonpland G.
Valds, So Borja, 21 aot 1852. Il sagit probablement de Vicente Montero, neveu et associ
dUrquiza avec lesquels Valds confre en 1841 avant de rejoindre les Madariaga en 1842 ; cf.
AMFBJAD n 25 et, 253, G. Valds Bonpland, 9 et 18 novembre 1852.
920
Ce terme de Civilisacin Argentina est contenu dans une lettre de Vicente Fidel Lpez
adresse Pujol depuis son exil de Montevideo, le 8 janvier 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2,
p. 18.
921
Bonpland dfinit ce patriotisme clair fait de caractre et de fermet au service du
bien du peuple . A cette condition, explique-t-il, Corrientes [aura] devant elle une longue
priode de paix , Bonpland F. de Vasconcellos, Montevideo, 10 dcembre 1853, cit in HAMY
Jules Thodore Ernest, op. cit., p. 167.
232

Premire partie

Chapitre III

dun mini-Etat 922 au nord-est, ce qui signifierait un retour une configuration


politique post-indpendantiste. En effet, Pujol et Urquiza sont prts en octobre
1852 exclure Buenos Aires de la Confdration et, le cas chant, former un
Etat indpendant 923 , cette fusion de Corrientes et de lEntre Ros ressuscitant la
rpublique entrerriana du gnral Ramrez. Ce mouvement vers la reconstitution
de mini-Etats ou Etats-provinces 924 signifie pour Corrientes le risque dun
retour un statut dEtat-frontire, en mme temps quil indique que laspect
rgional est toujours prdominant malgr la disparition de Rosas. Il sofficialise
dans les termes politiques, laffrontement entre les partis provincialistes et
porteos sajoutant celui entre unitaires et fdralistes. Aussi les sociabilits
politiques consolides pendant la priode rosista rendent plus difficile la
rconciliation aprs le dpart de Rosas.
Les constats de Bonpland et de ses correspondants montrent un
changement des sociabilits politiques avec le gouvernement de Pujol. Cette
volution peut tre constate depuis les annes de gouvernement de Pedro Ferr,
Bonpland ayant dj propos cette pratique politique son ami sans quelle puisse
tre mise en place cause de linstabilit politique globale du Ro de la Plata et
des luttes intra-claniques. Or, dans un contexte politique apais et malgr les
tentatives de pronunciamiento, le jeune gouverneur parvient insrer la province
quil dirige dans le cadre de la Confdration. Plus exactement, les tentatives de
putsch ainsi que les projets de mini-Etats ne se concrtisent pas en raison de
lvolution des sociabilits politiques encore fondes en partie sur le clan mais de
plus en plus produites par des relations individuelles interprovinciales. Si dans les
annes 1840 les sociabilits politiques sappuient aussi sur des personnalits tels
Lavalle et Paz, la dcennie suivante permet dune part lmergence dune
gnration de dirigeants non issus des guerres dindpendance donc moins
marqus par la geste indpendantiste. Dautre part, le processus patriotique qui
sacclre aprs la chute de Rosas permet la mise en place de nouvelles formes de
pratiques du pouvoir constitutionnelles dont Pujol est un archtype.
922

Lexpression mini Estado est emprunte CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op.

cit.

923

J. J. Urquiza et A. Elas J. Pujol, Gualeguaych, 19 octobre 1852, in PUJOL Juan, op. cit.,
tome 2, pp. 202-205.
924
Sur ce concept antrieur celui de mini Estado , lequel en reprend la substance, cf.
CHIARAMONTE Jos Carlos, Mercaderes del Litoral. Economa y sociedad en la provincia de
Corrientes, primera mitad del siglo XIX, Buenos Aires, FCE, 1991.
233

Premire partie

Chapitre III

Avec Pujol, Corrientes connat un processus dintgration nouveau. Si le


rle jou par Bonpland est priphrique, le discours et les actes du Franais
concident avec le modle damricanisme politique propos par Sarmiento,
savoir un amricanisme provincialiste. Certes, en 1852 Derqui met en garde Pujol
contre la crise politique ne de la victoire amene se poursuivre tant que les
intrts locaux subsistent 925 et malgr sa politique de rconciliation et dunit, le
gouverneur doit lutter jusqu la fin de son mandat contre de petits groupes
dambitieux emmens par Eulegio Cabral, Manuel Ferr et Luis Molina mettant
mal les progrs enregistrs par la province 926 . Cependant sa politique permet
Corrientes de rejoindre la nation dont le cur est constitu par les provinces,
membre dun ser politique national caractris par un amricanisme politique
interne fond sur plusieurs strates de sociabilits excessivement difficiles
surpasser.
Le changement de perspective entre 1817 et 1857 correspond un jeu
dchelles 927 dplaant Bonpland de la macro vers la micro-histoire. Mais si les
utopies se ralisent au niveau provincial, elles demeurent signifiantes quant leurs
apports amricanistes. En effet, le modle rioplatense permet de penser la
construction des sociabilits partir de la province, cest--dire depuis un chelon
infrieur mais trs productif en terme de construction dun amricanisme
politique. A Corrientes, le passage dun systme social clanique un systme
intgr la nation participe llaboration dun discours amricaniste sappuyant
sur les interactions entre ambitions personnelles et recherche du bien commun.
Comme le dplore Juan Pujol, lespoir dune rconciliation nationale dcrot avec
le durcissement des conflits partisans.
Au lieu dune soif de lgalit et de mesures salvatrices, il existe une soif
de vengeances et dautres sacrifices

928

crit-il. Lambition lemportant sur la recherche de la prosprit, lamricanisme


se construit sur des bases partisanes.

925

S. Derqui a J. Pujol, 12 aot 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 77.
Bonpland crit que vea con dolor que existan pequeos grupos de ambiciosos que no
ofrecan ninguna seguridad de bienestar , Bonpland J. Pujol, Restauracin, 20 juillet 1857, in
PUJOL Juan, op. cit., tome 7, p. 100.
927
Cf. REVEL Jacques (d.), op. cit.
928
En vez de sed de legalidad y de medidas salvadoras, hay sed de venganzas y de ms
sacrificios , cit in PUJOL Juan, op. cit., tome 1, p. 135.
926

234

Premire partie

Chapitre III

Des utopies indpendantistes aux ralisations amricanistes


Le projet de Pujol concide avec ceux de Bonpland. Ils se compltent et
spaulent mutuellement. Alors que le rseau fluvial uruguayen demeure lartre
de Bonpland ses interlocuteurs changent, les Franais cdant la place aux
Amricains. Dans le mme temps surtout partir de 1855 la nature de la
correspondance de Pujol indique un repositionnement davantage bas louest de
la province, cest--dire prs du Paran et davantage reli aux capitales atlantiques
par ce biais. Ce repositionnement est surtout bas sur la capitale correntina dont
Pujol veut faire un centre politique fort et prestigieux. Comme ses prdcesseurs il
affirme sa volont de construire l des structures efficientes mais il y ajoute une
dimension supplmentaire grce lExposition Permanente projete ds 1852.
Cette institution permet desprer un rayonnement provincial, national et
transatlantique replaant lamricanisme de la priphrie au centre grce
Bonpland.
Cette premire ralisation est suivie dune seconde galement signifiante
tant pour Bonpland qu lchelle macro-historique. En effet, le gouvernement de
Juan Pujol offre au Franais des gages importants de protection fonds sur la
pratique constitutionnelle mise en place Corrientes. Le gage le plus significatif
de cette protection est vot constitutionnellement le 25 novembre 1856 ; il accorde
Bonpland le droit de proprit du terrain quil exploite Santa Ana depuis
1837 929 . Certes, il sagit dune preuve denracinement social vidente, mais aussi
du passage de lutopie la ralisation de projets mdits depuis plusieurs
dcennies. Bonpland devient ce quil esprait la veille de son dpart pour le Ro
de la Plata, savoir propritaire. Cest une victoire personnelle autant quune
reconnaissance communautaire.
Au cours de cette dernire phase de sa vie Bonpland peut faire concider
ses ambitions personnelles avec le bien commun. A travers lExposition
Permanente et sa proprit de Santa Ana il reproduit le cabinet dHistoire
naturelle et le Jardin des plantes non ralis Buenos Aires. A travers son action
en faveur du dveloppement des yerbales quil conjugue avec un projet

929

AGPC, Registro oficial de la Provincia, 1853-1856, loi n 924 concdant au naturaliste


Bonpland la proprit dune terre pour ses services la province.
235

Premire partie

Chapitre III

entrepreneurial 930 il renoue avec le programme stopp par Francia en 1821. Enfin,
lidentification de Corrientes la nation grce la consolidation frontalire
lgitime son discours et ses actes politiques passs ; elle permet de justifier son
choix gographique initial qui est de placer les Missions au centre de ses projets et
den faire un lieu de dveloppement du bien commun. Lnergie dploye par
Bonpland jusquen 1858 931 est la fois le signe dune renaissance et dun
accomplissement.
En observant ce que deviennent les ralisations de Bonpland aprs sa mort
et celle de Pujol, on constate le dclin des projets de valorisation conomique et
scientifique ainsi que la persistance du conflit frontalier vis--vis des Missions 932 .
Le Nordeste sombre de nouveau dans une stagnation de plusieurs dcennies. Les
ralisations du savant ne se maintiennent que le temps du gouvernement de Pujol,
suffisamment fdrateur pour rassembler les principales familles autour de ses
projets, ses successeurs reformant des sociabilits politiques fondes sur la
tradition clanique 933 . Cette parenthse permet tout de mme aux trois enfants
dAim Bonpland, ns au Brsil, dobtenir un hritage autre que nominal. Si nous
ne connaissons pas leur histoire dans le dtail, nous pouvons nanmoins constater
quaucun dentre eux ne se marie avec un membre des clans correntinos ni
naccde des fonctions honorifiques.

2. Amricanisme et nationalisme : les discours centrifuges


Il sagit danalyser les grilles de lecture rciproques du Franais et des
Rioplatenses vis--vis du nationalisme en gestation. En nous fondant sur les
tmoignages de Bonpland, nous voulons dgager loriginalit de son discours par
rapport ses contemporains. Parmi les diffrentes lectures concernant la rgion,
nous disposons de celle de Juan Pujol. Son Introduction lHistoire des partis
politiques de la Rpublique Argentine, bien quinacheve, savre extrmement
930

Cf. BELL Stephen, op. cit., pp. 209-212 ; CAIC, contrat entre Bonpland et F. F. da Silva pour
former une socit agricole, Santa Ana, 22 fvrier 1858.
931
Bonpland Humboldt, 2 octobre 1854 et 7 juin 1857, in HAMY Jules Thodore Ernest, op. cit.,
pp. 189, 214.
932
Cf. KRAPOVICKAS Antonio, Historia de la botnica en Corrientes , in Boletn de la
Sociedad argentina de Botnica, vol. XI, 1970, pp. 229-276.
933
Cf. CRUZ JAIME Juan, op. cit. pp. 29-30.
236

Premire partie

Chapitre III

prcieuse pour aborder la pense dune partie de llite rioplatense vers le milieu
du XIXe sicle. La gnration politique venir, celle organisant la construction
nationale partir des annes 1850, rvle ses incertitudes quant aux valeurs
publiques adopter. A cet gard, la position occupe par Pujol et Corrientes dans
le processus de la construction nationale argentine savre centrale. Le schma
propos par le cercle de Pujol correspond au schma pens par Bonpland depuis
de nombreuses annes, plaant Buenos Aires au centre politique et les provinces
au centre de la civilisation. Jusqu la dcouverte de preuves documentaires
attestant une participation de Bonpland la formation de ce schma politique, il
sagit tout au plus dune concidence de reprsentations puisque Sarmiento et
Lpez, les deux principaux idologues du provincialisme, se trouvent au Chili
jusqu la chute de Rosas 934 .

La question capitale
Tout le problme rside dans labsence de modles prexistants
acceptables. Acceptables, cest--dire quils ne soit ni indignes ni europens mais
amricanistes. La question du modle suivre est pose par Pujol Vicente Fidel
Lpez en 1846 :
de la mme manire que le systme amricain indigne est inapplicable,
celui civilisateur progressiste lest aussi dans sa majeure partie. Dans un
sicle essentiellement de dveloppement intellectuel et matriel,
comment admettre les tendances grossires et rtrogrades ? Au contraire,
comment progresser lorsque limmense majorit supporte un retard qui
est sa condition vitale, son existence mme ? 935

Aprs cinq annes de rflexion, Lpez propose une solution conjuguant tradition
et modernit. Aprs avoir mis en exergue le modle familial, il imagine qu
terme Buenos Aires soit une Municipalit centrale avec des ramifications

934

Aucune source documentaire ne mentionne de contact entre eux et Bonpland.


como es imprcticable el sistema americano indgena, lo es en su mayor parte el civilizador
progresista. En un siglo esencialmente de desarrollo intelectual y material, cmo admitir las
tendencias brutas y retrgradas ? Por el contrario, cmo progresar donde la inmensa mayora
respira atraso, y es su condicin vital, su existencia misma ? , J. Pujol V. F. Lpez, 7 septembre
1846, in PUJOL Juan, op. cit., tome 1, p. 135.

935

237

Premire partie

Chapitre III

dpartementales, supprimant la charge de gouverneur de province 936 . Ce modle


centraliste nous claire sur sa volont den finir avec les particularismes
provinciaux. Le centre politique rioplatense doit tre Buenos Aires, et il doit
irriguer les provinces en supprimant les frontires provinciales.
La pense de Bonpland chemine dans un sens similaire. En effet, il
lgitime en 1817 la prpondrance scientifique portea en y projetant
linstallation dun laboratoire scientifique. En 1832 et 1837, lors des deux sjours
quil effectue Buenos Aires avant la rupture de la Guerra Grande, il attribue un
rle conomique central la ville937 . Enfin, la lgitimit politique bonaerense est
apporte une premire fois en 1840, lorsquil compare la marche de Lavalle sur
Buenos Aires celle de Napolon Ier lors des Cent-Jours 938 . Le centre de la
construction nationale est nettement identifi alors quune partie des opposants
Rosas, Ferr le premier, dveloppe une reprsentation centre sur la province.
Bonpland semble se dtacher de son ami Pedro Ferr qui, en 1845, met encore en
doute ce statut de capitale 939 . Les annes 1840 savrant pauvres en ce qui
concerne cet aspect du discours de Bonpland, il est quasiment impossible de
dduire de ses actes principalement ses hsitations quant son lieu de rsidence
une rorientation de sa pense 940 . Il faut attendre le 24 juillet 1852 pour que
Bonpland voque Buenos Aires comme la grande capitale argentine 941 .
Deux mois auparavant, le trait de San Nicols sanctionne le principe
dgalit de reprsentation entre les provinces. Cela signifie pour Buenos Aires la
fin de son hgmonie politique car aucune capitale confdrale nest dsigne. Si
le trait spcifie pour la premire fois dans lhistoire argentine que les dputs
devant former la nouvelle Assemble nationale ne sont pas plnipotentiaires ,
cest--dire quils ne reprsentent pas leur province mais leur nation, les dirigeants
936

V. F. Lpez J. Pujol, Montevideo, 7 et 8 janvier 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, pp. 14,
18-19.
937
AMFBJAD n 1215, journal, Buenos Aires, 21 juin 1832 ; AMFBJAD n 1715, sjour
Buenos Aires, janvier 1837.
938
Cf. AMFBJAD n 227, janvier 1840 et s.n.
939
Jos Carlos Chiaramonte crit que Ferr no da a esta ciudad el ttulo de la gran Capital, y
[] se opone a que lo sea ; CHIARAMONTE Jos Carlos, Ciudades, provincias, Estados :
orgenes de la Nacin Argentina (1800-1846), Buenos Aires, Ariel, 1997, p. 232.
940
Le voyage effectu en 1849 Montevideo a aussi pour objectif une reconnexion avec Buenos
Aires. En outre, cette date rien ne plaide en faveur dun changement de vision politique ;
AMFBJAD n 1639, Bonpland A. Demersay, Porto Alegre, 10 juin 1849 ; MNHN, ms 209,
journal de voyage, 1849-1850, 7 octobre 1849.
941
Bonpland voque la grande capital argentina in BCNBA, Bonpland G. Valds, So Borja,
24 juillet 1852.
238

Premire partie

Chapitre III

porteos nacceptent pas cette dfinition dun Etat-province au lieu dun Etatnation. Du mois de juin jusquau soulvement du 11 septembre 1852, un vent de
rvolte souffle sur la ville. Il est touff une premire fois en juillet par Urquiza
qui assume le gouvernement de la province et occupe la ville avec des troupes
correntinas et entrerrianas.
Bonpland, qui possde dautres informations, analyse les causes des
vnements de juillet en termes de luttes personnelles pour la prise du pouvoir et
non comme une raction collective. Son tonnement vis--vis de lchec prouv
par Urquiza dasseoir politiquement sa victoire militaire met en relief lcart entre
la reprsentation et les faits. A Corrientes et Asuncin au contraire on se mfie
depuis 1851 de la raction des porteos en cas de chute de Rosas, sachant
combien ils demeurent prts dfendre leurs intrts. Pour cela les accusations
portes au rgime sont exclusivement destines Rosas, en esprant ne pas
heurter la susceptibilit portea. Les prolongements envisags de lvnement
sont quant eux davantage reprsentatifs de la distance entre provinces et
nation 942 . Les pourparlers tenus trois mois plus tard entre Urquiza et Pujol
donnent parfaitement raison Bonpland lorsquil envisage une nouvelle scission
nationale et une ractivation de la guerre.
Certain quUrquiza serait accueilli comme un sauveur, il pense que le
mouvement porteo intervenu contre lui est soutenu par le gnral Paz. Sil ne se
trompe pas sur ce dernier point, Bonpland sillusionne vis--vis des manuvres
politiques diriges par Urquiza. En effet, le Franais croit que lEntrerriano
sapprte conclure une alliance avec Rivera et ignore tout des mouvements
insurrectionnels correntinos qui se prparent au mme moment, une partie des
troupes stationnes Buenos Aires prenant la direction de la province afin de
soutenir le retour au pouvoir des Virasoro 943 . Le soulvement du 11 septembre
1852 conduit dix annes de division du pays entre deux capitales, Buenos Aires
et Paran. Bonpland, observateur dsabus, fixe la sienne Santa Ana.

942

S. Derqui J. Pujol, Corrientes, 14 octobre et 13 novembre 1851, in PUJOL Juan, op. cit.,
tome 1, pp. 174, 194-195 ; cf. aussi la lettre du prsident paraguayen Derqui, date du 25
novembre 1851, in ibid., p. 209.
943
BCNBA, Bonpland G. Valds, So Borja, 24 juillet, 10 et 21 aot 1852.
239

Premire partie

Chapitre III

Province et patrie : une quation amricaniste exemplaire


La solution lquation est trouve depuis la sparation continentale
permettant, explique de nouveau Vicente Fidel Lpez en 1851, d une Nation
qui dans peu dannes sera une des merveilles du monde par sa richesse et son
pouvoir 944 . Lquation propose Pujol par ce mme Lpez repose sur la
thorie du sauveur chre Bonpland en la ddoublant. Aprs avoir affirm que le
monde actuel est gouvern mdiocrement et certain de la victoire de lalliance
antirrosista, il propose lhypothse suivante :
Et si, des peuples de la Plata, [] surgissaient deux entits lumineuses

945

qui tout coup prsenteraient achev le grand programme de la


Rpublique dmocratique, en lui donnant comme axe le gnie, la vertu et
la force [] ?

946

Car selon Vicente Fidel Lpez, cest la premire fois depuis 1810 que la force
militaire, le prestige personnel et les principes civilisateurs se trouvent runis.
Lpez expose ensuite les grands principes de cet amricanisme politique qui doit
constituer la base de l organisation nationale 947 argentine. La nation devient le
laboratoire o exprimenter les formules de la modernit sociale.
Lquation Urquiza-Virasoro savre rapidement insoluble. Celle propose
dans un premier temps par Aim Bonpland, fonde sur les incertains Urquiza et
Rivera, nest pas non plus idoine. Quant celle de Pujol, dabord marque par la
geste patriotique lorsquil crit en 1851 que la politique portea a entran la
sparation de la Bande orientale et du Prou 948 , il devient partisan dune politique
de rconciliation et dune solidification de lEtat argentin sappuyant sur une
lgitimit constitutionnelle fdrale ncessitant une diminution des ambitions
gographiques au profit dun plus grand nombre de variables sociales.

944

una Nacin que en pocos aos ser uno de los potentos del mundo por su riqueza y su
poder , in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 9.
945
Les gnraux Urquiza et Virasoro.
946
Si, pues, de los pueblos del Plata que tanto han empezando llamar la atencin de la Europa,
de esa Europa que ni nos comprende, ni puede comprendernos, surgieran dos entidades luminosas
que de un golpe presentaran realizado el gran programa de la Repblica democrtica, dndole por
eje el genio, la virtud y la fuerza [] ? , V. F. Lpez J. Pujol, Montevideo, 7 janvier 1852, in
PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 10.
947
Le terme employ dans lhistoriographie contemporaine est prdit ici avant quelle ne se ralise
dans les faits.
948
PUJOL Juan, op. cit., tome 1, p. 159.
240

Premire partie

Chapitre III

La premire variable propose par Pujol est la rconciliation. Ce principe


est applicable tant au niveau provincial quau niveau national, car les bases
nationales reposent sur des pactes provinciaux qui, une fois briss, laissent
apparatre un vide difficile combler. Lorsque peu avant la chute de Rosas, il est
question de la formation dun Etat comprenant Corrientes et Entre Ros, le
gouvernement correntino explique par la voix de Derqui, familier de Pujol,
quune fois le pacte rompu,
il ne demeure aucun autre lien la communaut Argentine, que celui de
la tradition et celle-ci ne dfinit rien.

949

Au nom du principe de rconciliation, Pujol refuse en octobre 1852 de laisser


Urquiza juger les chefs correntinos stant rebells Buenos Aires 950 , la
rputation de lEntrerriano en matire de jugement militaire se caractrisant par
sa frocit.
Urquiza et Virasoro doivent tre carts de lquation propose par Pujol
aprs leur victoire contre Rosas. Malgr lalliance entre les deux provinces
voisines dEntre Ros et Corrientes, la confiance est loin dtre solide. Comme en
Uruguay, Corrientes la rputation dUrquiza devient dplorable malgr les
assurances que lui donne Pujol. Le jeune gouverneur est surtout dsireux de
maintenir la paix avec un homme qui retient prisonnier ses malheureux
compatriotes comme de vils esclaves et qui dsire seulement annihiler,
dtruire et dvaster Corrientes 951 . Selon Bonpland, si le bien gnral mis mal
loccasion de lchec du pronunciamiento de Cceres la t contre lavis de la
majorit des Correntinos qui soutiennent laction de Pujol, il apprend depuis
Montevideo en 1855 quil a t secrtement dirig par Urquiza 952 .
Si au nom de la rconciliation la prsence dUrquiza dans lquation nest
pas souhaitable, la solidification de ldifice national ne peut len carter car la
variable gographique que constituent les fleuves fait dUrquiza un pilier
indispensable. En effet, Vicente Fidel Lpez partage avec Pujol lide de faire
949

no queda otro vnculo la comunidad Argentina, que el de la tradicin y ella nada define ;
S. Derqui P. Alcantara Bellegarde, Corrientes, 15 octobre 1851, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2,
p. 169.
950
el mejor medio de unir los espritus es mostrarse generoso hacia sus enemigos , Pujol N.
Cceres, Corrientes, 6 octobre 1852, in ibid., p. 180.
951
J. Pujol B. Acosta, Curuz Cuati, 9 novembre 1852, in ibid., pp. 220-221.
952
AMFBJAD n 255, Bonpland G. Valds, Restauracin, 1er aot 1853 : Veo qe. la mayoria,
la parte mas sana del pueblo quiere la paz el sosiego [...] ; enfin dire mas veo mucha ambition
personal, mucho deseo de ganar dinero, sea como fuese, panica orden y bastante abandono ;
AMFBJAD n 1028, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 1er avril 1855.
241

Premire partie

Chapitre III

jaillir la civilisation des fleuves, Bonpland adhrant ce principe ds son voyage


dans lEntre Ros en 1820 953 . A ce titre, le programme initial de Bonpland est
proche de celui propos par Lpez Pujol en janvier 1852 :
la question vitale pour nous, cest dapporter la vie et la richesse au
magnifique territoire de lintrieur qui se situe l o doit tre le centre et
le foyer de notre civilisation et de notre nationalit. Nos fleuves, nos
fleuves ! Voici nos artres !

954

La dfinition de la nation par les fleuves se rvle centrale pour Corrientes car elle
permet de garantir la libre-navigation, la reconnaissance de lindpendance du
Paraguay non souhaite par les Porteos tant tout autant indispensable car elle
offre une caution supplmentaire du respect de cette libert. La redfinition dune
identit argentine passe par le respect, au moins formel, de son voisin immdiat,
dautant plus que sils sont les artres, les grands fleuves sont aussi frontires de
la Msopotamie argentine.
La question de la libre-navigation est donc au centre de lquation
politique nationale 955 . A ce titre les fleuves sont les artres, les bases et les
frontires de la nation argentine. Il sagit pour acqurir cette libert de tout mettre
en uvre afin d exciter lesprit provincial 956 contre lesprit porteo. Ds la
paix signe en Uruguay, au dbut du mois doctobre 1851, le Correntino Derqui
demande un rglement immdiat de la question des fleuves, et ne veut surtout pas
que les exils porteos de Montevideo ajournent la question et finissent par
influer sur la dcision finale. Selon Derqui, le problme vient moins de Rosas que
des natifs de Buenos Aires desquels il se mfie, quils soutiennent Rosas ou
pas 957 .
Dailleurs, la rbellion portea du 11 septembre 1852 contre le nouveau
pouvoir lexclue du processus dorganisation nationale, replaant au centre les
seules provinces. Lpez anticipe une dfinition de la civilisation qui se dtache

953

AMFBJAD n 2012, Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 25 mai 1820.


la cuestin vital para nosotros, es llevar la vida y la riqueza al magnfico territorio del interior
que es donde debe estar el centro y el foco de nuestra civilizacin y de nuestra nacionalidad.
Nuestros ros, nuestros ros! He ah nuestras arterias! ; V. F. Lpez J. Pujol, Montevideo, 7
janvier 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 10.
955
Sur la question essentielle de la libert de navigation, cf. CHIARAMONTE Jos Carlos,
Mercaderes del Litoral. Economa y sociedad en la provincia de Corrientes, primera mitad del
siglo XIX, Buenos Aires, FCE, 1991.
956
S. Derqui J. Pujol, Corrientes, 23 octobre 1851, in PUJOL Juan, op. cit., tome 1, p. 179.
957
S. Derqui J. Pujol, Corrientes, 23 octobre 1851, in ibid., p. 178.
954

242

Premire partie

Chapitre III

sur un point essentiel de celle de Sarmiento, car il place le processus civilisateur


au sein des provinces argentines et non dans la capitale portea :
Pour moi le haut lieu de la Rpublique se trouve dans lintrieur, sur ses
fleuves ; sa civilisation relle, vritablement nationale se trouve sur le
Paran, sur le Bermejo, et dans les plaines splendides de Crdoba et de
Tucumn. Cest l quil faut porter peu peu les germes de la grande
nationalit que nous allons constituer dans le monde

958

Ce discours sexplique aisment dune part du fait de son exprience dexil et en


outre car, bien quoriginaire de Buenos Aires, Lpez frquente un groupe
dintellectuels duqu majoritairement en province 959 . Il rsulte de cette vision un
changement de perspective envers lorganisation de lespace argentin, puisque
Buenos Aires est rejete hors du cadre de construction nationale.
La rflexion du ministre des Affaires trangres dUrquiza ce propos
prcise les propos tenus par Vicente Fidel Lpez quelques mois auparavant :
Entre Ros et Corrientes, sont appeles remplacer Buenos Aires par leur
influence civilisatrice et de progrs, vis--vis des autres Provinces []
Buenos Aires a prmaturment vieilli, et dcline parce quelle a abus
excessivement de ses propres lments de force et de richesse.

960

Sil ne reflte pas la ralit, ce modle mrite toutefois dtre mis en valeur dans
la mesure o la nation argentine nexiste pas 961 et dans la mesure o il est adopt
en 1854 par Urquiza qui accde alors la prsidence de la Confdration. Il ne
rsout en rien lquation entre province et patrie qui utilise les individus ou les
provinces sans tre en mesure den faire merger une entit spcifique ; elle se
complique en outre par lajout des variables transnationales.

958

V. F. Lpez J. Pujol, Montevideo, 30 juillet 1851, in PUJOL Juan, op. cit., tome 1, p. 155.
MYERS Jorge, La revolucin en las ideas : la generacin romntica de 1837 en la cultura y
en la poltica argentinas , in GOLDMAN Noem (dir.), Nueva historia argentina. Tomo III :
Revolucin, repblica, confederacin (1806-1852), Buenos Aires, Editorial Sudamericana, 1998,
p. 387.
960
Entre Ros y Corrientes, son llamadas reemplazar Buenos Aires con su influencia
civilizadora y de progreso, respecto de las dems Provincias [...] Buenos Aires ha envejecido
pronto, y decae por que ha abusado con exceso de sus propios elementos de fuerza y de riqueza ,
L. J. de la Pea J. Pujol, Paran, 15 octobre 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 196.
961
Cf. VELUT Sbastien, op. cit.. Lauteur prend pour cadre de sa dmonstration la nation
actuelle, ce qui a comme rsultat la position centrale de Buenos Aires. Mais au cours de la
premire moiti du XIXe sicle, des projets tout fait diffrents de la configuration politique
actuelle voient le jour.

959

243

Premire partie

Chapitre III

3. Amricanisme et transnationalisme : les discours classificatoires


A So Borja, le pronunciamiento porteo contre le vainqueur de Rosas est
accueilli avec stupfaction. Une fois encore, Bonpland voit sloigner
lunification et la pacification du pays. Les informations lui parvenant font tat de
la crainte des reprsentants de la ville de voir un tyran en remplacer un autre.
Largumentation retourne habilement celle employe par les antirrosistas en
rejetant sur lindividu la responsabilit collective, comme le redoute Santiago
Derqui. Bonpland privilgie quant lui la thse du complot contre Urquiza, ce qui
revient valider le conflit personnel. Deux scnarios sont dornavant
envisageables : le plus probable selon le Franais est la constitution dune alliance
entre Corrientes, lEntre Ros et le Paraguay, devant entraner avec elle le
ralliement dautres provinces de lintrieur et une nouvelle flambe de la guerre.
Une autre alternative est lalliance des deux provinces non pas avec le Paraguay
mais avec le Brsil au sein dune Liga del Imperio , ce qui permettrait de se
dbarrasser dun alli peu fiable. En tout cas, la chute de Rosas naboutit pas
lorganisation nationale espre, comme auraient pu le croire les partisans de la
dialectique du Tyran et du Hros. A laube de la geste transatlantique, Bonpland
est partisan dattendre lclaircissement de la situation962 .
Celle-ci se clarifie avec le renforcement de discours comparatifs entre
Corrientes, lArgentine et leurs voisins. En effet durant les annes 1850 et le dbut
des annes 1860 une classification se met en place, base sur le sentiment de
supriorit que partagent les Argentins. A dfaut de pouvoir runir
gographiquement

la

civilisation

rioplatense,

les

discours

associent

idologiquement les entits politiques voisines en les dfinissant au prisme de


leurs valeurs, ce qui aide en retour construire une identit culturelle commune
fonde sur les rseaux, les actions et les reprsentations. Il est hors de propos
dessayer de comparer la vision quont ces voisins vis--vis de lentit politique
argentine ce moment mme si, terme, une analyse compare devrait participer
llaboration dune histoire globale de lamricanisme car de la mme faon
quun discours amricaniste se construit en Europe, le Ro de la Plata se construit

962

BCNBA, Bonpland G. Valds, So Borja, 24 juillet 1852.


244

Premire partie

Chapitre III

en fonction de ses composantes. La dfinition dune nationalit est en gestation, la


multiplicit des combinaisons politiques envisages et ralises le dmontre.

Le Brsil, un partenaire duquer


Lanimosit plurisculaire entre hispanophones et lusophones parat devoir
expliquer simplement la poursuite dune attitude hostile entre les deux aires
culturelles. Mais aux rapports de bon voisinage entretenus par les liens
commerciaux lgaux ou non ainsi quaux rapprochements expriments lors de la
guerre des Farrapos, sajoute en 1852 laide apporte par lempire brsilien pour
dposer Rosas. A tous les chelons, le Brsil apparat donc autant comme un
partenaire que comme un adversaire. Une situation de dpendance mutuelle lie les
Argentins aux Brsiliens, la balance penchant nettement en faveur des derniers qui
dcident du sort de la Guerra Grande et en sortent arbitres et vainqueurs. Le
discours argentin reconnat ce rle politique prdominant mais il construit un
prisme visant en rduite la porte culturelle. Par dfaut lempire brsilien est
plac en haut de lchelle civilisationnelle mais il demeure en dessous des valeurs
dfendues par les vainqueurs argentins.
En nous plaant lchelle micro-historique de Bonpland et de son rseau
de sociabilits, nous pouvons constater que les contacts transnationaux se
poursuivent avec les Brsiliens par le biais de la proprit quil conserve So
Borja, malgr le dclin conomique de cette zone et le titre de proprit confr
Santa Ana. En 1853, le vicaire Gay linitie la sociabilit franc-maonne
brsilienne. Avant de sinstaller dfinitivement Santa Ana en septembre 1856,
Bonpland afferme sa chacra au colonel commandant la frontire brsilienne des
Missions, Manuel Lus Osrio 963 , celui-ci sy installant avec sa famille 964 . En
septembre 1857 le Franais dispose dun rseau suffisamment influent pour
recommander un jeune marchand allemand, Karl Wilhem Kasten, auprs
dUrquiza en vue de lobtention du poste de vice-consul Uruguaiana 965 .

963

Cf. PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 173.


BELL Stephen, op. cit., pp. 201, 287.
965
AMFBJAD n 231, Bonpland J. J. de Urquiza, Restauracin, 24 septembre 1857.

964

245

Premire partie

Chapitre III

Les rseaux conomiques sont daussi grande importance. Le naturaliste


ne semble pas lorigine de lobtention par Vasconcellos de lexploitation de tous
les gisements de cuivre et dargent dcouvrir dans les Etats de Santa Catarina et
Rio Grande do Sul en 1852 966 . Nanmoins, il maintient des relations solides avec
son correspondant autant pour des motifs scientifiques que pour linciter venir
sinstaller Corrientes 967 . En effet, les sociabilits transnationales consolides par
Bonpland sappuient sur la recherche dintrts conomiques mutuels toutes les
chelles. Dans le cas de Vasconcellos elles concernent autant lintrt personnel
que provincial. Dans un cadre plus gnral elles lui permettent dchapper la
violence des relations conomiques dont des chos lui parviennent en novembre
1857 968 . A ce propos, il semble que laire frontalire misionera produit des
sociabilits individuelles davantage bases sur la ngociation que sur
laffrontement 969 . Bonpland poursuit ses tentatives de partenariat correntinobrsilien sans relche, le dernier contrat conclu entre lui et Francisco Fortunato da
Silva portant la date du 22 fvrier 1858 970 .
Ce rseau de sociabilits produit un discours non plus transnational mais
nettement marqu par le patriotisme argentin. En effet, en 1857 le Franais loue le
patriotisme et lesprit pacifiste qui anime Pujol mais pense quune mdiation avec
les pays frontaliers dpend avant tout dune alliance troite entre Buenos Aires et
la Confdration Argentine :
Alors la Nation Espagnole en Amrique pourrait indiquer au Brsil la
route quil devrait suivre

971

Cette remarque de Bonpland, mise en 1857, est capitale sagissant de


lvolution de sa pense politique aprs la fin de la Guerra Grande vers une
vision hispano-amricaine tardive. Elle concide avec la construction historique
966

AMFBJAD n 1139, F. de Vasconcellos Bonpland, Alegrete, 1er mai 1852.


Bonpland F. de Vasconcellos, Montevideo, 10 dcembre 1853, cit in HAMY Jules Thodore
Ernest, op. cit., pp. 166-168.
968
Au nord de Santo Thom, un litige entre un estanciero brsilien et Gustave Overbeck
probablement un colon et son ouvrier a fait trois morts et deux blesss ; AMFBJAD n 766, A.
Prie Bonpland, Restauracin, 28 octobre 1857.
969
Cest du moins ce quil ressort des notes de Bonpland qui sont trs dtailles. Nayant pas
tudi les journaux de mdecine dans leur dtail, nous ne pouvons affirmer avec certitude la nature
des pratiques sociales dans cette zone. Cependant, les soins mdicaux semblent rarement donns
suite des blessures provoques par un tiers.
970
CAIC, contrat entre Bonpland et F. F. da Silva pour former une socit agricole, Santa Ana, 22
fvrier 1858.
971
Entonces la Nacin Espaola en Amrica podra indicar al Brasil la ruta que deba seguir , in
PUJOL Juan, op. cit., tome 7, p. 155 ; cf. aussi AMFBJAD, n 98, 99 et 100, 8 juillet, 30
novembre et 7 dcembre 1857.
967

246

Premire partie

Chapitre III

qui se dveloppe en Argentine et qui, elle aussi, insiste sur ce sentiment. Cette
remarque est en outre adresse Pujol qui est attach ce terreau continental,
fondamental selon lui de lorganisation nationale 972 . Cependant, il est supposer
quil sagit moins dune dclaration de circonstance que de laboutissement du
discours sur le rle central de la capitale argentine. En effet, le discours du
Franais envers lArgentin peut tre lu au travers du prisme du sauveur, Bonpland
reportant sur le projet et la personne de Pujol ses reprsentations 973 .
Aim Bonpland se fait le propagandiste du gouverneur au Brsil par voie
de presse. Contrairement Louis Marceaux, il soutient les journaux La Opinin et
El Comercio, la lecture de ce dernier aux classes dirigeantes dUruguaiana
produisant des effets trs positifs en faveur de Pujol974 . Cest dans les pays voisins
que Pujol jouit de la plus grande popularit, si lon en croit les affirmations du
Franais. Bonpland constate qu So Borja, le gouverneur compte beaucoup de
partisans, dadmirateurs mme selon le mot employ par Bonpland, leveurs ou
officiers comme le colonel Osorio 975 , et de monsieurs distingus 976
dUruguaiana.
Jusque dans la capitale riograndense, Pujol dispose dune presse acquise
sa cause. En effet le pre Gay se met la disposition de Bonpland pour faire
connatre et vanter le travail du gouverneur de Corrientes. Le locataire de la cure
de So Borja se rend souvent Porto Alegre et vhicule les nouvelles favorables
que lui procure Bonpland dans le Correio do Sul alors sous la direction du major
Felipe de Oliveira Nery, parmi lesquelles la nouvelle de la rlection de Pujol au
poste de gouverneur que Gay transmet immdiatement Porto Alegre. Le mme
journal sert diffuser les lettres adresses par Bonpland ses interlocuteurs
brsiliens, par lintermdiaire de Jean-Pierre Gay ou par celui dun mdecin dont
le nom est orthographi Caldrea Fia par Gay 977 .
La propagande mene au Brsil favorise lintgration des Missions au sein
du territoire national. Si en octobre 1852, le gnral Cceres se rjouit de la
972

Cf. PUJOL Juan, Introduccin la Historia de los partidos polticos de la Repblica


Argentina , in ibid., pp. 3-75.
973
PUJOL Juan, op. cit., tome 7, p. 161. Au lieu de cela, on assiste un rapprochement entre
Urquiza et les Brsiliens, annonant clairement une prochaine entre en guerre.
974
Cf. ibid., tome 6, p. 88 ; tome 7, p. 100.
975
Ibid., tome 6, pp. 172, 202.
976
seores distinguidos , in ibid., tome 7, p. 100.
977
Cf. AMFBJAD n 986 et 987, J. P. Gay Bonpland, So Borja, 17 dcembre 1856 et 6 mai
1857.
247

Premire partie

Chapitre III

faiblesse conomique brsilienne 978 , le travail men en partie par Bonpland doit
au contraire permettre une alliance dintrts entre les Brsiliens et les Argentins
afin de consolider la frontire conomique et dduquer les premiers. La
concession de terrains aux leveurs brsiliens est un moyen propre faire cesser
les incursions incontrles lintrieur du territoire argentin. Bonpland se fait le
fond de pouvoir de plusieurs Brsiliens dsireux de sinstaller dans la rgion des
Missions, ce quapprouve Pujol 979 . Les Brsiliens sont perus comme des
voisins , Bonpland esprant quils viennent peupler la province pour la
dvelopper, la rguler et ainsi viter le pillage et la destruction des yerbales 980 .
Les Missions deviennent un espace frontalier intgrant permettant Pujol
denvisager la cration dun axe dintrts conomiques Corrientes-ParaguayBrsil et redonnant un sens constitutionnel la logique transfrontalire.

Le Paraguay, une civilisation dans lenfance ?


Le gouvernement correntino sengage faire tout ce qui est en son pouvoir
pour assurer la libre navigation sur les fleuves frontaliers, ce qui est chose faite
entre juillet et septembre 1852 avec le Paraguay, Pujol dcrtant le 7 septembre
lannulation de la loi du 23 aot 1833 interdisant aux commerants de la province
de stablir hors de celle-ci 981 . Ds mai 1852, une compagnie de transports
fluviaux est fonde par Daniel Growland et Manuel Biuceroch, sous pavillon
argentin, pour commercer sur le Paran 982 . Louverture du Paraguay ses voisins
a des consquences funestes pour ce pays reconnu mais qui, dfaut dtre
intgr, est rejet au bas de lchelle de la civilisation rioplatense. Pourtant, la
dcennie 1850 est marque par la volont des dirigeants rioplatenses dimposer la
loi et lordre pour permettre le progrs et la prosprit 983 . La route vers la
civilisation se caractrise en effet par ces deux conditions pralables, conditions
978

Il chiffre le produit de lexportation brsilienne de yerba la moiti de la valeur des cuirs


produits par la province de Corrientes ; N. Cceres J. Pujol, Paraso, 1er octobre 1852, in PUJOL
Juan, op. cit., tome 2, p. 169.
979
Cf. AMFBJAD n 94, J. Pujol Bonpland, Santa Ana, Corrientes, 19 aot 1856 ; PUJOL
Juan, op. cit., tome 6, pp. 171-172, 190, 200.
980
Ibid., p. 202.
981
Ibid., tome 2, p. 135.
982
Laccord est sign Buenos Aires, le 15 mai 1852 ; cf. ibid., pp. 39-42.
983
Cf. KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., pp. 111-113.
248

Premire partie

Chapitre III

premires du bien commun selon Pujol 984 ralise au Paraguay depuis plusieurs
dcennies au prix de lisolement et de la dictature.
La fascination quexerce la province du Paraguay se transforme en
rpulsion vis--vis de lEtat paraguayen. Il nest pas question de juger de la
vracit de ce discours mais den relever les ambiguts politiques. Si Pujol insiste
auprs de Francisco Solano Lpez sur leurs affinits progressistes et civilisatrices,
cest pour mieux introduire la question fluviale 985 . Si Derqui insiste auprs des
Lpez sur le vulgaire, cest--dire le faible niveau de civilisation des peuples,
cest pour mieux introduire la question du rapprochement politique entre
dirigeants clairs 986 . Le discours interne Corrientes place les dirigeants
paraguayens au niveau de la barbarie. Les changes pistolaires entre le
gouverneur de Corrientes et ses envoys montrent tout le mpris quil existe vis-vis du Paraguay, les crits du gouvernement paraguayen tant jugs barbares 987 .
Quant au prsident Carlos Antonio Lpez, il est autant un homme dEtat que
moi un Turc , crit Derqui en 1851 la veille du choc des Titans auquel il
associe le Clown paraguayen 988 .
Aim Bonpland souhaite visiter cette civilisation dans lenfance qui, si elle
apparat aux yeux des Argentins culturellement arrire, savre toujours
potentiellement une corne dabondance. A ce titre la route du Paraguay souvre
progressivement au naturaliste linvitation du prsident Lpez 989 . Trois vapeurs
franais parviennent jusqu Asuncin en 1853, 1855 et 1857 990 . A ceux-ci
sajoute le navire Nord-Amricain Water Witch command par Thomas J. Page
qui propose Bonpland de laccompagner en novembre 1853 991 . Aprs plusieurs
984

PUJOL Juan, op. cit., tome 1, p. 135.


S. Derqui J. Pujol, Corrientes, 13 octobre 1851, in ibid., p. 172 ; J. Pujol F. S. Lpez,
Conchillas, 9 et 20 novembre 1851, in ibid., pp. 193, 201-205.
986
S. Derqui C. A. Lpez, Corrientes, 10 dcembre 1851, in ibid., pp. 225-227.
987
S. Derqui J. Pujol, Corrientes, 10 octobre 1851, in ibid., p. 165. Ces crits rebosan
barbaridades , cest--dire quils regorgent dinepties. Lusage du mot barbaridad dans ce cas
largit le sens traditionnellement donn au terme.
988
tiene tanto de hombre de estado como yo de turco ; S. Derqui J. Pujol, Corrientes, 10
octobre 1851, in ibid., p. 166. Il ajoute le 24 du mme mois : Ahora va principiar la lucha de
Titanes [] sin que falte de lejos, con sus morisquetas al Payaso de ellos, nuestro vecino al
Norte ; in ibid., p. 182.
989
Bonpland A. Demersay, Montevideo, 23 dcembre 1855, cit in HAMY Jules Thodore
Ernest, op. cit., pp. 201-203.
990
Le Flambart en janvier 1853, puis le Flambeau command par le capitaine Picard en avril 1855
et le Bisson du capitaine Mouchez en mars 1857 accostent Asuncin ; DEMERSAY Alfred,
Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et des tablissements des jsuites, Paris,
Hachette, tome 1, p. 140.
991
CONTRERAS ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, op. cit., pp. 42-44.
985

249

Premire partie

Chapitre III

tentatives manques, une telle expdition ncessitant de grands moyens 992 ,


Bonpland profite du Bisson pour prendre la route dAsuncin. Dautres motifs le
poussent, dabord la reconnaissance de lindpendance du Paraguay par
lArgentine intervenue en juin 1856 qui lui permet de sappuyer sur Urquiza,
lequel le charge de remettre un courrier au nouveau consul argentin 993 . Ensuite,
Bonpland apprend la mort de Juan Andrs Gelly intervenue en septembre 1856.
Or, celui-ci conservait un de ses manuscrits sur la culture et la fabrication du tabac
au Paraguay quil dsire rcuprer. Le seul moyen, selon Bonpland, est daller
Asuncin le demander Lopez et den profiter pour localiser une autre mine de
mercure situe au nord de La Cruz 994 .
Son journal de voyage est rdig entre le 26 fvrier et le 16 avril ; il permet
danalyser la vision du Franais vis--vis de la civilisation paraguayenne lors de
cette redcouverte 995 . Tout dabord, il faut prciser que comme la plupart des
trangers se rendant au Paraguay, Bonpland reste aux environs dAsuncin. Il ne
constate pas ltat dun pays mais celui dune faade, dabord fluviale lors du
trajet 996 puis urbaine, la capitale tant seulement la vitrine du pays. Du point de
vue des ressources naturelles, la vgtation impressionne le naturaliste par sa
beaut et sa richesse, certaines plantes tant plus vigoureuses qu Corrientes. Il
dcle un potentiel devant permettre au pays dexporter du caf et du baume ainsi
que des minerais 997 grce laction de personnes de qualit. Outre les quelques
notables dont il vante lexcellence 998 , il relve la prsence dhommes de science
de valeur. Friedrich Wissner de Morgestern, Domingo Parodi, Jos Berges,
Santiago Aramburu et Munck af Rosenschld lui apparaissent comme des
992

Ibid., p. 38. Bonpland explique les motifs qui lempchent de se rendre Asuncin en 1853,
mais nous ne savons pas pourquoi il ne profite pas du Flambeau en 1855 comme nous ignorons les
motifs pour lesquels il refuse les invitations antrieures du prsident Lpez. Lhypothse la plus
probable sappuie sur son engagement vis--vis de la province correntina et la mfiance
subsquente de Bonpland envers Lpez, les relations entre Corrientes et le Paraguay saggravant
en 1855. En outre, Bonpland est impliqu dans le projet de colonisation agricole de Corrientes
alors que dans le mme temps le Paraguay accueille les colons de la Nueva Burdeos.
993
Ibid., p. 81.
994
PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 218.
995
Il manque au manuscrit dit plusieurs folios, la vision tant de ce fait parcellaire.
996
CONTRERAS ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, op. cit., pp. 69-74.
997
Ibid., pp. 90-92, 95-96, 99, 105.
998
Il crit propos de la famille Trigo, amie des Perichn : He encontrado en ellos una de esas
excelentes familias de espaoles de las que yo tan a menudo me he congratulado de hallar en todas
partes de la Amrica que he visitado, ya sea solo, ya en compaa del Seor Barn de Humboldt .
LUruguayen Antonio Nine y Reyes lui permet de rencontrer uno de los paraguayos
distinguidos nomm Vzquez, cit in ibid., pp. 82-83, 101. Il sagit probablement du ministre
des Affaires trangres Nicols Vzquez.
250

Premire partie

Chapitre III

scientifiques capables de favoriser le dveloppement minier, mdical, botanique et


agricole du pays 999 . Lentomologiste sudois que Bonpland nomme Rosen
Stile se ha vuelto un excelente paraguayo, cest--dire quil sest
compltement accultur en reniant son pays dorigine et sidentifiant au
nouveau 1000 . Le Franais alterne entre le compte-rendu du scientifique et la prise
de position de lmigr.
Evoquant par ailleurs lexistence dune voie ferre 1001 , Bonpland dessine
un tableau proche de celui quil connat en Argentine. Il vante les impulsions
progressistes de Lpez au niveau des structures et au niveau politique, le prsident
lui paraissant humain et plus libral que son prdcesseur 1002 . Cependant, lui et
son clan se montrent ambitieux et accapareurs du bien commun, ce qui doit
entraner terme des dissensions internes auxquelles sajoutent les incertitudes
concernant la rsolution des conflits externes 1003 . En rsum, lavenir du rgime
de Lpez dpend de sa capacit sadapter aux libralismes politiques et
conomiques se dveloppant autour du Paraguay.
A cet gard, Bonpland comme ses contemporains demeure dans une
incertitude totale 1004 . Le savant ayant pu constater la mfiance de Lpez vis--vis
de lextrieur, son attitude politique met en pril les constructions politiques
voisines, ce dont Bonpland informe Urquiza, Pujol et les consuls franais de
Montevideo et Buenos Aires 1005 . Lucien de Brayer, premier consul europen
officiellement reconnu 1006 par le Paraguay en poste depuis octobre 1854, espre
quaprs son voyage Asuncin et aprs le rcit quen trace le commandant du
Bisson, Bonpland soit daccord avec ses dires concernant le pays, les habitants et
le gouvernement :
ils en feront tant et tant quon finira par leur donner sur le nez et ils ne
lauront pas vol

1007

999

Ibid., pp. 90-107.


Ibid., p. 102.
1001
Ibid., p. 104.
1002
Ibid., pp. 109-110.
1003
Ibid., pp. 110-111.
1004
En fvrier 1857, Roguin fait part de son incertitude concernant le Paraguay dont on ne sait
jamais, crit-il, quelle va tre lattitude ; AMFBJAD n 1029, D. Roguin Bonpland, Montevideo,
20 fvrier 1857.
1005
AMFBJAD n 264 Bonpland et J. Pujol C. Lefebvre de Bcourt, Corrientes, 6 avril 1857 ;
CONTRERAS ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, op. cit., pp. 125-126.
1006
Ibid., p. 53.
1007
AMFBJAD n 522, J. Brayer Bonpland, Montevideo, 22 mai 1857.
1000

251

Premire partie

Chapitre III

En effet, laccueil est loin dtre enthousiaste si lon en croit Roguin qui reoit des
nouvelles lors du passage du Bisson Montevideo 1008 . Mais Bonpland sait que le
changement daccueil son gard est du la rancune du prsident Lpez fch de
navoir pu le convaincre de venir habiter au Paraguay 1009 en 1846. Cela
nempche pas au consul Brossard venu relever Brayer dtre trs bien reu en
fvrier 1858 1010 . Cela nempche pas non plus la poursuite dune grande hostilit
entre les Paraguayens et leurs voisins, la guerre des images dvalorisant le
rgime paraguayen annonant la guerre sanglante se dclarant en 1864.

LUruguay, la province perdue


LUruguay occupe une place importante dans la correspondance et les
voyages de Bonpland entre 1852 et 1858. Durant ces annes, le pays
conomiquement exsangue est politiquement au moins jusquen 1856 sous la
tutelle du Brsil et en proie des conflits internes 1011 . Identifie lArgentine par
des habitudes et des intrts communs, la Bande Orientale fait partie dune mme
aire culturelle, lambition de Rivera ayant entran une sparation et une rivalit
commerciale contre nature selon Sarmiento 1012 .
Les sjours effectus Montevideo, que Bonpland prfre Buenos Aires
pour communiquer avec lEurope, permettent de maintenir des liens avec
lUruguay. Ses refus de venir habiter Montevideo aux cours des annes 1840 et
1850 placent la rpublique en marge de son aire culturelle mais nexpliquent pas
la reprsentation quil sen fait. Son silence sur ltat politique de ce pays peut
tre analys comme une indiffrence vis--vis dun territoire ne prsentant pour
lui aucun intrt scientifique ou conomique particulier. Il voque indiffremment

1008

AMFBJAD n 1031, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 30 mai 1857. La rception organise


par le prsident paraguayen y est qualifie de ridicule et impertinente .
1009
Venancio Lpez laccueille bras ouverts mais change dattitude son gard ds larrive de
son pre qui accueille frachement Bonpland et ses compagnons de voyage ; CONTRERAS
ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, op. cit., pp. 80-85.
1010
AMFBJAD n 707, L. Marceaux Bonpland, Restauracin, Goya, 28 fvrier 1858.
1011
Cf. BARRAN Jos Pedro, Apogeo del Uruguay pastoril y caudillesco. 1839-1875,
Montevideo, Ed. de la Banda Oriental, 1998, pp. 52-53.
1012
Cf. SARMIENTO Domingo Faustino, Argirpolis, Buenos Aires, Elalph.com, 2000 (1850),
pp. 26-27, 31, 66.
252

Premire partie

Chapitre III

la Banda Oriental en 1851 1013 , la capitale de Cisplatina en 1854 mais aussi


lUruguay 1014 reconnu par la France ; il crit la mme anne propos de ses
travaux mens dans lUruguay et la Banda oriental 1015 , commettant
certainement un lapsus en utilisant le terme dUruguay la place de celui de
Brsil. Ces diffrentes dnominations laissent apparatre ce pays comme une
marge, aucun commentaire ne concernant la socit uruguayenne.
Il sagit donc dune province perdue par les Argentins et dun pays oubli
par Bonpland. Ses rapports avec la Rpublique uruguayenne sont mcaniques,
Montevideo servant de relais pour lEurope. Au cours des annes 1852 et 1853, le
retour annonc puis de plus en plus incertain de Rivera Montevideo fait
supposer Bonpland une alliance entre le gouvernement montevideano, Urquiza
et Lpez permettant un avenir prospre 1016 . Urquiza, Valds et Bonpland esprent
des amliorations, voire pour Urquiza un rattachement la Confdration 1017 . Les
bases poses en matire de colonisation, dlevage, dindustrie et dinstitutions
peut faire de lUruguay un modle de dveloppement en cas de stabilisation
politique. Mais la mort de Rivera, le 13 janvier 1854, ravive les ambitions
personnelles.
La chute de Rosas et la mise en place dun gouvernement constitutionnel
Montevideo, garant dun illusoire soutien des puissances europennes comme
aiment le croire certains nouveaux venus, ne stabilise pas la situation. A
Montevideo,
on parle de Dictature, de Rvolution, de rforme, de banque, dun
cataclisme commercial, dEmigration, damlioration, de corruption de
dissolution ; une fin du monde, quoi, et il y en vrit de toutes ces
choses !

1018

1013

BCNBA, Bonpland G. Valds, So Borja, 27 juillet 1851 : ayer tarde recivi de ntro amigo el
diario qe me mando el defensor de la independencia con fecha junio 21. [...] savemos qe se miente
mucho y con miras particulares. el abuso de la Prensa ha llegado su colmo y es muy triste .
1014
Bonpland Humboldt, Montevideo, 29 janvier 1854, cit in HAMY Jules Thodore Ernest,
op. cit., pp. 181-182.
1015
Bonpland J. Pujol, Santa Ana, 27 octobre 1854, cit in ibid., p. 191.
1016
BCNBA, Bonpland G. Valds, So Borja, 10 aot 1852 ; AMFBJAD n 255, Bonpland G.
Valds, Restauracin, 1er aot 1853. Rien nindique que le Franais ait t ce moment au courant
des intentions dalliance entre Corrientes et Buenos Aires. A propos du double-jeu de Pujol dans
cette affaire, cf. CASTELLO A. Emilio, op. cit., pp. 384-388. Lauteur juge rapidement lappui de
Pujol aux intrts mesquins de Buenos Aires contre Urquiza.
1017
AMFBJAD n 254, G. Valds Bonpland, Corrientes, 21 juillet 1853.
1018
AMFBJAD n 1028, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 1er avril 1855.
253

Premire partie

Chapitre III

Aussi, ladaptation la situation politique se ralise avec peine. Les immigrants


de la premire heure, loin de partager les illusions des nouveaux colons, sont
rompus toutes les oscillations politiques [], sans cela il y aurait
rellement de quoi en devenir stupide, crtin

1019

La diffrence de regard des Franais montre comment se construit lavenir


dune illusion. Le nouveau venu Saunois, en relation avec le prsident de la
rpublique uruguayenne nouvellement lu Gabriel Antonio Pereira, exprime
depuis Montevideo, en fvrier 1857, son optimisme face au message douverture
de la session parlementaire, rempli de paix et permettant desprer un retour
aux temps dont on leur parle. Roguin se montre beaucoup plus sceptique vis--vis
du gouvernement, compte-tenu des arrirs de presque vingt annes de guerre,
dont une dette quon dit tre de 100 millions 1020 . Malgr le calme superficiel du
dbut de lanne, la reprise de la guerre civile dans les mois qui suivent donne
raison au vieil immigr 1021 .
Finalement, que peut-on dduire concernant la position de lUruguay selon
Bonpland ? Depuis ses actions diplomatiques effectues auprs de Rivera au
dbut des annes 1840 et lexplication sociologique quil donne de la dfaite
dArroyo Grande, il est presque certain que Bonpland considre dabord
lUruguay comme un pays et non comme un prolongement de laire dinfluence
argentine. Les institutions scientifiques fondes ds les annes 1830, celles
auxquelles il adhre au cours de la dcade 1850 ne peuvent que confirmer cette
hypothse. Cependant, Bonpland fait office dinformateur entre Urquiza, le
prsident du Snat uruguayen Manuel Basilio Bustamante et les Montevideanos
en 1856 et 1858 1022 , sans dvoiler son opinion. La question demeure ouverte.

1019

Ibid.
AMFBJAD n 1029, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 20 fvrier 1857 ; AMFBJAD n
1536, Saunois Bonpland, Montevideo, 18 fvrier 1857.
1021
REYES ABADIE Washington, VASQUEZ ROMERO Andrs, Crnica general del Uruguay.
Tomo IV : El Estado Oriental, Montevideo, Ediciones de la Banda Oriental, 2000, pp. 387-407.
Les auteurs rappellent que llection de Pereira est accueillie Montevideo par les cris de Viva
el Presidente de la Repblica! Mueran los salvajos unitarios!
1022
Le gnral Urquiza pense que les courriers envoys par Bonpland Montevideo produiront un
effet bnfique ; AMFBJAD n 526, M. B. Bustamante Bonpland, Montevideo, 27 janvier 1856 ;
AMFBJAD n 228, Bonpland J. J. Urquiza, Concordia, 18 fvrier 1856 ; AMFBJAD n 232, J. J.
Urquiza Bonpland, Paran, 28 fvrier 1858.
1020

254

Premire partie

Chapitre III

B. DE NOUVELLES NOCES DOR ?


Montevideo est une base essentielle pour la France, louverture lEurope
prenant la forme dune invitation quantitative autant que qualitative. En effet, au
recrutement des cadres sajoute celui dune main-duvre moins qualifie, mais
plus dispose sinstaller dans les zones pionnires du Ro de la Plata. Les
expriences menes au cours de cette priode rpondent autant aux ncessits nes
des rvolutions europennes de 1848 qu celles nes ds la fin de la Guerra
Grande. Il sagit de comprendre quelles motivations respectives guident les
immigrants et leurs comits daccueil, quelles relations sinstallent et au nom de
quels principes. Lanalyse du discours des promoteurs europens vis--vis des
ralits amricaines savre ici un angle dapproche privilgi. Le point de vue
dun Europen dsormais immerg dans le milieu rioplatense tel que Bonpland,
nous permet dillustrer et de nuancer les pratiques dites civilisatrices entre les
deux mondes.
Jusquen 1851, cest--dire tant quaucune issue ne se dessine dans la
guerre civile dans le Ro de la Plata, le jugement de Bonpland reste fond sur
lide que la France serait investie dune mission civilisatrice vis--vis de ces
pays. Comme dautres migrs proches du savant qui saccrochent au rle de la
France 1023 il demande son pays de mettre en place une politique destine leur
apporter le bonheur, de gr ou de force. Dans ce but grand, louable et utile il
faut, crit-il,
1 se prononcer ouvertement 2 obliger tous ces pays se constituer et
determiner ses limites ; [3] suivre des lois bien stables 4 envoyer des
colons franais de toute profession

1024

Jugeant que tot ou tard la france peut et doit rendre ces pays heureux et
tranquilles 1025 . Cette position imprialiste doit, partir de 1852, sadapter au
bouleversement politique qui permet au Ro de la Plata de saffirmer face
lEurope. Si lon sintresse aux points de vue des diffrents personnages en
1023

notre pays [] devrait sous tous les rapports donner limpulsion tous les autres ,
commente un Franais rsident Alegrete, cit in AMFBJAD n 1175, Chauvis Bonpland,
Alegrete. 17 fvrier 1850 ; le temps ne doit pas tre lomgt ou lon verra que Mss les Grands
travaillent serieusement a la pais (en faisant la guerre) commente un autre compatriote de
Bonpland, cit in AMFBJAD n 760, J. Paillot Bonpland, Uruguaiana, 18 avril 1851.
1024
AMFBJAD n 1640, Bonpland A. Demersay, 10 novembre 1851.
1025
Ibid.
255

Premire partie

Chapitre III

relation avec Bonpland, nous constatons que le cercle des proches fait preuve
dune incrdulit face lengouement europen pour le Ro de la Plata,
contrairement aux cercles des responsables locaux et des dcideurs europens.

1. Le patriotisme en question : du civilisationnisme au contrat


socital
Chauvis adresse Bonpland une critique de Louis-Napolon acerbe en
1850 :
[il] me semble avoir des vues bien troites et avoir pris pour son model
plutot Louis-Philippe que son immortel parent.

1026

Chauvis ne se trompe pas car la geste transatlantique qui dbute avec lafflux
dmographique en provenance dEurope dplace la position politique de la France
dun rang vers un rle dans les discours comme dans les faits. Le rang, caractris
par une posture forte et immobile, se fissure au profit dun rle, dtermin par une
fonction rgulatrice devant sadapter une diplomatie de masse 1027 . Les faits
bouleversant la thorie, la question du nombre passe avant celle du modle.
Le 12 janvier 1854, la profession de foi adresse lEmpereur par
Bonpland limplore de manire plus pragmatique :
Puisse, Votre Majest, tendre ses bienfaits sur ces rgions {les bords du
Plata et de lUruguay} si riches par leurs productions, si bonnes habiter
et dans lesquelles le commerce franais trouve un dbouch si
avantageux lindustrie de notre Pays.

1028

Les intrts conomiques sajoutent aux questions dmographiques et politiques.


Le savant espre convaincre son souverain de simpliquer ici au nom de ceux-ci.
Sept ans plus tard, Napolon III choisit le Mexique et non le Ro de la Plata. La
1026

AMFBJAD n 1175, Chauvis Bonpland, Alegrete, 17 fvrier 1850. Un an plus tard son
jugement est toujours le mme ; AMFBJAD n 561, Chauvis Bonpland, Alegrete, 25 fvrier
1851. Aprs cette lettre, plus aucune source nindique de correspondance entre les deux hommes
sans quil soit possible den tablir les causes. Il pourrait sagir dune rupture politique.
1027
Il ne sagit plus de se focaliser sur des cas prcis comme lors de laffaire Bacle mais de
soccuper des intrts de colonies entires. Le terme de rle implique une fonction dacteur et si
possible de bon acteur, capable de sadapter au thtre et de modifier son jeu. Plus quun rle, il
est question des rles de la France dans leur dimension politique, conomique, dmographique qui
en constituent la force civilisatrice.
1028
AMFBJAD n 338, Bonpland Napolon III, Montevideo, 12 janvier 1854.
256

Premire partie

Chapitre III

France intervient et sembourbe une fois de plus, nayant pas tir les leons de
lexprience rioplatense. La vision sadoucit au cours des annes 1850, du fait de
lattitude rciproque des Amricains et des Europens. Bonpland tire des premiers
des leons de patriotisme tandis quil comprend les limites des seconds. Son
implication un niveau diplomatique denvergure modifie son discours.

Le rle politique de la France : patriotisme et diplomatie


La lettre adresse Napolon III est un instrument danalyse de premire
importance plusieurs niveaux. En effet, cest la premire fois que Bonpland
sadresse directement la plus haute autorit franaise 1029 , voulant donner une
grande porte et une dimension nouvelle son discours patriotique 1030 . Les
bienfaits terme moins messianique que ceux utiliss prcdemment mais
empreint de paternalisme

auxquels fait allusion Bonpland sont comme il

lexplique dordre conomique, commercial et dmographique, le politique devant


tre un instrument au service des intrts franais sans que les armes savrent
ncessaires. Bonpland construit son discours autour dun messianisme
pragmatique en accord avec le discours prononc par Napolon III le 9 octobre
1852, assurant que LEmpire cest la paix . Or, la guerre de Crime qui dbute
deux mois aprs lcriture de cette lettre ne peut que conforter Bonpland dans son
esprance dune offensive sinon arme, du moins diplomatique en direction du
Ro de la Plata.
En outre, lunit et la solidit politique acquise par le rgime imprial
comme son discours en faveur du principe des nationalits peut faire esprer la fin
des atermoiements consulaires en Amrique, autant franais queuropens. Car les
deux points de vue contradictoires, prnant lintervention contre Rosas au nom de
la civilisation et du libre-change ou louant le Restaurateur des Lois qui a
russi maintenir un Etat sans lequel lanarchie triompherait, est remis en cause.
Bonpland, dsireux dimposer ses vues patriotiques et civilisatrices en France, fait
office dinformateur et de conseiller auprs du personnel consulaire franais.
1029

Par le biais de Lucien de Brayer qui se propose de faire parvenir ce courrier loccasion de
son retour en France.
1030
La culture bonapartiste favorise ce type de rapports, comme le met en valeur lhistoriographie
la suite de Ren Reymond.
257

Premire partie

Chapitre III

Depuis Santa Ana, ses rseaux transnationaux font de lui un relais relativement
stratgique entre les diffrents consuls. Sans aller jusqu affirmer quil est le
vice-consul officieux de la France Corrientes, ses relations avec les
reprsentants franais et europens permettent de mettre en vidence un
comportement diplomatique notable.
Aim Bonpland informe rgulirement les diplomates de Porto Alegre,
Paran et de Montevideo. Leurs demandes diffrent peu, Montevideo demeurant
toutefois le consulat privilgi du Franais avec lequel il tisse les liens les plus
solides. Bien quil dispose de relais au Rio Grande do Sul, Porto Alegre demeure
un point dancrage secondaire. A ce titre, les retards soufferts dans les
communications avec le Brsil sexpliquent par la disgrce du vice-consul et ami
Decazes 1031 . La peine de Bonpland reoit en cho les plaintes du nouveau viceconsul Porto Alegre, lequel insiste sur les ambiguts de la gestion de ses
prdcesseurs, qui preferaient se donner au commerce, plutot que de remplir
leurs delicates fonctions 1032 . A Montevideo, Dominique Roguin se plaint de
linactivit du consul Martin-Maillefer qui sest fait grand Lama, il est invisible
pour ceux qui ont affaire lui 1033 .
Cependant Lucien de Brayer fait lloge de Bonpland qui veut
lentendre 1034 en fvrier 1857. Ds son retour du Paraguay, le 1er avril,
Bonpland ne manque pas dinformer confidentiellement Martin-Maillefer 1035 avec
lequel il maintient des relations privilgies au mme titre que Lefebvre de
Bcourt. Celui-ci souhaitant de se renseigner auprs de Bonpland sur le trajet
suivre pour le Paraguay et sur ltat de la colonie de Corrientes 1036 . Lorsquen mai
1857 il sapprte partir Paris avant de rejoindre son nouveau poste Porto
Rico, il soffre comme intermdiaire entre Bonpland et Napolon III. Il lui
demande en outre de bien vouloir faire parvenir la demande de la grande
duchesse Stphanie de Bade une caisse de graines darbres du Paraguay 1037 .
1031

AMFBJAD n 1016, Bonpland C. Bautista de Oliveira, Montevideo, 25 dcembre 1855.


AMFBJAD n 755, dOrnano Bonpland, Porto Alegre, 12 aot 1856. Le baron dOrnano
demande afin dviter de telles pratiques, et le laisser-aller en dcoulant service [] trouv
dans un tat inqualifiable , rempli d un labyrinthe de paperasses une revalorisation de son
traitement, fix 2 500 francs, quil estime devoir slever 6 000 francs.
1033
AMFBJAD n 1029, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 20 fvrier 1857.
1034
Ibid.
1035
CONTRERAS ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, op. cit., pp. 125-126.
1036
AMFBJAD n 1009, Bonpland D. P. Martin-Maillefer, Montevideo, Corrientes, 6 avril
1857.
1037
AMFBJAD n 522, L. de Brayer Bonpland, Montevideo, 22 mai 1857.
1032

258

Premire partie

Chapitre III

Les liaisons entretenues avec lenvoy de Prusse, Friedrich von Glich,


ds son arrive au Ro de la Plata, le premier fvrier 1854, fournissent un indice
des rapports inaugurs par les soins mdicaux prodigus au Prussien et par une
bienveillance dont Glich lui est reconnaissant. Suite aux informations que lui
transmet Bonpland, le diplomate promet daller rencontrer Urquiza la fin de
lanne 1854 si la question dOrient ne vient pas interfrer dans sa gestion 1038 . Les
affinits dterminent pour beaucoup le suivi des relations, notamment vis--vis de
lenvoy britannique Gore avec lequel une certaine intimit semble se crer 1039 .
Sil privilgie la France, Bonpland ne peut sempcher de rpondre aux demandes
des autres chargs daffaires. Sa pratique du renseignement fait de lui un recours
ponctuel apprci ; il obtient en retour une reconnaissance parmi le personnel
diplomatique europen qui concide avec la perception de son rle et de celui de la
France vis--vis des Etats rioplatenses en construction. En effet, les projets
civilisateurs que propose son pays rpondent ses demandes.

Le rle conomique de la France : patriotisme et ressources


naturelles
A Bordeaux, le 9 octobre 1852, Louis-Napolon Bonaparte anticipe la
rsurrection dun Empire pacifique et avance en mme temps lide dun
rapprochement des deux mondes :
Nous avons tous nos grands ports de lOuest rapprocher du continent
amricain par la rapidit de ces communications qui nous manquent
encore

1040

annonce-t-il. Cette conception du rapprochement offre Bonpland lopportunit


dapporter son aide grce aux sciences naturelles appliques cette conception
politique. Elle correspond au regain dattirance des Franais pour le Ro de la
Plata et une lecture amricaniste plus conforme celle associant politique et
science.
1038

AMFBJAD n 311 et 314, F. von Glich Bonpland, Montevideo, 24 mars 1854 et Buenos
Aires, 10 dcembre 1855.
1039
Cf. AMFBJAD n 596, 597, correspondance entre Gore et Bonpland, Montevideo. 5 mars et
28 aot 1850 ; MNHN, ms 209, Bonpland R. Gore, Concordia, 8 mars 1854.
1040
Cit in FURET Franois, La Rvolution. De Turgot Jules Ferry. 1770-1880, Paris,
Hachette, 1988, p. 439.
259

Premire partie

Chapitre III

A lchelle des villes atlantiques, lapplication de ce programme reste


agressive mais satisfait la communaut franaise La proclamation du 27 novembre
1855 signe par les reprsentants sardes, britanniques et franais Montevideo,
invitant leurs ressortissants la plus stricte neutralit, serait ainsi mal vcue pour
les mmes motifs que ceux ayant guid Bonpland dans son adhsion au
gouvernement de Corrientes, savoir la dfense du bien commun. Mais les allis
offrent aussi des garanties conomiques ; largument est invoqu par les chargs
daffaires de France, de Grande-Bretagne et de Sardaigne qui,
Aprs avoir fait, dimpuissans efforts pour le maintien de la paix publique
nous avons russi du moins a placer la Douane, ce tresor commun des
particuliers et de lEtat, sous la garde dune force qui a t fournie par
toutes les Stations navales etrangres

1041

La France ne pouvant agir seule, elle sappuie moindre chelle sur son
rseau rioplatense dont Bonpland est un lment mis contribution avec dautres
pour dvelopper la connaissance de cette rgion. Lintensification notable des
rapports entre Bonpland et le corps diplomatique franais et europen partir de
1856 peut sexpliquer par lacceptation, de la part du Franais, dune prsence
forte ne pouvant tre assume seulement par la France, ainsi que par la source de
renseignements quil reprsente.
A cet gard, le vice-consul de France Porto Alegre dOrnano, rcemment
arriv en mai 1855, demande de suite Bonpland de laider rdiger un rapport
sur les ressources du Rio Grande do Sul 1042 . Depuis Montevideo, lobligation de
passer par lEurope pour se dvelopper et pour se connecter avec le march
extrieur entrane lhabilitation des ports de Santa Ana et Los Higos 1043 de la part
des Rioplatenses. Le lieu quoccupe Bonpland devient en ce sens central pour
ceux-ci comme pour les Europens de lUruguay pour qui Bonpland est un point
dancrage important sur le fleuve. La situation gographique de Paran, o se
trouve Lefevbre de Bcourt, permet moins de connexions avec Santa Ana mais les
apports du naturaliste y sont aussi apprcis.

1041

AMFBJAD n 1008, Manifeste des Chargs daffaires de France, de Grande-Bretagne et de


Sardaigne, aux Citoyens ou amis de la Grande Alliance, Montevideo, 27 novembre 1855.
1042
je serai charm de recevoir de votre autorit et de vos lumires, quelques renseignts de nature
satisfaire promptement, le mieux quil me sera possible, les dsirs de mes chefs , AMFBJAD n
754, dOrnano Bonpland, Porto Alegre, 12 mai 1855.
1043
CHIARAMONTE Juan Carlos, op. cit., pp. 75-76.
260

Premire partie

Chapitre III

A la fin de lhiver 1856, Napolon III demande la Confdration


Argentine de fournir les produits agricoles et vgtaux ncessaires lorganisation
dune exposition prvue en 1856 et 1857. A Corrientes, Pujol demande
Bonpland dorganiser la runion et lenvoi des produits agricoles demands la
Capitale du monde civilis , en lui rappelant loccasion qui soffre la province :
[le] concours universel [] peut servir mieux faire connatre nos
richesses naturelles et nos produits [] et ainsi attirer lattention de
lEurope sur cette rgion encore mconnue l-bas ; et qui jusqu
aujourdhui ne sest pas rendue clbre sinon cause de ses
interminables guerres intestines et des boucheries inhumaines [] de D.
Juan Manuel Rosas. 1044

Loccasion de faire profiter la France de nouveaux produits est inespre,


Bonpland y consacrant les dernires annes de sa vie 1045 .

Le rle dmographique de la France : patriotisme et immigration


Au dbut des annes 1850, limmigration europenne vers les deux
capitales rivales, Montevideo et Buenos Aires, apparat aux yeux de tous les
contemporains comme un phnomne nouveau, massif et durable 1046 . La cration
de la Sociedad Annima Colonizadora de Poblacin y Fomento Montevideo en
janvier

1853,

accompagne

par

des

lois

gouvernementales

favorisant

limmigration, a pour but de crer des colonies strictement agricoles, avec des
familles dau moins cinq personnes dont deux hommes occupant un terrain de 50
hectares. Mais cette tentative tatique ne peut se raliser au vu du peu de moyens
de lEtat pour soutenir le projet 1047 .

1044

[el] concurso universal [...] puede hacer conocer mejor nuestras riquezas naturales y nuestros
productos [...]y llamar asi la atencin de la Europa sobre esta regin todaba no bien conocida alli;
y que hasta ahora no se ha hecho clebre sino pr sus interminables guerras intestinas y pr las
carniceras inhumanas [...] de D. Juan Manuel Rosas , AMFBJAD n 87, J. Pujol Bonpland,
Corrientes, 24 mars 1856.
1045
A propos des envois Alger, cf. chapitre VI, p. 554 ; chapitre VII, p. 623 ; chapitre VIII, pp.
717-718.
1046
A Buenos Aires afluye una numerosa imigracin de todas partes, que da un aumento de
poblacin increible crit B. Noguera Bonpland in AMFBJAD n 739, Buenos Aires, 1er janvier
1851.
1047
Cf. KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., pp. 175-176.
261

Premire partie

Chapitre III

Par colonisation, il faut entendre essentiellement un peuplement grande


chelle en vue de susciter le dveloppement agricole. Il sagit dun investissement
humain donc, et non directement capitaliste, nuance importante dans la
perspective dun modle dintgration de la masse sur le principe du creuset. En
effet, les gouvernements de la rgion prennent garde ne pas tre mis en situation
de dpendance, particulirement le paraguayen qui dsire au contraire intgrer les
immigrants au sein de son cadre tant idologique et politique que
gographique 1048 . Les colonies font pour leur part toujours appel des cadres,
spcialement ingnieurs et agronomes, cest pourquoi on recense une grande
diversit au sein de la formation sociale des migrants. La colonie paraguayenne de
Nueva Burdeos compte un peu de tout, jusqu des professeurs de
musique 1049 ; elle priclite nanmoins rapidement 1050 .
Ces principes sont aussi en vigueur en Argentine. Alberdi, conseiller
dUrquiza et diplomate charg dobtenir la reconnaissance europenne de la
Constitution de 1853 qui donne les mme droits civils aux trangers quaux
nationaux, souhaite appliquer le principe du gouvernement par le peuplement en
faisant venir dEurope des colons agriculteurs pour valoriser et civiliser le
territoire 1051 . Ce mouvement de masse touche Buenos Aires ds 1850 ; Buenos
Ayres est une Ville Europenne , crit Bartolom Noguera qui insiste sur
laffluence de la classe ouvrire 1052 . Alberdi encourage davantage cette

1048

Le prototype de cette volont est personnifi par Carlos Antonio Lpez, garant de
lindpendance du Paraguay ; il fonde une colonie franaise recrute des techniciens trangers mais
refuse tout investissement financier ; cf. MORA Frank O., La poltica exterior del Paraguay
(1811-1989), Asuncin, Centro Paraguayo de Estudios Sociolgicos/Ediciones y arte editora,
1993, pp. 58-60.
1049
un poco de todo, hasta profesores de msica explique une ancienne habitante de Nueva
Burdeos cite in BORRINI Hectr Rben, Poblamiento y colonizacin en el Chaco paraguayo
(1850-1990), Cuadernos de Geohistoria regional n 32, Resistencia, Instituto de Investigaciones
Geohistricas/Conicet, 1997, pp. 16-17.
1050
Les causes de cet chec rsident dans linadquation entre les demandes des colons et les
offres du gouvernement paraguayen, les conditions climatiques inadaptes et la dception des
colons attirs par la promesse dun eldorado ; cf. TEXIER Roger, De Bordeaux en France la
Nueva Burdeos et Villa Hayes au Paraguay , in AMALRIC Jean-Pierre (dir.), Culture et modes
de sociabilit mridionaux, Paris, CTHS, 2007, pp. 86-97 ; RODRIGUEZ ALCALA Guido,
CAPDEVILLA Luc (prsentation), Une colonie franaise au Paraguay : la Nouvelle-Bordeaux,
Paris, LHarmattan, 2005.
1051
MEHATS Claude, Les Basques de France aux Amriques. XIXe et XXe sicles, thse de
doctorat dhistoire ralise sous la direction de Marc AGOSTINO, universit de Bordeaux III,
2005, p. 50. Son projet repose sur des fondements racistes, les Indiens et les mtis tant considrs
comme des freins au dveloppement.
1052
AMFBJAD n 739, B. Noguera Bonpland, Buenos Aires, 1er janvier 1851.
262

Premire partie

Chapitre III

immigration, apprciant particulirement la venue des Basques et des Barnais,


quitte dpeupler les Pyrnes 1053 .
Claude Mhats signale quen 1859 le prfet des Basses-Pyrnes
dnombre cinq agences autorises, employant une totalit de 20 agents recruteurs
munis des procurations rgulires 1054 . Les immigrants sont toutefois difficilement
canalisables malgr les efforts de part et dautre de lAtlantique pour les encadrer
et leur attribuer le rle civilisateur recherch par lArgentine. Or, limmigration
civilisatrice voulue par Bonpland est davantage qualitative puisquil demande des
colons de toutes professions afin de crer de vritables centres de dveloppement.
Pour cela la colonie est un modle apprci, la province de Corrientes se montrant
pionnire en ce domaine. En effet, ds avant la promulgation de la constitution
nationale octroyant aux trangers les mmes droits civils quaux nationaux, le
gouvernement de Corrientes signe le 29 janvier un contrat avec lagent franais
Auguste Brougnes garanti par le gouvernement national le 12 octobre 1854. Au
total, une douzaine dautres tablissements de ce type sont implants dans les
provinces de Santa F, Crdoba et Entre Ros 1055 .
Les droits des rsidents franais occupant une place importante parmi les
devoirs politiques de Bonpland, il se fait le relais de ses compatriotes auprs de
leurs reprsentants. Cest un rle quil matrise bien mais la question de la
protection et les plaintes des ressortissants samplifie du fait de limmigration
croissante en provenance dEurope. Au Rio Grande do Sul, les anciens immigrs
savent quelle opposition prouve un tranger 1056 alors que les nouveaux venus
doivent sadapter aux ralits que les propagandistes europens dforment tel
Brougnes porteur dun projet saint-simonien 1057 . A Porto Alegre, dOrnano place
la dfense des intrts des expatris franais au premier rang de ses
proccupations 1058 . Lide selon laquelle la protection des ressortissants doit

1053

Cf. MEHATS Claude, op. cit., p. 50.


Ibid., p. 70.
1055
La propagande du docteur Brougnes nattira que peu de Basques. Elle eut plus de
retentissement chez leur voisins barnais sduits par les colonies agricoles de Alejandra et
Bernstad (province de Buenos Aires) explique Claude MEHATS, op. cit., p. 50 ; cf. aussi
DOUGLASS, William A., BILBAO, Jon, Amerikanuak, Basques in the new world, Reno,
University of Nevada Press, 1975, p. 143
1056
AMFBJAD n 780, F. Pomatelli Bonpland, Porto Alegre, 20 mai 1851.
1057
Cf. MEHATS Claude, op. cit., pp. 68-70.
1058
AMFBJAD n 755, dOrnano Bonpland, Porto-Alegre, 12 aot 1856.
1054

263

Premire partie

Chapitre III

prvaloir sur les intrts conomiques globaux mrite dtre dtache, car elle
soulve la question des priorits franaises.
La situation des Franais au Brsil est cependant moins prcaire que celle
quils connaissent en Uruguay et en Argentine. A ce titre, le trait de commerce
sign lors du rgne de Louis-Philippe entre le Brsil et la France doit selon
Bonpland servir de modle en ce qui concerne les biens des ressortissants qui
reviennent au pays dorigine en cas de dcs. La politique de Napolon III vis-vis des gouvernements amricains doit suivre cette voie selon Bonpland 1059 . Mais
les droits des Franais demeurent une question irrsolue tant au Brsil que dans
les pays hispaniques jusqu la mort du savant. En 1857, les Franais
dUruguaiana, Curuz Cuati et Corrientes prsentent une ptition aprs quun
compatriote ait signal Bonpland la mobilisation force des trangers Curuz
Cuati aux cts des gardes nationaux 1060 . La mme anne, les projets nationaux
uruguayens sordonnent aux dpens de ce pauvre peuple et surtout des trangers
que lon exploite de mieux en mieux 1061 . Le 1er avril 1861, un livret intitul
Rclamations franaises et anglaises contre le gouvernement oriental de
lUruguay est imprim Montevideo par J. A. Laferrire, dlgu des rclamants
franais
au nom de six cents familles franaises et anglaises demandant prompte
rparation ncessaire pour mettre un terme aux privations, la misre et
aux poignantes souffrances morales de ces martyrs de la spoliation, de
lemprisonnement arbitraire et du meurtre.

1062

Les dmarches effectues auprs du ministre des Affaires trangres restent sans
effet.
Dans lattente dune tude comparative de la colonisation europenne dans
le Ro de la Plata laube de la geste transatlantique, les exemples apports par les
sources de Bonpland permettent de mettre en relief la non rsolution de la
question des droits franais. Plus exactement, le rve franais dune intgration
privilgie achoppe contre le modle du creuset rioplatense.

1059

AMFBJAD n 974, Bonpland J.-P. Gay, So Borja, 19 mars 1853.


AMFBJAD n 507, J. Birabent Bonpland, Curuz Cuati, 1er novembre 1857.
1061
AMFBJAD n 1029, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 20 fvrier 1857 ; AMFBJAD n
1536, Saunois Bonpland, Montevideo, 18 fvrier 1857.
1062
Cit in MEHATS Claude, op. cit., p. 67.
1060

264

Premire partie

Chapitre III

2. La colonisation europenne en devenir : des modles franais


au creuset correntino
Les modles de colonisation franais sappuient sur lexprience
algrienne et sur les thses de Say et Saint-Simon. Dans la province de Corrientes,
laquelle nous nous limitons, le projet dAuguste Brougnes est dinspiration
saint-simonienne, les phalanstres de Charles Fourier lui servant particulirement
de modle. Il se rend en 1850 Montevideo et publie un premier livret consacr
au potentiel agricole uruguayen 1063 grce Samuel Lafone. Le succs rencontr
en France par ce projet lamne largir son but initial. Pour ce faire, il entre en
contact probablement par lentremise dUrquiza avec Pujol en aot 1852 afin
de fonder une premire colonie franaise dans la province de Corrientes. Or celleci dispose dun gouverneur francophile1064 , ce qui facilite les relations entre les
deux hommes.
Cependant, les obstacles auxquels ce gouverneur doit faire face pour
obtenir linstallation de cultivateurs franais dans la province, en 1855, sont
significatifs de limpermabilit des Rioplatenses vis--vis de discours
progressistes ne parvenant pas faire oublier quil sagit, malgr tout, dune
colonisation qui doit tre contrle par la province et lEtat afin de crer le cadre
dune production de connaissances nouvelles sur le territoire correntino et
argentin. En outre, Les tentatives de colonisation des annes 1850 sinscrivent
dans une histoire marque depuis les annes 1810 par la problmatique du
dveloppement agraire et la place des trangers dans celui-ci. Ces questions
alimentent les tentatives de dveloppement jusqu la mise en place dune
constitution argentine librale en 1853, cette dernire ne permettant pas toutefois
deffacer quarante annes de pratiques agraires conflictuelles 1065 .

1063

AMFBJAD n 2028, BROUGNES Auguste, Moyen de senrichir par la culture de sol en


Uruguay, Montevideo, s. e., 1er juillet 1851.
1064
Cf. GOMEZ Hernn F., Vida pblica del Dr Juan Pujol. Historia de Corrientes de marzo
1843 a diciembre 1859, Buenos Aires, J. Lajouane & Cia, 1920 ; PUJOL Juan, Introduccin la
historia de los partidos polticos de la Repblica Argentina , in Corrientes en la organizacin
nacional, Buenos Aires, G. Kraft, 1911, tome 1, p. 75.
1065
Cf. GORI Gastn, Inmigracin y colonizacin en el campo argentino en el siglo XIX, Buenos
Aires, Eudeba, 1986 (1964), pp. 20-48.
265

Premire partie

Chapitre III

Un principe idologique, le creuset rural : peupler pour civiliser


Les buts coloniaux concident alors entre les Correntinos, leurs partenaires
rioplatenses et les promoteurs franais, promettant une rencontre de deux
aspirations transatlantiques. Le principe du creuset rural runit les Franais et les
Rioplatenses autour de deux conditions, la premire consistant dvelopper
dmographiquement le pays en sappuyant sur le modle en cours dlaboration
dans le Nordeste. Daprs Auguste Brougnes, limmigration est favorise par
linstabilit politique et conomique europenne 1066 . LExtinction du pauprisme
agricole par la colonisation dans les provinces de la Plata publie par le mme
homme en mai 1855, au moment o la colonisation correntina connat un essor
prometteur, rsume les inquitudes devant stimuler le peuplement, le
dveloppement reposant selon Brougnes et ses successeurs sur la quantit des
travailleurs 1067 . Ce programme rpond au souhait dAlberdi nonc en 1852 par
Vicente Fidel Lpez Pujol :
vous concevez dj quelle augmentation de population et dagriculture
nous sommes destins recevoir

1068

le nombre tant aussi la base de lessor souhait par la Confdration 1069 .


Ce modle entrane une concurrence entre les pays, lavance acquise en ce
domaine par lUruguay stant effondre cause de la Guerra Grande 1070 . La
stabilit du Brsil permet Porto Alegre daccueillir ds 1849 200 colons
prussiens destins peupler la picada de Santa Cruz, le prsident de lEtat
riograndense devant sy rendre en personne 1071 . Lexprience est suivie par le

1066

A. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, pp. 99-101.
Ibid., pp. 92-96, 103. A propos des grands travaux dirrigation, Demersay crit en 1860 :
Tous ces rves sont ralisables, toutes ces utopies deviendront dans quelques sicles
dadmirables vrits, lorsque lEurope aura donn lAmrique ce qui lui manque, des colons, en
versant sur cette terre promise le trop-plein de ses populations industrielles. [] Fcondes par les
bras actifs de la vieille Europe , ces rgions doivent long terme connatre un dveloppement
gal lEurope ; DEMERSAY Alfred, Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et
des tablissements des jsuites, Paris, Hachette, 1860, tome 1, pp. 135, 151-152.
1068
PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 10.
1069
A partir de 1852, limmigration europenne devient dans les faits aprs lavoir t dans le
discours lagent de civilisation ncessaire lArgentine ; cf. DEVOTO Fernando J., immigrants,
exils, rfugis, trangers : mots et notions pour le cas argentin (1854-1940) , in Emigration
politique : une perspective comparative, Italiens et Espagnols en Argentine et en France (XIXeXXe sicles), Paris, LHarmattan, 2001.
1070
Nanmoins la forte prsence dtrangers, particulirement Basques, permet au pays de
rapidement reconstituer des projets coloniaux.
1071
AMFBJAD n 1135, F. de Vasconcellos Bonpland, Rio Pardo, 20 dcembre 1849.
1067

266

Premire partie

Chapitre III

Paraguay qui approuve un contrat de colonisation agricole le 14 mai 1855 avec un


groupe de Franais qui fondent Nueva Burdeos 1072 , mais sa dissolution rapide
mne beaucoup de ses occupants vers Corrientes 1073 . En janvier 1856, alors quil
se trouve Montevideo, Bonpland se comporte en agent recruteur lorsquil
rencontre Napolon Durn. Ce Franais, rcemment arriv dans la capitale
uruguayenne en compagnie de 24 colons, est convaincu par son compatriote
daller sinstaller Corrientes plutt que de demeurer en Uruguay 1074 .
La question du nombre est en passe dtre rsolue Corrientes grce au
contrat sign en 1853 avec Brougnes, bas sur la venue de 1 000 familles de cinq
individus chacune, la majorit de chaque famille devant tre constitue dhommes
en ge de travailler, les enfants de moins de dix ans tant admis titre
surnumraire. Un autre contrat est conclu la mme anne entre la province et les
associs John Lelong 1075 et Adolphe Vaillant. Aprs la dissolution de cette petite
colonie elle compte 500 membres son apoge un second contrat est propos
par ce dernier qui promet la venue de 12 000 colons dont la moiti est prte
partir au mois daot 1856 1076 .
La seconde condition rside dans la prsence au sein des colonies de
personnes de qualit. Selon les termes du contrat sign entre le gouvernement
dEntre Ros et Vaillant et Le Long le 25 fvrier 1856, il est demand des colons
essentiellement agriculteurs et honntes 1077 . En amenant une main duvre
slectionne selon des critres sociaux et moraux comme le dit le directeur de la
colonie correntina Sabathier, tris on espre crer un cercle vertueux.
Civiliser la campagne demande un recrutement slectif, les autorits se montrant
exigeantes quant la morale des nouveaux venus. La qualit repose en outre sur le
recrutement de cadres, Brougnes se proposant dtre lintermdiaire entre Pujol si
1072

BORRINI Hectr Rben, op. cit., p. 15.


Toms Guido, membre de la lgation argentine Asuncin, annonce Pujol la fin du mois
de juin 1856 leur souhait de sinstaller dans les villages argentins littoraux. Une premire vague
doit se diriger sous peu vers Santa Fe et Corrientes daprs les dires du consul franais ; Guido
espre un bon accueil de la part de Corrientes ; cf. PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 139 ; AGPC,
Correspondencia official, tome 151, fol. 151, T. Guido J. Pujol, Asuncin, 26 juin 1856.
1074
PUJOL Juan, op. cit., tome 2, pp. 71-72.
1075
Le gnral Paz recommande Lelong auprs de Pujol, supposant quil veut connatre le
gouverneur correntino pour parfaire ses connaissances sur le Ro de la Plata ; cf. PUJOL Juan, op.
cit., tome 2, pp. 79-80.
1076
PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 173.
1077
Ibid. ; propos de la fondation en Uruguay de Colonia Valdense, en 1859, Jan M.G.
Kleinpenning crit quelle doit servir dexemple aux Orientaux et civiliser la campagne ;
KLEINPENNING Jan M.G., op. cit., pp. 194, 222.
1073

267

Premire partie

Chapitre III

le gouvernement le souhaite et lEurope, afin de recruter des les cadres


ncessaires 1078 . En effet, la rgnration de la province voulue par Pujol ncessite
le recrutement de nouveaux cadres. Ainsi, le Franais Auguste Villareaux est
pressenti pour assumer la fonction dingnieur en chef de la province. Recrut au
service du gouvernement, Villareaux pose comme conditions son acceptation au
poste dingnieur en chef la libert de travailler pour son compte, la possibilit
dabandonner ses fonctions si le climat ne lui convient pas, et surtout demande
que lui soit conserve sa nationalit franaise 1079 .
En 1855, Luis de la Pea 1080 sadresse Pedro Ferr, lev au rang de
snateur et reprsentant spcial dUrquiza auprs du gouvernement de Corrientes,
pour lui communiquer sa satisfaction aprs quil ait rencontr les lments les plus
notables de la colonie cre en partenariat avec Brougnes. Les termes de
prosprit et de progrs sont employs par le ministre des Affaires trangres
dUrquiza, les actes produits par les colons franais concidant avec les projets
rioplatenses. De la Pea reflte loptimisme du gouvernement, certain que la
premire province argentine accueillir des colonies agricoles est en passe de
russir mettre en uvre le programme de civilisation du pays 1081 .

Un modle conomique, les Missions : valoriser le territoire


Aim Bonpland savre un conseiller de premier ordre vis--vis de la
valorisation misionera. Lors des diffrentes tentatives de colonisation menes de
1852 1858, il intervient rgulirement afin daccompagner les projets
transatlantiques dabord en prenant la mesure du terrain. Pour cela il sollicite
Pujol comme ses prdcesseurs afin quil fasse recenser les terres des Missions
grce un relev typographique. La sollicitation de Bonpland rejoint la volont de
1078

Parmi ceux-ci il propose le recrutement de naturalistes et de mdecins ; cf. PUJOL Juan, op.
cit., tome 2, p. 120.
1079
Son salaire est fix 400 pesos-argent par mois, plus une prime de 4% sur la valeur des
difices construits ; cf. ibid., pp. 38-39.
1080
Luis de la Pea, alors ministre dUrquiza, propose Brougnes ddifier une colonie agricole
dans la province de Buenos Aires. La rvolte de celle-ci fait avorter le projet qui est ensuite repris
par Pujol ; cf. DJENDEREDJIAN Julio, BEARZOTTI Slcora, MARTIREN Juan Luis, Historia
del capitalismo agrario pampeano. Tomo 6 : Expansin agrcola y colonizacin en la segunda
mitad del siglo XIX, Buenos Aires, Universidad de Belgrano/Teseo, vol. 1, 2010, pp. 249-250.
1081
AGNBA, fondo Pedro Ferr, leg. 2, L. de la Pea P. Ferr, Buenos Aires, 3 janvier 1855.
268

Premire partie

Chapitre III

colonisation du gouverneur correntino qui tarde un an avant de lui demander les


pr-requis ncessaires pour pareille entreprise. Ce travail doit se faire par
lintermdiaire dun agrimensor cest--dire un gomtre-expert 1082 qualifi
tant donn la difficult du terrain, accompagn de plusieurs agriculteurs faisant
office dagronomes. Cette complmentarit entre le praticien et le thoricien
sexplique par la finalit du travail, savoir former des parcelles pour des
estancias et des chacras de tailles moyennes 1083 . Il rappelle le principe
dexploitation fond sur la famille agricole ratifi par Brougnes et Pujol 1084 .
Le modle propos par Bonpland est celui du petit exploitant individuel et
non la colonie collective. Se rfrant lexprience mene par le gnral Andria
lgard de la colonie allemande de San Leopoldo, dans lEtat du Rio Grande do
Sul, Bonpland suggre Pujol de dlocaliser de mme les futurs arrivants vers les
zones mettre en valeur, pensant videmment aux zones des yerbales mais aussi
aux espaces favorables la culture de la vigne. Celle-ci est nulle dans la province,
aussi le Franais espre en fomenter le dveloppement en prouvant aux habitants,
dit-il, lutilit et la viabilit dune telle activit et en faisant appel le cas chant
ses compatriotes rcemment arrivs 1085 . Outre la vigne, Bonpland est partisan du
dveloppement dautres produits agricoles, son modle de valorisation reposant
sur la polyculture 1086 .
Son analyse rejoint celle de Brougnes selon lequel lagriculture est la
vritable source des richesses dun pays 1087 qui met en garde Pujol contre le
monopole de llevage tendant se rpandre dans la province. Le projet du
Franais spcifie que linstallation des colons doit avoir lieu dans les Missions, le

1082

La traduction est donne par Jean-Georges Kircheimer propos de la nomination de Narcisse


Parchappe ce poste par Pedro Ferr ; cf. KIRCHEIMER Jean-Georges, Narcisse Parchappe : un
polytechnicien explore la Patagonie, 1838 , in LAISSUS Yves (coord.), Les naturalistes franais
en Amrique du Sud: XVIe-XIXe sicles, Paris, CTHS, 1995, p. 308.
1083
PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 172 et tome 7, p. 156.
1084
Larticle second du contrat conclu avec Brougnes admet comme unit la familia agrcola .
La base familiale de limmigration prsente selon Brougnes un quadruple avantage : la
persvrance et le ralisme, une main duvre attache et gratuite, une protection contre les effets
dmoralisateurs de lexpatriation, le souci dassurer un avenir aux enfants ; cf. ibid., p. 98.
1085
Bonpland a J. Pujol, 21 fvrier et 20 mai 1855, in PUJOL Juan, op. cit., tome 5, pp. 35, 205206.
1086
PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 161.
1087
como fuente verdadera de las riquezas de un pas . Larticle premier du contrat de
colonisation sign en janvier 1853 entre Gregorio Valds et Auguste Brougnes raffirme insiste
longuement sur ce point ; A. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot 1852, in PUJOL Juan, op.
cit., tome 2, pp. 90-103.
269

Premire partie

Chapitre III

long des fleuves Paran et Uruguay 1088 . Contrairement lide gnralement


rpandue, la province nest pas seulement propice cette activit mais offre des
terres arables. Brougnes va plus loin dans son raisonnement en prdisant une
baisse de la production cralire en Europe profitable au dveloppement du souscontinent ; de mme le tabac, le coton et la canne sucre ont toutes chances de
prosprer 1089 . Le contrat sign avec Brougnes oblige les colons consacrer la
moiti des terres concdes la culture du tabac, coton, bl, mas et canne sucre,
leur libert de culture tant assure quant lautre moiti 1090 .
Cette quation vertueuse rejoint elle les analyses rioplatenses, la voie
agricole tant considre comme la meilleure vers le march europen 1091 .
Bonpland ajoute la dimension agricole la valorisation des ressources minrales.
Pour cette raison, il pense que la colonisation doit permettre la dcouverte de
gisements :
il est certain quau fil du temps des mines de fer et de cuivre seront
utilement mises profit ; peut-tre mme des mines dargent et dor 1092 ,
lorsque le nombre de colons augmentera, et que des excavations
souterraines se pratiqueront.

1093

Aim Bonpland propose quant lui de placer San Javier au centre de la


colonisation, du fait de sa position gographique permettant lexploitation en
grand de la yerba dans une zone situe au nord-est de la ligne San JavierCorpus 1094 . Son projet consiste fortifier lconomie correntina grce la culture
1088

La colonisation des Missions et de la cte de lUruguay est le fruit, selon Brougnes, de


linitiative conjugue de Pujol et de lui-mme ; A. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot 1852,
in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 90. Ainsi Pujol propose-t-il dinstaller des colons Itat
dabord, puis respectivement Itabat, Candelaria, Santa Ana, San Juan Min et Corpus. Pour sa
part, Brougnes recense quatre sites prs des rives du Paran : lOuest de Santa Luca, entre Santa
Luca et Bella Vista, au Nord de San Lorenzo et Itat ; A. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot
1852, in ibid., p. 109. La colonisation offre ainsi deux avantages : le premier conomique, le
second stratgique car les lieux choisis permettent de renforcer la frontire correntina.
1089
A. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot 1852, in ibid., pp. 92-96, 103.
1090
Article 10 du contrat de colonisation.
1091
Corrientes se bat pour ce droit depuis vingt ans. A ce titre, le Bonaerense et rosista Jos Mara
Roxas y Patrn veut faire venir de Rio de Janeiro des plantes et graines de bois et fruits de la
Zone Torride de la mme espce que celles cultives Corrientes, par le packet anglais en
quinze jours ; J. M. Roxas J. Pujol, Buenos Aires, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 177.
1092
Sur le brouillon de cette lettre, Bonpland ajoute ces mtaux prcieux les pierres
diamantaires ; cf. AMFBJAD n 76, Bonpland J. Pujol, Santa Ana, 27 octobre 1854.
1093
es indudable que con el tiempo se trabajarn tilmente minas de hierro y de cobre ; quiz an
minas de plata y de oro, cuando habr ms pobladores, y que se practicarn socabones
subterrneos. , ibid. A La Cruz il dcouvre des traces de mercure. Bien quil ne dispose daucune
preuve positive concernant lexistence de tels gisements Bonpland ne se prononce pas de manire
dfinitive sur labsence de mtal, ntant pas en mesure dapprofondir ses recherches.
1094
PUJOL Juan, op. cit., tome 7, p. 156.
270

Premire partie

Chapitre III

du mat qui se trouve seulement dans la rgion comprise entre le Paraguay, les
Missions, Corrientes et lUruguay. Cependant, les conditions climatiques
lincitent proposer dautres lieux anciennement peupls par les jsuites mais
situs plus au sud de San Javier car ils savrent plus aptes lacclimatation des
Europens 1095 .

Bien

qu

titre

individuel

il

poursuit

ses

entreprises

transnationales, les localisations proposes par Bonpland Pujol se situent dans le


cadre territorial argentin pour des raisons politiques dj analyses, ce qui te
son projet son caractre transnational initial.
Surtout, le projet du Franais repose fondamentalement sur lintgration
des Indiens, la consolidation de la frontire et lutilisation des ressources. Cette
reconqute des terres agricoles doit permettre ses habitants originels dy
travailler. Sa proposition dimplanter les Franais plus au sud permet de rserver
les terres les plus climatiquement adaptes aux Indiens plutt quaux Europens,
autant par souci dacclimatation des seconds que pour permettre aux premiers
doffrir une main duvre adapte. A cet gard, il souligne que la ligne San
Javier-Corpus quil propose offre un point de fixation pour les tribus nomades 1096 .
Les Indiens disperss jusqualors entre San Miguel, Yaguaret-Cora et Bella
Vista, doivent tre moyen terme de nouveau runis pour reconstituer un noyau
de peuplement San Javier, permettant de produire la yerba mate grande chelle
par lintermdiaire dinvestisseurs de confiance. Bonpland croit que les Indiens
sont prts revenir car ils
ont bon caractre, sont travailleurs et quils ont grandi dans les bois de
yerba, o ils reviendraient avec plaisir

1097

Il sagit pour cela de bien les rcompenser pour leurs travaux et de les doter des
terres ncessaires leur subsistance ; Bonpland remarque que les terres de San
Javier offrent les pturages suffisants pour leur permettre de sy installer 1098
1095

A loccasion dune excursion La Cruz, Bonpland localise un lieu susceptible daccueillir des
immigrants. En effet, les Tres Cerros runissent les conditions favorables leur acclimatation,
savoir le climat propre la culture de crales europennes et locales ; les matriaux ncessaires
la construction des btiments ; enfin un march dcoulement de la production agricole
suffisamment vaste ; PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 161. Un correspondant rsidant au Brsil
insiste sur labsence de facult dadaptation de certains Europens ; AMFBJAD n 446, D.
Apeceche Bonpland, Alegrete, 10 juillet 1852. Alfred Demersay fait part de lobstacle que
reprsentent les insectes pour limmigrant au milieu dune nature splendide, mais qui ne lui
laisse ni trve ni repos. , DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, p. 283.
1096
PUJOL Juan, op. cit., tome 7, p. 156.
1097
son de una buena ndole, trabajadores y que se han criado en los montes de yerba, donde
volveran gustosos , AMFBJAD n 82, Bonpland a J. Pujol, 13 janvier 1855.
1098
Bonpland a J. Pujol, 21 fvrier 1855, in PUJOL Juan, op. cit., tome 5, p. 34.
271

Premire partie

Chapitre III

La rpartition des terres est gographique alors que celle propose par
Brougnes est conomique, lide dune colonisation indigne des Missions quil
propose les confinant dans une activit pastorale, laissant aux Europens
lagriculture et lindustrie 1099 . Aussi, lorsquaprs lchec des premires colonies
Pujol lui confie son projet de repeuplement des Missions grce une immigration
dorigine europenne, en dcembre 1857 suite la proposition du Franais et
lui demande den dfinir les principes de direction et dadministration, Bonpland
privilgie le regroupement des indignes, en passant sous silence la possibilit
dune colonisation europenne 1100 . Il sappuie sur une main-duvre indigne
pour, crit-il, disposer des personnes connaissant bien lagriculture du pays et
pour tre, parmi toutes les classes sociales, celle qui travaille le mieux, le plus et
le plus durement 1101 .

Une

ralit

culturelle,

lintgration

amricanocentriste :

une

crolisation de fait
Une partie des dirigeants provinciaux soppose limmigration
massive 1102 car les cultures politiques divergent propos des droits et des devoirs
des colons. Sagit-il dun enrichissement du sol national ou dun dversoir de
misre ? Le parti dAuguste Brougnes dplore les manuvres du parti rosista
visant faire chouer le trait de colonisation approuv par Juan Pujol, au nom
dune xnophobie perptuant une grave erreur de lantique Mtropole
entranant dans cette belle rgion la dsolation, la misre, lesprit de
sauvagerie ; aussi espre-t-il la prsence de Pujol afin dinverser le cours des
vnements 1103 .

1099

A. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot 1852, in ibid., tome 2, p. 100.


J. Pujol Bonpland, Corrientes, 7 dcembre 1857, in PUJOL Juan, op. cit., tome 7, pp. 155156.
1101
Cf. PUJOL Juan, op. cit., tome 7, p. 156.
1102
Tiburcio de Fonseca, prsident du Congrs correntino, rejette le 27 octobre 1852 la proposition
du gouverneur daccorder la fondation de plusieurs colonies agricoles, suspendant sa dcision
jusqu mejor oportunidad ; AGPC, Correspondencia official, tome 137, fol. 200.
Lautorisation est accorde le 23 janvier 1853.
1103
A. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, pp. 88-89.
1100

272

Premire partie

Chapitre III

En effet, si le contrat de colonisation conclu en 1853 prcise comme en


Uruguay que les colons doivent se tenir lcart des disputes politiques 1104 ,
aucune participation militaire ne pouvant tre accepte, le contrat moral propos
en 1852 stipule quen vertu de laccueil fait aux immigrants, ceux-ci se doivent de
participer la consolidation politique,
en crant pour la province de Corrientes les lments dune force
nationale grce ltablissement de cette population virile de
cultivateurs, toujours prte dfendre ses foyers et le sol menac de la
patrie

1105

En vertu de ce principe, les colons installs Santa Ana, le long du Paran,


se disent dbiteurs vis--vis du gouverneur et proposent en 1855 de payer avec
leur sang le terrain rcemment offert, afin de combattre lopposition arme, cellel mme qui en aot 1852 rpond au projet de colonisation de Pujol au cri de
Nous ne voulons pas dtrangers ! 1106 . Laide propose par les colons franais
au gouvernement de Corrientes, mais plus encore la rponse donne par Pujol
permettent de comprendre le contrat moral conclu entre les diffrentes parties. Si
la situation noblige pas le gouverneur accepter cette offre, il nexclue pas leur
aide le cas chant, et surtout espre que leur nouvelle Patrie , leur Patrie
adoptive leur permette de connatre lgalit et la fraternit la plus large 1107 .
Le gouverneur place l les colons dans une configuration intgratrice.
Graphique n 4
Une typologie des modes dacculturation
Option 1
Est-il considr comme important
De conserver son identit et ses
caractristiques culturelles ?
oui
Option 2

Est-il considr
Comme important
De maintenir les
Liens avec la
Socit dominante ?

non

oui

INTEGRATION

ASSIMILATION

non

SEPARATION

MARGINALISATION

1104

KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., p. 195.


creando para la provincia de Corrientes elementos de fuerza nacional con el establecimiento
de esa poblacin viril de cultivadores, siempre pronta defander sus hogares y el suelo de la patria
amenazada , A. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p.
103.
1106
No queremos Extranjeros! ; cf. la lettre dA. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot 1852,
in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, pp. 87-90.
1107
Cf. ibid.., tome 5, pp. 67-69.
1105

273

Premire partie

Chapitre III

Source : BERRY J. W., SAM D., Acculturation and psychological adaptation , in BERRY J.
W., SEGALL M. H., KAGITCIBASI C. (d.), Handbook of Cross-cultural adaptation, Boston,
Allyn and Bacon, 1997, vol. 3, pp. 291-326.

Bonpland flicite Pujol de la venue de ces colons vascofranceses et promet


au gouverneur de suivre les premiers travaux et surtout le systme employ dans
la colonie. Cependant, la question de la lgitimit de la prsence franaise se pose
vis--vis de la proprit des terres. En effet, Brougnes demande que dans un
premier temps leur soient procurs les moyens de subsistance, puis aprs un dlai
suffisant la pleine proprit de la terre 1108 . Cette question du droit du sol est
centrale car elle entrane en 1856 un premier hiatus propos de la donation dun
terrain immense revendiqu par le franais Blaise Despouy quil prvoit de loffrir
la Compagnie Maritime de France. Bernab Lopez, ministre des Affaires
trangres de la Confdration, prescrit Pujol de trouver tous les documents
pouvant invalider cette demande pour soutenir les rclamations de leur
reprsentant en France Juan Bautista Alberdi 1109 . Le spectre de voir sinstaller une
petite France, une nouvelle France Antarctique nest pas voqu par les
Rioplatenses. Cependant cette colonie est tablie selon Bonpland contre le
principe du creuset, dans la mesure o elle gnre sa propre administration. Il
souhaite au contraire le dveloppement dune plus grande assimilation des colons
au sein du territoire 1110 , le problme de lacculturation tant pour lui primordial.
Jusqu quel point linfluence de Bonpland sur Pujol peut-elle expliquer
lchec de Brougnes ? En effet, le premier convoi arriv en fvrier 1855 avec
moins de 250 personnes se heurte labsence des structures promises, Pujol
dbauchant le vicaire et lenseignant. Les colons sinstallent prs dApip et
sintgrent aux Correntinos. Quant au second et dernier convoi, il est install
Santa Ana faute de terrain disponible Apip mais se heurte aux leveurs
provinciaux, la juxtaposition de llevage et de la culture entranant des conflits
compliqus par la juxtaposition de deux administrations juridiques coloniale et
provinciale. Ses obligations amnent le consul franais en Argentine se rendre
1108

A. Brougnes J. Pujol, Corrientes, 29 aot 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 99.
AGPC, Correspondencia official, tome 152, fs. 150-151, B. Lpez J. Pujol, Paran, 15
octobre 1856.
1110
AMFBJAD n 85, Bonpland J. Pujol, Restauracin, 20 mai 1855. Le contrat de colonisation
de 1853 prcise toutefois que les immigrants, sils peuvent exercer les fonctions administratives au
sein de la colonie, demeurent entirement soumis aux lois du pays. A ce propos, il rappelle que le
peuplement, outre quil doit se fondre dans le creuset argentin, doit rpondre lobjectif principal
du dveloppement conomique.
1109

274

Premire partie

Chapitre III

dans la colonie en octobre 1856 1111 , sans quil ne prenne aucune dcision.
Lassassinat du responsable des colons franais scelle la fin de lexprience dj
fortement compromise par une invasion de sauterelles venues du Paraguay. Les
checs de ces premires tentatives de colonisation sont le rsultat de
linadquation entre un modle et une ralit sociale.
A ce titre les checs collectifs, quils soient correntinos ou extraprovinciaux, ont les mmes causes que ceux prouvs par Bonpland. Juan
Antonio Oddone et Jan M. G. Kleinpenning rappellent les difficults des colonies
uruguayennes la mme poque, voquant le vagabondage du btail, le manque
de soutien du gouvernement, les faibles communications, le climat dfavorable, la
pauvret des sols et lattirance pour la ville des migrants1112 . Lavant-dernier point
nest pas vrifi Corrientes mais le dernier mis en valeur par lauteur est un
facteur dterminant, les Europens colonisant les villes atlantiques. Il sagit dun
point analyser afin de comprendre la typologie amricaniste rioplatense.

Un rsultat politique, la dfinition de lamricanisme correntino :


affirmer une identit rgionale
En 1854, les principes politiques noncs par Bonpland son empereur
constituent le thme central des relations et reprsentations transatlantiques, les
trois premiers points rejoignant la question de lidentit politique et de lattitude
adopter vis--vis de celle-ci. Il faut dabord que la France se prononce et
oblige , ce qui signifie quelle impose sa vision politique des faits encore
faut-il quelle soit cohrente. Mais imposer quoi ? Des limites gographiques
et des lois stabilisatrices, les fondements de lidentit nationale. En esprant
que les Lumires de la France irradient ces pays et quelles les changent en
nations, Bonpland aborde le problme des formes de lidentit politique
1111

Le prsident Urquiza recommande Pujol de prendre un soin tout particulier pour accueillir
cette visite, un des motifs du voyage de Lefevbre de Bcourt tant de visiter la colonie des
franais ; AGPC, Correspondencia oficial, tome 152, fol. 156, B. Lpez, ministre des Affaires
trangres, J. Pujol, Paran, 17 octobre 1856 ; AGPC, Correspondencia oficial, tome 152, fol.
159, B. Lpez, ministre des Affaires trangres, J. Pujol, Paran, 18 octobre 1856.
1112
ODDONE Juan Antonio, La formacin del Uruguay moderno. La inmigracin y el desarrollo
econmico-social, Buenos Aires, Eudeba, 1966, pp. 16-29 ; KLEINPENNING Jan M. G., op. cit.,
pp. 196, 217-218.
275

Premire partie

Chapitre III

amricaniste, de leur spcificit et de leur mconnaissance par les Europens. Si


ceux-ci assimilent plus ou moins rapidement ces identits une variation sur le
thme de la barbarie, en revanche cest sans succs quils tentent avec plus ou
moins de conviction dimposer leur civilisation. Est-ce dire que les barbares sont
plus tenaces au Ro de la Plata ou quen matire de guerre des images, les
rioplatenses se montrent meilleurs combattants ?
La rfrence lEurope au milieu du XIXe sicle est toujours
incontournable, la priode dite de consolidation nationale 1113 permettant au
discours civilisateur de simposer parmi les milieux dirigeants. Ainsi, le
gouvernement de Pujol jouit
de la plus grande estime chez tous les Gouvernements clairs
dEurope et [] le nom de V. E. tait universellement admir par tous les
hommes sages et senss

1114

La flatterie est exagre mais les lettres amricaines et europennes de Bonpland


dcrivent un gouvernement clair et libral, une sagesse, une philanthropie et une
francophilie 1115 . Les sujets de correspondance changent aprs 1852, la guerre
cdant la place la construction nationale et au discours naturaliste. Le caractre
particulier, provincial de cette francophilie souligne une des formes que prend
lamricanisme en Amrique. La place de Corrientes y est particulire, Juan Pujol
la consignant dans un ouvrage mettant face face la xnophobie de Rosas et le
modle franais, mre de notre faible civilisation 1116 .
Ds 1852 Pujol et Vicente Fidel Lpez changent leurs sources1117 , le
premier pour rdiger lhistoire de Corrientes en la organizacin nacional, le
second pour crire lhistoire de lArgentine. La construction identitaire
provinciale de Pujol, marque par sa francophilie politique, soppose au modle
de Lpez rejetant cette Europe qui ni ne nous comprend pas, ni ne peut nous
1113

Daprs SCOBIE James R., La lucha por la consolidacin de la nacionalidad argentina, 18521862, Buenos Aires, Hachette, 1964 ; PIVEL DEVOTO Juan E., Intentos de consolidacin
nacional, Montevideo, Medina, 1972-1973, 2 vol.
1114
de la mayor estima en todos los Gobiernos ilustrados de Europa y [] el nombre de V. E.
estaba universalmente admirado por todos los hombres sabios y sensatos, in PUJOL Juan, op.
cit., tome 7, p. 100.
1115
Ibid. ; Pujol peut tre compar au Brsilien Pimenta Bueno, amateur de littrature dconomie
politique franaise ; cf. DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, p. L-LI.
1116
era Francia madre de nuestra poca civilizacin, madre de todos nuestros progresos
intelectuales, era con sus hbitos y sus ideas un objeto de odio para los hombres que acompaaban
al tirano , in PUJOL Juan, Introduccin la historia de los partidos polticos de la Repblica
Argentina , in ibid., tome 1, p. 75.
1117
V. F. Lpez J. Pujol, Montevideo, 8 janvier 1852, in ibid., tome 2, p. 19.
276

Premire partie

Chapitre III

comprendre 1118 . Le discours amricaniste du Correntino sidentifie pour sa part


au discours europen, crant une unit de perspectives concidant dautre part
avec le dbut de lorganisation gouvernementale argentine. A ce titre, Corrientes
est une pice du discours usage externe ou interne selon le but politique, Justo
Maeso sadressant son tour Pujol afin quil lui procure toutes les informations
possibles concernant la province afin de publier un ouvrage qui permette de faire
connatre lArgentine aux Europens comme ses propres habitants. Maeso
souhaite complter louvrage de Parish faisant rfrence depuis 1838, dont il
traduit et commente la seconde dition parue en 1852 1119 .
Colonisation et construction politique vont de pair et Pujol sert autant de
relais que de centre. Il est un relais lorsquen dcembre 1853 Alfred Marbais du
Graty 1120 lui remet un exemplaire du mmoire envoy Paris pour attirer les
industriels et les immigrants, lui demandant de rpertorier dans sa province toutes
les donnes pouvant attirer les trangers 1121 . Il est au centre lorsquil produit son
propre instrument de propagande, lExposition Permanente dote de son
propagandiste privilgi, Aim Bonpland. Directement ou non, la communication
des informations se diffuse auprs du monde politique franais. Ensuite, leur
assimilation et leur restitution par la France savre primordiale pour attirer les
migrants. Lelong, qui rappelle en des termes peu courtois que les produits
provinciaux exposs Paris en 1855 le sont pour favoriser la venue de colons,
voit sa deuxime proposition de colonisation Corrientes refuse.
Colonisation et identit politique rgionale vont de pair, mais dans le cas
de Corrientes comme dans beaucoup dautres provinces rurales ltranger reste en
marge de laffirmation identitaire. Le plus impliqu dentre eux, Aim Bonpland,
demeure la priphrie de cette affirmation, son modle de colonisation ne
1118

esa Europa que ni nos comprende, ni puede comprendernos , V. F. Lpez J. Pujol,


Montevideo, 7 janvier 1852, in ibid., tome 2, p. 10.
1119
J. Maseo J. Pujol, Buenos Aires, 17 octobre 1852, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, pp. 200201. Woodbine Parish (1796-1882), charg daffaires britannique Buenos Aires entre 1825 et
1832, en ramne un ouvrage intitul Buenos Ayres and the Provinces of the Rio de la Plata, publi
en 1838 Londres.
1120
Alfred Marbais du Graty (1823-1891) est un ingnieur militaire belge qui se rend au Bsil en
1850 puis en Argentine en 1851, sengageant dans larme dUrquiza. Celui-ci le nomme en 1854
directeur du nouveau muse de Paran. En 1856 il est lu dput mais revient en Europe en 1858,
publiant Paris un ouvrage destin favoriser lmigration vers lArgentine. Aprs un nouveau
sjour dans le Ro de la Plata, Marbais du Graty retourne dfinitivement en Belgique au dbut des
annes 1860. L, il occupe plusieurs postes au sein de ladministration dEtat dont celui de
directeur du Musum des sciences naturelles.
1121
AGPC, Correspondencia official, tome 150, fol. 15, A. Marbais du Graty J. Pujol, Paran,
dcembre 1853.
277

Premire partie

Chapitre III

survivant ni sa mort ni celle de Pujol. Il lgue nanmoins la province un


hritage symbolique qui participe lidentit correntina 1122 . Lamricanisme
correntino rsume le modle confdral argentin, assimilateur et concurrentiel,
dautant plus que Juan Pujol accde au ministre national de lIntrieur sous la
prsidence du Cordouan Santiago Derqui membre de son clan 1123 en 1860.
Cette courte carrire lui permet seulement desquisser au niveau national son
modle bauch Corrientes 1124 .

C.

UNE

PENSEE

AMERICANISTE,

DE

LA

GESTE

INDEPENDANTISTE A LA GESTE TRANSATLANTIQUE


Le cadre chronologique couvre ici la priode 1808-858, ce qui correspond
la micro-histoire dAim Bonpland inscrite dans lhistoire de lamricanisme
rioplatense. Celle-ci comprend dabord la geste indpendantiste comprise entre
1808 et 1838. La premire priode commence avec linvasion de lEspagne par les
armes napoloniennes et londe de choc qui se propage dans les colonies
hispaniques ; elle se termine en 1838, lors de la premire intervention navale
franaise contre le nouvel Etat indpendant argentin. Ensuite, la geste patriotique
se confond avec le rgime rosista jusquen 1852, enfin la geste transatlantique
partir de 1852, concidant avec la chute de Rosas et le retour de limprialisme en
France, jusquen 1930 au moment o cesse la grande vague dimmigration
europenne 1125 . Nous prenons en considration les acteurs transatlantiques et pas
seulement les acteurs rioplatenses car les cadres chronologiques ne sont
videmment pas les mmes, le rattachement de Buenos Aires lArgentine et la
guerre de la Triple Alliance contre le Paraguay constituant des approches internes.

1122

Cf SCHININI Aurelio, ARBELO DE MAZARO Aurora, Bonpland naturalista. 2008 ao


bonplandiano. 1858-2008. 150 del fallecimiento del Dr. A. Bonpland, Corrientes, Cultura
Corrientes, 2008.
1123
Cf. CRUZ JAIME Juan, op. cit.
1124
Cf. GOMEZ Hernn F., op. cit.
1125
Celle-ci comprend un temps plus long qui correspond au long terme voqu par Bonpland
et Demersay ncessaire au dveloppement du pays. Cette geste est-elle-mme divisible,
notamment entre 1852 et 1870, cette dernire date marquant une rupture dans lhistoire
europenne ainsi que le dbut de limmigration massive vers lAmrique. Mais il sagit surtout
dun autre sujet que nous nous gardons daborder ici.
278

Premire partie

Chapitre III

Il est certain qu la diffrence essentielle dautres champs daction sur


lesquels sexerce limprialisme europen on pensera lAfrique ou lAsie
au Ro de la Plata lhritage culturel europen, quil se soit dnatur ou bonifi
selon les sources, parvient contrer leuropocentrisme dont Bonpland se fait un
temps le porte-parole. Lattitude diplomatique franaise ou anglaise montre
combien il est difficile de saventurer dans un terrain aussi marcageux que lest
celui de la civilisation sud-amricaine. Aussi, dans les discours comme dans les
actes la rencontre modifie les apprciations, Bonpland et dautres en tmoignent.
Lamricanisme, en Amrique, est dabord une affirmation identitaire, culturelle
et politique forte, la fois lie mais aussi en rupture vis--vis de la pense
europenne 1126 .
La pyramide des obdiences qui se construit grce aux cits entre 1808 et
1821 a t analyse par Genevive Verdo 1127 . La pyramide que nous proposons
dlaborer travers de lexprience de Bonpland est base sur une analyse des
sociabilits et des sensibilits du Franais. Il sagit doprer la synthse dune
vision politique amricaniste sappuyant sur les rseaux, les discours et les actes
afin den dgager la structure. Ce travail, ralisable seulement aprs lanalyse
dtaille de trente annes dacculturation ininterrompues du Rochelais, entre 1817
et 1858, ne peut pas ne pas prendre en compte lexprience amricaine de
Bonpland vcue avec Humboldt entre 1798 et 1804, mme si le rcit de voyage
est crit de la main du Prussien. Pareillement, la priode comprise entre 1804 et
1817 forge les convictions politiques du savant dont la vision prend laspect dune
pyramide des puissances civilisatrices.

1. Sauveurs et tyrans : le modle politique incarn


Les structures de la pense dAim Bonpland voluent entre 1798 et 1858,
ce qui en fait un tmoin privilgi qui, contrairement aux voyageurs, nous livre
une vision non pas immobile mais continue. Cependant les acteurs auxquels il est
1126

On sait que lanalyse historique dune population ou dune culture est aussi un problme
smantique. [] Les origines trangres dun concept, comme les dcalages smantiques entre les
divers lieux o il est utilis, ouvrent une voie daccs privilgie la comprhension des transferts
culturels , note ESPAGNE Michel, op. cit., p. 5.
1127
VERDO Genevive, op. cit.
279

Premire partie

Chapitre III

confront partir de 1817 tordent son schma de pense sans le casser, son
discours propos des sauveurs dmontrant quil sadapte aux vnements sans
changer fondamentalement sa croyance en une entit capable de changer le cours
de lhistoire. Aussi, les changements dopinion quil opre vis--vis des acteurs
politiques transatlantiques tendent le conforter dans sa conviction quil existe
des individus capables de crer un consensus politique au Ro de la Plata. Au
dessus de ceux-ci Bonpland place une main invisible, la France, dont le rle est
dorienter les individus vers le meilleur modle politique.
Comme Stephen Bell lexplique pour le domaine conomique, nous
pensons que Bonpland est la recherche dun patron politique. En effet, il
privilgie les relations engages, ce qui explique leurs fluctuations dabord parce
quelles dpendent des hasards de la guerre, ensuite parce quelles se redfinissent
au gr de la mobilit politique de ses contemporains. A ce propos, les nombreux
transfuges influent sur les rseaux et donc les reprsentations de Bonpland. Ils
expliquent certaines ruptures, telle celle exprimente avec Pedro de Angelis,
chantre de Rivadavia puis de Rosas. Politiquement, beaucoup des acteurs
auxquels Bonpland est confront disparaissent ou reviennent au sein de son
horizon pistolaire au nom de principes politiques bien tablis.

LEtat sauveur : la France, de Napolon Ier Napolon II


Lacteur autant que le principe fondamental, celui qui demeure en haut de
la pyramide des reprsentations du Rochelais est la France. Plus exactement,
limage que celui-ci se construit partir du prisme bonapartiste donne son pays
un rle de bienfaiteur jamais dmenti depuis 1808, lorsquil fait de laction la
France napolonienne une condition du bonheur des Amricains, jusquen 1854
lorsquil demande Napolon III daider le Ro de la Plata atteindre la flicit.
Les pisodes intermdiaires, les changements de gouvernements et de rgimes ne
dmentent pas cette position prpondrante de la France, comme cela t tudi
auparavant.
Il sagit ici de sappuyer sur ces pisodes afin de les analyser selon le
prisme amricaniste. Pour cela il faut commencer tudier lamricanisme
labor par Bonpland en 1798. Comme pour beaucoup le choix se fait par hasard,
280

Premire partie

Chapitre III

ce qui est le cas pour Humboldt et Bonpland lorsquils arrivent en Espagne avec
lide de rejoindre les savants de Bonaparte en Egypte. Le second dcouvreur de
lAmrique quest Humboldt ne fait pas mieux en matire de choix que le
premier, avec toutes les prcautions quimpose la question de la dcision de la
destination 1128 . Lopportunit de se rendre en Amrique est un concours de
circonstances obtenu par Humboldt, le Franais demeurant dans lombre pour des
raisons diplomatiques. Entre 1799 et 1804, leur voyage marque certainement
Bonpland autant que Humboldt, le tmoignage crit par le second ayant t vcu
par le premier. Or, celui-ci insiste sur la pntration des Lumires franaises au
sein du continent amricain. Cette exemplarit des ides, Bonpland la
certainement note et digre, avant de la rciter partir de 1804 dans un pays qui
devient un empire. Aussi, lorsque commence la geste indpendantiste en 1808 la
France est incarne par un homme, Napolon Ier, et par un modle, lEmpire,
centralis Paris et entour dEtats-satellites, soumis ou allis.
En 1808, Bonpland effectue sa premire demande pour faire rayonner
linfluence et rpandre les ides de la France en Amrique. Il nobtient pas
lautorisation de partir mais lintendance de Malmaison. Cette promotion peut tre
interprte de plusieurs faons et elle a probablement plusieurs causes, une de
celles-ci pouvant tre lie son projet amricain et perue comme un
remerciement. Aucune source ne prouve cette hypothse, mais elle demeure
envisageable puisque sa nomination la direction de Malmaison intervient aprs
que Bonpland ait tent en vain dintgrer les institutions scientifiques
franaises 1129 . Bonpland appelle de nouveau la France laide des Libertadores
en 1815, cette fois en proposant non plus une aide individuelle mais une
immigration qualitative. Le schma est moins politique mais dj plus social, la
pntration par capillarit tant privilgie.
Finalement le botaniste part en 1816 sans le soutien de son pays.
Cependant, il reste marqu par un patriotisme rigeant la France en modle
politique. Sagit-il alors du modle napolonien ou dun modle diffrent ? Quel
que soit lide quil se fait de lavenir des colonies espagnoles, la configuration
politique rioplatense et particulirement bonaerense loblige tordre rapidement
1128

Christophe Colomb a choisi la route atlantique en connaissance de cause. Humboldt profite lui
aussi du bon vouloir de la royaut espagnole en sachant quil saventure en terre inconnue, cest-dire quelle lui offre une mine de ressources naturelles dcouvrir.
1129
Les causes scientifiques sont analyses dans le chapitre IV.
281

Premire partie

Chapitre III

sa pense, davantage si celle-ci a pour rfrence lempire franais. En effet,


lautonomisation des cits empche une unification centralise Buenos Aires.
Son engagement vis--vis du gnral Ramrez, dfenseur du systme fdraliste,
son avance vers le Paraguay o rgne un homme admirateur de Robespierre et de
Napolon, enfin son rapprochement au cours des annes 1830 vis--vis dune
province fdraliste mais francophile sinscrit dans un schma de pense rigeant
la France en modle. En effet, Bonpland naime pas Buenos Aires comme il
naime pas Paris, il prfre Santa Ana comme il prfre Malmaison, mais il
reconnat la ville portea comme le centre politique de lArgentine.
Lorsque dbute la geste patriotique, le Rochelais na plus quune image de
la France lui servant de repre la fois pour son identit comme pour celle du Ro
de la Plata. La dtention paraguayenne a probablement mythifi le rle de la
France ; en 1832 Bonpland commence tenir un discours messianique vis--vis
de son pays dorigine. Aussi lorsquen 1838 la premire confrontation oppose
celui-ci Rosas, le Rochelais dveloppe un discours idalis avant de sengager
au nom de principes politiques bonapartistes. Les sauveurs amricains se
multiplient, mais le principe rgulateur, le grand sauveur reste la France, gne
par lAngleterre il ne fait pas rfrence au Royaume-Uni cr en 1801, comme
la plupart de ses contemporains et devant agir seule.
Les annes 1840 sont aussi sombres pour Bonpland quelles le sont pour
limprialisme franais. Linstabilit ministrielle en France rpond linstabilit
personnelle du Franais. La ncessit dun rapprochement franco-britannique,
concrtise par lintervention conjointe de 1845 au Ro de la Plata, corne le
prestige du modle idalis par Bonpland. A ce titre, le trait sign en 1849
marque pour Bonpland non pas une continuit dans la politique neutraliste
franaise mais une perte de prestige supplmentaire, la France ntant plus en
mesure dagir seule et de dcider dune action dcisive en Amrique.
Aim Bonpland doit attendre le dbut de la geste transatlantique pour
esprer de nouveau une prsence franaise forte au Ro de la Plata. La rsurrection
de lempire lui redonne une telle confiance dans laction de Napolon III,
annonce haut et fort Bordeaux, quil ose sadresser directement son souverain
pour lui demander son appui. Ce geste pistolaire est, nous insistons, signifiant
dans le sens o il permet Bonpland de redonner son pays un statut suprieur,
capable de jouer le rle du sauveur. Le savant consacre les annes qui suivent
282

Premire partie

Chapitre III

lcriture de cette lettre simpliquer dans les affaires politiques du Ro de la


Plata, avec lespoir jamais assouvi que le Second empire devienne cette main
invisible qui manque aux sauveurs amricains.

Lindividu sauveur : de Bolvar Urquiza


Avant que ne commence le mouvement rvolutionnaire, Humboldt et
Bonpland en ressentent les prmices entre 1799 et 1804. Sil ne retrouve pas
Bolvar Buenos Aires en 1817, il le rencontre lors du sjour que ralise le
Libertador en France en 1804 et voit en lui le champion de la libration des
colonies espagnoles. Cet attrait prcoce pour le sauveur ne se confirme pourtant
pas lorsquil retrouve un autre Libertador Buenos Aires, San Martn, lors du
court sjour que celui-ci y effectue en 1817. Natif dun pueblo des missions
jsuites, le Rioplatense nest mentionn ni comme un sauveur ni daucune autre
manire par Bonpland. Entre 1817 et 1821, aucun acteur de lindpendance
nmerge dailleurs des discours de Bonpland.
A linstar de San Martn, Francia nest pas mentionn dans le panthon du
Franais. Cependant, lhypothse selon laquelle le savant souhaite entrer en
relation avec lui apparat tout fait crdible, car il incarne un systme politique
approuv par Bonpland. En outre il hberge le gnral Artigas, le second
personnage qui apparat dans le panthon de Bonpland aprs Bolvar, le premier
depuis son arrive Buenos Aires en 1817. La mention dArtigas comme
lhomme capable de librer le sous-continent date de 1831, ds sa sortie du
Paraguay 1130 . Elle prcde de peu lajout de Rosas, salu par Bonpland le 29
juillet 1832 dans des termes similaires lors de son sjour Buenos Aires1131 .
Bolvar, Francia, Artigas et Rosas constituent les premiers hros du Franais. Or,
en 1832 Bolvar nest plus sur la scne politique et Francia affirme sa politique
dfensive, ne constituant en aucune manire recours pour le sous-continent. Si
pour Francia un doute demeure quant au statut que le Franais lui accorde, Artigas
et Rosas sont textuellement dcrits comme des sauveurs. Pourtant, il sagit de
1130

AMFBJAD n 24, Bonpland P. Ferr, So Borja, 17 octobre 1831.


AMFBJAD n 2036, Banquet Patriotique clbr par les Franais habitant Buenos Aires, 29
juillet 1832.

1131

283

Premire partie

Chapitre III

deux hommes que leurs buts politiques opposent, Artigas tant fdraliste et
Rosas unitariste.
Mais Bonpland lit encore le Ro de la Plata lors de la premire moiti des
annes 1830 comme un voyageur, non comme un acteur. Il lit aussi la rgion
daprs le prisme indpendantiste, sans reconnatre encore la scission entre
fdralistes et unitaristes. Au cours de la seconde moiti de cette dcennie sa
reprsentation saffine, allant dune vision indpendantiste vers une vision
patriotique accompagnant lvolution des gestes susnommes. En 1837, sa
rencontre avec le gnral farrapo brsilien Joo Manoel de Lima e Silva quil
destine occuper une place de premier ordre dans lhistoire de la revolution de
lAmrique du Sud 1132 est un premier pas vers une lecture transnationale de
lAmrique, plus nuance bien que le prisme demeure continental.
En 1840 le panthon se modifie alors que la geste patriotique est
commence. A cet gard, il faut remarquer qualors quen 1804 Bonpland anticipe
depuis la France le rle venir de Bolvar, il ne peut le plus souvent que constater
a posteriori le rle des dirigeants politiques et militaires partir de 1838, ceux-ci
ayant prouv leur valeur lors des guerres dindpendance. Ainsi Lavalle et Rivera
prennent la place de Francia et Rosas. Si Lavalle est rapidement mis lcart,
Rivera demeure jusqu sa mort une rfrence pour Bonpland bien quil soit
conscient de son action motive avant tout par la dfense de la rpublique
uruguayenne. Prcisment, lindpendance de lUruguay reconnue par la France et
lappui que Rivera est susceptible dapporter la cause argentine amne un motif
supplmentaire de rapprochement, gal celui qui motive le rapprochement
davec les Riograndenses, les ambitions personnelles et les risques dimmiscions
dans les affaires argentines tant moins forts. Quant Paz, il napparat pas
comme un sauveur mais comme un ambitieux 1133 .
Pour quil y ait des sauveurs il faut quil existe des tyrans. LEspagne
lincarne avec Bolvar, Artigas et Rosas ne se voyant opposs quant eux aucune
antithse au dbut des annes 1830, la reprsentation indpendantiste dans
laquelle se situe Bonpland ne ncessitant pas encore de contre-modle. Il en va

1132

AMFBJAD n 1721, journal, So Borja, 8 juillet 1837. Sa prdiction ne se ralise pas, Lima
tant assassin So Borja le mois suivant.
1133
Labsence presque totale de Bonpland dans les mmoires de Paz peut tre explique par
lanimosit entre les deux hommes.
284

Premire partie

Chapitre III

autrement partir de 1840, Rosas devenant le tyran combattre au sud tandis


quau nord Francia est qualifi d
excecrable tyran, que ses voisins et les puissances de la terre laissent
tranquille malgr les insultes quil fait tous les jours

1134

Rosas et Francia sont autant dtests quils ont t admirs par un


naturaliste dsormais immerg dans la geste patriotique. Cependant, lhgmonie
rosista qui se construit entre 1842 et 1851 ne rencontre aucun obstacle, aucun
sauveur. A la fin de lanne 1842, si Bonpland compare la chute de Pedro Ferr
celle de Napolon, il nest pas question de comparer les deux chefs mais
linjustice des hommes et la facilit quils ont calomnier lorsque cela
entre dans leurs vues

1135

Avec Urquiza, Bonpland anticipe de nouveau ds 1850 le rle venir dun


homme providentiel. Les 13 et 14 avril 1850, Bonpland rencontre Urquiza pour la
seconde fois 1136 :
tout m surpris dans le gnral Urquiza. jai trouv dans ce chef
jeunesse, activit extrme, une constitution atletique, amabilit,
franchise, bont extrme, un amour et une execution rares de travaux
utiles &c.

1137

Au cours de cette entrevue, le gnral offre au savant un verre de cristal portant


une tte de Napolon ; ce geste ne peut que charmer le bonapartiste. Cette
recherche de lhomme providentiel, cette rfrence au mythe du sauveur construit
par Bonpland est le mme que celui de ses contemporains rioplatenses ou
Europens, Bonpland tant la recherche du hros capable de rassembler autour
de lui les forces capables de jeter terre le rgime de Rosas 1138 .

1134

AMFBJAD n 421, Bonpland A. P. de Candolle, Montevideo, 18 mai 1840.


AMFBJAD n 1744, journal, Santa Ana, dcembre 1842.
1136
La premire rencontre sans consquence entre les deux hommes ayant eu lieu en 1832
comme le rappelle Urquiza Bonpland ; cf. MNHN, ms 209, 13 et 14 avril 1850. Ce tmoignage
dment laffirmation de Juan A. Domnguez, lequel fait dbuter les relations amicales entre les
deux hommes ds 1839, fait dautant plus improbable quils se trouvent alors dans les deux camps
opposs, comme le souligne dailleurs lauteur. Cest bien partir de la constitution de l Ejrcito
Grande, en 1850, que Bonpland et Urquiza se rapprochent ; cf. DOMINGUEZ Juan A., Urquiza y
Bonpland. Antecedentes histricos. La disentera en el Ejrcito Grande en formacin, en 1850. Su
tratamiento por la granadilla : Pieramnia Sellowii Planch. v. Picraena (Pierasma) palo-amargo
(Speg.) Speg. v. Castela Tweedie Planch. (Notas y documentos inditos para la historia de la
medicina argentina), Buenos Aires, Trabajos del Instituto de Ciencias Mdicas de Buenos
Aires/Facultad de Ciencias Mdicas de Buenos Aires, n 59, 1939, pp. 9-10.
1137
MNHN, ms 209, 13 et 14 avril 1850.
1138
BCNBA, Bonpland G. Valds, 27 juillet 1851.
1135

285

Premire partie

Chapitre III

En effet, le systme mis en place par Juan Manuel de Rosas catalyse les
accusations de tyrannie de la part de tous ses adversaires. En 1846, Juan Pujol
laccuse de vouloir tuer tout germe de prosprit et de civilisation dans les
provinces, comparant ses uvres celles de lInquisition au XVe sicle 1139 . A la
veille de sa chute l humain dictateur 1140 qui redouble de violence 1141 , est
surnomm le grand amricain [] par les partisans de son exclusivisme
politique 1142 . Car il sagit bien dune guerre pour que simpose une pratique
politique amricaniste dont Pujol symbolise pour Bonpland le dernier exemple, le
Correntino transformant lamricanisme dfendu par Rosas en xnophobie antifranaise 1143 . Au niveau provincial comme au niveau national, le mythe de
lhomme providentiel qui nest que ltape devant prcder lavnement de
lEtat providence rconcilie donc les citoyens avec lide dun processus,
naturellement instable mais ncessaire, vers la civilisation. Lincarnation, la
reprsentation de la nation dans une personnalit est au cur du discours des
rioplatenses ds lindpendance. Le temps nomm des caudillos, succde et
parfois se mle aux projets monarchiques. Au niveau provincial comme au niveau
national, la figure du sauveur est la cl sans laquelle on ne peut comprendre
lhistoire de cette partie de lAmrique du Sud.

2. Cits et sociabilits : les pratiques politiques en gestation


Les lectures des pratiques politiques rioplatenses sont multiples et
multiformes. Famille, clan, cit, province, patrie, nation, Etat, ville ou campagne
ne sont que les principaux lments constitutifs de lidentit politique en gestation
entre 1798 et 1858. Leur imbrication, leur enchevtrement ou leur opposition
1139

PUJOL Juan, op. cit., tome 1, p. 134.


Rosas a rompu avec Garzn et Urquiza dont les fils ont fui car lhumain dictateur, les faise
chercher, certainement, se ntait pas pour les complimenter , AMFBJAD n 780, F. Pomatelli
Bonpland, Porto Alegre, 20 mai 1851.
1141
Juan Silvero apprend du Comercio del Plata que Rosas el Tigre a renovado su masorca
et que le 30 avril il a ordonn la dcapitation de 27 individus dans sa quinta de Palermo ;
AMFBJAD n 1067, J. Silvero Bonpland, Restauracin, 5 juin 1851.
1142
DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, p. LXI.
1143
Le dbat est encore port par les historiens argentins revisionistas ; cf. QUATTORCHIWOISSON Diana, Un nationalisme de dracins. LArgentine pays malade de sa mmoire, Paris,
CNRS, 1992 ; HALPERIN DONGHI Tulio, El revisionismo histrico argentino como visin
decadentista de la historia nacional, Buenos Aires, Siglo XXI, 2005.

1140

286

Premire partie

Chapitre III

forment moins une pyramide quune structure difficile modliser pour le temps
et lespace voqus. Il sagit de tenter desquisser la figure la plus simple possible
daprs lexprience et le discours de Bonpland. L encore les grandes lignes des
reprsentations politiques du Franais ne se modifient pas, deux piliers en
constituant le socle, savoir lunit et le progrs.

Lunit, des Provinces Unies la Confdration Argentine


Les sujets croles que rencontrent Humboldt et Bonpland forment des
clans que Bonpland retrouve en 1817. Mais alors quil espre trouver Buenos
Aires comme Londres une unit politique constitue autour de lindpendance, il
est confront des partis combattant pour le pouvoir. La neutralit laquelle on
lengage en tant que savant lui offre la possibilit de dresser un tableau des
sociabilits indpendantistes ; il demeure dailleurs en retrait aprs quil ait t
averti deux fois. Cependant, lunit quil espre voir se construire dans les
Provinces Unies du Ro de la Plata lui apparat rapidement dpendante de la
prdominance dun parti ou plutt dune personne capable de regrouper
suffisamment autour de lui les lments lui permettant dincarner cette unit.
Lunit, comme le progrs, ncessite pour le Franais de lordre. Or,
Buenos Aires lui apparat comme une ville de partis mens par les luttes
commerciales. Il a la possibilit de se transporter Rio, offrant apparemment plus
de stabilit. Par deux fois la capitale lusophone lui est accessible, une premire
fois la fin des annes 1810 alors que le projet de cabinet dHistoire naturelle
vgte Buenos Aires, une seconde fois en 1838 lorsquon lui propose la
direction de son jardin botanique. Au cours de la mme dcennie, les autorits de
Montevideo souvrent lui pour lui offrir la possibilit de fonder l une tradition
scientifique, une seconde opportunit lui tant offerte pour sy rendre sans offre
scientifique cette fois alors quil vgte So Borja durant les annes 1840.
Cependant, il refuse de sy installer comme il refuse aprs sa dtention
paraguayenne de mener bien un travail scientifique Buenos Aires 1144 .
1144

Dans le cas de Buenos Aires au cours des annes 1830 comme dans le cas de Montevideo pour
les annes 1840 aucune proposition ne lui est faite, mais son statut lui permet de prtendre aux
plus hautes fonctions scientifiques.
287

Premire partie

Chapitre III

Pourtant, les villes atlantiques et Buenos Aires particulirement sont pour


lui le centre politique du pays. Mais elles ne sont pas le centre de son unit, les
partis sy livrant une lutte de pouvoir synonyme au contraire de division.
Bonpland, pouss par son parcours naturaliste, va chercher lunit dans lintrieur.
La gographie, le climat, la gologie et la botanique forment pour lui lidentit
dun pays quil sagit, certes, de capitaliser dans un lieu de mmoire et
dobservation situ en son centre politique, mais quil faut reconnatre in situ.
Lunit politique dcoule dune identit gographique multiple, elle doit se
construire autour de la diversit. Il apparat vident que cette vision dune unit
dans la diversit prend racine autant dans la formation scientifique du Rochelais
que dans son voyage ralis avec Humboldt. Pour comprendre lamricanisme du
Franais, il faut lire le Prussien.
En ce sens, la sensibilit de Bonpland le pousse vers le fdralisme qui
soppose lexclusivisme politique de Buenos Aires. Limage dArtigas, tentant
de crer une entit nationale partir de lInterior, rejoint celles de Corrientes et
des Missions qui reprsentent un noyau de civilisation. Quant laspect
transnational, il fait rfrence la geste artiguista mais tente en outre de dpasser
la frontire luso-hispanique en prenant appui sur lexprience rpublicaine
riograndense, sans succs. Lintervention brsilienne ultrieure qui permet de
renverser Rosas donne cependant raison Bonpland pour qui la construction
nationale doit sappuyer sur des alliances transnationales.
Pour que lunit se concrtise, il faut pourtant quun ordre politique se
mette en place aussi aux frontires. Ce paradoxe renferme le cur de la
problmatique politique laquelle Bonpland et ses contemporains sont confronts.
Pour cela, lesprit partisan doit tre dpass. Or cest linverse qui se produit, le
clanisme correntino se superposant la forme partisane nationale forme dans les
cits, particulirement les villes atlantiques. Bonpland en prend acte et choisit de
sassocier lentit politique la plus proche de ses idaux, celle de Ferr, des
Farrapos et de Pujol. Il adapte sa pense politique aux sociabilits rioplatenses,
son rle de conseiller lui permettant en retour dexercer une influence sur certains
acteurs en vue de permettre lunit politique de lArgentine en construction.
Enfin, lunit passe par la valorisation des racines communes. Or, les ftes
patriotiques indpendantistes ne suffisent pas ancrer une civilisation
plurisculaire. Une seule trace dantiquit subsiste dans ce qui devient la
288

Premire partie

Chapitre III

Rpublique argentine, les missions jsuites. Lappartenance de celles-ci constitue


toujours un dbat, dun point de vue historiographique aussi bien que politique et
culturel, la question tant souvent traite en marge des Universits avec beaucoup
de passion 1145 . En sinstallant dans les Missions, Bonpland se situe aux racines de
laire culturelle rioplatense. Il souhaite les prolonger jusquau plus profond de la
terre amricaine, en y incluant les habitants dorigine. Bonpland est indigniste,
dfinissant son amricanisme de 1820 1858 comme devant tre intgrateur vis-vis des Indiens. Cet idal vaut celui de Humboldt, le mtissage tant pour les
deux hommes une force civilisatrice. Il est contre-courant de la pense crole
dominant la seconde moiti du XIXe sicle, Sarmiento pensant que les Indiens
vivent dans loisivet et sont incapables, mme par contrainte, de se livrer un
travail continu 1146 .

Le progrs, des pionniers aux colons


Le recours aux habitants originels est une pierre de ldifice progressiste
pens par Bonpland ; il nest pas le seul. La valorisation du Ro de la Plata doit
tre guide, des pionniers comme le Franais devant se trouver aux avant-postes
en ce domaine. Cette ide, exprime en 1815, ne se dment pas jusquen 1858. L
encore, la continuit de pense est hrite de lducation thorique et pratique du
savant. Lhritage principal est celui des Lumires, le terrain dapplication est
adapt aux alas politiques. Il devient amricaniste car la catgorisation sociale de
Bonpland est clairement identifiable, limpulsion devant tre donne par les lites
culturelles, politiques et militaires. Celles-ci doivent duquer le peuple class
selon une chelle de valeurs originale.
Il est difficile de dgager une hirarchie du corpus lgu par Bonpland,
nanmoins les Indiens possdent les meilleurs atouts pour tre placs la pointe
du front pionnier pens par Bonpland car ils sont les mieux adapts et les plus
travailleurs. Ensuite, les colons europens sont susceptibles dacclimater leur
1145

La provincia perdida de lArgentin Alejandro Largua en est un des nombreux exemples ;


cf. LARGUIA Alejandro, Misiones orientales. La provincia perdida, Buenos Aires, Corregidor,
2000.
1146
SARMIENTO Domingo Faustino, Civilisation et Barbarie. Murs, coutumes, caractres des
peuples argentins. Facundo Quiroga et Aldao, Paris, Arthus Bertrand, 1853 (1845).
289

Premire partie

Chapitre III

savoir-faire et denrichir la rgion grce leur volont, condition de les


slectionner selon des critres dadaptation et de morale. Leur exemplarit
combine celle des Indiens doit enfin permettre aux Rioplatenses de se mettre au
travail :
il est difficile de comprendre ltat de paresse, dabandon de tant de
creolles

1147

explique-t-il en 1850. De 1817, lorsquil reproche son ouvrier venu de France


davoir appris la fainantise locale, jusquen octobre 1855, alors quil revient
Santa Ana et quil constate quune fois de plus en son absence la paresse et la
negligence de ses ouvriers ont entran la dtrioration de ses rcoltes 1148 , le
discours reste le mme.
Lchec de la rgulation gouvernementale explique lchec de la mise en
pratique dune politique de dveloppement. Les outils demands par Bonpland,
savoir la politique de prsence, la consolidation des frontires et la coopration
transnationale ntant pas mis en place, la colonisation priclite rapidement. Elle
se concentre dans les villes atlantiques, le Litoral tant relgu en priphrie.

3. Les interactions amricanistes


Il est possible, partir de lexprience de Bonpland, de schmatiser la
forme que prend lamricanisme politique depuis Corrientes au cours de la
premire moiti du XIXe sicle. Lamricanisme est ici un souverainisme issu de
lindpendantisme, la cit correntina sidentifiant la nation argentine et tentant
de sy insrer en tant que centre. Bonpland approuve cette revendication dans la
mesure o il place les racines civilisatrices du Ro de la Plata dans la rgion
marque par lhritage jsuite. Un dterminisme gographique et culturel guide le
Franais, les Missions reprsentant le cur de la civilisation rioplatense en
devenir. Ce devenir dpend de la capacit des hommes, individus et masses,
dirriguer ce cur grce un travail raisonn de mise en valeur du territoire.
Lamricanisme pens par Bonpland associe dterminisme et possibilisme afin
dengendrer un processus de civilisation. En cela il rejoint lanalyse de Humboldt
1147
1148

MNHN, ms 208, 7 juillet 1850.


Cf. AMFBJAD, s. n., 22 octobre 1855.
290

Premire partie

Chapitre III

propos de la Nouvelle-Espagne, mlant hritage et mtissage 1149 . Comme son


compagnon de voyage, il dveloppe un discours pr-amricaniste bien quil se
place moins dans le champ scientifique qui tudie le processus amricaniste que
dans laction qui caractrise lamricanisme. Bonpland ne dispose pas du recul et
des outils dAlcide dOrbigny, un des prcurseurs de lamricanisme scientifique.
Limmersion et laction alternent avec lanalyse, donnant corps un amricanisme
priphrique.

La pyramide civilisatrice bonplandienne : lamricanisme pens et


vcu
La pense amricaniste de Bonpland peut tre synthtise sous forme
dune pyramide hirarchisant les diffrentes puissances civilisatrices :
Graphique n 5
La pyramide civilisatrice bonplandienne

France

Dirigeants rioplatenses

Missions
Provinces
Indiens

Colons
Croles

Nation

1149

Cf. CERRUTI Cdric, Alexandre de Humboldt et la Nouvelle-Espagne : reprsentation et


interprtation dun modle politique libral dans lAmrique ibrique, mmoire de matrise
dhistoire ralis sous la direction de Jacques SOLE, universit de Grenoble II, 1998.
291

Premire partie

Chapitre III

La France domine cette hirarchie, elle a pour rle de transmettre sa


culture politique et sociale tous les autres niveaux de la pyramide. Cette culture
est caractrise par son bonapartisme, aussi les dirigeants rioplatenses sont-ils
placs tout de suite aprs la France car ils sont susceptibles dincarner lensemble
des valeurs civilisatrices et de les transmettre aux individus, aux provinces et la
nation. Les provinces se situent avant les habitants au nom dun dterminisme
gographique faisant du milieu un vecteur de civilisation auquel les individus
doivent sadapter et dont ils doivent tirer profit. Les Missions constituent un
modle plac au-dessus des autres provinces car le milieu naturel est favorable
lclosion de la civilisation, le milieu culturel constitu par lhritage jsuite
permettant en outre de disposer dun modle civilisationnel reproductible. Les
habitants sont eux-mmes diviss en deux catgories, les Indiens et les colons
europens disposant respectivement des atouts naturels et culturels pour mettre en
valeur le milieu. Les Croles sont jugs sinon moins aptes, du moins plus enclins
la paresse que les autres habitants. Enfin, lensemble de ces puissances
civilisatrices depuis la France jusquaux Croles doit contribuer la construction
de la nation.
La nation est donc situe au bas de la hirarchie bonplandienne , le
mouvement civilisateur et la construction nationale se ralisant partir dactions
individuelles et locales. En outre il y a peu dinteractions entre les diffrents
niveaux hirarchiques, le mouvement civilisateur allant du haut vers le bas.
Lamricanisme daprs Bonpland est dfini comme un processus de civilisation
provenant de vecteurs externes et internes, les interactions se ralisant surtout
lintrieur du continent amricain. Lunique mouvement dAmrique vers
lEurope est constitu par la redistribution des ressources produites grce
lducation donne par la France et lEurope. Quant aux interactions internes,
elles interviennent parmi les individus dune part, entre le milieu et les individus
dautre part. En effet, les comptences des Indiens et des colons ainsi que les
sociabilits dveloppes par les Croles, que ceux-ci soient dirigeants ou non,
peuvent crer des interactions permettant chacun de contribuer au
dveloppement des autres. De mme, les acteurs du processus de civilisation
influent leur tour sur le milieu.
Cette pyramide symbolise un amricanisme pens et vcu comme un
processus de civilisation comprenant des facteurs intra et extracontinentaux. Cette
292

Premire partie

Chapitre III

vision est frquente parmi les Europens mais trois lments distinguent Bonpland
de la plupart des voyageurs. Dabord il valorise laction de certains dirigeants et
individus rioplatenses, lesquels ne sont pas systmatiquement mis en situation
dinfriorit vis--vis des modles europens. Ensuite il dveloppe une pense
indigniste plaant lIndien au centre du processus de civilisation, contrecourant de la grande majorit des lites europennes et amricaines. Enfin il pense
la nation comme une construction rsultant de laction conjugue de plusieurs
vecteurs de civilisation micro et macro-politiques, lInterior constituant le cur
de lentit nationale. Au total, laction conjugue de plusieurs idologies permet le
dveloppement dinteractions culturelles formant un amricanisme dcalant la
priphrie provinciale vers le centre national mais demeurant eurocentr.

Les substrats amricanistes rioplatenses


Lamricanisme qui se forme au Ro de la Plata rsulte de la conjonction
de diffrentes idologies et de diffrentes interactions impliquant diffrentes aires
culturelles formant des substrats :
Graphique n 6
Les substrats amricanistes rioplatenses

293

Premire partie

Chapitre III

Le substrat colonial est caractris par lidologie hispano-amricaniste,


savoir lhritage lgu par lEspagne. Mme sil est ni en ce qui concerne
laction considre comme ngative de la couronne espagnole, cet hritage est en
partie revendiqu par les indpendantistes. En effet, ceux-ci sapproprient des
symboles positifs depuis Christophe Colomb jusquaux jsuites afin de donner
leur action une lgitimit. Ces rfrences servent de modles idologiques afin
dappuyer des actions impliquant les diffrentes chelles politiques que sont les
clans, les cits ou provinces et la vice-royaut. A son chelle, Bonpland sinscrit
dans ce substrat car il appuie une partie de son action sur lhritage jsuite,
symboliquement mais aussi concrtement en sinspirant de la capacit des
religieux rassembler les Indiens pour tenter de crer des noyaux de civilisation.
Le substrat indpendantiste repose sur lidologie tatique, dans la mesure
o les sociabilits politiques qui apparaissent partir de 1808 se fondent sur des
partis, unitaires et fdralistes, ayant pour objectif la formation dun Etat-nation
centralis ou non. Aussi, le discours indpendantiste appuie-t-il des actions
mettant en relation les chelles politiques que sont les mini-Etats et les Etats.
LEtat-frontire de Corrientes exprimente cette nouvelle forme de sociabilit
politique travers le rattachement de ses lites aux partis unitaires, fdralistes ou
libraux, tandis que ses voisins uruguayens et paraguayens accdent au statut
dEtat. Bonpland sinscrit l encore dans ce substrat, son action politique se
faisant partisane. Il participe laction diplomatique de Corrientes, simpliquant
par exemple fortement dans llaboration de relations politiques correntinouruguayennes.
Le substrat transnational repose sur lidologie patriotique, cest--dire le
sentiment dappartenance un territoire et une culture. Les dirigeants
rioplatenses sont les porteurs de ces valeurs destines servir leur cause, la
question des frontires nationales et transnationales tant au centre de leur
discours et de leurs pratiques politiques. Bonpland est tmoin des discours et des
pratiques patriotiques mis en place par les dirigeants quil ctoie. En outre le
Franais simplique vis--vis des dirigeants, de leurs actions transnationales et
patriotiques.
Le substrat transatlantique est constitu par le civilisationnisme qui,
rappelons-le, est lgal du nationalisme ou du patriotisme, une idologie
reposant sur un sentiment dappartenance une civilisation. LEurope et
294

Premire partie

Chapitre III

particulirement la France sont les nations, positives ou ngatives, servant de


rfrences aux Rioplatenses. Les cadres de cette idologie sont fournis par les
lites dont fait partie Bonpland dans le domaine scientifique ; ils sont les
coordinateurs du mouvement de civilisation. Les civilisateurs, chargs de
transformer le milieu naturel et culturel lchelle du terrain, sont les habitants
auxquels ont t inculqus les principes civilisationnistes. Il sagit des Indiens, des
colons et des Croles.
Ces substrats interagissent entre eux, lensemble de ces interactions
faonnant lamricanisme rioplatense. Il nexiste pas de liens hirarchiques
dtermins, les relations de pouvoir voluant en fonction des vnements. Les
colons venant de France, par exemple, sont censs valoriser le territoire grce
leur savoir-faire. Cependant, ils sont en situation de dpendance vis--vis des
dirigeants argentins qui doivent leur fournir les outils ncessaires leur
subsistance. Au contraire, Bonpland se montre favorable leur intgration plutt
qu leur sparation lintrieur dune colonie, fidle son principe de diffusion
de la civilisation par capillarit. Les interactions ont lieu la fois verticalement,
cest--dire hirarchiquement, le principe dexemplarit ou de contrainte tant
utilis dans ce cas. Par ailleurs, les interactions seffectuent aussi horizontalement,
la complmentarit tant utilise dans ce cas. La multiplicit des combinaisons
possibles rend leur distinction difficile dans le cadre de cette tude. Nous nous
contentons de signaler leur existence et leurs interactions rendues possibles grce
aux mdiateurs comme Bonpland.

CONCLUSION
Lidentit amricaniste se construit le long du Paran et de lUruguay
selon un processus de mtissage incluant plusieurs substrats. La micro-histoire
dAim Bonpland sinsre dans cette construction globale car elle en possde les
caractristiques. Les rseaux, les discours et les actes du Franais contiennent et
sappuient sur ces diffrents substrats, le prisme europen tant plus prgnant que
les autres. En effet, il privilgie un discours eurocentr linstar des autres
voyageurs mais leur diffrence, le botaniste devenu migrant intgre des rseaux

295

Premire partie

Chapitre III

de sociabilits amricains construits sur le substrat colonial auquel sajoutent des


formes de sociabilits acquises avec lindpendance. Nous croyons que le
discours pro-franais demeure capital pour Bonpland car il reoit un cho
favorable chez une partie des lites rioplatenses. Pedro Ferr puis Juan Pujol, les
gouverneurs correntinos avec lesquels le Franais collabore intimement, sont tous
deux en position de demandeurs vis--vis de la France. Ferr sollicite une aide
matrielle et militaire tandis que Pujol souhaite recevoir des hommes et des outils
afin de civiliser la province dont il a la charge. Le contexte politique est diffrent,
cependant cette disposition recourir la France rejoint le projet de civilisation
pens par Bonpland.
Ce projet prend des formes diffrentes mais de la requte effectue en
1808 auprs de Napolon Ier jusqu celle accomplie auprs de Napolon III, le
savant modifie peu son prisme. Il sagit de civiliser par capillarit en pntrant
dans le tissu social suivant lexemple des missionnaires, notamment les jsuites.
En pratique, Bonpland participe ce mouvement de civilisation et tente de
convaincre les dirigeants rioplatenses de lappliquer. Il se situe donc lintrieur
du processus amricaniste, dans la mesure o il tente de favoriser la conjonction
didologies et de sociabilits diffrentes. Son immersion locale lui permet de
participer la construction dun discours continu en opposition aux discoursclichs de beaucoup de voyageurs. En mme temps, la micro-histoire de Bonpland
sadapte et se rattache visiblement lhistoire globale grce aux interactions
cres entre les discours, les rseaux et les actes.

296

CONCLUSION

Aim Bonpland alterne et cumule les rles de tmoin, dobservateur et


dacteur. Alors que les descriptions des voyageurs sont gnralement statiques, on
peut suivre avec le Rochelais lvolution dune pense et dun contexte. Cette
dimension temporelle, peu frquente du fait de la faible dure des voyages ou des
sjours, acquiert rarement une aussi longue dure. A ce titre, lexprience de
Bonpland sapproche davantage de celles de Jos Celestino Mutis et Flix de
Azara 1150 , les deux principaux naturalistes missionns en Amrique par la
Couronne espagnole au cours de la seconde moiti du XVIIIe sicle puis
demeurant plusieurs dcennies sur place, que de celles de ses contemporains
Saint-Hilaire, dOrbigny ou Darwin. En effet, celles-ci noffrent pas cette
profondeur temporelle propre la recherche amricaniste. Avec Bonpland,
lapproche chronologique permet de saisir les temps du rcit et de lexprience et
de dater le passage du statut de voyageur celui de migrant.
En outre, lexprience bonplandienne permet de faire apparatre
plusieurs moments de lvolution politique du Ro de la Plata et dinscrire cette
dernire dans une chronologie de lamricanisme politique. En effet, les
diffrentes gestes identifies au cours de cette premire partie lindpendantiste,
la patriotique et la transatlantique sont constitutives des identits rioplatenses.

1150

Jos Celestino Mutis (1732-1808) est un homme religieux, un mdecin et un botaniste andalou
qui propose deux reprises lorganisation dune expdition scientifique en Amrique avant que sa
proposition soit accepte en 1783 par Charles III. Il travaille dans lactuelle Colombie, o
Humboldt et Bonpland le rencontrent, jusqu sa mort. Parmi les travaux rcents le concernant, cf.
GONZALEZ BUENO Antonio, Jos Celestino Mutis (1732-1808). Naturaleza y arte en el Nuevo
Reyno de Granada. Edicin conmemorativa del II centenario, Madrid, Ministre des Affaires
trangres et de la Coopration/CSIC, 2008 ; GONZALEZ DE POSADA Francisco, Jos Celestino
Mutis, mdico, y la ciencia fundamental de su poca en Espaa, Santander, Real Academia de
Medicina de Cantabria, 2008.

Premire partie

Conclusion

Or, elles se rattachent lhistoire de lamricanisme car elles contiennent des


projets et des ralisations utilisant les diffrents substrats proposs lors du
troisime chapitre.
Nous insistons sur la particularit de la chronologie identitaire rioplatense
qui nous semble diffrente de celle, par exemple, mise en lumire par FranoisXavier Guerra 1151 . Lhistorien dmontre quau Mexique lancien rgime se
prolonge jusquen 1910, alors que lindpendance du Ro de la Plata et la
formation des identits patriotiques qui en dcoule entrane au sein de cette aire
culturelle une transition entre lancien et le nouveau rgime qui continue mler
les deux typos politiques. De surcrot, lampleur et la diversit de laire
gographique tudie dans le cadre de notre recherche implique une analyse
globale, aussi la grille de lecture amricaniste ainsi que les gestes proposes nous
semblent-elles viables. Les indpendances latino-amricaines ne sont quun
constituant de lamricanisme, non les prmices mais un des substrats lgal des
autres formant les identits amricanistes rioplatense. Il existe un substrat
politique amricaniste tout aussi fondateur avant lindpendance, celle-ci sy
ajoutant et forgeant avec les substrats transnationaux et transatlantiques
lamricanisme politique.
Certes, chaque nation rioplatense se construit selon une chronologie
diffrente. A ce titre, le Brsil qui jouxte les nations hispaniques connat une
construction assez diffrente de celles-ci. De mme le Paraguay, sous lre de Jos
Gaspar Rodrguez de Francia, conserve un particularisme fort interprt par les
voyageurs europens de passage au prisme de leur culture librale. En sappuyant
sur le modle propos par Franois-Xavier Guerra pour le Mexique 1152 , on
pourrait aussi se questionner sur la persistance didentits issues de lancien
rgime et prsentes sous la forme du substrat colonial alors davantage accentu
par rapport aux autres. Mais en prenant comme grille de lecture la construction
amricaniste et ses substrats, une cohrence apparat au niveau micro et macrohistorique. Cela permet en outre de disposer dun outil danalyse permettant de
replacer le projet amricaniste de Bonpland parmi dautres et den saisir

1151

GUERRA Franois-Xavier, Le Mexique, de lancien rgime la rvolution, Paris,


LHarmattan, 1985, 2 vol.
1152
Ibid.
298

Premire partie

Conclusion

loriginalit. La diversit des projets peut ainsi tre tudie et compare en


utilisant plusieurs chelles.
De mme que le facteur temporel, la dcentralisation spatiale du prisme est
essentielle. En effet, Bonpland labore une pense politique amricaniste en vivant
la priphrie mais en conservant une culture politique forge au centre du
modle imprialiste europen. Cette dcentralisation est accentue par la
dlocalisation effectue par Bonpland vers lInterior, ce qui ajoute une chelle
gographique supplmentaire au prisme rioplatense. Limmersion politique et
culturelle conduisant le botaniste passer du statut de voyageur celui de migrant
le conduit aussi participer, du fait de sa position sociale, la construction dun
amricanisme politique europocentr. Guy Martinire et Jacques Chonchol ont
analys cet aspect du latino-amricanisme franais, insistant particulirement sur
la cration du concept de latinit lie aux vises imprialistes du Second
empire 1153 . Or, lexprience de Bonpland confirme la thse selon laquelle
limprialisme franais vis--vis de laire latino-amricaine dbute vritablement
avec Napolon III, au moment o dbute la geste transatlantique et o le substrat
ponyme acquiert une place prpondrante dans la construction de lamricanisme
politique.
Un autre intrt de lexprience de Bonpland rside dans lassemblage
quelle permet de lensemble des substrats, malgr labsence presque totale de
thorisation de son discours obligeant effectuer une reconstruction de sa pense.
Ici la complexit des projets politiques rioplatenses rside dans ladquation entre
les spcificits politiques locales et globales, les substrats en interaction se
connectant trs diversement. A ce sujet, Bonpland apparat comme un liant de par
ce quil est et de par ce quil fait car non seulement il sinscrit dans chacun des
substrats mais il tente aussi de les relier afin de penser de manire cohrente
lensemble politique dans lequel il simmerge.
En tentant dunir entre eux diffrents substrats, le Franais devient un
mdiateur favorisant leurs interactions par rapport leurs sensibilits et leurs
sociabilits. Ltude des rseaux, des discours et des actes du Franais permet de
mieux comprendre comment les chelles spatiales locales interagissent entre elles
ainsi quavec les chelles globales, confirmant notamment les analyses de Jos

1153

CHONCHOL Jacques, MARTINIERE Guy, op. cit.


299

Premire partie

Conclusion

Carlos Chiaramonte propos des Etats-provinces et des volutions des pratiques


politiques que lhistorien argentin analyse au cours de la premire moiti du XIXe
sicle 1154 . La notion dEtat-frontire nous semble pouvoir sinscrire dans ces
volutions en tant quentit politique transitoire durant llaboration des projets
nationaux rioplatenses.
Si la sensibilit de Bonpland, au mme titre que beaucoup dautres
Europens, le pousse utiliser davantage le modle franais et donc le substrat
transatlantique, dautres mdiateurs privilgient dautres substrats pour proposer
dautres combinaisons politiques. Dans le cas des mdiateurs rioplatenses les
substrats indpendantistes et transnationaux sont davantage privilgis, les
interactions tant diffrentes selon les projets. Les combinaisons sont donc trs
variables mais toutes ont en commun leur projet amricaniste dans la mesure o
tous les substrats sont mis en interaction par les mdiateurs qui peuvent tre alors
dfinis comme des amricanistes.
La combinaison amricaniste construite par Bonpland figure parmi de
nombreuses autres pouvant tre leur tour dfinies en utilisant le modle des
substrats. Loin dtre un cas isol, Bonpland est au contraire un exemple parmi
beaucoup dautres dignes dtre signals et tudis. Cependant, son originalit
rside dans son approche inclusive de lamricanisme car il raisonne en termes de
cohsion et dintgration. Ainsi, il se prononce en faveur dune union politique
transfrontalire et dune socit rassemblant lensemble des citoyens au sein dun
projet commun de dveloppement. En ce sens, lindignisme dune part et
leurocentrisme dautre part sont les deux extrmits dune pense fonde sur
lintgration interne celle des Indiens dans le pays et externe celle du pays
dans le monde au nom du bien commun.
Ce bien commun demeure difficile dfinir dans le domaine politique car
il se confond avec lintrt priv du savant. Cette relation apparat trs clairement

1154

Parmi les travaux fondamentaux de cet historien, cf. hormis ceux dj cits Finanzas publicas
de las provincias del Litoral, 1821-1841 , in Anuario del IEHS, Tandil, Instituto de Estudios
Histrico-Sociales, Universidad Nacional del Centro de la Provincia de Buenos Aires, n1, 1986,
pp. 159-198 ; La formacin de los Estados nacionales en Iberoamrica , in Boletn del Instituto
Dr. E. Ravignani , Universidad de Buenos Aires, Troisime Srie, n 15, premier semestre
1997, pp.143-165 ; Ciudadana, soberana y representacin en la gnesis del Estado argentino ,
in SABATO Ricardo (dir.), Ciudadana potica y formacin de las naciones, Mexico, FCE, 1999,
pp. 94-116 ; El principio del consentimiento en la gestacin de las independencias bero y
norteamericanas , in Anuario IEHS, Tandil, Instituto de Estudios Histrico-Sociales, Universidad
Nacional del Centro de la Provincia de Buenos Aires, n 17, 2002, pp. 21-43.
300

Premire partie

Conclusion

propos des projets scientifiques et conomiques analyss lors des parties


ultrieures mais labsence daffirmation, voire de systmatisation, dune pense
politique clairement identifiable oblige le plus souvent rechercher la pense
partir des actes. Hormis son eurocentrisme et plus encore, son patriotisme,
Bonpland naffiche pas de fidlit politique invariable vis--vis des hommes et des
systmes qui lentourent. Il sagit essentiellement pour le Franais de donner un
sens son action en la plaant au service de ce quil estime tre le progrs et donc
le bien commun, quitte changer dallis au gr des circonstances.
Ainsi la cohrence politique du discours, des actes et des rseaux de
Bonpland sexplique par une ide du progrs forge par sa culture politique. Cest
pourquoi dune part il conserve un regard eurocentriste et dautre part il change
facilement son jugement sur les dirigeants dans lattente de lhomme providentiel,
car Bonpland puise dans le modle progressiste et civilisateur hrit des Lumires
et du bonapartisme. Aussi, aprs quarante annes passes sur le sol amricain
conserve-t-il un sentiment de dfiance vis--vis des modes de gouvernement
rioplatenses. En outre, sa formation comme son exprience scientifique dbutes
lors de la priode rvolutionnaire franaise confrent ses idaux une profondeur
qui affleure seulement dans ses tmoignages. Il sagit pour lessentiel de son
indignisme, de sa capacit rflchir en termes de capacits naturelles et
culturelles ainsi quen termes dadaptation au milieu, autant de notions qui
renforcent la consistance de sa pense amricaniste.
Celle-ci, bien que non thorise, peut tre retrouve en partie dans lEssai
politique sur la Nouvelle-Espagne rdig et publi par Humboldt en 1811. On y
dcouvre les thmes qui affleurent chez Bonpland et qui sont thoriss par son
compagnon de voyage, savoir les dterminismes naturels et culturels, le bien
commun impuls par lintrt particulier, le rle civilisateur des principes et des
pratiques venus dEurope ainsi que la ncessit dune intgration interne et externe
via le mtissage, lducation et ladoption du modle libral politique et dans une
moindre mesure conomique 1155 . Si les allis politiques changent autour du
Franais et lobligent modifier la structure de ses sociabilits, en revanche ses
ides demeurent relativement stables. Le socle de sa pense se trouve dans
1155

Au sujet des thories avances par Humboldt concernant la Nouvelle-Espagne, cf. CERRUTI
Cdric, Alexandre de Humboldt et la Nouvelle-Espagne : reprsentation et interprtation dun
modle politique libral dans lAmrique ibrique, mmoire de matrise dhistoire ralis sous la
direction de Jacques SOLE, universit de Grenoble II, 1998.
301

Premire partie

Conclusion

ltablissement du progrs au Ro de la Plata ainsi que dans son intgration au sein


du systme-monde libral et particulirement par le biais dune adaptation du
modle franais 1156 .

1156

Nous employons le terme de systme-monde suite aux travaux dAndr Gunder Frank et
dImmanuel Wallerstein, lesquels mettent en avant les dpendances et les interconnections entre
centres et priphries. La distribution ingale du pouvoir politique et du dveloppement
revendique par ces thoriciens est critiquable mais les notions de centre et de priphrie
sappliquent convenablement la pense politique de Bonpland, lequel tente de mettre en pratique
la principale thorie formule par Humboldt dans son Essai politique, savoir la rduction des
carts entre centres et priphries. Pour les deux hommes, les carts de dveloppement sont
rductibles condition dimporter en Amrique le modle europen bien que Bonpland savre
nettement moins universaliste que le Prussien puisque son modle de rfrence est franais. De
plus, il tablit une hirarchie des nations nettement europocentriste alors quAlexandre de
Humboldt pense au contraire que la Nouvelle-Espagne peut devenir un nouveau centre politique
mondial au mme titre que les Etats-Unis, cette ide dun dplacement du centre du systmemonde semblant totalement impossible pour le Franais. A propos des thoriciens du systmemonde, cf. GUNDER FRANK Andr, Capitalisme et sous-dveloppement en Amrique Latine,
Paris, Maspro, 1968 et Le dveloppement du sous-dveloppement: Amrique Latine, Paris,
Maspro, 1970 ; WALLERSTEIN Immanuel, Le systme du monde du XVe sicle nos jours,
Paris, Flammarion, 1980-1984 (1974-1983), 2 vol. ; Luniversalisme europen : de la colonisation
au droit dingrence, Paris, Demopolis, 2008.
302

Lamricanisme en construction. Une pr-histoire de la discipline daprs lexprience du


naturaliste Aim Bonpland (1773-1858)
Rsum :
Lexprience dAim Bonpland invite rflchir sur les conditions ncessaires au transfert dune science et sur
lidologie qui le porte. Partisan de lindpendance du Ro de la Plata, imprgn dune culture politique mettant
au premier plan la ncessit dun Etat fort permettant la stabilit et le rayonnement dune nation, Bonpland se
heurte linstabilit qui caractrise la construction politique de cette rgion. En suivant son parcours on assiste
la rencontre manque entre un naturaliste porteur dun projet fond sur le modle universaliste du centre
scientifique europen et des lites qui, la priphrie, souhaitent mettre en place une politique spcifique base
sur lutilisation des ressources naturelles des fins de dveloppement interne.
Cette exprience permet de mettre en vidence diffrents moments de la construction des nations rioplatenses et
de les insrer dans une grille de lecture amricaniste. La notion damricanisme, aborde comme un ensemble
didologies en action ayant comme proprit essentielle le dveloppement dinteractions culturelles, soulve le
problme de la convergence des idologies et de leur adaptation transatlantique. En effet, il faut attendre la mise
en place de projets politiques et scientifiques rioplatenses fonds sur la production externalise des
connaissances pour que laction scientifique mene par Bonpland, elle-mme base sur la recherche applique,
devienne opratoire. Lexprience de Bonpland est replacer dans cette continuit, depuis linadquation entre
loffre et la demande scientifique jusqu la convergence des projets amricanistes.
Mots cls : Aim Bonpland, amricanisme, histoire naturelle, Ro de la Plata.

Americanism under construction. A pre-history of the discipline according to the naturalist


Aim Bonplands experience.
Summary :
Aim Bonplands experience leads us to reflect about the necessary conditions for the transfer of a science and
the ideology it bears. In favour of the independence of the Rio de la plata, imbued with a political culture putting
forward the necessity of a strong state thus enabling a nation to be stable and to shine forth, Bonpland comes up
against the instability that characterizes the political construction of this region. By following his path, we
witness the wasted accounter between, on the one hand a naturalist bearing a project based on the universalist
pattern of the European scientific center, and, on the other hand the elites who, at the periphery, want to settle a
specific policy based on the use of natural resources aiming at international development.
This experience enables to bring to the fore different moments of the construction of the Rioplatenses nations
and to insert them from an americanist perspective. The notion of americanism tackled as a set of ideologies into
action whose main property is the development of cultural interactions, arises the issue of the convergence of
ideologies and of their transatlantic adaptation. Indeed, to become operating, it is necessary to wait for the setting
up of political and scientific rioplatenses projects, based on the outsourced production of knowledge, for the
scientific action led by Bonpland, itself based on applied research, to become operating. It is necessary to put
Bonplands position back in this continuity, from the inadequacy between the scientific supply and demand, up
to the convergence of americanist projects.
Keywords : Aim Bonpland, Americanism, natural history, Ro de la Plata.

CRHIA (Centre de Recherches en Histoire Internationale et


Atlantique)
FLLASH
Universit de La Rochelle

UNIVERSIT DE LA ROCHELLE

COLE DOCTORALE
Socits, cultures, changes
Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique

THSE
prsente par :

Cdric CERRUTI

soutenue le 18 mai 2012


pour lobtention du grade de Docteur de lUniversit de La Rochelle
Discipline : Histoire

Lamricanisme en construction. Une pr-histoire de la discipline daprs


lexprience du naturaliste Aim Bonpland (1773-1858)

JURY
Jean-Paul DUVIOLS
Pilar GONZLEZ BERNALDO
Guy MARTINIRE
Didier POTON
Jacques SOL
Michel VAN-PRAT

Professeur mrite, Universit Paris IV


Professeur, Universit Paris VII
Professeur mrite, Universit de La Rochelle, Directeur de thse
Professeur, Universit de La Rochelle
Professeur mrite, Universit Grenoble II
Professeur, Musum national dHistoire naturelle

Volume 2

DEUXIME PARTIE

DU LABORATOIRE NATURALISTE
EUROPEN AU TERRAIN
AMERICANISTE : LES PRIPHRIES DE
LHISTOIRE NATURELLE

INTRODUCTION

Les jalons chronologiques choisis pour cette seconde partie 1748-1858


correspondent au moment o la spcialisation des recherches scientifiques en
Amrique hispanique permet den faire un terrain dtude part entire. Le
premier jalon correspond la publication du voyage de Jorge Juan et Antonio de
Ulloa 1157 qui annonce les expditions ilustradas, le second la mort de Bonpland.
Cependant, la plus grande partie de notre tude prend comme point de dpart
lanne 1798, au moment o Humboldt et Bonpland entament leur voyage. La
tenue du premier congrs des Amricanistes en 1875 est un jalon videmment
prfrable 1858, mais les analyses effectuer pour combler ces 17 annes
dbordent, et de beaucoup, notre cadre de recherche. En outre, les spcialistes
franais de lAmrique sont alors principalement des ethnologues et des
archologues travaillant dans le giron de la socit dEthnographie fonde en
1859 1158 . Or, ces disciplines napparaissent que de manire secondaire dans les
recherches menes par Bonpland et ne permettent dobtenir quune filiation
partielle entre les naturalistes de la seconde moiti du XVIIIe sicle et les
1157

ULLOA Antonio de, JUAN Jorge, Relacin histrica del viaje hecho de orden de su Majestad
a la America Meridional, Madrid, Imprenta Real, 1749. Antonio de Ulloa (1716-1795) et Jorge
Juan (1713-1773) participent de 1735 1746 lexpdition franaise charge de mesurer le
mridien au niveau de lquateur dirige par Pierre Bouguer. Ulloa, qui est officier de marine,
participe ensuite la cration du jardin botanique espagnol et de lobservatoire astronomique de
Cadix. Il occupe la charge de gouverneur au Prou et en Louisiane, puis est charg du
commandement de la flotte en Nouvelle-Espagne. Il termine sa carrire en Espagne en tant que
lieutenant-gnral de la marine royale. Jorge Juan est lui aussi officier de marine et participe la
fondation de lobservatoire de Cadix. Spcialiste de la construction navale, il perfectionne la flotte
espagnole, fonde le Real Observatorio de la Armada et termine sa carrire comme chef descadre.
1158
Lanne 1859 peut tre un autre jalon puisquelle correspond aussi la mort dAlexandre de
Humboldt, le premier analyste et compilateur scientifique du continent amricain. Les annes
1859-1875 sont denses concernant lapparition de lamricanisme scientifique ; cf. PREVOST
URKIDI Nadia, Brasseur de Bourbourg et l'mergence de l'amricanisme scientifique en France
au XIXe sicle, thse de doctorat ralise sous la direction de Michel BERTRAND, Universit de
Toulouse II, 2007.

Deuxime partie

Introduction

amricanistes regroups par Thodore Hamy, celui-ci consacrant dailleurs une


partie de ses travaux tablir cette filiation.
Durant la premire moiti du XIXe sicle, la Socit de Gographie de
Paris participe lmergence de ce qui porte alors le nom d tudes
amricaines 1159 . Nomm amricanisme scientifique, amricanisme scientifique
contemporain 1160

ou amricanisme scientifique moderne 1161 , le domaine

scientifique qui recouvre ltude des mondes amricains partir des expditions
ilustradas se veut une histoire de la recherche amricaniste analyse dans sa phase
de gestation. Celle-ci nous semble commencer au milieu du XVIIIe sicle en
Espagne sous limpulsion des grands voyages dexploration et de mise en valeur
des colonies 1162 , dans la mesure o les instruments et les mthodes scientifiques
dploys permettent une tude encyclopdique du continent.
Il nous semble utile de donner cette priode un nom et un temps dfinis.
Le terme de pr-amricanisme nous semble assez bien reflter cette gestation car il
permet de contenir un certain nombre de thmes de recherche privilgis par les
scientifiques et les voyageurs du XVIIIe et de la premire moiti du XIXe sicles
mais qui sont par la suite relgus au second plan. Cest le cas de la botanique qui
est une science fondamentale 1163 au cours de cette priode dite de l
amricanisme scientifique mais qui disparat pourtant des proccupations de la
Socit fonde en 1896.
En outre, lemploi du terme de pr-amricanisme au lieu damricanisme
scientifique permet de lever lambigit qui pourrait laisser penser quavec lajout
1159

Cf. PREVOST URKIDI Nadia, Historiographie de lamricanisme scientifique franais au


XIXe sicle : le Prix sur Palenque (1826-1839) ou le choix archologique de Jomard , in
Journal de la Socit des Amricanistes, vol. 95, n 2, 2009, pp. 117-149.
1160
Expressions employes par BONNICHON Philippe, LExtrme-Occident : les dcouvertes
lapproche du cinquime centenaire , in CROUZET Franois, XVIe Colloque de lInstitut de
recherches sur les civilisations de lOccident moderne, Paris, Presses de lUniversit de ParisSorbonne, 1989, pp. 18, 20.
1161
Expression employe par GUITTARD Jean-Michel, HUERTA Mona, Cent ans de thses sur
lAmrique latine , in Cahiers des Amriques Latines, n 28-29, 1998, p. 110. Mona Huerta
dfinit cette notion damricanisme scientifique comme la description systmatique et globale
des espaces et des socits amricaines croisant la fois enqutes de terrains, mthodes
scientifiques dobservation et tudes livresques , HUERTA Mona, Le voyage aux Amriques et
les revues savantes franaises au XIXe sicle , in BERTRAND Michel, VIDAL Laurent (dir.), A
la redcouverte des Amriques. Les voyageurs europens au sicle des indpendances, Toulouse,
Presses Universitaires du Mirail, 2002, p. 73.
1162
Cf. QUINTANILLA Joaqun F., Naturalistas para una Corte Ilustrada, Aranjuez, Doce
Calles, 1999.
1163
Cf. RODRIGUEZ NOZAL Ral, GONZALEZ BUENO Antonio, Plantas americanas para la
Espaa ilustrada. Gnesis, desarrollo y ocaso del proyecto espaol de expediciones botnicas,
Madrid, Complutense, 2000.
307

Deuxime partie

Introduction

du terme scientifique , la recherche amricaniste ait laiss de ct les idologies


et les interactions culturelles et politiques qui le constituent. Surtout, le pramricanisme comme lamricanisme naissent du naturalisme et des recherches
des naturalistes. A cet gard, lexpression de voyageurs naturalistes peut aussi
bien sadapter cette science en gestation sous la forme damricanisme
naturaliste 1164 . Labsence de spcialisation gographique de la part de ceux-ci est
encore une caractristique essentielle de cette priode pr-amricaniste, car pour
autant que les recherches menes soient prcises gographiquement ou
scientifiquement, elles sinsrent le plus souvent dans une carrire naturaliste non
consacre exclusivement lAmrique.
Li aux sciences naturelles, la science amricaniste est dpendante de ses
outils. A ce titre, les instruments techniques dapprhension du Nouveau Monde
jouent un rle fondamental dans sa dfinition, celle-ci tant dpendante non plus
du lieu suppos, par exemple, contenir des richesses inpuisables mais des
outils scientifiques avec lequel il est analys. La dmarche naturaliste se fonde non
sur lobjet dtude mais sur les outils permettant ltude. Aussi, le pramricanisme dpend-il de recherches plus globales menes dans les centres
scientifiques. Le contenant scientifique prime sur le contenu ; les enjeux et les
contextes amricains sont penss en fonction des sciences naturelles.
Lamricanisme nmerge comme discipline scientifique autonome en Europe
qu partir du moment o les problmatiques sinversent, les sciences naturelles
tant penses en fonction des enjeux et des contextes amricains.
Les outils et les standards labors dans les laboratoires scientifiques du
centre sont rappropris la priphrie pour en valoriser le patrimoine
scientifique, conomique et culturel 1165 . Cela ncessit un projet politique, tel que
celui dvelopp dans le Musum aprs la Rvolution franaise, ainsi que des
1164

Bien que ce terme ne permette pas de lever lambigit voque propos de lamricanisme
scientifique. En outre, lusage du terme de pr-amricanisme permet de dfinir la priode
prcdente comme tant celle du proto-amricanisme, caractrise par une approche
principalement thologique. Par opposition au discours naturaliste qui est fond sur ltude de la
physique du globe, on pourrait employer aussi le terme damricanisme mtaphysique en rfrence
la perception curieuse rassemble dans les cabinets de curiosit du Nouveau Monde.

1165

Le temps et lespace que nous tudions est encore un terrain de recherche en friche. Pour une
approche globale du transfert de la connaissance scientifique dEurope en Amrique, cf. PRIEGO
Natalia, LOZANO Sonia (coords.), Paradigmas, culturas y saberes. La transmisin del
conocimiento cientfico en Latinoamrica, Madrid, Francfort, Iberoamericana/Vervuert, 2007.
Concernant un exemple argentin contemporain, cf. KREIMER Pablo, Migration of Scientists and
the Building of a Laboratory in Argentina , in Science, Technology and Society, vol. 2, n 2, pp.
229-259.
308

Deuxime partie

Introduction

moyens scientifiques pour ancrer le projet dans une tradition scientifique. A ce


titre, nous nous appuyons sur le modle propos par George Basalla 1166 pour qui
lvolution des sciences dans les colonies connat trois tapes : lexploration et la
collecte par des acteurs europens, le dveloppement dune science coloniale,
constitue de relais locaux et dune science locale, grce des institutions et
individus trs lis aux mtropoles europennes, enfin le passage une science
locale pouvant galer ou dpasser la mtropole. Ce modle colonial est adaptable
lanalyse de la science priphrique, en prenant comme objet de recherche
lexprience dAim Bonpland.
La phase initiale de constitution du savoir amricaniste se rapproche du
projet des Lumires de connaissance exhaustive du monde, quil intgre et quil
prolonge avant que nintervienne la phase de spcialisation grce ltude
exclusive du matriel amricain. Mais dans le cas du Ro de la Plata, cette tape
initiale se conjugue avec le dveloppement dune science coloniale. Les deux
tapes se chevauchent entre 1817 et 1821 puis cohabitent sans converger car,
partir de 1831, Bonpland poursuit ses recherches tandis que le muse de Buenos
Aires demeure inactif. Dans quelle mesure cette divergence, constate aussi vis-vis dautres naturalistes rioplatenses, rvle-t-elle une inadaptation du modle
central la priphrie scientifique, que celle-ci soit situe Malmaison ou
Buenos Aires ?
Le premier temps de notre tude est consacr linsertion dAim
Bonpland au sein des centres de culture scientifique 1167 franais entre 1798 et
1816, depuis son voyage avec Humboldt jusqu son dpart pour Buenos Aires. Il
tente sans succs dintgrer llite scientifique via le Musum dhistoire naturelle
de Paris puis participe la formation dune culture scientifique spcifique
Malmaison-Navarre. En portant l un projet scientifique gocentr et innovant,
Bonpland sinscrit dans une premire tape vers la constitution dun modle de
recherche. Dans un deuxime temps, nous tudions les contingences entre le
modle dvelopp par Bonpland, son exprience amricaine et les attentes des
indpendantistes rioplatenses dans le domaine des sciences naturelles. Afin de
1166

BASALLA George, The Spread of Western Science , in Science, 5 mai 1967, vol. 156, n
3775, pp. 611-622.
1167
Michel Van-Prat dfinit le centre de culture scientifique comme lensemble des lieux o la
science se faonne et sexpose ; Cf. VAN-PRAT Michel, Diversit des centres de culture
scientifique et spcificit des Muses , in ASTER, n 9, 1989, pp. 3-15.
309

Deuxime partie

Introduction

comprendre les attentes rciproques du Franais et des Amricains, il est


ncessaire danalyser la politique scientifique mene jusqu lindpendance par
lEspagne en ce quelle dtermine loffre et la demande scientifique au moment o
Bonpland est recrut. Enfin, le travail de terrain lexploration et la collecte
effectu par Bonpland est tudi afin de comprendre comment seffectue la
constitution dun savoir dans sa phase initiale.

310

CHAPITRE IV

Linsertion dAim Bonpland au sein des centres


scientifiques franais (1798-1816) : le matriel
amricain marginalis

INTRODUCTION
En partant pour son premier voyage en Amrique, Aim Bonpland ne jouit
pas de laura dAlexandre de Humboldt. Le Prussien a dj publi plusieurs
travaux de sciences naturelles annonant ceux consacrs ltude physique du
globe alors que le Franais est un tudiant brillant mais sans notorit. Nanmoins,
son retour son travail botanique est reconnu autant par les institutions franaises
que par dillustres particuliers parmi lesquels figure limpratrice Josphine.
Celle-ci acquiert le chteau de Malmaison situ 20 kilomtres de Paris en 1799 ;
elle y dveloppe son got pour la botanique et trouve en Bonpland un interlocuteur
privilgi et un assistant zl. Nomm intendant du domaine en dcembre 1808,
les responsabilits du Charentais sont accrues aprs le divorce de Josphine,
Napolon lui cdant le chteau de Navarre1168 au mois de mars 1810. Aim
Bonpland cumule en outre les fonctions dadministrateur et de scientifique
1168

Navarre se trouve dans le dpartement de Haute-Normandie, prs dEvreux. Le chteau est


distant dune centaine de kilomtres de la capitale, conformment au souhait de Napolon
dloigner Josphine de celle-ci.

Deuxime partie

Chapitre IV

puisquil est charg de dcrire les plantes rares des deux domaines. Par cet
intermdiaire, il tente de se lier avec les milieux savants franais et europens
ainsi que de consolider une position scientifique recherche ds son retour
dAmrique en 1804 mais demeure jusqualors prcaire.
Cette double occupation scientifique et administrative constitue le socle de
linvestigation mene dans ce chapitre, sachant que ltat des sources se rvle
partiel. En effet, les manuscrits concernant les domaines de Malmaison et Navarre
ont t perdus ou disperss avant dtre incompltement reconstitus, laissant de
grands vides dans la documentation 1169 . De plus, peu de tmoignages crits de la
main du botaniste ou se rapportant ses travaux nous sont parvenus. Aussi dans la
plupart des cas ne peut-on peut mesurer ses projets et ses ambitions scientifiques
que grce aux sources secondaires. Dans ce cadre de recherche, il sagit
dapprcier la porte amricaniste du travail du botaniste. Existe-t-il, au sein du
milieu des sciences naturelles quil frquente, un terreau susceptible de favoriser
lmergence dune science autonome amricaniste comme cest le cas pour
lAfrique ? En effet, ds la fin du XVIIIe sicle lorientalisme revt en France un
caractre scientifique grce lexpdition de Bonaparte en Egypte. LInstitut
dEgypte qui est fond en 1798 marque la naissance dune science gocentre,
lgyptologie. Lafricanisme qui prolonge limprialisme scientifique inaugur en
1798 acquiert progressivement une autonomie scientifique partir du dernier quart
du XIXe sicle, au moment o lamricanisme merge lui aussi. Il sagit, pour
lAfrique, du rsultat de la politique scientifique mene par les rseaux coloniaux.
Le terreau africaniste est irrigu, tout au long du XIXe sicle, par lintrt
stratgique et imprialiste ainsi que par la diffusion des images et des enjeux
auprs du grand public 1170 .
Au dbut du XIXe sicle, le travail men par Bonpland MalmaisonNavarre sinscrit dans un moment spcifique de la constitution de la science
europenne qui, explique Michel Van-Prat 1171 , se construit depuis le XVe sicle
partir de linventaire des ressources naturelles du monde. Malmaison-Navarre est
1169

Ces lacunes savrent prjudiciables pour reconstituer le fonctionnement du laboratoire


travers le personnel employ, le budget et les structures.
1170
Cf. SAID Edward W., LOrientalisme. LOrient cr par lOccident, Paris, Seuil, 2005
(1978) ; SIBEUD Emmanuelle, Une science impriale pour lAfrique ? La construction des savoirs
africanistes en France. 1878-1930, Paris, EHESS, 2002.
1171
VAN-PRAT Michel, Cultures scientifiques et Muses dhistoire naturelle en France , in
Herms, n 20, 1996, pp. 144-145.
312

Deuxime partie

Chapitre IV

ce titre un centre de culture scientifique que lon peut qualifier de pionnier car il
est labor six ans seulement aprs la cration du centre de culture scientifique
quest le Musum national dHistoire naturelle, celui-ci donnant un contenant ce
projet dinventaire et permettant aussi de dvelopper de nouveaux outils et de
nouveaux objectifs pour les sciences naturelles centrs autour de la recherche et de
lenseignement. Nous nous rfrons la classification ralise par Michel VanPrat, celui-ci considrant le Musum dhistoire naturelle comme un sousensemble appartenant des centres de culture scientifique qui se distinguent
dans leur structure et leur contenu. Le contenu est dfini par lexposition, la
structure tant divise en muses, centres dexprimentation et galeries 1172 .
Fort de son exprience amricaine et de lexemple fourni par les
orientalistes, Bonpland mne-t-il ses travaux, consciemment ou non, de faon
permettre

lapparition

dune

nouvelle

science

gocentre

favorisant

lautonomisation de la recherche amricaniste vis--vis des aspects naturalistes ?


Comment met-il profit son voyage amricain et dans quelle mesure peut-on
replacer linsertion de Bonpland au sein des centres de culture scientifique franais
dans une perspective pr-amricaniste par lentremise dune valorisation de leur
contenu ?
Un premier lment de rponse peut tre apport en analysant les relations
entretenues par Bonpland avec les institutions savantes entre 1798 et 1816. Cellesci permettent dapprhender la nature et les buts de ses travaux, en prtant une
attention particulire aux ventuels profits tirs du voyage en Amrique ainsi
quaux connexions avec dautres savants ayant une exprience amricaine. Elles
permettent aussi dexpliquer son choix de repartir au lieu de sinsrer durablement
au sein des rseaux parisiens. Les annes passes au service de Josphine sont
particulirement favorables llaboration dun tissu relationnel quil est
ncessaire danalyser ensuite afin de cerner le programme de recherches labor
par Bonpland au sein dun laboratoire 1173 Malmaison-Navarre quil tente de
1172

Cf. VAN-PRAT Michel, Diversit des centres de culture scientifique et spcificit des
Muses , in ASTER, n 9, 1989, pp. 3-15.
1173
Nous utilisons le terme de laboratoire car Malmaison-Navarre est un centre dexprimentation,
dirig vers lacclimatation, dont les collections sont mises en scne dune manire musographique
innovante, principalement par la construction de serres qui cumulent elles-mmes les fonctions de
galeries, de muses et de laboratoires. Cette non distinction des fonctions nous parat
caractristique du problme identitaire de Malmaison-Navarre, comme nous lanalysons ensuite ;
elle fait aussi partie du moment historique de dfinition des centres de culture scientifique
postrvolutionnaires impliquant des conflits invitables : prrogatives des structures prives et des
313

Deuxime partie

Chapitre IV

sapproprier. Enfin, si lempreinte amricaniste laisse par Bonpland est faible


dun point de vue quantitatif, en revanche le programme scientifique et le
laboratoire dvelopps Malmaison-Navarre sont un projet et une structure viable
pouvant tre transfrs au Ro de la Plata.

A. UNE POSITION SUBSTANTIELLE MAIS SECONDAIRE


PARMI SES PAIRS
En 1798, Bonpland nest encore quun lve prometteur. Le voyage ralis
avec Humboldt lui donne loccasion dacqurir une reconnaissance mais trs vite,
il sefface derrire son compagnon de voyage. A leur retour, en 1804, Bonpland ne
parvient pas obtenir un poste et sa carrire vgte durant plus de quatre ans. Il
obtient en 1808 le poste dintendant et de botaniste de limpratrice Josphine, ce
qui le rend dpendant du rgime napolonien et plus encore du sort de sa
protectrice. Cette position lcarte aussi du rseau institutionnel quil espre
intgrer et qui repose sur le Musum et sur lAcadmie des sciences. Toujours bon
lve, il ne parvient pas au niveau de reconnaissance des grands botanistes
thoriciens et compilateurs.

1. La carrire du voyageur-botaniste entre centre et priphrie


scientifique
La carrire franaise de Bonpland doit dabord tre replace au sein de
parcours similaires. Pour cela, la comparaison avec ses compatriotes et confrres
savre instructive vis--vis des perspectives de carrires offertes par le voyage de
long cours durant la priode napolonienne. Afin den dresser un tableau
structures publiques, distribution des fonctions aux diffrents centres. Les structures de Malmaison
sont assez bien connues, notamment la grande serre chaude dont il est souvent rappel quelle
surpasse celle du Musum. Nanmoins, il faut aller au-del de ce simple constat qui indique
pourtant toute limportance du projet scientifique dvelopp l. De plus, Navarre est gnralement
cit comme une annexe de Malmaison alors quun projet scientifique original sy dveloppe aussi.
Dans les deux cas, les sommes investies en font un ensemble de premier plan devant faire lobjet
de recherches approfondies permettant de replacer Malmaison-Navarre dans son contexte
scientifique, depuis 1799 jusqu 1814.
314

Deuxime partie

Chapitre IV

suffisamment reprsentatif, les parcours tudis concernent des personnes ayant


voyag hors dEurope. Soit quelles voyagent ou quelles soient impliques dans
la vie scientifique aprs une expdition, il sagit de lensemble des botanistes
exerant entre lexpdition dEgypte dbute en 1798 et lexpdition Freycinet
qui, en 1817, marque le renouveau de la politique exploratrice franaise. Suivant
le dcoupage effectu par Nicole et Jean Dhombres qui distinguent trois
gnrations dans lensemble des scientifiques vivant sous lEmpire 1174 , dix savants
appartiennent la gnration de Laplace 1175 , sept celle de Cuvier et une seule
celle dArago. On peut ajouter comme le font ces auteurs une quatrime
gnration constitue des savants trop gs pour jouer un rle actif. Il y en a dans
ce cas un seul, Michel Adanson, n en 1727 1176 .
Celui-ci peut intgrer la gnration des voyageurs-botanistes ayant
commenc leur carrire sous lAncien Rgime. Le dcoupage chronologique que
nous choisissons de simplifier se compose de deux catgories, savoir les
voyageurs-botanistes ayant dbut leur carrire avant ou aprs 1789. Quant
Charles Gaudichaud-Beaupr, le pharmacien-botaniste de Freycinet, il est form
sous lre napolonienne. Etudiant Paris ds 1808, il frquente le Musum et

1174

La plus ancienne est compose des savants qui naquirent vers le milieu du XVIIIe sicle.
Nous lappellerons la gnration de Laplace, qui lui-mme naquit en 1749. La gnration
intermdiaire correspond celle de Cuvier, n exactement vingt ans plus tard en 1769, et enfin la
plus jeune est contemporaine de la Rvolution franaise, et illustre par un homme comme Arago
n en 1787. ; DHOMBRES Nicole et Jean, op. cit., p.152.
1175
Pierre-Simon de Laplace (1749-1827) est un mathmaticien et astronome compar Newton. Il
commence sa carrire sous lAncien Rgime, adhre par esprit laque la Rvolution franaise
puis sloigne du pouvoir napolonien.
1176
Michel Adanson (1727-1806) est n Aix-en-Provence. Son pre lamne Paris ds lge de
deux ans. Il tudie dabord au collge du Plessis-Sorbonne, o il prend conscience de sa passion
pour les sciences naturelles. Il suit ensuite les cours dispenss particulirement par Ren-Antoine
de Raumur et Bernard de Jussieu au Jardin du roi et au Collge royal. En 1749, il abandonne ltat
ecclsiastique auquel il tait destin et le canonicat qui lui permettait de vivre et, avec un poste de
commis dans la Compagnie des Indes, il part pour le Sngal o il demeure pendant prs de cinq
ans. Adanson rapporte dimmenses collections de ce voyage, dont un herbier de plus de 30 000
chantillons, quil analyse et classifie avant de publier en 1757 une Histoire naturelle du Sngal.
Elu adjoint botaniste de lAcadmie des sciences en 1759, il y prsente la mme anne le plan de
son ouvrage Familles des plantes dit en 1763. Dans celui-ci, Adanson rejette les systmes de
classification botanique en usage et propose une mthode naturelle pour classer les familles de
plantes. Devenu associ botaniste en 1773, il propose en 1775 lAcadmie de rdiger une
Encyclopdie universelle embrassant toutes les sciences de la nature mais son projet nest pas
retenu. En 1782, il devient pensionnaire botaniste puis pensionnaire de la classe de botanique et
agriculture lors de la rorganisation de 1785. Il est promu chevalier de la Lgion dHonneur en
1801.
315

Deuxime partie

Chapitre IV

herborise avec Adrien de Jussieu avant dtre choisi pour participer la


circumnavigation se droulant entre 1817 et 1820 1177 .

Des parcours diffrents selon la gnration ?


La gnration forme sous lAncien Rgime accde plus facilement et
peine plus rapidement au sommet de la carrire scientifique, savoir ladmission
au sein de lAcadmie des sciences 1178 . Dabord, il ny a pas de diffrence
significative concernant lge auquel les savants intgrent lAcadmie. Les plus
jeunes ne bnficient dailleurs pas dun ventuel renouvellement engendr par la
rupture rvolutionnaire. Ils obtiennent leur sige en moyenne 52 ans alors que
leurs ans lobtiennent vers lge de 50 ans. Ce paramtre pourrait expliquer les
refus essuys par Bonpland lors de ses deux candidatures lAcadmie de
sciences en 1806 et 1808, lanciennet demeurant un facteur dlection important.
En effet, il a 36 ans en 1806 lorsquAmbroise Palisot de Beauvois 1179 obtient la
majorit des suffrages pour le poste vacant de la section de botanique. Ce dernier,
alors g de 54 ans, possde aussi lavantage dtre membre correspondant de
lAcadmie depuis 25 ans.
Lantriorit du parcours institutionnel joue encore en dfaveur de
Bonpland lors de llection de 1808, puisque cette fois il choue face un autre
correspondant, Charles-Franois Brisseau de Mirbel, lequel exerce nanmoins
cette fonction depuis seulement un an. En outre Mirbel est de trois ans son cadet,
ce qui signifie qu gnration gale les acadmiciens prfrent distinguer

1177

Le premier groupe est donc form par Michel Adanson (1727-1806), Andr Michaux (17461802), Pierre Sonnerat (1748-1814), Ren Desfontaines (1750-1833), Franois Richard de Tussac
(1751-1837), Ambroise Palisot de Beauvois (1752-1820), Louis-Claude Marie Richard (17541821), Jean-Louis-Marie Poiret (1755-1834), Jacques Houtou de la Billardire, (1755-1834), Louis
Marie Aubert du Petit-Thouars, (1758-1831), Hippolyte Nectoux (1758-1836), Louis Bosc dAntic
(1759-1828). Le second groupe comprend Pierre Antoine Poiteau (1766-1854), Franois Andr
Michaux (1770-1855), Jean-Baptiste Leschenault de la Tour (1773-1826), Michel Etienne
Descourtilz (1775-1835), Pierre Jean Franois Turpin (1775-1840), Alyre Raffeneau-Delile (17781850), Auguste de Saint-Hilaire (1779-1853) et Charles Gaudichaud-Beaupr (1789-1854).
1178
LAcadmie des sciences prend le nom dInstitut de lan II 1816.
1179
Ambroise Palisot de Beauvois (1752-1820), avocat de formation, se tourne vers la botanique.
En 1786 il voyage en Afrique puis sinstalle Saint-Domingue do il senfuit en 1793, menac et
ruin par les rvoltes. Rfugi aux Etats-Unis, il entreprend des sjours parmi les Amrindiens qui
lui valent une place lAcadmie des sciences naturelles de Philadelphie. Ray de la liste des
proscrits, il rentre en France en 1798. En 1815, il devient membre du Conseil de lUniversit.
316

Deuxime partie

Chapitre IV

logiquement un botaniste au cursus scientifique dj solidement tabli. En effet,


ds 1798 Mirbel travaille en tant quaide naturaliste du Musum puis, aprs avoir
ouvert un cours de botanique lAthne, il est charg de lintendance de
Malmaison de 1803 1806 avant dtre engag au service de Louis Bonaparte en
Hollande. Mirbel est un botaniste de cabinet, un thoricien reconnu depuis la
parution en 1802 dun important Trait danatomie et de physiologie vgtales le
consacrant comme le pre de la cytologie et de la physiologie vgtale et lui
ouvrant les portes de lAcadmie 1180 . Il nest donc pas seulement question dge
mais aussi de reconnaissance scientifique, Aim Bonpland ne pouvant se prvaloir
alors que de la publication incomplte de la partie botanique du voyage entame
en 1805.
A laune des lections de 1806 et 1808, le droit danesse napparat pas
comme un facteur privilgiant. Si en 1806 Palisot de Beauvois, le doyen des
candidats, est lu, la section de botanique
dclare quelle na pas prsent M. Mirbel, uniquement parce que son
absence paroit devoir tre durable. Sans ce motif il y auroit eu une place
distingue.

1181

En 1808, Mirbel est lu face ses ans Petit-Thouars et Poiret 1182 . De plus,
prcise la section de botanique lorsquelle prsente la liste des candidats, Candolle
bnficie de lanciennet vis--vis de Mirbel, ce qui nempche nullement
llection de ce dernier 1183 . Cest donc moins lanciennet que la pertinence des
travaux qui prime et ce titre les voyageurs-botanistes sont en recul car si 60%
dentre ceux forms sous lAncien Rgime deviennent acadmiciens, le tiers
seulement des voyageurs-botanistes de la gnration rvolutionnaire intgre la
prestigieuse institution 1184 .
Cependant, le sige obtenu en 1782 par Michel Adanson est purement
honorifique ; il accde en effet lAcadmie alors quil a cess dtre actif.
Sisolant de la communaut scientifique, il ne publie plus aprs son lection
1180

MIRBEL Charles-Franois Brisseau de, Trait danatomie et de physiologie vgtales suivi de


la nomenclature mthodique ou raisonne des parties extrieures des plantes et un expos succinct
des systmes de botanique les plus gnralement adopts, Paris, P. Dufart, 1802, 2 vol.
1181
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3,
sance du 10 novembre 1806, p. 446.
1182
Poiret publie son voyage puis collabore avec Lamarck au Dictionnaire encyclopdique de
botanique et devient professeur lEcole centrale de lAisne.
1183
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 4,
sance du 24 octobre 1808, p. 131.
1184
Sept des douze botanistes dans le premier cas, trois des huit concerns dans le second cas.
317

Deuxime partie

Chapitre IV

intervenue alors quil est g de 55 ans. Quant Richard, galement loign de ses
confrres, il intgre lInstitut assez jeune il a 41 ans en mme temps que
lEcole de mdecine nouvellement cre. Professeur actif, il ne publie pourtant pas
ses rsultats. Fortement du aprs plusieurs annes pniblement accomplies dans
les colonies amricaines, aucun ddommagement ne lui tant accord malgr les
promesses royales 1185 , son lection apparat comme une compensation. Car bien
que botaniste, ce sont ses travaux annexes qui lui permettent dintgrer la section
danatomie et zoologie. Nayant rien fait paratre avant son lection, cest
[p]ress par ses amis quil rdige ensuite quelques mmoires sur diverses
familles de plantes, qui annoncent le talent suprieur 1186 mais ne donnent pas
matire un ouvrage.
Il en va autrement pour les trois voyageurs-botanistes forms aprs la
Rvolution. Pierre Jean Franois Turpin, Auguste de Saint-Hilaire et Charles
Gaudichaud-Beaupr lus respectivement lge de 58, 51 et 48 ans, demeurent
actifs. Saint-Hilaire poursuit ses travaux et sa carrire puisque aprs lAcadmie, il
rejoint le Musum et luniversit de la Sorbonne. Gaudichaud-Beaupr poursuit
quant lui ses travaux et les publications de ses voyages. Mais tous ont mis
profit leurs expditions lorsquils sont admis au sein de lAcadmie, ce qui nest
pas le cas de leurs ans. Hormis Richard et Petit-Thouars, lequel publie ses
rsultats avant daccder lAcadmie, les autres empruntent le chemin inverse.
Palisot de Beauvois, aprs avoir effectu un voyage en Afrique et aux Antilles,
prolonge son sjour aux Etats-Unis pour des raisons politiques 1187 et Labillardire
parcourt le Proche-Orient et lOcanie avant daccompagner Bonaparte en Italie.
Tous deux sont lus avant de publier leurs rsultats scientifiques 1188 .

1185

Richard part en 1781 pour diriger ltablissement botanique de La Gabrielle en Guyane, mais le
gouverneur lui en refuse laccs malgr les recommandations royales. Il semble que le gouverneur
et son entourage aient voulu se rserver le monopole des profits de La Gabrielle, cet tablissement
tant relativement dlaiss par le roi qui nen possde pas la pleine proprit. Il parvient y
accder en 1785 seulement. Richard revient au printemps 1789 en France mais la mort de Buffon,
les vnements politiques et des critiques sur sa gestion lempchent de faire valoir ses droits ; cf.
TOUCHET Julien, Botanique & colonisation en Guyane franaise (1720-1848). Le jardin de
Danades, Matoury, Ibis Rouge, 2004, pp. 165-168, 182-189.
1186
Extrait de lloge prononc par M. de Jussieu le 18 juin 1821, in Journal des savans, juin
1821, p. 380.
1187
En 1793, alors quil quitte Saint-Domingue ruin par les rvoltes, il apprend quil est sur la
liste des proscrits. Il doit attendre 1798 pour tre autoris revenir en France.
1188
Labillardire publie en 1799 sa relation de voyage la recherche de Laprouse ; louvrage
connat un succs retentissant. Elu en 1800, la flore australienne ne commence paratre quen
1804.
318

Deuxime partie

Chapitre IV

Ren Desfontaines suit un parcours similaire. Adjoint-botaniste


lAcadmie des sciences en 1783, il voyage ensuite en Afrique du Nord de 1783
1785. Sa nomination lanne suivante la chaire de botanique du Musum doit
moins des mmoires modestes qu la protection de Louis-Guillaume
Lemonnier 1189 . Aprs quelques communications lues lAcadmie sans grand
retentissement, lanne 1795 est celle de la conscration puisquil obtient un sige
lAcadmie et la chaire de botanique au Musum. Ce nest que lanne suivante
quil publie un mmoire essentiel puis son ouvrage majeur, la Flora Atlantica,
paru entre 1798 et 1800 1190 . Aussi, laffirmation de Jean-Marc Drouin selon
laquelle son voyage marque un tournant dans sa carrire nest pas
incontestable 1191 , car Desfontaines est titulaire des deux postes les plus prestigieux
avant davoir publi ses uvres majeures. A contrario Pierre Antoine Poiteau,
form aprs 1789 et dabord chef de lcole botanique du Musum, abandonne son
poste pour tenter de fonder un jardin Bergerac sans succs. Nomm ensuite
directeur de ltablissement de Saint-Domingue bien que non rmunr, il publie
ses recherches en 1808 mais doit attendre la Restauration pour obtenir de nouveau
la direction dun tablissement botanique.
Seul le parcours de Bosc dAntic se rapproche de celui de la jeune
gnration. Fondateur de la socit linnenne et membre de la socit
philomathique, ce commis de lEtat profite de son poste au consulat des Etats-Unis
pour collecter des matriaux. A son retour, ceux-ci lui fournissent une base pour
dbuter la publication douvrages gnraux. En 1803, la divulgation de ses
premiers travaux saccompagne de sa nomination la direction des ppinires de
Versailles. Trois ans plus tard, il cumule linspection gnrale des ppinires
impriales, la place de membre de jur de lEcole dAlfort et le sige
dacadmicien pour la section dconomie rurale. Ce nest pas le cumul de postes
qui le rapproche de ses cadets mais son trajet qui commence par le voyage et la
collecte, la publication puis laccession aux postes scientifiques, bien que dans son
cas cette dernire seffectue rapidement. Les parcours de la jeune gnration
1189

DROUIN Jean-Marc, Collecte, observation et classification chez Ren Desfontaines (17501833) , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER Jean-Louis
(coord.), Le Musum au premier sicle de son histoire, Paris, MNHN, 1997, p. 266. LouisGuillaume Lemonnier (1713-1799) est professeur de botanique au Jardin du roi, mdecin de Louis
XV puis de Louis XVI.
1190
DESFONTAINES Ren Louiche, Flora Atlantica, sive Historia plantarum, quae in Atlante,
agro tunetano et algeriensi crescunt, Paris, A. Blanchon, 1798-1800, 2 vol.
1191
DROUIN Jean-Marc, op. cit., p. 266.
319

Deuxime partie

Chapitre IV

entrant lAcadmie sont donc plus homognes. Ils suivent un schma nettement
plus lisible puisque le voyage constitue un vritable point de dpart et ldition de
travaux ltape intermdiaire avant laccession acadmique.
Quen est-il de ceux qui, comme Bonpland, naccdent pas cette
institution ? Ils peuvent se diviser en trois catgories : les enseignants-chercheurs,
les voyageurs et les jardiniers. Les premiers effectuent une carrire honorable ;
dabord Poiret lEcole centrale de lAisne, ensuite Raffeneau-Delile
luniversit de Montpellier et enfin Descourtilz en tant que fondateur du Lyce
colonial de Port-au-Prince puis prsident de la socit linnenne. Les seconds font
carrire dans le voyage de long cours ; Andr Michaux meurt au cours de son
troisime voyage, Leschenault de la Tour peu aprs son retour dune troisime
expdition tandis que Sonnerat choisit de sinstaller Pondichry aprs deux
voyages en Nouvelle-Guine puis en Chine. Lmigration de ce dernier nest pas
sans rappeler celle de Bonpland.
Nanmoins, la voie suivie par les jardiniers est plus instructive. En effet,
alors que Tussac et Nectoux dirigent des jardins botaniques puis cessent leur
activit,

Franois-Andr

Michaux

et

Poiteau

terminent

leur

carrire

respectivement comme administrateur de la Socit centrale dagriculture 1192 et


directeur des ppinires de Fontainebleau. Cela prsume-t-il dune volution vers
la valorisation de ce type de carrire dune gnration lautre ? Certainement
pas, car Petit-Thouars et Bosc dAntic dirigent eux aussi des ppinires avant
daccder lAcadmie des sciences. Dailleurs, Nectoux cesse malgr lui de
diriger les Jardins de Rome et espre sans succs pouvoir retourner en Egypte afin
dy fonder un tablissement dagriculture et de naturalisation 1193 . Ladministration
des jardins demeure donc une fonction honorable et recherche mais difficilement
accessible. Elle nen constitue pas moins une tape vers des fonctions plus
prestigieuses, condition dtre employ un poste assurant une notorit
suffisante 1194 .

1192

Michaux est charg de dvelopper un arboretum dans sa proprit du chteau dHarcourt.


Cf. BRET Patrice, Le rseau des jardins coloniaux : Hypolite Nectoux (1759-1836) et la
botanique, de la mer des Carabes aux bords du Nil , in LAISSUS Yves (coord.), op. cit., pp. 210211.
1194
Encore faudrait-il raliser une tude exhaustive du parcours des jardiniers. Ce qui est certain,
cest que ces fonctions nempchent pas lintgration la communaut scientifique, malgr ce que
lexprience de Nectoux pourrait laisser croire ; cf. ibid., p. 208.
1193

320

Deuxime partie

Chapitre IV

Cest le cas pour Bonpland jusquen 1814. Il semble que sa fonction


dintendant et botaniste rpond ses objectifs professionnels et personnels.
Satisfait dune existence
qui tait assure par les marques bien positives de la confiance et de
lestime qu[il] avai[t] su mriter

1195

la proposition de rester au service du prince Eugne aprs le dcs de Josephine


prsente le risque de voir sa carrire vgter 1196 . Sans lappui de linfluente
impratrice, le poste perd de son prestige et ne constitue plus un marchepied vers
de hautes fonctions scientifiques. En outre, Bonpland signale que ce changement
lempcherait de mener bien ses propres travaux 1197 . Or, il lui faut assurer une
production scientifique notable sil veut inflchir une volution professionnelle
quil pressent comme un dclin social.
La publication des rsultats, simplement bauche par Bonpland, semble
indispensable aux cadets pour leur permettre dintgrer des places prestigieuses
devenues plus difficilement accessibles. Mais ce nest pas une condition suffisante
et la direction dun tablissement botanique ne leur offre pas la possibilit de
modifier favorablement leur carrire. Poiteau, bien que favoris par la
Restauration et directeur des ppinires de Fontainebleau, essuie un chec pour
laccession lAcadmie en 1839. Franois-Andr Michaux et Aim Bonpland
obtiennent le statut de correspondant sans que leur carrire sen trouve
transforme. En somme, les possibilits de promotions scientifiques samenuisent
pour les voyageurs-botanistes.

Linfluence du voyage sur la carrire


En moyenne, treize annes sont ncessaires pour que les voyageurs
concerns intgrent lAcadmie des sciences aprs leur retour. Si lon excepte
Adanson et Turpin qui lintgrent aprs une trentaine dannes, ce sont huit ans
qui sparent le retour de llection. Ce laps de temps relativement rduit tend
1195

Bonpland O. Gallocheau, s. l., 6 juillet 1814, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.

64.

1196

Bonpland Goujaud-Bonpland, s. l., 6 juillet 1814, cit in ibid., p. 63.


En 1814, Bonpland souhaite terminer louvrage de Malmaison et de Navarre, [les] plantes
quinoxiales et la monographie des Melastoma , in ibid.

1197

321

Deuxime partie

Chapitre IV

prouver que le voyage favorise la carrire, sans tre pour autant un facteur
privilgiant. En effet, au cours de la priode tudie dix voyageurs-botanistes
contre treize botanistes sdentaires accdent lAcadmie. Cette proportion,
bien quassez quilibre, nest pas en faveur des voyageurs. Lge non plus ne leur
est pas profitable puisque les botanistes sont lus en moyenne 48 ans. L encore
la diffrence nest pas significative ; mais ces deux donnes confirment
lhypothse selon laquelle le voyage de long cours nest pas un stimulateur de
carrire.
Les carrires des voyageurs-botanistes de la gnration de Bonpland
confirment que le voyage est moins un stimulateur quune tape de leur carrire.
En effet, tous lexception de Saint-Hilaire1198 effectuent plusieurs missions
malgr parfois lexistence de postes honorables en France. Les voyages de
Poiteau, Michaux et Leschenault de la Tour doivent tre regards comme des
promotions professionnelles. Trois dentre eux accdent lAcadmie des
sciences, savoir Turpin, Saint-Hilaire et Gaudichaud-Beaupr. Les destins des
autres sont variables : Poiteau termine sa carrire comme jardinier en chef au
chteau de Fontainebleau, Michaux comme directeur de Socit centrale
dagriculture, Leschenault de la Tour comme voyageur-naturaliste, Descourtilz
comme mdecin et prsident de la Socit linnenne de Paris, Raffeneau-Delile
comme professeur dhistoire naturelle Montpellier. Aucune nomenclature nest
dductible de ces parcours, hormis lappartenance commune de ces voyageursbotanistes des institutions scientifiques leur procurant prestige et revenu stable.
En outre aucun nest victime de la Restauration. Au contraire, nombre dentre eux
connaissent un regain dactivit professionnelle avec celle-ci.
Le voyage ne permet pas dimpulser la carrire dautant quil est parfois le
rsultat dun parcours, une promotion et non son commencement. Les espoirs mis
par Bonpland en 1805 quant un nouveau voyage 1199 sont rvlateurs de la place
minente tenue par la mission scientifique dans la carrire. Cette place est
courante pour la gnration antrieure celle de Bonpland. Le fait quil effectue
sa demande avant davoir rien class tend prouver quil privilgie le voyage par
1198

Jeanine Potelet affirme que Saint-Hilaire doit sa nomination la chaire de Lamarck la


publication de sa Flora Brasiliae Meridionalis ; POTELET Jeanine, En la huella de Humboldt:
naturalistas, comerciantes y artistas franceses en Brasil , in Cuadernos americanos, n 73, janvierfvrier 1999, p. 115.
1199
Cf. infra, pp. 338-339.
322

Deuxime partie

Chapitre IV

rapport une carrire de savant de cabinet. Hormis les offres de services


politiques proposes par Bonpland pour lAmrique en 1808 et 1815 1200 , une
possibilit de partir pour lAmrique lui est offerte par la France en 1814. Cette
proposition reue au dbut du mois de juillet confirme dune part labsence dune
mise lcart de la part des nouvelles autorits, dautre part le statut de la mission
scientifique considre comme une poursuite et une promotion de la carrire. En
effet, on lui fait alors de belles propositions pour Cayenne 1201 peine trois
mois aprs labdication de Napolon Ier et moins de deux mois aprs la mort de
Josphine de Beauharnais. Le poste propos tant pourvoir ds septembre,
Bonpland se voit oblig de refuser car il est occup par ses publications et par la
succession de Josphine, dont le rglement des arrirs qui lui sont dus.
Nanmoins cela prouve quil est non seulement loin dtre proscrit par le nouveau
rgime et donc non compromis politiquement mais probablement trs bien
recommand car il sagit se rendre rapidement dans une colonie tout juste rendue
Louis XVIII. Cela tend montrer aussi que pour sa part, Bonpland privilgie sa
carrire ses ides politiques.
Malheureusement, ni le commanditaire ni lobjectif du voyage ne sont
prciss par Bonpland. Aucun document nclaire ce point, les sources savrant
lacunaires lors de loccupation de la colonie par les Portugais entre 1809 et
1817 1202 . Cependant, cette proposition doit tre mise en relation avec la mort de
limpratrice survenue le 29 mai 1814 qui libre Bonpland de lintendance et avec
le trait de Paris sign le lendemain. Celui-ci ratifie en effet la rtrocession de la
Guyane la France dans ses frontires de 1792 mais demande dans le mme
temps que les deux pays en conflit au sujet des limites trouvent un arrangement
lamiable. La France sempresse denvoyer des commissaires dlimitateurs et de
demander Pierre Lapie et Jean-Baptiste Poirson de dresser une carte mais le
Portugal se nie remettre la colonie, le problme des frontires empchant la
France de reprendre immdiatement possession de la colonie1203 . Il parat

1200

Cf. chapitre I, pp. 76-77.


Ibid., p. 63.
1202
Julien Touchet crit ce propos : nous navons malheureusement aucun document sur cette
priode, peut-tre en trouverait-on au Brsil , in TOUCHET Julien, op. cit., p. 279.
1203
SAINT-QUENTIN Alfred de, Guyane franaise : ses limites vers lAmazone, Paris, Dupont,
1858, p. 41 ; SILVA Joaquim Caetano da, LOyapoc et lAmazone. Question brsilienne et
franaise, Paris, A. Lahure, 1899 (1861), tome 1, pp. 159-163, 174-175.

1201

323

Deuxime partie

Chapitre IV

vraisemblable quon ait propos Bonpland de participer ce voyage. Mais qui et


dans quel but ?
En 1814, Joseph Martin est le responsable des jardins botaniques de
Guyane quil cre et dirige depuis 1790. Ceux-ci comportent le jardin de La
Gabrielle et le jardin des plantes de Baduel avec leur tte un rgisseur et un
botaniste, le jardin du roi et celui de lhpital comptant pour leur part deux
jardiniers. Cette rpartition traduit les tergiversations de Martin concernant
ltablissement dune structure favorable lacclimatation et la conservation des
plantes. En effet, le botaniste dlaisse le jardin de Baduel qui demeure une simple
ppinire au profit de La Gabrielle, convoit par les colons pour les piceries sy
trouvant. Protg par Andr Thouin 1204 , il est cependant accus de mauvaise
gestion une premire fois en 1796 puis une seconde fois lors de la rtrocession de
la colonie dans un rapport rdig au mois de fvrier 1817 par les colons de
Cayenne. De plus, il semble quil ait entretenu des rapports plus que cordiaux avec
les Portugais durant leur occupation dautant que lesclave charg par lui de la
gestion de Baduel obtient son affranchissement de ceux-ci en 1814 1205 . Cependant,
il reste en poste jusqu sa mort survenue en 1817.
La rapidit de la proposition faite Bonpland en 1814 peut sexpliquer par
la volont politique de reprendre immdiatement possession de la Guyane. Dans
ce cas, loffre peut maner du nouveau ministre de la Marine et des Colonies
Pierre-Victor Malouet particulirement intress par les ressources naturelles
guyanaises sous lAncien Rgime 1206 . Emigr Londres durant les annes 1790, il
y dfend les intrts des colons dont lesclavage particulirement de Saint-

1204

Andr Thouin (1747-1824), agronome, il succde son pre en 1764 au poste de jardinier en
chef du Jardin du roi. Nomm professeur dagriculture et de culture des jardins au Musum en
1794, il devient ensuite membre de lAcadmie des sciences.
1205
TOUCHET Julien, op. cit., pp. 191, 199, 201, 260-262, 279-283.
1206
Dabord en poste Saint-Domingue, Malouet (1740-1814) est charg entre 1776 et 1778 de
dresser un plan de dveloppement de la Guyane et den consolider la frontire conteste avec le
Brsil. Il se prononce pour une exploration et une exploitation intensive des ressources quil
prsume fortes, abandonnant le projet dun jardin botanique non apte selon lui regrouper dans un
mme lieu des vgtaux issus de sols trs diffrents. Dans le domaine agraire il prne aussi le
desschement de certaines zones ainsi que llevage intensif des bovins. Concernant les moyens
humains, Malouet propose un retour des jsuites et la cration dune chambre conomique ayant
pour but damener de France savoirs et savoir-faire. Il envisage enfin, titre priv, de crer une
socit pour la mise en culture des terres basses avec le comte de Broglie ; MALOUET PierreVictor, Mmoires de Malouet, publis par son petit-fils le baron de Malouet, Paris, Plon, 1874
(1868), tome 2, pp. 288-289, 391-392, 397-402, 410-414 ; TOUCHET Julien, op. cit., pp. 37-38,
105, 148-150.
324

Deuxime partie

Chapitre IV

Domingue 1207 . Rentr en France aprs lamnistie, il est protg par Napolon qui
le nomme commissaire gnral de la Marine Anvers et participe de 1804 1808
aux Archives littraires de lEurope, revue littraire europenne autour de laquelle
gravitent les Humboldt 1208 . En outre, Alexandre de Humboldt tant aux cts du
roi de Prusse lors du retour de Louis XVIII Paris, peut-tre a-t-il recommand
Bonpland. Quant Josphine de Beauharnais, aucune source nindique quelle ait
eu des relations permettant Malouet de faire la connaissance de Bonpland. L
encore, une hypothse seulement peut tre mise propos des proches de
limpratrice attachs aux colonies amricaines. Sachant quen 1814 Malouet est
lev jusquaux nues par les Colons et leurs Adhrens 1209 , peut-tre existe-t-il
des connexions entre les colons proches des Beauharnais et Malouet leur
permettant de proposer Bonpland.
Il est avr quen accdant au ministre de la Marine et des Colonies,
Malouet entend reprendre Saint-Domingue 1210 . Les colonies amricaines sont
quant elles une proccupation majeure du ministre qui na pas pu raliser ses
projets publics et privs en Guyane prs de quarante ans auparavant. Il pourrait
sagir pour Bonpland de remplacer Joseph Martin la tte des jardins botaniques
guyanais afin de leur donner une vritable impulsion puisquils vgtent depuis 24
ans. En outre, le Rochelais possde latout de pouvoir la fois cumuler les postes
de botaniste et administrateur des diffrents domaines, comme il la fait
Malmaison pendant plus de cinq ans. Il est aussi un spcialiste de la flore
amricaine et, qualit trs apprciable pour Malouet, il nest pas seulement un
thoricien mais surtout un praticien en bon lve de Thouin. Ayant aussi eu
soccuper de la mnagerie de Josphine, Bonpland rpond en tous points aux vues
mises par Malouet pour le dveloppement de la Guyane.
1207

SHAW Matthew J., Emigration, Abolition and the Atlantic World in the Revolutionary Era ,
in The Electronic British Library Journal [en ligne], article 3, 2003. URL :
http://www.bl.uk/collections/eblj/2003/article3.html.
1208
Cette revue a pour but de renforcer la suprmatie de la civilisation franaise au sein de
lEmpire ; cf. CHAPPEY Jean-Luc, Les Archives littraires de lEurope (1804-1808) , in La
Rvolution franaise [En ligne], Dire et faire lEurope la fin du XVIIIe sicle, juin 2011. URL :
http://lrf.revues.org/index284.html.
1209
VASTEY Pompe-Valentin de, Notes M. le baron de V.P. Malouet, : ministre de la Marine
et des colonies, de sa Majest Louis XVIII, et ancien administrateur des colonies et de la Marine,
ex-colon de Saint-Domingue, etc. en rfutation de 4me volume de son ouvrage, intitul:
Collection de mmoires sur les colonies, et particulirement sur Saint-Domingue, etc., publi en
lan X. Par M. le baron de J.L. Vastey, secrtaire du Roi, membre du Conseil prive de Sa Majest
Henry Ier, Cap-Henry, P. Roux, octobre 1814, p. III.
1210
Ibid.
325

Deuxime partie

Chapitre IV

Un doute subsiste nanmoins concernant lventuel remplacement de


Martin car lui aussi est un lve et un protg de Thouin 1211 . Certes, aprs cinq
annes au contact des Portugais il peut savrer utile de ne pas prolonger son poste
mais il continue exercer jusqu sa mort, en 1817, personne ne prenant sa
succession avant 1819. En 1814, Bonpland est-il pressenti pour le remplacer ou,
dans le cadre de la mission de dlimitation des frontires franco-brsiliennes, lui
propose-t-on dexplorer les forts de cette zone ? La seconde hypothse est elle
aussi cohrente puisque le recensement et lexploitation des bois est la tche la
plus importante effectuer daprs Malouet ds 1778. Lexprience de Bonpland
en matire dexploration joue l encore en sa faveur.
Il nest pas possible de trancher faute de sources connues. Cependant, il est
possible que la mission propose Bonpland, comme celle confie Martin en
1790 et comme celle quil accepte Buenos Aires en 1817, recouvre la fois
lexploration, le recensement, la valorisation et la naturalisation des ressources
naturelles guyanaises. Cette approche globalisante de la botanique est en effet
caractristique du processus de dveloppement scientifique priphrique. Lors de
ce processus, les deux premires tapes de lvolution des sciences coloniales
proposes par George Basalla 1212 sont runies dans un mme temps et, souvent,
dans les mains dun seul individu, le voyageur-botaniste devant assumer
diffrentes fonctions afin de hisser la priphrie au niveau du centre et de faire du
jardin ou, plus largement, du laboratoire priphrique un relais efficace des
demandes scientifiques, conomiques et politiques en provenance du centre 1213 .
La troisime tape, celle consistant galer la mtropole ou la dpasser, ncessite
un cadre scientifique et ditorial qui fait le plus souvent dfaut au XIXe sicle dans
les colonies, mais qui se met lentement en place dans les centres scientifiques
priphriques. Cette tape qui consiste quitter une situation de dpendance
scientifique est la plus difficile raliser, sa concrtisation ncessitant en premier

1211

Julien Touchet a retrouv une correspondance entre Martin et Thouin prouvant leur proximit
jusqu linvasion portugaise de la Guyane, en 1809 ; cf. TOUCHET Julien, op. cit., pp. 52, 164.
1212
BASALLA George, op. cit.
1213
Cest le cas pour la Guyane et pour Alger, lautre colonie franaise qui se dveloppe au cours
de la premire partie du XIXe sicle. Cest aussi ce qui est demand Bonpland Buenos Aires.
Cet aspect est nanmoins peu tudi en France. Les rapports entre le Musum de Paris et ses
priphries sont par exemple quasiment absents de louvrage fondamental propos du Musum au
premier sicle de son histoire, op. cit., hormis la recherche de Marie-Nolle Bourguet sur le
voyage scientifique dont il est question ci-dessous.
326

Deuxime partie

Chapitre IV

lieu une dcentralisation des moyens qui permette la fin de la concentration des
fonctions 1214 .
Aprs le congrs de Vienne, une expdition en partance pour la Guyane est
de nouveau annule. Faute de sources son sujet il nest pas possible de savoir si
elle comportait un scientifique charg dune mission spcifique, ce qui aurait
permis de prciser celle propose Bonpland dans lhypothse o, en 1816, un
remplaant lui aurait t trouv. Finalement, en aot 1817 lexpdition quitte la
France 1215 sans avoir son bord de naturaliste. Sur place, Beul est mentionn
comme successeur de Martin La Gabrielle et Banon Baduel sans
quapparemment ils aient t mandats par le gouvernement franais1216 . Cest
finalement Poiteau, autre disciple de Thouin et autre spcialiste des plantes
tropicales celles de Saint-Domingue qui est recrut en 1819 afin de superviser
la mise en culture des habitations royales. Il ne revient en France en 1823 que
contraint et forc, lingnieur maritime Demonteil partant en 1819 avec lui pour
examiner et mettre en valeur les bois guyanais 1217 . Les missions scientifiques
priphriques sont, daprs les parcours exposs, valorises et apprcies par les
botanistes car elles leur permettent de multiplier les dcouvertes ainsi que de
matriser une grande partie du processus de recherche depuis la collecte jusqu la
publication dans tous les cas, en plus de la gestion du laboratoire dont ils ont la
charge dans certains cas.

Un compagnon de voyage relgu au second plan


Le voyage est donc pour Bonpland synonyme de promotion. Lautonomie
scientifique permise par lloignement la priphrie est probablement perue par
1214

Marie-Nolle Bourguet voque propos du Musum au premier sicle de son histoire la


dpendance des voyageurs vis--vis du centre dont ils ne sont jusqu la fin du XVIIIe sicle que
les instruments ; cf. BOURGUET Marie-Nolle, Voyage et histoire naturelle (fin XVIIme sicle dbut XIXme sicle , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER
Jean-Louis (coord.), pp. 177-178. Dans le cas de Bonpland et certainement pour dautres qui
restent tudier la concentration des fonctions qui lui est demande Malmaison puis Buenos
Aires tend confirmer quil est plac en situation de dpendance.
1215
Cf. SAINT-QUENTIN Alfred de, op. cit., pp. 41-42.
1216
TOUCHET Julien, op. cit., pp. 88-89, 169, 182.
1217
Il semble que son action naboutit pas car il faut attendre la seconde moiti du XIXe sicle pour
que il y ait un essor ce niveau ; cf. HOFF Michel, Flore guyanaise, histoire dune dcouverte
inacheve , in Courrier de la nature, n 168, janvier 1998, pp. 8-9 ; TOUCHET Julien, op. cit.,
pp. 151, 201-202, 207-208, 213-215.
327

Deuxime partie

Chapitre IV

lui et par la majorit des voyageurs comme un atout dans la carrire. Cependant
une fois de retour au centre en 1804 les profits escompts savrent difficiles
obtenir, Bonpland devant les partager avec Humboldt. Loin du pangyrique
encensant le voyageur hroque que nous retranscrivons ci-dessous, les fruits du
priple sont doux-amers pour Bonpland comme pour dautres. Ce nest pas le cas
de son compagnon de voyage lequel, afin dintgrer le milieu scientifique, mne
une vritable course et conseille Bonpland de faire de mme 1218 . Certes,
Alexandre de Humboldt est reconnu juste titre comme un pre fondateur de la
science moderne et ses publications amricaines rvolutionnent lapprhension de
la nature et des hommes 1219 . Mais en 1805 Bonpland le surpasse dans le domaine
botanique et prend en charge la rdaction de cette partie. Il peut tre considr
comme un des meilleurs spcialistes de son poque relativement ce travail long
et pnible, comme en tmoigne son compagnon de voyage :
Parmi les diffrents travaux auxquels nous avons cru devoir nous livrer,
les recherches botaniques ont t de celles dont nous nous sommes
occups avec le plus dassiduit. [...] Quoique les Plantes quinoxiales,
comme tous les travaux de notre expdition, portent le nom de Bonpland
et le mien, il sen faut de beaucoup que les deux signataires aient eu part
gale cet ouvrage. M. Bonpland ne la pas seulement rdig lui seul
daprs nos manuscrits, mais cest lui aussi quest due la plus grande
partie de ce travail botanique [...]; nous avons herboris ensemble
pendant plus de six ans, les plantes ont t recueillies par nous deux, mais
peine un neuvime a t dcrit par moi. Cest M. Bonpland qui, au
milieu des fatigues du voyage et souvent aux dpens de son sommeil, a
prpar et sch lui seul prs de soixante mille chantillons de plantes [...]
Si un jour mon entreprise est regarde comme intressante pour le
progrs de la botanique, ce succs devra tre attribu au zle actif de M.
Bonpland. Plus la reconnaissance quil ma inspire est grande, plus je
me plais lui rendre la justice qui lui est due

1218

1220

Nicole et Jean Dhombres remarquent justement cette manire de procder d Alexandre de


Humboldt quun don dubiquit plaait partout , in DHOMBRES Nicole et Jean, op. cit., p. 387.
1219
Ses deux Essais politiques, lun sur Cuba, lautre concernant le Mexique, font entrer la
statistique comme matire premire du compte-rendu de voyage; ses index dtaills en facilitent la
lecture ; la lecture du paysage est amliore grce aux coupes transversales.
1220
HUMBOLDT Alexandre de, BONPLAND Aim, Plantes quinoxiales : recueillies au
Mexique, dans lsle de Cuba, dans les provinces de Caracas, de Cumana et de Barcelone, aux
Andes de la Nouvelle-Grenade, de Quito et du Prou, et sur les bords du Rio-Negro, de
lOrnoque et de la rivire des Amazones, Paris, F. Schoell, tome I, 1808, pp. I-VII.
328

Deuxime partie

Chapitre IV

conclut Humboldt dans sa prface aux Plantes quinoxiales et, joignant le geste
la parole, il dclare en 1805 cder les bnfices de louvrage son ami ainsi que la
moiti de ce que rapporte le reste des publications 1221 .
Or, plus aucune trace de ce pcule nest mentionn ultrieurement. En
1818, ldition franaise cote 180 000 francs Humboldt 1222 . Le roi de Prusse
subventionne son sujet hauteur de plusieurs centaines de milliers de francs pour
ldition allemande. Les esprances de Bonpland sont dues mais leur retour
cest Humboldt qui tente de trouver un poste rmunr pour lui et qui obtient
rapidement de la part du gouvernement franais le versement dune pension de
3 000 francs en sa faveur 1223 .
Lhommage moral 1224 et matriel est loin dtre superflu tant donn dune
part les besoins pcuniaires du Rochelais, dautre part la monopolisation de la
gloire par linfatigable baron de Humboldt. Car ds avant leur dpart, Bonpland
est relgu au second plan. Ce nest pas par ignorance que la Cour espagnole le
considre en 1799 comme un second rle 1225 puisque durant le voyage, cest le
nom de Humboldt qui est le plus souvent cit par les scientifiques franais lorsque
des nouvelles et du matriel leur parviennent 1226 . Dans sa course aux honneurs, le
Prussien parvient tre lu correspondant de la section de physique de lInstitut le
6 fvrier 1804 mais choue au poste dassoci tranger derrire le chimiste Martin
Heinrich Klaproth le 18 juin de la mme anne. A cette date, les deux voyageurs
nont pourtant pas encore abord les ctes franaises 1227 .
A leur retour, les loges sadressent encore principalement Humboldt ;
lheureux retour de cet illustre voyageur est clbr Bordeaux et Paris par

1221

Bonpland espre percevoir au moins 40 000 francs ; Bonpland Gallocheau, Paris, 18 mars
1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 16.
1222
Humboldt A. P. de Candolle, Paris, 10 avril 1818, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
Lettres amricaines dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C.
Delamtherie et suivies dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 276.
1223
Humboldt aux professeurs administrateurs du Musum, Paris, 18 dcembre 1804 ; Humboldt
Karsten, Paris, 10 mars 1805, cit in ibid., pp.176, 187 ; HAMY Thodore Jules Ernest, Aim
Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, p.
XXVII.
1224
Que nous jugeons utile de reproduire ici dans son intgralit en raison de la raret du genre et
en ce quil dcrit exactement le travail de Bonpland.
1225
Cf. les commentaires de Miguel Angel Puig-Samper et Sandra Rebok reproduits lors du
chapitre V, p. 466n.
1226
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, 29
brumaire, 9 pluvise et 8 prairial an 12, pp. 27, 57, 98.
1227
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3,
pluvise et 29 prairial an 12, pp. 62,104-105.
329

Deuxime partie

Chapitre IV

les Acadmiciens qui voquent le clbre voyageur M. Humboldt 1228 . Ni aussi


clbre et illustre , Aim Bonpland est nanmoins reconnu pour ses
travaux. Ds le 5 novembre 1804, il lit un mmoire portant sur une nouvelle
espce de palmier lInstitut 1229 . La mme anne il collabore avec Georges
Cuvier, pour lequel il effectue la traduction de la description du mgathrium
publie Madrid en 1796 par Jean-Baptiste Bru et Jos Garriga 1230 . Le 17 juin
1805, cest en leurs deux noms que les voyageurs prsentent la premire livraison
des plantes quinoxiales 1231 . Entretemps, au mois de janvier 1805, Humboldt
prsente lui aussi un mmoire dit la mme anne 1232 devant lInstitut
propos de la gographie des plantes, qui est alors une science peine close, et de
la physique du globe. Il sapproprie une partie importante de la botanique et le 11
fvrier 1805 cest lui qui se fait intermdiaire en transmettant une plante
Fourcroy et Vauquelin afin quelle soit analyse.
La rpartition des rsultats du voyage est faite : Bonpland les dcouvertes
botaniques, Humboldt leur mise en systme et les thories. En ce sens, et selon
la typologie de David Marcus Knight, Humboldt est le voyageur du XIXe
sicle qui part pour tester des thories tandis que Bonpland demeure
l explorateur qui collecte et classe 1233 . Ce premier essai du baron prussien
contredirait la division du travail devant laisser Bonpland la partie botanique sil
1228

Ainsi aprs leur arrive Bordeaux, on peut lire dans la presse locale: Il y a environ six ans
quun seigneur prussien nomm Humboldt passa au Prou pour y faire des recherches sur lhistoire
naturelle. [...] Il vient maintenant de les terminer et a pass ici il y a quelques jours pour se rendre
Paris avec de superbes recueils de tous genres, produit de ses pnibles et rares travaux. Il va en
publier le rsultat, et le monde savant attend des choses prcieuses sur un pays curieux et peu
connu des Europens. ; cf. Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie
des sciences, tome 3, 25 thermidor an 12 et 9 vendmiaire an 13, pp. 117, 136.
1229
Bonpland M. et Mme Gallocheau, Paris, 12 novembre 1804, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., p. 12.
1230
CUVIER Georges, Description des os du megatherium, faite en montant le squelette, par D.
Jean-Baptiste Bru, traduite par M. Bonpland, et abrge , in Annales du Musum national
dHistoire naturelle, vol. 5, 1804, pp. 387-400. Il sagit de la seconde partie de larticle du mme
auteur intitul Sur le megatherium, autre animal de la famille des Paresseux, mais de la taille du
Rhinocros, dont un squelette fossile presque complet est conserv au cabinet royal dhistoire
naturelle Madrid , pp. 376-400.
1231
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, 28
prairial an 13, p. 222.
1232
HUMBOLDT Alexandre de, Essai sur la gographie des plantes ; accompagn dun tableau
physique des rgions quinoxiales, fond sur des mesures excutes, depuis le dixime degr de
latitude borale jusquau dixime degr de latitude australe, pendant les annes 1799, 1800, 1801,
1802 et 1803, Paris, Levrault, Schoell et Cie, 1805.
1233
Cf. KNIGHT David Marcus, Travels and science in Brazil , in Histria, Cincias, Sade,
vol. 8 (supplment), 2001, pp. 809-822. Cette volution est dj analyse depuis le XVIe sicle in
DROUIN Jean-Marc, La moisson des voyages scientifiques : les singularits, linventaire, la loi
et lhistoire , in ALVES Isidoro, MORAES GARCIA Elena (d.), Anais do VI Seminario da
Histria Cincia e da Tecnologia, Rio de Janeiro, SBHC, 1997, pp. 23-32.
330

Deuxime partie

Chapitre IV

ne prcisait en 1805, puis en 1812, que cet ouvrage a pour but de regrouper sous
un titre trompeur lensemble de ses recherches physiques. Humboldt insiste sur
lanciennet de ses recherches dans ce domaine, remontant sa premire jeunesse
quant lide et lanne 1796 quant la premire publication 1234 .
Linsistance de Humboldt sur lanciennet vise prouver lantriorit de
ses dcouvertes, principe fondamental de la reconnaissance scientifique.
Humboldt est particulirement attach sa physique du globe laquelle il
consacre les dernires annes de sa vie 1235 . Au dbut du XIXe sicle, cette
recherche doit laider asseoir sa rputation scientifique. Pour ce faire, il compte
aussi sur la publication de son Essai politique sur la Nouvelle-Espagne qui voit le
jour en 1811 mais qui occupe une place primordiale dans sa stratgie ditoriale ds
1806. Alors quil se trouve Berlin, occup classer son herbier avec laide de
Karl Ludwig Willdenow 1236 , Humboldt place son essai politique devant les 15 000
plantes de lherbier possd par son compatriote et devant les innombrables
espces botaniques nouvelles ramenes dAmrique 1237 . Cette hirarchisation des
travaux scientifiques explique la stratgie de Humboldt qui dlaisse les aspects
descriptifs au profit des recherches innovatrices.
Si Bonpland ne soppose pas cette rpartition, en revanche une dispute
clate ds 1805 propos des travaux de botanique descriptive. Le Franais, qui
corrige les manuscrits de Humboldt en mme temps quil rdige le dbut de la
partie botanique du voyage, fait part de son irritation Humboldt car Willdenow
1234

Ibid., pp. VI-VII ; HUMBOLDT Alexandre de, Voyage de Humboldt et Bonpland ; 1-3.
Voyage aux rgions quinoxiales du Nouveau Continent : fait en 1799, 1800, 1801, 1803 et 1804,
Paris, Schoell, 1812, tome 1, pp. 18-19. Marie-Nolle Bourguet analyse cette approche globalisante
dAlexandre de Humboldt lors du voyage : Certes, il restait des blancs remplir sur les cartes des
continents, et le catalogue des faunes et des flores tait complter [] Mais lenjeu essentiel du
voyage savant ntait plus, ses yeux, dans des dcouvertes ponctuelles, isoles : plutt, prenant
acte du fait que le monde tait dsormais fini et que tout voyageur serait, un jour, amen inscrire
ses pas dans ceux de ses prdcesseurs, il fallait dfinir autrement lobjet du voyage ;
BOURGUET Marie-Nolle, Le monde vu du haut du pic de Teyde : Alexandre de Humboldt
Tnriffe , in MONTESINOS Jos, TOLEDO PRATS Sergio, ORDOEZ RODRIGUEZ Javier
(d.), Ciencia y Romanticismo [en ligne], Maspalomas, Gran Canaria, Fundacin Canaria Orotava
de
Historia
de
la
Ciencia,
septembre
2002,
p.
5.
URL :
http://www.gobcan.es/educacion/3/usrn/fundoro/archivos%20adjuntos/publicaciones/otros_idioma
s/frances/Romanticismo/Bourguet_Humboldt.pdf.
1235
HUMBOLDT Alexandre de, Cosmos. Essai dune description physique du Monde, Paris, Gide
et Baudry, 1847-1859, 4 tomes.
1236
Karl Ludwig Willdenow (1765-1812) est directeur de ce jardin depuis 1801, jusqu sa mort.
Lors de la cration de luniversit de Berlin, en 1810, il y prend la charge de professeur de
botanique.
1237
Humboldt M. A. Pictet, Berlin, 3 janvier 1806, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Lettres
amricaines dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C. Delamtherie
et suivies dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 210.
331

Deuxime partie

Chapitre IV

vient de publier la description dun nouveau spcimen que Bonpland sest


apparemment rserv. Il soulve ici la question de la proprit intellectuelle de la
partie botanique. En effet, laccord pass entre les voyageurs parat stipuler que les
dcouvertes botaniques sont rserves Bonpland. Humboldt jure quil nest pas
au courant mais admet avoir autoris Willdenow dcrire quatre ou cinq espces
des plantes envoyes depuis Cuba en 1801. Or, dans sa lettre crite depuis La
Havane, Humboldt autorise en son nom et en celui de Bonpland son compatriote
choisir parmi les spcimens quil souhaite, lui laissant la primaut de la dcouverte
et de la proprit intellectuelle. Il engage Willdenow ne pas utiliser beaucoup de
plantes non pour des raisons thiques mais techniques, les spcimens envoys
tant de moins bonne qualit que ceux dcrits sur place 1238 .
Humboldt sest engag vis--vis des deux botanistes avant de partir pour
lAmrique, sans que Bonpland ne semble au courant. Ds 1799, il rserve
Willdenow la partie botanique et sil se montre moins catgorique au fil du voyage
il lautorise toujours utiliser les collections en fvrier 1805 1239 . La querelle
semble se cristalliser en 1809 autour des Nova genera et species plantarum 1240 ,
car Bonpland cesse de rdiger les Plantes quinoxiales alors que lditeur de
Humboldt en attend la fin pour entamer la publication des Nova genera. Or, il est
prvu en 1805 que la partie botanique doit se diviser en deux publications. Dune
part les Plantes quinoxiales regroupent les premiers rsultats sans que les
vrifications compltes soient encore effectues auprs des ouvrages de botanique
; il sagit en quelque sorte dun premier jet. Ensuite et une fois seulement que les
espces sont bien dtermines, il est prvu de rdiger les Nova genera en latin
lintention des spcialistes ; il sagit du catalogue complet. Ce second ouvrage doit

1238

Humboldt crit de Rome le 10 juin 1805 : je me souviens que de La Havane, jcrivis


Willdenow que je lui permettais de dcrire quatre, cinq de nos plantes, sous la condition quil vous
ddierait un genre alors quil crit en 1801 Willdenow : Si tu trouvais [] des espces
nouvelles, qui attirent ton attention, tu pourras, bien entendu, en disposer [] Bonpland et moi
nous nous estimerons trs honors dtre cits par toi dans ton uvre. , cit in HAMY Thodore
Jules Ernest, op. cit., pp. 110, 191-193.
1239
Partout jai collectionn pour toi, et rien que pour toi, puisque je ne veux commencer mon
herbier quau-del de lOcan , Humboldt C. L. Willdenow, Aranjuez, 26 avril 1799, cit in
ibid., pp. 11-12 ; cf. aussi ibid., p. 180.
1240
HUMBOLDT Alexandre de, Nova genera et species plantarum : quas in peregrinatione ad
plagam aequinoctialem orbis novi collegerunt / descripserunt, partim adumbraverunt Amat.
Bonpland et Alex. de Humboldt ; ex schedis autographis Amati Bonplandi in ordinem digessit
Carol. Sigismund. Kunth, Paris, Librairie Grco-Latine-Germanique, 1815-1825, 7 vol.
332

Deuxime partie

Chapitre IV

tre de la mme qualit que ceux de Smith, Swartz, Vahl et Willdenow 1241 .
Humboldt les voque comme des modles, des outils de travail, Willdenow ntant
aucunement cit comme un collaborateur.
Or, Humboldt semble avoir rserv les Nova genera son compatriote car
il annonce en 1812 leur parution grce aux recherches dun des premiers
botanistes du sicle , Willdenow, ainsi quaux observations intressantes de
Bonpland 1242 . Les deux botanistes sont alors associs, qui plus est sur un pied
dingalit. En 1810, Humboldt rappelle Bonpland les engagements []
contracts avec [lui] en 1798 1243 . Il nest probablement pas question cette
poque dune participation de Willdenow, ce qui explique la colre de Bonpland
sept ans plus tard. Il poursuit nanmoins la rdaction de louvrage de 1805 1809,
larrt de lcriture jusquen 1811 sexpliquant peut-tre par la querelle concernant
la proprit intellectuelle des Nova genera,
La mort de Willdenow, le 10 juillet 1812, ne met pas un terme au
contentieux rgl la fin de lanne 1814 seulement. La correspondance entre
Bonpland et Humboldt montre alors les craintes de ce dernier concernant un
ventuel blocage de la publication des Nova genera par le premier. Karl
Sigismund Kunth ayant pris la suite de Willdenow pour rdiger une partie de la
botanique du voyage 1244 , un accord est finalement accept par Bonpland
concernant les droits intellectuels et financiers de chacun, le Franais abandonnant
ceux-ci. Cependant, il rappelle Humboldt et lui demande de le noter dans sa
prface que jusquici cest bien lui qui dispose du droit de rdiger la flore du

1241

HUMBOLDT Alexandre de, BONPLAND Aim, Plantes quinoxiales : recueillies au


Mexique, dans lle de Cuba, dans les provinces de Caracas, de Cumana et de Barcelone, aux
Andes de la Nouvelle-Grenade, de Quito et du Prou, et sur les bords du Rio-Negro, de
lOrnoque et de la rivire des Amazones, Paris, Schoell, 1808, tome 1, pp. IV-VI.
1242
HUMBOLDT Alexandre de, Voyage de Humboldt et Bonpland ; 1-3. Voyage aux rgions
quinoxiales du Nouveau Continent : fait en 1799, 1800, 1801, 1803 et 1804, Paris, Schoell, 1812,
tome 1, pp. 25-26.
1243
Humboldt Bonpland, Paris, 7 septembre 1810, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit.,
p. 258.
1244
Cest pourquoi Kunth est qualifi de sistematizador et Bonpland de recolector ; DIAZ
PIEDRAHITA Santiago, Bonpland, Kunth y la botnica en el viaje de Humboldt , in Revista
Credencial
Historia
[en
ligne],
n
134,
fvrier
2001.
URL :
http://www.banrepcultural.org/blaavirtual/revistas/credencial/febrero2001/134bonpland.htm. Karl
Sigismund Kunth (1788-1850) sinstalle Paris en 1813 pour tudier les herbiers. En 1829, il
devient professeur de botanique luniversit de Berlin et vice-directeur du jardin botanique de
cette ville.
333

Deuxime partie

Chapitre IV

voyage et que cest sur les instances de Humboldt quil les cde 1245 . Ce
revirement prouve, a posteriori, quil existe bien une querelle initiale propos des
droits intellectuels sur la flore, les engagements datant de 1798 et non tenus par
Bonpland en 1810 tant lis ceux pris et non respects par Humboldt.
Celui-ci doit attendre 1818 pour clore cet interminable ouvrage 1246 que
sont les Plantes quinoxiales, commenc en 1805 mais non achev pour des
raisons de droits intellectuels. Dautres motifs expliquent les atermoiements de
Bonpland ce sujet ; dune part le manque de soutien de Humboldt vis--vis de la
carrire de Bonpland et dautre part son emploi Malmaison que nous analysons
ensuite entranent une distanciation des deux hommes. Lorsquen 1814 Bonpland
accepte de cder ses droits sur les Nova genera, il sapprte partir pour
lAmrique mais doit avant cela terminer la rdaction de trois ouvrages, dont les
fameuses Plantes quinoxiales qui, finalement, lui auront servi de garantie pour le
respect de ses droits. Il renonce ces derniers car le temps ne lui permet pas
dajouter une publication denvergure qui comporte sept volumes dits pendant
dix annes celles dj en cours comme celles quil espre bientt pouvoir
raliser grce ce nouveau voyage en Amrique.
Outre la querelle strictement botanique, la reconnaissance scientifique est
une autre pierre dachoppement entre les deux compagnons de voyage. La
reconnaissance naissante du botaniste ne doit pas faire oublier que Humboldt le
surpasse par labondance et la rapidit de sa production. En effet, celui-ci prsente
rapidement lInstitut des travaux en son propre nom. Le 17 septembre 1804, il lit
le dbut de sa relation de voyage ; le 5 novembre il lit un mmoire sur Cuba et
Carthagne ; le 7 janvier 1805 il prsente son tableau des Cordillres. Ses rapports
avec linstitution sont solidement tablis ds le 7 janvier 1805 puisquil est pour la
premire fois charg dune mission par lInstitut 1247 . Il lui faut nanmoins attendre
le mois de mai 1810 pour tre lu associ tranger, effaant ainsi son chec initial
de 1804.
1245

Bonpland Humboldt, s. l., 7 octobre 1814, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Aim
Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, pp. 6668.
1246
Humboldt A. P. de Candolle, Paris, 10 avril 1818, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
Lettres amricaines dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C.
Delamtherie et suivies dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 275.
1247
Il sagit dun rapport sur un projet dun ouvrage priodique intitul Bibliothque germanique ;
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, 30
fructidor an 12, 14 brumaire, 3 nivse, 17 nivse et 22 pluvise an 13, pp. 125, 147, 171, 173-174.
334

Deuxime partie

Chapitre IV

En 1806, Humboldt est encore le sujet principal dun article mais le portrait
dress par un membre du milieu rudit bordelais, par consquent proche
gographiquement, met en avant les qualits du Charentais
qui runit des connaissances distingues en botanique et en zoologie, ce
zle infatigable et cet amour des sciences, qui fait supporter avec
indiffrence toutes sortes de privations physiques et morales.

1248

En 1807, les deux illustres voyageurs sont mis sur un pied dgalit par un
article du Magasin encyclopdique qui prcise que Bonpland est lauteur de la
partie botanique 1249 .
Cette notorit scientifique croissante reste dpendante de Humboldt qui
distribue les matriaux et les entres. Laudience obtenue par Bonpland en 1807
lAcadmie des sciences de Berlin est le rsultat de son appui. On constate quen
1809 et 1810, le nom de Humboldt clipse celui de Bonpland propos du voyage
et de la partie botanique en particulier 1250 . Lors de la description des ouvrages
ralise en 1809, le nom de Bonpland nest mme pas mentionn dans le compterendu de la partie botanique 1251 . En 1810 la parution de lAtlas pittoresque est du
au seul voyage de M. Humboldt 1252 . Est-ce le rsultat dun manque de
reconnaissance et de la querelle des droits sur la partie botanique, toujours est-il
quen 1811 Humboldt dclare vouloir cder Bonpland la publication dune partie
importante des observations zoologiques en vertu du travail anatomique ralis sur
place 1253 . Cependant, rien nest finalement publi par Bonpland dans ce domaine.
Aprs 1811 le nom de Bonpland ne figure que rarement dans les ouvrages
et revues scientifiques. Dumont de Courset, qui lui rend hommage en 1811 et en

1248

An., in Bulletin polymathique du Musum dinstruction publique de Bordeaux, ou Journal


littraire, historique et statistique du dpartement de la Gironde, Bordeaux, P. Beaume, 1806, p.
74.
1249
An., Le magasin encyclopdique, 1807, tome I, pp. 227, 235.
1250
Humboldt est daprs Alexandre de Theis le voyageur clbre , auteur, avec Bonpland,
dun trs-bel ouvrage sur les plantes quinoxiales . Bonpland est celui qui a accompagn
Humboldt son voyage en Amrique , THEIS Alexandre de, Glossaire de botanique ou
Dictionnaire tymologique de tous les noms et termes relatifs cette science, Paris, Dufour, 1810,
p. 65.
1251
An., Voyage dans lintrieur de lAmrique, fait dans les annes 1799 1803, par MM. De
Humboldt et Bonpland, chez F. Schoell , in Annales des voyages, de la gographie et de lhistoire
ou Collection des voyages nouveaux les plus estims, 1809, tome 4, pp. 114-135.
1252
Annales des voyages, de la gographie et de lhistoire ou Collection des voyages nouveaux les
plus estims, 1810, tome 10, p. 394.
1253
Humboldt lui rserve notamment le lama, le lamantin et le crocodile ; HUMBOLDT Alexandre
de, Voyage de Humboldt et Bonpland. Deuxime partie, Observations de zoologie et danatomie
compare, Paris, Schoell, Dufour, 1811, tome I, pp. 1-2.
335

Deuxime partie

Chapitre IV

1814, est un spcialiste des jardins mais non un thoricien 1254 . Entre la fin de la
priode impriale et la Restauration, peu darticles sintressent au Rochelais. Il
est significatif de noter que Bonpland sadresse en 1814 Charles Louis Cadet de
Gassicourt, premier pharmacien de lempereur et membre de lAcadmie de
mdecine, plutt qu lInstitut, afin de raliser des expriences sur une plante.
Celui-ci le prsente dailleurs comme le clbre compagnon de voyage de M.
Humboldt 1255 . Le mdecin Franois Pierre Chaumeton, bien quen dlicatesse
avec les grandes institutions savantes, ne le cite pas parmi les naturalistes ayant
visit le Nouveau Monde dans sa Flore mdicale 1256 . Jean-Baptiste Biot, membre
de lAcadmie des sciences, vante en 1816 le courage des voyageurs quittant
patrie et famille ; Humboldt figure dans son panthon mais non Bonpland1257 .

2. Des relais institutionnels cloisonns


Labsence de reconnaissance semble maner en partie des institutions
savantes. Or, Aim Bonpland privilgie justement la stratgie institutionnelle car
ds avant son dpart quil prsume tre pour lAfrique, il demande et obtient en
1798 le statut de correspondant du Musum 1258 . Au retour, Bonpland se veut
confiant en son avenir. Les journaux font beaucoup de publicit, les deux
voyageurs sont bien accueillis et Tout cela ne peut tre que trs avantageux en
1254

Les voyageurs Michaux, Baudin, Humboldt, Bonplant et plusieurs autres, ont apport une
foule de genres et despces de plantes inconnues jusqualors. ; propos des plantes pruviennes
il crit que cest MM. De Humboldt et Bompland que nous les devons. , DUMONT DE
COURSET Georges Louis Marie, Le botaniste cultivateur, ou Description, culture et usages de la
plus grande partie des plantes trangres, naturalises et indignes, cultives en France, en
Autriche, en Italie et en Angleterre, ranges suivant la mthode de Jussieu, Paris, Dterville,
Goujon, 1811, tome 1, p. 329 ; 1814, tome 7, p. 181.
1255
CADET DE GASSICOURT Charles Louis, Sur le Malambo, corce nouvellement employe
en mdecine , in Journal de pharmacie et des sciences accessoires, Paris, tome I, 1815, pp. 20-28.
1256
Le nouveau monde a t visit par une foule de naturalistes qui nous ont expos le tableau de
ses productions vgtales : ici viennent se prsenter les noms de Plumier, de Feuille, de Sloane, de
Clayton, de Clatesby, de Hernandez, de Brown, de Fuse-Aublet, de Ruiz et Pavon, de Michaux,
de Humboldt, de Tussac. , CHAUMETON Franois Pierre, Flore mdicale, Paris, Panckoucke,
1814, vol. I, p. IX.
1257
Cit in Acadmie des inscriptions et belles lettres, Journal des savans, Paris, Imprimerie
royale, novembre 1816, p. 132.
1258
Bonpland A. L. de Jussieu, Paris, 20 octobre 1798, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
Aim Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906,
pp. 1-2.
336

Deuxime partie

Chapitre IV

disposant les esprits en ma faveur. 1259 Avec lEmpire, la carrire scientifique est
de plus en plus soumise lappartenance un groupe et au principe de
cooptation 1260 . Dans ce nouveau contexte Bonpland, optimiste et ambitieux,
espre obtenir un emploi rapidement. En effet, ds son retour dans la capitale
franaise, le botaniste pense et agit en termes de rseaux. Il suit en cela les
recommandations qui lui sont donnes, savoir profiter de la publicit
accompagnant son arrive pour se mettre tout de suite en relation avec les milieux
susceptibles de soutenir sa carrire :
tant de conseils mont t donns quil fallait profiter du moment
denthousiasme ; que, si je devais retirer quelque profit de ce voyage, ce
serait dans les huit premiers jours de mon arrive, etc., etc.

1261

Conscient de limportance de cette reconnaissance, il esquisse un plan de


travail et de carrire qui, au terme dune anne passe Paris, doit disposer les
esprits en sa faveur 1262 .
Je serai alors Doct. et archi Doct. et jaurai de plus une rputation comme
naturaliste, savant et tout ce que vous voudrez, puisque je lai dj sans
avoir rien fait

1263

Il tente dintgrer les rseaux scientifiques traditionnels. En juin 1805, il est


membre de lEcole de mdecine et de lEcole philomathique 1264 , conjuguant
activit de recherche et divulgation des connaissances. En effet, la premire cole
se consacre la collecte et la publication des observations des mdecins des
dpartements, tandis que la seconde dispense une instruction publique et gratuite.

1259

Bonpland M. et Mme Gallocheau, Paris, 12 novembre 1804, cit in ibid., p. 11.


DHOMBRES Nicole et Jean, cit., pp. 210-211.
1261
Bonpland Gallocheau, Paris, 18 mars 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
16.
1262
Cette dernire expression est de sa main, cite in ibid., p. 11.
1263
Bonpland M. et Mme Gallocheau, Paris, 12 novembre 1804, cit in ibid., p. 12.
1264
Humboldt Bonpland, Rome, 10 juin 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Lettres
amricaines dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C. Delamtherie
et suivies dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 192.
1260

337

Deuxime partie

Chapitre IV

Le faible appui des professeurs du Musum


En 1805, proccup au plus haut point par son avenir, il se voit Oblig de
voir le grand monde 1265 . Rencontrant plusieurs reprises le ministre de
lIntrieur Jean-Baptiste de Champagny, il sentretient avec lui de lobtention
dune place rmunre au Musum 1266 , les appuis passant surtout par
lintervention des professeurs. Ds son retour, Bonpland exprime ses proches
toute la confiance quil dpose dans linstitution :
Tous les professeurs du Musum me sont trs attachs et dsirent autant
que vous pouvez le dsirer que le gouvernement me rcompense.

1267

Il place particulirement ses espoirs dans lintervention dAntoine-Laurent de


Jussieu, dont il attend le retour Paris pour obtenir de lui un soutien jug
indispensable lacquisition dun poste :
Je nattends que larrive de M. de Jussieu [] pour demander un emploi
qui me donnera de quoi vivre et me soutenir Paris sans aucun
secours.

1268

Lemploi espr se situe par consquent dans le milieu du Musum, parmi


une famille illustre et puissante de botanistes. En effet, Antoine-Laurent est le
neveu dAntoine, Bernard et Joseph de Jussieu, trois botanistes rputs du XVIIIe
sicle. Antoine obtient un poste de professeur au jardin du roi en 1709 puis
lAcadmie des sciences en 1711 ; Bernard, nomm professeur de botanique en
1722, acadmicien en 1725, est charg en 1758 de diriger la plantation dun jardin
botanique Trianon, distribue les plantes suivant une mthode naturelle, rompant
avec la classification de Linn ; Joseph accompagne en 1735 lexpdition du
Prou pour nen revenir quen 1771 gravement malade, rapportant un grand
nombre de graines et dchantillons de vgtaux amricains.
Antoine-Laurent de Jussieu est nomm en 1770 dmonstrateur au jardin du
roi. En 1774, il fait paratre son Exposition dun nouvel ordre des plantes, adopt
dans les dmonstrations du Jardin royal dans les Mmoires de lAcadmie des
sciences, complt en 1789 par le Genera plantarum secundum ordines naturales

1265

Bonpland Gallocheau, Paris, 19 avril 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Aim
Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, p. 17.
1266
Bonpland Gallocheau, Paris, 12 novembre 1804, cit in ibid., p. 12.
1267
Bonpland M. et Mme Gallocheau, Paris, 12 novembre 1804, cit in ibid., p. 12.
1268
Bonpland M. et Mme Gallocheau, Paris, 4 janvier 1805, cit in ibid., p. 14.
338

Deuxime partie

Chapitre IV

disposita, ouvrage exposant la classification naturelle des vgtaux. Dsign


professeur de botanique lors de la cration du Musum, il entre en 1795
lInstitut, puis devient directeur du Musum en 1800 et professeur de botanique
la facult de mdecine en 1804. Ancien professeur de Bonpland au mme titre que
Desfontaines, Jussieu est un relais incontournable pour obtenir le poste dsir. Il
accorde une grande confiance son cadet, puisque cest dj lui qui propose la
participation de Bonpland lexpdition Baudin. Or la premire intention de
Bonpland nest pas dobtenir un poste Paris, mais une place de voyageur
naturaliste pour le Musum 1269 , comme en tmoigne le rapport de la commission
charge dexaminer la manire de rtribuer Bonpland pour le don de son herbier
au Musum. Les membres de la commission compose de Jussieu, Desfontaines et
Lamarck, expliquent quils
ne peuvent proposer de lattacher au Musum en qualit de voyageur,
parce que cela ncessiterait une augmentation dans les fonds annuels du
Musum; que si cette augmentation tait quelque jour retranche, il
faudrait prlever ce traitement sur la masse totale peine suffisante pour
les autres dpenses journalires ; que de plus un titre de voyageur
obligerait le titulaire tre perptuellement en course et des frais
considrables pour ses dplacements

1270

Les trois botanistes, dont deux anciens protecteurs de Bonpland, ne sont


pas en mesure de crer ce poste pour des raisons budgtaires videntes. Il ne sagit
pas non plus dun problme de cooptation mais de pratique scientifique. En effet,
linstitution pense et dveloppe encore le voyage naturaliste dans le cadre dune
grande entreprise collective. Les initiatives individuelles ne sont pas prises en
charge par le Musum qui pour cela sappuie sur un rseau de correspondants
annexes, puiss notamment parmi ladministration coloniale et recruts au
moindre cot. Si elle sinscrit dans une vision ambitieuse et novatrice des moyens
mettre en uvre pour mener bien un programme scientifique, la demande de
Bonpland ne correspond donc pas la pratique conue par ses pairs.

1269

Humboldt aux professeurs et administrateurs du Musum dHistoire naturelle, Paris, 18


dcembre 1804, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Lettres amricaines dAlexandre de
Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C. Delamtherie et suivies dun choix de
documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 177.
1270
Rapport sur la proposition faite par MM. Humboldt et Bonpland de dposer dans la collection
du Musum des chantillons de toutes les plantes recueillies par eux dans lAmrique mridionale,
1er janvier 1805, cit in ibid., p. 232.
339

Deuxime partie

Chapitre IV

Pourtant, ds 1795 une loi prvoit de financer le voyage de vingt personnes


choisies par lInstitut pour une dure de trois ans, tant en France qu ltranger,
afin damliorer les connaissances en matire dagriculture. En outre, six membres
de lInstitut doivent effectuer tous les ans un voyage dans des domaines
scientifiques autres que lagriculture. Mais cette loi priclite. Dj, en 1802,
Broussonnet qui bnficie du statut de voyageur de lInstitut sans
rmunration demande des moyens humains pour se rendre au Cap de BonneEsprance afin dy fonder un jardin botanique 1271 . Broussonnet jouit dune haute
rputation auprs de lInstitut, ce qui nempche pas un refus de la part du
gouvernement.
Il faut attendre la Restauration pour quen 1819 des fonds soient consacrs
entirement au financement de la nouvelle Ecole de jeunes naturalistes destins
voyager dans les divers climats, et recueillir les productions utiles ou
intressantes de la nature , les ressources tant rapidement rinvesties dans
lorganisation de voyages plutt que dans la formation des lves 1272 . Sil nest
pas prouv que la demande effectue en 1804, puis le dpart en 1816 au profit
dune institution trangre jouent un rle dans la dcision de 1819, du moins cela
met-il en exergue les difficults rencontres pour rpondre aux besoins dune
politique scientifique ambitieuse.
Ce premier chec nentame pas sa confiance envers les professeurs,
particulirement vis--vis dAntoine-Laurent de Jussieu. Quelques jours aprs
avoir pris connaissance de lavis de la commission, Bonpland apparat toujours
rsolu obtenir une place Paris. A cet gard, Humboldt se rvle un prcieux
alli car il est tout aussi soucieux dentrer dans le rseau du Musum et den faire
profiter son compagnon de voyage. Sadressant dabord Andr Thouin afin de
lui faire parvenir des plantes vivantes, le baron, souhaitant se rapprocher des
professeurs du Musum, destine ensuite les premires publications Jussieu et
Desfontaines 1273 . Outre une place, Bonpland songe aussi une rmunration car
son avenir financier est une inquitude rcurrente. Aussi espre-t-il que ses futures
publications lui fourniront une rente ; il annonce avoir dj touch 3 500 francs en
1271

Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 2, p.
474.
1272
RIVIALE Pascal, op. cit., p. 26.
1273
Humboldt A. Thouin, s. l., 14 aot 1804, cit in LETOUZEY Yvonne, Le jardin des plantes
la croise des chemins avec Andr Thouin, Paris, Editions du Musum, 1989, p. 541 ; Humboldt
Bonpland, Rome, 10 juin 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 225.
340

Deuxime partie

Chapitre IV

mars 1805 et en attend un profit total lev 1274 . Le dcret entrinant la donation de
lherbier au Musum et rcompensant Bonpland au moyen dune pension se
montant 3 000 francs annuels est sign le 13 mars 1805 1275 . Cela place le
botaniste entre les acadmiciens qui peroivent 1 500 francs et les professeurs du
Musum dont les moluments se montent 5 000 francs.
Fort de ce pcule, il poursuit ses travaux en compagnie des botanistes et
dessinateurs Jean-Franois Turpin et Pierre-Antoine Poiteau 1276 , tous deux ayant
voyag Saint-Domingue. Ce dernier, chef de lcole botanique du Musum, suit
un parcours similaire celui de Bonpland puisquen 1819 il se rend en Guyane
afin de superviser la mise en culture des habitations royales, avant dtre nomm
son retour jardinier en chef du chteau de Fontainebleau. En aot 1805, le ministre
de lIntrieur Champagny confie Bonpland les examens de naturalisme de
lEcole polytechnique ; il se rend pour cela Verdun, Genve, Turin, Grenoble,
Lyon et Dijon 1277 . Or le poste dexaminateur procure une bonne rmunration, une
stabilit et un vritable pouvoir. En outre, laccession cette institution lui permet
desprer intgrer le professorat. Malheureusement, lenseignement des sciences
naturelles reste limit aux Ecoles centrales et celles-ci demeurent lapanage des
mathmaticiens 1278 , lInstitut ayant par ailleurs un rle prdominant pour la
dsignation des candidats 1279 .
Quant au Musum, il offre en matire dhistoire naturelle peine plus de
postes que ceux disponibles avant la Rvolution 1280 . Certes, laccs aux herbiers
du Musum est ouvert Bonpland qui peut utiliser ceux de Desfontaines, Jussieu,
Lamarck, Richard et Ventenat 1281 . En outre, il publie une tude succincte dans les
Annales du Musum en 1806 et alimente les recherches de Poiteau et Antoine-

1274

Bonpland Gallocheau, Paris, 12 novembre 1804 et 18 mars 1805, cit in HAMY Thodore
Jules Ernest, Aim Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris,
Guilmoto, 1906, pp. 12, 16.
1275
Ibid., p. XXVII.
1276
Ibid., p. XXX.
1277
Ibid.
1278
Cf. DHOMBRES Nicole et Jean, op. cit., pp. 186-187, 215.
1279
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 2, 18041807, p. 153.
1280
Ibid., p. 187.
1281
HUMBOLDT Alexandre de, BONPLAND Aim, Plantes quinoxiales : recueillies au
Mexique, dans lle de Cuba, dans les provinces de Caracas, de Cumana et de Barcelone, aux
Andes de la Nouvelle-Grenade, de Quito et du Prou, et sur les bords du Rio-Negro, de
lOrnoque et de la rivire des Amazones, Paris, Schoell, 1808, tome 1, pp. 15, 125.
341

Deuxime partie

Chapitre IV

Laurent de Jussieu en 1805 et 1806 1282 . Mais bien quil espre intgrer
linstitution jusquen 1808, date laquelle il rdige un autre article pour les
Annales du Musum 1283 , les portes demeurent fermes.

Les tentatives auprs de lInstitut


Fort de ses travaux amricains, Bonpland nen demeure pas moins dsireux
dintgrer une institution prestigieuse. En compagnie de Humboldt, il prsente
lInstitut ses premiers rsultats 1284 . Le 5 novembre 1804 il expose en son nom
propre cette mme Acadmie un mmoire sur un palmier cire. Le 24 dcembre
le rapport rdig par Jacques Julien Houton de Labillardire et Jean-Baptiste
Lamarck est logieux 1285 . Bonpland confirme que
le mmoire a t trouv trs bien, trs intressant, et il est probable quon
le fera imprimer parmi la collection des mmoires des savants
trangers

1286

Lavance et la mise en valeur des travaux amricains reprsentent alors


une priorit pour le botaniste, lequel prfre rester Paris pour sy employer plutt
que daccompagner Humboldt en Italie 1287 . Bonpland a dailleurs lintention
dajouter ldition des plantes quinoxiales une monographie des mlastomes,
une cryptogamie des tropiques ainsi que ldition spare des gramines 1288 .

1282

JUSSIEU Antoine-Laurent, Premier mmoire sur quelques nouvelles espces du genre


passiflora, et sur la ncessit dtablir une famille de passiflores , in Annales du Musum
dhistoire naturelle, vol. 6, 1805, pp. 108-114 ; BONPLAND Aim, Description du Claytona
cubensis , in ibid., vol. 7, 1806, pp. 82-84 ; POITEAU Pierre-Antoine, Monographie du genre
Hyptis de la famille des Labies, et qui a des rapports dune part avec le Basilic, le Plectranthus, et
de lautre avec la Cataire , in ibid., pp. 469, 473.
1283
HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. XXX.
1284
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, an 13,
p. 222.
1285
Ibid., pp. 150, 169-171.
1286
Bonpland M. et Mme Gallocheau, Paris, 12 novembre 1804, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., p. 12. Nous pensons que ce travail du digne ami de M. de Humboldt mrite
lapprobation de la Classe et doit tre imprim parmi les Mmoires des Savans Etrangers ,
crivent Labillardire et Lamarck in Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de
lAcadmie des sciences, tome 3, an 13, p. 171.
1287
Bonpland Gallocheau, Paris, 18 mars 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
16.
1288
Humboldt M. A. Pictet, Paris, 3 fvrier 1805, cit in HAMY, Lettres amricaines
dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C. Delamtherie et suivies
dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 181.
342

Deuxime partie

Chapitre IV

Autant de publications indispensables pour esprer intgrer la prestigieuse


institution.
Dans cette perspective, Humboldt et Bonpland dcident de faire parvenir
lInstitut leurs premiers travaux. Des exemplaires sont adresss particulirement
Etienne Pierre Ventenat et Louis-Claude Marie Richard 1289 . Ventenat, membre de
lInstitut pour la section de botanique depuis 1796 1290 , occupe aussi la fonction de
botaniste de limpratrice. Richard, issu dune dynastie de botanistes 1291 , frquente
Michel Adanson et Bernard de Jussieu. Membre de lInstitut et professeur
lEcole de mdecine, il partage avec Bonpland une exprience amricaine
accomplie entre 1781 et 1789. Aprs un voyage au Brsil et aux Antilles, il obtient
la direction du jardin botanique de Cayenne. La similitude des terrains tudis peut
favoriser un rapprochement entre Bonpland et son an.
Mais le jeune rudit ne peut concourir au sein dun milieu o lanciennet
est un facteur important de cooptation. Ainsi le 10 novembre 1806, Bonpland se
prsente la succession de la chaire de botanique laisse vacante par la mort
dAdanson. Ambroise Palisot de Beauvois, correspondant de lAcadmie des
sciences depuis 1781, lemporte largement devant Candolle 1292 , Bonpland
nobtenant aucun scrutin 1293 . Or Palisot de Beauvois est lui aussi lauteur dun
Mmoire sur les palmiers en gnral et en particulier sur un nouveau genre de
cette famille non encore publi en 1806, tout comme le mmoire prsent par
Aim Bonpland. A la date de son entre lInstitut, lan de Bonpland compte en
outre plusieurs publications remarques sur la faune et la flore dAmrique et
dAfrique, tels la Flore dOware et du Bnin dite en 1803, les Insectes recueillis
en Afrique et en Amrique dans les royaumes dOware et de Bnin, SaintDomingue et dans les Etats-Unis pendant les annes 1786-1797 et le Prodrome
des 5e et 6e familles de lAethogamie publis en 1805. Ces crits ainsi que la
1289

Humboldt Bonpland, Rome, 10 juin 1805, cit in ibid., p. 225.


Etienne-Pierre Ventenat (1757-1808) est aussi conservateur de la bibliothque du Panthon et
professeur de principes de botanique au Lyce rpublicain.
1291
Son bisaeul soccupe dj dhistoire naturelle, puisquil est charg de la mnagerie de Louis
XIV. Son grand-pre, Claude Richard (1705-1784), est employ au jardin botanique de Trianon
sous la direction de Bernard de Jussieu. Son pre Louis (1754-1821) est jardinier dans le mme
lieu, et son oncle Antoine (1737-1807) lui succde.
1292
Auguste Pyrame de Candolle (1778-1841), n Genve, vient tudier Paris sous les auspices
Cuvier et Lamarck. Nomm professeur de botanique Montpellier, en 1808, puis Genve, en
1816, il est linventeur dune nouvelle classification botanique, la taxonomie. Il rdige partir de
1824 le Prodromus systematis naturalis regni vegetabilis, ouvrage de systmatique rest inachev.
1293
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, 1806,
pp. 446, 449.
1290

343

Deuxime partie

Chapitre IV

clause danciennet jouent en la dfaveur de Bonpland qui ne bnficie pas, en


outre, dun tissu relationnel suffisant.
Parmi ce tissu, une pice manque de manire flagrante en la personne de
Humboldt. En effet, celui-ci demande George Cuvier, au mois daot 1806, de
soutenir la candidature de Gay-Lussac la place laisse vacante dans la section de
physique. De plus, il demande aussi Cuvier dintercder en faveur de son ami
auprs des botanistes 1294 . Gay-Lussac obtient un sige mais, en novembre,
Bonpland nobtient aucune voix. Humboldt na donc pas intercd, notamment
auprs des botanistes, et ce manque de soutien peut tre ajout aux causes du
refroidissement des relations entre les deux compagnons de voyage.
En octobre 1808, la place vacante laisse par Ventenat dans la section
botanique de lAcadmie permet Bonpland de se reprsenter mais CharlesFranois Brisseau de Mirbel, associ au Musum ds 1798 en tant quaidenaturaliste, lemporte encore grce lanciennet et au mrite 1295 . Preuve dune
complte absence de soutien, Bonpland nobtient encore une fois aucun vote lors
de ce scrutin. Deux mois plus tard il est nomm intendant de Malmaison, ce qui
met fin des ambitions acadmiques jusqualors fortement compromises.
Ventenat et Mirbel tant entrs au service de Malmaison avant lui, Bonpland peut
esprer accder lAcadmie par cette voie. Il lui faut nanmoins attendre neuf
ans avant de tenter dintgrer une nouvelle fois linstitution, cette fois avec succs
comme correspondant. Humboldt se charge de lui annoncer sa nomination
intervenue le 15 dcembre 1817.
Nanmoins, aprs plus de dix ans dactivit Bonpland peut enfin
rassembler autour de lui une majorit de confrres malgr la sotte question dge
si importante pour les vieux acadmiciens 1296 . En effet, son principal concurrent
et an James Edward Smith peut faire valoir ses 58 ans ainsi quune minente
rputation de botaniste. Mais lauteur de nombreux ouvrages et fondateur de la
premire socit linnenne au monde ne dispose pas du potentiel de dcouverte
port par Bonpland. Bien qu partir de 1804 Smith est pressenti plusieurs
reprises pour occuper un poste de correspondant ou dassoci tranger, il ne les
1294

Humboldt G. Cuvier, Berlin, 3 aot 1806, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
213.
1295
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 4, pp.
131-132.
1296
Humboldt Bonpland, Paris, janvier 1818, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
229.
344

Deuxime partie

Chapitre IV

obtient pas malgr les faveurs dont il bnficie auprs des botanistes. En 1814,
lInstitut lui prfre encore son compatriote Robert Brown et le sudois Olof Peter
Swartz 1297 et en 1817 cest Bonpland qui lemporte face lui 1298 . Humboldt a
probablement pes dans la dcision de ses pairs. Il sagit dun soutien apprciable
de la part de celui qui accapare la reconnaissance scientifique en Europe et en
France ds avant la publication des rsultats du voyage aux rgions quinoxiales.

Llection de 1817
Tandis que le Prussien btit sa carrire et son rseau, Aim Bonpland
sloigne des institutions. Cependant, bien quil soit parti dEurope lAcadmie
des sciences note quil prsente avec Humboldt le cinquime fascicule des Nova
genera en avril 1817 ; en juin Humboldt prsente les deux derniers cahiers des
Plantes quinoxiales en leurs deux noms 1299 . Le premier dcembre 1817 plusieurs
candidats sont prsents pour devenir correspondant de lAcadmie mais
Bonpland ny figure pas ; il est ajout au dernier moment la liste en compagnie
dErik Acharius. Lors de la sance suivante leur candidature est approuve mais
Jussieu, charg de prsenter les candidats, annonce quil et t facile de doubler
cette liste 1300 . Ce signe de mauvaise humeur de la part de celui charg de
prsenter les candidats au nom de la section de botanique peut tre interprt
comme une marque du ressentiment des botanistes ne souhaitant pas ajouter des
candidats leur favori Smith. Les botanistes, comme ils lont fait en 1814 semblet-il 1301 , appuient Smith. Pourtant, la liste prsente le 8 dcembre compte deux
noms supplmentaires, ceux de Saint-Hilaire au Brsil et de Persoon au Cap de
1297

Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, 7
ventse 29 prairial 13 messidor an 12, 22 vendmiaire an 14, 2 mars 1807, pp. 104, 107, 257, 262,
505 ; Journal de botanique, applique lagriculture, la pharmacie, la mdecine et aux arts,
tome IV, 1814, p. 66.
1298
Le parcours dun autre botaniste, lAutrichien Nikolaus Jacquin, met encore en avant les
difficults auxquelles sont confronts certains botanistes trop sdentaires. En effet, il choue
plusieurs fois la place dassoci tranger. Son profil de botaniste et damricaniste le place
derrire le chimiste Klaproth en 1804, le mathmaticien Werner en 1812, lingnieur Watt en 1814,
lanatomiste Scarpa en 1817 et lastronome Piazzi en 1818 ; cf. Acadmie des sciences, Procs
verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, prairial an 12, pp. 103-104 ; tome 5, 3
fvrier 1812 et 10 octobre 1814, pp. 16, 406 ; tome 6, 30 juin 1817 et 11 aot 1818, pp.201, 521.
1299
Ibid., tome 6, 28 avril et 16 juin 1817, pp. 182, 199.
1300
Ibid., 8 dcembre 1817, p. 241.
1301
Le Journal de botanique regrette le choix de lInstitut en 1814.
345

Deuxime partie

Chapitre IV

Bonne-Esprance, les seuls candidats extra-europens avec Bonpland. Sont-ils


ajouts afin de diviser les votants sur le choix dun voyageur ? Car Bonpland
arrive en tte avec 24 voix, Smith totalise 21 voix et Saint-Hilaire une seule 1302 ;
LAcadmie se divise, aucun candidat ne parvenant faire lunanimit.
Parmi les soutiens de Bonpland, six personnalits se dtachent. La premire
dentre elles est Pierre Simon Laplace qui, crit Humboldt Bonpland,
a parl de ton mrite avec beaucoup de chaleur, ce qui a produit dautant
plus deffet quil y a gnralement beaucoup dconomie de chaleur dans
ce noble pair.

1303

Cet astronome et mathmaticien g de 68 ans est le vritable patron de la


science franaise partir de 1797 1304 . Son influence intellectuelle et politique
considrable ne manque sans doute pas de disposer de nombreux esprits en faveur
de Bonpland. Laplace, qui a vu son ascension scientifique retarde cause du
principe de lanciennet, veille possiblement ne pas reproduire ce schma 1305 .
A ce propos, Laplace dirige la socit dArcueil qui se distingue
notamment par la jeunesse de ses membres. Cette socit savante se diffrencie
aussi par son organisation semblable celle de lInstitut. Des mmoires y sont lus,
des dbats y sont tenus et des laboratoires sont la disposition des membres. Il
sagit donc dune puissante organisation savante prive dont sont membres
minents les chimistes Jean-Antoine Chaptal et Claude Louis Berthollet 1306 , issus
de la mme gnration que Laplace, de mme que leurs lves Louis Joseph GayLussac et Louis Thnard, ainsi que lastronome et physicien Franois Arago 1307 .
1302

Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 6, 1er, 8
et 15 dcembre 1817, pp. 240-241, 247.
1303
Humboldt Bonpland, Paris, janvier 1818, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
229.
1304
DHOMBRES Nicole et Jean, op. cit., p. 70.
1305
Cf. Ibid., pp. 156-161.
1306
Jean-Antoine Chaptal (1756-1832), membre de lInstitut ds sa fondation, ministre de
lIntrieur de 1801 1804, snateur en 1805 puis pair de France en 1819, se distingue par ses
travaux concernant lapplication de la science lindustrie. Claude Louis Berthollet (1748-1822)
est lorigine de la nomenclature chimique actuelle ; nomm snateur en 1805, il est anobli avec le
titre de comte.
1307
Louis Joseph Gay-Lussac (1778-1850), prcurseur de la mtorologie, illustre la
professionnalisation du travail scientifique. Louis Thnard (1777-1857) obtient les chaires de
chimie de la Facult des sciences de Paris, du Collge de France et de lEcole polytechnique.
Membre de lInstitut en 1810, nomm en 1821 doyen de la Facult des sciences, il est lu en 1827
dput de lYonne, et entre aprs la rvolution de 1830 au Conseil de linstruction publique. Pair
en 1832, il se retire des affaires en 1851. Franois Arago (1786-1853) est originaire des PyrnesOrientales. Il intgre lEcole Polytechnique en 1803 et, rapidement remarqu pour ses aptitudes, il
est nomm secrtaire du bureau des longitudes de lObservatoire de Paris. En 1806, il est charg
avec Biot de poursuivre la mesure de la mridienne dans les les Balares. De retour en France en
346

Deuxime partie

Chapitre IV

Or, ceux-ci constituent les principaux appuis du botaniste. Aucun de ces savants
nest proche de Bonpland ni particulirement concern par les avances des
sciences amricanistes, mais tous se proccupent de recherche applique et tous
collaborent avec Humboldt ou soutiennent ses travaux.
Il est donc fortement probable que Humboldt, lui-mme membre actif de la
socit, profite de cet appui pour obtenir cette fois la nomination de Bonpland 1308 .
Le second tour de scrutin consacre finalement le Rochelais 1309 dont lajout
empche llection de Smith comme il rvle les luttes dinfluence dont
lAcadmie des sciences est le lieu, ici entre botanistes et membres de la socit
dArcueil. Les prsentations postrieures des ouvrages botaniques raliss par
Kunth le sont aussi au nom de Bonpland, lequel est associ en vertu de ses travaux
antrieurs, de son amiti et aussi de son statut de membre correspondant de
lAcadmie des sciences 1310 .

3. Les relais internationaux dAim Bonpland


Il faut se tourner vers ltranger pour tenter de dceler un groupe de
savants davantage proccup par lAmrique. Vienne, Londres et Madrid sont les
principaux centres avec lesquels Bonpland tisse des liens soit directement, soit
quil profite des relations dj existantes avec Malmaison. Quant aux contacts
amricains il en existe trs peu, ce qui sexplique par les guerres europennes.

1809, il est lu lAcadmie des sciences et nomm professeur lEcole Polytechnique. Il


enseigne la godsie, la gomtrie, la mcanique, lastronomie et la physique. Il devient aussi
membre du conseil de perfectionnement du conservatoire des Arts et Mtiers. Install
lObservatoire, il y devient directeur des observations en 1834 et directeur dlgu du bureau des
longitudes en 1843. Il est considr comme un des pres de la vulgarisation scientifique moderne.
Rpublicain, Arago sengage en politique entre 1830 et 1852, priode au cours de laquelle il
effectue plusieurs mandats comme dput. En 1848, il est membre de gouvernement provisoire,
ministre de la Marine puis de la Guerre.
1308
La socit dArcueil nest quun des nombreux groupes savants qui mergent alors. A ce sujet,
les luttes de pouvoir qui ont lieu et dont le Musum est un des champs de bataille demandent tre
tudies au prisme de linfluence de ces socits savantes qui reprsentent une partie des
sociabilits savantes. Linstitution de rattachement, la discipline de prdilection, les affinits
idologiques, religieuses, gographiques ou politiques sont autant de composantes non exhaustives
de cette sociabilit dont ltude des aspects visibles et analysables doit apporter la comprhension
du fonctionnement du milieu scientifique.
1309
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 6, 1er, 8
et 15 dcembre 1817, pp. 240-241, 247.
1310
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 6, 8 juin
et 26 octobre 1818, 19 juillet 1819, pp. 325, 374, 468.
347

Deuxime partie

Chapitre IV

Aussi les relations esquisses lors du voyage effectu entre 1799 et 1804 ne sontelles pas mises profit. Quelle est la nature de ces relations ? Quelle place occupe
les proccupations amricanistes ?
Le dcret fondateur du Musum national dat de 1793 stipule que les
correspondances du Musum sont assures par le professeur de culture, charg
dtablir des relations en France et ltranger 1311 . Andr Thouin, le titulaire de ce
poste, est donc un relais essentiel qui correspond en France notamment avec
Candolle Montpellier, Lacoste Clermont-Ferrand, Tartelier pour le jardin des
plantes de Dijon ; en Europe avec Rmer Zurich, Boos Schnbrunn, au jardin
royal

de

Angleterre

Nymphenburg
1312

prs

de

Munich,

ainsi

quen

Italie

et

en

. Thouin savre tre un relais privilgi pour lobtention de plantes

trangres. Ds lacquisition de Malmaison, Josphine sadresse au Musum par


son intermdiaire afin de recevoir des vgtaux pour peupler ses serres. Le
Musum, ravi de servir cette protectrice, lui en fait parvenir rgulirement 1313 .
Aprs 1808, Thouin et Bonpland travaillent en commun pour fournir les
jardins de Vienne, comme le montre une lettre de Boos adresse Thouin depuis
Schnbrunn le 16 juillet 1815. LAutrichien remercie son confrre pour lenvoi
effectu en janvier 1814 de la part du Musum et de Malmaison, et attend dautres
plantes des deux jardins franais 1314 . Ceux-ci savrent donc complmentaires
dans leur rle de propagation des plantes ; cette fonction tant inscrite dans les
prrogatives de Thouin, elle est aussi primordiale selon Josphine
qui veut encourager en France la botanique et lagriculture, se plait aussi
voir fleurir ces sciences chez les autres nations Europennes

1315

Mariano Lagasca, directeur du Real jardin botnico de Madrid en 1814, sadresse


lui aussi aux deux personnalits franaises. Aprs avoir demand Bonpland

1311

Cf. GAYON Jean, Le Musum national dHistoire naturelle et lamlioration des plantes au
XIXe sicle , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER Jean-Louis
(coord.), op. cit., pp. 381-382.
1312
Cf. LETOUZEY Yvonne, op. cit., pp. 594-599.
1313
Cf. MASSON Frdric, Manuscrit indit sur Malmaison, janvier 1944, pp. 8-9.
1314
MNHN, ms 1984, n 173. Dans une autre lettre de Bonpland, rdige Malmaison le 3
novembre 1809, dont nous pensons quelle est adresse Thouin, le botaniste voque encore les
demandes manant de Vienne : je vous serais infiniment oblig de me renvoyer, par le mme
comissionaire qui vous remettra ces lignes, les listes des desiderata de M.Mrs. Boos, Jacquin et
Bredmayer [Bredemeyer] que jai eu lhonneur de vous remettre il y a quelques jours. Les
voituriers tant sur le point de partir et voulant augmenter le nombre des plantes que jai dj mises
de ct pour Vienne il mest ncessaire de voir celles que vous destinez ses M.Mrs. , MNHN,
ms 1984, n 166.
1315
AN, AB192127, C.-F. Brisseau de Mirbel N. Jacquin, Malmaison, 27 aot 1803.
348

Deuxime partie

Chapitre IV

dentreprendre un change de plantes, il lui demande dintercder auprs du


Musum :
Je souhaite que vous parliez de moi Mr Thouin et que vous lui rappeliez
lancienne correspondance avec ce jardin.

1316

Les relations entre laboratoires sont donc avant tout une question de
relations personnelles. A ce titre, Thouin est le pilier du Musum et nous savons
que Bonpland collabore avec lui. Cependant, rien naffleure concernant une
commune

proccupation

amricaniste ;

la

science

horticole

demeure

europocentriste par nature. Il serait dailleurs intressant de dresser une


topographie des tablissements agricoles europens afin den mieux analyser les
caractristiques. A ce propos, Pierre-Aim Lair note ds 1815 que le centre du
monde botanique se situe Courset, prs des frontires de la France, voisin de
la Belgique, de la Hollande et de lAngleterre 1317 . Aussi est-ce un modle qui ne
rejoint pas les proccupations pour lacclimatation des plantes amricaines
prfrant un climat chaud ou, dfaut, saccommodant de serres chaudes et
coteuses.

Laxe central germanique


La place relativement importante quoccupent les relations scientifiques
avec la Prusse sexplique par le rle dintercesseur jou par Humboldt. Parmi les
premiers bnficiaires des ouvrages de Humboldt et Bonpland figure le botaniste
Karl Ludwig Willdenow, alors directeur du jardin botanique de Berlin ; il reoit en
1805 les Plantes quinoxiales en mme temps que des graines 1318 . Linvasion de
1806 bnficie aux jardins franais ; ils profitent des envois effectus sous la
contrainte. Avant mme la fin de la campagne de Prusse, la prise de Berlin

1316

AMFBJAD n 428, M. Lagasca Bonpland, Madrid, 20 juin 1814.


LAIR Pierre-Aim, Description des jardins de Courset, situs aux environs de Boulogne-surMer (Extrait dun Voyage en France), Caen, Delaunay, 1815, p. 129. La Hollande figure de
manire marginale dans les envois de plantes ; Josphine en reoit de Haarlem par Arie Corneille
et Rosencrantz ; LE TEXNIER, Le Jardin de la Malmaison , in Journal des Roses, n 10,
octobre 1911, p. 159.
1318
Humboldt Bonpland, Rome, 10 juin 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
225 ; Humboldt K. L. Willdenow, Paris, 1er fvrier 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
Lettres amricaines dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C.
Delamtherie et suivies dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 180.
1317

349

Deuxime partie

Chapitre IV

survenue le 27 octobre 1806 permet de faire main basse sur le jardin botanique.
LIntendant gnral de larme franaise et plnipotentiaire Berlin, Pierre Daru,
soustrait des serres de la capitale prussienne les plantes qui manquent
Malmaison 1319 . En fvrier 1807, Daru ordonne dtablir plusieurs catalogues de
plantes, et fait notamment parvenir une collection de 600 espces du botaniste
Sehkuhr, habitant Wittemberg ville prise le 20 octobre 1806 pour enrichir
le Jardin de Malmaison 1320 .
A son tour, Bonpland se rend dans la capitale prussienne en 1807 pour y
ramener des chantillons botaniques. Bien que le commanditaire de ce voyage ne
soit pas mentionn, il sagit probablement du Musum avec lequel Bonpland est
en contact. Nous ignorons la nature de ses relations avec Daru mais, la veille de
son retour en France, Bonpland mentionne lemballage de 10 000 plantes. Il parat
vraisemblable que cette grande quantit de spcimens provienne du jardin
berlinois 1321 . En 1809, peu aprs sa nomination la direction des domaines de
limpratrice, Bonpland profite dune autre campagne militaire, en Autriche cette
fois. Il se rend personnellement Schnbrunn afin dtudier ce que le jardin peut
offrir Malmaison mais aussi au Musum qui tire profit de ce voyage 1322 .
Cependant, Josphine demande de ne pas en avertir les botanistes locaux car la
slection et lenvoi de 800 plantes en France sapparentent un pillage 1323 .
Les Franais ne se contentent pas de recevoir dAllemagne, ce dont
tmoignent les vgtaux envoys depuis Malmaison Johann Michael Zeyher,
directeur des jardins de Schwetzingen 1324 . Cependant, cet apport profite la
proprit de la grande-duchesse de Bade Stphanie de Beauharnais. Cette fille
adoptive de Napolon pouse en 1806 le grand-duc afin de consolider un
1319

MASSON Frdric, Manuscrit indit sur Malmaison, janvier 1944, p. 15.


AN, AB192127, Daru Bonpland, Varsovie, 28 fvrier 1807.
1321
Bonpland Bonpland pre, Paris, 5 novembre 1807, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
Aim Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, p.
18. Philippe Foucault pense que Bonpland travaille avec Willdenow Berlin, ce qui parat peu
probable tant donn le conflit dont est responsable Humboldt ; cf. FOUCAULT Philippe, op. cit.,
pp. 165-166.
1322
DELEUZE Joseph-Philippe-Franois, Histoire et description du Musum royal dhistoire
naturelle, Paris, A. Royer, 1823, pp. 293-294.
1323
Josphine P. Daru, Plombires, 23 juin 1809, cit in CHEVALLIER Bernard, CATINAT
Maurice, PINCEMAILLE Christophe (comp.), Impratrice Josphine. Correspondance, 17821814, Paris, Payot, 1996, p. 243 ; DELMOTTE Pascale, Malmaison. 1799-1814. Un jardin
dagrment scientifique, mmoire de matrise, Paris I, s. d., p. 58 ; CHEVALLIER Bernard,
Malmaison. Chteau et domaine des origines 1904, Paris, Ministre de la Culture, de la
Communication, du Bicentenaire et des Grands Travaux, Editions de la Runion des muses
nationaux, 1989, p. 52.
1324
AN, AB192127, Plantes de Malmaison donnes M. Zeyher, s.l., s. d.
1320

350

Deuxime partie

Chapitre IV

rapprochement entre les deux familles. La coopration avec lAllemagne apparat


donc force et unilatrale. Dans cette situation, la confrence que donne Bonpland
lAcadmie de Berlin, en 1807, fait figure de pitre collaboration scientifique,
dautant que celle-ci se droule dans un lieu qui, selon Humboldt, sapparente
un hpital ; mais les malades y dorment mieux que ceux qui se portent
bien

1325

La dficience des apports prussiens autant que la richesse des jardins


autrichiens expliquent qu partir de 1808 Bonpland se tourne essentiellement vers
ce dernier pays. Hormis la mention dchanges effectus avec le cabinet de Styrie,
proccup de dvelopper les sciences naturelles 1326 , les relations se tissent
exclusivement avec le jardin imprial de Schnbrunn. Ce palais, fond en 1696
pour supplanter Versailles, apparat la fois comme rfrent et concurrent. Au
dbut du XIXe sicle lancienne rivalit nest pas teinte, notamment en ce qui
concerne lornementation extrieure :
La belle plantation qui sert de parc et de jardin [] est beaucoup moins
grande quil ne convient une rsidence impriale

1327

commente un contemporain. Malmaison ne pouvant rivaliser dun point de vue


architectural, Bonpland et Josphine sen remettent eux aussi aux critiques
touchant le parc et saccordent pour affirmer que
si ces jardins ntaient pas plus riches en objets rares, ils ne mriteraient
que bien peu leur grande rputation

1328

Nanmoins, Schnbrunn possde la particularit dhberger trois botanistes


de renom dont la prsence permettrait dexpliquer un rapprochement vis--vis de
Bonpland, savoir Nikolaus Jacquin, Franz Boos et Franz Bredemeyer. En effet,

1325

Humboldt M. A. Pictet, Berlin, 3 janvier 1806, cit in HAMY, Lettres amricaines


dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C. Delamtherie et suivies
dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 210 ; HAMY Thodore Jules
Ernest, Aim Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto,
1906, p. XXX.
1326
Larchiduc Jean de Habsbourg dirige la Styrie et dveloppe le Muse de Graetz grce aux
collections des voyages effectus en 1812 et 1813 par Anker et Stuppantschitsch ; cf. Magasin
encyclopdique, tome 1, janvier-fvrier 1812, p. 411 ; tome 6, novembre-dcembre 1813, p. 399.
1327
WAIRY Constant, Mmoires de Constant, premier valet de chambre de lempereur, sur la vie
prive de Napolon, sa famille et sa cour, Paris, Ladvocat, 1830, tome 4, p. 124.
1328
Josphine P. Daru, Plombires, 23 juin 1809, cit in CHEVALLIER Bernard, CATINAT
Maurice, PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit. p. 243. Le prestige est encore en question
lorsquen 1813 Jacquin fils fait paratre un ouvrage propos des gramines rares conserves
Schnbrunn, dans le mme esprit que les ouvrages concernant Malmaison.
351

Deuxime partie

Chapitre IV

tous trois ont pour point commun leur exprience amricaine. Jacquin 1329 tout
dabord, explore les Antilles et lAmrique du Sud de 1755 1759. Boos et
Bredemeyer, botanistes et jardiniers impriaux, sjournent eux aussi en Amrique
au cours des annes 1780. Au dbut du XIXe sicle, Mirbel, alors la tte des
jardins de Malmaison, correspond dj avec Jacquin. Le 24 janvier 1804 ce
dernier est nomm correspondant de lInstitut la majorit absolue devant Correa,
Cavanilles, Swartz et Smith 1330 . Paralllement, Bonpland poursuit les changes et
apparat comme un intermdiaire entre le Musum de Paris, le jardin de
Montpellier, le Musum de Vienne et le jardin de Schnbrunn 1331 .
Bonpland entretient avec Boos des relations damiti. Il le rappelle en
1816 :
Je dois lamiti de ce naturaliste un grand nombre de plantes sches
quil a ramasses au Cap de Bonne-Esprance en 1786

1332

Par contre, aucune relation nmerge entre lui et Bredmeyer. Des liens
apparaissent avec Charles de Schreiber, spcialiste dhelminthologie et directeur
du cabinet imprial dHistoire naturelle Vienne en 1813. Ce dernier part en 1817
destination de lAmrique mridionale ; malheureusement aucune source ne
permet daffirmer que lAmrique est au centre de leurs changes pistolaires. Si
un pass similaire a pu crer des liens entre les botanistes voyageurs, leurs
proccupations semblent avant tout dordre gnral. Le dnominateur commun ne
se trouve pas non plus dans le tropicalisme, comme en tmoigne la lettre du
botaniste Olaf Swartz. Ayant voyag aux Antilles entre 1784 et 1786, celui-ci crit
Bonpland :
jai sacrifi bien des moments a la meme divinit que vous sous le soleil
brulant de la zone torride.

1333

Si laire gographique est rappele, cest bien lidole botanique qui est invoque.
Le lieu de la collecte passe au second plan, la discipline scientifique demeurant au
premier plan.
1329

Nikolaus Jacquin (1727-1817) se rend Vienne en 1752, o il est charg de dresser le


catalogue des plantes du jardin de Schnbrunn. En 1763 il est nomm professeur de chimie et
botanique luniversit de Vienne. Il est anobli en 1774, puis lev au rang de baron en 1806.
1330
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, 3
pluvise an 12, p. 66.
1331
AN, AB192127, C.-F. Brisseau de Mirbel N. Jacquin, Malmaison, 27 aot 1803 ; AN,
AB192127, Plantes de Malmaison pour M. Jacquin, Malmaison, 1er novembre 1809 ; Mdiathque
de La Rochelle, ms 676.
1332
REDOUTE Pierre-Joseph, Les Liliaces, Paris, Didot jeune, tome 8, 1816, p. 16.
1333
AMFBJAD n 440, O. Swartz Bonpland, Paris, 17 fvrier 1815.
352

Deuxime partie

Chapitre IV

La Grande-Bretagne, un partenaire essentiel et dispendieux


Les relations avec la Grande-Bretagne mettent dailleurs en valeur un autre
centre dintrt gographique. En effet les ppiniristes James Lee et John Lewis
Kennedy, administrant les plantations dHammersmith, entrent en relation avec
Malmaison afin dobtenir de la rsidence impriale un cofinancement pour
lexpdition au Cap du botaniste James David Niven. Bien que celui-ci sjourne
finalement aux seuls frais des Anglais, entre 1803 et 1809, la requte de Lee et
Kennedy tend prouver que Malmaison est susceptible de favoriser le mcnat en
direction des terres australes. Dailleurs, le bureau de lintendance gnrale de
limpratrice semble sinvestir dans les aspects conomiques du voyage en 1811.
Par lintermdiaire dHeindre, lequel demande Bonpland de remettre les factures
et la lettre jointe par Lee et Kennedy afin de traiter laffaire 1334 , Malmaison
souhaite prendre part lexpdition afin, probablement, den rcolter quelques
fruits.
Les terres australes intressent beaucoup Josphine. Bien quen 1804 elle
se plaigne des prix levs exercs par les Londoniens 1335 , ceux-ci continuent lui
fournir dnormes quantits de plantes entre 1810 et 1814. A cette date Bonpland
part visiter leurs serres afin de complter son ouvrage 1336 . Le mercantilisme est un
vice caractristique des jardiniers anglais, si lon en croit Georges Louis Marie
Dumont de Courset, lequel prne dans la proprit de son nom un art de la
botanique dtach daspects commerciaux. La plupart cultivent des plantes
trangres pour les vendre le plus promptement, le plus chrement et dans le
plus grand nombre possible , hormis Lee et Kennedy quil conseille. Malgr tout,
les Anglais sont les meilleurs multiplicateurs de lEurope et les matres de ce
commerce, ce dont tmoigne la supriorit de leurs tablissements 1337 .
1334

AN, AB192127, DHeindre Bonpland, s. l., 4 octobre 1811.


La demande de paiement prsente par Lee et Kennedy est juge trop leve. Aussi Josphine
les menace-t-elle de cesser de se fournir chez eux sils ne baissent pas leurs prix ; Josphine J.-F.
Perregaux, Aix-la-Chapelle, 19 aot 1804, cit in CHEVALLIER Bernard, CATINAT Maurice,
PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit., p. 147.
1336
AN, AB192127, Demande de plantes Lee et Kennedy, Malmaison, 7 mars 1812 et 1er fvrier
1813 ; BONPLAND Aim, Description des plantes rares cultives Malmaison et Navarre,
Paris, P. Didot lan, 1813, pp. 96, 113, 126, 145 ; CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 52 ;
JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, LImpratrice Josphine et les sciences naturelles, Paris,
Muse National des chteaux de Malmaison et Bois-Prau, Editions de la Runion des muses
nationaux, 1997, p. 23 ; DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 57.
1337
DUMONT DE COURSET Georges Louis Marie, op. cit., tome 1, pp. 112-113, 117-119.

1335

353

Deuxime partie

Chapitre IV

Les plantes nouvelles, curieuses et dagrment reprsentent les meilleures


ventes des jardiniers anglais qui parviennent les premiers tirer profit de ce
commerce 1338 . Parmi celles-ci figurent en bonne place des graines du cap de
Bonne Esprance et de Nouvelle-Hollande 1339 , livres entre 1811 et 1812 par
lentremise de Bonpland. Josphine, acqureuse de plantes curieuses et inconnues,
sadresse dautres intermdiaires afin de profiter de toute occasion favorable
pour se procurer des spcimens en provenance du jardin de Kew. Ainsi le
diplomate Louis-Guillaume Otto 1340 se voit-il charg dorganiser des envois tout
comme Delmotte, personnage de moindre notorit habitant Ostende, est-il
sollicit par Bonpland afin dapprovisionner Malmaison en semences britanniques.
Au cours des annes 1811 et 1812, on sadresse au dput de la Martinique et
Segray pour obtenir des plantes dAngleterre 1341 .
Depuis Malmaison, Bonpland est aussi en contact avec James Smith,
botaniste crateur de la socit linnenne de Londres en 1788, publiant
essentiellement des ouvrages sur la flore britannique. En outre, Joseph Banks fait
partie des relations entretenues par Bonpland 1342 . Accompagnant Cook lors de son
premier voyage autour du monde, Banks, prsident de la Royal Society en 1778,
se trouve la tte des jardins botaniques de Kew, dont il se fait le promoteur,
depuis 1771. Cependant, les relations sont peu suivies et il faut attendre 1816 pour
que soit mentionne une rencontre entre Bonpland et Banks 1343 . A cette date le
Franais, la veille de partir pour lAmrique du Sud, effectue plusieurs voyages

1338

La partie des vgtaux exotiques, que la plupart des personnes regardent comme un objet de
ngoce peu considrable, est devenue dans leurs mains une branche si lucrative quen peu de temps
ils peuvent gagner, tous frais dduits, trois quatre cents pour cent. , ibid., p. 115. Les plantes
nouvelles et dagrment reprsentent leurs meilleurs ventes ; ibid., p. 114.
1339
AN, AB192127, Demande de plantes, s. l., 2 juin 1811.
1340
Louis-Guillaume Otto (1754-1817) occupe un poste diplomatique Londres puis Munich et
Vienne, avant de devenir ministre dEtat en 1813.
1341
Josphine reoit aussi des plantes dAngleterre par Ostende ; LE TEXNIER, Le Jardin de la
Malmaison , in Journal des Roses, n 10, octobre 1911, p. 159 ; Josphine L.-G. Otto, s. l., 8
juin 1801 ; Josphine Lee et Kennedy, Malmaison, 27 aot 1802, cit in CHEVALLIER Bernard,
CATINAT Maurice, PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit., pp. 109-110, 128 ; AN,
AB192127, Demande de plantes, s.l., 2 juin 1811 ; Josphine L.-G. Otto, Malmaison, 11 octobre
1811, cit in in CHEVALLIER Bernard, CATINAT Maurice, PINCEMAILLE Christophe
(comp.), op. cit., p. 113 ; AN, AB192127, Etat des plantes venant dAngleterre, s. l., juillet 1812 ;
AN, AB192127, Demande de plantes Lee et Kennedy, Malmaison, 1er fvrier 1813. Le voyage en
Angleterre est dune grande importance, comme en tmoigne Bonpland qui croit utile de rappeler
que M. Boursault, dans un voyage quil vient de faire Londres, vient de se procurer un grand
nombre de plantes , cit in BONPLAND Aim, op. cit., p. 115.
1342
LE TEXNIER, Le Jardin de la Malmaison , in Journal des Roses, n 10, octobre 1911, p.
159.
1343
MNHN, ms 212.
354

Deuxime partie

Chapitre IV

Londres. Il se rend notamment dans le jardin des apothicaires Chelsea o il


sintresse davantage aux chantillons australiens qu ceux amricains 1344 .

Les centres hispaniques marginaliss


Les rseaux amricanistes sont marginaliss du fait de la prpondrance
anglo-saxonne et germanique, nonobstant le rapprochement des annes 18011808. En effet avant larrive de Bonpland, lintendance de Malmaison maintient
des relations avec Antonio Jos Cavanilles, scientifique espagnol ayant rsid en
France de 1777 1789 et dirigeant, depuis 1801, du jardin botanique madrilne.
Ladministration de Cavanilles se caractrise par une politique volontariste,
sappuyant sur les changes avec les autres pays dEurope pour amliorer le jardin
et lherbier. Durant cette priode de rapprochement 1345 Adrien Francastel 1346 , en
mission Madrid en 1804, se charge denvois par lintermdiaire de
lEspagnol 1347 et compte profiter de cet appui pour construire un solide rseau :
Jai tch sur ma route de lier une correspondance telle que pour lanne
prochaine vous receviez abondamment et en tems des graines de tous les
arbres et arbustes indignes des Pyrhenes, ou acclimats dj Bayonne,
ou Bordeaux

1348

Cavanilles attend alors des envois de Humboldt et Bonpland quil sengage


remettre ensuite Malmaison. Il est dispos on ne peux plus enrichir vos

1344

Bonpland crit : Visit le jardin des apothicaires Chelsea. Le jardinier en chef de cet
tablissement se nomme Anderson. Il voit une trs belle collection de plantes et doiseaux
empaills de Nouvelle-Hollande, ainsi que quelques animaux dans le nombre desquels il y a trois
espces de kangourous plus petites que celle que nous avons vivante Paris. Cette collection
doiseaux est vendre. Le jardinier de cet tablissement est trs instruit, trs actif et augmente tous
les jours cet tablissement. ; MNHN, ms 212.
1345
En 1801, Antoine-Vincent Arnault rcemment lu lInstitut est admis lAcadmie espagnole
pour servir ltablissement dune union intime entre ces deux corps ; Acadmie des sciences,
Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 2, 26 pluvise an 9, p. 304. En 1803,
le gnral Rochambeau annonce lInstitut lenvoi dossemens de Mammouths, deux Lamas, les
dessins de plusieurs espces de Quina et dautres objets dhistoire naturelle , in ibid., 17 prairial
an 11, p. 673.
1346
Adrien Francastel (1761-1831) dbute pendant la Rvolution une carrire politique le menant
en Vende pour rprimer linsurrection chouanne. Aprs avoir rempli des fonctions au ministre de
la Guerre, il devient sous le Consulat le jardinier de Josphine de Beauharnais.
1347
Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, Madrid, 23 janvier.
1348
Ibid.
355

Deuxime partie

Chapitre IV

jardins de tout ce quil recevra dAmerique 1349 et attend avec impatience les
ouvrages en provenance de Malmaison, auxquels il rend hommage 1350 . Aussi sa
mort, intervenue la fin de lanne 1804, prive-t-elle Josphine et Bonpland
dun relais solide.
Pour sa part, Aim Bonpland se met en contact ds son retour avec le Nogrenadin Francisco Antonio Zea 1351 qui, aprs avoir sjourn en France de 1799
1803, prend la succession de Cavanilles. Il change aussi avec Joseph Pavn
jusquen 1806 au moins, et probablement jusquen 1808 avec Mariano Lagasca,
disciple de Cavanilles, ainsi quavec le Mexicain Pablo de la Llave 1352 . Autant de
personnalits susceptibles de former un tissu relationnel consquent, autour de
Bonpland dabord et de Malmaison ensuite. Nanmoins, aucune trace dchange
ne subsiste entre 1808 et 1814. Pablo de la Llave notamment, qui lors de cette
priode dirige le jardin botanique de Madrid suite au dpart de Zea, sinterroge :
Pour quoi donc mon tres cher Bonpland se sont elles ecoules six annees
sans avoir de vos nouvelles?

1353

En labsence dune rponse dAim Bonpland la question reste ouverte car


durant le rgne de Joseph Bonaparte, Bonpland nentretient aucun lien non plus
avec Claudio Boutelou qui assume aussi une partie de la direction du jardin
espagnol. Or Boutelou, outre quil consacre linfluence scientifique franaise en
1349

Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, s. l., 29 pluvise ; Bonpland A. J.


Cavanilles, Mexico, 22 avril 1803, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 7.
1350
Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, s. l., 29 pluvise. Cavanilles se plaint du
retard pris en France : malheureusement M. le Ministre des affaires exterieurs navait point reu
de Mme Bonaparte aucun exemplaire pour moi du Jardin de Malmaison ni Liliaces. [] Il ajoute
que si on a le desir et la bont de me donner ces ouvrages, il ny a que les deposer chez lui avec
une adresse pour moi , A. J. Cavanilles, s. d., Madrid, 24 octobre 1803, cit par LAWALREE
Andr, Une lettre indite de Cavanilles , in Annales de lInstitut Botanique Cavanilles, vol.
32,n 2, 1975, pp. 685-686.
1351
Le botaniste Francisco Antonio Zea (1766-1822) sengage rapidement aux cts des
indpendantistes. Il est adepte de la recherche applique puisquil mne des recherches sur
lagriculture scientifique et prne la cration de fermes exprimentales ; cf. SOTO ARANGO
Diana, Francisco Antonio Zea y la enseanza de la agricultura en el Real Jardin Botnico de
Madrid , in Historia Crtica, n 16, janvier-juin 1998, pp. 43-60 ; SOTO ARANGO Diana,
Francisco
Antonio
Zea.
Un
criollo
ilustrado,
Aranjuez,
Bogota,
Docecalles/Colciencias/Rudecolumbia, 2000.
1352
Humboldt Bonpland, Rome, 10 juin 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Lettres
amricaines dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C. Delamtherie
et suivies dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 225 ; J. Pavn
Bonpland, Madrid, 15 dcembre 1806, cit in cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Aim
Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, p. 220 ;
AMFBJAD n 428, M. Lagasca Bonpland, Madrid, 20 juin 1814 ; AMFBJAD n 429, P. de la
Llave Bonpland, Madrid 4 octobre 1814. Pablo de la Llave (1773-1833) se consacre la prtrise
puis lhistoire naturelle, Mexico puis Madrid. De retour dans son pays, il sengage
politiquement aux cts des libraux.
1353
AMFBJAD n 429, P. de la Llave Bonpland, Madrid 4 octobre 1814.
356

Deuxime partie

Chapitre IV

Espagne 1354 , entreprend aussi lacclimatation des plantes amricaines. Cette


carence de correspondance entre Bonpland et ses confrres prsents dans la
pninsule ibrique tend prouver que lEspagne et, par consquent, lAmrique,
se situent au second plan de ses proccupations. Une explication peut tre avance
nanmoins car de 1808 1814 Bonpland sloigne des cercles scientifiques
institutionnels. La carence de relations avec lEspagne peut donc tre mise en
relation avec les responsabilits dus lintendance et le fait que durant celle-ci
Bonpland se soit tourn essentiellement, pour des raisons dapprovisionnement,
vers lEurope du Nord-Ouest.
Ltat dabandon de linstitution espagnole peut fournir une autre
explication labsence de correspondance de la part de Bonpland, davantage
tourn vers lopulence de Schnbrunn. A ce sujet Mariano Lagasca sempresse
dcrire Bonpland, aprs avoir t nomm directeur du jardin madrilne au mois
de fvrier 1814 1355 . Il explique quil la trouv
extrmement exsangue et presque moribond quand je le pris en charge il
y a de cela quatre mois

1356

Lagasca exprime la situation critique dans laquelle se trouvent les sciences


espagnoles notamment la botanique qui na produit aucune publication entre
1808 et 1814 avant de solliciter laide du Franais :
Je vous supplie [] de secourir ce jardin avec autant de graines et de
plantes que vous pourriez avoir sous la main, comme je tacherais de
rpondre avec ce que jacqurrai.

1357

LEspagnol se tourne encore vers Bonpland pour que celui-ci intervienne en sa


faveur auprs de Thouin 1358 .
Bien videmment la guerre franco-espagnole qui sajoute dans le mme
temps finit daltrer les changes entre le botaniste et ses interlocuteurs

1354

PESET Jos Luis, Le Musum et la Couronne espagnole , in BLANCKAERT Claude,


COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER Jean-Louis (coord.), op. cit., p. 579.
1355
Lagasca se rjouit quils puissent de nouveau communiquer para aumentar rciprocamente
nuetros conocimientos y los caudales de la Botanica , AMFBJAD n 428, M. Lagasca
Bonpland, Madrid, 20 juin 1814.
1356
sumamente exausto y y casi moribundo quando me encargu de el quatro meses ha , ibid.
1357
Suplico a V. [...] auxilie este jardin con quantas semillas y plantas pueda haber la mano,
que yo procurare corresponder con quanto vaya adquiriendo , ibid.
1358
Deseo hable V. De mi Mr. Thoin y que le recuerde la antigua correspondencia con este
jardin , ibid.
357

Deuxime partie

Chapitre IV

espagnols 1359 comme elle annihile les relations que Bonpland avait su tablir avec
lAmrique. Lunique correspondance directe avec lAmrique dont nous
disposons semble confirmer cette carence. Il sagit de trois lettres rdiges par le
Cubain Jos Nicols de Peralta,
dont le zle pour la botanique lui a fait tablir un jardin o il cultive un
grand nombre de plantes de divers pays.

1360

Malgr linsistance de Peralta pour engager une correspondance suivie 1361 , celle-ci
sarrte en 1807.
L encore il faut attendre 1814 et la fin de la guerre dindpendance
espagnole pour que des rapports suivis sinstaurent de nouveau avec la
communaut hispanique. Une source indique quen 1816 Lagasca et Bonpland
poursuivent leurs changes entams en 1814 1362 . Antonio Zea, qui fut membre du
gouvernement bonapartiste, doit sexiler Londres en 1814 1363 o il renoue des
contacts scientifiques avec le botaniste rochelais, avant de retourner en NouvelleGrenade sans avoir pu le convaincre de laccompagner. Il poursuit l une brillante
carrire politique au service de la Grande Colombie. Quant Pablo de la Llave, il
revient au Mexique aprs lindpendance. Ces deux personnages exercent par la
suite des rles prpondrants vis--vis de lmergence des sciences dans leurs
pays, Zea en recrutant en Europe le personnel du Muse National inaugur en
1824, Llave en prenant la tte du Musum national dhistoire naturelle en 1831. La
normalisation des relations avec lEspagne se poursuit paralllement par la voie
1359

Candolle tmoigne dune rupture des relations scientifiques entre les deux pays. Voulant
contacter Lagasca aprs 1808 propos dune question de classification, il dplore quen 1813
les circonstances o lEspagne sest trouve [] mont empch den avoir aucunes nouvelles et
me font craindre de nen point recevoir de long-temps , in CANDOLLE Augustin Pyrame de,
Recueil de mmoires sur la botanique, Paris, G. Dulfour, 1813, p. 2. Malgr cette situation
gnrale, linterrogation de Llave laisse penser quune voie de correspondance particulire est
susceptible dexister entre les deux hommes.
1360
BONPLAND Aim, op. cit., tome 2, p. 22.
1361
siempre habia conservado los mejores sentimientos de verdadera amistad y estimacion a Ud.
la que deseo con todas veras y que para siempre subsista nuestra correspondancia para lo que yo
por mi parte pondr todos los medios para que subsista pues as lo desea mi ingenua voluntad y
cario [...] con un amigo a quien tanto aprecio. , Mdiathque de La Rochelle, ms 676, J. N. de
Peralta Bonpland, La Havane, 22 aot 1805.
1362
MNHN, ms 212.
1363
On connat les consquences de lengagement politique des afrancesados ; lexil important de
savants aprs le retour de Ferdinand VII est une des causes du retard scientifique pris dans ce pays
dj svrement bless par la guerre ; cf. IZARD Miquel, La Nouvelle-Grenade (1777-1821) ,
in HERMANN Christian, MANIQUIS Robert M., MARTI Oscar R., PEREZ Joseph (dir.), Les
rvolutions dans le monde ibrique (1766-1834), tome II. LAmrique, Bordeaux, PUB, 1991, pp.
248-253 ; BUSAALL Jean-Baptiste, Le rgne de Joseph Bonaparte : une exprience dcisive
dans la transition de la Ilustracin au libralisme modr , in Historia constitucional, n 7,
septembre 2006, pp. 124-157.
358

Deuxime partie

Chapitre IV

institutionnelle ; en 1819 Pavn est pressenti pour occuper la place de


correspondant dans la section de botanique de lAcadmie des sciences 1364 .

B. MALMAISON-NAVARRE, UNE VOIE IMPERIALE ?


Au dbut du XIXe sicle, la science botanique se divise en trois branches
qui sont ltude thorique, la connaissance des proprits et la culture des
plantes 1365 . Jusquen 1808 Bonpland se consacre essentiellement ltude
thorique, cest--dire la nomenclature descriptive des caractres des espces
travers la rdaction des Plantes quinoxiales. La connaissance des proprits fait
partie du travail du rdacteur partir de ses observations bien quelle est de
plus en plus soumise lanalyse chimique. Ces deux aspects impliquent une
troite collaboration avec le milieu scientifique. Or, en se rendant Malmaison
Bonpland change en partie dorientation pour se consacrer davantage la
culture 1366 . Des interactions subsistent avec les institutions mais, de fait, il
sloigne des rseaux scientifiques. Car si Malmaison, tout comme la socit
dArcueil, dispose de moyens techniques pouvant en faire un laboratoire priv, la
force des liens qui existent entre la socit dArcueil et les autres institutions ne se
retrouve pas Malmaison.
Nanmoins ce poste permet de compenser les checs auxquels Bonpland a
t confront pour incorporer les institutions scientifiques. En outre, ce
changement important dorientation scientifique permet de dlaisser les impasses
thoriques auxquelles il est toujours confront depuis 1805. En effet, le risque de
recoupement avec des espces dj dcrites demande une vrification de la
nomenclature des plantes qui en 1808, soit quatre ans aprs le retour du voyage,
nest pas encore ralise :

1364

Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 7, 29
mars et 12 avril 1819, pp.436, 438.
1365
Cf. DUMONT DE COURSET Georges Louis Marie, op. cit., tome 1, p. 15.
1366
Bonpland poursuit la rdaction douvrages thoriques, ceux du voyage et celui consacr aux
plantes rares de Malmaison et de Navarre.
359

Deuxime partie

Chapitre IV
nous navons pas encore consult les ouvrages de botanique les plus rcents, et
les grands herbiers, pour oser nous prononcer nous-mmes sur le nombre et le
genre despces nouvelles

1367

crit Humboldt en introduction ldition de 1808 des Plantes quinoxiales, sans


rien changer celle rdige en 1805.
Aussi les chantillons ramens sont-ils dcrits avec prudence :
Plus le nombre des espces que nous ont fournies ces rgions peu connu est
grand, plus nous respecterons la loi que nous nous sommes impose de ne pas
laugmenter en levant de simples varits au rang des espces.

1368

De mme, le risque de recoupement ncessite ladhsion un systme lisible par


dautres. Jusqualors, Linn fait loi comme le dmontrent les grandes entreprises
espagnoles de la fin du XVIIIe sicle 1369 . Cependant, Bonpland mtisse cette
nomenclature dun peu de Jussieu et de Lamarck, premier pas vers lapplication
exclusive de la mthode naturelle grce laquelle il rdige, vers la fin de sa vie,
son journal botanique et ses envois lInstitut. En 1808, le regroupement des
fascicules publis depuis 1805 au sein dun livre ne donne pas lieu une nouvelle
prface. Ce choix ditorial nous semble reflter le retard pris dans le travail de
nomenclature.

1. Un laboratoire priphrique
Bonpland vgte, mais aprs plus de cinq annes passes Malmaison, le
botaniste fait figure, dans la science quil cultive, [d]un des savans les plus
distingus de lEurope. 1370 La place est renomme puisquelle permet aux
prdcesseurs du Rochelais daccder une belle notorit. Ventenat, botaniste de
limpratrice, est dj un savant reconnu lorsque parat en 1803 son Jardin de la
Malmaison, mais cet ouvrage luxueux lui confre un important surcrot de
1367

HUMBOLDT Alexandre de, BONPLAND Aim, Plantes quinoxiales : recueillies au


Mexique, dans lle de Cuba, dans les provinces de Caracas, de Cumana et de Barcelone, aux
Andes de la Nouvelle-Grenade, de Quito et du Prou, et sur les bords du Rio-Negro, de
lOrnoque et de la rivire des Amazones, Paris, Schoell, 1808, tome 1, p. IV.
1368
Ibid.
1369
Rappelons lindignation de Rousseau vis--vis du comportement franais en matire de
nomenclature. En 1774, dans son Dictionnaire des termes dusage en botanique, il regrette que
labsence de rgles fasse repartir zro chaque fois la recherche botanique. Aussi se prononce-til pour ladoption du systme linnen, conformment aux autres pays.
1370
AN, AB192127, [] sans destinataire, Paris, 15 mars 1816.
360

Deuxime partie

Chapitre IV

prestige. Quant Mirbel, il entre lInstitut prenant la succession de Ventenat


aprs avoir servi comme intendant Malmaison et alors quil est dj li au
Musum. Avec Aim Bonpland, nous assistons la fin de la connexion qui existait
entre Malmaison et les institutions scientifiques franaises. Malmaison devient un
laboratoire priphrique ; pour remplacer Bonpland le prince Eugne emploie son
chef de cabinet, amateur de sciences naturelles et horticulteur reconnu, Etienne
Soulange-Bodin 1371 .

Un relais institutionnel faible


Le recrutement de Bonpland lui permet de demeurer en contact avec
certaines institutions quil na pu intgrer directement. En effet, Malmaison est un
relais vis--vis de lUniversit et du jardin de Montpellier. Surtout, la rsidence
impriale entretient des relations avec le Musum 1372 . Aprs 1808, des changes
directs sinstaurent entre le professeur de culture Thouin et lintendant 1373 .
Ambitionnant dexercer une grande influence sur la diffusion des vgtaux en
Europe, Josphine se flatte davoir le plus beau et le plus curieux jardin de
lEurope 1374 . Pour ce faire, elle emploie de 1803 1806 Mirbel qui est un
protg de Desfontaines, professeur au Musum ; il peut donc entretenir un rseau
scientifique solide. Dailleurs, il profite de son sjour Malmaison pour mener
bien des tudes botaniques sous la direction de Desfontaines.
La nature des relations entre le chteau et le Musum lorsque Mirbel
travaille dans le premier est illustre par lexpdition de Nicolas Baudin dans
locan Pacifique qui prsente

1371

Etienne Soulange-Bodin (1774-1846) fonde ensuite un domaine horticole Fromont. Il devient


prsident de la Socit linnenne de Paris en 1826 puis participe en 1827 la fondation de la
Socit dhorticulture de Paris puis en 1829 celle de lInstitut de Fromont, destin
lenseignement de lhorticulture.
1372
Vis--vis duquel elle fait office de lieu de transit pour des plantes provenant de lle de France ;
Muse de Malmaison, envois de M. [] de lisle de France, 31 aot 1811.
1373
AN, AB192127, note prsente M. Thouin, s.l., s.d. ; Bonpland A. Thouin, Malmaison, 29
janvier 1812, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 45.
1374
Josphine G.-M.-A. Brune, Malmaison, 16 mars 1804, cit in CHEVALLIER Bernard,
CATINAT Maurice, PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit., p. 141.
361

Deuxime partie

Chapitre IV

la collection la plus considrable qui lui ft jamais parvenue pour la


zoologie et la botanique

1375

Or, aprs le retour de Baudin, le ministre de lIntrieur Jean-Antoine Chaptal


exige des professeurs, en juin 1803,
que dans cette collection vous rserviez tous les sujets qui vous seront
demands par Mme Bonaparte

1376

Malmaison reoit de lexpdition Baudin une centaine de spcimens, 803 tant


tout de mme octroys au Musum 1377 . Toutefois, lautoritarisme de Mirbel le
conduit rapidement au conflit avec le Musum, le savant exigeant pour Malmaison
la totalit des plantes ainsi que des objets ethnographiques provenant doutremer 1378 . La prpondrance impriale drange les professeurs du Musum qui, en
1793, suppriment le poste dintendant du Jardin du roi prcisment pour
consacrer lgalit entre des hommes que lEurope savante met sur le mme
rang 1379 . Le retour une rgle dAncien Rgime dans un lieu qui dispose de
fonds non budgts et dune administration indpendante du milieu savant peut
tre regard, juste titre, comme relevant dun pouvoir arbitraire.
Aprs le renvoi de Mirbel, le Musum poursuit ses donations 1380 . Si lon
ajoute que des conflits agitent de manire permanente les clans politiques ou
familiaux lintrieur de cette institution scientifique 1381 , la nomination dun
nouvel intendant la tte de Malmaison peut tre perue comme un acte non
seulement arbitraire mais aussi comme une perte dinfluence vis--vis dun
laboratoire concurrent. En outre, Josphine confie Bonpland tout pouvoir pour
1375

DELEUZE Joseph-Philippe-Franois, op. cit., p. 105.


J.-A. Chaptal aux professeurs du Musum, 13 juin 1803, cit in DELMOTTE Pascale, op. cit.,
p. 56. Le 6 aot, Chaptal renouvelle sa demande : Il est de lintrt de la science comme de la
gloire de la France dencourager le got distingu et je vous invite seconder ses vises et les
miennes par tous les moyens qui sont en votre pouvoir , cit in ibid., pp. 56-57.
1377
Ibid., p. 33.
1378
MASSON Frdric, op. cit., pp. 12-13.
1379
Le dcret de la Convention nationale du 10 juin 1793 est cit par LIMOGES Camille, Une
Rpublique de savants sous lpreuve du regard administratif : le Musum dhistoire naturelle
1849-1863 , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER Jean-Louis
(coord.), Le Musum au premier sicle de son histoire, Paris, MNHN, 1997, p. 65.
1380
Les graines ramenes par Leschenaud de lle de France ont t partages entre le jardin de S.
M. lImpratrice, la Malmaison, et celui du Musum. [] 30 espces vivantes de lAmrique
septentrionale ont t apportes heureusement en Europe et doivent aller dcorer le jardin de la
Malmaison. , Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences,
tome 3, 26 octobre 1807, p. 609.
1381
Cf. OUTRAM Dorinda, Le Musum national dHistoire naturelle aprs 1793 : institution
scientifique ou champ de bataille pour les familles et les groupes dinfluence ? , in
BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER Jean-Louis (coord.), Le
Musum au premier sicle de son histoire, Paris, MNHN, 1997, pp. 25-30.
1376

362

Deuxime partie

Chapitre IV

enrichir ses collections 1382 . Or, linverse de Mirbel, Bonpland ne dispose pas
dappuis solides au sein des structures du Musum et de lInstitut qui reprsentent
le ple de recherche le plus actif pour les naturalistes. Au final, trs peu de
contacts directs apparaissent entre Bonpland et les membres des institutions
savantes, encore moins envers les plus titrs dentre eux.
En effet, les sources nous apprennent quil frquente Louis Dufresne qui
est la fois chef du laboratoire de zoologie pour la prparation des animaux au
Musum et conservateur du cabinet dhistoire naturelle de Josphine. Cette double
fonction atteste de rapports troits entre les deux tablissements 1383 ; Malmaison
fournit le Musum en oiseaux et dune manire gnrale les animaux qui meurent
sont envoys au Musum pour leur naturalisation 1384 . Aim Bonpland connat
aussi le gologue Pierre-Louis Antoine Cordier qui nentre au Musum quen
1819 et Franois Pron, lu membre correspondant de lInstitut en 1805 1385 . Par
ailleurs, Bonpland se montre proche dAlyre Raffeneau-Delile 1386 , botaniste
membre de lexpdition dEgypte puis vice-consul aux Etats-Unis de 1803 1807
et correspondant de lInstitut. Bnficiant du mcnat de Josphine pour mener
bien ses recherches botaniques aux Etats-Unis 1387 , proche du Musum, RaffeneauDelile ne parvient toutefois pas lintgrer et se charge du jardin de Montpellier
aprs la Restauration.
Il succde Augustin Pyrame de Candolle, lautre botaniste que Bonpland
connat bien et avec lequel il change rgulirement 1388 . Candolle, de nationalit
suisse, connat un parcours similaire celui de Bonpland. Mdecin de formation, il
est charg par Champagny en 1806 de parcourir lEmpire pour reconnatre ltat
de lagriculture. Aprs avoir chou plusieurs reprises dans ses tentatives pour
rejoindre lInstitut de Paris, il obtient en 1808 la chaire de botanique et la direction
1382

DELMOTTE Pascale, Malmaison. 1799-1814. Un jardin dagrment scientifique, mmoire de


matrise, Paris I, s.d., p.51.
1383
JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., pp. 27, 32.
1384
AN, AB192127, Thouin, Liste des dix-neuf oiseaux dont le Musum ferait choix, s. l., s. d. ;
DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 29.
1385
Bonpland F. Pron, Paris, 17 novembre 1808, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit.,
p. 20 ; AN, MM472159, Bonpland L. Dufresne, Malmaison, 4 juin 1811 ; AMFBJAD n 276,
Bonpland P.-L. A. Cordier, Buenos Aires, 5 janvier 1837 ; Bonpland Humboldt, s. l., s. d., cit
in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 40.
1386
Bonpland A. Raffeneau-Delille, Navarre, 4 janvier 1811, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., p. 41 ; BONPLAND Aim, op. cit., p. 198.
1387
JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 26.
1388
Le Genevois fournit des plantes durant ses diffrents voyages en France de 1806 1811 ;
Mdiathque de La Rochelle, ms 676, mars et mai 1809 ; AN, AB192127, A. P. de Candolle
Bonpland, Montpellier, 15 fvrier 1812 ; LE TEXNIER, op. cit., p. 160.
363

Deuxime partie

Chapitre IV

du jardin botanique de Montpellier 1389 . En 1816 il est contraint de quitter la


France, autant cause de son ralliement Napolon durant les Cent-Jours quen
raison de sa foi protestante. Il sinstalle alors Genve o est cre pour lui une
chaire dhistoire naturelle, y fonde le Musum dhistoire naturelle et rnove le
jardin botanique. Enfin, deux grandes figures scientifiques, Thouin et Gay-Lussac,
comptent parmi ses relations pistolaires. Mais rien nindique des relations troites
avec ces hommes.
Dautre part, une seule source montre que Bonpland est en contact avec
Hyppolite Nectoux pendant son intendance 1390 . Pourtant les deux hommes ont un
parcours qui les rapproche. En effet, Nectoux est lui aussi proccup dutilitarisme
en matire botanique puisquil est lintroducteur de larbre pain aux Antilles
ainsi que des pommes de terre en Egypte lors de la campagne napolonienne dans
ce pays. Jardinier en chef du chteau de Fontainebleau, lautre lieu ostentatoire du
pouvoir avec Malmaison avant 1809, cette fonction devrait suffire le mettre en
contact avec Bonpland. De plus, Nectoux fonde le Jardin botanique de Rome.
Aussi labsence de relations suivies entre les deux hommes ne manque-t-elle pas
de questionner. Quelle soit le fait dun isolement involontaire dans le travail, dun
rseau construit individuellement, dune hirarchie et dune distribution des tches
cloisonnant leurs rapports directs, cette absence est inexplique. A ce titre, il serait
intressant dtudier les diffrents rseaux dvelopps par les dirigeants des
jardins botaniques europens et den raliser une cartographie dtaille.
Finalement, le savant le plus proche demeure Humboldt qui aprs le don de
lherbier, le 18 dcembre 1804, espre que
Peut-tre [le gouvernement] daignerait-il agrger M. Bonpland comme
naturaliste voyageur du Jardin des Plantes !

1391

Humboldt demande pour cela lintervention du ministre de lIntrieur 1392 . Aprs


avoir obtenu sa pension, Bonpland crit :
1389

A linverse de Bonpland, Candolle nabandonne pas lespoir dentrer lAcadmie des


sciences : M. Decandolle crit la Classe quen acceptant une place Montpellier, il na pas
renonc lespoir dappartenir lInstitut, et que sil a le bonheur de runir les suffrages, il
sengage rsider Paris. , Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie
des sciences, tome 4, 10 octobre 1808, p. 109. Il est lu correspondant pour la botanique en 1810.
1390
AN, AB192127, Bonpland, sans destinataire, s. l, s. d.
1391
Humboldt aux professeurs administrateurs du Musum, 18 dcembre 1804, cit in HAMY
Thodore Jules Ernest, Lettres amricaines dAlexandre de Humboldt, Paris, Guilmoto, 1905, p.
176. Humboldt confirme dans une autre lettre, crite depuis Paris le 10 mars 1805 : Le but
principal de mon sjour ici tait celui dobtenir cette pension pour lui , Humboldt Karsten, cit
in ibid., p.187.
364

Deuxime partie

Chapitre IV

Je dois tout lactivit de mon ami et la persvrance avec laquelle il a


sollicit

1393

Mme suite sa nomination Malmaison, Bonpland semble toujours disposer


dun seul vritable alli dans le milieu scientifique parisien, Alexandre de
Humboldt, avec qui les relations senveniment.
En dfinitive, Malmaison sert davantage de relais vers les jardins de province qui
constituent le rseau le plus solide sur lequel il est possible duser de son
influence. Josphine, en contact en 1804 avec Antoine Claire Thibaudeau, crateur
dun Musum Marseille, laide fonder un jardin achev en 1810. Josphine
soutient aussi la fondation de jardins botaniques Cherbourg, Nmes, Saint-Sever,
Dax, Elbeuf, Nantes et Lyon 1394 . Bonpland, qui connat Nicolas Robert,
pharmacien de la marine Toulon en 1813, profite de son influence pour obtenir
sa nomination la direction du jardin botanique de cette ville 1395 .

La marginalisation des recherches


Comme la fait Desfontaines pour Mirbel, Jean-Nicolas Corvisart 1396 aurait
recommand Bonpland 1397 . Titulaire de la chaire de mdecine du Collge de
France depuis 1797, Corvisart se rapproche dabord de Josphine vis--vis de
laquelle il demeure trs proche, avant de devenir le mdecin de Napolon. Or, les
premiers rapports directs mentionns entre Josphine et le botaniste datent de 1803
alors que celui-ci se trouve encore Cuba. Bonpland demande alors une
subvention afin de faire parvenir des graines et des plantes en France. Informe de
cette requte, Josphine lui crit pour dplorer quil ne se soit pas adress
1392

Rapport sur la proposition faite par MM. Humboldt et Bonpland de dposer dans la collection
du Musum des chantillons de toutes les plantes recueillies par eux dans lAmrique mridionale,
1er janvier 1805, cit in ibid., pp. 231-232.
1393
Bonpland Gallocheau, Paris, 18 mars 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Aim
Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, p. 16.
1394
DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 54.
1395
Jcris au Directeur du Jardin Botanique de Toulon [] qui peut-tre par la suitte de la
recommandation que javais fait de lui au Mdecin de la marine Paris a t nomm cette
place , AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
D. Larraaga, Buenos Aires, 18 septembre 1818.
1396
Jean-Nicolas Corvisart (1755-1821) est aussi le mdecin de Josphine. Il entre lAcadmie
des sciences en 1811 puis lAcadmie de mdecine lanne suivante.
1397
LE TEXNIER, op. cit., p. 139 ; JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 54. Cette
supposition toujours rpte nest pourtant atteste par aucune source. Comme nous le soulignons,
les liens tisss entre Bonpland et Josphine suffisent expliquer sa nomination.
365

Deuxime partie

Chapitre IV

directement elle. La mcne ajoute une liste de plantes quelle dsire


acqurir 1398 .
Si la recommandation de Corvisart nest pas prouve, en revanche des
relations directes entre Josphine et Bonpland sont donc avres. Peu aprs leur
retour, en novembre 1804, Humboldt et Bonpland sont reus Malmaison ;
Josphine sengage vis--vis du second :
Elle a de plus offert de faire tout ce qui dpendrait delle pour que
jobtienne une rcompense aux peines indispensables et de tout genre
lies un aussi long voyage.

1399

Afin de maintenir ces rapports, Josphine nest pas oublie lors de la donation des
premires publications 1400 . Si aucune source ne permet daffirmer quelle joue un
rle dans lobtention de la pension, Bonpland continue nanmoins de lui adresser
des graines puis de se rendre rgulirement Malmaison pour en surveiller
lvolution 1401 . Aussi son engagement en 1808 apparat comme la suite logique de
la promesse et des relations tisses depuis cinq ans 1402 . Cest dailleurs en qualit
de botaniste quAim Bonpland est dabord recrut en 1808, sans rmunration,
lintendance lui tant confie un peu plus tard. Les deux engagements sont proches
mais leur dissociation est importante relever si lon souhaite comprendre
lloignement de Bonpland vis--vis des cercles savants.
En effet, ce dernier succde au mois daot 1808 Ventenat dans sa
fonction de botaniste de Malmaison. Quatre mois plus tard sy ajoute la fonction
dintendant en remplacement de Jean Baptiste Louis Le Lieur Ville-sur-Arce, luimme successeur de Mirbel. Cette seconde charge choit Bonpland car Le Lieur
Ville-sur-Arce ne peut lassumer en plus de celle quil occupe dj comme
administrateur des domaines botaniques impriaux. Ds lors Bonpland renonce
poursuivre une partie de son travail avec Humboldt bien quil continue de
promettre des manuscrits pour les Species. Or Mirbel, alors quil exerce les mmes
fonctions, nest pas empch dans la publication de lHistoire naturelle, gnrale
1398

Josphine Bonpland, Malmaison, 28 mars 1804, cit in ibid., p. 54.


Bonpland M. et Mme Gallocheau, Paris, 12 novembre 1804, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., pp. 11-12.
1400
Humboldt Bonpland, Rome, 10 juin 1805, cit in ibid., p. 225.
1401
Humboldt K. L. Wildenow, Paris, 1er fvrier 1805, cit in HAMY, Lettres amricaines
dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C. Delamtherie et suivies
dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 180 ; LE TEXNIER, op. cit.,
p. 139.
1402
Lintermdiaire de lEspagnol Cavanilles en relation avec Josphine et Bonpland sparment, a
aussi pu favoriser leur rapprochement.
1399

366

Deuxime partie

Chapitre IV

et particulire, des plantes. Cependant, Mirbel ne fait pas office de botaniste de


limpratrice, fonction occupe par Ventenat 1403 . Il peut donc consacrer du temps
ses propres recherches, ce qui ne semble pas le cas pour Bonpland qui cesse de
livrer des manuscrits entre 1809 et 1811.
La fonction de botaniste particulier occupe-t-elle trop de temps pour quil
ne puisse pas se consacrer dautres tches ? Lexplication serait recevable sil ne
fallait attendre 1813 pour que la Description des plantes rares cultives
Malmaison et Navarre, pourtant commande par Josphine, voie le jour.
Lexplication semble rsider dans le changement des fonctions de lintendance
intervenues partir du divorce dune part, car Malmaison sajoute la gestion de
Navarre. Dautre part Bonpland doit reprendre en main un programme scientifique
laiss labandon par son prdcesseur auquel il reproche davoir dtruit le crdit
scientifique acquis par Malmaison sous ladministration de Mirbel en ne mettant
pas en terre les envois reus 1404 . Enfin, son implication dans dautres champs que
celui de la botanique accaparent la curiosit et le temps du savant, principalement
concernant llevage. En rsum Bonpland semble dabord sous-estimer le cumul
des prrogatives et surtout, comme en tmoigne sa correspondance, privilgie le
travail rmunr quil se flicite de possder enfin. Son regain dactivit
scientifique en 1813 et 1814 1405 correspond dailleurs une rduction de ses
fonctions Malmaison et Navarre.
Cela explique lincompatibilit entre son dsir de produire un rcit
scientifique et la ralit de ses fonctions administratives qui len loignent.
Pourtant ptri de la volont de fonder un laboratoire, Bonpland adresse une
requte Thouin 1406 en janvier 1812 pour crer Navarre une cole des plantes
1403

Ventenat mle astucieusement ses activits de botaniste particulier et de scientifique associ


aux institutions. A ce titre, il lit un mmoire lInstitut sur une nouvelle plante quil nomme
Josephinia imperatricis ; cf. Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie
des sciences, tome 3, 23 vendmiaire an 13, p. 142.
1404
si lespace de temps qui sest coul entre ladministration de M. de Mirbel et la mienne avait
t, jose le dire, employ aussi utilement que nous lavons fait lun et lautre pour lintrt de la
science et celui de S. M., Malmaison aurait eu au moins mille plantes rares qui nexistaient pas en
France. Je suis autoris dire cela par la liste des plantes envoyes Malmaison pendant cet
intervalle et qui disparaissaient au fur et mesure quelles arrivaient ; Bonpland A. R. Delile,
Malmaison, 7 mars 1814, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.61.
1405
En juillet 1814, Bonpland crit quil na pas non plus termin ses autres ouvrages ; Bonpland
Goujaud-Bonpland, 6 juillet 1814, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Aim Bonpland, mdecin
et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, p. 63-64.
1406
Bonpland espre travers Thouin obtenir lappui indispensable de lAcadmie des sciences qui
est incontournable concernant les grandes coles ; cf. Acadmie des sciences, Procs verbaux des
sances de lAcadmie des sciences, tome 2, 1804-1807, p. 153.
367

Deuxime partie

Chapitre IV

de pleine terre que nous cultivons en Europe1407 . Ce grand projet, qui vise faire
sortir le domaine et son intendant dune position scientifique priphrique afin de
les insrer dans le rseau scientifique franais et den faire des ples majeurs de la
recherche botanique, demeure sans lendemain 1408 . Mais il prouve que Bonpland
soriente vers une activit scientifique applique et non plus seulement thorique.
Lanne suivante, alors que ses fonctions auprs de limpratrice sont trs rduites,
il est en mesure de publier la Description des plantes rares cultives Malmaison
et Navarre. En 1814 encore, son refus de poursuivre ses activits auprs du
prince Eugne est motiv par le fait que, crit-il, je ne pourrais pas travailler
pour moi personnellement 1409 .
Conscient dtre marginalis, sachant aussi combien il est difficile
daccder aux institutions savantes, Bonpland cherche donner une impulsion sa
carrire et son got pour la recherche applique. Le projet guyanais, comme
nous lavons vu, puis les offres des indpendantistes amricains, lesquels
promettent Bonpland la cration dun laboratoire de recherche 1410 , rpondent
donc ses souhaits. Malgr ses prires, Humboldt ne parvient pas modifier
lorientation du Rochelais jusqu son dpart pour le Ro de la Plata. Arriv Paris
en 1813, Kunth prend la suite de Bonpland. Il le remplace alors que son premier
mmoire est adopt et imprim par lInstitut en avril 1815 1411 . La mme anne
Kunth termine les Nova genera puis commence en 1819 la publication des
Mimoses et autres lgumineuses du nouveau continent bien que le nom le nom de
Bonpland y est toujours associ.

1407

Bonpland A. Thouin, Malmaison, 29 janvier 1812, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 45.
1408
Nous ignorons les motifs qui empchent cette cration. Un travail de recherche demande tre
men concernant cette priode au cours de laquelle les projets scientifiques foisonnent avec plus ou
moins de bonheur. Ici le Musum national dHistoire naturelle est larbre qui cache la fort ; sa
prdominance fait oublier quil inspire dautres projets.
1409
Bonpland O. Gallocheau, Malmaison, 6 juillet 1814, cit in ibid., p. 64. En 1816 la
succession de Josphine le prive de terminer les plantes rares ; AN, AB192127, [] sans
destinataire, Paris, 15 mars 1816.
1410
Cf. chapitre V, pp. 451-455.
1411
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 5, 10
avril 1815, pp. 474-477.
368

Deuxime partie

Chapitre IV

Un laboratoire au service des particuliers


Surtout, Malmaison a une fonction prive. La premire en profiter est
bien sr Josphine qui [d]s quelle en a les moyens, [] tente dacclimater
Malmaison les plantes quelle avait connues dans son le natale crit Bernard
Chevallier 1412 . Par le biais de limpratrice, Bonpland se fait aussi lintermdiaire
des cercles impriaux. Le vice-roi dItalie, la grande-duchesse de Bade, la
princesse dArenberg, le baron de Virtz, le baron de Rouvroy, le gnral Lecamus
ou le marquis de Cubires lequel possde un jardin Versailles et prne
lacclimatation darbres trangers 1413 figurent parmi les acqureurs des plantes
de Malmaison ou en provenance dautres lieux mais transitant par les mains de
Bonpland 1414 . Le domaine fait donc office de rserve et de lieu de centralisation
dun rseau botanique priv, rudit et exigeant, ce qui ncessite de la part de
Bonpland de lattention et du temps.
De plus, les familiers de Josphine recourent aussi lintendant pour
obtenir des vgtaux. La secrtaire des commandements de la reine Hortense,
Franoise Marie Antoinette Saucerotte de Raucourt et la premire dame dhonneur
sont mentionns comme tant les bnficiaires des attentions de Josphine 1415 .
Des animaux sont prlevs de la bergerie et de la mnagerie afin de satisfaire aux
demandes du comte dArberg, chambellan dont lpouse est nomme dame
dhonneur aprs le divorce de Josphine. La princesse de Vaudmont, dsireuse de
peupler son domaine de Suresnes, et madame dAmbert figurent aussi parmi les
acqureurs 1416 .

1412

CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 51.


Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, 16
fructidor an 12, p. 121.
1414
AN, AB192127, Boos, Envoi de plantes, Schnbrunn, 27 septembre 1809 ; AN,
AB192127, Note des plantes que dsire avoir M. Leyher, Malmaison, 28 juin 1811 ; AN,
AB192127, Plantes pour S. A. la Princesse dArenberg, 27 mars 1813 ; AN, AB192127, Etat des
plantes envoyes M. le Baron de Virtz, Malmaison, 4 mai 1813 ; Mdiathque de La Rochelle,
ms 676 ; CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 52.
1415
AN, AB192127, Etat des plantes donnes par ordre de Monsieur Bonpland M. Depre,
Malmaison, 8 fvrier 1811 ; AN, AB192127, Plantes pour Madame Raucour, s. l., 2 avril 1811 ;
AN, AB192127, Plantes fournies Madame de La Roche Foucault, s. l., 11 fvrier 1813.
1416
AN, AB192127, Bonpland Baptiste, Malmaison, 24 juillet 1810 ; AN, AB192127, C. de
Montlivault Bonpland, Paris, 7 avril 1812 ; AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, s. l.,
17 mars 1813 ; DUCREST Georgette, Mmoires sur limpratrice Josphine, ses contemporains,
la cour de Navarre et de la Malmaison, Paris, Ladvocat, 1828, tome I, p. 188 ; DELMOTTE
Pascale, op. cit., p. 35.
1413

369

Deuxime partie

Chapitre IV

Les reprsentants de ladministration profitent eux aussi des libralits de


Josphine. Ainsi, Bonpland fait livrer un castor au ministre de lIntrieur, des
plantes au ministre de la Police gnrale, dautres plantes de Nouvelle-Hollande
au baron Louis Antoine Ange Chicoilet de Corbigny en poste la prfecture du
Loir-et-Cher, des minraux pour le prfet de lHraut ou encore des blier Albert
Brancas, chambellan de lempereur 1417 . Corvisart est particulirement choy
puisquil apparat en 1811 et 1813 parmi les bnficiaires de ces envois ; plus de
1 000 arbres lui sont destins en 1813 1418 . Rappelons que les sources sont
parcellaires, un nombre indtermin de demandes stant perdues. Il est
prsumable que ce nombre est lev sachant limportance quattache Josphine de
Beauharnais ses plantes, la mode dont celles-ci bnficient au dbut du XIXe
sicle et le statut trs vari des bnficiaires identifis, ce dernier point laissant
prsumer quune grande partie de lentourage de limpratrice est concern.
Cependant, si Malmaison semble ouvrir Bonpland les portes de la socit
impriale, rien ne permet daffirmer quil existe un degr dintimit important
entre lintendant et les diffrents demandeurs. Au contraire, les tmoignages
contemporains ne font apparatre absolument aucun lment indiquant que
Bonpland est sorti de son rang. Parmi les relations plus troites quil construit
figure dHeindre, employ subalterne au bureau de lintendant gnral de
Josphine. Par ce biais il fournit le chef de la division des postes pour Paris 1419 .
Sil pourvoit aussi un ami de Louis Pierlot, premier intendant gnral de la Maison
de lImpratrice 1420 , les rapports entretenus avec celui-ci demeurent formels et se
tendent avec son successeur. A la diffrence des laboratoires institutionnels, la
hirarchisation et ltiquette qui prdominent Malmaison empchent
llaboration de rapports horizontaux. Si Malmaison fait ladmiration de lEurope
entire, cest de lEurope impriale dont il sagit plus que de la Rpublique des
savants.

1417

AN, AB192127, Bonpland Brancas, Malmaison, 12 juin 1810 ; AN, AB192127, Corbigny
Bonpland, Paris, 10 avril 1811 ; Plantes arracher, Malmaison, 1er dcembre 1812.
1418
AN, AB192127, Plantes de Malmaison envoyes Corvisart en 1811 ; AN, AB192127, Note,
4 mars 1813 ; AN, AB192127, Bon, Malmaison, 24 fvrier 1813.
1419
AN, AB192127, DHeindre Bonpland, Paris, 14 mars et 11 septembre 1811, 28 octobre
1812 ; AN, AB192127, DHeindre Bonpland, s. l., 9 avril 1813.
1420
AN, AB192127, lintendant gnral Bonpland, Paris, 18 fvrier 1811 ; AN,
AB192127, DHeindre Bonpland, Paris, 14 mars 1811.
370

Deuxime partie

Chapitre IV

2. Un laboratoire protiforme
Les domaines de Josphine semblent perdre leur statut de laboratoire sous
lintendance de Bonpland. Les prrogatives de Ventenat et de Mirbel ne sont pas
celles du Charentais. En 1812, son projet de doter Navarre dune cole et de lui
donner ainsi un second souffle est aussi laboutissement de quatre annes de
travaux marqus par une orientation vers lacclimatation. En effet, le travail
effectu par Bonpland ainsi que les projets quil esquisse montrent sa
proccupation pour confrer au laboratoire quil dirige une vritable identit
scientifique dautant plus difficile donner quil est constitu de deux domaines
trs loigns. Bonpland tente nanmoins de sapproprier et de valoriser les
domaines impriaux dont il veut faire des lieux scientifiques part entire. Il doit
pour cela composer avec les exigences dune double hirarchie, Josphine perdant
le contrle de son budget au profit de ses intendants gnraux.

Crotre et multiplier : lacclimatation au centre du laboratoire


Crotre et multiplier les espces animales et vgtales, voil rsume
lambition de Josphine dabord pour Malmaison et ensuite pour la nation. En
effet, le got particulier de limpratrice pour les espces antillaises saccrot au
profit des espces tropicales et curieuses. Ainsi Malmaison rassemble-elle peu
peu des spcimens exotiques. La proccupation particulire de limpratrice
rejoint celles gnrales de ses contemporains depuis la fin de lAncien Rgime.
Lutilit publique et morale des sciences naturelles est dj, cette poque, au
centre des proccupations politiques. Lacclimatation despces vgtales comme
la rforme de lagriculture et des connaissances doit amliorer lEtat et viter les
dsordres publics 1421 . La zoologie conomique est alors au centre des recherches
en histoire naturelle. Cette ide, exprime par Franois Pron ou Adrien
Francastel 1422 , est mise en image par le premier au profit de Malmaison. En effet,
limpulsion donne par le chteau en matire dacclimatation est symbolise par le
1421

CORSI Pietro, Le Musum et lEurope , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine,


CORSI Pietro, FISCHER Jean-Louis (coord.), op. cit., pp. 636-637.
1422
JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 29.
371

Deuxime partie

Chapitre IV

frontispice de lAtlas du voyage aux Terres Australes imagin par Pron. Le


chteau y figure larrire-plan tandis que plusieurs espces animales et vgtales
naturalises ornent le premier plan 1423 .
Parmi les contemporains prnant lacclimatation figurent particulirement
les acadmiciens. En 1805 Thouin prconise dtablir autant de fermes
exprimentales quil existe de bassins naturels sur le site de la France 1424 . Il
propose dinstaller dans ce but quatorze fermes dont une dans le midi pour
naturaliser les plantes des Tropiques , une en montagne pour y acclimater les
animaux et les vgtaux des hautes Cordillres, du plateau de la grande Tartarie et
du voisinage des ples 1425 . A partir dun enseignement donn par des
spcialistes, il sagit dessaimer dans toute la France pour former des souches de
familles agricoles qui [] rendraient lagriculture la population que le luxe des
villes et les hasards de la guerre lui enlvent chaque anne. 1426 , des hommes qui
portent en France lexemple dune culture claire 1427 .
Dans la ligne de Thouin, Joseph-Franois Charpentier de Cossigny,
membre de lInstitut, est au tournant des XVIIIe et XIXe sicles un promoteur actif
de lacclimatation ; il cre plusieurs jardins et publie divers ouvrages dans ce but.
Aprs stre consacr la mise en valeur des colonies 1428 , il fait diter la veille
de sa disparition intervenue en 1809 un Mmoire sur les Plantations de canne
sucre dans les dpartemens mridionaux de la France. En 1811, Georges Louis
Marie Dumont de Courset, proche de Thouin et de lInstitut, se prononce pour
lacclimatation de plantes exotiques, essentiellement dans le Midi grce
lmergence de socits savantes pouvant servir de moteurs 1429 . Or, Malmaison est
en passe de rpondre en partie ces projets 1430 .
1423

Cf. annexe n 13, p. 965.


Cit in LETOUZEY Yvonne, op. cit., p. 589.
1425
Cit in ibid., pp. 589-590.
1426
Cit in ibid., p. 591.
1427
Cit in ibid.
1428
Joseph-Franois Charpentier de Cossigny (1736-1809) est aussi membre de la Socit
dagriculture de Paris. Ses ouvrages concernent principalement lindigo, le caf et les piceries.
1429
Lauteur regrette toutefois la paresse des habitants du Midi ; DUMONT DE COURSET
Georges Louis Marie, op. cit., tome 1, pp. 39, 82-84.
1430
Dj lImpratrice, dans son jardin de la Malmaison, na form une des plus riches
collections de plantes rares et trangres, que pour en distribuer les multiplications aux cultivateurs
auxquels elle veut bien en faire prsent. Sa majest ne se borne pas ces vgtaux prcieux, dont
les proprits ne sont pas encore connues; des desseins plus vastes ont t conus et sont dj mis
en excution; des ppinires considrables sont tablies, et une immense quantit darbres
exotiques utiles, de pleine terre, doit un jour, de cette source fconde et gnreuse, se rpandre sur
tous les points de la France. , in ibid., pp. 130-131.
1424

372

Deuxime partie

Chapitre IV

Une identit problmatique


Les projets de Josphine sont conus ex nihilo lintrieur dun domaine
totalement nouveau dans le paysage naturaliste national. Pour cette raison,
Malmaison est confront un problme indit de dfinition de ses fonctions. Dun
point de vue paysager dabord, Josphine dsire poursuivre la mode lance par les
Britanniques Humphrey Repton et John Loudon au dbut du XIXe sicle, lesquels
donnent aux fleurs et aux plantes une place prdominante dans les jardins,
rompant avec le traditionnel jardin langlaise 1431 . Josphine organise les
travaux pour que Malmaison soriente vers ce genre 1432 , mais au final le parc ne
possde pas la moindre unit. La construction dun nouvel tang et dune laiterie
prvue en 1810 ajoute un aspect romantique au domaine, tandis que le dcor de la
nouvelle galerie se veut lui trs classique 1433 . Juge comme un ensemble
nouveau , disparate ou comme un parc romantique 1434 , la proprit
trahit dans sa construction ce problme identitaire dun jardin dessai ostentatoire.
Cette visibilit volontairement dmonstrative accentue par louverture du parc
un nombreux public est une attitude musologique typique du XIXe sicle mettant
laccent sur la collection 1435 . Elle inscrit enfin Malmaison comme un jardin dessai
de magnificence dans la tradition versaillaise.
En outre, Malmaison sinscrit dans plusieurs archtypes musographiques,
rappelant particulirement le Musum national dHistoire naturelle car le
programme voulu par Josphine fait du domaine un doublon du Musum. En effet,
le chteau utilise les mmes procds pour raliser son programme
dacclimatation. En termes de rseaux notamment il semble que les professeurs et

1431

Cf. KRZYWKOWSKI Isabelle, Les serres symboliques des naturalistes , in FISCHER JeanLouis (dir.), Le jardin entre science et reprsentation, Paris, Editions du CTHS, 1999, p. 296.
1432
LE TEXNIER, op. cit., p. 137.
1433
AN, AB192127, Travaux extraordinaires prvus pour 1810, Malmaison ; AN, AB192127, Etat
des sommes payer [] pour lameublement de la nouvelle galerie, Malmaison, avril 1809.
1434
Ce qui fait dire Frdric Masson quil sagit de la proprit la plus bizarre, la moins fondue
la plus fate de pices et de morceaux, lhabit dArlequin le plus disparate quon ait vu au
monde. ; MASSON Frdric, Manuscrit indit sur Malmaison, janvier 1944, p. 7. Un visiteur
anglais note en 1816 : Le modle anglais na pas t platement imit, mais a servi plutt de base
de travail pour imaginer avec bonheur, discernement et succs, quelque chose de nouveau , cit in
JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 20. Pour sa part, Bernard Chevallier qualifie
Malmaison de parc romantique ; CHEVALLIER Bernard, Malmaison, parc romantique , in
BOURGOING Catherine de (dir.), Jardins romantiques franais. Du jardin des Lumires au parc
romantique (1770-1840), Paris, Paris muses, 2011, pp. 133-138.
1435
Cf. HOBHOUSE Pnlope, Lhistoire des plantes et des jardins, Paris, Bordas, 1994, p. 224.
373

Deuxime partie

Chapitre IV

les intendants aient des pratiques similaires pour obtenir et distribuer les
spcimens 1436 . Plus encore quun doublon, Malmaison se prte aux ides et aux
exprimentations nouvelles. Parmi celles qui stimulent lmulation figure le
dveloppement de lagriculture depuis des jardins dessai ou des fermes
exprimentales qui rapprochent thoriciens et praticiens jusqualors loigns
notamment par lEncyclopdie 1437 . Cette nouvelle faon daborder lagriculture
dans son ensemble est prsente rgulirement au cours des dcennies 1800 et
1810 1438 , en 1801 par exemple via le futur secrtaire de la Socit royale et
centrale dagriculture sylvestre, en 1811 par Dumont de Courset ou en 1819 par le
colonel dEspinay. Quels que soient les projets, leur substance est la mme,
savoir lcole applique aux arts agricoles 1439 . Malmaison-Navarre sinscrit dans
ces tentatives lorsquen 1812 Bonpland sadresse Thouin afin de crer une cole
des plantes europennes de pleine terre 1440 .
En outre, Josphine souhaite que son jardin de curiosits serve aussi de
ppinire afin dalimenter dautres tablissements. La diffusion et lostentation
font de Malmaison-Navarre un laboratoire original, la fois inspir du jardin

1436

Nous ne pouvons raliser une analyse exhaustive dans le cadre de cette tude. Signalons que
pour propager les plantes ramenes de lexpdition Baudin, le Musum passe par un particulier
Montlimar alors que lintendant Mirbel passe par le prfet niois ; cf. JOUANIN Christian,
BENOIT Jrmie, op. cit., pp. 49-51 ; DELEUZE Joseph-Philippe-Franois, op. cit., p. 210. Une
tude approfondie des relations entre les diffrents jardins franais et europens permettrait de
mettre en vidence les rseaux et les solidarits savantes. De plus, la prsence importante
dentrepreneurs privs savre intressante pour mesurer le degr dimbrication entre rseaux
publics et privs.
1437
Tous ceux qui dirigent les jardins publics sont botanistes-cultivateurs, et nous avons la
preuve quils remplissent avec succs les deux fonctions. Mais je suppose que ceux qui soccupent
de la nomenclature descriptive soient dans une position qui ne leur permettent pas les soins assidus
de la culture et son tablissement, ne peuvent-ils pas alors sadjoindre des collaborateurs [] ? ,
in DUMONT DE COURSET Georges Louis Marie, op. cit., tome 1, p. 19.
1438
Les annes 1820 connaissent aussi ce discours : Etienne Soulange-Bodin devient prsident de
la Socit linnenne de Paris en 1826 et prononce cette occasion un discours sur limportance
de lhorticulture et limportance de son union avec les sciences .
1439
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, 1800-1804, p.
340 ; DUMONT DE COURSET Georges Louis Marie, op. cit., tome 1, p. 19 ; ESPINAY SAINTDENIS Pierre Marie d, Manuel du cultivateur auquel est uni le projet dtablissement de quatre
universits rsidantes dans quatre fermes exprimentales situes prs de Paris, Lyon, Bordeaux et
Strasbourg, dont lune vient dtre cre par Sa Majest, ddi aux principales autorits du
royaume, prsent au Roi pour lavantage de notre riche jeunesse et le bonheur de son peuple
laboureur, Paris, Lyon, Nouzou, 1818. Des projets de fermes exprimentales prives sont aussi
proposs au travers du Bulletin polymathique du Musum dinstruction publique de Bordeaux ou
Journal littraire, historique et statistique du dpartement de la Gironde, 1811, p. 48 ; FranoisLouis Legrand de Boislandry insiste quant lui sur la ncessit de crer des socits dagriculture
dans chaque dpartement, in Examen des principes les plus favorables aux progrs de
lagriculture, des manufactures et du commerce, Paris, A.-A. Renouard, 1815, p. 166.
1440
Bonpland A. Thouin, Malmaison, 29 janvier 1812, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 45.
374

Deuxime partie

Chapitre IV

somptueux et du jardin scientifique. Cette double fonction, outre quelle requiert


un norme travail de terrain, demande une direction scientifique claire afin den
dlimiter les activits. Au total, Malmaison et Navarre cherchent embrasser
toutes les fonctions mais dans leurs ralisations, ces domaines cumulent mal les
fonctions dostentation et dutilitarisme. La science est prsente sous une forme
exprimentale et luxueuse, mais le travail dun seul homme ne peut suffire parer
les domaines dune fonction scientifique notoire. Le laboratoire demeure donc
limit dautant plus quil sagit dun laboratoire priv financ par des fonds
publics, ce qui le rend difficilement viable. Malmaison-Navarre est avant tout un
lieu de sociabilit destin crer lmerveillement, rattach la tradition du
cabinet de curiosit du XVIe sicle mais disposant, jusqu un certain point, des
moyens techniques du XIXe sicle.

3. Une gestion controverse


Josphine est la fois une hritire de la tradition rousseauiste du jardin
tout en donnant cette occupation une dimension dmesure. Pour y faire face,
une direction gnrale et scientifique est instaure en juin 1803. Un intendant
particulier, Mirbel, est fond de pouvoir sur les tablissements ruraux, a en charge
la gestion des jardins et doit dresser le catalogue des plantes 1441 . Mais la mauvaise
gestion de celui-ci entrane son renvoi en 1806. Une des causes de sa disgrce
rside dans le cot trs lev de la serre chaude quil fait difier1442 . Jean-BaptisteLouis Le Lieur Ville-sur-Arce, dj Administrateur des parcs, ppinires et jardins
impriaux, succde alors Mirbel. Il est aussi charg de surveiller le budget de
limpratrice, mais ce cumul de charges savre rapidement difficilement
supportable 1443 . A la mort de son botaniste Ventenat, en aot 1808, Josphine
nomme sa place Bonpland sans toutefois le rmunrer. Enfin, ce dernier obtient
en dcembre la place dintendant, prvenu
que les dpenses y [augmentant] tous les ans, [lImpratrice] a pens que
le seul moyen dy porter toute lconomie possible tait de faire choix

1441

CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 54.


Cf. JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 52.
1443
MASSON Frdric, op. cit., p. 14.
1442

375

Deuxime partie

Chapitre IV

dun bon intendant et de lobliger rsider constamment Malmaison,


afin quil vit et fit tout par lui-mme 1444 .

La nomination dAim Bonpland intervient donc dans un contexte


particulier. Le contrle du budget est alors au centre des proccupations,
limpratrice tant rpute pour sa prodigalit. Le choix de Bonpland est ainsi
celui de lconomie. En outre, il dispose de plus de charges que ses prdcesseurs
mais non de plus de pouvoirs. En effet, il est gestionnaire et directeur scientifique
dun des plus beaux jardins botaniques du monde mais, ds le divorce imprial,
Napolon cre le poste dintendant gnral de la maison de limpratrice. Louis
Pierlot, nomm cette fonction, est particulirement charg de surveiller les
dpenses de Josphine. Lhomme est un spcialiste des finances puisquil est
banquier ; il est aussi un familier du pouvoir puisquil dirige la Banque de France
depuis 1806 1445 , ce qui ne lempche pas de faire faillite en avril 1811, Camille de
Montlivault lui succdant 1446 . Lintendant de Malmaison est plac sous ses
ordres 1447 , ce qui signifie que Bonpland doit jouer le rle de relais entre le trsor
imprial et limpratrice agronome.

Une attitude peu conome


Les dbuts de son intendance sont marqus par un zle vis--vis des
consignes dconomie. En contact avec Jean-Claude Ballouhey, secrtaire des
dpenses de limpratrice jusqu son divorce 1448 , Bonpland simplique dans les
affaires dachat de terres et conseille lconomie jusque dans les moindres dtails
de lentretien 1449 . Mais cette attitude releve pour lanne 1809 change partir de
1444

Budget des dpenses de 1809, cit in CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 55.
Louis Pierlot (1768-1826) quitte son poste la Banque de France en 1812.
1446
Camille de Montlivault (1770-1846), ancien chevalier de Malte ayant migr pendant la
Rvolution, est propritaire dans le dpartement du Loir-et-Cher. Il dmissionne de son poste en
avril 1814 ; en 1815 il se rallie aux Bourbons et entame une carrire prfectorale. Destitu par la
monarchie de Juillet, il se retire sur ses terres.
1447
CHEVALLIER Bernard, op. cit., pp. 56-57.
1448
AN, AB192127, Bonpland J. C. Ballouhey, Malmaison, 5 avril 1809. Aprs avoir t
lintendant des finances des deux impratrices, il accompagne la chute de lempire Marie-Louise
dans le duch de Parme en tant que ministre des Finances.
1449
Bonpland Josphine, Malmaison, 24 avril 1809, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Aim
Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, pp. 2325. Concernant la fauche du gazon, il se flatte dconomiser 600 francs : Cest en faisant ainsi de
petites conomies sur tout, quil sera facile de diminuer les dpenses de Malmaison. Le jardinier
1445

376

Deuxime partie

Chapitre IV

1810 tel que le fait apparatre le budget des dpenses. En effet Bonpland demande
des augmentations dans presque tous les secteurs. Lhabillement, le chauffage,
lentretien de la serre et des jardins reprsentent une hausse de 18% par rapport au
budget prcdent 1450 . Le graphique ci-aprs prsente la part de chacune des
catgories.
Graphique n 7
Budget des dpenses ordinaires du domaine de Malmaison prvues pour
lanne 1810
Intendant

Serres et orangerie
Parcs et jardins

Employs

Entretien
Dpenses intrieures
Source : AN, AB192127, Budget des Dpenses Ordinaires du Domaine de Malmaison pour Lan
1810, prsent par LIntendant du domaine.

Le budget est estim au total 98 100 francs. Lentretien reprsente la plus


grande partie des dpenses, puis viennent les employs. A ce titre, Bonpland
insiste particulirement sur la demande du mdecin de la Suzade qui souhaite des
appointements fixes en raison de ses visites constantes auprs demploys
malades 1451 . En outre, le budget consacr gnralement aux salaires fait lobjet
dune attention particulire :

en chef lui reproche par ailleurs dy regarder de bien prs ; Bonpland J.-M. Deschamps,
Malmaison, 9 mai 1809, cit in ibid., pp. 33-34 ; AN, AB192127, Note sur le chauffage du
chteau, s. l., s. d.
1450
AN, AB192127, Budget des Dpenses Ordinaires du Domaine de Malmaison pour Lan 1810,
prsent par LIntendant du domaine.
1451
AN, AB192127, Budget des Dpenses Ordinaires du Domaine de Malmaison pour Lan 1810,
prsent par LIntendant du domaine.
377

Deuxime partie

Chapitre IV

Ce nest quen payant exactement les hommes quon employe, quon peut
bien se faire servir et maintenir chacun son devoir

1452

Cette dernire remarque concerne particulirement le jardinier en chef Flix


Delahaye avec lequel Bonpland entre en conflit. Ds 1809 il menace de le
renvoyer car il le souponne de profiter de sa place pour en tirer des avantages
personnels 1453 . Au total, le budget ordinaire propos par Bonpland est donc
nettement suprieur celui de lanne prcdente. Mais ce sont les travaux
extraordinaires prvus en 1810 qui engendrent le plus de frais ; ils reprsentent le
double de la somme consacre aux dpenses ordinaires1454 .
Graphique n 8
Budget des dpenses extraordinaires du domaine de Malmaison prvues pour
lanne 1810

Serres et orangerie

Intendant
Employs
Dpenses intrieures

Parcs et jardins

Entretien

Source : AN, AB192127, Budget des Dpenses Ordinaires du Domaine de Malmaison pour Lan
1810, prsent par LIntendant du domaine ; Travaux extraordinaires prvus pour 1810.

Les dpenses consacres aux parcs et jardins atteignent 120 756 francs ;
celles consacres lentretien atteignent 32 940 francs. Au total, le budget
consacr au domaine avoisine les 300 000 francs. Il sagit dune somme
reprsentant le triple des 100 000 francs offerts par Napolon au dbut de lanne
1452

Ibid.
Bonpland J.-M. Deschamps, Malmaison, 9 mai 1809, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., pp. 30-33 ; AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Malmaison, 10 janvier 1813.
1454
AN, AB192127, Travaux extraordinaires prvus pour 1810, s. l., s. d.
1453

378

Deuxime partie

Chapitre IV

1810. Celui-ci sadressant Josphine prcise : Tu peux donc faire planter tout
ce que tu voudras 1455 ; il ne se doute probablement pas que cette somme est trois
fois infrieure au budget prvu par lintendance de Malmaison et quelle nourrit en
grande partie la politique dacquisition de terres dont Bonpland soccupe
activement en 1810 et 1811 1456 . A la mort de limpratrice, plus de 500 actes
notaris ont t passs pour agrandir le domaine parcelle aprs parcelle ;
lensemble des terres couvre 870 hectares 1457 . Le budget propos par Bonpland
tonne aprs une entre en fonctions marque par un souci de lconomie. Cette
hausse des frais est vraisemblablement lie au divorce, le douaire accord par
lempereur se montant trois millions de francs annuels. Or Malmaison, qui a
cot entre six et sept millions de francs au cours des dix annes prcdentes, en a
cot 70 000 en 1809 et en a rapport 102 000 1458 . De plus, les grands travaux
sont raliss ce qui permet Bonpland de rinvestir les sommes gagnes dans
lacquisition de terres nouvelles quil compte probablement rentabiliser dans les
annes venir, une partie du domaine de Malmaison ayant t retire Josphine
en 1809. La bonne gestion ralise lors de sa premire anne dexercice, les achats
fonciers et les fonds octroys par lempereur peuvent donc garantir cette hausse
budgtaire.

Une intendance rapidement remise en cause


En 1810, le budget de limpratrice pour Malmaison ne comporte pas
lintendance des jardins. Cela signifie que Bonpland dispose dune autonomie
budgtaire. Cependant, lanne 1811 marque une rupture. La gestion des domaines
devient une source de conflits qui fait apparatre de nombreuses fautes de la part
des intendants. En effet, si dans lensemble lintendance gnrale de Pierlot
demeure obscure tant donn la faiblesse de la documentation, son renvoi en 1811
et la gestion mene trs svrement par son successeur tend montrer quaux yeux
1455

Cit in DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 58.


Aim Bonpland recommande de fermer laccs entre les proprits de Josphine et les
proprits prives cat les habitants, tant obligs de faire le grand tour cderont plus facilement
les portions de terres quils possdent dans la cte. ; AN, AB192127, Tourne faite dans les
forts de Malmaison, 5 juin 1810 ; AN, MM69101, Rapport sur lacquisition de plusieurs pices de
terres pour joindre au domaine de Malmaison, s. l., 8 janvier 1811.
1457
CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 49.
1458
MASSON Philippe, Josphine rpudie (1809-1814), Paris, P. Ollendorff, 1900, pp. 95-98.
1456

379

Deuxime partie

Chapitre IV

de lempereur de mauvaises habitudes ont t prises lors de la premire intendance


gnrale 1459 . Napolon veut mieux contrler ladministration des biens de
Josphine car elle accuse en 1809 une dette de deux millions de francs et les frais
engendrs par la remise en tat du domaine de Navarre dont le jardin reprsente
la plus grosse part donn en 1810 ncessitent une avance de 600 000 francs 1460 .
Aprs avoir appris que les dettes de Josphine se montent encore un
million de francs, Napolon fait modifier le rglement de la Maison de
limpratrice au profit dAndr de Beaumont, chevalier dhonneur de
limpratrice. Celui-ci prend sa charge de nombreuses prrogatives de Pierlot qui
devient de facto un comptable et un caissier enregistrant les dcisions de
Beaumont 1461 . En 1811, Camille de Montlivault est nomm au poste dintendant
gnral avec ordre de fixer un budget infrieur un million de francs pour lanne
1812.
Aussitt les relations se dgradent entre lintendant des domaines et
lintendant gnral. Bonpland nest pas le seul fautif 1462 et Montlivault rgle la
dette de limpratrice grce au bnfice de 700 000 francs provenant de la vente
de bois 1463 sous la responsabilit de Bonpland. Mais sa part de responsabilit vis-vis des dpenses dans le domaine de la botanique semble jouer en sa dfaveur
car, selon un tmoignage, il
soccupa peupler les serres des plantes les plus rares, et lImpratrice
prit avec une telle vivacit ce got tout nouveau, que ce fut un surcrot de
dpense trs considrable.

1464

A ce titre, il semble que Bonpland subisse linfluence dun de ses subordonnes


nomm dHeindre. Celui-ci, aprs tre entr en conflit avec Bonpland car

1459

Pierlot jouit dune rputation dconome ; ce sont ses absences rptes qui empchent le suivi
des finances et ses prsences au cours desquelles il ne parvient pas se concilier la cour de
Josphine qui Josphine qui entranant le dsordre qui remettent en cause son emploi ; cf. ibid.,
pp. 168-169.
1460
Ibid., pp. 99, 173-174, 218.
1461
Ibid., pp. 241-243, 245.
1462
Josphine Hortense, Navarre, 21 aot 1811 ; Josphine Eugne, s. l., 27 novembre 1811,
cit in CHEVALLIER Bernard, CATINAT Maurice, PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit.,
pp. 298-299, 303-305.
1463
MASSON Philippe, op. cit., pp. 254-255.
1464
AVRILLION Mademoiselle de, Mmoires de Mademoiselle Avrillion Premire femme de
chambre de limpratrice Josphine, Paris, Mercure de France, 2003 (1833), p. 141.
380

Deuxime partie

Chapitre IV

souponn de critiquer son travail, lincite ensuite aux dpenses extraordinaires


notamment pour lentretien de nouvelles terres Buzenval 1465 .
Loin des fastueuses dpenses prvues en 1810, le budget tabli pour
lanne 1811 totalise 130 000 francs dont 110 000 pour Navarre 1466 . Le
dpassement de ces limites entrane des rprimandes qui incombent au seul
responsable de lintendance des domaines. En mars, des erreurs de comptes sont
releves et le budget des dpenses effectues en 1810, avant larrive de
Montivault, est sollicit trs fermement 1467 . En avril Josphine agrandit sa
proprit en dpensant 50 000 francs 1468 dont 44 000 restent rgler en 1812.
Bien que la participation de Bonpland cette transaction ne soit pas avre, des
errements budgtaires sont vraisemblablement lorigine de la convocation du
Rochelais devant son suprieur en avril. Celui-ci, sous prtexte dune ncessaire
mise au point concernant la gestion du Rochelais, lui demande les comptes des
dpenses pour lanne en cours et lui ordonne de maintenir de lordre dans ses
comptes. Il le prvient que tout dpassement sera dsormais non pay jusqu
vrification de sa part 1469 . Nul motif de blme nchappe Montivault ; en juillet
encore un retard dans le paiement des employs des jardins est imput
Bonpland 1470 . Lintendant, troitement surveill, ne dispose plus dsormais
daucune marge dinitiative.
Ce dsaveu amne Bonpland entrer dans un rapport de force. En aot, il
rclame Montivault le paiement non peru des fonds accords Malmaison 1471 .
Mal lui en prend puisque le mois suivant lintendant gnral se rend sur place afin
de dresser un bilan trs critique de la gestion du domaine. Ainsi relve-t-il un
dpassement du budget accord, ce dont Montivault doit rfrer lempereur afin
que celui-ci dcide de loctroi un non dun supplment. Quoi quil en soit la
gestion de Bonpland est remise en cause aprs ce voyage 1472 puis une nouvelle
fois en octobre. Bonpland ne se rend alors pas une convocation de Montivault.
1465

AN, AB192127, DHeindre Bonpland, Paris, 28 fvrier 1811 ; AN, AB192127, Bonpland
[sans destinataire], s. l., s. d. ; AN, AB192127, DHeindre Bonpland, Paris, 11 septembre 1811.
1466
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 10 juillet 1811.
1467
AN, AB192127, lintendant gnral Bonpland, Paris, 11 mars 1811 ; AN,
AB192127, DHeindre Bonpland, Paris, 14 mars 1811.
1468
AN, AB192127, Bonpland C. de Montlivault, Malmaison, 20 septembre 1811.
1469
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 10 juillet 1811.
1470
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 11 juillet 1811.
1471
AN, AB192127, Bonpland Montlivault, s. l., s. d.
1472
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 17 septembre 1811 ; AN, AB192127,
Bonpland C. de Montlivault, Malmaison, 18 septembre 1811.
381

Deuxime partie

Chapitre IV

Que cela soit par manque de rigueur ou par dfi, la rprobation de Montlivault et
le rappel lordre qui sen suivent 1473 peuvent sans beaucoup derreur tre
interprt comme un nouveau signe de la reprise en main que veut oprer
lintendant gnral. Cest encore loccasion pour celui-ci de se plaindre de pices
non reues et dune gestion hasardeuse 1474 .
Le combat se poursuit jusqu la fin de lanne. Une lettre de Montivault
date du mois de novembre nous apprend que Bonpland porte des accusations
contre lintendant gnral qui rplique en constatant la non rgularisation de
certaines critures et les erreurs de comptes qui nuisent au domaine. Il lui donne
ensuite une leon du bon fonctionnement administratif de la maison de
limpratrice et menace enfin :
ceci suppose une grande distraction & ne me laisserait pas sans
inquitude sur la suite de nos oprations, si je ntais assur combien
vous sentirez la ncssit dapporter une scrupuleuse rgularit dans leur
marche.

1475

Face la menace dun renvoi double dune mainmise encore accrue de la part de
Montlivault dans la gestion du domaine 1476 , Bonpland adopte un comportement
plus conciliant en dcembre 1477 . Aprs une anne de conflit entre les deux
intendants, Bonpland apparat trs diminu et discrdit.

Un intendant isol et diminu


Ce discrdit est total car il est partag par limpratrice. La mauvaise
marche de lintendance est communment attribue Josphine par ailleurs
prsente en bons termes avec Bonpland. Cependant ds avant le renvoi de Pierlot,
Bonpland ne jouit pas auprs delle dune bonne image dadministrateur car ds
lacquisition du chteau de Navarre, en 1810, Josphine se plaint de lintendance
qui en labsence de Pierlot choit Bonpland :
1473

Je vous prie lavenir, lorsque des ordres suprieurs vous empcheront de vous rendre mon
invitation, de me le faire connotre par un exprs afin de me rendre ma libert , AN, AB192127,
C. de Montlivault Bonpland, Paris, 24 octobre 1811.
1474
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 24 octobre 1811.
1475
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 27 novembre 1811. Montlivault enjoint
Bonpland de vouloir bien faire attention au contenu de cette lettre , ibid.
1476
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 29 novembre 1811.
1477
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 11 dcembre 1811.
382

Deuxime partie

Chapitre IV

je suis sans cesse entoure douvriers de tous les genres dont chacun ne
sait ce quil a faire. Ce sont des bras qui sagitent dans tous les coins du
chteau et comme il plat tout le monde, sans aucune tte qui les
dirige.

1478

Elle prend le parti des conomies dcides par Montivault et soutient ses
reproches. Par son intermdiaire, Josphine admoneste Aim Bonpland. Ainsi en
1812 elle
na pu, sans doute, tre satisfaite du rsultat de vos comptes qui lui
prsente un arrir tou fait indpendant de sa volont, et beaucoup plus
lev que la somme approximative laquelle vous laviez valu

1479

Elle exige le paiement de ces arrirs pour


ter dsormais tout prtexte aux rclamations [] et toute excuse ceux qui sont
chargs de les prvenir

1480

desquels Bonpland est le responsable. Le temps ne dissipe pas cette mauvaise


image, au contraire. En mai 1813, Bonpland fait part de son mcontentement en
apprenant que Josphine et ses proches clament que tout se ngligeait
Malmaison 1481 .
Cela prouve que les problmes rencontrs par Bonpland sont rcurrents et
dsapprouvs la fois par Montivault et Josphine, ses deux responsables.
Laccumulation des critiques plaide en la dfaveur du Rochelais. Pour sa dfense,
il est dabord ncessaire de prciser quil ne mentionne aucun moment
lexistence dun hiatus entre des dsirs de Josphine grandioses et la faiblesse des
moyens mis sa disposition pour les raliser, ce qui permet dcarter cette
hypothse. Ensuite, le seul plaidoyer en notre possession concerne le domaine de
Buzenval pour lequel il semble raliser dapprciables conomies. En effet, ce
domaine cotait lancien propritaire 12 000 francs dentretien annuel, rappellet-il avant destimer 7 900 francs son nouveau cot. A cela il ajoute les bnfices
en retirer estims 6 000 francs, sans compter les plantes de la ppinire ayant
dj rapport jusque l prs de 8 000 francs 1482 .
1478

M. Pierlot ne peut pas tre ici constamment et demeure conclut Josphine dans sa lettre
Hortense, Navarre, 24 dcembre 1810, cit in CHEVALLIER Bernard, CATINAT Maurice,
PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit., p. 288.
1479
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 11 mai 1812.
1480
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 11 mai 1812.
1481
Bonpland Champaigne, s. l., 30 mai 1813, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
53.
1482
AN, AB192127, Bonpland [sans destinataire], s. l., s. d.
383

Deuxime partie

Chapitre IV

Lachat de Buzenval datant de 1805, la dfense de Bonpland en parat


dautant moins convaincante car faute de documents prcis on ne saurait attribuer
les conomies ralises lintendant en poste depuis 1808 ou son prdcesseur.
En 1812, une affaire concernant ladministration du chteau voisin de Bois-Prau
acquis en janvier 1810 est plus rvlatrice. Dans ce cas, la fermet est encore de
mise car la gestion de Bonpland y est surveille et corrige lorsque le Rochelais
prsente un devis de 4 064 francs pour amnager le parc ; on ne lui en accorde que
3 000 pour agrandir ou construire des serres 1483 . Cette dfiance qui rappelle les
avertissements mis lanne prcdente non seulement ne marque quune pause
mais saccentue en 1812.
En effet, au mois de mai les relations se dgradent de nouveau entre
Montivault et Bonpland qui est rendu personnellement dbiteur de tout
dpassement budgtaire non contresign par limpratrice ou lintendant
gnral 1484 . Lintendance de Navarre lui est retire hormis la direction des jardins
et des ppinires 1485 . Finalement en juillet Montivault finit par exercer un contrle
absolu sur les comptes et les activits de lintendant 1486 . Bonpland a beau se
plaindre auprs de Montlivault de ce que dans [ses] bureaux, on voit tout ce qui
vient de [son] administration avec les yeux de la mfiance ; celui-ci rpond
quil ny a en [lui], ni dans [ses] bureaux, aucune mfiance aucune envie de [lui]
en trouver en dfaut 1487 . Convoqu lintendance gnrale pour y rendre des
comptes Bonpland ne sy rend pas ; il oublie aussi diverses demandes. Il lui est
finalement ordonn daller rendre des comptes chaque semaine 1488 .
Les rformes de Montlivault ont leffet escompt puisque au dbut de
lanne 1813 il constate avec un plaisir non dissimul que le budget de 1812 na
pas t pas dpass, ce qui ne lempche pas dans le mme temps de retirer
Bonpland tout pouvoir sur lentretien de Malmaison 1489 . Diminue, la gestion de
Bonpland reste au cours de cette anne 1813 critique par rapport des retards de
1483

CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 47.


AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 11 mai 1812 ; AN, AB192127, C. de
Montlivault Bonpland, s. l., 16 mai 1812.
1485
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 11 mai 1812.
1486
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 10 et 20 mai, 21 juillet 1812.
1487
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, s. l., 29 aot 1812.
1488
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, s. l., 29 aot 1812.
1489
Je vois avec plaisir [] que les fonds qui vous taient accord [] nont point t
dpasss je vous prie de croire, Monsieur, la satisfaction et lempressement que je mettrai
porter sous les yeux de S.M., cette preuve de votre bonne administration , AN, AB192127, C. de
Montlivault Bonpland, s. l., 28 janvier 1813.
1484

384

Deuxime partie

Chapitre IV

paiement et il se fait encore rappeler lordre aprs avoir entam les fonds
extraordinaires sans laval de son suprieur 1490 . La fin de son intendance est
marque par une nouvelle baisse de ses prrogatives. En fvrier 1814, ne devant
plus rien faire sans une autorisation de Josphine, il exprime son dsarroi en
labsence de limpratrice, ne sachant qui sadresser1491 . Le budget de 1814 ne
lui octroie que 2 000 francs pour lentretien des serres, plus 12 000 francs pour
tout le reste 1492 . En mars Montlivault et Josphine lui donnent tort vis--vis de ses
subordonns 1493 ; il ne contrle plus ses ouvriers 1494 . Bonpland en vient
demander limpratrice sil doit continuer dadministrer les serres et les
jardins 1495 .
Cest enfin le temps du discrdit car peu avant la mort de limpratrice il
crit au baron de Beaumont suite un ordre reu de celle-ci
qui tout en me rendant dbiteur de sommes que je nai pas reues me
prouve que S.M. et vous sont loin davoir en moi la confiance et lestime
que jai toujours su mriter des personnes que jai eu lhonneur
dapprocher et qui ainsi que vous Mr le Baron ont t en tat de juger de
la droiture de ma conduitte.

1496

Cette dernire plaidoirie montre que la baisse de son statut comme la dfiance qui
lentoure est antrieure la mort de celle qui ne fut pas, uniquement, sa protectrice
et sa mcne. Aussi lorsque le prince Eugne lui propose de le conserver son
poste en 1814, Bonpland refuse

1490

AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 21 mai et 13 octobre 1813.


AN, AB192127, Lettres envoyes en fvrier 1814, n 36.
1492
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 1er mars 1814.
1493
Lhuillier garde gnral des bois, Idatte le concierge de Malmaison, Siterne le concierge de
Bois-Prau et [De]Lahaye le jardinier en chef sont concerns, mais Sa Majest vient de me faire
transmettre [] lordre de prendre sur votre traitement Monsieur la somme necessaire ce
remboursement moins que vous ne prfriez leffectuer de vos propres deniers , AN,
AB192127, C. de Montlivault Bonpland, Paris, 19 mars 1814. Dautre part, Bonpland nobtenant
pas le rglement dun confiseur pour la livraison de fleur dorange, lIntendant gnral ordonna
que la retenue de cette somme serait faite sur les appointements de lIntendant particulier.
Vainement ce dernier protesta contre lextrme rigueur de cet acte dautorit , cit in JOUANIN
Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 58.
1494
AN, AB192127, Lettres envoyes en mars 1814, n 53.
1495
AN, AB192127, Lettres envoyes en mars 1814, n 39.
1496
AN, AB192127, Lettres envoyes en mars 1814, n 51.
1491

385

Deuxime partie

Chapitre IV

parce que la place devient moins honorable, quelle moffre moins


desprance, enfin, cest que je ne pourrais pas travailler pour moi
personnellement

1497

Surtout, il quitte une place trs diminue dans ses prrogatives et dans les
esprances quelle peut procurer. En 1816 la succession de Josphine lui octroie
6 000 francs, soit le tiers de ce quil estime lui tre d au titre de son salaire et des
frais de gestion pour Navarre 1498 .

C.

MALMAISON-NAVARRE,

UN

LABORATOIRE

PRE-

AMERICANISTE ?
Limmensit des collections botaniques amricaines ramenes par
Bonpland pose la question de leur intgration au corpus botanique existant et de
leur valorisation intrinsque. Quelle stratgie scientifique privilgier pour quelles
soient le plus utile la science et au savant ? Elles peuvent former un ensemble
autonome, dautant que ces collections sont quantitativement aptes pourvoir
entirement un centre scientifique. La question na pas t souleve par
lhistoriographie consacre Humboldt et Bonpland qui considre lintgration
des collections au Musum national dHistoire naturelle grce la donation de
Bonpland comme un fait allant de soi.
Si la plus grande partie est confie au Musum, dautres matriaux sont
donns dautres institutions ainsi qu des particuliers. Les bnficiaires de ces
dons ne sont pas forcment des spcialistes de lAmrique, la distribution
seffectuant en fonction des capacits scientifiques de chacun et de lintrt quils
peuvent porter ces chantillons dans leur domaine de comptence. Pourtant, la
question de lidentit pr-amricaniste mrite dtre pose pour deux motifs
principaux, dune part lintention mise par Bonpland de rassembler en un mme
lieu des chantillons dhistoire naturelle provenant dAmrique du Sud, dautre
part lintention de Josphine de crer un jardin botanique regroupant des espces

1497

Bonpland O. Gallocheau, Malmaison, 6 juillet 1814, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., p. 64. Le refus de rester Malmaison est bien fond, puisque la proprit dcline
rapidement ; cf. LE TEXNIER, op. cit., p. 161.
1498
AN, AB192127, [] sans destinataire, Paris, 15 mars 1816.
386

Deuxime partie

Chapitre IV

provenant dAmrique du Nord. Pourtant, la distribution des spcimens ne sarrte


pas au Musum.

1. Une empreinte amricaniste faible


Il ne sagit pas danalyser ici le devenir de lensemble des collections
amricaines rassembles par Humboldt et Bonpland, bien quune tude puisse
clairer la stratgie mise en uvre par les deux voyageurs afin de tirer le parti
quils estiment le plus juste de leur travail. Nous privilgions seulement lanalyse
de lattitude de Bonpland cet gard, celle-ci tant dans un premier temps assez
diffrente de celle de son compagnon de voyage. A cet gard, les premires
publications des deux hommes laissent paratre leur diffrence dapprciation
quant lutilisation de la botanique. Dans son Essai sur la gographie des plantes,
Humboldt place cette science au sein de ltude universaliste de lensemble des
phnomnes physiques. La botanique est pour lui une science au service dun
projet scientifique global hrit des Lumires et dont le Musum national est le
rcipiendaire. Pour sa part, Bonpland adopte dans ses Plantes quinoxiales une
approche classique base sur la classification et lutilisation des plantes. Il se place
dans une perspective dinventaire du monde alors que Humboldt privilgie
lexplication du monde. La collection tant au centre du travail de Bonpland, il est
amen faire un choix entre lintgrer au corpus universel avec le Musum
national ou en mettre en avant la spcificit gographique.

Lempreinte amricaniste sur le laboratoire dacclimatation


Lors du commencement de son voyage avec Humboldt, Bonpland crit
son frre rest La Rochelle :
que votre musum prenne les formes, le dveloppement et lattitude
amricaines

1499

1499

Bonpland Goujaud-Bonpland, Cuman, 9 novembre 1800, cit in HAMY Thodore Jules


Ernest, op. cit., p. 6.
387

Deuxime partie

Chapitre IV

Bonpland prvoit alors de faire profiter sa ville natale de ses dcouvertes. Par la
suite, il privilgie les rseaux scientifiques parisiens mais en 1800 le botaniste
pense faire du Musum rochelais un dpt dobjets en provenance dAmrique.
Les termes employs dans cet extrait nous paraissent empreints dune relle
proccupation amricaniste. En effet, le contenant les formes et le contenu
le dveloppement musographiques sont susceptibles daccueillir un projet
scientifique centr sur lAmrique. La profusion du terrain amricain quil
dcouvre incite donc Bonpland penser en termes de spcialisation scientifique, le
Musum de La Rochelle lui paraissant dans un premier temps un lieu pouvant tre
aliment par et fond sur ses collections amricaines.
A son retour, Bonpland a abandonn le projet rochelais au profit de son
avenir scientifique qui se trouve Paris. Le Musum national est privilgi
puisquil lui fournit des plantes et des graines provenant dAmrique en
quantit 1500 . Aprs avoir termin de classer ses herbiers la fin de lanne 1807, il
offre encore au Musum 45 caisses de plantes sches 1501 . Cest le signe dune
centralisation scientifique qui entrane par contrecoup la disparition dun projet
amricaniste qui ne peut tre viable qu la condition de regrouper les collections.
Or, Bonpland choisit de disperser en distribuant une partie de celles-ci ; le jardin
de lEcole de Mdecine o il a tudi reoit une centaine despces, 360 sont
envoyes au jardin de Berlin et dautres partent pour des institutions et des
particuliers 1502 .
En outre, Bonpland remet des semences Mirbel pour le jardin de
Malmaison totalisant 345 espces originaires dAmrique 1503 . Le domaine compte
50 espces diffrentes en 1805, 132 en 1810 1504 . Au total, la flore de Malmaison
senrichit entre le retour de Bonpland, en 1804, et la mort de Josphine, en 1814,

1500

Cf. DELEUZE Joseph-Philippe-Franois, op. cit., pp. 256, 324. Le 9 pluvise an 13 Bonpland
mentionne le don de 300 espces de graines au Musum ; Mdiathque de La Rochelle, ms 676.
1501
HAMY Thodore Jules Ernest, Le centenaire du retour en Europe dAlexandre de Humboldt et
dAim Goujaud de Bonpland (3 aot 1804). Discours prononc la sance douverture du XIVe
Congrs des Amricanistes Stuttgart, le 18 Aot 1904, Angers, Imprimerie A. Burdin et Cie,
1904, p. 8.
1502
250 espces Franois Cels, un de nos ppiniristes les plus distingus , dautres Cuvier
pour le jardin de Gan, Noisette, Lacour Gouff, au jardin botanique de Bordeaux ;
BONPLAND Aim, op. cit., tome 1, pp. 78, 227 ; tome 2, p. 85, 115 ; Mdiathque de La
Rochelle, ms 676.
1503
AN, AB192127, Semences pour le jardin de Malmaison, s. l., an XIII.
1504
LE TEXNIER, op. cit., p. 160.
388

Deuxime partie

Chapitre IV

de 184 espces 1505 . Bonpland estime 1 000 le nombre de plantes diffrentes


ayant pu fleurir durant cette priode 1506 . Cependant, les catalogues ntant pas
conservs il nest pas possible de dresser le bilan de la politique botanique mene
par le botaniste-intendant, notamment concernant son apport amricaniste.
Bonpland est probablement un interlocuteur privilgi pour qui sintresse aux
productions amricaines, comme le confirme les envois quil effectue son retour
dAmrique. Cependant, son projet initial est aspir par le Musum qui impose ses
rgles du jeu 1507 et par les jardins dacclimatation qui demandent tre
galitairement pourvus. Bonpland sinsre dans ce double jeu qui veut concentrer
linventaire exhaustif de la nature terrestre et le redistribuer de manire raisonne
et diffrencie. On ne cherche plus regrouper ce qui est semblable comme dans
les cabinets de curiosit mais classer selon les diffrences 1508 . Humboldt, qui est
larchtype de cette pense, a possiblement influenc Bonpland qui, en 1800
encore, pense le muse comme un ensemble dobjets semblables.
Bernard Chevallier explique que Josphine veut acclimater les plantes de
son le natale 1509 . Nanmoins, il ne sagit que du point de dpart dune entreprise
beaucoup plus vaste ayant pour but lacclimatation de tout ce quil est possible de
rassembler dans le domaine des plantes exotiques. Si peu de traces subsistent
denvois en provenance des Antilles 1510 la majeure partie de ceux-ci indiquent un
intrt plus vaste pour les plantes exotiques. Limpratrice reoit des plantes de
Mogador et Tnriffe par Broussonet, de lle de France par Jean-Nicolas Cr,
directeur du jardin de Port-Louis, de Guyane par Joseph Martin, botaniste du
gouvernement 1511 ; elle espre encore acclimater les plantes de la mer du Sud dans
le sud de la France via ses ppinires 1512 . En plus de sa dmarche utilitariste,
Josphine raisonne en termes de diffusion de curiosits. Malmaison apparat,
linstar des cabinets, comme un jardin de curiosits.

1505

MAUGUIN Georges, op. cit., p. 237.


Cf. JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 55.
1507
Cf. RASSE Paul, Les muses la lumire de lespace public : histoire, volution, enjeux, Paris,
LHarmattan, 1999, pp. 72-73.
1508
Ibid., pp. 71-72.
1509
CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 51.
1510
Le conseiller dEtat Pierre Louis Roederer envoie des graines des Antilles Josphine en
1811 ; Muse de Malmaison, Josphine P.-L. Roederer, Malmaison, 8 avril 1811.
1511
LE TEXNIER, op. cit., p. 140.
1512
Josphine A.-C. Thibaudeau, Malmaison, 19 mars 1804, cit in CHEVALLIER Bernard,
CATINAT Maurice, PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit., p. 142.
1506

389

Deuxime partie

Chapitre IV

Les plantes amricaines y sont accueillies comme telles. Josphine possde


un got pour lamricanisme tel quil se dveloppe au cours du XIXe sicle, cest-dire davantage port vers lAmrique septentrionale. En 1803, elle invite tous les
agents franais prsents sur ce sol lui envoyer des semis pour leur
naturalisation 1513 . Cette passion pour cette partie du Nouveau Monde est, en 1804,
au centre de son projet ornemental comme elle lexplique Raffeneau-Delile alors
consul de France Wilmington :
Je veux couvrir les terres dpendantes de Malmaison dune vgtation
telle que, par la suite en vous promenant dans mes proprits, vous soyez
tent de vous croire encore au milieu des forts de lAmrique
Septentrionale.

1514

Si ce projet naboutit pas entirement, il est tout de mme le premier de ce


type tre esquiss en France depuis la cration du Musum national dHistoire
naturelle. A cet gard, il mrite dtre mentionn dans lhistoire des musesjardins. En 1807 il est avr que les 726 hectares que compte Malmaison sont
utiliss comme ppinire pour de nombreux tablissements agricoles franais 1515 .
Le laboratoire dacclimatation, qui est alors dirig en grande partie vers la cration
dun jardin botanique gocentr, est susceptible dacqurir une vritable
dimension amricaniste. Il anticipe la cration dexpositions thmatiques ne
dbutant pas avant la seconde moiti du XIXe sicle comme il fait tat dune
tentative pour passer de ltape de laccumulation et de la classification vers celle
dune appropriation scientifique 1516 , gocentre dans le cas des projets de
Bonpland et de Josphine.
Les matriaux amricains demands et reus entre 1804 et 1807 confirment
ce got mais aussi le statut de jardin de curiosits dans lequel est confin
Malmaison. Dupont de Nemours et Jean-Franois Soult sont sollicits pour faire

1513

Je veux multiplier en France les vgtaux de ce pays qui, par sa temprature, a de si grands
rapports avec le ntre , Josphine Cazeaux, Paris, 23 novembre 1803, cit in ibid., p. 137.
1514
Josphine A. Raffeneau-Delile, Malmaison, 28 mars 1804, cit in JOUANIN Christian,
BENOIT Jrmie, op. cit.
1515
En 1807, Mordant de Launay crit : LAmrique septentrionale nous offre beaucoup
despces utiles, dont sa majest limpratrice-reine a ordonn quon ft des semis considrables
dans ses ppinires de Malmaison, et dont elle a fait distribuer des plants aux cultivateurs, dans
tous les dpartemens o la nature de ces arbres donne lesprance de les voir sacclimater , cit in
BERTHAULT Louis, Arbres dornement du parc de la Malmaison plants sous la direction de M.
Berthault, architecte, Paris, Terzuolo, 1838, p. 3.
1516
Cf. VAN-PRAT Michel, op. cit., p. 5 ; VAN-PRAT Michel, Cultures scientifiques et
Muses dhistoire naturelle en France , in Herms, n 20, 1996, p. 146.
390

Deuxime partie

Chapitre IV

parvenir des graines et des plantes des Etats-Unis 1517 . Dans le mme temps, on
note un arrivage darticles dhistoire naturelle de Cayenne ainsi quune demande
pour ramener des vigognes du Mexique en profitant dune expdition
scientifique 1518 . Lensemble demeure htroclite, aucune direction scientifique
prcise ne semblant prendre corps malgr la volont affiche par limpratrice.

Lamricanisme, une branche de lexotisme


Malgr les projets esquisss par Josphine et Bonpland, la construction
dune science amricaniste ne sinscrit pas dans le projet linnen ou
humboldtien de linventaire universaliste. Certes, Bonpland est considr
comme un spcialiste ; Humboldt
le juge le plus comptent dans une question relative cette partie du
monde

1519

Mais lAmrique est runie un ensemble qui relve de lexotisme 1520 .


Limpratrice souhaite faire de Malmaison un jardin dexcellence :
Je veux que mes plantations offrent la fois ce quil y a de plus beau de
plus utile et de plus rare

1521

explique-t-elle en 1804. Ce projet colossal aboutit une seule publication


commence en 1813 par Bonpland, la Description des plantes rares cultives
Malmaison et Navarre. Le projet est bien gocentr, mais sur le lieu de

1517

AN, AB192127, C.-F. Brisseau de Mirbel Josphine, Malmaison, 7 prairial an XII.


SCHOMMER Pierre, Josphine amateur de jardins la Malmaison. 1799-1814 , in Revue
de lInstitut Napolon, n 92, juillet 1964, pp. 109-110 ; Muse de Malmaison, A. Francastel
Josphine, s. l., 28 germinal an XII ; AN, AB192127, L. Dufresne Baloubey, Paris, 25 janvier
1807. Le directeur du jardin botanique de Bordeaux, Dupuy, est aussi charg denvoyer
Malmaison des patates douces dAmrique ; Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine,
Madrid, 23 janvier.
1519
An. TABLEAU de lEtat actuel du Prou, tir du Mercurio Peruviano , in Annales des
voyages, de la gographie et de lhistoire ou Collection des voyages nouveaux les plus estims,
1807, tome I, p. 90.
1520
Josphine L.-G. Otto, s.l., 8 juin 1801 ; Josphine Lee et Kennedy, Malmaison, 27 aot
1802 ; Josphine G.-M.-A. Brune, Malmaison, 16 mars 1804, cit in CHEVALLIER Bernard,
CATINAT Maurice, PINCEMAILLE Christophe (comp.), Impratrice Josphine.
Correspondance, 1782-1814, Paris, Payot, 1996, pp.109-110, 128, 141 ; LE TEXNIER, op. cit.,
pp. 159-160 ; Magasin encyclopdique, ou journal des Sciences, des Lettres et des Arts, mars 1815,
tome 2, p. 121.
1521
Josphine A. Raffeneau-Delille, Malmaison, 28 mars 1804, cit in JOUANIN Christian,
BENOIT Jrmie, op. cit.

1518

391

Deuxime partie

Chapitre IV

conservation au lieu de ltre sur le lieu de provenance des vgtaux. Il perd du


mme coup toute pertinence scientifique.
Les Plantes quinoxiales qui sont lautre ouvrage de Bonpland prsentent
un programme dacclimatation dans la ligne des ouvrages botaniques classiques.
Elles sont au service dun projet botanique tropicaliste et non spcifiquement
amricaniste. En effet les jardins dacclimatation, Malmaison en tte, sont
aliments par ce que Carol E. Harrison nomme les voyageurs philosophiques
la tte desquels figurent de Jean-Antoine Bruny dEntrecasteaux et Nicolas
Baudin. La circulation globale des plantes et des animaux ainsi que leur
acclimatation rciproque est au cur dune pense prnant un imprialisme
vertueux, dsireux de produire des jardins au lieu de colonies. Cette pense
globale de la place de lhistoire naturelle dans le processus civilisateur est
particulirement inspire par les contacts avec laire pacifique, laire atlantique et
amricaine tant moins valorise du fait de la lgende noire les poursuivant 1522 .
De plus, la pense naturaliste globale engendre par les circumnavigations
dfavorise le recentrement vers une aire spcifique. Il y a peu despace pour
lmergence dune science gocentre au cours dune phase scientifique encore
gnraliste privilgiant linventaire du monde paralllement son partage. A ce
titre, la tentative gyptienne dinstitutionnalisation dune science de ce type se
termine en 1801 par sa conversion en ouvrage. Do la proccupation pour des
rgions susceptibles dtre colonises plutt que pour des rgions dj sous
contrle politique ou, pire encore, hors de contrle comme cest le cas pour
lAmrique espagnole 1523 .
Afin de mettre en valeur ses travaux amricains, Aim Bonpland se fonde
aussi sur ses rseaux savants, notamment entre 1804 et 1808, cest--dire avant sa
nomination comme intendant du domaine imprial. Il dvoile ses principaux atouts
son retour en France : la disposition de lopinion publique, lappui des hommes
politiques, la publication rapide des rsultats scientifiques du voyage, le soutien de
1522

Cette exploration bienveillante serait profitable tous ; f. HARRISON Carol E., Planting
Gardens, Planting Flags: Revolutionary France in the South Pacific , in French Historical Studies,
vol. 34, n 2, 2011, pp. 243-277.
1523
La relation entre linvention du patrimoine en France et la mise en place de lEtat moderne est
dmontre entre la fin du XVIIIe sicle et le premier quart du XIXe sicle ; cf. POMMIER
Edouard, lArt de la libert. Doctrines et dbats de la Rvolution franaise, Paris, Gallimard,
1991 ; POULOT Dominique, Surveiller et sinstruire : la Rvolution franaise et lintelligence de
lhritage historique, Oxford, Voltaire Foundation, 1996 ; POULOT Dominique, Muse Nation
Patrimoine. 1789-1815, Paris, Gallimard, 1997.
392

Deuxime partie

Chapitre IV

Humboldt et la reconnaissance des professeurs du Musum. Que ce soit dailleurs


Malmaison ou vis--vis des institutions nationales et trangres, un intrt
certain est tangible vis--vis des chantillons en provenance dAmrique. Mais
cette curiosit se rvle nettement insuffisante pour que lon soit en mesure
dassister la construction dun savoir interdisciplinaire et dune communaut
scientifique internationale caractristique de lamricanisme 1524 . Du reste, bien
quen possession dun bagage amricaniste important, Bonpland ne semble pas
donner la priorit la construction dun savoir et dune communaut spcifiques.
Il ny a pas de construction de savoir amricaniste comme nous pouvons le
percevoir en analysant ses relations avec les ples institutionnels nationaux. Les
ouvrages reus par Bonpland concernent lhistoire naturelle de Suisse, du
Danemark, de Salzbourg et du cap Nord 1525 . Lensemble appartient la catgorie
exotique, aucun ne concerne lAmrique.
En analysant les commentaires effectus par le botaniste dans le seul
ouvrage quil rdige propos de la flore amricaine les Plantes quinoxiales
on saperoit que sa proccupation principale rside dans lornementation. Le
matriel ramen est donc destin servir selon lui une entreprise dacclimatation
au service de ce qui peut tre qualifi de tropicalisme dagrment. Les vgtaux
doivent tre mis profit pour embellir nos plus beaux jardins , pour
lornement des campagnes , pour lornement de nos jardins et de nos serres ,
pour nos forts et nos jardins , pour la dcoration de nos parterres et de nos
gazons ou pour nos bosquets et nos jardins anglois. 1526 Bonpland insiste
davantage sur cet aspect dans le second tome des Plantes quinoxiales rdig alors
quil se trouve Malmaison, ce qui tend dmontrer son souci dadapter son
discours ainsi que le contenu de son ouvrage un public plus spcifiquement
intress par lornementation. Il suit en cela le dveloppement de cette mode
parmi les lites quil frquente quotidiennement auprs de Josphine de
Beauharnais.
Au contraire, le premier tome contient lessentiel des considrations
utilitaristes. A la suite de Thouin, il prne une acclimatation imprialiste depuis
1524

Pour cela, il faut attendre en Europe la seconde moiti du XIXe sicle ; cf. LOPEZ-OCON
Leoncio, CHAUMEIL Jean-Pierre, VERDE CASANOVA, Ana (d.) Los americanistas del siglo
XIX. La construccin de una comunidad cientfica internacional, Francfort, Vervuert Verlag, 2006.
1525
AN, AB192127, Note des livres offerts par M. [], 16 fvrier 1810.
1526
BONPLAND Aim, op. cit., tome 1, pp. 18, 21, 72, 79 ; tome 2, pp. 6, 13, 17, 38, 87, 88, 90,
96, 140, 152, 155, 165, 205.
393

Deuxime partie

Chapitre IV

la partie mridionale de la France ou le midi de lEmpire jusque dans nos


colonies pour offrir aux colons une nouvelle branche de commerce trslucrative . Les domaines dapplication des vgtaux tudis sont lagriculture, la
mdecine, la teinture et la construction 1527 . Les sciences naturelles, spcialement
botaniques, sont dabord penses par Bonpland lorsquil sloigne du centre
scientifique comme pouvant tre utilises de manire spcifique dans une
perspective amricaniste. Mais en retrouvant le laboratoire europen, la spcificit
imagine en Amrique se fond dans la proccupation de celui-ci pour un
tropicalisme utilitariste centrant la distribution des spcimens sur la France. Puis,
au contact des lites de lempire et dans le contexte du blocus maritime anglais, la
pense naturaliste de Bonpland se dcale encore de lutilitarisme vers
lornementation. La mise en relation de deux patrimoines et de deux cultures
scientifiques transatlantiques ne peut avoir lieu.

2. Un laboratoire animal innovant mais phmre


Comme pour les vgtaux, les animaux sont rassembls selon des critres
de raret, de curiosit et dutilit. Mais la diffrence du projet de parc nordamricain, aucune source nindique que Bonpland ou Josphine envisagent
dacclimater des animaux originaires dAmrique pour donner au domaine un
aspect amricain. Dun point de vue utilitariste, lespce la plus susceptible dtre
introduite est le lama dont Jean-Baptiste Leblond, en prenant exemple sur le
spcimen conserv Malmaison, propose lacclimatation dans les Pyrnes 1528 .
En mars 1809, celui-ci prsente lInstitut un mmoire jug non crdible, lanimal
prsentant selon les acadmiciens un intrt confin lhistoire naturelle 1529 .
Bonpland, pas plus que les acadmiciens, ne semble prendre au srieux cette
proposition comme dautres en rapport avec lAmrique mridionale, ce qui lui

1527

Ibid., tome 1, pp. 10, 23, 62, 85, 96, 99, 163, 165, 167, 171, 184 ; tome 2, pp. 11, 87, 99.
LEBLOND Jean-Baptiste, Trait de paix entre le mrinos et la vigogne, ou Considrations sur
la vigogne et les avantages que lon peut retirer, Paris, Favre, 1809.
1529
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 4, 27
mars 1809, pp. 183-185.
1528

394

Deuxime partie

Chapitre IV

vaut dtre cart des cercles scientifiques franais 1530 . Au dbut du XIXe sicle, il
est impensable de fonder un laboratoire animal gocentr. Dune part la
proccupation pour le curieux et le rare ne permet pas de valoriser des espces en
fonction de leurs spcificits gographiques. Dautre part lutilitarisme privilgie
des expriences sur des animaux dj implants et jugs conomiquement viables.
Pour cela, Malmaison ne prsente des innovations que dans la mthode
dexposition et en suivant des expriences dj tentes ailleurs.

Du parc zoologique au cabinet


Josphine souhaite crer un laboratoire nouveau moins dans ses fonctions
puisquelles existent ailleurs au sein dinstitutions que dans son contenu. En tant
que Musum, dans sa fonction dmonstrative, Malmaison dispose dun cabinet
dhistoire naturelle avec oiseaux, minraux et objets ethnographiques 1531 . A cela
sajoute une particularit concernant les animaux qui
au lieu dtre rassembls en une mnagerie ou dans une enceinte troite []
parcourent les sites qui leur conviennent le mieux

1532

Le domaine cumule donc deux fonctions musographiques, lexposition et le parc


animalier. Cette dernire originalit est totalement innovante puisquelle annonce,
avec une centaine dannes davance, les parcs zoologiques sans cage. En 1810,
Bonpland peut se vanter de diriger un ensemble exceptionnel car
La Mnagerie et Loiselerie de Malmaison renferment des animaux qui ne se
trouvent nulle part ailleurs en Europe

1533

Concernant sa fonction dmonstrative, Malmaison se distingue par


plusieurs russites dont loisellerie qui fait figure de fleuron. Les cygnes noirs
australiens se trouvent tre les premiers se reproduire en captivit sur le sol
franais. Ils sont une fiert du domaine et ils font partie des rares espces
1530

Leblond publie sur la culture du poivrier, la culture de lindigo et du rocou, la civilisation des
Indiens, la suppression de la mendicit grce la colonisation de la Guyane ; cf lintroduction de
Monique Pouliquen in LEBLOND Jean-Baptiste, Voyage aux Antilles. Dle en le, de la
Martinique Trinidad, (1767-1773), Paris, Karthala, 2000 (1813), pp. 7-8 ; cf. aussi POULIQUEN
Monique, Les voyages de Jean-Baptiste Leblond, mdecin naturaliste du roi, 1767-1802. Antilles,
Amrique espagnole, Guyane, Paris, CTHS, 2001.
1531
Cf. JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., pp. 32-34.
1532
Alexandre de Laborde cit in DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 40.
1533
AN, AB192127, Budget des Dpenses Ordinaires du Domaine de Malmaison pour Lan 1810,
prsent par LIntendant du domaine.
395

Deuxime partie

Chapitre IV

conserves aprs la mort de Josphine. Le Musum sadresse en juin 1814


Bonpland puis directement au prince Eugne pour en prendre possession, mais
sans succs 1534 . Dune manire gnrale, loisellerie fait lobjet de soins
particuliers. Si en 1806 les oiseleurs sont congdis 1535 et sil ny a pas de trace
dautre oiseleur recrut avant 1812 en la personne de Louis Jacques Navin, les
achats se poursuivent nanmoins pour un montant total de 22 612 francs entre
1807 et 1809 1536 . En 1808, Reaux qui est recrut grands frais 1537 pour soccuper
de la mnagerie et de la faisanderie fait peut-tre aussi office doiseleur. Plus
srement, il fait de la production de faisans une des plus riches de France 1538 et
parvient, au grand contentement de Bonpland, constituer un bnfice de 3 745
francs grce la faisanderie 1539 . Cet intrt pour lornithologie ne se dment pas
puisquen 1814, alors que la mnagerie de Malmaison est en dclin, le cabinet
ornithologique compte encore plus de 600 spcimens 1540 .
La mnagerie acquire des animaux jusque vers 1805 puis un dclin
samorce, les animaux ntant plus remplacs. Lemprise du Musum dans ce
domaine est une premire explication ce dclin, Lacpde prcisant en 1804 les
objectifs de la mnagerie, savoir pourvoir les naturalistes en matriel dtude et
acclimater des espces utiles conomiquement 1541 . Si lacclimatation se poursuit
en partie, en revanche labsence de zoologiste Malmaison contraint trs
probablement Josphine abandonner lacquisition danimaux dont les soins ne
peuvent tre assurs. Loisellerie continue tre pourvue jusquen 1806, la
mnagerie priclitant totalement suite au renvoi de Mirbel et des oiseleurs 1542 . En
1808 Josphine se spare de sa collection de mammifres naturaliss au profit du
Musum 1543 , laissant dfinitivement cette partie de lhistoire naturelle au Musum.
A ce propos, il est intressant de constater que la mme anne le laboratoire de

1534

JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 144.


MASSON Frdric, Manuscrit indit sur Malmaison, janvier 1944, p. 21.
1536
DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 33 ; CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 61.
1537
Il est pay 2 400 francs par an.
1538
AN, AB192127, Budget des Dpenses Ordinaires du Domaine de Malmaison pour Lan 1810,
prsent par LIntendant du domaine.
1539
AN, AB192127, Bonpland, sans destinataire, Malmaison, 18 octobre 1808.
1540
DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 34.
1541
Cit in VAN-PRAT Michel, Diversit des centres de culture scientifique et spcificit des
Muses , in ASTER, n 9, 1989, p. 7.
1542
MASSON Frdric, op. cit., p. 21.
1543
DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 34 ; JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., pp. 27,
32.
1535

396

Deuxime partie

Chapitre IV

zoologie du Musum amplifie normment son activit taxinomique 1544 . Il est


alors tentant dmettre lhypothse selon laquelle la priode comprise entre 1808
et 1809 marque un tournant dans le statut de Malmaison. La fonction de doublon
affiche par Malmaison jusqu cette date est peu peu abandonne comme le
constate Bonpland en mai 1809 lorsquil conseille la construction dune nouvelle
mnagerie afin de remplacer lancienne juge exige et si peu digne de la
magnificence de S. M. lImpratrice 1545 . Cette demande ntant pas agre, il est
possible que labandon de la mnagerie soit la consquence dune remontrance de
Napolon sur les frais engendrs, annonciatrice des conomies raliser partir
du divorce 1546 . En 1811 Josphine invite Louis Dufresne venir prendre
possession des oiseaux qui manquent au Musum 1547 . En 1814 la mnagerie ne
comprend plus que quatre biches, un daguet, un kangourou, un vari, un lama, un
mouton du Cap, sept chvres et une quarantaine de faisans 1548 .
A son arrive, Bonpland impute le dclin de Malmaison la gestion de son
prdcesseur. Le Rochelais laisse transparatre sa volont de magnificence pour
Malmaison, ce qui le place dans la ligne du premier intendant, Charles Franois
Brisseau de Mirbel, lequel aprs avoir dot Malmaison dun statut de centre
scientifique reconnu jusqu son dpart en 1806, est dsormais membre de
lInstitut. Cependant la phase de dclin entame aprs Mirbel se poursuit, en partie
cause de la division du budget entre Malmaison et Navarre. Or, les dclarations
de Bonpland comme sa gestion tendent prouver quil tente de prendre appui sur
les domaines impriaux pour laborer un projet scientifique sinon personnel, du
moins rel. A ce titre, sa proposition de transformer Navarre en une cole de
botanique nest pas recoupe par dautres sources connues qui prouveraient
laccord indispensable de Beaumont, Montlivault ou Josphine.

1544

Cf. DELEUZE Joseph-Philippe-Franois, op. cit., pp. 103-104.


Bonpland J.-M. Deschamps, Malmaison, 12 mai 1809, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., p. 36.
1546
JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 30.
1547
Ibid., p. 32.
1548
CHEVALLIER Bernard, PINCEMAILLE Christophe, Limpratrice Josphine, Paris, Payot,
2002 (1988), p. 291.

1545

397

Deuxime partie

Chapitre IV

Un projet utilitariste pertinent


Certes, Josphine a le got du pittoresque comme en tmoigne la vacherie
imitant un hameau alpestre. La mise en scne pittoresque de faux villages est dj
en vogue sous lAncien Rgime. La persistance de ce got hrit de la fin du
XVIIIe sicle sexprime par exemple dans le costume des vachers suisses conserv
la demande de limpratrice 1549 . Ce muse vivant qui rassemble des races
offertes en 1803 par la ville de Berne se rvle toutefois conomiquement viable
puisquune vente publique a lieu en 1812 1550 . Signe du changement des lites, il
existe une rupture entre la reine de lAncien Rgime amatrice de pittoresque et
limpratrice mlant le folklorique lutilitarisme.
Cette proccupation de Josphine de Beauharnais provient de lducation
reue au sein dun milieu de physiocrates clairs. Jean Chanorier 1551 qui
dveloppe dans sa proprit de Croissy-sur-Seine une bergerie modle, mais aussi
des levages de vers soie et des plantations de pommes de terre, la conseille lors
de lachat de la proprit voisine de Malmaison. La lettre quil lui crit ce sujet
est une vritable expertise technique traitant dconomie, dagronomie et
dlevage. Cest encore lui qui ngocie pour elle lachat de Malmaison et
lencourage dvelopper son levage de moutons mrinos, race espagnole
fournissant une laine de grande qualit 1552 .
Prcisment, le travail effectu avec la race ovine est certainement le plus
abouti. A ce titre, Josphine et son intendant sont les hritiers dun effort entam
sous la monarchie puis continu aprs la Rvolution. La ferme modle de
Rambouillet fonde en 1786 par la volont du roi fournit le domaine de Chanorier
puis celui de Louis Silvy Champgueffier. En 1789 deux troupeaux seulement
existent Rambouillet et Croissy, lun tant la proprit du roi, lautre celle dun
particulier. Menacs de destruction ils sont conservs car le bureau consultatif

1549

DELMOTTE Pascale, op. cit., pp. 30-31.


JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p.149.
1551
Jean Chanorier (1746-1806) appartient une riche famille bourgeoise. Propritaire terrien, il
contribue lamlioration de llevage ovin en France. Peu inquit lors des troubles
rvolutionnaires, son amiti avec Josphine lui permet dobtenir les faveurs du Premier Consul. En
1799 il est lu dput au Conseil des Cinq-cents puis en 1800 membre du conseil gnral de la
Seine-et-Oise. Membre associ de lInstitut, il se distingue pour ses travaux portant sur les laines.
1552
HUBERT Grard, Malmaison, Paris, Runion des muses nationaux, 1983, pp. 14-16.

1550

398

Deuxime partie

Chapitre IV

dagriculture cr alors insiste sur leur utilit pour la nation 1553 . Ce glissement
dune approche curieuse vers une approche utilitariste est confirm par le trait de
Ble sign en 1795. Il met fin la guerre franco-espagnole et fixe, dans un article
secret, le droit pour la France dimporter des mrinos sans quil soit respect 1554 .
Avec larrive au pouvoir de Bonaparte en 1799 llevage ovin devient un
pivot majeur de lindustrie textile. Au mois de juin 1800, une commission
compose de Thouin, Monge, Berthollet et Cels profite dune demande manant
de la socit dagriculture du dpartement de la Seine pour rglementer
lutilisation des deux troupeaux nationaliss de Rambouillet et de Versailles 1555 .
Leur utilit est une nouvelle fois rappele et prcise, puisquils sont jugs dune
grande importance pour les manufactures. De plus les fonctions des deux lieux
dlevage sont clairement dfinies. La fonction de recherche pour lamlioration
des races par leur croisement choit Versailles, celle de conservation de la race
mrinos tant attribue Rambouillet. Enfin, les commissionnaires conseillent de
diviser le troupeau de Rambouillet afin de le prserver 1556 . En 1801 1 200
animaux sont imports dEspagne afin dappliquer ce programme.
Malmaison est alors un domaine priv, mais en 1803 limportation de
mrinos est dcide afin de conserver et de multiplier la race, cest--dire dans un
but dutilit publique. Adrien Francastel savre l encore un prcieux alli avant
que dtre un intermdiaire efficace car il dfend et nous fait connatre en
octobre 1803 le projet utilitariste de Josphine en ces termes :
Vous voulez couvrir de btes laine de la plus belle race un sol qui nen
nouri que dune espece chetive et en assez petit nombre

1557

La fonction du domaine est donc double, savoir conserver la race dune


part en dupliquant le laboratoire de Rambouillet ; dvelopper cette mme race
dautre part en en distribuant des exemplaires sur le sol national. Ce projet est

1553

JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., 1997.


La mission charge de ramener en France les 5 000 ttes promises part en 1799 mais revient
sans les btes proposes qui sont juges de trop mauvaise qualit ; cf. TEYSSIER Eric, La
introduccin de los merinos en Francia a finales del siglo XVIII y principios del siglo XIX. La
prdida del monopolio espaol de una materia prima , in Revista de Historia Industrial, n 11,
1997, pp. 19-20.
1555
La socit demande conserver ltablissement rural de lancienne mnagerie de Versailles
afin de le transformer en un tablissement consacr aux progrs de lconomie rurale ; Acadmie
des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, 1er messidor an 8, p.179.
1556
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 1, 1er
messidor an VIII, p. 179.
1557
Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, s. l., 19 vendmiaire an XII.
1554

399

Deuxime partie

Chapitre IV

inspir de la proccupation agronome du dbut du XIXe sicle vis--vis de


lamlioration de lagriculture et de llevage travers le dveloppement dune
meilleure race ovine.
Linsertion de Malmaison au sein dun projet agricole innovant permet sa
mise en rseau de manire horizontale, cest--dire auprs de laboratoires ayant
des fonctions similaires. Malmaison est pleinement inscrit dans un projet
politique, scientifique et conomique au lieu de sy substituer comme cest le cas
pour la production dobjets rares et curieux. Dans cette logique, Malmaison fournit
dautres bergeries en mrinos. Ds octobre 1803 et larrive des btes offertes par
la couronne espagnole, on conseille limpratrice de distribuer des mrinos aux
particuliers pour en tendre la race 1558 . Grce laide du ministre de lIntrieur
Chaptal 1559 , des mrinos sont envoys en 1804 dans les Landes 1560 ; la ferme
impriale de Mont-de-Marsan cre en 1806 1561 en est laboutissement. Francastel
se charge, lors de la mission mene en 1804 en Espagne, dagir paralllement pour
Josphine en lui fournissant 1 000 btes quelle partage avec le domaine de FertBeauharnais la tte duquel se trouve son fils Eugne 1562 . La bergerie est
officiellement cre en 1805.
Linspection des bergeries impriales mene par Tessier en 1806 confirme
limportance acquise par Malmaison parmi les bergeries puisque le domaine figure
en bonne place dans son rapport. Elle confirme aussi son rle de conservatoire de
la race puisquil est avec Rambouillet un des seuls lieux o est maintenue la race
pure 1563 . En 1807 la bergerie est dailleurs agrandie, preuve de sa prosprit.
Malmaison compte alors 703 brebis et 115 bliers ; on commence vendre le
surplus 1564 . Lanne suivante, linvasion de lEspagne permet Josphine de se

1558

Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, s. l., 19 vendmiaire an XII.


En 1819 Chaptal estime quaprs les crales et la vigne, les laines occupent la troisime
position dans lindustrie franaise ; CHAPTAL Jean Antoine, De lindustrie franaise, Paris,
Renouard, 1819, p. 179.
1560
Ce dont bnficie entre autres propritaires Jean-Marie Poyfr de Cre ; POYFERE de
CERE Jean-Marie, Mmoire sur lamlioration des btes laine du dpartement des Landes , in
Socit dagriculture, commerce et arts du dpartement des Landes. Sance publique du 15
fructidor an 13 (2 septembre 1805), Mont-de-Marsan, Delaroy, 1806, p. 90.
1561
Cf. TEYSSIER Eric, op. cit., pp. 26-28.
1562
Je flicite V.M. dtre la seule hors de lEspagne qui pt se permettre de former un
troupeau , Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, s. l., 27 fructidor an XII ; TEYSSIER
Eric, op. cit., p. 23.
1563
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, 14
septembre 1807, p. 586.
1564
MASSON Frdric, op. cit., p. 18.
1559

400

Deuxime partie

Chapitre IV

fournir parmi les meilleurs spcimens du cheptel espagnol quelle partage avec les
fermes impriales de Mont-de-Marsan, Rambouillet et Trves 1565 .
Limportance de cette industrie est souligne en 1808 par llection de
Charles-Gilbert Morel de Vind la place de correspondant de lInstitut pour
lEconomie rurale. Or Morel de Vind, propritaire Celle Saint-Cloud et membre
des socits dagriculture de Versailles et Paris, soumet des projets damlioration
des mrinos qui sont discuts lInstitut 1566 . La mme anne le ministre de
lIntrieur charge Jean-Marie Poyfr de Cre, membre de plusieurs socits
dagriculture et qui a par ailleurs observ le processus de lavage des laines
Sgovie, de faire venir des mrinos jusqu Paris 1567 . Cette branche de lindustrie
se caractrise par une convergence des intrts publics et privs qui profite
lessor du cheptel de Malmaison. La forte demande et le dynamisme des
particuliers dans ce domaine 1568 place Malmaison dans une position centrale lors
de cette tape pionnire.

Des rsultats probants mais phmres


Lorsque Bonpland prend ses fonctions Malmaison la fin de lanne
1808, le cheptel compte 871 ttes 1569 . Cependant, le problme de la place
disponible est pos par le ministre de lIntrieur ds le mois de juin. Il crit
Josphine que le domaine ne peut recevoir plus de 300 ttes et propose de former
une bergerie impriale pour le surplus 1570 . Cest dans ce climat dintrt croissant
pour ce produit de commerce et dindustrie que Bonpland prend la direction du
domaine, au moment o sy ajoute le tarissement de lapprovisionnement
espagnol. En avril 1809, Bonpland conseille Josphine qui a dcid dtablir une
bergerie Fontainebleau de conserver un maximum de btes pour profiter de la
hausse des prix cause par la guerre dEspagne. Bonpland devient le responsable

1565

TEYSSIER Eric, op. cit., pp. 24-27.


Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 3, 21
juin 1808, p. 79.
1567
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 4, 16
janvier 1809, pp. 156-158.
1568
Cf. TEYSSIER Eric, op. cit. pp. 28-32.
1569
AN, AB192127, Etat du troupeau de Malmaison pendant les exercices 1809-1812.
1570
Cf. JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit.
1566

401

Deuxime partie

Chapitre IV

de cette activit pour laquelle il nest pas form mais qui offre daussi grands
avantages lEmpire franais 1571 . Aussi poursuit-il la politique de conservation
et dextension de la race. Il voit aussi dans cette partie de la mnagerie une source
de revenus vidente, raisonnant en termes dconomie rurale au lieu de penser
lagrment et la magnificence 1572 .
Face au problme de lextension du troupeau, Bonpland propose en 1809
de consacrer une partie du budget prvu pour lanne 1810 afin de perfectionner la
bergerie et demployer des bergers instruits1573 . Sur ce point de lexcellence, il
est en accord avec Josphine qui elle-mme oblige un particulier possdant un des
premiers troupeaux de mrinos en France lui cder son matre-berger, Franois
Jrmie Boulanger 1574 . Le maintien de la qualit exceptionnelle du cheptel de
Malmaison est essentiel et tout indique que Bonpland souhaite faire de Malmaison
une bergerie dlite pour laquelle il dispose des meilleurs atouts. Au dbut de
lanne 1809 les naissances permettent un accroissement du troupeau de 50% ;
Bonpland espre parvenir en mai au nombre de 1 435 individus 1575 . Il se lance
donc dans une politique de dveloppement et dacquisition, prconisant
damnager des terres Garches dans lattente de la construction de la bergerie de
Fontainebleau et prenant en charge larrive dun nouveau troupeau espagnol 1576 .
A la diffrence des autres programmes animaliers et botaniques conus
Malmaison, llevage ovin ne priclite pas partir de 1809. Au contraire,
Bonpland fait preuve dune gestion scrupuleuse qui produit de bons rsultats dans
ce domaine. Les bnfices sont de lordre de 11 960 francs en 1809, soit un solde
positif de 49% par rapport aux dpenses 1577 . Pour lanne 1810 ils se montent 32
1571

Bonpland Josphine, Malmaison, 24 avril 1809, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., pp. 25-26.
1572
Contrairement ce quaffirment JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 30.
1573
AN, AB192127, Budget des Dpenses Ordinaires du Domaine de Malmaison pour Lan 1810,
prsent par LIntendant du domaine.
1574
CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 61.
1575
AN, AB192127, Note sur les mrinos, Malmaison, 26 janvier 1809 ; AN, AB192127,
Consommation des Chevaux, Vaches et Mrinos du domaine de Malmaison, 1809.
1576
Bonpland Josphine, Malmaison, 24 avril 1809, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., pp. 25-26 ; AN, AB192127, Consommation du nouveau troupeau pendant les six premiers
mois de 1809, Malmaison.
1577
Le nouveau troupeau venu dEspagne en 1809 consomme moins de trois francs par mois, 16
francs pour six mois. Les 569 brebis pendant les 6 premiers mois de 1809 cotent au total 7 576
francs, soit 13 francs par tte. En 1809 le cot en nourriture slve finalement 26 francs par tte ;
AN, AB192127, Consommation du nouveau troupeau pendant les six premiers mois de 1809,
Malmaison ; AN, AB192127, Consommation des 569 brebis pendant les six premiers mois de
1809, Malmaison ; AN, AB192127, Consommation des Chevaux, Vaches et Mrinos du domaine
de Malmaison, 1809.
402

Deuxime partie

Chapitre IV

872 francs, le solde atteignant 230%. Le rsultat de la tonte dune des meilleures
laines produites en France reprsente une part importante des bnfices, soit
23 940 francs pour les annes 1809 et 1810 avec une hausse du produit de prs de
50% entre les deux annes 1578 . Montalivet, le nouveau ministre de lIntrieur
nomm en octobre 1809, se montre lui favorable un dveloppement des
bergeries du type de celle de Malmaison qui permettent de conserver le type
primordial 1579 des mrinos venus dEspagne et de le propager dans le pays. La
convergence des objectifs plaide donc en faveur du dveloppement de la bergerie
de Malmaison.
Afin de rpondre ces objectifs ainsi quau manque de place, Bonpland
prconise la vente du surplus dautres tablissements. Elles savrent faibles en
1809 et 1810 tandis que le troupeau ne cesse de crotre. Cela sexplique par un
manque de notorit ; les ventes
ont t deprecies precedemment ; elles sont loin davoir acquis
lheureuse celebrit de celles de Rambouillet

1580

A cette poque, Tessier et Montalivet expliquent que les acheteurs se fient au prix
de vente pour juger de la qualit des btes 1581 . Aussi la renomme dun cheptel
sacquiert-elle grce, notamment, une politique de vente au prix fort.
La rputation du cheptel devenant excellente, la vente de laine rapporte
15 936 francs en 1810, celle des btes se montant 27 680 francs 1582 . Lactivit de
la bergerie est appuye par le dcret imprial du 8 mars 1811. Il ordonne la
cration de soixante dpts de bliers mrinos en France dans le but damliorer le
cheptel et de porter un coup dcisif lindustrie textile anglaise 1583 fait esprer un
regain dactivit de la bergerie :

1578

5 579 kilos sont vendus ; AN, AB192127, Bonpland L. Pierlot, Malmaison, 26 juillet 1810.
MONTALIVET Jean-Pierre BACHASSON de, Nouveau rapport sur lamlioration des btes

laine
en
France
[en
ligne],
Paris,
23
mars
1811.
URL :
http://www.napoleonica.org/gerando/GER02514.html. Ce rapport rdig en 1811 prconise une
politique dj mise en uvre Malmaison dans tous ses aspects. Nous ne connaissons pas la nature
exacte des rapports entre Montalivet et lintendant de Malmaison, ni si celui-ci a pu influencer le
ministre de lIntrieur. Nanmoins, la convergence de vues plaide en faveur du travail effectu par
Bonpland entre 1809 et 1811.
1580
Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, s.l., 14 mai 1809.
1581
la majorit des fermiers et des cultivateurs sont remplis de prjugs ; [] en apprenant que
les btes appartenant au Gouvernement se vendent trs-bas prix, ils craindront de faire en les
achetant une mauvaise opration, parce quon est dispos juger de la valeur des choses par le prix
quy met le vendeur , MONTALIVET Jean-Pierre de, op. cit.
1582
AN, AB192127, Produit de Malmaison en 1810.
1583
TEYSSIER Eric, op. cit., pp. 38-39.
1579

403

Deuxime partie

Chapitre IV

je suis assur grce au prsent que daigne me faire S.M. limpratrice de


lui devoir dans quelques temps une grande amlioration dans mon
troupeau et japporterai tous mes soins multiplier cette race si
prcieuse

1584

crit un leveur Bonpland.


En 1811 la crise conomique fait baisser les prix 1585 mais la vente des
mrinos rapporte nanmoins 19 860 francs 1586 . En juin 1812 le troupeau est son
apoge avec 2 167 ttes 1587 . Par souci dconomie, Bonpland fait installer des
prairies artificielles afin de fournir le fourrage 1588 . Cependant lintendant gnral
de Josphine dcide de changer de politique, prconisant de mettre en cheptel1589
les btes au lieu de les vendre. Pourtant, le systme de la vente est fermement
dfendu par Montalivet 1590 , le suprieur de Montlivault. Bonpland explique que
pour imposer ce choix
[o]n rpandit que le troupeau de Sa Majest lui coutait des sommes
normes, et ce bruit bien accrdit succda la proposition de mettre le
troupeau en cheptel : je combattis cette opinion de toutes mes forces []
il est incontestable que le troupeau de Malmaison loin de nuire aux
intrets de lImpratrice, leur a t utile

1591

Mais au mois de juillet 1812, Josphine ne veut conserver que 100 brebis et
quelques bliers 1592 . Les sources ne permettent pas daffirmer que Josphine se
soit lasse dune activit strictement conomique ou quelle ait t influence par
Montlivault. De plus, les chiffres fournis par Bonpland ainsi que le contexte trs
favorable la poursuite de lactivit invalident le prtexte conomique.
Pourtant la mise en cheptel est dcide par Montlivault, ce qui contribue
la dgradation des relations entre les deux intendants si ce nen est pas dj une
consquence. En 1812, la vente des btes restantes rapporte seulement 2 606
1584

Muse de Malmaison, DEsteros Bonpland, Paris, 9 juillet 1811.


TEYSSIER Eric, op. cit., pp. 33-35.
1586
AN, AB192127, Vente de mrinos Rambouillet, 26-27 juin 1811.
1587
AN, AB192127, Etat du troupeau de Malmaison pendant les exercices 1809-1812.
1588
Ibid.
1589
Cest--dire payer un tiers pour quil soccupe des btes en reversant une part des bnfices.
1590
La mise en cheptel ne procure quasiment aucun bnfice pour Bonpland comme pour
Montalivet : Le mode de cheptel prsente tous les inconvniens de la vente, plus ceux dune
administration difficile surveiller, et dans laquelle le Gouvernement, quelque prcaution quil
prenne, finira toujours par tre dupe. Les particuliers qui surveillent eux-mmes leurs intrts sans
agens intermdiaires, ont beaucoup de peine trouver des chepteliers fidles , MONTALIVET
Jean-Pierre de, op. cit.
1591
AN, AB192127, Etat du troupeau de Malmaison pendant les exercices 1809-1812.
1592
AN, AB192127, C. de Montlivault Bonpland, s.l., 1er juillet 1812.
1585

404

Deuxime partie

Chapitre IV

francs soit un solde positif de 22% alors que celle se droulant Rambouillet
rapporte la somme leve de 31 938 francs 1593 . La demande est donc toujours
forte, les acheteurs paraissant se replier sur Rambouillet dfaut dune offre
suffisante de la part de Malmaison. Mais lanne suivante, Malmaison perd son
statut de laboratoire dlite puisquil ne figure plus parmi les tablissements cits
comme des modles dlevage ovin. Pourtant, lintendant fait preuve dune
exprience solide et dun rseau qui lest tout autant 1594 . Finalement, il ne reste
que 296 ttes en 1814. Comme dans les autres domaines de la science thorique et
applique, le laboratoire ne parvient pas occuper une place prpondrante. Cette
absence dancrage nest pas imputer seulement au dcs de Josphine, cette
hypothse tant souvent avance par les spcialistes de Bonpland et de
Malmaison. Les orientations scientifiques dcides et abandonnes par Josphine
et sa Maison, les relations entre Bonpland et ses suprieurs ainsi que le travail
men et les projets voulus par Bonpland sont des lments dexplication crdibles
cette absence dancrage.

3. Un laboratoire de botanique exceptionnel mais dpourvu de


direction scientifique
Malmaison-Navarre

dveloppe

un

projet

botanique

fond

sur

lornementation et lutilitarisme. Ces deux orientations gnrales impliquent la


prsence dun jardin somptueux, dacclimatation et scientifique. Un tel projet,
susceptible de contenir un nombre de vgtaux dmesur, ncessite soit une
restriction de ses buts grce la dfinition dune politique scientifique centre sur
des objets de recherche dlimits, soit un dveloppement matriel et humain
capable dabsorber ses ambitions. Or, lacquisition des ressources ncessaires na
pas lieu tandis que les ambitions demeurent les mmes sous lintendance de
Bonpland. Dune part, le programme utilitariste voulu par Josphine se poursuit
avec Bonpland sans quune direction scientifique ne lui soit inculque,

1593

AN, AB192127, Vente de mrinos Rambouillet, 16-17 juin 1812.


AN, AB192127, Rapport de linspection du troupeau de M. de Vitrolles, Paris, 2 juillet 1813 ;
Bonpland O. Gallocheau, Malmaison, 24 juillet 1813, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 56.

1594

405

Deuxime partie

Chapitre IV

Malmaison-Navarre faisant fonction de donateur prodigue. Dautre part, les


moyens exceptionnels dont dispose Malmaison puis Navarre ne sont pas utiliss
dune manire que lon pourrait qualifier de raisonne , cest--dire afin den
tirer profit scientifiquement ou conomiquement.

Un programme utilitariste ambitieux


Le projet botanique dvelopp par Josphine ambitionne de placer
Malmaison au centre dun rseau dacclimatation recouvrant lensemble du
territoire national. Ce projet ancien, dplac vers un laboratoire nouveau, profite
de la rcente expansion commerciale des ppinires ainsi que des progrs des
techniques horticoles permettant une distribution des espces plus rapide un
public plus large 1595 . Malmaison participe ce mouvement de par son rle de
ppinire, de rpartiteur et dintermdiaire. La stratgie mise en place est autant
utilitariste quelle aspire une visualisation et une personnification de celui-ci.
Lutilitarisme naturaliste est formalis et dvelopp aprs 1789. Il trouve
ses sources notamment dans les Vues sur lenseignement public de Lacepde
publies en 1790. Lauteur y prne pour chaque chef-lieu de dpartement la
cration dun jardin avec un cabinet dhistoire naturelle et un enseignement
comprenant lobservation in vivo permettant de forger des citoyens productifs.
Selon lui ltude de lhistoire naturelle doit tre le fondement de la rforme
intellectuelle impulse en 1789 1596 . Pour sa part, le rglement du nouveau
Musum insiste sur la culture des plantes utiles pour
quelles fournissent des graines dans une proportion assez considrable
pour

tre

Rpublique

rpandues
1597

dans

les

diffrents

dpartements

de

la

Ainsi le centre agronomique national et ses priphries sont-ils esquisss. Ce


projet connat une avance significative grce la cration dune chaire de culture
confie Thouin.
1595

Cf. HOBHOUSE Pnlope, op. cit., p. 224.


Cf. HAHN Roger, Du Jardin du roi au Musum : les carrires de Fourcroy et de Lacpde ,
in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER Jean-Louis (coord.), op.
cit., p. 34.
1597
Cit par GAYON Jean, op. cit., in ibid., p. 375.
1596

406

Deuxime partie

Chapitre IV

A Malmaison, la cration du jardin se fait par lintermdiaire dun


ppiniriste priv 1598 . Mais rapidement le jardin quitte la sphre prive pour
empiter sur le domaine public car partir du Consulat, Josphine dveloppe son
propre programme botanique. Au dpart conu pour Malmaison, le projet
samplifie mesure que saffirme le pouvoir de son mari. Le contexte de
reconstruction et de redfinition des sciences naturelles y ajoute du crdit et de
lambition. En 1801, soit deux ans aprs lacquisition de son domaine, Josphine
souhaite naturaliser en France plusieurs arbres utiles 1599 . Deux ans plus tard, le
projet samplifie puisque selon Mirbel elle veut encourager en France la
botanique et lagriculture 1600 .
Selon Francastel, les projets de Josphine saccordent parfaitement avec
lintrt public, et avec toutes les amliorations industrielles et agricoles dont la
France est encore susceptible. 1601 Les ambitions de Josphine saccroissent avec
la proclamation de lEmpire car elle dveloppe le projet quelle a conu de
naturaliser en France une multitude de vgtaux exotiques 1602 . Francastel pouse
volontiers ses vues :
Vous voulez faire crotre des vignes, des bois, [] des arbres fruitiers,
des ppinires, l o on ne voyait que de vastes champs incultes
[].Notre siecle est un peu celui des prodiges ; il faut que lagriculture
ait aussi les siens.

1603

Lapoge du programme botanique ralis Malmaison concide avec


lapoge du rle politique jou par le chteau au cours du Consulat. En effet,
Malmaison tient lieu de rsidence pour Napolon Bonaparte en alternance avec le
palais des Tuileries. Aussi Josphine souhaite-elle en faire le centre partir duquel
irradier la nation de bienfaits agricoles. En 1803, Josphine fait mettre une partie
des terres de Malmaison en ppinire 1604 . En mars 1804, la veille de la
proclamation de lempire, Josphine prsente un projet dmesur :
1598

Le jardin possd par Jacques Philippe Martin Cels renferme la ppinire o lon sest fourni
pour fonder celui de Malmaison crit Ventenat, cit in DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 57.
1599
Josphine L.-G. Otto, s.l., 8 juin 1801, cit in CHEVALLIER Bernard, CATINAT Maurice,
PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit., p. 109.
1600
AN, AB192127, C.-F. Brisseau de Mirbel N. Jacquin, Malmaison, 9 fructidor an XI.
1601
Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, s. l., s. d.
1602
C.-F. Brisseau de Mirbel Dubouchage, Malmaison, 10 octobre 1804, cit in JOUANIN
Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., p. 50.
1603
Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, s. l., 19 vendmiaire an XII.
1604
Josphine Cazeaux, Paris, 23 novembre 1803, cit in CHEVALLIER Bernard, CATINAT
Maurice, PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit., pp. 137-138.
407

Deuxime partie

Chapitre IV

Je dsire que la Malmaison offre bientt un modle de bonne culture et


quelle devienne une source de richesse pour les dpartements. [] Je
veux que dans dix ans chaque dpartement possde une collection de
plantes prcieuses sorties de mes ppinires.

1605

Ceci nest pas sans rappeler le projet du Musum. Malmaison ambitionne


assez clairement de sy joindre. Mais les travaux du parc commencs par Fontaine
et Percier, poursuivis par Jean-Marie Morel, auteur de Lart des jardins de la
nature 1606 , ne sont termins quen 1808 par Louis Martin Berthault 1607 la veille
de la rpudiation de limpratrice. Avec Berthault la manie des fabriques est
remplace par la passion pour la botanique, particulirement pour les arbres
exotiques disposs en petits groupes 1608 comme cela se fait au Musum o les
arbres exotiques sont groups par masses pittoresques 1609 .
Le programme annonc en 1804 doit aussi permettre en priphrie la
cration de ppinires, une nouvelle source de prosprit pour la France 1610
selon limpratrice. Mais le rseau est crer, les tablissements botaniques ne
bnficiant pas du soutien du gouvernement. Mirbel le regrette1611 et fort de son
poste Malmaison met en uvre ce programme en sollicitant les dpartements
mridionaux. Il sadresse Nice pour savoir sil existe un jardin botanique et
demande des envois en expliquant que Josphine souhaite rassembler
Malmaison puis rpandre les vgtaux exotiques en France 1612 . Il envoie au prfet
des Alpes-Maritimes plusieurs plantes de Nouvelle-Hollande, des eucalyptus ainsi
quune espce de lin donnant une filasse bien suprieure celle du

1605

Josphine A.-C. Thibaudeau, Malmaison, 19 mars 1804, cit in ibid., p. 141.


MOREL Jean-Marie, Thorie des jardins ou lArt des jardins de la nature, Paris, Vve
Panckoucke, an XI-1802, 2 vol.
1607
Cit in SCHOMMER Pierre, op. cit., p. 109.
1608
Cf. TEYSSOT Georges, Un art si bien dissimul. Le jardin clectique et limitation de la
nature , in MOSSER Monique, TEYSSOT Georges (dir.), Histoire des jardins de la Renaissance
nos jours, Paris, Flammarion, 1991, pp. 362-363.
1609
DELEUZE Joseph-Philippe-Franois, op. cit., p. 215.
1610
Josphine Cazeaux, Paris, 23 novembre 1803, cit in CHEVALLIER Bernard, CATINAT
Maurice, PINCEMAILLE Christophe (comp.), op. cit., p. 138.
1611
trop souvent abus par les spculations de la science, [le gouvernement] est maintenant peu
dispos soutenir des tablissements quil regarde comme inutiles. Il faut que des efforts bien
dirigs le fassent revenir de ses prventions. Ce quil ferait peut-tre aujourdhui par complaisance,
il le fera alors par devoir. [Mme Bonaparte] veut que cette science contribue la prosprit
publique, bien assure que, lorsque des faits dmontreront son utilit, le gouvernement ne lui
refusera plus les encouragements ncessaires. , C.-F. Brisseau de Mirbel A. C. Thibaudeau, cit
in THIBAUDEAU Antoine Claire, Mmoires. 1799-1815, Paris, Plon, 1913 (1827), p. 147.
1612
Cf. MAUGUIN Georges, Une impratrice botaniste , in Revue des tudes napoloniennes,
n 37, juillet-dcembre 1933, pp. 238-245.
1606

408

Deuxime partie

Chapitre IV

chanvre 1613 . Aprs lui, Bonpland poursuit dans la volont dune mise en valeur
conomique des territoires mridionaux. Aprs le divorce de Josphine, la
fonction de donateur endosse par le jardin de Malmaison se poursuit un rythme
soutenu, les envois de plantes tant quotidiens selon Frdric Masson 1614 . Cette
analyse est peut-tre exagre mais Pierre-Joseph Redout 1615 , le peintre floral de
Josphine, tmoigne un an avant la mort de Josphine de sa grande prodigalit 1616 .
Si en 1809 Francastel incite limpratrice poursuivre dans la voie de
lutilitarisme 1617 , la distribution tmoigne dune activit botanique toujours forte
sans

quaucun

projet

scientifique

prcis

nen

profite

pourtant.

Cest

vraisemblablement en dplorant cette situation quen 1812 Bonpland songe


refonder un projet scientifique Navarre.

Des outils et des moyens de recherche colossaux


Navarre acquiert rapidement une place de premier plan au ct de
Malmaison dans le domaine de la botanique car Bonpland, profitant des 600 000
francs avancs pour restaurer le domaine, y fait installer les outils ncessaires
son dveloppement. Parmi ceux-ci, les serres sont linstrument indispensable pour
mener bien le travail dacclimatation. Renzo Dubbini place lorigine des grandes
serres du XIXe sicle dans les voyages de Bougainville, de Cook, de Bonpland et
de Humboldt, cest--dire dans la curiosit scientifique occidentale vis--vis dune
nature encore peu connue, ainsi que dans lide de crer un nouveau type de

1613

Cf. JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit., pp. 49-51.


MASSON Frdric, Josphine rpudie (1809-1814), Paris, P. Ollendorff, 1900, pp. 269-270.
1615
Pierre-Joseph Redout (1759-1840) se rend Paris en 1782 o ses peintures sont remarques
par le milieu naturaliste En 1788 il entre au service du roi afin de complter une collection de
peintures dhistoire naturelle puis devient dessinateur du Cabinet de la reine. Poursuivant son
ascension aprs 1789, Josphine de Beauharnais lui passe commande pour le jardin de Malmaison
en 1803 avant de le nommer Peintre de fleurs de limpratrice deux ans plus tard. Sous la
Restauration, il obtient le poste de dessinateur en botanique pour le Musum.
1616
Pierre-Joseph Redout crit quelle enrichit elle-mme les autres tablissements avec une
libralit remarquable ; REDOUTE Pierre-Joseph, op. cit., tome 7, p. 31.
1617
Limpratrice na-t-elle pas eminemment le got des choses utiles ? na-t-elle pas voulu
runir auprs delle une Berg. Esp., une vacherie Suisse, et la plus belle serre qui ait exist ?
[Ddaignons-nous] dailleurs la Cour de Charlemagne, les simples dtails du potager, de la bassecour ? Non que jaille jusqu dire que ce qui est utile est au dessus de ce qui est grand ; finalement
mon [vu] particulier, celui de tous les fidels et loyaux sujets de V.M. sera toujours que, pour sa
gloire et pour notre bonheur, elle veuille bien continuer de ne voir rien de plus agreable que
lutile. ; Muse de Malmaison, A. Francastel Josphine, s. l., 14 mai 1809.
1614

409

Deuxime partie

Chapitre IV

collection naturelle 1618 . Parmi les voyageurs cits, seul Bonpland cumule les
expriences du grand voyageur et du crateur de jardin. A ce titre, il peut tre
considr comme un modle de cette relation entre la curiosit scientifique et sa
mise en collection lintrieur despaces cumulant la fonction ostentatoire et
laborantine 1619 .
En ce qui concerne Malmaison, limpulsion doit tre attribue dabord
Thouin qui fournit le premier Josphine en plantes issues du Musum. Un an aprs
lachat de Malmaison une orangerie est construite afin daccueillir les dons en
provenance de linstitution scientifique. En 1802 Josphine est dj une amatrice
claire de botanique 1620 et lorangerie, juge trop exige, est remplace par la
grande serre chaude difie en 1803 et 1804 sous lintendance de Mirbel, pour un
cot dpassant les 200 000 francs. Plus moderne que celle du Musum, elle est
considre comme une des sept merveilles de Paris 1621 . Mirbel, qui se
consacre essentiellement la botanique, permet au jardin de Malmaison de
prendre une importance considrable 1622 . La serre remplit Malmaison la triple
fonction de cabinet de curiosits, de salon dagrment et dtablissement
scientifique 1623 . Il nexiste pas de coupure entre les proccupations scientifiques et
celles du loisir ; chaque extrmit de la grande serre des statues dimitation
grecque sont installes et en arrire une srie de salons est conue pour profiter de
la vue sur les plantes 1624 . Lentretien de la grande serre cote lui seul 6 000
francs 1625 .

1618

Cf. DUBBINI Renzo, Geography of the Gaze. Urban and rural vision in early modern Europe,
Chicago, The University of Chicago Press, 2002, pp. 148-165.
1619
Les travaux rcents dYves-Marie Allain ce sujet ouvrent des pistes de recherche
nombreuses ; cf. ALLAIN Yves-Marie, De lorangerie au palais de cristal. Une histoire des
serres, Versailles, Quae, 2010.
1620
CHEVALLIER Bernard, PINCEMAILLE Christophe, Limpratrice Josphine, Paris, Payot,
2002 (1988), pp. 281-286. Aussi, le jardinier Flix Delahaye ne peut tre considr comme
linitiateur de lacclimatation et de la culture des espces rares, Bonpland tant regard comme la
personne ayant inculqu limpratrice le got pour la botanique et ayant peupl les serres ; cf.
DELMOTTE Pascale, op. cit., pp. 50-51.
1621
MASSON Frdric, Manuscrit indit sur Malmaison, janvier 1944, p. 13 ; DELMOTTE
Pascale, op. cit., p. 53.
1622
LE TEXNIER, op. cit., p. 138.
1623
DELMOTTE Pascale, op. cit., p. 52. Malmaison est la fois un lieu de la vie sociale, de culture
et de protection pour les plantes rares, exotiques et fragiles ; cf. ALLAIN Yves-Marie, op. cit., p.
12.
1624
Ibid., p. 53 ; CHEVALLIER Bernard, PINCEMAILLE Christophe, op. cit., p. 286.
1625
AN, AB192127, Budget des Dpenses Ordinaires du Domaine de Malmaison pour Lan 1810,
prsent par LIntendant du domaine.
410

Deuxime partie

Chapitre IV

Avec lacquisition de Navarre en 1810, Bonpland dispose de tout pouvoir


pour raliser un projet ex nihilo, la somme alloue la remise en tat de ce
domaine permettant den faire un autre laboratoire denvergure. Or, il choisit dy
faire btir deux serres tempres et une serre chaude. Il en revendique une partie
de la paternit car, crit-il en 1814, elles doivent leur existence au
got de Sa Majest pour les plantes et peut tre aussi le mien

1626

En plus des serres destines lornement, Bonpland fait installer une ppinire
quil estime trs riche en avril 1811 et quil juge indispensable pour
dvelopper le domaine en septembre de cette anne :
Cest surtout dans la vue de faire des plantations Navarre que S. M. a
fait lacquisition de la ppinire de M. Amelot et on verra avec le tems
lavantage immense que S.M. tirera de cette acquisition.

1627

Le projet de Navarre sinscrit pour Bonpland dans la dure. Il est mettre


en relation avec la demande effectue lanne suivante par lintendant de
transformer le domaine en une cole de culture des plantes europennes. Jusquen
1814, il y dveloppe aussi la culture de plantes rares. Les bruyres constituent la
partie la plus notable de ce type de collections conues par Bonpland. Elles sont
adaptes au climat de la Haute-Normandie et sinspirent de celles prsentes dans
les grands jardins anglais.
Les moyens humains constituent lautre aspect fondamental permettant le
fonctionnement du laboratoire. A ce sujet, peu dlments permettent de connatre
prcisment la nature et les fonctions du personnel Malmaison-Navarre. Nous
savons que Josphine engage lAnglais Alexandre Howatson en 1801 en tant que
jardinier en chef 1628 . Il engage des dpenses somptuaires 1629 et se voit congdi
par Mirbel qui le remplace par Flix Delahaye en 1805 1630 . Celui-ci demeure en
poste jusquen 1814 malgr sa msentente avec Bonpland. Outre les soupons de
dtournement de biens profrs par Bonpland son gard, dautres problmes en
relation avec les attributions, le pouvoir rel et les ralisations de Delahaye comme
1626

Bonpland A. Raffeneau-Delile, Malmaison, 7 mars 1814, cit in HAMY Thodore Jules


Ernest, op. cit., p. 62.
1627
AN, AB192127, Bonpland C. de Montlivault, Malmaison, 20 septembre 1811.
1628
CHEVALLIER Bernard, op. cit., pp. 50-51.
1629
250 000 francs sont dpenss pour les plantations en 1802 ; cf. DELMOTTE Pascale, op. cit.,
p. 50.
1630
Felix Delahaye dispose dune solide exprience ; remarqu par Thouin il est nomm chef de
lcole de botanique, puis dsign jardinier en chef de lexpdition dEntrecasteaux la recherche
de Laprouse. A son retour, il est nomm en 1798 jardinier en chef Trianon puis en 1805
Malmaison ; LE TEXNIER, op. cit., pp. 137-138.
411

Deuxime partie

Chapitre IV

de lensemble des jardiniers demandent encore tre tudis 1631 . Quant au reste
du personnel, nous savons quil reprsente le tiers des dpenses prvues pour
1810 1632 sans en connatre le dtail.
Il semble donc qu Navarre moins qu Malmaison encore Bonpland ait
voulu tirer parti de son exprience amricaine. Mais en prenant en compte
linnovation, lambition de crer un laboratoire et dy fonder une tradition
scientifique, le projet de Bonpland conu en France correspond celui quil mne
au Ro de la Plata. Laspect pr-amricaniste de ce laboratoire rsulte non pas dans
le got pour lexotisme ou le tropicalisme mais dans linnovation et le transfert des
connaissances, des mthodes et des centres scientifiques. La collecte et
lutilisation scientifique des ressources naturelles existantes, grce la cration
dun laboratoire globalisant en France, se retrouve ensuite Buenos Aires et
Corrientes sous une forme gocentre, cest--dire consacre en priorit aux
ressources rioplatenses.

Des rsultats sans lendemain


Il existe pourtant un foss entre les outils disposition et les rsultats,
dabord scientifiques. Il manque alors Malmaison-Navarre un rattachement
institutionnel ou, au moins, sa dfinition en tant que centre de culture scientifique.
En effet, la gestion dun jardin qui a un objectif similaire aux plus grands jardins
dEurope, particulirement celui du Musum, est impossible assumer sans les
moyens dun tablissement public rglement. Labsence de rglement spcifique
Malmaison-Navarre empche den clarifier les objectifs scientifiques et de les
inscrire au sein du programme national. Navarre est symbolique de cette lacune.
En 1814, Bonpland est parvenu en faire un jardin exceptionnel, le plus riche en
France avec Malmaison :
Aprs le jardin des Plantes de Malmaison, Navarre est assurment le lieu
qui renferme le plus de plantes rares

1631

1633

A Malmaison-Navarre comme partout ailleurs quelques noms mergent, mais il en est des
milliers dont le travail demeure tudier ; cf. ALLAIN Yves-Marie, op. cit., pp. 19-31.
1632
AN, AB192127, Budget des Dpenses Ordinaires du Domaine de Malmaison pour Lan 1810,
prsent par LIntendant du domaine.
412

Deuxime partie

Chapitre IV

Parmi les plantes rares, les bruyres constituent le fleuron de Navarre, leur
culture suscitant une mulation entre les jardins europens. Bonpland se lance
avec succs dans cette comptition, plaant la France derrire lAngleterre et la
Hollande avec quatre collections dont la plus importante est celle de MalmaisonNavarre 1634 . Or il sagit avant tout dune mode, mais dun point de vue
scientifique Malmaison-Navarre semble marginalis. Bonpland ne prsente pas le
rsultat de ses recherches devant lInstitut, et deux ouvrages seulement sont issus
de onze annes de recherches menes par les botanistes de limpratrice 1635 . De
plus, la reconnaissance des travaux effectus Malmaison-Navarre se limite au
milieu des socits savantes locales qui ne disposent apparemment pas dun poids
significatif avant les annes 1820 1636 .
Le terme de jardin des Plantes de Malmaison employ par Bonpland
en 1814 fait rfrence celui du Musum. Il nest pas incongru dinterprter
lusage de ce terme comme un signe de limportance acquise par ce jardin et
comme un dsir de reconnaissance. En 1813, un rapport prsent lInstitut
indique que la fonction de laboratoire de Malmaison-Navarre nest pas reconnue
par linstitution, ce qui implique quil na pas su acqurir une place parmi llite
savante franaise ni parvenir aux objectifs fixs par Josphine 1637 . Il indique
pourtant quil existe un terrain favorable ltablissement dun jardin
1633

Bonpland A. R. Delile, Malmaison, 7 mars 1814, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 62. Le beau et le rare sont les notes dominantes des jardins de limpratrice.
1634
LETOUZEY Yvonne, op. cit., p. 536. Bonpland crit : La plus belle et la plus riche
collection de ce genre que je connoisse en France, est Navarre ; elle se compose de cent trentedeux espces dtermines , cit in JOUANIN Christian, BENOIT Jrmie, op. cit.
1635
VENTENAT Etienne-Pierre, Jardin de la Malmaison, Paris, Crapelet, 1803, 2 vol. ;
BONPLAND Aim, Description des plantes rares cultives Malmaison et Navarre, Paris, P.
Didot lan, 1813. Deux autres ouvrages sont financs par limpratrice : CANDOLLE Auguste
Pyrame de, ROCHE Franois de la, RAFFENEAU-DELILE Alyre, Les Liliaces, Paris, lauteur,
1802-1816, 8 tomes ; THORY Claude-Antoine, Les Roses, Paris, Firmin-Didot, 1817-1824, 3
tomes.
1636
En ce qui concerne les musums au moins, laccroissement de leur nombre ne dbutant qu
partir de cette priode ; VAN-PRAT Michel, Cultures scientifiques et Muses dhistoire
naturelle en France , in Herms, n 20, 1996, pp. 146-147. Pierre-Aim Lair qui vante le rsultat
de Malmaison est membre de la socit dagriculture de Caen ; cf. Magasin encyclopdique, ou
journal des Sciences, des Lettres et des Arts, tome 2, mars 1815, p. 121. Dumont de Courset est
correspondant de lAcadmie des sciences mais davantage impliqu localement.
1637
Le compte-rendu explique que M. de Lasteyrie propose la cration dun jardin de plantes
dusage dans les diverses classes dconomie pour distribuer les graines de celles qui sont rares
ou utiles. Or, Thouin la fait au Musum mais trop en petit, relativement ltendue de la France.
Malgr son exiguit on en retire des avantages qui appuient la proposition de M. de Lasteyrie ,
cit in Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 5, 1er
fvrier 1813, p. 154. En 1806, Charles de Lasteyrie (1759-1849) avait postul sans succs dans la
section dconomie rurale de lInstitut, Bosc tant alors lu. Il demeure ensuite en marge des
institutions savantes.
413

Deuxime partie

Chapitre IV

dapplication comme le suggre dj Bonpland Thouin en 1812, sans rsultat.


Mais le laboratoire de Malmaison ne bnficie ni de la notorit du Musum, ni de
son assise institutionnelle. En 1812, Bosc dAntic apparat comme directeur de la
ppinire impriale de Versailles dont le but est denrichir la province en plantes,
Malmaison et Navarre demeurant en marge de ce rseau. En 1815, Franois-Louis
Legrand de Boislandry propose de nouveau ltablissement de grandes fermes
exprimentales auprs des chteaux de Saint-Cloud, Versailles, Rambouillet,
Compigne et Fontainebleau pour rassembler les cultures existantes et nouvelles
en France dans des jardins dessai 1638 . Malmaison ne figure pas, une fois de plus,
parmi les jardins proposs pour impulser lagriculture franaise.
Pourtant,

ds

1811

Malmaison-Navarre

est

signal

comme

un

tablissement pionnier dans le domaine de la commercialisation des plantes. Les


comptes de Bonpland indiquent quentre fvrier et septembre 1811, la nouvelle
ppinire a produit un bnfice de prs de 8 000 francs 1639 . Dumont de Courset
plaide pour que le gouvernement multiplie les tablissements similaires1640
linstar de ce qui est dcid la mme anne par Napolon pour llevage ovin.
Mais lauteur oublie que Malmaison-Navarre ne commercialise pas le produit de
ses jardins et quil se fournit auprs de nombreux ppiniristes privs 1641 . Or,
lextension dun rseau public de jardins horticoles savrerait-elle viable alors
quil existe dj des ppiniristes particuliers aux cts des ppinires impriales ?
Loffre de Malmaison correspond-elle une relle demande commerciale ? Ce
projet, pas plus que les prcdents, ne voit le jour.

CONCLUSION
Aim Bonpland tente de tirer profit de son exprience amricaine dans un
contexte scientifique domin par le Musum national dHistoire naturelle et par
lInstitut. La porte du voyage peut tre mesure laune de celui dEgypte. Ces
1638

LEGRAND DE BOISLANDRY Franois-Louis, Examen des principes les plus favorables aux
progrs de lagriculture, des manufactures et du commerce, Paris, Renouard, 1815, tome 1, p. 175.
1639
AN, AB192127, Bonpland C. de Montlivault, Malmaison, 20 septembre 1811. Largument
est utilis afin dobtenir un fonds exceptionnel pour lentretenir.
1640
DUMONT DE COURSET Georges Louis Marie, op. cit., tome 1, pp. 130-131.
1641
Vilmorin, Godefroy, Andr Dupont, Guerrapain, Noisette et Margat ; DELMOTTE Pascale,
op. cit., p.57 ; CHEVALLIER Bernard, op. cit., p. 52.
414

Deuxime partie

Chapitre IV

deux expditions, dj mises en parallle par Jean-Marc Drouin 1642 , ont aussi en
commun leurs publications monumentales permettant den mesurer et den valider
la porte scientifique a posteriori. En faisant appel aux plus grands scientifiques
europens afin de rdiger son Voyage aux rgions quinoxiales, Humboldt lui
confre une validit scientifique incontournable. Or, les institutions dominantes
privilgient la connaissance et la comprhension de la totalit des phnomnes
naturels, ce qui permet au projet scientifique encyclopdique de Humboldt dtre
reu favorablement tandis que Bonpland, davantage spcialis, parvient
difficilement tirer parti de sa discipline scientifique et de ses inclinaisons ce
contexte scientifique. En effet, lespace scientifique pris par Humboldt dans cette
publication semble empcher son compagnon de voyage den tirer tout le profit
escompt.
Dot dun vritable got pour lAmrique, faisant de lui un amricaniste au
sens initial donn ce mot, le Rochelais esquisse dans un premier temps un projet
amricaniste au sens scientifique du terme, au moment o Josphine de
Beauharnais dveloppe un got similaire. Le projet initial de Bonpland sadapte
loffre scientifique en se portant vers le voyage dabord via sa demande de poste
auprs du Musum puis vers lexotisme travers ses communications et ses
publications. Ne tirant pas profit de ces options, il choisit daller vers un
laboratoire innovant qui peut tre considr comme lquivalent priv du Musum
national. Or, labsence de publicit des travaux ultrieurs de Bonpland ainsi que la
sociabilit cultive mais non savante fonde sur des liens privs entre MalmaisonNavarre et les autres centres scientifiques ne permettent pas lmergence de
lespace scientifique souhait par Bonpland. Llite savante marginalise les
initiatives prives considres comme provenant damateurs clairs rapidement
assimils des ignorants 1643 .
Des recherches demandent encore tre effectues, principalement
concernant les rseaux scientifiques entretenus par Bonpland ; mais il semble quil
veut, comme Mirbel avant lui, saccaparer une structure prive afin dy dvelopper
ses projets. A la diffrence de son prdcesseur cependant, Bonpland tente de
1642

DROUIN Jean-Marc, Analogies et contrastes entre lexpdition dEgypte et le voyage


dHumboldt et Bonpland , in Histria, Cincias, Sade, vol. VIII (supplment), 2001, pp. 839861.
1643
Cf. RASSE Paul, La mdiation scientifique et technique, entre vulgarisation et espace
public , in Quaderni, n 46, 2002, pp. 73-94.
415

Deuxime partie

Chapitre IV

confrer Malmaison-Navarre un statut public capable de prenniser son travail et


de linscrire dans une logique scientifique institutionnelle. Cette volont se
manifeste au moment o Malmaison perd son influence politique et alors que des
conomies sont demandes au nouvel intendant. Face ces contraintes qui mettent
en exergue le problme de lidentit et du devenir scientifique de MalmaisonNavarre, lorientation vers un laboratoire cumulant lacclimatation, la recherche et
lenseignement apparat comme une solution viable.
La proposition de fonder Navarre une cole rassemblant les plantes
cultives en Europe est dautant plus significative quil sagit de crer, encore une
fois,

un

lieu

de

culture

scientifique

gocentr.

Dans

le

contexte

postrvolutionnaire de redfinition des fonctions et des statuts des centres de


culture scientifique, lmergence dune science ou de centres de culture
scientifiques gocentrs figurent parmi les hypothses mises. Le matriel
amricain demeure donc marginalis, mais les structures scientifiques labores
Malmaison-Navarre savrent adaptables en Amrique. Le transfert dun savoir,
son adaptation ex nihilo annonce le pr-amricanisme dans la mesure o les
centres fonds en Amrique ibrique ont la double fonction de reproduire la
structure europenne en ladaptant aux besoins spcifiques du dveloppement. Le
contenu importe moins que le projet scientifique qui est dacclimater, dinnover et
de diffuser, permettant in fine la comparaison scientifique. A cela sajoute une
impulsion politique encadrant et dfinissant le projet scientifique. Initie par
lEspagne durant la seconde moiti du XVIIIe sicle, elle est amplifie par les
dirigeants indpendantistes au dbut du XIXe sicle. Les Grands Tours, effectus
dans lAmrique espagnole du XVIIIe sicle et clos par le voyage de Humboldt et
Bonpland, ouvrent des perspectives scientifiques dans lAmrique indpendantiste
vis--vis desquelles Bonpland joue nouveau un rle pionnier.

416

CHAPITRE V
LAmrique hispanique laube des
indpendances : Grands Tours et perspectives
scientifiques (1748-1821)

INTRODUCTION
Le caractre initiatique et formateur du Grand Tour europen peut
sappliquer aux voyages dexploration raliss par les voyageurs naturalistes des
XVIIIe et XIXe sicles, particulirement lAmrique espagnole. Avec
lacquisition de leur indpendance, les colonies espagnoles deviennent ltape
dun Grand Tour des scientifiques europens et, pour certains dentre eux,
lobjectif dun priple car laire hispano-amricaine offre de grandes perspectives
scientifiques. En effet, son ouverture aux savants trangers est un phnomne
rcent puisque jusquau voyage de Humboldt et Bonpland les souverains
espagnols en interdisent laccs ou en limitent fortement lexploration.
Nanmoins, le mouvement des Lumires qui touche le continent amricain partir
de la seconde moiti du XVIIIe sicle en permet une lecture renouvele et favorise
lmergence dune lite amricaine claire. Le Ro de la Plata est
particulirement concern par ce mouvement puisque celui-ci saccompagne de la
rforme administrative des colonies de la Couronne espagnole permettant la
cration de la vice-royaut de la Plata en 1776, son autonomisation politique et
conomique ainsi que son mergence culturelle et scientifique.

Deuxime partie

Chapitre V

Aim Bonpland sinscrit dans une continuit entre la culture scientifique


europenne ilustrada et la culture scientifique indpendantiste naissante dans le
Ro de la Plata. En se dotant dune pratique scientifique amricaine grande
chelle, en lutilisant pour diriger un laboratoire en France puis en tentant dunir
ces deux expriences afin de complter grande chelle la premire
exploration et de fonder une tradition scientifique locale, il acquiert toutes les
caractristiques du spcialiste des tudes amricaines. Ses recherches, menes
essentiellement dans la rgion des anciennes missions jsuites durant son
deuxime sjour amricain, lui permettent dacqurir un degr supplmentaire
dans sa spcialisation. La spcificit lie cette spcialisation le range, au mme
titre quun Mutis ou un Azara, parmi les prcurseurs de lamricanisme.
En prenant comme point de dpart lexprience de Bonpland et de la
filiation quil permet entre priode coloniale et priode indpendante, il sagit
danalyser lessor de la culture scientifique laube des indpendances
rioplatenses. Comment seffectue, ici, la mise en place dune politique scientifique
priphrique ? Pour rpondre cette question il sagit dabord de mettre en
vidence la culture scientifique dont Bonpland est porteur et dont les colonies
espagnoles bnficient. Ensuite, il sagit de constater que le recrutement de
Bonpland est permis par une convergence idologique entre le savant et les
Rioplatenses. En outre, les espoirs que ceux-ci placent en Bonpland permettent de
cerner leurs besoins. Enfin, ltude du contenu du programme scientifique que
Bonpland se propose de mettre en place Buenos Aires fait apparatre
limportance de ladquation entre une demande et une offre scientifique dans le
processus de gestation dune politique scientifique priphrique.

A.

LAMERIQUE

ESPAGNOLE

ENTRE

DEUX

PARADIGMES : LEVOLUTION DE LA CULTURE DES


VOYAGEURS-NATURALISTES AU COURS DE LA SECONDE
MOITIE DU XVIIIe SIECLE
A dfaut de lexhaustivit, lexemplarit que lon peut dgager des rcits
de voyage permet desquisser une culture alors en formation. Deux tapes
418

Deuxime partie

Chapitre V

jalonnent la seconde moiti du XVIIIe sicle : 1748, lorsquest divulgue au public


la relation de voyage de Jorge Juan et Antonio de Ulloa, les travaux de Bouguer et
La Condamine ltant lanne suivante ; 1799 ensuite, date laquelle Alexandre
de Humboldt et Aim Bonpland appareillent pour le nouveau continent. Deux
dates significatives de lvolution de la lecture du Nouveau Monde, entre
lesquelles la construction de lidentit latino-amricaine renouvelle ses mthodes.
Parmi les voyages slectionns les grandes entreprises sont privilgies
car, dans leurs intentions et leurs rsultats, elles refltent le mieux les moyens mis
en uvre dans le domaine de la culture et, plus gnralement, dans celui du savoir.
Les porteurs de cette culture sont les voyageurs clairs, et parmi eux l lite
naturaliste, mais aussi tous ceux sintressant lhistoire naturelle, dautant plus
nombreux que lintrt pour la discipline touche un public plus large que les
savants, ce qui amne une grande diversit quant lapproche culturelle. Aussi, la
communaut des pr-amricanistes peut se diviser en deux groupes : les voyageurs
et les scientifiques.

1. Dcouvertes et conqutes : continuits et ruptures


Lors de la seconde moiti du dix-huitime sicle, le voyage de long cours
vers le Nouveau Monde substitue la dmarche raisonne des Lumires la
perception traditionnelle du Nouveau Monde. De fait, la recherche des
connaissances positives se substitue peu peu la qute des mythes, soit par
lapplication de nouveaux outils aux anciens objectifs, dans une logique de
continuit, soit par une remise en question des schmes culturels existants.
Lintrt de ce type de voyages rside dans la confrontation entre ces deux
approches culturelles.

LAmrique, une tape curieuse du Grand Tour autour du monde


Pour les scientifiques, la dmarche initiatique qui subsiste est sans
commune mesure avec celle du Grand Tour. Les intentions sont troitement lies,
419

Deuxime partie

Chapitre V

et certes beaucoup de naturalistes commencent leur formation au voyage par ces


plerinages 1644 , unique exprience prparant leurs futures conditions
dinvestigation ; mais contrairement la plupart de leurs contemporains
europens, ils ne suivent pas les chemins, mais les traces de leurs prdcesseurs.
En effet, il sagit le plus souvent de dfricher un terrain aux contours imprcis. De
fait, la pntration lintrieur du continent constitue lavance scientifique la
plus remarquable de lpoque. A cet gard, les efforts entrepris par lEspagne lors
du dernier quart du XVIIIe sicle tendent dmontrer la primaut quacquiert alors
la dmarche scientifique sur la recherche de richesses plus ou moins lgendaires,
dans la mesure o les moyens financiers engags dans ces voyages bnficient
surtout lavance des sciences naturelles.
De plus, le cosmopolitisme des entreprises oblige aussi puiser parmi les
circumnavigateurs pour qui ltape amricaine est essentielle, puisquelle fournit
des lments llaboration dun savoir fond sur le comparatisme. Par opposition
dabord, lAmrique hispanique confronte les voyageurs des espaces mythiques.
Grce la multiplication des explorations, le dvoilement de linformation
scientifique repousse les lgendes ; la multiplication du rel soppose celle de
limaginaire. Il sagit aussi dune multiplication par superposition, puisque la
culture des voyageurs leur permet dlargir leur champ danalyse. Plus que tout
autre, le naturaliste enveloppe le rel par lampleur de son regard. Par
contradiction enfin, du fait des heurts culturels internes et externes aux voyageurs
Autour du laboratoire amricain se pose le problme de la diversit des regards.

Portrait de lamricaniste fin de sicle


Les termes de lappropriation de la ralit amricaine changent peu de
Colomb Humboldt 1645 . La filiation est mme raffirme entre les deux hommes,
car Humboldt est consacr second dcouvreur de lAmrique par ses

1644

Tel Joseph Dombey, voyageant dabord en France, initiant Jean-Jacques Rousseau la


botanique, et rapidement mis en relation avec les naturalistes du Jardin du roi, recours
indispensables la prparation du voyage.
1645
Cf. OGORMAN Edmundo, La idea del descubrimiento de Amrica. Historia de esa
interpretacin y crtica de sus fundamentos, Mxico, Universidad de Mxico, Centro de estudios
filosficos, 1951.
420

Deuxime partie

Chapitre V

contemporains 1646 . Second dcouvreur mais aussi premier des amricanistes 1647 ,
dans la mesure o il tente dtudier avec succs de manire scientifique et
exhaustive ce continent. Plutt que le premier des amricanistes, il est leur
prcurseur puisque cette discipline nest pas institue. Aussi Humboldt occupe-t-il
une place fondamentale dans larchologie de lamricanisme, dans sa phase pramricaniste.
Le titre de second dcouvreur marque aussi lapoge du voyageurnaturaliste, dont le statut dobservateur et de porte-parole des Lumires est
dsormais admis 1648 . Il sagit dun aspect essentiel de la constitution du savoir
amricaniste : en intgrant leur bagage culturel les ides du monde clair, les
voyageurs prolongent et surtout critiquent les connaissances des savants demeurs
en Europe. En effet, une lutte oppose alors les savants nomades aux
sdentaires . Lutte souterraine, maillant les crits des deux partis et qui
mriterait une tude dtaille, lenjeu portant sur la place du voyageur lintrieur
de lespace culturel des Lumires. Raynal et Diderot sont les plus vhments
contre les voyageurs de long cours, les ramenant au rang suprme injure de
nouvelle espce de sauvages nomades 1649 . Pour leur part, les Bougainville et
1646

Lloge souvent rpt provient de son ami Carl Ritter.


En 1919, Humboldt est peru comme le crateur de cet ordre de recherches , VIGNAUD
Henry, LAmricanisme et la Socit des Amricanistes , in Journal de la Socit des
Amricanistes, tome 11, 1919, p. 2. Lauteur du compte-rendu de louvrage de Charles Minguet
note que Humboldt a t en quelque sorte le premier amricaniste de par sa connaissance
quasiment exhaustive du Nouveau Monde ; MIQUEL M., Charles Minguet. Alexandre de
Humboldt, historien et gographe de lAmrique espagnole (1799-1804) , in Bulletin hispanique,
vol. 72, 1970, p. 433. Lexpression est aussi employe par POTELET Jeanine, Humboldt, la
seconde dcouverte , in La revue du Muse des arts et mtiers. Catalogue de lexposition La
boussole et lorchide , Paris, CNAM, n 39-40, septembre/dcembre 2003, p. 92, en rfrence
lampleur du travail et la nouveaut des analyses du Prussien. Santiago Daz Piedrahita conteste
cette gnalogie et prcise : Mutis era un ilustrado que se convirti en el primer americanista del
que se tenga historia; el segundo sera Humboldt. Ninguno de los dos se propuso ser americanista;
no obstante, ambos contribuyeron significativamente a que Amrica se conociese en el
mundo. , DIAZ PIEDRAHITA Santiago, El legado botnico de la expedicin , in Coll.,
Ctedra Fundadores 2007, Segunda expedicin botnica, Ibagu, Universidad de Ibagu, 2008, p.
145. Cette remarque nous parat essentielle car, en effet, aucun ne se propose dtre amricaniste.
Pour cela nous prfrons qualifier Humboldt et ses contemporains de pr-amricanistes.
1648
Cf. WOLFZETTEL Friedrich, Le discours du voyageur. Pour une histoire littraire du rcit de
voyage en France, du Moyen ge au XVIIIe sicle, Paris, PUF, 1996, pp. 286-290.
1649
Cf. PAGDEN Anthony, European Encounters with the New World. From Renaissance to
Romanticism, Yale University Press, New Haven, Londres, 1993, pp. 157-162. La critique de
Raynal vis--vis des voyages de dcouverte est particulirement froce : Depuis les audacieuses
tentatives de Colomb & de Gama, crit-il, il sest tabli dans nos contres un fanatisme jusqualors
inconnu : cest celui des dcouvertes. On a parcouru & lon continue parcourir tous les climats
vers lun & vers lautre pole, pour y trouver quelques continents envahir, quelques les ravager,
quelques peuples dpouiller, a subjuguer, massacrer. [] Les expditions de long cours ont
enfant une nouvelle espce de sauvages nomades. Je veux parler de ces hommes qui parcourent
tant de contres quils finissent par nappartenir aucune ; [] qui nont vraiment ni pres, ni
1647

421

Deuxime partie

Chapitre V

Laprouse plaident pour une science des faits, contre lesprit de systme et les
faiseurs de systmes qui, au fond de leurs cabinets, tracent la figure des
continents & des isles 1650 .
Or, le voyage vers le Nouveau Monde se rclame dun esprit de dcouverte
hrit du Sicle dOr. La tradition est invoque non seulement par les
Espagnols 1651 , mais plus explicitement encore par les nations concurrentes. La
dcouverte de lAmrique a-t-elle t utile ou nuisible au genre humain ? La
question, mise au concours en 1782 par lAcadmie de Lyon sur proposition de
Raynal, nous semble significative du foss qui samplifie entre thoriciens et
praticiens du Nouveau Monde, pourtant issus du mme creuset intellectuel. Les
premiers saccordent pour dire, la suite de Pauw et de labb Roubaud, que la
conqute de lAmrique est la plus affreuse des calamits que lhumanit ait
souffertes de la part de lhomme 1652 ; les seconds se placent au-del de la
controverse, se voulant dabord des vecteurs do peuvent sortir de grands
avantages pour laccroissement des Arts et des Sciences et par suite pour le bien
de lhumanit 1653 . Les dcouvertes et les conqutes ne sont pas closes, mais
sinscrivent dans la longue histoire des progrs de lesprit humain. A ce titre, elles
obtiennent une nouvelle lgitimit culturelle dont se targue Cook bord de
Discovery ou Malaspina naviguant sur la Descubierta. Ici saffirme aussi la
culture des voyageurs par rapport celle des naturalistes de cabinet.
Contrairement Buffon qui cherche expliquer les causes de la diversit entre les
deux mondes, les premiers sondent les points communs. Humboldt rsume cet
esprit conqurant : Quel que soit le motif, tout ce qui excite au mouvement, soit

mres, ni enfants, ni frres, ni parents, ni amis, ni concitoyens , RAYNAL Guillaume Thomas de,
Histoire philosophique et politique des tablissements et du commerce des Europens dans les
deux Indes, Genve, Pellet, 1780, tome 10, pp. 473-475.
1650
Cits in WOLFZETTEL Friedrich, op. cit., pp.293-297.
1651
Cf. PINO DIAZ Fermin del, LAmrique et le dveloppement de la science en Espagne au
XVIIIe sicle : tradition, innovation et reprsentation propos de Francisco Hernandez ,
in Groupe interdisciplinaire de recherches et de documentation (d.), LAmrique espagnole
lpoque des Lumires : tradition, innovation, reprsentations, colloque franco-espagnol du CNRS
[Talence], Paris, CNRS, 1987, pp. 101-122.
1652
Cit in GERBI Antonello, op. cit., p. 150.
1653
Instruccion [] para pasar a la America Meridional en compaia del Medico Dr Josef
Dombey, 1777, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Joseph Dombey, mdecin, naturaliste,
archologue, explorateur du Prou, du Chili et du Brsil (1778-1785), Paris, Guilmoto, 1905, p.
XXIV.
422

Deuxime partie

Chapitre V

erreur, soit prvision vague et instinctive, soit argumentation raisonne, conduit


tendre la sphre des ides, ouvrir de nouvelles voies lintelligence 1654 .
Illustrant ce propos, un militaire britannique en mission en Guyane, John
Gabriel Stedman, nhsite pas contredire les descriptions de Buffon 1655 . Quant
au naturaliste, il est dabord absorb par les trsors qui soffrent lui. Trsors
tangibles, non comme ces prtendues montagnes couvertes dor que George
Anson croit avoir aperu depuis son navire au large du Brsil 1656 , mais plantes,
roches, toiles. Le terme de trsor naturel revient sans cesse dans la bouche des
voyageurs qui susent inventorier des richesses dsormais rendues accessibles
lesprit scientifique. A Montevideo, en 1767, Commerson commente ainsi la
multitude embrasser :
Je nai pas laiss de faire une ample moisson de plantes, doiseaux, de
poissons, etc. Je voudrais bien que rien ne put mchapper mais comment
faire, je ne suis ni un Argus ni un Briare. Une chasse, une pche, une
promenade me mettent dans lembarras de Midas sous les mains duquel
tout devenait de lor. Je ne sais souvent par o commencer jen perds le
boire et le manger et il faut qu le capitaine mon excellent ami pousse les
attentions jusquau point de ne maccorder gure de la lumire que
jusqu minuit, parce quil sest aperu quau dtriment de ma sant je
drobais presque toute la nuit mon sommeil pour pouvoir suffire
lexamen de tout ce qui se prsente moi.
1654

1657

Cit in MINGUET Charles, cit., pp. 586-587. Jean-Pierre Clment rsume parfaitement cette
continuit entre le Sicle dOr et celui des Lumires : il faut attendre le XVIIIe sicle pour voir
apparatre un renouveau, une sorte de seconde Renaissance ; un lan denthousiasme porte les
Europens, un apptit de savoir les pousse essayer de connatre la nature de la faon la plus
complte possible. ; CLEMENT Jean-Pierre, Botanique et Lumires en Espagne (A propos
dun ouvrage rcent, la Flora Peruviana) , in SERRANO Carlos, DUVIOLS Jean-Paul,
MOLINIE Annie (dir.), Les voies des Lumires. Le monde ibrique au XVIIIe sicle, Paris, Presses
de lUniversit de Paris-Sorbonne, 1998, pp. 151-163. Cest bien la conqute de lAmrique qui
annonce et fonde notre identit prsente []. Nous sommes tous les descendants directs de
Colomb, cest en lui que commence notre gnalogie , clame encore TODOROV Tzvetan, La
conqute de lAmrique. La question de lAutre, Paris, Seuil, 1982, p. 14.
1655
STEDMAN John Gabriel, Voyage Surinam et dans lintrieur de la Guyane, Paris, Buisson,
1787, p. 231.
1656
ANSON George, Voyage autour du monde, Paris, Utz, 1992 (1749), p. 61.
1657
Cit par LAISSUS Yves, Les voyageurs naturalistes du Jardin du Roi et du Musum
dhistoire naturelle : essai de portrait-robot , in Revue dhistoire des sciences, tomes 34, n 3-4,
1981, p. 312. Aim Bonpland sexprime de manire similaire lors de son arrive aux les Canaries :
Vous devez juger du plaisir quon prouve lorsquaprs quinze jours de premire navigation on
aperoit terre. De suite je montais au haut du grand mt et je cherchai des yeux, arm dune bonne
lunette, dcouvrir les productions de cette terre qui, pour moi, tait nouvelle et devait apaiser la
soif brlante qui me dvorait de voir des plantes, des insectes, des oiseaux, etc , Bonpland aux
habitants des Chauvins, Cuman, 16 juillet 1799, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Aim
Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, p. 4.
423

Deuxime partie

Chapitre V

A limage de laventurier succde peu peu celle du plerin, avec tout le


poids initiatique que le mot suggre. En effet, il sagit presque toujours dun
premier voyage et les instructions, si elles se prcisent au fil des annes, laissent
toute latitude au voyageur, charge pour lui de revenir muni de la bonne
parole 1658 . Encore les instructions concernent-elles seulement la rcollection des
donnes ; rien nest dit ou presque quant aux rgions abordes. Aussi le recours
aux rcits de voyage, ainsi quaux auteurs pouvant les familiariser avec le milieu
amricain romanciers, essayistes est une ncessit 1659 . Surtout, lexprience
dtermine le temprament ; ainsi dAim Bonpland dont son compagnon dcrit le
caractre aprs une anne dexploration :
Cest un lve digne de Jussieu, de Desfontaine, de Richard ; il est actif,
travailleur, il sadapte facilement aux murs et usages des hommes, parle
trs bien lespagnol, et il est courageux et intrpide en un mot, il a des
qualits exquises pour un voyageur naturaliste

1660

En plus de la filiation scientifique, la marche vers linconnu rattache


profondment les voyageurs leurs prdcesseurs, qui demeurent les rfrences
obliges et font natre un sentiment dappartenance la famille des explorateurs.
Linitiation nest pas dtermine par une confrontation la vie, mais la survie.
Lesprit de sacrifice est une constante de la part dhommes pourtant non prpars
aux dangers de lexploration, et leur attitude face la mort ne lasse pas dtonner.
Le courage montr en maintes occasions toucherait presque au fanatisme dont
parle Raynal, sil ne sagissait d avoir fait de si grands sacrifices pour avoir
voulu le bon , crit Humboldt. Rien ne me proccupe [] aussi obstinment
que de sauver mes manuscrits et mes herbiers , ajoute-t-il. Il est trs incertain,

1658

Tel Sguier, conseillant Dombey avant son dpart pour le Prou, en 1777 : Voil bien des
occupations et des remarques faire ; je connais votre zle et votre patience et jen espre tout , in
HAMY Thodore Jules Ernest, Joseph Dombey, mdecin, naturaliste, archologue, explorateur du
Prou, du Chili et du Brsil (1778-1785), Paris, Guilmoto, 1905, p. 322. Philibert Commerson
rdige son propre programme avant son embarquement sous les ordres de Bougainville, en 1772.
Sur la formation et le caractre des voyageurs-naturalistes, cf. LAISSUS Yves, op. cit., pp. 261317.
1659
Humboldt et Bonpland se nourrissent de Paul et Virginie ; Dombey cite Feuille et La
Condamine Robertson ou Snque. L encore, il reste tudier le bagage des voyageurs. Par
ailleurs, la pratique de la ddicace prouve lattachement du voyageur sa confrrie ; Marquez
moi les noms des botanistes clbres que vous connaissez hors du royaume, afin que je puisse leur
ddier quelque chose , demande Dombey Thouin, in HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., p.
50.
1660
Humboldt K. L. Willdenow, La Havane, 21 fvrier 1801, cit in HAMY Thodore-Jules
Ernest, Lettres amricaines dAlexandre de Humboldt (1798-1807). Prcdes dune notice de J.C.
Delamtherie et suivies dun choix de documents en partie indits, Paris, Guilmoto, 1905, p. 114.
424

Deuxime partie

Chapitre V

presque invraisemblable, que nous revenions sains et sauf , aussi croit-il bon de
rdiger son testament scientifique 1661 .

Des voyageurs clairants


Plerin mais aussi missionnaire, tmoin et acteur, le voyageur se veut le
bras arm des Lumires. Il se rattache videmment la tradition de la conqute,
mais rompt peu peu avec lordre divin pour adopter celui du progrs. Lattitude
culturelle change profondment entre les conclusions de Juan et Ulloa, diffuses
jusqu lextrme fin du XVIIIe sicle, et celles de leurs successeurs. En effet, les
premiers donnent une vision close de lAmrique qui contraste avec le
cosmopolitisme en expansion : Aucun monument ne nous apprend avec certitude
que lAmrique a pu avoir avec lAncien Monde [] ; et lon y est aussi tonn,
que si lon tait rellement pass dans un autre monde . De cette particularit, il
nest pas possible den donner la raison, quen disant que lAuteur de la Nature la
ainsi voulu. Ses secrets seront toujours une nigme pour lentendement humain.
Le Nouveau Monde est donc coup de lancien, depuis lpoque du dluge
supposent-ils 1662 .
Lide dune rupture originelle ne rsiste cependant pas la
systmatisation de la sparation entre Dieu, lhomme et la nature qui sopre
durant la seconde moiti du XVIIIe sicle. La consquence en est la tentative
didentification du Nouveau Monde lAncien, travers le processus
dhomognisation des savoirs. Ds lexpdition des limites lOrnoque

1661

Ibid., pp. 107-108, 142. Les botanistes qui font partie de toutes les expditions figurent en
bonne place au palmars de ceux stant sacrifis : la botanique eut de tout temps des
admirateurs, des historiens et mme des martyrs. ; [l]a botanique doit ses principales richesses
aux savans voyageurs qui ont publi les rsultats de leurs herborisations souvent pnibles, et
parfois pleines de dangers. , CHAUMETON Franois Pierre, Flore mdicale, Paris, Panckoucke,
1814, tome I, pp. VI, IX. Il serait intressant dtudier cette martyrologie savante sur le long terme
et de la replacer dans une histoire des voyageurs-martyrs, entre les vanglisateurs les prcdant et
les civilisateurs qui leur succdent. On pourrait analyser dune part les glissements entre les
diffrentes figures hroques et dautre part les catgories les plus exposes, au moins dans
limaginaire collectif.
1662
ULLOA Antonio de, Mmoires philosophiques, historiques, physiques, concernant la
dcouverte de lAmrique, ses anciens Habitans, leurs murs, leurs usages, leur connexion avec
les nouveaux Habitans, leur religion ancienne et moderne, les productions des trois rgnes de la
Nature, et en particulier les mines, leur exploitation, leur immense produit ignor jusquici,
Paris, Buisson, 1787, vol. 1, pp. 6-7, 10-11 ; vol. 2, pp. 112-119.
425

Deuxime partie

Chapitre V

effectue entre 1750 et 1767, une volont de rattacher les deux continents se fait
jour. Surtout, lide dun progrs continu dest en ouest, annonc notamment par
Adam Smith propos du Nord du continent, sapplique-t-elle aussi bientt au Sud
grce Humboldt, qui parvient insrer ce progrs culturel dans un mouvement
naturel. La naturalisation des relations sociales amne la mise en place dun savoir
unique certes 1663 , mais aussi la conscience du caractre polycentrique du
monde 1664 .
La constitution du savoir entre Europe et Amrique est dabord le rsultat
de lmancipation du voyageur clair. Celui-ci parvient runir empirisme et
raison dans une dmarche culturelle renouvele 1665 . Les instructions de Volney,
parues en 1795, et celles de Grando, qui fournit en 1800 le premier questionnaire
nommment

ethnographique

pour

lexpdition

Baudin 1666 ,

rconcilient

dfinitivement les Idologues avec les empiristes, le voyageur nouant un contact


intellectuel et institutionnel plus troit avec ses bases. Ds lors, la constitution de
ce savoir appelle un va-et-vient permanent entre lexprience et la mise en
systme de cette exprience. En participant aux deux tapes du processus, le
voyageur acquiert peu peu un poids intellectuel dterminant dans lorientation du
dbat ; de fait, lmancipation scientifique laquelle il contribue est aussi la
sienne. En sappropriant un terrain dtude gigantesque, il transforme de mme
lidentit du Nouveau Monde qui, de miroir, devient laboratoire. Ainsi des mythes
imports dEurope cdant devant lexploration ou au contraire de ltranget de la

1663

Cf. LANDER Edgardo, Ciencias sociales : saberes coloniales y eurocnticos , in LANDER


Edgardo (comp.), La colonialidad del saber : eurocentrismo y ciencias sociales. Perspectivas
latinoamericanas, Buenos Aires, CLASCO, 2000, pp. 11-40.
1664
Cf. GERBI Antonello, op. cit., pp.158, 172-173. Ltude du milieu est lorigine du constat
dAlexandre de Humboldt concernant le Mexique : la nature, en plaant cette nation au centre dun
rseau dchanges, dtermine son volution culturelle ; cf. HUMBOLDT Alexandre de, Essai
politique sur le royaume de Nouvelle-Espagne, Paris, Utz, 1997 (1811), pp. 45-64, 405-406.
1665
George Anson, qui sest attard le long des ctes amricaines lors de son tour du monde,
incarne le rapprochement seffectuant paralllement entre le voyageur de long cours et lhomme de
science. Contre les prjugs nonant quun bon homme de mer doit tre aussi rude et intraitable
que son lment, ou que les sciences et les arts sont les ennemis du vrai courage, lAnglais rpond
que les meilleurs dessins sont de la main de Piercy Brett, un grand combattant ; les beaux-arts
sont bien loigns de diminuer en rien la valeur, le sens et ladresse de ceux qui sy appliquent []
il ny a aucune profession qui exige plus de thorie et de rflexion de la marine ; in ANSON
George, op. cit., p.25. A ce propos, cf. galement TAILLEMITE Etienne, Marins franais la
dcouverte du monde, de Jacques Cartier Dumont dUrville, Paris, Fayard, 1999, pp. 207-209.
1666
GERANDO Joseph-Marie de, Considrations sur les diverses mthodes suivre dans
lobservation des peuples sauvages, Paris, Socit des observateurs de lhomme, 1800.
426

Deuxime partie

Chapitre V

nature juge laune du vieux continent. Un discours de la mthode slabore,


visant unifier les deux mondes 1667 .

2. La multiplication du rel : des voyageurs et de leur regard


La saisie du rel est dailleurs dessence pluridisciplinaire, et les domaines
couvrir sont tellement vastes que les mthodes analytiques divergent
ncessairement. Le laboratoire amricain est tudi de deux manires : dans sa
globalit, par une approche encyclopdique cest la cas pour Malaspina ou
Humboldt ou selon des problmatiques limites une demande institutionnelle,
englobant gnralement ltude conomique ou stratgique 1668 . Concernant cette
seconde perspective, rappelons les tudes pr-amricanistes menes bien par les
missionnaires. Partag entre son ministre et ltude des langues guarani et
abipone, le pre autrichien Martin Dobrizhoffer publie en 1784, aprs un sjour de
vingt-deux ans au Paraguay, une Historia de Abiponus equestris bellicos aque
Paraquariae natione 1669 .

Du miroir au laboratoire
La mise en forme des concepts dvelopps permet une premire
reconstruction du savoir. Les membres de lexpdition Malaspina se munissent de
tous les ouvrages ncessaires pour faire de leur btiment un laboratoire flottant
capable non seulement de rassembler, mais encore de traiter linformation et de la
confronter aux sources plus anciennes. En ayant de tels moyens leur disposition,

1667

Unifier aussi les deux mondes du savoir et de lexprience. A ce propos, voir lvolution de la
reprsentation du savant au travail de Raynal Humboldt tudie par ETTE Ottmar, La puesta en
escena de la mesa de trabajo en Raynal y Humboldt , in Cuadernos americanos, juillet-aot 1994,
n 46, pp. 29-68.
1668
Tel Fuse-Aublet, envoy Cayenne comme pharmacien et botaniste de 1762 1765, et qui
publie en 1775 une Histoire des plantes de la Guiane franaise, ranges selon la mthode sexuelle,
avec plusieurs mmoires sur diffrents objets intressants, relatifs la culture et au commerce de
la Guiane franaise, et une notice des plantes de lle de France.
1669
DOBRIZHOFFER Martin, Historia de Abiponus equestris bellicos aque Paraquariae natione,
Vienne, Kurzbek, 1784.
427

Deuxime partie

Chapitre V

les scientifiques se voient attribuer une fonction critique prminente 1670 .


Vrificateur scrupuleux, Humboldt confronte systmatiquement ses crits aux
sources, ce qui leur donne un poids sans gal. Le renvoi aux notes, la prsence
dun index la fin de lEssai politique sur la Nouvelle-Espagne sont autant de
preuves de la volont de construire un discours objectif et raisonn. Lvolution
mthodologique transparat entre lorganisation de louvrage de Ulloa, divis en
nombreux discours, et celle prvue par Malaspina, comprenant trois parties :
relation, tat physique et politique des zones abordes 1671 .
Afin de prolonger le regard et den gommer les imperfections, on se munit
des instruments qui sont placs au centre de laventure par La Condamine, et qui
permettent la mise en rseau des informations. Humboldt se vante dailleurs de
surpasser son prdcesseur en apportant sur les cimes des volcans pruviens les
moyens de relever les mesures quil tait intressant de connatre ; ainsi
ralise-t-il une prilleuse ascension pour y porter un lectromtre de Volta 1672 .
Il sagit vritablement de lalliance de la passion et de la raison, prouve encore
par Commerson qui, avant de sextasier face la nature amricaine, rdige un
mmoire qui fera cole et dtaillant les observations dhistoire naturelle raliser
durant le voyage. Cette thique de la prcision et de lexactitude 1673 permet au
voyageur clair de seffacer derrire une dmarche privilgiant lexprience
dductive au dtriment de la tradition imaginaire. En privilgiant la rfrence au
milieu grce lexprience in vivo et non plus son milieu, le voyageur
smancipe dune culture de lAmrique-miroir pour sorienter, grce un
processus de normalisation, vers celle de lAmrique-laboratoire.
Il sagit dune volution videmment contraste, les cultures se mlant et
se rpondant. En 1788, Malaspina voque la collecte possible de Curiosits pour
le Cabinet Royal et le Jardin Botanique . Dombey, plus nuanc, parle de ces
sortes de curiosit que sont les vases pruviens, ou de choses curieuses pour
des minraux acquis au Brsil, avant que le terme dchantillon simpose dans le

1670

GONZALEZ MONTERO DE ESPINOSA Marisa, La Ilustracin y el hombre americano.


Descripciones etnolgicas de la expedicin Malaspina, Madrid, CSIC, 1992, pp. 99-105.
1671
Ibid., p. 58.
1672
HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., pp. 131-140.
1673
Cf. BOURGUET Marie-Nolle, LICOPPE Christian, Voyages, mesures et instruments. Une
nouvelle exprience du monde au sicle des Lumires , in Annales HSS, septembre-octobre 1997,
n 5, pp. 1118-1120.
428

Deuxime partie

Chapitre V

rcit dAlexandre de Humboldt 1674 . Paralllement, le glissement des cabinets de


curiosits vers ceux dhistoire naturelle fait entrer les hommes sauvages dans
lordre de la nature. Sans tre considres comme porteuses de culture, ces
socits cessent nanmoins de relever de la curiosit pour devenir un propos
dtude 1675 . Elles cessent en mme temps dtre le prtexte une fustigation des
normes culturelles europennes. Mais l encore les voyageurs restent tardivement
prisonniers de leur hritage culturel :
Jai des os de gants minraliss ; deux superbes mchoires et un fmur
entier

1676

annonce firement Dombey en 1785.

Un regard gographique primordial


Une proccupation constante concerne en effet les mythes, plongeant
souvent leurs racines en Europe, comme cest le cas pour celui des Amazones. La
Condamine se rapproche de cette rpublique de femmes , quil situe dans les
montagnes au centre de la Guyane et dans un canton ou les Portugais du Par ni
les Franais de Cayenne nont pas encore pntr . Mais, prcise-t-il, cette
nation ambulante pourrait bien avoir encore chang de demeure 1677 . Un demisicle plus tard, Alexandre de Humboldt ne met pas en doute le rcit de La
Condamine mais, sans pouvoir apporter de preuves, il semploie dtruire le
mythe 1678 . Humboldt annihile aussi celui de lEldorado, en apportant cette fois la
1674

Cit in VIDAL Laurent, Lexpdition Malaspina (1788-1794) : les sciences espagnoles au


service de la politique coloniale , in MARTINIERE Guy, VIDAL Laurent, Les Europens et la
mer au XVIIIe sicle, les Ibriques de lAtlantique au Pacifique, Paris, Ophrys, 1997, p.122 ;
HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., pp. 126-127, 141.
1675
VITART Anne, Notre monde rencontre un autre monde. Cabinets de curiosits : la part de
lAmrique , in ROSTKOWSKI Jolle, DEVERS Sylvie (dir.), Destins croiss : cinq sicles de
rencontres avec les Amrindiens, Paris, Albin Michel, 1992, pp. 241-248.
1676
HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., p. 128.
1677
LA CONDAMINE Charles-Marie de, Voyage sur lAmazone, cit in SANCHEZ Jean-Pierre,
Mythes et lgendes de la conqute de lAmrique, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 1996,
vol. 2, p. 649.
1678
Lenqute de Humboldt ce sujet met laccent sur la diffusion du mythe au sein de tribus
nayant pas de contacts entre elles ni avec les Blancs. Et de conclure par la rationalisation dun
phnomne local : Non quil y a des Amazones sur les rives du Cuchivero, mais que, dans
diffrentes parties de lAmrique, des femmes, lasses de ltat desclavage dans lequel elles sont
tenues par les hommes, se sont runies, comme les ngres fugitifs, dans une palenque ; que le dsir
de conserver leur indpendance les a rendues guerrires []. Il suffit que cette socit de femmes
ait acquis quelque force dans une des parties de la Guyane pour que des vnements trs simples,
429

Deuxime partie

Chapitre V

caution de la vrification positive qui sonne le glas de la gographie quon


pourrait appeler spculative, pour ne pas dire divinatoire 1679 . La volont de
rationalisation en ce domaine dbute ds les annes 1750, grce lexpdition
lOrnoque, pour laquelle on retrouve la mme horreur du vide. Lors de celle-ci,
les informations modernes et empiriques prennent le pas sur la tradition mythique.
Constatant que dans cette vaste zone de lAmrique, [la] gographie [] a t et
reste un jeu de devinettes entre gographes de premier ordre , les hommes de la
mission sattachent faire disparatre au possible le terme de terre inconnue,
notion culturellement honteuse pour les Ilustrados 1680 .
Quils soient dorigine locale ou europenne, les mythes sont ds lors
soumis la vrification systmatique des voyageurs 1681 . Mais lexploration de
lAmrique nen est encore qu ses ttonnements, et lespace laiss
limagination nexplique pas la persistance de certains mythes au dtriment
dautres. La recherche de lunit, de luniversalit, joue dans ce domaine un rle
essentiel 1682 . La religion en subit les consquences, avec la fin des utopies
bibliques. Les rfrences au Paradis terrestre, lvanglisation prcolombienne
font place un discours o le comparatisme lemporte sur le providentialisme.
Rpondant Feijoo pour qui, ds 1747, lhistoire naturelle apparat comme un dfi
permettant lEspagne de sortir de la prison mtaphysique dans laquelle elle est
enferme 1683 , Malaspina abandonne les articulations entre milieu naturel et
tradition vanglique proposes par Ulloa. Pour sa part, Humboldt conclut de son
exprience en Amazonie : Chez tous les peuples de la terre, les ides

qui ont pu se rpter en diffrents lieux, aient t dpeints dune manire uniforme et exagre.
Cest le propre des traditions. , in HUMBOLDT Alexandre de, Voyage aux rgions quinoxiales
du Nouveau Continent fait en 1799 et 1800 par A. de Humboldt et A. Bonpland. LOrnoque, Paris,
Club des Libraires de France, 1960 (1819), pp. 295-298.
1679
Ibid., p. 277 ; voir aussi la fin des gographies imaginaires tudie par POUYLLAU
Michel, Une gographie de lEldorado , in Coll., Dcouvertes et explorateurs, Actes du
Colloque international, Bordeaux, 12-14 juin 1992 / VIIe Colloque dHistoire au prsent, Histoire
au prsent, Maison des Pays Ibriques, Universit Michel de Montaigne-Bordeaux III, Paris,
LHarmattan, 1994, pp. 451-463.
1680
LUCENA GIRALDO Manuel, La gographie de lEldorado. Une approche de la
reprsentation du Nouveau Monde travers la expedicin de limites al Orinoco , in BRUNEAU
Michel, DORY Daniel (dir.), Gographie des colonisations, XVe-XXe sicles, Paris, LHarmattan,
1994, pp. 234-235.
1681
Pour une liste exhaustive de ces mythes et de leur volution, cf. SANCHEZ Jean-Pierre, op. cit.
1682
Cf. BOURGUET Marie-Nolle, Lexplorateur , in VOVELLE Michel (dir.), LHomme des
Lumires, Paris, Seuil, 1996, pp. 285-345.
1683
GALERA Andrs, FRIAS Marcelo, Flix de Azara et l Histoire naturelle de Buffon , in
LAISSUS Yves (coord.), Les naturalistes franais en Amrique du Sud. XVI-XIXe sicles, Paris,
CTHS, 1995, p. 57.
430

Deuxime partie

Chapitre V

superstitieuses prennent la mme forme au commencement et au dclin de la


civilisation 1684 . La dmarche inductive supple la dduction.

De lAmrique rve lAmrique expose


A cet gard, la relation de voyage impose sa prsence rcurrente, malgr
son caractre pittoresque dplaisant aux hommes de science mais qui, de La
Condamine Lvi-Strauss, apparat pourtant comme corollaire indispensable du
travail scientifique, prcisment pour faire place une classe dobservations
difficilement intgrables dans le corpus scientifique traditionnel. Malgr une
uvre dj gigantesque, Humboldt se rsout publier une relation, se justifiant
longuement de la raison dtre de cet anti-rcit de voyage 1685 :
Javais quitt lEurope dans la ferme rsolution de ne pas crire ce que
lon est convenu dappeler la relation historique dun voyage []. Javais
rang les faits, non pas dans lordre dans lesquels ils staient prsents
successivement, mais daprs les rapports quils ont entre eux. [] En
my livrant, je navais dautre but que de conserver quelques unes de ces
ides parses qui se prsentent un physicien [] de runir
provisoirement une multitude de faits que je navais pas le temps de
classer [] Les difficults que jai prouves depuis mon retour, dans la
rdaction dun nombre considrable de mmoires destins faire
connatre certaines classes de phnomnes, mont fait vaincre
insensiblement mon extrme rpugnance crire la relation de mon
voyage. [] Il est des dtails de la vie commune quil peut tre utile de
consigner dans un itinraire, parce quils servent rgler la conduite de
ceux qui parcourent les mmes contres aprs nous ; mais jai supprim la
plupart de ces incidents personnels qui noffrent pas un vritable intrt
de situation, et sur lesquels la perfection du style peut seule rpandre de
lagrment. 1686

1684

SANCHEZ Jean-Pierre, op. cit., pp. 91, 204-211 ; GONZALEZ MONTERO DE ESPINOSA
Marisa, op. cit., pp. 86, 122, 132 ; HUMBOLDT Alexandre de, op. cit., p. 181.
1685
Lexpression est de CORDONNIER Christophe, La relation historique du voyage aux
rgions quinoxiales du Nouveau Continent : un anti-rcit de voyage , in Acta Geografica, vol.
III, n 123, 2000, pp. 77-99.
1686
HUMBOLDT Alexandre de, op. cit., pp. 7-9.
431

Deuxime partie

Chapitre V

Avec Humboldt, le voyageur clair veut dcrire plutt que se raconter. Il


assume une position privilgie de chercheur-tmoin qui se place en mme
temps au-dedans et au-dessus de son objet 1687 . La vision, plus prcise et plus
scientifique, montre lAmrique espagnole dans sa complexit. Cet empiriste,
persuad de la supriorit de la pratique sur la thorie, rfute par exemple linertie
attribue au systme monopolistique pour mettre en avant le dynamisme de
linterlope favoris lors des guerres europennes. La fluidit des changes entre
les deux continents est, pour

Humboldt, la condition indispensable au

dveloppement de la civilisation atlantique 1688 .

3. Le reflux des donnes : dun mirage lautre


Prcisment, la Corona sapplique prserver le sanctuaire amricain des
intrusions culturelles trangres, et les moyens mis en uvre lors du dernier tiers
du XVIIIe sicle traduisent la volont mtropolitaine de matriser la divulgation du
savoir. Deux exemples illustrent la tension existant chez les voyageurs espagnols
entre le dsir de conserver leurs trsors et celui de les partager et permettre
leurs homologues la poursuite de lexploration. Dans le premier cas, Ruiz et Pavn
profitent de linterdiction de publier laquelle est soumis Dombey afin de
monopoliser la gloire de la mission au Chili et au Prou leur retour en Espagne,
en 1788. Pour sa part, Malaspina tombe en disgrce pour stre montr trop
libral dans ses conclusions concernant la politique suivre dans les colonies
espagnoles 1689 .

Le double discours nationaliste et universaliste


Avant-garde des Lumires, le voyageur lest galement de sa nation. En
offrant plus que les autres pays pour le progrs des connaissances humaines, Cook
1687

WOLFZETTEL Friedrich, op. cit., p. 275.


Cf. PUIG-SAMPER Miguel Angel (coord.), Alejandro de Humboldt y el mundo hispnico.
La Modernidad y la Independencia americana , in Debate y Perspectivas, dcembre 2000, n 1.
1689
BRENOT Anne-Marie, Les voyageurs franais dans la vice-royaut du Prou au XVIIIe
sicle , in Revue dHistoire Moderne et Contemporaine, vol. 35, 1988, pp. 252-253 ;
GONZALEZ MONTERO DE ESPINOSA Marisa, op. cit., p. 58.

1688

432

Deuxime partie

Chapitre V

contribue dabord la grandeur de la Couronne de Grande-Bretagne. Ici les


tensions sont relles entre le nationalisme et luniversalisme. Si ce dernier parat
faire des mules en Europe 1690 , il montre en tout cas ses limites dans les colonies
espagnoles et explique les difficults de pntration au sein du continent. De fait,
si les rsultats du voyage de Malaspina touchant aux aspects militaires sont
divulgus, lambition tant de rpliquer aux voyages de Cook, les intentions sont
dordre nationaliste 1691 . Ce nest quen 1799 que sinstaure une confiance entre
ltranger Humboldt et le gouvernement espagnol, au point que celui-ci renonce
placer le Prussien sous tutelle et accepte la divulgation de ses recherches dans le
reste de lEurope. Face aux attaques profres lencontre du colonialisme dans
lEssai politique sur lle de Cuba, lEspagne, dfaut de pouvoir empcher la
publication, censure louvrage.
La littrature prohibe pntre nanmoins parmi les lites croles, dont la
culture est loue par Ulloa, soucieux de rfuter les thses concernant la
dgnrescence des Europens en Amrique, avant que leur apprentissage des
Lumires, ralis notamment grce aux Sociedades Econmicas de Amigos del
Pas, normalise leurs propos 1692 . Forts dune filiation culturelle commune, les
croles accdent au rang dinterlocuteurs privilgis. A cet gard, leur
collaboration scientifique est exemplaire. Le botaniste Jos Mariano Mocio ainsi
que les peintres Vicente de la Cerda et Atanasio Echeverra, natifs de NouvelleEspagne, sont ainsi recruts pour lexpdition mene bien sur leurs terres de
1787 1797. Caldas et Humboldt se ctoient durant six mois en 1802 1693 . Dans

1690

En 1778, Louis XVI se laisse rapidement convaincre dordonner tous les officiers de sa
marine ou armateurs particuliers qui pourraient rencontrer le Capitaine Cook de sabstenir de
toutes hostilits envers lui et son btiment au nom du progrs des connaissances humaines ;
in HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., p. 173. Larticulation des intentions nationalistes et
universalistes, la prdominance de lune sur lautre jouent sans doute un grand rle dans la
constitution du savoir, en Amrique et ailleurs. Quelle aurait t la raction du roi de France si les
rsultats de Cook ntaient pas promis la divulgation ?
1691
MONGE Fernando, La honra nacional en las expediciones de Cook y Malaspina : una visin
antropolgica , in PIERO Mariano Esteban et al. (coord.), Estudios sobre historia de la ciencia
y de la tecnica, Valladolid, Junta de Castilla y Len, 1986, vol. II, pp. 703-713.
1692
Cf. GERBI Antonello, op. cit., pp. 123, 227-235, 386 ; SALADINO GARCIA Alberto,
Funcin modernizadora de las Sociedades Econmicas de Amigos del Pas en el Nuevo
Mundo , in Cuadernos Americanos, mars-avril 1993, n 38, pp. 225-236.
1693
Cf. PORRAS TROCONIS Gabriel, Alejandro de Humboldt y Francisco Jos de Caldas , in
Bolvar, vol. XII, n 52-54, pp. 145-165 ; ARIAS DIVITO Juan Carlos, Las expediciones
cientficas espaolas durante el siglo XVIII. Expedicin botnica de Nueva Espaa, Madrid,
Cultura Hispnica, 1968, pp. 30-45 ; APPEL John W., Francisco Jos de Caldas. A Scientist at
Work in Nueva Granada, Philadelphie, American Philosophical Society, 1994, pp. 20-34.
433

Deuxime partie

Chapitre V

beaucoup dautres cas, les Europens profitent de leur sjour pour former de
jeunes pousses capables de poursuivre leur travail.
Traverser locan nest dailleurs pas lapanage des Europens. Les
Croles effectuent leur Grand Tour en Europe, tel Carlos Montfar profitant du
passage de Bonpland et Humboldt pour les accompagner jusquen France. Les
causes du sjour en Europe sont trop diverses pour tre dveloppes ici ; rappelons
simplement que le no-grenadin Francisco Zea, nomm professeur dhistoire
naturelle Bogot en 1786 et participant lexpdition de Mutis, est emprisonn
deux annes en Espagne pour avoir adhr aux thses rvolutionnaires franaises,
puis, aprs sa remise en libert, devient un fer de lance des indpendantistes en
Europe. Aussi, les Miranda et Bolvar ont-ils ctoy les milieux clairs avant de
revenir en Amrique mettre en pratique les ides acquises au contact du
laboratoire europen. Dautres enfin entament aussi un voyage douest en est, mais
sans retour celui-l. A partir de 1767 en effet, les jsuites diffusent aprs leur
expulsion une culture qui incarne une poque o la rencontre entre lEurope et
lAmrique se situe au confluent de plusieurs courants de pense, parfois
contradictoires : dune part, lesprit de la mission vanglique, de lautre
lidologie des Lumires. 1694 Les jsuites savrent les meilleurs dfenseurs de
la culture crole, une avant-garde trs remuante en Europe comme en tmoignent
leurs crits et les ractions sans ambages de lEspagne 1695 .

Les prmices culturels dune science


En outre, le dsir partag de la normalisation amne parfois le voyageur
pouser les revendications de ses htes, comme le fait Humboldt en insistant sur le
sentiment amricaniste qui se dveloppe au Mexique, particulirement depuis

1694

CHENU Jeanne, Une interprtation claire de la province de Santa Marta : vision dun
Jsuite xil, le Padre Antonio Julin , in BENASSY Marie-Ccile, CHENU Jeanne, MILHOU
Alain, MIRET Enric, PONS Andr, QUESADA Carlos, SAINT-LU Andr, Etudes sur limpact
culturel du nouveau monde, Paris, LHarmattan, tome 1, 1981, pp. 75-76.
1695
Tel lArgentin Juan Jos Godoy, emprisonn Cadix en 1787 aprs avoir t souponn de
vouloir sublevar o perturbar alguna de nuestras posesiones ; cf. FURLONG Guillermo, Los
Jesuitas y la cultura rioplatense, Buenos Aires, Secretara de Cultura de la Nacin/Biblos, 1994,
pp. 161-174. Pour une approche globale de luvre culturelle jsuite en Europe, voir GERBI
Antonello, op. cit., pp. 243-291.
434

Deuxime partie

Chapitre V

1789 1696 . Si les Europens succombent facilement au mirage de linfriorit crole


vis--vis dune caste dominante espagnole, il semble difficile de parler dune
crolisation du voyageur. En dpit de la fascination quexerce lAmrique 1697 ,
linversion du discours privilgie par les Croles de la rpulsion lexaltation,
telle quelle transparat dans les crits de Clavijero et de son disciple Alzate 1698
conduit une impasse. Un terrain dentente se dessine autour de la notion de
progrs utilise par les Amricains pour faire valoir la reconnaissance de leur
identit et de leurs droits. Intgre, normalise mais attarde, surtout si on la
compare aux Etats-Unis ce dont les voyageurs ne se privent pas , lAmrique
ibrique se dirige vers un ge dor qui, pour sacqurir, implique la ngation dune
partie de son identit. Quitter lenfance demande des sacrifices.
Car du polycentrisme dcoule dautres schmes marqus par un
ethnocentrisme dvelopp de part et dautre de lAtlantique. Ethnocentrisme non
raciste mais progressiste, universaliste :
Dans lAmrique septentrionale, [] un voyageur qui part dune ville
principale o ltat social est perfectionn, traverse successivement tous
les degrs de civilisation et dindustrie qui vont toujours en saffaiblissant
[]. Un tel voyage est une sorte danalyse pratique de lorigine des
peuples et des Etats. On part de lensemble le plus compos pour arriver
aux donnes les plus simples ; on voyage en arrire dans lhistoire des

1696

LEuropen le plus misrable, sans ducation, sans culture intellectuelle, [] peut un jour
parvenir des places dont laccs est presque interdit aux natifs, mme ceux qui se distinguent
par leur talent, par leurs connaissances et par leurs qualits morales , commente-t-il dans son
Essai politique sur la Nouvelle-Espagne, op. cit., pp.145-146. Les passages les plus saillants sont
cits par MADARIAGA Salvador de, Le dclin de lempire espagnol dAmrique, Paris, Albin
Michel, 1958 (1949), pp. 233-236. Sur la question de linfluence franaise sur le processus
rvolutionnaire hispano-amricain, cf. BRAVO LIRA Bernardino, La revolucion Francesa vista
por los Iberoamericanos , in Diplomacia, n 48, 1989, pp. 50-56 ; GUERRA Franois-Xavier,
Rvolution franaise et rvolutions hispaniques : filiations et parcours , in Problmes
dAmrique Latine, Notes et tudes documentaires, n 94, 1989, pp. 3-26 ; SANGUINETTI
Horacio, La revolucion francesa y Mayo in Todo es Historia, vol. XXII, n 264, 1989, pp. 622 ; STOETZER Carlos A., Linfluence franaise au Ro de la Plata travers les rgimes
politiques et les textes constitutionnels , in Cahiers des Amriques latines, n 10, 1990, pp. 65-80.
1697
Fascination que lon peroit le mieux dans le discours iconographique. Voir ce sujet
PINAULT SORENSEN Madeleine, Les voyageurs artistes en Amrique du Sud au XVIIIe
sicle , in LAISSUS Yves (coord.), op. cit., pp. 43-55.
1698
Cf. PESET Jos Luis, El espacio americano y el nacimiento de la geografa mdica , in
BENASSY Marie-Ccile CLEMENT Jean-Pierre, PELAYO Francisco, PUIG-SAMPER Miguel
Angel (coord.), Nouveau Monde et renouveau de lhistoire naturelle, Paris, Presses de la Sorbonne
Nouvelle, tome III, 1994, pp. 234-244.
435

Deuxime partie

Chapitre V

progrs de lesprit humain ; on retrouve dans lespace ce qui nest d qu


la succession du temps

1699

constate Humboldt qui, du mme coup, renvoie lhomme sauvage une


reprsentation des premires phases du dveloppement dune socit humaine
universelle qui le condamne disparatre 1700 .
Vivant sans pass ni futur, sans travail, le sauvage est donc exclu de la
civilisation 1701 . Le modle de rfrence pose dailleurs un problme aux
voyageurs face aux civilisations prcolombiennes. Lincomprhension rebute les
voyageurs. Face des socits ayant atteint un degr de perfectionnement
indniable mais dont les phases de dveloppement ne permettent pas une
classification uniforme, comment les insrer dans lhistoire ? Comment expliquer
limagination gare dun peuple qui se plaisait offrir le cur palpitant
des victimes humaines des idoles gigantesques et monstrueuses

1702

Le comparatisme montre ici ses limites. Jugs dinspiration satanique au


XVIe sicle, les restes de la civilisation aztque perdent cette cohrence lorsquil
sagit de faire concider architecture et socit deux sicles plus tard. A ce titre, les
tentatives de lecture de Humboldt empruntent au christianisme, lAntiquit, au
Moyen Age, aux Chinois et aux Hindous. Finalement, cette branche intressante
de lAntiquit prouve que des nations entires peuvent avancer rapidement
vers la civilisation, sans que les institutions politiques et les formes de leur culte
perdent entirement de leur ancienne barbarie 1703 . Des demi-barbares , dont il
serait curieux de placer lart ct des belles formes qu vu natre le ciel de la
Grce et de lItalie , voil ce que reprsentent les anciens Mexicains pour le

1699

HUMBOLDT Alexandre de, citant Talleyrand dans son Essai politique sur la Nouvelle
Espagne, Paris, Utz, 1997 (1811) p. 173.
1700
Cf. PAGDEN Anthony, Americanism from modernity to post-modernity , in GRUZINSKI
Serge, WACHTEL Nathan (dir.), Le Nouveau Monde. Mondes Nouveaux. Lexprience
amricaine, Paris, EHESS, 1996, p. 613. De la mme manire, Tocqueville pourra arguer du droit
au progrs afin de justifier lappropriation territoriale des Etats-Unis au dtriment des Indiens.
Humboldt, pour sa part, distingue le sauvage de lIndien qui, ayant dj connu une forme de
civilisation et qui, intgr la socit coloniale, en devient perfectible.
1701
Dans la deuxime moiti du XVIIIe sicle, le mot de civilisation ne sutilise quau singulier. Le
travail acquiert pour sa part une valeur qui va rejeter pour longtemps le sauvage hors de lordre
social. Cf. JACOB Annie, Amrindiens/Europens : les transferts culturels dans les
reprsentations du travail (XVIe-XVIIIe sicles) , in TURGEON Laurier, DELAGE Denys,
OUELLET Ral (dir.), Transferts culturels et mtissages Amrique/Europe, XVIe-XXe sicle, Paris,
LHarmattan, 1996, pp. 349-356.
1702
HUMBOLDT Alexandre de, op. cit., p. 212.
1703
HUMBOLDT Alexandre de, Vues des Cordillres et monumens des peuples indignes de
lAmrique, Paris, Schoell, 1810, pp. 99, 194.
436

Deuxime partie

Chapitre V

voyageur clair, au grand dam cette fois des croles. Le mirage dune civilisation
universelle nchappe pas ses propres contradictions 1704 .

Un bilan dcevant
De la somme de connaissances refluant en Europe, un grand nombre
pourrit toutefois. Car sils sont une avant-garde des Lumires, les voyageurs en
assument les dboires, et force est de constater que la reconnaissance est rarement
au rendez-vous. Les rsultats obtenus par lexpdition Godin au Prou sont
occults par ceux de Maupertuis. Joseph de Jussieu, le naturaliste de lexpdition,
ne laisse aprs un sjour de trente-six ans que quelques notes et une
correspondance 1705 . De mme les collectes du naturaliste de Bougainville,
Commerson, effectues en grande partie dans le Ro de la Plata, demeurent
enfouies au Jardin du Roi. Pron doit se battre pour que soit reconnu son travail et
accder finalement lInstitut, chance que Bonpland ne partage pas, jetant
lponge et repartant pour lAmrique en qute dune promotion 1706 . En 1781,
Dombey laisse clater sa rancur vis--vis des conflits entre savants :
La diversit des sentiments sur la marche ou le travail occasionne des
msintelligences qui quoiquelles nclatent pas, ulcrent les curs. []
Ne point har son compagnon qui reoit une faveur, une rcompense que
lon ne reoit pas soi-mme et que lon croit mriter, est une si belle
vertu, que lhomme qui nen harait pas un autre dans ce cas, mriterait
des autels[] je parle de la jalousie qui sengendre entre quelques
personnes qui suivent une mme carrire. Dans ce cas-l, une louange,
quelques prfrences accordes celui qui aura des talents suprieurs,
suffiront pour le faire dtester de ses compagnons de voyage [] La
vertu, les bonnes actions, filles de la vertu, suffisent pour se faire des

1704

HUMBOLDT Alexandre de, Essai politique sur le royaume de la Nouvelle Espagne, Paris,
Utz, 1997 (1811), p. 150. Serge Gruzinski explique quen explorant son sol, Mexico entend
rivaliser avec les villes italiennes et espagnoles. [] Tendue vers lavenir, curieuse de son pass
antique comme Naples ltait la mme poque, [elle] affirme sa personnalit en sefforant de
rompre avec son pass immdiat ; GRUZINSKI Serge, Histoire de Mexico, Paris, Fayard, 1996,
p. 82.
1705
Cf. BRENOT Anne-Marie, op. cit., pp. 249-251.
1706
Cf. BROSSE Jacques, Les tours du monde des explorateurs. Les grands voyages maritimes,
1764-1843, Paris, Bordas, 1983, pp. 32, 106-107.
437

Deuxime partie

Chapitre V

ennemis de ceux avec lesquels on doit passer une partie de sa vie. Il est
assez ordinaire de voir des expditions manquer par de tels motifs.

1707

Et que dire des rsultats espagnols ? Trs peu sont publis malgr la leve
de la censure, et les normes moyens mis en uvre le sont en pure perte. Une
subvention lance en 1791 dans lensemble des possessions, afin de publier une
Flora Americana rassemblant les fruits de cinquante annes de recherche, choue
runir les fonds ncessaires. Ruiz et Pavn parviennent nanmoins publier une
partie de leurs travaux grce leur abngation dans la recherche des fonds 1708 .
Lultime expdition du sicle, dirige par le comte de Mopox Cuba entre 1796 et
1802, ne connat pas de meilleur sort que ses devancires 1709 . Une fois encore, les
trsors du Nouveau Monde chappent aux Espagnols 1710 . La botanique est
pourtant la science reine, celle dont la nomenclature rend possible la constitution
dun savoir universel. Elle participe aussi le mieux ter sa monstruosit au
Nouveau Monde.
A travers le survol dun demi-sicle de voyages entre lEurope et
lAmrique, nous pouvons mesurer les avances ralises dabord en ce qui
concerne lisolement culturel de lAmrique ibrique. A dfaut de former une
relle communaut scientifique, une Rpublique des savants , les voyageurs
tissent un rseau qui va alimenter un regain dintrt pour le continent, et dabord
de la part de ses habitants. En dpassant, grce leur empirisme raisonn, la
rupture entre lgendes noire ou rose, ils mancipent le Nouveau Monde dune
tutelle culturelle pesante. La construction dune civilisation atlantique profite
directement aux croles, qui participent activement limmense tentative de
comprhension de leur patrie.
Depuis les natures et les cultures observes, jusqu celles restitues, le jeu
des filtres culturels est videmment fondamental dans le processus de restitution
de linformation. Mais les efforts intents notamment pour relier la nature la
1707

HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., pp. 86-87.


RODRIGUEZ NOZAL Ral, GONZALEZ BUENO Antonio, Las colonias al servicio de la
ciencia metropolitana : la financiacin de las Floras Americanas (1791-1809) , in Revista de
Indias, 1995, vol. LV, n 205, pp. 597-634.
1709
cuando los materiales botnicos (herbario y descripciones de las plantas) se encontraron en
Espaa cayeron en el olvido y ni se ordenaron ni se clasificaron , commentent GOMIS BLANCO
A., PELAYO LOPEZ F. et FERNANDEZ PEREZ J., Valoracin de los resultados obtenidos por
los naturalistas de la expedicin a Cuba del Conde de Mopox (1796-1802) , in PIERO Mariano
Esteban et al. (coord.), op. cit., p. 638.
1710
Mocio, rfugi en France, confie ses travaux de Candolle quil rencontre Montpellier ; cf.
ARIAS DIVITO Juan Carlos, op. cit., pp. 267-269.
1708

438

Deuxime partie

Chapitre V

culture, lintrt scientifique de plus en plus dvelopp vis--vis des socits


rencontres, ouvrent un nouveau monde aux voyageurs de la seconde moiti du
XVIIIe sicle. Mais cette nouveaut change dessence depuis Ulloa jusqu
Humboldt et Bonpland en mme temps que saffirment les Lumires, et surtout
leurs missionnaires qui profitent dun terrain dexprimentation privilgi.
Porteurs dune culture, les voyageurs se voient offrir dautres perspectives dans la
constitution du savoir. Linteraction aboutit la fin du sicle la formation de
sciences nouvelles telle lethnologie. Le voyageur naturaliste prpare sa propre fin
face la ncessit de diviser les terrains dtudes au fur et mesure que se
complexifient les approches, qui elles-mmes serviront bientt dvelopper
dautres sciences, mais aussi dautres mythes. En effet, le concept du Paradis
terrestre se dplace du continent amricain vers les les pacifiques, fait significatif
de la persistance dune qute laube de lge romantique.
Par leurs sacrifices aussi, les voyageurs prparent lexploration europenne
ultrieure du Nouveau Monde, qui peut servir de laboratoire et de modle celle
des autres continents. En effet, la pntration lintrieur des terres en vue
dobtenir des informations scientifiques et non plus seulement des richesses,
constitue un dveloppement important de la dmarche intellectuelle. Le transfert
des savoir-faire, des formations et des informations reste et restera

pendant

longtemps le seul moyen de prparer le voyage ; le prestige naissant entourant


lexplorateur, le recours celui-ci va le transformer, surtout aprs les
indpendances ibro-amricaines, en une icne charge du pouvoir de comprendre
lautre et lailleurs, parce quil en a souffert et parce quil en a ramen la bonne
parole. Surtout, les sacrifices endurs lors de la seconde moiti du XVIIIe sicle
prparent lexpansion coloniale europenne du sicle suivant, le Sicle dOr des
explorateurs.

B. LES RELATIONS SCIENTIFIQUES ENTRE LE RIO DE LA


PLATA ET LEUROPE
Aprs avoir envisag le continent hispano-amricain dans son ensemble, il
est ncessaire de dtailler lanalyse en se conformant son processus de
439

Deuxime partie

Chapitre V

morcellement politique. Le Ro de la Plata est une des terrae incognitae qui


demeurent au dbut du XIXe sicle, et le bilan exploratoire dcevant lest encore
davantage pour cette rgion. Loffre et la demande scientifiques favorisent par
consquent un rapprochement dont Bonpland, parmi dautres, bnficie. En effet,
lmergence dadministrations autonomes puis indpendantes saccompagne dune
multiplication des besoins scientifiques. Ceux-ci sexpriment en terme de prestige,
mais surtout en fonction des ncessits dencadrement auxquels doivent faire face
les dirigeants hispaniques, et particulirement ceux rioplatenses.
Les politiques scientifiques qui se dveloppent dans le Ro de la Plata
demandent tre identifies de faon prcise. En effet, lorganisation de structures
scientifiques indignes rpond des objectifs prcis, mis en place par des acteurs
clairement identifis. En outre, les circonstances de leur mise en place, et surtout
de leur localisation, influent sur les stratgies dchanges vis--vis de lEurope.
Lingalit des rapports entre ces deux communauts scientifiques influence
profondment la construction des savoirs amricanistes. Or, limage de
lAmrique latine volue proportion des avances scientifiques, notamment dans
les interprtations du rapport entre lhomme et le milieu, volution dont
lexpdition

Humboldt-Bonpland

marque

une

tape

dcisive,

tudie

antrieurement. Il sagit de comprendre pourquoi Bonpland dcide de se rendre de


nouveau sur ce terrain, ce qui pose ncessairement la question, en rsonance, des
besoins rioplatenses.

1. Un bilan au moment de la rupture politique


Le travail de normalisation qui seffectue dans les sciences naturelles prend
alors une importance grandissante, du travail de terrain la mise en rseau des
informations. A cet gard, les lites porteas alimentent amplement un sentiment
de dception. Dune part concernant lattitude de la mtropole, dautre part
relativement aux capacits intrinsques de la rgion. Cette dernire posture est
extrmement rare, particulirement au sujet du potentiel naturel. Dans sa grande
majorit en effet, le discours crole svertue rfuter les thses de linfriorit du
Nouveau Monde. Or, le sentiment prdominant Buenos Aires est semblable

440

Deuxime partie

Chapitre V

celui exprim par le No-grenadin Francisco Jos Caldas, qui vhicule une image
ngative dans la filiation directe de Pauw. Ce clivage idologique entre Croles ne
recoupe pas le clivage politique entre pro et anti-indpendantistes, Caldas luimme patriote tant fusill par les Espagnols 1711 . Il sagit pour les Amricains
dobtenir un quilibre au sein des collaborations possibles.
Ce problme de lquilibre participatif est au centre des relations
transatlantiques ; il rejoint celui de lacceptation du modle europen et de ses
ressources. Cet aspect sera dvelopp lorsque nous voquerons le recrutement des
cadres, mais il apparat dors et dj si lon se rfre au bilan trac la veille de la
rupture vis--vis de la mtropole. En effet, cette acceptation de la vision
europenne correspond une comprhension du dsquilibre et une volont de
combler cet cart. En outre, la situation de Buenos Aires est extrme puisquil
sagit pour Bonpland de transfrer entirement non seulement une institution, mais
aussi une culture scientifique. Nous allons aborder les facteurs des fortes attentes
vis--vis du naturaliste franais.

Des lites porteas complexes


En ce qui concerne ces enjeux, loriginalit du Ro de la Plata rside
certainement dans labsence dun pass, dun hritage consquent. Aussi, en 1817,
les Rioplatenses insistent sur les bienfaits dun recrutement tel que celui dont fait
lobjet Bonpland, dans un pays dans lequel le rgne vgtal est dans sa premire
enfance 1712 . Il ne sagit pas dune enfance idalise, comme on peut la trouver
au Mexique par exemple sous la plume de Clavijero et de son adepte Humboldt.
Le territoire nest pas non plus porteur de grandes richesses et des mythes
classiques laccompagnant, comme cest le cas encore la mme poque pour son
voisin et concurrent brsilien. Le Brsil se prte en effet aux rcits alliant
lapologie la mconnaissance des ralits 1713 . Mais Buenos Aires il nexiste
1711

Concernant Caldas, outre les ouvrages dj cits de ARIAS DIVITO Juan Carlos et APPEL
John W., cf. aussi CHENU Jeanne, Francisco Jos de Caldas. Un peregrino de las ciencias,
Madrid, Historia 16, 1992.
1712
en un pas en que el reino vegetal est en su primera infancia . La Crnica Argentina, 1er
fvrier 1817, cit in FURLONG Guillermo, Naturalistas argentinos durante la dominacin
espaola, Buenos Aires, Huarpes, 1948, p. 415.
1713
Cf. POTELET Jeanne, op. cit., pp. 17-20.
441

Deuxime partie

Chapitre V

pas cette mythification de la beaut et de la prodigalit de la nature, au contraire.


Cette image dun dsert argentin, alimente ensuite par la Generacin del 37, est
dj trs prsente dans les milieux rioplatenses. Point de Paradis terrestre au Ro
de la Plata, mais un milieu matriser.
Dans lensemble, il demeure trs difficile dapprhender les connaissances
de Bonpland en matire dhistoire naturelle rioplatense au moment de son arrive.
Mais il parat certain quil prend connaissance, lors du sjour madrilne de 1799,
des Icones et descriptiones plantarum de Cavanilles 1714 dans lesquelles sont
consignes, outre la flore autochtone espagnole, 42 plantes originaires du Ro de la
Plata et amenes dans la mtropole par Luis Ne 1715 . Il est retenir quen 1817 il
saccorde avec les autorits sur le manque de travaux et sur lutilit de sa
prsence ; beaucoup est faire et il est lhomme de la situation :
La venue de ce professeur dans un pays jusquici inexplor, servira
beaucoup aux connaissances dont le monde est dpourvu vis--vis dune
partie tant intressante et tendue du continent amricain []. Il est sans
doute le premier botaniste et zoologiste qui nous a rendu visite, et son
mrite tant tellement minent, nous croyons que cette bonne fortune se
mettra contribution.

1716

Ce constat est dautant plus significatif quil est unanimement partag ; il


constitue spcialement un des motifs de la dclaration dindpendance 1717 .
Sadressant Bonpland en 1818, Damasio Larraaga 1718 dplore lisolement dans
lequel il se trouve tout comme il fait part de ses doutes quant la ralisation dune
histoire naturelle du Ro de la Plata 1719 . Le problme nest pas nouveau puisquil
1714

CAVANILLES Antonio Jos, Icones et descriptiones plantarum quae aut sponte in Hispania
crescunt aut in hortis hospitantur, Madrid, Imprenta Real, 1791-1801, 6 vol.
1715
HICKEN Cristbal M., Evolucin de las ciencias en la repblica argentina, vol. 7, Los
estudios botnicos, Cincuentenario de la Sociedad Cientfica Argentina (1872-1922), Buenos
Aires, Coni, 1923, pp. 48-49.
1716
La venida de ese profesor a un pas hasta aqu no explorado, valdr mucho a los
conocimientos de que en el mundo carece sobre una parte tan interesante y extensa del continente
amricano []. El es sin duda el primer botnico y zoologista que nos ha visitado, y siendo de
tanta eminencia su mrito, creemos que se pondr en contribucin esta buena fortuna. , La
Crnica Argentina, Buenos Aires, 5 fvrier 1817.
1717
Linterdiction de lenseignement des sciences est mise en avant dans le Manifesto que hace
las Naciones el Congreso general Constituyente a las Provincias Unidas del Rio de la Plata, sobre
el tratamiento y crueldades que han sufrido de los espaoles y motivado la declaracin de su
independencia. Buenos Aires, 25 de Octubre de 1817 , cit in HICKEN Cristbal M., op. cit., p.
58.
1718
Damasio Antonio Larraaga (1771-1848), considr comme le pre fondateur des sciences et
de la culture uruguayenne notamment grce la cration de la bibliothque de Montevideo.
1719
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Larraaga a
Bonpland, Montevideo, 26 fvrier 1818. Ce projet, en estos ultimos pueblos de la America del
442

Deuxime partie

Chapitre V

confie dj Bartolom Muoz 1720 , en 1808, la situation dans laquelle il se


trouve :
Moi, seul, ne peut pas faire grand chose, suivant ladage commun entre
les botanistes selon lequel unus homo, nullus homo

1721

Le religieux fait en effet figure dexception au sein dun clerg oublieux de


lenseignement des sciences naturelles. A Buenos Aires, le Colegio de San Carlos
est dailleurs pour ce motif rform en 1818 et prend le nom de Colegio de la
Union del Sur ; la nouvelle chaire de sciences naturelles cre est attribue
Bonpland 1722 . Le mme problme touche la recherche, Saint-Hilaire voquant en
1824 les fonds dpenss inutilement pour lherborisation de labb Vellozo de
Villa Rica 1723 .
Toutefois, le terrain nest pas totalement vierge, particulirement en ce qui
concerne les anciennes missions jsuites partages entre lex vice-royaut du Ro
de la Plata et lempire brsilien 1724 . Or, il demeure de cette priode les Herbarios
Misioneros,

copies

manuscrites

dtudes

de

missionnaires

et,

plus

vraisemblablement, uvres collectives dont les copies les plus anciennes datent de
1710. Ajouts dautres travaux plus rcents, ceux de Bernardino Lpez, Jos
Snchez Labrador et Martn Dobrizhofer, rdigs entre 1760 et 1784, se sont
autant de manuscrits en circulation dans la rgion des Missions 1725 . A dfaut de les
possder, Bonpland en a-t-il connaissance ? Les archives ne permettent pas de
rpondre cette question avant que le Franais ne se rende dans le Nord des
Provinces-Unies. Peut tre la bibliothque de Buenos Aires, riche de plus de 12

Sur en que apenas llegaba algun libro de Hist.a N.l y en donde casi ningun naturalista habia fixado
una vista cientifica , est dune telle ampleur quil craint, lge de 46 ans, de ne pouvoir en venir
bout.
1720
Bartolom Muoz, homme religieux et naturaliste amateur, est lorigine du Musum de
Buenos Aires grce au don de sa collection prive.
1721
Yo, slo, poco puedo hacer, porque es adagio comn entre los botnicos que unus homo,
nullus homo ; lettre de Larraaga Muoz date du 6 juillet 1808, cite in FURLONG
Guillermo, op. cit., p. 375.
1722
Manuel Moreno fustige en 1812 la mconnaissance des ordres religieux en charge de
lducation scientifique : como sus miras principales son los asuntos de religin, no cuidan
instruirlos en las ciencias naturales, y as mal pueden comunicar a sus discpulos esos
conocimientos que ellos no poseen ; cit in HICKEN Cristbal M., op. cit., pp. 57-58.
1723
SAINT-HILAIRE Auguste de, Histoire des plantes les plus remarquables du Brsil et du
Paraguay : comprenant leur description et des dissertations sous leurs rapports, leurs usages, etc.,
avec des planches, en partie colories, Paris, Belin, 1824, p. 23.
1724
Il sagit des uniques monuments porteurs dun prestige culturel ; cf. MYERS Jorge, op. cit., pp.
385-386.
1725
KRAPOVICKAS Antonio, op. cit., pp. 229-232.
443

Deuxime partie

Chapitre V

000 volumes 1726 , en possde-t-elle quelques exemplaires. En outre, plusieurs


particuliers disposent de bibliothques dotes de fonds curieux , selon
lexpression de Caldcleugh, la plus richement dote tant celle de Saturnino
Segurola qui fut sous-directeur de la Bibliothque Publique enrichie des
dpouilles de la Compagnie de Jsus, et toutes tant en vente des prix
exorbitants 1727 .
Plus tardivement, les ouvrages de Flix de Azara 1728 comblent une bonne
partie de lhistoire naturelle rgionale, sans toutefois en raliser une tude
systmatique 1729 . La faiblesse des recherches ainsi que lhtrognit du milieu
naturaliste, et particulirement botaniste, sexplique selon Larraaga par les
qualits ncessaires lexercice de cette science, qualits encore ngliges 1730 . La
conscience dun retard dans le domaine de la recherche et de linstruction est trs
prsente chez les lites porteas. Hormis Muoz ami et formateur de Larraaga
il nexiste pas dimpulsion favorise par le collectionnisme. Pour beaucoup, la
faute en incombe lobscurantisme mtropolitain. La ngation de luvre
espagnole dans cette partie de lAmrique, volontaire ou non, efface par
consquent une mmoire scientifique hrite des Lumires qui, bien que tnue,
parvient se maintenir en dautres lieux.

1726

Les 12 000 volumes correspondent aux fonds dposs lors de son ouverture, en 1810, daprs
Alexander Caldcleugh ; cf. ARRIETA Rafael, La ciudad y los libros. Excursion al pasado
bibliografico porteo, Buenos Aires, Libreria del Colegio, 1955, p. 47.
1727
Ibid.
1728
Flix de Azara sjourne de 1781 1801 au Paraguay afin de participer lexpdition de
dlimitation des limites entre les empires portugais et espagnol. Durant ce sjour, Azara dcrit
plusieurs centaines de mammifres et surtout doiseaux ; son retour ses rsultats sont publis en
Espagne et en France.
1729
Cf. MONES Alvaro, KLAPPENBACH Miguel A, Un ilustrado aragons en el virreinato del
Ro de la Plata : Flix de Azara (1742-1821). Estudios sobre su vida, su obra y su pensamiento.
Volumen de Homenaje en los 175 Aos de su Muerte. 1821-1996 , in Anales del Museo Nacional
de Historia Natural de Montevideo, deuxime srie, vol. IX, 1997, pp. 36-43. Les auteurs insistent
avec justesse sur la porte des recherches de lAragonais, tout en faisant remarquer quil ne sagit
que de notes partielles, Azara nayant pas la prparation acadmique suffisante pour prtendre
une uvre exhaustive. Ceci nempche pas le grand retentissement de ses ouvrages et les loges
profres par ses contemporains.
1730
No se necesita para ello de talento alguno particular, pues el mo es bastante comn. Slo se
requiere, segn la expresin de Buffon para las ciencias naturales, una paciencia ms que heroica ;
y mucho ms para el reyno indeterminado de la Botnica. La constancia es la que siempre ha hecho
los sabios, no los talentos, y una pasin decidida por estas ciencias, que no es de los menores
requisitos ; lettre de Larraaga Muoz, 6 juillet 1808, cite in FURLONG Guillermo, op. cit.,
pp. 374-375.
444

Deuxime partie

Chapitre V

Un terrain nglig ?
Le faible nombre des travaux naturalistes dans cette partie du continent est
la motivation avoue du voyage de Bonpland. A Buenos Aires, on constate ds la
formation de la Primera Junta Patria, en 1810, labandon dans lequel se trouvent
les trois rgnes de la nature, et la ncessit de les exploiter rationnellement 1731 . Au
plus fort de la phase indpendantiste, entre 1810 et 1821, on note dailleurs de la
part des priodiques le recul des proccupations scientifiques en gnral,
logiquement supplantes par le discours indpendantiste. Cela ne gne nullement
le recrutement de Bonpland, celui-ci adhrant aux thses librales amricaines
les progrs politiques tant pour lui aussi motivants que les progrs scientifiques.
Mais il est avr que le discours didactique dominant avant 1810 dans la presse
portea sefface derrire le discours idologique 1732 .
La constitution dun rseau savre indispensable Bonpland pour pntrer
les pratiques sociales et savantes rioplatenses ; son principal souci est de justifier
son utilit sociale, tache dont il sacquitte remarquablement auprs du
gouvernement de Buenos Aires grce la prsentation dun programme
scientifique en accord avec les attentes des dirigeants. Ses recherches autour de la
flore saccordent notamment avec les projets dtudes amricanistes, dans la
perspective dj propose laube du XIXe sicle par le monde savant porteo.
Suivant le programme expos par Francisco Cabello1733 dans les exemplaires du
Telgrafo Mercantil parus entre 1801 et 1802, le projet de fondation dune
Sociedad Literaria y Econmica del Ro de la Plata implique linsertion de tout
travail portant sur lAmrique, ainsi quune impulsion des tudes favorisant la
formation de la jeunesse amricaine 1734 . Existe-t-il alors une rupture du discours
scientifique continental au cours des annes 1810 ? Nous ne le pensons pas ; si la
volont est au contraire bien ancre, voire renforce par la rupture davec la Mre
Patrie, la dynamique est brise par le fractionnement politique hispano-amricain.

1731

CAMACHO Horacio H., Las Ciencias Naturales en la Universidad de Buenos Aires, Buenos
Aires, EUDEBA, 1971, p. 10.
1732
VALLEJOS DE LLOBET Patricia, El vocabulario cientfico en la prensa iluminista portea
(1800-1825) , in Cuadernos Americanos, UNAM, n 38, mars-avril 1993, p. 210.
1733
Francisco Cabello, militaire, avocat et journaliste, fonde la Sociedad Literaria en 1800.
1734
Laccent est mis sur ltude de la minralogie, mais le propos est bien, selon Horacio H.
Camacho, de diffuser les connaissances concernant le continent entier ; cf. CAMACHO Horacio
H., op. cit., pp. 7-8.
445

Deuxime partie

Chapitre V

Le Franais adhre trs vite au discours antiespagnol. A loccasion de sa


sollicitation au poste de professeur dHistoire naturelle, demeur vacant suite au
dcs de Thaddeus Haenke 1735 , Bonpland insiste son tour sur la virginit du
terrain. La faute en incombe selon lui la cour de Madrid qui dune part na port
aucun effort sur la rgion du Ro de la Plata, priphrique dun point de vue
conomique et culturel, et dautre part prive le monde scientifique des seuls
travaux de Haenke puisque son dcs, intervenu dans une rgion sous contrle
espagnol, a pour consquence la rtention de ses manuscrits, rien nayant t
publi en Espagne ; le matriel brut est perdu pour les Provinces-Unies du Ro de
la Plata. Le bilan dress par le Franais est dplorable :
LEtat na donc ni [] descriptions, ni dpts qui fassent connatre ses
habitants, ni aux trangers les prcieux objets de son histoire
naturelle

1736

Ces propos demandent tre nuancs. Lenjeu tant de taille pour


Bonpland, savoir lobtention de lunique poste de naturaliste du pays, il passe
sous silence les contributions des quelques pairs, professionnels ou amateurs,
stant aventurs dans le vice-royaume de la Plata. Si la Bibliothque Publique de
Buenos Aires rcemment cre, en 1810, ne semble pas en possession des
ouvrages de Pernetty, Commerson, ou Azara ouvrages disposition des
Europens elle possde depuis 1813 la collection particulire de Bartholom
Muoz, fruit de vingt ans de travaux exposs dans le Muse Public, lintrieur
des locaux de la Bibliothque 1737 . Bonpland, en relation avec Muoz, en connat
parfaitement lexistence ; mais un petit mensonge vaut bien une grande place Il
nen demeure pas moins que lanalyse de Bonpland est trs proche de celle
formule dix ans plus tard par les collaborateurs de Rivadavia qui, sils
mentionnent la collection de Muoz, en signalent aussi la strilit pour le monde
savant, dune part car il sagit le plus souvent de copies et parmi elles 62

1735

Thaeddus Haenke (1761-1817), botaniste originaire de Bohme, prend part en 1789


lexpdition de Malaspina et accoste au Chili en 1794. Il se consacre ds lors ltude botanique
dans lactuelle Bolivie jusqu sa mort.
1736
No tiene pues el Estado [] descriptiones, ni depositos que hagan conocer a sus habitantes,
ni a los extrangeros los preciosos objetos de su historia natural. Bonpland J. M. de Pueyrredn,
Buenos Aires, 22 juin 1818, cit in FURLONG Guillermo, op. cit., p. 415.
1737
CAMACHO Horacio H., op. cit., pp. 10-11.
446

Deuxime partie

Chapitre V

estampes de vgtaux , dautre part parce que les savants aprs avoir admir ce
qui sest fait, narrtent pas dexplorer pour autant ce qui reste faire 1738 .
Il sagit autant de propager les Lumires que de rompre avec la mentalit
des anciens colonisateurs. Bonpland est particulirement reprsentatif ce sujet,
ses constats dordre conomique se rfrant une fois encore aux lacunes de
lancienne administration espagnole. Mais ce point de vue pour autant quil soit
contre-courant nest pas marginal ; le gouvernement Rivadavia ou les premiers
colons venus dEurope sous lgide de John Beaumont tiennent un discours
similaire lorsquils voquent la soif de lor des anciens colonisateurs1739 . Enfin le
peu de ressources, quil sagit alors daugmenter en 1827, est encore une
consquence de lignorance des anciens colonisateurs 1740 .

Des moyens insuffisants ?


Cette prtendue mise lcart combine la faiblesse des ressources
naturelles a pour consquence labsence de moyens suffisants pour impulser
lactivit scientifique, commencer par les bonnes volonts. Ni la matire grise, ni
la carence douvrages nexpliquent la faiblesse des tudes ; ce sont dabord les
bras qui manquent. Absorb par ses srieuses obligations religieuses, mouss
par lge, le pre Larraaga ne peut assumer seul une telle tache.

1738

despus de haber admirado lo que se ha hecho, no por esto dejan de explorar lo que queda
por hacer , crit le rdacteur de la Crnica Poltica y Literaria de Buenos Aires, cit in
LASCANO GONZALEZ Antonio, El Museo de Ciencias Naturales de Buenos Aires. Su Historia,
Buenos Aires, Ministerio de Cultura y Educacin, Ediciones Culturales Argentinas, 1980, p. 35.
1739
BEAUMONT John A. B., Viajes por Buenos Aires, Entre Rios y la Banda Oriental (18201827), Buenos Aires, Hachette, 1957 (1828), p. 55.
1740
Rivadavia crit propos des Espagnols : Oro era lo que buscaban: todo lo dems, sin
exceptuar los hombres, era de ningn aprecio a sus ojos. Esta falta absoluta de toda institucin til,
en un pas que avasallaron por espacio de tres siglos, bastara para acriminar su conducta, si no
militaran contra ella tantos otros testimonios dicen que aun hay entre nosotros partidarios del
antiguo rgimen . Aula de Fsica experimental y gabinetes primitivos de la Universidad , in
Crnica Poltica y Literaria de Buenos Aires, 9 juin 1827. Si lon compare les deux points de vue,
spars dune dizaine danne, il faut retenir la mme racine ngationniste concernant luvre des
Espagnols, ainsi que la nullit des travaux scientifiques mens bien jusqu ce jour. La diffrence
rside essentiellement dans la politisation du discours en 1827, laquelle Bonpland se veut
tranger.
447

Deuxime partie

Chapitre V

Incontestablement maintenant je ne fais pas en un mois ce pour quoi un


seul jour me suffisait en dautres temps

1741

confie-t-il Bonpland. Aussi accueille-t-il Saint-Hilaire puis Sellow bras


ouverts 1742 . Un naturaliste isol, tranger ne possde naturellement pas les moyens
dengager une politique dune telle ampleur. Mais Bonpland dispose des lments
lui permettant de croire en sa participation la formation de structures tatiques,
savoir
un herbier de plus de 20.000 plantes bien dtermines ; une collection
prcieuse de coquilles et une collection de minralogie tres intressante
puisquelle contient la minralogie de mon voyage avec Humboldt et tout
ce que je me suis procur dans ce genre depuis mon retour en France
jusqu lpoque de mon dpart.

1743

En outre, Bonpland amne avec lui les outils qui semblent manquer 1744 .
Labsence douvrages de rfrence fait dfaut pour dterminer les genres et les
espces nouvelles, ce qui implique videmment le manque de relations
scientifiques entre Ancien et Nouveau Mondes. Larraaga sappuie sur les deux
autorits en la matire, lHistoire Naturelle de Buffon dite par Solini et Cuvier,
et le Sistema Naturae de Linn, dans ldition de Gmelin 1745 , mais avoue son
retard mthodologique concernant la faune. Les descriptions dAzara quil
possde savrent inutiles car il ne dispose daucun instrument comparatif 1746 .
1741

Ciertamente ya no hago en un mes aquello para lo que me bastaba un solo dia en otro
tiempo , AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Larraaga
Bonpland, Montevideo, 25 mai 1818.
1742
Lorsque Saint-Hilaire recommande Sellow Larraaga, ce dernier rpond en ces termes
flatteurs : Mr. Sellow es un naturalista y este caracter le basta para su recomendacion.
Acostumbrado a sufrir tantas privaciones, y a apreciar las cosas mas minimas de la creacion, tendr
necesidad de mas para ser amabilisimo ? , AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio
Larraaga, caja 195, carpeta 18, Larraaga Saint-Hilaire, Montevideo, 8 fvrier 1822. Friedrich
Sellow (1789-1831), botaniste et naturaliste n Postdam, se rend Paris en 1810. Lanne
suivante, Humboldt lappuie financirement afin quil voyage aux Pays-Bas et en Angleterre.
Engag en 1814 par le consul russe Berlin pour mener bien une campagne scientifique au
Brsil, il est financ par la Prusse partir de 1815 pour mener campagne dans le Ro de la Plata, ce
quoi il se consacre jusqu sa mort.
1743
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, Buenos Aires, 2 avril 1818.
1744
La bibliothque de Buenos Aires manque de tous les [] ouvrages des socits savantes, de
tous les ouvrages de mdecine, de tous le ouvrages lmentaires de sciences et de toute la
littrature moderne , crit Bonpland en 1815, suite aux conversations tenues avec les
plnipotentiaires rioplatenses, MNHN, ms 212.
1745
LINNE Carl von, GMELIN Johann Friedrich, Systema naturae per regna tria naturae.
Secundum classes, ordines, genera, species, cum characteribus, differentiis, synonymis, locis,
Leipzig, Georg Emanuel Beer, 1788-1793, 9 vol.
1746
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Larraaga a
Bonpland, Montevideo, 26 fvrier 1818.
448

Deuxime partie

Chapitre V

Aussi sagit-il de fournir aux pays intresss les outils ncessaires la promotion
des sciences de la nature. Le domaine de lHistoire naturelle rappelle
Bonpland est si vaste aujourdhui quil est impossible de travailler sans avoir
auprs de soi de grandes collections et bien dtermines . Il se fait transmetteur
de savoir, puisquil transporte avec lui un assez bon nombre de livres
concernant avant tout lhistoire naturelle, quil propose au gouvernement chilien,
la Bibliothque de Buenos Aires ainsi qu celle de Montevideo 1747 . La
reconstitution de cet apport bibliographique est difficilement ralisable ;
nanmoins lors de la vente publique de ces ouvrages, la liste thmatique fournie
permet de donner une ide du contenu de ceux-ci, et surtout de constater que lEtat
porteo ne sest pas port acqureur de tous les ouvrages scientifiques, puisquil
en demeure un certain nombre la vente, la grande majorit si lon se rfre aux
propos de Bonpland :
Si jeusse pu prvoir que les normes listes de Livres qui me furent
demandes pour la Bibliothque de Buenos Ayres par M.Mrs. Bellegrano,
Sarratea et Rivadavia neussent pas t acceptes nous neussions pas fait
daussi beaux rves

confie-t-il au libraire Barrois, duquel il se trouve dbiteur de 5 000 francs 1748 .


Les offres de Bonpland au gouvernement chilien, Montevideo et
finalement la vente publique laquelle il se voit contraint confirment que le
problme scientifique rioplatense ne procde pas de simples lacunes matrielles.
Labsence de communaut scientifique nempche pourtant pas Larraaga dtre
au niveau de la majeure partie des dernires dcouvertes 1749 . Le terrain
scientifique, sil est en friche, dispose des outils pour cultiver lhistoire naturelle et
ne se prive ni dinnover mthodologiquement, ni de dceler de nouveaux genres et
espces. Larraaga ne faillit pas la rgle car, bien quadmirateur aveugle de
lauteur du Sistema Naturae quil surnomme la resplendissante Etoile polaire
du Nord il nen sacrifie pas moins aux axiomes du XIXe sicle autant, crit-il,
par un effet de mode qu cause des lumires quils apportent. Ce double
jugement, pour le moins ambigu, traduit une position fort frquente en Europe,
1747

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, Buenos Aires, 13 fvrier et 2 avril 1818.
1748
AMFBJAD n 912, Bonpland Barrois, Corrientes, 28 mars 1838.
1749
al nivel de la mayor parte de los ultimos descubrimientos , AGNM, Escritos del padre
Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Larraaga Bonpland, Montevideo, 25 mai
1818.
449

Deuxime partie

Chapitre V

savoir ladhsion encore vive dune grande partie des savants au systme de
Linn. Entre tradition et innovation, Larraaga ne tranche pas puisquil fournit
Bonpland deux classifications, lune delles portant mme des innovations
mthodologiques personnelles, vu quil nous est permis tous dordonner 1750 .

2. Le recrutement des cadres : louverture lEurope


Hormis les bras, ce sont donc les structures coordinatrices qui font dfaut.
A cet gard, le recrutement savre indispensable. Venus ngocier la paix avec
lEspagne, les diplomates croles qui sont souvent scientifiques ou tout du moins
impliqus dans les problmes conomiques et culturels de leur nouvelle nation, en
profitent pour recruter les cadres intellectuels des nouveaux rgimes. Plus encore
que le Ro de la Plata, le gouvernement chilien de Bernardo OHiggins 1751 profite
des arrives dexils espagnols Londres, surtout aprs 1823, pour recruter des
savants par lintermdiaire de son ambassadeur Mariano Egaa. Une impulsion
incomparable est donne par la cour portugaise au Brsil, limpratrice Leopoldina
entranant sa suite une cohorte de naturalistes 1752 . Dans tous les cas, il sagit
dattirer les Europens susceptibles de crer, structurer, transfrer, acclimater,
adapter, enrichir ou complter selon les cas. Les nuances sont importantes,
puisquelles dterminent lquilibre entre loffre et la demande scientifique.
Quelles sont donc les attentes rciproques ?
Lquilibre de la collaboration dpend dabord de rencontres et daccords
idologiques. Le contexte politique est primordial, puisque la restauration
europenne et lmergence rpublicaine amricaine se ctoient. De ce fait,
Franais et Espagnols dont les nombreux afrancesados se montrent les plus
sduits par ces perspectives amricanistes. Pour leur part, les Amricains savrent
demandeurs en raison des motifs voqus auparavant. Sagissant de Bonpland, les
1750

ya que nos he permitido a todos metodizar . AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio
Larraaga, caja 195, carpeta 18, Larraaga Bonpland, Montevideo, 25 mai 1818.
1751
Bernardo OHiggins (1778-1842), neveu dun Irlandais au service de lEspagne mais de mre
chilienne, est duqu en Angleterre o il est influenc par Miranda. Chef de la premire arme
patriote, battu Rancagua, il est sauv par larrive de San Martn. Il devient ensuite Director
supremo du Chili, mais son libralisme radical et son manque de sens politique, joint aux rivalits
internes, lobligent abdiquer en 1825. Il passe le reste de sa vie au Prou.
1752
Cf. LOPES Maria Margaret, O Brasil descobre a pesquisa cientfica : os museus e as cincias
naturais no sculo XIX, So Paulo, Hucitec, 1997, pp. 40-41.
450

Deuxime partie

Chapitre V

sollicitations sont insistantes et manent de plusieurs gouvernements, ce qui


illustre la faiblesse de loffre. Mais dans ce cas lexemplarit ne peut tre rige en
paradigme, car nous disposons de trop peu dlments de comparaison. Aussi fautil sen remettre ce cas isol afin desquisser cet aspect des relations
transatlantiques, en attendant une tude exhaustive en ce sens 1753 .

Des objectifs scientifiques ambitieux


A Buenos Aires les attentes sont immenses, car tout reste crer et parce
quil existe un dsir dexcellence. Le poids des facteurs externes au cours de
llaboration de cet espace scientifique nest dailleurs pas ressenti par les
Rioplatenses comme un rapport de contrainte ou de dpendance, bien au contraire.
Lors de la louverture de lAcadmie de Mdecine de Buenos Aires, le 18 avril
1822, le prsident Justo Garca y Vldez exprime au nom du corps des enseignants
son dsir dlever linstitution au niveau de celui dans lequel il se trouve dans les
capitales europennes, en profitant de lapport direct des savants europens prs
de la moiti du personnel de lAcadmie est dorigine europenne 1754 . A
Montevideo, Larraaga accueille pour sa part avec un rel enthousiasme cette aide
tombe du Ciel et offre volontiers sa collaboration, puisquil remet Bonpland en
mai 1818 un premier tat partiel de ses travaux sur le rgne animal daprs Linn
mais aussi daprs les auteurs de thories plus rcentes tels Lamarck, thories quil
ne peroit alors que comme un effet de mode. Mais face Saint-Hilaire, trois ans
plus tard, il adopte la mthode naturelle sans hsiter. Ce changement fondamental
dans la mthode prouve la rception favorable rserve aux innovations ou aux
modes europennes de la part des plus grands savants rioplatenses :
Mon affliction tait tellement grande de men voir remis moi-mme
durant la grande partie de ma vie, me voyant priv de Matres qui
1753

Une tude exhaustive du recrutement ralis par les indpendantistes reste produire. Elle
permettrait de confronter les hypothses labores partir de lexprience de Bonpland, et
dacqurir des certitudes concernant les diffrentes attitudes culturelles et politiques amricaines
vis--vis du modle europen. Elle permettrait par exemple de comparer lorigine et la
formation des migrants avec le choix des pays daccueil, ainsi quavec les rsultats obtenus grce
cette mobilisation. Elle permettrait aussi dapprofondir les matrices des visions europennes des
nouveaux tats.
1754
Le discours est retranscrit dans lArgos, un priodique contrl par les proches de Rivadavia, le
20 avril 1822.
451

Deuxime partie

Chapitre V

menseignent et nayant personne qui exposer mes doutes ; ma


satisfaction fut dautant plus vive en voyant quun savant de premier
ordre franchissait mes portes et qui en un instant dissipa mes craintes,
claircit mes ides et corrigea mes erreurs.

1755

Les hommes de science sont avant tout des idologues. A ce titre, Esteban
de Luca savre un prcieux alli dans la mesure o il est un grand dfenseur des
sciences naturelles quil magnifie, en les rigeant comme facteur essentiel des
vnements de Tucumn ; linertie du gouvernement espagnol en la matire a,
selon lui, prcipit la sparation politique 1756 . Mais si les hommes de science ont
une approche thorique dmocratique du savoir, les pratiques sont fort diffrentes,
refltant le dsir dexcellence. Laccession aux postes est rserve une
minorit 1757 ; la nomination de Bonpland au poste de professeur de mdecine
reflte ces pratiques litistes. Effectue en labsence du principal intress, la
demande est directement adresse au gouvernement sur proposition des autorits
de lInstitut, qui accompagnent leur dmarche dun rapport sur le bien-fond de
leur choix. Le concours est alors une forme minoritaire daccession aux chaires, et
le demeure mme aprs la cration de lUniversit 1758 .
Cette cration intervient le 6 fvrier 1816, lorsque Antonio Senz 1759 reoit
les premiers pouvoirs du Directeur Suprme afin driger lUniversit permettant
la fdration des diffrents tablissements denseignement. Le 18 mai 1819, Juan
Martn de Pueyrredn demande au Congrs la ratification de la proposition de la
cdule royale qui, en 1778, prvoit dj lrection dune Universit. Le dcret est
1755

Tan grande como era mi desconsuelo al verme entregado a mi mismo en el largo periodo de
mi vida, viendome privado de Maestros que me enseasen ni con quien consultar mis dudas ; tanto
mayor fue mi complacencia al ver que entraba por mis puertas un sabio de primer orden que en un
momento disip mis recelos, aclar mis ideas y corrigi mis errores. , AGNM, Escritos del padre
Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Larraaga Saint-Hilaire, Montevideo, 16
fvrier 1821. Evoquant les naturalistes ayant foul les terres chiliennes certains avant lapparition
du systme de Linn il dclare : todos estos autores, ciegos sectarios de Linneo, hicieron muy
poco caso del metodo natural. La resplendissante Etoile polaire du Nord semble bel et bien
tombe du firmament.
1756
Cf. GUTIERREZ Juan Mara, Origen y desarrollo de la Enseanza Publica Superior en
Buenos Aires, desde la poca de la extincion de la compaia de Jesus en el ao 1767 hasta poco
depus de fundada la Universidad de 1821, Buenos Aires, La Cultura Argentina, 1915 (1868), p.
168.
1757
Il faut attendre les annes 1930 pour que les classes moyennes commencent intgrer
lUniversit ; cf. KREIMER Pablo, Migration of Scientists and the Building of a Laboratory in
Argentina , in Science, Technology and Society, vol. 2, n 2, 1997, p. 232.
1758
Cf. PALCOS Alberto, Bonpland en la Argentina. Cambio de rumbo en sus actividades , in
La Prensa, 16 janvier 1941.
1759
Antonio Senz (1780-1825), rvolutionnaire porteo nomm prsident de lAcadmie de
Jurisprudence en 1815, promeut lanne suivante la cration dune universit tourne vers les
sciences exactes.
452

Deuxime partie

Chapitre V

ratifi quatre jours plus tard1760 , quarante ans aprs la proposition initiale. Aprs
lobtention du poste de professeur dhistoire naturelle, Bonpland peroit presque le
quart des salaires rservs aux cadres scientifiques, puis dpasse ce seuil aprs sa
nomination la chaire de Mdecine. Lintrt du gouvernement pour la recherche
scientifique peut tre divis en deux phases, avant et aprs la mise en place de
lUniversit. Avant 1822 date de linauguration de lUniversit en effet,
laccent est mis sur la recherche, ce dont Bonpland bnficie au mme titre que
Francisco Javier Muiz, charg par le gouvernement dexplorer les les du Paran
en 1818. Labsence de concurrence, non tant thorique Bonpland ntant pas un
homme de systmes que pratique, facilite grandement lintgration du
Franais au sein de la communaut scientifique rioplatense.

Politique dattraction
Les indpendantistes sont conscients de limportance dun investissement
vis--vis du personnel scientifique europen. En effet, le dveloppement dun
grand nombre de disciplines scientifiques est li aux initiatives menes par les
chercheurs europens 1761 . Le recrutement de Bonpland permet aussi dtablir des
perspectives touchant aux politiques mises en jeu afin dattirer les savants. Car la
dmarche change avec lindpendance : la demande connat une inflation de la
part des nouveaux pays ; le choix du dpart nest plus seulement scientifique, il
devient aussi idologique, et mme promoteur. Cest pourquoi dans une premire
priode la hirarchisation des sciences, aussi bien en Europe quen Amrique, est
comprise dans une lutte pour la reconnaissance des qualifications et des statuts.
Deux propositions sont soumises Bonpland en 1814. Lune dentre elles
mane de Francisco Antonio Zea, reprsentant de Bolvar en Europe, charg dune
mission politique ainsi que du recrutement de jeunes savants pour fonder Santa

1760

An., La Universidad Nacional de Buenos Aires, 1821-1910, Buenos Aires, Tragant, 1910, pp.
58-59, 68.
1761
A ce sujet, cf. KREIMER Pablo, op. cit., pp. 229-259. Lauteur dbute son tude lors du
dernier quart du XIXe sicle, ce qui prouve par ailleurs labsence de formation suffisante
lintrieur du pays avant cette priode. Cette absence de cration d coles scientifiques est
encore plus vraie en ce qui concerne le premier tiers du XIXe sicle. La comparaison entre les
annes 1820 et les annes 1870-1880 est dautant plus intressante que ces deux priodes
correspondent deux phases similaires douverture lEurope.
453

Deuxime partie

Chapitre V

F de Bogot, capitale de la nouvelle rpublique fonde par Bolvar, des


tablissements scientifiques destins former des ingnieurs civils et militaires.
Zea est lauteur dun Discours sur le mrite et lutilit de la botanique 1762 paru en
1805 Madrid, lpoque o il occupe la direction du jardin botanique. Il est
aussi le compatriote de Francisco Jos de Caldas, auteur en 1810 dun plaidoyer
pour lacclimatation de mammifres en Nouvelle-Grenade 1763 . Zea est enfin le
dpositaire des travaux de Jos Celestino Mutis, et il propose Bonpland de
prendre sa succession 1764 , soutenu financirement par Bolvar personnellement
garant du traitement de Bonpland sur la moiti de ses avoirs. Lampleur de loffre
ne sduit pourtant pas le Franais qui opte pour la stabilit politique externe des
Provinces-Unies plutt que pour la scurit relationnelle quoffrent les Nogrenadins 1765 .
A Buenos Aires en effet, la situation politique parat alors plus favorable
lmigration. La prsence Londres de Bernardino Rivadavia 1766 influe
considrablement sur ce choix. Cest lui en effet qui ds 1812 pose les premires
bases lgislatives impulsant la cration dun Musum. Le gouvernement supprime
la mme anne les entraves la possession de la terre par les trangers.
Compltant ce dcret, limportation de graines, plantes et outils agricoles devient
libre de taxes douanires 1767 . A partir du mois de juillet 1814, le Franais dcide
de se fixer Buenos Aires, et commence ds ce moment ses envois botaniques 1768 .
Le retour au pays et aux affaires de Rivadavia en 1820 permet desprer une
avance au sujet du Musum, dont le dcret de cration est finalement promulgu
1762

ZEA Francisco Antonio, Discurso sobre el mrito y utilidad de la botnica, Madrid, Imprenta
Real, 1805.
1763
Mmoire intitul Sobre la importancia de connaturalizar en el reino la vicua del Per y
Chile, Santa Fe de Bogot, 1810.
1764
Cit par DOMINGUEZ Juan A., Aim Bonpland, su vida en Amrica del Sur y
principalmente en la repblica argentina , in Anales de la Sociedad Cientfica Argentina, tome
CVIII, 1929, p. 415.
1765
Au cours des annes 1820, Jean-Baptiste Boussaingault et Franois-Dsir Roulin visitent la
Vnzuela la suite de leur engagement par Zea.
1766
Bernardino Rivadavia est dsign en 1811 secrtaire aux Affaires trangres, il est envoy en
Europe en 1814 afin de ngocier le statut politique de Buenos Aires. Rivadavia en profite pour
recruter du personnel scientifique, avant de revenir Buenos Aires en 1820 et dimpulser
ldification de la Bourse de commerce, lUniversit, le Muse Public, le cabinet de physique
notamment.
1767
GIBERTI Horacio C., Historia econmica de la ganadera argentina, Buenos Aires, Solar,
1986 (1954), p. 118.
1768
AGNBA, Sala IX, leg. 23. 8. 6. 32 ; cette pices, date du 20 mai 1817, est corrobore par les
manuscrits 214 du MNHN ; si lon se fie aux notes de Bonpland, cest plus exactement du mois de
septembre que date le premier envoi de graines depuis Paris, le deuxime date de dcembre ; un
troisime est non dat.
454

Deuxime partie

Chapitre V

le 31 dcembre 1823. Dans les deux cas, que les offres proviennent de NouvelleGrenade ou du Ro de la Plata, il faut retenir la disposition des indpendantistes
sen remettre totalement au savoir-faire du savant et insistent sur louverture
lEurope et son corollaire, lacclimatation. Malgr les difficults rencontres par
Bonpland Buenos Aires et malgr son impuissance sociale, le Franais accepte
en mme temps de sengager dans le dbat sur la place des sciences dans la socit
et noublie pas les contraintes et les enjeux existants entre les projets et leur
ralisation 1769 .
Cest pourtant linverse qui lui est demand lors de son arrive sur le
territoire ; cest du moins limage du savant que lon attend, dgag des luttes
socitales :
Nos campagnes autant fertiles quimmenses, attirent de prfrence cette
classe dhommes qui spars des controverses se ddient orner la
nature

1770

Or, les motifs le poussant dsirer la cration dorganismes scientifiques


nationaux sont au contraire intimement lis de nombreuses controverses. En
premier lieu, lhomme rassemble toutes les qualits pour figurer en bonne place
parmi les fondateurs et impulser une production de connaissance scientifique
originale, attirant les jalousies de ses collgues 1771 . Dsireux dadhrer au monde
scientifique, soucieux dappuis politiques, Bonpland se met rapidement en contact
avec les personnalits susceptibles dappuyer son travail, le faible nombre de
structures scientifiques facilitant les rapports individuels. Fort de son bagage
naturaliste, Bonpland se lie donc rapidement avec de nombreux scientifiques et
intellectuels de Buenos Aires, puis avec loligarchie correntina trop heureuse de
ravir ce savant aux porteos. La constitution dun rseau scientifique est la tache
laquelle sattelle en priorit Bonpland ds son arrive Buenos Aires. Les
nombreux contacts tablis avec les intellectuels rioplatenses dmentent limage
dun aventurier ou dun savant rveur coup des ralits de son temps. Si ce rseau
de relations a pour but la constitution dune grande collection naturaliste, il rpond
diffrents engagements.
1769

Cf. FOUREZ Grard, La construction des sciences. Les logiques des inventions scientifiques,
Bruxelles, De Boeck Universit, 2002 (1992), pp. 99-100.
1770
Nuestros campos tan frtiles como inmensos, llaman con preferencia a esta clase de hombres
que separados de las controversias se dedican a vestir la naturaleza , La Crnica Argentina,
Buenos Aires, 1er fvrier 1817.
1771
AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, juin 1832.
455

Deuxime partie

Chapitre V

et attraction politique
Moins dun an aprs son retour en France, en 1805, Bonpland songe
retourner voir les sauvages de lOrnoque 1772 . Le classement de lherbier est
peine commenc et le premier fascicule des Plantes quinoxiales nest pas encore
imprim, mais dj la passion du terrain lemporte sur le travail en laboratoire. Il
fait encore allusion un retour en Amrique propos de la pension de trois mille
francs verse en change de son herbier, une petite fortune qui peut-tre mtera
tout dsir de retourner en Amrique , avoue-t-il 1773 . Cependant, un nouveau
dpart ne peut plus avoir lieu par le biais dun voyage scientifique classique. Outre
labsence de soutien financier de la part du gouvernement, la politique
napolonienne se caractrise par un arrt trs marqu dans lexpansion outremer 1774 . Comme en 1799, lentreprise sera individuelle. Mais en 1805, Bonpland
ne peut compter encore sur aucun mcne 1775 . A la diffrence de Humboldt, avant
tout naturaliste, Bonpland cultive un amricanisme avant la lettre, autant dun
point de vue scientifique que politique, voire affectif, si lon se rfre une lettre
crite son frre en 1814 :
Je suis dcid aller en Amrique au printemps si les colonies deviennent
calmes et habitables. Je prfrerais les colonies espagnoles, mais dans ce
moment, elles sont en combustion. Cependant, puisque cet tat de guerre
existait en Europe et quil a cess, il faudra bien quil cesse l. Reste
savoir si ce sera de suite ou seulement dans quelques annes. [...] Si je
russis dans mes projets [] je puis [] vivre partout o bon me
semblera et comme je voudrai; au lieu que, si je reste en Europe, je
vgterai bien certainement toute ma vie. Ainsi, vgter pour vgter, je
veux encore revoir lAmrique.

1776

En effet, Bonpland entretient ds 1808 des relations privilgies avec


Bolvar et une partie des reprsentants hispano-amricains en Europe, et rpond
1772

Bonpland Gallocheau, Paris, 19 avril 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, Aim
Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906, pp. 1718.
1773
Bonpland Gallocheau, Paris, 18 mars 1805, cit in ibid., pp. 15-16.
1774
Les proccupations continentales laissent trs peu de place aux affaires amricaines
abandonnes aux Anglais jusquen 1815 ; cf. CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit.,
tome II, pp. 244-251.
1775
Humboldt avait pris son compte tous les frais de voyage de Bonpland, entre 1799 et 1804.
1776
Bonpland Goujaud-Bonpland, s. l., 6 juillet 1814, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., pp. 63-64.
456

Deuxime partie

Chapitre V

positivement loffre de dpart pour une rgion qui, du propre aveu de ses
dirigeants, manque de stabilit plus que de toute autre chose. Selon Pueyrredn
alors chef de lexcutif rioplatense, lindpendance proclame au congrs de
Tucumn en 1816 se ralise dans un climat dliquescent, aucun consensus ne
permettant de condamner la monarchie ou de proclamer la rpublique 1777 . San
Martn pour sa part dresse un bilan ngatif de lanne 1816, dcrivant une
situation anarchique semblant devoir empirer encore. Dans ce contexte, trs peu de
Franais sont attirs par les offres des gouvernements sud-amricains. La
coopration scientifique seffectue apparemment en pointills, mme sil reste
tudier en profondeur les changes scientifiques entre les monarchies europennes
et les jeunes rpubliques amricaines. Or, aprs plusieurs annes de rflexion,
Bonpland opte finalement pour Buenos Aires.
Lentreprise de Bonpland nest pas isole puisque Humboldt lui-mme, au
dbut des annes 1820, songe migrer au Mexique la tte dun contingent de
jeunes scientifiques allemands et franais. La tentation de participer la
propagation du progrs dest en ouest, ide chre Humboldt 1778 , est prgnante
surtout lorsquelle sassocie des idaux partags. Sans doute lattraction
politique joue au moins autant que la politique dattraction en ce qui concerne
Bonpland, car sur la majorit des points du programme propos par le naturaliste
on peut parler de circonstances contingentes, les ambitions du Franais
saccordant avec celles de son pays daccueil.
En

premier

lieu,

laspect

utilitaire,

entendu

comme

laide

au

dveloppement, est mis en avant par les deux parties. Il sagit donc de permettre
au pays de se hisser au rang des autres nations. Il ne sagit pas dorner la nature
mais de rpondre une inquitude dordre politique et sociale, telle quelle est
formule en 1811, loccasion dun rapport portant sur ltat de la terre dans la
campagne portea : la dissolution de lEtat ou la prompte rgnration de notre
agriculture, ceci est lalternative dans laquelle nous nous trouvons 1779 . Le
remde propos par Garca est de distribuer la terre, former de petits points de
1777

Cf. PEREZ GIHLHOU Dardo, Las ideas monarquicas en el Congreso de Tucuman, Buenos
Aires, Depalma, 1966.
1778
Ide dveloppe dans son Essai politique sur le royaume de Nouvelle-Espagne paru en 1811,
reprise ensuite pour lgitimer la dcouverte de Christophe Colomb.
1779
la disolucin del estado o la pronta regeneracin de nuestra agricultura, sta es la alternativa
en que nos hallamos . Rapport de Pedro Andrs Garca, cit in GIBERTI Horacio C., op. cit., p.
117.
457

Deuxime partie

Chapitre V

peuplement et assurer la scurit des frontires 1780 . Comme rponse, le dcret du 4


septembre 1812 promulgu par le premier Triumvirat insiste sur louverture aux
trangers 1781 . Larrive de scientifiques traduit lorientation pragmatique des
autorits. Il nest pas question de compilateurs mais de savants que lon peut
qualifier de main duvre qualifie, ou surqualifie, afin dindustrialiser le pays.
Le chimiste franais Antoine Cambacrs est recrut Paris par Juan Larrea 1782 ,
afin dy dvelopper lindustrie du saloir 1783 .
Les convictions des indpendantistes achvent de convaincre le naturaliste.
La guerre ntant plus lordre du jour dans ces pays, le Franais espre retrouver
les bienfaits dune socit plus proche de ses idaux politiques et sociaux :
Dans notre Europe si civilise, [...] les rois font la guerre aux peuples
pour assurer leur dynastie, et [...] les Franais sont assez faibles et
pusillanimes pour sgorger entre eux. Si tu men crois, je tassure quil
est bien plus agrable de vivre au milieu dun peuple moins civilis que
nous le sommes en France. [A] mon arrive, je tcrirai sans doute et tu
apprendras que jai eu fortement raison de men aller.

1784

Telle est donc une motivation majeure du naturaliste : aller dans un pays plus
prometteur de par labsence de civilisation dont il bnficie. Largument mrite
dtre relev, car il soppose aux raisonnements habituels des voyageurs obsds
par les effets ngatifs du manque de civilisation des pays visits. La mme base
romantique conduit Humboldt dune qute de linfini vers linvestigation du fini ;
un itinraire semblable conduit Bonpland de la qute dun Paradis terrestre sa
mise en valeur.

1780

Pedro Andrs Garca est n en Espagne en 1758. En 1777 il est affect en Argentine pour
procder la reconnaissance du golfe de San Jos. En 1810, il est charg de la construction des
nouvelles fortifications de Buenos Aires, puis de linventaire des ressources naturelles de
lArgentine indpendante. Il est considr aujourdhui comme le premier gographe militaire
argentin.
1781
Ce dcret stipule, dans son article Premier, que el Gobierno ofrece su inmediata proteccin a
los individuos de todas naciones, y a sus familias que quieran fijar su domicilio en el territorio del
Estado, asegurndoles el pleno goce de los derechos del hombre en sociedad, con tal que no
perturben la tranquilidad pblica, y respeten las leyes del pas ; cit par BAGU Sergio, Estudio
preliminar , in BEAUMONT John A. B., op. cit., p. 14.
1782
LEspagnol Juan Larrea (1782-1847) arrive Buenos Aires en 1800 puis participe la
rvolution. Nomm ministre du Trsor en 1814, il impulse la cration de la flotte argentine. Exil
puis rintgr, Larrea obtient le poste de consul gnral en France.
1783
GIBERTI Horacio C., op. cit., pp. 91-92.
1784
Bonpland O. Gallocheau, Paris, 6 juin 1815, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
69.
458

Deuxime partie

Chapitre V

3. Construction nationale et prestige international


La notion de prestige peut apparatre secondaire mais nest pas ngliger
pour comprendre les fondements identitaires qui animent le recrutement. Si elles
sont moindrement reprsentes Buenos Aires aprs 1810, les sciences, et
particulirement les sciences naturelles, conservent et amplifient leur contenu
patriotique ; elles contiennent en germe une stimulation de lappropriation du sol.
Parmi les lments qui interviennent au cours du processus de construction
nationale, la connaissance et lutilisation des ressources naturelles constitue un
aspect fondateur, autant dailleurs dun point de vue dogmatique que matriel 1785 .
Cet aspect conduit en outre remettre en cause des analyses faisant prvaloir le
processus politique vis--vis dautres approches, dont celles privilgiant les
aspects culturels et scientifiques 1786 . Quantitativement, il est certain que le
politique prime sur toute autre question, mais ne sous-estimons pas le rle tenu par
les enjeux scientifiques 1787 .

1785

Mariano Moreno crit en 1810 : Seremos respetables a las naciones extranjeras no por
riquezas, que excitarn su codicia ; no por la opulencia del territorio, que provocara su ambicin ;
[] lo seremos cuando renazcan entre nosotros las virtudes de un pueblo sobrio y laborioso , cit
in GUTIERREZ Juan Mara, Pensamientos, Maximas, sentencias, juicios, etc, de escritores,
oradores y hombres de estado de la Republica Argentina, Buenos Aires, Academia Argentina de
Letras, 1980 (1859), pp. 41-42 ; cf. LOPEZ-OCON CABRERA Leoncio, La formacin de un
espacio pblico para la ciencia en la Amrica latina durante el siglo XIX , in Asclepio, vol. L, n
2, 1998, p. 212. Le discours patriotique se base sur la foi dans le progrs et veut donc effacer tout
dterminisme.
1786
Cf. PESET Jos Luis, op. cit., pp. 221-245. Jos Luis Peset remet en cause la thse dune
prdominance du politique particulirement dfendue par Jos Carlos Chiaramonte, et celle qui lui
est directement attenante dune construction de la nation comme rsultat et non comme postulat du
processus indpendantiste.
1787
Ce nest certainement pas un hasard si on assiste au cours du XVIIIe sicle un dveloppement
parallle de lidologie librale et dune critique du Nouveau Monde base sur la dmonstration
scientifique. Des nombreux ouvrages ayant abord cette question, celui dAntonello Gerbi
demeurant encore une des meilleures synthses. Parmi les principaux travaux abordant cette
question, cf. BRADING David, The first America. The Spanish monarchy, Creole patriotes, and
the Liberal state 1492-1867, Cambridge University Press, 1991; DUVIOLS Jean-Paul, LAmrique
espagnole vue et rve. Les livres de voyage de Christophe Colomb Bougainville, Paris,
Promodis, 1985 ; KURY Lorelai, Viajantes-naturalistas no brasil oitocentista : experincia, relato
e imagen , in Histria, Cincias, Sade Manguinhos, vol. VIII (supplment), 2001, pp. 863-880.
459

Deuxime partie

Chapitre V

Actions culturelles et raison dEtat


Lhistoriographie argentine de la seconde moiti du XIXe sicle, Alberdi
en tte, insiste pour sa part sur la restauration du rgime colonial marque par
larrive au pouvoir de Rosas, en 1835, et prpare ds lindpendance acquise par
ses partisans. Le dbat se poursuit encore, lhistoriographie actuelle sorientant
vers une approche conciliant, durant la premire moiti du XIXe sicle, la
cohabitation entre des formes de sociabilit conomiques notamment hrites
des pratiques coloniales et lmergence dune europanisation de cette sociabilit.
En nous en tenant au niveau discursif, nous pouvons constater que la socit
crole dispose partir des annes 1810 dun cho important en Europe et donc des
canaux dexpression lui permettant de diffuser sa propre image. Cette distorsion
entre le discours faisant tat de la virginit du terrain rioplatense, et les faits
accrditant lexistence dtudes dhistoire naturelle dans la rgion, peut tre
explique pour le Ro de la Plata par le discours patriotique mergeant cette
poque. En effet, lindpendance et la mise en place dun Etat constitue un
moment historique dterminant pour limpulsion des sciences, grce leffet
ethnocentrique et patriotique quil possde. Le discours scientifique est aspir par
un discours patriotique de rupture favorisant la mise en place de nouveaux
schmas dapprhension du savant. En tant que cadre recrut par le nouveau
rgime, Bonpland en revt les attributs.
Do llaboration dun double discours : lintrieur celui du
dveloppement, grce la science, dune argumentation patriotique, notamment
par la rcupration des travaux impulss sous le rgne de Charles III. Vers
lextrieur, la diffusion dune image positive et attirante est mise en uvre, afin de
rompre avec le propos dconsidrant, apparu ds les premiers conflits, devant tre
support par les habitants du Ro de la Plata. Bien que les lments manquent pour
dresser un panorama complet des ractions la dfaite anglaise de 1807, les
expressions de cette presse montrent le mpris vis--vis des Rioplatenses 1788 . La
propagande touche essentiellement aux ressources naturelles, dans une perspective
idologique de progrs cartant donc soigneusement les vestiges du pass, quils
1788

Les adversaires sont des multres espagnols , une populace sud-amricaine qui aurait d
cder face la civilisation et aux amis du progrs ; cf. LOZIER ALMAZAN Bernardo, op. cit.,
pp. 159-160.
460

Deuxime partie

Chapitre V

soient archologiques cest--dire restes danciennes civilisations barbares , ou


vivants par le biais des Indiens primitifs .
Ne disposant daucun vestige de grande civilisation prcolombienne, le
pays ne peut pas reconstituer un pass prestigieux. La composante indienne nen
est pas moins importante, consquence du peuplement blanc rcent et de
limpossibilit de porter un coup dcisif la tte dune socit police de grande
envergure. Aussi, les indignes traitent-t-ils dgal gal avec les colons et
constituent des allis de poids pour les diffrentes factions. Lintrt
anthropologique est donc plus que limit : les expditions militaires entreprises au
dbut du rgime rosista, dans le cadre de la politique de la nouvelle frontire, ne
sembarrassent pas de proccupations ethnologiques ou thiques. Il sagit de
gagner la course engage contre le Chili pour la suprmatie sur la Patagonie, en
salliant au besoin contre lennemi commun afin quil ne profite pas de la
protection dun des deux Etats. Les cruauts perptres sont annonciatrices de la
future grande phase expansionniste argentine de la seconde moiti du XIXe sicle.
Entre acceptation et rejet du pass, nous voudrions saisir larticulation
entre le discours historique amricain et sa perception en France. A ce propos, le
raisonnement est le mme des deux cts de lAtlantique. La notion de terre vierge
est largement diffuse en France. Les membres de lAcadmie des Inscriptions et
Belles-Lettres 1789 , et surtout les professeurs du Musum usent darguments
similaires dans le but de promouvoir lexploration de lAmrique mridionale,
cette nuance prs que le Ro de la Plata ne semble pas prioritaire. En 1825, le plan
de voyage quils soumettent au ministre de lIntrieur privilgie le Chili et le
Prou. Pour autant, le naturaliste choisi pour cette mission, Alcide dOrbigny,
sjourne trois annes dans les Provinces Unies de la Plata, retenu par la qualit du
terrain 1790 .

1789

Nous mentionnons cette acadmie car, bien que davantage occupe darchologie, ses
commentaires au sujet de la virginit du terrain sont caractristiques du vide ressenti en France.
Pascal Riviale rsume trs bien cette impression : les commentaires que lon peut recueillir sur
des projets dexplorations en Amrique centrale et mridionale, saccordent pour dcrire ces
rgions comme des terres vierges, dont on ne savait scientifiquement rien et o tout restait
faire ; RIVIALE Pascal, op. cit., p. 65.
1790
Cf. ibid., pp. 28-32. Lauteur cite la lettre de ladministration du Musum remise au ministre de
lIntrieur, le 25 novembre 1825 : La partie de lAmrique mridionale quoccupent ces deux
vastes contres na encore t visite que par un bien petit nombre de voyageurs, et leurs
explorations dailleurs fort incompltes remontent dj une poque fort loigne. Les mmes
remarques prliminaires peuvent sappliquer aux recherches menes par Bonpland. Quant au Chili
et au Prou, dOrbigny ny demeure pas plus de quatre mois.
461

Deuxime partie

Chapitre V

En France aussi, le Ro de la Plata est considr comme un territoire


priphrique, et les lacunes scientifiques sexpliquent par labsence dinformations
en provenance du terrain. Le problme perdure puisquen 1827 Saint-Hilaire
confirme Larraaga quil est bien la seule personne capable de faire progresser
les sciences dans cette partie du continent 1791 . Pourtant, un personnel qualifi est
en place cette poque. On peut ds lors stonner que de tels voyageurs ne
prennent pas la peine de venir jusqu Buenos Aires ou, sils le font, de ne pas
franchir les portes de lUniversit. En effet, aucun rcit de voyage ne fait allusion
lUniversit lors des annes 1820, et cette lacune nest certainement pas mettre
sur le compte dune fausse pudeur souhaitant passer sous silence une mdiocrit
qui est releve dans bien dautres domaines. Il sagit selon nous dun simple
manque dintrt relevant dune logique scientifique base sur la construction de
rseaux individuels plutt quinstitutionnels. Arsne Isabelle constate en 1830 que
ni le laboratoire, ni le professorat ne sont institus. En 1835, Manuel de Sarratea
crit de Buenos Aires pour obtenir des renseignements botaniques de la part de
Bonpland alors So Borja, ce qui prouve la force de ces rseaux comme
labsence de personnes qualifies encore au cours des annes 1830 1792 .

Un savant au sommet de son art


Le discours se construit donc de manire identique Buenos Aires et
Paris. Mais lampleur du chantier neffraie pas Bonpland, bien au contraire. Il
dispose dune carte de visite qui sduit rapidement les savants rioplatenses.
Laffiliation la plus prestigieuse institution soccupant de sciences naturelles
donne du poids aux travaux de Bonpland, et le dote dun double cadre
institutionnel pour mener bien ses recherches, rioplatense et franais. En outre,
cette reconnaissance quil nobtient pas sous lEmpire tend prouver quil
chappe lpuration ralise au sein de lAcadmie des sciences, et quil obtient
mme le soutien des rescaps de celle-ci 1793 . Mais labsence de suivi de la part de
1791

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, A. de SaintHilaire Larraaga, Paris, 16 janvier 1827.
1792
AMFBJAD n 209, M. de Sarratea Bonpland, Buenos Aires, 30 juin 1835.
1793
Cf. DHOMBRES Nicole et Jean, op. cit., pp. 764-772. Le rsum des dbats que lui envoie
Humboldt est libre de toute considration politique ce sujet ; les partis lAcadmie des sciences
462

Deuxime partie

Chapitre V

cette institution 1794 illustre aussi un attachement lche entre le savant et ce ple
institutionnel, et plaide en faveur dun rseau relationnel direct, tout comme pour
les contacts rioplatenses. Pour appuyer leur demande en faveur de Bonpland, les
cadres de lInstituto Medico Militar nont aucun mal prsenter un rapport
gratifiant les travaux de Bonpland dans ce domaine Sa collaboration louvrage
dAlibert, celle concernant le dictionnaire des sciences mdicales, enfin celle avec
Humboldt parviennent convaincre les autorits 1795 .
Le salaire est la mesure des esprances : 2 000 pesos annuels lui sont
allous pour sa charge en histoire naturelle, plus 1 000 pour la matire mdicale,
soit 15 000 francs par an ajoutons les 360 pesos que reoit Pierre Benoit en tant
quauxiliaire de Bonpland. Il est de loin le professeur le mieux pay ; viennent
ensuite Cristbal Montfar avec 1 600 pesos verss annuellement pour son
enseignement en mdecine 1796 , puis Felipe Senillosa 1797 qui peroit 1 200 pesos
pour lenseignement des sciences nautiques 1798 . Le graphique suivant permet de
quantifier la demande du gouvernement de manire plus prcise la veille de
linauguration de lUniversit.

se divisent entre les botanistes et les autres, les premiers ntant pas comme on pourrait le croire les
soutiens de Bonpland, comme le montre llection de 1817 analyse lors du chapitre prcdent.
1794
Cf. RIVIALE Pascal, op. cit., pp. 49-52. Lauteur rappelle que lAcadmie na quun rle
consultatif et non directif.
1795
Le rapport est reproduit par DOMINGUEZ Juan A., op. cit., pp. 424-425. Lopinion publique
est bien dispose lgard des apports mdicaux potentiels ; cf. VASQUEZ Anbal S., El sabio
Bonpland. La vida, la obra y la trageda pstuma de Bonpland, Paran, Predassi, 1935, p. 18.
1796
Montfar peroit 3 500 pesos si lon ajoute son salaire de professeur ceux touchs en tant que
chirurgien major de larme et de mdecin de lHpital ; Cf. GUTIERREZ Juan Mara, Origen y
desarrollo de la Enseanza Publica Superior en Buenos Aires, desde la poca de la extincion de la
compaia de Jesus en el ao 1767 hasta poco depus de fundada la Universidad de 1821, Buenos
Aires, La Cultura Argentina, 1915 (1868), p. 343.
1797
Felipe Senillosa (1783-1858) est un mathmaticien espagnol migrant Londres en 1813. Il est
alors recrut par Rivadavia. Arriv Buenos Aires en 1815, il est nomm lanne suivante
directeur de lAcadmie de mathmatiques. Charg dune mission topographique, il tablit avec
laide de lItalien Octavio Mossotti la ligne frontalire de la province portea. Auteur de plusieurs
ouvrages scientifiques et politiques, il conserve des charges universitaires jusquen 1858.
1798
GUTIERREZ Juan Mara, op. cit., pp. 240-241.
463

Deuxime partie

Chapitre V

Graphique n 9
Budget rserv lenseignement suprieur Buenos Aires en 1820

Langues (11,7%)
Philosophie (5,5%)

Mdecine (32,7%)

Thologie (5,5%)
Dessin (6,1%)
Nautique (8,2%)
Mathmatiques (7,5%)

Histoire naturelle (22,9%)

Source : GUTIERREZ Juan Mara, Origen y desarrollo de la Enseanza Publica Superior en


Buenos Aires, desde la poca de la extincion de la compaia de Jesus en el ao 1767 hasta poco
depus de fundada la Universidad de 1821, Buenos Aires, La Cultura Argentina, 1915 (1868) 1799 .

Les moluments relatifs lhistoire naturelle comportent llvation dun


Jardin botanique et dun cabinet dHistoire naturelle 1800 . La quinta de los belemos
achete en 1818 en constitue le point de dpart. La dmarche sapparente celle
inaugure par le Musum de Paris un quart de sicle plus tt, lalliance de la
recherche et de la conservation. Il est appuy en cela par lopinion publique ;
celle-ci place sur un mme plan llvation du jardin et celle de la
bibliothque 1801 . En effet, avant la mise en place de lUniversit oriente vers
lenseignement, partir de 1822 1802 , puis lorientation choisie au cours des annes

1799

Graphique tabli partir des moluments verss par le gouvernement aux diffrents
professeurs exerant dans les tablissements de la capitale portea, daprs les donnes fournies in
GUTIERREZ Juan Mara, op. cit.
1800
Il sengage dposer en ce lieu toutes ses collections dhistoire naturelle ; AGNBA, Sala IX,
legajo 23. 8. 6. 32.
1801
La Crnica Argentina, Buenos Aires, 5 fvrier 1817.
1802
Cf. Origen y Estado de la Medicina en Buenos Aires , in La Abeja Argentina, 15 avril
1822 ; lauteur anonyme de cet article insiste sur le rle ducatif de lUniversit, lavancement des
sciences devant tre lapanage dautres institutions : las escuelas abandonaban al principio de su
carrera los discpulos que ellas mismas han formado; y aun que stos puedan considerarse ramas de
un mismo tronco, que se han nutrido con unos mismos principios y se han instruido con una misma
doctrina, los frutos que ellas producen son enteramente diferentes; stos seran del todo perdidos a
la ciencia, si no se comunicasen mutuamente los resultados nuevos o extraordinarios de la
observacin particular; en una palabra, las escuelas no hacen ms que conservar el depsito de las
ciencias; aumentarlo y perfeccionarlo es obra de otra clase de instituciones, tales son las
sociedades.
464

Deuxime partie

Chapitre V

1870 vers une politique de recherche 1803 , rpondent une clarification qui nest
pas ralise lors de cette priode pionnire. Bonpland est donc bien intgr dans
une logique de dveloppement dun espace scientifique priphrique, visant
rpondre aux ncessits depuis longtemps formules par les lites.
Les loges ne tarissent pas, depuis son arrive jusqu sa disparition la
frontire paraguayenne la fin de lanne 1821. Il dispose aussi de lappui dune
bonne partie de lopinion publique 1804 . La socit de Buenos Aires rserve un
accueil chaleureux aux Bonpland, comme en tmoigne Robertson :
La renomme, le talent et le savoir de lun, les perfections et les manires
fascinantes de lautre ; le savoir-faire et la finesse des deux, firent que
leur compagnie soit gnralement sollicite dans la capitale des Provinces
Unies de la Plata

1805

Un tremplin vers la gloire ?


La reconnaissance est une des causes dterminantes de lmigration. Le
premier voyage en Amrique espagnole laisse un got amer au Rochelais. En
effet, aprs lajournement du projet Baudin, cest Alexandre de Humboldt qui
dcide dorganiser sa propre expdition dabord vers Alger puis Madrid pour
tenter dobtenir un sauf-conduit vers lAmrique. Aim laccompagne mais, sans
argent, il est longtemps dpendant des faveurs du Prussien. Si en 1799 Bonpland
sduit le milieu naturaliste madrilne au point de recevoir du directeur du jardin
botanique et ancien lve de Jussieu, labb Antonio Jos de Cavanilles, un
hommage sous la forme dun nouveau genre baptis Bonplandia en son honneur,
cest Humboldt qui, grce ses appuis politiques, dcide du sort de leur voyage.
En Espagne, Bonpland voit son statut baisser encore. La jeune pousse des
botanistes franais, considre comme un domestique ou tout au plus comme un
1803

Cf. VESSURI Hebe, Bitter Harvest : The Growth of a Scientific Community in Argentina ,
in GAILLARD Jacques, KRISHNA Venni V., WAAST Roland, Scientific Communities in the
Developing world, New Delhi, Sage, 1997, pp. 307-335.
1804
Parmi les priodiques de Buenos Aires, deux plus particulirement appuient sa venue ; cf.
HAMMERLY DUPUY Daniel, Amado Bonpland, naturalista y demcrata de Amrica , in La
Nacin, 11 mai 1958.
1805
El renombre, el talento y el saber del uno, las perfecciones y las maneras fascinantes del
otro ; el savoir-faire y la fineza sin afectacin de ambos, hicieron que su compaa fuera
generalmente solicitada en la capital de las Provincias del Plata ; cit in GOMEZ Felix Mara,
Amado Bonpland, Cuaderno de Cultura, Corrientes, 1958, p. 17.
465

Deuxime partie

Chapitre V

secrtaire par les autorits espagnoles, joue les seconds rles derrire lancien
administrateur des mines de Silsie 1806 . Le cas de Humboldt est significatif : son
introduction dans le monde parisien, en 1796, est due aux efforts de son frre alors
attach lambassade prussienne de la capitale franaise. A Madrid, en 1799, il
bnficie une fois encore de ses relations pour forcer le passage vers lAmrique et
exercera lui-mme des fonctions diplomatiques au service de la Prusse
triomphante de Frdric-Guillaume III.
Aim Bonpland est une fois de plus le second, le cadet de Humboldt
comme il est le cadet de son frre Michel-Simon quil suit Paris mais quil ne
peut dpasser dans la carrire. Michel-Simon devient mdecin, prpar prendre
la succession de son pre tandis quAim doit chercher une voie qui nest pas
trace pour lui. Sa spcialisation dans la matire botanique jusqu son dpart est
probablement un moyen de commencer une carrire, le voyage avec Humboldt est
limpulsion celle-ci. Mais au cours du voyage il est toujours le cadet, Humboldt
semblant mener lexpdition. Cest du moins ce quil ressort de son rcit qui
utilise toutefois la premire personne du pluriel, les rles et les dcisions tant
impossibles dfinir. Une absence de poids dans le corpus confirme ce second
rle, savoir celle dun journal de voyage. Celui-ci est rdig par Humboldt, le
botaniste exerant sa fonction sans noter ses impressions. Hormis quelques lettres
crites en France, le Prussien est l encore responsable de la correspondance, un
seul indice faisant apparatre lors de ce voyage une affirmation identitaire.
Il sagit du nom de famille, Aim signant dabord Goujaud-Bonpland puis
partir de son dpart de France il change peu peu son paraphe qui devient un
simple Bonpland. Ce changement intervenu en compagnie de Humboldt ne peut
tre expliqu qu laide dhypothses. Rappelons dabord que lajout du sobriquet
Bonpland celui de Goujaud est d au grand-pre dAim. Aim et Michel-Simon
en hritent, lan choisissant de garder les deux noms tandis que le cadet ne
1806

Miguel Angel Puig-Samper et Sandra Rebok rappellent avec humour les gards espagnols vis-vis de Bonpland : Ya en tiempos de Carlos III, un famoso viajero Joseph Townsend
recomendaba para viajar por Espaa una buena constitucin fsica, llevar dos buenos criados,
cartas de crdito para las principales ciudades y recomendaciones para las mejores familias del
pas. Cuando en enero de 1799 Alejandro de Humboldt atravesaba la frontera pirenaica para llegar
a Barcelona con el sueo de pasar a Africa o quiz encaminarse hacia tierras americanas, cumpla
gran parte de estas sugerencias. [] En cuanto al segundo consejo, slo se cumpla parcialmente,
ya que el sabio alemn vena a Espaa acompaado nicamente de su amigo, considerado como un
criado o a lo ms secretario por las autoridades espaolas, el botnico francs Aim Bonpland. ;
PUIG-SAMPER Miguel Angel, REBOK Sandra, Un sabio en la meseta : el viaje de Alejandro de
Humboldt a Espaa en 1799 , in Revista de Occidente, n 254-255, juillet-aot 2002, pp. 95-96.
466

Deuxime partie

Chapitre V

conserve que le sobriquet. Alexandre de Humboldt, en plus de franciser son nom,


transforme lui aussi sa signature durant la priode rvolutionnaire prcdant leur
voyage en y tant la particule. Bonpland est peut-tre influenc par son
compagnon de voyage comme il peut aussi affirmer de cette manire une identit
propre en relation avec le sens original du sobriquet et avec sa vocation
scientifique. Il pourrait sagir alors dun processus de diffrenciation vis--vis de
ses ans.
Les annes qui suivent le retour dAmrique voient se creuser lcart de
notorit entre les deux hommes 1807 . Autant de raisons qui, jointes aux offres de
Rivadavia, suffiraient expliquer les motivations du naturaliste si une
contradiction ne venait sy glisser. En effet, Bonpland souhaite une reconnaissance
double, europenne et amricaine ; dans ce but il met en uvre une stratgie
globalisante. Il dsire en effet contrler toute la chane scientifique, depuis la
collecte des donnes jusqu la publication, do les hsitations mises jour quant
au suivi donner son travail. A Pueyrredn il affirme quil sinstalle en
Amrique pour toujours, alors quil confie ses proches demeurs en Europe
parmi lesquels ses familiers et Humboldt que son but est de revenir aprs
quelques annes de recherches 1808 . Cette ambigut fondamentale pour toute
lorientation de sa future vie amricaine, savre le corollaire du problme de
reconnaissance auquel Bonpland se heurte ds 1818.
En effet, la mise en systme des connaissances passe par ldition de
fascicules publis au fur et mesure des dcouvertes. Le 10 juin 1818, Bonpland
prsente au gouvernement porteo un mmoire accompagn dun devis pour la
publication de 300 cahiers contenant chacun six planches et six pages de textes. Il
use pour loccasion de la mme mthode que celle employe avec Humboldt,
ldition progressive. Loriginalit rside la fois dans la publication distance,
procd tout fait nouveau, et lambition de raliser une double dition en
Amrique et en Europe. Le devis fait apparatre un bnfice aprs dduction des
frais avancs dun tiers de linvestissement initial, facilitant la ralisation de

1807

Cf. chapitre IV.


Aprs trente annes de prsence en Amrique du Sud, Bonpland affirme encore un
correspondant franais que le projet initial consistait en un voyage de courte dure : Lorsque je
quittai la france, ce fut avec la persuasion que mon absence ne se prolongerait pas au del de cinq
annes. AMFBJAD n 958, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 aot 1850.

1808

467

Deuxime partie

Chapitre V

nouveaux tirages 1809 . Le 18 novembre 1818, il annonce Joaquim Lebreton quil


dispose du matriel suffisant pour commencer publier une histoire naturelle du
Ro de la Plata, mais lui fait part de la difficult raliser pareille entreprise
Paris, et plus encore Buenos Aires 1810 .
Son offre est dabord rejete par le gouvernement amricain. A ce premier
chec sen joignent dautres dont nous discuterons lorsque nous aborderons les
perspectives scientifiques. Un autre fait illustre un manque dintrt en Europe, les
Instructions pour les voyageurs et pour les employs des colonies sur la manire
de recueillir, de conserver et denvoyer les objets dhistoire naturelle, parues en
1818 sous les auspices du Musum, oublieuses de lAmrique mridionale
lexception du Brsil 1811 .
Quen est-il de lappui fourni en amont, avant le dpart de Bonpland ? Des
instructions, des conseils lui sont-ils donns par une partie de la corporation
scientifique franaise, voire anglaise, lors de ses sjours dans cette le entre 1814
et 1816 ? Comment celle-ci apprhende-t-elle ce dpart, et quelles sont ses
attentes ? Si nous connaissons bien la querelle survenue entre Humboldt et
Bonpland lors du dpart de ce dernier, propos des plantes destines tre
tudies en France, peu dlments confirment lexistence dventuels soutiens au
voyage et aux avantages scientifiques en tirer. Autant dobstacles la poursuite
de luvre naturaliste dans laquelle Bonpland se lance.

C. POURSUIVRE LUVRE NATURALISTE


Tous les contemporains de Bonpland insistent cet gard sur son got pour
les voyages et la botanique, quils fournissent comme explication un voyage
peru comme une rupture l o il existe pourtant une forte continuit. En effet, il
suffit danalyser son programme scientifique pour comprendre combien ce
dplacement sinscrit dans la poursuite des recherches antrieures, la premire
dentre elles tant le voyage effectu avec Humboldt. Les projets dvoils par le
1809

Cf. FURLONG Guillermo, Nuevos datos sobre Bonpland en Buenos Aires (1818) , in
Anales de la Universidad del Salvador, n 5, 1969, pp. 163-164.
1810
Bonpland J. Lebreton, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 62.
1811
Cf. RIVIALE Pascal, op. cit., pp. 39-40.
468

Deuxime partie

Chapitre V

naturaliste se fondent dabord sur le dveloppement de structures propres


promouvoir les travaux naturalistes rioplatenses. En premier lieu, il sagit
dintgrer les institutions existantes lieux de visualisation et de lgitimation
sociales du savant et den difier une autre primordiale ses yeux, savoir le
Jardin botanique. Le lieu central en la matire tant Buenos Aires, Bonpland
espre ici profiter de limpulsion politique afin de raliser ce projet, qui sappuie
dautre part sur une double collaboration : continentale dabord bien que
restreinte, tant entendu que la situation politique ainsi que les rseaux de
Bonpland ne permettent pas une communication avec lensemble du souscontinent ; internationale ensuite, puisquil sagit de tisser des liens scientifiques
entre les deux mondes en les fondant sur la rciprocit des changes. Il sy
construit alors une stratgie de la mdiation.
Ce triple objectif reprsente le pont entre la tradition du Grand Tour et les
perspectives scientifiques esquisses lors du premier quart du XIXe sicle. En
effet, le Franais entend placer ses tudes dans la continuit du voyage effectu
avec Humboldt, le trajet devant initialement comprendre le Chili et Buenos
Aires 1812 . Il espre complter les rsultats du voyage aux rgions quinoxiales en
les enrichissant des produits qui devaient tre initialement collects au Paraguay et
en Patagonie, suivant le programme de lexpdition Baudin, finalement annule.
Conformment aux attentes du gouvernement et en accord avec son ducation
scientifique, Bonpland dsire ensuite transfrer des savoirs et des principes qui lui
sont chers, en profitant enfin du travail effectu Malmaison et Navarre.

1. Poursuivre les grands voyages dexploration


La filiation vis--vis des Lumires est valide pour lensemble des voyages
entrepris durant la Restauration 1813 . Elle se prolonge au-del chez Bonpland du
fait de sa dtention au Paraguay, qui se prsente comme une parenthse

1812

Cf. CACERES FRERE Julin, Presencia de Alejandro de Humboldt en la Argentina , in


Revista Argentina de Tuberculosis, Enfermedades Pulmonares y Salud Pblica, vol. 46, n 2,
1985, p. 75.
1813
Il sagit en somme de continuer le mouvement du sicle des Lumires, de reprendre, aprs
une brve priode de dsarroi et de recueillement, la voie de lpope napolonienne, en la
sublimant intgralement et en ltendant au monde entier , LEJEUNE Dominique, Les socits de
gographie en France et lexpansion coloniale au XIXe sicle, Paris, Albin Michel, 1993.
469

Deuxime partie

Chapitre V

scientifique de neuf annes, une priode de recueillement surmonter. Enlev


un an aprs le commencement de lexploration du Ro de la Plata, en 1821, le
dcoupage chronologique pens et construit par Bonpland est totalement dcal
sa libration intervenue en 1831. En effet, il se projette non pas dans le futur mais
dans le pass. Dans ses actes dabord : il reprend le programme quil stait fix en
1820, savoir constituer une collection botanique, faire prosprer un
tablissement agricole puis retourner en Europe avec les fruits de ces deux
investissements. Ces motifs expliquent son refus de retourner immdiatement en
France malgr les appels rpts de la communaut scientifique, et malgr le
tableau dsastreux dpeint par la communaut franaise prsente en Argentine 1814 .
Les rponses de Bonpland mettent en valeur au contraire un dsir de continuit
dans les domaines conomiques et scientifiques 1815 . Aussi les thmes abordant la
continuit des explorations sinscrivent la fois dans un temps court, celui des
indpendances, et dans un temps long, celui des constructions nationales. Le
temps scientifique du Franais connat une priode de dcalage vis--vis des
volutions culturelles contemporaines, premire tape de lvolution du
naturalisme vers lamricanisme 1816 .

Complter le Voyage aux rgions quinoxiales


En 1817, lobjectif de Bonpland est bien de poursuivre luvre amricaine
entame avec Humboldt partir de 1799, particulirement en ce qui concerne son
apport personnel, la botanique. Il fait part au gouvernement porteo de son
intention dditer ses travaux sous la mme forme que les Plantes Equinoxiales, et

1814

AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832. Humboldt, persuad lui
aussi de son dsir de revenir en Europe, obtient du gouvernement franais quil soccupe du
rapatriement de Bonpland ; cf. PEA David (dir.), Manuscritos de Bonpland. Cartas de
Humboldt , in Atlntida, vol. 1, n 1, 1911, p. 98. Cravino dresse un triste tableau de la province
de Corrientes en 1837 ; AMFBJAD n 888, Constantin Bonpland, Buenos Aires, 21 aot 1837.
1815
AMFBJAD n 567, Bonpland Frederick Dickson, Buenos Aires, 27 mars 1832 ; AMFBJAD
n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832.
1816
Ce dcalage est directement li au temps de latence existant entre le voyage et la publication
des rsultats. Humboldt par exemple tale ses parutions amricanistes sur plus de vingt annes ;
dOrbigny publie entre 1835 et 1847. A ce temps long, caractristique de la construction
amricaniste, sajoute le temps de latence entre la parution en Europe et lacquisition ou la
restitution de ces savoirs sur le terrain. Cet aspect sera analys lors de la seconde partie.
470

Deuxime partie

Chapitre V

ritre cette proposition Candolle plus de vingt ans plus tard 1817 , et place sa
nouvelle contribution dans un ensemble continental. Bonpland exprime
parfaitement cette continuit dans une lettre date de 1832, au sortir du Paraguay :
je vins dans cette partie de lAmrique avec lintention spciale de visiter
[] tous les points de lAmrique du Sud dans lesquels je nai pas
march au cours de mon premier voyage avec M. le Baron de Humboldt :
javais en mme temps le dsir [] dunir les travaux des deux voyages,
les offrir au monde et publier toute lhistoire naturelle du vaste continent
de lAmrique Espagnole.

1818

Auguste de Saint-Hilaire compare son travail botanique celui de


Humboldt. Les mmes motifs sont lorigine de la mission de 1818 dirige au
Brsil par le botaniste et entomologiste praguois Johann Sebastian Mikan1819 .
Louis-Claude Desaulces Freycinet soumet au ministre de la Marine en 1816 un
projet de circumnavigation destin prolonger lexpdition Baudin ralise au
dbut du XIXe sicle. La comparaison, la filiation et finalement la continuit vis-vis des voyageurs antrieurs est une proccupation constante parmi les savants
franais prsents au Ro de la Plata la fin des annes 1810 et au cours des annes
1820. En effet, le mme cas de figure se prsente pour lensemble de ceux-ci ; que
ce soit pour rendre hommage ou pour attaquer leurs prdcesseurs, la comparaison
est toujours prsente. Bonpland nest pas le dernier remettre en cause les
rsultats de Humboldt 1820 . Jean-Baptiste Douville attaque la mme poque les
observations ethnologiques formules par Saint-Hilaire. DOrbigny pour sa part
renvoie ses lecteurs Saint-Hilaire, Spix et Martius pour ltude du Brsil et
1817

Bonpland J. M. de Pueyrredn, Buenos Aires, 22 juin 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 34.; AMFBJAD n 421, Bonpland A. P.
de Candolle, Montevideo, 18 mai 1840.
1818
vine en esta parte de America con animo especial de visitar [...] todos los puntos de la
America del Sur en los quales no he andado en mi primer viaje con el Sor. Baron de Humboldt :
tenia en el mismo tiempo deseo [...] de [unir] los trabajos de los dos viajes, ofrecerlos al mundo y
publicar toda la historia natural del vasto continente de la America Espaola , AMFBJAD n
1591, Bonpland A. Herrera, Buenos Aires, 15 septembre 1832. Il le raffirme lintress en
1840 : Jai toujours pens que mes travaux ici devaient faire une suitte ncessaire tous les
ouvrages qui ont ts publis sous ton nom , AMFBJAD n 327, Bonpland Humboldt,
Montevideo, 17 mai 1840.
1819
CF. LOPES Maria Margaret, op. cit., p. 41.
1820
AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, aot 1832. Bonpland sattaque aux
conclusions du Prussien concernant le colletia peruviana qui a bien des feuilles comme il sen
assure dans les missions portugaises. Il constate aussi que Humboldt estropie le nom dune plante,
le bixa orellana, dsign par les espagnols sous le nom de rucu, se traduisant en franais par le
terme roucou . Or, Humboldt crit racou dans ses Tableaux de la Nature, t. I, p.257.
Bonpland ajoute que ltymologie est sans doute guarani car au Paraguay la plante se nomme
urucu.
471

Deuxime partie

Chapitre V

prfre parachever les uvres de La Condamine, Azara et Humboldt dans


lAmrique mridionale, se contentant de complter la flore de Corrientes 1821 .
Edmond Galls quant lui prsente en 1835 sa relation de voyage comme une
appendice celles de Saint-Hilaire et dOrbigny 1822 . De filiations en
amliorations, ldifice amricaniste se construit hors de son aire de recherche.
Au cours de la premire campagne dexploration vers le Paraguay,
lanalyse sappuie dabord sur la concentration des facteurs permettant le dpart de
Bonpland pour ce voyage en Barbarie , au Paraguay puis dans la province des
Missions. Car son interprtation est alors toute autre : il sagit non pas de
senfoncer en terra incognita mais de redcouvrir les vestiges de la plus ancienne
civilisation produite par les Europens dans la rgion rioplatense, son antique
foyer. Ce choix relve l encore dune logique de continuit culturelle, non dune
volont de rupture. Le Franais entend suivre les traces de Flix de Azara et en
complter luvre les 400 oiseaux envoys par Azara se perdent, et seulement
subsistent trois mammifres 1823 . Il se dfinit comme un continuateur moins que
comme un dcouvreur.

Les Missions du Paraguay, appendice du Voyage


Penser ce voyage en termes amricanistes est ncessaire pour en
comprendre lexcution. En premier lieu, car il sinscrit dans une stratgie de
continuit scientifique. De ce point de vue, les Missions offrent un terrain de
recherche exceptionnellement riche ; lorganisation du voyage rpond cette
priorit. Le travail exploratoire constitue la pierre angulaire du programme
scientifique de Bonpland, il en est la base. Toutefois, il lui faut attendre sa
nomination comme professeur, la fin de lanne 1818, pour quil entreprenne des
recherches en dehors de sa ville daccueil. Les premires excursions aux environs
de Buenos Aires ne sont pas dun faible profit, puisquelles lui permettent de faire
valoir le bien fond de ldition dun ouvrage botanique. Bonpland dispose en
effet, avant sa premire sortie sur lle de Martn Garca, de 187 chantillons. Mais
1821

ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, p. 334.


Cf. POTELET Jeanine, op. cit., pp. 35, 39, 45-46, 50 ; lauteur met en vidence cet aspect de
continuit parmi les voyageurs mandats ou non par quelque institution scientifique franaise.
1823
Cf. MONES Alvaro, KLAPPENBACH Miguel A., op. cit., p. 33.
1822

472

Deuxime partie

Chapitre V

prs du quart de ces observations concernent des vgtaux in cultis, ce qui est loin
de rpondre aux esprances du botaniste 1824 .
Poursuivre le travail de Flix de Azara est une priorit. A Buenos Aires, il
note les insuffisances concernant les vgtaux des Missions ou de Buenos
Aires dcrits par lAragonais 1825 . Lessentiel est donc faire, particulirement au
Nord-Est. Se fiant Azara, Bonpland relve labsence darbres de la Plata au
dtroit de Magellan, leur faible prsence jusquaux Missions ; enfin dans celles-ci
la diversit des arbres est trs grande et tous sont diffrents de nos arbres
dEurope 1826 . Si lon sattarde sur la sollicitation du 22 juin effectue auprs de
Juan Martn de Pueyrredn, lun des objectifs principaux est dentamer, ds sa
nomination acquise, des voyages il ne parle pas dexploration dans lintrieur
du territoire de lEtat , le long des fleuves Uruguay et Paran, ainsi que dans les
provinces de Tucumn et du Paraguay, Prou, &a1827 . En effet, le Paraguay
est considr comme une province par lensemble des Europens durant les annes
1820 et 1830, ou mme encore en 1858 par Woodbine Parish dcriant un pays
qui prtend, comme il le fait actuellement, reprsenter une rpublique
indpendante et spare 1828 .
Les explorations projetes en 1819 et 1820 ont pour prtention de couvrir
lensemble de lancienne vice-royaut 1829 et dasseoir la porte du premier
voyage. Il prvoit dabord de se rendre Tucumn en 1819, puis se dcide pour
Corrientes en 1820. Dans la continuit de ces premiers projets Bonpland, au sortir

1824

MNHN, ms 203, journal de botanique, 1817-1821.


Azara annonce quil ne donne pas le caractre des plantes ; que la vgetacion est uniforme et
que les plantes offrent partout le mme espce de gramines . Il relve dautres erreurs de
classification qui ne peuvent que lencourager ; AMFBJAD n 2044, journal, 1819-1823.
1826
Ibid.
1827
Bonpland J. M. de Pueyrredn et J. Rondeau, Buenos Aires, 22 juin 1818 et 11 aot 1820,
cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., pp. 33-34,
79.
1828
que pretende, como lo hace en la actualidad, representar una repblica independiente y
separada ; PARISH Woodbine, op. cit., p. 338 ; cf. aussi BEAUMONT John A.B., op. cit., p.
122. Dans son chapitre consacr aux divisions provinciales, lauteur y inclut le Paraguay, alors
quil mentionne dans le mme temps le Haut Prou tout en prcisant que les liens avec les
Provinces-Unies sont inexistants depuis lindpendance. Sadressant Francia, les Europens
continuent le considrer comme le chef dune province. AMFBJAD n 1510, J. Ingres Francia,
So Borja, 1835 (lettre rdige par Bonpland).
1829
M. Bonpland se dcida immdiatement entreprendre un voyage qui devait le conduire
travers les Pampas, la province de Santa-F, le grand Chaco et la Bolivie, au pied des Andes, quil
voulait explorer une seconde fois , lit-on dans la notice du premier biographe et ami de Bonpland,
DEMERSAY Alfred, La vie et les travaux de M. Aim Bonpland, Correspondant de lInstitut et
du Musum dhistoire naturelle , in Bulletin de la Socit de Gographie de Paris, quatrime
srie, tome V, 1853, p. 249.
1825

473

Deuxime partie

Chapitre V

du Paraguay, aprs avoir dabord renonc en juin 1832 organiser une campagne
grande chelle englobant la cte patagonique jusquau dtroit de Magellan, les
les Malouines, Tucumn et le Chili 1830 , sapprte parcourir simplement
Montevideo, Maldonado et le cap Santa Mara pour complter ses connaissances
gologiques 1831 . Mais sa grande entreprise avant de regagner lEurope consiste
retourner une dernire fois, pour mener une exploration estime une anne 1832
dans les missions portugaises et sur lUruguay pour y collecter ce quil a
seulement pu voir 1833 , tenter de glaner quelques fossiles la suite de Sellow dans
lEntre Ros et passer par le Brsil 1834 . Cependant, ds le mois daot il prvoit de
nouveau dlargir ses investigations Corrientes, au Chili, la Patagonie et
Tucumn, au cours dun voyage estim un an ou deux 1835 . Comme il lexplique
Humboldt, Bonpland se juge moralement et physiquement capable de faire ses
excursions 1836 . Les preuves dintrt portes ses tudes le portent
certainement, notamment celles provenant du gouverneur de Tucumn, car aprs
avoir projet de voyager par les missions portugaises, il envisage de se rendre
auprs de ce gouvernement 1837 . Nanmoins, les rsultats de ce travail sont
prioritairement ddis linstitution scientifique franaise. Cette filiation apparat
davantage encore dans sa correspondance avec le Musum 1838 .

1830

AMFBJAD n 319, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 1er juin 1832.


AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832.
1832
AMFBJAD n 1591, Bonpland A. Herrera, Buenos Aires, 15 septembre 1832.
1833
Car une fois en Europe je ne reverrai lAmrique que dans le souvenir. Le mme cas de
figure se prsente pour dOrbigny qui ne peut effectuer de relevs lorsquil remonte le Paran, le
propritaire du navire marchand le conduisant ne lui en laissant pas le loisir ; AMFBJAD n 318,
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832 ; AMFBJAD n 567, Bonpland F. Dickson,
Buenos Aires, 27 mars 1832.
1834
AMFBJAD n 319, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 1er juin 1832. Lintention exprime
ici semble correspondre une note non date relatant lexistence de deux exemplaire fossiles prs
du lieu de la dcouverte de Sellow ; AMFBJAD n 1158, Fossiles de lAmrique de Sud, s. l., s. d.
1835
AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
1836
Ibid.
1837
AMFBJAD n 1591, Bonpland A. Herrera, Buenos Aires, 15 septembre 1832.
1838
Stait pour moi une ide agreable que de ramasser et decrire une collection des oiseaux de
ce pays si bien decrits dans louvrage de Monsieur Dazara. Je dirai plus jesperais ajouter quelque
chose au beau travail de Mr Dazara , car la collecte effectue sur les bords et dans les forets
vierges de lUruguay devait necessairement donner de nouvelles espces et me fournir des
renseignements nouveaux sur cette branche si importante de lhistoire naturelle , AMFBJAD, s.l.,
s.d. ; AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum royal dHistoire naturelle, Buenos
Aires, 5 janvier 1837 ; Bonpland au Directeur du Musum royal dHistoire naturelle, Buenos
Aires, 5 janvier 1837, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 106. Bonpland se
positionne de mme vis--vis des travaux de Saint-Hilaire et dOrbigny, quand il adresse Mirbel
les chantillons demands ; Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 24 mars 1838, cit in
HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 125.

1831

474

Deuxime partie

Chapitre V

Le cordon ombilical institutionnel


Saint-Hilaire, dOrbigny ou Darwin agissent de mme. Le Musum est la
cl de vote de ce sentiment dappartenance la communaut. Bonpland relve le
compte-rendu du voyage de dOrbigny qui insiste sur cet aspect de continuit
dans son cas avec Humboldt, Saint-Hilaire et Spix 1839 . Les relais, ou plus
exactement les bases europennes, constituent le point dancrage essentiel de
Bonpland. Dabord pour fournir une caution scientifique son travail et lui
permettre de mener bien celui-ci, notamment grce la ralisation dune
publication de grande envergure en France. Lappui de lAcadmie des Sciences,
obtenu de haute lutte face Smith par les amis de Humboldt, se concrtise par
lacquisition du statut de correspondant, prouvant lexistence dun suivi
scientifique, et non des moindres, en aval cest--dire aprs le dpart de Bonpland
pour Buenos Aires. Nanmoins, ltroitesse du scrutin tend malgr tout
dmontrer que le Ro de la Plata nest pas une aire privilgie par le monde
scientifique franais, et que la place de correspondant est acquise davantage par
lappui du rseau Humboldt lAcadmie.
Ensuite pour lui donner les moyens financiers indispensables ses travaux.
Car financirement non plus, Bonpland ne peut se passer de la France. Le
versement de sa pension tant soumis lenvoi dun certificat de vie, ainsi qu la
poursuite de travaux scientifiques au service de la France, la premire trace de
cette demande depuis son arrive Buenos Aires est date du 22 juillet 1818 1840 .
Dans lesprit de Bonpland la pension, consquence des premiers travaux
amricains, justifie que les rsultats des recherches soient livrs au Musum 1841 .
Cette somme est suprieure celle obtenue par dOrbigny pour lensemble de son
expdition 1842 ; il sagit bien dun cordon ombilical ou comme la nomme
1839

AMFBJAD n 1703, Voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.


RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p.36,
Bonpland Rondeau, Buenos Aires, 22 juillet 1818.
1841
AMFBJAD n 278, HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 106 ; AMFBJAD n 958,
Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 aot 1850 ; AMFBJAD n 965, Bonpland Desmarest et
Ducoing, Montevideo, 5 novembre 1850.
1842
Fixe 6 000 francs, lindemnit alloue par le Musum peut paratre suffisante, dautant plus
quelle reprsente le tiers des crdits disponibles pour les voyages scientifiques ; nanmoins
dOrbigny, estimant la somme insuffisante, obtient une pension supplmentaire de 3 000 francs de
la part du duc de Rivoli, puis une rvision la hausse des moluments verss par le Musum ; cf.
RIVIALE Pascal, op. cit., p.28. Bonpland quant lui est assur de recevoir 3 000 francs chaque
anne.
1840

475

Deuxime partie

Chapitre V

Bonpland son ancre de misericorde 1843 . Ds sa sortie du Paraguay, Humboldt


lengage crire au ministre des Affaires trangres et lInstitut, bref de renouer
avec linstitution, tandis quil fait son possible pour obtenir les arrrages. Mais
malgr ces assurances il ne parvient pas recouvrer lintgralit de sa pension et
manque de la perdre de nouveau en 1837 1844 . A partir de 1842, Bonpland obtient
que le certificat soit envoy depuis son lieu de rsidence. Nanmoins, il ne peut
bnficier de cette clause, les voies de communications tant rompues avec
lEurope jusquen 1849. A cette date, le Franais est en mesure dadresser son
certificat de vie mais perd les arrrages des annes 1842-1844. En outre, Paris ne
lui accorde plus que deux annes de dlai pour signaler son existence, au lieu des
cinq alloues prcdemment 1845 , ce qui loblige se rendre plus frquemment aux
consulats.
Pour sa part, le Musum est garant du droit de proprit des chantillons
remis depuis le Nouveau Monde. Saint-Hilaire demande expressment que ses
spcimens botaniques soient conservs intacts jusqu son retour. Ds le contact
renou avec le Musum, en 1832, celui-ci sempresse de prendre son d, lherbier
du voyage avec Humboldt, et conserve les autres caisses 1846 . Au cours de la
sance du 15 juillet 1833, il est dcid que lherbier reste la disposition de
Bonpland, tandis que les autres envois intgrent la collection gnrale. Le
Musum en informe Bonpland le 21 juillet 1837 et lencourage poursuivre ses
investigations et ses envois 1847 . Mirbel a soin de demander Bonpland sil dsire
que soient conservs les chantillons pour son usage, cest--dire la publication,
ou sils peuvent tre soumis lobservation, en en indiquant dans ce cas la
1843

AMFBJAD n 912, Bonpland Barrois, Corrientes, 28 mars 1838.


Ray de la liste des pensions, Bonpland ne peut pas y tre rintgr. Le ministre obtient
nanmoins du Conseil dEtat que Bonpland bnficie de la loi sur les rentes qui est rtrocessive sur
cinq annes. Pour lui verser lintgralit des neuf annes manquantes, il faudrait changer la loi, ce
quoi le ministre se refuse, malgr les interventions de Humboldt auprs du roi, de Guizot et du
marchal Grard. AMFBJAD n 855, Delessert Bonpland, Paris, 20 fvrier 1833 ; AMFBJAD n
413, HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 232, Humboldt Guizot, Postdam, mai 1833 ; A.
Boissiere Bonpland, Paris, 5 juin 1833 ; Bonpland reoit le courrier des Delessert en mars 1834,
et leur rpond en janvier 1835 en les remerciant et en leur demandant de cesser leurs sollicitations ;
AMFBJAD n 908, Bonpland Delessert, So Borja, 10 janvier 1835 ; AMFBJAD n 856, Note
relative la pension de Bonpland adresse Humboldt, s. l., s. d.
1845
AMFBJAD n 915, Bonpland Delessert, Montevideo, 22 janvier 1842 ; AMFBJAD n 870,
Delessert Bonpland, Paris, 7 juin 1842 ; AMFBJAD n 879, Desmarest et Ducoing Bonpland,
Paris, 3 aot 1850.
1846
AMFBJAD n 1998, A. Raffeneau-Delile Bonpland. Montpellier, 25 fvrier 1834.
1847
Bonpland au Directeur du Musum royal dHistoire naturelle, Buenos Aires, 5 janvier 1837,
cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 107 ; AMFBJAD n 390, M.-E. Chevreul, P.-L.
A. Cordier et A. Brongniart Bonpland, Paris, 21 juillet 1837.
1844

476

Deuxime partie

Chapitre V

provenance 1848 . Au dbut des annes 1830, le Musum est trs demandeur
dchantillons. Les nouvelles serres du Musum dune tendue considrable
attendent de
belles espces qui [en] feront lornement et la gloire [] Les individus
nous manquent pour les remplir

1849

explique Mirbel qui accuse rception des caisses envoyes et des pertes au
moment de faire lever les graines. Aussi lui propose-t-il de les stratifier ou de les
rendre hermtiques comme les Anglais qui ainsi ont reu du Chili des graines
daraucaria, et surtout il lui demande dessayer dinnover en matire de
conservation, afin dacqurir un plus grand nombre de plantes. Mirbel est trs
mticuleux dans ses demandes et accueille trs bien les offres de Bonpland 1850 .

2. Propager les Lumires


Avant dvoquer les contributions voulues et soutenues par Bonpland, une
prcision simpose concernant la notion de mdiateur. En effet, elle ne renvoie pas
une ide de neutralit mais au contraire dengagement. Que ce soit pour rduire
lcart entre nationalisme crole et imprialisme europen ou pour faire converger
deux processus historiques, il sengage avec parfois des rsultats contraires aux
intentions affiches. Dans une approche transatlantique, est mdiateur tout acteur
qui contribue la mise en relation des deux mondes, relation aboutissant la
construction de reprsentations ; la mdiation cesse lorsque lchange est
unilatral. Lacte de mdiation, quil soit spirituel ou matriel, sinsre dans une
chane relationnelle complexe aboutissant la formulation dhypothses
fondatrices des reprsentations. Louverture du continent hispano-amricain suite
aux indpendances largit en mme temps les grilles de lecture de celui-ci. La
division entre lgende noire ou rose fait place lvolutionnisme culturel. La
division entre civilisation et barbarie relve dune lecture qui doit sa prennit
aussi bien lEurope quaux lites sud-amricaines ; il nest donc pas tonnant de
1848

AMFBJAD n 437, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 9 janvier 1833 ; AMFBJAD n
438, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 23 mars 1835.
1849
AMFBJAD n 438, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 23 mars 1835.
1850
AMFBJAD n 437, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 9 janvier 1833 ; AMFBJAD n
438, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 23 mars 1835.
477

Deuxime partie

Chapitre V

retrouver ce discours chez les mdiateurs. Ceux-ci dterminent donc la diffusion


de lobjet au sein dun ensemble plus vaste, le rseau transculturel.

Pour lavnement dune politique scientifique tatique


Les canaux de diffusion de la science lintrieur de laire latinoamricaine sont au nombre de cinq : la presse, lassociationnisme scientifique, les
institutions ducatives, la fondation de muses dhistoire naturelle et la
participation aux expositions universelles 1851 . Si lon excepte le dernier vecteur,
encore inexistant dans les annes 1820, Bonpland sinsre dans cette stratgie
destine crer une demande scientifique au sein du corps social. Plus
exactement, il est la base de la construction et de lvolution dune discipline
scientifique encore embryonnaire.
La presse, nous lavons vu, soutient le projet tatique. Quant aux
institutions ducatives et aux muses dhistoire naturelle, ils sont encore en germe.
Reste lassociationnisme scientifique, seul moyen de voir merger un programme.
Le milieu savant est relativement homogne, consquence de labsence de
structuration et dinstitutionnalisation scientifique. Mais dfaut, il existe une
relle

focalisation

des

savoirs.

Nul

cloisonnement,

mais

changes

et

confrontations. Lhtrognit est vrai dire impossible du fait du faible nombre


des acteurs en cause, et Bonpland sinsre rapidement dans ce milieu. La patience
et la passion ne sont pas en effet lapanage dune lite, mais se retrouvent dans
lensemble de la socit. Encore faut-il possder le got de ce genre dtudes, et
certains milieux sont davantage aptes le dvelopper. Si lon sarrte aux
formations des personnages sadonnant aux sciences naturelles, le principal
groupe professionnel intress est sans surprise celui des mdecins, pionnier
Buenos Aires avec Haenke, OGorman et Argerich. Nanmoins leurs disparitions
respectives en 1817, 1819 et 1821, ne permettent pas une continuit en ce
domaine.
Nous pouvons dresser un panorama assez complet de ses premiers
interlocuteurs. Parmi les personnalits du monde mdical tout dabord, nous
1851

LOPEZ-OCON CABRERA Leoncio, op. cit., p. 207.


478

Deuxime partie

Chapitre V

trouvons Saturnino Segurola, clbr pour avoir appliqu le vaccin antivariolique


import au vice-royaume du Ro de la Plata par Antonio Machado. Exerant la
fonction de sous-directeur de la Bibliothque Publique jusquen 1813, cest un
relais non ngligeable pour ce qui concerne la transmission de linformation et
lacquisition douvrages rares 1852 . Bonpland entretient des rapports avec Vicente
Lpez y Planes, ce qui na rien dtonnant sachant que ce dernier est affili
lAcadmie de Mdecine ds sa fondation, au vu de ses qualits possdes en
botanique 1853 . Par lintermdiaire de Lpez y Planes, Bonpland a accs au cercle
de mdecins et drudits formant son entourage immdiat, lorigine de la
fondation de lAcadmie de Mdecine : les Argerich, Juan Molina et Antoine
Fabre ; Matas Rivero, Juan Montfar, Juan Antonio Fernndez, N. Garafot et
Juan Madera 1854 . Le rseau de Bonpland est solide quatre ans aprs son arrive
car, alors quil est absent de Buenos Aires depuis plus dun an, il parvient
obtenir la chaire de Matire Mdicale au sein du Tribunal de Mdicina, sur
proposition de Cristbal Martn de Montfar, Juan Antonio Fernndez et
Francisco Cosme Argerich, respectivement directeur, vice-directeur et professeur
dAnatomie de lInstitut. La proposition, soumise le 14 novembre 1820, est
accepte le 23 mars 1821 1855 .
Quelques autorits savantes entourent Bonpland. Ainsi une trace subsiste
de relations entretenues avec le pre Castaeda, dans une lettre crite le 5 octobre
1818 propos de la cochenille 1856 , bien que lecclsiastique soppose au rgime
rivadavien. Il y a aussi Don Bartholo Muoz, cest--dire Bartolom Doroteo
Muoz, ecclsiastique amateur clair dhistoire naturelle, et plus particulirement
de botanique, formateur de Larraaga, quil met en contact avec Bonpland.
Nanmoins, nulle autre figure napparat dans ce cercle plus restreint des
intellectuels. Le journal tenu par le Franais contenant la liste des personnes

1852

Cf. BABINI Jos, Historia de la ciencia en la Argentina, Buenos Aires, Solar, 1986 (1954), pp.
85-86.
1853
LOPEZ Vicente Fidel, Evocaciones histricas, Buenos Aires, Secretaria de Cultura de la
Nacin, Fundacin Universitaria de Estudios Avanzados, 1994 (1929). Lpez y Planes aurait servi
dintermdiaire entre Bonpland et Pueyrredn afin que le premier prsente au second un mmoire
sur la yerba mate ; cf. BOCCIA ROMANACH Alffredo, op. cit., p. 79.
1854
LOPEZ Vicente Fidel, op. cit., p. 20.
1855
Antcdents de la nomination de Bonpland la chaire de Matire Mdicale de lInstituto
Mdico Militar, in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit.,
pp. 81-83.
1856
La Gaceta de Buenos Aires, 4 novembre 1818. Dans son journal de botanique, Bonpland fait
mention dchantillons dus l amiti de Castaeda.
479

Deuxime partie

Chapitre V

auxquelles il distribue plantes, graines ou autres chantillons botaniques, bon


moyen de juger de ltat de cette sociabilit naturaliste , confirme labsence
dautres figures notables du monde savant 1857 . Il est significatif dy voir figurer le
commandant de Martn Garca, Pedro Saenz de Cavia, lappuyant lors de son
excursion sur cette le. La diversit des contacts reflte lhtrognit des milieux
occups dhistoire naturelle. La liste contient dailleurs une majorit de
personnalits politiques et militaires autour desquelles sorganise le cercle
relationnel des Bonpland.
Cette volont ddification est minoritaire. La posture dAlcide dOrbigny
illustre une vision diffrente, gnralise alors en Europe concernant le retard et,
au nom de ce retard, un droit la possession qui soppose au fait de se rendre
esclave de quelques gouvernements dAmrique 1858 :
La nonchalance et la paresse des habitants font que ce nest qu force
dargent quils se drangent pour me procurer les animaux de leur pays.
Maintenant que je connais la langue et la manire de prendre les
Amriquains. si mes appointements rpondaient aux dpenses quexigent
les voyages, pesez tout et voyez ce que vous pouvez maccorder.

1859

Dsireux de ne pas disperser le patrimoine scientifique rioplatense,


Bonpland conseille au contraire Larraaga de conserver pour le pays les
ossements du Mgathrium en sa possession 1860 . Cette attitude, peu dveloppe au
sein des instances dirigeantes, encore moins chez les particuliers 1861 , peut paratre
surprenante de la part dun membre correspondant de lAcadmie des Sciences de
Paris, mais reflte tout fait bien les ambitions du naturaliste. Alors que les
Musums dHistoire naturelle europens rivalisent pour obtenir des pices sudamricaines,

Bonpland

dsire

lmergence

des

tudes

palontologiques

rioplatenses, prcisment inities par la dcouverte et lenvoi Madrid, en 1789,

1857

MNHN, ms 214.
A. dOrbigny aux professeurs administrateurs du Musum, 16 septembre 1828, cit in
BERAUD Gilles (d.), MIRET Enric, DORY Daniel (coll.), op. cit., p. 34.
1859
A. dOrbigny aux professeurs administrateurs du Musum, 18 juin 1827, cit in BERAUD
Gilles (d.), MIRET Enric, DORY Daniel (coll.), op. cit., p. 30.
1860
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, Buenos Aires, 15 septembre 1818.
1861
Alexander Caldcleugh observe Buenos Aires en 1821 un arolithe amen du Chaco pour
raliser une paire de pistolets et un tromblon afin den faire prsent au prsident des EtatsUnis ; CALDCLEUGH Alexander, Viajes por Amrica del Sur, Ro de la Plata. 1821, Buenos
Aires, Solar, 1943 (1825), p. 38.
1858

480

Deuxime partie

Chapitre V

des restes entirement conservs dun Mgathrium, unique exemplaire mis la


disposition des naturalistes jusquau cours des annes 1820 1862 .

Pour le dveloppement dune dynamique continentale


Cherchant instaurer une correspondance transfrontalire, Bonpland se
tourne naturellement vers le Brsil car le pays alors en pleine effervescence
naturaliste est un ple dattraction incontournable. Les instructions adresses en
1819 Acard lengageant mettre en contact les Franais prsents sur le territoire
avec le Musum brsilien 1863 , dnotent en outre une proccupation srieuse pour
les sciences naturelles. Du Brsil, Bonpland fait venir des plants dananas pour les
acclimater Buenos Aires. Demands au mme Acard, ils lui sont apports par
Narcisse Parchappe 1864 en novembre 1818. Bonpland demande celui-ci de lui
fournir une liste des plantes autochtones, ainsi que des graines et des fruits dans le
but de les acclimater. Par lentremise de Boissire, Bonpland souhaite initier un
change de graines avec le jardin de Rio de Janeiro 1865 . Ce Jardin botanique, cr
en 1808, et selon Joo VI destin introduire au Brsil la culture des pices
provenant des Indes orientales 1866 , ouvre de grandes perspectives concernant
llaboration dun suivi scientifique. Mais les plantes obtenues par Boissire ne
sont pas dun grand intrt, et surtout le directeur du jardin est un interlocuteur
dune valeur moindre encore selon lintermdiaire.
Il sentoure de quelques correspondants : Shaarp lui fait parvenir en 1818
des graines dindigo de Rio de Janeiro 1867 ; Grard lui amne de la Bande
Orientale en 1819 une racine mdicinale 1868 . Il y a aussi bien sr Larraaga, mais
1862

Cf. PODGORNY Irina, Los gliptodontes en Pars : las colecciones de mamferos fsiles
pampeanos en los museos europeos del siglo XIX , in MONTSERRAT Marcelo (comp.), La
ciencia en la Argentina entre siglos. Textos, contextos e instituciones, Buenos Aires, Manantial,
2000, pp. 309-310.
1863
LOPES Maria Margaret, op. cit., p. 47.
1864
Concernant Narcisse Parchappe, cf. KIRCHEIMER Jean-Georges, Narcisse Parchappe : un
polytechnicien explore la Patagonie, 1838 , in LAISSUS Yves (coord.), Les naturalistes franais
en Amrique du Sud : XVIe-XIXe sicles, Paris, CTHS, 1995, pp. 307-315.
1865
AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, aot 1832.
1866
Cet extrait du dcret est cit par BERTOL DOMINGUES Heloisa Maria, Le rle social du
Jardin botanique de Rio de Janeiro , in FISCHER Jean-Louis (dir.), Le jardin entre science et
reprsentation, Paris, CTHS, 1999, p. 129.
1867
MNHN, ms 203, n 138, avril 1818.
1868
Loxalis muyquichi ; AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 19 mai 1837.
481

Deuxime partie

Chapitre V

la majorit de ses contacts sont europens. Alors mme quil dcide de partir pour
Corrientes, le relais le plus fiable dans cette ville est un notable dorigine
franaise, Esteban Perichn 1869 . Bonpland compte en effet tendre son rseau vers
le nord du pays, incluant le Paraguay dans ce cadre territorial. Les barrires
provinciales et nationales sont-elles suffisamment ouvertes ? Sa correspondance
avec Tucumn, Corrientes, Montevideo, Asuncin dmontre une volont de sa
part de fortifier les sciences et de crer une Rpublique savante au Ro de la
Plata, comme en tmoigne son projet ddifier un Musum sur le modle franais,
rcepteur des sciences naturelles dans un vaste espace circonscrit pour lessentiel
lancienne vice-royaut.

Pour une coopration transatlantique


Bonpland privilgie les rapports scientifiques transatlantiques. Fort de ses
appuis europens, il esquisse lide dune collaboration entre le Ro de la Plata et
lEurope, afin dunir les efforts des deux ples scientifiques. A ce titre,
lorientation scientifique franaise de la Restauration offre de solides garanties.
Les informations relatives la priode comprise entre 1817 et 1821 sont tnues ;
nanmoins, plusieurs axes sous-jacents llaboration dun travail commun
apparaissent dans son discours. Un constat simpose : Bonpland dsire instaurer la
collaboration la plus vaste possible.
Un an aprs son arrive Buenos Aires, le Franais senquire auprs du
religieux et naturaliste Damasio Antonio Larraaga des recherches menes par
celui-ci. Connaissant lAmricain depuis plusieurs annes, il exprime son dsir de
le rencontrer ds quil a connaissance de son retour Montevideo, et dentamer
une collaboration scientifique non seulement profitable aux deux hommes, mais
surtout au monde savant. Bonpland lui conseille de se mettre en contact avec
Georges Cuvier en ce qui concerne la palontologie en prenant soin dcrire
aussi au Musum dHistoire Naturelle et avec Robert afin dobtenir de son

1869

Esteban Perichn est directeur des Postes de la province. Il doit sa place son pre, ancien aide
de camp du vice-roi franais Jacques Liniers.
482

Deuxime partie

Chapitre V

tablissement botanique Toulon des semences propres lacclimatation 1870 . La


prsence rcurrente de lUruguayen au cours des diverses tapes dj voques
lrige en pice matresse de ldifice naturaliste en germe. En 1822, Cuvier luimme demande correspondre avec le Rioplatense. Il en attend une publication
relative aux pices fossiles en sa possession, ou mme une simple note 1871 . Ces
changes confortent lhypothse selon laquelle laire latino-amricaine nest pas
en matire scientifique marginale ou excentrique, mais bien dans un rapport
galitaire vis--vis du Vieux Monde 1872 .
Bonpland propose une collaboration commune dont les rsultats seraient
divulgus en Europe 1873 . Refusant toute reconnaissance personnelle immrite, il
veut gratifier Larraaga de la paternit et la primaut des recherches et des fruits
que constituerait une histoire naturelle du Ro de la Plata 1874 . Cette rciprocit est
courante ; on la dcle dailleurs chez les autres interlocuteurs europens de
Larraaga. Elle participe au processus de reconnaissance du groupe scientifique
rioplatense et la formation dune communaut savante transatlantique, par
convergence dintrts. Au cours des annes 1820 ces changes se dveloppent et
permettent un nouveau rapprochement des deux mondes. Auguste de Saint-Hilaire
y participe son tour en 1821, lorsquil demande Larraaga de lui faire parvenir
des chantillons ; il sengage quant lui rassembler et envoyer un herbier des

1870

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, Buenos Aires, 15 septembre 1818.
1871
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Freycinet
Larraaga, 29 mars 1822 ; Saint-Hilaire Larraaga, 19 septembre 1822.
1872
Hypothse mise par LOPEZ-OCON CABRERA Leoncio, op. cit., pp. 205-225.
1873
Saturnino Segurola et Bartolom Doroteo Muoz instruisent Bonpland du droulement des
travaux de Damasio Antonio Larraaga. Sans quil ait besoin de se recommander de ces
personnages, Bonpland se crdite nanmoins de leur bienveillance son gard, lorsquil entame sa
correspondance avec Larraaga ; AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195,
carpeta 18. Muoz est dautant plus recommand quil est un formateur essentiel de Larraaga en
matire de botanique, son grand ami et collaborateur ; cf. MAE GARZON Fernando, Teodoro M.
Vilardeb. 1803-1857. Primer mdico uruguayo, Montevideo, Academia de Medicina del
Uruguay, 1989, pp. 305-306.
1874
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18. Le 13 fvrier
1818, lors de sa premire lettre Larraaga, le Franais espre admirer tous les trsors que vous
avez ramasss et les voir bientt publier, afin que lEurope entire rende justice votre mrite et
aux efforts que vous avez fait ; Bonpland ajoute, le 2 avril 1818 : jai mme plusieurs amis
Paris qui doivent se charger de suivre la gravure et limpression de tout ce que jenverrai, mais []
je ne leur enverrai mme rien avant de vous avoir vu et savoir positivement de vous quelles sont
vos intentions ce sujet. Je serais au dsespoir de publier sans votre assentiment des travaux
auxquels vous avez mille fois plus de droit que moi et que je regarde dailleurs comme votre
proprit. Bonpland insiste encore le 15 septembre : je crois que vous feriez une chose utile
votre gloire scientifique de les faire publier en Europe.
483

Deuxime partie

Chapitre V

environs de Paris sitt de retour en France 1875 . Cette politique des relais
correspond ce que certains auteurs nomment lexcellence scientifique la
priphrie 1876 . Ce concept sapplique particulirement Bonpland, puisquil
dsire simpliquer personnellement et sur le long terme la formation dun groupe
et de structures scientifiques similaires ceux existant en Europe. Larraaga en est
un autre exemple puisquil parvient fixer autour de lui les naturalistes europens.
La mme attitude se retrouve chez Auguste de Saint-Hilaire vis--vis de la
Flora Fluminensis de labb Vellozo, dont les manuscrits dorment dans la
bibliothque de Rio de Janeiro 1877 . Saint-Hilaire est alors un des rares dfenseurs
des auteurs sud-amricains. La valorisation des travaux dpend essentiellement
des composantes du rseau de transmission des connaissances, et lUruguayen
peut compter sur Auguste de Saint-Hilaire pour dfendre devant lAcadmie des
Sciences ses rsultats 1878 . Saint-Hilaire noublie pas non plus de mettre en avant
des travaux concernant la flore brsilienne 1879 ou encore de remercier Joo
Rodrigues Pereira de Almeida, tranger au monde savant mais prcieuse aide sur
le terrain, en lui ddiant un genre botanique nouveau 1880 .
Le partage du travail se veut quitable, mais on observe au cours de la
dcennie 1820 une volution vers une publication systmatique en Europe, en
termes dchanges inquitables car lide de publications amricaines tant
abandonne, celle dune collaboration gale sefface son tour au profit dun
monopole europen non seulement ddition, mais aussi concernant la paternit de
luvre, processus mettant jour les limites atteintes par lEtat dans sa tentative
de crer un espace public capable de dvelopper des mcanismes de production et

1875

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Saint-Hilaire
Larraaga, 21 octobre 1821.
1876
A ce sujet, cf. DIAZ Helena, TEXERA Yolanda, VESSURI Hebe, La ciencia perifrica,
Caracas, Monte Avila, 1983 ; CUETO Marcos, Excelencia cientfica en la periferia. Actividades
cientficas e investigacin biomedica en el Per, 1890-1950, Lima, GRADE, 1989.
1877
SAINT-HILAIRE Auguste de, op. cit., p. 23.
1878
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 5, 13
novembre 1837, p. 644.
1879
Saint-Hilaire promeut en 1830 les travaux du brsilien Domingos Ribeiro dos Guimaraens
Peixoto effectus Paris sous la forme dune dissertation inaugurale de doctorat intitule Sur les
Mdicamens brsiliens quon peut substituer aux Mdicamens exotiques dans la pratique de la
Mdecine au Brsil. Saint-Hilaire lui ddie un genre ; Flora brasiliensis meridionalis, Paris, Belin,
tome III, 1832, p. 60.
1880
Ibid., pp. II, XIII-XIV, 142-143.
484

Deuxime partie

Chapitre V

reproduction de connaissances et pratiques scientifiques 1881 . Ces limites sont les


prmices du schma dchange classique entre matires premires et produits
finis, bien que les Amricains soient encore peu sollicits pour faire parvenir le
matriel brut en Europe, mais plutt un produit semi-fini, leurs propres
observations, par lintermdiaire de laffiliation aux socits savantes1882 .
Les effets de tels apports se font immdiatement sentir sur le travail des
savants rioplatenses. Larraaga est enthousiasm par la qualit des deux uvres
que lui offre Saint-Hilaire, comparant lauteur Buffon et Jussieu :
Lune ma procur de la vigueur dans mes investigations, et lautre me
rendra plus prudent et plus attentif dans linspection de ces plantes

1883

Cet enthousiasme pour les mthodes nouvelles prouve aussi quavant SaintHilaire, Bonpland ne convainc pas le Montevideano par des thories ; il nest en
effet pas constructeur mais cultivateur des sciences. A ce titre, Bonpland
encourage lEtat divulguer toute source de connaissance en direction de
lEurope. Cest le cas encore avec dun livre dagriculture crit par Toms Jos
Grigera 1884 , quil conseille de faire parvenir aux tablissements scientifiques du
vieux monde, publics ou privs, afin dentamer une correspondance profitable aux
deux parties. Toute uvre en provenance du Ro de la Plata est susceptible
dexciter, assure Bonpland, lintrt des Etats comme des savants trangers pour
les ressources naturelles, crer une dynamique dchanges scientifiques, mais
aussi commerciaux 1885 .

1881

LOPEZ-OCON CABRERA Leoncio, op. cit., p.207. Lincapacit de lEtat dvelopper une
dynamique et une politique scientifique autonome est la base du retard qui saccumule dans les
annes 1820.
1882
Cf. les lettres changes entre Larraaga et Freycinet ou Saint-Hilaire ; AGNM, Escritos del
padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18. Un passage dune lettre de Saint-Hilaire
Larraaga, date du 19 septembre 1822, est significatif ce sujet : jaurai lhonneur de vous faire
passer bientt [] un aperu de mes voyages que jai dj lu notre Acadmie de Sciences. Jai eu
le plaisir de vous citer dans ce petit ouvrage pour un fait que vous avez bien voulu me
communiquer.
1883
La una me ha dado vigor en mis investigaciones, y la otra me har mas cauto y mas atento en
la inspeccion de dichas plantas , AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195,
carpeta 18, Larraaga Saint-Hilaire, Montevideo, 8 fvrier 1822.
1884
Toms Jos Grigera (1775-1829), pionnier de lagriculture en Argentine, surnomm el
Alcade de la Quintas , exerce dans la province de Buenos Aires.
1885
Bonpland J. M. de Pueyrredn, Buenos Aires, 22 juin 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 33.
485

Deuxime partie

Chapitre V

3. Acclimater savoirs et pratiques


La mise en pratique et la diffusion des connaissances pour le plus grand
nombre rapproche Grigera et Bonpland, non personnellement ils ne se sont
jamais rencontrs mais idologiquement, bien que le premier insiste sur les
consquences bnfiques pour les travailleurs et la prosprit nationale, tandis que
le second met en exergue le processus de reconnaissance internationale
quenclencherait la diffusion de louvrage ltranger 1886 . Dans le domaine
agricole, Bonpland se peroit lui-mme plus comme un relais que comme un
novateur, malgr les espoirs placs en ses acquis lors de son arrive 1887 . Rappelons
que lmergence dune telle excellence priphrique ne peut se produire qu
partir du moment o, dans le cas dun Europen, le sjour permet de fonder une
tradition scientifique, par lenseignement notamment. Il sagit en outre dun
vritable signe dacculturation. Cet objectif diffre donc de celui des voyageurs
classiques, qui nincluent pas dans leurs desseins scientifiques lmergence dune
communaut savante locale, mme sils la stimulent et poursuivent un dialogue
enrichissant pour les deux parties.

Innover pour duquer


[J]avais la double intention de publier lhistoire naturelle de cette partie
si intressante du Nouveau Monde, et dintroduire par l-mme et
multiplier dans celle-ci un grand nombre de plantes utiles ses habitants
et son commerce. [] combien ce pays serait agrable sil tait bien
cultiv, et sil sy introduisait toutes les plantes qui puissent lui produire
et lui offrir de lutilit

1888

1886

Bonpland G. Tagle, Buenos Aires, 20 janvier 1818, cit in ibid., p. 24.


A Buenos Aires, on espre quil planificar un mtodo de agricultura prctica, fruto de todas
sus observaciones en Inglaterra, Francia y Amrica , in La Crnica Argentina, Buenos Aires, 1er
fvrier 1817.
1888
tenia la doble intencion de publicar la historia natural de esta parte tan interesante del NuevoMundo, y de introducir asi mismo y multiplicar en ella un gran numero de plantas utiles a sus
habitantes y a su comercio. ; cuan agradable sera este pais si estuviera bien cultivado, y se
introduxeran en el todas las plantas q.e pueden producir y ofrecerle utilidad , Bonpland G. Tagle
et Acard, 20 janvier et 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A.,
ONOFRIO Rmulo d, op. cit., pp. 25, 61.
1887

486

Deuxime partie

Chapitre V

explique Bonpland, selon lequel lacclimatation est un enjeu primordial pour


lavenir du pays ; elle constitue une priorit de la politique conomique
dvelopper dans le Ro de la Plata. Avec lhistoire naturelle, rappelle-t-il, nous
sommes en prsence d une science [] si gnralement cultive par toutes les
classes de la socit ; tout le monde peut y travailler 1889 . Laffirmation vaut
non seulement pour le savant mais surtout pour le profane. Cest le cas concernant
la canne sucre et le tabac dont la culture est commune toutes les classes1890 ,
la yerba mate, la fois utile et encore mconnue des botanistes. Azara situe les
premires plantations de mat aprs le 24e parallle au nord, cest--dire dans lre
subtropicale paraguayenne et brsilienne. Persuad de la possibilit de cultiver une
plante de bonne qualit dans un climat tempr aprs quil en ait constat
lexistence sur lle de Martn Garca, au niveau du 34e parallle, Bonpland
sentretient du projet dimplantation de la yerba dans les les du Paran avec
Pueyrredn qui, malgr un avis dabord favorable, ne donne pas suite la
proposition. Le chef de lEtat rioplatense a pourtant vu les plants de larbuste, et
cest lui qui signale leur existence Bonpland. Fort de cette dcouverte, ce dernier
recueille ensuite plusieurs tmoignages dont celui de Juan Andrs Gelly
semblant confirmer la prsence de lherbe dans les les du Paran ; le motif est
suffisant pour aller explorer ce fleuve 1891 . Bonpland fournit ensuite un mmoire
dans lequel il explique les modalits de la culture et son souhait de remonter
lUruguay jusqu la mission de San Javier afin dy prlever des chantillons
destins lacclimatation.
Cependant, malgr le soutien du ministre des Finances Araujo, le projet
naboutit pas. Pourtant, regrette Bonpland,
[d]e quelle utilit auraient t mes efforts si lon avait plant lyerba en
1818 dans Martin-Garcia et dans les les du Parana !

1892

En effet, dune part la mise en place dune culture productiviste dans la province
de Buenos Aires, en dehors de ses limites gographiques naturelles, constitue un
terrain dexprimentation primordial en cela quil permet, dautre part, de mettre
en place un processus dautosuffisance bnfique la province. Cest aussi le cas
1889

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, 13 fvrier et 15 septembre 1818.
1890
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.
DOrbigny le constate aussi ; ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, pp. 244-247.
1891
AMFBJAD n 2044, journal, 1819-1823.
1892
Bonpland J. Pujol, s. l., 1854, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 195.
487

Deuxime partie

Chapitre V

avec le quebrahacho quil stonne dobserver si loin de Corrientes, la punta de


los Amarillos. Ce bois de construction est susceptible doffrir la province une
nouvelle branche de commerce lucrative avec le temps 1893 .
Eduquer, acclimater mais non enseigner, ou du moins ne pas enseigner
dans un cadre universitaire. La diffrence est notable, et une mise au point
simpose afin de dissiper les doutes mis concernant la charge de professeur qui
lui est confie en 1818. A la diffrence du poste acquis en 1821, celui dhistoire
naturelle octroy en 1818 nimplique pas lattribution de cours, comme le
dmontre le programme que se propose de suivre Bonpland si le poste lui est
accord. Il nest aucunement fait mention denseignement, le projet mis en avant
concernant

strictement

la

recherche.

La

nomination

de

1818

diffre

fondamentalement de celle de 1821 en cela que la premire correspond un titre


de professeur, dans le sens de celui qui professe ou exerce une activit, en
loccurrence celle de naturaliste ; la seconde correspond son recrutement pour
une chaire de mdecine, ce qui implique dans ce cas une charge enseignante
quil nexerce pas du fait de son loignement 1894 .
Le poste attribu au titre de lhistoire naturelle est destin la direction de
ltablissement ; il quivaut un poste de directeur de laboratoire. En outre, des
cinq chaires cres en 1813, celle octroye Bonpland en 1821 ne fait pas
exception, puisque aucune ne fonctionne jusqu lintgration de lInstituto
Medico Militar lUniversit. Le choix dattribuer une chaire un savant
indisponible se comprend alors mieux ; lInstitut dans son ensemble est
paralys 1895 . Le cumul de deux orientations acadmiques diffrentes, la recherche
et lenseignement, tmoigne non pas dune lacune, puisque dautres savants sont
mme dexercer ces fonctions ; il tmoigne notre avis davantage de ltat
embryonnaire de cet espace scientifique.

1893

AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 16-17 octobre 1832.


Les termes espagnols respectifs sont profesor et catedrtico ; la premire mise au point ce
sujet est ralise par PALCOS Alberto, op. cit., 16 janvier 1941.
1895
Cf. An., La Universidad Nacional de Buenos Aires, 1821-1910, Buenos Aires, Tragant, 1910,
p. 56.
1894

488

Deuxime partie

Chapitre V

Transfrer les savoir-faire


Bonpland contribue llaboration dun ouvrage, le premier du genre
consacr lagriculture rioplatense, rdig par Toms Jos Grigera. Nous sommes
en prsence dun vulgarisateur, dautant plus que lauteur se base sur la mthode
empirique par excellence, lobservation. Par lintermdiaire du premier secrtaire
dEtat Gregorio Tagle, qui soumet Bonpland en dcembre 1817 le manuscrit de
Grigera 1896 , les deux hommes saccordent quant lutilitarisme du guide,
Bonpland y apportant quelques additions mthodologiques sans en modifier le
contenu. La contribution de Bonpland est visible dans le titre de louvrage, publi
en 1819 : Manual de Agricultura. Contiene un resumen prctico para cada uno de
los doce meses del ao. Es muy til para labradores principiantes ; le rsum est
conu par le Franais, tandis quil nuance le discours ostentatoire de lauteur qui
voque la flicit de lEtat, la protection de la classe laborieuse, laccroissement
de la prosprit nationale 1897 en avertissant quil sagit dune uvre
lmentaire 1898 . La prennit de louvrage tmoigne de son utilit : il est rdit
en 1831, 1854 et 1856. Bonpland compte donc sur la dynamique interne du pays.
A la lecture du manuscrit de Grigera, il comprend tout de suite le profit
tirer de la diffusion de louvrage en Europe. Une fois entre les mains de ces
savants, il est esprer quils fassent parvenir des produits agricoles nouveaux ;
pour ce motif, Bonpland incite Grigera dresser la liste des plantes cultives dans
le pays 1899 . Il semble que Toms Jos Grigera ait suivi les conseils de Bonpland,
car il fait figure de pionnier dans le domaine de limportation et lacclimatation de
plantes europennes, essentiellement dans ses proprits des alentours de Buenos

1896

Lauteur ne possdant pas les connaissances thoriques en matire dagriculture, Tagle


demande Bonpland son aval avant que le gouvernement ne se charge des frais de publication :
el Gov.no Sup.mo, q.n se hn dedicado antes de mandarlos publicar, quiere q.e comparandolos V.
con las reglas generales de la agricultura y con las observaciones particulares, q. y habra V. hecho
en el Pas, le indique V. si ser util adoptar el metodo q. se propone en ellos, y todo quanto sus
conocimientos cientificos en la materia, lo persuadan ser conveniente en el particular. , G. Tagle
Bonpland, Buenos Aires, 27 dcembre 1817, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente
A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., pp. 23-24.
1897
GRIGERA Toms Jos, Manual de Agricultura. Contiene un resumen prctico para cada uno
de los doce meses del ao. Es muy til para labradores principiantes, Buenos Aires, Imprenta de
la Independencia, 1819, p. III.
1898
obra elementaria ; RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d,
op. cit., p. 24. Les ajouts du Franais, cautionns par le gouvernement, consistent en une table des
matires, un tableau rcapitulatif et lindex des plantes cultives dans le pays.
1899
Bonpland J. Rondeau, Buenos Aires, 11 aot 1820, cit in ibid., p. 25.
489

Deuxime partie

Chapitre V

Aires. Au sein de la rpublique uruguayenne indpendante, Francisco Aguilar


mne terme le mme objectif1900 . Dautres Rioplatenses impulsent les tudes
dhorticulture, parmi lesquels se dtachent Larraaga, qui note les expriences
ralises dans sa quinta de Miguelete, proche de Montevideo, et Jos Manuel
Prez Castellano qui, en 1848, publie le rsultat de dcennies dobservations
agricoles 1901 . Le gouvernement de Buenos Aires fait encore appel Bonpland
dans le courant de lanne 1818, afin quil examine un chantillon de cochenille
envoy du Pilar en aot par Castaeda. Il fournit un compte-rendu le 5 octobre
1818, dans lequel il met un avis favorable sur la qualit du produit ; quelques
conseils sur les moyens de le recueillir sont ajouts 1902 .
Pour sa part, Bonpland projette de construire une serre pour la fin de
lanne 1818 afin dy acclimater des plantes brsiliennes. Il fait part de son
intention de se rendre Rio de Janeiro afin de se procurer des spcimens 1903 . Le
bilan des acclimatations ralises en aot 1820, avant son dpart pour le Paraguay,
est satisfaisant, bien que Bonpland ne fournisse aucun compte prcis, se contentant
dvoquer la possession dun grand nombre de vgtaux jusque l mconnus. Il
nest pas plus prcis en 1837 quand, de retour Buenos Aires, il affiche sa
satisfaction de voir la prolifration des arbres acclimats par lui 1904 . Mais en 1832
il enregistre avec contentement que la jatropha ramene de Martn Garca est
dsormais cultive Buenos Aires, et que les graines de nicotine envoyes depuis
Corrientes en 1821 slvent une hauteur trois fois plus leve que dans la
province du Litoral 1905 .
Enfin, la collaboration se scelle grce au transfert dune autre sociabilit
naturaliste concernant la reconnaissance rciproque. En effet, une pratique propre
au milieu naturaliste consiste honorer ses pairs en leur ddiant un genre nouveau,
ou mieux, en leur offrant un titre de correspondant. A dfaut de ce dernier

1900

CUTOLO Vicente Osvaldo, Nuevo Diccionario biogrfico argentino, 1750-1930, Buenos


Aires, Ed. Elche, 1968-1985, p. 459 ; KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., p. 177.
1901
Dmaso Antonio Larraaga crit un diario de observaciones y gastos de mi quinta cit in
GARCIA ACEVEDO Daniel, Don Dmaso Antonio Larraaga , in Almanaque del Labrador,
Montevideo, Banco de Seguros del Estado, octobre 1916, p. 125 ; cf. aussi PEREZ
CASTELLANO Jos Manuel, Observaciones sobre agricultura, Montevideo, 1848, 2 tomes.
1902
Cf. HALPERIN DONGHI Leticia, op. cit., p. 251.
1903
Bonpland Acard, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A.,
ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 60.
1904
Ibid., p. 79, Bonpland J. Rondeau, Buenos Aires, 19 aot 1820 ; AMFBJAD n 379,
Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
1905
MNHN, ms 203, n 262, 337.
490

Deuxime partie

Chapitre V

honneur, Bonpland le premier promet Larraaga de lui ddier un genre


nouveau 1906 , se prsentant de fait comme mdiateur et promoteur des sciences
priphriques. Ce quoi Larraaga rpond en ddicaant deux nouveaux genres
de ctacs Bonpland et Humboldt,
selon la loi que ces deux grands et gnreux savants staient imposs, de
toujours apparatre unis et associs dans leurs travaux scientifiques
appartenant lAmrique

1907

Parmi les savoir-faire, laptitude honorer ses pairs nest pas la moindre.

Un cadre de recherche en devenir


Le voyage de Bonpland au Paraguay nest pas une fuite en avant. Au
contraire, il ritre sans cesse son dsir de rcolter les chantillons ncessaires
ltablissement dun Jardin botanique Buenos Aires. Bonpland raffirme toute
lutilit de son voyage pour les sciences. Sil se consacre essentiellement la
rcollection de vgtaux, il nen oublie pas pour autant les autres rgnes de la
nature. Le naturaliste espre sy consacrer lors du voyage aux Missions 1908 .
Depuis Corrientes, il donne de nouveaux gages concernant son engagement vis-vis du gouvernement porteo :
A force de travaux et de sacrifices jarriverai faire un tablissement utile
linstruction, lagriculture et au pays. [] Ce lieu doit un jour rendre
quelque honneur au pays et au gouvernement qui aura contribu son
dification.

1909

1906

il me tarde de faire connotre votre nom et vos travaux au monde savant en vous ddiant un
beau genre de plantes, mais il faut quil soit bien tranch et surtout que ce soit un bel arbre. ,
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, 2 avril 1818.
1907
segun la ley que estos dos grandes y generosos genios se habian impuesto, de aparecer
siempre unidos y mancomunados en sus cientificos trabajos pertenecientes a America , AGNM,
Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland Larraaga,
Buenos Aires, 25 mai 1818.
1908
AMFBJAD n 396, Bonpland J. J. Araujo, Corrientes, 13 avril 1821.
1909
fuerza de trabajos y de sacrificios lograre de hacer un establecimiento util la instruccion,
la agricultura y al pays. [] este sitio debe un dia hacer algun honor al pays y al gobierno qe habra
contribuido su leventamiento , ibid.
491

Deuxime partie

Chapitre V

Cette promesse fait suite celle faite en novembre 1818 depuis Buenos
Aires 1910 . Le Franais suit en cela le programme quil sest fix et qui a dbut par
la runion des plantes proches de Buenos Aires dans un tablissement qui lui
appartient mais quil destine lEtat. En effet, son engagement envers le
gouvernement stipule dabord la collecte de la flore portea, ensuite la prparation
dun ouvrage, enfin lexploration des provinces intrieures 1911 . Sur ce troisime
point, Bonpland ne fait que rpondre sa compromission envers lEtat, aprs avoir
obtenu le poste de professeur dhistoire naturelle 1912 . Suite limpossibilit
dtablir un Jardin botanique dans sa proprit que lui disputent les anciens
propritaires, le naturaliste apprend avec soulagement la dcision de Jos Joaqun
Araujo de fixer le cabinet dhistoire naturelle dans sa nouvelle proprit 1913 .
Bonpland se lance avec confiance dans le troisime objectif fix,
lexploration. Aprs stre aventur dans les les Sola, Juncal et Martn Garca, et
aprs avoir commenc lexploration du Paran Guaz, Bonpland espre beaucoup
plus dune exploration de la zone subtropicale, comme il lexplique Larraaga :
Depuis mon arrive ici jai ramass quelques plantes, ce pays, vous le
savez, ou du moins les environs de la ville sont pauvres comparativement
ceux de Rio. Quelques degrs de chaleur de plus et un sol plus humide
influent considrablement sur la diversit et sur la force de vgtation.
[] Vous avez sans doute appris la mort du clbre Dr. Taedo Hancke,
mais ce que vous ne savez peut-tre pas cest que jaurai probablement sa
souvenance et cest une des ides qui me lisongea mas . Si donc le
Gouvernement me donne cette place je compte commencer de suite des
excursions dans lintrieur du pays. Dabord javais port mes vues sur
Corrientes et sur le Paraguay, mais aujourdhui lexcution de ce projet

1910

De aqui a pocos dias mandar una coleccion de semillas para que se siembren en la quinta y
sucesivamente espero tener un jardin propio a la instruction y a la ilustracion del pays. , AGNM,
Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland Larraaga,
Buenos Aires, 10 novembre 1818.
1911
RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 34.
1912
A partir de cette date, les voyages de Bonpland sont raliss au service de lEtat. Il ny a pas de
rupture larrive de Rondeau au pouvoir, comme en tmoigne la lettre de Matas de Yriguoyen,
date du 16 juin 1819, autorisant Pierre Benoit assister Bonpland en el viaje que este hade
emprender en servicio del Estado ; aucune anicroche non plus nest signaler sous
ladministration de Martn Rodriguez, qui lui confre la chaire de Matire Mdicale en 1821 ; ibid.,
pp. 74, 88.
1913
AMFBJAD n 396, Bonpland J. J. Araujo, Corrientes, 13 avril 1821.
492

Deuxime partie

Chapitre V

demande des rflexions et je mentendrais sur cela avec le directeur


suprme si lon me donne la commission que jattends.

1914

Ce long passage contient en germe le programme du naturaliste consistant mettre


profit sa nomination au poste de professeur dhistoire naturelle afin dentamer
une campagne dexploration scientifique. La demande, effectue le 22 juin, est
accorde le 3 octobre 1818, quelques jours aprs la lettre confiante envoye
Larraaga 1915 .

CONCLUSION
Au terme de cette analyse, on peut voir dans un premier temps se profiler
les lacunes freinant lessor de la culture scientifique au Ro de la Plata. Si
thoriquement la rgion offre les garanties suffisantes llaboration dun espace
scientifique propre, les trois voies favorisant le dveloppement de cette assise ne
sont pas encore assures lorsque Bonpland sjourne Buenos Aires, puis tout au
long des annes 1820 1916 . Dabord, la carence dune mmoire scientifique hrite
de lEspagne, ou sa ngation par les lites. Ensuite, labsence dune idalisation de
la nature pouvant contribuer exciter lintrt des Europens et impulser des
vocations et des investigations ; la rhtorique venir concernant la barbarie
reprsente par les forces de la nature, et la civilisation urbaine, y trouve peut-tre
l ses racines. Enfin, la troisime carence dcoulant des deux premires est le
manque de confiance des acteurs culturels dans leur propre capacit impulser les
efforts ncessaires 1917 . Les critiques des lites vis--vis de lancienne mtropole
masquent mal leurs propres carences, notamment labsence de capacit de cration
dun fonds propre. Certes Bonpland est l pour y remdier, mais les nouvelles
perspectives qui soffrent lui savrent ne pas tre profitables ni lui, ni au

1914

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, Buenos Aires, 13 fvrier et 15 septembre 1818.
1915
Bonpland J. M. de Pueyrredn, Buenos Aires, 22 juin 1818, A. de Poziga Bonpland,
Buenos Aires, 3 octobre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO
Rmulo d, op. cit.,, pp. 32-34, 39.
1916
Cf. LOPEZ-OCON CABRERA Leoncio, op. cit., pp. 212-215.
1917
La figure de Rosas permet beaucoup dentre eux de dfinir alors par opposition des projets de
socit quils ne dveloppent pas sans celle-ci.
493

Deuxime partie

Chapitre V

gouvernement comme nous pouvons le constater en analysant maintenant son


bilan scientifique.

494

CHAPITRE VI
Du Grand Tour amricain la collecte
priphrique (1817-1858)

INTRODUCTION
A laube des indpendances sud-amricaines, le travail raliser entrouvre
des perspectives dont Bonpland et dautres entendent tirer profit. Lorsque Sellow,
Saint-Hilaire et Bonpland prennent au mme moment la direction du Paraguay, il
sagit de spculer sur laccs un nouveau terrain dinvestigation. Ce contact avec
le terrain, lment essentiel des passeurs culturels, met en avant le caractre
alatoire de linvestigation scientifique, confirm par les destins des trois
explorateurs cits. Sellow meurt sur le terrain, Bonpland sy retrouve prisonnier ;
seul Saint-Hilaire jouit pleinement des fruits de son travail 1918 . En ce sens il ny a
pas de

changement avec la priode antrieure, et la dangerosit de la

confrontation au terrain est un thme rcurrent et presque intemporel de la


narrative naturaliste. La rupture rside dans lintensit nouvelle des investigations,
gnratrice de dcouvertes mais aussi dune inflation des travaux, laquelle
sajoute la multiplication des sujets dtudes savrant prjudiciable dans le cas de
Bonpland. Analyser la valeur du travail de terrain laune des fluctuations de la

1918

Le voyage de Saint-Hilaire pse de tout son poids lors de son admission lAcadmie des
sciences, en 1830 ; cf. KURY Lorelai, La politique des voyages et la culture scientifique
dAuguste de Saint-Hilaire (1779-1853) , in LAISSUS Yves (coord.), op. cit., pp. 238-241.

Deuxime partie

Chapitre VI

demande en provenance des laboratoires va nous permettre dexplorer plus en


avant les pratiques scientifiques transatlantiques.
Pour en comprendre les enjeux, lanalyse de la stratgie exploratoire du
Franais constituent les prmices logiques permettant de mettre en avant une
modification des ambitions et des recherches. Celle-ci est troitement lie
linvariant quil est ensuite ncessaire dtudier, cest--dire linvestigation
permanente mene par Bonpland. Certes, il existe des fluctuations quant aux
rsultats, aux nombres dchantillons collects, mais le travail demeure constant.
De mme les buts de celui-ci varient peu dans le temps ; ils sont doubles :
scientifiques et utilitaristes dune part, destins lEurope et au Ro de la Plata
dautre part. La combinaison de ces quatre lments dtermine lorientation des
recherches de Bonpland.

A.

PROSPECTER

LINTERIOR :

DES

CAMPAGNES

SCIENTIFIQUES PERIPHERIQUES
Bonpland choisit de contrler toutes les tapes de la mise en rseau des
connaissances, en commenant par celle de la dcouverte. Les diffrentes
campagnes scientifiques menes ou projetes par le Franais sont bien sr
principalement consacres la flore, mais dautres objets dtudes enrichissent ses
collections. Dun point de vue ethnologique notamment, le Ro de la Plata parat
infiniment moins riche que les pays hritiers des civilisations prhispaniques. En
outre, les tudes naturalistes sorientent majoritairement vers la botanique. Quil
sagisse de savants hispaniques tels que Larraaga et Muoz, ou dEuropens dont
le plus marquant au dbut des annes 1820 est Auguste de Saint-Hilaire, leur
champ dtude privilgi reste encore la botanique. Mais mthodologiquement le
terrain acquiert un intrt croissant, du fait de lmergence de sciences nouvelles,
et de leur application au terrain amricain par dautres naturalistes. DOrbigny
dans les annes 1820, puis Darwin dans les annes 1830, en tirent
remarquablement profit.
La priode durant laquelle Bonpland espre obtenir le plus grand avantage
du terrain rioplatense se situe entre son arrive Buenos Aires et son enlvement
496

Deuxime partie

Chapitre VI

la frontire paraguayenne par les troupes de Francia. A cet gard, le voyage aux
Missions relve dune stratgie quil sagit dexpliquer en dtail si lon veut
apprhender lensemble des campagnes scientifiques entreprises par la suite. En
effet, ce premier voyage contient en germe les projets, les buts et les ralisations
des campagnes postrieures. Sous tous ces aspects, on observe un recours de plus
en plus marqu linitiative prive. Dautre part, les belles perspectives
continentales cdent la place des objectifs gographiques de plus en plus
restreints.

1. Aux marges de la civilisation ? Le voyage aux Missions


La prparation, les buts et le droulement du voyage constituent les trois
angles dapproche privilgis. Afin den saisir au mieux les mcanismes, le
recours aux sources secondaires savre indispensable car les tmoignages directs
sont peu nombreux. Les commentaires de Bonpland demeurent trs laconiques
lorsquil sagit de dcrire lenvironnement social. La principale raison de ce
silence rside dans labsence dun projet de rcit. Les informations contenues dans
ses journaux de voyage sont par consquent dordre scientifique, refltant
lobjectif ditorial majeur du naturaliste. Ltat des sources oblige donc
interprter, dans une certaine mesure, un certain nombre dlments. A cet gard,
la principale difficult concerne le degr dintimit quentretient Bonpland avec
ses divers interlocuteurs, car de cela dpend la validit du rseau pouvant tre
esquiss 1919 .
Sagissant de la prparation de lexploration, il est ncessaire de rappeler
comment la concordance des projets mis en place au cours des annes antrieures
1919

La rdaction dun rcit de voyage rsout en grande partie ce problme, puisque mme si
linterprtation du voyageur est errone, la vrification peut sappuyer sur des bases solides. En
effet, Bonpland nvoque presque pas les lites quil rencontre dans le Nord-est du Ro de la Plata,
ou trs peu. Cela fait obstacle une tude dtaille. Citons comme contre-exemple un travail
effectu partir du rcit et des dfrichements historiographiques comme celui de ACUA
MENDOZA Enrique, Alejandro de Humboldt y su relacin con la lite criolla en la ciudad de
Caracas, 1799-1810 , in Ensayos Histricos, n 10, 1998, pp. 29-42. Plus prs de notre sujet, il
faut voquer ltude dEnric Miret, sur laquelle nous nous appuyons par ailleurs ; cf. MIRET
Enric, La ville de Corrientes vue par Alcide dOrbigny : description dune socit , in
BENASSY Marie-Ccile, SAINT-LU Andr (coord.), La ville en Amrique espagnole coloniale,
Actes du sminaire interuniversitaire sur lAmrique espagnole coloniale, Paris, Presses de la
Sorbonne Nouvelle, 1984, pp. 131-145.
497

Deuxime partie

Chapitre VI

impulse la mise en uvre du voyage. A ce titre, les connaissances auxquelles


Bonpland accde, le bagage quil constitue partir de celles-ci tout comme les
personnes dont il sentoure nous renseignent sur la viabilit de ses projets. La
mme dmarche analytique sapplique au droulement du voyage, en mettant en
avant la rupture cre par larrive Corrientes et la diminution subsquente des
contacts avec Buenos Aires. Cette rupture saccompagne dun dficit archivistique
difficilement rductible, et trs dommageable lors de ses sjours Corrientes de
1820 et 1821. Aussi doit-on faire appel dautres tmoignages si lon veut en
esquisser une image peu prs fiable. En revanche, les buts de cette exploration
apparaissent trs clairement aprs examen des crits en possession du voyageur.
Parmi ceux-ci, les sources pistolaires savrent les plus significatives, car elles
nous renseignent sur les bnfices du capital relationnel accumul par Bonpland
entre 1817 et 1820.

Le mrissement dune campagne scientifique


Entre fvrier 1817 et octobre 1820, Bonpland hsite entre deux
destinations, Tucumn et Corrientes. En outre, il ncarte pas la possibilit dun
sjour prliminaire Montevideo pour rencontrer Larraaga afin quil le conseille
au sujet des modalits dun tel voyage 1920 . En effet la ncessit dun guide
simpose bien que, parfois, cela puisse devenir une entrave 1921 . Bonpland ne se
dplace quaccompagn lintrieur de la province de Corrientes, entrecoupe de
rivires et de marais 1922 . Les voyageurs postrieurs ont recours eux aussi aux
lumires des lites locales. Ainsi Saint-Hilaire profite du rseau des religieux
uruguayens grce la lettre de recommandation rdige par Larraaga et, dans la
perspective du prolongement de son sjour en Amrique du Sud, lui demande
1920

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, Buenos Aires, 15 septembre 1818.
1921
Par exemple lorsque devant se rendre de Curuz Cuati Corrientes pour administrer des
soins, son guide dtermine le chemin en fonction de ses intrts personnels. Aussi a-t-il recours
autant que possible des personnes de confiance, comme par exemple un nomm Salazar, ancien
capataz de Pedro Cabral, charg de le conduire de Curuz Cuati Corrientes. AMFBJAD n
1704, voyage dans la province de Corrientes, mai 1834 ; AMFBJAD n 1711, voyage de So
Borja Corrientes, 20 septembre 1836.
1922
Il faut un guide intelligent pour traverser ces beaux pays [] le voyageur etranger risque
chaque moment de sengloutir avec son cheval ; AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia
Curuz Cuati, 23 mai 1837.
498

Deuxime partie

Chapitre VI

conseil concernant la ralisation dun voyage au Chili partir de Rio de Janeiro,


prvu entre septembre 1821 et mars 1822. Larraaga le rassure et lencourage au
nom de la science et en celui de lhospitalit amricaine ; il noublie pas non plus
de rappeler le faible cot de la vie au Chili, incitant fermement le naturaliste
investir dans un tel voyage qui, au grand regret de Saint-Hilaire, doit finalement
tre annul. En 1827, Saint-Hilaire se souvient des conseils du Rioplatense en lui
recommandant Gauthereau, afin quil le guide dans un voyage que celui-ci compte
entreprendre de Montevideo Lima 1923 .
Ses explorations mnent dabord Bonpland sur lle de Martn Garca, puis
aux marges du Paran. Dautres excursions sont recenses louest de Buenos
Aires, Lujan et Arrecifes pour tudier les fossiles ; au Nord San Nicolas, au
Sud Chascomus 1924 . Afin de commencer une campagne denvergure, il
abandonne ses premires vues sur Corrientes et prend ses dispositions en juin
1819 afin de se mettre en route pour la rgion de Tucumn en compagnie de
Pierre Benoit, pensionn pour loccasion. Il ne fait aucun doute que Bonpland ait
t entendu et soutenu par le nouveau chef de lEtat, Jos Rondeau. En juin 1819,
larrive au pouvoir de celui-ci favorise Bonpland puisquil obtient alors
lautorisation se rendre Tucumn 1925 . Felipe Senillosa lui fournit au nom de
lAcadmie de Mdecine quelques instruments ; le gouvernement participe aussi
lquipement de lexpdition. Mais aprs stre quelque peu enfonc sur le fleuve,
Bonpland revient Buenos Aires, peine riche dune vingtaine de plantes
supplmentaires collectes durant le mois daot 1926 . On ne sexplique pas cette
volte-face, si ce nest que lobjectif principal fix avant son dpart, savoir la
localisation de la yerba mate, est partiellement atteint. Bonpland fait tat
1923

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Saint-Hilaire
Larraaga, 15 janvier, 16 fvrier et 21 octobre 1821, 16 janvier 1827. La dtrioration des
collections de Saint-Hilaire loblige y consacrer tout le reste de son sjour au Brsil. Vous
voyez ajoute-t-il par consquent que je ne puis entreprendre cette anne le voyage du Chili, et
le dsir que jai de revoir mon pre et ma mre ne me permet pas de prolonger mon sjour en
Amrique.
1924
CIGNOLI Francisco, En el bicentenario del nacimiento de Bonpland. Itinerario de su
presencia en Argentina , in La semana medica, anne LXXXI, n 4790, tome 144, n 9, 14 mars
1974, p. 251.
1925
Rappelons ce qucrit Bonpland la fin de lanne 1818 : javais port mes vues sur
Corrientes et sur le Paraguay, mais aujourdhui lexcution de ce projet demande des rflexions et
je mentendrais sur cela avec le directeur suprme [Pueyrredn] , AGNM, Escritos del padre
Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland Larraaga, Buenos Aires, 15
septembre 1818.
1926
Cf. GANDIA Enrique de, Nuevos datos para la vida de Amado Bonpland , in Boletn de la
Academia Nacional de Medicina de Buenos Aires, vol. 46, premier semestre 1968, pp. 147-148.
499

Deuxime partie

Chapitre VI

galement de la proximit de la province dEntre Ros la frontire de laquelle il


fait demi-tour 1927 . La mme anne, des motifs politiques lempchent de se rendre
par terre vers la mme province 1928 qui, cause de son instabilit politique,
savre un obstacle difficilement franchissable.
Lexploration vers le Nord voulue par Bonpland sexplique aisment par
son statut de territoire de lEtat . La scurit, pour autant prcaire quelle soit,
offerte par les caudillos des provinces du Nord, savre largement plus dsirable
quune aventure dans les territoires porteos du sud dont fait partie la Patagonie,
entirement sous domination des Amrindiens. Linscurit est trop grande au sud
pour quil puisse se passer du soutien gouvernemental. Darwin et dOrbigny sont
escorts, et ce dernier entreprend le voyage bien quil lui soit fortement
dconseill, avec raison car il doit soutenir un sige Carmen de Patagones.
Beaumont rappelle quau dbut des annes 1820, les terres disposes au sud du ro
Salado sont considres comme la proprit des indignes 1929 . Aussi le jugement
dfavorable des rdacteurs de lArgos peut-il paratre non fond, car ils mettent en
avant dj en novembre 1821, peu avant lenlvement de Bonpland, la ncessit
dune expdition en Patagonie entirement soutenue par le gouvernement 1930 .
Mais les notes du naturaliste montrent une rticence vis--vis du terrain
patagonique. La flore surtout ne lui semble pas, et de loin, aussi prometteuse que
celle des territoires du Nord. Dans sa logique utilitariste, lexploration lintrieur
des terres a pour but la dcouverte de plantes et de bois commercialisables ; ce
titre la pauvret de la Patagonie est repoussante, comme le confirme plus tard

1927

AMFBJAD n 2044, journal, ro Paran, 7 septembre 1819.


AMFBJAD n 1589, J. A. Molina Bonpland, Tucumn. 4 aot 1832, On trouve encore des
rfrences concernant Tucumn dans ses notes prparatoires ; AMFBJAD n 2044, journal, 1819.
1929
Cf. BEAUMONT John A. B., op. cit., p. 104. Lauteur cite ce sujet louvrage du publiciste
officiel du rgime rivadavien, NUEZ Ignacio, Noticias historicas, politicas y estadisticas de las
Provincias Unidas del Rio de la Plata, con un apndice sobre la usurpacion de Montevideo por
los gobiernos portugus y brasilero, Londres, Ackerlmann, 1825. Louvrage est traduit lanne
suivante en franais. Linscurit demeure longtemps lapproche privilgie pour voquer cette
rgion ; cf. GUINNARD Auguste, Trois ans desclavage chez les Patagons (1856-1859), Paris,
Aubier, 1979 (1864).
1930
RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 93. Larticle
de lArgos se rfre une lettre du botaniste ventant les mrites de lindigo des Missions : La
calidad que tante recomienda Mr. Bompland del ail de nuestro pais, unida la facilidad de
conducirlo hasta nuestros puertos, haria sin duda preferible la exportacin de este articulo. Pero
seria muy conveniente que este extrangero respetable hiciese una campaa por la costa patagonica
auxiliado abiertamente por el gobierno de Buenos-Ayres: la provincia empezaria mas pronto
recoger los frutos de sus tiles descubrimientos .
1928

500

Deuxime partie

Chapitre VI

Darwin 1931 . Or, aprs avoir constat la pauvret de la province de Buenos Aires,
Bonpland ne souhaite probablement pas reproduire lexprience plus au sud.
Entre 1817 et 1819, les annotations de Bonpland confirment son intrt
vis--vis du terrain boral. Lors de son sjour Buenos Aires, il recueille un
certain nombre de tmoignages crits ou oraux, tous orients dans la mme
direction gographique. On peut mettre en parallle la dcision de Bonpland avec
celle de dOrbigny, car si le premier contrevient aux recommandations de Buenos
Aires, le second enfreint les instructions du Musum en se rendant dans la
province de Corrientes ; il y demeure plusieurs mois retenu par la richesse du
terrain. En outre la lecture de Flix de Azara, rare tmoin des grandes richesses
vgtales prsentes au nord des Provinces Unies, incite naturellement Bonpland
se porter vers le Paraguay et les Missions. Il se rfre aussi aux hommes de
terrain tel le cur dItapa, Mariano Gaenza, dont le pre est subdlgu
Atacama, dans le nord du Chili. En outre, il sagit de la dcouverte dun territoire
culturel et social en totale restructuration depuis lexpulsion de la Compagnie de
Jsus 1932 . Territoire se dmantelant plutt quil ne se rorganise ? A cet gard les
sources contredisent les impressions de Bonpland, car les premires voquent une
dsagrgation tandis que les secondes sont empreintes dun certain optimisme, d
principalement au potentiel de dveloppement constat. Il se dgage des
observations de Bonpland et de ses contemporains limage dune frontire en
construction, hrite des luttes indpendantistes mais aussi du vide culturel laiss
par les Jsuites.
Or, le savant ne semble pas conscient de la dgradation gopolitique
accentue depuis la dclaration dindpendance des colonies rioplatenses.
Bonpland rpte quil dsire se rendre dans les Missions depuis plusieurs annes.
Ds le mois daot 1818 il nattend que lobtention de sa Comision comme
professeur dHistoire naturelle pour se rendre Corrientes 1933 ; il ajoute en aot
1820 que le moment est venu pour raliser ce voyage 1934 . Des conditions
politiques favorables 1935 , mais aussi la ncessit de partir au printemps afin de
1931

DARWIN Charles, op. cit., pp. 180-181.


A ce sujet, une cartographie des Missions est prsente dans lannexe n 9, pp. 949-952.
1933
Bonpland C. Robert, Buenos Aires, 28 aot 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA
Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 56.
1934
Bonpland J. Rondeau, Buenos Aires, 11 aot 1820, cit in ibid., p. 80.
1935
Le 12 aot 1820, Dorrego oblige Lpez se retirer du gouvernement porteo aprs
laffrontement de larroyo de Pavn, mais il doit se replier aprs la droute subie le 2 septembre

1932

501

Deuxime partie

Chapitre VI

trouver une flore propice lobservation, le poussent entreprendre le voyage. En


effet, le report de lexpdition signifie une anne supplmentaire dattente et
dinactivit scientifique puisque ltude des environs de Buenos Aires est
acheve. En janvier 1821, Araujo linforme des inquitudes nes du diffrent qui
oppose Francisco Ramrez et Sit dans les Missions 1936 . Pour sa part, Bonpland se
veut rassurant ; il juge la situation dans les Missions sans danger 1937 .

Un voyage sans retour ?


Une interprtation sest largement diffuse propos des motifs poussant
Bonpland vers les Missions ; elle place au centre de son argumentation une qute
invtre de laventure, une irrsistible envie de se fondre dans la nature. Il suffit
de se pencher sur les crits des premiers biographes 1938 de Bonpland pour
comprendre do provient cette supposition encore mise en avant aujourdhui.
Relats par des personnes layant rencontr lors des dernires annes de sa vie,
ces rcits restructurent le pass la lumire du prsent. Ils recentrent sur la seule
personne de Bonpland une problmatique beaucoup plus complexe et
certainement moins romantique. A cet gard, autant le dpart de Buenos Aires que
la destination choisie peuvent tre soumis discussion.
Deux thmes rcurrents maillent ces argumentations. Dune part
latmosphre politique portea charge dattentions plus ou moins malveillantes,
lempchant de mener bien linstitution scientifique dsire. Dautre part, le

Gamonal. Le jour du dpart de Bonpland pour le Paraguay, une nouvelle rvolte mene par les
fdraux clate ; elle est subjugue quelques jours plus tard par Rosas.
1936
Inquitudes qui touchent en premier lpouse du naturalise, infirmant lhypothse dune
brouille entre les poux, comme lcrit MARCEL Gabriel, Aim Bonpland daprs des
documents rcents , in La Gographie : bulletin de la Socit de gographie, tome XV, premier
semestre 1907, p. 184, version reprise gnralement ensuite. Araujo dvoile ltat desprit de celleci : La Sa. estaba resuelta irse esa : bastante trabajo me ha costado el gritarle [] que Vm le
avisara. Ni temia mosquitos, tabanos, y demas sabandijas por estar al lado de su Bonpland ,
AMFBJAD n 397, J. J. de Araujo Bonpland, Buenos Aires, 25 janvier 1821.
1937
AMFBJAD n 296, F. Des Brosses Bonpland, Buenos Aires, 26 juin 1837.
1938
Les quatre premires biographies sur lesquelles nous nous appuyons sont celles de
DEMERSAY Alfred, op. cit. ; ANGELIS Pedro de, Biografa de Amado Bonpland, in TROSTINE
Rodolfo, GONDIA Enrique de, Pedro de Angelis. Acusacin y defensa de Rosas ; las ideas
polticas de Pedro de Angelis, Buenos Aires, Editorial La Facultad, 1945 (1855) ; MARTIN DE
MOUSSY J. A. Victor, Notice sur la vie dAim Bonpland en Amrique, Plata, Paraguay,
Misiones , in Bulletin de la Socit Gographique de Paris, quatrime srie, tome XIX, 1860, pp.
414-425 ; BRUNEL Adolphe, op. cit.
502

Deuxime partie

Chapitre VI

got pour les voyages et la botanique linclinant prfrer les solitudes des
Missions au chaos politique de la capitale bonaerense 1939 . A cela sajoute, partir
de 1906 1940 , une suppose msentente entre les poux Bonpland. Or, quil parte
pour fuir le monde, les intrigues politiques ou un chec matrimonial, il est
incomprhensible que Bonpland choisisse plus mal sa destination. Les Missions
ne sont pas soumises aux intrigues mais une guerre ouverte, et ce depuis dix ans
si lon omet la lente dsarticulation de la structure sociale misionera-guarantica
depuis 1768 1941 . Les annes 1817, 1818 et 1819 sont particulirement funestes
puisque quinze des trente pueblos sont dtruits. Car si les raisons de quitter
Buenos Aires sont diversement apprcies, celles daller dans les Missions
relvent danalyses convergentes.
Aprs avoir dpouill les environs de Buenos Aires, toute autre
investigation scientifique implique llaboration dune exploration qui savre
impossible sans un soutien logistique permettant une avance significative
lintrieur des Provinces Unies. Ce changement despace oblige le naturaliste
abandonner provisoirement Buenos Aires. Sa progression est naturelle car, une

1939

DEMERSAY Alfred, op. cit., p. 243, attribue Bonpland un priple le conduisant de la pampa
Santa Fe, puis du Chaco aux Missions, en passant par la Bolivie. BRUNEL Adolphe, op. cit., p.
72, interprte mieux que quiconque une marginalisation volontaire du botaniste : il trouvait au
milieu de ce dsert la solitude, le calme et le recueillement, seuls objets de ses dsirs . Bien quil
ait rencontr Bonpland, cet auteur ne parat pas bien inform sur dautres points, puisquil fixe la
moiti de lanne 1819 la date de son dpart pour les Missions, et ajoute que pour ce faire
Bonpland abandonne sa charge de professeur de mdecine charge acquise en 1821. On retrouve
cet esprit nomade dans les crits de PALCOS Alberto, La segunda vida de Amado Bonpland. Su
existencia americana , in La Prensa, Buenos Aires, 19 janvier 1941 ; PEREZ ACOSTA Juan F.,
Francia y Bonpland, Buenos Aires, Peuser, 1942. Lallusion la plus significative ce propos date
de 1923 : Daprs une version Bonpland stait tellement habitu la vie parmi les indiens
sauvages, que lors de sa libration il y retourna et continua de mener la mme vie quavant sa
captivit, cohabitant avec une indienne et ne voyant jamais aucun tre civilis. [Il] rentra en France
aprs plusieurs annes dune vie de sauvage, et isole de toute civilisation. [] il serait intressant
de savoir si Bonpland ou quelquun de ses amis ou parents na pas crit ses impressions sur sa
rentre la vie civilise, laquelle il tait tout fait dshabitu. Ce serait un cas unique dans la vie
relle, et dautant plus intressant quil sagit dun esprit cultiv et dun savant tel que lui. Alex
Selskirk qui servit de modle de Foe pour son Robinson Cruso tait un simple matelot ; un
homme sans culture intellectuelle spciale ; MICHELSEN Gustavo, Aim Bonpland , in
Lintermdiaire des chercheurs et des curieux : notes and queries franais, Paris, 1923, vol. 86, n
1580, anne 59, pp. 429-430.
1940
HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., pp. XLIII-XLV. Cette affaire matrimoniale est
voque par GOMEZ Felix Mara, op. cit. ; JAHN Franz Conde, Amadeo Bonpland, mdico y
naturalista , in Boletn de la Academia Nacional de la Historia, Caracas, vol. XLIV, n 173,
janvier-mars 1961, pp. 47-60 ; LOPEZ SANCHEZ Jos, Bicentenario de Bonpland: un apostol
de la ciencia en Suramrica , in Revista de la Bibiloteca nacional Jos Marti, vol. XVI, n 2,
1974, pp. 75-101 ; et plus rcemment, par ESPINOSA Nemecio Carlos, op. cit.
1941
Cf. AMABLE Mara Anglica, DOHMANN Karina, ROJAS Liliane Mirta, AMABLE Mara
Anglica, DOHMANN Karina, ROJAS Liliane Mirta, Historia misionera. Una perspectiva
integradora, Posadas, Montoya, 1996, pp. 75-93.
503

Deuxime partie

Chapitre VI

fois Buenos Aires explore, la route pour Tucumn ferme 1942 , il dcide de
sinstaller Corrientes, dernire province alors accessible. Ses collections
termines aux alentours de cette ville, Bonpland a lintention dachever ses
investigations par les Missions. Santa Ana est choisi comme base des
recherches 1943 . Alcide dOrbigny raisonne de mme lorsquil part pour Corrientes.
Mais cet loignement nest pas dfinitif, comme le prouvent les propos tenus au
cours de lavance dans lInterior. Dj install Santa Ana, sur la frontire
paraguayenne,

Bonpland

confirme

Delile son intention de dbuter

prochainement la publication de ses rsultats. A cette volont de ne pas rompre


avec la France, sajoute la promesse de poursuivre ldification dun laboratoire
scientifique Buenos Aires, aprs un sjour aux Missions estim quelques
mois 1944 . Bonpland insiste particulirement sur la ncessit dun retour rapide, car
le jardinier qui il a confi sa quinta ne soccupe pas des plantes envoyes,
ruinant ses efforts pour ldification du Jardin botanique dont il compte soccuper
lui-mme 1945 . Dailleurs, il est attendu avec impatience par Victoriano Aguilar1946
et Jos Joaqun Araujo 1947 , et tout indique quil ne dsire pas alors sinstaller
immdiatement dans cette rgion.
Du moins pas avant davoir rejoint sa famille Buenos Aires. En effet, il
est incertain de son avenir aprs son retour 1948 . Un fait important explique cette
incertitude, savoir les obstacles sopposant ses projets initiaux. En effet, la
direction initialement prise nest pas celle des Missions mais du Paraguay ; la

1942

Le 12 novembre 1819, le fdraliste Bernab Aroz prend le pouvoir Tucumn avec lappui
des officiers de lArme Auxiliaire du Nord Abrahm Gonzlez, Felipe Heredia et Manuel Cainzo.
Lagitation se propage Crdoba. La situation devient dlicate en dcembre 1819 pour Rondeau,
face la scession de Santa Fe et de Tucumn.
1943
AMFBJAD n 1650, demande de certificat de captivit, s. l., 16 avril 1834.
1944
AMFBJAD n 396, Bonpland J. J. de Araujo, Corrientes, 13 avril 1821.
1945
Oxala no tendria que ir Misiones ; pero dentro de tres meses y puede ser antes estare en
B.A. y vere por mi mismo todo lo que ha hecho dicho Augustin , AMFBJAD n 396, Bonpland
J. J. de Araujo, Corrientes, 13 avril 1821.
1946
a su regerso, tendremos noticias ciertisimas de las Riquezas que poseemos sin conocerlas ,
AMFBJAD n 256, V. Aguilar Bonpland, Corrientes ou au Paraguay, Buenos aires, 25 octobre
1820.
1947
veo el fruto des sus fatigas en tiempos tan calamitosos, y ya deseo ver sus preciosas
colecciones. Siempre las mantendr yo en mi poder, pues ahora voy a tener una casa suficiente
para ello. , AMFBJAD n 397, J. J. de Araujo Bonpland, Buenos Aires, 25 janvier 1821.
1948
AMFBJAD n 296, F. Des Brosses Bonpland, Buenos Aires, 26 juin 1837. Jos Agustn
Molina fait rfrence des problmes qui lauraient pouss vers le Paraguay ; AMFBJAD n 1589,
J. A. Molina Bonpland, Tucumn, 4 aot 1832.
504

Deuxime partie

Chapitre VI

nuance est de taille bien que trs peu laient remarqu 1949 . Voyageur mais pas
aventurier, Bonpland prend toutes les prcautions avant de se mettre en route :
Javais pris les devants officiellement auprs du Gouvernement du
Paraguay en annonant mon projet de visiter son sol, et il y a quelque
temps que ce Directeur ma concd lentre libre dans la Province, et sa
haute protection pour mes recherches.

1950

Alexander Caldcleugh affirme que linvitation mane de Francia lui-mme. Il


sagit probablement de la rponse voque ci-dessus, dont le Britannique prend
connaissance grce Adeline Bonpland 1951 .
Avant Aim Bonpland, son compatriote Richard Grandsire se montre trs
attir par le Paraguay ; Pueyrredn lui propose en 1817 de se rendre auprs de
Francia dont il fait lloge et vante la bonne intelligence existant entre lui et le
Directeur paraguayen. En outre Grandsire est certain du bon accueil que rserve
Francia au commerce franais 1952 . Il est fort probable que Pueyrredn ait tenu le
mme discours Bonpland, lequel aurait obtenu alors cette poque des garanties
de la part du gouvernement paraguayen.
En aot 1820, le projet est donc mri depuis quelques temps. Ce mme
mois, Bonpland dispose de lautorisation de Francia et effectue sa demande de
passeport pour se rendre dans le nord auprs des autorits de Buenos Aires1953
Lorsquil lve lancre le premier octobre 1820, cest encore pour aller au
Paraguay en compagnie dautres Franais 1954 . Alors quil se dirige vers le nord,
1949

Citons parmi ceux-ci RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo,
op. cit.; GANDIA Enrique de, op. cit. Enfin, un seul travail restitue lensemble du projet esquiss
par Bonpland, depuis son dpart pour le Paraguay jusqu son intention de revenir Buenos
Aires ; il sagit de celui de CIGNOLI Francisco, op. cit.
1950
me haba anticipado oficialm.te al Gob.no del Paraguay anunciando mi proyecto de visitar su
suelo, y hace algun tiempo que aquel Director me ha concedido la entrada libre en la Prov.a, y a su
alta proteccin p.a mis investigaciones , Bonpland J. Rondeau, 11 aot 1820, cit in RUIZ
MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., pp. 79-80. Cette lettre ne
figure dans aucun des centres documentaires consults, et aucun auteur ne fait mention de son
contenu.
1951
CALDCLEUGH Alexander, op. cit., p. 29.
1952
HAMY Thodore Jules Ernest, Les voyages de Richard Grandsire de Calais dans l'Amrique
du Sud (1817-1827) , in Journal de la Socit des Amricanistes, tome 5, 1908, pp. 8-9.
1953
BELL Stephen, op. cit., p. 44 ; RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO
Rmulo, op. cit., p. 79.
1954
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions. Le manuscrit est sans ambigut ce sujet, car il
porte la mention voyage au Paraguay . Le 19 dcembre 1820, Jos Galup, le fond de pouvoir
de Bonpland Buenos Aires, voque la mme destination alors quil sollicite le paiement du
salaire de Bonpland ; cf. GANDIA Enrique de, op. cit. p. 150. Un autre document confirme cette
destination ; il sagit de la lettre crite par Razac Bonpland et Brard, propos dun conflit avec
un de leurs associs, Elias, qui prtend que nous devions aller au Paraguay & que nayant pas
rempli cette clause, nous devons lEn ddommager. il avait suppos que notre dtention au
505

Deuxime partie

Chapitre VI

Bonpland est tenu au courant des derniers vnements politiques par Victoriano
Aguilar, qui ne lui cache pas la dtrioration de la situation Buenos Aires au
cours de lanne 1820, mais qui lassure toujours de la complte collaboration et
protection du Dictateur Francia. Toutefois, Aguilar confirme finalement dans une
lettre rdige le 4 dcembre 1820 ce que Bonpland a sans doute appris depuis son
arrive dans la capitale de Corrientes, le 28 novembre : laccs au Paraguay est
dsormais impossible 1955 . Tout du moins, le passage de Bonpland au Paraguay est
ds lors conditionn par le bon vouloir du gnral Ramrez qui contrle la
Msopotamie argentine 1956 et barre la route fluviale vers le Paraguay. Mais
devenu dangereux pour ses allis porteos et santafecinos ceux-ci concluent, le 24
novembre, le pacte de Benegas 1957 .
Si partir de juin 1821, Bonpland cesse de correspondre avec les Porteos
et de leur raffirmer ses volonts scientifiques, cela tient la dtrioration
politique et la rupture des communications entre Buenos Aires et le Nordeste. La
question nest donc pas de savoir pourquoi il part mais plutt de comprendre les
motifs le dcidant ne pas courter son voyage. Aux Missions, il prend la
rsolution de retourner Buenos Aires pour y rcuprer sa famille, et de venir
sinstaller dans le Nordeste pour y former un tablissement avec son compatriote
Philibert Voulquin. Son projet est contrari par ltat politique de la rgion au
dbut du mois de septembre 1821, ainsi que par la fermeture des ports qui en
dcoule 1958 . Aussi dcide-t-il de retourner immdiatement dans ltablissement
form aux Missions en apprenant que Voulquin, aprs navoir pas donn signe de
vie depuis le plus dun mois, lui crit quil se trouve isol et sans vivres 1959 .

Paraguay serait au moins de 2 a 3 ans ; AMFBJAD n 809, Razac Bonpland et Brard, Buenos
Aires, 31 janvier 1821.
1955
AMFBJAD n 257, 258, Aguilar Bonpland, Buenos Aires, 15 octobre et 4 dcembre 1820.
Aguilar se montre toutefois optimiste : segun las ultimas noticias qe. he oido, no podr V. pasar
al Paraguay segun las ordenes del Gral Ramirez. Sin embargo, yo pienso qe. V. le darn el paso
franco, y en este caso ver V. al Sr. Dictador Francia, a qn deseo yo tambien conocer.
1956
Autre dnomination du Littoral comprenant les provinces actuelles dEntre Ros, Corrientes et
Misiones.
1957
CALDCLEUGH Alexander, op. cit., indique que lentourage du savant le prvient contre les
risques quil prend vouloir se placer sous la protection de Francia, car plusieurs Europens sont
dj retenus au Paraguay. Aucune trace de ces avertissements nest conserve ; au contraire, le seul
tmoignage en notre possession, celui dAguilar, est favorable au voyage.
1958
Cf. FOUCAULT Philippe, op. cit., p. 244. Il est le premier remarquer cet important
vnement amenant Bonpland demeurer dans les Missions.
1959
AMFBJAD n 2016, 2023, Bonpland R. Lpez Jordn et E. Carriego, Corrientes, 3
septembre 1821.
506

Deuxime partie

Chapitre VI

Des projets la ralisation


La prparation du voyage aux Missions met en valeur les soins apports
celui-ci. Avant dvoquer les appuis dont Bonpland dispose, intressons-nous aux
outils dont il se dote. Une interrogation apparat immdiatement ltude des
sources concernant linfluence de la communaut franaise au cours de cette
aventure. Dans quelle mesure ses compatriotes interviennent-ils dans le choix de
Bonpland ? Quelle aide lui apportent-ils ? Au cours de cette priode, leurs
relations sont surtout tudies lors de son sjour Buenos Aires. Plus
prcisment, de fortes suspicions psent sur une participation du savant
lentreprise dimplantation franaise dans cette zone. En revanche, nous sommes
peu renseigns sur limplication directe de ceux-ci vis--vis de lorganisation du
voyage aux Missions. Pour lvaluer, il est besoin danalyser les dynamiques
associatives, cest--dire les mcanismes qui permettent ladhsion diffrents
aspects du projet. Trois types de soutiens sont prendre en compte lors de la
prparation. Le moindre, mais quil sagit de constater, consiste dans labsence
dappui gouvernemental porteo. Aprs que Rondeau ait financ le voyage sur le
Paran, les nouveaux dirigeants se montrent rticents, comme en tmoigne les
difficults de Bonpland obtenir le versement de son salaire. LEtat franais
ensuite, qui entend simplanter dans la rgion mais qui sappuie davantage sur ses
relais politiques. Le soutien le plus efficace provient dentrepreneurs privs
disposant de relais Corrientes.
Peu dinstruments sont apports outre quelques livres 1960 , ce qui conforte
lhypothse dun sjour court et cibl. La matrise des communications dbute par
celle de la langue. Ds 1819, Bonpland se dote dun rpertoire linguistique
guarani ou comme il la nomme la langue Paraguayo en vue dun usage
quotidien 1961 , prouvant l encore lide du voyage. Il ne peut sappuyer sur
aucune uvre bilingue, except le catchisme rdig par Pedro Bernal en 1789 et
dit Buenos Aires en 1800, remplaant les autres ouvrages du mme type
rdigs par les Jsuites et disponibles Buenos Aires. Mais sur le terrain lusage
1960

AMFBJAD n 843, F. Voulquin Bonpland, Ca Cat, 13 janvier 1832.


AMFBJAD n 2044, journal de voyage, 1819. Le vocabulaire rpertori par Bonpland a une
finalit pratique, tant essentiellement constitu de termes lmentaires tels que les nombres, les
parties anatomiques, des objets dutilisation courante, ainsi que dexpressions permettant la
communication.

1961

507

Deuxime partie

Chapitre VI

dintermdiaires savre indispensable. Au cur des Missions, les changes avec


le commandant de la zone, Nicols Arip, ncessitent lintervention dune tierce
personne, ce qui entrane des malentendus comme nous le verrons par la suite.
Les facteurs du voyage aux Missions se concentrent autour de
limportance de la flore, mais aussi autour des contacts entretenus sur place.
Plusieurs types de recours apparaissent si lon sintresse au contexte des
prparatifs, caractriss par leur mixit. Les Franais y sont majoritairement
reprsents. La discrtion, ou plutt labsence de publicit qui entoure
lorganisation rappelle quil sagit dun voyage caractre priv et de courte
dure 1962 . En effet, Bonpland sassocie avec les ngociants Roguin et Meyer pour
mettre en uvre le voyage au Paraguay, car il sagit dabord de sy implanter,
comme il est convenu avec les associs porteos 1963 . Les ngociants sont les plus
visibles dans lentourage de Bonpland. La maison de commerce dirige par
Roguin et Meyer fournit les moyens de transport ainsi que des instructions
commerciales la petite expdition. Celle-ci se compose des frres Razac de
Bordeaux, Pierre Brard de Normandie, et Chou de Marseille qui sarrte
Corrientes pour tenter fortune en y vendant de la pacotille 1964 . Parmi eux, Brard
est le seul qui simplique dans les projets de Bonpland. Philibert Voulquin les
rejoint depuis Montevideo.
Mais parmi les Franais du cercle porteo de Bonpland, aucun ne sest
approch des Missions. La mconnaissance du terrain montre la faiblesse des
ressources procures par les compatriotes de Bonpland. Le seul recours en la
matire se trouve dans les crits du vice-roi Jacques de Liniers 1965 . Le rapport
avec Liniers est indirect car, fusill en 1810, le vice-roi laisse derrire lui plusieurs
rapports concordant avec lopinion de Bonpland sur les Missions, savoir celle
dun territoire autant fertile quabandonn. Lespoir de dveloppement est tel chez

1962

Aux antipodes des grandes missions scientifico-politiques quaffectionnent lEmpire, la


Restauration, la monarchie de Juillet confies des militaires, crit BROC Numa, Les
explorateurs franais du XIXe sicle reconsidrs , in Revue Franaise dOutre-Mer, tome XIX,
n 256 et 257, 1982, p. 249.
1963
AMFBJAD n 809, Razac Bonpland et Brard, Buenos Aires, 31 janvier 1821.
1964
AMFBJAD n 2044, journal de voyage, 1820.
1965
Jacques de Liniers (1753-1810) nat en Charente. Entr au service de lEspagne, il est nomm
en 1788 commandant de la garnison du Ro de la Plata, en 1792 gouverneur des missions, en 1794
commandant en chef de la Marine Buenos Aires. En 1806, il repousse linvasion anglaise ce qui
lui vaut lanne suivante le poste de gouverneur et capitaine gnral. Mais ses origines franaises
le font souponner de couvrir des ambitions annexionnistes, ce pour quoi les indpendantistes
lexcutent.
508

Deuxime partie

Chapitre VI

Liniers quil sollicite dans un premier temps le commandement des Missions afin
de se consacrer la mise en valeur du territoire, plutt que daccepter la
magistrature vice-royale. Certes, Liniers et Bonpland ne sont pas les seuls
mettre ces jugements ; par contre trs peu de personnalits, disparues ou encore
en contact avec Buenos Aires, disposent de leur exprience sur le terrain.
Litinraire des frres Liniers est dailleurs caractristique des migrations
franaises au tournant du XIXe sicle, car Henri Louis de Liniers arrive Buenos
Aires lautomne 1790, en vue dinstaller un tablissement de commerce de
glatine, eau-de-vie et amidon. Comme pour Bonpland et tous les autres Franais,
lobjectif conomique est toujours prsent.
En outre, Liniers laisse derrire lui son aide de camp Jean-Baptiste
Perichon 1966 . Or nous retrouvons son fils, Esteban Mara Perichn, parmi les
relais de Bonpland Corrientes. En 1815 Perichn accueille dj Corrientes les
frres Robertson 1967 . En 1820, il est le reprsentant de la firme Roguin et Meyer
Corrientes. Il sagit donc dun pivot indispensable pour les Europens. A
Corrientes, Esteban Perichn soccupe de la logistique pour le voyage de
Voulquin et Bonpland. Il leur fournit armes et marchandises laisses alambique,
dame-jeanne ou attendues une charrette appartenant Esquivel, commandant
de Ca Cat, quil doit remplir de marchandises depuis Corrientes. Il se charge
du courrier de Razac, Roguin, et Brard quil transmet Evaristo Carriego,
gouverneur intrimaire de Corrientes 1968 . Les bonnes relations sont dues pour
beaucoup aux soins mdicaux apports par Bonpland la famille Perichn, ainsi
qu leurs origines communes. En outre, sa place de directeur des Postes facilite
grandement les dplacements de Bonpland qui profite de cette commodit pour
circuler. Sept ans plus tard, les compagnons de Bonpland rests Corrientes
permettent dOrbigny de pntrer sans difficult le cercle des patriciens
correntinos. Pierre Brard est alors le relais financier de Roguin et Meyer,

1966

Le 20 juillet 1807, Jacques de Liniers remet son aide de camp un rapport pour Napolon Ier
ventant la participation des Franais la dfense de Buenos Aires. Murat lui manifeste toute sa
confiance par le mme intermdiaire le 13 mai 1808 ; cf. LOZIER ALMAZAN Bernardo, op. cit.,
pp. 25-27, 166, 170-171, 181.
1967
IVERN Andrs, El Bonpland del Museo , in El Litoral, 27 mai 1992, p. 6.
1968
AMFBJAD n 344, 345, E. Perichn Bonpland, Corrientes, 22 et 27 mai 1821.
509

Deuxime partie

Chapitre VI

Parchappe le relais politique, et Perichn lui fournit des matriaux fossiles


Goya, o son beau-frre est alcade 1969 .
Le 11 aot 1820, Bonpland sadresse au gouverneur intendant de Buenos
Aires Dorrego afin quil lui concde le passeport ncessaire pour le voyage sur le
Paran et au Paraguay 1970 . Les rseaux qui interviennent lors de ce voyage sont
mixtes. Dabord le soutien de la profession militaire, en la personne de Victoriano
Aguilar. Lintrt que montre Aguilar sexplique par son dsir dabandonner la
carrire des armes pour celle de lagriculture 1971 . Les lettres de celui-ci nous
permettent de reconstituer les soutiens de Bonpland Buenos Aires : les
Murguiondo 1972 , leur amie commune Candelaria Somellera et son frre
Dominguito. Aguilar le met en contact avec Lucio Mansilla, alors commandant
gnral des troupes dinfanterie de Francisco Ramrez, ancien ami et condisciple
dAguilar 1973 . Le soutien des scientifiques ensuite : ils apparaissent dans la
correspondance aprs les militaires. Jos Joaqun Araujo se charge de prparer
linstallation des collections de Bonpland, et du paiement de ses salaires 1974 . Les
lettres changes avec Araujo nous renseignent de mme sur le rseau que
conserve Bonpland Buenos Aires : Agero, Viola, les Somellera, ainsi que le
capitaine Luca intress par lacquisition de graines et charg de surveiller la
quinta de Bonpland.
Bonpland adresse depuis La Bajada, le 27 octobre 1820, une demande afin
de pouvoir se rendre Corrientes en tant que naturaliste 1975 . Le long sjour
Corrientes, entre dcembre 1820 et mai 1821, est ncessaire autant pour
commencer les collectes que pour faire connaissance avec llite locale. A dfaut
de pouvoir dresser un tableau exhaustif des liens tisss par le savant cette
1969

ORBIGNY Alcide d, Viaje por la Amrica meridional, Buenos Aires, Emec, 1998, tome I,
pp. 135, 403-404.
1970
Bonpland J. Rondeau, Buenos Aires, 11 aot 1820, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., pp. 79-80.
1971
AMFBJAD n 258, V. Aguilar Bonpland, Buenos Aires, 4 dcembre 1820.
1972
Prudencio Murguiondo (1770-1826), militaire espagnol luttant contre les invasions anglaises,
il adhre la rvolution de 1810. Exil par Pueyrredn, il termine sa carrire militaire au service
des Uruguayens.
1973
Tous deux sont fdralistes, et adhrent par la suite au rgime de Rosas. A la mort de Ramrez,
Mansilla se soulve et bat Lpez Jordn dans lEntre Ros en septembre 1821. AMFBJAD n 256,
V. Aguilar Bonpland, Corrientes ou au Paraguay, Buenos aires, 25 octobre 1820 ; AMFBJAD
n 258, V. Aguilar Bonpland, Buenos Aires, 4 dcembre 1820.
1974
AMFBJAD n 397, J. J. de Araujo Bonpland, Buenos Aires, 25 janvier 1821. Il compte loger
ces nouveaux pensionnaires dans sa nouvelle demeure, loue au docteur Agero. Dautre part,
Araujo saccorde avec Adle pour demander la Junte le paiement des arrirs de Bonpland en
papier-monnaie, pour cause de gravia particular .
1975
AGPC, Correspondencia oficial, tome 10, fol. 130.
510

Deuxime partie

Chapitre VI

poque, Laccueil favorable rserv aux frres Robertson quelques annes


auparavant peut servir de rfrence, tout comme celui rserv Alcide dOrbigny,
lequel est de mme rapidement intgr au sein des classes dirigeantes
correntinas 1976 . A Corrientes comme Buenos Aires, la pntration des cercles
oligarchiques savre aise. Ds son arrive, Bonpland se voit intgr parmi les
lites. Il ne possde pas, semble-t-il, de lettres de recommandations contrairement
lusage 1977 . Mais des attitudes constantes se font jour parmi la socit locale.
Ainsi peut-on apprendre que le crmonial des visites ne change pas de Robertson
dOrbigny ; llite vient rendre visite dont le gouverneur Mndez, le directeur
des Postes Perichn et Juan Garca de Cossio 1978 . Il rencontre la mme poque
les Mantilla auxquels il voue une grande estime, ainsi que les Lagraa 1979 . Il nest
dailleurs pas le seul Franais simmiscer dans ce cercle. Le 6 octobre 1821
Roguin, le mdecin franais Belivia, Joaqun Sagastume venu visiter
ladministration des finances et Carriego conversent de la mort de Ramrez
lorsque Pedro Ferr les surprend 1980 .
Avant que Ramrez ne disparaisse, le gnral devient rapidement le
protecteur de Bonpland et lintroduit auprs du gouverneur intrimaire Ricardo
Lpez Jordn, quil lui prsente comme son frre, et auprs duquel Bonpland peut
sentretenir avec franchise 1981 , ce quil fait lorsquil lui demande dassurer sa
protection la suite du dpart dfinitif de Ramrez la mi-mars 1821 1982 .
Lintgration du Franais se traduit par la connaissance quil a ds mars 1821 des
premires difficults de Ramrez, lequel ne bnficie plus le soutien de la
troupe 1983 . La confiance qui lui est accorde se confirme au dbut du mois de
1976

ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1998, p. 135.


Cf. ibid. Demersay se recommande de Canteros pour rencontrer Bonpland ; AMFBJAD n
552, Canteros Bonpland, 19 mai 1845.
1978
ROBERTSON John et William Parish, op. cit., pp. 48-49.
1979
AMFBJAD n 1704, voyage dans la province de Corrientes, 6 mai 1834 ; AMFBJAD n 1719,
voyage de Concordia Curuz Cuati, 8 mai 1837. LEspagnol Juan Garca de Cossio (17301802) sinstalle Corrientes vers 1755. Il est notamment le pre de Simn (1770-1840), ministre
des Finances du Directeur Suprme. Diego Mantilla arrive Buenos Aires vers 1740 ; son fils
Manuel sinstalle Corrientes vers 1780, o il laisse une descendance nombreuse parmi laquelle
figure Trinidad, pouse de Pedro Ferr. Ciprin de Lagraa (1711-1785) fonde la branche
correntina de la famille. Une de ses filles se marie avec Juan Garca de Cossio en 1783 ; cf. CRUZ
JAIME Juan, Corrientes. Poder y Aristocracia, Buenos Aires, Letemendia, 2002, pp. 217-219,
244-245, 283-286.
1980
FERRE Pedro, op. cit., tome I, p. 14.
1981
con franqueza ; AMFBJAD n 2011, F. Ramrez Bonpland, Coronda, 24 mai 1821.
1982
AMFBJAD n 2015, Bonpland R. Lpez Jordn, Ca Cat, 3 juin 1821.
1983
SAINT-HILAIRE Auguste de, Viagem ao Rio Grande do Sul (1820-1821), So Paulo, Itatiaia,
1974 (1884), pp. 149-150.

1977

511

Deuxime partie

Chapitre VI

septembre, lorsquil apprend le dcs du gnral Ramrez alors que la nouvelle


garde secrte ne se propage quun mois plus tard 1984 . Bonpland savre dailleurs
un alli zl, puisquil fait part de ses soupons vis--vis dun homme qui
smerait la zizanie entre Corrientes et les Missions, et se propose de lamener
Lpez Jordn en septembre 1821 1985 .
Ramrez fait profiter au savant dune suite logique dintermdiaires dont ce
dernier tire parti. Carriego, Misionero, dispose dune influence certaine jusqu
Ca Cat, o il est relay par Esquivel 1986 . L encore, on note des rapports intimes
entre Carriego et Bonpland. Le premier se charge de transmettre Ramrez les
intentions du second, en accompagnement dune lettre de Bonpland adresse au
gnral 1987 . Il appuie aussi la logistique ; lors de son absence de Corrientes, le
Misionero charge le major Juan Jos Blanco de pourvoir aux ncessits du voyage
entrepris par le Charentais 1988 . Cest ce mme Carriego qui nomme Pedro Ferr
commandant de la marine locale. Or Ferr, qui est un intime de Blanco et
Esquivel 1989 , dveloppe ds 1821 une solide amiti avec le naturaliste. Les
solidarits correntinas semblent donc bien tablies la veille du dpart pour les
missions. A ce moment, Ramrez contrle Yateb, San Miguel et San Roquito. il
nomme Nicols Cabral commandant de Asuncin del Cambay, et Nicols Arip
commandant des villages du Haut Paran. Arip reprsente lultime maillon sur
lequel Bonpland doit sappuyer lors de son arrive dans les missions 1990 .
La situation est diffrente dans cette dernire rgion. Les voyageurs
attendent Ca Cat le rsultat de laffrontement avec des perturbateurs
rfugis Mborore. Face limpatience de Bonpland, Carriego lui conseille
1984

Cest probablement Carriego qui linforme. En effet, crit Pedro Ferr, la rumeur de la mort de
Ramrez se propage en octobre : Esto era un misterio para el pblico, pues slo estaba en el
secreto el comandante de armas don Evaristo Carriego y los pocos de su crculo ; FERRE Pedro,
op. cit., tome I, p. 14. Cela ne concorde pas avec les honneurs qui auraient t donns le 9 aot
1821 Corrientes ; cf. CASTELLO A. Emilio, op. cit., p. 207.
1985
AMFBJAD n 2017, Bonpland J. H. Castro, Corrientes, 3 septembre 1821.
1986
AMFBJAD n 2018, E. Carriego Bonpland, Corrientes, 22 mai 1821. Voulquin et Bonpland
lui rendent compte du comportement de ses subordonns. La famille dEsquivel comporte la
moiti des habitants de Ca Cat ; cf. ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1998, p. 238.
1987
AMFBJAD n 2018, 2019, E. Carriego Bonpland, Corrientes, 22 et 30 mai 1821.
1988
Au dbut du mois de septembre, Blanco est sans instruction concernant laide dispenser ou
non Voulquin et Bonpland. Ceux-ci devant partir, il crit le 5 septembre Carriego pour
demander des instructions. Le 6, Carriego crit directement Bonpland pour lui assurer de la
collaboration de Blanco ; AGPC, Correspondencia oficial, tome 12, fol. 225 ; AMFBJAD n 2021,
E. Carriego Bonpland, Corrientes, 6 septembre 1821.
1989
Ds 1821, Ferr et Esquivel sont intimement lis par un fort sentiment patriotique ; cf. FERRE
Pedro, op. cit., tome I, p. 13.
1990
AMFBJAD n 2013, Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 7 juin 1821.
512

Deuxime partie

Chapitre VI

dattendre le rsultat de lexpdition aux missions du capitaine Gomez qui, lui


prcise-t-il, rpond aux ordres de Ramrez 1991 . Le 3 juin, il stipule Lpez Jordn
son intention de se mettre en route pour Santa Mara, o se trouve Gomez 1992 . Il
part de Ca Cat le 7 juin 1821, aprs que Bonifacio Parras et Juan de Dios
Romero laient prvenu quArip lattend son campement de San Ignacio
mini 1993 . Des rapports de mfiance sinstaurent entre les deux hommes, Arip se
montrant trs pointilleux quant au respect de son autorit. A ce titre, il voit dun
mauvais il le fait que Bonpland nutilise pas son laissez-passer dans les
Missions, le Franais ntant pas en reste en matire darrogance 1994 . Bien que
dpositaire de lautorit entrerriana, Arip est seul matre des Missions. La mort
de Ramrez est certes un tournant, mais ne doit pas remettre en cause la protection
accorde Bonpland dans la rgion. Bonpland sappuie particulirement sur
linfluence quil exerce auprs dArip lorsque le bruit de la mort de Ramrez se
rpand, au dbut du mois de juillet 1821 1995 . Il craint que la venue du
commandant Esquivel aux Missions nalarme Arip, suite aux rumeurs lances
sans fondement 1996 . Bonpland se base sur les bonnes relations quil parvient
tablir avec Arip, et la confiance que le capitaine acquiert peu peu envers
lui 1997 . Les relations personnelles tisses dans cette zone sont primordiales avant
son retour Corrientes afin dy retrouver Roguin et Meyer en provenance de
Buenos Aires. En outre, ce voyage aux Missions ne doit pas dpasser la dure de
trois mois, puisquil sagit dun simple reprage avant de retourner

1991

AMFBJAD n 2019, 2020, E. Carriego Bonpland, Corrientes, 30 mai et 2 juin 1821.


AMFBJAD n 2015, Bonpland R. Lpez Jordn, Ca Cat, 3 juin 1821.
1993
AMFBJAD n 2013, Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 3 juin 1821.
1994
AMFBJAD n 2007, Bonpland N. Arip, Santa Ana, 18 juillet 1821 ; AMFBJAD n 2017,
Bonpland J. H. Castro, Corrientes, 3 septembre 1821. Arip intercepte les courriers destins
Bonpland. Celui-ci lui rappelle quil a frquent les grandes cours europennes...
1995
de alli resultaron algunos desordenes y tuve la fortuna de apaciguarlos por haver me
transportado al campamento de Aripi y de haber hablado con el sobre el particular , AMFBJAD
n 2017, Bonpland J. H. Castro, Corrientes, 3 septembre 1821.
1996
Ibid.
1997
AMFBJAD n 2016, Bonpland R. Lpez Jordn, Corrientes, 3 septembre 1821. Bonpland se
justifie auprs de celui-ci des motifs de son retour aux Missions, en septembre 1821. Connaissant
personnellement le capitaine Arip, il est persuad de ses intentions pacifiques. En outre, la
recommandation de Ramrez et lattitude bienveillante de Bonpland lgard du chef des missions
doit supprimer dventuels obstacles. Surtout, le savant espre convaincre Arip daccepter sa
prsence.
1992

513

Deuxime partie

Chapitre VI

Corrientes prendre le matriel et les instructions ncessaires la poursuite de


lexpdition 1998 .

2. Exploration et dveloppement
Lexploration est guide par le souci de la mise en valeur des ressources.
La rgion tant en marge de lessor conomique local, il sagit de faire concider
recherche et dveloppement. Bonpland dveloppe cet aspect de son programme en
usant de la rciprocit, et en rvisant ses objectifs initiaux. Rciprocit vis--vis
de Ramrez, qui offre sa protection en change dun engagement du Franais
participer au repeuplement de la zone. De ce fait, Bonpland expose Ramrez un
plan de travail qui limite dsormais son exploration aux missions sous contrle de
la rpublique entrerriana 1999 . Cet attachement ne saurait se comprendre sans la
survaluation avec laquelle Bonpland, comme dautres voyageurs, peroit son
environnement politique. En effet, ds 1821 il amplifie la capacit des
gouverneurs provinciaux matriser leur entourage politique. Il survalue leur
pouvoir comme aprs la victoire des forces de Ramrez sur celles de Santa Fe qui
dtermineront une paix gnrale entre les provinces de lamrique du sud. 2000
Or, la frontire identitaire de cette partie de lAmrique est le rsultat des
redfinitions constantes de ses composantes. Entre 1817 et 1852, plusieurs
combinaisons culturelles et politiques sont exprimentes, particulirement dans
la zone gographique parcourue par Bonpland. Il sagit dune frontire mouvante,
instable, mais qui possde une capacit dattraction suffisamment forte pour
capter lattention la fois du physiocrate et du naturaliste quest Bonpland.
Malgr son positionnement au centre de conflits ininterrompus, Bonpland ne
renonce pas ses choix. Cette persistance qui tonne ses compadres 2001 montre
quil croit les lieux propices lpanouissement de la civilisation.

1998

AMFBJAD n 2007, Bonpland N. Arip, Santa Ana, 18 juillet 1821 ; AMFBJAD n 2012,
Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 25 mai 1821. Arriv Corrientes le 3 aot 1821, il demeure alit
un mois.
1999
AMFBJAD n 2012, Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 25 mai 1821.
2000
determinaran una paz general entre las provincias de la america del sud , AMFBJAD n
2013, Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 7 juin 1821.
2001
Les lettres que lui fait parvenir Dominique Roguin, lui-mme implant dabord Buenos Aires
puis Montevideo, rvlent son incomprhension face lobstination du Rochelais. Cette
correspondance couvre les quatre dcennies de sa rsidence au Ro de la Plata.
514

Deuxime partie

Chapitre VI

Une priorit scientifique utopique ?


Il sagit dun voyage sans soutien tatique appuy ; labsence daide
technique et le recours aux entrepreneurs franais le prouve. A linstar de ses
collgues rioplatenses Damsio Larraaga ou Francisco Javier Muiz, Bonpland
doit impulser lui-mme une dynamique scientifique capable de rompre
lisolement rioplatense 2002 au lieu dattendre une aide hypothtique du
gouvernement, sil souhaite atteindre ses objectifs. Aussi la demande de
passeport croit-il bon dajouter quil se charge de tous les frais inhrents au
voyage 2003 . Saint-Hilaire, dOrbigny ou Darwin profitent davantage dappuis
politiques locaux parce quils conservent une posture neutre, grce au passe-droit
octroy par leurs institutions de rattachement. Bnficiant dun cadre
institutionnel europen plus favorable, les autorits amricaines se montrent
dautant moins suspicieuses leur gard, sauf cas exceptionnel, tel celui dAlcide
dOrbigny souponn descroquerie. En effet, il succde de prs un individu
stant fait passer pour naturaliste, aussi les autorits brsiliennes laccueillentelles dabord froidement. Mais Buenos Aires laccueil est bienveillant, Dorrego
lui proposant une exploration du sud pampero 2004 .
Pour sa part, Bonpland survalue la capacit des lites soutenir ses
projets. Cela se traduit par un dcalage entre un travail idalis qui ne saccorde
pas aux obstacles du terrain politique. Laspect le plus significatif cet gard
consiste sous-valuer la capacit de nuisance de Francia Ou plus exactement
de ses subordonns, car Bonpland persiste vouloir entrer au Paraguay et pour
cela envoie des courriers au Supremo dabord par le biais du commandant de la
garnison de Campichuela, Julin Moujilos Centurion, dans lespoir dobtenir la
protection paraguayenne. Il sadresse aussi un commerant paraguayen fortun

2002

A propos de lisolement de Muiz, cf. FEIJOO Claudia, VIZCAINO Sergio, Francisco Javier
Muiz. Ciencia y soledad en la Argentina del siglo pasado , in Ciencia Hoy [en ligne], Buenos
Aires, vol. 9, n 52, mai-juin 1999. URL : http://www.cienciahoy.org.ar/ln/hoy52/ciencia.htm.
2003
Cf. PALCOS Alberto, Designios de Bonpland. Revelaciones inditas del sabio , in La
Prensa, 1er mars 1942, s. p.
2004
ORBIGNY Alcide d, Voyage dans lAmrique mridionale, tome I, 1835, p. 495.
515

Deuxime partie

Chapitre VI

et intime de Francia, Jos Toms Isasi. Bonpland ne garde pas de ressentiment


contre Francia, mais contre ses subordonns. Il en donne un autre exemple
propos de la politique religieuse de Francia, qui scularise le clerg en 1824. Cinq
moines refusant sont expulss on peut dire honteusement sans avoir commis de
delit 2005 . Cinq autres sont emprisonns, puis expulss le 26 mai 1825 avant de
sinstaller dans la province de Corrientes, pour avoir prch contre lEtat selon les
dires du proviseur Cespedes qui savrent ceux dun homme
avare ambitieux, jalous qui toute sa vie a detest les moines et les a
poursuivi. Cest ainsi que les chefs detat ont de tout temps cout les
flatteries et commis les injustices les plus grandes

2006

Cette rflexion se prcise lors de son retour Buenos Aires, en 1832. Il y


rencontre Jos Thoms Isasi, son ancien intermdiaire auprs de Francia, ce qui
renforce ses soupons. Deux ans plus tard Brard lui rapporte la conversation
change avec un ancien Franais retenu par Francia, Hervaud 2007 , confirmant le
rle jou par Isasi dans sa capture, pour les mmes motifs que Cespedes, savoir
lambition et la jalousie. En effet, Isasi craignant que Bonpland ne menace son
propre commerce de yerba mate rdige un rapport compromettant, auquel sajoute
un faux rapport de Julin Moujilos Centurion 2008 . Les motifs demeurent
identiques, mais la responsabilit est transfre du Dictateur ses subordonns.
En outre, bien que la crainte dtre espionn attnue ses propos, aucune animosit
ne transparat non plus dans ses crits concernant la politique du Supremo 2009 . Il
faut attendre la mort de Francia en 1840 pour que Bonpland fasse part de sa
longue, injuste et infme dtention 2010 le rduisant au rang d esclave 2011
dun execrable tyran 2012 .

2005

AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, fvrier 1832.


Ibid.
2007
Hervaud part pour le Paraguay le 7 septembre 1820 ; AMFBJAD n 2044, journal de voyage.
2008
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834. Deux
pices compromettantes entranent sa capture : une lettre remise Isasi demandant la position de
Francia concernant sa prsence ; une autre signe par Arip et rdige par Antonio Duarte
adresse elle aussi Francia, ayant pour effet dirriter davantage le Dictateur. Bonpland ne rompt
pas pour autant avec Isasi. Une note nous apprend quils demeurent en contact ; AMFBJAD n
1711, voyage de So Borja Corrientes, 24 septembre 1836.
2009
Il loue ses tentatives pour asscher lIber en 1824 ; AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja
dans la province de Corrientes, 18 aot 1834.
2010
AMFBJAD n 380, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Santa Ana, 16 fvrier 1840.
2011
AMFBJAD n 327, Bonpland Humboldt, Montevideo, 17 mai 1840.
2012
AMFBJAD n 421, Bonpland A. P. de Candolle, Montevideo, 18 mai 1840.
2006

516

Deuxime partie

Chapitre VI

Les garanties offertes par celui-ci alors que Bonpland se trouve Buenos
Aires, confirmes par les encouragements de Araujo, mettent en confiance le
savant qui se croit en outre protg de par son statut. A linstar de Larraaga,
accept par les acteurs politiques de tous bords, Bonpland pense tre au-dessus
des partis. Les frres Robertson rsument cette attitude lorsquils dcrivent
Bonpland, au sein dun territoire en paix avec le Paraguay, occup par la
poursuite dtudes destines sajouter au stock de connaissances du monde
entier 2013 . Paix toute relative, puisque le territoire des Missions demeure durant
toute la premire moiti du XIXe sicle disput entre les Etats limitrophes 2014 .
Quant aux tudes dpeintes sous des couleurs universalistes, elles correspondent
certainement aux souhaits de Bonpland, mais son implication dans le
dveloppement local sous lgide des Entrerrianos entrane des complications
nationalistes sous-values. Le savant se veut toujours li Buenos Aires, il
envisage son travail dans une perspective nationale et internationale trs loigne
de la fragmentation politique alors en cours. Deux envois raliss en 1821
montrent ci-dessous lattention porte au transfert de vgtaux correntinos vers la
capitale portea.
Graphique n 10
Envoi de semis Buenos Aires
15 janvier 1821

mdicinaux (11)

comestibles (21)

ornementaux (13)

industriels (8)

Source : AMFBJAD n 1283.

2013
2014

John et William Parish Robertson cits in ESPINOSA Nemecio Carlos, op. cit., p. 141.
Cf. CAMBAS Anibal, op. cit.
517

Deuxime partie

Chapitre VI

Graphique n 11

Envoi de semis Buenos Aires


14 avril 1821
comestibles (8)

ornementaux (18)
industriels (5)

Source : AMFBJAD n 395.

Le contenu vari des envois concorde avec la demande gouvernementale.


Bonpland veille ce que toutes les graines soient semes sous serre, afin que
lacclimatation soit russie et productive 2015 . A la fin de son premier sjour aux
missions, il ritre son intention de faire venir la yerba dans la province de
Buenos Aires, certain que la plante peut tre naturalise par le procd du
couchage et qu laide dune serre elle peut se multiplier comme nous
multiplions toutes les autres qui nous viennent en Europe des pays loigns et de
tous les climats 2016 . Lenvoi de semis Araujo, le 14 avril 1821, est nanmoins
constitu dune majorit de plantes ornementales plutt quutiles, moins fidle en
cela ses engagements envers le gouvernement qu son propre objectif. En effet,
Bonpland insiste sur la ncessit des plantes ornementales en vue dune
publication scientifique comme pour enrichir le jardin botanique de Buenos Aires.
Mais alors quil envisage depuis la frontire paraguayenne la prochaine
publication des premiers rsultats en France et quil envoie rgulirement des
2015
2016

AMFBJAD n 396, Bonpland J. J. Araujo, Corrientes, 13 avril 1821.


AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 22 juillet 1821.
518

Deuxime partie

Chapitre VI

chantillons Buenos Aires, les dirigeants de la province, proccups par la mise


en valeur du sud de leur frontire, souhaitent le voir revenir au plus vite.
Lenvoi de plantes utiles a leffet contraire celui escompt. Nanmoins,
le bilan scientifique du voyage aux missions de juin et juillet 1821 est prometteur,
Bonpland augmentant considrablement ses collections. A la fin de lanne 1821,
il dispose de plus de 2 000 descriptions de plantes, dinsectes2017 , doiseaux et
dun matriel suffisant llaboration dune tude gologique de la rgion 2018 .
Certes dautres buts sont encore partiellement accomplis, par exemple la carte du
Paran quil sapplique dresser. Bonpland observe dabord les routes fluviales
connues son embouchure 2019 , mais la carte entire du fleuve et de ses voies
navigables, indispensable pour faciliter la navigation vers lintrieur, demeure
incomplte faute de temps et de moyens 2020 . De mme les relevs
mtorologiques qui couvrent lessentiel de son journal de voyage au Paraguay ne
reprsentent quune contribution trs partielle cette science. Lampleur des
tudes entames pourrait faire conclure un dilettantisme, si ce nest quil
concentre lessentiel de ses recherches sur la flore et la faune. De ce point de vue
lentreprise est ralisable, dautant plus quil ne compte pas la mener bien seul.
Les matriaux rassembls suffisent dors et dj pour satisfaire ses correspondants
parisiens devant participer la publication.
Point dutopie, mais des imprudences commises par pch doptimisme et
sous la pression de la concurrence. DOrbigny, Darwin, Saint-Hilaire ou Sellow
tentent de se rendre aux Missions par divers chemins ; elles semblent un passage
oblig du Grand Tour sud-amricain aprs les indpendances. A la fin de lanne
1821, un second naturaliste envisage de marcher sur les traces de Bonpland. En
effet, le Prussien Sellow veut actuellement senfoncer dans le Paraguay 2021 .
Surtout, il faut recourir lautre grand naturaliste parcourant le Ro de la Plata la
mme poque, Auguste de Saint-Hilaire. Tout comme son compatriote, Bonpland

2017

Le Nordeste est la terre promise de lentomologiste explique DEMERSAY Alfred, op. cit.,
tome 1, 1860, p. 282.
2018
Cf. RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 93.
2019
Elles sont au nombre de trois : la route du guazu et celle de la boca del tigre accessibles aux
grands btiments, celle enfin dite de los caracoles accessible aux navires de petite taille.
2020
Il faudrait pour cela, explique Bonpland, muchos meses de trabajo y [] dos barcos chicos a
proposito , AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18,
Bonpland Larraaga, Santa Ana, 10 novembre 1820.
2021
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Saint-Hilaire
Larraaga, 21 octobre 1821.
519

Deuxime partie

Chapitre VI

sappuie sur des financements mixtes. Les deux naturalistes prparent au mme
moment leur voyage, pour la mme rgion, avec les mmes objectifs et dots de la
mme formation botaniste. Lancien protg du rgime bonapartiste tente en vain
de contacter le sympathisant royaliste afin de connatre son itinraire, et les deux
expditions parallles deviennent rapidement une course aux dcouvertes.
Lmulation distante 2022 se change en rancur chez Bonpland au cours des annes
1830. Concernant dabord la primaut de la classification de la yerba sur laquelle
Bonpland interroge Mirbel, soucieux de savoir si son confrre la devanc 2023 .
Plus gnralement, il dsire connatre au plus tt ce qua crit ou ce que compte
publier Saint-Hilaire 2024 . Bonpland fait part de son mcontentement la lecture
des deux premiers volumes de la relation de voyage de son confrre. Il ne mnage
pas ses critiques, la plus virulente touchant aux dcouvertes annonces par SaintHilaire ; il attend de lire la partie botanique de pour voir lassurance avec
laquelle il annonce les plantes les plus intressantes du Paraguay , daprs des
renseignements obtenus, pense-t-il, de Rengger et Longchamps.
Cette falsification lui rappelle une pratique et une rputation ancienne des
voyageurs, rsume par cette maxime : a beau mentir qui vient de loin 2025 .
Pourtant, Saint-Hilaire na pas recours aux voyageurs susnomms, mais une
petite imposture smantique, la province cisplatine tant prsente par lui comme
cette partie de lancien Paraguay qui stend sur la rive gauche du Rio de la
Plata , et plus particulirement les anciennes missions annexes par le Brsil,
lensemble de lancienne administration jsuite du Paraguay tant par ailleurs
privilgie par le narrateur la rpublique de Jos Gaspar de Francia 2026 , non
2022

Il nexiste aucune communication directe entre les deux savants, ni avant ni aprs la dtention
de Bonpland au Paraguay. Cette lacune sexplique selon nous par linimiti ne de cette
concurrence.
2023
Bonpland nutilise pas la classification dilex paraguyensis cre par Saint-Hilaire, mais celle
dilex theezans forge par lui-mme. HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 96. Bonpland C.F. Brisseau de Mirbel. Corrientes. 18 septembre 1834 ; CORRADO Alberto J. , Contribucin al
estudio de la yerba mate , in Trabajos del Museo de Farmacologa de la Faciltad de Ciencias
Mdicas de Buenos Aires, n 20, 1908, p. 17 ; GIBERTI Gustavo C., Bonplands manuscript
name for the yerba mate and Ilex Theezans C. Martius Ex Reisseck (Aquifoliaceae) , in Taxon,
vol. 39, n 4, novembre 1990, pp. 663-665.
2024
AMFBJAD n 319, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 1er juin 1832, cit in HAMY
Thodore Jules Ernest, op. cit., pp. 87-89.
2025
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832. Un mois scoule entre la premire lettre
adresse Humboldt et celle-ci ; entre-temps Bonpland prend connaissance des ouvrages de SaintHilaire. Lempressement avec lequel il sadresse de nouveau Humboldt, ainsi que le ton de la
lettre, dmontre toute la priorit quil accorde la valorisation de ses propres rsultats.
2026
An., Notice sommaire des voyages de M. Auguste de Saint-Hilaire dans le Brsil, la province
cisplatine et les missions du Paraguay , in Nouvelles Annales des Voyages, tome 17, 1823, p.
520

Deuxime partie

Chapitre VI

reconnue par la France ni par ses voisins amricains. La confusion smantique na


pourtant pas lieu dtre puisque, explique Alfred Demersay, Raynal distingue ds
la fin du XVIIIe sicle le Paraguay des missions jsuites du Paraguay
particulier n aprs la cration de la vice-royaut du Ro de la Plata2027 .
Cependant, il est ais dentretenir la confusion dautant plus que la dlimitation
politique demeure indcise 2028 , et quelle permet en outre dajouter un ornement
supplmentaire au voyage.
En revanche, il nexiste aucune rancune vis--vis de lexpdition mene
par Alcide dOrbigny. En 1827 pourtant, dOrbigny herborise dans la zone mme
o Bonpland le fait avant lui, mais nest pas botaniste de formation. Surtout, il
part vers Corrientes suivant les conseils de Dominique Roguin, se lie avec
danciens compagnons de voyage de son compatriote, et sintresse de prs autant
sa dtention qu son ventuelle libration 2029 . Le rcit de dOrbigny est, comme
celui de Bonpland, maill de critiques et conseils destins amliorer, grce la
science, le mode de vie des Correntinos. Dans les annes 1830 et 1840 Bonpland
se lie damiti et conseille dautres aptres du dveloppement, Martin de Moussy
et Demersay. A la fin des annes 1850, il accueille avec sympathie AvLallemant. Dune part, les publications dAlcide dOrbigny dmontrent quune
entreprise scientifique mene isolment peut tre accomplie moyen terme.
Dautre part, la Description physique, gographique et statistique de la
Confdration Argentine de Martin de Moussy, parue entre 1860 et 1864, montre
quune fois rassembles des conditions nationales et internationales favorables,
une synthse scientifique du pays entier peut tre ralise.

233. ; SAINT-HILAIRE Auguste de, Flora brasiliensis meridionalis, Paris, Belin, 1825, tome I, p.
III ; SAINT-HILAIRE Auguste de, Viagem ao Rio Grande do Sul (1820-1821), So Paulo, Itatiaia,
1974 (1884), p. 127. Darwin commet aussi ce genre de fautes, lorsquil annonce labsence darbres
dans la Bande Orientale, alors quil nen voit que la partie sud. DARWIN Charles, op. cit., p. 53.
Cette confusion smantique est en partie corrige lorsque parat le troisime tome de la partie
botanique, en 1832. Saint-Hilaire fait apparatre la rpublique argentine parmi les lieux de
rcollection, lindpendance ayant t reconnue.
2027
DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, 1860, pp. 2-3.
2028
Il est peu de contres mme dans lAmrique mridionale, dont les limites soient aussi
incertaines que celles de la Rpublique du Paraguay , crit encore Demersay en 1860, in ibid.,
tome 1, p. 4.
2029
Cf. MIRET Enric, Sur une contradiction dAlcide dOrbigny , in LABORDE
PEDELAHORE Philippe de (dir.), Alcide dOrbigny. A la dcouverte des nouvelles rpubliques
sud-amricaines, Biarritz, Atlantica, 2000, pp. 105-112.
521

Deuxime partie

Chapitre VI

Explorer le dveloppement
A la diffrence de ses confrres, Bonpland participe aux projets de
dveloppement mens par les dirigeants. Il nest pas simplement observateur mais
aussi acteur sur le terrain. Il sagit dexplorer les zones susceptibles de se
dvelopper, et parmi elles les Missions qui sont selon Bonpland les plus fertiles et
les plus susceptibles denrichir le pays. Leur tat selon Liniers, Domaines
fertiles autant quabandonns , en fait une zone cloisonne en labsence de librechange entre les villages et de stimulation commerante 2030 . Cet tat proccupe
le dlgu Francisco Javier Siti qui fait part au gnral Ramrez dun projet de
repeuplement et de dveloppement du terrain 2031 . Bonpland entre dans ses plans.
Larrangement conclu avec Ramrez est le suivant : il autorise Bonpland
installer une ferme et lui demande dexaminer les yerbales et leur rendement
possible, le nombre dIndiens rassembls par Arip et ceux pouvant tre sortis des
montes, ainsi que les dispositions du commandant des missions vis--vis du
gouvernement central 2032 . Il sagit dans un premier temps de visiter les anciens
tablissements jsuites puis de retourner Corrientes en rendre compte 2033 .
Bonpland na pas une grande estime pour Arip, nanmoins il a confiance en sa
bonne foi. Il en fait part au frre du commandant Carriego, Esquivel et Lpez
Jordn 2034 . Bonpland confie que lui-mme a donn 40 cartouches Arip qui sest
mis immdiatement en route pour combattre les Indiens rebelles du centre de la
province 2035 . Il souhaite que le contrle de Corrientes sur Arip se ralise sans
violence, en prenant appui sur Santa Ana o il est ncessaire denvoyer un bon
religieux et des colons. En effet, le scientifique ne tolre les hommes dEglise
que dans un cadre utilitaire, et sinsurge loccasion de la fatuit et des abus des

2030

frtiles como abandonados Dominios , cit in LOZIER ALMAZAN Bernardo, Linniers y su


tiempo, Buenos Aires, 1989, pp.62, 64.
2031
Cf. AMABLE Mara, ROJAS Liliane Mirta, op. cit., pp. 102-103.
2032
AMFBJAD n 2012, Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 25 mai 1821 ; AMFBJAD n 2016,
Bonpland R. Lpez Jordn, Corrientes, 3 septembre 1821.
2033
AMFBJAD n 2012, Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 25 mai 1821 ; AMFBJAD n 2014,
Bonpland F. Ramrez, entre Candelaria et le ro Pindapuy, 21 juin 1821.
2034
AMFBJAD n 2015, Bonpland R. Lpez Jordn, Ca Cat, 3 juin 1821.
2035
AMFBJAD n 2017, Bonpland J. H. Castro, Corrientes, 3 septembre 1821. A Ca Cat, des
Franais fournissent des munitions aux Indiens rebelles, ce qui motive le retour dEsquivel alors en
route pour les Missions.
522

Deuxime partie

Chapitre VI

ecclsiastiques 2036 . Ensuite, il sagit de conserver des relations suivies avec Arip
en lui fournissant un homme rationnel lui servant de secrtaire et de mentor,
en sachant gagner et conserver sa confiance 2037 . Bonpland suit le mode de
gouvernement dItati, ladministrateur indien tant sous linfluence dun prtre ;
celui-ci avec de lesprit et des manires lui fait faire tout ce quil veut 2038 .
Lpez Jordn approuve la rsolution de Bonpland et demande Carriego le 11
septembre 1821 que lui soit adjoint un religieux franciscain

2039

. Le premier

fvrier 1822, lorsque Flix Aguirre alors nouveau dirigeant des missions se place
sous la protection du gouverneur de Santa Fe Estanislao Lpez, vainqueur de
Lpez Jordn, il est convenu que Lpez fournisse aux Misioneros un
ecclsiastique qui mrite leur confiance, afin quil leur fournisse le pain
spirituel, et contribue efficacement lamlioration de leurs coutumes, et
meilleure civilisation 2040 .
Le 10 juillet 1821, Bonpland note son intention de sinstaller Santa
Ana 2041 , point dappui pour contrler Arip et pour explorer les supports du
dveloppement rgional. Le but quil se fixe est de semer du coton, de lindigo et
du tabac ; aussi de donner aux Indiens des graines pour les encourager au
travail 2042 . Il amne Arip des semis de mas, de patate douce et de manioc2043 ,
lalimentation traditionnelle misionera. Le phnomne constat par Bonpland et
2036

Cest le cas pour le couvent de San Lorenzo, dabord confisqu par les indpendantistes avant
quun moine hardi pour ne pas dire sans honte nobtienne sa restitution lordre franciscain.
Ce couvent situ sur les bords du Parana peut contenir deux mille homes et ne se trouve habit
que par deux moines. il est entour de prairies peu peuples danimaux et dhommes. De mme,
la belle glise en pierre difie par le cur du village qui, dit-on, la batie avec son argent
mais ce sera plutot avec celui de ses paroissiens et la sueur des Indiens. , AMFBJAD n 1713,
journal, Corrientes, octobre 1836 ; AMFBJAD n 1728, journal, voyage Santa Luca, 27 janvier
1840.
2037
AMFBJAD n 2017, Bonpland J. H. Castro, Corrientes, 3 septembre 1821.
2038
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 4 janvier 1821.
2039
pour temprer les craintes et la mfiance quil pourrait provoquer chez les guaranis , ajoute
ESPINOSA Nemecio Carlos, op. cit., p. 119. La prsence du religieux est plutt destine
temprer les craintes de Arip, si lon en croit la demande de Bonpland ; AGPC, Correspondencia
oficial, tome 12, fol. 242.
2040
que merezca su confianza, para que les suministrise el pan espiritual, y contribuya
eficazmente al arreglo de sus costumbres, y mejor civilizacin , cit in CAMBAS Anibal, op. cit.,
p. 93.
2041
ayant mis des hommes netoyer le jardin dans la vue dy planter du tabac . Il sagit de la
premire mention dune volont de cultiver le terrain ; AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions.
Cette intention est confirme le 22 juillet, puisquil note : choisi un superbe terrain pour tablir
une chagra ; pour conserver les pieds de mat existants dcouvrir ceux qui sont cachs dans le
monte, les multiplier et former un yerbal considrable. . AMFBJAD n 1693, Description des
bagages de Bonpland, 8 juin-22 juillet 1821.
2042
animar los al trabajo , AMFBJAD n 2012, Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 25 mai 1821.
2043
Bonpland constate quArip vive alli en la mayor escasez de todo comiendo mulas y
cavallos . AMFBJAD n 2013, Bonpland F. Ramrez, Ca Cat, 7 juin 1821.
523

Deuxime partie

Chapitre VI

dautres 2044 nest pas seulement d aux dix annes de guerre coules. En effet, la
dsorganisation conomique et sociale qui accompagne le dpart des Jsuites
essouffle la rgion depuis plus dun demi-sicle. Ainsi, lagriculture de
subsistance est supplante par celle plus rentable destine au commerce. Le
dplacement de la main duvre vers la culture du coton, de la canne sucre et de
la yerba contribue lappauvrissement nutritionnel et vestimentaire 2045 .
Exploration et thmatique du dveloppement sont rcurrents et lis dans le
discours de Bonpland, lorsquil dcouvre les missions. Lis dans le rcit dabord
par lexploration elle-mme, puisquil alterne entre vestiges de la civilisation
jsuitique et dcouvertes scientifiques et conomiques. La description de
Candelaria quil relate Ramrez confirme ses esprances :
je demeurai stupfait en voyant le grand parti que lon peut encore tirer
de ce qui reste. [] La position de Candelaria est admirable. Il se trouve
ici en abondance, des orangers, des pchers, des bois et des pierres
propices la construction ; un reste considrable de yerbal plant par les
pres jsuites.

2046

Dans cette mme lettre, il indique que depuis Ca Cat jusqu Candelaria,
il na rencontr aucun Indien lexception dun ancien lui affirmant que beaucoup
se cachent dans les hauteurs, nosant pas cultiver les yerbales par peur des
Paraguayens, mais quils sont disposs le faire 2047 . Bien quintress par les
produits du ngoce, Arip se montre favorable au projet dtablissement et de
sdentarisation, puisquil demande le 9 novembre 1821 que lui soient envoys les
animaux et le pasteur promis par Carriego2048 . Bonpland participe la renaissance
dune rgion fortement touche par la guerre et presque labandon, par
2044

Les frres Robertson rapportent cette pauvret de vtements et de nourriture ; mais ils
ltendent la zone contrle par Artigas au cours de leur tableau apocalyptique du gouvernement
dArtigas et de ses successeurs ; ROBERTSON John et William Parish, op. cit., pp. 32-34
2045
MAEDER Ernesto J.A., BOLSI Alfredo S.C., La poblacin guarani de la provincia de
Misiones en la poca post jesutica (1768-1810) , in Folia Historica del Nordeste, Resistencia,
Corrientes, Instituto de Historia, Facultad de Humanidades, Universidad Nacional del Nordeste, n
5, 1982, p. 65.
2046
me quede asombrado viendo el partido grande qe toda via se puede sacar de todo lo qe se
queda. [] La position de Candelaria es hermosissima. se halla alli con abondancia, naranjos,
durasnos, maderas y piedras buenas para edificar ; un resto considerable de yerbal plantado por los
padres jesuitas. , AMFBJAD n 2014, Bonpland F. Ramrez, entre Candelaria et le ro
Pindapuy, 21 juin 1821. Il ne sagit pas de sattirer les bonnes grces du caudillo ; Bonpland
affirme par ailleurs que Los campos de misiones son superiores toda ponderacin ; RUIZ
MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 93, extrait dune lettre
crite par Bonpland depuis Corrientes et reproduite dans lArgos.
2047
AMFBJAD n 2014, Bonpland F. Ramrez, entre Candelaria et le ro Pindapuy, 21 juin 1821.
2048
AGPC, Correspondencia oficial, tome 13, fol. 130.
524

Deuxime partie

Chapitre VI

consquent non pas la frontire mais au centre de la problmatique


indpendantiste. Tous ses biographes saccordent faire de Bonpland un
restaurateur de cette partie des Missions. Cependant, il nexiste aucun chiffre
prcis concernant la population runie autour de Santa Ana. En outre, le travail de
rassemblement des Indiens incombe Arip. Plutt que de faire lapologie dune
action sans vritable porte, il est plus utile de mettre en vidence le souci du bien
public guidant Bonpland tout au long de ses explorations. A cet gard, il indique
au successeur de Ramrez le bien fond de son voyage :
je mestimerais heureux de pouvoir contribuer de quelque manire la
restauration de plusieurs villages qui ont t si brillants et qui seuls et en
peu dannes peuvent sous le gouvernement de V.E. rendre riches le
gouvernement et les habitants de lEntre-rios.

2049

Ce discours est un invariant maillant tous ses voyages ultrieurs, quel que
soit le pays ou le gouvernement concern. Des remarques sy rfrent ds son
nouveau journal de voyage dbut en fvrier 1831 2050 . Peu aprs la mort de
Francia, Bonpland note encore les bonnes dispositions dIndiens misioneros, la
plupart Guayanas, vis--vis des autorits correntinas 2051 . Les voyages fluviaux
sont aussi loccasion de longues rflexions sur lamlioration apporter au trafic
commercial, et confortent lide transnationale du dveloppement par del le
Paran et lUruguay, qui sont aussi et surtout des frontires. Bonpland note la
bonne ide du prtre de Tabay qui en 1824 propose Francia de runir les eaux du
Paran lIbera, bien que
ce travail propre a un bon ingnieur ayant t execut par de mauvais
militaires na pas rempli les vues du Dictateur

2052

Le souci du bien public npargne pas son ancien gelier ! Nul nest besoin de
multiplier les exemples pour illustrer une conviction dont le savant ne se spare
jamais. Nous nous contenterons de complter ce tableau rioplatense en voquant
2049

me estimaria feliz de poder contribuir en algo la restauration de unos pueblos qe. han sido
tan brillantes y qe. solos y en pocos aos baxo el gobierno de V.E. hacer ricos al gobierno y los
habitantes del Entre-rios. , AMFBJAD n 2016, Bonpland R. Lpez Jordn, Corrientes, 3
septembre 1821.
2050
Remarques concernant les crues du Paran, la capacit de travail des personnes en sa
compagnie, ou encore le chemin compris entre les berges du Paran et Santo Thoms quil serait
utile damliorer... AMFBJAD n 1649, Sortie du Paraguay, Fvrier 1831.
2051
Etablis six lieues de corpus, sur la rive droite du Paran, au cerro de Ibita Ocay, ils
craignent les paraguayos et aiment les correntinos. AMFBJAD n 1728, journal, voyage Santa
Luca, 4 fvrier 1840.
2052
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, 18 aot 1834.
525

Deuxime partie

Chapitre VI

encore les remarques de Bonpland concernant la rpublique uruguayenne et


lempire brsilien. Au cours de son voyage de 1832 destin remonter aux
sources de lUruguay, il insiste sur limpulsion donner la ville de Colonia,
abondamment dote de plantes cultives ; cette partie de la Banda Orientale est
susceptible dun systeme agricole productif sous les auspices du
gouvernement, tout comme Salto qui sans doute ne tardera pas porter le nom
de ville 2053 . En 1849, il profite de son long voyage Porto Alegre pour renouer
avec la collecte des vgtaux et pour remettre au prsident de la province un
mmoire sur lexploitation du mat, prsent la mme anne au gouverneur de
Corrientes. Lexploration est loccasion non seulement de jauger mais aussi de
simpliquer dans les problmatiques environnementales.

Peu de place pour le pittoresque


Cette perspective utilitariste et universaliste laisse peu de place aux
descriptions pittoresques. Dabord parce que cest la seconde fois quil aborde
lAmrique, et que de ce fait il nest pas touch par limpression commune au
voyageur qui voit pour la premire fois ces beaux vgtaux [et] prouve
involontairement, leur aspect, un sentiment dadmiration , atteste
dOrbigny 2054 . Parmi les milliers de descriptions botaniques consignes, seule une
plante revt une telle caractristique cause du spectacle quelle offre lorsquelle
enlace les palmiers correntinos avant de les touffer 2055 . Les relevs scientifiques
touffent de mme les descriptions pittoresques. Les rares emportements
paysagers concernent surtout les fleuves. Naviguant sur le Paran, tout en notant
avec soin la vgtation ctire2056 , Bonpland vante la rivire du toro grande, qui
2053

AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 14 et 26 octobre 1832. La


croissance de Salto se poursuit jusquen 1840, lorsque la disparition de Beln convertit la ville en
principal centre urbain du nord uruguayen. En 1860, elle acquiert le troisime rang dmographique
national, le second en 1908. Cf. KLEINPENNING Jan M.G., op. cit., p. 268.
2054
Cit par PIGNAL Marc, AUPIC Ccile, Alcide dOrbigny et la botanique , in TAQUET
Philippe (dir.), Un voyageur naturaliste. Alcide dOrbigny. Du Nouveau Monde Au pass du
monde, Paris, Musum National dHistoire Naturelle/Nathan, 2002, p. 58.
2055
Il sagit du ficus parasitica qui forme des tableaux pittoresques ; MNHN, ms 204, n 1948.
2056
Bonpland emploie pour la premire fois le terme en explorant lembouchure de ce fleuve en
aot 1819, lorsquil aborde lle de Sola prsentant un aspect plus gay et plus pittoresque , et
dcrivant de mme le Paran mini. AMFBJAD n 2044, journal, 25, 29-30 aot, 10 septembre
1819. Les nombreux renseignements apports par le naturaliste peuvent tre dune grande utilit
526

Deuxime partie

Chapitre VI

formerait la plus belle rivire anglaise qui existerait dans un jardin dEurope 2057 .
Cette sensibilit est dailleurs partage par un naturaliste rioplatense, Francisco
Javier Muiz, qui relve la beaut des lieux lors de son passage en 1818, quoique
de manire plus laconique 2058 . De la ville de Paran jusqu Buenos Aires,
Bonpland recense plus dune centaine de lieux remarquables 2059 . Le Paran est ce
terrain idalis par dautres voyageurs depuis Azara jusqu Demersay ; sur ses
bords on voit souvent saillir en dehors de lescarpement diverses portions de
squelettes de grands animaux exposs comme dans un muse naturel
immense 2060 . LUruguay tonne plus encore Bonpland :
Laspect de lUruguay dans cet tat de baisse des eaux est beau,
majestueux on pourrait peut tre plutot dire quil est horrible. figurezvous une longue suitte de roches dont les unes font saillie au dessus des
eaux et dautres couvertes et sur lesquelles viennent se briser avec fracas
les [] eaux qui forment ce quon apelle les Cachueras ou cascades

2061

Les crues de lUruguay entranent linvitable comparaison avec les


fleuves europens, et le spectacle quils offrent nest jamais si imposant 2062 .
Parfois le paysage inspire au voyageur le dsir de sy fixer 2063 , parfois une
habitation attise sa sensibilit 2064 , mais il est rarement submerg par lemphase.
Seul le site des missions lenchante vritablement, laccroissement de la

afin dtudier les changements intervenus depuis lors le long du Paran, comme cela a t ralis
pour le voyage de Muiz en 1818.
2057
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions. Il constate par ailleurs la majest du Paran,
aprs lestancia de Basterrechea. AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 18
avril 1837.
2058
Cf. MUIZ Francisco J., Noticia sobre las islas del Paran, Publicaciones del Instituto de
Investigaciones Geogrficas, Facultad de Filosofa y Letras de la Universidad de Buenos Aires,
Buenos Aires, Coni, 1925 (s. d.).
2059
AMFBJAD n 1713, journal, Corrientes, octobre 1836.
2060
ORBIGNY Alcide d, Voyage dans lAmrique mridionale, Rapport de MM. Brongniart,
Dufrenoy, Elie de Beaumont, tome III, 3e partie, Gologie, Paris, Bertrand ; Strasbourg, Levrault,
1842, p. 25.
2061
AMFBJAD n 1708, voyage So Joo Mini, 28 juin 1835. En 1832, lUruguay lui inspire
dj le mme sentiment. AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 22 octobre
1832.
2062
AMFBJAD n 1710, voyage de So Borja Santo Thom, 16 juin 1836.
2063
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 22 octobre 1832.
2064
Cest le cas de lestancia dAntonio Xymenes, de celle dun nomm Mandia qui offre de tous
cts une vue magnifique , ou de celle de Ana Tiate. La maison du colonel Luna, une des [plus]
belles du pays , offre une vue admirable. On distingue des montagnes qui se trouvent 15 L. de
distances. on distinguerait mme Paysandu qui est loign de 22 L. sans une chaine de Montagne
qui intercepte la vue ; AMFBJAD n 1704, voyage dans la province de Corrientes, 3 mai 1834 ;
AMFBJAD n 1743, journal, Voyage de Santa Ana la Bande Orientale, 28 septembre 1842 ;
AMFBJAD n 1740, voyage de Montevideo Corrientes, Durazno, 10 janvier 1841 ; AMFBJAD
n 1747, voyage de So Borja Alegrete, 27 novembre 1843.
527

Deuxime partie

Chapitre VI

vgtation comblant le botaniste. Sa satisfaction est double, puisque le regard


pittoresque autant que la curiosit scientifique sont combls le 19 juin 1821,
lorsquil pntre dans ce monde nouveau2065 . Cette impression ne le quitte
pas ; elle guide ses explorations venir. Ds le mois de mars 1831, il visite le
petit Paraguay 2066 constitu par les missions brsiliennes, puis sy emploie de
nouveau en 1832, 1837 et 1839, avant de retourner dans celles du Paraguay en
1857 toujours empli du mme enthousiasme.
Quil sagisse des paysages ou des ouvrages humains, le regard est le plus
souvent critique, et sans une once de romantisme. La vue des ruines des
tablissements missionnaires lui inspirent la tristesse des lieux anciennement
peupls et dtruits . Seul San Ignacio mini retient son attention : Tout y respire
un air de grandeur quon ne voit pas dans les autres pueblos. 2067 Il ne retient du
site de San Borgita que lglise construite en grs quartzeux, dont il ne parvient
pas localiser le gisement. Santo Thoms offre les tristes restes dune glise et
dun clochet batis en grs et en conglomerat . Lors de son arrive Candelaria, il
dcouvre le mme panorama :
Cest l pour la premire fois que nous vmes les tristes restes dun des
villages les plus considrables des Missions. On peut dire quil ne reste
pas une seule maison habitable. [] tout est dcombre

2068

Lensemble des pueblos offre le mme tableau 2069 . En dcembre 1831, lancienne
mission de La Cruz en ruines est presque entirement dpeuple. Bonpland y
dnombre quelques Indiens sous la conduite du colonel Cabaas, deux habitants et
2065

AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions. Au matin du 19 juin 1821, aprs avoir quitt San
Borgita il nous a sembl entrer dans un nouveau pays commente-t-il : les bois se trouvent en
plus grande abondance, les prairies qui avant taient sches et dpourvues de plantes sont
dsormais plus vivantes . Le mme soir, alors quils sarrtent par hasard la lisire dune
fort, quel fut mon tonement en pntrant seulement quelques pas dans lintrieur du bois, je
me trouvai dans un monde nouveau de vgtaux
2066
AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832.
2067
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 4 juillet 1821. Larchitecte, ajoute-t-il, avait sans
doute plus de talent que ceux de Loreto, Santa Ana, Candelaria . Bonpland prsente la mission de
Santo Thom sous un aspect identique aux autres, tout en regrettant que las btiments ne soient pas
mis en valeur : lantique demeure des thatins a perdu cet aspect imposant quelle avait avant dy
avoir de nouveau mis la charrue. Si Jacintho Demora eut conserv une belle entre pour voir les
magnifiques restes de Sto. Thom et eut choisi un lieu tendu pour reunir tous les travaux agricoles
ce lieu serait magnifique et imposant. , AMFBJAD n 1724, voyage dans le haut de lUruguay,
15 janvier 1839. Ici perce, derrire le regard gnralement distant, une conception de valorisation
du patrimoine suffisamment inhabituelle pour tre signale.
2068
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 22 juin 1821.
2069
Le pueblo de Sta Ana etait un des plus beaux de lentre-rios son collge surtout tait bati sur
un beau plan et on admire encore la beaut et lelevation des corridors qui ont t epargns par les
flammes et la hache . Loreto est trs endommag ; San Ina et Corpus sont compltement dtruits.
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 19 juin-4 juillet 1821.
528

Deuxime partie

Chapitre VI

une garde de onze soldats. Au milieu des dcombres, seul le cadran semblable
celui de San Nicols retient son attention 2070 . Aux ruines dj voques par SaintHilaire 2071 sajoutent les taperas, lieux abandonns par lindustrie humaine ou
dune pauvret extrme 2072 .
Peu dlments pittoresques affleurent des rcits de Bonpland. Il se garde
dmettre aucun jugement, prfrant aller lessentiel 2073 . Quelquefois, la
rdaction de ses nombreux journaux de voyage prend tmoin un ventuel
lecteur ; abandonnant un instant ses notes de travail, il sadresse directement
celui-ci. Mais gnralement, le ton est rsolument descriptif et non narratif, plus
encore lorsquil sagit du paysage rarement dtach de son environnement
humain. Dans la proprit de Pedro Vivar, la plaine situe sur les bords du
Miriay ne figure dans ses notes que parce qu elle prsente une galit que je
nai encore vu nulle part dans lAmrique du Sud , seulement comparable la
plaine souvent couverte deau sur les bords du fleuve Santa Luca, prs de San
Roque 2074 . Le fait est dailleurs runi dautres observations dordre conomique,
formant une analyse homogne destine mettre en exergue le dveloppement,
encore une fois : Avec tous ces elements Mr Vivar peut tablir une estance qui
dans peu de tems offrira de grands produits et lui offrira une grande fortune 2075 .
Lmerveillement provient constamment de la capacit de croissance offerte par la
nature. Ainsi, toute la partie de la Bande Orientale comprise entre Punta Gorda et
Punta de los Amarillos est veritablement un pays enchanteur, galement propre

2070

Celui de La Cruz, lev le 27 mars 1730, celui de San Juan, sont infrieurs celui de San
Nicols plus grand, plus beau et qui de plus donne lheure de Rome et de Madrid. Les
commentaires traitant des difices religieux sont plus que laconiques. A Curuz Cuati, il relve
que lglise est btie en 1777 ; Santo Thom ou La Cruz il note encore la date dlvation de
lglise ; AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 23 dcembre 1831 ; AMFBJAD
n 1701, Journal, Notes diverses, 1833-1835 ; AMFBJAD n 1710, voyage de So Borja Santo
Thom, 18 juin 1836.
2071
SAINT-HILAIRE Auguste de, Histoire des plantes les plus remarquables du Brsil et du
Paraguay : comprenant leur description et des dissertations sous leurs rapports, leurs usages,
etc., avec des planches, en partie colories, Paris, Belin, 1824, tome I, pp. LXIII-LXIV.
2072
De La Cruz au Yatai on voit des bois dorangers qui signalent des lieux anciennement
habits . Bonpland passe le ro Miriay au paso du rosario, du nom dune ancienne chapelle
disparue. Cuenca est triste est annonce la plus grande pauvret . AMFBJAD n 1695, voyage de
So Borja Corrientes, 25 et 31 dcembre 1831.
2073
Au contraire de Saint-Hilaire qui sublime la nature, ou de Martius qui en appelle la prose de
Goethe pour la posie que lui inspire la nature amricaine ; cf. KURY Lorelai, Viajantesnaturalistas no brasil oitocentista : experincia, relato e imagen , in Histria, Cincias, Sade
Manguinhos, vol. VIII (supplment), 2001, pp. 866, 868-870.
2074
AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 20 mai 1837.
2075
Ibid., 19-20 mai 1837.
529

Deuxime partie

Chapitre VI

la culture et a lever de grands troupeaux 2076 . Sans possder la force et la


profondeur des rcits de Humboldt, on reconnat toutefois le modle de lanti-rcit
de voyage dvelopp par son compagnon de voyage.

3. Des campagnes de plus en plus cibles


Le second sjour de Bonpland en Amrique du Sud correspond une
nouvelle phase dans lhistoire de lexploration de par lampleur acquise au cours
du XIXe sicle, scientifiquement mais aussi populairement. Alors quen Afrique
commence le grand mouvement europen vers lintrieur, lAmrique reprend ce
mme lan partag cette fois entre Europens et Amricains. Lexploration prend
place au sein de la mdiation intra et intercontinentale, voluant avec elle. Tout en
privilgiant pour linstant le travail de terrain et non les processus de mise en
rseau de linformation, nous pouvons dors et dj constater une diminution
progressive des ambitions et des accomplissements exploratoires. A lgal de
Saint-Hilaire, Bonpland conoit le voyage comme un change 2077 . Mais la
diffrence de son compatriote, il dlaisse peu peu la perspective
intercontinentale pour se consacrer aux proccupations continentales, puis
circonscrit davantage son champ dinvestigation aux limites assignes par son
activit conomique. Cette contraction est entrecoupe de deux moments
dextension des recherches, vers Porto Alegre en 1849 puis vers le Paraguay en
1857. Mais la venue dautres naturalistes ainsi que lisolement scientifique auquel
Bonpland est confront contribuent la dvalorisation des campagnes prvues ou
effectues. Ainsi le voyage de 1849 intervient trente ans aprs celui de SaintHilaire au Brsil ; les rcollections sont rendues caduques dautant que les
successeurs de Saint-Hilaire ont presque puis le terrain. Lexcursion au
Paraguay est quant elle de dix ans postrieure au voyage effectu par Alfred
Demersay. Certes il demeure encore beaucoup dcrire, mais la courte dure de
ce sjour ne permet pas dobtenir des rsultats intressants dun point de vue
scientifique.

2076

AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 18 octobre 1832. Bonpland relve
aussi les lieux offrant des avantages au voyageur, comme lle de las Ceibales disposant d un
abri sur, une belle hombre Du bois en abondance et dexcellente eau ; AMFBJAD n 1737,
voyage de Corrientes Montevideo, 17 novembre 1840.
2077
Cf. KURY Lorelai, La politique des voyages et la culture scientifique dAuguste de SaintHilaire (1779-1853) , in LAISSUS Yves, (coord.), op. cit., pp. 243-244.
530

Deuxime partie

Chapitre VI

Hormis ces deux voyages loigns de ses itinraires habituels, Bonpland


nentreprend aucune campagne denvergure. Pourtant il projette beaucoup et voit
loin, mais la ralisation nest pas la hauteur des expectatives. Ses choix sont
dailleurs parfois en contradiction avec les propositions manant des autorits
rioplatenses, et l encore il existe un dcalage entre loffre et la demande
scientifique. Toujours soucieux de raliser une uvre dimportance, Bonpland
nglige certains terrains quil juge impropres alimenter son propos. Celui-ci est
en outre imprgn dun moindre souci dinnovation quil faut mettre en relation
avec lisolement vis--vis des grands centres scientifiques europens. Le temps
joue certainement un rle prjudiciable concernant la validation des dcouvertes.
Le terrain tant moins au centre de la recherche qu la priphrie, les
investigations de Bonpland perdent leur caractre novateur pour voluer vers un
aspect de complmentarit sinscrivant dans une logique de poursuite de luvre
des Lumires, tout en en restreignant considrablement lapplication. De fait,
lexploration sapparente au fil du temps un ensemble dexcursions de plus en
plus cibles et dcharges dambitions, de contenus et de signifiants scientifiques.

Une exploration inorganise ?


Il se dgage des dplacements successifs de Bonpland une impression de
voyages dsorganiss. Il nen est rien, car ds 1816 le naturaliste tablit un
programme dexploration tout fait cohrent 2078 . Litinraire complte dune part
les voyages antrieurement effectus en compagnie de Humboldt, mais aussi ceux
de Haenke en Bolivie, avorts cause du dcs du naturaliste praguois. Or, en
hritant du poste de celui-ci, Bonpland se positionne aussi comme son successeur
au service de lEtat. A la diffrence du Praguois, le Rochelais se met non pas au
service du vice-royaume espagnol mais de la rpublique de Provinces Unies 2079 .
Cependant, son programme suit la mme logique dexploration lintrieur des
terres. Sagit-il dune concidence si, comme son prdcesseur, Bonpland
2078

Avant son dpart, Bonpland envisage un voyage du Prou au dtroit de Magellan ; Bonpland
Gallocheau, Paris, 1er avril 1816, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 71.
2079
Bien que le terrain dinvestigations de Haenke soit loign de Buenos Aires, la divulgation des
rsultats seffectue alors dans la capitale de la vice-royaut. Cf. GROUSSAC Paul, Noticia de la
vida y trabajos cientficos de Tadeo Haenke , in Anales de la Biblioteca, 1900, tome I, pp. 17-57.
531

Deuxime partie

Chapitre VI

entreprend de visiter la Bolivie et le Chili ? Nous pensons au contraire quil faut


replacer ces desseins dans le prolongement des travaux lgus par Haenke et
demeurs inachevs, dont linaccomplissement est soulign par Bonpland 2080 .
Prcisment, les diffrents itinraires dresss par Bonpland dmontrent
cette double filiation, vis--vis des grands voyages coloniaux europens et des
premires avances indpendantistes. A cet gard, le voyage aux Missions voqu
auparavant est un modle dorganisation mixte autant pour ce qui touche aux
financements quaux ressources humaines requis. Surtout, il a pour but de servir le
nouvel Etat sud-amricain en le parcourant de part en part, en suivant les avances
des Libertadores. En 1818, la perception de lensemble politique est encore
continentale, aussi lactivit scientifique slabore-t-elle partir de ce prisme qui
stend de lAtlantique au Pacifique. Jos Rondeau, qui appuie les vues
continentales du savant, est aussi le dernier chef de lEtat rioplatense de lre
indpendantiste, en se refusant prendre part aux guerres civiles qui dbutent ds
aprs son gouvernorat 2081 . Dans cette perspective continentale, Bonpland souhaite
donc se diriger vers le nord afin de profiter au mieux des ressources naturelles du
nouveau pays. En 1819 il opte pour la route de louest, progressant par la Pampa
bonaerense, la province de Santa Fe, le Chaco puis la Bolivie 2082 . Mais la
modification des alliances intervenue au dbut de lanne suivante loblige
revoir son itinraire.
En effet, le gouvernement unitaire de Rondeau est dfait par lalliance
fdraliste la bataille de Cepeda, le premier fvrier 1820. Cepeda marque la fin
du projet dun Etat centralis, et surtout le dbut du morcellement de lancienne
vice-royaut 2083 . Lalliance victorieuse est compose des dirigeants des provinces
2080

El mundo ignora, hasta el da, los conocimientos de q.e se habia lisongeado al entender el
nuevo encargo de este talento distinguido, pues nada se ha publicado en Espaa q.e tenga relacin
a sus investigaciones [...]. La muerte harto sensible de Dn Thadeo Haenke se asegura y d por carta
; y habiendo acaecida en una Provincia ocupada por Espaoles, nadie puede dudar, q.e [...] se
habran echado en el acto sobre sus papeles y preciosidades , Bonpland J. M. de Pueyrredn,
Buenos Aires, 22 juin 1818 ; RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO
Rmulo, op cit., p. 33.
2081
Bonpland entretient des relations cordiales lgard du gnral Rondeau avec lequel il partage
la mme animosit envers les clans.
2082
A la mme poque, il se flicite de la tranquillit rgnant le long du Paran ; les nouvelles
fournies par les ngociants savrent optimistes. AMFBJAD n 2044, journal, 1er septembre 1819 ;
DEMERSAY Alfred, La vie et les travaux de M. Aim Bonpland, Correspondant de lInstitut et
du Musum dhistoire naturelle , in Bulletin de la Socit de Gographie de Paris, quatrime
srie, tome V, 1853, p. 249.
2083
Lanne 1820 sonne le glas des vises coloniales espagnoles sur cette rgion. Elle reprsente
aussi en quelque sorte lanne terrible des Rioplatenses ; quelle soit pour certains le dbut
532

Deuxime partie

Chapitre VI

enterrianas et santafecinas, allis au parti fdral de Buenos Aires. Mais les


provinces de louest se dsolidarisent de ceux-ci, coupant du mme coup cette
route Bonpland qui peut nanmoins sorienter vers la route qui souvre lEst
grce cette coalition. Pour ce motif il se dcide finalement prendre cette voie,
consolide par le trait du Pilar conclu le 23 fvrier 1820 entre Buenos Aires,
Santa Fe et Entre Ros. Il sagit alors de remonter le Paran jusqu Corrientes,
traverser le Paraguay pour se rendre jusquau Prou. La dtrioration politique le
mne finalement au Paraguay mais non pas comme il laurait souhait, et ds sa
libration Bonpland envisage un voyage pour la mme destination. En 1832 il
recueille Buenos Aires des lments concernant lexploration du Chaco qui
lamnent de nouveau sur la piste paraguayenne 2084 . A la fin de lanne 1837, il
relve les ouvrages et manuscrits consulter sur le Chaco, o il se rend quelques
mois plus tard 2085 . Il espre ensuite que la mort de Francia ouvre la voie vers une
exploration en Bolivie, preuve quil nabandonne pas la possibilit dun Grand
Tour sud-amricain 2086 . Lorsque la nouvelle du dcs de Francia lui parvient, il
exprime son espoir de voir soprer louverture du Paraguay aux naturalistes ; il
projette dy aller lui-mme librement par le ro Paraguay 2087 .
A partir de 1832, Bonpland envisage de cheminer aussi vers le sud, en
longeant la cte patagonique jusquau dtroit de Magellan, puis de se rendre aux
les Malouines. Tout en conservant le projet de se rendre Tucumn et de
poursuivre lexploration des missions portugaises entame en 1831, un mois aprs
sa sortie du Paraguay, il largit encore son champ dinvestigation et y intgre le

dune heureuse exprience ou au contraire la fin dune esprance, elle marque comme le
souligne Victor Tau Anzoategui le commencement dun lent processus vers la formation de lEtat
argentin ; cf. PUMAR MARTINEZ Carmen, La primera renuncia espaola al colonialismo :
1820 o el regreso de los patriotas americanos , in Estudios de Historia Social y Economica de
Amrica, n 12, 1995, pp. 135-140 ; ROMERO Luis Alberto, La feliz experiencia, 1820-1824,
Buenos Aires, La Bastilla, 1983 ; TAU ANZOATEGUI Victor, Formacion del Estado federal
argentino (1820-1852), Buenos Aires, Instituto de Historia del Derecho, 1965.
2084
au Paraguay, dans les archives du gouvernement on doit ncessairement trouver des
matriaux prcieux sur le Chaco et surtout des cartes . AMFBJAD n 1697, journal, sjour
Buenos Aires, Juin 1832.
2085
AMFBJAD n 22, voyage de So Borja Curuz Cuati, 26 novembre 1837. Il sagit des
livres de Machony, Lozano, Azara, Arenales, et des manuscrits de Espinola et Piris.
2086
Bonpland Humboldt, Corrientes, 28 mars 1838, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 127.
2087
AMFBJAD n 328, Bonpland Humboldt, Montevideo 30 dcembre 1840 ; AMFBJAD n
869, Bonpland B. Delessert, Montevideo, 22 janvier 1842 ; AMFBJAD n 892, Bonpland
Blanc et Constantin, Montevideo, 1er fvrier 1842.
533

Deuxime partie

Chapitre VI

Chili et lUruguay 2088 . Lamplitude gographique de ses vises traduit la relative


accalmie politique dont jouit la rgion au tout dbut des annes 1830. Mais les
projets esquisss en 1831 et 1832 perdent rapidement leur cohrence. Ds 1833
les les Malouines sont occupes par lAngleterre, puis trois ans plus tard la guerre
clate dabord au Rio Grande do Sul o se situent les missions portugaises qui
fait scession davec le Brsil en 1835, puis entre opposants uruguayens lanne
suivante, enfin entre le Chili et la Bolivie en 1836 2089 . Tous les chemins prvus
initialement sont dsormais difficilement accessibles, et Bonpland ne peut
entreprendre en 1833 que lexploration des missions brsiliennes, dans lesquelles
il jouit de lappui des autorits locales en la personne du lieutenant-colonel Silva,
commandant de So Borja, avec qui il effectue sa premire campagne
dexploration au Brsil en 1831. Il se contente dsormais dune aire dexploration
plus restreinte, mais cette prudence ne lempche pas dtre pris parti dans les
luttes locales, au risque de sa vie en 1839 2090 . Aussi dveloppe-t-il une stratgie
de plus en plus locale lamenant de lexploration vers lexcursion.

De lexpdition lexcursion
Cette apparente inorganisation rsulte donc davantage de linstabilit
politique grandissante des Etats rioplatenses plutt que dune mauvaise gestion du
Franais. Bonpland se retrouve face limpossibilit croissante de concrtiser ses
spculations scientifiques. Ds les annes 1830, Bonpland effectue des excursions
plutt que des expditions scientifiques. Le luxe du voyage avec Humboldt est
dsormais bien loin, comme en tmoigne le bateau spartiate lou pour une
excursion botanique, dont la voile consiste en un poncho trs court, trs troit
dont le seul avantage est de navoir le trou pour passer la tte2091 . Lors de ce
dtour sur la route de Buenos Aires, il dispose dun cano, recrute deux
domestiques, le conducteur pay une piastre par jour, lautre une-demi piastre. Le
2088

AMFBJAD n 318, 319, 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai, 1er juin et aot
1832 ; AMFBJAD n 1591, Bonpland A. Herrera, Buenos Aires, 15 septembre 1832.
2089
Cf. CISNEROS Andrs, ESCUDE Carlos (dir.), op. cit., pp. 174-175, 196-200.
2090
Cette anne, alors quil tente datteindre de nouveau San Javier, il est victime dune tentative
dassassinat fomente par des lgalistes brsiliens laccusant de soutenir les sparatistes
riograndenses. AMFBJAD n 1724, voyage dans le haut de lUruguay, 27 janvier-1er fvrier 1839.
2091
AMFBJAD n 1696, voyage lestancia de Jos Santos Maciel, fvrier-mars 1832.
534

Deuxime partie

Chapitre VI

voyage initialement prvu de courte dure trois jours se prolonge car ds Santa
Fe le fleuve change daspect au gr des crues, et ils doivent parcourir 15 lieues,
soit le double de la distance prvue 2092 . Lorsquil repart de Buenos Aires pour
remonter aux sources de lUruguay, Bonpland sassocie un ngociant espagnol,
Esteban Seoran, et sentoure de trois franais, son ancien jardinier Auguste
Bouville qui dsire laccompagner, lagriculteur Pierre Besse et Jean Lacour,
empailleur quil engage pour 60 francs par mois 2093 . Il sagit des derniers gages
verss par Bonpland un assistant. Ses trois compatriotes le quittent en septembre
1833 pour aller travailler chez Felipe Garca, depuis peu beau-pre de
Bouville 2094 . Lanne suivante, la campagne quil prpare a comme destination le
hierbal de uguazu 2095 ; la priorit est dj dordre conomique. En 1839, il
sentoure de sept auxiliaires lors de la campagne pour San Javier et le haut de
lUruguay, prvue de longue date 2096 . Les buts en sont la fois scientifiques mais
surtout conomiques, sagissant de visiter le hierbal de lancienne mission. Au
dbut de lanne 1842, Bonpland se rend Montevideo pouss par des motifs
conomiques, cest--dire remettre un certificat de vie et prendre les fonds quil
possde chez Blanc et Constantin 2097 .
La connexion avec les diffrents gouvernants savre de plus en plus
complexe, les engagements respectifs de plus en plus difficiles tenir. Bien quil
promette au gouverneur de Tucumn de mener bien une campagne scientifique
dans sa province 2098 , Bonpland ne respecte pas son engagement. Et au lieu de
profiter en 1836 et 1837 du partenariat propos par Teodoro Miguel Vilardeb
qui soffre instamment pour laccompagner explorer les terres uruguayennes
Bonpland opte pour la poursuite dune exploration solitaire 2099 . Associ Arsne
Isabelle et Bernardo Berro, lUruguayen dcouvre un fossile gant en 1838. En
janvier 1839, Vilardeb insiste de nouveau afin que Bonpland vienne quelques
mois Montevideo afin quils effectuent ensemble les excursions ncessaires au
2092

Ibid., 20 fvrier 1832.


AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 13 octobre 1832.
2094
CAIC, journal de voyage, missions portugaises, 18-21 septembre 1833.
2095
AMFBJAD, n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.
2096
AMFBJAD n 1724, voyage dans le haut de lUruguay, 15 janvier 1839. Il sagit de cinq
marins Guayanas lous Corrientes et de deux domestiques correntinos ; lquipe dispose dune
canoa de 12 varres de long.
2097
AMFBJAD n 892, Bonpland Blanc et Constantin, Montevideo, 1er fvrier 1842.
2098
AMFBJAD n 1591, Bonpland A. Heredia, Buenos Aires, 15 septembre 1832.
2099
AMFBJAD n 404, 405, T. M. Vilardeb Bonpland, Montevideo, 12 dcembre 1836, 6
janvier 1837.

2093

535

Deuxime partie

Chapitre VI

dveloppement scientifique de sa patrie 2100 . Or, si Bonpland sjourne deux mois


Montevideo entre mai et juillet 1840, Vilardeb ne fait pas partie des randonnes
organises autour de la ville et poursuit sans lui ses excursions palontologiques
avec bonheur 2101 . Car lorsque Bonpland arrive dans la capitale uruguayenne
Vilardeb se trouve au chevet dun parent, Paysand. Cest paradoxalement ici
quil dcouvre des ossements fossiles, et quil ralise une tude de la langue
charra 2102 . La coupure du pays empche un autre Franais, Liautaud,
dentreprendre lexploration de lintrieur, Oribe lui en ayant refus
lautorisation 2103 . La rencontre avec Alfred Demersay alors en route pour le
Paraguay, en 1845, ne lincite pourtant pas retourner dans ce pays en sa
compagnie, malgr le souhait sans cesse rpt depuis 1840. Certes, Bonpland
dispense des conseils et dutiles instructions selon lexpression de Demersay,
qui ne tarit pas de remerciements envers son an. Sils effectuent plusieurs
excursions botaniques ensemble aux environs de So Borja, ce dernier ne franchit
toutefois pas la frontire paraguayenne. En 1850, des contacts sont nous entre
Bonpland et le capitaine Borja, secrtaire de la lgation brsilienne Asuncin, en
vue dun voyage commun de So Borja vers la capitale paraguayenne 2104 , mais le
projet naboutit pas.
Il existe bien des contradictions entre les grands projets de Bonpland et
leur non excution. Les vnements des annes 1837-1840 permettent de les
expliquer en partie, force tant de constater que le naturaliste se met en retrait du
milieu scientifique europen et amricain. La planification des voyages, voluant
de plusieurs annes quelques semaines, est proportionnelle la rduction des
ambitions savantes. A cet gard, si la cohrence exploratoire voulue seffrite
paralllement la dsagrgation continentale, la dualit entre les objectifs
scientifiques et conomiques prsente ds 1817 se creuse aussi, au profit des
seconds. Si lhorizon scientifique demeure prsent, il sefface derrire les priorits
financires. Le voyage entrepris Porto Alegre en 1849 en est lillustration, car le
2100

AMFBJAD n 406, T. M. Vilardeb Bonpland, Montevideo, 19 janvier 1839.


AMFBJAD n 1734, journal de voyage, Sjour Montevideo, mai 1840 ; AMFBJAD n 263,
A. Isabelle Bonpland, Montevideo, 16 fvrier 1841.
2102
Cf. MAE GARZON Fernando, op. cit., pp. 132-134. Lauteur suppose que Vilardeb se rend
Paysand vers le mois de juin ; il doit avoir entrepris son voyage ds le mois de mai, car
Bonpland arrive le 14 de ce mois Montevideo et rien nindique dans son journal la prsence de
son confrre.
2103
AMFBJAD n 671, D. Liautaud Bonpland, Montevideo, 29 janvier 1851.
2104
AMFBJAD n 777, F. Pomatelli Bonpland, Porto Alegre, 1er fvrier 1850.

2101

536

Deuxime partie

Chapitre VI

journal conserv 2105 est rempli dobservations relatives lhistoire naturelle. Du


seul point de vue botanique le bilan est loquent, puisquau cours de ce voyage il
dcrit autant de spcimens quau cours des douze annes comprises entre 1845 et
1857. Ce regain dactivit exceptionnel ne doit pas faire oublier les buts noncs
par le naturaliste ds les premires lignes de son journal, consistant vendre un
cheptel ovin, ngocier une association de production de yerba, enfin transmettre
son certificat de vie afin de toucher sa pension.
Bien que les buts de ses voyages ne soient plus scientifiques, Bonpland
demeure toujours trs attentif aux paysages rencontrs. Ses journaux sont
frappants de par leur approche sans cesse critique du milieu. Malgr lorganisation
routinire, la narration rappelle souvent le rcit de voyage 2106 , tout fait
comparables dautres narrations 2107 . Les journaux de voyage de Bonpland sont
parfois rdigs loccasion dune excursion de quelques jours, par exemple le
temps de traverser lUruguay pour arracher quelques arbres fruitiers en territoire
argentin 2108 . Nanmoins les chemins emprunts ne le sont pas dans le but
dapprofondir une quelconque exploration, mais pour des motifs le plus souvent
pratiques 2109 , ce qui nempche pas quelques dviations inhabituelles. Bonpland

2105

Ldition de ce journal de voyage est due, rappelons-le, lexcellent travail dAlicia Lourteig
qui a retranscrit et analys ce manuscrit conserv au Musum national dHistoire naturelle ; cf.
LOURTEIG Alicia, Journal de voyage de Sn. Borja a la Cierra y a Porto Alegre, Paris, Porto
Alegre, CNRS/Fundao de Amparo A Pequisa do Estado do Rio Grande do Sul, 1978. Avec le
journal de son voyage au Paraguay effectu en 1857 et, l encore, excellemment analys par Julio
Rafael Contreras Roqu et Alfredo Boccia Romaach, il sagit des deux seuls journaux de voyage
dits ce jour. La masse des journaux de voyage de Bonpland et la qualit de leur contenu permet
denvisager dautres ditions partielles et, pourquoi pas, la reconstitution dans sa totalit dun
journal couvrant lensemble de la priode 1817-1858.
2106
Parmi de nombreuses annotations, la suivante est rvlatrice de cet esprit : luruguay
reprsente [] une mer agite et trs houleuse [] et nous gagnons avec pril de notre vie la cte
Sud de lisle [Quadrada] , AMFBJAD n 1703, voyage de So Borja dans la province de
Corrientes, 19 avril 1834. Dans la mme logique narratrice, lextrait suivant fait apparatre en outre
la connivence vis--vis dun ventuel lecteur : figurez-vous une large rivire [le ro Corrientes]
dont les deux cots ont 5 ou 8. pieds deau et dont le courant rapide charie un nombre infini de
masses de plantes celles qui fournissent si abondamment tous les lacs et les bords des rivires de
cette province : et vous verrez lembarras dun danger invitable. [] nous sommes enfin sortis
[] de cette rivire qui a cout sur ce mme point et sur beaucoup dautres la vie des voyageurs.
Les pays espagnols offrent chaque pas au voyageur des tristes souvenirs. De distance en distance
on voit des croix temoins sr qua leur pied se trouve un ou plusieurs cadavres, dindividus, noys,
assassins ou morts de maladie ; AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 17
mai 1837.
2107
DOrbigny par exemple, participe cette martyrologie ; cf. ORBIGNY Alcide d, op. cit.,
tome I, 1835, pp. 165-167.
2108
AMFBJAD n 1710, voyage de So Borja Santo Thom, 16-18 juin 1836.
2109
Cest le cas lorsque pour de se rendre Corrientes, en mai 1834, il emprunte un chemin
diffrent de celui pris deux ans et demi plus tt, simplement parce quon lui dit tre meilleur ;
AMFBJAD n 1704, voyage dans la province de Corrientes, 2 mai 1834.
537

Deuxime partie

Chapitre VI

profite de la scheresse pour emprunter un chemin normalement impraticable, afin


de se rendre de So Borja So Joo Mini. Le trajet coutumier se transforme en
petite exploration 2110 . Ce souci descriptif est une constante tout comme le sont les
rflexes

du

naturaliste :

relevs

thermomtriques,

climatologiques

et

topographiques, annotations historiques, rcollection doiseaux, et bien sr


apprciations sur la flore emplissent frquemment quelques feuillets 2111 .
Nanmoins la collecte dobjets dhistoire naturelle effectue, pour importante
quelle soit, passe au second plan des proccupations du Rochelais. Ainsi, cest en
vitant la route fluviale qui va de sa rsidence de So Borja Montevideo quil
peut rcolter 200 nouvelles plantes. Il ne suit donc aucun plan dexploration
dfini, car Des annes suivies de sjour dans un pays ne suffirait pas pour
connatre ses richesses botaniques. 2112 Aussi le travail de terrain consiste non
plus gnrer, mais complter les collections existantes.

Complter les collections


Un rapport nouveau sinstaure en effet entre le Musum et son
correspondant, ce dernier ne se cantonnant plus seulement denvois indits.
Bonpland estime que tout chantillon, connu ou non, mrite lattention des
professeurs 2113 . Il se conforme en cela aux instructions dlivres aux consuls sitt
les indpendances sud-amricaines reconnues, consistant faire parvenir en
France tout objet dhistoire naturelle. Elles lui sont remises par Mendeville, le
consul en place Buenos Aires en 1832 2114 . Ces dispositions trs gnrales
incitent Bonpland effectuer cinq envois au Musum entre 1831 et 1838. Il
profite du cinquime envoi pour indiquer que, faute dinstructions plus prcises, il
2110

AMFBJAD n 1708, voyage So Joo Mini, 27 juin 1835.


Cette numration concerne lescapade de trois jours Santo Thom. Les informations
recueillies par Bonpland sont videmment fragmentaires, mais elles trahissent cette proccupation
constante de connaissance scientifique ; AMFBJAD n 1710, voyage de So Borja Santo Thom,
16 juin 1836. Les mmes rflexes se retrouvent jusqu la fin de sa vie. En 1854 par exemple, ds
quil quitte Restauracin Bonpland commence ses relevs ; AMFBJAD n 1752, voyage de
Restauracin Santa Ana, Fragments rapporter, mars 1854.
2112
AMFBJAD s. n., Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 16 septembre 1849.
2113
M.Mrs les professeurs du Musum sont juste je le sais ; ils doivent mettre autant de prix aux
objets connus quon leur adresse qu ceux qui sont nouveaux ; AMFBJAD s. n., s. d. ;
AMFBJAD n 291, Bonpland M.-E. Chevreul, P.-L. A. Cordier et A. Brongniart, Corrientes, 28
mars 1838.
2114
AMFBJAD n 290, Bonpland A. Roger, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2111

538

Deuxime partie

Chapitre VI

compte les poursuivre en attendant que vous me dissuadiez crit-il aux


administrateurs du Musum 2115 . Conscient de lobsolescence de son apport en
matire ornithologique, surtout aprs le passage de dOrbigny qui inventorie prs
dun millier de volatiles, il dcide nanmoins dapprovisionner le Musum de
Paris, en esprant que celui-ci redistribue ensuite les spcimens aux Musums
provinciaux 2116 . Bonpland a une autre vision de son rle de correspondant ; il
estime que ses efforts doivent tre davantage mis profit. Dans ce but il rclame
une premire fois en janvier 1837, puis de nouveau en mars 1838 les outils
permettant une collaboration efficace, savoir livres et surtout catalogues des
spcimens possds par linstitution 2117 . Il lui demande encore de ne plus se
contenter dinstructions sommaires, mais de raliser un effort dautant plus grand
quil savre coteux au naturaliste. Bonpland ne sait sil doit envoyer un peu de
tout ou beaucoup de peu de graines 2118 , cest--dire sil doit privilgier le
quantitatif ou le qualitatif. Le Musum lincite poursuivre dans la voie
quantitative puisque trs peu de caisses parviennent bon port.
Dautre part, au lieu dappuyer matriellement son correspondant, le
Musum sollicite plus de rigueur concernant les descriptions remises. Les attentes
de Mirbel en ce sens sont frustres. Il reproche Bonpland de ne pas donner assez
de prcisions sur lorigine et les besoins des plantes envoyes en vue de leur
acclimatation, ce quoi Bonpland rtorque que le travail savre difficile,
coteux, tout en en reconnaissant volontiers ses lacunes 2119 . En effet, il joint

2115

AMFBJAD n 291, Bonpland M.-E. Chevreul, P.-L. A. Cordier et A. Brongniart, Corrientes,


28 mars 1838.
2116
AMFBJAD, s. n., s. d. Bonpland crit lintention du Musum : cela eut t une absurdit de
ma part pretendre trouver des objets nouveau dans un pays si connu par le sejour tout recent que
Monsieur Dorbigny venait dy faire . Suite ce premier brouillon biff, Bonpland reprend en
insistant de nouveau sur la difficult dinnover dans un pays aussi connu pour les oiseaux que
B[uenos] a[ires]. Convaincu de la gnrosit du Musum qui fournit aux tablissements des
Departements je nai eu aucune espce de repugnance de lui adresser des oiseaux quil devait
necessairement avoir.
2117
le voyageur nest pas au courant du contenu des riches galeries du Musum []. Si ce bel
tablissement ne voulait recevoir que des objets nouveaux il faudrait que les consuls et les chargs
daffaires en Amrique aient des catalogues bien faits et accompagns de bonnes descriptions.
Cela peut-tre ne suffirait pas encore parce quil nest pas donn tout le monde de pouvoir bien
determiner des objets dhistoire naturelle sans livres, sans de bonnes figures &c. ; AMFBJAD s.
n., s. d. La demande de catalogue peut tre date grce une autre lettre adresse Mirbel ;
AMFBJAD n 379, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Buenos Aires, 25 janvier 1837 ;
AMFBJAD n 291, Bonpland M.-E. Chevreul, P.-L. A. Cordier et A. Brongniart, Corrientes, 28
mars 1838.
2118
AMFBJAD n 379, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2119
AMFBJAD n 438, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 23 mars 1835 ; AMFBJAD n
291, Bonpland M.-E. Chevreul, P.-L. A. Cordier et A. Brongniart, Corrientes, 28 mars 1838.
539

Deuxime partie

Chapitre VI

lautorisation dutilisation du matriel minralogique envoy dont il remet des


chantillons pour Cuvier, Cordier, Richard et Dumril 2120 une demande afin
quun rapport et les corrections ncessaires lui soient remises en retour. Il adopte
une position de complmentarit vis--vis du travail effectu par dOrbigny
lorsquil envoie ces chantillons minraux, prolongeant le voyage de son
compatriote, en sollicitant que soient compares les roches de son voyage sur
lUruguay avec celles de dOrbigny. En remettant le catalogue au gologue
Cordier, Bonpland lui demande de parler de lensemble de son travail sil utilise
ses matriaux pour rdiger la partie gologique de la relation dAlcide dOrbigny,
en me donnant la part de ce qui mappartient 2121 . Or contrairement ce que
suppose Bonpland, Cordier nen est que le rapporteur, dOrbigny se chargeant
personnellement de cette publication. Lhommage attendu se rduit finalement
une brve citation, lauteur signifiant que son travail ne prend pas en compte laire
gographique visite par son confrre 2122 .
Une demande similaire est adresse Achille Richard concernant trois
plantes mdicinales 2123 . Plus significativement, il autorise Adrien de Jussieu
publier ce quil juge intressant en matire de botanique ; Bonpland attend aussi
de lui des prcisions sur ces matriaux 2124 . Cest un signe fort quant
lventualit dun retour en France ; Saint-Hilaire lors des envois met la
disposition du Musum tous les matriaux, sauf la botanique quil se rserve le
droit de publier 2125 . En outre, bien quil fasse part de son intention den divulguer
lui-mme une partie, le geste du botaniste signifie quil ne se positionne plus au
centre de la chane dlaboration du savoir, mais quil se peroit comme un
maillon vers la compltion des collections. Bonpland se tourne alors vers
Humboldt et vers Candolle afin de se procurer son Prodromus, car louvrage de
Willdenow quil possde est dsormais obsolte 2126 . A Humboldt il promet en sus

2120

AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos


Aires, 5 janvier 1837 ; AMFBJAD n 276, Bonpland P.-L. A. Cordier, Buenos Aires, 5 janvier
1837 ; AMFBJAD n 286, Bonpland A. Richard, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2121
Il souhaite quune correction soit effectue pice par pice, et quon lui transmette les noms
attribus aux chantillons ; AMFBJAD n 324, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 24 novembre
1836 ; AMFBJAD n 276, Bonpland P.-L. A. Cordier, Buenos Aires, 5 janvier 1837.
2122
ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome III, 3e partie, Gologie, 1842, p. 29.
2123
AMFBJAD n 286, Bonpland A. Richard, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2124
Bonpland A. de Jussieu, Buenos Aires, 25 janvier 1837, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., pp. 116-117.
2125
Cf. KURY Lorelai, op. cit., pp. 237-238.
2126
AMFBJAD n 421, Bonpland A. P. de Candolle, Montevideo, 18 mai 1840.
540

Deuxime partie

Chapitre VI

des collections la liste des lments gologiques collects, lui offrant comme
Cordier les matriaux ncessaires pour complter la publication du voyage,
esprant y joindre une carte laquelle il renonce en 1837, faute de matriel et de
temps. Mirbel lencourage toutefois poursuivre ses envois malgr un mode de
transport peu fiable, en lui indiquant de privilgier linfiniment petit 2127 .
Lanalyse nest plus entre les mains de Bonpland qui ne possde pas
linstrument principal 2128 pour leffectuer, savoir un microscope. La
diversification des sciences oblige dsormais collaborer de manire
priphrique 2129 .

B. DES AVANCEES SCIENTIFIQUES SIGNIFICATIVES


En ce temps de normalisation, lAmrique nchappe pas la rgle. Grce
aux nouvelles spcialisations effectues dans le champ des sciences humaines, et
grce laccumulation des matriaux ramens par les voyageurs, le naturaliste
devient biologiste, palontologue. Trois ans aprs la publication de son Voyage
pittoresque, dOrbigny fait diter un essai anthropologique, Lhomme amricain,
reprenant le dbat entre monognisme et polygnisme dune part, proposant un
point de vue plus prcis sur un des aspects du continent dautre part, savoir
lidentification et la classification distinctes des populations indiennes de
lAmrique du Sud. Si pour sa part Bonpland sintresse peu ltude de
lhomme 2130 , en revanche la nature quil dcrit est guide par la volont de fournir
une description gographique raisonne, mme si le manque dinstruments
disposition se fait sentir dans le rsultat final.

2127

ne vous rebutez pas. La science gagnera toujours quelque chose vos efforts , AMFBJAD
n 439, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Jardin du Roi, 27 mars 1839.
2128
AMFBJAD n 381, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840.
2129
Par exemple propos de louvrage portant sur la bryologie, de Schimper et Bruch, qui
contactent Bonpland ; AMFBJAD n 431, W. P. Schimper Bonpland, Strasbourg, 23 novembre
1835.
2130
Contrairement dOrbigny et Darwin, lesquels profitent de leur passage sur le terrain argentin
pour apporter des lments essentiels lvolution des sciences de lhomme. Mais Bonpland ne
participe pas au processus dlaboration des savoirs ; cf. GILLIPSIE Charles C., De lhistoire
naturelle la biologie : relation entre les programmes de recherche de Cuvier, Lamarck et
Geoffroy Saint-Hilaire , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER
Jean-Louis (coord.), op. cit., pp. 229-239.
541

Deuxime partie

Chapitre VI

Ltude des trois rgnes de la nature apparat dsquilibre. Sa formation


oriente Bonpland vers le rgne vgtal qui occupe la plus grande partie de son
travail. Le rgne minral nen est pas pour autant oubli bien quil ne soit pas
aussi privilgi, faute de connaissances adquates. Mme si quantitativement le
nombre dchantillons botaniques collect est vingt fois suprieur au nombre de
minraux, les deux rgnes se partagent quitablement les relevs scientifiques. Il
nen est pas de mme concernant ltude des animaux qui font figure de parent
pauvre, cause du cot de la taxidermie. Dans lensemble, lanalyse des trois
rgnes permet de mieux apprhender le fonctionnement du travail amricaniste de
ce correspondant au service denjeux scientifiques labors pour la plupart en
Europe. La ncessit de raliser un bilan des travaux de Bonpland montre aussi
que des avances scientifiques, quoique laborieuses, se produisent la priphrie,
car le Franais se heurte aux mmes difficults que ses collgues rioplatenses.
Nanmoins les rsultats sont satisfaisants car le terrain offre tout au long de son
sjour des objets dtude indits, Bonpland tant quasiment en situation de
monopole scientifique sur ce terrain 2131 .

1. Le rgne vgtal
Il sagit sans nul doute de lapport le plus important de Bonpland.
Intimement li au dsir de raliser une uvre originale, la dcouverte de nouveaux
genres ou espces est une proccupation constante du savant. La nouveaut ainsi
que lutilit des vgtaux rencontrs en sont les aspects les plus rcurrents. A ce
titre, la recherche botanique savre close ds le dbut des annes 1830. Selon
Bonpland, le terrain rioplatense est ds lors puis, ce qui explique en partie sa
volont de voyager en des lieux dj visits par ses confrres, persuad que SaintHilaire et dOrbigny nont pas tout dit, au vu du peu de temps pass sur le terrain

2131

En mai 1843, le co-fondateur de lInstitut Historique et Gographique de lUruguay, Andr


Lamas, justifie ldification de cette institution en rappelant que Estas regiones no han sido
estudiadas en ningn sentido: todo est por explorar y la Europa poco ms sabe de ellas que
merezca apreciarse, que lo que han dicho Azara y dOrbigny , cit in PIVEL DEVOTO Juan E.,
El Instituto Histrico y Geogrfico Nacional (1843-1845). Documentos para su historia , in
Revista del Instituto de Geografa Uruguaya, tome 11, 1834-1835, p. 185. La Asociacin de
amigos de la Historia Natural del Plata est cre le 6 mai 1854 Buenos Aires pour les mmes
motifs.
542

Deuxime partie

Chapitre VI

par les deux naturalistes, ncessairement insuffisant pour obtenir des descriptions
compltes. En 1837, il voque au directeur du Musum la faiblesse de ses
dcouvertes, et confirme la ncessit dun voyage de grande ampleur pour couvrir
le plus de terrain possible :
Lespace que jai parcouru est de peu dtendue et les pays que jai
visits sont tous pauvres de vegetacion si jen excepte quelques points du
Paraguay, des hautes missions et un petit point de la Province de
Corrientes

2132

Les excursions ne suffisent plus pour complter les collections au sein


dune rgion botanique marginale, mais de ce fait plus aisment descriptible.
Lensemble de ses observations permet de dresser une cartographie des
dcouvertes, ainsi que desquisser une gographie des plantes du Ro de la Plata.
Sur ce dernier point, les notes laisses par Bonpland mettent en relief un paysage
moins pittoresque quil ny parat, car il existe aux cts des grandes formations
vgtales stables un flux de migrations atypiques auxquelles Bonpland contribue.
Malgr la pauvret du terrain, le temps joue en sa faveur car il faut souvent
plusieurs annes pour obtenir une description in natura complte. En outre, la
comprhension et la mise en valeur de lespace sen trouvent renforcs.

Une moisson de dcouvertes


Le terme de redcouvertes serait plus propice pour qualifier un travail
rcurrent, car lobservation doit seffectuer au cours des stades successifs du
dveloppement vgtal, et par consquent diffrentes saisons. En ce sens la
dcouverte prend du temps, et sapparente davantage une enqute patiente qu
une succession de dcouvertes, ayant pour but de rduire la marge dimprcision
ou derreur 2133 . La recherche du mayz del agua illustre lextrme ce lent
processus. En effet, Bonpland esquisse ds 1818 une premire description de la
plante, grce aux graines remises par Muoz et au fruit obtenu la mme anne.
2132

AMFBJAD n 278, Bonpland au directeur du Musum Royal dHistoire naturelle, Buenos


Aires, 5 janvier 1837.
2133
Cette marge est trs faible concernant Saint-Hilaire. Elle est par contre beaucoup plus grande
pour la partie botanique du voyage de dOrbigny touchant les mmes pays que ceux parcourus par
Bonpland, puisque dans 20% des cas la description est incomplte, ou ne peut tre effectue
quaprs le retour grce au microscope.
543

Deuxime partie

Chapitre VI

Lenqute peut avancer, Bonpland le classant et dclassant alternativement du


genre nelumbium 2134 , mais ne se clt pas avant le 27 mai 1837 lorsque, grce
laide de Pedro Ferr 2135 , il est en mesure de rdiger un mmoire complet
envoy en mars 1838 Paris 2136 . Mais en 1839, Mirbel est toujours dans lattente
du mas de leau et des observations de Bonpland ce sujet. Ce dernier ne reoit
pas de rponse, aussi en 1854 fait-il part de sa disposition envoyer dautres
renseignements relatifs une plante que jai tudie depuis trente-trois ans 2137 .
Encore convient-il dy ajouter les observations ralises lors du voyage au
Paraguay de mars 1857 2138 . Aprs autant annes dinvestigations, le rsultat peut
paratre laborieux, mais nest pas exceptionnel. A titre dexemple, lanalyse du
mimosa timbo, poison violent, stend de 1820 1845. A cette premire date, on
lui assure que le vgtal ne fleurit ni ne fructifie, certainement en raison de la
brivet des deux processus 2139 . Il faut attendre le mois davril 1845 pour que
Bonpland puisse dcrire le fruit, aprs avoir observ la fleur quelques annes
auparavant. Nanmoins, ltude comparative du genre timbo se poursuit jusquen
dcembre 1850 2140 .
Aprs trente ans dtudes, le travail demeure une constante redcouverte.
Le procd ressemble dailleurs un ternel recommencement, comme en
tmoigne lexemple de lIbirahobi guaz. Bonpland dcrit le fruit Santa Ana en
1821, puis les feuilles Itapa en 1829. Lchantillon, envoy Paris en 1832,
prsente toutefois quelques diffrences avec un autre fruit trouv au nord de So

2134

En octobre 1836, il ralise un petit voyage au Chaco avec Pedro Ferr pour trouver le mas de
leau, sans succs. Le 23 mai 1837, Ferr le rencontre enfin et le 27 Bonpland rdige un mmoire ;
MNHN, ms203, Journal de botanique ; AMFBJAD n 147 et 543, Buenos Aires, septembre 1818,
Ca Cat, mai 1821. Il sagit de la Victoria cruziana dOrb, trs voisine de la Victoria regina
dcouverte en Guyane par Lindley. Bonpland lavait class entre les genres Nelumbum et
Nymphea ; cf. DEMERSAY Alfred, Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et
des tablissements des jsuites, tome 1, p. 162.
2135
AMFBJAD n 379, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Buenos Aires, 25 janvier 1837 ;
AMFBJAD n 107, P. Ferr a Bonpland, Lomas, 24 de abril de 1837.
2136
AMFBJAD n 379, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Buenos Aires, 25 janvier 1837 ;
AMFBJAD n 107, op. cit. ; MNHN, ms 203, op. cit., n 147 ; Bonpland C.-F. Brisseau de
Mirbel, Corrientes, 24 mars 1838, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., pp. 124-125.
2137
AMFBJAD n 881, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 26 dcembre 1853.
2138
CORDIER Henri (comp.), Papiers indits du naturaliste Aim Bonpland conservs Buenos
Aires, tome II, Journal de botanique, Trabajos del Instituto de Botnica y Farmacologa, Facultad
de Ciencias Mdicas de Buenos Aires, n 42, Buenos Aires, Peuser, 1914, description n 2859.
2139
Le phnomne nest pas rare. En 1825, de visite Sante Mara de Fe, Bonpland observe que
sur 1000 habitants pas un [na] vu en fleur la schotea encienso leguminosa ; MNHN, ms 204,
n 839.
2140
MNHN, ms 203-206, journaux de botanique ; AMFBJAD n 415, 1749, 2049, 2107, 2202,
2505.
544

Deuxime partie

Chapitre VI

Borja, en 1843. Puis, cest en faisant abattre des arbres San Mateo, au mois de
dcembre 1846, quun de ses ouvriers paraguayens assure Bonpland que cet
arbre se trouve ici. Aussi dcide-t-il dattendre quil soit en fruits pour sen
assurer 2141 Plutt que de temps court ou long, il est prfrable dvoquer ce
sujet une chronologie dense ou tire refltant une volution scientifique en
pointills. Les exemples sont lgion, aussi est-il prfrable den effectuer la
moyenne partir de lensemble des journaux de botanique. La localisation et la
description des plantes constituent la partie des tudes la plus longue. Il faut
Bonpland plus de 16 ans pour complter la localisation de 17% des spcimens
quil possde. Le mme ordre de temps et de spcimens observs concerne la
description puisque pour 15% des plantes, 17 ans et demi sont ncessaires afin
den connatre les caractres.
Cette similitude quantitative et temporelle sexplique par les diffrences de
caractres que prsente la flore selon le lieu. Le cas se prsente lapproche de
Corrientes, sur les bords du ro Peguai, o il dcouvre une espce durundey
identique celui des missions brsiliennes, mais ne croissant jamais comme celui
du Paraguay ; il suppose quil sagit de deux espces diffrentes 2142 , nayant pas
envie daller vrifier sur place A la difficult du travail comparatif sajoute la
raret des spcimens tel est le cas du mas de leau rencontrs au hasard de
voyages ntant pas exclusivement consacrs et prpars ltude botanique.
Attendu par le gouverneur de Corrientes sa sortie du Paraguay, press par la
promesse faite celui-ci de se rendre le plus tt possible dans la capitale de la
province mais retard par les soins mdicaux quil doit dabord dispenser So
Borja, Bonpland ne peut sattarder entre les ros Pay Ouvr et Batel, quoiquil y
remarque une abondance de vgtaux dignes dtre visits doucement et avec le
plus grand soin 2143 . Cest ce quil fait dans les missions portugaises. Il parcourt
patiemment la zone et aprs plusieurs tentatives il est en mesure, au mois
doctobre 1835, danatomiser un nouveau genre qui aura sans doute fait
travailler vainement bien des botanistes 2144 .
Nanmoins les rcoltes savrent le plus souvent promptement effectues
et divulgues. A ce titre, le sjour forc au Paraguay est une norme parenthse
2141

MNHN, ms205, n 2217, missions portugaises, dcembre 1846.


AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 5 janvier 1832.
2143
Ibid., 1er janvier 1832.
2144
MNHN, ms 205, n 1939, missions portugaises, octobre 1835.

2142

545

Deuxime partie

Chapitre VI

scientifique prendre en compte pour expliquer les longs dlais ncessaires


lachvement de la description de certaines espces, mais aussi loccasion pour un
naturaliste dobserver la flore locale pour la premire fois depuis Azara, et surtout
depuis la prise de pouvoir de Jos Gaspar Rodrguez de Francia 2145 . Les
rcollections effectues au cours de sa dtention possdent pour cette raison
dautant

plus

de

valeur,

bien

quelles

soient

forcment

rduites

proportionnellement limmobilit force de Bonpland. En Europe, on espre


beaucoup de ce sjour involontaire :
il soccupe toujours avec ardeur complter les nombreuses collections
en Zoologie, Ichthiologie, minralogie, etc. quil fait dans ce pays, et
dont plusieurs espces sont entirement inconnues en Europe ; il cultive
la chimie [].M. Bonpland sera rendu quelque jour aux vux de ses
amis, et les sciences auront gagn par son sjour au Paraguay.

2146

Or, le gouvernement paraguayen ne lautorise effectuer quune seule


excursion jusquau ro Tebiquari, puis en 1829 et 1830 il lui est permis
dherboriser aux environs de Itapa, sa nouvelle rsidence. Au total, moins de 4%
des plantes recueillies par Bonpland le sont au Paraguay, alors quil y demeure
presque le quart du temps coul entre 1817 et 1857, sachant aussi que ds le
dbut des annes 1840 le botaniste nest presque plus en activit. La rupture est
encore plus nette si lon compare le travail effectu entre 1817 et 1821, avant sa
dtention. En effet, Bonpland a une activit scientifique de 450% suprieure
durant un laps de temps quasiment deux fois moindre celle dveloppe entre
1822 et 1830. On ne saurait parler dans ces conditions dun botaniste
panoui 2147 au Paraguay, son activit en la matire atteignant un seuil

2145

Cest Rengger qui, le premier, donne connatre cette flore ; cf. CHODAT Robert, HASSLER
Emile, Aperu de la gographie botanique du Paraguay , in Neuvime Congrs international de
Gographie. Genve, 27 juillet-6 aot 1908. Extrait du compte rendu des travaux du Congrs,
Genve, s. e., tome II, 1910, p. 2.
2146
Bulletin de la Socit de Gographie, premire srie, tome IV et V, n 29 et 37-38, septembre
1825 et mai-juin 1826, pp. 200, 661.
2147
Cf. DOMINGO KAPITANIAK Paola, Aim Bonpland (1773-1858) au Paraguay : prisonnier
malheureux ou botaniste panoui ? , in GOMEZ Thomas (dir.), Humboldt et le monde
hispanique, Paris, Publications du centre de recherches Ibriques et Ibro-amricaines de
lUniversit de Paris X - Nanterre, 2002, pp. 197-204. Bonpland explique lui-mme la raison de
cette baisse dactivit : le court espace de terrein que jhabitais, ma qualit de prisonnier, le
manque absolu de papier et des raisons polytiques mont empch de suivre mes travaux comme je
le desirais. Cependant constamment occup dagriculture et de medecine autant par gout que par
besoin je nai pas laiss de me procurer les plantes les plus utiles du Paraguay et dobtenir tous les
renseignements ncessaires leur utilit , AMFBJAD n 278, Bonpland au directeur du Musum
Royal dHistoire naturelle. Buenos Aires, 5 janvier 1837.
546

Deuxime partie

Chapitre VI

minimal 2148 . Lauteure de cette expression se base sur ltude qualitative des
journaux de botanique pour affirmer que Bonpland poursuit une activit
scientifique gale celle mene avant et aprs sa dtention. Il nuance toutefois ce
propos en faisant remarquer le ralentissement du rythme des rcollections, dont la
cause provient selon lui du dcouragement du botaniste poursuivre des
recherches qui ne serviraient aucun muse, aucun savant, aucun amateur de
sciences naturelles . Or, aprs sa libration, Bonpland connat dautres priodes
dactivit trs rduite, bien quil soit en mesure de divulguer ses rsultats. En
outre, lauteur affirme que Bonpland nhsita pas braver les interdits et
commena ramasser de nouvelles plantes de plus en plus loin , ce que ntaye
aucun document. Les seules excursions ralises le sont aprs autorisation des
autorits. De la mme manire, Bonpland rduit considrablement ses collectes au
cours des annes suivantes simplement parce que le terrain est puis.
Le regain dactivit constat un mois aprs sa libration est donc plutt le
contrecoup de plusieurs annes de privations de matriaux. Bonpland obtient le
soutien effectif des autorits locales pour herboriser et en envoyer immdiatement
le produit en France. Ds le mois de juin 1831, soit quatre mois aprs sa sortie du
Paraguay, il adresse de So Borja une premire caisse de plantes. Lors du voyage
entrepris de Corrientes Buenos Aires au dbut de lanne 1832, Bonpland fait un
dtour Santa Fe pour se rendre chez Jos Santos Maciel afin dy reconnatre la
plante merveilleuse ditte rayz del Guaycuru 2149 , vendue Buenos Aires pour des
vertus mdicinales quil met en doute. Il la classifie comme une nouvelle espce
de quassia et demande nanmoins que des analyses soient ralises Paris pour en
vrifier les proprits 2150 . A lexemple de cette plante, il s'emploie remettre les
nouveaux genres et espces dont il dcouvre trs peu de spcimens, reprsentant
peine 2% du total de sa collecte. Ainsi ds 1832, il annonce lenvoi de deux
nouvelles espces de convolvulus qui ont les proprits du jalap, les corces de
trois espces nouvelles dun genre de la famille des simarubaces ayant
lamertume du sulfate de quinine, et dun nouveau genre de la famille du quassia
et du bonplandia trifoliata cr en son honneur par le directeur du jardin
2148

Cf. graphique n 13, p. 555.


AMFBJAD n 1696, voyage lestancia de Jos Santos Maciel, 20 fvrier 1832.
2150
AMFBJAD n 278, HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., p. 112, Bonpland au Directeur du
Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos Aires, 5 janvier 1837 ; AMFBJAD n 286, Bonpland
A. Richard, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2149

547

Deuxime partie

Chapitre VI

botanique de Naples, Michele Tenore, aprs que Bonpland lui en ait envoy des
graines par le truchement de Pedro de Angelis 2151 .
Toutefois, les dcouvertes samenuisent avec le temps, en vertu de quoi les
envois au Musum savrent rptitifs non seulement pour des raisons de scurit
le transport tant hasardeux mais aussi par manque de matire. En effet,
lessentiel des rcollections seffectue sur le terrain des missions que Bonpland
puise rapidement. Il se tourne alors vers le Chaco o il effectue deux excursions
en compagnie de Pedro Ferr en octobre 1836 et mars 1838, remmenant avec lui
quelques chantillons dun arbre inconnu 2152 . En mai 1837, se trouvant
Corrientes, il ne peut se rendre dans le Chaco pour observer larbre nomm
curundey ou palo de lanza car il est utilis pour fabriquer des lances mais peut
en dcrire un certain nombre dchantillons 2153 . Si Ferr profite des liens
commerciaux tisss entre Correntinos et Amrindiens, les deux compadres ne
peuvent saventurer loin lintrieur dun territoire o les relations demeurent
fragiles et majoritairement conflictuelles2154 . Aussi le botaniste sen remet-il de
plus en plus au hasard des voyages pour herboriser. De cette manire, il reconnat
dans la ville de Corrientes un casuarina de Nouvelle-Hollande qui devient
rapidement un objet de curiosit, et se propage grce ses soins 2155 . Outre les
missions jsuites, les lieux habits sont des lieux priss pour recueillir des
spcimens nouveaux. Les estancias ou les pueblos fournissent tous deux quelques
matriaux dimportance 2156 , car ils forment des noyaux ruraux jouant le rle de

2151

AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832.


Cet arbre, nomm haya par les Correntinos, est trouv sans fleur ni fruit ; AMFBJAD n 291,
Bonpland M.-E. Chevreul, P.-L. A. Cordier et Brongniard, Corrientes, 28 mars 1838.
2153
Bonpland le rapproche de lespce colletia ou quina des Riograndenses ; MNHN, ms 205,
1843 (1837), n 2145 ; AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 8 mai 1837.
2154
Cf. TRINCHERO Hctor Hugo, Civilizacin y Barbarie en las fronteras de la Nacin. El
Chaco central, Buenos Aires, Eudeba, 2000, pp. 123-129.
2155
AMFBJAD n 294, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 5 avril 1838 ;
AMFBJAD n 381, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840.
2156
Chez Matheo Vicilla, il trouve enfin la batatilla, une nouvelle espce de menthe plus
aromatique que celle observe dans le jardin de Thedy Buenos Aires, des arbres de cina cina
dont il regrette de ne pouvoir prlever dchantillon ni de vrifier sil a une odeur ftide. A
proximit de lestancia de Juan Altamirano il trouve une nouvelle espce deuphorbe racines
tubreuses, proche du muchoacan du Paraguay. Son passage lestancia de Pedro Cabral lui
permet dtudier deux plantes : une euphorbe semblable celle trouve antrieurement, et une
oxalis, la muyquichi des Guaranis, mange par les naturels et surtout par les enfants. La chapelle
de Mercedes regorge dchantillons de bois comparer avec libirau de Corrientes, AMFBJAD n
1718, voyage de Buenos Aires Concordia, 16 mars 1837 ; AMFBJAD n 1719, voyage de
Concordia Curuz Cuati, 18-19 mai 1837.
2152

548

Deuxime partie

Chapitre VI

conservatoires de la nature 2157 . Les dcouvertes faites en ces lieux sont dautant
plus significatives que lintrt de Bonpland vis--vis des plantes utiles,
spcialement prsentes dans ces zones, augmente comme le montrent les envois
effectus entre 1831 et 1838 2158 . Malgr lamoindrissement des dcouvertes, le
bilan nen est pas moins satisfaisant en vue dlaborer une gographie des plantes.

Llaboration dune gographie des plantes


Dans ce domaine on ne peut que regretter labsence de publication, tant les
observations de Bonpland sont riches et mriteraient une tude approfondie, afin
de reconstituer au plus prs ltat de la vgtation de la premire moiti du XIXe
sicle et de pouvoir la comparer avec lactuelle, afin dallier gographie et histoire
des plantes. Participant avec Humboldt la naissance de la Gographie des
plantes louvrage et la science le botaniste ne nous lgue que des fragments.
Pourtant lorsquen 1832 il dcide de remettre au Musum lherbier ralis entre
1799 et 1804, il en conserve une partie pour le guider dans llaboration dune
gographie des plantes 2159 . Celle-ci prend donc en compte les pays visits lors du
premier voyage, essentiellement le Mexique et le Prou. Si les comparaisons entre
la flore rioplatense et mexicaine ou pruvienne demeurent rares, elles sont en
revanche trs tales dans le temps 2160 , ce qui prouve que les travaux de Bonpland
conservent une perspective continentale. Outre les pays parcourus par le botaniste,
quelques remarques concernent aussi la flore du Chili. Travail comparatif par
essence, la botanique permet Bonpland daccumuler les donnes thoriques et
pratiques.
Le terrain quil dcouvre en 1817 ltonne par la faible nombre de plantes
indignes. Beaucoup sont cultives, acclimates, ce dont il se flicite en bon

2157

Cf. VAZQUEZ DE CASTRO ONTAON Miguel (dir.), Jos Snchez Labrador y los
naturalistas jesuitas del Ro de la Plata, Madrid, MOPU, 1989, pp. 247-258.
2158
Cf. supra, pp. 534-537.
2159
AMFBJAD n 291, Bonpland M.-E. Chevreul, P.-L. A. Cordier et A. Brongniart, Corrientes,
28 mars 1838.
2160
Elles concernent les annes 1817, 1818, 1821, 1831, 1832, 1838, 1849, 1854 et 1855 ; cf. les
descriptions des journaux de botanique n 67, 210, 547, 984, 2354, 2607, 2826. En sus des
journaux de botanique, divers documents contiennent aussi des remarques similaires qui ne sont
pas ensuite intgres dans les journaux de botanique. Au paso de Camacua sur le chemin de So
Borja, il observe lescobedia de la flore du Prou ; AMFBJAD n 1701, journal, notes diverses,
1833-1835, Il sagit probablement du 14 octobre 1833, comme lindiquent ses journaux de voyage.
549

Deuxime partie

Chapitre VI

physiocrate, l o dautres y voient une consolation pour les yeux 2161 . La pnurie
de vgtaux nempche pas une attention constante, vis--vis dun curupay rue
Tucumn ou de chnes Barracas prs de la maison des Atckinson, plants il y a
plus de vingt ans par Martn Luis de la Pea. Place du Retiro, Bonpland trouve
mme un molle dont lespce et lusage restent dterminer 2162 . La ville de
Paysand offre une abondance de plantes cultives, parmi lesquelles figurent
depuis peu en 1837 des orangers. De mme, les jardins de la ville de Rosario, en
croissance, offrent de beaux arbres fruitiers rcemment acclimats 2163 .
Nanmoins, ce terrain savre peu propice aux dcouvertes. En 1817, aprs un
mois de travail aux environs de Buenos Aires, sa premire impression est celle
dune terre donnant peu darbres autochtones 2164 . Le constat est corrobor par
Darwin et dOrbigny qui eux aussi remarquent que la plupart des arbres sont
acclimats 2165 . En remontant lUruguay, la flore nest pas plus riche. Du port la
ville de Paysand il contemple une triste vgtation , qui devient presque nulle
entre ce port et la Calera del Barqun 2166 . La critique npargne pas sa zone de
recherche de prdilection. Entre San Mateo et So Borja, Bonpland dnonce la
pauvret des forts qui noffrent pas darbres de valeur 2167 . Pas didalisation ni
de gnralisation dans la lecture du paysage, mais des nuances paysagistes trs
fines.
Ainsi la description de lle de Martn Garca, lembouchure du Paran et
de lUruguay, met en valeur la spcificit de sa vgtation ne de sa position
gographique qui lui permet de bnficier des apports des deux grands fleuves
2161

A Montevideo, Arsne Isabelle reposait [sa] vue en la fixant sur les arbres et les plantes
trangres ornant les jardins. Sur ce point, Montevideo et Buenos Aires offrent le mme aspect
pittoresque .
2162
AMFBJAD n 1716, sjour Buenos Aires, 1837.
2163
Parmi lesquels des pchers et des abricotiers ; AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires
Concordia, 15 mars 1837.
2164
A propos du Omb, il note : Cet arbre parat-tre le seul originaire de ces contres ; on le
trouve dans le voisinage de toutes les maisons. Son bois [] noffre aucune espce dutilit ,
MNHN, ms 203, op. cit., n 32. Il trouve ensuite le Tapa, n 37, qui semble originaire de Buenos
Aires bien quil ait les caractres du zizyphus dEurope. Les environs de Buenos Aires sont
qualifie de campagnes striles , HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 90, AMFBJAD s.
n., Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832 ; AMFBJAD n 278, HAMY Thodore
Jules Ernest, op. cit., pp. 104-114, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle,
Buenos Aires, 5 janvier 1837.
2165
DARWIN Charles, op. cit., tome I, p. 53 ; ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, p. 469.
2166
Elle se rduit des inga, phyllanthus et saules ; AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires
Concordia, 15 mars 1837.
2167
Il ny a que des angico et des arbres de moindre valeur , quelques timbos de peu de valeur,
des tapar, et seulement quelques beaux arbres de canela ceibo ; AMFBJAD n 1710, voyage
de So Borja Santo Thom, 18 juin 1836.
550

Deuxime partie

Chapitre VI

rioplatenses. Martn Garca est le premier lieu depuis Colonia ville aux abords
de laquelle il mne une excursion sans y dnombrer ni un arbre ni
arbrisseau 2168 o se trouvent de grands arbres et en grand nombre, ainsi quune
vgtation rappelant celle des tropiques. Bonpland peut y dcrire outre des
lauriers, saules et des mimosas, des timbo, caaobiti, canelon, et un grand nombre
de plantes du Paraguay et de Corrientes sans doute ramenes par les courants,
infre-t-il en 1818 puis en 1832. Les vgtaux trouvs dans le Nord ds 1821
confirme son jugement, puisquil en recense plusieurs dj trouvs Martn
Garca 2169 . Arsne Isabelle fait allusion cette le intressante pour les
naturalistes en raison de la varit des insectes et des plantes sy trouvant 2170 ,
sans donner plus de prcisions. Il sattarde encore moins sur les les voisines de
Higueritas, tandis que Bonpland y dnombre une flore abondante et presque
autant intressante que celle de Martn Garca, ne serait-ce que parce quelles
contiennent des spcimens misioneros 2171 .
Linvestigation le ramne souvent autour des Missions, qui peuvent en tre
considres comme le centre et la rfrence. La figure ci-dessous montre que cette
aire gographique comprenant les actuels Paraguay, Rio Grande do Sul et
Missions, couvre la moiti des travaux de Bonpland.
Graphique n 12
Localisation des descriptions botaniques effectues par Bonpland (1817-1858)

2168

AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 14 octobre 1832.


AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 1er janvier, 29-31 mai, 10 et 26 juin 1821 ;
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 15 octobre 1832.
2170
ISABELLE Arsne, Viaje a la Argentina, Uruguay y Brasil, 1830-1834, Buenos Aires, Emec,
2001 (1835), pp. 151-152.
2171
Il les rcolte presque toutes ; AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires Concordia, 11
mars 1837.
2169

551

Deuxime partie

Chapitre VI

MissionsChaco

Buenos Aires

Entre Rios
Rio Grande do Sul

Corrientes
Paraguay

Uruguay

Source : MNHN, ms 203-206, AMFBJAD n 2045.

Dun point de vue climatique dabord, les Missions offrent le plus


davantages selon lui, alors que le climat froid en offre le moins ; le tempr
tient le milieu 2172 . Il compare le climat de Santa Luca lair doux et
salutaire des Missions 2173 . Dans le Paran de las Palmas, prs de Buenos Aires,
il dcrit des orangers malades et incomparables ceux des Missions 2174 . Les
descriptions sont plus nombreuses et amnes lorsquil sen approche, que ce soit
en venant du Paran ou de lUruguay. La premire confrontation en juin 1821 le
marque profondment ; il situe ds ce moment, sous langle de la
phytogographie, la frontire ouest des Missions San Borgita : On peut donc
dire que cest ici que commence la vgtacion de Missiones 2175 . Saint-Hilaire,
dans la mme dmarche, assigne le ro Ibicui comme limite sud de cette
rgion 2176 . Bonpland complte cette frontire au sud-ouest, en fixant aux ros

2172

AMFBJAD n 1215, projet de complexe agricole bonaerense, Buenos Aires, 21 juillet 1832.
AMFBJAD n 1727, journal, voyage San Roque, 19-22 janvier 1840.
2174
Ce sont les mmes qui, en 1819, produisent un effet dautant plus beau quils sont dans ce
moment garnis de feuilles et de fruits. AMFBJAD n 2044, Journal, 28 aot 1819 ; AMFBJAD
n 1714, voyage Buenos Aires, 1836.
2175
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 19 juin 1821. Bonpland en est merveill.
2176
SAINT-HILAIRE Auguste de, op. cit., tome I, p. LXII.

2173

552

Deuxime partie

Chapitre VI

Curupaiti et Yatai 2177 la limite entre la vgtation de Corrientes et celle des


Missions. A ces endroits il voit les premiers espinillos, algarobos et andubay,
espces

correntinas

vgtation marque

une

caractristiques.
frontire

qui

phytogographie mais aussi de la gologie

Au
ne
2178

Yatai
relve

le
pas

changement
seulement

de

de
la

. En venant du Sud par lUruguay,

Bonpland ne donne pas de limite aussi prcise, mais constate plutt un


changement progressif. Aprs le ro Negro, alors quil se rend dans un bras de la
rivire, il voit les premiers palmiers semblables ceux du Paran Guaz et libauyta du Paraguay, les premiers bambous, et une vgtation encore mixte 2179 . A

hauteur de la Calera del Barqun le vgtation devient plus majestueuse avec


des saules, phyllanthus, solanes, ibapuyta, sarandi. Aprs la ce lieu, les palmiers
se regroupent en forts, et en continuant jusqu la vuelta de San Jos, les saules,
nigas et sarandis sont plus volumineux 2180 . Sur la cte de lEntre Ros, un peu

avant le ro Guaviy, il observe un grand nombre de plantes indignes du


Paraguay, mais ny voit pas le signe de lentre dans la zone subtropicale 2181 .
Enfin, de Concordia au ro Mandizobi les prairies ont comme de La Cruz au
Curupitati une grande ressemblance avec celles des Missions 2182 .
Toutes ces observations seffectuent au fil de leau ; cette gographie
fluviale est une autre caractristique de la mthode de travail de Bonpland. Il
ne peroit souvent que le fond de la vgtation, par exemple lorsquil distingue
sur la cte des gramines au cours dune navigation entre Colonia et Martn
Garca 2183 . Si, de Buenos Aires au ro Gualeguaych, il parvient diffrencier les

2177

La frontire marque par Bonpland est dans un premier temps plus gnrale puisque, crit-il,
ici commencent les espinillos, les aromos, mandobai, qui forment une grande partie de la
vgtation de lEntre Ros, de Corrientes et de la Bande Orientale. Ses voyages postrieurs
lamnent rduire cette frontire la seule province de Corrientes, en lajustant la frontire
politique ; AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 25 dcembre 1831.
2178
Au Yatai il est frapp de laspect nouveau que prsente la campagne : de La Cruz jusquau
Yatay, toute la campagne est une plaine ondule couverte de paturages [] parseme de
ruisseaux []. Au yatai le sol et la vegtation changent subitement. Ce changement
saccompagne dune dtrioration de la qualit de leau, qui devient saumtre. De la Cruz jusquau
Curupaiti, les pturages sont quasiment identiques ceux des Missions ; AMFBJAD n 1695,
voyage de So Borja Corrientes, 25 dcembre 1831 ; AMFBJAD n 1711, op. cit., 18 septembre
1836.
2179
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 20-21 octobre 1832.
2180
Le fond de la vgtation est form par les saules, mimosas, caa obeti, palo amarillo, ingas et
sarandis. AMFBJAD n 1737, voyage de Corrientes Montevideo, 21 novembre 1840.
2181
AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires Concordia, 14-18 mars 1837.
2182
chaque pas on trouve les gramines tiges et feuilles dures des Missions ; AMFBJAD
n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 6 avril 1837.
2183
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 15 octobre 1832.
553

Deuxime partie

Chapitre VI

pieds de iboa puyta, de laurel negro et mini et de sapayos qui se trouvent dans les
les proches, les marais et la vgtation de la cte entrerriana apparat seulement
plus claire que celle de la Bande Orientale, les terrains de la premire tant
plus bas et moins couverts de vgtation 2184 . En remontant le Paran jusqu la
Capilla del Seor, la frontire paraguayenne, les nombreuses les discernes sont
boises , dune belle verdure , les saules en formant le fond 2185 . Cette
gographie de cabotage quoique superficielle lui permet nanmoins
desquisser une tude comparative des provinces irrigues par les deux grands
fleuves, dont les conclusions mettent en vidence la relative pauvret de la
Msopotamie argentine 2186 et de la rpublique uruguayenne vis--vis de ses
voisines chaqueas, riograndenses et paraguayennes. Il crit en 1840 quil existe
une grande identite de vegetacion entre la province de Corrientes, lEntre-rios,
la bande orientale et le Paraguay , celui-ci tant le plus riche de tous et devant
tre explor parcimonieusement. En 1853, il voque encore la pauvret des
rgions visites 2187 . Nous nous bornerons nous aussi ces conclusions, sans plus
dtailler les travaux raliss par le botaniste dans la province de Corrientes,
ltendue de ceux-ci nous loignant trop de notre propos 2188 .
En mme temps que nous soulignions en prambule lexamen de la
gographie des plantes de Bonpland quune tude exhaustive sur ce point restait
produire, la perspective continentale de cette gographie tait mise en avant. Aussi
pour clore cet examen sagit-il dvoquer laspect transnational ou interprovincial
qui se dgage de ses observations. Prsentes tout au long de son sjour dans le Ro
de la Plata, elles sont en revanche beaucoup plus rcurrentes que les
considrations continentales. Outre les comparaisons strictement gographiques,
2184

AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires Concordia, 13 mars 1837.


AMFBJAD n 1690, voyage dans la province de Corrientes, 15 mai 1834.
2186
La Msopotamie argentine est une division gologique comprenant Entre Ros, Corrientes et
Missions. Bonpland ne raisonne pas en ces termes, car il identifie une formation spcifique
couvrant les Missions argentines, brsiliennes et paraguayennes. Or du point de vue botanique, la
Msopotamie ne prsente pas dunit. Elle est incluse dans la grande formation du bassin ChacoParanaense incorporant en outre le Chaco, Santa Fe, une grande partie de Formose, Santiago del
Estero, Crdoba et Buenos Aires, ainsi que des secteurs de Salta, Tucumn, San Luis ; cf.
FERNANDEZ GARRASINO Csar A., VRBA Ana, Estructura del tope de la Formacin Serra
Geral (Neojursico-Eocretcico) en la Mesopotamia argentina y adyaciencias , in Actas del 14
Congreso Geolgico Argentino, Buenos Aires, s. e., tome 1, 1999, pp. 185-188.
2187
AMFBJAD n 328, HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 174, Bonpland Humboldt,
Montevideo, 30 dcembre 1840, 25 dcembre 1853.
2188
Bonpland subdivise les formations vgtales de la province. Le thme est en partie abord lors
du chapitre suivant, principalement concernant les usages conomiques voire mdicinaux de
certains de ces vgtaux. Cependant il reste un travail considrable raliser, lequel serait
grandement facilit par une collaboration avec les chercheurs argentins concerns.
2185

554

Deuxime partie

Chapitre VI

laspect onomastique est une autre partie du travail moins connue bien
quimportante. En effet les noms des vgtaux changent dune population
lautre, bien sr entre lAmrique hispanique et lusophone, mais aussi au sein de
la premire. A Curuz Cuati, dans la province de Corrientes, il trouve le mme
colletia que celui des Missions, mais nomm ici coronilla, et quina par les

Brsiliens. Les vgtaux portent deux ou trois noms diffrents, en y ajoutant le


patronyme scientifique 2189 . Cette pratique savre profitable lorsquil est charg
denvoyer des chantillons pour les acclimater dans la colonie dAlger, au cours
des annes 1850. Au total, la gographie de Bonpland savre minutieuse, prcise
et ample.

Un travail clos ?
Cette question se pose ds 1832, car il constate ds ce moment la pauvret
de cette partie de lAmrique, confirme par ses recherches ultrieures. Son
herbier, reconstitu partir de 1829 lorsquil dispose des moyens adquats
Itapa augmente considrablement en 1831 et 1832, puisquil compte alors 2
500 3 000 espces. Signe du regain dactivit, son travail est enfin la veille
de se terminer car il espre possder 3 000 chantillons aprs le voyage aux
missions brsiliennes projet en 1833, et dispose de presque toute linformation
ncessaire en matire dagriculture 2190 . En 1840, le voyage la Bande Orientale
effectu en compagnie de militaires franais ne lui offre que deux nouveaux
spcimens Aussi peut-il raffirmer Humboldt : jai tout ramass, jai tout
dcrit 2191 . Le graphique suivant confirme ses dires.
Graphique n 13
2189

Entre So Borja et le Miriay, les marais sont couverts de panicum gigantum, la fameuse
portadera du Paraguay ou Santa Fe des Portugais qui sert couvrir les maisons. Vers So Joo
Mini, il tablit un petit glossaire hispano-portugais : lencienso, libirapera, le palo de cutia
hispaniques correspondent aux carioba, guirapia pua et cupania des lusophones ; AMFBJAD n
1695, voyage de So Borja Corrientes, 25-27 dcembre 1831 ; AMFBJAD n 1300, journal
mdical, 23 juillet 1833.
2190
AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
2191
AMFBJAD n 328, Bonpland Humboldt, Montevideo 30 dcembre 1840.
555

Deuxime partie

Chapitre VI

Echantillons botaniques dcrits


1817-1839
300

Nombre d'chantillons

250

200

150

100

50

1817 1818 18191820 1821 1822 1823 1824 18251826 1827 1828 1829 1830 18311832 1833 1834 1835 1836 18371838 1839
Annes

Source : MNHN, Ms 203-205

En effet, on distingue nettement les diffrentes phases de son activit


scientifique 2192 . Les trois premires annes correspondent principalement au
travail effectu aux abords de Buenos Aires, lanne 1818 savrant plus fconde
tant donn lexcursion effectue sur les les et lembouchure du Paran. En
1820 et 1821, le voyage aux Missions est tout fait reprsentatif de lavance
brutalement stoppe en dcembre 1821. Si lanne 1822 est encore productive, ce
nest d qu la nouveaut du terrain, tout comme en 1829 lorsque Bonpland
sinstalle Itapa. Si les annes 1833-1839 ne sont pas striles, elles sont loin de
rpondre aux exigences du botaniste. Le regain not en 1834 a pour cause un
second voyage Corrientes par Curuz Cuati, moins prcipit aprs celui
effectu en toute hte et sous escorte la fin de lanne 1831 et au dbut de 1832,
en vue de rencontrer le gouverneur de la province. Mais dune manire gnrale le
travail semble donc bien achev, comme le montre le graphique suivant.

Graphique n 14
2192

Une premire synthse chronologique a t ralise par KRAPOVICKAS Antonio, Historia


de la botnica en Corrientes , in Boletn de la Sociedad argentina de Botnica, vol. XI, 1970, pp.
252-255.
556

Deuxime partie

Chapitre VI

Echantillons botaniques dcrits


1840-1857
250

Nombre d'chantillons

200

150

100

50

1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856 1857
Annes

Source : MNHN, ms 205-206, AMFBJAD n 2045.

Si en 1840 la mort de Francia lui ouvre de nouveaux horizons, cest


nanmoins son premier voyage Montevideo qui fournit alors Bonpland matire
une lgre recrudescence, notamment lors dexcursions en compagnie dArsne
Isabelle et de labb Comte, ce dernier accomplissant une escale dans la capitale
uruguayenne afin dy faire dcouvrir le daguerrotype 2193 . Lanne suivante est
consacre pour une grande part des observations dans son terrain de Santa Ana.
En 1849, le voyage Porto Alegre offre une moisson de dcouvertes mais
demeure une exception, bien que la dcennie suivante savre un peu plus
fconde. Il sagit cependant dun accroissement trs relatif quexpliquent les
diverses sollicitations manant dEurope et dAmrique. En Europe, le retour de
Demersay permet de renouer quelques liens scientifiques ; en Amrique, la fin de
la Guerra Grande ouvre de nouveaux horizons de mme teneur par
lintermdiaire dinstitutions naissantes ou renaissantes. Toutefois, les annes
1850 demeurent maigrement alimentes. Elles se concluent pour Bonpland en
1857 date de la fin de ses journaux botaniques au cours du voyage au
Paraguay tellement espr, quoi quil najoute que peu de descriptions aux
prcdentes.
2193

Cf. MAE GARZON Fernando, op. cit., p. 134.


557

Deuxime partie

Chapitre VI

Le travail de Bonpland ne cesse jamais entirement, mais ds 1833 il perd


le rythme soutenu des annes 1817-1821 et 1831-1833. Si lon ajoute le voyage de
1849, ce sont au total huit annes seulement qui sont consacres de manire
significative la recherche botanique bien que le voyage effectu en 1849 ne
soit pas initi dans ce but 2194 soit une dure peine suprieure celle dun
voyage classique. Un des aspects majeurs du travail est effectivement clos ds le
dbut des annes 1830, celui concernant la recherche. Ds lors, Bonpland se
consacre davantage aux applications pratiques. De fait le travail est presque
exclusivement agricole, et seffectue par intermittences selon une demande le plus
souvent prive. De cette manire, il obtient par exemple du lieutenant-colonel
Silva une nouvelle espce darrachis provenant de Porto Alegre, diffrente des
trois quil possde dj 2195 . Le travail nest pas clos mais tout fait diffrent dans
ses objectifs, tourns essentiellement vers lacclimatation.

2. Le rgne minral
Confirmant la fin des recherches botaniques, Bonpland sengage dans une
campagne de prospection minralogique ds 1832. En effet, il affirme vouloir
entamer cette recherche aprs avoir termin la partie botanique 2196 . Se trouvant
Buenos Aires, il en profite pour remettre jour ses connaissances en la matire
laide des ouvrages de Cuvier 2197 . Il relve le nom des auteurs ayant contribu aux
progrs des sciences depuis que Bacon a mis en avant lexprience , savoir
Saussure, Pallas et Werner en ce qui concerne la gologie. Il note que cette
science comporte en plus des minraux ltude des fossiles cre par Cuvier,
portant surtout sur les mammifres et les reptiles, avec laide de Brongniart. Le
besoin de noter les buts de cette science, qui explique ce que la nuit des temps
nous cache ou le caractre des antiques habitants ; le besoin encore de noter
que les corps marins abondent dans le calcaire , la division en couches marines
et fluviales, enfin le minutieux relev des dcouvertes effectues selon les

2194

Nous lincluons en vertu des rsultats obtenus, mais ce sont au total sept annes de recherche
quil faudrait compter si lon ne prenait en compte que les priodes durant lesquelles Bonpland
consacre vritablement ses forces linvestigation.
2195
MNHN, ms 205, So Borja, mai 1836.
2196
AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
2197
Louvrage est dj ancien, puisquil date de 1812 ; cf. CUVIER Georges, Recherches sur les
ossemens fossiles de quadrupdes : o lon rtablit les contenant de plusieurs espces danimaux
que les rvolutions du globe paroissent avoir dtruites, Paris, Deterville, 1812, 4 vol.
558

Deuxime partie

Chapitre VI

couches, tout cela indique la dficience mthodologique avec laquelle Bonpland


entame cette recherche 2198 .
En effet, si le travail de Cuvier est fondamental en ce qui concerne la
dfinition du statut pistmologique de cette nouvelle discipline, la palontologie,
ce terme apparat en 1822 alors que Bonpland est dtenu au Paraguay 2199 . En
1832 il ne semble pas en avoir connaissance, puisquil nemploie jamais cette
notion aprs cette date. De mme, il ne semble pas en possession du Trait de
Gognosie de dAubuisson de Voisins, ouvrage de rfrence en la matire.

Pourtant, ses relations dans le Ro de la Plata font penser quau contraire


Bonpland est bien inform ce sujet. De par ses contacts franais tout dabord,
desquels ressortent deux amateurs de la discipline, Arsne Isabelle et Victor
Martin de Moussy, arrivs respectivement en 1830 et 1841. Les deux Rioplatenses
les plus engags dans lhistoire naturelle, et parmi elle la palontologie, sont
Muiz et surtout Vilardeb, qui sjourne Paris en contact troit avec le milieu
savant entre 1825 et 1833 2200 . Or Bonpland est en relation avec le second, et a
connaissance des travaux du premier, bien que trs partiellement 2201 . Enfin, audel des hommes de terrain, Pedro de Angelis fait uvre de compilation des
travaux scientifiques, sintressant entre autres la minralogie, et retient
Bonpland en sa demeure bonaerense lors de son sjour de 1832 2202 .
Contrairement la botanique, la science minralogique progresse
lentement. Les ouvrages de Cuvier, Werner ou Aubuisson de Voisins, parus la
fin des annes 1810 ou au dbut des annes 1820, servent de rfrences pendant
plusieurs dcennies. Il faut ajouter que pour cette discipline, Bonpland conserve
une partie des chantillons recueillis au Paraguay, pices rares elles aussi durant
plusieurs annes. Cependant, le travail que Bonpland se propose de raliser est
fondamentalement diffrent de celui relatif la botanique. Dune part, la collecte
2198

AMFBJAD n 1697, Journal, Sjour Buenos Aires, juin 1832. Concernant lentourage de
Bonpland en la matire, cf. OTTONE Eduardo Guillermo, The French Botanist Aim Bonpland
and Paleontology at Cuenca del Plata , in Earth Sciences History, vol. 21, n 2, 2002, pp. 156157.
2199
La premire chaire est cre au Musum en 1853, pour Alcide dOrbigny ; cf. COHEN
Claudine, Stratgie de la preuve dans les Recherches sur les ossements fossiles de quadrupdes
de Cuvier , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER Jean-Louis
(coord.), op. cit., pp. 523-524.
2200
Sur ce sjour, cf. MAE GARZON Fernando, op. cit., pp. 27-59.
2201
La seule rfrence Muiz est contenue dans un relev du Correo del Paran dat de 1841,
mentionnant les dcouvertes dossements fossiles du Rioplatense ; AMFBJAD n 1266, Notes
gologiques, 1841.
2202
AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos aires, 7 mai 1832.
559

Deuxime partie

Chapitre VI

entame en 1817 devient en majorit obsolte aprs le voyage dAlcide


dOrbigny. Si celui-ci ne publie rien avant 1842 ce sujet, Bonpland est en
revanche au courant de la prochaine dition des rsultats ds 1837 au moins 2203 .
Dautre part, ce travail ne porte aucune ambition personnelle, hormis lattente
dune reconnaissance pour son apport. Ds 1832 il ne sagit que de complter les
collections amenes en France par son compatriote, laide dun travail de terrain
essentiellement. Dailleurs, le terrain privilgi complte les collectes de
dOrbigny et de Darwin, ce qui nest pas un hasard :
Quant Mr [Saint-Hilaire], Dorbigny et Parchappe qui ont des matriaux
admirables sur toute lAmerique je sais quils ont peu de roches et de
plantes de contres que jai visits. [] Mon travail, jespre, sera plus
complet que le leur.

2204

En outre, les dcouvertes de Muiz et de Vilardeb sont moins perues comme


concurrents que comme complmentaires, tant donn le rythme extrmement lent
de ce type dinvestigations. Il sagit dun travail en perspective, dans le sens o il
sagit den poser les bases pour de futures investigations mais de ne pas chercher
lexhaustivit, non plus que lexclusivit, bien quil pense tre avec raison le seul
europen sur ce terrain 2205 . Le manque de connaissances ainsi que labsence dune
ncessit imprieuse transmettre ses conclusions conduit Bonpland aborder
cette tape scientifique comme un moindre travail.

Un moindre travail
Bonpland sappuie pour cela sur ses confrres europens. Il reconnat la
ncessit de sen remettre aux savants de cabinet, surtout touchant au travail
gologique quil ne peut raliser faute de connaissances. Celui-ci, crit-il,

2203

Cest cette date quil en fait part Cordier ; AMFBJAD n 276, Bonpland P.-L. A. Cordier,
Buenos Aires, 5 janvier 1837.
2204
AMFBJAD n 324, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 24 novembre 1836.
2205
je ne vois que Mr Sellow [] qui ait pu envoyer quelque chose et ce ne sera encore que sur
quelques points des Missions Portugaises []. Quant Mr [Saint-Hilaire], Dorbigny et Parchappe
qui ont des matriaux admirables sur toute lAmerique je sais quils ont peu de roches et de plantes
de contres que jai visits. [] Mon travail, jespre, sera plus complet que le leur ; AMFBJAD
n 324, HAMY Jules Thodore Ernest, op. cit., p. 98, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 24
novembre, 26 dcembre 1836 ; AMFBJAD n 421, Bonpland A. P. de Candolle, Montevideo, 18
mai 1840. En outre, les matriaux collects par Sellow sont en grande partie disperss. Cf. LOPES
Maria Margaret, op. cit., p. 63.
560

Deuxime partie

Chapitre VI

est difficile de faire ici sans livres et sans aucun autre secours. [] je sais
combien il est difficile, mme aux bons gologues, de dterminer sur les
lieux [] les objets nombreux qui se rencontrent

2206

Il sengage ds 1832 fournir des chantillons et envoie deux caisses au Musum,


puis une troisime en 1836 accompagne dun catalogue de 154 pices. A cette
date, il lui reste parcourir la cte de la rpublique uruguayenne et lEntre Ros
pour terminer ce catalogue peut-tre dej trop long et pour lequel il ne dispose
pas des connaissances suffisantes pour pouvoir rdiger un vritable mmoire ,
tant incapable de se les procurer sur place :
Je demande tout le monde ici louvrage sur le gisement des roches et
personne ne le connat.

2207

A Buenos Aires, Angelis ne le dtient pas. A Montevideo, Vilardeb, le


mieux plac pour le lui fournir, ne le possde pas non plus 2208 . Les deux
principaux cueils rsident donc dans le manque dinstruments de travail et de
personnes qui sadresser pour les obtenir, dautant plus que ds les annes 1830
la minralogie dpend de plus en plus de la chimie. Cette autre difficult te une
grande partie de leur pertinence aux travaux de Bonpland, lequel en est
conscient 2209 . Les soutiens rioplatenses offrent un apport thorique peu efficace,
non compens par ses interlocuteurs europens. La rfrence est encore une fois
Azara, qui est avec dOrbigny le seul avoir ralis une tude dimportance dans
cette rgion avant que Bonpland ne sy intresse spcifiquement 2210 . Cest aussi le
seul ouvrage se rapportant la minralogie amricaniste que Bonpland possde,
comme il le confie Andr Marie Constant Dumril en 1837. A cette date, il lui
fait parvenir des ossements de mammouth trouvs prs du ro Salado ainsi quun
autre fossile dcouvert dans la province de Buenos Aires, et sengage lui fournir

2206

Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 26 dcembre 1836, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., pp. 97-98 ; AMFBJAD n 324, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 24 novembre
1836.
2207
Il sagit du lEssai gognostique sur le gisement des roches dans les deux hmisphres, publi
en 1823 Paris, AMFBJAD n 324, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 24 novembre 1836 ;
HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., pp. 97-98.
2208
Cf. l inventario de los libros de la biblioteca del finado Dr. D. Teodoro M. Vilardeb ,
reproduit par MAE GARZON Fernando, op. cit., pp. 267-277.
2209
Cest aux chymistes habiles qui il appartient de faire lanalyse dune terre utilise par les
Indiens guayanas de Santa Luca pour peindre leurs poteries ; AMFBJAD n 1728, journal, voyage
Santa Luca, 21 janvier 1840.
2210
Cf. OTTONE Eduardo Guillermo, Los primeros hallazgos de plantas fsiles en Argentina ,
in Asociacin Paleontolgica Argentina, Publicacin Especial, Buenos Aires, n 8, 2001, pp. 4951.
561

Deuxime partie

Chapitre VI

toute pice quil puisse dsirer 2211 . Il sagit denvoyer le matriau brut, charge
pour les professeurs de Paris den accomplir lanalyse, Bonpland se contentant de
linventaire. Cette pratique est courante chez les non spcialistes, tels Spix et
Martius qui illustrent leur rcit de voyage au Brsil publi entre 1823 et 1828
de quelques fossiles, sans y porter plus dattention. Il faut attendre 1841 pour que
la figure dun poisson reoive une dnomination scientifique, sous la plume de
Louis Agassiz 2212 . Ltude minralogique est rapidement termine dun point de
vue thorique, puisquaprs 1836 Bonpland najoute plus de pices nouvelles
son catalogue qui lui sert de nomenclature pour ses recherches ultrieures.
Les lettres envoyes ses correspondants franais en 1837, et
particulirement celle destine Dumril, constituent un vritable plaidoyer en
mme temps quun programme de recherche palontologique. Linsignifiance des
rsultats obtenus jusqualors, la description du terrain permettant desprer des
dcouvertes ainsi que les moyens mettre en uvre pour impulser une dynamique
scientifique, dont sa participation louvrage collectif, tout est contenu dans ces
quelques

pages.

Aussi

contrairement

minralogiques se poursuivent en 1840

2213

aux

botaniques,

ses

recherches

, quoique sporadiquement. En effet,

une autre indication dun moindre engagement rside dans la mthode de travail,
plus prcisment concernant la collecte des fossiles. Bonpland entend former une
collection non seulement grce la recherche in vivo, mais aussi indirectement par
le biais dintermdiaires tels le ngociant italien Rilly, ou encore le gnral
portugais Barreto, conscient de limportance scientifique des fossiles selon
Bonpland, et lorigine de la mission ayant conduit Sellow sur les bords du ro
Quara dlimitant la frontire ouest entre le Rio Grande do Sul et la Bande
Orientale au cours des annes 1820. Malgr des dmarches effectues
diffrentes poques, Bonpland ne peut se procurer dossements fossiles des bords

2211

AMFBJAD n 287, Bonpland A. M. C. Dumril, Buenos Aires, 25 janvier 1837 ;


AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos Aires, 5
janvier 1837.
2212
MONES Alvaro, Orgenes de la paleontologa de vertebrados en Amrica del Sur , in
Cincia & Ambiente, n 16, 1998, p. 28.
2213
Lors dun sjour Paysand, Bonpland peut examiner les pices collectes par Pyram,
Cembrana et Rilly, et conclure lexistence dun terrain propice aux recherches au sein de la
rpublique uruguayenne ; AMFBJAD n 328, Bonpland Humboldt, Montevideo 30 dcembre
1840 ; AMFBJAD n 1744, journal, voyage de Santa Ana la Bande Orientale, 24 octobre 1842.
562

Deuxime partie

Chapitre VI

du Quara, mais il espre en obtenir en ritrant ses demandes 2214 . Il ne se rend


pas directement sur le terrain, contrairement ses confrres, la question de la
paternit de la dcouverte ntant pas aussi omniprsente que celle concernant le
travail botanique. Bonpland profite des envois de Facundo Zuvira depuis
Montevideo et de ceux de Kasten dans le Rio Grande do Sul, pour toffer ses
collections.
La correspondance entretenue avec Normann, Vasconcellos et Kasten
partir de 1849, suite son voyage Porto Alegre, puis au cours des annes 1850,
est empreinte dune grande modestie allie une grande satisfaction de la part du
Franais vis--vis des apports minralogiques de ses jeunes confrres. Dans ce
domaine une impulsion nouvelle surgit du voyage effectu en 1849, non
quantifiable contrairement au travail botanique pour lequel nous disposons de
journaux Bonpland ne semble pas classer de manire systmatique ses
collections minralogiques 2215 mais tangible, surtout aprs que Juan Pujol,
gouverneur de Corrientes, lui assigne la direction de lExposition Permanente de
la province. A ce titre, Bonpland sengage fournir particulirement des
chantillons botaniques dj en sa possession, mais aussi de la matire
minralogique pour laquelle il dispose dune moindre provision. Aussi constitue-til un petit rseau de correspondants provincial et transnational. A Kasten, son
principal collaborateur, il reconnat avec plaisir la paternit des chantillons
envoys de Porto Alegre pour le Musum de Corrientes quil dirige depuis sa
fondation, en 1854 ; il lui confesse de bon gr ses propres limites en gologie, en
mme temps quil le flicite pour la valeur de ses travaux 2216 .
Malgr son ge avanc, le botaniste participe personnellement la
collecte. Ds 1850, il transmet au nouveau dirigeant du Rio Grande do Sul, Pedro
Ferreira de Oliveira, plusieurs chantillons collects aux alentours de Montevideo,
2214

AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos


Aires, 5 janvier 1837 ; AMFBJAD n 1623, Bonpland Geoffroy Saint-Hilaire, Buenos Aires, 25
janvier 1837.
2215
Les matriaux gologiques du voyage de 1849 ont nanmoins t recenss par Alicia
Lourteig ; ils se chiffrent plus de 130 exemplaires, ce qui est considrable si lon se rfre au
catalogue de 1836 contenant 154 pices. Toutefois, il apparat lors de ce recensement des
rfrences de la main de Bonpland concernant des n 254, 312, 358, jusquau n 415, laissant
envisager lexistence dun catalogue inconnu jusqu prsent. Si Bonpland ne fait pas nommment
et explicitement rfrence un journal tels quils existent pour la partie botanique, la poursuite des
investigations aprs 1836 corrobore lhypothse de lexistence dun catalogue plus ample que celui
remis Paris. Cf. LOURTEIG Alicia (comp.), op. cit., pp. 110-113.
2216
AMFBJAD n 639, Bonpland Kasten, So Borja, 8 aot 1856.
563

Deuxime partie

Chapitre VI

esprant lintresser la fondation dun Musum Porto Alegre. En 1856, il


profite dun sjour Montevideo pour runir diffrents chantillons dont ceux
provenant de la mine de marbre de Maldonado. Il se procure aussi des minraux
de mercure pour orner le Muse de Corrientes et pour les comparer avec ceux
dune mine prsume La Cruz, dans la mme province, le gouverneur lui ayant
demand dy effectuer un travail de prospection 2217 . Le savant se met encore une
fois au service de lconomie, mais contrairement au travail botanique il sagit
dun engagement totalement public et relativement peu pouss. Il ne peut
dailleurs conclure formellement linexistence dune telle mine La Cruz, faute
de temps et doutils, laissant place lesprance de dcouvrir moyen terme des
gisements. Dans tous les cas, les investigations minralogiques se ralisent en
perspective.

Des perspectives engageantes


En effet, le terrain rioplatense offre en ce domaine un vaste champ encore
en friche au cours de la premire moiti du XIXe sicle, spcialement concernant
les matriaux palontologiques, ce dont Bonpland est tout fait conscient 2218 . Les
perspectives sont engageantes dabord dun point de vue quantitatif. A cet gard,
la science palontologique permet au voyageur de se reprsenter ou de transmettre
limage dun terrain idalis. Ainsi les travaux dAlcide dOrbigny offrent
loccasion aux professeurs du Musum de magnifier le terrain ; les bords du
Paran sont interprts la lumire des travaux du voyageur comme un
Musum ciel ouvert . Pour dautres personnes, le Ro de la Plata est peru
2217

AMFBJAD n 302, Bonpland P. Ferreira de Oliveira, Montevideo, 10 novembre 1850 ;


PUJOL Juan, op. cit., vol. 6, pp. 19-20, 87-88, Bonpland Pujol, Montevideo, Restauracin, 16
janvier, 20 avril 1856.
2218
Dans cet immense espace de terrain compris entre locan Atlantique et le Paran, des
Pampas aux Missions, il se trouve probablement enfoui une grande quantit danimaux dont les
espces nexistent plus, puisque le peu de celles que nous connaissons sont toutes nouvelles []
Depuis trois sicles que les Espagnols habitent la Rpublique Argentine et autres voisines qui
toutes ont t baignes par les eaux de la mer, on na vritablement obtenu que cinq grands
squelettes , AMFBJAD n 287, Bonpland A. M. C. Dumril, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
564

Deuxime partie

Chapitre VI

comme un laboratoire de la nature 2219 . En rsum, limage renvoye pourrait


tre dfinie comme celle dun laboratoire ciel ouvert comme celui dj mis
en scne par Humboldt 2220 . Le travail de terrain permet en outre des avances
thoriques dterminantes, concernant moins la palontologie que la gologie. A ce
titre, lloge du travail gologique de dOrbigny par Berthelot, prsent dans un
mmoire lAcadmie des sciences et reproduit dans le Bulletin de la Socit de
Gographie, peut servir de rfrence 2221 .

Les rares savants rioplatenses tant en mesure de saventurer longuement


sur le terrain ne bnficient pas des moyens institutionnels permettant de mener de
vastes campagnes. Muiz travaille au milieu dune pnurie conomique et
culturelle volontaire guide par le dsir de sloigner des difficults politiques et
par lopportunit dobtenir un emploi public sur un site trs localis autour de la
ville de Lujn, connue en outre pour abriter de nombreux fossiles, ce qui motive
probablement son choix. Vilardeb quant lui bnficie dune meilleure assise
institutionnelle et se dplace beaucoup plus, mais les bons rsultats obtenus sur
une plus grande chelle sont quantitativement et qualitativement similaires ceux
de son confrre 2222 . Aussi doit-on temprer loptimisme dAlcide dOrbigny
concernant les recherches fossiles en cours au dbut des annes 1840, qui selon lui
jouissent dune impulsion extraordinaire grce Vilardeb et Angelis2223 . La
faiblesse des investigations est une ralit sur le terrain. Si le travail de dOrbigny
pour Corrientes est assez complet, en 1841 on ne connat toujours pas la
2219

ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome III, 3e partie, Gologie, 1842, p. 25 ; ISABELLE Arsne,
op. cit., p. 23.
2220
Cf. ETTE Ottmar, La puesta en escena de la mesa de trabajo en Raynal y Humboldt , in
Cuadernos americanos, juillet-aot 1994, n46, pp.29-68.
2221
DOrbigny, crit Berthelot, nous montre les trois tats du grand systme paloeozoque se
succdant dans le mme ordre que ceux du mme systme europen avec lesquels ils ont
respectivement plus danalogie. Ce fait remarquable [] est, suivant lexpression du rapport
prsent lInstitut, un des plus importants dont la science se soit enrichie dans ces dernires
annes. , in Bulletin de la Socit de Gographie, premire srie, tome XX, dcembre 1843, p.
415.
2222
Cf. ONNA Alberto F., op. cit., pp. 60-67.
2223
ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome III, 4e partie, Palontologie, 1842, p. 13. Lhommage
rendu par dOrbigny ses confrres sud-amricains est souligner, tant sont rares les loges des
Europens. Nanmoins, il ne faut pas oublier que le Franais compte sur Vilardeb pour obtenir de
nouveaux matriaux. Quant Pedro de Angelis, les louanges adresses pour son uvre
palontologique sont hors de propos, puisque le Napolitain est exclusivement un compilateur en la
matire. Soit quil lait confondu avec Muiz, soit quen flicitant le valet il veuille flatter le
matre Rosas dOrbigny se montre peu connaisseur du terrain scientifique rioplatense. Cela
nenlve rien aux immenses services rendus par Pedro de Angelis aux sciences, ce qui peut
constituer une autre explication cet hommage incongru ; cf. SABOR Josefa Emilia, op. cit., pp.
285-436.
565

Deuxime partie

Chapitre VI

composition du sol de lUruguay 2224 . De plus, une condition sine qua non de la
production palontologique rsulte de la bonne fortune des chercheurs. Arsne
Isabelle, devenu consul de France Montevideo mais toujours amateur clair de
palontologie, relate Bonpland laventure dun Danois ayant trouv au Nord de
Colonia un squelette, presque complet, du fameux tatou [] Il la emport
triomphant. Il faut avouer que cest avoir du bonheur. 2225
Cette chance explique que Bonpland soit persuad quil [lui] restera
toujour beaucoup dire 2226 aprs avoir remis quelques pices au Musum royal
dHistoire naturelle. Certaines pices, mais pas toutes. Il est vraisemblable que le
naturaliste garde avec lui certains chantillons, moins dans lventualit dune
improbable publication improbable que comme une monnaie dchange avec les
autorits scientifiques franaises. Bien quil affirme ce propos ne pas avoir
amen de collections avec lui Montevideo en 1840, une lettre dArsne Isabelle
infirme ses dires. De fait, Bonpland lui laisse en dpt des roches et des flacons de
plantes en attendant ses instructions relatives leur envoi en France 2227 . Les
rapports tant tendus entre Bonpland et sa hirarchie scientifique cette poque,
une telle ventualit nest pas carter dautant que Bonpland, en contact avec
Woodbine Parish, consul dAngleterre et grand connaisseur et collecteur de
spcimens fossiles rappelant beaucoup par l son homologue franais Isabelle
est conscient de leur valeur. Il sagit donc dune perspective non dnue dintrt
personnel, mais agence sur le long terme.
Bonpland identifie plusieurs sites susceptibles de contenir des matriaux
fossiles. Ds 1819 il rappelle lexistence du site bolivien de Tarija, dcouvert en
1602, et dont il a connaissance lors de son voyage avec Humboldt 2228 . Avec
Lujn, ce sont les deux seuls endroits identifis dans la vice-royaut du Ro de la
Plata la fin des annes 1810. Au cours des dcennies suivantes, Bonpland relve
2224

Arsne Isabelle demande Bonpland jusqu quelle distance les terrains calcaires de
lUruguay se prolongent lintrieur de terres ; AMFBJAD n 263, A. Isabelle Bonpland,
Montevideo, 16 fvrier 1841.
2225
Ibid. Il ne peut sagir que de Peter Wilhelm Lund, le seul naturaliste danois prsent dans la
rgion cette poque. Lund sempresse effectivement de faire part de ses dcouvertes au
professeur Rafn de Copenhague par une lettre crite depuis Lagoa Santa au Brsil, et bientt
transmise la Socit de Gographie parisienne grce La Roquette ; Bulletin de la Socit de
Gographie, quatrime srie, tome XVI, juillet 1841, p. 66.
2226
AMFBJAD n 276, Bonpland P.-L. A. Cordier, Buenos Aires, 5 janvier 1837.
2227
AMFBJAD n 263, A. Isabelle Bonpland, Montevideo, 16 fvrier 1841.
2228
AMFBJAD n 2044, journal, 1819 ; ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome III, 4e partie,
Palontologie, 1842, pp. 11-12.
566

Deuxime partie

Chapitre VI

quelques dcouvertes minralogiques : celles de Muiz bien sr, mais aussi la


mine de plomb localise par Ackerman dans lestancia du gnral Urquiza, ayant
appartenu son ancien partenaire. Il souhaite prospecter ce gisement sans doute
au bnfice du Musum correntino. La mine de fer de Santa Catalina attire encore
son attention, comme celle de charbon de pierre dans la proprit de Candido da
Costa, rpute pour sa qualit 2229 . Autant dlments puiss pour la plupart dans
des revues sud-amricaines, desquels se dgage une carence quantitative, la
totalit des observations minralogiques occupant peine une trentaine de folios
sur les milliers que comptent ses archives. Nanmoins, il recense plusieurs sites
ctoyant les diffrents ros quil parcourt, sa gographie fluviale se montrant
srieuse et efficace en la matire. Les lieux recenss sont caractriss par leur
formation calcaire apte conserver les ossements fossiles. Il prsume lexistence
dichtyosaures sur les bords du ro Arapey, et celle dossements de tatou gant en
abondance au voisinage du ro Negro, dans la Bande Orientale, comme au sein
des falaises calcaires de San Nicols de los Arroyos, dans la province de Buenos
Aires. Sur lUruguay, il recense outre les roches et les bois fossiles, des carrires
de calcaire pouvant contenir les restes danimaux antideluviens , savoir le
mastodonte a dents etroite et le tatou gigantus 2230 .
Limportance des carrires de calcaire implique logiquement la ncessit
de laction humaine pour mettre jour les gisements fossiles. Ses propres
recherches sur les coquilles fossiles donnent des rsultats trs faibles 2231 . Aussi
faut-il attendre selon lui que ces pays se peuplent pour que, par le biais de
lactivit conomique et minire en particulier, les dcouvertes deviennent
significatives 2232 . De cette faon,

2229

AMFBJAD n 1266, gologie, transcription de El correo del Paran n 21, 1841 ; AMFBJAD
n 1265, gologie et minralogie, Charbon de pierre et mineraux de fer dans la province de rio
grande do sul extrait du journal Comercio de Rio de Janeiro, 11 avril 1848 ; AMFBJAD n
1264, gologie et minralogie, s. l., s. d.
2230
La constance et le srieux dans la recherche minralogique maille ses journaux de voyage ;
AMFBJAD n 1267, gologie, Roches et minraux de lUruguay, s. l., s. d. ; AMFBJAD n 1733,
voyage dans le Paran, Punta Gorda, 7 mai 1840.
2231
AMFBJAD n 869, Bonpland B. Delessert, Montevideo, 22 janvier 1842.
2232
Dans un pays peu peupl et o on ne fait aucune espce de mouvement de terre, il est
impossible de trouver des richesses enfouies, et le peu que nous possdons aujourdhui a t
dcouvert naturellement, par le seul travail des eaux et est entirement d au hasard ; AMFBJAD
n 287, Bonpland A. M. C. Dumril, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
567

Deuxime partie

Chapitre VI

La rpublique argentine et tous les pays voisins qui doivent leur existence
la grande rvolution qui les a forms offriront avec le tems des
matriaux intressants sur lhistoire naturelle de ces Contres

2233

Il est vrai quau cours des annes 1830 trs peu est ralis ; nanmoins partir de
1833 les descriptions de nouveaux restes commencent se multiplier, de manire
abondante passe la premire moiti du XIXe sicle 2234 . Bonpland est videmment
en faveur dun tel mouvement visant systmatiser les investigations, mais
toujours en perspective :
lorsquon cherchera tous ses objets exprs et avec soin on y trouvera de
quoi augmenter et rectifier nos connoissances sur la formation de cette
partie du globe. Jai sous les yeux des pices fossiles qui annoncent
lexistance ancienne dune espce de dasypus gigantesque

2235

Ces commentaires sont rpandus dans le microcosme des voyageursamricanistes . Darwin, qui fouille plusieurs sites dj connus ou signals, pense
comme Bonpland que le terrain constitue une immense spulture pour ces
quadrupdes gigantesques teints. 2236 DOrbigny pour sa part prne en 1835 des
recherches assidues 2237 en la matire. Ils nous montrent toutefois que
Bonpland, pour isol quil soit, partage avec quelques grands noms une mme
sensibilit savante. Mais contrairement eux, il ne construit pas de systmes ; ses
contributions demeurent circonstancies.

Des apports fragments et oublis


Les apports sont partiels dabord parce que les recherches seffectuent au
coup par coup quant la palontologie, comme le montrent ses notes de
travail 2238 . La contribution gologique est davantage comparatiste, plus propice
des essais de systmatisation. Dans les deux cas, cette participation se bornant au
dtail est lie ce travail en perspective. Alors que le propos dAlcide dOrbigny
2233

AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos


Aires, 5 janvier 1837.
2234
el ritmo se acelerar en forma casi geomtrica , commente MONES Alvaro, Orgenes de
la paleontologa de vertebrados en Amrica del Sur , in Cincia & Ambiente, n 16, 1998, p. 17.
2235
AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
2236
DARWIN Charles, op. cit., tome I, p. 170.
2237
Ibid., p. 456.
2238
AMFBJAD n 1158, fossiles de lAmrique de Sud. s. l. s. d.
568

Deuxime partie

Chapitre VI

est systmatisant, les relevs de Bonpland savrent beaucoup plus dtaills, voire
plus complets sur certains points. Concernant Colonia, les les de San Gabriel et
de Martn Garca, dOrbigny conclut une formation granitique daprs des
informations indirectes, tandis que Bonpland en prcise la constitution et
lutilit 2239 . Par ailleurs, Bonpland parfait les connaissances de plusieurs points
non visits par ses collgues 2240 . Mais un certain nombre dinformations
recueillies ne sinsrent pas dans le systme propos par dOrbigny ou dautres
scientifiques, car la cueillette des minraux suit le mme protocole que celle des
vgtaux, notamment concernant leur utilit. Ainsi le ro Pay Ouvr coule sur un
grs blanchtre et fin fournissant des pierres aiguiser, les mmes quil retrouve
prs du Paran au Paracaon. Bonpland note encore la fertilit de la terre ou
lutilisation de la roche des fins urbanistiques ; cest le cas pour Paysand qui
est btie sur une colline calcaire qui se prolonge et sert aux constructions de la
ville 2241 .
Bonpland envisage encore certaines pices sous langle de la curiosit. La
pierre dIta Pucu, prs de Mercedes, est rpute pour crotre. Aprs avoir relev
linclinaison des roches, sa composition et la prsence de lichen qui en indique
lantiquit, il relve le tmoignage dun homme affirmant avoir vu la pierre
augmenter de volume. Bien que ce personnage jouisse dune bonne rputation,
Bonpland se range du ct des gologues et classe ce tmoignage parmi les
croyances populaires :
il en sera de la crue de lita pucu comme du serpent deux ttes de Dn
Vicente Yniparan et du tabac comme preservatif des decharges des
gymnotes que nous avons observ dans la province de Caracas

2242

Son analyse argumente et progressive nest pas aussi catgorique que pourrait
ltre celle dun gologue. Malgr ces lacunes, il fournit en 1836 au Musum
2239

Selon Bonpland, les les de la baie et de la cte de la Colonia sont constitues de pierres noires
quartzeuses, trs denses, dures, semblant basaltique. Sur la cte et dans les constructions de
Colonia, Bonpland distingue un granit trs riche en quartz, felit spath, et un peu de mica. Aux
environs de Colonia, et jusqu lle de Martn Garca, le terrain est sablonneux. Quant aux les de
Martn Garca, Hermanas et Juncal, leur pierre est utilise pour la construction Buenos Aires ;
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 13-15 octobre 1832 ; ORBIGNY
Alcide d, op. cit., tome III, 3e partie, Gologie, 1842, p. 26.
2240
Cest le cas pour la description trs prcise de Salto ; AMFBJAD n 1741, voyage de
Montevideo Corrientes, Salto, 21 fvrier 1841.
2241
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 21 dcembre 1831, 1er et 5 janvier
1832 ; AMFBJAD n 1708, voyage So Joo Mini, 28 juin 1835 ; AMFBJAD n 1718, voyage
de Buenos Aires Concordia, 15 mars 1837.
2242
AMFBJAD n 1273, gologie, Ita Pucu, 23 novembre 1834.
569

Deuxime partie

Chapitre VI

royal un rapport illustrant son catalogue, contenant ltude dtaille des roches des
deux rives du Paran jusqu Corrientes et la partie du Paraguay visite. Les
informations recueillies sur le cours du Paran stendant de Corrientes jusqu
Itapa, ainsi que celles concernant les missions et le ro Uruguay, sont moins
dtailles. Bonpland traite aussi une partie des missions brsiliennes et du ro
Paraguay, bien quil ne navigue pas en personne sur ce fleuve 2243 .
Gnralement, les relevs minralogiques sapparentent davantage une
gographie des sols plutt qu une vritable tude gologique. Ils demeurent en
quelque sorte superficiels, cest--dire confins la surface des terrains, sans que
le savant puisse en tirer les conclusions thoriques qui simposent. De ce fait, il
perd la prsance sur dautres confrres, comme dans le cas de la palobotanique.
Bien quil reconnaisse et fasse part au Musum de lexistence de bois fossiles, il
ne bnficie pas de la primaut de la dcouverte. En effet il relve ds 1820
lexistence de saules ptrifis Hernandarias, sur la cte du Paran, 150
kilomtres au nord de La Bajada, rompant avec la croyance partage par Azara
selon laquelle les fleuves rioplatenses ont la proprit de transformer les objets en
pierre. Bonpland envoie des chantillons de mme nature au Musum royal en
1832 2244 , mais cest dOrbigny qui publie le premier sur lexistence de bois
fossiles en 1842. Ses dcouvertes ralises en 1829 dans les actuelles provinces de
Buenos Aires et Ro Negro lamnent tre considr comme le premier
reconnatre formellement la prsence de plantes fossiles en Argentine. Il faut
attendre 1876 pour que le premier travail spcifiquement consacr la
palobotanique de ce pays soit publi par Hanns Bruno Geinitz, en Allemagne 2245 .
Superficielles, les investigations de Bonpland nen demeurent pas moins
pertinentes. Il esquisse une cartographie de lextension de la terre rouge des
Missions, qui se prolonge jusquau ro Miriay en alternance avec une terre noire,
le sol misionero tant visible seulement sur les collines. Des traces subsistent
encore dans les dpartements de Ca Cat, San Antonio et Saladas, o il ne trouve
pas une seule pierre et peu de terre noire ; le sol y est constitu de sable blanc avec
parfois en dessous la terre rouge des Missions mise nue dans les palmeraies,
2243

AMFBJAD n 272, rapport incomplet sur la gologie de lAmrique mridionale, s. l., s. d.


(novembre 1836).
2244
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, Ca Cat, 29-31 mai 1821 ; AMFBJAD n 1334,
catalogue partiel des minraux envoys au Musum royal dHistoire naturelle, s. l., s. d.
(novembre 1836) ; AMFBJAD n 1267, gologie, roches et minraux de lUruguay, s. l., s. d.
2245
Cf. OTTONE Eduardo Guillermo, op. cit., p. 49.
570

Deuxime partie

Chapitre VI

mais aussi par les fourmilires quil faut compter au nombre des rares
instruments de mesure quil possde ! ce qui montre que sous le sable de grs la
terre rouge des Missions se prolonge jusquici, charrie par le Paran. Aprs avoir
pass Saladas, en retrouvant le grand chemin qui mne de Curuz Cuati
Corrientes, le sable fait place une terre noir fangeuse. Vers lUruguay, le ro
Emburica Yupi sert de limite lextension de la terre rouge, prcisment hauteur
de la ferme justement appele Tierras Coloradas 2246 . Ce sont pour la plupart des
apports fragmentaires demeurs sans emploi jusquau dbut des annes 1850, ou
encore rendus caduques par la publication de travaux tels ceux de Lund traitant de
la terre rouge et parus ds 1839 2247 . Auguste Leverger, officier de marine au
service du Brsil, relve dans les annes 1840 des lments (fragments) du ro
Paraguay mais enfouis dans les cartons de lArchivo militar de Rio de Janeiro,
que publie Alfred Demersay 2248 . Aprs les relevs partiels de dOrbigny, il faut
attendre 1852 pour quune premire carte de lArgentine soit publie par
Woodbine Parish, vingt ans aprs son retour de Buenos Aires 2249 . Lengagement
de Victor Martin de Moussy ami de Bonpland en 1855, marque les vrais dbuts
dune volont gouvernementale pour cartographier la Confdration, suivi en
1857 par larrive du gologue Hermann Burmeister 2250 . Mais avant ces dates, le
2246

AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 25 dcembre 1831 ; AMFBJAD n


1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834 ; AMFBJAD n 1706,
voyage de So Borja dans la province de Corrientes, 19 aot 1834 ; AMFBJAD n 272, Bonpland
au Musum dhistoire naturelle, s. l., s. d. (26 novembre 1836) ; AMFBJAD n 1728, journal,
voyage Santa Luca, 21 janvier 1840 ; AMFBJAD n 1737, voyage Montevideo, 16 novembre
1840 ; AMFBJAD n 1740, voyage de Montevideo Corrientes, Durazno, 10 janvier 1841.
2247
LUND Wilhem, Coup dil sur les mammifres fossiles du Brsil , in Annales des sciences
naturelles, tome XI, 1839, pp. 214-230.
2248
DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, pp. LII-LIV.
2249
Le Britannique consacre un chapitre la gologie et la palontologie ; PARISH Woodbine,
op. cit., pp. 280-295.
2250
Hermann Burmeister (1807-1892) tudie luniversit de Greifswald puis de Halle o il
obtient en 1829 le titre de docteur en mdecine et en philosophie. En 1837 il est nomm professeur
de zoologie luniversit de Halle. Il publie en 1843, deux ans avant la parution du Kosmos de
Humboldt, une Histoire de la cration dont lobjet est la description de tous les phnomnes qui
ont accompagn la naissance de lUnivers depuis sa premire origine jusquaux temps actuels ,
crit-il in Histoire de la cration, Paris F. Savy, 1870 (1843), p. 1. Aprs stre engag aux cts
des libraux allemands, entre 1848 et 1850, il effectue un premier voyage au Brsil de 1850
1852. En 1856, Burmeister dcide de retourner en Amrique. Il se rend Paris o il obtient la
recommandation de Juan B. Alberdi auprs du prsident Urquiza, puis parcourt entre 1857 et 1860
lArgentine et le Chili. Lanne suivante, il publie le rcit scientifique de son voyage et est recrut
pour prendre en charge le Muse Public de Buenos Aires. Arriv dans cette ville en 1862,
Burmeister parvient fonder une tradition scientifique naturaliste durant les trente annes de sa
prsence en Argentine, l o ses prdcesseurs avaient chou ; cf. BURMEISTER Hermann,
Viaje por los estados del Plata, con referencia especial a la constitucin fsica y al estado de
cultura de la repblica argentina, realizado en los aos 1857, 1858, 1859 y 1860, Buenos Aires,
Unin Germnica en la Argentina, 1943 (1861), 2 vol.
571

Deuxime partie

Chapitre VI

territoire nest pas soumis ce travail de compilation et les recherches de


Bonpland seffectuent en pure perte 2251 .
Pourtant, au cours de limmense activit dploye pendant quarante annes
en Amrique du Sud, le savant recueille des lments faire valoir sur la
constitution gologique des sols. Usant de la mthode comparative, il rassemble
quelques lments utiles la gologie rioplatense. Il distingue les ctes de Buenos
Aires et celles Montevideo, la premire ne contenant pas une pierre, constamment
calme et d aspect triste tandis que lautre est parseme de rochers noirs et
dune mer agite venant les frapper avec un bruit qui rappelle les ctes
dEurope . Moins pittoresque mais plus pertinente est la formation granitique des
missions paraguayennes quil retrouve jusqu Itaqui et La Cruz, ainsi que des
traces de grs jusqu Buenos Aires. En effet, le riachuelo de Buenos
Aires charrie du sable blanc qui semble avoir t produit par le grs des Missions.
Bonpland localise la frontire entre les formations granitiques des Missions et
celle calcaire de Buenos Aires la vuelta de San Jos, o il trouve pour la
premire fois des roches isoles de grs ferrugineux gros grains en conglomrats
seuls ou attachs au grs ou au calcaire. Ceux ci se voient aussi fortement attachs
au calcaire mou du saladero de Sacriste la Calera del Barqun, 80 kilomtres au
nord de Paysand, les couches de roches calcaires sont de nature infrieure
celles plus dures de Calera, o il ne peut sen procurer afin de comparer avec la
roche du Paran. 2252 .
La publication des parties gologiques et palontologiques du voyage de
dOrbigny, en 1842, lie la concurrence que celui-ci dveloppe avec Darwin,
renvoient les apports de Bonpland dans loubli, dautant que les deux voyageurs
ne font que peu de cas leur confrre. Ses apports relatifs la palontologie sont
pourtant considrs comme une des contributions les plus significatives durant la
2251

Cf. BOSCH Beatriz, En la confederacin argentina, 1854-1861, Buenos Aires, Eudeba, 1998,
pp. 189-221 ; GONZALEZ BOLLO Hernn, Una tradicin cartogrfica fsica y poltica de la
Argentina, 1838-1882 , in Ciencia Hoy [en ligne], Buenos Aires, vol. 8, n 46, mai-juin 1998.
URL : http://www.ciencia-hoy.retina.ar/hoy46/cart01.htm. En 1850, il est fait allusion deux
cartes du ro Uruguay et de la lagune de lIber en possession de Pimenta Bueno, alors prsident
de la province du Rio Grande do Sul, que V.S. tem levantado [], trabacho que deve ser de
summa importancia , crit un correspondant de Bonpland Porto Alegre ; AMFBJAD n 746, F.
de Normann Bonpland, Porto Alegre, 14 mai 1850.
2252
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 21 dcembre 1831 ; AMFBJAD n
1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 13 octobre 1832 ; AMFBJAD n 1711, voyage de So
Borja Corrientes, 18 septembre 1836 ; AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires
Concordia, 10, 15 et 16 mars 1837.
572

Deuxime partie

Chapitre VI

premire moiti du XIXe sicle 2253 , aux cts de ceux de dOrbigny, Darwin,
Muiz et Parish, aprs une priode de prs de trois sicles durant laquelle une
demi-douzaine de fossiles peine sont mis jour 2254 . Surtout, ses recherches
gologiques connaissent une divulgation scientifique en Europe grce louvrage
dAlfred Demersay traitant du Paraguay, publi entre 1860 et 1865, dans lequel
les manuscrits du Rochelais sont trs exploits 2255 . Outre lapport complmentaire
aux travaux cits, Bonpland offre une contribution non ngligeable aux rudits et
aux dirigeants rioplatenses. Pourtant, ceux-ci attendent larrive des Martin de
Moussy, Burmeister et Marbais du Graty pour fonder une tradition scientifique
dite nationale .

2253

Voir la carte n 4, page suivante.


MONES Alvaro, op. cit., p. 28 ; OTTONE Eduardo Guillermo, The French Botanist Aim
Bonpland and Paleontology at Cuenca del Plata , in Earth Sciences History, vol. 21, n 2, 2002,
p.163.
2255
Demersay rend Bonpland ainsi qu Rengger leurs apports respectifs en la matire. Ainsi
Bonpland se voit-il attribuer la paternit pour sa description de la Roche de lAssomption ou
de celle de lIta Pucu ; cf. DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, pp. 68, 73, 75-77, 85.
2254

573

Deuxime partie

Chapitre VI

Carte n 4. Fossiles collects par A. Bonpland dans le Ro de la Plata

Source : OTTONE Eduardo Guillermo, The French Botanist Aim Bonpland and Paleontology
at Cuenca del Plata , in Earth Sciences History, vol. 21, n 2, 2002, pp. 150-165.
574

Deuxime partie

Chapitre VI

3. Le rgne animal
Avec le troisime et dernier rgne de lhistoire naturelle, nous abordons
sans conteste le travail le moins abouti de Bonpland. Bien que ntant pas un
spcialiste, il ne traite pas ce domaine avec la mme rigueur que la minralogie.
Sauf quelques rares exceptions, les animaux figurent de manire anecdotique dans
ses journaux ; ils font en quelque sorte partie du paysage. La rcollection en ce
domaine sapparente davantage des parties de chasse qu une tude raisonne.
En effet, les archives de Bonpland contiennent un nombre non ngligeable de
rfrences au rgne animal, mais parmi celles-ci trs peu sont approfondies, ne
contenant le plus souvent que les numrations des prises, sans descriptions plus
toffes 2256 . La collecte se ralise ttons, dautant plus que le terrain est en voie
dpuisement, le commerce priv des espces exotiques, fournissant autant les
particuliers que les institutions publiques europens, supple efficacement les
recherches des naturalistes. Cependant, lomission la plus surprenante concerne
ltude humaine. Il nexiste quasiment aucun tmoignage dun intrt port envers
lethnologie, pourtant en plein essor durant la premire moiti du XIXe sicle, la
Socit dethnologie de Paris saffranchissant de la tutelle de la Socit
dArchologie en 1839. Autant dabsences pouvant sexpliquer par la faiblesse de
la demande scientifique autant amricaine queuropenne.

Un terrain en voie dpuisement


Bonpland dissque et prpare des oiseaux ds son arrive au Ro de la
Plata 2257 . Cependant, le savant voulant poursuivre luvre dAzara se montre
incapable de combler le grand dficit que son prdcesseur laisse derrire lui
relativement aux animaux. A cela sajoute les chos reus de la moisson effectue
par Alcide dOrbigny, qui accomplit le programme dfini par Bonpland en 1817,
savoir naturaliser les oiseaux dcrits par lAragonais la fin du XVIIIe sicle :

2256

Par exemple lorsquil abat un grand nombre doiseaux dont un aigle, un turpial, deux espces
de canards, dhirondelles et de charpentiers, trois tourterelles, des perruches et des cardinaux ;
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 16-18 octobre 1832.
2257
AMFBJAD n 2044, journal, 28-29 aot, 8 septembre 1819.
575

Deuxime partie

Chapitre VI

je nai jamais eu la prtention doffrir [] des oiseaux nouveaux. [] Le


Musum et trs riche je le sais : et cela eut t une absurdit de ma part
pretendre trouver des objets nouveau dans un pays si connu par le sejour
tout recent que Monsieur Dorbigny venait dy faire et do je voyais tous
les jours expdier pour france des caisses doiseaux. [Dans] un pays
aussi connu pour les oiseaux que B[uenos] a[ires] et ou tous les trangers
font une honteuse spculation de la chasse

2258

il est malais de proposer de nouveaux spcimens. Ce document est rvlateur des


obstacles dont Bonpland est trs tt conscient. Dabord lpuisement du terrain, la
rtraction de la seule perspective novatrice, celle-ci tant ralise par dOrbigny
partir de 1835 ; ensuite la concurrence des entrepreneurs privs, touffant
linitiative en la matire, principalement financirement.
Lpuisement du terrain ne concerne pas seulement lornithologie. Ce qui
est vrai pour les oiseaux lest aussi pour le reste des animaux, dOrbigny
lapprenant ses dpens puisque lordre des mammifres quil ne publie quen
1847 se trouve amput de nombreux spcimens, cause de l abondance des
rcoltes et les publications aussi nombreuses quintressantes 2259 . Cest le cas de
la bizcacha qui, bien que ramene en France, ne figure pas dans louvrage de
dOrbigny et Gervais. Bonpland entend aller la chasser en 1832 ; il fournit au
Musum quatre spcimens empaills, deux squelettes et une tte isole. Il pense
quaprs Azara, il est le premier fournir un exemplaire :
La viscacha dcrite par Mr dAzara est propre ces pays je lai vue
seulement dans les campagnes de Buenos Ayres et dans celles de
Corrientes entre les rivires dites Miriay et Corrientes.

Aussi espre-t-il quelle sera place dans le riche cabinet de pices danatomie
compare au quel la science doit la plus grande partie Monsieur Cuvier 2260 .
2258

AMFBJAD s. n., s. d. Lallusion au rcent sjour de dOrbigny laisse penser que la lettre
est adresse en 1837 de Buenos Aires, puisquelle semble tre une rponse une demande, voire
un reproche de ses interlocuteurs franais. Il pourrait sagir vraisemblablement dune lettre crite
suite au rcpiss des caisses danimaux envoyes en 1832, alors que dOrbigny tait pass
Buenos Aires quatre ans auparavant. En 1860, linventaire bauch par Bonpland nest pas
ralis ; Azara fait encore figure de rfrence incontournable pour qui dsire connatre cette partie
de la faune rioplatense ; cf. DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, pp. 255-256.
2259
Paul Gervais poursuit dans lavertissement de ce tome : elles rduisent de beaucoup la part
des dcouvertes qui nous taient rserve, et quil ne nous reste plus qu glaner l o nous aurions
pu moissonner aisment. [] Beaucoup dentre elles [] sont actuellement vulgaires dans les
collections et mme dans le commerce ; ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome IV, 4e partie,
Mammifres, 1847, p. 8.
2260
AMFBJAD n 319, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 1er juin 1832 ; AMFBJAD n 278,
Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos Aires, 5 janvier 1837.
576

Deuxime partie

Chapitre VI

Or, entre 1835 et 1847 le terrain est, compte tenu des connaissances scientifiques,
quasiment dpouill 2261 .
Dun point de vue mthodologique, peu davances sont constater, les
ouvrages de Lamarck et Cuvier faisant loi encore dans les annes 1830 et
1840 2262 . Les principales avances ont donc lieu sur le terrain, quantitativement.
A cela sajoute en Europe lessor du commerce danimaux exotiques. Il sagit
dun phnomne rcurrent dans lhistoire des sciences, lorsque le collectionnisme
priv lemporte sur la divulgation publique, et bnficie dune impulsion
nettement plus favorable, lie essentiellement laspect financier. Bonpland sen
plaint, Jean Lacour, lempailleur quil emploie de 1832 1833, lui cotant 60
francs par mois ; il promet en 1838 de continuer alimenter le Musum royal 2263 ,
mais face la concurrence prive et labsence de rponses de la part du
Musum, son activit en la matire diminue irrmdiablement. Aux pertes dues
aux alas du transport tous les oiseaux envoys en 1832 parviennent en mauvais
tat, lui crit-on de manire peu agrable sajoute la mauvaise gestion des
spcimens parvenus en bon tat 2264 . La description minutieuse dun tatou noir ou
del monte quil voit pour la premire fois So Joo Mini sur les quatre espces

que compte la rgion, demeure longtemps indite puisquil faut en attendre la


publication dune description de Pierre Vavasseur jusquen 1861 2265 . Enfin, la
concurrence entre savants europens acclre encore le phnomne. Cest le cas
pour le nandou, dont Bonpland acquiert deux exemplaires quil dcrit ds
1831 2266 . Mais il faut attendre 1841 pour que limage du volatile parvienne en
Europe grce Darwin. DOrbigny en ayant fait publier une description sans
lavoir trouv, le Britannique enlve le nom scientifique attribu par le Franais et

2261

Cf. TRANIER Michel, Alcide dOrbigny, mammalogiste malheureux , in TAQUET


Philippe (dir.), Alcide dOrbigny. Du Nouveau Monde Au pass du monde, Paris, Musum
National dHistoire Naturelle/Nathan, 2002, pp. 56-57.
2262
Leurs ouvrages sont rdits au cours de ces dcennies. Cf. GILLIPSIE Charles C., op. cit., pp.
235-236.
2263
Bonpland M.-E. Chevreul, P.-L. A. Cordier et A. Brongniart, Corrientes, 28 mars 1838.
2264
Cf. TRANIER Michel, op. cit.
2265
AMFBJAD n 1707, voyage, juin 1835 ; VAVASSEUR Pierre, Note sur une espce de tatou
trs recherche comme aliment dans les provinces de la Plata , in Bulletin de la Socit de
Zoologie et dAcclimatation de France, vol. 8, n 4, 1858, pp. 388-394.
2266
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 21 dcembre 1831.
577

Deuxime partie

Chapitre VI

le rebaptise. Aprs cette date il reste encore dire puisque Pierre Vavasseur publie
une note ce propos en 1858 2267 .

Une avance ttons


A son arrive Buenos Aires, Bonpland fait preuve dune rigueur gale
celle de dOrbigny. Le livre dAzara la main, lobjectif est dillustrer les
descriptions de son prdcesseur ; dOrbigny na pas dautre programme de
recherche, bien quil se montre logieux son gard, contrairement Bonpland
beaucoup plus circonspect 2268 . Cette bible vante par dOrbigny en 1844 devient
un handicap pour Bonpland ds la fin des annes 1830, lorsquil ralise son
second envoi doiseaux empaills au Musum, devant se contenter de les
dnommer par leur nom vernaculaire, le seul ouvrage en sa possession tant celui
de Flix de Azara 2269 . Cette diffrence de perception explique le dcalage existant
entre une priphrie scientifique qui ignore son potentiel et un centre conscient de
ses lacunes, lignorance dans laquelle est plonge Bonpland lamenant ttonner
et attendre alors quil dispose encore de spcimens indits. Cest le cas pour les
serpents du Paraguay et de Corrientes dont il tablit une liste significative de cette
lacune ; il dcrit des boy tata, quiririo, boy curuzu, dayoureiri, huazo, boy coral,
boy campanilla, curiyou, acanisma, boy pe, yarara, boy curuzu michi 2270 ,

daprs leurs noms guaranis, sans tre en mesure de les comparer avec dventuels
types.
Or, Bonpland demeure dans lignorance du contenu des publications
comme des besoins spcifiques inhrents aux institutions europennes. Il fournit
aussi des particuliers au Ro de la Plata gratuitement, l encore en vertu de la
sociabilit naturaliste qui le caractrise. Le don le plus important est destin en
2267

BROWNE Janet, Une science imprialiste : lhistoire naturelle britannique et les voyages
dexploration de Banks Darwin , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro,
FISCHER Jean-Louis (coord.), op. cit., p. 202 ; VAVASSEUR Pierre, op. cit.
2268
notre premier soin fur de vrifier ses allgations dont plusieurs, en Europe, taient regardes
comme fabuleuses. Ayant toujours considr cet crivain comme un observateur aussi exact que
consciencieux de tous les animaux quil a vus, nous reconnmes bientt [] que nous ne nous en
tions pas le moins du monde exagr le mrite [] Nous navons pas besoin dajouter quAzara
nous a toujours servi de guide , ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome IV, 3e partie, Oiseaux, 18351844, pp. 1-2.
2269
AMFBJAD n 287, Bonpland A. M. C. Dumril, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2270
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, fvrier 1832.
578

Deuxime partie

Chapitre VI

1832 Pedro de Angelis auquel il offre 120 spcimens doiseaux, presque autant
que le nombre remis la mme date au Musum. Au cours des annes 1840, il
fournit en moindre quantit le ministre plnipotentiaire britannique Mandeville.
La grande mixit observe entre les secteurs privs et publics est caractristique
de cette science. Celle-ci avance ttons, pareillement aux autres branches des
sciences naturelles, mais la diffrence rside ici dans la mthode employe pour
recueillir les chantillons. Si Bonpland investit dans sa collection doiseaux, qui
compte 60 exemplaires en juin 1832, la manire de procder est quant elle
significative dun ttonnement certain :
je tue et jempaille tout ce que je trouve. le choix se fera aprs et agissant
de cette manire, on rencontre toujours des oiseaux rares.

2271

Les rsultats des chasses sont donc souvent rptitifs, et de moins en moins
conformes aux avances des connaissances, surtout si lon compare ses moissons
avec celles de dOrbigny, presque quatre fois suprieures 2272 .
Lexpectative dans laquelle il se trouve lamne rapidement abandonner
ce domaine trop coteux. En 1832 lengagement de Lacour, dont le but avou est
dobtenir les oiseaux dcrits par Azara, lui permet de rassembler 153 spcimens
dune cinquantaine despces diffrentes. Bonpland ne cache pas sa dception au
vu du peu doiseaux rassembls ; il fait rejaillir sur linsouciance et la
paresse de son prparateur cet chec. En 1837, lenvoi est plus considrable
puisquil consiste en 252 oiseaux appartenant 119 espces diffrentes provenant
du Paraguay, du ro Uruguay, des Missions et de la province de Corrientes, en
plus de quelques reptiles et mammifres. Au total, la premire collection de 1832
est rapidement constitue, au bout de trois mois, et le second envoi effectu en
1837 aprs quinze mois de travail offre de laveu de son auteur peu dintrt,
hormis celui de la localit. En effet Bonpland ne sait comment valoriser ses
collections, et se montre trs prudent concernant sa pertinence ; il rpte quil
espre que ses envois ne soient pas dsapprouvs et offrent quelque intrt ; il se
justifie mme en expliquant son choix de considrer ces oiseaux sous le point de

2271

AMFBJAD n 319, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 1er juin 1832.


Cf. CUISIN Jacques, DOrbigny, ou le voyage dun ornithologiste , in TAQUET Philippe
(dir.), Alcide dOrbigny. Du Nouveau Monde Au pass du monde, Paris, Musum National
dHistoire Naturelle/Nathan, 2002, pp. 51-55.

2272

579

Deuxime partie

Chapitre VI

vue de la localit et en tirer tout le parti possible 2273 . Bien quil promette en
1837 le prochain envoi dune autre caisse, et en prvoit mme un autre par la
suite, Bonpland arrte de fait ses expditions cette date. Au final, le temps
employ cette collection savre extrmement court, et surtout le travail sarrte
ds 1837, quelques dons tant effectus des particuliers aprs cette date,
manant peut-tre de spcimens originellement destins au Musum, montrant le
glissement dun intrt public une proccupation essentiellement prive. Dans
ce domaine, lapport de Bonpland est un chec.

Lethnologie, une lacune majeure


Encore cet chec serait-il relatif sil ntait compar au travail
ethnologique, presque totalement absent de ses observations. Bien quil en ait
lintention avant son dpart pour lAmrique en 1816 2274 , Bonpland ne sintresse
quasiment pas aux Indiens dun point de vue anthropologique. Ses commentaires
ne permettent pas de faire apparatre une vision globale, les quelques jugements
ports tant individuels et contradictoires. Alors que cinq peones font route avec
lui, il dcrit avec curiosit l habilet des indiens de se tenir cheval dans un etat
excesif divrognerie 2275 . Il dcrit sans la commenter la prsence, Punta Gorda,
d Yndiens des Missions dont un trs clebre le fameux Taquabe 2276 . Lunique
travail entreprendre est selon Bonpland leur rassemblement et leur encadrement,
suivant en cela les projets des missionnaires. A Santa Luca, les Indiens
sont peu laborieux mais bons guerriers. comme toutes les races indiennes
ils ne travaillent lagriculture que pour se nourrir quelques mois. les
femmes au contraire sont tres travailleuses

2277

Cette indiffrence presque complte est difficilement explicable. En


suivant lanalyse de Mnica Quijada, le modle argentin se situe dans la phase
2273

AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos


Aires, 5 janvier 1837 ; AMFBJAD n 1623, Bonpland G. de Saint-Hilaire, Buenos Aires, 25
janvier 1837.
2274
jtudierai [les antiquits] des Incas et des peuples qui habitent depuis le Chili jusquau
dtroit de Magellan ; Bonpland Gallocheau, Paris, 1er avril 1816, cit in HAMY Thodore
Jules Ernest, op. cit., p. 71.
2275
AMFBJAD n 1710, voyage de lautre ct du Camacua, 15 aot 1836.
2276
AMFBJAD n 1713, journal, Corrientes, Octobre 1836.
2277
AMFBJAD n 1727, journal, Voyage Santa Luca, 21 janvier 1840.
580

Deuxime partie

Chapitre VI

appele nation civique caractrise par lhgmonie de la pense librale,


fonde sur lide dun creuset permettant la fusion ethnique selon le modle
utilitariste du citoyen industrieux associ lensemble de la socit par la fidlit
lEtat civil 2278 . Cette dfinition correspond bien au regard de Bonpland,
soucieux de la marginalisation des Indiens et la ncessit de les intgrer ldifice
social, grce au travail.
Mais sil ne considre pas les Indiens comme des curiosits , le
naturaliste ne prend pas du tout part la vieille dispute du Nouveau Monde 2279 .
Cette absence de prise de position, dobservation, dattitude ethnographique est
tonnante si lon se place non plus du ct scientifique amricain mais europen.
Absence surprenante lorsque lon constate quil sagit dune proccupation
majeure non seulement des voyageurs contemporains, mais encore des savants de
cabinet 2280 . Quelques maigres indices prouvent que Bonpland demeure au courant
de recherches en la matire, bien quil ne fasse aucun commentaire ce sujet 2281 .
Son mutisme ne permet pas non plus de dfinir son opinion vis--vis des races
amrindiennes ou noires, hormis les lieux communs concernant lindiffrence, la
nudit et la malpropret de ces indiens demi civiliss 2282 . Sa rencontre avec
un de ces vieux multres civiliss qui accueillent bien les voyageurs 2283 peut
laisser penser que dautres mais en quelle proportion ? ne le sont pas. Bref
bien peu dindications, ni lesclavage ni linfriorit ntant abords ; ce sont
dailleurs les Croles et leur funeste mentalit espagnole qui sont les plus soumis
sa critique.

2278

La seconde phase dite de nation civilise couvre la seconde moiti du XIXe sicle, lorsque
civiliser signifie liminer ; cf. QUIJADA Monica, Anctres, citoyens, pices de Muse :
anthropologie et construction nationale en Argentine (seconde moiti du XIXe sicle) , in
LEMPERIERE Annick, LOMNE Georges, MARTINEZ Frdric, ROLLAND Denis (coord.)
LAmrique latine et les modles europens, Paris, LHarmattan, 1998, p. 245 ; cf. aussi du mme
auteur, Qu nacin? Dinmicas y dicotomas de la nacin en el imaginario hispanoamericano
del siglo XIX , in GUERRA Franois-Xavier, QUIJADA Mnica (coord.), Imaginar la nacin,
numro monographique des Cuadernos de historia latinoamericana, n 2, 1994, pp. 15-51.
2279
Cf. GERBI Antonello, op. cit.
2280
Cf. PIVETEAU Jean, Limage de lhomme dans la pense scientifique, Paris, OEIL, 1986, pp.
22-34.
2281
Dans un rapport de lAcadmie des Sciences, Bonpland relve que dOrbigny observe que
lEspce humaine suit la mme proportion que les plantes c.a.d. quils sont plus petits en raison de
leur levation sur le niveau de la mer. , AMFBJAD n 1703, voyage de So Borja dans la
province de Corrientes, 19 aot 1834.
2282
Ou moins communment, une Chaquea ge de 140 ans ; AMFBJAD n 1736, journal,
Corrientes, 26-28 septembre 1840.
2283
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, Pay Ouvr, 31 dcembre 1831.
581

Deuxime partie

Chapitre VI

Seuls les Guaranis, en tant que nation ayant jou un grand rle avant et
aprs la conqute 2284 , retiennent quelque peu son attention. Dans ce cas, il recourt
essentiellement aux sciences du langage. Lorsquil entre en possession de la
relation de voyage de Saint-Hilaire, un seul aspect de celle-ci retient positivement
son attention, la prsence de noms guaranis
qui justifient les ides que je me suis form ds le Paraguay de limmense
tendue de cette nation. On trouve positivement des traces de lexistence
des Guaranys jusque dans la Guyane franaise et le jour ou je reverrai les
noms des diverses habitans ou tributs de lOrnoque dont nous avons pris
des noms il me sera facile de juger si la nation Guarany sest tendue
jusque dans ce dernier endroit.

2285

Le naturaliste effectue mme certaines recherches en ce sens. Boissire lui fait


parvenir lappendice de lhistoire du grand empire dans lequel il ny a pas sur
les guaranis les renseignements quil pensait y trouver. Il se rfre aussi aux
travaux de Pedro de Angelis 2286 , identifiant les Indiens Canoeros ceux qui
habitent Asuncin et qui avant le rgne de Francia habitaient le Paraguay et
Corrientes 2287 . Pour le reste, il sagit de dtails la mesure du peu de restes
antiques des Indiens uruguayens et pamperos 2288 . A Itaqui, mot dont il donne la
signification pierre aiguiser Bonpland remarque une colline qui semble
forme par lart 2289 . Entre Santa Mara la Mayor et San Javier, il relve les noms
de trois rivires quil traduit du guarani, le Ytacaruague pierre o lon a mang,
le Cuchuy grande et le Cuchuy chico cuch signifiant qui sme et y
voulant dire eau quil traduit par eau qui court 2290 . Il sagit dun travail
essentiellement linguistique, trs peu tourn vers la collecte dobjets dont il ne
saisit pas la porte scientifique, ceux-ci revtant une fonction plus usuelle que
patrimoniale. Cest le cas lors dune rare description de poteries indignes,
davantage motive par le profit en tirer que par toute autre considration
ethnologique. La prminence de cette approche laisse peu de place au
2284

Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cit in HAMY Thodore-Jules Ernest,
op. cit., p. 87.
2285
AMFBJAD s. n., Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832.
2286
Coleccin de obras y documentos relativos a la historia antigua y moderna de las Provincias
del Ro de la Plata, Buenos Aires, Imprenta del Estado, 1836-1837, 6 vol.
2287
AMFBJAD n 412, A. Boissiere Bonpland, Rio de Janeiro, 20 octobre 1832 ; AMFBJAD n
1712, Buenos Aires, Annotations diverses, novembre 1836.
2288
DARWIN Charles, op. cit., tome I, pp. 52, 115-116.
2289
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 21 dcembre 1831.
2290
AMFBJAD n 1710, voyage de lautre ct du Camacua, 23 aot 1836.
582

Deuxime partie

Chapitre VI

questionnement scientifique, et les rponses sont en outre inexistantes 2291 . Il est


certain que Bonpland est fortement imprgn de lidologie librale hrite du
Sicle des Lumires, quil amne avec lui en 1817 et laquelle il demeure fidle,
peut-tre du fait de son loignement.

CONCLUSION
Les travaux dhistoire naturelle rioplatense dAim Bonpland sont de
valeur ingale et suivent diffrents rythmes. Leur destination varie en fonction de
lemploi dcid par Bonpland. La minralogie est essentiellement destine
alimenter les fonds publics, tandis quau contraire les spcimens du rgne animal
sont assez rapidement mis entre les mains de bnficiaires privs. Les apports
botaniques sont mixtes, mis la disposition de la divulgation et de lconomie
prive. Outre quil sagit de contribuer clairer un travail de terrain mconnu, les
cadences de ce travail sont mieux apprhendes. Le rythme gnral des travaux de
Bonpland peut tre divis en quatre phases. La premire, de 1817 1821, est trs
intense autant quantitativement que qualitativement ; elle correspond aux projets
de grandes expditions. Les trois rgnes sont tudis avec rigueur, bien que la
botanique soit privilgie, comme lors des tapes suivantes. Elle se prolonge
jusquen 1832, deux annes aprs la parenthse scientifique paraguayenne qui en
constitue la seconde phase, caractrise par sa strilit. Entre 1832 et 1849, la
troisime phase marque la fin des grands projets sud-amricains et la dcroissance
de lactivit scientifique qui se poursuit jusquau voyage Porto Alegre.
Ainsi, des pans entiers de lhistoire naturelle rioplatense demeurent
confins au sein darchives prives et non exploites. La botanique est la premire
science en ptir, rapidement rejointe par le rgne animal, qui est trs peu
reprsent, tardivement exploit et rapidement abandonn. Aprs un grand vide
dans les annes 1840, le voyage Porto Alegre lui permet de connatre un regain
dactivit. A partir de 1849 et jusquen 1858, on assiste la recrudescence dun
2291

Les limites de la rflexion ethnologique du Franais sont contenues dans son questionnement
concernant lemploi dune certaine catgorie de terre afin de teindre les poteries. A ce sujet, il se
demande Comment des hommes sans aucune espce dinstruction ont-ils pu parvenir faire une
decouverte qui seule ferait la reputacion dun de nos chymistes , AMFBJAD n 1728, journal,
voyage Santa Luca, 21 janvier 1840.
583

Deuxime partie

Chapitre VI

travail plus local en Amrique du Sud, la zone des prgrinations de Bonpland


tant bien dlimite suivant un triangle Corrientes-So Borja-Montevideo, mais
aussi port de nouveau vers lEurope suite la redcouverte du naturaliste par
son pays. Tout ce travail de terrain conserve sa pertinence historique si ce nest
scientifique, en ce quil permet de diffrencier lhistoricit de la science et celle de
lactivit scientifique 2292 . Bonpland se positionne dans une perspective
FP

PF

scientifique essentiellement amricaniste. Enfin, nous assistons tout au long de


cette priode un glissement des proccupations purement scientifiques vers des
objectifs de plus en plus conomiques, l encore mixtes puisque mlant les
intrts privs et publics, proccupations que nous abordons prsent.

2292

Evoquant le positionnement dAntonio Lafuente, Silvia Fernanda de Mendoa Figueira crit :


la opcin consiste entre historiar ciencia o actividades cientficas. O sea, un objeto abstracto y
pretendidamente universal o una realidad concreta, aqu y ahora. ; cf. MENDOA FIGUEIRA
Silvia Fernanda, Las ciencias geolgicas en Brasil en el siglo XIX , in Cuadernos Americanos,
n 38, mars-avril 1993, pp. 181-182.
P

584

CONCLUSION

Un premier enseignement tirer concerne la nature des centres de culture


scientifique. Ltude de celui de Malmaison-Navarre montre quun centre peut
tre dot de moyens financiers consquents et situ 20 kilomtres de Paris, il
nen demeure pas moins quil est susceptible dtre plac la priphrie
scientifique. Ici, la dfinition du centre et de la priphrie scientifiques ne prend en
compte ni la qualit intrinsque ni lemplacement gographique des lieux dans
lesquels les sciences naturelles se construisent. Malmaison-Navarre et Buenos
Aires nous rappellent que la cration ex nihilo dun lieu de culture scientifique
ncessite une capacit didentification et dinsertion dans un projet scientifique
global 2293 . Lmergence dun lieu dexcellence la priphrie, et surtout sa
validation par le centre, demande la mise en place dune politique scientifique
concerte et dynamique cest--dire un processus dvolution interne rsultant
des forces en interaction 2294 .
Do un second enseignement tirer, savoir labsence de convergence
entre loffre et la demande scientifique. En effet, les difficults rencontres par
Bonpland pour donner aux projets quil prsente une consistance montrent que ce
pr-requis permet lmergence dun lieu de culture scientifique priphrique nest
pas ralis Malmaison-Navarre ni Buenos Aires. Bien que la stratgie de
recherche de Bonpland soit tourne vers linnovation, elle demeure entirement
dpendante dune validation de la part du centre. En France, le poids acquis par la
2293

Cf. MARTINIERE Guy, Crear una universidad nueva en una ciudad media. El caso de la
Universit de la Rochelle , in RU&SC, Revista de Universidad y Sociedad del Conocimiento, vol.
4, n 2, octobre 2007, pp. 49-60.
2294
A propos du contexte social dmergence des recherches, cf. WAAST Roland, Lmergence
de communauts scientifiques , in WAAST Roland (d.), La construction de communauts
scientifiques : Afrique, Asie, Amrique latine, s. l., ORSTOM/Bondy, 1992, pp. 8-10.

Deuxime partie

Conclusion

communaut scientifique dominante 2295 fait delle un acteur essentiel de cette


validation. Or, tout indique que Malmaison-Navarre est marginalis entre 1809 et
1814. Au Ro de la Plata, cest labsence de direction scientifique claire ou de
projet scientifique approuv par llite qui invalide le programme propos par
Bonpland entre 1817 et 1821.
En ce qui concerne le Ro de la Plata, il semble vident que le projet
naturaliste de collecte du monde et de regroupement dchantillons des rgnes de
la nature ne correspond pas aux attentes des lites indpendantistes demandeuses
de praxis plutt que de thorie. La nomination de Bonpland en tant que professeur
de mdecine et labandon rapide du projet de jardin botanique aprs son
enlvement indiquent un manque vident de but politique. Son phmre
rsurrection sous la forme dun jardin dessai au cours des annes 1820
correspond davantage aux besoins des Rioplatenses, mais Bonpland nest pas libre
dy dvelopper un projet plus semblable celui quil mne Malmaison-Navarre.
On peut voquer ce propos un autre dcalage, Bonpland tentant de dvelopper en
France un centre de recherches beaucoup plus viable Buenos Aires, tandis quil
est recrut par les Porteos pour dvelopper un jardin botanique et un muse
calqu sur un standard viable en France.
Du point de vue des matriaux collects par Bonpland entre 1798 et 1858,
les diffrents destins quils connaissent nous amnent conclure l aussi
lexistence dun dcalage des projets scientifiques. Ceux ramens du voyage dans
les colonies espagnoles sont classs et intgrs au corpus botanique tandis que les
collectes effectues aprs 1817 nacquirent aucune validit scientifique faute de
publication. Les travaux de Bonpland restent en quelque sorte et en grande partie
prisonniers de la premire tape du dveloppement scientifique dfinie par George
Basalla 2296 . A cet gard, la constitution dun savoir dans sa phase initiale, ici le
savoir amricain comme tradition scientifique priphrique et amricaniste

2295

Cf. FOX Robert, WEISZ George, The Organization of Science and Technology in France,
1808-1914, Cambridge, Cambridge University Press, Paris, Maison des Sciences de lHomme,
1980. Concernant la botanique, cf. HEADRICK Daniel R., Botany, Chemistry, and Tropical
Development , in Journal of World History, vol. 7, n 1, printemps 1996, pp. 1-20.
2296
BASALLA George, op. cit.
585

Deuxime partie

Conclusion

comme discipline en gestation (gestation dune discipline) nest pas assimilable


au modle de dveloppement des sciences naturelles europennes 2297 .
Cette diffrence pose le problme de lexistence, plus que de lmergence,
dune science priphrique au Ro de la Plata dans le domaine de lhistoire
naturelle. Paul Rasse dfend la thse selon laquelle les interactions de la
communication plantaire entranent la gnralisation des modles culturels des
pays les plus dvelopps 2298 . Cette ide parat devoir sadapter dautant plus
facilement la communication scientifique que celle-ci est fonde sur des rsultats
quantifiables. Labsence dune convergence dintrts entre les collecteursexplorateurs naturalistes et les acteurs du dveloppement scientifique rioplatense,
qui possde sa propre logique, demande une tude des conditions du transfert des
savoirs et des centres de culture scientifique que nous effectuons prsent.

2297

En Europe, le dveloppement des cabinets de curiosit permet la cration des muses dhistoire
naturelle. Quen est-il en Amrique et plus particulirement au Ro de la Plata ? Quelles lieux
privs sont susceptibles de favoriser lmergence de lhistoire naturelle ?
2298
RASSE Paul, La rencontre des mondes. Diversit culturelle et communication, Paris, Armand
Colin, 2006.
586

Lamricanisme en construction. Une pr-histoire de la discipline daprs lexprience du


naturaliste Aim Bonpland (1773-1858)
Rsum :
Lexprience dAim Bonpland invite rflchir sur les conditions ncessaires au transfert dune science et sur
lidologie qui le porte. Partisan de lindpendance du Ro de la Plata, imprgn dune culture politique mettant
au premier plan la ncessit dun Etat fort permettant la stabilit et le rayonnement dune nation, Bonpland se
heurte linstabilit qui caractrise la construction politique de cette rgion. En suivant son parcours on assiste
la rencontre manque entre un naturaliste porteur dun projet fond sur le modle universaliste du centre
scientifique europen et des lites qui, la priphrie, souhaitent mettre en place une politique spcifique base
sur lutilisation des ressources naturelles des fins de dveloppement interne.
Cette exprience permet de mettre en vidence diffrents moments de la construction des nations rioplatenses et
de les insrer dans une grille de lecture amricaniste. La notion damricanisme, aborde comme un ensemble
didologies en action ayant comme proprit essentielle le dveloppement dinteractions culturelles, soulve le
problme de la convergence des idologies et de leur adaptation transatlantique. En effet, il faut attendre la mise
en place de projets politiques et scientifiques rioplatenses fonds sur la production externalise des
connaissances pour que laction scientifique mene par Bonpland, elle-mme base sur la recherche applique,
devienne opratoire. Lexprience de Bonpland est replacer dans cette continuit, depuis linadquation entre
loffre et la demande scientifique jusqu la convergence des projets amricanistes.
Mots cls : Aim Bonpland, amricanisme, histoire naturelle, Ro de la Plata.

Americanism under construction. A pre-history of the discipline according to the naturalist


Aim Bonplands experience.
Summary :
Aim Bonplands experience leads us to reflect about the necessary conditions for the transfer of a science and
the ideology it bears. In favour of the independence of the Rio de la plata, imbued with a political culture putting
forward the necessity of a strong state thus enabling a nation to be stable and to shine forth, Bonpland comes up
against the instability that characterizes the political construction of this region. By following his path, we
witness the wasted accounter between, on the one hand a naturalist bearing a project based on the universalist
pattern of the European scientific center, and, on the other hand the elites who, at the periphery, want to settle a
specific policy based on the use of natural resources aiming at international development.
This experience enables to bring to the fore different moments of the construction of the Rioplatenses nations
and to insert them from an americanist perspective. The notion of americanism tackled as a set of ideologies into
action whose main property is the development of cultural interactions, arises the issue of the convergence of
ideologies and of their transatlantic adaptation. Indeed, to become operating, it is necessary to wait for the setting
up of political and scientific rioplatenses projects, based on the outsourced production of knowledge, for the
scientific action led by Bonpland, itself based on applied research, to become operating. It is necessary to put
Bonplands position back in this continuity, from the inadequacy between the scientific supply and demand, up
to the convergence of americanist projects.
Keywords : Aim Bonpland, Americanism, natural history, Ro de la Plata.

CRHIA (Centre de Recherches en Histoire Internationale et


Atlantique)
FLLASH
Universit de La Rochelle

UNIVERSIT DE LA ROCHELLE

COLE DOCTORALE
Socits, cultures, changes
Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique

THSE
prsente par :

Cdric CERRUTI

soutenue le 18 mai 2012


pour lobtention du grade de Docteur de lUniversit de La Rochelle
Discipline : Histoire

Lamricanisme en construction. Une pr-histoire de la discipline daprs


lexprience du naturaliste Aim Bonpland (1773-1858)

JURY
Jean-Paul DUVIOLS
Pilar GONZLEZ BERNALDO
Guy MARTINIRE
Didier POTON
Jacques SOL
Michel VAN-PRAT

Professeur mrite, Universit Paris IV


Professeur, Universit Paris VII
Professeur mrite, Universit de La Rochelle, Directeur de thse
Professeur, Universit de La Rochelle
Professeur mrite, Universit Grenoble II
Professeur, Musum national dHistoire naturelle

Volume 3

TROISIME PARTIE

ENTRE NATURALISME ET
AMERICANISME : LMERGENCE DE
CENTRES DE CULTURE SCIENTIFIQUE
PR-AMRICANISTES

INTRODUCTION

La notion de progrs scientifique se traduit matriellement par lapparition


du modle franais du Musum. Cependant, il nest pas le seul imagin ou ralis
au cours de la priode de redfinition des sciences et des lieux de savoir inaugure
par la Rvolution franaise 2299 . La question de la forme prise par les lieux
daccumulation, de cration, de transformation et de diffusion du savoir rejoint
celle de la construction et du transfert des traditions scientifiques dune aire
culturelle vers une autre. En suivant les recherches menes par Dominique Poulot,
dsireux dcrire une histoire du patrimoine et de ses objets dans laire culturelle
europenne 2300 , nous souhaitons en tudier les transferts transatlantiques en
centrant notre analyse sur un personnage et une aire dfinie, Bonpland et le Ro de
la Plata. Restituer le rle dintermdiaires savants longtemps considrs comme
mineurs 2301 permet aussi de complter des problmatiques et douvrir dautres
pistes de recherche.
Rappelons que les lieux de savoir fonds ou refonds aprs 1789 en France
et en Europe contiennent, en plus dun patrimoine scientifique, une charge
idologique ; ils matrialisent et exposent le discours des vainqueurs de lAncien
Rgime. Cette matrialisation du discours accentue sa visibilit et sa lisibilit et ce
soutnement politique qui favorise les sciences naturelles dans lAncien Monde
est aussi un pralable la construction des sciences du Nouveau Monde. A linstar
de Dominique Poulot qui reconstitue lhistoire et les logiques internes de la
2299

Cf. DHOMBRES Nicole et Jean, op. cit., pp. 74-88 ; ROLLAND Anne-Solne,
MURAUSKAYA (dir.), Les muses de la nation. Crations, transpositions, renouveaux. Europe,
XIXe-XXIe sicles, Paris, LHarmattan, 2008 ; ROLLAND Anne-Solne, MURAUSKAYA (dir.),
De nouveaux modles de muses. Formes et enjeux de crations et rnovations de muses en
Europe. XIXe-XXIe sicles, Paris, LHarmattan, 2008.
2300
POULOT Dominique, Histoire de la raison patrimoniale en Europe, XVIIIe sicle-XXIe
sicles, Paris, Lahic, 2004.
2301
Cf. CHALINE Jean-Pierre, Sociabilit et rudition en France, Paris, CTHS, 1995.

Troisime partie

Introduction

patrimonialisation des cultures travers les sociabilits qui les cultivent et les
savoirs qui sy prouvent 2302 , nous souhaitons reconstituer les logiques qui guident
les fondations et les transferts des centres de culture scientifique. Transfrer un
laboratoire, un savoir et une tradition scientifique, cest aussi transfrer un
discours et une idologie. Or, la construction de cette idologie matrielle dans le
Ro de la Plata se ralise difficilement, les attitudes des dirigeants rioplatenses
variant et se contredisant face llaboration des centres de culture scientifique,
les centres dhistoire naturelle en particulier. Tulio Halpern Donghi et Miguel de
Asa expliquent quentre 1800 et 1820 les priorits sont dordre militaire 2303 .
Quant au processus de patrimonialisation, qui est encore un terrain de recherche en
friche, il demande tre replac dans une perspective moyen terme tel que le
fait Dominique Poulot 2304 permettant de mieux comprendre les prmices de la
politique scientifique indpendantiste rioplatense.
En effet, la demande scientifique europenne et ce que propose Bonpland
en 1817 est essentiellement fonde sur un projet naturaliste dinventaire du
monde. Or, la demande rioplatense repose sur des priorits dordre pratique ; le
projet scientifique ny est pas guid par la patrimonialisation mais par la
construction nationale. Avec Bonpland, la piste suivie nous mne vers une histoire
du pr-amricanisme, car les objectifs scientifiques divergents et les rseaux
transatlantiques fragiles freinent la cration dun champ dtude gocentr. Dans
ce contexte entre naturalisme et amricanisme, le projet scientifique de Bonpland
est-il adaptable et peut-il permettre lmergence dune excellence scientifique la
priphrie ?
Loriginalit du savant franais est de porter aussi avec lui un projet
conomique quil tente de faire concider avec loffre et la demande scientifique
transatlantique. Dans un premier chapitre nous analyserons comment on passe
avec Bonpland du chercheur lentrepreneur, le botaniste tentant dappliquer ses
recherches aux ralits conomiques rioplatenses. Il ne sagit pas dacculturation
puisquil porte ce projet ds son dpart pour Buenos Aires, mais dadaptation
puisquil tente dabord de dupliquer le modle du Jardin des Plantes Buenos
2302

POULOT Dominique, op. cit. ; POULOT Dominique, Une histoire des muses de France,
XVIIIe-XXe sicles, Paris, La Dcouverte, 2005.
2303
HALPERIN DONGHI Tulio, Historia de la Universidad de Buenos Aires, Buenos Aires,
Eudeba, 1962, pp. 20-21, 26 ; ASUA Miguel de, La ciencia de Mayo. La cultura cientfica en el
Ro de la Plata, 1800-1820, Buenos Aires, FCE, 2010, pp. 34-48.
2304
POULOT Dominique, Muse, nation, patrimoine, 1789-1815, Paris, Gallimard, 1997.
591

Troisime partie

Introduction

Aires puis celui de Malmaison dans la province de Corrientes. Nous analyserons


dans les deux chapitres suivants les deux phases du transfert des savoirs et la
construction dune tradition scientifique au Ro de la Plata. Il sagit danalyser les
ralisations de Bonpland en les replaant dans un contexte scientifique local
caractris par son retard vis--vis du modle europen entre 1817 et 1849 puis la
mise en place dune coopration permettant aux sciences naturelles rioplatenses
dmerger entre 1849 et 1858. Il sagit aussi de replacer lexprience de Bonpland
dans lhistoire de lamricanisme qui se fonde grce cette coopration et,
travers le savant, desquisser une gnalogie de la discipline.

592

CHAPITRE VII
Des thories naturalistes aux
pratiques amricanistes : de nouveaux terrains
dapplication (1817-1858)

INTRODUCTION
Cest la priphrie des proccupations scientifiques que les sources se
rvlent les plus abondantes. Les journaux de mdecine, les relevs de compte, la
correspondance caractre conomique ou mdicinale reprsentent en effet la
majorit du corpus. En mettant en relief divers domaines de la recherche
applique lconomie et la mdecine, elles font partie depuis un sicle des
proccupations rcurrentes des chercheurs bonplandiens 2305 . Ces sources
2305

Le premier utiliser les archives dAim Bonpland pour en tudier les aspects spcifiquement
mdicaux est son petit-fils Pompeyo, dans le cadre dune thse de doctorat de mdecine prsente
la Facult de Buenos Aires en 1909. Ce nest quen 1985 quAndrs Ivern, entr en possession
de lessentiel des journaux mdicaux de Bonpland, dbute une remise en perspective de cet
aspect hlas inacheve ; en 1989 une quipe franco-argentine compose dHenri Boisvert et
Abelardo Saenz lvoque de nouveau. Il faut attendre les annes 1940 pour que les Argentins
commencent sintresser aux aspects conomiques de la vie du botaniste, notamment grce une
srie darticles publis dans le journal porteo La Prensa par Alberto Palcos. En 1949, Fernando
A. Coni Bazn dite le rapport rdig un sicle plus tt par Bonpland pour Juan Pujol et visant
rationaliser lexploitation des yerbales. Mais peu est retenir jusquaux annes 1990, lorsque
Stephen Bell dbute une srie dinvestigations sur les activits conomiques du Rochelais en
Amrique du Sud. A linverse de Humboldt, beaucoup cit mais peu tudi jusquau travail de
Charles Minguet, Bonpland demeure beaucoup tudi mais trop peu cit, ou plus exactement ses
archives trop peu utilises, laspect pittoresque du personnage tant le plus souvent privilgi. Cf.
BONPLAND Pompeyo, Fragmento del diario mdico de Amado Bonpland, thse doctorale,
Buenos Aires, Facultad de Ciencias Mdicas, 1909 ; ANDRADE C. Selva, Desdichada Historia
de Bonpland, el Sabio Francs que Plant Yerba Mate en Misiones , in El Sol de los Domingos,
Buenos Aires, 31 mars 1940, s. p. ; PALCOS Alberto, Bonpland en Argentina. Cambio de

Troisime partie

Chapitre VII

dvoilent limportance, aux cts du travail naturaliste de Bonpland, de ses


proccupations conomiques elles-mmes destines un double auditoire,
franais et rioplatense. Ces proccupations constituent le point central autour
duquel se rallient les intrts scientifiques et politiques du Franais. Or, quil
sagisse dAlcide dOrbigny ou dAuguste de Saint-Hilaire, les seuls naturalistes
franais ayant dit, lors de la premire moiti du XIXe sicle, des comptes-rendus
de leurs voyages portant sur les pays parcourus par Bonpland, les aperus quils
fournissent ne peuvent, faute de temps, englober la totalit des aspects de la zone.
Lexprience du Rochelais permet en revanche deffectuer un inventaire beaucoup
plus complet et toujours actualis. Elle offre une alternative aux rcits de voyages
et, concernant Bonpland, se situe en relation directe avec le second mouvement de
frontire caractris par lexpansion conomique des nouveaux Etats sudamricains. La prsence effective, sur le long terme, dune personne suffisamment
qualifie pour fournir un tableau raliste du pays visit, est un fait nouveau en
Amrique du Sud. En effet, un rseau existe dj dans les colonies franaises :
correspondants de lAcadmie des Sciences, intendants et directeurs des jardins
dessai partagent le travail avec les missions mdicales ou naturalistes. Avec
Bonpland le rseau stend vers lAmrique latine.
En effet, loriginalit de lentreprise de Bonpland consiste en sa
participation la fois comme attach aux intrts conomiques et scientifiques
rumbo en sus actividades , in La Prensa, Buenos Aires, 16 janvier 1941 ; La segunda vida de
Amado Bonpland. Su existencia americana , in La Prensa, Buenos Aires, 19 janvier 1941 ; El
arraigo de Bonpland a nuestro suelo , in La Prensa, Buenos Aires, 29 mars 1942 ; CONI BAZAN
Fernando A. (prface), Notas sobre yerbales. Traduccin por el Doctor Juan Pujol. Nota
preliminar por el Doctor Fernando A. Coni Bazn , in Lilloa, tome XVIII, 1949, pp. 361-371 ;
IVERN Andrs, Bonpland a traves de papeles inditos , in Gaceta Literaria, Santa Fe, mai
1985 ; A travs de papeles inditos : actividades no historiadas de Amado Bonpland , in VI
Congreso de Historia de la Medicina Argentina, Tucumn, 13-15 juin 1985 (non publi) ;
Acerca de la farmacia de Bonpland , in Congreso de Farmacia sec. Historia, Rosario, octobre
1985 ; Breve aporte a la historia de Bonpland en Corrientes , in II Congreso de la Sociedad
Argentina de Historiadores, Corrientes, octobre 1986 ; De vinchucas y de Bonpland , in
Medicina del trabajo en Hipcrates y otros temas de historia de la medicina, Rosario, Universidad
Nacional de Rosario, 1991, pp. 17-34.; SAENZ Abelardo, BOISVERT Henri, Aim Bonpland,
mdecin et naturaliste voyageur , in Histoire des sciences mdicales, vol. XXIII, n 2, 1989, pp.
103-108 ; BELL Stephen, Aim Bonpland: un novateur optimiste dans le Sud-Brsil , in Coll.,
Dcouvertes et explorateurs, Actes du Colloque international, Bordeaux, 12-14 juin 1992 / VIIe
Colloque dHistoire au prsent, Histoire au prsent, Maison des Pays Ibriques, Universit Michel
de Montaigne-Bordeaux III, Paris, LHarmattan, 1994, pp. 133-142 ; Aim Bonpland and
merinomania in Southern South America , in Americas, vol. LI, n 3, janvier 1995, pp. 301-323 ;
Aim Bonpland e a avaliaao de recursos em Santa Cruz, 1849-1850 , in Estudios Iberoamericanos, vol. XXI, n 2, dcembre 1995, pp. 63-79 ; ASUA Miguel de, Bonpland mdecin ,
in MARTINIERE Guy, LALANDE (dir.), Aim Bonpland, un naturaliste franais aux Amriques
(1773-1858). De lorchide la yerba mate, Paris, Les Indes Savantes, 2010, pp. 215-223.
594

Troisime partie

Chapitre VII

franais, et comme participant direct au dveloppement local. Il renvoie une


problmatique double du point de vue de lexpansion capitaliste car, si dune part
il fournit son pays dorigine des matriaux et des informations concernant les
ressources naturelles, il est amen aussi aider les dirigeants locaux tendre et
dfendre leur prsence dans la rgion comprise entre Corrientes, Missions, Rio
Grande do Sul, le Paraguay et lUruguay, zone frontire conflictuelle lintrieur
dun continent qui, lors de la premire moiti du XIXe sicle, redfinit les aires
dinfluence hrites de lempire espagnol. Ici, lexpansion du capitalisme
europen se combine et se confronte aux mouvements de frontires internes et,
dans le cas plus spcifique du Ro de la Plata, lobligation de traiter dgal gal
avec les lites locales. Bonpland nchappe pas la rgle, et son sort dpend
longtemps des contraintes internes lies lattitude des autorits amricaines, et
externes par la voie des acteurs europens, particulirement franais. Comment
Bonpland sadapte-t-il ces contraintes et comment parvient-il concilier ses
intrts privs avec le bien commun ?
En premier lieu, avec Bonpland le chercheur se mue en entrepreneur,
accompagnant une privatisation des savoirs caractristique de la premire moiti
du XIXe sicle, elle-mme lie la privatisation tatique, cest--dire la
confiscation du pouvoir au profit doligarchies le plus souvent familiales. Le cadre
idologique rappelle la qute dun Eldorado non plus constitu de mtaux
prcieux mais de terres fertiles. Un Eldorado physiocrate, en somme, le transfert
de cette notion vers le Nouveau Monde tant le second point tudier en ce
quelle sadapte parfaitement aux attentes rciproques. Comme tout mythe se
nourrit de linconnu et du merveilleux, le Paraguay figure ici en bonne place du
fait de son isolement qui laisse place aux conjectures les plus favorables
alimenter les allgories de prodigalit. Lexprience paraguayenne de Bonpland
enrichit le mythe et lui donne aussi une caution scientifique, grce la rsonance
naturaliste dont il le coiffe. Enfin, on ne saurait oublier le terrain de la mdecine,
maillon fort de la sociabilit dveloppe par le Franais et activit essentielle
son maintien conomique. Sil sagit peut-tre de son apport le moins original, ses
journaux de mdecine ne paraissant contenir la plupart du temps que des remdes
dj prouvs, ils nous livrent en revanche des informations prcieuses concernant
le rle social du savant au sein de la socit rioplatense et riograndense.

595

Troisime partie

Chapitre VII

A. DU CHERCHEUR A LENTREPRENEUR
Praticien plutt que thoricien, voyageur devenant migrant, choisissant au
fil de cette expatriation de se faire colon plutt que commerant, le personnage
revt des attributs la croise des cultures transatlantiques. Il sagit dabord de
savoir pourquoi le voyageur devient-il entrepreneur. La premire cause rside
dans son dsir de retourner en Amrique afin dy concrtiser une entreprise
conomique autant que scientifique. Ds les premiers mois suivants son arrive en
France en compagnie dAlexandre de Humboldt, la fin de lanne 1804,
Bonpland fait part ses proches de deux souhaits majeurs :
partager votre vie champtre ou retourner voir les sauvages de
lOrnoque, de la rivire des Amazones, est tout ce que je dsire dans ce
monde

2306

Le naturaliste vient alors dessuyer une svre dsillusion, car le Jardin des
plantes lui a refus un poste de voyageur naturaliste, par manque de fonds. Aussi
soriente-t-il peu peu vers un projet davantage conomique. Lide mrit alors
quil travaille au service de limpratrice Josphine. Affect lintendance des
domaines de Malmaison et de Navarre, Bonpland prend en charge un travail
exprimental dacclimatation des vgtaux pour lequel il bnficie du meilleur
matriel dEurope. Cependant la matire premire nest pas constitue de
vgtaux commercialisables et les capitaux sont engloutis dans une industrie de
luxe, lornementation. Dailleurs plus sensible au mcnat quaux entreprises,
Josphine fournit pareillement les membres insistants de la haute classe impriale
et les reprsentants des grandes institutions scientifiques, tous aussi presss
dobtenir les prcieux ssames. Bonpland quant lui entrevoit les dbouchs
commerciaux de lacclimatation ; la botanique lamne lagriculture. Il compte,
grce son savoir-faire et un petit capital, organiser un tablissement agricole
quelque part dans lAmrique espagnole :
Si je russis dans mes projets, aprs huit ou dix ans, je puis tre au-dessus
de toute espce de besoin [] Jai mnag un peu dargent depuis deux
ans [...] et il serait trs probable que je mette tous mes ufs dans le

2306

Bonpland Gallocheau, Paris, 19 avril 1805, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., pp.
17-18.
596

Troisime partie

Chapitre VII

panier pour me rendre propritaire en Amrique. Quelque insens que


puisse paratre ce projet, il ne lest pas du tout

2307

En effet, la priorit du voyage est conomique. Au mois davril 1816, alors


quil se trouve Londres en pourparlers avec Bernardino Rivadavia au sujet de la
cration dun immense ouvrage scientifique, Bonpland reste lucide vis--vis de
ses fins :
A mon retour dAmrique, je ne serai command par rien et jespre
vivre bougrement de mes rentes, si, comme je lespre, je fais de bonnes
affaires

2308

Au moment dembarquer pour le Ro de la Plata, il crit Humboldt :


Mon intention est de moccuper l seulement dhistoire naturelle ou
dagriculture, ou seulement de lune ou lautre chose.

2309

Quand il part, Bonpland est lucide vis--vis des offres scientifiques qui lui sont
faites, et ne prfre pas compter seulement avec elles. A Paris, il nest pas encore
rattach lAcadmie des Sciences en tant que correspondant. Lentreprise est
donc foncirement base sur la mise en pratique des connaissances du naturaliste
europen, au service de ses propres intrts conomiques. Entre le voyageur
naturaliste et lhomme daffaires la frontire disparat totalement ; Bonpland
devient son propre matre : lui de rechercher quelles matires premires peuvent
lui tre profitables.

1. La rsonance naturaliste : les champs du possible


Elle imprgne le discours et les actes. Lil du botaniste est videmment
le plus aiguis pour apprcier les terrains cultivables. Ses comptences en matire
de culture, acquises Malmaison et Navarre, sinscrivent dans la logique de la
propagation des Lumires et de linsertion des tudes botaniques dans une logique
utilitariste qui constituent alors les deux approches classiques du naturalisme.
Bonpland entreprend dans lintrieur du Ro de la Plata un double travail de
dveloppement des ressources naturelles, en promouvant la mise en place de
2307

Bonpland Goujaud-Bonpland et Olive Gallocheau, Malmaison, 6 juillet 1814, cit in HAMY


Thodore-Jules Ernest, op. cit., pp. 63-65.
2308
Bonpland O. Gallocheau, Paris, 1er avril 1816, cit in ibid., p. 73.
2309
Bonpland Humboldt, Le Havre, 19 novembre 1816, cit in ibid., p. 77.
597

Troisime partie

Chapitre VII

structures agraires propices linsertion de la province de Corrientes et des


Missions au sein du march national et international. Il choisit de retenter
lexprience mene par les jsuites, cest--dire rassembler une main duvre
indienne, disperse aprs lexpulsion de lordre religieux, afin de dvelopper la
culture de cette rgion organise particulirement en fonction de la prsence de la
yerba mate. A lgal dautres voyageurs naturalistes, Bonpland construit un
discours possibiliste fond sur la croyance en un Age dOr 2310 .
Lautre versant de laventure conomique de Bonpland est tourne vers
lextrieur, cest--dire vers la France. Il y fait part de ses projets, y cherche des
investisseurs, envoie des graines pour acclimatation. La dimension patriotique
domine une narrative naturaliste soucieuse de sappuyer sur limpulsion culturelle
donne par le centre :
Les amricains [] comptent plus sur la France que sur toutes les autres
nations [Des Franais envoys l] seraient essentiellement utiles au pays,
y gagneraient bientt la confiance des amricains, et ils les affermiraient
dans leurs dispositions pour la France et les rsultats tourneraient
lavantage de notre pays et des amricains.

2311

Les premires expriences avortes par Bonpland sont destines se dvelopper


aprs 1830, lors de la mise en place de nouveaux projets rpondant aussi aux
demandes franaises. Le regain de ces demandes partir des annes 1850 illustre
ladquation atteinte entre la vision naturaliste du correspondant et celle saintsimonienne du nouveau pouvoir. Loffre scientifique acquiert une rsonance vis-vis de la demande politique, grce llaboration dun projet possibiliste
commun.

De la raret lutilit des vgtaux


De Flix de Azara Alfred Demersay, les bois du Nordeste sont lobjet
dincessantes louanges. Du reste, Demersay sappuie sur son prdcesseur afin de

2310

Ce possibilisme dcoule des postulats physiocratiques puis positivistes. Ltude du cas


mexicain par Humboldt est un modle de cette continuit intellectuelle entre les deux coles de
pense.
2311
AMFBJAD n 1263, mmoire historique sur lmancipation de lAmrique hispanique, s. l.,
1815.
598

Troisime partie

Chapitre VII

vanter les bois du Paraguay susceptibles de fournir lindustrie de luxe des


matriaux suprieurs lacajou, au noyer ou au chne 2312 . Les bois constituent
une des rares richesses de la rgion qui conserve sa force dattraction au fil des
rcits de voyage. Pour sa part et contrairement la majorit de ses contemporains,
Bonpland est moins attir par les produits rares que par ceux pourvoyant la
consommation courante. Cette diffrence sexplique par un parcours le
rapprochant peu peu des problmatiques environnementales utilitaristes. Entre
1798 et 1808, du voyage avec Humboldt jusqu sa nomination auprs de
lImpratrice, il se consacre essentiellement la thorisation des connaissances.
Mais le travail effectu Malmaison et Navarre entre les annes 1808 et 1814
loriente vers lapplication des connaissances, bien quil sapparente encore
davantage de la culture qu de lagriculture, la majorit des exprimentations
tant effectues sur des produits de luxe. Cependant, il existe une relation directe
entre les exprimentations franaises et leur poursuite en Amrique, le botaniste
se consacrant un peu plus lagriculture raisonne . Lorsquun laboratoire et
son contenant thorique et pratique franchit une frontire culturelle, sa
signification sen trouve modifie 2313 . Tel est le cas pour Aim Bonpland, qui
adhre aux problmatiques conomiques rioplatenses.
Ses observations englobent tous les produits destins la consommation
courante. Bois de chauffage, meubles, teinture, vannerie, alcool ou lessive, chaque
usage est soigneusement rpertori. A chaque tape de ses voyages, le regard
porte vers la production de masse. Ds 1819, il localise sur le Paran des forts
aptes fournir Buenos Aires en meubles 2314 . Lors de son sjour de 1821 Itati,
Bonpland entrevoit pour la premire fois les avantages dune culture de lindigo
en grand :
un individu muni de quelques capitaux pourrait entreprendre une culture
en grand avec le petit nombre dhabitants qui se trouvent dans cette
paroisse

2315

2312

DEMERSAY Alfred, Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et des


tablissements des jsuites, Paris, Hachette, vol.1, pp. 164-168 ; BEAUMONT John A. B., op. cit.,
pp. 46-48.
2313
Cf. ESPAGNE Michel, Les transferts culturels franco-allemands, Paris, PUF, 1999, pp. 28-29.
2314
Si on stablissait dans cette le et quon y apporte tous les objets ncessaires lexploitation
on y trouverait suffisamment de bois pour remplir son objet je veux dire en bois de saule et de
laurier dont on peut tirer un assez grand avantage Buenos Aires tant pour le chauffage que pour
les [] chaises. , AMFBJAD n 2044, journal, 4 septembre 1819.
2315
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 2 janvier 1821.
599

Troisime partie

Chapitre VII

A Corrientes en 1832, il relve les bois les mieux adapts pour construire
les meilleurs navires. Linventaire revt parfois un caractre obsessionnel lorsque
par exemple, sjournant Buenos Aires en 1837, il note quun chne dress la
Recoleta pourrait fournir dexcellentes planches 2316 Au del de lanecdote, ses
observations montrent comment le chercheur souhaite changer la place du rgne
vgtal dune dialectique de la raret vers son utilisation industrielle alimentant la
grande consommation. Aussi tudie-t-il par exemple soigneusement les plantes
servant la fabrication de la lessive afin den amliorer la composition 2317 .
Si un tel programme de recherche nest pas nouveau, sa mise en uvre
savre en revanche difficile. Traditionnellement, la narrative naturaliste sappuie
sur une divulgation des plantes rares et utiles conclue par un plaidoyer en faveur
de leur utilisation ; les ouvrages de Saint-Hilaire illustrent laboutissement du
processus 2318 . La similitude des objectifs est dailleurs frappante entre les deux
compatriotes la lecture dune lettre adresse par Saint-Hilaire au ministre de
lIntrieur, le 12 janvier 1815, afin dobtenir un financement pour son voyage :
Le Brsil encore peu connu des naturalistes, promet leurs recherches
une moisson abondante. Plusieurs plantes propres la teinture croissent
dans cette rgion et pourraient tre facilement introduites la Guyane
franaise.

2319

Tout comme Saint-Hilaire, Bonpland recherche son arrive au Ro de la Plata


des plantes tinctoriales afin de les acclimater en Guyane. Il dcouvre lors de son
voyage aux missions trois nouvelles espces dindigo dont il envoie des
chantillons la demande du Musum 2320 . En revanche, il ne se contente pas de
raliser un inventaire et de plaider pour une utilisation ; il simplique
personnellement dans la fondation dune socit ayant pour but lexploitation et la
2316

AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 5 janvier 1832 ; AMFBJAD n 1716,


sjour Buenos Aires, 1837.
2317
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 5 janvier 1832 ; AMFBJAD n 1706,
voyage de So Borja dans la province de Corrientes, 22 aot 1834 ; AMFBJAD n 1727, journal,
voyage San Roque, 10 janvier 1840.
2318
Sa premire publication date de 1824, lHistoire des plantes les plus remarquables du Brsil
et du Paraguay : comprenant leur description et des dissertations sous leurs rapports, leurs
usages, etc., avec des planches, en partie colories, ressemble autant une uvre rudite qu un
manuel dagriculture. Sa Flora brasiliensis meridionalis, dite entre 1825 et 1832, foisonne de
commentaires sur les possibilits de valorisation des plantes.
2319
Lettre cite in POTELET Janine, Le Brsil vu par les voyageurs et les marins franais, 18161840, Paris, LHarmattan, 1993, p. 30.
2320
Extrait dune lettre envoye par Bonpland Buenos Aires et reproduite dans lArgos de
Buenos Aires, op. cit. A propos des demandes du Musum, cf. BEDERE Stphane, op. cit., pp. 4850.
600

Troisime partie

Chapitre VII

commercialisation de lindigo. Linsistance de Bonpland sur la capacit de


dveloppement interne nest pas un cas isol, mais il est trs rare dassister un
investissement direct sur le terrain dinvestigation ayant en outre pour finalit
lapprovisionnement des marchs externes et internes.

Vers une recherche applique


La transmission entrane avec elle lapplication pratique des dcouvertes.
Entre laide thorique apporte lexploitation conomique des ressources
naturelles et limplication personnelle dans une semblable entreprise, il nexiste
quune diffrence minime pour Bonpland. La recherche du profit est indissociable
du bnfice en tirer pour la science. Partant de ce postulat, Bonpland pense
profiter des structures scientifiques franaises, conjecturant une rciprocit des
changes. De ce fait, il entre peu peu vers dans une logique de dpendance et de
conflit vis--vis des institutions. Les expriences sollicites en 1819 sur lindigo
ont pour but mercantile vident de dterminer la meilleure espce produire.
Si les recherches botaniques sont quasiment acheves dun point de vue
thorique au dbut des annes 1830, le Franais ne continue pas moins dtre
attentif leur rentabilisation. Pour cette raison, en 1832 il recueille auprs de
Pedro de Angelis des informations concernant la prsence de bois de teinture prs
du cap San Agustn. Si cette hypothse mrite selon lui vrification, il se montre
plus circonspect quant celle de Thorndike concernant lexistence dun bois de
grande valeur, liripatinga 2321 . La mme anne, il rclame lEcole de mdecine
de Paris la ralisation danalyses sur les proprits de plantes mdicinales
nouvellement dcouvertes. Les intentions ne sarrtent pas en fournir nos
hpitaux mais aussi les exploiter. Cette seconde intention qui figure sur le

2321

Thorndike lui parle avec enthousiasme de ce bois rput pour sa raret et sa valeur. Or,
Bonpland nen a aucune connaissance et ce mot na aucune signification en guarani. Aussi ne
donne-t-il pas de crdit linformation. Ces deux renseignements recueillis Buenos Aires
confirment dune part lexprience acquise par Bonpland, dautre part limportance des voyages
effectus dans les capitales ; AMFBJAD n 1712, Buenos Aires, annotations diverses, novembre
1836.
601

Troisime partie

Chapitre VII

brouillon de la lettre est finalement te dans sa version dfinitive, manifestement


pour viter dheurter certaines susceptibilits savantes 2322 .
Les ouvrages de sciences naturelles sont un recours non ngligeable, bien
que seuls les sjours Buenos Aires puis Montevideo permettent dy accder.
La consultation de plusieurs ouvrages, particulirement celui de Azara, lui
fournissent la matire pour orienter ses recherches entre 1818 et 1820. La perte de
sa bibliothque en 1821 le rend dpendant des centres intellectuels rioplatenses
qui ne satisfont pas totalement sa demande. Les voyages de 1831 Buenos Aires,
1840 et 1842 Montevideo et 1849 Porto Alegre sont tout de mme loccasion
dengranger une multitude de renseignements. Buffon lui sert de guide pour les
croisements, Thnard pour la fabrication du suif, Vauquelin pour les proprits du
tabac. Dautres auteurs moins prestigieux mais tout aussi utiles se trouvent dans sa
bibliothque ou ses manuscrits 2323 . Mais la plupart des exprimentations sont
effectues personnellement. En effet, les diffrents ngoces auxquels il se livre ont
en commun le recours un savoir-faire acquis en France, joint une curiosit sans
borne. Celle-ci est particulirement attise par lexamen du travail avec les
animaux. Au sein de la socit quil forme en 1818, le bailleur de fonds charge
Bonpland de mener bien les recherches permettant damliorer lopration de
tannage des cuirs, de lavage des laines et de teinture de ces deux textures. Afin de
fournir les plantes indispensables la coloration des peaux, il effectue des
expriences Buenos Aires entre 1818 et 1819 et se procure des droits sur
lutilisation dun bois dalgarobilla 2324 .
Une autre occasion lui est donne dappliquer les recherches menes
Malmaison avec les moutons mrinos, au cours des annes 1830 et 1840. Il
investit dabord son savoir-faire auprs dinvestisseurs franais puis amricains.
Bien quil figure parmi les trois administrateurs franais de la socit forme en
2322

HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 83 ; AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt,
Buenos Aires, 7 mai 1832.
2323
Par exemple un ouvrage de Mathieu Bonafous sur le mas ou un rapport de la socit
dagriculture de Caroline du Sud sur le coton. Bonpland copie des articles sur la distillation,
lextraction de lhuile de ricin, la fabrication de lessive ou de suif, le tannage, et cite
lexemple dun scientifique qui, par une lettre envoye lAcadmie des sciences sur un nouveau
procd de fabrication de papier, fixe sa proprit de cette decouverte ; AMFBJAD n 1691,
1697, 1701, 1744 ; MNHN, ms 209.
2324
Le bois de cet arbre qui sapparente lbne est trs recherch par fabricants de meubles ; ses
fruits sont utiliss par les chapeliers et les teinturiers car ils fournissent une belle couleur noire ;
AMFBJAD n 1919, Contrat dassociation, 1818 ; AMFBJAD n 1920-1932, expriences sur le
tannage, 1818-1819 ; AMFBJAD n 2044, journal, 1819 ; AMFBJAD n 1719, voyage de
Concordia Curuz Cuati, 8 mai 1837.
602

Troisime partie

Chapitre VII

1837, sa participation financire reste minime, son implication principale


consistant acqurir un terrain, le peupler des meilleurs spcimens et mener
bien leur amlioration 2325 . Des contacts du mme type sont ensuite entretenus
avec les Amricains, en se fondant davantage sur le perfectionnement du
traitement des laines. Bonpland est son aise dans ce domaine, tant en mesure de
proposer des mthodes issues de ses observations botaniques 2326 . Llevage ovin
requiert peu de capital initial et bnficie dune extension rapide ; les Croles
prouvent ici quils intgrent rapidement ce nouveau march dabord rserv aux
Europens bnficiant dun meilleur savoir-faire 2327 . Bonpland participe sa
transmission quil envisage de porter au Paraguay en 1846, mais son interlocuteur
Asuncin, le consul brsilien Pimenta Bueno, lui dconseille le voyage au vu
des circonstances politiques dfavorables 2328 .
Enfin, le saloir reprsente un modle de lalliance du chercheur et de
lentrepreneur. Alors que lindustrie de la salaison est en plein essor 2329 , Bonpland
se renseigne aprs sa libration sur toute la chane de production. Il utilise
louvrage de Thnard en 1832 pour se renseigner sur la fonte des graisses, la
fabrication et les proprits du suif ; il senquiert dune mthode de prparation
des cuirs laide dune solution de chlorure. Ltablissement form Salto par
Ferr et Claveri est minutieusement dcrit du fait de la prsence de nouveaux
procds de fonte des graisses et de salage des cuirs 2330 . Autant dapports
thoriques et empiriques lui permettant de dvelopper partir des annes 1840
2325

Lapport financier de Bonpland reprsente peine 2% du total du capital initial ; AMFBJAD


n 296, F. Des Brosses Bonpland, Buenos Aires, 26 juin 1837.
2326
Tel un aspect dor obtenu par un procd de coloration utilisant lcorce, les feuilles et le bois
du curupicai ; AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 22 mai 1837. Au sujet
des mrinos, cf. BELL Stephen, Aim Bonpland and merinomania in Southern South America ,
in Americas, vol. LI, n 3, janvier 1995, pp. 301-323.
2327
Cf. KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., pp. 136-137.
2328
AMFBJAD n 372, 1494, J. A. Pimenta Bueno Bonpland, Asuncin, 1er novembre, 15
dcembre 1846 ; AMFBJAD n 373, Bonpland J. A. Pimenta Bueno, So Borja, 8 novembre
1846.
2329
Eusebio Galn a raison de prdire Bonpland en 1832 le prochain essor des saladeros entam
en Uruguay ds 1828 pour recouvrir rapidement le niveau davant loccupation portugaise Le
saladero du franais Sacriste rput pour sa qualit est lui aussi rcent, puisquen 1832 lestancia
est peine habite, alors quelle prosprait avant les guerres dArtigas. AMFBJAD n 1698,
voyage de Buenos Aires So Borja, 22-23 octobre 1832 ; AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos
Aires Concordia, 15 mars 1837 ; KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., pp. 157-158.
2330
Par exemple, il dcrit en 1837 le procd de mcanisation permettant Frederick Hoker,
install Paran, de disposer dune chaudire vapeur pour extraire la graisse des juments. Il vend
les cuirs en Argentine et exporte en Europe la graisse qui arrive sans coulage sensible. La machine
fonctionne 176 jours par an, tue 7 040 animaux ; les maigres donnent une arrobe et les gras trois
arrobes au moins. Hoker calcule lui-mme que la moyenne est de deux arrobes ; il produit donc 14
080 arrobes par an ; AMFBJAD n 1715, sjour Buenos Aires, janvier 1837.
603

Troisime partie

Chapitre VII

son estancia de Santa Ana sur la base dune demande locale 2331 . Lutilisation de
son bagage scientifique permet donc Bonpland dimpulser des activits
conomiques sans apport financier important, dans la mesure o celles-ci se
fondent sur une rciprocit associative. Elles sappuient en outre sur ladquation
entre llargissement de son rseau et la demande conomique.

Embellie ou marasme ?
Cependant, laccs aux connaissances intellectuelles, empiriques et
humaines est soumis aux alas politiques. La rsonance naturaliste insiste sur des
facteurs structurels empchant au commerce et donc la civilisation librale
de se dvelopper librement, aggravs par une conjoncture dfavorable. En effet,
les tentatives des lites rioplatenses pour crer les structures dun difice
conomique stable ne rsistent pas aux dpenses politiques gnres par les
conflits, ce qui nous oriente vers une interprtation conjoncturelle 2332 . Les checs
de Bonpland dans le domaine conomique sexpliquent essentiellement par
linstabilit politique rioplatense. Cette instabilit nest pas structure par un
obscurantisme prolong comme se plaisent lcrire les voyageurs de passage. La
ralit est plus complexe, les phases dembellie et de marasme alternant. Sur ce
point, les tentatives conomiques de Bonpland nous clairent quant aux causes qui
empchent lessor conomique continu de la rgion misionera. Linsistance de
Bonpland dans cette zone en rvle le potentiel et les limites.
Jusquen 1810, la route des Missions ne figure pas parmi les principales
routes commerciales du Ro de la Plata. En effet, la seule voie commerciale
existante au Nordeste remonte les ro Paran et Paraguay de Buenos Aires jusqu
Asuncin. Aprs lindpendance, cette route sarrte Corrientes, aux confluents
du Paran et du Paraguay tandis quune seconde route souvre le long du ro
Uruguay jusqu Salto 2333 . Le projet de Bonpland esquiss entre 1817 et 1821

2331

AMFBJAD n 1691, journal, sjour Buenos Aires, mars 1832 ; AMFBJAD n 1697, journal,
sjour Buenos Aires, aot 1832 ; AMFBJAD n 1715, sjour Buenos Aires, janvier 1837 ;
AMFBJAD n 1741, voyage de Montevideo Corrientes, Salto, 20 fvrier 1841.
2332
Cf. SCHMIDT Roberto, El comercio y las financas pblicas en los Estados provinciales , in
GOLDMAN Noem (dir.), op. cit., pp. 125-157.
2333
Cf. annexe n 12, pp. 957-958.
604

Troisime partie

Chapitre VII

ncessite donc le prolongement de la route du Paran vers la zone misionera grce


la cration dun ple conomique actif. Il sagit douvrir un front pionnier,
rapidement ralis, mais dconnectant le Paraguay de la route que ce pays ouvre
vers le Brsil afin de briser son isolement. Aprs ce premier chec d aux conflits
pour le contrle du commerce misionero, cest durant sa priode de dtention au
Paraguay que Bonpland parvient dvelopper une structure conomique
florissante et stable en profitant, paradoxalement, du rgime de Francia. Mais son
expulsion met fin cette seconde tentative.
Il sinstalle alors dans les missions brsiliennes o il achte une ferme en
1833. Au milieu des annes 1830, Bonpland assiste une croissance concidant
avec le dveloppement de sa proprit de So Borja, au centre dune zone
frontalire commerciale prospre mais expose entre lArgentine, le Brsil et le
Paraguay. Aprs ses tentatives infructueuses, Bonpland se relance dans une
entreprise agricole dirige une nouvelle fois avec succs, en tirant profit de la
nouvelle route commerciale qui souvre le long du ro Uruguay, l encore une
route pionnire. Ne seraient-ce les entraves politiques, les bnfices savrent
certains :
Buenos Aires est une grande ville qui augmente chaque anne. Il y a
constamment de quatre-vingts cent navires sur rade ; tous les bords du fleuve
Uruguay sont couverts dhabitations qui augmentent prodigieusement et qui
font un commerce actif. San Borja, o je fais ma rsidence principale, a plus
que tripl en population depuis quatre ans. La province de Corrientes, la
Savana ou lEnte-Rios, depuis dix ans ont acquis une population et une
augmentation de fortune au-del de toute expression

2334

confie-t-il en 1836, corroborant le constat dautres immigrs 2335 . Mais peine


deux ans plus tard, il se dit fatigu. La rvolution qui dsole la province de Sn
Pedro me fatigue de l[Amrique] . La guerre civile brsilienne entrane le dclin

2334

Bonpland Gigaux, Buenos Aires, 1er dcembre 1836, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op.cit., p. 100.
2335
Celui de Joseph Ingres notamment, qui approfondit ce constat la rpublique uruguayenne
juge enfin tranquille, et profitant de la fin des conflits internes Frutos est sous la remise et
incapable dit on de se relever crit-il pour prosprer. Beln et Salto saccroissent
proportionnellement la dcadence de la province de Rio Grande. On espre viter la contagion :
le gouvernement oriental observe la plus grande neutralit avec ses voisins, et je pense que cest
la guerre la plus dsastreuse quil puisse faire au Brsil . Ingres est loin dtre rassur, malgr les
assurances que donne le Rgent dans son discours douverture des Chambres du 3 mars 1836, dans
lequel il se dclare prt tous les efforts possibles pour terminer promptement la sdition de Porto
Alegre ; AMFBJAD n 614, J. Ingres Bonpland, Salto, 10 juillet 1836.
605

Troisime partie

Chapitre VII

de sa proprit ; au dbut des annes 1850, So Borja est dans un tat de


stagnation qui imprime la tristesse la plus profonde . Sa ferme de Santa Ana,
acquise en 1837 dans la province de Corrientes, rsiste plus longtemps
lembrasement militaire, puisquentre 1839 et 1842 la situation y est encore
florissante 2336 .
A partir des annes 1840, les cycles conomiques rioplatenses suivent le
rythme des conflits. Ceux-ci prennent de plus en plus de place au sein de la
correspondance pistolaire de Bonpland, enracinant limage dun continent o la
fortune se gagne et se perd en un instant. En 1842, Francisco Meabe lui annonce
un triste avenir le long de la cte uruguayenne prcd en 1840 par la
dsagrgation conomique de la cte ouest de la province de Corrientes. Goya,
une ville de 8,000 mes essentiellement comercante, abandone la hte dans
un instant par lapproche de lennemi 2337 , comptant 2 000 habitants en 1833 et
bnficiant dune croissance exceptionnelle au cours des annes 1830, devient un
pauvre hameau en 1846 2338 . Santa Ana est victime son tour du dsordre.
Concordia, petite ville florissante laisse sans garnison est ruine par un coup
de main rosista en 1842. Le discours des Franais rvle leur incrdulit face
une ralit conomique rgionale suspendue aux vnements politiques 2339 . Le
Rio Grande do Sul nest gure plus pargn :
Alegrete est devenu tellement pauvre quil est plus difficile aujourdhui
de faire rentrer un patagon quune once en dautres tems

2340

commente un compatriote qui redoute larrive des Blancos, les partisans du


gnral rosista Oribe, laissant Salto dans un triste tat aprs leur passage en
1844 2341 .
2336

AMFBJAD n 911, Bonpland Delessert, Corrientes, 28 mars 1838 ; AMFBJAD n 892,


Bonpland Blanc et A. Constantin, Montevideo, 1er fvrier 1842 ; AMFBJAD n 784, Bonpland
A.V. Porto, So Borja, 2 avril 1850 ; AMFBJAD n 1136, F. Vasconcellos Bonpland, col du
Para-Sa, Picada de Santa Cruz, 16 mars 1850.
2337
AMFBJAD n 1736, voyage de Corrientes Montevideo, Goya, 18 octobre 1840 ; AMFBJAD
n 1743, voyage de Santa Ana au Salto, 4 juin 1842.
2338
Cf. CHIARAMONTE Juan Carlos, op. cit., pp. 62-63.
2339
A Santa Ana, Brard se plaint du comportement du juge de paix, du colonel Ramallo et de
Anastasio Ramrez. Ama de Mirbeck dcrit une situation triste dUruguaiana : cette petite ville
qui les premires annes de sa fondation faisait concevoir de si belles esprances est tombe dans
un tat complet de stagnation et de pauvret. En outre, les possibilits de migration semblent
limites. Je ne vois aucun point qui puisse offrir plus davantage en ce moment. , AMFBJAD n
1741, voyage de Montevideo Corrientes, Salto, 23 fvrier 1841 ; AMFBJAD n 1743, voyage de
Santa Ana au Salto, 11-30 juin 1842 ; AMFBJAD n 457, A. de Mirbeck Bonpland, Uruguaiana,
7 fvrier 1850.
2340
AMFBJAD n 1175, Chauvis Bonpland, Alegrete, 17 fvrier 1850.
606

Troisime partie

Chapitre VII

2. Des relais conomiques forts


Il faut attendre le dbut des annes 1850 pour que lconomie se rcupre
dune dcennie de marasme, So Borja tant une des premires villes bnficier
de ce regain 2342 . Le discours de Woodbine Parish crit en 1838 et de son
traducteur en 1852 appuie lanalyse conjoncturelle. Tandis que le premier
dcrit

une

situation

nfaste

aux

investissements,

le

second

infirme

systmatiquement ses dires en expliquant que la bonne conjoncture politique est


en train dinverser la tendance depuis lcriture du livre. Or, les deux dates
ddition concident avec le dbut et la fin de la Guerra Grande, les annes 1850
savrant nettement favorables aux investisseurs europens. Aprs 1852,
lUruguay connat un spectaculaire essor de son levage ovin puis bovin. Sur le
Littoral argentin, o se trouvent la majorit des spculateurs, lessor de llevage
ovin explose partir de 1860 grce la consolidation des prix de la laine 2343 .
Pour faire face une situation difficile, Bonpland conserve en 1848 deux
domaines dans les provinces de Corrientes et Rio Grande do Sul. Cette stratgie
bifrontale sappuie sur la construction dun rseau solide, faisant appel autant
des acteurs conomiques que politiques. A cet gard, la collusion du Franais avec
des acteurs combinant ces deux qualits lui apporte le plus de garanties pour
assurer une certaine stabilit. En outre, il faut remarquer une grande continuit
vis--vis des projets et des acteurs concerns. En effet, il nabandonne pas lide
dune exploitation agricole en grand aprs sa dtention au Paraguay, esprant
toujours foner un tablissement et revenir en France 2344 . Il sappuie depuis 1821
sur les familles Ferr, Perichn et Lagraa Corrientes, depuis 1831 sur la famille
Silva au Rio Grande do Sul. Lvolution des projets conomiques est parallle
celle relative aux ambitions scientifiques. Dans le projet, il escompte tirer profit
du terrain pour ensuite jouir des fruits en Europe ; dans la ralisation, il adapte ses
prtentions au contexte politique. Enfin, la parenthse des annes 1840 touche ces
deux domaines.

2341

AMFBJAD n 1748, voyage de Corrientes So Borja, Santa Ana, 2 aot 1844.


AMFBJAD n 1640, Bonpland A. Demersay, So Borja, 10 octobre 1851.
2343
KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., pp. 111, 135.
2344
AMFBJAD n 958, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 aot 1850.

2342

607

Troisime partie

Chapitre VII

Voyageurs et investisseurs : une adaptation oblige


La mise profit intresse principalement deux catgories de voyageurs
franais et europens : dabord les scientifiques, quils soient mandats ou non par
le gouvernement franais. On retrouve dans cette catgorie les voyageurs
naturalistes dont linfluence sur le terrain est inversement proportionnelle au
retentissement connu au sein de leurs institutions. De ce point de vue, le pionnier
est sans conteste Alexandre de Humboldt qui obtient la gratitude du Mexique
devenu indpendant pour lui avoir attribu un rle au sein de la division
internationale du travail. Charles Darwin se contente des commentaires classiques
sur le paysage, tandis quAuguste de Saint-Hilaire fait preuve de plus de
militantisme vis--vis du Brsil en prnant un dveloppement quilibr bas sur
les cultures de subsistance et dexportation 2345 . Mais le passage de lanalyse
militante limplication directe demeure rarissime. Dune part les conseils
promulgus ne sont presque jamais suivis dun investissement personnel dans la
construction de laboratoires scientifiques ; dautre part les analyses dtaches de
leur contexte rgional sont encore moins appliques par leurs aptres.
Parmi les scientifiques, il en est de moins reconnus savrant beaucoup
plus agissants. Tel est le cas des voyageurs-techniciens 2346 recruts par les
gouvernements rioplatenses, souvent parmi des exils politiques comme le
bonapartiste polytechnicien Narcisse Parchappe, choisi pour consolider les
frontires nord et sud de lArgentine, ou le rpublicain italien Carlos Ferraris,
recrut pour diriger le Musum dHistoire naturelle de Buenos Aires 2347 .

2345

En 1824, Lucas Alaman fait cho de cet tat desprit lauteur : Cest par vos lumineux
ouvrages que lon peut se former une ide de ce que le Mexique deviendrait sous une bonne
constitution, puisquil possde lui-mme tous les lments de prosprit. La nation entire est
pntre de gratitude pour vos travaux, qui ont fait connatre au monde tout ce quelle est capable
de devenir , cit in DUVIOLS Jean-Paul, MINGUET Charles, Humboldt. Savant-citoyen du
monde, Paris, Gallimard, 1994, pp.78-79 ; cf. SANCHEZ GUILLERMO Evelyne, Lindustrie
mexicaine vue par les voyageurs europens du XIXe sicle et SECRETO Maria Vernica,
Voyageurs des frontires : regards ports sur lArgentine et le Brsil pendant le XIXe sicle , in
BERTRAND Michel, VIDAL Laurent (dir.), A la redcouverte des Amriques. Les voyageurs
europens au sicle des indpendances, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2002, pp. 207222 et 223-230.
2346
Lexpression est formule par SECRETO Maria Vernica, op. cit., p. 230.
2347
Carlos Ferraris (1793-1859), pharmacien italien, participe en 1821 au mouvement des
carbonari et doit sexiler Bruxelles. Il est alors approch par Carta Molino et Rivadavia pour
prendre la direction du cabinet de physique de Buenos Aires. Arriv en 1826, il se consacre
principalement au Muse dhistoire naturelle. La prsidence de Rosas signifiant une baisse du
608

Troisime partie

Chapitre VII

Bonpland entre dans ce second groupe la fois comme savant et exil politique,
ses sympathies bonapartistes layant pouss vers les nouvelles nations
amricaines. Ce groupe se situe sur la frontire sparant le voyageur de limmigr,
et ladministrateur public de lentrepreneur. Ces limites savrent souvent tnues
car limmigration senvisage souvent comme une tape dtermine dans le temps,
et beaucoup se voient obligs exercer une activit duale au service de lEtat et
pour leur propre compte, afin de palier les carences publiques. LItalien Ferraris,
quoique directeur du Muse bonaerense, vit de son entreprise pharmaceutique
associ Antonio Demarchi 2348 . Les initiatives conomiques qui en dcoulent
sont donc selon les cas profitables lconomie locale ou aux conomies
europennes, selon le mode de diffusion dont ils bnficient et selon lien
entretenu entre le monde scientifique et le dveloppement conomique.
Les limites sont plus tranches ds lors que lon sintresse aux
investisseurs privs. La plupart dentre eux disposent de qualifications acquises en
Europe et appliques dans le Nouveau Monde, leur permettant de se situer hors de
la catgorie des aventuriers dnigrs par Bonpland. Bien que mdecins,
ngociants ou typographes, ils se dfinissent avant tout comme des proltaires, ce
que confirment leur grande facult dadaptation et leur nomadisme. Lors de son
passage Corrientes, dOrbigny est accueilli par Brard, devenu en 1827 un
cultivateur ayant russi faire prosprer une chacra 2349 . En aot 1834, Bonpland
lui rend visite et complte cette figure de lentrepreneur :
Ainsi que beaucoup detrangers qui se trouvent en Amrique Mr Brard
se livre des travaux quil ignorait en Europe, ou dont il navait, au
moins, que des notions thoriques. Nanmoins dans les oprations que je
lui ai vu faire sur le rafinage du sucre toutes ont t faites daprs les
rgles de lart

2350

Ces prcisions chappent des voyageurs parfois expditifs dans leurs jugements.
Saint-Hilaire explique quant lui la prosprit des Europens ngociant Rio

budget, il prsente une premire fois sa dmission en 1836 ; celle-ci tant refuse il quitte
dfinitivement lArgentine en 1842.
2348
LASCANO GONZALEZ Antonio, op. cit., p. 54.
2349
Cf. ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, pp. 116-117.
2350
AMFBJAD, n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.
609

Troisime partie

Chapitre VII

Grande avec mpris, leur fortune rapidement acquise tant due aux richesses
naturelles moins qu leur travail 2351 .
Il nen est rien, les tmoignages montrant au contraire les nombreuses
difficults rencontres par des Europens handicaps par leur nationalit.
Limprimeur Pomatelli, install Porto Alegre, explique son besoin de partir pour
Buenos Aires par une opposition aux trangers ne lui permettant pas de soutenir la
concurrence, ni le gouvernement ni le parti au pouvoir ne remdiant ces
difficults. Il envisage une reconversion dans la fabrique de bois et la manufacture
de manioc, riz et yerba ; il envisage aussi de faire travailler son pouse pour
assurer lavenir de ses quatre enfants 2352 . Ses changements de domicile entre
Pelotas, Porto Alegre et Buenos Aires dmontrent un nomadisme et une flexibilit
comparables celle dHyppolite Bacle 2353 qui fait part de son intention de quitter
Buenos Aires pour exercer sa profession de typographe au Chili ou en Bolivie
avec profit 2354 . Le mdecin anglais Wilham en est un autre exemple. Il dlaisse
lexercice de la mdecine Buenos Aires, suite aux inimitis des mdecins
porteos, pour se consacrer llevage de mrinos Concordia. Tous ne sont pas
aussi flexibles que ces dames Chabot commerant en pleine guerre civile
brsilienne dun camp lautre ; aprs avoir tent fortune Corrientes, Henry
Symonds est prt retourner en Angleterre aprs avoir beaucoup perdu dans la
province 2355 . Sans appuis, peu rsistent dans un contexte minemment instable.

2351

SAINT-HILAIRE Auguste de, Viagem ao Rio Grande do Sul (1820-1821), So Paulo, Itatiaia,
1974 (1884), p. 58.
2352
AMFBJAD n 777, 780, F. Pomatelli Bonpland, Porto Alegre, 1er fvrier 1850, 20 mai 1851.
2353
Hyppolite Bacle (1794-1838), voyage en Afrique avant darriver vers 1828 au Ro de laPlata.
Il fonde Buenos Aires un tablissement lithographique, et propose au gnral Guido un an plus
tard ltablissement dun jardin dacclimatation. En 1832, Rosas oblige tout diteur ou
administrateur de journal renoncer sa nationalit dorigine, ce qui contraint Bacle confier son
entreprise un administrateur et partir plusieurs mois dans lle de Santa Catalina, o il se consacre
lhistoire naturelle. De retour Buenos Aires en 1833, il prend la tte de la Litografa del Estado
mais des checs successifs lobligent offrir ses services la Bolivie et au Chili. En 1837, de
retour Buenos Aires afin de prparer son dpart pour le Chili, Rosas le fait emprisonner en vertu
de ses liens avec Rivadavia.
2354
Pomatelli dsire vendre ses biens au gouvernement paraguayen par lintermdiaire dAndrs
Gelly ; AMFBJAD n 901, H. Bacle Bonpland, Buenos Aires, 15 aot 1836. Bacle termine ses
jours quelques mois plus tard dans les geles de Rosas. Sa captivit et sa mort sont lorigine de la
premire intervention arme franaise.
2355
AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires Concordia, 12 mars 1837 ; AMFBJAD n
1747, voyage de So Borja Alegrete, 27 novembre 1843 ; AMFBJAD n 1115, E. Symonds
Bonpland, Montevideo, 14 mars 1849.
610

Troisime partie

Chapitre VII

La prgnance de lconomique au sein du rseau de Bonpland


Que ce soit de manire directe achats de marchandises, rglements de
dettes, affaire de la pension ou indirecte tat des personnes ou des lieux,
reconnaissances de dettes, informations diverses la grande majorit de la
correspondance touche peu ou prou aux problmatiques conomiques. La
constitution de ce rseau repose en premier lieu sur la concordance entre le statut
savant de Bonpland et son engagement vis--vis des problmatiques conomiques
locales. Les affinits gnres en font rapidement un consultant et un
intermdiaire incontournable le long de la frontire lusitano-argentine. Parmi les
personnalits fortement lies par une mme proccupation de savoir, la figure de
Pedro Ferr se dtache indiscutablement. Plusieurs fois gouverneur de Corrientes
entre le milieu des annes 1820 et le dbut des annes 1840, il dveloppe une
relation damiti avec Bonpland base sur une curiosit savante commune, ds
larrive de celui-ci Corrientes en 1820. Cette relation est fondamentale pour
Bonpland, car elle se dveloppe au cours des annes 1830 et lui permet de
sintroduire au sein dun puissant clan politique 2356 . Les liens entre les deux
hommes sont tellement puissants quau dbut des annes 1840 Bonpland sengage
aux cts de Ferr pour la premire et dernire fois afin de simpliquer dans
plusieurs missions politiques. Hormis la correspondance caractre politique, il se
dgage donc de leurs relations une communaut de pense face aux progrs
conomiques raliser. La science et le pouvoir dveloppent les mmes relations
au centre qu la priphrie bases sur le progrs, point de cohrence entre
initiative prive et projet public.
Les rseaux dvelopps grce aux changes de vgtaux ayant pour but
leur acclimatation ne doivent pas tre ngligs, car plus que dautres relations
difficiles maintenir ou prcaires, ils constituent la base dune solidarit aise
entretenir autant que spcifique dans la structure conomique 2357 . Evidemment, il
sagit de micro-solidarits lintrieur dune micro-conomie, bien que ce type
dchanges possde en outre la facult de pouvoir relier les deux continents au
travers de mdiateurs comme Bonpland, mais aussi Ferr Corrientes ou encore
2356

Cf. CRUZ JAIME Juan, op. cit., pp. 23-25.


Ils sont aussi rvlateurs de la nature des liens entretenus par les acteurs du dveloppement et
permettent de les localiser, plus facilement que lors de beaucoup de projets de grande envergure ne
se ralisant pas.

2357

611

Troisime partie

Chapitre VII

par lintermdiaire de particuliers brsiliens sapprovisionnant au Jardin botanique


de Rio de Janeiro. Finalement, ces changes stendent dans tout le Ro de la
Plata 2358 . Ses premires plantations Santa Ana proviennent des dons des
Correntinos Ferr, Ledesma et Goitia 2359 . Outre les semis remis Ferr, les autres
gouverneurs correntinos ne sont pas oublis, non plus que dautres responsables
moins grads tel Juan de Rosa Pucheta, commandant de La Cruz, cit situe la
frontire brsilienne, ainsi quune multitude de particuliers pour beaucoup affilis
aux clans politiques dominants 2360 . Lors de son installation So Borja et Santa
Ana, Bonpland redistribue ses voisins les graines envoyes de France par
Raffeneau-Delile 2361 .
Il se dgage au vu des alliances conclues de 1831 1858 la prdominance
des facteurs conomiques sur les agents politiques. La premire moiti des annes
1830 caractrise par une priode de paix lui permet de se fixer au Rio Grande do
Sul et de dvelopper en mme temps des alliances sociales Corrientes,
dbouchant sur un dplacement de ses activits la fin des annes 1830 vers
lArgentine, les relais brsiliens devenant ds lors fournisseurs de son estancia
correntina. Lclatement de la guerre civile brsilienne en 1835, puis argentine en
1839 ne changent pas de manire significative ses orientations. So Borja
redevient partir de 1846 le centre de ses activits pour trs peu de temps,
puisque ds 1848 il dcide de retourner en Argentine suite la victoire de Vences

2358

A titre dexemple de cette ampleur, nous pouvons citer Manuel de Sarratea, diplomate argentin
qui lui envoie des graines de tabac cubain depuis Montevideo ; AMFBJAD n 209, M. de Sarratea
Bonpland, Buenos Aires, 30 juin 1835 ; AMFBJAD n 584, S. Garcia Bonpland, Montevideo,
12 dcembre 1838. Au sein de la problmatique du dveloppement et des migrations, celles des
vgtaux sont rcurrentes mais encore peu abordes dun point de vue historique. A ce sujet, cf.
DIOT Marie-Franoise (dir.), Plantes et animaux voyageurs [en ligne], Paris, CTHS, 2005. URL :
http://www.cths.fr/ed/edition.php?id=4264.
2359
Manuel Rodrguez Goitia, n en 1778 en Espagne, sinstalle San Roque vers 1805 ; cf.
CRUZ JAIME Juan, op. cit., p. 225.
2360
Dont les familles Ramrez, Roln, ou encore la chacra des Olazabal o il constate la bonne
tenue des plantes amenes du Brsil ; AMFBJAD n 1701, journal, notes diverses, 1833-1835 ;
AMFBJAD n 1711, voyage de So Borja Corrientes, 21 septembre 1836 ; AMFBJAD n 1719,
voyage de Concordia Curuz Cuati, 16 mai 1837 ; AMFBJAD n 1723, journal, voyage de
Corrientes Santa ana, 19 juin, 3 aot 1838 ; AMFBJAD n 806, A. Ramrez Bonpland, San
Antonio, 9 mars 1846.
2361
En bnficient Caldern, Serny, Trinidad, le lieutenant-colonel et le capitaine Sylva, Fontura,
Antonio Bonorino, Juan Palmer, et un orfvre qui cultive avec succs la chacra de Brigada ;
AMFBJAD n 1700, journal, So Borja, 21-23 octobre 1833. Palmer lui avait dj remit en aot
1831 une plante dun genre nouveau, trouve par lItalien Bernardo Savato ; MNHN, ms 204, n
1043, So Borja, aot 1831 ; AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa ana, 3
aot 1838.
612

Troisime partie

Chapitre VII

amenant au pouvoir le clan Virasoro 2362 avec lequel il simplique immdiatement


dans une association dlevage. Les relais entretenus par Bonpland se tissent au
del des difficults politiques subies par les rgions dans lesquelles il simplique
conomiquement. Dautre part, alors quil investit dun ct de la frontire, il
dveloppe simultanment des rseaux conomiques de lautre ct. Cette stratgie
transfrontalire intgrante lui permet de rsister aux changements de cycles
seffectuant par contrepoids, la dtrioration politico-conomique dune entit
politique bnficiant lentit voisine. Elle montre aussi lefficacit de ses
rseaux, et surtout leur vigueur dans la province de Corrientes, Bonpland
parvenant sassurer la protection des gouverneurs de toute tendance politique au
cours de la Guerra Grande.

Capital et main duvre


Laccumulation dun capital relationnel apparat indispensable et beaucoup
plus efficace que celle dun capital financier inutile sans autre protection. Entre
1837 et 1840, au dbut des guerres civiles rioplatenses, Bonpland perd 15 000
piastres alors que ses protecteurs connaissent de svres revers militaires 2363 . Les
vnements de lanne 1839 illustrent le bien-fond dun tel investissement.
Durant les mois qui suivent la droute de larme correntina la bataille de Pago
Largo, en mars 1839, face aux troupes du gouverneur alli de Rosas dans lEntre
Ros, Pascual Echage, celui-ci fait preuve dune activit rpressive sanglante. Il
saisit surtout parmi les archives de Bern de Astrada des documents
compromettant de nombreux notables, dont Bonpland. Pourtant, celui-ci obtient la
clmence dEchage ainsi que la conservation de ses biens. Cette attitude du
gouverneur de lEntre Ros sexplique habituellement par le prestige scientifique
du Franais ou par la protection de Rosas envers Bonpland 2364 . Plus srement, le

2362

Les Virasoro stablissent dans la province au cours de la premire moiti du XVIIIe sicle.
Parmi les contemporains de Bonpland, trois frres sont gouverneurs de Corrientes ou de San Juan.
2363
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 2 mars 1837, cit in HAMY Thodore-Jules Ernest, op.
cit., p. 122 ; AMFBJAD n 421, Bonpland A.P. de Candolle, Montevideo, 18 mai 1840.
2364
La premire hypothse est mise par PIOLI DE LAYERENZA Alicia, ARTIGAS DE REBES
Mara Isabel, op. cit., p. 55 ; la seconde et la plus admise se trouve notamment dans louvrage de
DOMINGUEZ Juan A., Urquiza y Bonpland. Antecedentes histricos. La disentera en el Ejrcito
Grande en formacin, en 1850. Su tratamiento por la granadilla : Pieramnia Sellowii Planch.
613

Troisime partie

Chapitre VII

Franais bnficie de protections locales forant Echage ne pas svir contre lui
par souci de ne pas avoir une conduite inpolitique 2365 . LEntrerriano exige
comme contrepartie son engagement ne pas prendre parti dans le conflit argentin
et respecter lautorit en place. La garantie dune neutralit des trangers donne
par Bonpland montre en outre quil se positionne comme un reprsentant estim
de la petite communaut europenne 2366 .
Une telle caution savre insuffisante au Brsil, puisque la mme anne il
apprend quune tentative dassassinat a t fomente contre lui par des Brsiliens
laccusant de soutenir les rvolts. Pourtant, sil peut rencontrer en fvrier les
principaux chefs lgalistes, cela ne lui permet pas de dvelopper des alliances
solides parmi eux. Les assassinats tant devenus journaliers depuis plusieurs
semaines, Bonpland trouve refuge Santa Ana. Les hsitations et les
contradictions de ses prises de position traduisent dabord le dsir de prendre le
parti de la scurit pour ses avoirs. Ds son retour Santa Ana, il fait jouer son
capital relationnel pour attirer l un leveur riograndense 2367 . En effet, il
dveloppe llevage ovin et bovin sur les rives de lUruguay, au cur de la route
commerciale qui va du Rio Grande do Sul Montevideo, permettant dviter ainsi
le contrle douanier de Buenos Aires, afin de se connecter directement avec les
mtropoles europennes 2368 . Faute de numraire en circulation, le ngoce se base
principalement sur le crdit, le troc et lapport partag des biens meubles et

v. Picraena (Pierasma) palo-amargo (Speg.) Speg. v. Castela Tweedie Planch. (Notas y


documentos inditos para la historia de la medicina argentina), Buenos Aires, Trabajos del
Instituto de Ciencias Mdicas de Buenos Aires/Facultad de Ciencias Mdicas de Buenos Aires, n
59, 1939. Il semble en effet plus probable que Bonpland ait profit dune puissante protection car
en 1839 les Franais sont en disgrce ; de plus il dispose des preuves suffisantes pour accuser
Bonpland de complot. Rien ne lempche donc de sanctionner voire dliminer le naturaliste.
2365
Lemploi de ce terme par Ferr est significatif, propos de lexcution par Paz dun
Correntino pass au service de Pedro Echage. Ferr juge la peine inpolitique por las
relaciones y calidad de la familia a que perteneca. , FERRE Pedro, op. cit., p. 135. Or, aprs
Pago Largo, les Ferr contrlent encore une partie du gouvernement.
2366
AMFBJAD n 727, Bonpland L. Nascinbene, Santa Ana, 4 juin 1839. Bonpland a pu montrer
aussi la lettre de Joseph Ingres le flicitant de sa rsolution de ne plus sortir de ses tablissements ;
AMFBJAD n 616, J. Ingres Bonpland, Salto, 14 mars 1839. Bonpland ne prend aucune part aux
oprations militaires, et fait seulement office de mdecin pour les deux camps.
2367
Il lui explique que son terrain peut abriter de 4 5 000 btes, et que ses voisins tant pauvres et
sin amigos , il peut disposer du terrain dau moins un ou deux propritaires ; AMFBJAD n
1724, voyage dans le haut de lUruguay, 27 janvier-1er fvrier 1839 ; AMFBJAD n 1725, journal,
Santa Ana, 16 mars 1839 ; AMFBJAD n 168, 169, L. Nascinbene Bonpland, 26 avril, 23 mai
1839 ; AMFBJAD n 727, Bonpland L. Nascinbene, Santa Ana, 4 juin 1839.
2368
La voie uruguayenne crot en concurrence avec Buenos Aires aprs 1828. Cette pratique tend
samplifier durant les annes 1840 ; cf. CHIARAMONTE Jos Carlos, op. cit., pp. 38-41.
614

Troisime partie

Chapitre VII

immeubles 2369 . Dans ce contexte, le versement mme irrgulier de sa pension est


fondamental pour obtenir des fonds dinvestissement. Grce ceux obtenus en
1850 aprs huit ans de privation, Bonpland semploie rgler ses dettes 2370 .
Il ressort du recensement de la main duvre une grande volatilit de
celle-ci. Les dparts volontaires indiquent une grande mobilit des ouvriers et une
forte capacit daugmentation du statut social, soit en se plaant au service dun
patron plus puissant, soit en accdant la proprit foncire. Lautre facteur
croissant de mobilit partir de 1840, rside dans lenrlement forc entranant au
contraire un amoindrissement social 2371 . Mais dans les deux cas, les consquences
sur la conduite des exploitations se traduisent par leur dtrioration ds le moment
o Bonpland sabsente dun tablissement, ce que ses activits nomades
entranent souvent. Pour cette raison, les structures de production restent
modestes, presque familiales, et inspectes par une personne de confiance ds que
possible 2372 . En 1844, il possde deux chalands de 2,5 et 10 tonnes lui permettant
de dvelopper son ngoce sur les bords de lUruguay, et de faire le point
rgulirement sur la situation de ses biens. Le tonnage de ses embarcations le situe
parmi les petits commerants, majoritaires dans la rgion, ayant recours une
main duvre rduite et non spcialise. Comme il est habituel Corrientes, les
producteurs font aussi du ngoce en marge des commerants lgalement
tablis 2373 . La concentration de ses activits jointe la consolidation de leur

2369

Cf. ibid., pp. 65-66, 83-85.


En fvrier 1850 il reoit 7 200 francs, en avril 1850 10 000 francs pour les arrirs de 1846
juin 1849, puis obtient une partie de ceux compris entre 1844 et 1845 pour un montant de 4 000
francs ; AMFBJAD n 484, E. Barthold Bonpland, Montevideo, 20 fvrier 1850 ; AMFBJAD n
878, description de la pension verse Bonpland, Paris, Desmarest et Ducoing, 2 avril 1850 ;
AMFBJAD n 879, Desmarest et Ducoing Bonpland, Paris 3 aot 1850.
2371
Bonpland cite lexemple dun Indien nomm Poiciano, tabli aprs lle de Taquaras sur la
cte brsilienne pour viter de servir lun ou lautre des partis qui se font la guerre. CAIC,
journal de voyage, Missions portugaises, 29 aot, 1er septembre 1833 ; AMFBJAD n 1724,
voyage dans le haut de lUruguay, 26 et 30 janvier 1839 ; AMFBJAD n 1405, M. de la Serna
Bonpland, le de Los Herreros, 18 juin 1842.
2372
Citons parmi de nombreux exemples celui de son retour Santa Ana, en juillet 1838, aprs une
absence de plusieurs mois. Sa canoa est saccage, son champ envahi de chevaux dintrus. En
1842, lorsquil part pour Montevideo, il demande Mirbeck de linformer de la bonne tenue de la
ferme confie sa compagne ; AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa Ana,
27-31 juillet 1838 ; AMFBJAD n 451, Mirbeck Bonpland, Santa Ana, 29 septembre 1842.
2373
Bonpland dcrit la peine de ses peones nayant aucune exprience de la navigation ;
AMFBJAD n 1737, voyage Montevideo, Santa Ana, 14 novembre 1840 ; AMFBJAD n 1748,
voyage de Corrientes So Borja, juillet 1844. La majorit des patentes concernent la catgorie
allant de une cinq tonnes ; cf. CHIARAMONTE Juan Carlos, op. cit., pp. 66-67, 80.
2370

615

Troisime partie

Chapitre VII

contrle amne Bonpland envisager de confier la gestion de ses affaires


loccasion dun voyage en Europe voqu en 1850 2374 .

3. L or vert
La difficult du contrle de la production de certains produits oblige
Bonpland y renoncer. Parmi ceux-ci, la yerba mate est sans doute la denre la
plus convoite et la plus difficile produire sans un appui gouvernemental fort.
Les indpendances amnent une lutte pour le contrle du prcieux vgtal qui
constitue une base de lalimentation sud-amricaine et qui en outre nest cultiv
que dans les anciennes missions coloniales 2375 . Autant la richesse apporte par la
yerba que les luttes nationales pour sen assurer la proprit peuvent lui valoir le
qualificatif d or vert . Lattitude du Paraguay et du Brsil cet gard est
caractristique denjeux qui dpassent un simple particulier comme Bonpland. Les
autorits paraguayennes en font une base de leur systme conomique, rsolues
le protger par les armes, tandis quau Brsil sa production est strictement
contrle. Les dmarches effectues par Bonpland pour simmiscer dans la chane
productive se soldent par deux checs, dune part envers le Paraguay dans les
annes 1820, dautre part en essuyant un refus du gouvernement riograndense
sa demande de terrain dans les annes 1850. Entre ces deux tentatives, il incite
sans cesse les autorits correntinas dvelopper cette culture.
En sadressant de prfrence aux Argentins, il nous dvoile encore une fois
la toile de fond relationnelle qui guide ses entreprises. Surtout, nous voulons
sparer ltude de la yerba mate de celle des autres produits tant donn
limportance, autant dun point de vue scientifique quconomique, que lui
accorde Bonpland. Les relations particulires quil entretient avec cette culture
peuvent tre riges en modle de synthse entre linvestigateur et lentrepreneur,
sa dmarche rsumant les cheminements prcdemment voqus. Dans son
contenu naturaliste dabord, la classification de cet ilex renferme un sens
scientifique important. Si ds son arrive Buenos Aires, Bonpland se penche sur
2374

AMFBJAD n 958, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 aot 1850.


Louvrage incontournable propos de la yerba mate demeure celui de GARAVAGLIA Juan
Carlos, Mercado interno y economa colonial, Mexico, Grijalbo, 1983.
2375

616

Troisime partie

Chapitre VII

ltude de la yerba, sa vision est a priori utilitariste, cest parce que les champs
dapplication de la recherche quelle contient sont selon lui encore plus
fondamentaux, notamment par la dcouverte dun procd dacclimatation
permettant den tendre la culture. Faire de cette plante rare une plante utile est
une proccupation incessante du botaniste. Pour cela, le passage dune activit
individuelle un travail dutilit publique est une tape indispensable vers le
progrs souhait par les deux parties.

Lhritage jsuite
Cet hritage consiste dabord en une source dinformation manuscrite dans
laquelle le Franais puise abondamment. En effet les jsuites sont des rfrences
incontournables, car si lcart entre leur expulsion et larrive de Bonpland
Buenos Aires couvre un demi-sicle, leurs crits demeurent en revanche la
meilleure source de renseignements pour qui dsire connatre cette rgion.
Bonpland a probablement accs des manuscrits jsuites, peut-tre ceux de
Snchez Labrador traitant de lhistoire naturelle du Paraguay 2376 . Si le doute
demeure concernant cet auteur aucune preuve documentaire ntayant cette
ventualit le tmoignage postrieur dAlfred Demersay indique quun
manuscrit du pre Montenegro, crit en 1750 2377 , se trouve en possession de
Pedro Ferr, lami intime de Bonpland 2378 . A dfaut davoir accs aux Herbarios
Misioneros, dautres ouvrages sont nommment cits et utiliss ds 1819. Il sagit
2376

Cest du moins ce que suggre FURLONG Guillermo, En el centenario de Aim Bonpland,


1858-1958 , in Anales de la Academia de Ciencias Exactas Fsicas y Naturales argentina de
Geografa, Buenos Aires, tome XV, n 2, 1958, p. 63. Une opinion similaire est gnralement
rpandue concernant lutilisation de documents appartenant aux jsuites par Flix de Azara. Dans
ce cas il nexiste pas non plus de preuve concluante ; cf. VAZQUEZ DE CASTRO ONTAON
Miguel (dir.), Jos Snchez Labrador y los naturalistas jesuitas del Ro de la Plata, Madrid,
MOPU, 1989, p. 107. Cet ouvrage, ainsi que celui de FURLONG Guillermo, Jos Snchez
Labrador, S.J. y su Yerba Mate (1774), Buenos Aires, Librera del Plata, 1960, suffisent
indiquer lnorme activit scientifique dploye par le jsuite, et tend conforter lhypothse selon
laquelle Bonpland nen a pas connaissance, car aucun document nen fait mention.
2377
Ou plutt recopi, car Pedro Montenegro meurt en 1728.
2378
KRAPOVICKAS Antonio, op. cit., p. 230. Hlas, le manque de prcisions ne permet pas de
dater avec prcision lanne o Bonpland en a pris connaissance ; cela peut tre ds 1820, ou dans
les annes 1830. Guillermo Furlong affirme pour sa part que Bonpland en prend connaissance
avant 1820, sans toutefois appuyer son propos par une documentation suffisante ; cf. FURLONG
Guillermo, En el centenario de Aim Bonpland, 1858-1958 , in Anales de la Academia de
Ciencias Exactas Fsicas y Naturales argentina de Geografa, Buenos Aires, tome XV, n 2, 1958,
p. 63.
617

Troisime partie

Chapitre VII

de la Conquista espiritual hecha por los religiosos de la Compaa de Jess en


las Provincias de Paraguay, Paran y Tape, crit par Antonio Ruiz de Montoya
et dit Madrid en 1639.
Il utilise dautres sources dinformations spcifiquement relatives lherbe
du Paraguay dont les ouvrages du pre jsuite Antonio Ruiz de Montoya 2379 , du
docteur Gaspar de Escalona Agero expliquant lorigine mythique de la yerba 2380
et de Diego de Zevallos, auteur en 1667 dun Tratado del recto uso de la yerba
del Paraguay, dit Lima 2381 . De plus, une carte anonyme des yerbales du
village de Jess, en territoire paraguayen, est utilise par le naturaliste. Cette carte,
dessine en 1766, provient dune copie datant de 1806. Il est impossible den fixer
la date dacquisition par Bonpland, mme si quelques indices nous portent croire
quelle est antrieure sa capture2382 . En revanche, la prsence dans lentourage
de Bonpland des rudits rioplatenses Araujo et Saturnino Segurola, tous deux
verss dans la compilation et ltude des fonds jsuitiques transports Buenos
Aires, porte croire que Bonpland en a connaissance avant 1820. Les manuscrits
jsuites sont lobjet dune qute mene jusquen 1858, Bonpland consignant tous
les indices lui permettant de localiser des sites productifs 2383 .
Car les recherches ont pour objet la localisation des lieux propices
ltablissement dune exploitation sappuyant sur danciens yerbales laisss
labandon aprs la proscription de lordre religieux dAmrique latine. Il sagit
pour Bonpland de reprendre les tudes l o lexpulsion de 1776 les a laisses. A
ce titre lhritage est double, car si dun point de vue scientifique les
missionnaires peuvent tre considrs comme les naturalistes de lge colonial, et
donc les prdcesseurs et les rfrences du botaniste, leur savoir-faire conomique
2379

Notamment le Tesoro de la lengua guarani, Madrid, Juan de Sanchez, 1639.


Gazophilacium regium Perubicum, in omnes materias spectantes ad administrationem,
calculationem, et conservationem iurium regalium Regni Peruani, latissime discutiuntur, et plena
manu pertractantur, Madrid, Blas Romani, 1775.
2381
AMFBJAD n 2044, journal.
2382
AMFBJAD s. n. ; la zone gographique reprsente sur cette carte ne peut tre utile
Bonpland quautant quil se trouve dans cette partie des Missions. Or, partir de 1831 il ne visite
que les missions portugaises, et ne revient pas aux alentours de Jess. Surtout, cette carte
correspond lexcursion entreprise par Bonpland en territoire paraguayen avant sa capture. Son
journal de voyage corrobore les informations contenues dans la carte, et explique labngation
avec laquelle il recherche les yerbales de Jess au mois de juillet 1821.
2383
En 1836, il apprend lexistence de yerbales immenses prs du pueblo jsuite de Mburacaya et
se lance la recherche de documents permettent de le situer. Au cours de ce mme sjour, il
sentretient avec Angelis pour obtenir des documents corroborant les informations du Napolitain
relatant la richesse de ceux de Jess ; AMFBJAD n 1712, Buenos Aires, Annotations diverses,
novembre 1836.
2380

618

Troisime partie

Chapitre VII

est aussi au cur des recherches menes par Bonpland. Les jsuites, dtenteurs du
monopole dexploitation de la yerba mate jusquen 1771, en connaissent aussi
parfaitement le mode de production ; leurs yerbales artificiels acquirent une
rputation de qualit suprieure aux yerbales naturels 2384 . Mais les investigations
de Bonpland ne sarrtent pas ce stade, puisquil envisage de remplacer les
anciens procds agronomiques par des mthodes exprimentales 2385 , tablissant
ainsi une conjonction entre tradition, science et empirisme. Comprendre ce mode
de production et lamliorer requiert une confrontation entre les sources et
lexprimentation, donc une confrontation avec le terrain.

De la classification lutilisation
Au mois de dcembre 1818, Bonpland assigne lherbe du Paraguay sa
premire rfrence botanique, dnomme par lui Ilex Theazans. Cette premire
description sommaire se complte en juin 1821 par lobservation de larbre
complet. Or, la nomenclature dAuguste Saint-Hilaire prime finalement sur celle
de son confrre, bien que ses observations soient effectues un an plus tard. En
1825 Alexander Caldcleugh attribue encore Bonpland la paternit de la
description de lilex 2386 , mais Saint-Hilaire publie ce moment ses rsultats alors
que son compatriote se trouve retenu au Paraguay. Ironie du sort et dune
imagination mal inspire, Saint-Hilaire donne sa trouvaille le nom dIlex
Paraguayensis, prcisment en lhonneur dun pays o il ne la pas observ et
dans lequel se trouve son malheureux confrre. Peu aprs sa libration, Bonpland
sinquite des rsultats de Saint-Hilaire et apprend par Mirbel quil la fait
connatre 2387 . Si les deux nomenclatures cohabitent pendant le XIXe sicle, la

2384

Cf. CORRADO Alberto J., op. cit., pp. 6-7.


Cf. PIOLI DE LAYERENZA Alicia, ARTIGAS DE REBES Mara Isabel, op. cit., p. 57.
Dnde est el cientfico de los invernaderos? sinterroge Alfredo BOCCIA ROMAACH,
op. cit., p. 81. Il exprimente la culture sous serre de la yerba mate, convaincu daccrotre par ce
moyen la production de cette plante, comme nous multiplions toutes les autres qui nous viennent
en Europe des pays loigns et de tous les climats , AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, 22
juillet 1821.
2386
CALDCLEUGH Alexander, op. cit., p. 27.
2387
Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 18 septembre 1834, cit in HAMY
Thodore-Jules Ernest, op. cit., p. 96 ; AMFBJAD n 438, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland,
Paris, 23 mars 1835.
2385

619

Troisime partie

Chapitre VII

classification scientifique est habituellement attribue Saint-Hilaire 2388 . Si


Bonpland ne peut entamer une polmique de prsance plusieurs milliers de
kilomtres de distance, il campe sur des positions fortifies par plusieurs
dcennies dtudes. Lescarmouche envoye lAcadmie des sciences en 1853 a
pour but de rappeler quil se refuse cautionner une terminologie incorrecte aux
yeux de la phytogographie non plus quexhaustive, passant sous silence le fait
que son auteur ait nglig une vrification in sitio :
LIlex Paraguayensis, ou Ilex Theaezans, comme il conviendrait mieux
de le nommer, nexiste pas seul et ne se trouve pas seulement dans le
Paraguay.

2389

Le pressentiment de Bonpland qui croit pouvoir dire plus de choses


intressantes sur [cette plante] pretieuse que qui que ce soit concerne sa
localisation gographique primitive, traditionnellement situe au Paraguay 2390 . La
prsence du mat stend, selon ses connaissances acquises jusquen 1819, des
18 aux 30 de latitude Sud. Or, il apprend que des pieds ont t plants jusqu
Buenos Aires, cest--dire sous 35 de latitude Sud. En aot 1819, aprs en avoir
vrifi lexistence Martn Garca, sous le 34, La grande question est de savoir
si cette plante est venue l naturellement ou si elle y a t apporte par un
habitant 2391 . Concluant rapidement que la seconde rponse savre la bonne, il
poursuit ses recherches vainement le long du Paran 2392 , jusqu y trouver les
anciens yerbales entre les 27 et 28 parallles. En 1832, il veut suivre la route du
mat vers San Javier, sous les mmes latitudes. Cest motiv par lambition de
complter les connaissances de la gographie de lIlex Theazans quil entreprend
le voyage aux missions portugaises et en prvoit un autre Tucumn 2393 . La
rduction de son champ dinvestigation ne lui permet pas de faire aboutir ce
projet. Nanmoins, il est en mesure de faire part de ses conclusions lAcadmie
des sciences en 1853, dont la principale consiste repousser la limite sud au 32
de latitude sud hauteur de Rio Grande, puis remontant vers louest jusquau 27e
2388

John Miers associe encore en 1861 les deux termes ; Cf. CORRADO Alberto J., op. cit. p. 17 ;
GIBERTI Gustavo C., op. cit., pp. 663-665.
2389
Bonpland F. Delessert, Montevideo, 26 dcembre 1853, cit in HAMY Thodore-Jules
Ernest, op. cit., p. 179.
2390
AMFBJAD n 319, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 1er juin 1832.
2391
AMFBJAD n 2044, journal, 1819.
2392
Ibid., aot-septembre 1819.
2393
Ainsi que dcouvrir la quina ; AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot
1832 ; AMFBJAD n 1591, Bonpland A. Herrera, Buenos Aires, 15 septembre 1832 ;
AMFBJAD n 400, J. Arenales Bonpland, Buenos Aires, 19 novembre 1832.
620

Troisime partie

Chapitre VII

degr au niveau du ro Paraguay. Il en appelle aux recherches des autres


voyageurs Saint-Hilaire, dOrbigny, Sellow et Martius afin de complter les
siennes.
Sa position de complmentarit est alors assume dans le domaine de la
diffusion des connaissances. Il en est de mme vis--vis des bnfices escompts
grce la mise profit de ses connaissances, suivant le mme cheminement du
projet individuel vers une attitude communautaire. Lorsque Bonpland quitte
Buenos Aires en direction du Paraguay, en novembre 1820, les entreprises
scientifiques et mercantiles sont clairement imbriques. Le 19 janvier 1821,
Brard part pour Buenos Aires avec 146 arrobes dherbe du Paraguay pesant trois
tonnes, achete de compte demi avec la compagnie Roguin, Brard, Razac et
Bonpland. Peu avant son enlvement, Bonpland dispose dun pcule de 2 000
piastres acquis grce ce commerce. Cest selon lui la plus belle spculation
agricole et commerciale faire dans cette Amrique 2394 . Son grand
projet consiste remonter lUruguay jusquaprs la mission de San Javier pour y
exploiter le mat. Les renseignements quil obtient au cours des voyages effectus
pendant les annes 1830 sont mticuleusement consigns, mais aprs plusieurs
tentatives infructueuses pour accder aux yerbales du sud brsilien, les seuls
accessibles, Bonpland y renonce en 1839 cause de linscurit de la zone en
laissant quelques pieds, avec lespoir dy revenir dune manire plus sre et plus
utile. Il lui faut attendre dix ans pour visiter de nouveau une plantation de grande
envergure 2395 .
Un projet de socit explique clairement les moyens mis en uvre et les
buts du naturaliste. La rdaction de ce document non dat peut tre value la
premire moiti des annes 1830, lorsquil tente de sinstaller San Javier.
Lappellation de cette socit dagriculture et de recherche sur les sources de
lUruguay 2396 en rsume les buts scientifico-commerciaux. Lexploration et
linvestigation prennent une place fondamentale au sein des activits de la
socit :

2394

AMFBJAD n 2044, journal ; AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot
1832.
2395
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 2 mars 1837, cit in HAMY Thodore-Jules Ernest, op.
cit., p. 123 ; AMFBJAD n 1724, voyage dans le haut de lUruguay, 27-31 janvier 1839.
2396
sociedad de agricultura y de investigationes sobre las fuentes del rio Uruguay ; AMFBJAD
n 1658, s. l., s. d.
621

Troisime partie

Chapitre VII

une de ses fins particulires sera de dcouvrir les immenses hierbales qui
srement doivent exister sur un mme parallle au nord de Villa Rica,
Corpus, uguazu, Sta Ana Caati, Martyres, Sto Angel, Cruz alta &c. de
plus elle relvera les arbres et autres plantes utiles qui se dcouvriront
pour en son temps en retirer lutilit.

2397

Lacclimatation y joue aussi un grand rle, dabord par le transfert de spcimens


de mat des missions vers un nouveau site dexploitation form sur les bords du
Miriay ; ensuite par lutilisation de ptures locales, bonaerenses et europennes ;
enfin par le croisement dovins permettant lobtention de mrinos purs. La
prsence de cultures de subsistance complte une volont de complmentarit
agraire clairement affirme.

De lutilisation la mise en valeur


Aprs dix annes striles, Bonpland visite en 1849 un immense yerbal
Santa Cruz do Sul pour des affaires privs autant que pour mettre ses
connaissances au service du gouvernement riograndense. Poursuivant le voyage
jusqu Porto Alegre, il remet au prsident un rapport contenant les
recommandations pour lamlioration de la culture du mat. Il sagit de
laboutissement dun cheminement intellectuel dbut trente ans plus tt Buenos
Aires, o il propose dj ses services pour en dvelopper la culture. Le
dveloppement de ses relations postrieures avec les Correntinos le conduit
tenter de convaincre les gouverneurs successifs par un discours utilitariste fond
sur lintrt de contrler les yerbales 2398 . A ce titre, le terrain demand au
gouverneur Atienza en 1837 comporte une surface beaucoup plus tendue que
celle finalement obtenue, le projet originel combinant utilisation prive et mise en
valeur publique. En effet, il sollicite en plus de Santa Ana deux autres terrains
propices la culture du mat. Sa requte souligne lavantage que tirerait le
gouvernement les lui confier plutt qu des colons qui, sous une apparence de

2397

uno de sus fines particulares sera de descubrir los inmensos hierbales qe seguramente deben
existir en un mismo paralelo al norte de Villa Rica, Corpus, uguazu, Sta Ana Caati, Martyres, Sto
Angel, Cruz alta &c. mas annotara los arboles y demas plantas utiles qe se hallaran para en su
tiempo sacar utilidad de ellos. , ibid.
2398
AMFBJAD n 1606, Bonpland B. Virasoro, So Borja, 2 fvrier 1849.
622

Troisime partie

Chapitre VII

bonne foi, sont des voleurs , ou dautres qui fuient la province avec leurs
biens comme cela est arriv, rappelle-t-il, avec un familier des Pucheta 2399 .
Le rejet de sa demande montre les limites atteintes dans son intgration
aux rseaux locaux. A cela sajoute une conjoncture dfavorable ds le dbut des
annes 1830, lorsque Bonpland relve la baisse de la consommation Buenos
Aires :
aujourdhui que lusage du th et du caff est devenue presque gnral
dans la premire classe et que dailleurs lherbe est plus rare et dune
qualit beaucoup plus inferieure

2400

La propagation du mat passe par lamlioration des conditions de production et


dacclimatation. Sous ce dernier aspect, le terrain demeure immense pour
Bonpland. Il envisage ds 1817 la possibilit de cultiver la plante dans la province
de Buenos Aires ; ds cette date ses recherches sont aussi menes dans le but de
faire venir la plante en Europe 2401 . Les chantillons tudis par Geoffroy SaintHilaire rvlent des proprits comparables celles du caf et du th, et Bonpland
suppose que le mat est susceptible de devenir aussi ncessaire que ces deux
produits 2402 . Lavenir est donc prometteur, mais la mise en pratique se fait
attendre. En France, les scientifiques sintressent peu sa culture, comme en
tmoigne Mirbel crivant que si lutilisation est dsormais connue, la culture ne
lest pas et quelle nexiste nulle part en Europe 2403 . La colonisation algrienne
ouvre de nouveaux horizons Bonpland, qui envisage la fin des annes 1830 la
transplantation du mat sous ce climat prsum favorable.
Comme pour les autres productions, il abandonne au cours des annes
1840 ses vises de culture en grand, desservi par les nombreux blocus freinant
lcoulement de la marchandise 2404 . Ses initiatives devenues totalement

2399

AMFBJAD n 20, Bonpland R. Atienza, 29 juin 1837.


AMFBJAD n 1691, journal, sjour Buenos Aires, mars 1832. Vingt ans plus tard, les
progrs de la consommation de th et de caf les placent sur la mme ligne que le mat ;
AMFBJAD n 1360, Bonpland au Chevalier Gravelle, Montevideo, 8 septembre 1850.
2401
Il mne des recherches dans les archives sur les quantits produites, les droits dexportation en
pensant dj lEurope comme dbouch potentiel ; AMFBJAD n 2044, journal, 1819.
2402
AMFBJAD n 1360, Bonpland au Chevalier Gravelle, Montevideo, 8 septembre 1850.
2403
Le seul renseignement obtenu vient de lAnglais Lambert qui affirme la culture facile. Vous
avancez le contraire et jai de bons motifs de vous croire plutt que lui ; Bonpland C.-F.
Brisseau de Mirbel, Corrientes, 18 septembre 1834, cit in HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit.,
p. 96 ; AMFBJAD n 438, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 23 mars 1835.
2404
Notamment en 1851. On le prvient quil y a beaucoup de yerba mais peu de dbouchs, le
march tant dpendant dun dblocage de la situation politique ; AMFBJAD n 1067, J. Silvero
Bonpland, Restauracin, 5 juin 1851.
2400

623

Troisime partie

Chapitre VII

dpendantes du politique, son implication dans les problmatiques publiques doit


saccrotre afin de dpasser les barrires claniques. Le discours qui glisse donc
dune mise profit vers une mise en valeur du terrain 2405 est de plus en plus
entendu par les Correntinos partir des annes 1850, du fait dune conjoncture
favorable sa rception. Laccs au pouvoir de Juan Pujol explique en partie un
regain dintrt vis--vis des possibilits offertes par un traitement scientifique des
enjeux conomiques. Si ce nouvel acteur politique exprime une incomprhension
sincre face la perte dun tel potentiel humain pendant une longue suite
dannes, il est aussi soucieux de ne pas le laisser pactiser avec le voisin brsilien.
Son prdcesseur au poste de gouverneur sinquite dj des liens entretenus par
le Franais envers les Brsiliens 2406 . En effet, la recrudescence des contacts
intellectuels et politiques nous par Bonpland avec cet empire ds 1846 font
craindre un dpart de lArgentine. Or, lalliance ayant permis la chute de Rosas en
1852 se change rapidement en antagonisme. Aussi le rapport sur les yerbales
fourni dabord aux Brsiliens, comme la proposition faite par Antnio Rodrigues
Chaves de diriger Santa Cruz do Sul un yerbal de 40 000 pieds jouent
certainement dans la dcision de Pujol de le nommer inspecteur gnral des
yerbales correntinos. La province des Missions acquise en 1852 par un trait avec
le Paraguay en fournit le champ dapplication 2407 .

2405

Linversion du discours est prsente lorsquil en prsente lexploitation par une socit qui
aurait Dabord le desir de faire une chose honorable, utile au Pays, ensuitte de gagner beaucoup
dargent. , AMFBJAD n 1360, Bonpland au Chevalier Gravelle, Montevideo, 8 septembre 1850
[cest nous qui soulignons].
2406
Permitame U. por esta ves formarle mi celos nombre de los Correntinos qe tanto lo
aprecian, y s qe solo los Rio Grandenses tienen la suerte de qe U. les aga [] visitas y los
Correntinos [] deserian tener lo entre hellos , AMFBJAD n 1145, M. Virasoro Bonpland,
Corrientes, 30 janvier 1850.
2407
Dans son projet impliquant Antnio Chaves, la rationalisation de lexploitation de la yerba est
mise en avant. Mais le prsident Andria refuse Bonpland une parcelle dans la nouvelle picada
alors quil en donne un autre tranger, Peter Kleudgen, sous contrle dune personne voulant
obtenir le monopole et placer ses amis la picada. Il sagit, selon un correspondant, du signe de la
prgnance des intrts particuliers sur le bien public : Cest nous, cest le gouvernement qui fait
une grande perte en ne profitant pas de vos connaissances ; AMFBJAD n 1606, Bonpland B.
Virasoro, So Borja, 2 fvrier 1849 ; AMFBJAD n 1135, F. Vasconcellos Bonpland, Rio Pardo,
20 dcembre 1849. A propos des Missions, cf. CAMBAS Anbal, op. cit., pp. 290-293.
624

Troisime partie

Chapitre VII

B. UN ELDORADO EN DEVENIR
Le rve amricain de Bonpland trouve son origine dans la qute
romantique dun Paradis terrestre, mais en diffre de par une vision forge par
lexprience du terrain, et de par un discours qui ne laisse aucun doute quant au
projet final : accumuler un capital lui permettant de revenir finalement en Europe.
Ainsi, de la mme faon que lapproche scientifique conduit dune qute de
linfini vers une investigation du fini, le parcours conomique suit un
cheminement similaire. Partant dune qute dun retour la nature, le discours y
contient aussi la mise en valeur de cette dernire. Ces deux comportements
sagencent autour dun mme principe dont Bonpland fournit ici lexemple. En
effet, lorsquen 1813 il opte dfinitivement pour lmigration la destination nest
pas arrte mais, dors et dj, les pays hispanophones lui paraissent les plus aptes
pour se rendre propritaire et tenter la fortune 2408 . Tandis quau cours de
lanne 1815, Bonpland espre encore retrouver dans le Nouveau Monde les
bienfaits dune socit plus proche de ltat de nature, lorsquil assure sa sur
quil est bien plus agrable de vivre au milieu dun peuple moins civilis que
nous le sommes en France 2409 . Le vocabulaire employ ici sapparente
davantage celui dun entrepreneur qu celui dun scientifique, tout en unissant
des considrations librales et romantiques. Les deux pans dun mme projet
partag par nombre dEuropens sont runis avec cette rfrence la synthse
librale europenne qui, contemplant une extension, une priphrie de son aire
dinfluence, y dcouvre, au prisme du Congrs de Vienne, un terrain dapplication
convergeant vers le continent sud-amricain rsum dans la notion d autointrt clair 2410 .
Cette notion est porteuse des principes dharmonie naturelle, de progrs ou
de bien commun. Mais surtout, lorsquil recueille le principe de libre commerce
au profit des puissances maritimes europennes, le Congrs de Vienne devient le
fondateur dune grande allgorie destine personnifier la culture transatlantique

2408

Bonpland O. Gallocheau, Malmaison, 6 juillet 1813, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
Aim Bonpland, mdecin et naturaliste, explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906. p.
65,
2409
Bonpland O. Gallocheau, Paris, 6 juin 1815, cit in ibid., p. 69.
2410
Expression forge par WOODRUFF William, Impact of Western Man. A Study of Europes
Role in the World Economy, 1750-1960, Londres, Macmillan, 1966, p. 12.
625

Troisime partie

Chapitre VII

au cours de la premire moiti du XIXe sicle. Les thormes conomiques


quencouragent lorientation agro-exportatrice du Ro de la Plata, dbutant son
essor la fin du XVIIIe sicle 2411 , alimente un discours europen optimiste
corrobor par la venue rapide dinvestisseurs. Ceux-ci importent avec leurs
marchandises bon march un scnario matriel et idologique projet dans un
lieu o se rejoignent progressisme et romantisme, raison et utopie, savoirs et
inexpriences. Autant de rencontres dtermines par le potentiel naturel des
nouveaux Etats. Autant de rencontres attendues grce aux consquences
conomiques de lindpendance, qui rsident avant tout dans louverture de
nouveaux marchs, et son enchanement logique dimplantation europenne
effectue de manire plus ou moins coercitive, consentie ou dsavoue par les
nations hispano-amricaines, et surtout par les acteurs gographiques 2412 . La
rgion du Ro de la Plata, encore peu tourne vers lEurope et peu connue delle,
propose un axe conomique transatlantique espr par les particuliers, encourag
par les Etats, afin que saccomplisse la synthse culturelle et conomique
escompte, bref lEldorado en devenir.
Rendu optimiste par lapparition de souches politiques librales dans
lAmrique espagnole 2413 , Bonpland opte pour la rgion bnficiant dune
meilleure stabilit politique :
en 1814, 1815 et 1816 je fis plusieurs voyages Londres dans le but de
rendre mes relations avec Bolvar plus frquentes et plus utiles
lAmrique. Je connus alors particulirement MM. Belgrano, Sarratea et
Rivadavia et lamiti de ces MM. runie aux dsastres que souffrit le
gnral Libertador du Vnzuela, changrent mes projets et je gagnais
les eaux de la Plata.

2414

2411

Cf. CONNAUGHTON Brian F., Amrica latina 1700-1850: entre el pacto colonial y el
imperialismo moderno , in Cuadernos Americanos, Mxico, n 38, mars-avril 1993, pp. 38-66 ;
COATSWORTH John H., Trayectoras econmicas e institucionales en Amrica latina durante el
siglo XIX , in Anuario IEHS, n 14, 1999, pp. 149-175.
2412
Les dbats sur cette question sont rsums in BERNECKER Walther, op. cit.
2413
Les constitutions librales dj adoptes Buenos-ayres [] et sur dautres points seront
adoptes et suivies sur tout le continent. , AMFBJAD n 1263, mmoire historique sur
lmancipation de lAmrique hispanique, s. l., 1815.
2414
en 1814. 15. y 16. hize varios viajes a Londres con el objeto de hacer mis relaciones con
Bolivar mas frequentes y mas utiles la Amrica. Entonces conoci particularmente los S.S.es.
Belgrano, Sarratea y Rivadavia y la amistad de estos S.Ses. reunida los desastres qe. sufri el
gnral Libertador de Venezuela, hizieron mudar mis projectos y gano las aguas del Plata. ,
AMFBJAD n 227, Bonpland P. Serrano, Santa Luca, 28 janvier 1840.
626

Troisime partie

Chapitre VII

Il convient de prciser que des trois Rioplatenses que rencontre alors Bonpland,
deux dentre eux disposent dun bagage conomique consquent. En effet, si
Manuel de Sarratea ne participe qu quelques oprations commerciales, il est
membre du Consulat de Buenos Aires, organisme dirigeant le commerce et la
production portea. Manuel Belgrano en occupe quand lui la place de Secrtaire
perptuel depuis 1793, promouvant lindustrie coloniale et lamlioration de la
production agricole, et diffusant Buenos Aires les ides dAdam Smith. Quant
Bernardino Rivadavia, ses qualits de patriote clair quillustrent les rformes
conomiques entreprises partir de 1811 en font le parangon, lou ou dcri, du
dveloppement conomique 2415 .
Lide dune indpendance soutenue par des conomistes, dont Juan
Bautista Alberdi se fait lcho durant la seconde moiti du XIXe sicle 2416 , est tout
fait fonde. Leur influence est dterminante lheure de faire venir des fonds et
des hommes : en tant son caractre merveilleux au sol, en insistant sur les
expectatives dun dveloppement raisonn, donc en relevant les points communs
aux deux mondes, ils russissent attirer des personnages hautement qualifis.
Bonpland est sduit par les capacits naturelles, surtout la terre qui devient
rapidement le canevas du scnario matriel et idologique de ses projets. En se
heurtant la ralit des enjeux conomiques, le Franais participe lhistoire des
investissements trangers au Ro de la Plata durant la premire moiti du XIXe
sicle, faite de reconversions nombreuses dbutant par de grands projets
transatlantiques pour souvent aboutir des ralisations locales de moindre
envergure.

1. Lexprience paraguayenne de Bonpland


Louvrage de Demersay trs dur vis--vis du Paraguay, paru aprs la mort
de Bonpland, ne permet pas de connatre la raction certainement vive de ladepte
dun rve paraguayen devenu ralit pendant neuf annes, puis encore entretenu
2415

Cf. PICCIRILLI Ricardo, op. cit. ; FRIZZI DE LONGONI Hayde, Rivadavia y la economa
argentina, Buenos Aires, El Coloquio, 1976 (1947) ; BAG Sergio, El plan econmico del grupo
rivadaviano, 1811-1827, Rosario, Instituto de Investigaciones Historicas, 1966.
2416
Juan Bautista Alberdi crit : El corfeo de la independencia no es un soldado. Fu un
economista, el doctor Moreno , cit in BURGIN Miron, op. cit., p. 25.
627

Troisime partie

Chapitre VII

pour le restant dune vie. Sa dtention paraguayenne mrite une tude particulire
dans la mesure o la structure conomique quil y dveloppe demeure encore
mconnue, celle-ci savrant originale de par lexcution dactivits conomiques
et mdicales dans des proportions respectables, tout du moins assez significatives
pour que Bonpland avoue quil soccupe dagriculture en grand et devienne un
riche cultivateur 2417 . Sil est un lieu o Bonpland ait russi stimuler lactivit
conomique des anciens pueblos, ce nest pas aux abords des missions du Paran
mais dans celles de Santa Mara de Fe et Santa Rosa, sous tutelle paraguayenne.
Car malgr son statut de dtenu, il serait risqu de ne pas voir dans le choix de son
lieu de dtention, comme dans sa relative libert dactivit, une dcision manant
de Jos Rodrguez Gaspar de Francia visant tirer profit certes de manire
brutale des connaissances du savant. En ce sens, linsertion de Bonpland
lintrieur du systme conomique paraguayen doit tre soumise rvision aprs
que les rcits de, Rengger, Demersay ou Angelis laient dpeinte sous des traits
trop peu ralistes ou trop imprcis 2418 .
Le travail forc auquel se livre Bonpland nest de fait gure diffrent de
celui entam dans la province entrerriana. Aprs son enlvement, Bonpland est
directement conduit lancien site jsuite Santa Mara de Fe. Or, les anciennes
missions rattaches ladministration paraguayenne font lobjet elles aussi dune
politique de mise en valeur, avec plus de succs dailleurs que celles situes au
sud du Paran puisquau cours des annes 1820 la rcupration conomique
paraguayenne est exemplaire, surtout si on la compare la dtrioration que
connaissent les rgions limitrophes la mme poque 2419 . Bonpland, bnficiant
dune exprience de plusieurs mois au cur des Missions, est une ressource bien

2417

AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832 ; Bonpland A.


Raffeneau-Delile, Buenos Aires, 8 aot 1832, cit in HAMY Thodore-Jules Ernest, op. cit., p. 92.
2418
suerte verdaderamente [] muy deplorable selon RENGGER Johan Rudolf, in RENGGER
Johan Rudolf, CARLYLE Thomas, DEMERSAY Alfred, op. cit., p. 60 ; Les pieds nus, vtu,
comme un crole, dune chemise flottante et dun calzoncillo selon DEMERSAY Alfred, La
vie et les travaux de M. Aim Bonpland, Correspondant de lInstitut et du Musum dhistoire
naturelle , in Bulletin de la Socit de Gographie de Paris, quatrime srie, tome V, 1853, p.
250 ; condenado al silencio y al aislamiento selon ANGELIS Pedro de, Biografa de Amado
Bonpland, in TROSTINE Rodolfo, GONDIA Enrique de, Pedro de Angelis. Acusacin y defensa
de Rosas ; las ideas polticas de Pedro de Angelis, Buenos Aires, La Facultad, 1945 (1855), p.
510.
2419
RENGGER Johan Rudolf, in RENGGER Johan Rudolf, CARLYLE Thomas, DEMERSAY
Alfred, Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et des tablissements des jsuites,
Paris, Hachette, tome 1, p. 59 ; WHITE Richard Alan, La primera revolucin popular en Amrica.
Paraguay (1810-1840), Asuncin, Carlos Schauman, 1989 (1978), pp. 128-131.
628

Troisime partie

Chapitre VII

utilise par Francia 2420 . Ses projets concident parfaitement avec ceux du Franais,
dans la mesure o il cherche dvelopper la polyculture. Aussi peut-on analyser
le complexe agricole de Bonpland comme un laboratoire, une ferme-modle
refltant la russite de cette diversification ; les travaux de Bonpland permettent
dapporter quelques prcisions ce propos.

Enfer ou paradis ?
Ds le dbut de son internement, Bonpland se consacre difier un
tablissement rural requrant un nombre lev douvriers, comme le montre le
graphique suivant.
Graphique n 15

Ouvriers engags par Bonpland


(1822-1830)
14
12
10
8
6
4
2
0
1822

1823

1824

1825

1826

1827

1828

1829

1830

Source : CAIC.

En se basant sur ses livres de comptes, nous constatons quil recrute neuf ouvriers
en 1822 et quatorze ds lanne suivante, ce qui correspond au maximum recens.
La baisse des effectifs au cours des annes suivantes atteste de la productivit
2420

Une ressource parmi dautres, Francia rquisitionnant tous les trangers en ce sens. Ainsi, les
Rioplatenses ayant trouv refuge au Paraguay sont dplacs dans le nord du pays pour peupler et
fortifier la frontire ; cf. BEDERE Stphane, op. cit., p. 81. Pour sa part, Bonpland concrtise les
premiers essais effectus Santa Ana. Cette continuit est mise en avant lorsquil rdige en 1822
un mmoire sur la culture du tabac, bas sur les premires expriences menes en territoire alors
sous contrle entrerriano ; AMFBJAD n 1241, mmoire sur la culture du tabac, Santa Rosa,
janvier 1822.
629

Troisime partie

Chapitre VII

acquise par ltablissement 2421 . Signe daisance autant incontestable que prcoce,
Bonpland embauche en mars 1822 trois mois aprs sa capture un domestique,
puis en mai une cuisinire. A la fin de lanne, un ouvrier est spcialement charg
de lentretien de la chacra. Une prosprit si rapidement gagne est difficilement
explicable ; la seule interprtation possible doit se baser sur la propension de soins
mdicaux lui ayant permis dacqurir rapidement une position sociale dominante.
Dautre part, Bonpland sous-entend que la mdecine lui permet alors de
diversifier peu peu ses activits. Il vit dailleurs une exprience semblable sa
sortie du Paraguay, tant oblig de rsider quelques temps So Borja afin de se
procurer, grce sa profession, de quoi subsister 2422 . Bonpland aurait donc t
dautant mieux accueilli que si lon se fie au tmoignage dAlfred Demersay, les
mdecins paraguayens sapparentent davantage de mauvais curanderos encore
dans les annes 1840 2423 .
De tels dbuts permettent de confirmer les commentaires logieux du
propre Bonpland vis--vis de ses tablissements. Etabli Santa Mara de Fe entre
1821 et 1829, puis Itapa jusquen 1831, Bonpland indique son intention de
demeurer dans le pays, frustre par lordre de quitter sans dlai le territoire
paraguayen, justifiant par l quil soit sorti beaucoup plus pauvre [quil ny est]
entr 2424 . Cette exprience le marque cependant au point de songer retourner
vivre au Paraguay en 1847 2425 . Cette image idyllique se fonde sur les chiffres
donns par le captif, qui estime ses ouvriers au nombre de 45, et ses ttes de btail
400 2426 . Or, les comptes assez dtaills nindiquent lemploi que dune dizaine
de personnes par an, sachant quune majorit ne le sont que temporairement.
Quant au cheptel, le recensement de Bonpland effectu en mai 1829 fait tat de

2421

Hormis 1829, anne vierge en raison du changement de rsidence de Bonpland, la baisse


correspond principalement aux investissements effectus dans le btail, requrant une moindre
main duvre.
2422
En 1832, le recours la profession mdicale est clairement nonc : En sortant du Paraguay,
je me suis vu dans la ncessit de rester dans les missions portugaises pour y gagner de quoi
pouvoir me remuer. [] Dans cette partie dAmrique, je peux me soutenir honorablement avec la
mdecine. , AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
2423
Lauteur dnonce leur inefficacit loccasion des soins prodigus au fils du prsident Lpez
que lui-mme parvient gurir ; DEMERSAY Alfred, op. cit., pp. LIV-LV.
2424
AMFBJAD n 567, Bonpland F. Dickson, Buenos Aires, 27 mars 1832.
2425
Mais Apollon de Mirbeck lui dconseille ce quil considre comme le plus triste des exils ;
AMFBJAD n 455, A. de Mirbeck Bonpland, Uruguaiana, 26 juillet 1847.
2426
Bonpland A. Raffeneau-Delile, Buenos Aires, 8 aot 1832, cit in HAMY Thodore-Jules
Ernest, op. cit., p. 92.
630

Troisime partie

Chapitre VII

237 ttes exactement 2427 . Enfin, lallgation selon laquelle il se rend Itapa de
manire hebdomadaire pour y vendre les produits de son exploitation est fausse,
car entre mars 1825, mars 1827 et octobre 1828 trois voyages seulement sont
effectus sous stricte surveillance 2428 . Bonpland semble donc avoir exagr sa
libert de mouvement et sa prosprit, entretenant aprs sa libration une image
survalue du Paraguay. Celle-ci nest pas due son isolement, mais procde dun
choix l encore difficilement explicable. Sagit-il de valoriser une dtention
frustrante ou dencourager les Europens intervenir directement dans la rgion ?
La documentation recueillie appuie la seconde hypothse. En effet, les
notes de Bonpland immdiatement postrieures sa libration indiquent sa
proccupation pour le sort de ses compatriotes demeurs au Paraguay. Son consul
Mendeville lui confie une lettre le 26 juillet 1832 pour rclamer la libration des
autres Franais dtenus, que Bonpland transmet par Itapa 2429 . A cela sajoutent
des propos clairement favorables une intervention europenne au Ro de la
Plata. Il sadresse non seulement aux Franais, mais aussi aux Britanniques quil
encourage affronter Francia : la dsunion des provinces littorales fait toute sa
force, il ne rsisterait pas la plus lgre attaque . Les courriers de Bonpland
parviennent jusqu Palmerston, qui ne donne pas suite aux suggestions du
Franais 2430 . Mais bien que les sources infirment une aussi grande prosprit, il
jouit dune aisance matrielle relle.

Un monde clos mais agissant


Cette aisance sappuie en premier lieu sur les soins mdicaux qui
constituent une source de revenus fondamentale au cours de cette priode, mais
aussi un moyen damplifier ses contacts. En 1823, il est en relation avec Rengger,
un autre mdecin retenu Asuncin ; il forme aussi des Paraguayennes la
2427

Le nombre cumul des employs slve 70. Dautres sources indiquent que durant les mois
de novembre et dcembre 1827, une dizaine demploys sont recenss ; CAIC, tat des ouvriers,
1822-1830 ; AMFBJAD n 1587, tat des ouvriers, 1827-1831 ; CAIC, agenda, 18 mai 1829.
2428
P. A. Romero J. G. Rodrguez de Francia, Santa Mara, 18 octobre 1828, cit in GASULLA
Luis, op. cit., pp. 365-367 ; CAIC, bilan financier, 1824-1826.
2429
Aucune rponse nest parvenue en dcembre 1836 ; AMFBJAD n 1712, notes diverses,
Buenos Aires, 6 dcembre 1836.
2430
Foreign Office, n 6, 32, 35, W. Parish Palmerston, 5 avril 1831, Bonpland W. Parish,
Buenos Aires, 26 mars 1832.
631

Troisime partie

Chapitre VII

mdecine. Ses visites le conduisent plusieurs dizaines de kilomtres de sa


rsidence 2431 . Largent est rapidement rinvesti dabord dans la cration dune
scierie, dune menuiserie et dune tannerie. En 1823 et 1824, Bonpland mentionne
lengagement de plusieurs ouvriers spcialiss fileurs, tailleurs et charpentiers.
Lanne suivante, le produit de la vente de biens manufacturs issus du travail du
bois lui permet de consacrer de fortes sommes lachat de btail 2432 . En
septembre 1828, la clientle de sa quincaillerie comporte une vingtaine de
personnes stendant jusqu Santiago, 60 kilomtres au sud de son lieu de
rsidence, signe de llargissement de son march. Sa production est
suffisamment significative pour quil puisse organiser ds novembre 1824 un
premier voyage Itapa afin den couler les excdents 2433 . Son assise financire
lui permet de devenir prteur en septembre 1825.
Le second facteur dune prosprit rapidement acquise rside dans
lapplication de mthodes agricoles rationnelles. En 1822, il visite les plantations
de tabac de Santa Rosa, leur consacre un mmoire scientifique reproduit
quelques annes plus tard par le consul Aim Roger Buenos Aires et
commence peu aprs en cultiver exprimentalement plusieurs espces, ainsi que
des patates douces et des jatropha 2434 . Lessai est russi puisquau mois de mai
1826, il fait parvenir une partie de sa production de tabac Itapa2435 . Les uniques
rfrences concernant la plantation de ce type de cultures fruits, lgumes et
aromates renvoient lautomne 1823 2436 . Hormis le mas et le manioc, le reste
ne semble pas cultiv en grand mais seulement afin de pourvoir aux besoins
quotidiens, ainsi que dans une perspective utilitariste. Bonpland se fait remarquer
pour les enseignements donns beaucoup de paraguayens dans les sciences des

2431

AMFBJAD n 1502, J. Rengger Bonpland, 29 janvier 1823 ; P. A. Romero J. G. Rodrguez


de Francia, Santa Mara, 18 octobre 1828, cit in GASULLA Luis, op. cit., p. 366.
2432
P. A. Romero Francia, Santa Mara, 18 octobre 1828, cit in GASULLA Luis, op. cit., p.
366.
2433
Il sagit de la premire mention de frais relatifs un voyage quil neffectue pas en personne,
car il ne dispose vraisemblablement pas encore de lautorisation.
2434
Bonpland A. Raffeneau-Delile, Buenos Aires, 8 aot 1832, cit in HAMY Thodore-Jules
Ernest, op. cit., p. 92.
2435
En juin 1823, il est fait mention de semis de tabac ; AMFBJAD n 1241, mmoire sur la
culture du tabac, Santa Rosa, janvier 1822 ; MNHN, ms 215, notes diverses, n 11, juin 1823 ;
CAIC, N. Ortellado Bonpland, Itapa, 20 mai 1826.
2436
AMFBJAD n 1652, semis Santa Mara, mars et mai 1823 ; MNHN, ms 215, n 11, juin
1823.
632

Troisime partie

Chapitre VII

cultures les plus bnfiques 2437 , dont les vivrires sont prioritaires. Cest le cas
pour un sterculae platanifolia dans le jardin de lancienne mission jsuite de Santa
Mara dont personne na eu la curiosit de le multiplier 2438 . Ds la fin de
lanne 1823, il diversifie encore son activit en acqurant 150 lios de canne
sucre, puis en exploitant un mandiocal de 9 000 pieds en 1825. Les livres de
comptes de Bonpland permettent de reconstituer une partie de ses transactions.
Graphique n 16
Transactions conomiques de Bonpland
en pesos (fvrier 1824-fvrier 1826)
250
200
150
100
50
0

F A J

J A S O N D F M A M J

J A S O N D J F

-50
-100
Volume d'changes

Bilan financier

Source : CAIC.

La plus grande partie de lanne 1824 fait apparatre un bilan financier


positif, rsultant de la vente de biens manufacturs, de lexercice de la mdecine
mais aussi de la production dalcool qui sintensifie au dbut de cette anne. Le
dficit qui devient presque permanent partir du mois de novembre sexplique par
des rinvestissements constants que confirment lingal volume de ces
transactions. Ainsi en novembre 1824, la majorit du volume des changes
concide avec la formation dun cheptel. En mars 1825, la hausse du volume
correspond aux transactions effectues Itapa. Dans ces deux cas, les comptes
2437

Don Bompln lleva instruido a muchos paraguayos en las ciencias de las cosechas ms
beneficiosas , P. A. Romero Francia, Santa Mara, 18 octobre 1828, cit in GASULLA Luis, op.
cit., p. 365.
2438
MNHN, ms 204, Santa Mara, octobre 1822.
633

Troisime partie

Chapitre VII

squilibrent. Le bilan ngatif constat entre avril et juin 1825, mais aussi dune
manire gnrale lapparente mauvaise sant financire de Bonpland aprs cette
date, provient de laccroissement du cheptel. Le dficit est finalement artificiel,
car la part de lpargne ntant pas prise en compte, le bilan ne reflte pas la
thsaurisation accomplie grce au btail et laccumulation de numraire lui
permettant daccorder un prt en juillet 1825. Au final, ses biens se montent en
1829 23 000 plants de canne sucre, 15 000 plants de tabac, 66 lios de mas et
un mandiocal dau moins 9 000 plants. A la mme date il possde 102 bovins et
16 chevaux quil emmne avec lui Itapa 2439 .

Une exprience russie et reproduite


La prsence de numraire est suffisamment significative pour tre
signale, lintrieur dun pays rput pour son hermtisme vis--vis de ce moyen
de paiement 2440 . En 1829, Bonpland ne dispose pas de largent suffisant pour
payer les droits dextraction de ses animaux se montant 143 pesos 2441 . Mais
auparavant, une partie non ngligeable de la solde de ses ouvriers est verse en
argent 2442 , savoir 12,5% entre 1823 et 1827 ; le numraire atteint le tiers des
rmunrations verses au second semestre 1825, ce qui sans doute correspond aux
bnfices du voyage Itapa. Mais la premire source de rtribution est constitue
par les tissus, manufacturs ou non, qui interviennent pour 43% dans le paiement.
Lalcool en constitue le quart, les autres biens manufacturs 12%, enfin les
versements en comestibles 7,5%.

2439

CAIC, copie des droits dextraction demands pour les biens de Bonpland, Itapa, 27 juillet
1829 ; AMFBJAD n 1504, P. A. Romero Bonpland, Santa Mara, 4 novembre 1829.
2440
La lacune de numraire ne dcoule pas dune dcision politique mais des difficults
conomiques connues aprs 1811 ; cf. TAJIMA Hisatoshi, Historia del Paraguay. Siglo XIX.
1811-1870, Asuncin, Centro Paraguayo de Estudios Sociolgicos, 1988.
2441
Il namne que 29 pesos de Santa Mara Itapa ; CAIC, copie des droits dextraction
demands pour les biens de Bonpland, Itapa, 27 juillet 1829.
2442
El poco numerario sobrante lo us [] en premiar a sus obreros en el Cerrito. , P. A.
Romero Francia, Santa Mara, 18 octobre 1828, cit in GASULLA Luis, op. cit., p. 365.
634

Troisime partie

Chapitre VII

Graphique n 17

Rmunrations verses par Bonpland


(semestres de 1823 1827)
100%
90%
80%
70%
60%
50%
40%
30%
20%
10%
0%

1823/1

1823/2
Alcool
Tissus

1824/1

1824/2

1825/1

1825/2

Argent
Biens manufacturs

1826/2

1827/1

1827/2

Lingerie
Comestibles, tabac

Source : CAIC.

Le complexe est conu pour subvenir lensemble des besoins des


ouvriers 2443 . Bonpland leur fournit loutillage, le vtement 2444 , le tabac et lalcool.
Les fluctuations des moyens de paiement refltent une structure conomique non
stabilise, dpendante des articles en provenance dItapa et des productions
saisonnires de ltablissement. Llaboration dun alambic en 1824 permet
dintensifier les paiements en eau-de-vie, puis aprs lacquisition dune parcelle
de canne sucre la construction, en 1825, dune distillerie complte avec four et
moulin permet de rpondre rgulirement la demande. Le terrain du Cerro est
lou pour quatre pesos par an, conformment la rglementation fixe par Francia
prvoyant la location de terres tatiques bas prix pour les plus dmunis 2445 .
2443

On ne peut dire cependant quil fonctionne en autarcie, car la matire premire ncessaire
llaboration de la lingerie ne semble pas produite en son sein. Les sources nindiquent pas
lexistence dun levage ovin, ni dune plantation de coton. Cest ce que laisse du moins supposer
ses comptes qui ne mentionnent ce produit que dans la colonne des achats, contrairement son
affirmation reproduite in TAJIMA Hisatoshi, op. cit., p. 90. Mais lomniprsence des tissus pose
un rel problme dinterprtation. De plus, les changes avec Itapa mais aussi avec dautres
pueblos plus proches apparaissent indispensables pour soutenir la productivit de ltablissement.
2444
Dont la chirip, culotte de cuir porte par les vachers, donne leur entre en fonction dans
lestancia.
2445
Cf. BEREDERE Stphane, op. cit., p. 82.
635

Troisime partie

Chapitre VII

Quant aux ouvriers leur salaire est fix deux pesos par mois, trois sil sagit
douvriers spcialiss, beaucoup plus dans certains cas, tel celui du menuisier
Vicente Antonio Franco qui partage pour moiti le bnfice tir de la fabrication
de meubles. Dans lensemble, les salaires sont trois fois infrieurs ceux de la
province de Corrientes, dans laquelle le patron doit en plus procurer la nourriture.
Dans les versements de Bonpland au contraire, les comestibles sont quasiment
inexistants. Or, la prsence de cultures vivrires laisse supposer une activit plus
diffuse au sein de son dpartement dassignation. Que ce soit dans lagriculture ou
llevage, les exprimentations de Bonpland au Paraguay constituent la base de
ses futures entreprises 2446 .

2. Des reprsentations conomiques rcurrentes


Cependant, bien quil se revendique de filiation librale, le principe du
libre commerce comporte aussi une importante dimension romantique vhicule
par les Franais vers lAmrique latine, parmi les nostalgiques du Premier Empire
dabord, parmi les partisans du rayonnement national ensuite, mais aussi au
moyen dune convention littraire amricaniste non expurge de sa propension
magnifier le sol amricain 2447 . Ce protocole se focalise trs tt sur le Ro de la
Plata nouvellement mancip, salimentant ensuite dun attrait pour les ressources
naturelles vues ou rves qui ne dcrot pas au fil des dcennies. Grce au libre
commerce au contraire, lhomme civilis saffranchit de son instinct grgaire ;
il parvient vaincre sa nature paresseuse pour sinvestir dans le long terme, le
temps long, bref sinscrire dans la mesure europenne.

2446

CAIC, journal de voyage, Missions portugaises, 23 septembre et 3 octobre 1833 ; AMFBJAD


n 296, 379, 565.
2447
Louanges du sol, mais aussi des rapports commerciaux entendus comme une loi naturelle
inscrite dans la nature humaine. En effet, le ngoce est une langue universelle pour Humboldt, en
tmoignent les relations tablies entre les soldats des presidios et les sauvages . Ceux-ci
indiquent par des signes, sans jamais se montrer, leur dsir dchanger avec les colons. Voil un
systme de commerce qui indique un mlange extraordinaire de bonne foi et de mfiance ,
conclut lauteur qui mentionne un commerce dchange avec les Indiens lors de lexpdition
conduite par Juan Prez jusqu la rade de Nookta, en 1774. Langue naturelle, langue universelle,
le commerce est linstrument privilgi de rapports humains idalement figurs, mme entre les
contrebandiers qui ne parlent pas la mme langue, souvent par signes, et avec une bonne foi trs
rare parmi les peuples polics , HUMBOLDT Alexandre de, Essai politique sur le royaume de
Nouvelle-Espagne, Paris, Utz, 1997, pp. 313, 336-337, 467.
636

Troisime partie

Chapitre VII

En senracinant dans le sol, il investit dans lavenir, mme si cela ncessite


une rupture davec la socit qui, paradoxalement, contribue largir lespace
civilis. Car en retrouvant son antique libert lindividu met en valeur des
terres qui savancent dans un pays dsert, entre des bancs de rocs nus et arides .
Ces conqutes paisibles de lagriculture forment une srie dlots de
civilisation que lon retrouve Au commencement de la civilisation comme vers
son dclin ; deux stades du matrialisme historique dvelopp par Georg Forster
sont prsents ici, sur les quatre que le jacobin nonce partir dune comparaison
entre la progression des civilisations et les stades de la vie humaine : conservation,
reproduction, activit en dehors de soi et retour sur soi 2448 .
Cet attrait rside, il est vrai, dans le potentiel dun territoire vierge, cest-dire non soumis laction humaine. Bonpland participe vhiculer cet
imaginaire, puisquil crit en France :
je suis accoutum vivre dans les bois vierges, sur les grands fleuves et
je sais me contenter de ce que jai

2449

Mais il nassocie pas virginit fertilit, car il sagit de se contenter et non de


tirer profit. Comme tous les colons, Bonpland a horreur du vide entendu comme
absence daction humaine ; comme tous les voyageurs, il pense que le manque de
bras qui constitue le cur du problme de la virginit territoriale est un obstacle
majeur lexploitation de richesses porte de main. Car la fertilit demeure sans
doute le principal facteur dattraction : Jean-Baptiste Douville, critique svre de
la rpublique argentine pour avoir subi l un chec conomique fracassant,
reconnat en 1831 peut-tre pour ny avoir pas investi que le sol constitue la
vritable mine dor du pays 2450 . Les magnificences vgtales [] sont pour les
pays encore vierges du Nouveau Continent, ce que sont les merveilles de lart en
Europe 2451 , senthousiasme en 1860 Demersay la suite de son compatriote.
Entre-temps, Bonpland ajoute sa pierre ldifice propos de

2448

Cf. MINARY Daniel, Le problme de lathisme en Allemagne la fin du sicle des


Lumires , Paris, Les Belles Lettres, 1993, pp. 289-290.
2449
AMFBJAD n 908, Bonpland Delessert, So Borja, 10 janvier 1835.
2450
DOUVILLE Jean-Baptiste, Viajes a Buenos Aires : 1826 y 1831, Buenos Aires, Emec, 1984
(1831), p. 125.
2451
DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, p. 154.
637

Troisime partie

Chapitre VII

la Cisplatine qui, depuis trois ans, a t deux fois le thatre de la guerre,


offre des sources de richesses inpuisables

2452

Le discours franais rejoint celui des Britanniques qui, ds 1806,


senorgueillissent prmaturment de la conqute d une des colonies les plus
grandes et les plus riches de lEspagne 2453 . Avec lindpendance, les voyageurs
se font lcho dune contre fertile, sans discontinuer au cours de la premire
moiti du XIXe sicle. Ces tmoignages relays par quelques revues insistent sur
les deux piliers de lconomie rioplatense, constitus des cultures cralires et de
llevage bovin 2454 . Mais les renseignements obtenus demeurent imprcis, une
connaissance dtaille du terrain et des avantages en tirer demandant plusieurs
annes dapprentissage, que les rcits des voyageurs ne sont pas en mesure de
fournir faute dexprience. Charles Darwin regrette son tour le manque de
communications dans un pays joignant au climat tempr un climat tropical et
un sol qui, sil faut en croire le meilleur de tous les juges, M. Bonpland, na peuttre pas son gale au monde pour sa fertilit. 2455 Lintgration, louvrage
dAlcide dOrbigny, du point de vue dun Narcisse Parchappe ayant vcu et
travaill plus dune dcennie dans le Ro de la Plata fait figure dexception
lintrieur du monde jaloux des savants voyageurs. Le tmoignage dun Bonpland
permet de mieux saisir le lent processus de dcouverte et de conqute des
problmatiques conomiques. Bonpland veut justifier aux yeux des Europens son
choix de faire fortune lintrieur.

2452

Bonpland Gigaux, Buenos Aires, 1er dcembre 1836, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op.cit., p. 100.
2453
Propos extraits du Times en date du 15 septembre 1806, cits in GRAHAM-YOOLL Andrew,
op. cit., p. 35.
2454
Cf. PROVOST, Esquisse dun voyage de Buenos-Ayres San Iago de Chili fait en 1817 par
M. Provost, Juge aux Etats-Unis, et leur commissaire dans lAmrique mridionale , in Nouvelles
Annales des Voyages, tome 4, 1819, pp. 341, 345, 355-356 ; An., Mmoire sur la situation
actuelle de lAmrique espagnole et sur les relations que la France pourroit y former ; par un
Franois, actuellement Buenos-Ayres , in Nouvelles Annales des Voyages, tome 13, 1822, pp.
216, 221-222, 226-227. Les troupeaux de plusieurs milliers de ttes ntant pas exceptionnels dans
le Ro de la Plata, leur prsence a de quoi attiser limagination europenne ; cf. KLEINPENNING
Jan M. G., op. cit., p. 134.
2455
DARWIN Charles, op. cit., tome I, pp. 152-153.
638

Troisime partie

Chapitre VII

Prosprer lInterior
LInterior, qui correspond depuis lArgentine la rgion dlimite par les
provinces dEntre Ros, Corrientes et Missions, mais pouvant tre dfinie aussi
dans le contexte gographique rioplatense comme lensemble des territoires
spars des capitales portuaires rgionales Buenos Aires, Montevideo, Rio de
Janeiro et Porto Alegre reprsente pour le physiocrate quest Bonpland une
source de richesses inpuisable et une orientation conomique prioritaire autant
pour lEtat que pour le particulier. Les directions prendre ne correspondent pas
le plus souvent aux projets que les Europens conoivent avant dmigrer. Les
facteurs politiques, les demandes du march sont autant dimprvus freinant les
entreprises.
Sadressant un jardinier de Malmaison layant accompagn jusqu Rio
de Janeiro, Bonpland rsume bien les difficults et les espoirs que suscitent les
marchs urbains :
Je ne peux comprendre votre situation et votre travail Rio Janeiro : je
crois quil aurait mieux valu que vous vous absentiez de la Capitale et
vous consacrer la culture du Caf. Je nai pu suivre ce conseil []. Le
peu de tranquillit dans lintrieur du pays men a empch, et
immdiatement aprs que le calme sera revenu, sans doute jy conduirai
une grande entreprise.

2456

En ce sens, le discours conomique rejoint le discours scientifique ; les richesses


doivent tre recherches lintrieur des terres. Lorsquil quitte Buenos Aires
pour les Missions au printemps 1832, Bonpland chafaude des plans totalement
similaires ceux de 1817 2457 .
Son choix est motiv par lvocation dun terrain promettant aux
investisseurs un march ouvert la spculation sur de nombreuses matires
premires. De par son immensit et sa mconnaissance, le Ro de la Plata savre
propice la ralisation du rve physiocratique de Bonpland, qui se rapproche en
cela de la tradition narrative anglo-saxonne et plus encore de ses compatriotes
immigrs dans la rgion. En effet, il partage avec ceux-ci un mme dsir de
2456

Bonpland Acard, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 60.
2457
Il est [d]sireux [] de travailler lhistoire naturelle, lagriculture et de collecter des
plantes mdicinales , AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 13 octobre 1832.
639

Troisime partie

Chapitre VII

russite conomique ; mais contrairement beaucoup dentre eux il ne sappuie


pas sur lactivit strictement commerciale. Au contraire, il compte tirer profit de
son savoir-faire agraire pour stablir au dbut de la chane de production. A ce
titre le Franais exprime des premires impressions euphoriques vis--vis du
potentiel naturel, dveloppant entre 1818 et 1821 un raisonnement rcurrent bas
sur les possibilits dinversion de capitaux dans la culture grande chelle 2458 .
Cette attitude embrasse plusieurs branches de commerce, et sinscrit dans une
logique darticulation entre la production rurale et le march urbain.
Mais le dbouch porteo est peru comme un mal ncessaire. Bonpland
dprcie une ville sappuyant sur ses privilges commerciaux, le pouvoir tant
exerc par les marchands et non par les propritaires terriens. En effet, les lites
amricaines se diffrencient des europennes en ce quelles fondent leur richesse
sur le capital commercial plutt que le sur le capital productif, sy appuyant pour
contrler lensemble sociopolitique 2459 . En outre les salaires sont nettement
suprieurs Buenos Aires que dans le reste du pays, pour cause de la pnurie de
main duvre. La tentative du Directoire de cder des terres aux particuliers, en
1817, afin de peupler les zones frontalires de la province portea savre un
chec, accentuant la mauvaise impression de Bonpland vis--vis dune population
peu intresse par son patrimoine. En effet, peu de membres de la bourgeoisie
portea investissent hors de la ville, la possession destancias dans la pampa

semi-sauvage noctroyant aucun prestige social, et linvestissement dans les


domaines ruraux tant considr comme un mauvais placement 2460 . Ainsi, les
constats rejoignant les prjugs, Buenos Aires offre Bonpland limage dune
ville o le commerce-roi touffe la socit : tous ici sont ngociants ; on achte
deux pour revendre quatre, et il ny a pas plus de relations. 2461

2458

AMFBJAD n 2044, 2046, voyage, Paran, Missions, 1819-1821.


Cf. SOCOLOW Susan, Los mercaderes del Buenos Aires Virreynal : familia y comercio,
Buenos Aires, La Flor, 1991 ; MAYO Carlos A., Landed but not powerfull : The Colonial
Estancieros de Buenos Aires. 1750-1810 , in Hispanic American Historical Review, tome LXXI,
n 4, 1991, pp. 761-779.
2460
Cf. BAGU Sergio, Estudio preliminar , in BEAUMONT John A. B., op. cit., pp. 22-23 ;
SABATO Hilda, Capitalismo y ganaderia en Buenos Aires. La fievre del lanar 1850-1890,
Buenos Aires, Sudamericana, 1989, p. 52 ; GALAFASSI Guido P., La produccin agraria del
Ro de la Plata colonial y las relaciones con el mercado urbano. Una recorrida por el debate
actual , in Boletn Americanista, n 50, 2000, p. 77.
2461
Bonpland J. Lebreton, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 63.
2459

640

Troisime partie

Chapitre VII

Cette critique cinglante nest pas isole. De tels prjugs se trouvent


renforcs aprs le rcit livr par Beaumont, dsireux dviter que les colons
britanniques ne sjournent dans la capitale portuaire rioplatense, de peur quils ne
succombent aux sirnes commerciales, et surtout aux duperies daventuriers de
toute provenance qui acquirent l une respectabilit usurpe parfois la force du
couteau... Les commentaires rappellent encore la violence de Rio de Janeiro que
Saint-Hilaire sefforce de dmentir 2462 . Limage en construction au dbut des
annes 1820 attribue la campagne rioplatense toutes les vertus saintsimoniennes. Cest avec admiration que Beaumont commente par contraste ltat
de la petite colonie anglaise installe cette poque dans la province de lEntre
Ros : fertilit, richesse, progrs, flicit, abondance sont les qualificatifs utiliss
par le promoteur de cette migration 2463 . Avec la parution du Facundo de
Sarmiento en 1845, le rve de ruralit amricaine alimente encore longtemps
limaginaire europen comme rioplatense 2464 . Aprs avoir constat dans les
annes 1830 que les mmes mcanismes oprent Corrientes les commerants
tirant parti de lisolement des marchs des petits producteurs pour produire des
bnfices Bonpland replace Buenos Aires un rang plus digne, mais reste fidle
son idal denrichissement grce aux provinces 2465 . Les annes paraguayennes,
qui forment une continuit vis--vis de son avance conomique, confortent ce
jugement. De la mme manire que les missions constituent la base scientifique
de Bonpland, le Paraguay en est le centre fertile.

2462

SAINT-HILAIRE Auguste de, Histoire des plantes les plus remarquables du Brsil et du
Paraguay : comprenant leur description et des dissertations sous leurs rapports, leurs usages,
etc., avec des planches, en partie colories, Paris, Belin, 1824, tome I, p. XXXIV.
2463
BEAUMONT John A. B., op. cit., pp. 203-204, 275.
2464
Facundo est louvrage majeur de Sarmiento mais Pauline Raquillet cite dautres exemples de
cette idologie de la conqute ; cf. RAQUILLET Pauline, Alfred Ebelot. Le parcours migratoire
dun Franais en Argentine au XIXe sicle, Paris, LHarmattan, 2011, p. 128 ; cf. aussi
BRIGHENTI Maura, Lorrizonte de la nazione. Dottrine politiche e scienze sociali in Argentina
(1830-1880), thse de doctorat ralise sous la direction de Raffaella GHERARDI et Santo
MEZZADRA, Universit de Bologne, 2009, pp. 245-260.
2465
CHIARAMONTE Juan Carlos, op. cit., p. 67 ; Bonpland Gigaux, Buenos Aires, 1er
dcembre 1836, cit in HAMY Thodore-Jules Ernest, op.cit., p. 100.
641

Troisime partie

Chapitre VII

Le Paraguay, un nouvel Eldorado ?


En effet, le titre de Chine amricaine octroy au Paraguay lest autant pour
son isolement quen vertu des supposes richesses quil renferme et protge 2466 .
Ce titre qui perdure durant presque toute la premire moiti du XIXe sicle
renvoie au mythe de la rpublique jsuite alliant fertilit du terrain, industrie
humaine et attrait romantique des pueblos dont les Montesquieu, les Raynal, les
Chateaubriand nont point exagr lancienne flicit 2467 . Le puissant
imaginaire vis--vis de ce mythe alimente une attraction sur les philosophes et les
savants de cabinet ; quant aux voyageurs, ds lindpendance ils voient dans les
Missions un passage oblig qui demeure durant toute la premire moiti du XIXe
sicle une rfrence culturelle et conomique incontournable 2468 . Toutefois, les
troubles des annes 1810 dtruisent avec les pueblos argentins et brsiliens la
majeure partie du patrimoine et des lieux porteurs de cette utopie. Le Paraguay en
devient dpositaire. Alfred Demersay se fait le tmoin dun lieu de conservation
du patrimoine et de la mmoire jsuite, un laboratoire ayant perdur jusquen
1848 2469 .
Lutopie alimente par le Paraguay persiste jusqu cette date, moins
cause de lenfouissement suppos de leurs richesses par les jsuites lgende
persistante jusque dans les annes 1840 amenant des chercheurs de trsors
saccager les missions brsiliennes 2470 que par la prsence dune vgtation qui
fait rver les voyageurs. Bonpland succombe au mirage de la profusion, plus
encore aprs sa dtention frustrante. Il compare alors les missions brsiliennes
un petit Paraguay 2471 , et il savre que cette vision ne le quitte pas mme face
2466

En 1817 Richard Grandsire dresse un tableau enchanteur du Paraguay quil na pourtant pas
encore visit. Le beau Paraguay , cette rgion fabuleuse de lAmrique est aussi loue par
Alcide dOrbigny. John Beaumont crit que cette nouvelle Chine , possde une arme
suffisamment importante pour repousser quelque invasion ; HAMY Thodore Jules Ernest, Les
voyages de Richard Grandsire de Calais dans lAmrique du Sud (1817-1827) , in Journal de la
Socit des Amricanistes, tome 5, 1908, pp. 8-9 ; ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I , 1835, p.
130 ; tome III, 3e partie, Gologie, 1842, p. 8 ; BEAUMONT John A. B., op. cit., p. 122.
2467
An., Notice sommaire des voyages de M. Auguste de Saint-Hilaire dans le Brsil, la province
cisplatine et les missions du Paraguay , in Nouvelles Annales des Voyages, tome 17, 1823, p. 235.
2468
Alfred Marbais du Graty dcrit en 1858 cette rgion comme tant destine devenir lune des
rgions les plus riches de la Confdration Argentine ; MARBAIS DU GRATY Alfred, La
confederacinon argentina, Buenos Aires, Comisin Nacional de Museos y Monumentos
Histricos, 1968 (1858), p. 50.
2469
DEMERSAY Alfred, op. cit.,tome 1, pp. XI-XIV.
2470
Ibid., p. LVIII.
2471
AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832.
642

Troisime partie

Chapitre VII

au scepticisme de ses compatriotes. Au cours des annes 1840, le libre accs vers
le Paraguay sduit les Europens qui organisent en 1845 une expdition dans ce
but. La flotte franco-britannique force le passage du Paran pour permettre
louverture de la riche rgion du Paraguay lactivit de nos commerants 2472 .
Mais si lide dun retour la nature parat ne pas avoir influenc les dcisions de
Bonpland, le mythe des jsuites pourrait expliquer en partie son attirance pour les
missions, peut-tre moins pouss par le romantisme que par les dbouchs
conomiques.
Plus que dun Eldorado, il sagit du Paradis terrestre des marchands 2473 . En
1835, Bonpland participe une tentative ralise par des Franco-britanniques afin
de pntrer au Paraguay. Henry Symonds, intermdiaire de la maison Duncan
Mac Dougall de Liverpool, tente dentrer en contact avec Francia en le faisant
sous couvert dun vecino de So Borja, Joseph Ingres 2474 . Ingres argue que par le
Paran le commerce est impossible et qu Itapa, lautre dbouch pour les
produits paraguayens vers le Brsil et le ro Uruguay, le commerce savre de peu
de valeur ; il assure enfin pouvoir tablir des relations commerciales rgulires
avec la France 2475 . Comme le prvoit Bonpland, Francia ne donne pas suite la
proposition. Il faut attendre le 27 janvier 1841 pour que Bonpland lui annonce
louverture du Paraguay. Presque aussitt il se propose auprs de la maison Blanc
et Constantin, ses bailleurs de fonds et commerants implants Buenos Aires,
pour servir dentremetteur entre eux et le gouvernement paraguayen. Bonpland
estime que les ports paraguayens tant ouverts, le gouvernement doit
prochainement traiter directement avec les ngociants trangers 2476 .
Cette ouverture savre funeste aux intrts paraguayens. Si en 1847 les
prjugs dun Franais migr ne concernent encore que les individus 2477 , le
2472

GRAHAM-YOOLL Andrew, op. cit., p. 136, cite un article du Times.


cette Province du vaste continent de lAmerique Espagnole est la seule qui jouisse de la plus
grand tranquilit et que cet etat est du au genie de votre excellence {qui seul pu la preserver des
boulversements horribles qui ont dsole et qui desolent encore toutes les autres points de
lamerique Espagnole} , AMFBJAD n 1510, J. Ingres J. G. Rodrguez de Francia, So Borja,
1835. Lettre rdige par Bonpland.
2474
AMFBJAD n 1113, H. Symonds Bonpland, Curuz Cuati, 30 mars 1835.
2475
Ingres fournit pour preuve de son srieux dans les grandes affaires une facture de 22 000
pesos ; AMFBJAD n 1510, J. Ingres J. G. Rodrguez de Francia, So Borja, 1835. Lettre rdige
par Bonpland.
2476
AMFBJAD n 1728, journal, voyage Santa Luca, 27 janvier 1841 ; AMFBJAD n 892,
Bonpland Blanc et Constantin, Montevideo, 1er fvrier 1842.
2477
Il considre les Paraguayens comme des semis sauvages et rien de plus , AMFBJAD n
455, A. de Mirbeck Bonpland, Uruguaiana, 26 juillet 1847.
2473

643

Troisime partie

Chapitre VII

verdict de Demersay aprs quatre mois de sjour au Paraguay est tout aussi
tranch concernant lindolence des habitants 2478 . Or en obtenant lautorisation de
parcourir la rgion misionera, Demersay entame une dconstruction systmatique
du mythe. En effet, louverture aux Europens de ce prtendu Eldorado
mconnu 2479 leur permet de construire un discours en ngatif, la mesure de
leur dception, ds le contact tabli avec le terrain. Demersay se dit prs de
rejoindre la position de Guizot 2480 , partisan dun dsengagement franais et dun
alignement sur la position de Rosas signifiant labandon du Paraguay aux
prtentions annexionnistes du Bonaerense 2481 . Les autorits paraguayennes
napprcient pas le premier tableau que trace Demersay de leur rpublique, publi
entre 1853 et 1855 dans le Journal des Economistes. Elles font part de leur
mcontentement face une telle absurdit ; mais ces braves Paraguayos sont des
sauvages, que les rares voyageurs qui les ont visits les Brsiliens surtout ont
gts force de flatteries et dexclamations [] sur la richesse de leur sol, de leur
production 2482 , rpond Demersay.
Aprs avoir indiqu que le Paraguay est encore sujet des rcits
exagrs et qui touchent de prs au merveilleux , il sattarde avec prcision sur
tous les dfauts physiques plus que moraux, allant jusqu diagnostiquer chez
Francia un tat mental dtrior ayant pour cause un climat favorable
lapparition de lhystrie ou de lhypocondrie. Le rcit abonde en sources
pjoratives, Flix de Azara devenant une anti-rfrence dans la mesure o ses
crits sont relevs pour dnoncer avec ou contre son auteur la publicit dont
bnficie jusqualors le pays. Avec Azara, Demersay saccorde par exemple
constater la frquence des temptes. Contre Azara, il dment sa description de la
rivire Aguaray, compare la Seine la fin du XVIIIe sicle, dcrite au milieu
du XIXe sicle comme un un spectacle triste et sauvage, au milieu dune nature
2478

AMFBJAD n 1632, A. Demersay Bonpland, Asuncin, 4 septembre 1846.


AMFBJAD n 1031, D. Roguin Bonpland, Montevideo, 30 mai 1857. Dix ans aprs le
passage de Demersay, le commentaire de Roguin montre que le Paraguay a cess dexercer toute
fascination sur des Europens auparavant conquis par le mythe. Le discours glisse dun
dnigrement des individus et du gouvernement vers celui de ses richesses.
2480
AMFBJAD n 1632, A. Demersay Bonpland, Asuncin, 4 septembre 1846.
2481
Cf. NARI Estela, op. cit., pp. 297-299. Lauteur sintresse particulirement la question
orientale, mais la position franaise quelle analyse vaut pour lensemble de la rgion.
2482
AMFBJAD n 1643, A. Demersay Bonpland, Chtillon-sur-Loing, 6 novembre 1853.
Demersay nest pas le premier remettre en cause lEldorado paraguayen. En 1851, Thomas Page
publie un article qui corne le mythe ; cf. PAGE Thomas, Le Paraguay et les rpubliques de la
Plata , in Revue des Deux Mondes, tome 10, 1851, pp. 136, 146.
2479

644

Troisime partie

Chapitre VII

sombre et dserte 2483 . Suprme offense ou coup de grce, le rgne vgtal, cette
manne naturelle, nest pas encense mais compare dfavorablement celle du
Brsil, la peinture se compltant par une touche de petit enfer vert mle de
pauvret : le pays suffit avec peine la nourriture de ses habitants . Cette
analyse d une contre dont les richesses naturelles sont encore inconnues 2484
rappelle, toutes proportions gardes, la redcouverte du continent effectue par
Humboldt et Bonpland. Si lexploration de Humboldt contribue changer la
vision du Nouveau Monde en son temps, quitte dtruire quelques mythes au
passage, Demersay poursuit luvre de son an avec zle.

Un territorio inmenso, virgen y frtil 2485


Si les modalits daccs au bonheur se modifient, le dcor reste quant lui
le mme, celui dun territoire immense, vierge et fertile. Cette hyperbole ornant
les rcits est on ne peut plus loigne des ralits auxquelles Bonpland, parmi
beaucoup dautres, se voit confront. Point nest besoin dexaminer les
fondements dun regard subjectif largement discut par ailleurs, mais plutt de
considrer les points de convergence entre expectatives et opportunits.
Lexprience dun Bonpland permet de mieux comprendre ladaptation de
limaginaire du voyageur europen un terrain amricain particulier. Limmensit
indniable du territoire tout dabord, semble exercer une sduction irrsistible sur
limagination europenne ; immensit toute relative se bornant quelques ples
urbains dont le premier dentre eux, Buenos Aires, est destin pour certains

2483

Cette dernire citation est tire par Demersay de louvrage de Rengger qui, malgr les
vexations dune longue dtention, dcrit une nature gnralement accueillante. Je ne me fais pas
illusion dailleurs sur limportance tous gards de cette partie du Nouveau Monde []. Un
emprisonnement durant trente annes, dextrmes difficults de communications depuis la
cessation de cet odieux systme, lloignement qui prte aux choses une importance et des formes
souvent trompeuses, ont laiss croire de destines auxquelles le Paraguay ne saurait atteindre ,
assne encore lauteur qui taye sa thse ensuite tout au long de son ouvrage : crues destructrices,
navigation dangereuse, marais infranchissables, vents malsains, prils animaliers sont quelques
exemples de cette description dtruisant mthodiquement le mythe ; cf. DEMERSAY Alfred, op.
cit., tome 1, pp. XVIII-XIX, 115, 201-201, 217.
2484
Ibid., tome 1, pp. LVI, 159-161, 193.
2485
Lexpression qualifiant le Ro de la Plata mane du propagandiste rivadavien NUEZ Ignacio,
Noticias historicas, politicas y estadisticas de las Provincias Unidas del Rio de la Plata, con un
apndice sobre la usurpacion de Montevideo por los gobiernos portugus y brasilero, Buenos
Aires, La Cultura Argentina, 1952 (1825).
645

Troisime partie

Chapitre VII

empcher le dveloppement des autres provinces 2486 . Dailleurs, alors quil rside
encore Buenos Aires, les trois destinations choisies par Bonpland afin de raliser
son rve physiocratique sont danciens centres commerciaux trs limits dans
lespace 2487 . Aucun front pionnier nest mentionn ; ce titre les missions dans
lesquelles il saventure en 1821 sont plutt regardes comme lancien poumon
conomique rioplatense que comme un nouveau terrain dexploitation 2488 . De fait,
lactivit conomique du Franais couvre un territoire relativement restreint et
toujours dpendant dune capitale provinciale.
Cette extrme localisation pose le problme des faibles moyens de
communications, rduisant lactivit le long des axes fluviaux 2489 . Non accessible,
limmensit territoriale est un mirage qui svanouit rapidement en labsence de
possibilit dexploitation. Bonpland revient sans cesse sur la ncessit de
dsenclaver le territoire, dans des proportions toutefois clairement dlimites par
les dbouchs fluviaux. Ainsi constate-t-il lefflorescence des btiments qui
indiquent lactivit du commerce de luruguay ; il plaide ailleurs pour une
meilleure connaissance du Paran 2490 . Son discours et sa correspondance montrent
combien lintrt des particuliers est essentiellement tourn vers les ports, et
combien les gouvernements doivent sappliquer dvelopper leurs villes-ports. A
ce propos, Bonpland aimerait voir les Orientales plus attentifs envers Colonia 2491 .
Discours surprenant de la part dun physiocrate, qui sexplique simplement par le
besoin dcouler sa production vers le sud. Tel est le cas pour la chacra quil a
lintention dtablir en 1837 Santo Angelo ; situ au nord de So Borja,
ltablissement requiert un chemin direct jusqu lUruguay en vue de diminuer le

2486

DOUVILLE Jean-Baptiste, op. cit., pp. 123-124.


A propos des structures conomiques de ces trois centres, pour Tucumn, cf. PAROLO Mara
Paula, Criadores, labradores, capataces y peones en la campaa tucumana en la primera mitad
del siglo XIX , in Anuario IEHS, n 15, 2000, pp. 353-378 ; pour Crdoba, cf. MARTINEZ DE
SANCHEZ Ana Mara, Infraestructura del abasto de carne a la ciudad de Crdoba : los Corrales
(1783-1810) , in Anuario de Estudios Americanos, tome L, n 2, 1993, pp. 129-161 ; pour
Corrientes, cf. SCHMIDT Roberto, Mercados y flujos en los estados provinciales argentinos de
la primera mitad del siglo XIX. El comercio de Corrientes a Buenos Aires (1822-1833) , in
Boletn del Instituto Dr. E. Ravignani , troisime srie, n 4, second semestre 1991, pp. 31-61.
2488
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions, mai-juillet 1821.
2489
Dans la province de Corrientes, le rseau routier colonial se maintient sans aucune
amlioration de 1810 jusqu 1857 ; cf. PEREZ Mara Emilia, La red vial y las comunicaciones
terestres en Corrientes. Origen y evolucin. 1588-1898, Cuadernos de Geohistoria regional n 10,
1984, pp. 34-38.
2490
AMFBJAD n 1713, journal, Corrientes, octobre 1836 ; AMFBJAD n 1718, voyage de
Buenos Aires Concordia, 14 mars 1837.
2491
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 14 octobre 1832.
2487

646

Troisime partie

Chapitre VII

fret de la yerba vers Salto, point focal du commerce entre So Borja et Buenos
Aires, mais aussi avec l immense Entre Ros riche en btail 2492 .
A la concentration gographique ncessaire laccs aux routes
commerciales, sajoute la relle pnurie de terrains observe dans la province de
Corrientes dans les annes 1830. Suite la stabilisation politique, la province
senrichit considrablement de btail et chaque jour de nouvelles estancias se
peuplent 2493 , constate un compadre au moment o Bonpland se tourne lui-mme
vers linvestissement foncier. Le commentaire ne parat pas exagr ; il sagit
dune vritable rue puisquen avril 1835, le Britannique Henry Symonds la
recherche dune proprit crit que depuis une semaine tant de personnes sont
venues ici la recherche de terrains que je me suis vu dans limmdiate ncessit
de me fixer sur un 2494 , vendu par les Araujo parce que la grande quantit
despinillos le rend improductif leurs yeux. Mais le site se rvle propice
llevage, comme beaucoup dautres contenant en sus des espinillos de la
flechilla, gramine qui constitue la base de lalimentation animale 2495 . Depuis

Buenos Aires, ses associs htent Bonpland de conclure lacquisition dun terrain
par nimporte quel moyen, car la terre devient rare aux environs de Buenos Aires,
et les entrepreneurs commencent investir dans les provinces adjacentes. Celle
de Corrientes tant bonne ne sera naturellement pas oublie 2496 . Lacquisition de
Santa Ana effective en 1838 provoque la rancur dun autre prtendant, Francisco
Lpez 2497 , car la concurrence est fortement stimule par lapplication de la loi
demphytose prenant effet partir de 1833, attirant ds lors de nombreux
investisseurs extrieurs 2498 .

2492

Ibid., 26 octobre 1832 ; AMFBJAD n 615, J. Ingres Bonpland, So Borja, 19 avril 1837.
y cada dia se pueblan nuevas estancias , AMFBJAD n 734, B. Noguera Bonpland,
Corrientes, 15 fvrier 1835.
2494
tantas personas han venido aqu en busca de terrenos qe. h visto la necesidad
inmediatamente de fijarme en alguno , AMFBJAD n 1114, H. Symonds Bonpland, Curuz
Cuati, 5 avril 1835. Effectivement, cette anne le gouvernement octroie 450 000 hectares de
terres, presque la moiti du total octroy au cours de la dcennie ; cf. SCHALLER Enrique Cesar,
La distribucin de la tierra y el poblamiento en la provincia de Corrientes (1821-1860),
Cuadernos de Geohistoria regional n 31, Resistencia, Instituto de Investigaciones
Geohistricas/Conicet, 1995, p. 126.
2495
AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa ana, 12 juillet 1838.
2496
AMFBJAD n 296, F. Des Brosses Bonpland, Buenos Aires, 26 juin 1837.
2497
AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa ana, 15 juillet 1838.
2498
Edicte pour stimuler la rgularisation de la possession terrienne, cette loi vote en 1830
interdit la vente de terrains, le pouvoir excutif se rservant le droit de les concder des
particuliers devant verser chaque anne 2% de sa valeur. La dlation est encourage, puisque le
dnonciateur bnficie son tour des terres illgalement possdes jusqualors. En 1832 la loi est
2493

647

Troisime partie

Chapitre VII

3. Une ralit beaucoup plus nuance


Au cours des annes 1830, plusieurs voyages entrepris dans la province
correntina permettent au Franais de dterminer la productivit des diffrents

sols. Dans les dpartements de Ca Cat, San Antonio et Saladas par exemple, le
btail se prsente petit et maigre , le sol strile hormis dans les palmeraies o la
prsence de terre rouge le rend propice aux cultures 2499 . Il esquisse ainsi une
cartographie des sols agraires paralllement au recensement scientifique, en
corrigeant ses observations le cas chant 2500 . Cet inventaire non systmatique
stendant sur plusieurs annes permet daffiner lobservation sur des distances
extrmement rduites et oublies par les rcits europens. Tel est le cas pour le
paso de Santa Ana, o il constate que le terrain des Roln dispose de meilleurs

pturages que celui de Caldern 2501 . La prcision nest pas anodine puisque cest
prcisment l quil dcide de sinstaller en 1837, le long dun front pionnier
stimul par le gouvernement de Corrientes soucieux dtendre son autorit vers
lest de son territoire encore sous-peupl.
Parmi les acqureurs de grandes proprits recenss entre 1769 et 1859,
seulement 15% sinstallent lest de la province plus prcisment au sud-est. En
outre, la moiti dentre eux nacquiert la terre quaprs 1847, cest--dire aprs
que la province bnficie de nouveau dune stabilit politique satisfaisante. Parmi
les propritaires recenss avant cette date, la majorit est plus ou moins
directement issue des familles alors la tte du pouvoir excutif2502 . Bonpland
soriente ds lors vers llevage, activit exportatrice traditionnelle par excellence,
en phase de rcupration dans lArgentine et lUruguay des annes 1830. La zone
bnficie enfin dune capacit de production leve grce la faible occupation de
son sol. Bonpland constate ds la fin des annes 1830 les consquences nfastes
tendue aux trangers, ce qui provoque cette rue ; cf. SCHALLER Enrique Cesar, op. cit., pp.
110-131.
2499
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.
2500
Trois ans aprs une premire visite du dpartement de Saladas, Bonpland revient sur ses
premires impressions ngatives. Tous les terrains de la juridiction jugs striles en 1834, sont
dcrits en 1837 comme trs propres llevage du btail et des chevaux. Dans le village de Las
Islas notamment, les habitants cultivent de belles chacras ou abonde le mayz, le coton, la
mandioca, le mani, les patates, &. on voit aussi quelques orangers et quelques pchers ,
AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 17 avril 1837.
2501
AMFBJAD n 1717, voyage dans la province de Corrientes, 10 juin 1837.
2502
Tel est le cas pour Manuel Ferr, Justo Jos de Urquiza, Genaro Bern de Astrada, Santiago
Saavedra ; cf. SCHALLER Enrique Cesar, op. cit., pp. 175-177.
648

Troisime partie

Chapitre VII

dune intensification de llevage lie une mauvaise occupation du sol. Dans un


dpartement pourtant fertile compris entre le ro Yaguari et Curuz Cuati, il
observe que le non respect de la proportion terrain/btail fatigue les pturages,
cause de lenrichissement des habitants entranant son tour la surpopulation des
prairies 2503 . Quelles concernent llevage ou la culture, les observations de
Bonpland mettent toujours en avant la ncessit de briser des cercles vicieux grce
la rationalisation de la production.

Les terrains cultivables


Le calcul est simple. En effet, aprs avoir constat la pauvret vgtale de
la campagne bonaerense, qui constitue aussi le principal dbouch pour les
produits de lIntrieur, Bonpland se tourne vers lexploitation en grand de ces
produits en escomptant quils trouveront preneurs soit dans lIntrieur mme, soit
dans la ville-port, soit en Europe. En 1818 la socit forme en vue de la cration
dune tannerie Crdoba, prvoit linstallation de deux dpts. Lun doit
permettre lcoulement des peaux Crdoba, lautre est prvu pour stocker les
marchandises Buenos Aires. Il est prcis quen cas de mvente sur cette
dernire place, les associs se rservent la possibilit dexporter le surplus. Sil est
certain que la socit est dissoute, les sources ne permettent pas den prciser la
date. Mais il est probable que les recherches sur lindigo effectues dans le
Nordeste en 1821 fassent suite lengagement de Bonpland 2504 . Ce dernier se

consacre dailleurs des expriences sur lindigo jusquau 7 dcembre 1821,


veille du jour de son enlvement 2505 .
Il semble donc que les premiers grands projets de Bonpland aient t
stopps brusquement par lintervention paraguayenne, ce qui conforte lopinion
selon laquelle le voyage aux missions intgre de larges spculations, stendant
jusqu Buenos Aires et Crdoba. John Beaumont soulve le problme de la
2503

AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 23 mai 1837.


En effet, une lettre de Estevan Perichn mentionne des relations encore entretenues avec un
des associs en mai 1821. Il parat mme trs probable que cet associ se soit fix ensuite dans le
province de Corrientes, o Bonpland le rencontre peu aprs sa sortie du Paraguay ; AMFBJAD n
344, E. Perichn [non mentionn], Corrientes, 22 mai 1821 ; AMFBJAD n 1695, voyage de So
Borja Corrientes, 28-29 dcembre 1831.
2505
MNHN, ms 212, notes diverses, 7 dcembre 1821.

2504

649

Troisime partie

Chapitre VII

distance propos de lexploitation des minerais de Crdoba, qui ne peuvent tre


exploites avec bnfice. Mais le mme auteur met en avant llevage pratiqu en
grand, particulirement celui de mules, et destin principalement aux ferias du
Prou. Une autre remarque concerne le transport par terre, qualifi de facile et peu
coteux 2506 . Or, le contrat dassociation dans lequel Bonpland est partie prenante
spcifie que les produits de la fabrique doivent tre couls sur place ou amens
jusqu Buenos Aires. Cette dernire option reflte la rorientation conomique
qui seffectue vers la faade atlantique, due la structuration dun march
intrieur permettant de rompre lisolement commercial. Le changement est ancien,
puisquil est impuls par lapparition des navires de registre en 1721, et ds les
annes 1750 les excdents en provenance de lInterior obtiennent une sortie vers
lEurope qui se poursuit et saffermit au cours de la seconde moiti du XVIIIe
sicle. Vers 1810, les cuirs proviennent en majorit des provinces littorales
Entre Ros et Corrientes et de Crdoba, unique ville intrieure cite pour le
tannage des peaux. A cet avantage initial sajoute, depuis le 31 mai 1817,
linterdiction dexercer intime par Pueyrredn aux propritaires de saloirs, dans
la limite de la province de Buenos Aires 2507 .
Bonpland se familiarise pourtant avec une structure conomique
essentiellement base sur llevage. Vers San Roque, il est impressionn par le
beau spectacle quoffre lestancia de la famille Roln ; celle des Lagraa joint la
prsence de riches pturages celle de bois utiles. Justo Daz de Vivar possde
quant lui un veritable potrero dont lancien propritaire, Jos Francisco
Atienza, a accru son cheptel jusquau nombre de 16 000 sans compter un grand
levage de mles 2508 . Le commandant du pueblo de Curuz Cuati, Mariano
Araujo, possde au milieu des annes 1830 12 000 ttes de btail. Pedro Cabral,
un des riches propritaires de la province de Corrtes , marque la mme poque
entre 7 000 et 8 000 veaux bien quil ait vendu les dernires annes de 8 000 10
000 ttes de btail 2509 . Des observations effectues au sud de la province
2506

BEAUMONT John A.B., op. cit., pp. 54-55, 123.


GIBERTI Horacio C., Historia econmica de la ganadera argentina, Buenos Aires, Solar,
1986 (1954), pp. 39-43, 75-76, 98-101.
2508
Cest un beau lieu entour de bois de pchers et dorangers. entre les palmares ou bois de
palmiers on trouve des marais trs tendus et qui offrent de gros paturages. , AMFBJAD n 1695,
voyage de So Borja Corrientes, 1er janvier 1832.
2509
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 30 dcembre 1831 ; AMFBJAD n
1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 19 mai 1837. Pedro Cabral, possesseur de 100 000
hectares de terres, apparat en effet la quatrime place pour la superficie de proprits acquises
2507

650

Troisime partie

Chapitre VII

expliquent en partie cette opulence, malgr laspect strile des campagnes. En


effet, les plaines comprises entre Esquina et Curuz Cuati offrent les pturages
les plus utiles aux animaux de Corrientes, galant selon Bonpland ceux de la
province entrerriana et de la Bande Orientale. A Curuz Cuati mme, les
animaux lui rappellent ceux dEurope par leur grande taille et leur
embonpoint 2510 . Cela est d la prsence de la flechilla rendant le sol propice
llevage entre Las Lomas et lestancia de Symonds, laquelle il faut ajouter
dautres ptures naturelles, ainsi quun climat plus tempr limitant la propagation
des maladies 2511 .

Des entreprises rves aux ralisations


Comme de nombreux arrivants, Bonpland dchante rapidement. Etant dans
limpossibilit dcouler les produits amens de France en 1817 2512 , il ne peut
construire la serre ncessaire lacclimatation des vgtaux, les matriaux
ncessaires tant trop chers pour lui. Il songe regagner la France ds 1818, mais
persiste finalement dans sa qute de bonne fortune. Ce thme du retour apparat
constamment lintrieur de sa narrative pistolaire vers lEurope. Il lvoque
notamment sa sortie du Paraguay, en 1839 aprs que sa proprit ait t dvaste
par les armes argentines, ainsi que dans dautres priodes nfastes. Cette
constante incertitude est rsume dans une lettre en date de 1836 :
je quitterai probablement cette Amrique comme on ma fait sortir du
Paraguay, cest--dire vingt-quatre heures aprs en avoir pris la
rsolution

2513

entre 1769 et 1859. Avec les Atienza, Araujo, Daz de Vivar, Lagraa et Roln, il fait partie du
groupe dominant de la province ; cf. SCHALLER Enrique Cesar, op. cit., pp. 174-177.
2510
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 27 dcembre 1831. La prosprit de
cette zone ne cesse puisque six ans plus tard constate encore que la spculation du btail est dans
la rgion de Curuz Cuati au dessus de toutes les autres. , AMFBJAD n 1719, voyage de
Concordia Curuz Cuati, 23 mai 1837.
2511
AMFBJAD n 1723, voyage de Corrientes Santa ana, 12 juillet 1838 ; SCHALLER Enrique
Cesar, op. cit., p. 219.
2512
Bonpland J. Lebreton, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 63. Cest vrai pour les livres amens de
France ; cest aussi le cas pour les plantes quil destine la vente.
2513
Bonpland Gigaux, Buenos Aires, 1er dcembre 1836, cit in HAMY Thodore-Jules Ernest,
op. cit., pp. 99-100.
651

Troisime partie

Chapitre VII

Ni la perspective de la reconnaissance ni le dsir de revoir lEurope ne le dcident.


La crainte de revenir sans rentres scientifiques ni conomiques explique ces
hsitations, tout comme la certitude de russir manifeste une persvrance peu
commune.
Entre 1818 et 1821, les premires entreprises sont prpares en compagnie
dautres Franais. Une association est esquisse avec Narcisse Parchappe avant
que celui-ci ne se rende Montevideo pour y investir dans une fabrique deau-devie 2514 . Bonpland se tourne alors vers Dominique Roguin, Joaquim Meyer et
Franois Chevallier dans le but de produire grande chelle des denres vgtales
et animales. Entre 1821 et 1831, il accomplit son programme contraint et forc, et
les annes suivantes sont consacres concrtiser ces tentatives avortes, en
sassociant dabord des compatriotes bass Buenos Aires. Soutenu par
plusieurs amis puissants , dont ses consignataires Blanc et Constantin, mais
surtout le consul Aim Roger et son chancelier Alphonse Petitjean, il dcide de se
lancer dans llevage en grand alors quil sjourne Buenos Aires, la fin de
lanne 1836. Sappuyant sur un apport initial de ses associs slevant 60 000
francs, la socit a pour but llevage de moutons mrinos. Laffaire est juge
bonne parce quun nomm Sheridan auquel sadresse Bonpland a fait avec
ces animaux une grande fortune dans les annes 1820 2515 . A linstar de ces
premires introductions qui priclitent faute de personnel comptent, la socit ne
connat pas la russite escompte. Ds avant lachat du terrain, Bonpland se
montre pessimiste et la visite quil effectue en juillet 1838 confirme ses premires
impressions : le sige de la socit, administr par un porteo, se rduit une
triste maisonnette dpourvue de meubles , les installations sont mal adaptes
au terrain, les cultures ngliges 2516 . Cependant, cest la bataille de Pago Largo et
linvasion du territoire correntino par larme entrerriana qui met un terme, en
2514

Bonpland J. Lebreton, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 62.
2515
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 2 mars 1837, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 123 ; AMFBJAD n 910, Bonpland Delessert, Buenos Aires, 2 mars 1837 ; AMFBJAD n
1042, Bonpland P. Sheridan, s. l. s. d. [28 mars 1838]. Les premiers spcimens sont introduits
depuis lEspagne en 1813. En 1824 et 1826 Peter Sheridan convainc le consul des Etats-Unis,
Thomas Hasley, dimporter dautres mrinos en Argentine. La premire importation de mrinos en
Uruguay a lieu en 1827 par lintermdiaire du Franais Cernaux, pour le compte de Simn del
Pino ; cf. GIBERTI Horacio C., op. cit., pp. 105-107 ; SABATO Hilda, op. cit., p. 166.
KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., p. 135.
2516
AMFBJAD n 911, Bonpland Delessert, Corrientes, 28 mars 1838 ; AMFBJAD n 1723,
voyage de Corrientes Santa ana, 10 juillet 1838.
652

Troisime partie

Chapitre VII

mars 1839, lexistence de la socit 2517 . Un autre projet men avec le


Britannique Henry Symonds demeure sans suite 2518 .
Mais Bonpland ne se contente plus de faire appel des investisseurs
europens. Il dveloppe paralllement ses propres rseaux locaux qui constituent
lessentiel de ses interlocuteurs partir des annes 1840. Ainsi, il sinstalle de
1831 1834 So Joo Mini, dans la partie brsilienne des Missions, afin dy
fonder un tablissement semblable celui de Santa Mara de Fe. Ses revenus lui
permettent dacqurir en 1834 une proprit So Borja ; ses relations lui
permettent de sinstaller en Argentine en 1838 2519 . Les activits consistent,
comme au Paraguay, produire en grand. Cependant, les premires recettes
savrent maigres 2520 . Cette crolisation apparat vidente la lecture des contrats
qui se basent non pas sur des contributions en numraire mais sur la fourniture,
par chacun des partenaires, de la terre ou des animaux. Ladaptation du Franais
aux conditions de vie rioplatenses nempche pas les rfrences europennes,
lesquelles lors de lobtention du terrain de Santa Ana renvoient un ge dor
dsormais interverti :
je ferai la un nouveau Malmaison [...] cest le dernier etablissement que
je ferai en Amrique et si il ne va pas mon gr jirai terminer mes jours
dans les environs du jardin du roy

2521

Lacquisition de lestancia de Santa Ana jointe la guerre civile


brsilienne engage depuis 1835 lui apporte de nombreuses opportunits depuis le
Rio Grande do Sul. En 1837 Mathias Jos de Vargas souhaite sinstaller dans la
province de Corrientes, apportant 3 000 ttes de btail et partageant le troupeau
contre lobtention dun terrain. Bonpland en avertit le gouverneur Atienza afin
quil lui concde rapidement le terrain en emphytose. Si le terrain est concd, la
2517

Bien que nous nayons pas connaissance de documents attestant cette dissolution, deux motifs
convergent en ce sens. Dabord le tmoignage de Bonpland selon lequel il fait part de la perte de 5
000 mrinos, 900 vaches, 400 juments et 300 chevaux aprs Pago Largo. Or, une telle runion ne
peut seffectuer sans un investissement important. Ensuite, les comptes recenss Santa Ana ne
mentionnent pas une telle quantit de btail, sa superficie ne permettant dabriter au maximum que
5 000 btes ; AMFBJAD n 913, Bonpland Delessert, Montevideo, 17 mai 1840.
2518
Le terrain doit tre achet 600 pesos, plus 900 bovins pour une valeur de 1 800 pesos, en sus
des frais et de loutillage, prix jug exorbitant. La vendeuse donne la prfrence Francisco Cartis
de Goya ; AMFBJAD n 1113, H. Symonds Bonpland, Curuz Cuati, 30 mars 1835.
2519
Au dbut des annes 1830, linvestissement initial de 5 000 francs dans la formation dun
complexe agricole form sur trois sites est trs faible si on le compare aux 300 000 francs amens
par les Franais en 1837 ; AMFBJAD n 1658, s. l., s. d.
2520
La premire mention de vente de produits de sa proprit de So Borja apparat au mois de
fvrier 1836 ; ils ne reprsentent que 3% du total des recettes comptabilises par Bonpland.
2521
AMFBJAD n 911, Bonpland Delessert, Corrientes, 28 mars 1838.
653

Troisime partie

Chapitre VII

transaction nest pas conclue puisquentre avril et juin 1839 Bonpland planifie une
importante association avec Louis Nascinbene. Une fois de plus la transaction
choue, lestancia de Santa Ana ne comportant que quelques centaines danimaux
dans les annes 1840 2522 . Des tentatives dassociation sesquissent la fin de la
dcennie Corrientes avec le frre du gouverneur, Jos Antonio Virasoro, au
dbut des annes 1850 au Rio Grande do Sul avec des proches du gouvernement.
Mais la priode savre peu fconde. Le dernier contrat pass avec Francisco
Fortunato da Silva pour huit ans en fvrier 1858, trois mois avant son dcs,
indique de par sa modestie la limite des ambitions de Bonpland 2523 .
Lestancia de Santa Ana est donc seconde par la chacra de So Borja se
situant aussi sur les bords de lUruguay, le long dun front pionnier, mais en
territoire brsilien. Cette dernire particularit explique depuis longtemps les
motifs poussant Bonpland possder deux proprits ; elles lui offrent la
possibilit de se rfugier dans lune ou lautre en cas de troubles politiques dans
un des pays frontaliers. Effectivement, les deux proprits sont lobjet
dincessants va-et-vient au cours des dcennies suivantes. Mais si lexplication est
justifie, elle est une consquence plutt quune cause des dsordres politiques,
car la raison de la prsence de deux exploitations est dabord due leurs
fonctions. So Borja, prs des Missions et des yerbales, est dabord une chacra,
cest--dire une ferme de culture ; Santa Ana est quant elle prioritairement
destine llevage. Une autre consquence des dsordres politiques est la
prsence dune partie de son cheptel abondant en laine fine So Marcos,
mi-chemin entre ses deux proprits 2524 . Cette autre exploitation situe en
territoire brsilien a peut-tre vocation protger ses biens menacs en territoire
argentin au cours des annes 1840. En 1850, aprs dix annes de guerres civiles,

2522

AMFBJAD n 955 et s. n., M. J. de Vargas Bonpland, Alegrete, 23 juillet 1837 ; AMFBJAD


n 168, 169, L. Nascinbene Bonpland, 26 avril, 23 mai 1839 ; AMFBJAD n 727, Bonpland L.
Nascinbene, Santa Ana, 4 juin 1839 ; CAIC, journal. Santa Ana, fvrier-mars 1840 ; AMFBJAD
n 1748, voyage de Corrientes So Borja, Santa Ana, 20-21 juillet 1844.
2523
Silva fournit 200 ttes de btail et 300 juments contre le droit doccuper le terrain de Santa
Ana. La main duvre et les infrastructures sont la charge de Bonpland qui, en outre, ne reoit
que le tiers des bnfices ; AMFBJAD n 1610, J. A. Virasoro Bonpland, Restauracin, 13 juillet
1848 ; AMFBJAD n 1137, Bonpland F. de Vasconcellos, So Borja, 22-25 avril 1850 ; CAIC,
contrat entre Bonpland et F. F. da Silva, Santa Ana, 22 fvrier 1858.
2524
En outre, il est mentionn lexistence dune estancia Santo Thom en mars 1836 ; MNHN,
ms 205.
654

Troisime partie

Chapitre VII

lestancia de Santa Ana compte peine une centaine de ttes 2525 . A laune des
comptes de Bonpland, il ne fait aucun doute que ces trois tablissements soient
destins se soutenir mutuellement. Non directement, lune ne fournissant pas
lautre les subsistances ncessaires son dveloppement, mais davantage selon
une logique de diversification permettant de faire face aux alas du march. Enfin,
de la mme manire que Santa Ana offre un point dappui vers le march
uruguayen et bonaerense, So Borja est le passage oblig vers le march
paraguayen. Cette circonstance est loin dtre ngligeable lorsque lon connat la
force dattraction exerce par le Paraguay sur ses voisins. La complmentarit
entre les diffrents types de systmes agraires correspond tout fait aux principes
bauchs Buenos Aires en 1832.

Lacculturation aux dbouchs naturels


A cette date, il soumet un nouveau plan dtablissement prsentant ltat
de ses connaissances agricoles. Destin alimenter la capitale portea, il rsume
le bnfice tirer des terrains cultivables sous un climat tempr, grce
ldification de trois exploitations agricoles. Au plus prs de Buenos Aires,
Bonpland propose ldification dun tablissement fournissant des denres de
premire ncessit et des matires premires susceptibles de fournir plusieurs
produits lexportation. Ainsi ltablissement unirait la culture cralire celle
marachre, en sapprovisionnant en semences indignes tabac, patate douce,
luzerne, bl, et exotiques coton, betterave, ananas, plantes dagrment,
Un second tablissement plus loign de la ville serait destin llevage dovins
combin la cration de forts. Bonpland insiste particulirement sur les
immenses avantages naturaliser diffrents types darbres totalement absents de
la province. Enfin, lexploitation la plus loigne serait consacre llevage en
grand des autres types de btail, particulirement des mulets presque entirement
disparus de la province et susceptibles dtre bien vendus au Brsil. Chacun des

2525

AMFBJAD n 1748, voyage de Corrientes So Borja, 12 aot 1844 ; AMFBJAD n 1749,


voyage de So Borja Santa Ana, 15 et 24 avril 1845 ; LOURTEIG Alicia (comp.), op. cit., p. 82,
18 juin 1850.
655

Troisime partie

Chapitre VII

tablissements pourrait se soutenir mutuellement, conclut Bonpland 2526 ; en effet,


ce projet dont nous ne connaissons pas le destinataire est un bel exemple de la
complmentarit agricole souhaite par le Franais 2527 , qui tente ensuite de
reproduire dans des proportions beaucoup plus rduites et nettement plus
excentres du march porteo.
Jusquau dbut des annes 1830, il se dgage de ses premires
observations une impression trs nette deffervescence, voire de suractivit. En
effet, Bonpland sintresse tout ce qui touche de prs ou de loin lutilisation
des vgtaux, concernant des secteurs trs divers dapplication allant du
marachage la teinture des peaux. Pour cela, il nhsite pas porter trs loin ses
projets vers Crdoba, Tucumn et Corrientes, savoir les trois grandes routes
commerciales rioplatenses. A louest Crdoba se trouve sur la route du Chili, au
nord-ouest Tucumn dbouche sur le march bolivien, au nord Corrientes est le
passage oblig vers Asuncin et les produits tropicaux, Crdoba tant situ au
carrefour de ces routes 2528 . Ds 1818, Bonpland projette ltablissement dune
tannerie dans cette dernire ville, puis se tourne en 1819 vers Tucumn o il
compte se rendre sans que lon sache prcisment avec quelles intentions, hormis
quelques notes voquant les bois de teinture de cette province 2529 permettant de
supposer que lobjectif est galement conomique. Mais labsence de
documentation ce propos notamment linexistence de contrat dassociation
reflte aussi une carence dappuis qui ne fait pas dfaut en 1820, lorsquil dcide
de se rendre Corrientes.
Pour accder cette dernire province, il dispose en effet du soutien
intress de ngociants ; en outre des notes profuses copies majoritairement de
louvrage de Flix de Azara confirment quil sagit de la destination privilgie.
Les produits susceptibles dtre commercialiss depuis Corrientes sont dabord les
bois, occupant une place privilgie dans les notes de Bonpland, puis la yerba
mate dont il bauche une tude, enfin les plantes tinctoriales. Autant de produits

traditionnellement exports vers Buenos Aires, sur lesquels Bonpland a lintention

2526

AMFBJAD n 1215, projet de complexe agricole bonaerense, Buenos Aires, 21 juillet 1832.
Et ralise au cours de la seconde moiti du XIXe sicle avec lessor du complexe agropastoral pampen ; cf. CHONCHOL Jacques, Systmes agraires en Amrique latine. Des
agricultures prhispaniques la modernisation conservatrice, Paris, IHEAL, 1995, pp. 113-123.
2528
Cf. GALAFASSI Guido P., op. cit., p. 71.
2529
AMFBJAD n 1919, contrat dassociation, 1818 ; AMFBJAD n 2044, journal, 1819.
2527

656

Troisime partie

Chapitre VII

de sappuyer afin dintgrer un march tourn vers ce port 2530 . Dailleurs,


ltablissement dans cette ville dune quinta vise alimenter le march local en
produits horticoles, Bonpland y coulant la production de sa proprit,
dveloppant aussi une activit de fleuriste conforme aux gots porteos. La
prsence de onze employs, dont un est exclusivement charg de la vente des
produits de la quinta, dmontre limportance de cette structure fournissant des
vgtaux dorigine europenne ou amricaine 2531 . Au cours de ces premires
annes, on assiste donc lmergence dentreprises caractrises par leur ampleur,
leur diversit et leur conformit la demande traditionnelle du march urbain
porteo peru comme le principal dbouch.

Cette adaptation la demande se poursuit en 1821 lors du voyage


Corrientes, mais ds cette poque on assiste une ouverture au march local,
combinant l encore des perspectives productivistes des cultures vivrires. Les
dbouchs se prolongent alors vers lInterior, Bonpland esprant y implanter son
savoir-faire agricole et dvelopper une demande interne. Sa capture arrte
provisoirement ses grands projets, repris immdiatement aprs sa libration et
toujours orients vers Buenos Aires. Le plus considrable dentre eux date de
1832 ; il y est propos la cration dune infrastructure mixte culture et levage
destine alimenter le march porteo, les excdents tant affects lexportation
vers lEurope 2532 . Cette proposition concide avec lintrt grandissant de
Bonpland pour llevage au cours des annes 1830. Il multiplie les contacts en vue
dassociations locales, prenant forme avec la cration dune socit dlevage la
fin de cette dcennie dans la province correntina, qui connat alors une reprise
conomique favorise par lapaisement politique 2533 . Le dveloppement de son
activit conomique lintrieur des anciennes missions ainsi que lachat de
plusieurs proprits fait voluer Bonpland vers dautres zones de dbouchs plus
locales, principalement brsiliennes. Bien quil se spcialise dans llevage, il
demeure attentif lexploitation en grand de matires premires tropicales.

2530

Cf. SCHMIDT Roberto, ROSAL Miguel A., op. cit.


Bonpland Acard, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 60. A titre comparatif, lentretien des
jardins de Malmaison occupe jusqu onze employs galement ; cf. CHEVALLIER Bernard, op.
cit., p. 60.
2532
AMFBJAD n 1215, projet de complexe agricole bonaerense, Buenos Aires, 21 juillet 1832.
2533
CHIARAMONTE Juan Carlos, op. cit., p. 74.

2531

657

Troisime partie

Chapitre VII

Au contraire, les annes 1840 sont marques par le retour linstabilit


politique et par la fin subsquente des grands projets agricoles. Les possibilits
dinvestissements sen trouvant rduites, Bonpland se conforme alors dans une
configuration conomique privilgiant la formation de marchs transfrontaliers
rgionaux. Cela se caractrise par une orientation vers la polyculture, la petite
exploitation et le commerce de cabotage. La rorientation de Bonpland aprs 1839
du bovin vers lovin signifie labandon des projets en grand pour une structure
plus modeste mais plus sre conomiquement. Le dveloppement de llevage
ovin entrane un changement important dans lconomie rurale. Les soins exigeant
quatre cinq fois plus de temps augmentent la demande de travail. De plus cela a
pour consquence la sdentarisation dune partie de la population, et permet
lmergence dune nouvelle classe moyenne dleveurs, surtout aprs la Guerra
Grande 2534 . En 1842, le privilge obtenu auprs du gouvernement de Corrientes
visant faire transiter des biens comestibles lintrieur de sa proprit de Santa
Ana 2535 , la frontire brsilienne, est le signe de son insertion dans une
dynamique transfrontalire, tout comme la reconnaissance de son rle dans le
dveloppement agricole rgional. De fait, Bonpland simplique de plus en plus
vis--vis de la thmatique du dveloppement provincial et du bien commun, en
sollicitant directement cette fin les plus hautes autorits. En 1848, sa dcision de
sinstaller dfinitivement la frontire argentino-brsilienne, en sassignant Santa
Ana et So Borja comme lieux de rsidences, entrine un ancrage dans la classe
moyenne confirm par la rgionalisation de ses activits.
Dailleurs, les dernires annes de sa vie sont majoritairement consacres
la mise en valeur du territoire sur lequel il vit, en corrlation avec la politique
dattraction dimmigrants europens dveloppe par les dirigeants correntinos et
riograndenses. La fin de la Guerra Grande ouvre la dcennie 1850 sur des

perspectives semblables celles des annes 1830, mais les initiatives de Bonpland
savrent beaucoup plus troitement dpendantes des projets gouvernementaux.
Sil raisonne encore en termes dinvestissements, il sagit avant tout
dinvestissements publics ; ses placements personnels sont de moindre ampleur,
mme si jusquen 1858 Bonpland espre entrer en ngoce direct avec la France.
2534

Cf. KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., pp. 138-139.


GOMEZ Hernn Felix, Historia de la provincia de Corrientes. Instituciones de la provincia de
Corrientes, Corrientes, Amerindia, 1999 (1922), p. 193.
2535

658

Troisime partie

Chapitre VII

En effet, la rouverture des routes commerciales intercontinentales


conscutive la chute de Rosas permet damplifier les contacts. De la mme
manire que les gouvernants de lInterior, Bonpland escompte la cration de
relations commerciales directes avec le continent europen qui deviendrait source
de dbouchs pour les produits locaux, en mme temps quun pourvoyeur de cette
main duvre qualifie ncessaire au dveloppement rioplatense. Bref, un schma
rejoignant celui esquiss par Bonpland avant son dpart pour lAmrique, en
1817, la diffrence prs que, tant dans limaginaire de la russite conomique
que dans les faits, on assiste une transition de la grande vers la petite
exploitation, de linitiative individuelle au dveloppement collectif.

C. Entre naturalisme et amricanisme : le terrain mdical


La mdecine constitue un pilier des expditions naturalistes, chacune
dentre elles tant dote dun mdecin qui cumule souvent cette fonction avec
celle de botaniste. La gnration de Bonpland est forme aux deux sciences,
intimement lies dans leur contenu. Lindividualisation des explorations au cours
du XIXe sicle, dans le sens o lquipe de recherche est remplace par des
chercheurs isols, en modifie toutefois le contenu 2536 . Moins prsente parmi les
proccupations naturalistes, la recherche mdicale dveloppe toutefois sa propre
dynamique, au mme titre que dautres sciences humaines 2537 . La fluidit et
limportance des flux de ce savoir le rapprochent du mode de transmission
commercial, cette langue universelle unanimement reconnue dans les deux
continents. Ainsi le champ mdical peut-il rapidement tre cultiv et stendre,
sans

avoir

ncessairement

recours

aux

intermdiaires

institutionnels,

contrairement aux autres savoirs moins maniables. Science du terrain par


excellence, la mdecine quitte rapidement laire naturaliste pour devenir un pilier
2536

Lquipe, si restreinte soit-elle, telle quelle se prsente par exemple sous sa forme binomiale
simple Humboldt-Bonpland entre 1799 et 1804. La rduction et la disparition de lquipe de
recherche sur le terrain est nettement visible au XIXe sicle, prenant une forme monoviatique
pour employer un nologisme facilitant la classification. Sur ce point, cf. chapitre IX, pp. 813-815.
2537
Les tudes disciplinaires samplifient par exemple en Uruguay partir de la fin de la Guerra
Grande ; cf. SAUREL Louis-Jules, Essai dune climatologie mdicale de Monte-Video et de la
Rpublique Orientale de lUruguay, Montpellier, Ricard Frres, 1851 ; MAURIN Franois,
Souvenirs de la climatologie et de la constitution mdicale de lUruguay de 1845 1849,
Montpellier, Jean Martel An, 1853.
659

Troisime partie

Chapitre VII

de lamricanisme. En effet, son utilitarisme est un point de convergence fort des


cultures transatlantiques en ce quil contribue efficacement rduire les carts
entre savoir-faire amricain et observation europenne. En outre il rpond aux
besoins concrets des Amricains vis--vis des sciences europennes, les premiers
bnficiant et appliquant directement des apports des seconds. La rciprocit y est
beaucoup plus prsente quen ce qui concerne les autres sciences acadmiques.
Lexercice de la mdecine est un merveilleux passeport pout le
voyageur, rappelle Numa Broc 2538 . Mais pour dautres, il nest pas que cela. Si
lon se rfre la nature de la prsence europenne, on relve les mmes
diffrences entre les diffrents acteurs du dveloppement. Les voyageurs
naturalistes sont sans doute les moins actifs en ce domaine, car si pour eux
lexercice de la mdecine est un indniable facteur de mobilit, il demeure
occasionnel et peut aussi se retourner contre eux. En revanche, il est beaucoup
plus constant pour les techniciens recruts par les gouvernants. De plus, mme si
le travail demeure circonscrit dans le temps, il bnficie davantage aux
Rioplatenses. Dailleurs, cette seconde catgorie de voyageurs participe souvent

la fondation dinstitutions, ce qui nest pas sans danger pour leur carrire 2539 .
Enfin les particuliers, praticiens sdentariss, sont les passeurs de savoirs les plus
actifs et les plus reconnus dans leurs pays dexercice. La reconnaissance acquise
par Bonpland la fin de sa vie mane majoritairement de cercles mdicaux, et
nombre de ses collgues installs au Ro de la Plata obtiennent la gratitude des
gouvernants pour leur action dont les effets sont nettement plus perceptibles sur le
terrain que les apports naturalistes.
Quils soient passeurs, fondateurs ou formateurs, les membres du corps
mdical dveloppent une interaction cognitive forte. Leur point commun rside
dans une mme rflexion mdicale mene divers niveaux. Le voyageur observe
et pose les problmes, le fondateur et le praticien cherchent les solutions. Il existe
donc une complmentarit interne renforce car dans tous les cas, les barrires
sont nettement moins tranches entre les diffrentes catgories, les acteurs
pouvant facilement passer de lune lautre. De plus, les dangers inhrents
2538

BROC Numa, op. cit., p. 336. Pour Alfred Demersay, lautorisation dexplorer le Paraguay est
suspendue au rsultat des soins dispenss au fils du prsident de la rpublique ; DEMERSAY
Alfred, op. cit., tome 1, pp. LIV-LV.
2539
Cf. MOLINARI, Jos Luis, Sobre algunos panfletos aparecidos en 1822, contra el Tribunal
de Medicina, la Academia de Medicina y el Departamento de Medicina de la Universidad , in
Boletn de la Academia Nacional de la Historia, vol. 32, 1961, pp. 317-326.
660

Troisime partie

Chapitre VII

limplication sont similaires, rduisant encore lcart entre voyageurs, techniciens


et praticiens. Pour tous, lattribution de ce passeport symbolique signifie surtout
ltablissement dun lien social tangible, et lacquisition dune reconnaissance in
natura. A ce titre, ils participent tous llaboration dune communication

interculturelle 2540 gnratrice dune complmentarit externe, cest--dire tourne


vers le champ dapplication. Linversion du processus de reconnaissance en est
significative, dans la mesure o bien que la majorit dentre eux soient oublis en
Europe, ils conservent une place de choix dans la mmoire nationale rioplatense.

1. Journaux dun mdecin de campagne


Beaucoup de travaux sont consacrs au terrain mdical rioplatense, mais
ils se focalisent exclusivement sur les problmatiques et les acteurs urbains, faute
de sources et parce que ce champ dinvestigation encore en friche se concentre sur
ses aspects les plus visibles, savoir les institutions. Lhistoriographie est plus ou
moins tendue selon le rythme de dveloppement de celles-ci. Ainsi, peu de
recherches sont-elles menes en Argentine, hormis autour des activits mdicales
porteas. Au Brsil et en Uruguay les investigations sont plus avances en raison

dune structuration mdicale antrieure, tandis que le terrain paraguayen demeure


en friche 2541 . En outre, la premire moiti du XIXe sicle demeure aborde
marginalement 2542 . Les journaux de mdecine conservs par Bonpland constituent
donc une source de premire importance puisquils stendent de 1831 1845
sans presque aucune discontinuit ; des sources plus parses permettent de
complter son activit jusquen 1858.
2540

Cf. ODDO Vicente, El Dr. Victor F. Bruland (1817-1895) y su actuacin en las provincias
del Noroeste argentino , in Archivos Histricos de Medicina Argentina, 2e anne, vol. 1, n 4,
1972, pp. 3-6 ; RODRIGO ALSINA Miquel, op. cit.
2541
Cf. MAE GARZON Fernando, AYESTARAN Angel, No es para tanto, mi to! El Doctor
Henrique Muoz y su poca (1820-1860), Montevideo, s. e., 1995; ZAIDA LOBATO Mirta,
Lecturas de una historia de la salud en la Argentina. Una introduccin , in ZAIDA LOBATO
Mirta (d.), Poltica, mdicos y enfermedades: lecturas de historia de la salud en la Argentina,
Buenos Aires, Biblos/Universidad Nacional de Mar del Plata, 1996, pp. 11-18 ; COELHO ELDER
Flavio, A medicina brasileira no sculo XIX : un balano historiogrfico , in Asclepio, 1998,
vol. 50, n 2, pp. 169-186 ; COELHO ELDER Flavio, A medicina no Brasil imperial :
fundamentos da autoridade profissional e da legitimidade cientfica , in Anuario de Estudios
Americanos, tome LX, n 1, janvier-juin 2003, pp. 139-156.
2542
Hormis lexception notable constitue par louvrage de IVERN Andrs, Rosas y la medicina.
Un aporte a la historia de la medicina en la repblica argentina, Buenos Aires, Huemul, 1962.
661

Troisime partie

Chapitre VII

Dors et dj deux constats simposent. Dabord, les sources manquantes


permettent daffirmer quil a exist, et quil existe peut-tre encore des fonds
dcouvrir. Ensuite, les sources existantes constituent un champ de recherche
prolifique que nous ne faisons quaborder. Un travail en profondeur reste
effectuer quil sagisse de la nature des soins, de la composition de la clientle,
des relations entre le mdecin et ses patients ou du cot de la sant. Les
renseignements apports par ces fonds sinsrent dans des problmatiques
classiques relatives aux mentalits, aux tudes pidmiologiques et aux types de
ressources mdicales mises en uvre. Ils permettent toutefois den affiner
lanalyse pour un terrain rural mconnu.
Durant cette priode, le Franais exerce principalement au Rio Grande do
Sul, lintrieur des anciennes missions coloniales. Entre sa sortie du Paraguay et
son installation Santa Ana, lexercice de la profession mdicale constitue alors
une source de revenus essentielle, lui permettant en outre de simplanter
socialement. Il sagit dailleurs de la grande diffrence entre lexercice de la
mdecine entre environnements urbains et ruraux. Tandis que le premier est le
thtre de luttes de prsances, notamment entre nationaux et trangers, le second
savre beaucoup plus accueillant vis--vis des trangers tant donn la pnurie de
praticiens.

Esquisse dune typologie mdicale


Lactivit mdicale dAim Bonpland se concentre principalement autour
de sa rsidence brsilienne de So Borja. Sa clientle est constitue par la petite
oligarchie de la ville parmi laquelle figure le commandant de la ville
riograndense, le lieutenant-colonel Silva. Les soins prodigus chaque phratrie

prennent en compte les esclaves qui ne sont pas oublis 2543 . De fait lensemble
des patients se rvle htrogne, cest--dire que toutes les couches sociales et
raciales y sont reprsentes : peones, domestiques, artisans, sacristains, militaires,
juges, leveurs, ngociants, gouverneurs, Europens, Croles, Noirs, Indiens,
2543

Parmi cette dernire catgorie, les prisonniers ne sont pas oublis : une femme et son enfant
sont inoculs en prison ; dautres esclaves font lobjet de nombreuses visites en prison ; CAIC,
journaux mdicaux, 13 juillet 1835, 20, 24, 28, 30 aot 1835, 2-4, 11 septembre 1835.
662

Troisime partie

Chapitre VII

multres, ainsi que quelques inconnus 2544 . Dans le cas du lieutenant-colonel


Silva, la phratrie inclue sa femme, son frre, son fils Juan et lpouse de celui-ci,
ses filles Porphyria et Mauricia, un vieux compadre , une doa
Alexandrina , une Juanita, les pouses de Maneco et Mauricio, un sergent, le
sous-lieutenant Filiberto, le capitaine Santo Rey, un colonel, un agregado ag de
douze ans, lpouse dun de ses allemands , un mdecin allemand, un pay
Vicente, un Elias, la petite multresse de Mathia ainsi que des esclaves dont son
tailleur et son laboureur 2545 .
Dans certains cas, la famille est largie aux compadres ; par exemple les
comptes concernant Jos Ledesma incluent sa femme Florentina, sa sur
Leonarda, un parent Norberto, don Santos Ledesma, Henrique Ledesma, don
Oliva, un Luis et le juge Velazquez ainsi que sa femme 2546 . Lors des voyages
effectus Corrientes, cest toute une ville qui se presse afin dobtenir ses
services 2547 . Lextension de sa clientle suit de fait ses diffrents dplacements,
lui permettant de dvelopper une zone dexercice de la mdecine assez loin dans
lintrieur, suite aux carences de ses confrres et sa rputation. Ds 1834,
Bonpland tend sa clientle Curuz Cuatia et San Roque, dans la province de
Corrientes 2548 . De la mme manire, son compatriote et confrre Bocquin des
Hilaires exerce sa profession depuis Pelotas jusquau ro Piratini 2549 . Aprs la
mort de Jos Gaspar Rodrguez de Francia, le nouvel homme fort du Paraguay,
Carlos Antonio Lpez, fait appeler Bonpland au chevet dun proche ; un autre
Paraguayen, Isidoro Recalde, recourt aussi ses services 2550 . Ainsi, les

2544

CAIC, journaux mdicaux, 11 avril 1833, 4 aot 1833, 14-16 novembre 1833.
CAIC, journaux mdicaux, 23 mars 1833, 30 mars 1833, 2 mai 1833, 13 juillet 1833, 19-21
octobre 1833, 14 novembre 1833, 16 novembre 1833, 7 fvrier 1834, 5 mars 1835, 18 mars 1835,
26 mars 1835, 30 mars 1835, 7 juillet 1835, 3 aot 1835, 9-10 aot 1835, 4 septembre 1835, 2
dcembre 1835, 5 fvrier 1836, 8 juin 1836,
2546
IVERN Andrs, De vinchucas y de Bonpland , in Medicina del trabajo en Hipcrates y
otros temas de historia de la medicina, Rosario, Universidad Nacional de Rosario, 1991, p. 26.
2547
AMFBJAD n 1704, voyage dans la province de Corrientes.
2548
Juan Gregorio Fernandez lui demande de venir soigner un de ses fils, sur recommandation de
Justo Vivar ; Le commandant de Curuz Cuati lui demande de venir soigner son frre ; Juan N.
Prez devient intermdiaire pour transmettre des traitements mdicaux San Roque, ainsi que des
nouvelles de ses patients ; AMFBJAD n 1146, J. G. Fernandez Bonpland, San Roque, 13
septembre 1834 ; AMFBJAD n 1147, J. Vivar Bonpland, San Roque, 13 septembre 1834
;AMFBJAD n 1509, R. Romero Bonpland, Curuz Cuati, 9 novembre 1834 ; AMFBJAD n
762, J. N. Prez Bonpland, Bellavista, 13 dcembre 1834.
2549
AMFBJAD n 513, S. Bocquin des Hilaires Bonpland, Pelotas, 13 mars 1848.
2550
AMFBJAD n 892, Bonpland Blanc et Constantin, Montevideo, 1er fvrier 1842 ;
AMFBJAD n 1513, I. Recalde Bonpland, Paraguay, 10 septembre 1842. Aim Bonpland ne se
rend pas au Paraguay malgr ces sollicitations.
2545

663

Troisime partie

Chapitre VII

populations tentent dattirer et de retenir les mdecins comme dans le cas du


docteur Baylet ; les habitants dAlegrete lincitant demeurer sur place, celui-ci
rpond quil lui faut un thtre plus vaste pour faire la mdecine , voulant pour
cela stablir Buenos Aires o il prtendait faire des affaires 2551 . Concernant
le paiement des services de Bonpland, ils sont rarement indiqus au sein des
journaux mdicaux dont nous disposons. Sauf dans le cas de personnages peu ou
pas connus du Franais, le cot de ses interventions mdicales ny figure pas.
A dfaut de pouvoir dresser un tableau exhaustif des maladies soignes par
Bonpland 2552 , ses journaux mdicaux contiennent des informations parcellaires
concernant quelques maladies remarcables telles celles numres lors dun
voyage dans la province de Corrientes. Il sagit dun dpt considrable, dune
fracture du radius, dune affection cutane, dun panchement dans le cerveau ou
de la prsence de polypes au vagin 2553 . Il relve encore le cas de gigantisme de la
fille de Juan Daz, ge de 14 ans 2554 . Dans un grand nombre de traitements,
lutilisation dantisyphilitiques tend prouver que laire gographique est
largement sujette ce genre daffections. Il faut recourir louvrage dAlcide
dOrbigny pour pouvoir dresser un tableau approximatif des maladies de la
rgion. La syphilis, la gale, les maladies nerveuses, les ophtalmies guries avec
les feuilles de lacacia bisnal prcise-t-il savrent communes. Le chucho une
fivre intermittente est apparue depuis peu mais est commune ; la folie et le
suicide sont rares 2555 . Andrs Ivern reconnat dans certains crits dAim
Bonpland les symptmes de la maladie de Chagas ou Tripanosomiasis, vritable
flau des campagnes rioplatenses. Cette affection porte par linsecte nomm
vinchuca cause une dtrioration cardiaque incurable. Contrairement des

voyageurs tels les frres Robertson, Francis Bond Head ou Alcide dOrbigny 2556 ,
Bonpland ne mentionne aucun moment lexistence de cet insecte et ne fait pas le
rapprochement entre la maladie et son porteur.

2551

AMFBJAD n 446, D. Apeceche Bonpland, Alegrete, 10 juillet 1852.


En effet, les journaux mdicaux ne rpertorient gnralement que les traitements administrs,
mais non les affections des patients.
2553
AMFBJAD n1733, voyage dans le Paran, 11 mars-1er mai 1840.
2554
AMFBJAD n 1744, voyage de Santa Ana la Bande Orientale, 4 novembre 1842.
2555
ORBIGNY Alcide d, Viaje por la Amrica meridional, Buenos Aires, Emec, 1998, pp. 388392.
2556
Cf. IVERN Andrs, op. cit., pp. 21-23.
2552

664

Troisime partie

Chapitre VII

Si ses journaux offrent plusieurs exemples de soins correspondant cette


maladie 2557 , Bonpland ne savre pas tre un dcouvreur sur ce terrain. Par
ailleurs, lhypocondrie et lhystrie sont frquentes dans le nord du Ro de la
Plata ; les causes en sont attribues lors de la premire moiti du XIXe sicle par
Spix et Martius lalimentation, par Sigaud et Demersay llectricit
statique 2558 . Si Bonpland emploie rgulirement des calmants sous forme
dopium, de laudanum ou de morphine il nen tire aucune conclusion ; il est par
ailleurs impossible de prciser sil sagit dantispasmodiques ou de simples
calmants. Contrairement son travail en matire dhistoire naturelle, il ne
transmet pas ses rsultats aux laboratoires europens. En 1832, il acquiert auprs
dun certain Chapus une loupe, une bote scalpels, une bote de Dacan pour
lurtre, un trpan, une seringue en argent, ainsi que du matriel pour la cataracte,
la bouche, laccouchement, les polypes, la cautrisation et lamputation 2559 .
Exerant aussi la chirurgie et la pharmacie, Bonpland est avant tout un praticien.

Une pharmacope hybride


La pratique du Franais savre hybride. Si les saignes occupent une
place de choix dans ses traitements, il sintresse aussi des thrapeutiques
alternatives telles lacupuncture ou llectropuncture pour lesquelles il acquiert
plusieurs instruments 2560 . Il dcouvre aussi lhomopathie en octobre 1842, soit
deux ans seulement aprs son introduction au Brsil par Benot-Jules Mure 2561 .
Cest le prtre Garca, en poste Paysand, qui fait dcouvrir Bonpland un
ouvrage de Samuel Hahnemann 2562 . Le prtre, en relation avec les Brsiliens et

2557

Ibid., p. 25.
DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, pp. 201-202.
2559
AMFBJAD n 1188, journal, sjour Buenos Aires, 4 avril 1832.
2560
Ibid. ; AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, aot 1832.
2561
Benot-Jules Mure (1809-1858) accoste Rio de Janeiro en 1840 afin de fonder un
phalanstre, accompagn dune centaine de familles. Ce projet ne parvenant pas se concrtiser, il
fonde en 1843 lInstituto Homeoptico do Brasil. En 1847 Mure doit sembarquer pour la France
suite une accusation dempoisonnement porte contre lui.
2562
Samuel Hahnemann (1755-1843) fonde la doctrine du similia similibus curantur, admettant le
rapport entre les effets pathogntiques des mdicaments et leurs effets curatifs. il suffit selon lui
de donner aux agents thrapeutiques un mode particulier de prparation, lequel, tout en diminuant
considrablement les doses, augmente leur puissance.
2558

665

Troisime partie

Chapitre VII

ami de savants de Rio de Janeiro, obtient un avis dabord trs dfavorable de la


part du Franais :
il est regretter que Mr Samuel Hanneman naye pas fait un meilleur
employ de ses connoissances tendues quil a acquis. Lhomopathie doit
avoir t bien critique et avoir un bien petit nombre de partisans

2563

Cependant, suite au voyage effectu Porto Alegre en 1849, Bonpland est amen
rviser sa position. Le contact avec des partisans de cette mdecine ainsi que la
surabondance de soins constats lamne probablement changer dopinion 2564 .
Moins dpendante du contexte politique et plus aisment applicable que
les expriences menes sur le terrain conomique, la recherche mdicale
reprsente le terrain dapplication des savoirs naturalistes et amricanistes par
excellence. Les enjeux scientifiques sy rejoignent et sy dveloppent, pousss par
la concordance entre loffre et la demande. Si la rception du travail est quasiment
nulle au sein des laboratoires, le travail en lui-mme dvoile le trait dunion
existant entre la recherche et son application sur le terrain. Les moyens permettent
de dvelopper un travail exprimental englobant une partie du processus
dethnopharmacologie, hormis la le travail dexprimentation en laboratoire.
Lethnopharmacologie comporte trois secteurs : la recherche de plantes, la
recherche applique sans exprience en laboratoire et lexprimentation seule 2565 .
Le premier secteur est sans doute le plus riche. Bonpland se dplace
jusqu la proprit de Santos Maciel afin de rencontrer celui qui le premier a
trouv les proprits de la racine de guaycuru en 1826, et qui ds 1827 la fait
connatre Santa Fe puis Buenos Aires 2566 . Dans le cadre de ses recherches sur
le jalap, le mdecin sarrte San Antonio Mburucuay car la rgion est connue
pour abriter cette plante quil dsire comparer des extraits recueillis au riachuelo
en 1820, Santa Ana en 1821, Itapa en 1829 et lors de son voyage effectu dans
2563

AMFBJAD n 1744, journal, voyage de Santa Ana la Bande Orientale, 14 octobre 1842.
AMFBJAD n 1175, Chauvis Bonpland, Alegrete, 17 fvrier 1850. Dj en 1837 Bonpland
sinsurge contre la surabondance de soins promulgus au gouverneur Rafael de Atienza. Il obtient
pour un jour larrt des vsicatoires aux bras, soppose lapplication de teinture de cantharide sur
le pubis et labus de trop de purgatifs. En 1838, il se flicite du rtablissement de Blanco sans
avoir eu besoin de recourir aux purgatifs ; AMFBJAD n 22, voyage de So Borja Curuz
Cuati, 29 novembre-2 dcembre 1837 ; AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes
Santa Ana, 23 juillet 1838.
2565
Cf. LANHERS M. C., FLEURENTIN J., MORTIER F., Inters de la evaluacin
farmacolgica de los extractos de plantas utilizadas en la medicina tradicional , in GONZALEZ
ALCANTUD Jos Antonio, RODRIGUEZ BECERRA (d.), Creer y curar : la medicina popular,
Grenade, Diputacin Provincial de Granada, 1996, pp. 111-121.
2566
MNHN, ms 205, n 1197, La Bajada, fvrier 1832.
2564

666

Troisime partie

Chapitre VII

les missions portugaises au cours de lanne 1831 2567 . Lors de son voyage de
Buenos Aires So Borja, en 1837, il trouve enfin la batatilla euphorbe dont les
racines sont si vantes comme purgatives 2568 . Comme pour ses recherches en
matire dhistoire naturelle, Bonpland a recours a des intermdiaires. A ce titre, il
demande au capataz de Itaroque de lui arracher des racines deuphorbe pour en
prouver laction purgative 2569 .
Au premier secteur ethno-pharmaceutique ajoutons la collecte de
thrapeutiques locales juges plus ou moins efficaces. Les premires annes
passes sur le sol rioplatense sont celles de lobservation parfois admirative. En
1819 Bonpland constate la grande rputation de la graisse de mac et de canard
renomms pour gurir les douleurs des os ainsi quune multitude dautres
maux 2570 . En janvier 1821, il apprend dun cur de la Capella de Guacavas un
remde contre une diarrhe qui avait resist tous les traitements de la facult
de mdecine de B. ayres . Une vieille femme lui applique ce traitement avec
succs car jamais depuis cette poque il na t atteint de semblable maladie ni
daucune autre 2571 . Il apprend encore prs du ro Batel, dans la maison de Luisa
Garca, quune feuille de papier dissout dans du lait a guri une dysenterie
ancienne 2572 .
A ce titre, on constate une autonomie par rapport au savoir mdical
traditionnel 2573 , laquelle le mdecin Bonpland adhre. Il na pas les certitudes de
ses collgues parisiens, mais aussi comme eux est ouvert aux explications non
conventionnelles. On trouve trace dune conversation entre Bonpland et un
confrre Buenos Aires : Bouvillier, mdecin franais, lui confie que les corces
de grenadier dtruisent le ver solitaire2574 . Darwin ou Demersay compilent de
mme les traitements locaux. En octobre 1833, le premier est victime Santa Fe
2567

AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, 17 aot 1834.


AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires Concordia, 16 mars 1837.
2569
AMFBJAD n 1710, voyage de lautre ct du Camacua, 15 aot 1836.
2570
AMFBJAD n 2044, journal, 28 aot 1819.
2571
AMFBJAD n 2046, voyage aux Missions : Ce remde consista dans une vapeur de son
brul sur des charbons ardents quon recoit en sasseyant dans une chaise sans fond place au
dessus du brasier. On plaa au malade plusieurs draps [] autour de son corps on les tendit en
rond autour et distance de son corps afin quil puisse bien recevoir la vapeur. il resta l une demi
heure, il sua beaucoup. aprs ce bain il se mit au lit. la vieille lui accorda pour toute un verre deau
froide et il assure avoir gueri completement.
2572
AMFBJAD n 1314, carnet n 5, 22 mai 1834.
2573
Cf. FARGE Arlette, La vie fragile. Violence, pouvoirs et solidarits Paris au XVIIIe sicle,
Paris, Hachette, 1986, p. 286.
2574
AMFBJAD n 1712, Buenos Aires, Annotations diverses, novembre 1836.
2568

667

Troisime partie

Chapitre VII

de maux de ttes contre lesquels on lui applique des feuilles doranger, un taffetas
noir ou le plus souvent une moiti de fve humide sur les tempes 2575 . Le second
observe que les curanderos administrent la terre rouge contre les diarrhes
chroniques 2576 . Bonpland relve en novembre 1831 un remde contre cette
dernire affection ; une femme lui assure quun rameau de romarin cuit dans un
verre de vin rduit moiti par bullition savre efficace, bien quil faille faire
attention avec les personnes ges 2577 . Cependant, le Franais se montre
circonspect dans de nombreux cas. Cela concerne lhritage jsuite tel le baume
des missions dont il ne pense pas, contrairement la croyance populaire, quil soit
fabriqu partir de laguarivaye 2578 . Plus gnralement il sinsurge contre des
croyances nfastes, tel lusage de lcorce en poudre de lyribaro gurissant les
bubons, ou celui dune espce de cactus rpute pour soigner les hernies 2579 . Il se
dsole encore de constater que la batatilla, par ailleurs purgatif efficace, soit
prescrite pour tous types de maux sans relle efficacit 2580 .
Mais dans le doute, Bonpland prfre sen remettre aux laboratoires
europens. Cette troisime phase de lethno-pharmacie que Bonpland ne matrise
pas est confie au Musum royal dhistoire naturelle, notamment en 1837. A cette
date le Franais sjourne Buenos Aires, o il constate la vente grande chelle
de la racine de guaycuru, connue sous le nom de consoude, rpute pour ses
bienfaits contre toutes les pertes de sang. Mais, crit-il,
jai peu de confiance dans la grande rputation que donne le peuple aux
proprits mdicales de cette racine

2575

2581

Darwin sinsurge contre une pratique consistant couper en deux un chien afin den attacher
les morceaux autour des membres briss ; DARWIN Charles, op. cit., pp. 140-141.
2576
DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, p. 80.
2577
CAIC, journal de mdecine, missions brsiliennes, novembre 1831. Bonpland relve en
dautres occasions les vertus du toro caa qui, dit-on, sert gurir la gale. Le tupasay, bon
sternatoire utilis par les jsuites, est encore employ au Paraguay en 1824 par quelques Indiens
contre les maux de tte. La raiz del guaycuru est utilise pour laver et gurir les plaies. Le
mechoacan de Santiago contient des racines mdicinales. Le tamambu de So Borja gurit dit-on
les plaies et rend la vue Le croton dit racine de Anselmo est utilis contre les maladies
vnriennes, les affections cutanes et celles de la poitrine ; MNHN, ms 204, n 742, Santa Ana,
dcembre 1821 ; MNHN, ms 203, n 827, 828, Santa Mara de Fe, avril 1824 ; MNHN, ms 203, n
835, Santa Mara de Fe, fvrier 1825 ; MNHN, ms 204, n 948, Santiago, So Borja. mars 1831 ;
MNHN, ms 205, n 1937, Missions portugaises, octobre 1835.
2578
MNHN, ms 203 n 507, Corrientes, janvier 1821.
2579
MNHN, ms 203, 204, n 505, 849, Corrientes, Santa Mara de Fe, 1821, 1826.
2580
MNHN, ms 205, n 1938, Missions portugaises, octobre 1835.
2581
AMFBJAD n 278, HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 112, Bonpland au directeur du
Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos Aires, 5 janvier 1837 ; AMFBJAD n 286, Bonpland
A. Richard, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
668

Troisime partie

Chapitre VII

Aussi demande-t-il au laboratoire parisien deffectuer des analyses afin de


dterminer les proprits de cette plante. Pour sa part, Aim Bonpland essaie de
dcouvrir la composition de divers mdicaments prsents dans le commerce
pharmaceutique 2582 .
Surtout, il prconise de la mthode quant lutilisation des plantes
mdicinales. Un remde populaire contre la dysenterie, utilis au Paraguay et
Corrientes, consiste utiliser le molle blanco et le uati curuz. Mais leur usage
tant inefficace sans une certaine mthode, Bonpland transmet le traitement
suivre. Pour les mmes maux, il prconise lusage dcorces mdicinales
originaires du Paraguay voisines du genre quassia, en lassociant dautres
remdes 2583 . Comme le rsume Alfred Demersay, les plantes locales doivent tre
administres selon une nomenclature europenne 2584 . Les traitements observs
contre les morsures de serpents rsument la recherche mixte mene par Bonpland,
qui relve Las Lomas lexistence du sapirangai, puis San Miguel celle du palo
de vivera, excellents antidotes. A So Borja, il emploie avec succs le milhombre

laristolochia grandiflora de Gomez ou le ringens de Swartz en y ajoutant des


cataplasmes sur la plaie dbride et cautrise avec de lammoniaque. Cependant,
il a recours aux informations crites ou orales des Europens. A Buenos Aires, il
note les remdes fournis par des mdecins et des naturalistes, notamment le
louvrage dAndr Marie Constant Dumril 2585 . Alfred Demersay, reprenant peuttre les conclusions de Bonpland, ne croit pas la prparation danti-venins par du
venin qui fournirait un remde la mdecine prophylactique, mais croit davantage
aux expriences avec du brome menes par Alvaro Reynoso, ou celles menes aux
Etats-Unis grce aux solutions iodes 2586 .
Les voyages dans les capitales rgionales sont loccasion de recourir aux
ouvrages mdicaux. Il profite de ses sjours Buenos Aires et Montevideo pour
2582

Il commente la tisane de lEtasunien Greswald, vivant Buenos Aires, prescrite contre toutes
sortes de douleurs de Greswald. Un autre Etasunien lui fournit la composition de la fameuse
panace de Swam ; AMFBJAD n 1700, journal, So Borja, 1er novembre 1833.
2583
MNHN, ms 203, n 746, 793, Santa Mara de Fe, avril et novembre 1822 ; AMFBJAD n 278,
HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 106, Bonpland au Directeur du Musum Royal
dhistoire naturelle, Buenos Aires, 5 janvier 1837 ; AMFBJAD n 1602, Bonpland F. Sagastume,
Montevideo, 15 aot 1850.
2584
DEMERSAY Alfred, op. cit., pp. 181, 275-276.
2585
Dumril est lauteur dune Erptologie gnrale, ou Histoire naturelle des reptiles dbute en
1834 ; AMFBJAD n 1716, sjour Buenos Aires, 1837.
2586
AMFBJAD n 2046, op. cit. ; MNHN, ms 204, n 987, 2075, San Miguel, avril 1831 ;
AMFBJAD n 1716, Sjour Buenos Aires, 1837 ; DEMERSAY Alfred, op. cit., pp. 276, 278279.
669

Troisime partie

Chapitre VII

tudier et tablir la liste des plantes mdicinales du pays. En outre, Bonpland


relve divers traitements dont ceux prconiss par Franois Joseph Victor
Broussais contre la fivre tierce, ou ceux base de plantes donns par Franois
Magendie et Alphonse Chevallier. Les journaux franais le renseignent aussi sur
certains nouveaux traitements. A partir des annes 1840, Bonpland se tourne
davantage vers le Brsil qui bnficie dune certaine avance en matire de
mdecine sur son voisin argentin. Il consulte ainsi louvrage de Joseph-FranoisXavier Sigaud 2587 , Franais ayant publi Paris un ouvrage sur les maladies de
Brsil ; l encore Bonpland dresse la liste des plantes mdicinales qui sy
trouvent. En 1849, son sjour Porto Alegre lui permet davoir accs la thse de
Jos Joacquin Reposo concernant le traitement de llphantiasis pour lequel il
utilise le suc du nymphea albo-viridis. Bonpland relve aussi une liste de plantes
prconises dans le traitement de la lpre 2588 . De mme, les mdicaments
employs sont mixtes. Un des motifs principaux pour demeurer So Borja, est
une pharmacie quil confie aux soins de Luis Manuel Martnez da Silva durant
son voyage Montevideo, en 1850. Pour cette raison, nous possdons linventaire
effectu de sa pharmacie avant son dpart. Celui-ci montre que les plantes locales
sont utilises gale proportion avec les mdicaments imports 2589 .

Le mdecin et le politique
Cest beaucoup plus par son activit mdicale que par son activit
scientifique que Bonpland parvient, au cours des annes 1840 et 1850, se
concilier lamiti des diffrents protagonistes de la Guerra Grande qui voit
saffronter les clans correntinos. La clientle des lites, nous lavons vu, lui est
2587

Du climat et des maladies du Brsil, ou Statistique mdicale de cet empire, Paris, Fortin,
Masson et Cie, 1844.
2588
AMFBJAD n 1691, journal, sjour Buenos Aires, mars 1832 ; AMFBJAD n 1697, journal,
sjour Buenos Aires, aot 1832 ; AMFBJAD n 1700, journal, So Borja, 6 novembre 1833 ;
AMFBJAD n 1712, Buenos Aires, annotations diverses, novembre 1836 ; AMFBJAD n 447, A.
de Mirbeck Bonpland, Salto, 22 janvier 1842 ; AMFBJAD n 1352, plantes mdicinales de
lUruguay, Montevideo, fvrier 1842 ; AMFBJAD n 895, Roborge Bonpland, Buenos Aires, 11
fvrier 1842 ; AMFBJAD n 1351, plantes du Brsil, Paris, 1844 ; MNHN, ms 206, 1849 ;
Bonpland J. Pujol, Concordia, 10 fvrier 1856, cit in PUJOL Juan, op. cit., p. 32.
2589
AMFBJAD n 1312, catalogue des remdes se trouvant dans la boutique de So Borja, 29
janvier 1849 ; AMFBJAD n 1137, Bonpland F. Vasconcellos, So Borja, 22-25 avril 1850 ;
AMFBJAD n 1538, L. M. Martnez da Silva Bonpland, Porto Alegre, 3 fvrier 1851.
670

Troisime partie

Chapitre VII

acquise. Leur estime et leur reconnaissance cimentent les fondations poses au


cours des annes 1830. A cette poque en effet, il sattire les faveurs des deux
camps saffrontant au cours de la dcennie suivante. Parmi les personnages les
plus controverss il faut citer Pedro Cabral, successeur de Ferr et figure du tratre
pendant la guerre civile 2590 , mais li Bonpland en vertu des soins donns sa
famille. Sy ajoutent les Madariaga ayant repris le pouvoir Cabral en 1843,
lan Joaqun lui offrant son amiti ds 1836 pour les mmes motifs. Enfin les
Virasoro, victorieux des prcdents et derniers gouverneurs durant la guerre
civile, font appel au mdecin bien avant leur arrive au pouvoir 2591 .
Au cours dune priode confuse, la solidit de ces liens permet au Franais
de prodiguer ses soins dans les deux camps ds lclatement de la guerre civile, en
1839. A cette date on le voit dabord inspecter les troupes du gouverneur
antirrosista Bern de Astrada, quelques jours avant sa dfaite subie Pago Largo.

Peu aprs, il examine les soldats du vainqueur, Pedro Echage. Aussi, son amiti
le porte simpliquer auprs de Pedro Ferr, revenant au pouvoir doctobre 1839
dcembre 1842. Bonpland est notamment charg de faire transiter les
mdicaments achets Montevideo jusqu la capitale et larme de
Corrientes 2592 .
Aprs cette date, Bonpland demeure fidle vis--vis des proscrits sans
perdre lamiti des vainqueurs. Mais il prend soin de rester au second plan des
oprations militaires, limitant son action publique des apports pisodiques,
consistant le plus souvent inspecter ltat sanitaire des troupes 2593 . Une
implication de ce type a lieu en 1850, mise en lumire par Juan A.
Domnguez 2594 . LEjrcito Grande form par lEntrerriano Justo Jos de Urquiza
tant en proie une pidmie de dysenterie, le gnral a recours Bonpland afin
2590

Cabral, nomm gouverneur par Rosas para que pudiese arrancar de raz todo germen de la
influencia del partido liberal , exilant Pedro Ferr ; cf. ZINNY Antonio, op. cit., p. 49. Pedro
Cabral provient dune ancienne famille correntina. Gouverneur une premire fois en 1828, il
appuie Rosas ce qui lui amne de nombreux adversaires. Aprs la victoire des fdralistes
Arroyo Grande, il assume de nouveau le commandement de Corrientes, dclarant coupables de
haute trahison Pedro Ferr et ses partisans et confisquant ses biens. Il est chass du pouvoir en
1843 par Joaqun Madariaga.
2591
AMFBJAD n 527, P. Cabral Bonpland, 4 aot 1836 ; AMFBJAD n 148, J. Madariaga
Bonpland, Ibicu, 7 octobre 1836 ; CAIC, dette pour un traitement mdical de J. P. Virasoro, s. l.,
3 avril-15 novembre 1841.
2592
AMFBJAD n 1737, voyage Montevideo, 3 novembre 1840 ; AMFBJAD n 113, P. Ferr
Bonpland, Corrientes, 22 janvier 1841 ; AGPC, Correspondencia oficial, tome 107, fs. 51, 61, 108.
2593
Bonpland J. Pujol, Restauracin, 21 fvrier, 20 mai 1855, cit in PUJOL Juan, op. cit., tome
5, pp. 33, 206-207.
2594
DOMINGUEZ Juan A., op. cit.
671

Troisime partie

Chapitre VII

de la circonscrire. Le traitement base de granadilla que Bonpland conseille dans


ce cas, lui vient des pratiques en usage au Paraguay et Corrientes, o cette plante
est destine exclusivement gurir cette infection. Nanmoins, il espre attirer
lattention des mdecins dUrquiza sur dautres usages, principalement dans le
traitement des fivres et des problmes gastriques. Bonpland suggre une tude
srieuse de la plante, par lintermdiaire des socits de mdecine, afin den
dcouvrir les principes actifs 2595 . Au-del du rsultat immdiat, Bonpland inscrit
sa rflexion sur le long terme et pour le bien public.
Il agit de la mme faon propos de la maladie contracte par Joaqun
Madariaga. Lusage du traitement mdical des fins politiques nest pas une
nouveaut et Bonpland, dans une position privilgie, vient lutiliser. Au lieu
dtre une arme ltale, la thrapeutique politique que compose Bonpland pour
Madariaga se veut salvatrice. En effet, atteint de lpre en 1847, le Correntino est
aussi mis en danger par lalliance militaire dUrquiza et des Virasoro dclare en
juin contre lui. Aussi Bonpland conjure-t-il son frre ds la fin du mois de juillet
de se rendre au Prou soigner son mal, grce aux vertus du bon air et du guano :
il ne faut pas hsiter il ne faut pas perdre un seul instant ; il est
ncessaire, il est indispensable denrayer ses lents et tristes progrs et
recourir au remde rcemment dcouvert
nombre de malades

2596

et qui a dj soign un bon

2597

Selon Bonpland, lloignement de Corrientes devrait viter au gnral des maux


plus funestes encore. Lempressement exprime avec sincrit lopportunit de
sauver le membre dune famille trs proche d un mal qui jusqu la dcouverte
des effets salutaires du guano tait justement considr comme

un mal

incurable , et de faire connatre un remde miraculeux 2598 .


Cet pisode runit toutes les esprances du savant. Dabord, celle de se
connecter avec la Commission Mdicale de Lima, un centre scientifique amricain
porteur dinnovations. Ensuite, tre lavant-garde dans la contribution
2595

AMFBJAD n 1602, Bonpland Sagastume, Montevideo, 15 aot 1850.


Vers 1845, Bonpland apprend que des soins ont t russis grce linhalation des gaz du
guano ; AMFBJAD n 1903, observations sur le Guano et son analyse par Jos Victoriano Dos
Santos e Souza, 12 dcembre 1845.
2597
no hay qe trepidar no hay qe perder un solo momento ; es preciso, es indispensable atajar sus
lentos y tristes progressos y hechar mano del remedio recientemente descubierto y qe ya ha sanado
un buen numero de enfermos , AMFBJAD n 162, Bonpland J. Madariaga, So Borja, 27 juillet
1847.
2598
un mal qe hasta el descubrimiento de los saludables efectos del guano era justamente
considerado como un mal incurable , ibid.
2596

672

Troisime partie

Chapitre VII

lradication dun flau. Aussi, raliser un grand voyage dexploration du Brsil


au Chili ; Bonpland propose trois itinraires, faisant part de toute son rudition
gographique pour convaincre Madariaga deffectuer un voyage par le Paraguay
et la Bolivie, le plus compliqu mais celui souhait par Bonpland. Car enfin, Il
est de toute ncessit que notre illustre ami amne avec lui un mdecin de toute
confiance 2599 . Bonpland veut tre celui-l pour concrtiser ses espoirs
scientifiques et, en loignant Joaqun Madariaga de la scne politique, sen carter
lui aussi 2600 . Il en espre une rgnration mdicale, scientifique et politique. La
gestion gouvernementale quil suppose mauvaise en son absence, aurait ensuite
permis Madariaga de revenir non seulement guri et ramenant avec lui un
remde efficace, mais encore de pouvoir de nouveau apparatre comme un recours
politique incontournable 2601 . Malheureusement pour les deux hommes, les
oprations militaires se clturant par la bataille de Vences, le 27 novembre 1847,
obligent le Correntino se rfugier au Rio Grande do Sul o il succombe un an
plus tard.

2. Porte et limites dun pouvoir


Dun point de vue qualitatif, les problmatiques varient peu dun continent
lautre. Laffrontement traditionnel entre une mdecine populaire omniprsente
et des tentatives de rationalisation des soins marque ici la frontire des cultures. Il
nest pas question de crer des distinctions fondamentales entre deux continents,
mais plutt entre deux niveaux dapprhension de la sant. Le commentaire de
Bonpland propos des obsques de Mariano Araujo, en 1834, rsume cette
dualit. Alors que la majorit des habitants souhaite veiller le corps, les gens
senss et les autorits de San Roque sy opposent et inhument immdiatement la
victime pour viter la contagion 2602 . La seule diffrence transatlantique
dimportance rside dans le statut social accord au praticien, plus consult, plus
2599

Es de toda necesitad qe nuestro illustre amigo lleve con sigo un medico de toda su
confianza , ibid.
2600
Bonpland ne cache pas quen accompagnant Madariaga, il en profiterait lui aussi para de una
vez ser lejos del theatro de toda polytica , BCNBA, Bonpland G. Valds, So Borja, 3
novembre 1851.
2601
Ibid.
2602
AMFBJAD n 1314, carnet n 5, 23 mai 1834.
673

Troisime partie

Chapitre VII

respect et plus intgr par sa clientle. Il nen est pas forcment plus cout, car
son apport se surajoute aux croyances dj en place. Le rapport la sant est
complexe, et sil sagit den prsenter seulement certains aspects, commencer
par le degr de capillarit dun savoir.

Un travail respect
La porte de son travail est illustre par les demandes manant de plusieurs
centaines de kilomtres. Sa rputation est telle ds 1833, que Jos Domingo
Abalos le rejoint So Joo Mini pour lui demander de venir Curuz Cuati
soigner le colonel Ledesma, Julian Antonio Araujo et Manuel Vicente Roln 2603 ,
tous membres de loligarchie correntina. En 1836, le gouverneur en fonction ainsi
que le futur titulaire du poste sollicitent urgemment son aide. Rafael Atienza
lappelle dabord pour quil vienne de nouveau secourir son frre politique
Manuel Vicente Roln gravement malade, appuyant sa demande dj insistante
par celle de la corporation mdicale de Corrientes qui savre impuissante2604 .
Trois mois plus tard, Pedro Cabral fait appel lui car ni Salinas ni Fonseca, les
deux principaux mdecins correntinos, ne parviennent rtablir compltement sa
femme enceinte de cinq mois, atteinte de pertes de sang 2605 . De lautre ct de la
frontire, Bonpland poursuit un travail moins visible mais efficace, non plus
alimentaire mais tout fait utilitaire. En octobre et novembre 1833, il est assailli
de demandes lempchant de mener biens un voyage prvu Buenos Aires 2606 .
Il participe plusieurs campagnes de vaccination contre la petite vrole So

2603

AMFBJAD n 1700, journal, So Borja, 13 dcembre 1833.


Trop tard, Roln succombant le 1er mai 1836 ; AMFBJAD n 7 et 8, R. Atienza Bonpland,
Saladas et Corrientes, 28 avril et 2 mai 1836.
2605
y como no se merece en la Capital otros facultativos, lo h tenido V.presente, por sus
grandes conocimientos, y mucha esperiencia qe V. la sanar , AMFBJAD n 527, P. Cabral
Bonpland, 4 aot 1836.
2606
AMFBJAD n 1700, journal, So Borja, 26 novembre 1833. Le plus souvent la mdecine est
prsente comme un suppltif alimentaire Buenos Aires en 1817 ou au Paraguay. Les activits
scientifiques et commerciales sont celles essentiellement rappeles par les biographes. Lexercice
de la mdecine figure de manire anecdotique, rarement mis en avant ; cf. par exemple
HALPERIN DONGHI Leticia, Aim Bonpland , in IV Congreso Internacional de Historia de
Amrica, 1966, tome V, p. 249. Lauteur signale la porte du travail labeur mdical ; elle rappelle
que Pompeyo Bonpland prsente sa thse de mdecine sur la base dobservations de son grandpre.
2604

674

Troisime partie

Chapitre VII

Borja 2607 , fait venir de la vaccine de Montevideo par lintermdiaire du prsident


de la socit de mdecine envoye de Londres par la socit jennrienne. Il
simpose dans le panorama thrapeutique parmi ses confrres comme chez les
profanes, dautres mdecins ayant se louer de ses conseils et de ses
recommandations auprs de llite provinciale 2608 .
La gratitude des particuliers est dautant plus forte que les gurisons
prennent parfois laspect de miracles, les affections bnignes tant ressenties
comme des maux fatals. A ce titre Bonpland cite lexemple du ngociant brsilien
nomm Paiba, atteint dune fivre tierce et recevant les derniers sacrements avant
que le Franais prvenu ne le gurisse 2609 . Plus gnralement les soins sont
accueillis avec emphase, les remerciements indiquent que la place du mdecin est
aussi centrale que celle du prtre, comme le vit en 1847 Apollon de Mirbeck. En
partance pour Santa Ana, il se voit retenu par une partie des habitants de
Uruguaiana ; 47 familles se cotisent pour lui payer 1 000 patacones : Jai
prouv plus de plaisir en voyant que je jouissais de lestime publique 2610 .
Laccompagnement qui est demand va jusqu la mort le cas chant, avec le
besoin de partager la douleur et le deuil. Ainsi, Juan Gramajo le remercie davoir
assist sa famille et particulirement son beau-frre, Gregorio Saenz de Cavia, qui
est mort en laissant une femme et une fille. Aucun pouvoir humain ny pouvait
rien, ajoute-t-il, et bien que toute sa famille se lamente de cette grande perte, il le
remercie ternellement de lassistance et des faveurs promulgues toute sa
famille 2611 .
Comme le prtre, le mdecin participe toutes les tapes de la vie du
chrtien, de la naissance lenterrement, dans une communion parfois difficile
supporter. Aprs la mort de Julin Araujo, en mai 1834, la famille est runie chez
Justo Vivar San Roque. La veuve de Julin et celle de son frre mort il y a deux
ans poussent des gemissements horribles accompagns de pleurs . Il sagit dun

2607

La vaccination est bien accepte ds son introduction en Amrique, en 1805 ; cf. ORBIGNY
Alcide d, Voyage dans lAmrique mridionale, tome I, 1835, p. 483.
2608
AMFBJAD n 167, P. Nascinbene Bonpland, Paran, 17 fvrier 1834 ; AMFBJAD n 1117,
A. Thedy Bonpland, Salto, 19 septembre 1835 ; AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia
Curuz Cuati, 17 mai 1837 ; AMFBJAD n 373, Bonpland J. A. Pimenta Bueno, So Borja, 8
novembre 1846 ; AMFBJAD n 1285, 1286, vaccinations So Borja, janvier 1844, fvrier 1850.
2609
CAIC, journal de mdecine, missions brsiliennes, novembre 1831.
2610
AMFBJAD n 454, A. de Mirbeck Bonpland, Uruguaiana, 19 avril 1847 ; AMFBJAD n
1165, J. J. de Freitas Bonpland, Alegrete, 7 avril 1835.
2611
AMFBJAD n 600, J. Gramajo Bonpland, Corrientes, 3 juin 1837.
675

Troisime partie

Chapitre VII

rle jou de faon rgulire, puisque par exemple il est pri de venir huit ans plus
tard San Roque assister aux funrailles de lpouse dAntonio Snchez 2612 . Cette
intimit explique une sociabilit et une sensibilit particulires entretenant un
respect et un lien religieux entre le mdecin et ses patients 2613 .

Mais peu cout


Un respect du prlat nempche pas de scarter de ses prches. Gravement
malade, Julin Araujo est trait par Bonpland San Roque au dbut de lanne
1832. En 1833, il souhaite se rendre auprs de Bonpland mais ne suit pas ses
prescriptions non plus que celles de son mdecin traitant Jos Gregorio Acua,
qui voit ses traitements frustrs par la mauvaise volont de son patient, lequel
meurt un an plus tard. Ces hommes sont desobissants 2614 , dplore le mdecin
qui se bat principalement contre une mauvaise nutrition2615 , mais aussi contre les
afflictions morales trs rpandues dans les provinces de Corrientes et Rio Grande
do Sul. A un patient il recommande de faire attention, de ne pas schauffer
lesprit soit avec ses affaires soit avec ses plaisirs ; propos dun autre il confie
son pre quil sagit dun jeune [] dont lencphale travaille beaucoup et
cherche des activits o il devrait peut-tre trouver des jouissances et des
plaisirs 2616 . Autant de diagnostics faisant appel au bon sens, car le principal
combat a lieu contre les pratiques traditionnelles. Le recours aux gurisseurs, aux
auto-traitements ou aux cures miraculeuses sont galement condamns. Parmi ces

2612

AMFBJAD n 1314, carnet n 5, 26 mai 1834 ; AMFBJAD n 1526, A. Snchez Bonpland,


San Roque, 21 juin 1842.
2613
Cf. PEREZ DE NUCCI Armando Mario, Aspectos geopolticos de la medicina popular del
Noroeste argentino , in Asclepio, vol. XXXIV, 1984, pp. 293-304.
2614
AMFBJAD n 1160, J. A. Araujo Bonpland, Curuz Cuati, aot 1833 ; AMFBJAD n
1704, Voyage dans la province de Corrientes, 6 mai 1834 ; AMFBJAD n 1260, J. G. Acua
Bonpland, Corrientes, 6 mai 1834 ; AMFBJAD n 1749, voyage de So Borja Santa Ana, Santa
Ana, 5 avril 1845.
2615
CAIC, traitement mdical, So Borja, Avril 1831 ; CAIC, traitement mdical au lieutenant
Prudencio, So Borja, 5 avril 1831 ; CAIC, consultation mdicale au capitaine Fernandez, San
Miguel, 26 avril 1831.
2616
cuidara, de no calentarse la cabeza sea con sus negocios sea con sus plazeres. joven []
cuyo encephalo trabaja mucho y busca trabajos adonde deberia puede ser encontrar gozos y
placeres , CAIC, traitement mdical pour J. de Morales, So Borja, 20 janvier 1836 ; AMFBJAD
n 211, Bonpland a M. E. Sarratea, San Roque, 14 mars 1838.
676

Troisime partie

Chapitre VII

dernires, la rputation curative des eaux du Paran releve par dOrbigny 2617 , ou
dautres fleuves, peut savrer nfaste.
Bonpland cite lexemple de Julin Silvero qui avant de le consulter
a suivi lexemple dun grand nombre [dindividus] attaqus de
fanatisme : il sest deplac soufrant pour aller voir le saint. il a pris deux
bains dans le Miriay dont il na pu soufrir la dure

2618

Mais face la solidit des croyances, Bonpland est prt revoir ses mthodes. Le
cas de Silvero lui rappelle celui de Sorilla, dlgu des missions paraguayennes
qui, prt pendre un traitement mercuriel se voit ordonn par Francia daller se
baigner dans le Paran, et en ressort guri :
Mdecins Ecoutez ce fait : reflechissez et agissez. Mr Sylveiro a mis sa
confiance en moi. [] si aprs 6 ou 8 semaines de traitement il ne guerit
pas je suis resolu le faire baigner dans luruguay

2619

Le savoir quincarne le savant europen nest pas aussi magique quon


voudrait le croire en Europe ; lexemple cit montre quil est amen sadapter
aux mentalits, intgrer une part de magie dans son discours mdical 2620 . Mais il
sinsurge surtout du recours rgulier aux curanderos, mme dans les cas les plus
graves. Un homme gravement bless au ventre est entour de curanderos,
chacun lui donne des remedes et il na pas daign appeler un mdecin dans un cas
si grave. 2621 Les auto-traitements entranent dailleurs une issue fatale, mme
lorsque les soins donns par les mdecins sont efficaces. Tel est le cas pour les
enfants de doa Facunda atteints de vrole :
Cette femme na rien suivi de ce quon lui a dit et de plus a donn de ses
remdes [] sur 4 inoculs quil y a eu dans cette maison trois sont
morts par la faute des maitresses de maison qui sont des medicas et qui
leur ont administrs des remdes leur guise

2617

2622

ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, p. 417.


AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa ana, 16 juillet 1838.
2619
Ibid.
2620
Les vertus curatives des eaux sont revendiques face au savant. Souffrant de la gorge en
venant de Buenos Aires, un notable correntino ne manque pas de rappeler Bonpland que Las
depurativas aguas de ntro Uruguay tambien han contribuido mejorarme , AMFBJAD n 735, B.
Noguera Bonpland, Curuz Cuati, 25 mars 1838.
2621
LOURTEIG Alicia (comp.), op. cit., p. 7, 17 fvrier 1849.
2622
CAIC, journal mdical, So Borja, 28-29 juillet 1835.
2618

677

Troisime partie

Chapitre VII

Aussi il faut minimiser la figure du carai arandu vante par de nombreux


auteurs 2623 , car nous sommes face une socit trs imprgne par les croyances
relatives aux mdecines traditionnelles, celles-ci remplaant ou sajoutant aux
traitements scientifiques, avec des consquences souvent nfastes. Alfred
Demersay, trs influenc par Bonpland dans le domaine mdical, compare les
gurisseurs amricains aux charlatans europens 2624 .
Quant ses collgues, les dissensions avec eux sont rares. Lunique
consultation de Bonpland consigne Buenos Aires montre au contraire une
concertation et une concordance de diagnostic avec les trois autres praticiens
prsents, dont le docteur Garca Valdez, prsident du Tribunal de mdecine de la
ville. Laffection concerne le vice-consul franais, Ernest Ledhui, dclar
lunanimit atteint dune manie aigu cause par des opinions politiques procarlistes et des ides vagues de mariage. Aprs lavoir saign, purg et baign, le
remde propos par Bonpland est approuv par le consul qui le renvoie en France
pour quil oublie son aventure et se rapproche de sa famille, sous prtexte de se
voir confier une mission secrte et importante2625 .
Dans lIntrieur, les conflits entre confrres sont dilus grce leur faible
nombre. Ils se cristallisent autour de cas exceptionnels parvenant les runir et les
diviser. Si Bonpland est galement consult il nest pas toujours cout, comme
lors de lagonie du gouverneur Atienza. Le docteur Acua qui se trouve son
chevet appelle Bonpland, Salinas, Fonseca et un jeune anglais de Goya. Tous
rejettent les instructions et les reproches du Franais vis--vis de leurs mthodes
qui selon lui ne font quaggraver ltat du malade. Bonpland annonce
publiquement aux Roln, belle-famille de Rafael Atienza, que sa mort doit tre en
partie impute aux mdecins ayant refus de lcouter 2626 . La libert de parole
employe ici montre dune part que, si les conflits sont rares ils peuvent se rvler
nfastes, et dautre part que Bonpland jouit dappuis politiques suffisamment forts
pour ne pas tre inquit suite ses propos, tout comme ses confrres.

2623

Cf. notamment BOCCIA ROMANACH Alffredo, Amado Bonpland. Carai Arandu, Asuncin,
El Lector, 1999.
2624
DEMERSAY Alfred, op. cit., tome 1, p.272.
2625
AMFBJAD n 1324, consultation mdicale pour Ernest Ledhui, Buenos Aires, aot-septembre
1832.
2626
AMFBJAD n 22, voyage de So Borja Curuz Cuati, 29 novembre-2 dcembre 1837.
678

Troisime partie

Chapitre VII

Un terrain vague
Le terrain mdical rural prsente un aspect tout fait dsert. Lors de son
sjour aux missions, Liniers note au commencement du XIXe sicle une absence
totale de mdecins qui se perptue malgr ses requtes auprs de la Couronne
espagnole. A laube des indpendances, Auguste de Saint-Hilaire confirme la
pnurie de praticiens au Ro de la Plata 2627 . A son tour, Bonpland nous apprend
que trs peu de mdecins saventurent, et moins encore se fixent dans
lIntrieur 2628 . La pnurie quantitative nest pas commente par Bonpland,
davantage attentif la dficience qualitative. Celle-ci oblige lpouse du
commandant de San Roque se faire soigner par un ngociant porteo que les
circonstances ont rendu medecin 2629 . A So Joo Mini, Bonpland impose
difficilement ses prescriptions la famille Antunes car Gregorio, qui se prtend
bon praticien, soppose au traitement prescrit par Bonpland son frre Antonio,
lui prfrant ladministration de lavements purgatifs et de poudres portant le
titre pompeux de toniques pulmonaires 2630 . Dans beaucoup de cas, il se heurte
lautomdication dans laquelle la mdecine de Leroy, trs rpandue, fait office de
succdan. Les gurisseurs contribuent pour leur part perptuer la cohorte des
superstitions. Bonpland cite lexemple dune vieille femme dont
ses alentours disent avec assurance que depuis quun Curandero lui a fait
prendre un peu de miel chaud, quelle se trouve beaucoup mieux. Cest
une de ses mille erreurs populaires.

2631

Un grand travail reste faire au niveau des mentalits 2632 . Ses confrres y sont
confronts, tel Mirbeck qui soppose la proposition dune commre de
Madame Paillot de lui donner des pilules vgtales 2633 .
Les professionnels quil ctoie ne sont pas non plus pargns, notamment
les quelques Europens rencontrs. Ainsi, le mdecin allemand aperu Mercedes
passe plus de temps chasser et pcher qu soigner. A Salto, un jeune mdecin
2627

LOZIER ALMAZAN Bernardo, op. cit., p. 153 ; SAINT-HILAIRE Auguste de, op. cit., pp.
XXVII-XXVIII.
2628
Nous nen avons recens quune demi-douzaine dans lentourage de Bonpland.
2629
AMFBJAD n 1695, voyage de So Borja Corrientes, 2 janvier 1832.
2630
CAIC, journal de voyage, Missions portugaises, 24 aot et 27 septembre 1833.
2631
AMFBJAD n 1726, journal, estancia de Toms Ledesma, 6 novembre 1839.
2632
Un double travail, pour les contemporains de Bonpland bien sr, mais aussi pour les historiens
des mentalits qui disposent dun terrain de recherche encore fcond en Amrique latine.
2633
AMFBJAD n 760, J. Paillot Bonpland, Uruguaiana, 18 avril 1851.
679

Troisime partie

Chapitre VII

franais parat avoir peu de connaissance et dexperience 2634 . Encore ne


peuvent-ils pas tre accuss de malhonntet, linverse dun mdecin
paraguayen affublant un homme simplement atteint dobsit de six pathologies ;
il fait un mystre des remdes quil lui administre et lui fait esprer quil le
gurira avec le temps 2635 . Mais les erreurs les plus graves sont observes parmi
les mdecins correntinos quil frquente et dont il peut constater loisir les
dfauts. Acua, Salinas et Fonseca usent envers Julin Silvero dune
surabondance de soins aggravant ltat du malade 2636 . Acua et Benites oprent
mal propos un matre de poste atteint de tubercules syphilitiques. Les erreurs
savrent souvent fatales, comme dans le cas du neveu du cur de San Roque, qui
meurt attaqu dune phlegmasie pour laquelle le docteur Delgado ne lui a fait
aucune mission sanguine. Des fautes mdicales mortelles sont rgulirement
releves, et elles concernent le plus souvent le docteur Acua, qui perd
notamment plusieurs malades atteints de fivre putride par ses mauvais
traitements 2637 . Lexercice de la mdecine nest en effet valid par aucun diplme
en Argentine du vivant de Bonpland, ce qui rend cette activit particulirement
dsorganise 2638 .
Le travail dinformation sadresse donc autant aux patients quaux
mdecins. Il russit quelquefois pour les seconds, en tmoignent les nombreux
avis que sollicitent ses confrres. Quant aux premiers, il semble que la rputation
dAcua les fassent se tourner sans difficult vers Bonpland. Des rsultats limits
apparaissent nanmoins. Cest le cas pour les familles Lagraa, Ledesma et
Silvero qui sadressent Bonpland lorsque celui-ci se trouve dans leur voisinage.
Lorsquil se rend dans la capitale de la province, Bonpland se voit assailli de
demandes. Lannonce de son arrive provoque une course qui bnficiera des
2634

AMFBJAD n 1708, voyage So Joo Mini, 27 juin 1835 ; AMFBJAD n 1718, voyage de
Buenos Aires Concordia, 22 mars 1837.
2635
AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 17 mai 1837.
2636
Ils ont commenc par lui administrer douze frictions mercurielles, alors que Bonpland en
effectue six pour viter la salivation. Labus de saignes entrane pour sa part limmobilisation du
bras gauche ; AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa ana, 16 juillet 1838.
2637
AMFBJAD n 1719, voyage de Concordia Curuz Cuati, 18 avril 1837 ; AMFBJAD n
1723, journal, voyage de Corrientes Santa ana, 15 juillet 1838 ; AMFBJAD n 1726, journal, San
Roque, 8 novembre 1839 ; AMFBJAD n 255, Bonpland G. Valds, Restauracin, 1er aot 1853.
2638
Deux tentatives ont lieu du vivant de Bonpland afin de crer une Acadmie de Mdecine. La
premire a lieu entre 1822 et 1824, la seconde entre 1856 et 1857. Dans les deux cas, les difficults
politiques et institutionnelles empchent la prennisation de lAcadmie. Il faut attendre 1873 pour
que linstitution renaisse dfinitivement de ses cendres ; cf. REAL Marco Aurelio, Origen de la
Academia Nacional de Medicina , in El mercurio de la Salud [en ligne], n 22, juillet 1998.
URL : geocities.com/HotSprings/Spa/2480/22-histo.htm.
680

Troisime partie

Chapitre VII

soins le premier ; on peut voir Pedro Ferr envoyer un courrier au devant de son
ami pour sen assurer lassistance avant les autres. En plus des soins ponctuels,
certains demandent expressment son suivi en remplacement de leurs mdecins
habituels, parmi lesquels Acua figure en bonne place. Les Perichn, chez qui il
loge lors de ses sjours Corrientes, refusent dappliquer les prescriptions du
mdecin correntino 2639 . Il sagit pour la plupart de familles qui, si elles ne sont
pas au plus haut de lchelle sociale, disposent tout de mme dun bon niveau de
vie et de culture. Le contrat conclu au Rio Grande do Sul en 1833 avec la famille
Antunes est incontestablement le signe dune forte demande, car il porte sur la
somme impressionnante de 800 000 reis, permettant lacquisition de la proprit
de So Borja la mme anne achete avec un dixime de cette somme 2640 .

CONCLUSION
A travers la mise en valeur de formes de communication sur le long terme
diffrentes des rcits de voyages, nous pouvons esquisser un comportement
amricaniste non comme observateur mais comme acteur. En effet le chercheur
cde la place lentrepreneur, la pratique supplante la thorie, le voyageur devient
migrant et sadapte au milieu culturel. Il acquiert un rle transfrontalier
international mais surtout rgional notable qui en fait un mdiateur vis--vis des
hommes et des savoirs. Voulant faire fortune en difiant un nouveau Malmaison,
Bonpland se voit forc saccommoder des contraintes sociales fondes sur la
rciprocit.
Celle-ci englobe les activits mdicales, conomiques et politiques. La
base de cette rciprocit est constitue par les relations mdicales, indispensables
au soutien conomique et relationnel du Franais. Au-del des constats alimentant
la recherche amricaniste concernant les mdecines traditionnelles par exemple,
Bonpland nous fournit un tableau prcis de la place du mdecin au sein de la
socit rioplatense. A travers la mdecine se rejoignent les proccupations
2639

AMFBJAD n 10, P. Ferr Bonpland, Lomas, 7 mai 1834 ; AMFBJAD n 1704, voyage dans
la province de Corrientes, 7 mai 1834 ; AMFBJAD n 347, E. M. Perichn Bonpland, Batel, 1er
janvier 1835 ; AMFBJAD n 662, Jos N. Ledesma Bonpland, Curuz Cuati, 27 mars 1838 ;
AMFBJAD n 1055, J. Silvero Bonpland, Curuz Cuati, 25 avril 1838.
2640
AMFBJAD n 1888, journal, So Joo Mini, 12 fvrier 1833.
681

Troisime partie

Chapitre VII

scientifiques du naturalisme et celles sociopolitiques de lamricanisme.


Economiquement et politiquement, il ressort de la stratgie transfrontalire
intgrante adopte par le Rochelais une forme de rciprocit physiocratique non
dnue du composant classique de lamricanisme, savoir le possibilisme ici
symbolis par lEldorado paraguayen et misionero.
La dpendance constate vis--vis des laboratoires et des groupements
savants privs ou publics en est une autre forme que nous allons maintenant
aborder. Dors et dj nous pouvons constater que la formulation dun savoir ou la
cration dune tradition savante est subordonne lexistence dune culture
politique spcifique proccupe par limpulsion entre la base et le sommet de la
socit. Ce possibilisme sillustre par llaboration dun projet commun, loffre
scientifique acqurant une rsonnance vis--vis de la demande politique. Si
lutilisation de son bagage scientifique permet Bonpland dimpulser des activits
sans grand apport financier, celles-ci se fondent sur une rciprocit acclrant la
transition de la grande vers la petite exploitation, de linitiative individuelle vers
le dveloppement collectif. Lexploitation de la yerba illustre la ncessit dun
projet commun runissant lentreprise individuelle et les aspirations tatiques.
Cest ainsi que, sur le terrain, se construit ldifice amricaniste.

682

CHAPITRE VIII
De la coopration transatlantique au terrain de
recherche priphrique (1817-1849)

INTRODUCTION
En partant pour Buenos Aires, Bonpland ambitionne non seulement de
rpter et complter le voyage avec Humboldt, mais aussi de franchir une tape
scientifique supplmentaire. En effet, il souhaite collecter, revenir et publier mais
aussi fonder un centre de culture et une tradition scientifique en Amrique. Cette
tape est celle qui manque Humboldt et Bonpland pour devenir vritablement
des promoteurs de lamricanisme. Son souhait de mettre en place une coopration
scientifique transatlantique, particulirement visible dans sa correspondance avec
Larraaga, dpasse les habituels ddicaces et hommages formels. Si, comme il
lannonce, Bonpland souhaite fonder un centre scientifique Buenos Aires puis
revenir, cela implique la prsence ou la formation dun ou plusieurs scientifiques
capables de le diriger aprs lui. Cela signifie la cration dun rseau savant
transatlantique fournissant lembryon dtudes amricanistes.
En effet, lambition, loriginalit ainsi que la difficult du projet
scientifique de Bonpland rside dans sa viabilit long terme, cest--dire aprs le
retour du savant en Europe. Nous ignorons, et il est probable que Bonpland
ignorait aussi, quelles modalits pratiques privilgier pour la mise en place de ce
laboratoire scientifique priphrique. Il est prsumable quil souhaite dupliquer le

Troisime partie

Chapitre VIII

modle de rfrence qui est celui du Musum parisien, mais faute de soutien
gouvernemental il dveloppe rapidement un tablissement dagriculture pratique
rpondant la demande locale plus conforme aux moyens dont il dispose et
inspir du modle de Malmaison-Navarre.
Ladaptation des objectifs dAim Bonpland invite rflchir sur les
rapports scientifiques entre le centre et la priphrie. La reproduction dun modle
central se heurte aux ralits de la demande scientifique priphrique car faute de
moyens techniques et humains les tentatives dadaptation de modles centraux
font apparatre un dcalage entre loffre et la demande scientifique. Les sciences
naturelles qui, en Europe, ont une fonction dinventaire, parviennent-elles
acqurir une fonction qui les rendent opratoires au Ro de la Plata ? Le premier
obstacle freinant le processus dadaptation rside dans le projet de recherche de
Bonpland qui, du fait de son caractre eurocentr, dpend du centre scientifique
qui marginalise ce projet. Cette marginalisation progressive du travail de
Bonpland en Europe sexplique par lapparition dun dcalage entre la demande
scientifique centrale et loffre dun savant qui se trouve coup de ses moyens de
recherche. Un second aspect concerne le problme de la construction dune
tradition scientifique priphrique daprs un modle oprationnel au centre, mais
freine le dveloppement scientifique de la priphrie. En effet, les objectifs
diffrent des besoins rels qui permettraient dimpulser une tradition scientifique
autochtone, cest--dire rpondant des besoins spcifiques de dveloppement.
Les projets priclitent et, de plus, les tudes priphriques sont relgues en
marge.

A. LA CONSTRUCTION MANQUEE DUNE TRADITION


SCIENTIFIQUE PERIPHERIQUE
A la suite de Bruno Latour, Marie-Nolle Bourguet sinterroge sur
lappropriation intellectuelle et matrielle du monde par les voyageurs europens,
rendue possible grce la capitalisation dinformations de la priphrie vers le
centre. Ce propos est illustr par la rencontre entre Laprouse et les habitants de
Sakhaline, ceux-ci esquissant sur le sable une figure bientt efface alors que
684

Troisime partie

Chapitre VIII

Laprouse sauvegarde linformation pour la communiquer et la cumuler. La thse


de Bruno Latour, qui privilgie les pratiques aux thories, peut prter un
largissement. En effet, on peut sinterroger non seulement sur la manire dont est
collecte linformation, mais aussi sur limpact de la rencontre avec une autre
manire de concevoir loutil scientifique. Ainsi des habitants de Sakhaline, qui ont
permis Laprouse dintgrer des reprsentations et des expriences nouvelles 2641 .
Dune manire comparable, les Rioplatenses obligent Bonpland modifier
lapprhension de son environnement et laccorder avec ses propres
reprsentations et valeurs. Cest cette capitalisation dexpriences que nous
voudrions analyser, afin de comprendre comment on passe de lide dune
coopration transatlantique un systme dchange ingalitaire.

1. Une coopration rate


A Buenos Aires Bonpland est empch de mener une exploration
denvergure de 1817 1820. Mais il attend lopportunit de commencer sa grande
expdition devant englober lancienne vice-royaut du Ro de la Plata et le Chili.
Son comportement pendant ces trois annes, ses lettres montrent que son avenir
est indcis. Ds avant son dpart Bonpland exprime le souhait de rentrer pour
profiter de ses travaux en Europe, mais dans le mme temps il se montre dsireux
de travailler en Amrique. Mais une fois Buenos Aires, sa position devient
ambige. A Charles Robert, il confie son sentiment que pour tous les Franais
prsents autour de lui, le mieux serait de rentrer dans leur patrie, o nous avons
acquis de quoi vivre avec peu de travail 2642 . A Juan Mara Pueyrredn,
Bonpland fait part de son intention de rester para siempre dans son pays
daccueil 2643 . A Lebreton, il explique son dsir de passer le restant de ses jours en
Amrique, pourvu quil y ait de bonnes rues, de bonnes routes et quil puisse

2641

BOURGUET Marie-Nolle, La collecte du monde : voyage et histoire naturelle (fin XVIIme


sicle - dbut XIXme sicle) , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro,
FISCHER Jean-Louis (coord.), op. cit., pp. 202-236.
2642
Bonpland C. Robert, 28 aot 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A.,
ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 56.
2643
Bonpland J. M. de Pueyrredn, 22 juin 1818, cite par RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA
Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 34.
685

Troisime partie

Chapitre VIII

dcemment vivre selon ses inclinations cest--dire avec une mdiocre


dcence 2644 .
Ce double discours est motiv par lexistence

de deux objectifs. Il

hirarchise par consquent son discours, en sadaptant la prcarit laquelle il


est confront Buenos Aires, constatant que le soutien politique promis par
Rivadavia est loin dtre solide. Face aux doutes exprims ds avant le dpart et
qui se confirment son arrive, Bonpland sadapte en se laissant plusieurs
alternatives. Aussi promet-il aux uns et aux autres pour se laisser une marge de
manuvre. Cette contradiction ne peut tre rsolue que par la fondation dun
centre scientifique amricain dpositaire de ses collections dont le double serait
ramen et publi Paris. La recherche et le discours scientifique sont diviss ds
le projet initial de Bonpland entre centre et priphrie.

Une coquille vide


Lide dtablir un Muse dHistoire naturelle Buenos Aires date de
1812

2645

. Cependant, les bases sur lesquelles il est fond en montrent dj les

limites. Tout dabord, la notion de dpt est prfre celle de Muse . Le


lieu doit contenir toutes les productions locales ou trangres dignes dtre
runies dans ce dpt , affirme la circulaire. La nature du lieu est alors loin de
rpondre une problmatique naturaliste telle quelle existe en Europe ; le lieu
programm sapparente davantage un cabinet de curiosit. Pablo Perazzi
remarque que le vocabulaire est emprunt au lexique commercial, limpulsion
tant donne par la bourgeoisie portuaire de Buenos Aires.
La fonction de Musum spcialis ne semble donc pas voulu par les
fondateurs qui, prcise Pablo Perazzi, sadressent un public damateurs et de
collectionneurs privs 2646 . Cependant, ce public qui forme le socle indispensable

2644

Bonpland J. Lebreton, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente
A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 63. Un des vux du Franais est exauc en 1825, lorsque les
rues principales de Buenos Aires sont paves. Il nen demeure pas moins que la plupart des rues
sont en mauvais tat ; quant aux routes proches de la ville, elles sont selon John Beaumont
impraticables par temps de pluie et poussireuses jusqu ltouffement le reste du temps ; cf.
BEAUMONT John A. B., op. cit., pp. 106-107.
2645
LOPES Maria Margaret, op. cit., p. 290.
2646
Cf. PERAZZI Pablo , op. cit., p. 190.
686

Troisime partie

Chapitre VIII

lmergence des sciences naturelles semble quasiment inexistant. En effet, aucune


source documentaire nindique lexistence de plusieurs collections ou cabinets
privs ni celle dun groupe ayant dvelopp une sociabilit rudite Buenos
Aires 2647 . En 1812, la Gaceta de Buenos Ayres constitue le relais par lequel les
donateurs privs peuvent se faire connatre 2648 . Ce recours aux mcnes dnote
une absence de politique dacquisition denvergure, aucune mesure nengageant
lEtat dans une politique publique dachat ou dexploration. Ce recours montre
aussi linexistence dun rseau scientifique actif, identifi et capable de fournir le
muse. Le rsultat est dautant plus dcevant que seul Muoz lgue en 1814 une
collection qui constitue encore treize ans plus tard le seul fonds du muse. Cette
politique dacquisition des objets musographiques montre que la proccupation
des personnes en charge du muse de Buenos Aires nest pas prioritairement axe
sur les sciences naturelles.
Alors que les explorations sont le fer de lance de la politique scientifique
puisquelles permettent dacqurir de la matire premire, elles sont sous utilises.
Les objectifs dfinis en 1812 par Moreno montrent une passivit certaine ce
sujet. Nanmoins, ds 1818 Francisco Javier Muiz est commissionn par le
gouvernement afin dexplorer les les du Paran, bien que son travail reste non
utilis 2649 . A la mme poque, Bonpland parcourt lui aussi le Paran en tant que
professeur dHistoire naturelle remplaant Thaddeus Haenke, ce qui implique
lexploration du pays. Nomm ce poste le 3 octobre 1818, il ramne de son
premier voyage des informations susceptibles dtre valorises 2650 .
Ce titre de professeur est hrit du gouvernement colonial espagnol et
quivaut dans les faits celui de voyageur-naturaliste. Il nest pas clarifi aprs
lindpendance, Bonpland en dfinissant lui-mme la fonction lors de sa demande
motive par lexploration, la formation dun jardin botanique et la publication des

2647

Des recherches demandent tre encore effectues afin de saisir les conditions dmergence
des sciences naturelles et plus gnralement de la culture scientifique rioplatense travers des
sociabilits rudites. A ce propos, Miguel de Asa relve la prsence de quatre cabinets de
curiosit privs dans lensemble du Ro de la Plata ; ASUA Miguel de, La ciencia de Mayo. La
cultura cientfica en el Ro de la Plata, 1800-1820, Buenos Aires, FCE, 2010, pp. 65-70.
2648
PERAZZI Pablo, op. cit., 2008, p. 190.
2649
MUIZ Francisco Javier, Noticia sobre las islas del Paran, Publicaciones del Instituto de
Investigaciones Geogrficas, Facultad de Filosofa y Letras de la Universidad de Buenos Aires,
Coni, 1925 (s. d.).
2650
Bonpland J. M. de Pueyrredn, Buenos Aires, 22 juin 1818 ; A. de Poziga Bonpland,
Buenos Aires, 3 octobre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO
Rmulo d, op. cit.,, pp. 32-34, 39.
687

Troisime partie

Chapitre VIII

rsultats 2651 . A cet gard lattitude du gouvernement de Buenos Aires autant que
celle du Franais sont ambiges, celui-ci prcisant que ldition de ses rsultats est
prvue en Europe, laissant le gouvernement libre den profiter ou non. La
constitution dun jardin botanique est dinitiative prive, aucun effort ntant fait
Buenos Aires pour faciliter ce dessein. Lexploration est aussi laisse
lapprciation du Franais, aucune instruction ntant donne avant le dpart de
Bonpland. Ce nest que tardivement, au cours de lanne 1821, quil obtient le
soutien en demi-teinte de Rivadavia. Celui-ci, par le biais de lArgos, attend son
retour pour acclrer la mise en place du jardin botanique, mais il attend aussi un
changement dans la direction prise par le botaniste qui il conseille daller en
Patagonie accompagn du soutien certainement militaire du gouvernement 2652 .
Mais Bonpland ne peut en profiter, les forces paraguayennes ne lui laissant pas
lopportunit de revenir. Jusqu son dpart pour le Paraguay, toute linitiative
scientifique mane donc de Bonpland ; il ne dispose pas de direction ou
dinstructions scientifiques.
Le Muse dfini en 1812 ne revt donc que peu de similitudes avec un
Musum et na pas de fonction formatrice ni investigatrice. Il nest pas non plus
dot dune bibliothque et rien nindique quelle ait t prvue. La Bibliothque
Publique inaugure en 1812 est le seul lieu public rassemblant cette classe
doutils 2653 . Le tmoignage de Bonpland indique que les ouvrages prsents dans ce
lieu sont en nombre trs insuffisant. En 1815, avant son dpart, il constate que la
Bibliothque Publique manque de tout. Sollicit par le gouvernement pour
apporter des ouvrages scientifiques, le Franais est finalement contraint une
vente publique, les autorits locales ne se portant pas acqureuses des livres 2654 .
De 1812 1823, le muse demeure un concept. Il ne dispose ni de
directeur, ni de structure, ni doutils, ni de rgles ni dune quantit suffisante de
matriel scientifique. Pourtant, en 1817, larrive dAim Bonpland signifie un

2651

Cf. RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit.,, p. 34.
RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., dONOFRIO Rmulo, op. cit., p. 93.
2653
Luis Jos Chorroarn est charg lui seul dordonner la Bibliothque Publique en vue de son
inauguration. Le rglement approuv le 2 mars 1812 par le Triumvirat est constitu de breves
ordenanzas reducidas a pocos artculos ; cf. GARCIA DE LOYDI, Ludovico, Cundo y por
quin fue fundada jurdicamente la Biblioteca pblica de Buenos Aires , in Investigaciones y
Ensayos, 1972, n 12, pp. 567-569.
2654
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, Buenos Aires, 13 fvrier et 2 avril 1818 ; AMFBJAD n 912, Bonpland Barrois,
Corrientes, 28 mars 1838.
2652

688

Troisime partie

Chapitre VIII

accroissement considrable des collections. En effet, il est accompagn dun


herbier comprenant 20 000 plantes classes ainsi que dune collection
malacologique et minralogique 2655 reprsentant une base solide en vue de
ldification dun Musum. Mais aprs son enlvement ses collections
disparaissent avec lui, laissant un vide pour lhistoire naturelle qui ne dispose plus
des fonds ncessaires sa mise en valeur.
Un an aprs son arrive, le Rochelais constate avec amertume le manque
dintrt pour ses apports, ltat politique du pays brisant tout effort en ce sens 2656 .
En novembre 1818, le botaniste confie Lebreton sa rancur vis--vis des
promesses non tenues :
Vous, Moi, et je crois que beaucoup dautres avons t cruellement
tromps dans nos esprances : Je suis le plus coupable de tous parce que
je devais tirer profit de ce qui est arriv : mais maintenant que nous y
sommes il faut sen tirer avec honneur.

2657

Certes, Bonpland obtient le titre de professeur dHistoire naturelle puis de


mdecine au sein de lUniversit, mais faute de structure adquate il nobtient pas
la direction du Muse ou du jardin.
En effet, aucun soutien tatique nmane en ce sens et le botaniste prend en
charge lui-mme ldification dun jardin botanique. Le projet dun jardin
botanique napparat pas dans la circulaire gouvernementale de 1812 ; jusqu
larrive de Bonpland il nest question que dun Muse. La mise en place de ce
pan essentiel la fondation dun laboratoire nest donc pas programme lorsque se
pose la question de fonder une tradition scientifique rioplatense. Cest aprs avoir
recrut le botaniste que le projet de jardin fait une apparition en filigranes,
Bonpland devant assumer seul sa constitution. En juin 1817, le gouvernement
bonaerense lui permet pourtant de choisir entre diffrentes proprits, Bonpland se
portant acqureur pour la somme de 10 000 pesos dun bien appartenant lordre
2655

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, Buenos Aires, 2 avril 1818.
2656
Il crit : je croyais que ces collections prcieuses [] serviraient en quelque sorte de bases ici
un tablissement dinstruction publique et je vois avec douleur que ltat de guerre continuant on
est forc doublier les sciences , AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195,
carpeta 18, Bonpland Larraaga, 2 avril 1818. Il rpte, dans une lettre Larraaga date du 15
septembre de la mme anne : le malheureux tat politique de votre pays a contrari et suspendu
tous mes projets.
2657
U., Yo, y creo que otros muchos hemos sido cruelm.te engaados en nras esperanzas : Yo soy
mas culpable que todos p.r q.e me deb aprovechar de lo pasado : p.o ya que estamos en ello es
preciso salir con honor. , Bonpland J. Lebreton, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cit in RUIZ
MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 62.
689

Troisime partie

Chapitre VIII

des frres blemnites. Mais lacte de vente ne lui est pas remis, et un an plus tard
les religieux rclament des arrirs pour la location, en non la vente, de la quinta.
En octobre 1818, Juan Mara Pueyrredn autorise lordre religieux porter plainte
sans que le point capital de la responsabilit de lEtat soit tabli. Pueyrredn
vinc du pouvoir, les Blemnites reconnaissent quune promesse de vente a bien
t donne mais en demandent lannulation. Le procs se poursuit jusqu
lenlvement de Bonpland, le gouvernement bonaerense concluant laffaire au
dbut de lanne 1822 en nationalisant la proprit2658 .
Deux remarques simposent propos de cette proprit destine, selon le
reprsentant de Bonpland en justice, tre transforme en Jardin des plantes de
Buenos Aires 2659 . La premire concerne la nature prive du lieu cens abriter un
jardin public. Sagit-il dun souhait mis par Bonpland lui permettant de
dvelopper une activit conomique prive, ou dune dcision manant du
gouvernement ? Quelque soit la rponse, la possession juridique de la quinta
montre que lEtat ne souhaite pas prendre en charge la fondation dun jardin
botanique et que le modle de centre scientifique priphrique imagin Buenos
Aires est, au moins, semi-priv. La seconde remarque concerne plus
particulirement le rle jou par le gouvernement de Pueyrredn. En effet, il
apparat clairement que celui-ci nappuie aucun moment le projet de Bonpland.
Aucun texte officiel ne fait allusion cette cration qui demeure donc, de facto,
une initiative prive. Cest en 1821 seulement, alors que Bonpland se trouve au
Paraguay, que Rivadavia tant parvenu au gouvernement exprime le souhait de le
voir revenir des Missions afin dacclrer la constitution du jardin 2660 .
En 1822, la cration de luniversit voulue par Rivadavia ne prend pourtant
en compte lhistoire naturelle que trs superficiellement. La figure suivante montre
quelle est absorbe par les sciences physiques et mathmatiques, elles-mmes ne
reprsentant quune part minime du budget total de luniversit. Deux ans plus
tt, la part de lhistoire naturelle reprsente encore prs du quart du budget de
lenseignement suprieur 2661 . Ce profond changement opr dans la politique
scientifique bonaerense est une preuve de la place accessoire des sciences
naturelles dans le projet scientifique gouvernemental. Le droit est le fondement de
2658

RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., pp. 6-20.
Ibid., p. 8.
2660
Daprs PALCOS Alberto, op. cit., 16 janvier 1941.
2661
Cf. graphique n 18, page suivante.

2659

690

Troisime partie

Chapitre VIII

lacquisition dune lgitimit nationale et internationale ; la mdecine implique


une proccupation dordre hyginiste et dmographique ; la topographie est
essentielle pour donner corps la nation2662 . Les laborieuses acquisitions de
matire premire naturaliste expliquent ce que lhistoire naturelle reprsente dans
le Ro de la Plata, particulirement dans lArgentine de la premire moiti du XIXe
sicle, savoir un accessoire scientifique situ en priphrie des matires
principales que sont le droit, la mdecine et la topographie comme le montre le
graphique suivant. Elle est en cela le reflet des priorits des lites rioplatenses.
Aussi, le modle prsent par Bonpland est-il en dcalage avec les proccupations
des Rioplatenses qui sont celles dun pays en construction.
Graphique n 18
Budget de lUniversit de Buenos Aires en 1822

Langues (13,6%)

Droit (16,9%)

Logique, mtaphysique (6,8%)


Physique, Math. (6,8%)
Mdecine (25,4%)

Economie Politique (6,8%)

Dessin (23,7%)

Source : GUTIERREZ Juan Mara, Origen y desarrollo de la Enseanza Publica Superior en


Buenos Aires, desde la poca de la extincion de la compaia de Jesus en el ao 1767 hasta poco
depus de fundada la Universidad de 1821, Buenos Aires, La Cultura Argentina, 1915 (1868).

Dun point de vue qualitatif, une initiative non gouvernementale ayant lieu
en 1822 peut tre perue comme un contrepoids la perte dinfluence des sciences
2662

Nous navons pas connaissance dune tude prcise des fonds consacrs aux sciences au cours
du XIXe sicle et qui permettrait, au del des polmiques sappuyant le plus souvent sur des
analyses qualitatives, de dresser un bilan comptable de la politique scientifique rioplatense
susceptible den affiner la comprhension. Ltude du fonctionnement budgtaire de luniversit de
Buenos Aires et des autres centres scientifiques rioplatenses enrichira sans doute notre
comprhension du projet scientifique indpendantiste.
691

Troisime partie

Chapitre VIII

naturelles. Il sagit de la Sociedad de Ciencias Fsicas y Matemticas qui centre


prcisment

son

activit

sur

la

partie

scientifique

dlaisse

par

le

gouvernement 2663 . Cre le 17 avril 1822 linitiative de Felipe Senillosa, elle


cesse ses activits deux ans plus tard, ce qui met fin lunique tentative de
cration dune socit scientifique autonome jusquen 1852. Ds lors, les
initiatives manent uniquement du gouvernement 2664 .
Or, Cristbal Martn de Montfar apprend Bonpland quen 1820 dautres
scientifiques se liguent contre eux 2665 . A cette date, Bonpland et Montfar sont les
professeurs les mieux pays de lInstituto Medico Militar. Or Antonio Saenz,
ennemi intime de Montfar, sentend avec Juan Antonio Fernndez, Francisco
Cosme Argerich et Francisco de Paula Rivero 2666 pour carter trs
provisoirement Montfar de la direction de lEcole de mdecine de lInstituto
mdico militar. Cependant Bonpland obtient au dbut de lanne 1821 une chaire
de mdecine lUniversit, ce qui contrebalance la suppression du poste de
professeur dHistoire naturelle probablement obtenue par les comploteurs dsireux
dliminer une structure concurrente de luniversit. En effet, le jardin botanique
et le Musum qui doivent voir le jour ne sont pas rattachs luniversit.
Finalement lors de louverture de luniversit en 1822, lhistoire naturelle ne fait
plus partie de lenseignement prodigu Buenos Aires ; cela conforte la
prsomption dune intrigue visant supprimer cet enseignement et les forts
moluments laccompagnant 2667 .

2663

Nous ignorons encore si cette socit est rellement cre partir dune initiative prive pour
suppler aux lacunes gouvernementales, ou si elle mane du gouvernement lui-mme.
2664
Cf. CAMACHO Horacio H., Antecedentes histricos de la formacin de los primeros
gelogos argentinos , in Serie tcnica y didctica, Buenos Aires, Fundacin de historia natural
Felix de Azara, n 2, 2002, p. 1.
2665
AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, juin 1832 ; RUIZ MORENO Anbal,
RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit.,, pp.81-83, 89-90.
2666
Francisco de Paula Rivero, nomm chirurgien major des armes de lEtat en septembre 1814,
jouit dune grande rputation de patriote.
2667
AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, juin 1832. Le parcours du docteur anglais
Wilham rappelle celui de Bonpland. Exerant la mdecine Buenos Aires, des diffrends avec
Argerich le forcent quitter la ville. Il choisit, associ un compatriote, dinvestir dans llevage
de mrinos Concordia ; AMFBJAD n 1718, voyage de Buenos Aires Concordia, 12 mars
1837. Labsence denseignement des sciences naturelles a t justifie par labsence de professeurs
spcialiss ; cf. MANTEGARI Cristina, Naturaleza y modernizacin en el siglo XIX: la
expansin de la institucionalizacin cientfica , in Saber y Tiempo, vol. 4, n 14, juillet-dcembre
2002, p. 18. Une nuance simpose, dans la mesure o il sagit plutt dune absence de recrutement
de professeurs spcialiss. A dfaut de recruter ltranger, comme ce ft le cas pour Bonpland, ou
dutiliser Carlos Ferraris qui est dj sur place, il tait possible de faire appel Francisco Javier
Muiz, peut-tre pas ds 1823 mais partir de la fin de cette mme dcennie.
692

Troisime partie

Chapitre VIII

La suppression des fonds dvolus lhistoire naturelle est un des


changements les plus notables par rapport au budget consacr aux sciences avant
1822. Cette absence est la consquence directe de la disparition de Bonpland de la
scne scientifique rioplatense, bien que sa chaire de mdecine soit encore
comprise dans ce budget. Aprs la cration de luniversit, la corporation
scientifique savre incapable de produire des connaissances significatives 2668 ;
ce titre, la suppression des tudes dhistoire naturelle tmoigne du changement
dorientation de linnovation vers la construction du savoir 2669 . Toutefois, la
cration de lAcadmie de mdecine lors de cette mme anne 1822 a pour but de
poursuivre dans la voie de la recherche et de maintenir une certaine demande
scientifique dans ce domaine, tout en recentrant lactivit scientifique sur les
besoins spcifiques de la nation. Les efforts en ce sens tendent prouver que la
politique scientifique finalement impulse au dbut des annes 1820 est bien
adapte une nation mergente, ce qui va contre limage dun Rivadavia se
contentant de calquer les modles europens. Les quinze thmes fixs par le
programme dtudes de 1823 dbordent largement le cadre strictement mdical, et
certains correspondent directement aux travaux mens par Bonpland. Tel est le cas
pour les recherches mtorologiques Buenos Aires 2670 , la qualit du sol et des
eaux, la nature des aliments, les maladies, les remdes se trouvant dans le pays ou
apports dEurope, et surtout les travaux mener pour dvelopper la botanique et
la gologie argentines 2671 .
Les sciences naturelles ne sont donc pas oublies, mais elles sont
confirmes dans leur statut de matires accessoires. La perte de Bonpland savre
ce titre irrparable pendant une longue suite dannes. Il figure encore en 1827
parmi les membres du corps enseignant, sa prsence thorique faisant cho une
organisation universitaire dsordonne 2672 . Ds 1824 pourtant Pedro Carta Molino
est recrut pour assurer au sein de luniversit les cours de physique exprimentale
2668

GONZALEZ BERNALDO Pilar, op. cit., p. 83.


Le trois mars 1823, il est dailleurs demand aux professeurs quils publient leurs cours ; cf.
GUTIERREZ Juan Mara, op. cit., p. 247.
2670
Bonpland entame partir de janvier 1820 Buenos Aires une srie dobservations
mtorologiques qui concernent exclusivement la ville pendant prs dune anne, et sachvent en
1821 lors de son sjour aux Missions. Ces tables dobservation comptent parmi les plus anciennes
de la rgion ; elles incluent la date, lheure, la temprature, les vents, ltat du ciel ainsi que des
observations annexes.
2671
Le programme est cit par GUTIERREZ Juan Mara, op. cit., pp. 347-348. Neuf des quinze
axes de recherches concernent donc directement Bonpland.
2672
Cf. HALPERIN DONGHI Tulio, op. cit., pp. 34-38.
2669

693

Troisime partie

Chapitre VIII

parmi lesquels figure lhistoire naturelle 2673 . Octavio Fabricio Mossotti 2674 lui
succde en 1828 et dmissionne son tour en 1834, laissant derrire lui prs de
3 000 pices dhistoire naturelle2675 . Le cadre scientifique se rvle donc trs
instable ; Arsne Isabelle peut dplorer le fait que le programme de Rivadavia
nait eu quun commencement dexcution ; il dplore galement le dpart des
professeurs recruts par Rivadavia aprs la dmission de celui-ci, privant Buenos
Aires du statut de nouvelle Athnes 2676 .

Du laboratoire au dpt
Aprs lenlvement du Franais, le projet de jardin botanique nest
cependant pas abandonn. Les autorits porteas se montrent dsireuses de
relancer ce projet scientifique grce Rivadavia, dabord ministre en 1821 puis
lu la tte de la Confdration en 1826, qui tente une nouvelle fois de faire
germer une culture scientifique dEtat. Durant les annes 1820, ses dcisions
politiques font esprer un regain dactivit et la formation dun vritable
laboratoire. Cette fois, cest lEtat qui en est lorigine et qui montre sa volont
de crer la fois un dpt de matire premire et un lieu dtudes puisquen 1823
la cration du Muse saccompagne de celle dun jardin dacclimatation et dune
cole dagriculture pratique. Pierre Baranger est recrut pour diriger cette dernire
mais le gouverneur Juan Gregorio Las Heras la supprime en 1825. Quant au
jardin, il ne connat pas davance jusquau 6 juin 1826 lorsquun nouveau dcret
initi par Rivadavia relance le projet. Alexander Paul Sack est appel pour exercer
la fonction de jardinier botaniste des Provinces-Unies, Samuel Attwell tant
recrut en tant quassistant. Sack est en outre charg de rouvrir lcole
2673

Pedro Carta Molino ou Molina (1797?-1849?), docteur en mdecine de luniversit de


Turin, est exil Londres suite sa participation un mouvement rvolutionnaire pimontais
lorsque Rivadavia le rencontre. Dsign professeur de physique exprimentale et de mdecine en
avril 1826 luniversit de Buenos Aires, il dmissionne vers la fin de lanne suivante en raison,
notamment, daccusations dathisme profres contre lui. Sa trace se perd ensuite entre Turin et
Buenos Aires.
2674
Octavio Fabricio Mossotti (1791-1863) arrive Buenos Aires en 1827 pour y enseigner les
mathmatiques. Physicien dj prestigieux en Europe, il remplace Carta Molino avant de revenir
en Europe. Il poursuit sa carrire luniversit de Pise.
2675
MONTSERRAT Marcelo, Ciencia, historia y sociedad en la Argentina del siglo XIX, Buenos
Aires, Centro editor de Amrica latina, 1993, p. 87.
2676
ISABELLE Arsne, op. cit., p. 154.
694

Troisime partie

Chapitre VIII

dagriculture, assumant donc une fonction de chercheur et denseignant. La


recherche a lieu Buenos Aires dabord, dans les locaux attribus Sack, mais
aussi sur le terrain.
En effet le botaniste est tenu deffectuer chaque anne un voyage pour
collecter les plantes de chaque province, dans le but de raliser ltude exhaustive
du territoire des Provinces Unies. Rivadavia tente de mettre en place pour la
premire fois, en 1825, une politique dexploration systmatique du territoire.
Sack est aussi charg de crer un rseau de correspondants dans chaque province
afin de recevoir et propager les plantes les plus utiles sur lensemble du
territoire 2677 .
Cet immense projet est plac sous les auspices de luniversit, car deux
inspecteurs nomms par le recteur de celle-ci sont chargs de veiller au bon
fonctionnement des tablissements et dordonner les changements ncessaires 2678 .
Le nouveau jardin botanique est donc compltement dpendant de luniversit qui
lui confre en mme temps sa lgitimit institutionnelle, ce qui ntait pas le cas
pour Bonpland qui ne disposait pas du soutien de Rivadavia. Son dpart du
pouvoir met dailleurs fin au projet, puisque par un dcret sign le 14 fvrier 1828
le gouverneur Manuel Dorrego ordonne la fermeture dfinitive du jardin 2679 pour
permettre lagrandissement du cimetire de la Recoletta, arguant des faibles
rsultats obtenus. Sa collection de plantes transfre Santa Catalina, le Muse
perd une source de matire premire sans laquelle il ne peut soutenir dactivit
scientifique.
Le projet musographique est quant lui officiellement relanc le 31
dcembre 1823 2680 sous la frule de Bernardino Rivadavia qui, exhumant le projet
de Muse, le rebaptise du Pays et non plus dHistoire naturelle . En effet, le
Muse pens par Rivadavia nest plus uniquement consacr aux sciences
naturelles. Le dcret sign en 1823 place comme prambule et impulsion la
constitution du Muse les progrs et linfluence de la Bibliothque Publique sur
lducation du pays. Cest de plus le directeur de la Bibliothque, Manuel Moreno,
2677

Registro nacional. Provincias Unidas del Rio de la Plata, Libro primero, ao de 1825, Buenos
Aires, Imprenta de los Expositos, 1825, pp. 162-165.
2678
Ibid., pp. 164-165.
2679
Cf. MAROTTA F. Pedro, Antecedentes sobre la enseanza agrcola en el pas , in El
Monitor de la Educacin Comn, Buenos Aires, Consejo Nacional de Educacin. 1914, p. 323.
2680
Cf. CAMACHO Horacio H., The Italian Contribution to the Development of the Geologic
Knowledge of Argentina , in Bollettino di Geofisica teorica ed applicata, vol. 45, n
supplmentaire 2, novembre 2004, p. 19.
695

Troisime partie

Chapitre VIII

qui est charg dacclrer la constitution du Muse dans une perspective plus
encyclopdique que scientifique. Rivadavia lui demande en effet dorganiser des
collections dhistoire naturelle mais aussi dautres relatives la chimie, aux arts et
aux mtiers 2681 .
Cest en 1824, la faveur dune mission diplomatique entreprise par
Bernardino Rivadavia dans la capitale britannique, que les Italiens Pietro Carta
Molino, mdecin et naturaliste de formation et son assistant Carlos Ferraris sont
recruts par lentremise de la compagnie minire londonienne Hullet Brothers 2682 .
Sil dispose des cadres, le muse ne possde encore ni le lieu ni les objets
ncessaires son fonctionnement. Carta Molino trouve les collections dhistoire
naturelle probablement celles lgues par Muoz dans un tat si dtrior quil
se voit oblig de recommencer les collections 2683 .
Le but initial est donc de prsenter une vue panoramique des connaissances
et non de proposer un laboratoire spcialis et fonctionnel consacr lhistoire
naturelle, aucun lment du dcret neffleurant la question dune utilisation du
muse des fins autres que la simple exposition. En 1823, le muse mlange les
uvres dart avec le reste des collections 2684 . Rivadavia montre dune part que l
encore, il ne se contente pas de calquer le modle europen mais quil ladapte aux
moyens de son pays en proposant un muse rpondant davantage la situation
embryonnaire des sciences. Mais il en limite aussi la fonction de recherche,
puisquil est destin lexposition davantage qu la recherche avant lacquisition
dinstruments de physique en 1827.
En outre Manuel Moreno ne semble pas vouloir, ou pouvoir, impulser une
politique dacquisition indispensable pourtant au Muse 2685 . Charg den tudier
les potentialits et lextension, il propose en 1824 un plan de dveloppement des
collections essentiellement minralogiques encore plus fragile que celui de
1812. Il se pose dabord la question du rayonnement gographique du Muse, ne
sachant sil faut limiter le fonds la province de Buenos Aires ou llargir aux
2681

Decreto que ordena el establecimiento de un Museo de Ciencias Naturales, firmado por el


Ministro de Relaciones Exteriores y Gobierno, Bernardino Rivadavia , in La Gaceta de Buenos
Ayres, 31 dcembre 1823.
2682
PERAZZI Pablo, op. cit., p. 191.
2683
BEAUMONT John A. B., op. cit., p. 245.
2684
BALDASARRE Mara Isabel, Sobre los inicios del coleccionismo y los museos de arte en la
Argentina , in Anais do Museu Paulista [en ligne], vol. 14, n 1, janvier-juin 2006. URL :
http://www.scielo.br/scielo.php?pid=S0101-47142006000100010&script=sci_arttext#back1.
2685
Cf. LOPES Maria Margaret, op. cit., p. 290.
696

Troisime partie

Chapitre VIII

Provinces Unies 2686 . Cette hsitation vis--vis des acquisitions effectuer pose la
question de sa fonction provinciale ou nationale, en lien direct avec laffrontement
entre fdralisme et unitarisme, la question de la lgitimit scientifique du muse
renvoyant celle politique de la ville. Le muse, en tant que matrialisation dune
idologie, peut devenir un muse unitaire ou fdraliste. Cette hsitation peut tre
interprte aussi comme un manque dambition. Moreno le confirme en concluant
son rapport par la proposition de constituer le muse avec ce quil y a
disposition 2687 , ne tranchant ni politiquement ni scientifiquement.
Pourtant, entre 1825 et 1828 les sciences naturelles sont sur le point de
former un ple de recherche part entire, plusieurs tapes dterminantes tant
franchies. En effet, la cration dun jardin dacclimatation permet partir de 1825
permet dimpulser la recherche botanique et dalimenter le Muse. Si le budget de
luniversit pour lanne 1825 est consacr pour moiti aux Lettres, une partie est
dvolue au jardin dacclimatation et ltablissement dtudes de minralogie et
de gologie. Lcole dagriculture pratique est prvue la mme anne. Des tudes
de physique et de chimie diriges par Carta Molino en 1827 2688 puis par Mossotti
permettent lenseignement des sciences naturelles. De plus, le muse dispose
depuis 1826 dun emplacement dans lancien couvent de Santo Domingo 2689 . Il
ouvre cette anne ses portes au public sous la direction du successeur de Carta
Molino, Carlos Ferraris, lequel acquiert les instruments ncessaires aux cours de
physique et de nouvelles collections naturalistes.
En effet, la Crnica poltica y literaria annonce en juin 1827 que le cabinet
dHistoire naturelle doit runir les objets ncessaires lenseignement des
sciences physiques et naturelles 2690 . Le muse prend la forme dun laboratoire
dans la mesure o il concentre, au sein dun lieu propre, des fonctions
denseignement et de recherche ; la prsence dun jardin botanique et linstallation
dun observatoire astronomique assoient cette fonction. Il est aussi prvu
dinstaller un laboratoire de chimie, un cabinet de physique et un muse de

2686

Ibid.
Ibid.
2688
Cf. CAMACHO Horacio H., op. cit., p. 19.
2689
Cf. PERAZZI Pablo, op. cit., p. 191.
2690
An., Pedro Carta Molino. Mdico, fsico y promotor de la ciencia , in GOLDES Guillermo
(dir.), Proyecto Ameghino. Programa de Divulgacin Cientfica y Cultura FaMAF [en ligne], s.
d. URL : http://www.famaf.unc.edu.ar/tirabo/ameghino_old/biografias/moli.html.
2687

697

Troisime partie

Chapitre VIII

zoologie, minralogie et botanique 2691 . Les cadres recruts par les autorits
porteas disposent des instruments leur permettant de constituer un laboratoire ex
nihilo.
En 1827, un dbat samorce entre Bartolom Muoz et La Crnica poltica
y Literaria, les diteurs de celle-ci refusant dans un premier temps la collection
de Muoz le statut de savante , se justifiant ensuite de cette prise de position en
faisant remarquer que si la collection peut intresser, elle ne peut satisfaire la
curiosit des savants tant donn le travail de rcollection et de classification quil
reste faire 2692 . Au-del du constat, lexistence de ce dbat nous renseigne sur la
place quest en train de prendre lhistoire naturelle, car en suscitant la discussion
elle sort de lindiffrence et de la marge scientifique, elle est mise en avant. Le
dbat nous renseigne aussi sur les intentions de Rivadavia en 1827 vis--vis de
cette science, car sa dnonciation est un appel amliorer le travail de collecte et
de classification.
Cependant, la dmission de Rivadavia intervenue en 1827 fait craindre une
rapide dliquescence du Muse de Buenos Aires, son successeur supprimant le
jardin dacclimatation 2693 . Pourtant, le Muse se porte acqureur de 187 spcimens
en 1828 2694 . Alcide dOrbigny apporte sa pierre ldifice naturaliste porteo
puisquil offre Carlos Ferraris plusieurs exemplaires zoologiques 2695 . Au total,
entre 1828 et 1833 214 dons sont comptabiliss. Il sagit dune somme peu
considrable mais elle signifie que le muse continue fonctionner mme
faiblement et acqurir des fonds. La diversit des acquisitions est dailleurs la
preuve dune politique relativement active dans la mesure o elles proviennent des

2691

Ibid.
Cf. FURLONG Guillermo, Naturalistas argentinos durante la dominacin espaola, Buenos
Aires, Editorial Huarpes, 1948, pp. 381-383. La Crnica poltica y Literaria est une revue acquise
Rivadavia. Elle est dirige depuis mars 1827 par Pedro de Angelis, rcemment arriv dItalie
avec lEspagnol Jos Joaqun Mora, rdacteur pour La Crnica. Les deux hommes fondent ensuite
ensemble El Conciliador ; cf. FIGUEIRA Jos Joaqun, Franois de Curel, notas biogrficas y
bibliogrficas , in Boletn Histrico, Estado Mayor General des Ejrcito, Seccin Historia y
Archivo , 1959, n 80-83, p. 96.
2693
La faible activit qui touche lensemble de la vie scientifique est peut-tre davantage due la
situation financire catastrophique lgue par Rivadavia qu un manque de volontarisme ; cf.
HALPERIN DONGHI Tulio, op. cit., pp. 49-51.
2694
La dpense se monte 1 360 pesos ; cf. LASCANO GONZALEZ Antonio, op. cit., pp. 47, 71.
2695
ISABELLE Arsne, Voyage Buenos Aires et Porto Alegre, par la Banda-Oriental, les
missions dUruguay et la province de Rio-Grande-do-Sul de 1830 1834, suivi de Considrations
sur ltat du commerce franais lextrieur, et principalement au Brsil et au Rio-de-la-Plata, Le
Havre, Imprimerie J. Morlent, 1837, p. 162.
2692

698

Troisime partie

Chapitre VIII

achats du gouvernement, des dons de particuliers et des recherches dun


naturaliste.
Nanmoins, le plan de travail indiqu par Moreno au responsable du
Muse est inexistant ; les responsables sont confins dans des tches secondaires.
Ferraris dtient depuis 1829 lautorisation dexercer comme pharmacien. Sa
boutique, probablement cre pour subvenir ses besoins, se situe face au couvent
de Santo Domingo. Ferraris, anim selon Isabelle par le zle quil a mis la
conservation et laugmentation des objets , dcrit encore comme un de ces
vrais philanthropes qui ne perdent jamais loccasion dtre utile lhumanit2696 .
DOrbigny lui aussi rend hommage au travail de Ferraris en lui ddicaant
quelques spcimens rcolts en Amrique du Sud 2697 ; il peroit mme plus
gnralement un renouveau de lintrt des locaux pour ltude des fossiles et
espre beaucoup de leurs travaux, particulirement sous limpulsion de Pedro de
Angelis 2698 . Cette impression se rvle trompeuse mais elle est notre
connaissance la seule mentionnant lexistence dune communaut naturaliste
rioplatense active lors de la premire moiti du XIXe sicle 2699 .
Il nen demeure pas moins que la production scientifique, dans le domaine
de lhistoire naturelle, demeure faible. La question de la production scientifique
pose le problme de lappropriation des savoirs, de laquelle dpend la naissance
dune littrature scientifique nationale. Dans les Provinces Unies, une premire
appropriation a lieu par le biais des revues. Entre 1822 et 1823 la Abeja Argentina
publie au cours de sa brve existence des articles en relation avec lhistoire
naturelle. Les thmes abords concernent la mdecine, la minralogie, la chimie,
lagriculture et lastronomie, cette revue tant considre comme un embryon de
revue scientifique 2700 . Les Anales de la Academia de Medicina de Buenos Aires,
2696

Ibid., pp. 31, 161-162.


Lauteur fait certainement allusion au travail de Ferraris qui tente alors driger un Musum
Buenos Aires, probablement pas linstitution elle-mme comme le suggre Horacio H.
CAMACHO, The Italian Contribution to the Development of the Geologic Knowledge of
Argentina , in Bollettino di Geofisica teorica ed applicata, vol.45, n supplmentaire 2, Sgonico,
Istituto Nazionale di Oceanografia e di Geofisica Sperimentale, novembre 2004, p.19.
2698
Ibid. ; ORBIGNY Alcide d, Voyage dans lAmrique mridionale, tome III, 4e partie,
Palontologie, 1842, pp. 13-14, 23.
2699
Le rcit de dOrbigny est publi en 1842, mais son voyage a lieu lors de la seconde moiti des
annes 1820. Ses impressions corroborent larrive de Pedro de Angelis Buenos Aires, en 1827,
qui est un des intellectuels recruts sous le gouvernement de Rivadavia, entre 1826 et 1827.
2700
CERUTTI Rubn A., La matemtica en La Abeja Argentina , in Comunicaciones
Cientficas y Tecnolgicas [en ligne], Corrientes, Universidad del Nordeste, 2005. URL :
http://www.unne.edu.ar/Web/cyt/com2005/8-Exactas/E-002.pdf.
2697

699

Troisime partie

Chapitre VIII

vritable projet de divulgation scientifique, connaissent une existence plus fugace


encore puisquelles paraissent en 1823 uniquement. La Crnica poltica y literaria
en 1827, et surtout la Gaceta Mercantil dite de 1823 1852 jouent un rle de
divulgateur scientifique.
Au cours des annes 1820, seuls les Europens produisent des rcits de
voyages dont la plupart nont pas de caractre scientifique. Les savants
susceptibles dapporter des connaissances tels Jules Dumont DUrville et James
Weddell se contentent deffleurer le territoire rioplatense 2701 . Lexpdition
effectue en 1822 par Pedro Andrs Garca et Jos Mara de los Reyes au sud de
Buenos Aires savre trs limite du point de vue de la collecte 2702 . Cependant, le
gouvernement ne manque pas loccasion demployer les rares scientifiques
touchant terre Buenos Aires, et pas seulement Rivadavia qui manque dailleurs
le recrutement dAlcide dOrbigny. Cest le gouverneur Dorrego qui, profitant en
1828 du passage du naturaliste franais, lui propose un voyage dexploration de la
Pampa et de la Patagonie. Les buts sont avant tout cartographiques, dOrbigny
devant originellement reconnatre le ro Colorado avec Narcisse Parchappe, qui,
lui, est recrut par les gouvernements de Corrientes et de Buenos Aires avant de
revenir en France en 1830 avec toute la documentation rassemble en
Amrique 2703 . Le voyage de dOrbigny en Patagonie a bien lieu mais le
gouvernement ne profite pas de la collecte effectue par le naturaliste 2704 .
Malheureusement, le dpart de Rivadavia joint une dgradation politique
freine lessor des sciences naturelles. Pietro Carta Molino est le premier concern
puisquil dmissionne la fin de lanne 1827 ou au dbut de lanne 1828,
quelques mois aprs le dbut de ses cours de physique exprimentale intgrant
lhistoire naturelle 2705 . En outre, lphmre jardin dacclimatation nest pas runi
au Muse avant sa fermeture en 1828, et ni Carta Molino ni Ferraris ne se voient
2701

Weddell se rend sur les rives des ros Negro et Colorado ainsi que le long des ctes
patagoniques en 1822.
2702
Cf. ANGELIS Pedro de (d.), Diario de la expedicin de 1822 a los campos del sud de
Buenos-Aires, desde Morn hasta la Sierra de la Ventana; al mando del coronel D. Pedro Andrs
Garca con las observaciones, descripciones y dems trabajos cientficos, ejecutados por el oficial
de ingenieros D. Jos Mara de los Reyes [en ligne], in Coleccin de obras y documentos
relativos a la Historia Antigua y Moderna de las provincias del Ro de La Plata. Tomo Cuarto,
Buenos
Aires,
Imprenta
del
Estado,
1836.
URL :
http://bib.cervantesvirtual.com/servlet/SirveObras/acadLetArg/01159185653470465210035/index.
htm.
2703
Cf. KIRCHEIMER Jean-Georges, op. cit., pp. 307-315.
2704
ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, pp. 495-501 ; tome II, 1839-1843, pp. 319-320.
2705
Cf. CAMACHO Horacio H., op. cit., p. 19.
700

Troisime partie

Chapitre VIII

offert la possibilit de construire ce qui reprsente la pierre angulaire dun


laboratoire, ne disposant pas mme des moyens dentretenir des collections de
plantes sches 2706 . Faute de matire premire ordonne, la fonction de dpt de
curiosits remplace celle de Musum la fin des annes des annes 1820 et
empche une construction scientifique ex nihilo de valeur.

Les projets coopratifs aprs la parenthse paraguayenne


En 1832 Bonpland nvoque pas le Muse lors de son sjour Buenos
Aires. En revanche il rencontre le physicien et astronome italien Octavio Mossotti,
successeur de Carta Molino de 1828 1834 la chaire de physique exprimentale.
Mossotti perfectionne pendant ce laps de temps lobservatoire astronomique mis
en place par son compatriote, auquel il ajoute un cabinet mtorologique. Nomm
aussi ingnieur du Dpartement de Topographie, Mossotti cumule les fonctions et
les travaux, ce qui nempche pas Bonpland de penser quil
serait mieux plac dans un des premiers observatoires dEurope que dans
celui de Buenos-Ayres

2707

laissant transparatre la pitre estime dans laquelle le Franais tient les sciences
porteas. En cho aux reproches du Franais, Mossotti retourne en Europe deux
ans aprs leur rencontre. Avec le dpart de lItalien, Buenos Aires perd loccasion
de fonder un ple scientifique dexcellence. Le dpartement de Sciences Exactes
cesse de fonctionner, le laboratoire de chimie est remis dans une cave o il est
retrouv en 1852 quasiment inutilisable. Quant au cabinet de physique, il est
confi aux jsuites avec tout le matriel et les meubles.
Malgr ltat dgrad des sciences naturelles quil constate, Bonpland
sengage envers les autorits rioplatenses. Il y a l une continuit de la
coopration scientifique entame Bonpland simpliquant dans des projets de
fondation dune tradition scientifique rioplatense presque immdiatement aprs sa

2706

Nous navons pas retrouv de correspondance entre le personnel du muse et celui du jardin. Il
est impossible de dire en ltat actuel des recherches si une collaboration a t initie entre les deux
institutions.
2707
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 1er juin 1832, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 87.
701

Troisime partie

Chapitre VIII

libration, la parenthse paraguayenne ne remettant pas immdiatement en cause


sa participation la fondation dune tradition scientifique.
Le premier document relatif une offre postrieure sa libration est crit
par Bonpland Buenos Aires en 1832 2708 . Il sagit du projet de complexe agricole
bonaerense, dont le fonctionnement est dtaill dans le chapitre prcdent2709 mais
dont le destinataire nous est inconnu. Or, il sagit dun travail ralis sur
commande, puisque Bonpland conclut son mmoire
daprs le peu de donnes [quil a] sur la direction quon se propose de lui
donner,

ajoutant quil sengage le modifier ds que dautres lments lui seront fournis.
En outre, ce projet est ralis alors que Bonpland loge Buenos Aires chez Pedro
de Angelis, figure centrale de la culture et relais indispensable auprs des autorits
bonaerenses. Enfin, lampleur du projet qui vise fournir en comestibles la villeport et qui prvoit un excdent destin lexportation ne laisse aucun doute quant
limplication du gouvernement. Tel quil est esquiss, le projet dpasse le stade
du jardin botanique puisquil redessine le centre et la priphrie de Buenos Aires
en y implantant trois ceintures agraires fondes sur trois tablissements se
soutenant mutuellement. Cest donc un immense projet durbanisme fond sur
lagriculture.
Cest aussi une raison suffisante pour rester encore en Amrique, dautant
quil correspond cette date au got prononc de Bonpland pour lagriculture
pratique, hrit de son sjour forc au Paraguay. On peut lire sur le brouillon
dune lettre adresse Humboldt en 1832 :
une ide qui me sourit beaucoup lorsque je pense leurope est lespoir
de moccuper pratiquement dagriculture. Pendant ma dtention au
Paraguay jai prouv dans la culture en grand des consolations que je
voudrais mler avec les publications dont jaurai necessairement
moccuper lors de mon retour en france.

2710

Les objectifs scientifiques demeurent transatlantiques, comme en 1817. Mais ils


apparaissent cloisonns, puisque le savant slectionne davantage les informations
scientifiques quil donne aux Europens et aux Amricains. Le double discours
des premires annes rioplatenses se poursuit.
2708

AMFBJAD n 1215, projet de complexe agricole bonaerense, Buenos Aires, 21 juillet 1832.
Cf. chapitre VII, pp. 655-656.
2710
AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
2709

702

Troisime partie

Chapitre VIII

La fragmentation du pays entrane la fragmentation des sciences mais par


contrecoup lapparition de nouvelles opportunits de dveloppement scientifique.
Lautonomisme et la concurrence entre provinces explique lexistence
dalternatives au laboratoire porteo. Ainsi, ds sa sortie du Paraguay des offres
proviennent de Corrientes et de Tucumn visant tablir une construction
scientifique vers lInterior. Les contacts tablis avec le gouverneur de Tucumn
Alejandro Heredia laissent prsager une collaboration similaire celle envisage
en 1817 Buenos Aires. En outre, Bonpland renoue du mme coup avec son
projet dexploration dans la province de Tucumn dj esquiss en 1819 2711 . Le
savant confirme en 1832 au gouverneur Heredia son dsir de dvelopper les
sciences naturelles dans le pays. Alors que le Rioplatense lui offre sa protection
pour herboriser 2712 , Bonpland sengage en ces termes :
je ferai tous mes efforts pour appuyer vos vues scientifiques et jespre
publier sparment lhistoire naturelle de la province de Tucumn et
former dans la capitale un cabinet de tout ce que contient le pays

2713

La correspondance de Bonpland et Heredia date des mois daot et


septembre 1832, cest--dire au moment o la province jouit dune priode de
paix. En outre, le gouvernement tucumao est engag sous le mandat dHeredia en
faveur des sciences et de lducation 2714 . Nanmoins ce projet priclite, Bonpland
ne se rendant pas dans cette province et finalement un doute subsiste quant la
nature de cet engagement. En effet, Bonpland parle de former un cabinet dans la
capitale ; mais sagit-il de la capitale de Tucumn ou de celle du pays ? Stephen
Bell interprte la rponse du Franais au gouverneur comme un refus poli 2715 , ce
qui est plausible sil est question de Buenos Aires. Cependant, tant donn
lautonomie dont disposent alors les provinces il parat vraisemblable que
Bonpland voque la capitale de la province tucumaa. De surcrot, aucun lment
nindique par ailleurs son intention de former un cabinet Buenos Aires puisque
la capitale portea dispose dj dun local et dune quipe.

2711

AMFBJAD n 1589, J. A. Molina Bonpland, Tucumn, 4 aot 1832.


AMFBJAD n 1590, A. Heredia Bonpland, Tucumn, 4 aot 1832.
2713
hare todos mis esfuerzos para ayudarle en sus miras scientificas y espero publicar
separadamente la historia natural de la Provincia de Tucuman y formar en la capital un cabinete de
todo lo que contiene el pays , ibid.
2714
Cf. NEWTON Jorge, Alejandro Heredia, el protector del norte, Buenos Aires, Plus Ultra,
1972.
2715
BELL Stephen, op. cit., p. 91.
2712

703

Troisime partie

Chapitre VIII

Bonpland soriente aussi vers une coopration avec la province de


Corrientes, laquelle lui propose par lintermdiaire du gouverneur Pedro Ferr de
retourner cultiver la yerba mate dans la mme rgion o, pour les mmes raisons
un conflit frontalier et commercial il a t enlev douze ans plus tt. Bonpland,
enthousiaste dans un premier temps, revient rapidement sur sa dcision. En effet,
les relations se tendent de nouveau entre Corrientes et le Paraguay et, au moment
o Bonpland fait part de son projet Humboldt, la guerre clate entre Corrientes et
le Paraguay propos de lappartenance de la province frontalire des Missions2716 .
Aussi retarde-t-il son voyage ; devant se mettre en route en avril, il ne part pas
avant octobre 1832 2717 .
Aucun autre projet de ce type ne semble fleurir dans lInterior de
lArgentine. Crdoba, lautre ville susceptible daccueillir les sciences naturelles
au sein de son universit la seule existante avec celle de Buenos Aires nen fait
rien. En 1808, le nouveau recteur Gregorio Funes introduit ltude des
mathmatiques au sein de luniversit mais les sciences naturelles sont maintenues
lcart. Il faut attendre la prsidence de Domingo Sarmiento, entre 1868 et 1874,
pour que les sciences exactes et les sciences naturelles soient intgres au
programme dtudes. Le prsident nomme en 1869 Hermann Burmeister au poste
de directeur de la nouvelle Academia Nacional de Ciencias bientt transforme en
Facult des Sciences Physicomathmatiques intgre luniversit de Crdoba.
En 1833, Bonpland retourne dans les missions alors que la situation
politique na pas volu depuis son enlvement. Il sy fixe la mme anne en
acqurant une chacra qui peut servir de point dappui pour mener ses entreprises
conomico-scientifiques. Cest aussi une base pour mener ses explorations
auxquelles il na pas renonc. Il sappuie alors sur des projets plus ou moins
esquisss avec les provinces de Buenos Aires, Corrientes et Tucumn. Bonpland
est en cela fidle sa stratgie de collecte dallis scientifiques multiples lui
permettant de contrebalancer linexistence dun rseau scientifique rioplatense.

2716

FERRE Pedro, op. cit., pp. 80-86. Bonpland fait part de la proposition de Ferr alors que le
conflit entre Corrientes et le Paraguay, dclench au dbut de lanne 1832, se durcit et culmine en
1833, lorsquil est question de couper la route de Itapa So Borja passant par la province
conteste des Missions, lien commercial vital pour le Paraguay, et dclar sous lgislation de
Corrientes le premier septembre 1832 ; cf. CHIARAMONTE Jos Carlos, op. cit., pp. 87-89.
2717
Bonpland A. Raffeneau-Delile, Buenos Aires, 8 aot 1832, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., p. 92.
704

Troisime partie

Chapitre VIII

2. Un terrain de passage
Au dbut des annes 1830, les bonapartistes arrivs entre 1815 et 1820 au
plus tard parlent de retourner ou retournent effectivement en Europe. Dominique
Roguin lvoque mais comme Bonpland choisit de poursuivre laventure
conomique ; Narcisse Parchappe revient en France relancer sa carrire
scientifique 2718 . Il ny a pas de comportements prdfinis, ladaptation
lenvironnement politique tant la rgle. Pour sa part, Bonpland se montre en 1832
impatient de retourner en Europe et y vivre au milieu de la civilisation 2719 . Il
abandonne lide dune publication distance, et envisage aprs sa dtention au
Paraguay dexplorer le Ro de la Plata puis de soccuper personnellement de
ldition en Europe 2720 . Il confie la mme anne un Amricain, le gouverneur de
Tucumn Herrera, son intention de rentrer en Europe terme 2721 . Bonpland se
projette dsormais sur le continent europen mme sil persiste dabord vouloir
fonder un centre scientifique au Ro de la Plata. Le Ro de la Plata qui en 1817
offre la possibilit de constituer un terrain et un laboratoire devient uniquement un
terrain partir de 1831.

La distanciation vis--vis des sciences naturelles priphriques


Lors de la geste indpendantiste, lensemble des voyageurs saccordent
avec les Croles pour dsigner comme cause du retard scientifique rioplatense
lobscurantisme espagnol. Cependant, labandon dans lequel est laisse lhistoire
naturelle durant la geste patriotique les amne se questionner sur cet tat de
stagnation. Alcide dOrbigny se rfre comme Arsne Isabelle au rle des
trangers trop rapidement repartis et lespoir de voir natre en Amrique du Sud
une cit digne des cits grecques antiques grce luvre de Rivadavia.
DOrbigny cherche les causes de son chec dans le caractre des habitants. Ainsi

2718

AMFBJAD n 1588, N. Parchappe Bonpland, Buenos Aires, 9 novembre 1829.


AMFBJAD n 567, Bonpland F. Dickson, Buenos Aires, 27 mars 1832.
2720
Ibid. ; AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
2721
AMFBJAD n 1591, Bonpland A. Herrera, Buenos Aires, 15 septembre 1832.

2719

705

Troisime partie

Chapitre VIII

dplore-t-il que le projet de lhomme dEtat se rvle prmatur dans ltat


actuel de la civilisation des habitans 2722 . La ville
qui, en 1824, paraissait vouloir rivaliser avec nos cits antiques, par des
tablissemens de tout genre destins former une gnration savante, et
qui est tombe, tout coup, du despotisme dans lanarchie

2723,

sest effondre car elle est trop subitement passe de la servitude tablie par les
Espagnols, au rgime de libert claire que lui mnageait Rivadavia 2724 . En
effet, le gouverneur voulut amliorer trop vite le pays en faisant de Buenos
Aires une ville europenne alors quelle est, selon lauteur, peine sortie du
joug obscurantiste espagnol 2725 .
Ce sont les mentalits qui sont la cause de labsence dintrt pour cette
matire selon dOrbigny ; Arsne Isabelle complte cette thse en expliquant
quau gouvernement trop clair de Rivadavia a succd celui form par une
coterie jsuitique plongeant de nouveau la province portea dans la servitude
de linquisition de conscience 2726 . Aim Bonpland tmoigne son tour de
lignorance dans laquelle est plonge Buenos Aires en 1832, pas une me
nayant connaissance des ouvrages de Humboldt 2727 . Il note propos des
professeurs ayant tent de lcarter douze ans plus tt :
saenz est mort, ribero a t chass de Buenos-Ayres enfin fernandez et
algeric vgtent tristement

2728.

Si, selon Bonpland, Fernndez et Algerich vgtent, cest en tant que


professeur de pathologie et mdecine clinique de luniversit et membre du
2722

ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835, p. 84. DOrbigny les juge encore fanatiques ; ce
trait de caractre est daprs le voyageur celui qui fait le plus de mal Rivadavia . Ils sont
encore dcrits comme superficiels, frivoles, enclins la rapine et la dilapidation, indiffrents la
chose publique ; cf. ibid., pp. 491. 510-513.
2723
Ibid., p. 478.
2724
Ibid., p. 84.
2725
Ibid., pp. 492-493.
2726
ISABELLE Arsne, op. cit., p. 182. Ds 1818, un auteur rest anonyme parcourt les Provinces
Unies de la Plata. Son rcit publi en 1818 a pour but de dsabuser le reste de [ses] compatriotes
sur un pays misrable, inhospitalier, et qui na rien des grandes vues politiques quon lui
suppose , cit in DUVIOLS Jean-Paul, Voyageurs franais en Amrique. Colonies espagnoles et
portugaises, Paris, Bordas, 1978, p. 205. Jullien Mellet offre lui aussi un tableau assez sombre des
alentours de Montevideo ; cf. ibid., pp. 208-209
2727
AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832. Concernant ltat
politique qui freine le dveloppement, le mme contraste entre un potentiel agricole et commercial
immense et une situation politique chaotique empchant le dveloppement peut se lire chez
dautres voyageurs. Beaumont constate cette fracture qui ne peut se rsoudre, pour le bien du pays,
que par une rforme complte des principes moraux et politiques, et par un changement dattitude
des gouvernants rioplatenses ; cf. BEAUMONT John A. B., op. cit., p. 267.
2728
AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, juin 1832.
706

Troisime partie

Chapitre VIII

Tribunal de Mdecine pour le premier ; le second ne semble pas exercer de


fonction publique majeure en 1832 mais demeure connect au milieu mdical
universitaire puisquen 1833 il prend la tte du dpartement de mdecine au sein
du nouveau Conseil Directif de luniversit portea, puis prside lanne suivante
la commission charge de mettre en place un Conseil Suprieur universitaire dans
le domaine pharmaceutique. Les deux hommes Fernndez srement et Algerich
possiblement demeurent donc au cur du systme universitaire, Fernndez ayant
en charge des postes honorifiques. Le jugement de Bonpland vise indirectement le
cadre scientifique ; travers les hommes cest luniversit de Buenos Aires qui
vgte tristement 2729 .
Au dbut des annes 1830, Arsne Isabelle dcrit le muse comme un
cabinet de curiosit dont la principale qualit est dtre un ornement pour la
ville. Il regrette ltat de vgtation dans lequel il se trouve, surtout en labsence
danimation scientifique. Maria Margaret Lopes explique que la collection de
matriaux gologiques savre tre de peu dutilit en labsence de catalogue 2730 ,
mais lorsque Bonpland se rend Buenos Aires en 1832 il trouve cette collection
de roches du Brsil qui nest pas nominative mais quil attribue Sellow
encore bien dtermine 2731 . Il contient en outre une collection zoologique
conserve et classe par Ferraris daprs la nomenclature de Flix de Azara 2732 .
LItalien est reconnu pour la qualit de son travail, notamment en ce qui concerne
la taxidermie, mais son travail de prparateur semble demeurer prcaire car
Arsne Isabelle lui offre laide de son prparateur afin de naturaliser quelques
animaux 2733 . Le muse contient au dbut des annes 1830 suffisamment dobjets
pour dvelopper un enseignement :

2729

Il semble que Bonpland ne rencontre pratiquement aucun scientifique local lors de son sjour
porteo. Aucune de ses notes ne mentionne les cadres universitaires ni ce qui est plus surprenant
Carlo Ferraris et le muse.
2730
Cf. LOPES Maria Margaret, O Brasil descobre a pesquisa cientfica : os museus e as cincias
naturais no sculo XIX, So Paulo, Hucitec, 1997, p. 63.
2731
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 1er juin 1832, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 86. Cette collection correspond probablement celle amene par Carta Molino de Turin,
comportant 720 pices ; cf. MONTSERRAT Marcelo, op. cit., p. 85.
2732
AGUILAR H. A., Manuel Ricardo Trelles, organizador del Museo , in El Carnoteurus,
Boletin del Museo Argentino de Ciencias Naturales Bernardino Rivadavia, XIe anne, n 111,
fvrier 2010, pp. 6-7.
2733
ISABELLE Arsne, op. cit., pp. 31, 161-162 ; CAMACHO Horacio H., op. cit., p. 19. Lauteur
fait certainement allusion au travail de Ferraris qui tente alors driger un Musum Buenos Aires,
probablement pas linstitution elle-mme comme le suggre Horacio H. Camacho.
707

Troisime partie

Chapitre VIII

On pourrait faire un cours complet dhistoire naturelle avec ce quil y a


dans le cabinet

2734

explique Arsne Isabelle. Lenseignement des sciences naturelles figure toujours


au programme aprs la rforme universitaire de 1833 mais avec le dpart de
Mossotti lanne suivante il cesse de fait de fonctionner, avant dtre supprim en
1838.
Carlos Ferraris lui succde mais prsente son tour sa dmission
rapidement le 29 mars 1836 arguant que faute de moyens pour btir un
laboratoire scientifique, la fonction de directeur du Muse Public peut tre exerce
par nimporte quelle personne dintelligence moyenne 2735 . Sa dmission nest
pas accepte, aussi demeure-t-il son poste jusquen 1842. Il semble que durant
cette priode la gestion de Ferraris est quasiment nulle, le lieu ouvert au public
devant dsormais se contenter dune fonction dexhibition. Aucune source
nindique la prsence dun autre scientifique ses cts, alors que sous la
direction de ses prdcesseurs, Ferraris semble tre le vritable animateur du
muse, Juan Mara Gutirrez lui octroyant le titre de fondateur du muse 2736 . Son
successeur, Antonio Demarchi, le remplace aussi la tte de sa pharmacie. Ses
multiples activits comme consul, pharmacien, luthier, commerant et propritaire
terrien laissent peu de place pour la direction du muse 2737 . Il est vident que le
cumul de ces activits est le signe dune direction plus honorifique que relle.
Au vu de ltat des sciences naturelles, on comprend cette affirmation du
botaniste :
Jai constamment refus les offres gnreuses du gouvernement dici, de
me donner un emploi lucratif

2738

crit Bonpland en 1837 depuis Buenos Aires. Il sagit doffres effectues partir
de 1831, puisquil accepte celles faites jusquen 1821. Quelles sont ces offres, et
pourquoi Bonpland les refusent-il ? Le botaniste, prolixe mais trop rarement
explicite, nous oblige encore une fois user des recoupements.

2734

ISABELLE Arsne, op. cit., p. 161.


por cualquier persona de mediana inteligencia , cit in LASCANO GONZALEZ Antonio,
op. cit., p. 53.
2736
MONTSERRAT Marcelo, op. cit., p. 87.
2737
PERAZZI Pablo , op. cit., p. 191.
2738
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 2 mars 1837, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., pp. 122-123.
2735

708

Troisime partie

Chapitre VIII

Pouvant perdre sa nationalit sil est prouv quil travaille au service de


son pays daccueil, Bonpland se rattache invariablement celle-ci. Ce processus
dresse une barrire lintgration de cadres comme lui dans la jeune rpublique du
Ro de la Plata et les poussent demeurer proches de leurs pays dorigine.
Cependant, les scientifiques peuvent bnficier dune drogation comme le prouve
Demarchi qui cumule le poste de directeur du Muse Public avec celui de consul.
Bonpland nest pas non plus inquit entre 1817 et 1821 mais le rgime de Rosas
durcit, partir de 1835, les lois relatives la perte de nationalit. En 1836, le
Suisse Hyppolite Bacle pense immigrer en Bolivie ou au Chili lorsque ses rapports
avec Rosas se dtriorent 2739 . Ce durcissement se traduit pour Bonpland par un
travail effectu dans le seul but de fournir la France, dautant que la perte de sa
nationalit entranerait celle de sa pension.
En 1837 le botaniste manifeste le projet de crer son propre jardin dans la
province de Corrientes, mais cette fois sans aucun lien avec une institution
scientifique. Ce nouveau Malmaison 2740 situ Santa Ana est destin devenir
un jardin dacclimatation, de culture et dlevage priv. Le choix de se diriger vers
la construction dun laboratoire priv dans lInterior marque une tape
supplmentaire du chercheur-entrepreneur vers une privatisation des savoirs. Le
dfi est immense puisquen 1838, il voque les obstacles mis la constitution dun
jardin botanique loccasion de la demande de son compatriote Alexandre Eyris,
dsireux de former un jardin de cactus en France :
Comme vous je desirerais bien les runir dans un jardin! Dans un pays
comme celui-ci tout est difficult et pour russir dans une entreprise
semblable il faudrait une patience dange, vaincre des difficults quil
vous est impossible de calculer et encore il serait bien difficile de
russir.

2741

Quelles sont ces difficults ? Bonpland ne les dtaille malheureusement


pas son interlocuteur, cependant la constitution dun fonds de plantes vivantes
demande une infrastructure couteuse, spcialement sous un climat tempr comme
celui de Buenos Aires o les collections ncessitent des serres adaptes 2742 , des
personnes qualifies pour sen occuper et un public susceptible de faire germer
2739

AMFBJAD n 901, H. Bacle Bonpland, Buenos Aires, 15 aot 1836.


AMFBJAD n 911, Bonpland Delessert, Corrientes, 28 mars 1838.
2741
AMFBJAD n 436, Bonpland A. Eyris, Corrientes, 28 mars 1838.
2742
A ce titre, Manuel de Sarratea insiste sur lobstacle climatique au dveloppement botanique
Buenos Aires ; AMFBJAD n 209, M. de Sarratea Bonpland, Buenos Aires, 30 juin 1835.

2740

709

Troisime partie

Chapitre VIII

une tradition scientifique. Les checs des annes 1820 montrent les limites dans
ces domaines. Il nest plus alors question, ni pour Bonpland ni pour dautres
hormis Thorndike et Constantin Buenos Aires ddifier un jardin botanique
susceptible dalimenter un laboratoire jusquau dbut des annes 1850. Pour sa
part, Bonpland opte pour la reproduction du modle de Malmaison-Navarre qui
repose sur sa viabilit conomique favorise par le climat subtropical de Santa
Ana.
Si les motifs du refus doffres de la part du gouvernement de Buenos Aires
semblent clairs, la nature de ces offres est saisissable. Lors de ses deux sjours
effectus en 1832 et 1836-37 Buenos Aires, le premier donne lieu un projet de
complexe agricole bonaerense qui peut tre rang parmi les offres, car si
Bonpland se montre prt le mettre excution rien nindique quil nait pas
finalement refus de le raliser. Le projet de former un cabinet dhistoire naturelle
Tucumn est aussi placer dans les offres refuses, Bonpland prfrant
dvelopper des socits prives buts scientifico-commerciaux. La socit forme
afin dexplorer le haut de lUruguay et de dvelopper une entreprise agricole
sinscrit dans cette logique, avant que Bonpland ne prfre la stabilit dune quinta
Santa Ana. Le second et dernier sjour porteo avant une dernire visite de
quelques jours en 1854 en 1836-37 est, notre connaissance, essentiellement
consacr la mise au point dentreprises prives. Le botaniste loge chez Pedro de
Angelis et se trouve donc au centre du rseau intellectuel et politique de la ville.
Mais absolument aucun document ne prouve quon lui propose un projet ou un
poste 2743 .
Bonpland prend peut tre en compte loffre manant de Teodoro Miguel
Vilardeb. Les premiers contacts stablissent en 1833 et ds 1834, celui-ci lui
propose de venir travailler Montevideo, le gouvernement uruguayen lui allouant
une chaire de Botanique et dAgriculture afin de fonder un centre et une tradition
scientifique sur lautre rive du ro de la Plata 2744 . Loffre correspond exactement
aux ambitions du Franais de dvelopper lagriculture pratique. Cependant
Bonpland ny donne pas suite, les changes pistolaires entre les deux hommes se
2743

Mme sil est tentant de penser qu cette poque Ferraris souhaite partir et quon ait pu lui
proposer de le remplacer. Le refus serait dans ce cas facilement explicable, le muse tant
quasiment labandon daprs Ferraris et noffrant, moins dune proposition suffisamment
attirante pour intresser Bonpland, aucun projet de dveloppement scientifique.
2744
AGNM, III, Catlogo de libros, Historia de la administracin, n 5050, Consejo de Higiene,
libro de actas 1831-1834.
710

Troisime partie

Chapitre VIII

poursuivant nanmoins pisodiquement durant la dcennie. Deux ans aprs que


Bonpland hsite simpliquer et affirme quil souhaite le faire vis--vis de la
Confdration Argentine, son projet scientifique nest alors plus tourn vers
lAmrique mais vers lEurope.
Tout du moins nest-il pas tourn vers lUruguay, ltroitesse du champ
dinvestigation naturaliste pouvant expliquer ses rticences. Mais les preuves
abondent dans le sens dune europanisation des recherches du Franais. En 1838,
Manuel de Sarratea, en poste Rio de Janeiro, propose dinterfrer pour lui
obtenir la direction du Jardin botanique 2745 . Bonpland refuse de nouveau une offre
qui lui ouvre pourtant un champ dinvestigation immense, dautant que les liens
sont rompus avec cette ville depuis que Boissire, son interlocuteur auprs du
jardin, est retourn en France en 1832 2746 . Il laisse avant son dpart une
description peu flatteuse de Custdio Alves Serro et du jardin quil dirige de
1828 1847 2747 . Lindigo demand par Bonpland ne sy trouve pas, quant aux
autres chantillons envoys ils ne sont pas de bonne qualit mais, explique
Boissire, ltablissement nest pas trs habile. Le directeur qui se conduit en
vque du bon vieux temps ne rside pas . Il est aimable mais pour lui demander
une faveur, il est prfrable de le faire par lintermdiaire dune femme.
Intellectuellement enfin, il ne parat pas devoir faire de rvolution dans la
Botanique 2748 . Tout joue en faveur de Bonpland, mais ses projets se situent entre
Corrientes et So Borja dabord o il dveloppe ses entreprises agraires, en France
ensuite o il pense revenir.

Labsence de dynamisme scientifique


Linventaire de la nature passe au second plan des proccupations
rioplatenses. En ce sens, les efforts cartographiques esquisss au cours des annes
1820 se confirment au cours des annes 1830. Ainsi, lexploration du ro Bermejo
programme ds 1826 se concrtise en 1832 grce au voyage de Jos Arenales.
2745

AMFBJAD n 218, M. de Sarratea Bonpland, Rio de Janeiro, 18 septembre 1838.


AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
2747
Avec deux interruptions, entre 1822 et 1823, et entre 1835 et 1837, ladministration intrimaire
tant confie Joo de Deus de Matos.
2748
AMFBJAD n 412, A. Boissire Bonpland, Rio de Janeiro, 20 octobre 1832.
2746

711

Troisime partie

Chapitre VIII

Lingnieur Nicolas Descalzi est quant lui nomm par Rosas ingnieur,
hydrographe et astronome auprs du corps expditionnaire de la campaa al
Desierto en 1833. Il sagit defforts notables pour acqurir des connaissances,
mais les proccupations naturalistes passent au second plan.
Le faible dynamisme des sciences naturelles au Ro de la Plata se reflte
dans la production littraire 2749 . Jos Arenales est lun des rares Rioplatenses
publier in situ un ouvrage de gographie historique, les Noticias historicas y
descriptivas sobre el gran pais del Chaco y Rio Bermejo : con observaciones
relativas a un plan de navegacion y colonizacion que se propone dites en 1833.
En 1831, lItalien Nicols Descalzi publie grce limprimerie Bacle une carte de
la navigation du Bermejo. Arenales va plus loin en proposant une tude complte
du fleuve ; dOrbigny, avare de compliments concernant les scientifiques, lui en
sait grs 2750 . Mais aprs son exploration du fleuve Bermejo, effectue en 1830, il
rencontre Bonpland Buenos Aires et lui fait part de ses doutes quant la
ralisation des cartes de son ouvrage. Celle concernant la Bolivie a dj t
publie dans louvrage prliminaire que Bonpland a vu en 1832, mais il croit
devoir la refaire car elle contient beaucoup derreurs. Cependant Arenales doute
que la gravure et la publication puissent se raliser ailleurs quen Europe, ce qui
linquite car il craint de faire appel des personnes trangres et loignes. Aussi
sadresse-t-il Bonpland pour que celui-ci le guide et laide trouver la solution
la plus adquate, la plus avantageuse et la plus sre pour obtenir une gravure de
qualit 2751 .
La demande de Jos Arenales est instructive car en 1832 Buenos Aires
compte un tablissement lithographique, celui du Suisse Csar Hippolyte Bacle

2749

Le plan topographique de Buenos Aires ralis en 1823 par Philippe Bertres est envoy
Londres pour y tre grav ; cf. ALIATA Fernando, Gestion urbana y architectura en el Buenos
Aires posrevolucionario (1821-1835) , in RICCI Giuliana, AMIA Giovana d (dir.), La cultura
architettonica nellet della restaurazione, Milan, Mimesis, 2002, p. 456. Il serait instructif de
dresser une liste exhaustive des publications ralises dans le Ro de Plata et de celles ralises
ltranger suivant les thmes et loriginalit des publications. Cela permettrait de dresser un tat
critique des savoirs et de leur dpendance vis--vis de lEurope.
2750
Ce voyageur se flicite que louvrage soit imprim rcemment Buenos-Ayres, par un
Argentin [qui] a rendu un grand service la science. , ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome I, 1835,
p. 313.
2751
AMFBJAD n 399, J. Arenales Bonpland, Buenos Aires, 8 octobre 1832. Arenales joint sa
lettre son mmoire politique dit par Hallet en 1832 et intitul Memoria histrica sobre las
operaciones e incidencias de la Divisin libertadora a las rdenes del general D. Juan Antonio
Alvarez de Arenales en la segunda campaa de la sierra del Per en 1821, afin que Bonpland le
transmette Humboldt.
712

Troisime partie

Chapitre VIII

install depuis 1828 au moins 2752 . Certes, Bacle est alors en conflit avec le
gouvernement porteo car un dcret de fvrier 1832 oblige les imprimeurs
trangers renoncer leur nationalit pour exercer leur profession. Bacle
sinstalle au Brsil quelques mois mais son imprimerie poursuit son activit sous
la direction de son associ Jos Alvarez. Au dbut de lanne 1833, Bacle profite
dun assouplissement de lapplication du dcret pour revenir Buenos Aires 2753 .
Louvrage est finalement publi Buenos Aires en 1833 par limprimerie Hallet,
mais il sagit du seul abordant des questions dhistoire naturelle contemporaines
dit sur le sol argentin avant une vingtaine dannes. Les travaux de Muiz
doivent leur publication Domingo Sarmiento en 1885 seulement 2754 .
A dfaut de publications contemporaines, Pedro de Angelis initie une
politique ddition nationale sans prcdent partir du milieu des annes 1830,
prcisment sous le second gouvernement de Rosas. Grce notamment sa
Coleccin de obras y documentos relativos a la historia antigua y moderna de las
Provincias del Ro de la Plata les rcits antrieurs lindpendance sont dits. Ils
constituent une tentative russie dappropriation de travaux caractre
scientifique.
Une seconde appropriation peut avoir lieu grce la traduction, mais elle
est presque inexistante. Lorsque Bonpland sjourne Buenos Aires, Pedro de
Angelis se flatte de rencontrer le compagnon de voyage de Humboldt. Le
Napolitain, qui avoue son admiration pour le Prussien 2755 , est au centre de la vie
ditoriale portea. Pourtant, il favorise peu ldition douvrages de sciences
naturelles 2756 et norganise pas la traduction des rcits de voyage concernant le
Ro de la Plata dont il dispose. Ce processus dappropriation dune uvre opr
par la traduction nest pas une lacune propre Angelis, puisquentre 1818 et 1852
2752

Bacle sinstalle aprs 1825, puisquil ne figure pas dans linventaire dress par PARADA
Alejandro E., Introduccin al mundo del libro a travs de los avisos de la Gaceta
Mercantil (1823-1828) , in Investigacin Bibliotecolgica, vol. 9, n 18, janvier-juin 1995, p. 9.
2753
SZIR Sandra M., De la cultura impresa a la cultura de lo visible. Las publicaciones peridicas
ilustradas en Buenos Aires en el Siglo XIX , in Prensa argentina siglo XIX. Imgenes, textos y
contextos, Buenos Aires, coleccin Investigaciones de la Biblioteca Nacional/Teseo, 2009, pp. 8-9.
2754
SARMIENTO Domingo Faustino, Vida y escritos del coronel D. Francisco J. Muiz, Buenos
Aires, Flix Lajouane, 1885.
2755
AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832 ; Bonpland Humboldt,
Buenos Aires, 12 juillet 1832, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 90.
2756
Cf. SABOR Josefa Emilia, op. cit., pp. 381-436. Il dite nanmoins deux ouvrages du Chilien
Luis de la Cruz en 1835, sa Descripcin de la naturaleza de los terrenos poseidos por los
pegenches y los dems espacios hasta la ra de Chadileub, et le Viaje desde el Fuerte Ballester
hasta Buenos Aires.
713

Troisime partie

Chapitre VIII

les ouvrages publis en langue trangre ne sont pas traduits. Il faut attendre la
premire moiti du XXe sicle pour que dbutent les traductions. A titre
dexemple, les importants travaux mens par Alcide dOrbigny sont dits en
Argentine en 1944 et 1945 ; pour sa part Charles Darwin nest traduit quen 1942.
Les ouvrages de Burmeister sont traduits la mme poque 2757 , bien que pendant
trente ans il occupe une place minente parmi llite portea.
Ce dcalage tmoigne de lisolement scientifique dans lequel Bonpland se
voit confin au cours des annes 1830. Labsence de recherches et douvrages
entrane une impuissance sinscrire dans une dmarche scientifique globale et de
se confronter une communaut scientifique. A la lecture dun livre dit par
Pedro de Angelis en 1836 et retraant la fondation des missions jsuites,
lexpdition des limites et toute lhistoire de la Plata, Bonpland soppose
laffirmation de lItalien daprs qui le Salto grande nest pas navigable pendant
25 lieues. Bonpland pense que cest une grande erreur2758 sans pouvoir en apporter
la preuve. Il en est rduit des conjectures mais ne dispose pas des moyens
dtayer ses hypothses. Ainsi le Lucero le renseigne propos du voyage de Soria
sur le Bermejo ; le voyageur indique que dautres ont voyag dans le Chaco mais
nont rien publi et on ne retrouve aucune carte ni manuscrit. Bonpland pense que
des cartes doivent se trouver au Paraguay 2759 . Mais la polmique ne passe pas les
pages de son journal.
Les correspondances de Bonpland confirment labsence de sociabilits
savantes dans laire gographique quelles recouvrent. Il existe une diffusion des
connaissances qui seffectue de manire localise. Concernant la botanique 2760 ,
Vilardeb demeure son seul interlocuteur Montevideo. Les changes
scientifiques ont tendance se rduire la sphre prive. Au cours de la premire
moiti des annes 1830, Bonpland est en relation avec quelques personnalits
vivant Buenos Aires. Ainsi, un change scientifique a lieu avec Jos Arenales 2761

2757

Cf. RINGUELET Ral A., op. cit., p. 13.


AMFBJAD n 1712, Buenos Aires, annotations diverses, novembre 1836.
2759
AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, juin 1832.
2760
Dans dautres domaines de lhistoire naturelle cette privatisation est partiellement accessible
car les acteurs tels que Muiz sont tudis. Mais nayant pas parcouru lensemble des
correspondances prives, il est impossible de prtendre pouvoir dresser un panorama global des
changes scientifiques privs et de leurs buts ; cette histoire reste crire.
2761
AMFBJAD n 399, 400, J. Arenales Bonpland, Buenos Aires, 8 octobre et 19 novembre
1832.

2758

714

Troisime partie

Chapitre VIII

et Manuel de Sarratea, celui-ci instaurant un dialogue rellement spcialis


propos de la flore rioplatense 2762 .
Dans la seconde partie de la dcennie les changes savants avec Buenos
Aires sont exclusivement effectus avec les Europens. Ainsi, Bonpland envoie-til des graines Constantin, notamment celles dun cactus non rpertori.
Constantin, qui cultive un jardin botanique avec Thorndike, sert aussi
dintermdiaire entre Bonpland et le baron Eduard Ladislaus Kaunitz von
Holmberg, militaire et botaniste autrichien faisant le commerce des vgtaux. Il
demande Bonpland de faire jouer ses connaissances afin de lui fournir de quoi
alimenter son propre jardin 2763 . Celui-ci remplit ses demandes en lui envoyant les
chantillons demands, auxquels sajoutent des graines de Telfairia Pedata de
Madagascar, cadeau de Thorndike venant de Boyer 2764 .
Dans lensemble du Ro de la Plata les initiatives particulires remplacent
labsence des politiques publiques, les Europens prenant une place de choix. La
constitution de savoirs thoriques est dlaisse au profit de mise en place de
pratiques prives. Crs pour un usage commercial, les jardins privs supplent
alors labsence de structures officielles. A cet gard, lacclimatation est
majoritairement impulse par les Europens qui profitent de leurs rseaux
transatlantiques et de leur savoir-faire. Tel est le cas de Thedy qui runit quelques
exemplaires afin de les envoyer en Europe, bien quils se rvlent trop fragiles
pour arriver vivants sur le vieux continent 2765 .
Avec Toms Jos Grigera et Francisco Aguilar, Pierre Margat et Joseph
Buschental sont les pionniers de lacclimatation vgtale dans le Ro de la Plata.
Jusquen 1840, avant larrive de Margat puis de Buschental Montevideo,
lhorticulture est quasiment inconnue en Uruguay 2766 . Le premier, horticulteur
Versailles, emmne Montevideo des collections compltes de plantes et arbres
fruitiers dont la multiplication partir de 1840 transforme le paysage des environs

2762

AMFBJAD n 209, M. de Sarratea Bonpland, Buenos Aires, 30 juin 1835. Sarratea demande
au botaniste didentifier une espce de trifolium ou encore si la caa braba aperue par
Bonpland dans les les du Paran dispose dune description.
2763
AMFBJAD n 888, Constantin Bonpland, Buenos Aires, 21 aot 1837 ; CAIC, liste des
graines remises Constantin pour Holmberg, Corrientes, 28 mars 1838.
2764
AMFBJAD n 858 et 860, Blanc et Constantin Bonpland, Buenos Aires, 31 dcembre 1833 et
24 mai 1834.
2765
AMFBJAD n 436, Bonpland A. Eyris, Corrientes, 28 mars 1838.
2766
KLEINPENNING Jan M. G., op. cit., p. 177.
715

Troisime partie

Chapitre VIII

de la capitale uruguayenne. Le second sinstalle en 1849 Paso Molino, devenant


le premier agriculteur produire grande chelle du mas et du bl.
Les changes scientifiques se font excessivement rares autour de
Bonpland, lexception de la famille Ferr. Pedro Ferr qui a lui-mme a fait
venir du Brsil en 1830 des pieds de caf, camphrier, Eugnia Jambosa, bois noir
de lle de France 2767 , agave de Caracas 2768 . Au cours des annes 1830, il apparat
comme le seul interlocuteur de la province qui sintresse aux recherches menes
par Bonpland 2769 . En 1837, il fournit des plantes de sa chacra pour Constantin,
lequel les installe sous serre2770 . Lanne suivante Bonpland demande Manuel de
Sarratea, Rio de Janeiro, diverses graines de plantes utiles pour Ferr 2771 .
Bonpland charge encore celui-ci de garder les plantes vivantes destines au
Musum de Paris, en attendant la fin du blocus franais contre Buenos Aires 2772 .
A la fin des annes 1840, alors que le Franais reprend son activit scientifique,
cest encore aux Ferr quil sadresse pour obtenir des cartes du ro Uruguay et des
villages des Missions 2773 .
Concernant lacclimatation des vgtaux, les remarques de Bonpland
mettent en vidence les efforts privs essentiellement raliss. Au dbut de la
dcennie 1830, il aperoit Salto, dans la province de Buenos Aires, des traces de
la rosa multiflora quil avait emmen de France 2774 . A la fin de cette dcennie, il
senorgueillit de constater quun genre de casaruina quil identifie Corrientes
soit devenu un objet de curiosit et se propage grce ses soins 2775 . Mais ces
plantes ne profitent pas au commerce, contrairement dautres qui sont introduites
linitiative des particuliers. A ce titre, Bonpland loue lintroduction de la canne
sucre de Tahiti produisant un tiers de vesou de plus que la canne crole. Apporte
du dpartement paraguayen de embucu, ce genre de canne se multiplie dans la
province correntina grce linitiative dIsidoro Cossio Corrientes et Placido
Cabral prs de Ca Cat 2776 .
2767

Probablement Diospyrus meladina, un arbre de la famille des bnaces.


AMFBJAD n294, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 5 avril 1838.
2769
AMFBJAD n 379, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2770
AMFBJAD n 888, Constantin Bonpland, Buenos Aires, 21 aot 1837.
2771
AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa Ana, 18 juin 1838.
2772
AMFBJAD n 832, Bonpland A. Roger, Corrientes, 16 mai 1838.
2773
AMFBJAD n 568, V. Ferr Bonpland, Restauracin, 23 fvrier 1849.
2774
AMFBJAD n 1698, voyage de Buenos Aires So Borja, 26 octobre 1832.
2775
AMFBJAD n 294, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 5 avril 1838 ; AMFBJAD
n 381, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840.
2776
AMFBJAD n 1705, voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.
2768

716

Troisime partie

Chapitre VIII

Un terrain dapprovisionnement
Au cours des annes 1820 et 1830, les Europens Charles Darwin et
Dumont dUrville ainsi que lexpdition nord-amricaine dirige par Charles
Wilkes ralisent une collecte dont, encore une fois, le gouvernement porteo ne
profite pas. Il est significatif de constater qualors que les Etats-Unis se lancent
dans des grandes expditions naturalistes qui parviennent jusquau territoire
argentin sans encore connatre leur propre territoire alors que les Rioplatenses
peinent inventorier le leur.
Le terrain rioplatense apparat profitable lacclimatation de plantes dans
la nouvelle colonie dAlger conquise en 1830. Le jardin botanique est rig en
1832 dans le but den faire une ferme modle et un jardin dessai. Ds quil
apprend la conqute dAlger Bonpland sempresse denvoyer des graines en vue
de leur acclimatation. Il procde une premire remise en 1832 depuis Buenos
Aires 2777 puis une autre en 1834 depuis Corrientes 2778 . Il choisit des espces quil
estime propices lacclimatation et au commerce. En 1837 il envoie une espce de
bois utile la tannerie et la charpente ainsi que les meilleures graines de tabac
que produit la province de Corrientes2779 .
Il nest pas le seul esprer beaucoup de la nouvelle colonie puisquen
1837, Bernard Lorentz prconise la ralisation dessais dacclimatation de cdres
du Liban Alger 2780 . La situation gographique dAlger prsente une opportunit
nouvelle pour limplantation de jardins dessai coloniaux dans la tradition de celui
fond en 1782 par Fuse-Aublet Salon et de celui de ladministrateur de lle
Bourbon, le baron Milius, en 18202781 . Bonpland se situe dans cette filiation ; il est
lun des premiers manifester le souhait de voir se raliser un travail
dacclimatation. A cette date le botaniste qui fournit normment de matire

2777

Il envoie des graines dun grand arbre, le chaar, et dune lgumineuse, la cinacina ;
AMFBJAD n 280, graines collectes entre So Borja et Buenos Aires, 1er juin 1832.
2778
Il sagit de graines du palmier yatai, de la spina de corona, algarobilla, convolvulus
mandiyuna et de nelumbium (mas de leau) ; Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 18
septembre 1834, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 95.
2779
AMFBJAD n 278, Bonpland au directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos
Aires, 5 janvier 1837.
2780
Cf. PUYO Jean-Yves, Exprimentation des essences forestires exotiques en France, de 1820
1914 , in Jean-Louis FISCHER (dir.), op. cit., p. 247.
2781
AILLAUD Georges J., Le jardin dessai colonial de Marseille , in FISCHER Jean-Louis
(dir.), op. cit., p. 79.
717

Troisime partie

Chapitre VIII

botanique la France songe accompagner ses plantes Alger 2782 au moment o


une commission est charge de rdiger des instructions concernant lexploration
dans la colonie. Mais la pauvret de celle-ci len dissuade 2783 .
Le commerce des objets dhistoire naturelle se fait aussi en direction de
lEurope. Arsne Isabelle est un bon exemple de ce ngoce car son got pour
lhistoire naturelle saccompagne surtout [du got] pour le commerce dobjets de
ce genre 2784 . En effet, comme le consul britannique Parish il se passionne pour
lhistoire naturelle et parvient en faire une activit rmunratrice, employant un
taxidermiste pour naturaliser les animaux quil vend ensuite2785 . Le commerce
dobjets dhistoire naturelle ne reprsente pas une activit professionnelle part
entire mais fait partie du cursus de quelques voyageurs. En attendant une tude
consacre ce phnomne qui permette den connatre le fonctionnement et
lampleur 2786 , rappelons toutefois quil faut pour ce commerce de bonnes
connaissances en histoire naturelle, les moyens de voyager et des collectionneurs
approvisionner. Les personnes ayant les connaissances suffisantes ne sont pas
nombreuses tout comme celles ayant la possibilit de voyager. Aim Bonpland
constitue pour plusieurs dentre elles un relais susceptible dalimenter leurs
collections. Arsne Isabelle se rend avec deux autres amateurs dhistoire naturelle,
le ngociant Edouard Nouel et le taxidermiste Eugne Gamblin que Bonpland juge
excellent, jusqu So Borja en 1833 pour le rencontrer. Cette relation avec
Isabelle qui devient informateur en plus de demandeur se prolonge durant le temps
de la prsence dIsabelle en Amrique 2787 .
Mais Bonpland ne veut pas faire des chantillons dhistoire naturelle
uniques quil a runis un objet de spculation car il estime quils sont la proprit
de la France et non de particuliers, aussi rejette-t-il les offres des personnes stant

2782

Bonpland Humboldt, Corrientes, 28 mars 1838, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 127.
2783
Bonpland Humboldt, Corrientes, 28 mars 1838, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 127.
2784
AMFBJAD n 1700, journal, So Borja, 12 dcembre 1833.
2785
Cest un des buts du voyage quil entreprend au Rio Grande do Sul en septembre 1833 ;
propos de ce voyage, cf. CARDOSO MARCHIORI Jos Newton, Arsne Isabelle , in Cincia
& Ambiente, n 13, juillet-septembre 1996, pp. 55-72.
2786
En attendant aussi une monographie sur Arsne Isabelle dont les multiples activits demandent
tudier en dtail. Il est comme Woodbine Parish un promoteur prcoce de la rgion auprs des
Europens.
2787
AMFBJAD n 1700, journal, So Borja, 12 dcembre 1833 ; AMFBJAD n 263, A. Isabelle
Bonpland, Montevideo, 16 fvrier 1841.
718

Troisime partie

Chapitre VIII

portes acqureuses de ses collections 2788 . Il dnigre plus gnralement ce genre


de commerce ; voyant tous les jours des caisses doiseaux expdies de Buenos
Aires pour la France par les trangers, il en dnonce la honteuse
spculation 2789 . Il fournit en mme temps un indice prcieux sur lampleur de ce
phnomne, son tmoignage prouvant quil existe au moins dans les annes 1830
un public de collectionneurs suffisamment important en France pour permettre aux
trangers qui disposent des relais ncessaires denvoyer un nombre dobjets
consquents. La frquence des envois quotidienne est trs surprenante et trs
rvlatrice dune vritable mode europenne.
Concernant la botanique, Bonpland se montre plus enclin fournir les
particuliers en Europe. Des traces de ces envois figurent parmi les lettres dates de
1837 lorsquil fournit des personnes au Havre 2790 , possiblement les frres Eyris.
Mais il ne sagit que dune faible part de ses envois, Bonpland rservant la grande
majorit de son travail botanique au Musum dune part et des particuliers tout
autant Europens quAmricains. Les envois quil effectue ne sont jamais motivs
par lespoir dune rmunration. Si le Ro de la Plata est un terrain
dapprovisionnement il nest pas pour Bonpland un terrain de spculation.
Lors de la reprise en main du Muse par Manuel Ricardo Trelles, en 1854,
celui-ci dresse une comptabilit des pices contenues dans le Muse. Les
chantillons zoologiques se montent prs de 1 500. Leur forte prsence
sexplique par le travail taxidermiste effectu par Ferraris jusqu son dpart 2791 .
Le directeur du Muse porteo dserte finalement son poste en fvrier 1842 2792 ,
alors que lanne prcdente Juan Manuel de Rosas offre lamiral franais
Dupotet une grande partie dun abondant matriel runi et tudi par Francisco
Muiz depuis Lujn. En effet, le mdecin et naturaliste fait parvenir Buenos
Aires des restes de nombreux animaux fossiles qui quittent dfinitivement le pays
au lieu daller enrichir les collections du Muse. Linterprtation selon laquelle ce
don a pour objectif, outre de cicatriser les blessures de guerre, de montrer une
2788

AMFBJAD n 958, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 aot 1850.


AMFBJAD s. n., s. d. [vers 1837]. Cette spculation se poursuit jusque dans les annes 1850 ;
cf. AMFBJAD, s. n., M. Sanchez de Mendeville Bonpland, Montevideo, 13 dcembre 1851. La
remarque plaisante de Mara Sanchez de Mendeville est significative de este mundo donde nadie
puede vivir tranquilo ni los bichos por que bienen a perseguirlos hasta en esos deciertos esos
Europeos infatigables .
2790
AMFBJAD s. n.
2791
AGUILAR H. A., op. cit., pp. 6-7.
2792
Cf. LASCANO GONZALEZ Antonio, op. cit., pp. 54-56.

2789

719

Troisime partie

Chapitre VIII

puissance europenne colonialiste et dun haut niveau scientifique la propre


capacit scientifique de la nation argentine 2793 est trs discutable car, alors quen
1842 Rosas utilise le Muse pour exposer ses trophes de guerre, il ne saisit pas
loccasion dexposer ses trophes palontologiques. Certes, le geste du gouverneur
de Buenos Aires montre quil existe une richesse naturelle ; mais il semble
montrer aussi quil nen connat pas la valeur puisquil sen spare ou quil nest
pas en mesure de la faire fructifier grce linvestigation scientifique. Cest un
aveu dchec vis--vis de lindpendance scientifique.
Les difficults saggravent au cours des annes 1840 du fait de la guerre
civile gelant les projets dexploration. Joseph Dalton Hooker effleure le territoire
lors dune expdition mene vers lAntarctique au dbut de la dcennie, mais
aucune collecte nest organise par les gouvernements rioplatenses. En 1841, la
remise de la collection de Muiz la France reprsente une perte de donnes
considrable. Nanmoins, cest au cours de cette dcennie que le naturaliste
collecte sur un petit primtre de recherche dautres pices palontologiques de
grande valeur qui, elles, demeurent dans le pays et servent de faire-valoir au
rgime. Ltat de guerre permet par rflexe nationaliste la mise en valeur du
travail de collecte effectu par Muiz, sans son utilisation des fins scientifiques.

B.

DES

RECHERCHES

EUROCENTREES

AUX

RECHERCHES PERIPHERIQUES
La coopration pense par Bonpland est eurocentre. Bien quil prche une
collaboration transatlantique, sa constante dtermination retourner en France est
sans doute la preuve la plus solide de son sentiment dtre un voyageur de
passage. Ces deux objectifs ne sont dailleurs pas incompatibles, le Ro de la Plata
se situant pour lui en priphrie vis--vis de la transformation de la matire
premire naturaliste en un objet utilisable. La publication, la compilation et la
comparaison des connaissances ainsi que la reconnaissance scientifique qui en
dcoule, tout ce qui contribue une carrire et une valorisation du travail
2793

FISBEIN Hernn Gastn, Los adelantos en tiempos de Juan Manuel de Rosas , in El


Mercurio
de
la
Salud
[en
ligne],
n
76,
2005,
pp.
28-31.
URL :
http://www.mercuriodelasalud.com.ar/notas.asp?IdNota=128.
720

Troisime partie

Chapitre VIII

scientifique seffectue pour Bonpland en Europe. LAmrique constitue toujours


pour lui une priphrie scientifique et il se montre au fil de son sjour de moins en
moins ambigu ce sujet. Cependant, la dualit de son projet initial indique quil
doit aussi profiter au Ro de la Plata et labsence ici dun socle scientifique
capable de valoriser ce projet explique en partie lchec dune fondation prcoce.
A travers Bonpland, cest lexcellence scientifique qui dserte un champ
dapplication des transferts scientifiques et qui contribue ramener le Ro de la
Plata au rang de terrain de passage.

1. La marginalisation du projet ditorial


Entre 1817 et 1821, Bonpland dveloppe un projet scientifique
transatlantique qui prvoit ldition, en France et Buenos Aires, dune histoire
naturelle du Ro de la Plata. Mais aprs sa dtention paraguayenne, Bonpland
recentre ses objectifs vers lEurope. Ds 1832, terrains amricains et centres de
culture scientifique europens sont dissocis. Le Ro de la Plata retrouve ses
yeux une fonction premire de terrain de recherche, tandis que les changes avec
les institutions et les confrres europens sintensifient. Lattitude de Bonpland
traduit un changement dans la perception des capacits scientifiques du Ro de la
Plata. A cette attitude correspond un repositionnement du chercheur la priphrie
quil faut replacer au sein du processus de construction des savoirs entre Amrique
et Europe.

Un projet transatlantique : lhistoire naturelle des Provinces Unies de


la Plata
Le gouvernement rioplatense commande trs tt un premier ouvrage
dagriculture Toms Jos Grigera imprim en 1819. Mais selon Bonpland, une

721

Troisime partie

Chapitre VIII

uvre peut surpasser ce stade lmentaire 2794 en faisant dcouvrir au pays et au


monde entier des richesses mconnues. Il sagit de sa Flore des Provinces Unies.
Le Franais reprend son compte les accents dithyrambiques de Grigera, le
renvoyant bien involontairement sa mthode empirique :
Combien de canaux souvriraient grce cette uvre la prosprit de
lAgriculture et au dveloppement de la Mdecine, et du commerce,
puisque si seulement les faibles moyens quoffrent la routine, ont donn
ce pays sa richesse prsente, que ne faut-il esprer lorsque tout se fera
avec des connaissances et de lintelligence

2795

La volont de rupture vis--vis de la mthode routinire est bien mise en


avant. Il sagit de franchir ltape qui spare le discours empirique du discours
scientifique, en loccurrence ici passer du discours pragmatique un discours
systmatique qui est celui de la botanique 2796 . En outre, il sagit dun discours
utilitariste dans la ligne de celui de Thouin dont il savre tre un disciple venu
prcher en Amrique et surtout venu faire concider la recherche en sciences
naturelles avec les besoins rioplatenses.
Car Bonpland rserve pour la France un ouvrage complet dhistoire
naturelle. En 1818, tout sannonce bien pour que cet ouvrage soit rapidement
publi dans son pays 2797 . Lhistoire naturelle du Ro de la Plata
est attendue en Europe et je crois pouvoir assurer quelle y sera bien
accueillie

2798

2794

no he escrito para ensear, sino para comunicar a los principiantes agricultores lo que he
aprendido en el trabajo material de cuarenta aos de labrador conclut Grigera ; GRIGERA
Toms Jos, op. cit., p. 45.
2795
Quantos canales se abririan con dicha obra la prosperidad de la Agricultura y al fomento de
la Medicina, y del comercio, pues si solo los escasos medios, q.e proporciona la rutina, han dado a
este pays su riqueza presente qe no debe esperarse quando todo se haga con conocimientos y
inteligencia de principios , Bonpland J. M. de Pueyrredn, 22 juin 1818, cit in RUIZ
MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 33. On retrouve ce
constat propos des fruits rcolter dune meilleure organisation agricole chez la plupart des
voyageurs ; cf. BEAUMONT John A. B., Viajes por Buenos Aires, Entre Rios y la Banda Oriental
(1820-1827) , Buenos Aires, Hachette, 1957 (1828), pp. 47, 59. Sans parler daversion pour le
travail manuel comme le fait Beaumont, Bonpland constate que son jardinier Auguste Bouville
Ha tomado todas las habitudes del pais : se h hecho un poco remolon, aunq.e muy trabajador. ;
lettre de Bonpland Acard, 18 novembre 1818, cit in RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente
A., ONOFRIO Rmulo d, op. cit., p. 60.
2796
Cf. FOUREZ Grard, op. cit., pp. 108-109.
2797
A propos de limportance des publications pour le voyageur, cf. BROC Numa, Les
explorateurs franais du XIXe sicle reconsidrs , in Revue Franaise dOutre-Mer, tome XIX,
1982, n 256 et 257, pp. 339-346.
2798
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga. Buenos Aires, 15 septembre 1818.
722

Troisime partie

Chapitre VIII

confie Bonpland Larraaga au mois de septembre. Cet optimisme nous parat


justifi, plus sur le second point que sur le premier. En effet, si la demande nest
pas aussi grande que Bonpland le dit, laccueil en revanche ne doit rencontrer
aucun obstacle, surtout car luvre projete est place sous le signe de la
nouveaut et doit rencontrer lintrt du monde scientifique et conomique
europen.
En tout cas, lhistoire naturelle de la Plata est attendue par des amis
chargs de limpression et de la gravure, ce qui dmontre le soin apport la
conception de louvrage. Cela dmontre aussi que la Flore des Provinces Unies,
qui doit constituer la premire partie dune histoire naturelle complte, est conue
dans un esprit litiste pour alimenter le centre scientifique, Bonpland rservant la
priphrie les applications pratiques. En effet, les courriers changs avec les
Porteos nvoquent que la Flore, ce qui laisse supposer que Bonpland a un projet
ddition limit Buenos Aires. Il tient un double discours destin promouvoir,
grce linventaire des ressources naturelles, la mise en valeur du territoire
agricole Buenos Aires et la poursuite de la collecte scientifique Paris. Dans
cette premire phase de coopration, les objectifs de la recherche sont clairement
dissocis bien quils soient contenus dans un mme projet.
Les relais franais savrent indispensables ldition. Matriellement,
mais aussi du point de vue de la collaboration indispensable une publication
denvergure. Pour cela Bonpland ne sappuie pas sur les plus grands noms en la
matire, mais compte faire appel des collaborateurs moins reconnus bien que
pour certains bien installs au sein des institutions savantes. Tel est le cas de Marie
Jules Csar Savigny, issu de lEcole polytechnique, membre de lexpdition
dEgypte et de lInstitut, duquel Bonpland espre le concours pour la partie
zoologique et entomologique de son ouvrage. Le botaniste Barrois quil compte
sadjoindre est moins reconnu 2799 .
La collaboration est indispensable pour raliser des ouvrages que lon peut
encore qualifier dencyclopdistes par lnormit de leur contenu final. Aussi,
pour ne pas voir leurs recherches devenir obsoltes entre le moment de la collecte
et celui de la publication, les naturalistes choisissent-ils de publier plusieurs
cahiers avant de regrouper lensemble dans un seul ouvrage monumental. La
2799

Lettre de Bonpland A. Raffeneau-Delile, 1821, in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.

80.
723

Troisime partie

Chapitre VIII

procdure pense par Bonpland est identique celle employe par Saint-Hilaire
qui privilgie lenvoi de mmoires spars daprs le modle ddition dj utilis
par Humboldt et Bonpland pour ldition des Plantes quinoxiales. Auguste de
Saint-Hilaire sadjoint deux collaborateurs, dont Adrien de Jussieu, surgarant
des soins avec lequel mes ouvrages seront continus 2800 . De retour de
lexploration de Minas Gerais, Saint-Hilaire abandonne provisoirement la
rdaction dune gographie des plantes au profit de deux travaux plus modestes
mais insrs dans les mmoires du Musum dHistoire naturelle 2801 .
En septembre 1818, Bonpland dispose du matriel botanique suffisant, soit
150 espces, pour former ses premiers cahiers de la Flore des Provinces Unies du
Ro de la Plata 2802 . La publication de mmoires nest pas voque, ce qui laisse
supposer quil se conforme au modle suivi lors de la publication du Voyage aux
rgions quinoxiales. Le procd est innovant, puisquil sagit de publier une
uvre monumentale distance. Lanne suivante il fait parvenir Labillardire
Paris 90 plantes indignes sches et numrotes 2803 et commande Pierre Benot
le dessin des chantillons 2804 probablement dans le but de prparer ldition 2805 .
Nous ignorons les raisons pour lesquelles, entre 1819 et 1820, Bonpland nentame
pas sa publication. Les vnements politiques entravent certainement ses projets
scientifiques ; nanmoins il dispose du matriel suffisant une premire livraison.
Depuis la mission de Santa Ana, en 1821 cest--dire peu avant son enlvement,
Bonpland annonce triomphalement Raffeneau-Delile ltat florissant de ses
collections et son intention de les faire parvenir Paris ;
et il faudra commencer publier la Flore des Provinces Unies

2800

2806

AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, A. de SaintHilaire Larraaga, 16 janvier 1827.
2801
SAINT-HILAIRE Auguste de, Histoire des plantes les plus remarquables du Brsil et du
Paraguay : comprenant leur description et des dissertations sous leurs rapports, leurs usages, etc.,
avec des planches, en partie colories, Paris, Belin, 1824, p. XX.
2802
AGNM, Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18, Bonpland
Larraaga, Buenos Aires, 15 septembre 1818
2803
MNHN, ms 212.
2804
Bonpland le rappelle encore en 1837 propos du quebrahacho colorado ; AMFBJAD n 1719,
voyage de Concordia Curuz Cuati, 10 mai 1837.
2805
Il laisse en nantissement George Frederick Dickson 299 dessins originaux ; AMFBJAD n
567, Bonpland F. Dickson, Buenos Aires, 27 mars 1832.
2806
Bonpland A. Raffeneau-Delile, s. l., 1821, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., pp.
79-80. Sil a lintention de commencer ses publications par la flore, Bonpland noublie pas les
autres matires dhistoire naturelle. Le titre peut paratre trompeur, mais comme dans le cas des
ouvrages publis avec Humboldt, Bonpland choisit de commencer par la partie botanique du
voyage .
724

Troisime partie

Chapitre VIII

De ldition transatlantique la recherche eurocentre


La dtention paraguayenne narrte pas son projet de publication. Lorsquil
effectue son voyage vers le Paraguay, son approche est celle du voyageurnaturaliste classique. Ses notes montrent quil prpare un rcit de voyage et un
travail scientifique destin tre publi. Dailleurs, la rdaction de journaux de
voyage se poursuit aux cours des annes 1830 et au-del, le style tant celui dun
narrateur esquissant son rcit de voyage 2807 . Les deux extraits publis jusqu
maintenant concernent le voyage de 1849 Porto Alegre et celui de 1857 au
Paraguay 2808 . Ils concernent des moments importants de cette dmarche
scientifique continue, mais les journaux de 1821 et ceux de 1831 sont tout aussi
rvlateurs de cette continuit avant et aprs la parenthse paraguayenne. De
mme, ses journaux botaniques prouvent quun travail continu a lieu malgr des
baisses dintensit explicables par les contraintes politiques2809 .
Mais sa sortie du Paraguay Bonpland choisit de ne plus rien divulguer
sous forme de mmoire, persuad quun ouvrage monumental sera bien accueilli.
Il veut aussi le rdiger une fois revenu en Europe et cest dans ce but quil envoie
un grand nombre de matriaux dhistoire naturelle au Musum de Paris. Il nest
plus question de tenter de maintenir un quilibre entre les deux continents. Au
contraire, il espre faire parvenir toutes ses collections Paris, cest--dire celles
sauves du Paraguay et celles recueillies dans les missions brsiliennes aprs sa
libration, mais aussi lintgralit des pices ramenes du voyage ralis avec
Humboldt, dont le fameux herbier gnral quil emporte avec lui en 1816 bien
quil ait promis Humboldt de le laisser en France 2810 .
Entre 1831 et 1838, Bonpland effectue cinq envois au Musum de Paris.
Le premier effectu de So Borja en juin 1831, soit quatre mois aprs sa sortie du
Paraguay, parvient le 11 avril 1832 avec 92 espces de plantes. Le second ralis
Buenos Aires en juin 1832 en comporte 89 2811 . Le troisime, adress Mirbel
depuis Corrientes le 18 septembre 1834 et rceptionn le 15 mars 1835, ne compte

2807

Des extraits de ces journaux sont reproduits dans lannexe n 4, pp. 933-937.
LOURTEIG Alicia (comp.), op. cit. ; CONTRERAS ROQUE Julio Rafael, BOCCIA
ROMAACH Alfredo, op. cit.
2809
Cf. graphique n 13 et 14, pp. 555-556.
2810
AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832.
2811
AMFBJAD n 280, graines collectes entre So Borja et Buenos Aires, 1er juin 1832.
2808

725

Troisime partie

Chapitre VIII

que huit espces car lhiver trs sec a beaucoup nuit la gestation et la
maturation. Le botaniste rochelais explique quaprs cinq mois de voyage ses
rsultats demeurent trs pauvres ; malgr cela la mticulosit dont Bonpland fait
preuve est guide par le souci de ne pas rompre le lien avec le Musum 2812 . Le
quatrime envoi a lieu depuis So Borja en juillet 1836 2813 et le cinquime,
constitu de trois caisses contenant 23 espces dchantillons de bois et 57 de
graines, depuis Corrientes en mars 1838.
Cette succession denvois dnote une volont de sauvegarder les rsultats
de la collecte en vue de leur publication en France. Le comportement de Bonpland
est en cela caractristique car le Ro de la Plata est alors dfini comme un vaste
terrain de recherche par les autres voyageurs europens. Lexpression de
Musum ciel ouvert 2814 utilise par dOrbigny pour caractriser les rives du
Paran dvoile plusieurs aspects de la pense du scientifique. Dabord, elle
exprime la fascination vis--vis la richesse du terrain auquel le savant est
confront. Ensuite, elle exprime une appropriation vis--vis de cette richesse car
dOrbigny se voit offert la possibilit de puiser dans ce Musum sans limites. La
notion de proprit est absente de son discours car, au nom de la science, il
soctroie le droit de sapproprier les objets quil voit malgr la contradiction entre
la notion de collecte et celle de Musum destine conserver. Mais il se peroit
sans doute comme un conservateur des richesses du Paran tout comme Arsne
Isabelle avec qui le Ro de la Plata devient un laboratoire de la nature , cest-dire que le laboratoire nest plus dans les murs et que par consquent il est
disponible qui fait uvre de recherche 2815 . Lemploi des termes Musum et
laboratoire pour dfinir un terrain lgitime le travail de collecte effectu par
des Europens au profit de laboratoires europens. Ils sont des chercheurs dans un
cabinet.
Cette dmarche est vocatrice des pratiques savantes particulirement vis-vis des collectes palontologiques, le Ro de la Plata tant considr comme un
terrain dapprovisionnement par les spcialistes ou les amateurs dhistoire
2812

AMFBJAD n 282, dtail des graines envoyes de Corrientes C.-F. Brisseau de Mirbel en
septembre 1834 ; AMFBJAD n378b, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 18
septembre 1834.
2813
AMFBJAD n 285, collection de graines envoyes au Jardin du Roi en juillet 1836, Buenos
Aires, 4 janvier 1837.
2814
ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome III, 3e partie, p. 25.
2815
ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome III, 3e partie, Gologie, 1842, p. 25 ; ISABELLE Arsne,
op. cit., p. 23.
726

Troisime partie

Chapitre VIII

naturelle. Les voyageurs tels quAlcide dOrbigny ont pour objectif lalimentation
des Muses qui les missionnent ; celui-ci mentionne les efforts des Europens
pour sapproprier le domaine palontologique 2816 . Bonpland participe ce
mouvement ds 1832 aprs avoir constat le comportement du docteur Fuentes,
propritaire des ossements du troisime mammouth retrouv dans la rgion. Le
Franais, constatant que Fuentes monnaye et disperse les pices, dcide de tenter
de rcuprer les ossements restants pour les envoyer au Musum 2817 .
Ce geste sinscrit dans un contexte favorable ce type de comportement,
tant donn que le chef du gouvernement porteo lui-mme remet une collection
au gouvernement franais. Pedro de Angelis agit de mme, puisquil se spare en
1841 dun squelette de Mylodon robustus expos au Muse londonien du collge
des chirurgiens 2818 . Muiz aussi envoie des fossiles Charles Darwin, lgitimant
lappropriation europenne de pices uniques. En effet, les pourvoyeurs se situent
tous les niveaux de la socit rioplatense, depuis le savant collecteur jusquau
chef de lEtat en passant par le gardien des pices musographiques nationales,
aucune lgislation ne rgissant la proprit des gisements archologiques et
palontologiques avant 1913 2819 . Le discours nationaliste de Rosas cet gard ne
fait pas illusion, Charles Darwin rappelant en 1852 que son ordre de ne pas laisser
les fossiles sortir du pays nest pas suivi deffet 2820 .
La dmarche de Bonpland est identique concernant le terrain botanique, le
continent amricain ayant pour fonction lapprovisionnement de lEurope. Cet
axiome est valable aussi bien pour lui que pour les autres chercheurs europens car
les collectes, peu importe qui les effectue, doivent tre ramenes en Europe tout
prix. Il demande Humboldt de presser Sellow denvoyer en Europe ses
collections quil croit immenses :
je sais positivement quil a beaucoup travaill et quil a surtout fait des
collections immenses tant pour le Bresil que pour la Prusse. Dans le cas
o il naurait pas envoy beaucoup de choses en Europe depuis long-tems
2816

ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome III, 4e partie, Palontologie, 1842, pp. 13-14, 23.
AMFBJAD n 287, Bonpland A. M. C. Dumril, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2818
ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome III, 3e partie, 1842, p. 26.
2819
Cf. ENDERA Mara Luz, PODGORNY Irina, Los gliptodontes son argentinos : la ley 9080 y
la creacin del patrimonio nacional , in Ciencia y Sociedad, vol. 7, n 42, septembre-octobre
1997, pp. 54-59.
2820
at one time Rosas ordered that Fossils shd. not go out of the country; but it is excessively
improbable that this wd be still acted on; if indeed it ever was acted on , C. Darwin G. R.
Waterhouse, Down, 8 septembre 1852, in Cambridge University Library, Darwin Correspondence
Project Database [en ligne]. URL : http://www.darwinproject.ac.uk/entry-1487.
2817

727

Troisime partie

Chapitre VIII

il conviendrait de le presser un peu. {parce que} Si jen crois ce quon


ma dit il y a peu despoir de le voir repasser locean.

2821

Il espre encore que son dasypus est


bien conserv rio-janeiro ou peut-tre mieux encore dans le Museum de
Berlin

2822

Ce quasi dsaveu vis--vis de linstitution brsilienne montre un repositionnement


en faveur des institutions europennes malgr la bonne tenue du Musum brsilien
qui, au contraire de la Confdration Argentine, prne la rciprocit des
dcouvertes 2823 .
Dans lentourage de Bonpland il semble que lon retrouve le mme type de
collectes destines pourvoir les institutions europennes. Woodbine Parish,
diplomate et amateur dhistoire naturelle en poste Buenos Aires de 1824 1832,
fournit efficacement les institutions britanniques. Pour beaucoup dautres amateurs
dhistoire naturelle non mandats par une institution scientifique, le souci
dalimenter lEurope est prsent des degrs plus ou moins levs. Le rle jou
par Henry Stephen Fox, charg daffaires britannique Buenos Aires de 1831
1832 et passionn de botanique reste par exemple dterminer comme bon
nombre dautres correspondants officieux 2824 .
Bonpland, anim de ce zle, semble aussi vouloir changer les modalits de
publication. En 1837, il met le souhait de publier un livre monumental et dsire le
publier seul, mais la situation politique lempche jusqu cette date de revenir le
faire en France 2825 . Aussi en 1838 rpond-il la demande de Mirbel qui souhaite
obtenir des informations sur le mas de leau 2826 suite un premier envoi de

2821

En effet, Sellow est mort en octobre 1831 ; AMFBJAD n 319, Bonpland Humboldt, Buenos
Aires, 1er juin 1832.
2822
AMFBJAD n 287, Bonpland A. M. C. Dumril, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2823
Cf. LOPES Maria Margaret, Nobles rivales: estudios comparados entre el Museo Nacional de
Ro de Janeiro y el Museo Pblico de Buenos Aires , in MONTSERRAT Marcelo (comp.), La
ciencia en la Argentina entre siglos. Textos, contextos e instituciones, Buenos Aires, Manantial,
2000, pp. 277-293.
2824
AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832 ; Bonpland Humboldt,
Buenos Aires, 12 juillet 1832, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 90. De nombreux
autres diplomates sollicits par leur mtropole jouent un rle non ngligeable et de ce point de vue
les apports des correspondants des Muses europens, plus ou moins en marge des collecteurs
officiels des jardins restent tudier.
2825
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 2 mars 1837, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 122.
2826
Nom donn au Ro de la Plata la Victoria Regina.
728

Troisime partie

Chapitre VIII

son confrre effectu en 1834 2827 . Bonpland fournit un mmoire en esprant que
Mirbel puisse
publier dune manire exacte une plante que jai dcouverte ds lanne
1820

2828

Nayant toujours rien publi sept ans aprs sa libration, Bonpland commence
sinquiter du devenir de ses collectes et de sa reconnaissance scientifique en
Europe. Il espre obtenir une publication, mme sommaire, de ses recherches, afin
den garder la proprit. Neuf ans plus tard, lors du voyage Porto Alegre qui
marque son retour dans le monde scientifique, il dcouvre avec tonnement dans
le Penny magazine datant de janvier 1838 une figure du mas de leau quil juge
assez bonne bien quil manque les fruits. Il relve avec minutie les dtails
concernant le nom de Victoria Regina donn la plante par Charles Waterton, le
lieu de la dcouverte, les proprits de la plante et le fait quelle ait t connue et
dcrite comme un genre nouveau en Angleterre en mai et septembre 18372829 .
Esprant quil puisse complter la description de lAnglais, Bonpland sempresse
dcrire Mirbel en ce sens malgr son ignorance.
En 1840, aprs dix annes passes sans vritable avance dans ses
collectes, Bonpland envisage pour la premire fois de rester en Amrique 2830 .
Aussi demande-t-il conseil Humboldt et Mirbel pour publier distance. Bien
quil avoue sa rpugnance pour ce type ddition tant donn labsence de contrle
de la part de lauteur, il se soumet lide
dans le cas o je ne retournerais pas en Europe, ou dans celui dune mort
subite

2831

Mais la demande ditoriale vis--vis dtudes amricanistes, donc spcialises,


nest pas forte et, obstacle supplmentaire concernant la botanique, se fond dans
de vritables sommes sans cesse augmentes et ractualises.
Bonpland sadresse aussi Candolle avec qui il cherche en vain
reprendre contact jusquen 1840. Enfin retrouv, Bonpland lui crit Genve o il

2827

Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 18 septembre 1834, cit in HAMY Thodore
Jules Ernest, op. cit., p. 95.
2828
Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 24 mars 1838, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., p. 125.
2829
MNHN, ms 206, n 2408, Porto Alegre, juin 1849.
2830
Bonpland envisage ce genre de publication cause de ltat de guerre dans lequel sombre la
rgion mais aussi du fait de son concubinage.
2831
AMFBJAD n 381, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840 ;
AMFBJAD n 327, Bonpland Humboldt, Montevideo 17 mai 1840.
729

Troisime partie

Chapitre VIII

trouver un prcieux alli 2832 . Mais la rponse de Candolle, la mme anne, ne lui
laisse plus dalternative. En effet, dans le cas o Bonpland demeure en Amrique
il faut, assure Candolle, renoncer publier un ouvrage monumental. Les
ouvrages de botanique dits de luxe sont devenus plus rares explique-t-il, car
depuis lEmpire le nombre de plantes faire connatre est devenu trop important et
seuls les gouvernements peuvent soutenir de tels investissements. En outre,
lexpansion du march du livre et le got pour les ouvrages politiques laissent peu
de place aux sciences. Pour vendre, il faut dabord trouver un soutien
gouvernemental et un public, aussi Candolle commence-t-il par lui conseiller de
faire au plus simple et de revenir 2833 .
En effet, une publication doit tre dtermine selon Candolle par une
installation dans une capitale scientifique europenne, afin dy trouver les outils
ncessaires la rdaction. A Paris, ajoute-il, Bonpland pourrait bnficier du
secours du gouvernement, dautant plus que la botanique allie letranget de
[ses] aventures : tout fera de [son] en Europe un vnement . Encore faudrait-il
commencer par publier un rcit de voyage en arrivant pour attirer sur lui
lattention des libraires. Sil choisit la publication distance, Bonpland na que
deux alternatives. La premire consiste sadresser aux revues scientifiques pour
noffrir que les points les plus pertinents de ses recherches. La seconde et la
meilleure option selon Candolle repose sur lintgration des rsultats du Rochelais
au Prodromus 2834 du Genevois. Cest une terrible dsillusion car cest rien de
moins que le principal projet scientifique de Bonpland qui scroule.

2. La marginalisation des recherches rioplatenses


Les recherches menes par Bonpland savrent de moins en moins
pertinentes et intressantes pour les scientifiques europens. Le terrain de
recherche quil occupe est parcouru par dautres scientifiques durant sa dtention
paraguayenne. Bien quil tente de redonner une pertinence ses apports en
insistant sur leur complmentarit et leur utilit pratique, ils demeurent
2832

AMFBJAD n 421, Bonpland A. P. de Candolle, Montevideo, 18 mai 1840.


AMFBJAD n 422, A. P. De Candolle Bonpland, Genve, 28 dcembre 1840.
2834
AMFBJAD n 422, A. P. De Candolle Bonpland, Genve, 28 dcembre 1840.

2833

730

Troisime partie

Chapitre VIII

parcellaires compars aux monographies dj publies sur laire misionera.


Bonpland nest plus en mesure de pouvoir proposer un ouvrage gocentr
innovant, ce qui rend ses recherches secondaires. Celles-ci deviennent aussi
caduques car il ne dispose pas des outils ncessaires lactualisation des
connaissances. La matire botanique est particulirement touche car elle
ncessite une ractualisation frquente.

Un terrain vid de sa substance


Les explorations de Saint-Hilaire et dOrbigny comblent le vide
scientifique laiss par Bonpland. Le terrain rioplatense tant bien inventori ds la
fin des annes 1820, il suscite moins dintrt de la part des Europens. Surtout, il
apparat quaprs le voyage dAlcide dOrbigny lexploration de lAmrique du
Sud est quasiment termine. Si Saint-Hilaire revendique encore, en 1828, une
uvre scientifique capable de rivaliser avec la Nova Genera de Humboldt 2835 ,
Darwin reconnat ultrieurement en dOrbigny le vritable continuateur et
lacheveur de lexploration mene au dbut du sicle par Humboldt 2836 . Bien que
de grandes zones demeurent inexplores il sagit dune avance symbolique,
dOrbigny ayant parcouru les pays non visits par Humboldt en le faisant, comme
son prdcesseur, par une exploration de profundis, en senfonant dans les terres.
La Patagonie est un des centres dinvestigation des voyageurs proccups
par la taille des fameux gants, et la monstruosit suppose de ces Amricains ne
rsiste pas lobservation. Le gigantesque fantme de ces fameux Patagons de
sept huit pieds de haut [2,27 2,60 m], dcrit par les anciens voyageurs, sest
vanoui pour moi constate en 1829 Alcide dOrbigny, aprs avoir observ plus

2835

Cf. POTELET Jeanine, op. cit., p. 115.


Ibid., p. 116 ; DARWIN Charles, op. cit., tome I, p. 103 ; cf. aussi LASCANO GONZALEZ
Antonio, op. cit., p. 48. Si la concurrence entre Darwin et dOrbigny est connue, ce compliment
nest pas empoisonn, contrairement ce que suggre Jean-Pierre CHAUMEIL. Lauteur crit que
si Darwin le compare donc Humboldt, il prend cependant bien soin de la placer aprs lui , ce
qui est tout fait normal, puisque Humboldt demeure la rfrence premire des amricanistes. Il
fait figure de doyen et beaucoup de voyageurs en partance pour le Nouveau Monde vont le
consulter. DOrbigny, comme tous les autres, lui rend hommage dans ses ouvrages ; cf.
CHAUMEIL Jean-Pierre, Quand le naturaliste se fait ethnologue , in TAQUET Philippe
(dir.), Alcide dOrbigny. Du Nouveau Monde Au pass du monde, Paris, Musum National
dHistoire Naturelle/Nathan, 2002, pp. 63-66.
2836

731

Troisime partie

Chapitre VIII

de 600 individus 2837 . En 1860, Martin de Moussy attribue aux Patagons


proprement dits ou Techuelches la taille moyenne de 1,73 mtres 2838 .
A cela sajoute au cours des annes 1830 lpuisement des objets de
recherche. Tel est le cas pour la collecte ornithologique laquelle Bonpland se
consacre malgr linflation denvois quil constate. Le faible intrt provoqu par
les envois rpts du botaniste dvoile la marginalisation du terrain de recherche
auquel il est affect. Le traitement de la matire scientifique amricaine se fait
dsormais de manire plus ponctuelle.
Le Paraguay demeure la dernire zone inexplore par les Europens
jusqu la mort de Francia. Aussi Bonpland est-il sollicit par ses confrres ce
propos. A plusieurs reprises entre 1835 et 1842 William Jackson Hooker le
sollicite depuis la Grande-Bretagne pour quil publie sur ce thme. Mais le
Franais ne dispose pas du matriel suffisant, aussi reste-t-il attentif une
ventuelle ouverture du pays qui permettrait denvisager une grande exploration :
Si le tyran du Paraguay succombait la fin de sa 90e anne, je serais
capable de remonter le Parana et d'aller ouvrir le chemin qui conduit
Bolivia ; je verrais les cimes leves qui ont chapp tes savantes
mesures, et je trouverais dans ce voyage un grand nombre de choses
nouvelles.

2839

crit-il Humboldt en 1838. Mais cest Alfred Demersay, charg par le


gouvernement franais de parcourir ce pays au dbut des annes 1840, qui en
dessine finalement les grandes lignes. Avec la mise en place de cette pice
manquante le continent sud-amricain est visit dans sa totalit.

Un retard insurmontable
Le manque dinstruments freine considrablement les tentatives du
botaniste pour rattraper son retard. Ce manque est rappel plusieurs reprises au

2837

ORBIGNY Alcide d (dir.), Voyage pittoresque dans les deux Amriques, Paris, L. Tenr,
1836, p. 274.
2838
MARTIN DE MOUSSY J. A. Victor, Les populations indiennes actuelles du bassin de la
Plata et de la Patagonie , in Nouvelles Annales des voyages, tome 156, 1860, pp. 201-202.
2839
Bonpland Humboldt, Corrientes, 28 mars 1838, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 127.
732

Troisime partie

Chapitre VIII

cours des annes 1830 2840 concernant dabord les outils capables de dterminer les
proprits des plantes. Bonpland sintresse la botanique microscopique,
nouvelle manire de considrer les plantes , mais ne dispose pas des
instruments pour entreprendre des recherches dans ce domaine 2841 . Surtout, le
principal outil dactualisation des connaissances en matire de sciences naturelles
que sont les ouvrages lui manque cruellement. Concernant la gologie, le manque
est accru par son manque de comptences en la matire. Bien quil dispose de
matriaux, la totale absence douvrages pouvant lorienter rendent les chantillons
accumuls en 1838 inutilisables 2842 .
Bonpland ne possde pas les ouvrages essentiels traitant de la botanique
rioplatense, savoir ceux de Saint-Hilaire et dOrbigny. Il demande en 1839 les
travaux de Gaudichaud 2843 qui sont susceptibles de se rapprocher des siens
puisque son confrre publie la partie botanique du voyage autour du monde de
Freycinet, mais aucune trace documentaire ne permet daffirmer quil les ait
obtenus. En 1840, il na toujours pas vu les livres de Saint-Hilaire 2844 . Or,
lactualisation des savoirs suit un rythme trop rapide pour qui nest pas au centre
de la production des savoirs, dautant plus que mme pour les botanistes
travaillant en Europe, le temps entre la rdaction et ldition savre parfois
suffisant pour que les connaissances deviennent obsoltes. Ainsi, la seconde partie
des travaux botaniques du voyage dAlcide dOrbigny est publie alors que la
personne charge de la direction de louvrage, Camille Montagne, pose en
prambule son inactualit depuis deux ans seulement que le manuscrit est
rdig 2845 .
Faute de livres, ses sources dinformation proviennent des priodiques
quil parvient se procurer occasionnellement. Ses archives nous apprennent quil
glane le plus souvent une bonne partie de ses connaissances lors de ses sjours
dans les capitales uruguayennes et bonaerenses et que ses collectes dans ce
domaine sont autant varies que dsordonnes. Dans son journal on retrouve pour
2840

AMFBJAD n 410, Bonpland M. Tenore, Buenos Aires, 4 juin 1832 ; Bonpland Humboldt,
Buenos Aires, 26 dcembre 1836, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 98.
2841
AMFBJAD n 381, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840.
2842
Bonpland Humboldt, Corrientes, 28 mars 1838, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 126.
2843
AMFBJAD n 439, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Jardin du roi, 27 mars 1839.
2844
AMFBJAD n 327, Bonpland Humboldt, Montevideo, 17 mai 1840.
2845
ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome VII, 1e et 2de partie, Cryptogamie ; 3e partie, Palmiers,
1847, p. 1.
733

Troisime partie

Chapitre VIII

le sjour de 1832 Buenos Aires des notes sur des sujets aussi varis que la coca,
le nombre de plantes connues, la plus grande fleur dcouverte Sumatra en 1818
par Thomas Stanford Raffles, la liste des publications de Humboldt et leur prix
ainsi que des notes sur lacupuncture, des recettes de cuisine, lendettement de
Buenos Aires ou les suifs 2846 . Aussi conserve-t-il ailleurs la copie dune brochure
traitant de la culture des pchers extraite du cours complet dagriculture publi
Paris en 1837 2847 . En 1833 il glane des informations partir de lUniversal de
Montevideo concernant le rsultat dun concours propos la mme anne par
lAcadmie de mdecine de Paris sur les emplois du mas 2848 . Le journal de Rio de
Janeiro Recopilador dat du 4 mars 1833 lui apprend quun gologue anglais a
dcouvert une fort ptrifie sur les bords du Tibre 2849 . Ces notes laissent
transparaitre les tentatives de Bonpland pour se maintenir au courant de la vie
scientifique europenne mais elles montrent aussi combien ces tentatives sont
drisoires du fait de leur dcalage vis--vis des principales proccupations
scientifiques du botaniste. En outre, cette boulimie de savoir amne Bonpland
noter tout ce quil peut glaner sans que ces renseignements lui soient forcment
utiles.
La consquence du manque de connaissances est une propension croissante
au doute qui touche principalement son travail botanique. Cest aux cours des
annes 1830 que Bonpland commence hsiter sur lavenir de ses recherches. Il
doit attendre son sjour de 1837 Buenos Aires pour acqurir la certitude que le
croton tiglium et le jatropha curcas sont deux espces diffrentes, laide du
Systema Naturae de Linn 2850 . En 1838 il se demande si liguapuna quil a trouv
en 1824 correspond une plante dcrite par Saint-Hilaire 2851 . Lors de son envoi
dchantillons botaniques au Musum effectu depuis le Nordeste en 1838, il se
montre incapable de dterminer plusieurs espces botaniques.
Bonpland se rsout aussi se dsister de la proprit de ses autres
chantillons dhistoire naturelle, la communication scientifique avec la France
devenant de plus en plus alatoire. Le botaniste multiplie donc les chemins pour
2846

AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, aot 1832.


AMFBJAD n 1204, agriculture, extrait du cours complet publi Paris en 1837.
2848
AMFBJAD n 1700, journal, So Borja, 12 novembre 1833.
2849
AMFBJAD n 1300, journal mdical, juin-aot 1833.
2850
AMFBJAD n 1715, sjour Buenos Aires, janvier 1837.
2851
MNHN, ms 204 ; AMFBJAD n 1723, journal, voyage de Corrientes Santa Ana, 18 juin
1838.
2847

734

Troisime partie

Chapitre VIII

faire parvenir sa correspondance. A cette distance les lettres en provenance


dEurope peuvent tarder jusqu dix mois avant de lui parvenir. A linverse, ses
courriers tardent autant tre rceptionns en France et parfois ils ny parviennent
pas. Beaucoup de plantes ne rsistent pas aux envois comme le nouveau genre de
Lilea envoy Boissire pour Delile qui est mort avant darriver Rio 2852 . La voie
brsilienne par Porto Alegre et Rio de Janeiro savrant peu sre, Bonpland y
renonce en 1836. A cause de cela son courrier pour Humboldt et surtout le
catalogue des 25 caisses envoyes au Musum en 1832, quil se voit oblig de
recommencer en 1837 2853 , ne parviennent pas destination. Il prfre dsormais
confier ses communications la maison de commerce de Buenos Aires Blanc et
Constantin 2854 .
Durant son sjour de 1836-1837 Buenos Aires, il reoit fortuitement un
prospectus concernant la publication du voyage de dOrbigny dans lequel il est
mentionn que Cordier est charg de la partie minralogique. Aussi sempresse-t-il
de lui crire afin de lui offrir ses services en lui envoyant des chantillons qui
peuvent selon lui complter utilement le voyage de dOrbigny comme celui de
Humboldt. Cordier rpond favorablement la demande de Bonpland 2855 et, lors de
la parution de la partie gologique en 1842, Alcide dOrbigny utilise ces
matriaux :
Mr Bonpland a trouv, prs de Santa-Ana (province des Missions), des
roches dorigine igne trs-remarquables, dont le massif vient expliquer
gologiquement le coude form, dans cet endroit, par le Parana.

2856

Le nom de Bonpland apparat enfin dans un ouvrage scientifique. Dautres


matriaux palontologiques sont publis par dOrbigny 2857 qui lui ddit lArca
bonplandiana. Outre que lhommage semble exprim du bout des lvres, ce
spcimen de coquille savrant trs dtrior, il fait glisser Bonpland vers un rle
de simple collecteur et la mention sommaire de son nom prfigure le statut de
correspondant secondaire quil acquiert par la suite.

2852

AMFBJAD n 1997, A. Raffeneau-Delile Bonpland, Montpellier, 10 fvrier 1833.


AMFBJAD n 278, HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., pp. 104-114, Bonpland au directeur
du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos Aires, 5 janvier 1837.
2854
AMFBJAD n 909, Bonpland Delessert, So Borja, 14 juillet 1836.
2855
AMFBJAD n 276, Bonpland P.-L. A. Cordier, Buenos Aires, 5 janvier 1837 ; AMFBJAD n
390, M.-E. Chevreul, P. L. A. Cordier et A. Brongniart Bonpland, Paris, 21 juillet 1837.
2856
ORBIGNY Alcide d, op. cit., tome III, 4e partie, Gologie, 1842, p. 29.
2857
Ibid., tome III, 4e partie, Palontologie, 1842, pp. 120, 130.
2853

735

Troisime partie

Chapitre VIII

En outre, la dtrioration politique loblige abandonner la voie de Buenos


Aires pour transmettre ses collectes et perd loccasion de rpondre enfin une
instruction mme floue du Musum qui dsire alors des plantes vivantes.
Bonpland en dnonce le cot mais il se renseigne rapidement sur les moyens de
faire parvenir des plantes vivantes en Europe. Le capitaine Dagrumet lui apprend
en 1832 un fait assez curieux sur le transport des plantes ligneuses vivantes.
LAnglais Harris qui a exerc la fonction de directeur du jardin de Rio les fait
presser dans la terre et en reoit ainsi de toutes les parties du monde. Mais celles
qua envoyes Boissire Harris de Rio sont presque toutes mortes 2858 .
Nanmoins, il souhaite faire tout son possible et promet une remise pour dcembre
1838 2859 . Son voyage destination de Buenos Aires ou de Montevideo, dans le but
de remettre dans le mme temps un certificat de vie, est ajourn cause de la
guerre. Le problme de la conservation sy ajoute, Bonpland obtenant dEurope
des graines de plantes fourragres, darbres et de lgumes qui ne lvent pas 2860 . En
1839, Mirbel envoie pour sa part une nouvelle caisse de graines par un navire en
partance pour Rio de Janeiro, peu sr quelle parvienne entre les mains de son
confrre.
Je recommande le tout la bont de la Providence

2861

crit-il Bonpland. En 1840 le Rochelais est oblig dutiliser de nouveau la voie


pourtant peu fiable de Porto Alegre avant de pouvoir se rendre Montevideo o il
parvient la fin de lanne pour se plaindre de labsence de nouvelles dEurope
devenues infiniment prcieuses cause des difficults de communication.
Dailleurs, labsence denvoi lors de son voyage Montevideo en 1840,
malgr les promesses donnes depuis deux ans, est probablement mettre en
relation avec lutilisation de ses matriaux et son incapacit fournir des
informations sres, cest--dire susceptibles dtre valides par la communaut
scientifique parisienne. En effet, il affirme Humboldt quil parvient dans la
capitale uruguayenne sans avoir pu y transporter les collections prvues cause
dun dpart prcipit et dun voyage rendu encore plus dangereux par le trait
2858

AMFBJAD n 1697, journal, sjour Buenos Aires, juin 1832.


AMFBJAD n 291, Bonpland M.-E. Chevreul, P. L. A. Cordier et A. Brongniart, Corrientes,
28 mars 1838.
2860
Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 18 septembre 1834, cit in HAMY Thodore
Jules Ernest, op. cit., p. 95 ; AMFBJAD n 379, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Buenos
Aires, 25 janvier 1837.
2861
AMFBJAD n 439, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Jardin du roi, 27 mars 1839.

2859

736

Troisime partie

Chapitre VIII

Mackau-Arana 2862 . Or, une lettre dArsne Isabelle infirme ses dires car Bonpland
lui laisse en dpt des roches et des flacons de plantes en attendant de lui donner
des instructions relatives leur envoi en France 2863 . Selon Brunel, Bonpland est
alors en possession de 25 caisses prtes tre envoyes 2864 . Il est certain que le
manque doutils entrave le travail primordial du classement qui est compltement
dlaiss jusqu lacquisition dinstruments, en 1853, les annes 1840 constituant
cause de la Guerra Grande une nouvelle parenthse extrmement prjudiciable
aprs la parenthse paraguayenne. Il est en outre probable que le naturaliste garde
avec lui ces chantillons comme une monnaie dchange avec les autorits
scientifiques franaises.
Bonpland prconise lutilisation du packet anglais 2865 mais en 1842
lobtention de lenvoi de son certificat de vie depuis son lieu de rsidence lui fait
cesser ses voyages vers les capitales argentines et uruguayennes pour plusieurs
annes. Ses collections apparemment laisses Santa Ana depuis 1839 sont
toujours abandonnes trois ans plus tard ; ltat de guerre du pays ne ma pas
permis de les visiter une seule fois 2866 crit-il Paris avant de se voir couper
toutes ses voies de communication pour plusieurs annes. En effet, le 6 dcembre
1842 la victoire des forces rosistas lors de la bataille dArroyo Grande force
Bonpland rester tranquille dans un petit coin 2867 et lui coupe les
communications avec lEurope jusquen 1849. La carence de toute communication
directe avec lEurope entre 1842 et 1849 est confirme par labsence de lenvoi de
son certificat de vie durant ces annes, pice indispensable au versement de sa
pension 2868 . Cest un nouveau coup darrt une activit scientifique qui, bien que
trs faible, amorce un regain en 1840 et 1841 2869 .

2862

Par suite de ce trait, les bords de la plata ont pris une attitude plus Belliqueuse et les
Communications sont tellement dangereuses quil mest impossible de me decider apporter mes
collections Bord de lescadre franaise. , AMFBJAD n 328, Bonpland Humboldt,
Montevideo, 30 dcembre 1840.
2863
AMFBJAD n 263, A. Isabelle Bonpland, Montevideo, 16 fvrier 1841.
2864
BRUNEL Adolphe, op. cit., p. 108. Lauteur confond peut-tre avec lenvoi de 1832 qui
comporte le mme nombre de caisses. Si ce nest pas le cas, le fonds dont lexistence est prouve
par la lettre dIsabelle est, quantitativement au moins, de grande valeur.
2865
AMFBJAD n 380, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Santa Ana, 16 fvrier 1840 ;
AMFBJAD n 381, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840.
2866
AMFBJAD n 869, Bonpland B. Delessert, Montevideo, 22 janvier 1842.
2867
AMFBJAD n 958, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 aot 1850.
2868
AMFBJAD n 877, Desmarest et Ducoing Bonpland, Paris, 8 dcembre 1849.
2869
Cf. graphique n 14, p. 556.
737

Troisime partie

Chapitre VIII

Un rseau transatlantique fragile


A partir de 1831, Bonpland tente de rtablir un rseau de correspondants
europens paralllement celui du Musum. Sur la proposition de Pedro de
Angelis il entame une correspondance avec Naples o il compte beaucoup sur les
envois de Michele Tenore qui il fait parvenir en contrepartie 32 espces de
plantes en plus de la promesse de lui envoyer du mat 2870 . Cependant, les lettres
connues jusqu maintenant montrent une correspondance trs brve. En 1836,
Tenore crit Bonpland propos de sa demande effectue quatre ans plus tt. En
effet, lItalien a bien fait parvenir Buenos Aires les graines demandes mais na
reu aucune nouvelle depuis. Bonpland lui rpond en janvier 1837 puis la
correspondance semble cesser. La question de la proprit intellectuelle des
plantes est peut tre en jeu, puisque Tenore classe les matriaux envoys par
Bonpland 2871 .
En 1835 William Jackson Hooker, alors directeur du jardin de Glasgow,
entame une correspondance avec Bonpland 2872 . Leurs changes sont nettement
plus tals dans le temps mais trs espacs. Hooker crit de nouveau en 1837 une
courte lettre qui mentionne un envoi de plantes rappelant les courriers de Tenore,
mais Bonpland ne parat pas avoir rpondu 2873 . En 1842, un an aprs sa prise de
fonction la direction du jardin de Kew, puis en 1849 dautres lettres sont
envoyes par Hooker qui persvre malgr lapparente absence de rponse 2874 du

2870

pour linteret de ce pays jose vous prier Monsieur de menvoyer ici Buenos Ayres sous le
couvert de Messieurs Blanc et Constantin cent livres de graines du coton que vous cultivez dans le
royaume de Naples [] et une quantit suffisante des graines du Carombier pour faire du bon
semis. Ces deux plantes nexistent pas dans la rpublique argentine et offrent de tres grands
avantages aux agriculteurs et aux proprietaires de betail. , AMFBJAD n 410, Bonpland M.
Tenore, Buenos Aires, 4 juin 1832.
2871
Tenore lui fait parvenir un catalogue dans lequel figurent deux plantes nouvelles provenant de
Bonpland, le chenipodium bonariense et le melilotas bonplandii ; AMFBJAD n 411, M. Tenore
Bonpland, Naples, 4 avril 1836.
2872
AMFBJAD n 415, W. J. Hooker Bonpland, Buenos Aires, Universit de Glasgow, 25 mai
1835.
2873
A dfaut des rponses de Bonpland, les lettres de ses correspondants portent souvent la
mention rpondu ainsi que la date de rponse ce qui nest pas le cas ici ; AMFBJAD n 416, W.
J. Hooker Bonpland, s. l., 17 fvrier 1837.
2874
Il faudrait pour en tre sr consulter les archives de Hooker. Mais Bonpland ne conserve pas de
brouillon, contrairement son habitude, et le lettre ne porte pas la mention rpondu .
738

Troisime partie

Chapitre VIII

Franais. En 1855 il tente une nouvelle fois dentrer en contact avec son collgue
par lintermdiaire de William Gore Ouseley 2875 sans plus de russite semble-t-il.
Les changes avec les Franais sont aussi peu suivis. Le Rochelais ne
reprend pas contact avec Nicolas Robert Toulon, bien que celui-ci lui doive son
poste la direction du jardin botanique de cette ville. Un change sesquisse avec
Delile en 1834, se confirme en 1837 lorsque Bonpland lui signifie son envoi
Paris pour quil puisse demander des chantillons propices Montpellier 2876 puis
sinterrompt brusquement. En 1834, Delile lui envoie des graines sans quelles
correspondent aux demandes de Bonpland 2877 . Le professeur se justifie en
expliquant que lui-mme narrive pas obtenir de ses correspondants Marseille,
Montpellier, en Espagne et en Egypte les graines souhaites 2878 . En 1844
Bonpland reoit Corrientes une caisse de graines de la part de Delile qui ne
rpond pas, une fois encore constate-t-il, ses demandes 2879 . Il faut attendre 1848
pour quun nouvel et bref change ait lieu. La brve correspondance de Candolle
est stoppe en 1841 par la mort du Genevois, un alli de poids disparaissant du
rseau de Bonpland. Mme si les alternatives quil propose au Rochelais en 1840
sont maigres, elles offrent cependant la garantie dune publication. Mais sil
renonce la proprit de ses autres matriaux, Bonpland reste jaloux de la
paternit de ses recherches botaniques. Aussi la publication de celles-ci sous un
autre nom est carter.
La correspondance de Bonpland avec Alexandre Eyris connat un
parcours similaire ceux de Tenore et Hooker. Cet amateur de plantes originaire
du Havre le contacte en 1833 afin de lui demander des plantes. Il propose en
contrepartie de se faire son intermdiaire scientifique avec la France2880 , son frre
tant lun des fondateurs de la Socit de gographie. Une brve correspondance
2875

BELL Stephen, op. cit., p. 198.


Bonpland A. Raffeneau-Delile, Buenos Aires, 18 janvier 1837, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., p. 114.
2877
jai reu de mon ancien ami Delile des graines quil menvoye de Montpellier [] je lui
avais demand des graines de coton herbac et de plantes fouragres ; au lieu de cela il menvoye
des graines de plantes diverses qui ne remplissent pas du tout mes vues , AMFBJAD n 1700,
journal, So Borja, 21-23 octobre 1833 ; AMFBJAD n 1998, A. Raffeneau-Delile Bonpland,
Montpellier, 25 fvrier 1834.
2878
DEgypte, Delile ne reoit rien en retour de ses envois. Quant lEspagne, les rapports
scientifiques sont coups ; AMFBJAD n 1998, A. Raffeneau-Delile Bonpland, Montpellier, 25
fvrier 1834.
2879
Il reoit par lentremise de Bar, Franais install Corrientes, Bonpland reoit une nouvelle
caisse de graines de Delile contenant les mmes lacunes. AMFBJAD n 1209, journal
dagriculture, So Borja, 1843-1844.
2880
AMFBJAD n 434, A. Eyris Bonpland, Le Havre, 20 fvrier 1833.
2876

739

Troisime partie

Chapitre VIII

sinstaure entre les deux hommes, Bonpland mentionnant en 1837 la livraison de


plusieurs plantes pour Le Havre. Le destinataire en est probablement Eyris,
lequel demande la mme anne des exemplaires de cactus. Bonpland lui rpond de
sadresser au Musum auquel il a livr cinq espces, en attendant dtre lui-mme
en mesure de le pourvoir car lobtention de ce type de plantes demande des efforts
quil nest pas en mesure de fournir en 1838 2881 . Leur correspondance sarrte l,
encore une fois sans que les projets esquisss naient t raliss.
Les liens entretenus avec les Delessert sont autrement privilgis. Franois
Delessert conserve beaucoup damiti pour Bonpland 2882 et se fait lintermdiaire
financier de celui-ci en France ds 1833. Leur correspondance mentionne une
demande de plantes de la part de Benjamin 2883 qui en 1842 supple les autorits
scientifiques parisiennes pour rceptionner des chantillons de bois et de peaux de
tigre afin de faire la diffrence des tigres dafrique et de ceux damerique 2884 .
Ils font partie des rares interlocuteurs, en compagnie de Mirbel et Humboldt,
entretenir une correspondance rgulire avec Bonpland entre 1833 et 1857. Mais
lgal dEyris, il semble quils ne permettent pas Bonpland dobtenir un appui
dcisif auprs des diteurs et des savants parisiens.
Une demande de correspondance mane en 1835 de Wilhelm Philip
Schimper alors aide-naturaliste au Muse dHistoire naturelle de Strasbourg ;
Schimper sollicite envers Bonpland des renseignements pour un ouvrage de
muscologie et de bryologie quil prpare 2885 . Aucune trace de rponse ne nous est
connue, pourtant Bonpland possde un exemplaire des Fragments de la bryologie
dEurope publis de 1836 1855 2886 . Un change a-t-il eu lieu et Schimper a-t-il
fait parvenir Bonpland un exemplaire en guise de remerciements ? Cette
demande nous renseigne par ailleurs sur lobjectif initial de Schimper qui ne
devait pas se contenter de lEurope comme cadre de recherche. Labsence de
rponse de la part de Bonpland et dautres correspondants la-t-il contraint alors
rduire son champ dtudes ? Il ne peut sagir ici que de conjectures mais il
semble que Bonpland nait pas donn suite cette correspondance. Schimper
2881

AMFBJAD n 435, A. Eyris Bonpland, Le Havre, 28 juillet 1837 ; AMFBJAD n 436,


Bonpland A. Eyris, Corrientes, 28 mars 1838.
2882
AMFBJAD n 414, A. Boissire Bonpland, Paris, 12 octobre 1833.
2883
AMFBJAD n 866, B. Delessert Bonpland, Paris, 6 novembre 1840.
2884
AMFBJAD n 869, Bonpland B. Delessert, Montevideo, 22 janvier 1842.
2885
AMFBJAD n 431, W. P. Schimper Bonpland, Strasbourg, 23 novembre 1835.
2886
AMFBJAD n 2029, W. P. Schimper, Fragmens de la Bryologie DEurope.
740

Troisime partie

Chapitre VIII

comme Tenore apparaissent comme des interlocuteurs pisodiques qui nous


montrent avec Hooker quun rseau europen est esquiss mais quil demeure
extrmement fragile.
Ces

correspondances

tronques

appellent

plusieurs

remarques.

Premirement, il est possible que dautres lettres se trouvant Toulon, Londres,


Strasbourg ou Naples prouvent lexistence dchanges plus suivis notamment dans
le cas de Hooker qui contacte Bonpland directement ou non pendant vingt ans.
Mais le Franais qui conserve soigneusement ses archives les aurait probablement
gardes. Ensuite il reste savoir pourquoi ces changes sont autant fragmentaires,
sachant limportance accorde aux laboratoires europens par Bonpland. Dans le
cas de Robert il est possible quaprs sa dtention paraguayenne Bonpland dcide
de consacrer sa correspondance franaise au Musum pour des raisons la fois
financires et scientifiques, sa priorit tant de rattraper son retard dans ce
domaine. Avec Tenore il semble quil faut chercher du ct de lItalien les motifs
de son silence, ce dont Bonpland ne soffusque pas puisquil ne le relance pas. En
outre, leur change est initi par Angelis et non par Bonpland qui il peut paratre
secondaire. Dans le cas de Hooker le temps couvert par la correspondance laisse
supposer un change plus solide. Il ne serait pas tonnant que Bonpland ait t
dispos correspondre avec un botaniste en poste dans un pays et dans lun des
plus prestigieux jardins dEurope, dune stature gale celle du Musum parisien
avec lequel Bonpland tente de maintenir des rapports assidus.
Au total les solidarits savantes semblent difficiles maintenir entre
Europe et Amrique. Les motifs demeurent difficiles saisir, mais lun dentre
eux semble tre la distance et la prcarit des moyens de communications comme
de conservation des chantillons, rendant leur collecte caduque. Bonpland nest
pas un cas isol dans ce domaine puisquaprs son retour en France, Demersay se
plaint de labsence de nouvelles en provenance du Paraguay et du Brsil 2887 . Il
faut aussi rappeler la faiblesse gnrale des relations scientifiques transatlantiques.
Humboldt,

Saint-Hilaire,

dOrbigny

ou

Darwin

entretiennent

peu

de

correspondance avec les scientifiques rioplatenses aprs leur retour en Europe. Cet
tat de fait npargne pas Bonpland qui prend place peu peu dans un no mans
land scientifique. Un autre lment explicatif est la proprit intellectuelle de la
2887

AMFBJAD n 1638, A. Demersay Bonpland, Paris, 12 fvrier 1849. Il ne reoit pas de


courrier du docteur Sigaud avec lequel, pourtant, il tente de correspondre.
741

Troisime partie

Chapitre VIII

dcouverte. En correspondant avec lEurope, Bonpland se place dans une position


priphrique, ses envois bnficiant au descripteur et diteur du spcimen. Ds
1833 Humboldt rsume parfaitement le danger pour son ami et la situation dans
laquelle il se trouve malgr ses tentatives pour se repositionner dans une position
centrale :
Lorsquil avait le bonheur dtre dans les griffes [de Francia] on me
demandait de ses nouvelles en compatissant son sort. Le drame fini, ce
nest quun savant qui a voyag pour recueillir de bonnes herbes. Il tait
redouter quil ft oubli.

2888

Le personnage primordial en Europe est videmment Alexandre de


Humboldt. Au cours de son sjour de 1832 Buenos Aires, Bonpland envoie
quatre lettres en quatre mois son trs illustre, trs ancien et meilleur ami
Humboldt 2889 . Il lui demande conseil propos de ses projets amricains et lui
recommande le consul Forest, ayant exerc ses fonctions au Chili puis Buenos
Aires, car il peut savrer trs utile pour acqurir des matriaux du Haut-Prou 2890 .
Cette recommandation est une des rares du genre proposes par Bonpland. Elle est
significative du rle quil veut jouer en tant que relais amricaniste, mais aucune
source nindique quil obtient une rponse son sujet 2891 . Alors quHumboldt
simpose en Europe comme un spcialiste incontournable du Nouveau Monde,
Bonpland aspire un rle similaire sans succs. Il confie enfin Humboldt en
1836 un double de son catalogue minralogique 2892 quil estime tre une pice
essentielle de ses travaux amricains. Mais la pice se perd entre les deux Mondes.
En 1840, Bonpland sinquite en mme temps de labsence de nouvelles du
Musum de celle de Humboldt, quon ne lui donne plus quindirectement et
pisodiquement 2893 . Il essaie par lintermdiaire du Prussien de se lier avec
Berlin 2894 ; malheureusement, Humboldt qui rside Berlin ne prend pas
2888

Humboldt F. Guizot, Postdam, mai 1833, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
232.
2889
La premire lettre rappelle que Humboldt connat mieux Bonpland que quiconque, pour avoir
vcu auprs de lui plus longtemps que personne ; AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt,
Buenos Aires, 7 mai 1832.
2890
AMFBJAD n 321, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 14 juillet 1832.
2891
AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
2892
AMFBJAD n 324, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 24 novembre 1836.
2893
AMFBJAD n 327, Bonpland Humboldt, Montevideo, 17 mai 1840 ; AMFBJAD n 328,
Bonpland Humboldt, Montevideo, 30 dcembre 1840 ; AMFBJAD n 870, Delessert Bonpland,
Paris, 7 juin 1842 ; AMFBJAD n 1636, A. Demersay Bonpland, Rio Grande, 24 mai 1847.
2894
AMFBJAD n 319, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 1er juin 1832 ; Bonpland
Humboldt, Buenos Aires, 26 dcembre 1836, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 98.
742

Troisime partie

Chapitre VIII

connaissance des matriaux que son ami envoie au Musum, notamment le


matriel gologique arriv en 1837. Bonpland propose de nouveau de lui
confectionner un double du catalogue en 1838 mais il nobtient aucune rponse.
En 1842, au plus fort de son isolement scientifique labsence de nouvelles du
Prussien le rend fortement afflig 2895 . Sans son meilleur et presque unique
soutien solide en Europe, Bonpland est dfinitivement cart du centre scientifique
europen. Sa dpendance vis--vis de quelques personnalits provoque facilement
la rupture du lien transatlantique.

3. La marginalisation du projet scientifique


Concentrer

ladministration

dun

cabinet

dhistoire

naturelle,

la

rcollection des pices lui tant destines, ainsi que les publications associes
savre donc tre impossible. Ce programme, russi Malmaison, ne parvient pas
tre adapt aux ralits rioplatenses. Malgr lchec du transfert de laboratoire,
Bonpland dcide de poursuivre lexprience amricaine, en y apportant toutefois
quelques modifications dimportance. Progressivement, le savant renonce
participer llaboration de laboratoires scientifiques, prfrant mettre ses
connaissances au service exclusif du Musum parisien. Cette orientation se traduit
aussi par une divulgation des rsultats et lautorisation donne pour leur
utilisation, et donc leur publication en France. Places au second plan, les
proccupations de laboratoire et de publication traduisent une ambition
scientifique refonde.
Des liens particuliers le relient la France et le poussent lui rserver ses
travaux mme loin ; sa fonction de correspondant de lAcadmie des sciences
dabord, puis celle de correspondant du Musum font natre un sentiment
dappartenance scientifique dautant plus fort quil en est loin. Les envois quil
prpare au cours des annes 1830 pour le Musum dHistoire naturelle de Paris
sont soutenus par la volont de concourir au rayonnement de linstitution. Entre
1831 et 1838 Bonpland se montre presque frntique, au moins boulimique
concernant la quantit de matriaux quil remet au Musum. Il sagit des gages de
2895

Bonpland Humboldt, Corrientes, 28 mars 1838, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., p. 126 ; AMFBJAD n 869, Bonpland B. Delessert, Montevideo, 22 janvier 1842.
743

Troisime partie

Chapitre VIII

son attachement linstitution franaise quil privilgie puisquil ne dveloppe


pratiquement pas dchanges avec dautres jardins hormis ceux de Naples et de
Kew quil fournit en quantits beaucoup plus modestes. En se consacrant
principalement au travail de terrain, et lenvoi en Europe des matriaux trouvs,
Bonpland se conforme de plus en plus son statut de correspondant octroy en
1817 puis confort en 1830.

Le martyr du Paraguay : loccasion rate


Les raisons de cet enlvement sont fournies par les contemporains de
Bonpland qui rappellent que Francia est coutumier de cette pratique. En effet le
territoire paraguayen est interdit toute personne trangre, Francia se protgeant
ainsi des convoitises de ses voisins qui ne reconnaissent pas son autorit au mme
titre que les puissances europennes. Le rapt est une arme utilise par Francia ds
le dbut de son rgne pour obtenir une reconnaissance de la part des grandes
puissances, explique Woodbine Parish qui prend comme point de comparaison
lenlvement du Franais Soria en 1826 accus de connivence avec le
gouvernement de Buenos Aires contre Francia 2896 . Bonpland lui-mme peut
facilement tre accus de connivence avec le gouvernement de Corrientes
puisquil dispose dinstructions officielles provenant de celui-ci. Il devient donc
une arme la fois contre les gouvernements rioplatenses et franais qui ne
reconnaissent pas son autorit.
A cette explication dordre diplomatique sajoutent des motifs politiques et
conomiques. Alfred Demersay met laccent sur la convoitise suscite par la
rgion des Missions qui, selon Pedro de Angelis, appartiennent aux Provinces
Unies de la Plata. Or Bonpland ne se trouve alors pas lintrieur du territoire
argentin, Angelis rcrivant ici lhistoire au profit de son pays dadoption. Martin
de Moussy ajoute que la question de la possession territoriale est essentielle :
Ltablissement de Santa-Ana semblait une prise de possession de la part
de Corrientes au mpris du prtendu droit du Paraguay.

2896

2897

Cf. VASQUEZ Anbal S., El sabio Bonpland. La vida, la obra y la trageda pstuma de
Bonpland, Paran, Predassi Impresores, 1935, p. 82.
2897
MARTIN DE MOUSSY J. A. Victor, op. cit., p. 418.
744

Troisime partie

Chapitre VIII

Si la position de Pedro de Angelis se situe dans la logique de la politique suivie


par son pays dadoption, celles de Martin de Moussy et Demersay dnotent une
prise de position claire en faveur de lArgentine. La situation est beaucoup plus
confuse dans cette zone qui nintgre officiellement la rpublique argentine
quaprs la chute du rgime de Rosas. En 1821, les frontires ne sont pas fixes et
la Rpublique du Paraguay qui nest reconnue ni en Amrique ni en Europe se
situe, comme lensemble du Ro de la Plata et du Brsil, dans une phase de
construction territoriale. A ce titre, le Paraguay apparat dailleurs chez nombre de
voyageurs comme le pays ayant le mieux prserv lhritage jsuite. Francia ne
peut tolrer ltablissement dune tte de pont argentine sur les bords du Paran
susceptible dattirer la population indienne autour dun tablissement agricole.
Lessor agricole, lattraction de la population, le dveloppement de lexploitation
des forts de mat sont autant de motifs amenant Francia ragir par crainte de
voir sinstaller un verrou en face dItapa qui demeure la seule route commerciale
du pays.
Mais les motifs politiques ne suffisent pas faire de Bonpland un martyr si
lon oublie laspect scientifique mis en avant par Martin de Moussy puis par
Brunel. Tous deux insistent sur lopposition entre les buts scientifiques du voyage
de Bonpland et la brutalit de Francia. Car une fois oublis les motifs rels de
lenlvement il reste le symbole du savant victime de son sacerdoce. En effet,
alors quil est dtenu au Paraguay, le clbre voyageur tel que le qualifie le
Bulletin de la Socit de Gographie retient lattention dans la mesure o il sert
dexemple vis--vis des prils de tout genre attachs aux explorations
lointaines 2898 . Mirbel met en image la dtention de son confrre en lui confiant
qu Paris nous pensions que le Dr Francia tait comme lAchron qui ne lache
pas sa proie 2899 .
Les interventions en faveur de la libration ont dj t largement
racontes 2900 . Il savre plus difficile de dcrire avec exactitude sa dtention au
Paraguay, car trs peu dinformations directes font cho de cette priode.
Toutefois, cette rupture des relations tout comme lisolement dans lequel se trouve
Bonpland rvlent des rseaux agissant pour obtenir sa libration. Il est intressant
2898

An. Savans dtenus au Paraguay , in Bulletin de la Socit de Gographie de Paris,


premire srie, tome IV, n 29, septembre 1825, pp. 200-201.
2899
AMFBJAD n 437, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 9 janvier 1833.
2900
La recherche de Stphane Bdre reste la plus complte ce sujet.
745

Troisime partie

Chapitre VIII

de sattarder sur quelques curiosits mettant en avant lignorance de ses


contemporains vis--vis de sa situation. En 1827, aprs six annes de captivit, le
consul tasunien au Mexique Joel Robert Poinsett lui envoie sa lettre de
citoyennet mexicaine, ignorant totalement sa condition. DOrbigny informe le
Musum de la mise en libert de Bonpland par une lettre date de Buenos Aires, le
14 novembre 1829, laquelle le Musum rpond en avril de lanne suivante 2901 .
Suivant les rumeurs propages par dOrbigny, Delile et le milieu savant
franais pensent quaprs son transfert Itapa en 1829 Bonpland est dj en
libert. Il ajoute que la prosprit acquise par le captif lui a permis d
entretenir lespoir de raliser quelque jour une fortune disponible en
partie, et [son] affranchissement

2902

En Europe, on espre beaucoup de ce sjour involontaire pour les


sciences 2903 . Aussi la dlivrance de Bonpland est-elle annonce en mme temps
que lannonce de son proche retour en Europe 2904 . La publicit faite autour du
botaniste aprs sa libration est relativement importante puisquune lettre de
Bonpland adresse Roguin bnficie des honneurs de la presse argentine,
anglaise et franaise 2905 . Delessert parle des malheurs que vous avez prouvs
auxquels le monde entier avait port tant dintrt 2906 .
Le prisonnier de Francia est attendu en Europe autant pour son aventure
paraguayenne que pour ses rsultats scientifiques. Apprenant sa rcente libration,
Mirbel lexhorte abandonner au plus vite une vie quil juge trop aventureuse 2907 .
Pour sa part, Bonpland confie ses interlocuteurs amricains comme europens
son intention de rentrer en Europe aprs avoir constitu un tablissement agricole
et une collection botanique quil compte faire fructifier une fois revenu en
Europe 2908 . Bonpland opte alors pour la poursuite de son rve amricain, tape
alors transitoire vers une nouvelle vie europenne quil imagine prochaine. Il
2901

Cf. BERAUD Gilles (d.), MIRET Enric, DORY Daniel (coll.), op. cit., pp. 49, 101.
AMFBJAD n 1997, A. Raffeneau-Delile Bonpland, Montpellier, 10 fvrier 1833.
2903
An. M. de Bonpland , in Bulletin de la Socit de Gographie de Paris, premire srie, tome
V, n 37-38, mai-juin 1826, pp. 660-661.
2904
An., dlivrance de M. Bompland , in Bulletin de la Socit de Gographie de Paris,
premire srie, tome XIII, n 84, avril 1830, p. 200.
2905
An., s. t., Bulletin de la Socit de Gographie de Paris, premire srie, tome XVI, n 99,
juillet 1831, pp. 40-42.
2906
AMFBJAD n 855, Delessert Bonpland, Paris, 20 fvrier 1833.
2907
changez en une vie studieuse votre vie aventureuse ; vous devez tre guri de ce besoin de
courir le monde , AMFBJAD n 437, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 9 janvier 1833.
2908
AMFBJAD n 1591, Bonpland A. Herrera, Buenos Aires, 15 septembre 1832 ; AMFBJAD
n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.
2902

746

Troisime partie

Chapitre VIII

pense demeurer un an ou deux en Amrique, afin principalement de collecter des


chantillons, puis retourner en France.
De plus, en guise de relation de voyage, Bonpland na gure mieux
prsenter que le rcit dune dtention aux alentours dun village paraguayen plutt
bien vcue, aux antipodes des rcits des autres dtenus. Quant aux rsultats de
collectes effectues quelques kilomtres autour de ce mme village, ils
apparaissent aux yeux du botaniste nettement insuffisants pour alimenter un
ouvrage ; il choisit de retarder son retour en Europe pour revenir mieux dot car il
craint de ne rien avoir prsenter ;
cependant jaime croire que toutes mes craintes se dissiperont lorsque je
me verrai avec des collections qui moffriront plus davantages quelles
ne men offraient lors de ma sortie du Paraguay

2909

crit-il Humboldt. Bonpland est ce moment en proie la peur de ne pas tre


la hauteur des attentes de ses confrres, tel Mirbel qui attend avec impatience la
relation de son voyage ainsi que ses rsultats scientifiques 2910 .
Bonpland recommence ses recherches avec lespoir, crit-il,
de prparer tout ce que je trouverai, de le dcrire exactement, et de
lenvoyer au Musum o jesperais revoir bientt mes collections.

2911

Il tient le mme discours tous ses interlocuteurs, expliquant quil ne veut pas
quitter lAmrique sans y accomplir ses objectifs conomiques et scientifiques. Il
emploie le terme de lthargie pour qualifier les neuf annes passes au
Paraguay, ce qui lencourage reprendre ses anciens travaux avec nergie, pour
collecter des nouveaux matriaux ainsi que les anciens perdus en 1821 2912 . La
prsence de ses anciens camarades, Brard et Voulquin, installs dans la province
de Corrientes, joue un rle dans sa dcision de poursuivre son travail 2913 .
Humboldt comprend parfaitement que loccasion qui soffre son ami de
revenir aurol de son aventure est saisir sans attendre. En bon publiciste il
obtient la croix de la Lgion dhonneur pour Bonpland 2914 . Par lintermdiaire de

2909

AMFBJAD n 322, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, aot 1832.


AMFBJAD n 437, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 9 janvier 1833.
2911
AMFBJAD, s.n., s.d.
2912
AMFBJAD n 318 et 319, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai et 1er juin 1832.
2913
AMFBJAD n 843, P. Voulquin Bonpland, Ca Cat, 13 janvier 1832.
2914
Humboldt F. Guizot, Postdam, Mai 1833, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
232.
2910

747

Troisime partie

Chapitre VIII

Boissire, il lincite se mettre au plus vite en relation avec le gouvernement


franais ;
Un long silence paraitrait singulier, il prtend enfin que lon sattendait
une lettre de vous linstitut au moment de votre dlivrance.

2915

En effet, en choisissant de ne pas revenir en France immdiatement


Bonpland perd lintrt suscit par sa dtention qui reste selon lui la raison
principale de son refus de revenir. Il explique en 1837 que le petit nombre de
spcimens livr au Musum sexplique par la perte dun herbier constitu de 2 000
plantes survenue en 1821. Il na eu de cesse depuis 1830 de le recommencer pour
arriver en 1837 la somme de 3 000 chantillons 2916 . Les pertes subies par le
botaniste lors de son enlvement expliquent ses atermoiements jusquen 1840. A
cette date, alors que la mort de Francia suscite de nouveau un intrt pour le
Paraguay, Candolle lincite encore rentrer pour publier le rcit de ses aventures.
Bonpland ne sy rsout pas et perd l une autre occasion den tirer parti.

Un sentiment disolement institutionnel


Au retard bien rel que Bonpland accumule sajoute un sentiment
disolement qui crot lui aussi au cours des annes 1830 pour culminer en 1840.
En effet, le relais institutionnel est indispensable Bonpland pour continuer son
travail. En 1832 son envoi ralis en direction du Musum comporte lnorme
quantit de 25 caisses de matriaux, soit la presque totalit de ce qui peut tre
sauv de ses collections, excepts les instruments de travail. En 1834 Bonpland
relve les bonnes dispositions des autorits savantes lgard de dOrbigny 2917 , ce
qui lencourage dans ses propres travaux. Il poursuit donc ses envois dans le but
avou de lguer dabord tous ses doubles en 1837 puis en 1838 la totalit de ses

2915

AMFBJAD n 413, A. Boissire Bonpland, Paris, 5 juin 1833.


AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos
Aires, 5 janvier 1837.
2917
Les rapporteurs [] sintressent vivement ce que lacadmie franaise, le Ministre et le
chef de linstruction publique prennent part la publication des travaux , AMFBJAD n 1703,
voyage de So Borja dans la province de Corrientes, aot 1834.

2916

748

Troisime partie

Chapitre VIII

travaux au Musum jusqu son retour en Europe 2918 . Ses lettres nous apprennent
sa fiert concernant lavance des sciences botaniques dans son pays dorigine. Il
fait part de son admiration pour le travail botanique effectu par Candolle ou celui
de Flourens au profit de la France 2919 .
Or, lessentiel de son rseau est situ entre le Musum et lAcadmie des
sciences auxquels il consacre lessentiel de son nergie. Mais sa correspondance
dpend en grande partie de ses relations personnelles qui samenuisent au fil du
temps. Avant 1821 ses liens avec Thnard et Gay-Lussac lui permettent davoir
accs au laboratoire parisien mais ces liens se distendent. Aprs 1831 Bonpland
demande en vertu de son ancien statut de membre correspondant de lAcadmie
des Sciences, ainsi quau nom de son nouveau statut de correspondant du Musum
acquis en 1830, ds les rumeurs dune prochaine libration connues, que des
recherches soient menes en faveur de linstitution scientifique. Ce rle est assum
avec beaucoup de gravit partir de 1831 autant pour faire entendre ses
prrogatives que pour rappeler quil est dispos rpondre toutes les demandes
provenant de Paris. Il est clair quil peroit son statut comme impliquant des droits
quil entend faire respecter. Ses envois rpts sont en quelque sorte un gage
dallgeance, aussi ressent-il un isolement croissant au cours des annes 1830 en
constatant labsence de rciprocit.
Bien que le titre de correspondant octroy par le Musum soit purement
honorifique, il a pour rle 2920 et effet de stimuler le zle de Bonpland qui se plaint
de ne pas susciter en retour lintrt des savants franais. Une explication rside
dans les priorits du Musum si lon en croit une lettre dAlcide dOrbigny date
de 1829. Dans celle-ci, le naturaliste rpond aux demandes du Musum qui juge
plus profitable son voyage en Patagonie que celui de Corrientes pour ce qui touche
lacclimatation de spcimens botaniques en France2921 . Pour des raisons
dacclimatation, le terrain subtropical est moins pris par les scientifiques franais
que le terrain tempr. Aussi les collectes de Bonpland peuvent-elles tre perues
de moindre utilit en ce qui concerne leur utilisation pratique. A ce propos, un
2918

AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos


Aires, 5 janvier 1837 ; AMFBJAD n 911, Bonpland Delessert, Corrientes, 28 mars 1838.
2919
AMFBJAD n 421, Bonpland A. P. de Candolle, Montevideo, 18 mai 1840 ; HAMY
Thodore Jules Ernest, p. 163.
2920
RIVIALE Pascal, op. cit., p. 38.
2921
Lettre des professeurs administrateurs du Musum Alcide dOrbigny, 16 janvier 1829, cit in
BERAUD Gilles (d.), MIRET Enric, DORY Daniel (coll.), op. cit., p. 98.
749

Troisime partie

Chapitre VIII

dtail dimportance est annot sur le diplme de correspondant que lui adresse le
Musum en 1830 car celui-ci invite le botaniste poursuivre ses recherches au
Paraguay 2922 . Une telle demande intervenant aprs neuf annes de dtention dans
ce pays reflte une mconnaissance du terrain de la part de linstitution franaise
comme une demande spcifique vis--vis du seul pays nayant pas encore t
inventori aprs le passage de Saint-Hilaire et dOrbigny.
Ses collections, gage de son zle scientifique envers la France, ne sont pas
encore arrives Paris en mai 1833 2923 . En 1834, Bonpland tente de faire parvenir
Mirbel des graines stratifies avec du sable comme il le lui a demand. Hsitant
dabord le faire par ce moyen onreux, il est convaincu par la suret et la
brivet dune expdition fluviale sur le Paran jusqu Buenos Aires o lattend
le consul Mendeville 2924 . Mais Mirbel reoit la lettre et non la caisse ; en outre la
dure du voyage nuit lenvoi car la stratification est une bonne mthode si le
voyage ne dpasse pas deux mois. Il craint comme cela arrive souvent que la
caisse soit retenue par la douane et que lenvoi soit effectu en pure perte 2925 .
En 1835 le Musum reoit enfin des caisses et lui fait immdiatement part
de sa reconnaissance par la voix de Mirbel :
Nous apprcions tous, comme nous le devons, un zle aussi constant et
aussi clair, pour la prosprit de ltablissement qui est confi nos
soins.

2926

Les professeurs du Musum, en proie des difficults pour financer les voyages
scientifiques, apprcient ces envois 2927 . Un change solide sinitie toutefois entre
Bonpland et Mirbel qui lui fait pour sa part des demandes prcises car les apports
de Bonpland sont pour lui prcieux, sa fonction de professeur de culture quil
exerce de 1828 1850 impliquant la naturalisation des plantes exotiques 2928 . En
outre, Mirbel fait part Bonpland dune importante volution vis--vis de ltude
des vgtaux en France depuis le dpart de son confrre pour Buenos Aires. En
2922

AMFBJAD, s. n., diplme de correspondant du Musum dHistoire naturelle, 22 dcembre


1830.
2923
Humboldt F. Guizot, Postdam, mai 1833, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p.
232.
2924
AMFBJAD n 282, dtail des graines envoyes de Corrientes Mirbel en septembre 1834 ;
AMFBJAD n378b, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 18 septembre 1834.
2925
AMFBJAD n 438, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 23 mars 1835.
2926
AMFBJAD n 438, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 23 mars 1835.
2927
Cf. RIVIALE Pascal, op. cit., p. 37.
2928
Jen fais un cas tout particulier , ajoute-t-il. En ma qualit de professeur de culture, je dois
travailler sans relche la naturalisation des plantes exotiques. , AMFBJAD n 438, C.-F.
Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 23 mars 1835.
750

Troisime partie

Chapitre VIII

effet, il explique la part de plus en plus grande faite aux sciences appliques.
Ainsi, la botanique jouit-elle par ce biais dun nouveau prestige social 2929 , ce qui
rejoint les proccupations des Rioplatenses exprimes en 1817, avec cette
diffrence essentielle quen France, limpulsion vient de la base.
Cette demande dutilitarisme correspond tout fait ce quest capable de
livrer Bonpland, savoir des spcimens valorisables conomiquement. Les notes
du botaniste qui accompagnent ses envois insistent dailleurs systmatiquement
sur leur utilit, il en fait une profession de foi2930 et valorise son rle dobservateur
privilgi afin de faire passer le savoir sur les proprits et lutilit des plantes des
utilisateurs au laboratoire 2931 . Mais jusquen 1848 la chaire de culture du Musum
est la seule institution tatique denseignement agricole suprieur 2932 et Mirbel qui
loccupe ne sintresse gure lamlioration des plantes sinon pour leur
utilisation ornementale 2933 . Lutilitarisme nest pas encore lordre du jour
Paris, les recherches privilgiant encore lornementation. En 1848 la cration de
fermes-coles pour les travailleurs agricoles, dcoles rgionales pour la formation
des chefs dexploitation et de lInstitut National dAgronomie pour former les
enseignants des coles rgionales constitue un rseau cohrent, lInstitut ayant
aussi pour mission lintroduction et lamlioration despces vgtales et animales
et la dynamisation de la recherche agraire. Mais ce rseau est supprim en 1852 du
fait de son cot excessif et des hsitations du pouvoir impulser la science
exprimentale 2934 .

2929

Mirbel sexprime propos de sa mission : Elle a ce double mrite quelle correspond


deux besoins de nature trs diffrente, mais dune importance gale : les progrs de la science et de
la culture. Aujourdhui en France, les masses commencent faire quelque cas des sciences ; mais
cest moins [] pour leur beaut abstraite quon les estime que parce quon juge quelles sont
applicables aux besoins matriels de la vie. [note : cette conviction de la multitude nous est trs
utile] Le gouvernement ny saurait rsister : il se voit contraint dencourager les sciences sous
peine, en cas de refus, de passer pour ennemi de la prosprit publique. [] Notre intrt tous,
tant que nous sommes, qui nous livrons aux tudes scientifiques par tat et par got, est de
maintenir cet ordre de chose, sans lequel dans ce sicle tout matrialiste, la science ne trouverait
plus de proneurs et dappuis. , AMFBJAD n 438, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 23
mars 1835.
2930
AMFBJAD n 381, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840.
2931
AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos
Aires, 5 janvier 1837.
2932
GAYON Jean, Le Musum national dHistoire naturelle et lamlioration des plantes au XIXe
sicle , in BLANCKAERT Claude, COHEN Claudine, CORSI Pietro, FISCHER Jean-Louis
(coord.), op. cit., p. 378.
2933
Ibid., p. 389.
2934
Ibid., p. 378.
751

Troisime partie

Chapitre VIII

Mirbel correspond toutefois le plus rgulirement possible en envoyant des


instructions prcises, notamment propos du mas de leau que Bonpland ne peut
lui procurer 2935 . Il rpond aussi aux souhaits de son confrre qui il remet en 1838
une caisse contenant notamment la digitalis purpurea mdicinale et des graines de
plantes de Nouvelle-Hollande dont la casuarina equisetifolia 2936 . Il joint en 1839
ses envois des commentaires qui permettent Bonpland dtre tenu au courant
de lvolution de la botanique en Europe. Mirbel est un des rares savants franais
maintenir une correspondance scientifique avec Bonpland 2937 , entretenant un
rseau qui reste dfinir.
Pourtant, Bonpland ressent un isolement particulirement fort lorsquil
sadresse au laboratoire afin dobtenir des expriences. En 1832, il demande en
vain le rsultat des expriences menes sur les chantillons de convolvulus par
lcole de mdecine avant de revenir en France pour prendre les mesures
ncessaires leur exploitation 2938 . Concernant un nouveau genre de quassia il
sollicite dabord en 1834 Achille Richard et Guillaume Dupuytren. Cest Alibert
qui lui rpond que sa demande est bien prise en compte 2939 mais Bonpland
nobtient aucune rponse et lui ritre plusieurs fois sa demande. En 1837 il
supplie le Musum pour obtenir les expriences demandes 2940 . Il multiplie les
voies institutionnelles et personnelles pour obtenir des rponses, sans succs car il
ignore que Dupuytren est mort en 1835 et quAlibert dcde son tour en 1837.
Bonpland le comprend en 1851, lorsquil explique la fragilit de ses
communications :

2935

AMFBJAD n 379, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
AMFBJAD n294, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Corrientes, 5 avril 1838 ; AMFBJAD
n 381, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840.
2937
Mirbel lui fait part de la dernire mode prussienne en matire de botanique : Un certain Mr.
Schleiden de Prusse, ami de Mr. de Humboldt, jeune avocat plein desprit, de sagacit, de talent,
sest jet tout coup dans la carrire et sefforce de nous prouver que les plantes nont point,
proprement parler, de sexe. [] Quoi quil en soit, les universits de lAllemagne adoptent avec
une incroyable ardeur cette nouvelle doctrine. Jai considr ce systme comme une insulte au beau
sexe des plantes et en ma qualit de chevalier franais, jai pris sa dfense. , AMFBJAD n 439,
C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Jardin du Roi, 27 mars 1839.
2938
AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832.
2939
AMFBJAD n 1998, A. Raffeneau-Delile Bonpland, Montpellier, 25 fvrier 1834 ;
AMFBJAD n 278, Bonpland au Directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos Aires, 5
janvier 1837 ; AMFBJAD n 286, Bonpland A. Richard, Buenos Aires, 25 janvier 1837 ;
AMFBJAD n 291, Bonpland M.-E. Chevreul, P. L. A. Cordier et A. Brongniart, Corrientes, 28
mars 1838.
2940
AMFBJAD n 278, Bonpland au directeur du Musum Royal dhistoire naturelle, Buenos
Aires, 5 janvier 1837 ; AMFBJAD n 390, M.-E. Chevreul, P. L. A. Cordier et A. Brongniart
Bonpland, Paris 21 juillet 1837.
2936

752

Troisime partie

Chapitre VIII

Jai fais les dmarches ncessaires pour tablir des relations entre la
France et moi. Tous ces efforts sont devenus sans effet par la mort de
MM. Alibert et Dupuytren, avec lesquels jtais en correspondance, et par
la maladie de M. de Mirbel

2941

constate-t-il amrement. Ses liens sont effectivement tnus et ses soutiens


davantage encore.
A la fin des annes 1830 Bonpland a limpression davoir beaucoup
envoy mais peu reu dune part, et davoir envoy en pure perte ensuite. En 1837
il propose Dumril une tte de tapir diffrente de celle dcrite par celui-ci en
1825 2942 . Labsence de rponse peut tre interprte comme un dsintrt vis--vis
de ce type de matriaux mme si leur raret explique difficilement le silence de
son interlocuteur. Cependant Dumril est spcialis dans un autre domaine et il
entreprend depuis 1834 son Erptologie gnrale, ou Histoire naturelle complte
des reptiles. La proposition de Bonpland rvle son manque dinformation au sujet
des travaux de ses collgues. De plus, les rponses que Bonpland obtient de Paris
lui paraissent sans mesure avec les efforts quil fournit pour son pays en vue de
remplir ses devoirs de correspondant. Il reproche au Musum de le laisser sans
instructions, les lettres de Mirbel ne suffisant pas combler les frustrations de
Bonpland concernant labsence de rponses plus prcises concernant lanalyse et
lutilisation de ses envois.
En 1840, Bonpland se tourne une nouvelle fois vers Mirbel car il demeure
sans nouvelle de ses envois. Ce manque de rciprocit amne Bonpland menacer
de cesser ses envois.
Le silence des habitants de lancien monde me rend paresseux

2943

crit-il Mirbel. Peu avant de disparatre nouveau, Bonpland pense qu


Paris [] on est indifferent lexcs, on recoit et lon se tait presque
totalement

2944

spcialement concernant labsence de rponse des fils Richard et Jussieu qui


constituent ses principaux relais au sein du Musum. Ce dernier auquel les
collections de Bonpland sont confies 2945 fait parvenir en 1837 une note critique
2941

Bonpland F. Delessert, So Borja, 25 septembre 1851, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., p. 162.
2942
AMFBJAD n 287, Bonpland A. M. C. Dumril, Buenos Aires, 25 janvier 1837.
2943
AMFBJAD n 380, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Santa Ana, 16 fvrier 1840.
2944
AMFBJAD n 380, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Santa Ana, 16 fvrier 1840.
2945
AMFBJAD n 437, C.-F. Brisseau de Mirbel Bonpland, Paris, 9 janvier 1833.
753

Troisime partie

Chapitre VIII

Bonpland 2946 concernant les collections remises en 1832. Bonpland est trs affect
des reproches vis--vis dune suppose accaparation des spcimens collects avec
Humboldt 2947 et explique quil a gard quelques chantillons en mauvais tat
comme guides scientifiques, pensant les ramener avec lui lors de son retour en
France 2948 . Il fait la leon linstitution qui il demande
des recherches sur lutilit des plantes [qui] offriraient de grands avantages ; elles
sont vritablement trop ngliges

2949

La rupture entre Bonpland et le Musum est palpable, les offres scientifiques du


botaniste ne recevant pas lcho souhait. Le silence de Bonpland au cours des
annes 1840 sexplique par ltat politique, mais une rvaluation peut tre
effectue au vu de la tension des relations scientifiques entre Paris et So Borja.
En effet, le contentieux porte sur lherbier gnral du voyage avec Humboldt que
Bonpland dit avoir envoy. En outre, plusieurs lments indiquent quen 1840 il
choisit de ne pas envoyer ses matriaux, prtextant auprs de Humboldt une
situation politique dfavorable alors quil a en sa possession les matriaux
demands. Le silence qui se prolonge jusquen 1845 et sa rencontre avec Alfred
Demersay est probablement aussi le signe dun abandon pur et simple des
recherches, la situation extrmement prcaire du savant du fait de la Guerra
Grande le favorisant fortement.

Un statut scientifique priphrique


Bonpland, en insistant pour recevoir des instructions, se peroit davantage
comme un voyageur-naturaliste alors que pour le Musum il est un correspondant,
titre purement honorifique sans aucune consquence sur la direction et
lorientation des recherches. Plus encore en sciences naturelles quailleurs il a
besoin dun patron , suivant lanalyse de Stephen Bell dans le domaine
conomique. A ce titre son attachement la France est, scientifiquement, aussi
visible que politiquement. Cet attachement est aussi li lambition dtre
2946

AMFBJAD n 289, Bonpland A. de Jussieu, Buenos Aires, 25 janvier 1837.


AMFBJAD n 911, Bonpland Delessert, Corrientes, 28 mars 1838.
2948
AMFBJAD n 291, Bonpland M.-E. Chevreul, P. L. A. Cordier et A. Brongniart, Corrientes,
28 mars 1838.
2949
AMFBJAD n 381, Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 17 mai 1840.

2947

754

Troisime partie

Chapitre VIII

reconnu, ce thme de la lgitimation scientifique apparaissant frquemment dans


les lettres du Franais vis--vis de ses interlocuteurs.
Un premier hommage vis--vis du travail de Bonpland mane de Naples,
do Tenore lui ddie une nouvelle espce de plante envoye par le Franais2950 . Il
ne sagit toutefois pas de la reconnaissance dsire car elle place Bonpland dans
un rle de collecteur au lieu de celui de dcouvreur. Cette hirarchisation peut
savrer frustrante comme cest le cas

chez dOrbigny lorsquil fait part

Geoffroy Saint-Hilaire puis aux professeurs du Musum de sa frustration de les


voir le considrer comme un simple ouvrier prparateur 2951 . A linstar
dAlcide dOrbigny qui pense ce moment sa carrire future, Bonpland tente de
sortir de cette priphrie scientifique dans laquelle il sest enferm. Mais
lisolement gographique qui sajoute lisolement scientifique lui porte
prjudice. Alcide dOrbigny confond Santa Ana des Missions avec la proprit de
Bonpland situe dans la province de Corrientes. Le statut de terrain de recherche
secondaire du Ro de la Plata est confirm puisque la collecte alimente un
laboratoire europen.
Loptimisme de Bonpland qui pense obtenir un poste au Musum son
retour revenir avec une place assure est contrebalanc par la difficult relle
obtenir une place car les postes sont disputs. Delile crit ds 1834 que la
rputation de Bonpland ne saurait tre suffisante face une nouvelle gnration
qui se bouscule aux places honorifiques ; une rputation en France nassure pas un
salaire 2952 . Il insiste sur la monte de la nouvelle gnration, bien appuye :
Nos protecteurs, nos patrons, les Chaptal etc. et surtout les miens
Egyptiens sont morts. La jeunesse occupe des avenues o des relations de
famille, dintrts, dentourages la soutiennent et nous ne pouvons y tre
tous la fois. Je suis ici [ Montpellier] parce quil nexiste pas
dquivalent que jaie pu postuler Paris.

2950

2953

AMFBJAD n 411, M. Tenore Bonpland, Naples, 4 avril 1836.


BERAUD Gilles (d.), MIRET Enric, DORY Daniel (coll.), op. cit., pp. 32, 35.
2952
Revenez-y autant que possible plutt courtis que courtisan , conseille-t-il Bonpland.
AMFBJAD n 1997, A. Raffeneau-Delile Bonpland, Montpellier, 10 fvrier 1833. La profane
quest sa belle-fille Emma met en avant les brillants travaux de Bonpland, et lui assure que sa
rputation est son comble. AMFBJAD n 1569, E. Buchey Bonpland, Paris, 26 juin 1835.
2953
AMFBJAD n 1998, A. Raffeneau-Delile Bonpland, Montpellier, 25 fvrier 1834.
2951

755

Troisime partie

Chapitre VIII

Quatre ans plus tard, Delile sollicite la place vacante dconomie rurale
lAcadmie des Sciences. Il assure quen cas dlection il quitterait sur-le-champ
la place quil occupe Montpellier 2954 .
Bonpland est dpendant de la pension qui lui est octroye par lEtat
franais. Ray de la liste des pensionnaires depuis son enlvement, il confie en
1832 Forest sa demande de paiement des arrirs 2955 . En attendant une issue
favorable, lespoir de monnayer ses travaux scientifiques guide son action. En
1834, Delile lincite poursuivre ses envois afin de toucher une indemnit 2956 .
Lanne suivante, Bonpland nest toujours pas pay, aussi estime-t-il quun retour
en France peut lui permettre de percevoir une compensation financire 2957 . Il est
prs de leffectuer en 1837 2958 , mais il peroit cette anne 14 000 francs
darrrages, ce qui lui permet de solder des dettes parfois vieilles de vingt ans,
ainsi que de clore laffaire Galup 2959 . Il est probable que faute de versement
Bonpland eut t oblig de revenir en France, sa situation financire tant alors
critique. Afin dviter une situation similaire, Bonpland compte se rendre
Buenos Aires en dcembre 1838 pour envoyer son certificat. Mais ses projets tant
contrecarrs, il doit attendre 1840 pour renouer des relations avec lEurope.
Delessert lengage alors ne pas laisser passer lanne 1841 pour envoyer un
certificat, et Bonpland promet de le faire chaque anne en en convenant avec le
consul Baradre 2960 , ce qui ne se concrtise pas pour les motifs dj voqus.
En 1838, il envisage de nouveau un retour en France si ltablissement
agricole quil vient de fonder Santa Ana priclite. Il demeure persuad quune
place au Jardin du roi lui est au moins accessible sinon rserve 2961 . Il est aussi
persuad du bon accueil qui lui serait fait son retour. En 1840, le sort du
2954

Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences, tome 6, 1er
janvier 1838, p. 19. Cest Victor Audouin, n en 1797, qui est lu.
2955
AMFBJAD n 318, Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 7 mai 1832.
2956
AMFBJAD n1998, A. Raffeneau-Delile Bonpland, Montpellier, 25 fvrier 1834.
2957
AMFBJAD n 908, Bonpland Delessert, San Borja 10 janvier 1835.
2958
Bonpland Humboldt, Buenos Aires, 2 mars 1837, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op.
cit., pp. 122-123.
2959
Mon fond de pouvoir [Buenos Aires] ou ses hritiers ont [vendu] tout ce que javais laiss
en depot. Meubles, livres, gravures, intrets et pour comble de malheur il a fallu payer aux hritier
galup 1700P. argent afin deviter un procs , crit-il Barrois ; AMFBJAD n 647 et 645, L.
Lagos Bonpland, Buenos Aires, 18 juillet 1834 et 10 mai 1835 ; AMFBJAD n 957, Delessert
Bonpland, Paris 17 juillet 1837 ; AMFBJAD n 912, Bonpland Barrois, Corrientes, 28 mars
1838.
2960
AMFBJAD n 911, Bonpland Delessert, Corrientes, 28 mars 1838 ; AMFBJAD n 867,
Delessert Bonpland, Paris, 6 novembre 1840 ; AMFBJAD n 865, Bonpland Delessert, s. l.,
1841.
2961
AMFBJAD n 911, Bonpland Delessert, Corrientes, 28 mars 1838.
756

Troisime partie

Chapitre VIII

botaniste est intimement li aux relations entretenues avec sa patrie. Son retour en
France est subordonn aux bnfices dune publication qui se fait de plus en plus
hypothtique. La publication indissociable dun retour en Europe, auxquels il
songe en 1840 aprs le saccage de son exploitation, doit selon lui tre une
formalit :
je tiens ne pas tre persecut par les libraires [...] et je saurai faire tout
ce quil faut pour rendre, au moins certains ouvrages vendables

2962

Il est donc convaincu dtre attendu et de trouver des conditions ddition


favorables. Sa principale source de revenus, affirme-t-il, est constitue par
lexercice de la mdecine, fruit des tudes que jai faites en France 2963 .
Jusquen 1840 il imagine tre en position de force lors de son retour, signe dune
rupture vis--vis des ralits scientifiques franaises le poussant ngliger ses
travaux naturalistes au profit des tentatives agricoles. Mais il continue accumuler
du retard dans ses recherches et il commence tre oubli par le Musum. Il
comprend, en 1840, le dsintrt manifest par son institution de rattachement ; il
perd alors un rle central de dcouvreur pour devenir un simple correspondant.

CONCLUSION
Entre 1817 et 1849 le discours scientifique dAim Bonpland est fond sur
une double ambition. Dune part, il insiste vis--vis de ses correspondants
europens sur son souhait de revenir en France afin de publier les rsultats de ses
recherches et de poursuivre l sa carrire. Dautre part, il simplique vis--vis de
ses interlocuteurs amricains dans des projets de dveloppement locaux. Cette
position ambige en 1817 se clarifie au cours des annes 1830, Bonpland se
tournant essentiellement vers lEurope. Mais alors quil tente de se rapprocher de
Paris pour y relancer sa carrire, sa position scientifique priphrique saccentue
car son projet dexploration est moins pertinent, son retard intellectuel saccentue
et il ne parvient pas sappuyer sur la communaut scientifique locale
insuffisamment solide pour impulser une coopration transatlantique permettant

2962
2963

AMFBJAD n 421, Bonpland A. P. de Candolle, Montevideo, 18 mai 1840.


Ibid.
757

Troisime partie

Chapitre VIII

de rompre son isolement et de proposer un projet scientifique capable dintresser


lEurope. Au lieu de voir le foss se combler, Bonpland le voit se creuser.
Si une tradition scientifique priphrique ne se cre pas, en revanche les
recherches et les correspondances de Bonpland vis--vis de lEurope ont pour but
la cration dune coopration de type amricaniste. Mais en labsence de lieu de
recherche et de communaut scientifique au Ro de la Plata, les travaux
amricanistes mens par Bonpland glissent dune coopration priphrique vers
une marginalisation. Les autres scientifiques europens en font aussi lexprience,
quil sagisse de Mossotti, Ferraris ou mme de Angelis qui produit de la
connaissance usage interne. Le Ro de la Plata et lEurope demeurent au cours de
la premire moiti du XIXe sicle deux aires trs cloisonnes.
Cela nest pas seulement imputable la situation politique rioplatense, ni
particulirement au rgime de Rosas qui se situe dans la continuit de ses
prdcesseurs. Lacquisition de la matire premire scientifique ncessite un
travail exploratoire entam par Tadeo Haenke jusquen 1817 puis poursuivi par
Aim Bonpland jusquen 1821. Aprs cette date, aucune mission de recherche
nest mise en place jusquau recrutement dAuguste Bravard et de Victor Martin
de Moussy au dbut des annes 1850. En 1832, Bonpland conoit encore le projet
dune vaste expdition de rcollection qui, si elle nest pas mise excution,
confirme du moins labsence de volont politique en la matire jusqu cette date.
La faute ne saurait donc en tre impute au seul Rosas qui arrive au pouvoir en
1835 et qui ne relance pas un projet dj enterr. La vritable rupture se situe en
1821, et les recrutements effectus durant cette dcennie confirment que dans le
domaine des sciences naturelles, au moins, les efforts ne sont pas poursuivis. Le
passage de naturalistes europens au cours de cette priode ne provoque pas
dimpulsion ni dmulation, ce qui nous semble reflter ce manque dintrt autant
que lisolement dans lequel demeure Muiz. Il est donc difficile de mettre en place
une correspondance et un travail scientifique bien avant le dbut de la Guerra
Grande. Au terme de ce conflit, les conditions dune coopration et dune
externalisation de la production des connaissances se mettent progressivement en
place.

758

CHAPITRE IX
Vers lamricanisme : la convergence des projets
scientifiques transatlantiques (1849-1858)

INTRODUCTION
Jusquau milieu des annes 1850 lhistoire naturelle rioplatense connat
une longue priode de strilit. Cette image dune science labandon jusquau
terme du rgne de Rosas est, sans doute, marque par la vision des vainqueurs.
Lcole argentine des revisionistas combat particulirement cet aspect du rgime
en insistant sur la vitalit de sa vie scientifique et intellectuelle 2964 . Mais la
construction dune tradition scientifique priphrique implique linteraction avec
un centre. Or, les travaux scientifiques produits demeurent usage interne, ce qui
les marginalise. Cette construction scientifique manque lors des premires annes
de lindpendance connat une nouvelle impulsion la fin de la Guerra Grande.
Les communications transatlantiques rtablies et plus performantes, la
construction de projets politiques et conomiques approuvs la fois par les
Europens et les Rioplatenses favorisent la construction dun projet scientifique
commun.

2964

Cf. IVERN Andrs, Rosas y la medicina. Un aporte a la historia de la medicina en la


repblica argentina, Buenos Aires, Huemul, 1962 ; BOUNOCORE Domingo, Libros, editores e
impresores durante la poca de Rosas, Cordoba, Universidad Nacional, 1969 ; CHAVEZ Fermn,
Rosas educador , in Revista del Instituto Nacional de Investigaciones Histricas Juan Manuel
de
Rosas
[en
ligne],
n
65,
2003
(2010).
URL :
http://sanmartinperonista.blogspot.com/2010/04/rosas-educador-rosas-educador-articulo.html.

Troisime partie

Chapitre IX

Dans quelle mesure ce projet permet-il la fondation dune tradition


amricaniste ? Il sagit dtudier dans un premier temps les termes de la
coopration transatlantique qui se met en place au sortir de la Guerra Grande.
Lessor du rseau scientifique, la fabrication dun discours scientifique et politique
mettant en avant la coopration ainsi que la fondation de structures scientifiques
guides par des objectifs opratoires favorisent lmergence des sciences
naturelles au Ro de la Plata. La fondation du muse de Corrientes dirige par
Aim Bonpland apparat dans un second temps comme le rsultat tangible de la
dynamique scientifique rioplatense qui se met en place au cours des annes 1850.
Enfin, cette dynamique permet de replacer Bonpland au sein de lhistoire des
sciences et, plus particulirement, elle permet de le situer parmi les prcurseurs
des tudes amricanistes.

A. UNE COOPERATION TRANSATLANTIQUE REFONDEE


La redcouverte de Bonpland et de ses travaux est due celui qui
redcouvre aussi le Paraguay, Alfred Demersay. Leur rencontre, en 1845 dans la
chacra de So Borja, met fin une deuxime parenthse scientifique aprs celle
du Paraguay. Aussi faut-il replacer les actions scientifiques quil entreprend aprs
cette rencontre dans la continuit de celles menes jusquen 1840. Les
circonstances politiques le freinent mais nentament pas sa volont de renouer
avec les centres scientifiques. Le voyage entrepris en 1849 Porto Alegre et
Montevideo lui permet de mettre en place un nouveau rseau scientifique centr
sur le Brsil, la route de lintrieur tant la plus sre tant que dure le rgime de
Rosas. Il lui permet aussi de se reconnecter avec lEurope bien quil lui faille
attendre la fin de la Guerra Grande pour ractiver son projet scientifique. Mais
une fois le conflit termin, Bonpland renoue avec une boulimie scientifique
comparable celle des annes 1830.

760

Troisime partie

Chapitre IX

1. Un rseau et un discours scientifique opratoires


Il sagit de mettre en perspective les rapports scientifiques entretenus par
del les frontires provinciales et nationales et desquisser une tude de ces
rseaux qui forment peu peu une Rpublique savante, cest--dire lensemble des
personnes susceptibles dchanger des informations ou de dbattre avec Bonpland.
Ce rseau nest pas seulement compos de scientifiques, beaucoup de personnages
impliqus dans la science et lhistoire naturelle en particulier ne possdant pas de
titre scientifique. Ce rseau sappuie sur un discours idologique transatlantique,
mais si ce discours est partag par la plupart des acteurs cela ne signifie pas pour
autant quil soit prenne.

La reconnexion europenne
Franois Delessert, membre de lAcadmie des sciences depuis le 1er mars
1852, participe redonner une visibilit scientifique Bonpland en France 2965 .
Mais les honneurs doivent beaucoup Alfred Demersay qui obtient de retour
Paris en 1849 la croix de la lgion dhonneur pour Bonpland 2966 . La Lgion
dhonneur acquise en 1849 na pas le mme sens que celle de 1831 donne alors
en compensation de la captivit, alors quen 1849 elle lui est octroye pour son
travail naturaliste par un rgime intress aux affaires du Ro de la Plata. En outre
Demersay rdige un rapport logieux pour le ministre de lInstruction Publique
afin, crit-il, de rendre justice la victime dun oubli incomprhensible 2967 . En
1849, au moment o il sapprte publier ses premiers travaux, Demersay prend
soin de citer Bonpland 2968 et insiste sur ce personnage

2965

AMFBJAD n 960, Delessert Bonpland, Paris, 7 avril 1852.


DEMERSAY Alfred, Etudes conomique sur lAmrique mridionale. Premire tude. Du
tabac au Paraguay. Culture, consommation et commerce, Paris, Guillaumin, 1851, p. IV.
2967
AMFBJAD n 1638, A. Demersay Bonpland, Paris, 12 fvrier 1849. Concernant la remise de
cette dcoration, Demersay ajoute que, le neveu ayant succd loncle que Bonpland a servi
avec zle, [i]l acquitte une partie de ses dettes vis a vis de vous.
2968
Ibid.

2966

761

Troisime partie

Chapitre IX

oubli de la France quil remplissait, il y a un demi-sicle, de lclat de


ses travaux.

2969

Une autre dcoration lui est octroye en 1853 par le roi de Prusse sur la
demande dAlexandre de Humblodt, lordre de lAigle rouge. Bonpland est aussi
nomm docteur honoris causa luniversit de Greifswald et son nom est associ
une revue scientifique consacre la botanique, Bonplandia, dite partir de
1853. Cet ensemble de reconnaissances vise rendre hommage et rinscrire
Bonpland dans le monde savant, en mettant en avant ses travaux raliss avec
Humboldt. Demersay insiste lui aussi sur cette relation au pass dautant plus que
le rgime politique franais rappelle en 1849 et plus encore en 1853 celui du dbut
du sicle. Cest loccasion pour Bonpland de se rinscrire dans lhistoire de son
pays. Plus que de rhabiliter il sagit dhonorer, doctroyer un prestige scientifique
et de redonner une visibilit dont Bonpland essaie de tirer parti en refondant une
coopration scientifique.
Le botaniste souhaite revenir en France pour y publier ses travaux, lide
du retour et de la reconnaissance quil implique ne layant pas quitt. En 1850 et
1851, alors que les contacts sont peine renous avec lEurope, il se dit prt
accompagner ses collections en France, arguant de linstabilit politique
rioplatense 2970 . En 1851 il
conserve le plus vif dsir de retourner en France []. Aujourdhui tous
[s]es dsires seraient daller Paris [s]e mettre au courant des branches de
la science qui [l]intressent le plus et de publier [s]es travaux

2971

Il sappuie aussi sur Liautaud, qui se propose en 1851 afin dappuyer ses
demandes ddition. Il lui conseille denvoyer des chantillons botaniques pour
ouvrir les voies votre grande publication 2972 , en mettant dans la balance ses
relations avec des journalistes, de premire importance selon lui, ainsi que les
anciennes relations de Bonpland 2973 . Mais cette option ne se concrtise pas et, en
1853, Bonpland voque de nouveau son envie de revoir lAcadmie des
2969

DEMERSAY Alfred, Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et des


tablissements des jsuites, Paris, Hachette, tome 1, p. LIX.
2970
AMFBJAD n 965, Bonpland Desmarest et Ducoing, Montevideo, 5 novembre 1850 ;
Bonpland O. Gallocheau, Montevideo, 1er novembre 1850, Bonpland Desmarest et Ducoing,
So Borja, 25 septembre 1851, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., pp. 160-163.
2971
Bonpland F. Delessert, So Borja, 25 septembre 1851, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., p. 163.
2972
AMFBJAD n 671, D. Liautaud Bonpland, Montevideo, 29 janvier 1851.
2973
Ibid.
762

Troisime partie

Chapitre IX

Sciences et de publier ses observations 2974 . Dans sa dernire lettre Humboldt il


ritre son souhait de revenir Paris afin de
prendre les mesures ncessaires pour la publication de mon herbier qui ne
laisse pas davoir de lintrt.

2975

Persuad quune publication demeure ralisable en Europe jusquau dclin de ses


forces, refuse les offres de publication de la part du gouverneur de Corrientes,
Juan Pujol.
Pourtant, les efforts de ses lobbyistes ne portent pas. En outre, Bonpland
lui-mme ne fait aucune proposition directe, la diffrence de ses demandes
prcises effectues avant que ne souvre la parenthse des annes 1840. Les
remarques allusives glisses dans ses courriers partir de 1851 ne rencontrent pas
lcho souhait. Probablement refroidi par les rponses antrieures, le savant
sonde les dispositions de ses relais europens. Il exprime le souhait de venir
simplement dposer ses collections au Jardin des plantes et de retourner en
Amrique 2976 . Limportance de ce geste pour Bonpland est lie au dsir dachever
un parcours scientifique laiss en suspens. Ce geste il ne peut le faire en Amrique
car la science se construit encore en Europe et la valorisation de son travail ne peut
avoir lieu quen France.
Labsence de rponse confirme que les difficults ddition nont pas
chang depuis une dizaine dannes. Arriv en janvier 1849 Paris pour dbuter la
publication de son voyage, Demersay prouve des difficults face aux exigences
des diteurs. Son travail sur la culture du tabac au Paraguay est publi rapidement
dans le Moniteur 2977 mais il doit attendre 1860 pour publier son ouvrage principal
consacr au Paraguay. Faute dun champ scientifique clairement consacr
lAmrique et faute dun public amateur du genre, la publication savre
impossible.

2974

Bonpland F. Delessert, Montevideo, 26 dcembre 1853, cit in HAMY Thodore Jules


Ernest, op. cit., p. 177.
2975
Bonpland Humboldt, Corrientes, 7 juin 1857, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit.,
p. 214.
2976
Bonpland Humboldt, Montevideo, 25 dcembre 1853, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., p. 172.
2977
AMFBJAD n 1638, A. Demersay Bonpland, Paris, 12 fvrier 1849.
763

Troisime partie

Chapitre IX

Lmergence dun rseau savant transatlantique


Lacquisition dinstruments de recherche favorise lmergence dun rseau
savant local et transatlantique. Quoique nous disposions de peu de sources ce
sujet 2978 , la collecte des instruments apparat chez Bonpland comme le pralable
la construction du savoir et sa mise en rseau. En 1851 il crit ne pas avoir eu le
temps de classer les plantes recueillies depuis ses derniers envois au Musum
effectus plus de dix ans auparavant 2979 . Mais il na pas pendant ce laps de temps
bnfici des instruments ncessaires pour le faire. En 1850, il peut commander
les outils ncessaires pour mettre jour ses connaissances et relancer ses
recherches. Il demande les ouvrages botaniques de Candolle et Endlicher,
louvrage minralogique dEndlicher et le Tableau de la Nature de Humboldt 2980 .
En 1853 il fait part de son dpit Humboldt :
la raret, pour ne pas dire la nullit de tes savants ouvrages ici, BuenosAyres, et probablement sur tous les autres points de lAmrique du
Sud.

2981

Lorsquen 1853 Bonpland entre en possession du Genera Plantarum dEndlicher


et du Prodromus de Candolle 2982 il a accumul respectivement 17 et 29 ans de
retard par rapport ces connaissances.
La volont politique est une autre condition indispensable lmergence
dun rseau efficient. Martin de Moussy le dmontre, car il passe par Rio de
Janeiro en 1841, fonde une socit de mdecine Montevideo pendant la Guerra
Grande avant dtre recrut en Argentine par le gnral Urquiza en 1855. Or,
Bonpland est en relation avec Martin de Moussy lors de ses sjours montevideanos
mais les deux hommes demeurent isols. Aprs la fin de la Guerra Grande, Martin
de Moussy dispose du soutien gouvernemental indispensable pour mener une
recherche denvergure. Ds lors, il se consacre lexploration systmatique du

2978

Dans son entourage, la mise en place dune dynamique scientifique ce niveau est illustr
Porto Alegre par Vasconcellos qui reoit les ouvrages de gologie de dOrbigny et Humboldt ;
AMFBJAD n 1136, F.de Vasconcellos Bonpland, col du Para-Sa, picada de Santa Cruz, 16
mars 1850.
2979
Bonpland F. Delessert, So Borja, 25 septembre 1851, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., pp. 162-163.
2980
AMFBJAD n 880, Desmarest et Ducoing Bonpland, Paris, 13 mars 1851.
2981
Bonpland Humboldt, Montevideo, 25 dcembre 1853, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., pp. 170-171.
2982
Ibid., p. 172.
764

Troisime partie

Chapitre IX

pays, mettant en pratique le programme de Bonpland en parcourant 20 000


kilomtres pendant cinq ans. Il reprsente lArgentine lExposition Universelle
de 1867 et parvient faire concider le travail scientifique avec la valorisation des
ressources naturelles. Avec lui loffre et la demande scientifique se rejoignent. Son
appartenance un grand nombre de socits savantes rioplatenses et europennes,
parmi lesquelles se distingue le Comit dArchologie amricaine, en fait un
mdiateur incontournable de lamricanisme en gestation. Avec Martin de
Moussy, on passe de la phase de la collecte dinstruments la cration de ceux-ci,
grce la cration dun espace scientifique public transatlantique 2983 .
Mais les annes 1850 ne marquent pas une rupture, dans la mesure o les
tentatives ddition de revues se soldent l encore par plusieurs checs. En 1854 et
1857 paraissent respectivement El Plata cientfico y literario et El Labrador
Argentino afin de diffuser des thmatiques scientifiques, particulirement dans le
domaine de lhistoire naturelle et dans celui de lagronomie. La premire de ces
revues dans laquelle collabore Bonpland cesse en 1855 et publie peu de travaux
scientifiques ; la seconde connat une existence encore plus phmre. Il faut donc
chercher ailleurs que dans le rgime de Rosas pour trouver les causes de ces
checs successifs.
En effet, la bonne sant des tudes mdicales pendant son gouvernement
peut expliquer, grce lexistence dun terreau scientifique fertile, la russite de la
Revista Farmacetica considre comme la doyenne de la presse scientifique
argentine 2984 . Cre en 1858, elle est lorgane de lAsociacin Farmacutica
Bonaerense forme deux ans plus tt. Ses champs dtudes recouvrent la
mdecine et la pharmacie, hritant des travaux effectus durant les dcennies
antrieures. En outre, les rdacteurs ajoutent au domaine mdical les matires
susceptibles de sy rattacher, savoir la chimie, la physique et les sciences
naturelles. La revue prend la place laisse vacante par lAsociacin de los amigos
de la Historia natural, premire association scientifique argentine cre le 6 mai
1854, mais qui ne dispose pas de moyen de diffusion. Il sagit donc dune revue
scientifique spcialise mais suffisamment ouverte sur dautres domaines pour
alimenter ses colonnes.
2983

Leoncio Lpez-Ocn Cabrera analyse cette formation dun espace public en Amrique latine ;
cf. LOPEZ-OCON Leoncio, op. cit. Selon lauteur, les interactions scientifiques transatlantiques
permettent une nationalisation des activits scientifiques.
2984
CAZAUX Diana, op. cit., p. 80.
765

Troisime partie

Chapitre IX

Lhistoire naturelle est ici approprie dans un but clairement dfini. Or, le
prsident de lassociation pharmaceutique est Santiago Torres, lequel dirige aussi
le Muse Public et compte parmi les membres de lAsociacin de los amigos de la
Historia natural. La diffrence de diffusion des travaux des deux associations
montre clairement quelles sont les priorits de Torres, car la revue cristallise
lunique capital scientifique accumul sous le rgime de Rosas et se donne comme
projet concret la constitution dune pharmacope bonaerense et non
nationale 2985 . La pratique associationiste nous parat donc dpendante du projet
politique de lEtat, celui de Rosas permettant la cristallisation dune tradition
scientifique et celui dUrquiza permettant dimpulser des recherches usage
externe. LEtat conserve donc un rle capital dans limpulsion et lorientation des
recherches au cours des annes 1850 au moins, puisque lui seul est en mesure de
les financer. Les associations savantes font plutt profession de foi en dclarant
leur indpendance vis--vis de lEtat et donc du politique, celle de lAsociacin de
los Amigos de la Historia natural del Plata pouvant dailleurs tre lue la lumire
de la discorde entre lEtat argentin reprsent par Urquiza et la province de
Buenos Aires o sige lassociation.
En effet, partir des annes 1850 des ouvrages originaux sont commands
par le pouvoir fdral. Urquiza a recours Martin de Moussy en 1855 afin quil
ralise dabord une expdition servant ensuite rdiger un ouvrage moins
scientifique que propagandiste si lon en croit lauteur lui-mme. Martin de
Moussy admet les limites de son tude en matire scientifique car il sagit dabord
d un manuel dune utilit immdiate et pratique qui a pour but d amener le
peuplement par limmigration 2986 . Louvrage final nest pourtant pas traduit en
espagnol pour le motif quil est destination des Europens et des rudits
rioplatenses 2987 .

2985

PUIGGARI Juan Ignacio, Memoria presentada por M. Puiggari sobre el tema ofrecido
concurso por la Junta Directiva de la Asociacion Farmacutica , in Revista Farmacutica,
premire anne, 1er semestre, tome 1, 1er octobre 1858, p. 10.
2986
MARTIN DE MOUSSY J. A. Victor, Description physique, gographique et statistique de la
Confdration Argentine, Paris, Didot, tome I, 1860, pp. 4-5.
2987
Nulle part, peut-tre, la langue franaise devenue celle de la diplomatie et de la science, ne
reoit une extension plus marque que dans les rgions platennes, o son enseignement est
aujourdhui la base de toute ducation un peu avance. Aussi, suivant la pense du gouvernement
argentin, avons-nous crit cet ouvrage en franais, sr quil sera parfaitement compris en Amrique
et quil trouvera en Europe un bien plus grand nombre de lecteurs que sil et t crit en
espagnol , ibid., p. 6.
766

Troisime partie

Chapitre IX

Lautre livre fondateur dune tradition scientifique rioplatense est rdig


par Marbais du Graty. Or il est publi en franais en 1858 mais nest pas non plus
traduit car il a pour but, lui aussi, la promotion de limmigration belge en
Argentine. Marbais du Graty crit lattention des hommes dEtat, du
commerce, de lindustrie et de lmigration 2988 . Le but de ces ouvrages demeure
le mme que celui de Nuez publi en 1825. Ce qui change cest le discours
employ, plus scientifique pour la dmonstration que lArgentine offre toutes les
garanties de prosprit 2989 ncessaires. Cette dmarche se retrouve chez Auguste
Brougnes, promoteur de limmigration franaise en Argentine. La production
scientifique est externalise ou eurocentre, cest--dire quelle est dirige vers
lEurope 2990 .
Buenos Aires se diffrencie de la Confdration, puisque les ouvrages
publis dans la ville portea par Auguste Bravard le sont en langue espagnole. Le
produit labor est un produit publicitaire mais pas, l encore, scientifique. Le
dynamisme littraire de Buenos Aires, ainsi que sa spcificit, se constate encore
par la publication de louvrage de Woodbine Parish, publi Londres en 1839,
rdit en 1852 est traduit ds lanne suivante par Justo Maeso. Pour la premire
fois dans lhistoire ditoriale argentine, la traduction dun ouvrage contemporain
seffectue de manire quasiment simultane. En plus de la traduction, Maeso
effectue des modifications au texte original ; cest une preuve supplmentaire de la
volont dappropriation manifeste au milieu du sicle. Linventaire du muse
ralis par Trelles est dit en 1856 2991 . Cette volont dappropriation se manifeste
encore par la rdition effectue en 1857 des Noticias histricas de la Repblica
Argentina de Nez parues initialement en 1826.
Il semble que paralllement au projet scientifique, lassociationnisme
comme la politique ditoriale sont de nouvelles armes au service de deux projets
politiques diffrents. Plus exactement, ils sont des armes au service de Buenos

2988

MARBAIS DU GRATY Alfred, op. cit., pp. 3-4.


Ibid., n. p.
2990
En littrature, les apports europens paraissent intgrs par les lites rioplatenses et plus
particulirement argentines. A ce titre, une zone de contact interculturel et dinterpntration
culturelle existe par exemple entre les voyageurs britanniques et les crivains argentins ; cf.
PRIETO Adolfo, Los viajeros ingleses y la emergencia de la literatura argentina, 1820-1850,
Buenos Aires, Sudamericana, 1996. En matire scientifique, le processus dadaptation et de
transformation de la culture europenne semble davantage eurocentr, puisque beaucoup de
structures scientifiques sont confies des Europens.
2991
TRELLES Manuel Ricardo, op. cit. ; cf. CAZAUX Diana, op. cit., p. 80.
2989

767

Troisime partie

Chapitre IX

Aires car Paran ne dispose pas dassociation similaire. Ils amnent sur le terrain
scientifique le dbat politique entre Paran, capitale dun Etat tourn vers lEurope
amricaniste en cela selon la dfinition de Sarmiento et Buenos Aires, capitale
dune province construite sur une opposition lEurope. Les modles de muses
proposes par les deux villes laissent voir plus clairement encore une opposition
dans les projets politiques 2992 . Dailleurs, lassociation portea recrute parmi la
classe politique, ce qui non seulement montre quelle lui est intimement lie, mais
aussi quelle dfend un projet politique travers lassociationnisme scientifique.
Le conflit interne nempche pas, au contraire il stimule la mise en rseau
de linformation scientifique. La Sociedad Farmacetica Bonaerense fonde en
1856 donne naissance la Revista Farmacetica dite partir de 1858. Cette
association et cette revue, considres comme un des fondements de la science
argentine mais dont ltude est encore balbutiante 2993 , collectent des allis au
Paraguay, en Uruguay, au Brsil, aux Etats-Unis, en France, en Espagne, en Italie
et en Angleterre. Cette avance acquise sur Paran nest pas rattrape par cette
dernire ville ; la prminence de Buenos Aires entrane le dclin scientifique de
sa rivale. Aim Bonpland participe cette captation des savoirs puisquil est
nomm correspondant de la Sociedad Farmacetica Bonaerense pour la section de
botanique 2994 . Il intgre plus largement le rseau scientifique brsilien et
uruguayen par le biais de socits savantes 2995 . La communaut savante se
dveloppe ; elle sorganise en rseau localement, de manire transnationale et
transatlantique.
Bonpland dveloppe aussi un rseau personnel avec lEurope. Cest avec le
Jardin de Kew que les premiers rapports sont tablis. Hooker accepte sans rserve
loffre de correspondance scientifique de Bonpland. En effet, lAngleterre ne
2992

Cf. infra, pp. 776-778.


Cf. CIGNOLI Francisco, Historia de la asociacion Farmaceutica y Bioquimica Argentina,
Buenos Aires, Asocacin Farmacetica y Bioqumica argentina, 1946 ; CIGNOLI Francisco,
Historia de la Farmacia Argentina, Rosario, Ruiz, 1953 ; GONZALEZ LEANDRI Ricardo,
Curar, persuadir, gobernar. La construccin histrica de la profesin mdica en Buenos Aires.
1852-1886, Madrid, CSIC, 1999, pp. 155-157 ; VERONELLI Juan Carlos, VERONELLI
CORRECH Magal, Los orgenes institucionales de la Salud Pblica en la Argentina, Buenos
Aires, OPS/OMS, 2004, vol. 1, pp. 135-162 ; IOVINE Enrique, RODRIGUEZ Horacio B., Un
Orgullo Genuino: El Sesquicentenario de Revista Farmacutica de Argentina , in Latin American
Journal of Pharmacy, vol. 27, n 1, 2008, pp. 151-154 ; ASUA Miguel de, Noticias histricas
sobre las revistas mdicas , in Revista del Hospital Italiano de Buenos Aires, vol. 30, n 2,
dcembre 2010, pp. 57-63.
2994
Revista Farmacutica, deuxime anne, tome 1, 2e trimestre, 1e janvier 1860, p. 381.
2995
Cf. AMFBJAD n 1988, Bonpland J. Praxeres Pereira Pacheco, So Borja, 10 octobre 1851 ;
AMFBJAD s. n., 20 dcembre 1853.

2993

768

Troisime partie

Chapitre IX

dispose pas dun rseau solide dans la rgion de La Plata. Hormis les envois de
John Tweedie 2996 depuis Buenos Aires les collectes devant effectuer le botaniste
George Barclay ayant t sans rsultat Hooker na aucun interlocuteur sur place,
et encore moins de connaissances. Aussi est-il preneur de tout matriel que
Bonpland voudrait bien lui faire parvenir 2997 .
Depuis Montevideo, Robert Gore lui demande aussi la Mikania Guaeca
originaire des environs de So Borja que lon dit efficace contre lhydrophobie
pour la naturaliser en Angleterre, car lunique chantillon ramen l-bas est
mort 2998 . Liautaud lui demande des renseignements gologiques pour ses
recherches, mais lui propose aussi de les divulguer au nom de Bonpland et
dintervenir en sa faveur Paris pour faire connatre ses propres travaux 2999 .
Bonpland est un relais privilgi mais il ne semble pas quil mette en relation les
scientifiques europens avec leurs homologues amricains.

Un honorable correspondant
Ses correspondances montrent quil privilgie ses propres rseaux franais,
sans les mettre en contact avec les scientifiques locaux. Une fois le contact renou
avec le Musum, en 1849, Bonpland demande participer de nouveau la collecte
scientifique. Par lintermdiaire de Mirbel, Bonpland sollicite alors lenvoi dun
jardinier, dinstructions et du catalogue du Jardin des plantes afin de le guider dans
ses envois 3000 . Il poursuit son projet dexploration et se considre toujours comme
un voyageur-naturaliste mais ne pouvant plus effectuer une recherche de grande
envergure, il espre obtenir le soutien matriel du Musum.
Bonpland est anim dun zle patriotique accru. En 1849, il crit Franois
Arago afin de faire profiter son pays de recherches menes dabord la demande
du Brsil. La demande mane du docteur Jobim qui commande Bonpland une
2996 John Tweedie (1775-1862) est un jardinier cossais. En 1825 il se rend Buenos Aires mais,
faute demploi, il explore lintrieur ; cf. pp. 37-38 OLLERTON Jeff, CHANCELLOR Gordon,
WYHE John van, John Tweedie and Charles Darwin in Buenos Aires , in Notes & Records of
the
Royal
Society
[en
ligne],
janvier
2012.
URL :
http://rsnr.royalsocietypublishing.org/content/early/2012/01/03/rsnr.2011.0052.
2997
AMFBJAD n 419, W. J. Hooker Bonpland, Kew, 1er dcembre 1849.
2998
AMFBJAD n 1115, E. Symonds Bonpland, Montevideo, 14 mars 1849.
2999
AMFBJAD n 671, D. Liautaud Bonpland, Montevideo, 29 janvier 1851.
3000
AMFBJAD, s. n., Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 16 septembre 1849.
769

Troisime partie

Chapitre IX

tude mtorologique de So Borja. Se rendant Montevideo, Bonpland rencontre


le charg daffaires britanniques Robert Gore qui lui demande son tour une copie
de ses observations. Naturellement Bonpland transmet lAcadmie des Sciences
ses rsultats en rappelant que lensemble de ses travaux appartient la France 3001 .
Au dbut des annes 1850 il confirme son intention de livrer ses collections et
manuscrits au Musum aprs les avoir class, le dsordre rgnant cause des
annes passes loin de toute activit scientifique 3002 . Logiquement, la France est
propritaire des collections de Bonpland. Il crit en 1850 :
Depuis plusieurs annes il sest prsent des aquereurs de mes
manuscripts et de mes collections. Jai naturellement repouss bien loin
toutes ces offres

car les travaux du Franais appartiennent son pays en raison de la pension que
celui-ci lui verse 3003 .
En 1853 il exprime sa fiert dappartenir lAcadmie des Sciences 3004 ,
confirmant son attachement linstitution. Malgr le temps et la distance qui le
sparent de ses institutions de rattachement, Bonpland possde un fort sentiment
de patriotisme scientifique quil exprime loccasion dun change avec Mirbel
propos du mas de leau. Ayant procur des graines prcieuses de cette plante
Robert Gore, il croit tre de son devoir den envoyer aussi au Musum. Bonpland
espre que la description de la plante faite par les Anglais est incomplte, laissant
ainsi aux Franais le soin de la complter. Il ajoute que le nom de Victoria Regina
donn par les Britanniques cette plante est sujet caution car
on a omis toute synonymie. Pour moi, le Mayz de leau appartient au
genre Nymphoea, cependant il serait possible de former de cette belle
plante un genre nouveau.

3005

Il nest pas impensable que lavis de Bonpland ait t aussi motiv par le nom
mme donn la plante par les Anglais et lappropriation honorifique quils en
tirent, car sa lettre se termine par un appel tout patriotique sa culture 3006 .
3001

Bonpland F. Arago, Montevideo, 28 septembre 1849, cit in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., pp. 150-151.
3002
AMFBJAD n 965, Bonpland Desmarest et Ducoing, Montevideo, 5 novembre 1850.
3003
AMFBJAD n 958, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 aot 1850.
3004
Bonpland F. Delessert, Montevideo, 26 septembre 1853, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., p. 176.
3005
Bonpland C.-F. Brisseau de Mirbel, Montevideo, 1er septembre 1849, cit in HAMY
Thodore Jules Ernest, op. cit., pp. 159-160.
3006
Jaime croire [] que la France jouira de la vue de cette plante conclut Bonpland in ibid.,
p. 160.
770

Troisime partie

Chapitre IX

Malgr ses rticences il voit avec joie en 1853 que ses manuscrits
botaniques sont dposs au Musum et compte remettre le reste de ses collections
au mme endroit. Lattachement au Musum et lAcadmie des Sciences devient
de plus en plus affectif ; en 1855 et 1857 il ritre le vu de dposer ses
collections qui devient un passage oblig de ses dernires lettres 3007 dautant plus
que les disparitions de Mirbel et dArago coupent les derniers liens avec Paris.
Humboldt qui vit Berlin demeure son dernier repre et cest naturellement que le
Muse de Berlin occupe une place destine abriter un double des collections de
Bonpland. Linstitution se confond avec les personnages qui loccupent.
A la fin de sa vie, Bonpland rappelle limportance de sa nationalit dans
ses choix ; il rappelle aussi son attachement au rgime imprial :
Comme Franais attach lEmpire, qui pendant trente-six annes de
sjour forc dans lAmrique du Sud a constamment refus les emplois
qui lui ont t offerts, afin de conserver intacte sa nationalit ; je viens
aujourdhui Sire dposer aux pieds de Votre Majest Impriale, la part de
remerciements que je lui dois pour avoir rendu la France le rgne
brillant que sceut lui imprimer Sa Majest lEmpereur Napolon
premier.

3008

Bonpland assume aussi dsormais son rle scientifique secondaire. Alors


quau cours des annes 1830 il a cherch acqurir une place parmi la
communaut scientifique europenne, les annes 1850 se caractrisent par
lacceptation dun statut plus modeste au mme titre que dautres correspondants
prsents dans la rgion. Le voyageur de passage se transforme en bon
correspondant, mais garde toujours lespoir de revenir dposer ses collections et
ses manuscrits en France. Ces hsitations entre des carrires et des recherches
franco-amricaines nous semblent rendre compte des difficults dimplanter une
tradition scientifique amricaniste durant la premire moiti du XIXe sicle.

3007

Cf. les lettres adresses Humboldt, Delessert et Demersay in HAMY Thodore Jules Ernest,
op. cit., pp. 171, 177, 203.
3008
AMFBJAD n 338, Bonpland Napolon III, Montevideo, 12 janvier 1854.
771

Troisime partie

Chapitre IX

2. La coopration dans les actes : les fondations musographiques


En prenant lexploration, la classification et la publication pour dfinition
de la pratique de lhistoire naturelle dans les muses scientifiques 3009 , il sagit
danalyser les efforts rioplatenses effectus, Bonpland simpliquant activement
dans cette politique 3010 . Comme il sagit de crer linstitution en mme temps que
la pratique, qui plus est lintrieur dun cadre transatlantique, le schma directeur
est diffrent. Lacquisition de la matire premire, sa transformation en un produit
scientifique utilisable, et enfin la valorisation et la diffusion de ce produit
scientifique peuvent dfinir les diffrents facteurs de la fondation dune tradition
scientifique priphrique.

Lacquisition de la matire premire


A partir de 1854, le muse de Buenos Aires entame une politique
dacquisition denvergure grce lAsociacin de los amigos de la historia
natural del Plata. Auguste Bravard et Muiz, deux de ses membres, remettent une
collection de fossiles 3011 tandis que ltendue de son rseau permet lassociation
de faire venir au profit du Muse des minraux du Brsil, Chili, Bolivie, Paraguay,
Uruguay ainsi que de la province du Chaco 3012 . Ce regain dactivit infirme la
rputation dindolence attribue lassociation portea 3013 . A Paran, Le Muse
National profite de son statut confdral pour faire venir des chantillons
3009

LOPES Maria Margaret, Nobles rivales: estudios comparados entre el Museo Nacional de
Ro de Janeiro y el Museo Pblico de Buenos Aires , in MONTSERRAT Marcelo (comp.), op.
cit., p. 279.
3010
Une tude comparative des projets de centres de culture scientifique comprenant le Brsil et
lancienne vice-royaut du Ro de la Plata est encore mener. Une recherche sur lensemble du
monde ibroamricain est aussi effectuer car comme en Europe, la rupture politique provoque un
mouvement de fondation ou de refondation des sciences naturelles dans lAmrique ibrique.
Maria Margaret Lopes et Irina Podgorny sont les pionnires de cette recherche qui savre fconde.
3011
LOPES Maria Margaret, op. cit., p. 278 ; AGUILAR H. A., Dr. Francisco Muiz 1795-1871.
Mdico militar, naturalista y paleontlogo , in El Carnoteurus, Boletin del Museo Argentino de
Ciencias Naturales Bernardino Rivadavia, Buenos Aires, IXe anne, n 96, fvrier 2010, pp. 8-10.
3012
LOPES Maria Margaret, op. cit., p. 278.
3013
Ral Ringuelet cautionne les propos de J. Carranza crits en 1865 dans la Revista de Buenos
Aires ; lauteur affirme que lassociation vergenza de decirlo, no dej ms huella de su efmera
existencia que la distribucin de algunos diplomas de honor a individuos enteramente ajenos al
interesante estudio de la naturaleza ; cf. RINGUELET Ral A., Historia, estado actual y futuro
de la zoologa en la repblica argentina , in Acta Zoolgica Lilloana, vol. XXIII, 1967, p. 9. Il
serait intressant de se pencher sur les motifs ayant pouss Carranza tenir de tels propos.
772

Troisime partie

Chapitre IX

minraux de diffrentes provinces argentines, ce qui lui permet dacqurir une


relative importance en un court laps de temps, puisquil est cr en 1854 puis
steint avec la mort de son second directeur, Auguste Bravard, en 1861, ses
collections tant rcupres par le Muse de Buenos Aires rcemment
nationalis 3014 , preuve supplmentaire de la politique dacquisition efficace mene
par celui-ci. Bien que peu de provinces rpondent lappel du Muse de Paran en
1854, suffisamment dchantillons minralogiques sont runis pour pouvoir tre
envoys lExposition Universelle organise Paris en 1855. Cela constitue une
incontestable russite dun point de vue de la rcollection de la part dune
institution peine ne, alors que la prsence latino-amricaine Paris est
globalement trs faible 3015 .
Si lambition dacqurir des minraux en provenance de lensemble du
pays nest pas ralise, les acquisitions reprsentent nanmoins une avance
significative et lintention dacqurir une grande masse de donnes est un tournant
dans lapproche des sciences naturelles qui nest pas sans rappeler le projet
dexploration du jardin dacclimatation des annes 1820. A un moindre degr
lExposition correntina cre, elle aussi, en 1854 rejoint lambition globalisante
de Paran, savoir lacquisition des connaissances naturalistes en faisant appel
chaque dpartement afin de couvrir lensemble du territoire. La direction de
Bonpland donne un caractre original ce Muse conu originellement pour
alimenter Paran et ltranger car il sefforce de faire venir, personnellement ou
par lintermdiaire de correspondants, des objets dhistoire naturelle des pays
voisins. De plus, alors que Paran dveloppe davantage laspect minralogique
Corrientes dveloppe les aspects botaniques. La liste des chantillons demands
par la commission charge dalimenter lExposition Universelle de 1855 est
minutieusement prpare en ce sens ; elle montre galement un plan dacquisition
ordonn, ce qui est totalement nouveau 3016 .
3014

Cf. ibid., p. 13 ; PODGORNY Irina, Un Belga en la corte de Paran. Alfred Marbais du


Graty: Propagandista de la Confederacin Argentina , in DE GROOF Bart, GELI Patricio,
STOLS Eddy, VAN BEECK Guy (d.), En los deltas de la memoria. Blgica y Argentina en los
siglos XIX y XX, Louvain, Presses Universitaires de Louvain, 1998, p. 56.
3015
Sur 10 148 exposant trangers, seulement 142 proviennent dAmrique latine ; cf. LOPEZOCON Leoncio, op. cit., p. 222.
3016
AMFBJAD n 1281, liste dobjets pour lExposition Universelle de 1855. Les deux personnes
en charge de lexposition permanente, Franois Fournier et Joseph Fonteneau, adressent au
commandant de Restauracin une lista de los objetos que la comission encargada para reunir las
muestras de los productos de la Provincia ha juzgado necesario. Se le facilitara para completar la
coleccin ordenada por el gobierno y que debe ser dirigida a la exposicin universal del ao
773

Troisime partie

Chapitre IX

La paix et louverture du pays permettent larrive de nouveaux


explorateurs. Soutenu par la volont gouvernementale de cartographier, contrler
et possder le territoire, Thomas J. Page peut explorer le Chaco grce au soutien
du gouverneur de Tucumn Antonio Taboada. Luis Piedrabuena sinstalle en 1859
en Terre de Feu o il effectue plusieurs expditions au cours des annes 1860.
Mais surtout lEtat engage une politique naturaliste sans prcdent. Marbais du
Graty, Martin de Moussy et Bravard disposent des moyens pour alimenter les
Muses de Buenos Aires et Paran. Bonpland effectue pour sa part de nouveaux
voyages de collecte qui alimentent lExposition de Corrientes, notamment celui
effectu en 1857 au Paraguay 3017 . Lexploration intgre enfin la politique
musographique rioplatense.

La cration dun produit scientifique utilisable


La fin du rgime de Rosas marque sans doute un renouveau
musographique, tout dabord parce quen plus du Muse dnomm partir de
1854 Public Buenos Aires, deux autres Muses voient le jour Paran et
Corrientes. Ces crations saccompagnent davances sur le terrain scientifique
bien que les modles musographiques proposs ne permettent pas encore
lmergence de vritables laboratoires. En mai 1854, lAsociacin de Amigos de la
Historia natural del Plata est cre dans le but de promouvoir la conservation et
le dveloppement du Muse de Buenos Aires 3018 . Ses membres, au nombre de
trente, permettent de structurer ce projet autour dun rseau actif au lieu de le
laisser dans les mains dun individu isol comme ce fut le cas jusqualors. Afin de
rompre cet isolement, le dcret insiste aussi sur la ncessit de renforcer le
personnel du Muse.
1855 . Six classes dobjet retiennent leur attention : les bois (52 chantillons), les produits
tinctoriaux (4 chantillons), les pierres et terres nommes tierras (8 chantillons), les peaux (9
chantillons), la soie (2 chantillons), les graines olagineuses (2 chantillons). Ils ajoutent : Los
de la comission observan que de los objetos indicados se subministran los que produciera el
departamento del mando de Ud. Como tambin se servira facilitar los que no estuviesen en esta
lista y poseyen dicho departamento. Ademas suplican que los objetos enviados sean rotulados con
el nombre guarani y castellano si lo tuviese. Observamos que por fin de octubre debe la comission
haber recibido ese.
3017
CONTRERAS ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, El Paraguay en 1857.
Un viaje indito de Aim Bonpland, Asuncin, Universidad Nacional del Pilar, 2006.
3018
Statuts cits in GONZALEZ BERNALDO Pilar, op. cit., p. 139.
774

Troisime partie

Chapitre IX

Il ne sagit pas dune institution nouvelle, le dcret insistant sur lexistence


du Muse depuis avant le rgime de Rosas. De plus il ne sagit pas den faire un
laboratoire scientifique en passant de ltape du cabinet de curiosits au sein du
Muse Public ltape du laboratoire scientifique que reprsente un Muse
dHistoire naturelle. Les membres de lassociation sont collectionneurs, hommes
politiques et pas seulement scientifiques ; les quatre membres fondateurs comptent
deux mdecins dont un spcialis en palontologie Muiz et Tedoro Alvarez
mais aussi un amateur dart, Manuel Jos de Guerrico 3019 et un historien, Manuel
Ricardo Trelles. La pluridisciplinarit est par consquent favorise par Santiago
Torres qui dirige le Muse de 1854 1862 en y dveloppant sa fonction
ostentatoire manifeste par laccumulation de pices musographiques sans
direction scientifique et sans que soit dfini son profil institutionnel 3020 .
Un premier inventaire est ralis le 23 mars 1854 par Santiago Torres et
Miguel Garca Fernandez 3021 ; en 1856 Trelles publie un inventaire du Muse puis
se charge de la gestion des fonds et de leur classement 3022 , ce qui constitue la
premire tape pour aller du simple dpt, du cabinet de curiosits vers le Muse
scientifique. Manuel Ricardo Trelles est lui-mme historien et archiviste. Sans
doute pour cette raison conseille-t-il de conserver laspect artistique du Muse
comme sa fonction historique, cette dernire tant trs prsente dans le discours
des membres de lassociation 3023 . Il suggre de consacrer la moiti du Muse aux
sciences naturelles, lautre partie tant rserve aux aspects artistiques,
historiques, gographiques et ethnologiques 3024 . De fait, le Muse Public acquiert
3019

Manuel Jos de Guerrico (1800-1875), grand propritaire, sexile Paris en 1839. Durant ce
sjour, il acquiert de nombreuses dart. De retour Buenos Aires en 1848, il devient snateur et
achte une maison qui se transforme rapidement en muse et lieu de runion des intellectuels
porteos ; cf. FERNANDEZ GARCIA Ana Mara, Arte y emigracin. La pintura espaola en
Buenos Aires. 1880-1930, Oviedo, Universidad de Oviedo, 1997, pp. 97-98.
3020
MANTEGARI Cristina, op. cit., p. 19.
3021
DABBENE Roberto, PALMER T. S., The Ornithological Collection of the Museo Nacional,
Buenos Aires Its Origin, Development and Present Condition , in The Auk, vol. 43, n 1, janvier
1926, p. 37.
3022
TRELLES Manuel Ricardo, Memoria presentada la Asociacin de Amigos de la Historia
Natural del Plata sobre el estado del Museo y dems relativo la institucin, por el secretario de
la misma D. Manuel Ricardo Trelles, Buenos Aires, Imprenta de El Orden, 1856 ; cf. BABINI
Jos, La evolucin del pensamiento cientfico en la Argentina, Buenos Aires, La Fragua, 1954 ;
CAZAUX Diana, Historia de la divulgacin cientfica en la Argentina, Buenos Aires, Teseo, 2010,
p. 80.
3023
BALDASARRE Mara Isabel, op. cit.
3024
Trelles crit : El Museo Pblico de Buenos Aires, a pesar de que su principal objeto es la
Historia Natural, es, sin embargo, un Museo general que rene toda clase de objetos que puedan
servir para el estudio de las ciencias, de las letras y de las artes. Pueden dividirse en seis secciones
los que actualmente contiene. Las tres primeras, correspondientes a los tres reinos de la naturaleza;
775

Troisime partie

Chapitre IX

par lintermdiaire de ses membres des objets numismatiques, historiques et


artistiques. Il est alors encore plus proche du cabinet de curiosits que du Musum
car il sagit den faire un lieu ostentatoire runissant autant les productions
naturelles que culturelles du pays dans le but de toucher le plus grand nombre.
Trelles constate quen 1856, le Muse Public est avant tout un Muse gnraliste,
bien que son principal objet soit lHistoire naturelle. Les chantillons peuvent
servir, crit-il, ltude des sciences, des lettres et des arts 3025 . Mais aucune
spcialisation nest encore intervenue.
Buenos Aires alors coupe de la Confdration recherche une lgitimit en
tissant, grce au Muse et lassociation, des liens politiques. Mariano Acosta et
Bartolom Mitre Buenos Aires, Mariano Fragueiro Crdoba, Andrs Bello au
Chili constituent des relais susceptibles doctroyer cette lgitimit. Cette
association est dailleurs perue comme un outil au service de la rivalit culturelle
entre Buenos Aires et ses voisins 3026 . Dans cette optique la cration du Muse de
Paran en juillet 1854, deux mois aprs la mise en place de lassociation portea,
peut tre interprte comme une rplique qui doit permettre la Confdration de
se distinguer de ses voisins 3027 , Buenos Aires tant surtout rivale. Tandis que le
Muse de Paran ne dispose pas dun difice propre 3028 , celui de Buenos Aires est
dmnag au sein de luniversit ds 1854. Cette localisation institutionnelle
renforce sa lgitimit dautant plus quen 1855 Muiz en devient le recteur, le
rglement de lassociation ayant t rdig par son prdcesseur Jos Barros
Pazos. Le recrutement dAuguste Bravard est de la mme manire un enjeu de
lgitimit entre les deux Muses. Cooprant avec Buenos Aires, il refuse
cependant de prendre la tte du Muse au profit de celui de Paran quil dirige
partir de 1858 3029 . En 1860, Pujol alors ministre de lIntrieur lui confie une
mission dexploration scientifique lchelle nationale 3030 puisquil est charg

las dos siguientes de la Numismtica y las Bellas Artes, y la ltima a varios ramos. , cit in
LASCANO GONZALES Antonio, op. cit., pp. 72-73.
3025
Cit in ibid.
3026
LOPES Maria Margaret, op. cit., p. 277.
3027
PODGORNY Irina, op. cit., pp. 57, 59.
3028
Cf. ibid., p. 56. Le muse est situ dans le btiment de la Banque Nationale, ce qui parat
judicieux tant donn quil doit recevoir des chantillons minralogiques. Le contenant met en
valeur sa richesse.
3029
LOPES Maria Margaret, op. cit., p. 278.
3030
BOSCH Beatriz, op. cit., pp. 228-229.
776

Troisime partie

Chapitre IX

daller Tucumn. La lutte pour la lgitimit passe par le travail de rcollection du


territoire.
Cest aussi pour se diffrencier du Muse de Paran que lassociation
souhaite conserver des reliques de lhistoire locale rcente considres comme
des monuments historiques 3031 . En effet, le Muse du Paran est essentiellement
un lieu dexposition des ressources naturelles de la nation, aucun aspect culturel
ntant destin y tre montr. Car il sagit de montrer les ressources et non
lhistoire naturelle Paran. Irina Podgorny explique que ce Muse a comme
fonction interne ldification du visiteur, afin de crer un consensus et dinstaurer
les mmes murs parmi les habitants 3032 . En exposant les richesses
minralogiques du pays, le muse entrerriano donne voir un projet commun
dappropriation de la nature alors que le muse porteo se construit aussi sur la
mise en commun de symboles culturels passs. En 1855, Sarmiento orchestre un
dbat suite lenvoi depuis Paran de minraux lExposition Universelle de
Paris, reprochant la Confdration de donner limage dun pays seulement
capable de produire des ressources naturelles 3033 .

La diffusion dun projet scientifique externalis


Si lessor des sciences naturelles au cours des annes 1850 est certain, il
reflte la proccupation des lites pour le peuplement du pays ce qui conduit les
scientifiques les utiliser dune manire externalise. Sur ce point, les institutions
se rejoignent dans leur volont ddification. De manire similaire dans les
Muses, le patrimoine naturel est mis en valeur afin de provoquer la venue de
migrants ou dinvestisseurs europens. Par rapport ces objectifs dfinis ds
lindpendance dclare, les Muses reprsentent des instruments nouveaux de
persuasion en ce quils sont conus comme des outils publicitaires. Le muse de
Paran est exemplaire ce sujet, puisquil a pour but essentiel lattraction
dinvestisseurs travers une fonction ostentatoire 3034 , tel point quen 1856 il
3031

BALDASARRE Mara Isabel, op. cit.


Cf. PODGORNY Irina, op. cit., p. 56.
3033
Ibid., pp. 57, 59. La dialectique de la civilisation contre la barbarie chre Sarmiento est
prsente dans ce dbat.
3034
Ibid., p. 55.
3032

777

Troisime partie

Chapitre IX

nest plus utilis que comme outil de propagande externe faute de crdits pour
enrichir ses fonds 3035 . Par consquent ce Muse est moins un agent civilisateur
quun objet destin provoquer la venue dagents civilisateurs. La musographie
y est externalise, Alfred Marbais du Graty puis Auguste Bravard tudiant et
collectionnant des pices destines aux Muses trangers 3036 .
A Corrientes, la prsence de Bonpland donne lExposition un caractre
particulier qui nempche pas une externalisation du travail. Sans entrer dans le
dtail, lExposition correntina tant tudie sparment 3037 , il faut tout de mme
noter qu la diffrence de Buenos Aires et Paran, Corrientes se situe en retrait
par rapport aux enjeux politiques nationaux. En effet, une relle confrontation a
lieu entre les deux premires villes pour la prminence politique tandis que la
troisime nest pas directement implique. Lenjeu li la cration dun Muse
Corrientes est moins dfini par la concurrence, celle-ci favorisant un
dveloppement musographique qui aboutit en 1862 la mise en place dun
Muse scientifiquement viable Buenos Aires, au dtriment de celui de Paran
qui cesse de fonctionner du fait de la fin de cette concurrence, Buenos Aires
rejoignant la Confdration. A Corrientes lobjectif est moins ddifier que de
runir et de comparer dans une perspective dinventaire de la province, du pays et
du monde. Aussi la tentative de fondation correntina cesse ds 1858 avec la mort
de Bonpland, le projet ntant port par aucun enjeu concurrentiel significatif.
Car

la

concurrence

et

lostentation

constituent

les

ressorts

musographiques jusquaux annes 1860. Le problme non rsolu jusque l est


labsence de projets propres ou dune dynamique scientifique capable de crer des
thmatiques dinvestigation internes. Lorganisation administrative de ces Muses
met en relief labsence dune concertation permettant la fondation dune tradition
scientifique commune. Le Muse du Paran, fond immdiatement aprs
ltablissement du gouvernement de la Confdration, dpend directement du
gouvernement national par le biais du ministre de lIntrieur Santiago Derqui. Il
dispose dun directeur charg de centraliser les envois dchantillons. A Buenos
Aires, cest une association comportant trente membres qui prend en charge le
projet. Les spcialits des membres largissent le champ dinvestigation du muse.

3035

Ibid., p. 58.
MANTEGARI Cristina, op. cit., p. 19.
3037
Cf. infra, pp. 781-806.

3036

778

Troisime partie

Chapitre IX

A Corrientes, une Commission Directive compose de deux membres et un


directeur constituent lossature administrative. Chaque institution dveloppe sa
propre politique de collecte et dorganisation.
Ces Muses restent cantonns dans un rle dexposition et ddification les
empchant de devenir des laboratoires. Lordonnancement des objets dnote cette
absence de proccupation scientifique dnonce par Hermann Burmeister,
directeur du muse porteo entre 1862 et 1892. En inventoriant de nouveau les
objets des trois sections existantes, il trouve dans la section scientifique les
minraux mlangs aux coquillages, les trophes avec les mammifres et les
oiseaux classs selon leur taille et leur coloris 3038 . En 1866, le remplacement de
lAsociacin de los amigos de la Historia natural del Plata par la Sociedad
Paleontolgica organise par Burmeister marque une nouvelle tentative de
spcialisation

musographique

et

dinstitutionnalisation

des

sciences

naturelles 3039 . Cependant, les sections historiques et artistiques demeurent dans le


Muse jusqu la cration du Muse historique et du Muse National des Beauxarts en 1889 et 1895 respectivement.
Le produit scientifique ralis nacquire pas le statut dobjet scientifique,
dans la mesure o il est appropri des fins diffrentes. En outre, les fonds
disparaissent ou sont rendus inutilisables en labsence de projet naturaliste. Le
Muse nest pas un laboratoire mais un dpt dobjets catalogus sans utilit
intrinsque. Il se dfinit comme un cabinet de curiosits scientifiques, cest--dire
un lieu runissant des objets suivant la mode du sicle. Au lieu de mettre en scne
des monstruosits, on expose des phnomnes de mode. La question de lutilit de
ce type de centre de culture scientifique priphrique se pose, car si les voyageurs
europens en constatent les lacunes, quels sont les bnfices en retirer ?
Les bnfices sont principalement dordre idologique. En effet, les
fondateurs des trois Muses tablissent une rupture entre la barbarie ancienne et la
civilisation qui se construit nouvellement. Alors que dans les annes 1810 ils
opposent lEspagne obscurantiste aux Provinces-Unies de la Plata librales, ils
3038

GALLARDO Angel, op. cit., p. 2.


BABINI Jos, La evolucin del pensamiento cientfico en la Argentina, Buenos Aires, La
Fragua, 1954. Lauteur souligne que cette spcialisation intervenant trop tt, la socit ne connat
quune existence phmre. Cependant, Burmeister joue un rle fondamental du point de vue de la
construction dune tradition scientifique Buenos Aires et dans le Ro de la Plata ; cf.
MANTEGARI Cristina, La institucionalizacin cientfica en la Argentina del siglo XIX, Buenos
Aires, Universidad Nacional General San Martn/Jorge Baudino, 2003.

3039

779

Troisime partie

Chapitre IX

opposent dans les annes 1850 la dictature barbare de Rosas au processus de


civilisation instaur depuis la chute de son rgime. Ainsi tous les initiateurs des
Muses insistent-ils sur cette diffrence fondamentale qui met jour leur volont
civilisatrice. Louvrage dAlfred Marbais du Graty, premier directeur du Muse de
Paran, fait apparatre une opposition entre la tyrannie dchue et le sentiment
de [la] haute mission civilisatrice dtenu par le nouveau gouvernement 3040 .
Manuel Ricardo Trelles, charg de mener les premiers travaux dinventaire pour le
Muse de Buenos Aires, tablit une double opposition entre lpoque de Rosas
marque par la dcadence et labandon et les temps de libert et de progrs
lenveloppant 3041 . Juan Pujol enfin, linitiateur de lExposition Permanente de
Corrientes, met en opposition les aspects civilisateurs de celle-ci avec les
boucheries inhumaines de Rosas 3042.
Les constructions ou reconstructions des annes 1850 rpondent finalement
des proccupations antrieures. Les constructions musographiques ralises
dans les annes 1850 rappellent ou sinspirent de la politique soutenue par
Rivadavia ds les annes 1810. En effet la rupture avec un ordre ancien, la mise en
valeur du patrimoine naturel, la promotion de limmigration et la cration de
laboratoires sur le modle europen offrent de nombreuses similitudes avec le
programme de Rivadavia. Sil faut attendre quatre dcennies pour que ce
programme sapplique 3043 , cest parce quil prolonge le discours des vainqueurs.
Cest un signe visible, un lieu de mmoire de la victoire de la civilisation sur la
barbarie. Cette narrative trouve un second souffle aprs la Guerra Grande, un
fondement politique associ louverture idologique lEurope. La victoire des
tenants du projet civilisateur permet lacquisition du substrat transatlantique.
Lobjectif principal de ces muses est la participation lExposition
Universelle de 1857. Mais la faiblesse quantitative des remises de la part des
provinces pour Paran, des dpartements pour Corrientes et des correspondants
pour Buenos Aires 3044 , ainsi que limpossibilit de participer lExposition

3040

MARBAIS du GRATY Alfred, La Confdration Argentine, Paris, Guillaumin, 1858, pp. IV,

1.

3041

Cf. TRELLES Manuel Ricardo, op. cit.


las carniceras inhumanas [...] de D. Juan Manuel Rosas ; AMFBJAD n 87, J. Pujol
Bonpland, Corrientes, 24 mars 1856.
3043
Avec les nuances qui simposent, les muses de Corrientes et Paran priclitant.
3044
Cf. LOPES Maria Margaret, op. cit., p. 278.

3042

780

Troisime partie

Chapitre IX

Universelle de 1857 montre que ces muses nont pas encore acquis la facult
diffuser leur projet en Europe.

B. LA CREATION DU MUSEE DE CORRIENTES : UN


CENTRE

DE

CULTURE

SCIENTIFIQUE

PRE-

AMERICANISTE
En 1854 est fond le Muse dhistoire naturelle de Corrientes, dont
linitiative repose principalement sur deux personnages majeurs de cette province,
les docteurs Juan Pujol et Aim Bonpland. Limmigrant franais russit ainsi
mener bien un projet foment depuis son arrive dans les Provinces Unies du
Ro de la Plata. Presque quatre dcennies scoulent depuis son arrive jusqu la
cration du Muse qui porte aujourdhui son nom. Cette entreprise bnficie de
lappui du gouverneur Pujol, qui en est le rel initiateur.
Le premier change pistolaire avr entre les deux hommes date de 1849,
lorsque Bonpland envoie au gouverneur correntino un rapport sur lavantage de
cultiver la plante qui produit le mat, den former des bois et damliorer la
fabrication de lherbe mat 3045 . Aprs cette date, il faut attendre 1852 pour
quune correspondance suivie sinstaure entre les deux hommes, cest--dire
depuis la nomination de Pujol au poste de gouverneur de Corrientes. Nous ne
disposons pas de plus de donnes concernant leurs relations au cours de ces trois
annes, mais il est certain que la lettre de Pujol du 18 novembre 1852 rompant ce
long silence pistolaire ne semble pas tre une rponse directe une autre
communication de Bonpland 3046 . Cette lettre traite du dveloppement scientifique,
promouvant la cration dun cabinet dhistoire naturelle et dun jardin botanique.
3045

Il sagit pour le moins de la lettre la plus ancienne que nous ayons rencontr, intitule : Nota
de Bonpland a Pujol sobre la ventaja de cultivar la planta que produce el mate, de formar montes
de ella y de mejorar la fabricacin de la yerba mate, Porto Alegre, 28 de octubre de 1849 , in
PUJOL Juan, op. cit. Ce rapport a t amplement reproduit et comment ; cf. ce propos
BONPLAND Aim, Notas sobre yerbales. Traduccin por el Doctor Juan Pujol. Nota preliminar
por el Doctor Fernando A. Coni Bazn , in Lilloa, tome XVIII, 1949, pp. 361-371 ; LINHARES
Temstocles, Historia econmica do mate, Rio de Janeiro, Jos Olympo, 1969 ; AMABLE Mara
Anglica, ROJAS Liliane Mirta, Historia de la yerba mate en Misiones, Posadas, Montoya, 1989;
WHIGHAM Thomas Lyle, La yerba mate del Paraguay (1780-1870), Asuncin, Serie Historia
Social, Centro Paraguayo de Estudios Sociolgicos, 1991.
3046
Lors de sa rponse Pujol, Bonpland affirme vouloir offrir de nouveau ses services. Le
plus probable est quil se rfre son rapport de 1849.
781

Troisime partie

Chapitre IX

Entre 1852 et 1858 le Musum connat trois tapes, savoir celle de la conception,
celle de la naissance et celle de la croissance.

1. La conception
Le projet surgit entre 1849 et 1852, avant de se concrtiser deux annes
plus tard. La collaboration et les liens ainsi crs entre les deux hommes se
poursuivent jusquau dcs de Bonpland 3047 . A partir de 1852 deux objectifs
intimement lis occupent la correspondance entre les deux hommes : la
valorisation et lexposition des richesses naturelles de la province. La yerba mate
occupe une place de choix mais est loin dtre lunique objet dattention des deux
hommes. De plus, leurs objectifs prennent naissance dans le contexte de paix qui
suit la chute du rgime de Rosas. Ils profitent aussi dun contexte international
favorable, puisque de nouvelles perspectives souvrent dans le champ culturel. En
effet limpulsion donne par le nouveau rgime, jointe la cration des
Expositions Universelles, favorisent la cration du Muse 3048 .

Limpulsion europenne
En 1852, alors que Juan Pujol accde pour la premire fois au poste de
gouverneur de la province de Corrientes, se tient Londres la premire Exposition
Universelle. Aprs son lection intervenue en 1854 Juan Pujol est dsign et non
lu en 1852 le gouverneur dcide de crer une Exposition Permanente dans la
ville de Corrientes. Les motifs prcis conduisant Pujol mettre en place ce projet
ne sont pas explicits, mais quelques traces documentaires montrent son intrt

3047

Lhistoire se poursuit en ce qui concerne lhritage du savant ; cf. GOMEZ Hernn Felix, El
Gobernador Pujol y los bienes del sabio Bonpland , in Pginas de Historia, Corrientes, Imprenta
del Estado, 1928, pp. 249-253.
3048
Dune part, La tranquilidad que le infundi la victoria de Caseros, estimul sus actividades
cientficas , tandis que la provincia de Corrientes encard un periodo de progreso econmico y
cultural, presidido por el gobernador Juan Pujol ; PIOLI DE LAYERENZA Alicia, ARTIGAS
DE REBES Mara Isabel, Amado Bonpland en el Plata , in Hoy es Historia, septime anne, n
41, septembre-octobre 1990, pp. 61-62.
782

Troisime partie

Chapitre IX

pour les prparatifs de lExposition Universelle de Londres 3049 . En outre, le nom


dExposition Permanente donn au projet rvle en rvle linspiration
europenne. En effet, un des objectifs principaux au cours de la conception du
Musum est de se connecter avec le continent europen. Pour ce faire, le
gouverneur confie dabord Franois Fournier et Joseph Fonteneau la tache de
runir des chantillons de la province pour les envoyer lExposition Universelle
de 1855. La demande initiale provient du directeur du tout nouveau Muse
National Alfred Marbais du Graty, lequel rencontre Bonpland peu avant la
fondation du Muse National dans le palais du gnral Urquiza 3050 .
La fondation du Muse National intervenue le 17 juillet 1854 Paran peut
expliquer le changement dobjectifs ayant lieu entre 1852 et 1854 Corrientes. En
effet, le dcret national sign par le vice-prsident Salvador Mara del Carril et le
ministre de lIntrieur Jos Benjamn Gorostiaga souligne
quil est important pour le commerce et lindustrie de la Confdration de
runir en un mme point les produits les plus dignes de son industrie et du
rgne minral et vgtal, et spcialement ceux qui pourraient faire
connatre la richesse de ces pays et augmenter ses articles dexportation
ou tre lobjet dtablissements importants dexploitation ou de
fabrication

3051

Certes, le muse correntino ne parvient pas rivaliser avec le muse


National de Paran. Celui-ci acquire une rputation certaine en France, en faisant
connatre le potentiel naturel argentin grce au rseau de son directeur Marbais du
Graty 3052 . Nanmoins il faut souligner lantriorit du projet provincial compar
au projet de Muse National officialis en 1854 3053 . En effet, un mois avant la
3049

A propos de lintrt de Pujol pour lExposition de Londres, une lettre de dAunbach date du
21 novembre 1851 est accompagne de deux vues du Palais de Cristal ; PUJOL Juan, op. cit.,
tome 2, p. 206.
3050
Cf. MNHN, ms 209, 17 fvrier 1854.
3051
que importa al comercio y a la industria de la Confederacin reunir en un mismo punto los
productos ms notables de su industria y del reino mineral y vejetal, y especialmente aquellos que
puedan hacer conocer la riqueza de estos pases y aumentar sus artculos de esportacin o ser el
objeto de establecimientos importantes de esplotacin o de fabricacin , in El Nacional
Argentino, n 120, 20 juillet 1854. Lauteure qui cite cet extrait, Beatriz Bosch, met en avant le
fait que la direction du Muse National est confie un francophone, le belge Alfred Marbais du
Graty, puis en 1857 un Franais, Auguste Bravard; cf. BOSCH Beatriz, op. cit., pp. 223-227. Le
dcret rsume les principes suivis partir de 1854 par le Muse correntino.
3052
A propos du rle jou par Martin de Moussy et Marbais du Graty, cf. ibid., pp. 225-228.
3053
Limportance du muse correntino lintrieur de lhistoire scientifique argentine est mise en
avant par Beatriz Bosch. Lauteure souligne que linitiative du gnral Urquiza a des rpercutions
dans la province du Nordeste, mais elle signale aussi que lide de Pujol est antrieure au projet du
gnral ; BOSCH Beatriz, op. cit., pp. 229-231.
783

Troisime partie

Chapitre IX

cration du Muse National la Commission charge de runir des chantillons de


la nature et de lindustrie provinciale est cre Corrientes. En juillet, Fournier et
Fonteneau font parvenir au gouverneur Pujol une premire liste, prvenant que
Peut-tre V. E. regrettera certains articles mais nous nous sommes dcids
pour ces choix tranges aprs avoir vu dans le catalogue des expositions
dposes dans le palais de cristal, jusqu des ufs dautruche dEgypte,
des gents communs du Canada, des bouteilles de liqueur de lle de
France, un onguent remde miracle, pour des chevaux et des moutons, de
Hollande.

3054

Mais Fournier et Fonteneau ne parviennent pas dresser une liste et encore


moins runir les objets proposs. Leur bonne volont ne parvient pas combler
leur inexprience en ce domaine. Logiquement, ils ne parviennent pas respecter
la date denvoi des chantillons 3055 . Ils proposent alors dinstaller graduellement
une salle dexposition provinciale afin que les efforts dj engags puissent
aboutir 3056 . Cette ide est immdiatement approuve par Pujol, puisque trois
semaines plus tard il accepte et amplifie leur proposition. Il sagit alors daller plus
loin que la simple exposition, tout en tant prt pour rpondre de nouvelles
convocations, celles manant dExpositions Universelles comme celles du Muse
National. Ainsi, Pujol ajoute la valorisation des produits naturels celle des
produits manufacturs costumes, mdailles ou ustensiles domestiques afin de
se montrer fidle au modle propos par lExposition Universelle londonienne. La
musographie mle donc les aspects naturels et culturels de la province ; le souhait

3054

Quiz V. E. extraar ciertos artculos pero hemos sido llevados esas raras elecciones por
haber visto en el catlogo de las exposiciones depsitos en el palacio de cristal, hasta huevos de
avestruz de Egipto, escobas comunes de Canad, botellas de licor de la Isla de Francia, un
unguento snala-todo, para caballos y carneros, de Holanda Le 17 juillet 1854, ils crivent
Pujol : El tiempo corre ms ligero que nuestras labores, que, hasta ahora, no pasan de
averiguaciones ideas confiadas precitidamente al papel , in PUJOL Juan, op. cit., tome 4, pp.
123-124.
3055
Le Paraguay est lunique pays sud-amricain officiellement reprsent Paris, mme si
quelques produits argentins sont prsents. Certains produits provenant de Corrientes sont aussi
exposs grce la bienveillance de John Lelong lors de son voyage dans la province. Le Franais
rapporte ces produits dans lintrt de la colonisation explique-t-il ; cf. PUJOL Juan, op. cit.,
tome 5, p. 306.
3056
F. Fournier et J. Fonteneau J. Pujol, 20 septembre 1854, in PUJOL Juan, op. cit., tome 3, p.
189. Cela permet de rpondre la question pose en 1834 par Fernando Coni Bazn, lequel se
demande si la commission joua un rle autonome ou si elle fut linstrument permettant Pujol de
mener bien son projet de Muse ; cf. CONI BAZAN Fernando A., La fundacin del Museo de
Corrientes, Buenos Aires, Coni, 1934, p. 15.
784

Troisime partie

Chapitre IX

duniversalit du savoir comme celui dappropriation du modle europen est


fond l 3057 .
Les lettres changes rappellent la volont de se connecter avec le
continent europen. Pujol le rsume parfaitement dans lune dentre elles crite
Bonpland le 24 mars 1856 :
[Le] concours universel [] peut faire mieux connatre nos richesses
naturelles et nos produits [] et ainsi attirer lattention de lEurope sur
cette rgion encore mconnue l-bas ; et qui pour linstant ne sest rendue
clbre qu cause de ses interminables guerres intestines et des
boucheries inhumaines de D. Juan Manuel Rosas.

3058

Bien que cette lettre soit postrieure lExposition Universelle de 1855, son
contenu fait rfrence au rle jou par les Expositions Universelles en tant
quopportunits uniques offertes la province argentine afin de se faire connatre,
promouvoir la venue de colons et favoriser son dveloppement.

Limpulsion amricaine
La conception du projet musographique est aussi lie au dsir dimpulser
les sciences rioplatenses expos depuis longtemps par Bonpland. En effet, son
souhait qui est un thme rcurrent de son discours de participer la cration
dune Rpublique des Savants transfrontalire se concrtise partir de la fin
des annes 1840, le Franais parvenant former un rseau savant au-del de la
province de Corrientes. En suivant ces traces il est possible desquisser son apport
construit et nourri par des changes qui alimentent mutuellement les scientifiques.
Le renouveau scientifique argentin et lapparition subsquente de nouvelles
institutions scientifiques argentines permettent Bonpland dtablir des liens avec
elles. Ainsi le Muse National, fond Paran par dcret le 17 juillet 1854, est-il
3057

La note officielle dit ce propos : habia resuelto crear una Comision especial que se encargue
de ecsaminar, recabar, hacer elaborar y colectar [...] todo lo que al concepto del hombre cientifico
dea un jermen predispuesto una utilidad reproductiva que solo demanda la cooperacion de los
brazos y la inteligencia Europea , cite in CONI BAZAN Fernando A., op. cit., p. 11.
3058
[El] concurso universal [...] puede hacer conocer mejor nuestras riquezas naturales y nuestros
productos [...] y llamar asi la atencin de la Europa sobre esta regin todaba no bien conocida alli;
y que hasta ahora no se ha hecho clebre sino pr sus interminables guerras intestinas y pr las
carniceras inhumanas [...] de D. Juan Manuel Rosas , AMFBJAD n 87, J. Pujol Bonpland, 24
mars 1856. Il sagit du mme discours que celui tenu par Auguste Bravard propos de la ville de
Paran en juillet 1858 ; cf. BOSCH Beatriz, op. cit., p. 227.
785

Troisime partie

Chapitre IX

sollicit pour promouvoir des changes interprovinciaux. Mais avant lArgentine


cest une fois encore le Brsil qui sollicite Bonpland. En effet, le Franais se
connecte dabord avec le pays lusophone grce au docteur Jos Martins da Cruz
Jobim, membre de lAcadmie de mdecine de Rio de Janeiro venu en 1847
tudier le climat de la rgion de So Borja. Ds lors une relation se noue avec
linstitution brsilienne dans laquelle la correspondance entre Jobim et Bonpland
est lue. Cela permet un autre membre de lAcadmie, Jean Franois Xavier
Sigaud, de recourir deux ans plus tard Bonpland afin de publier un trait de
matire mdicale brsilienne. En contrepartie, Sigaud propose au botaniste de lui
faire parvenir des publications scientifiques rcentes 3059 . En 1853, Bonpland
tablit des relations avec le nouveau directeur du Jardin botanique de Rio de
Janeiro, Cndido Batista de Oliveira. Le Franais souhaite visiter le jardin de la
ville brsilienne 3060 qui prsente un catalogue trs intressant en vue de
lacclimatation dune multitude darbres fruitiers Corrientes 3061 . Aprs la
fondation du muse correntino, Bonpland se fait le relais entre les deux
institutions afin quelles senrichissent mutuellement. A ce titre, le Franais fait
parvenir en juin 1857 six chantillons de six espces diffrentes de yerba mate 3062 .
Dautres institutions entrent en contact avec lui. LImperial Nucleo
Horticolo Brasiliense le nomme membre honoraire le 21 mars 1851 3063 . Puis le 20
dcembre 1853, cest en Uruguay que la nouvelle Sociedad de Medicina
Montevideana lui confre le titre de membre correspondant et honoraire3064 . Lors
de son sjour de 1856 dans la capitale uruguayenne, Bonpland rencontre
Alejandro Pesce qui en est membre et qui profite de plusieurs entrevues avec son
confrre pour runir les lments ncessaires lcriture dun travail sur le

3059

AMFBJAD s. n., J. F. X. Sigaud Bonpland, Rio de Janeiro, 1er octobre 1849.


AMFBJAD n 1013, Bonpland Bautista de Oliveira, Montevideo, 25 janvier 1854.
3061
Bonpland J. Pujol, 11 octobre 1855, in PUJOL Juan, op. cit., tome 5, pp. 308-309.
3062
AMFBJAD n 1359, Bonpland C. Batista de Oliveira, Corrientes, 15 juin 1857. La mme
anne, Bonpland reoit un exemplaire du Diario de Sciencias y Artes en provenance de Rio de
Janeiro et destination de la bibliothque du Muse de Corrientes. Il doit le recevoir rgulirement
et ce lien doit servir de prmisse une collaboration : le habl largamente del Museum que V. E.
ha tenido la buena idea de formar y hecho ver que los Museums de Ro y de Corrientes deberan
enriquecerse mutuamente [...] Juzagar V. E. que debemos tener justas esperanzas de aumentar
considerablemente el Museum Correntino , Bonpland J. Pujol, 6 dcembre 1857, in PUJOL
Juan, op. cit., tome 7, p. 165.
3063
Cf. AMFBJAD n 1988, Bonpland J. Praxeres Pereira Pacheco, So Borja, 10 octobre 1851.
3064
AMFBJAD, s. n., 20 dcembre 1853.

3060

786

Troisime partie

Chapitre IX

magntisme humain 3065 . Tous les pays proches sont donc sollicits lexception
du Paraguay o aucun lien nest consolid. Bonpland effectue lui-mme une
collecte de plantes lors de son voyage Asuncin, au mois de mars 1857.
En vertu des liens tisss avec les Brsiliens, cest dabord Porto Alegre qui
parat tre le lieu propice pour accueillir un cabinet dhistoire naturelle aux yeux
de Bonpland. Dans ce but, il sollicite ds 1850 le nouveau dirigeant du Rio Grande
do Sul Pedro Ferreira de Oliveira et lui rappelle les contacts dj tablis en ce sens
avec ses prdcesseurs Francisco Jos de Souza Soares de Andria et Jos Antonio
Pimenta Bueno. Les discussions menes avec Souza Soares de Andrea portent
avant tout sur la cration dune ferme-modle. En ce sens, le cabinet dhistoire
naturelle doit impulser le dveloppement agricole. Quant Pimenta Bueno, avec
lequel Aim Bonpland est troitement li damiti, il prend connaissance du projet
de cabinet alors que le botaniste sjourne So Borja. Oliveira se voit
recommand deux amis de Bonpland, Philip von Normann et Frederico de
Vasconcellos, dune grande utilit pour former un cabinet , tandis que dans le
mme temps le Franais lui offre des chantillons de roches collects autour de
Montevideo 3066 .
Les changes pistolaires avec Vasconcellos et Kasten, tous deux
Europens habitant le Rio Grande do Sul, mettent en valeur un rseau scientifique
en plein dveloppement. Ces changes bass sur la minralogie, ajouts aux
relations tisses avec dautres milieux scientifiques brsiliens, montrent quil
existe une dynamique concernant les sciences naturelles dans le pays lusophone.
Leur bon niveau est soulign par Bonpland qui reconnat avec plaisir ses limites
face aux travaux gologiques de Kasten 3067 . Mais cette dynamique se heurte des
obstacles financiers, les deux amateurs que sont Kasten et Vasconcellos ne
pouvant se consacrer pleinement leur passion faute de ressources 3068 . Bonpland

3065

Bonpland A. Pesce, Montevideo, janvier 1856, cit in HAMY Jules Thodore Ernest, op. cit.
p. 204.
3066
AMFBJAD n 302, Bonpland P. Ferreira de Oliveira, Montevideo, 10 novembre 1850.
3067
Il admire la carte gologique dresse par Kasten ainsi que ses observations sur la relation entre
le positionnement du charbon de pierre et des basaltes; cf. AMFBJAD n 639, Bonpland K. W.
Kasten, So Borja, 8 aot 1856.
3068
Une anne seulement aprs sa rencontre avec le jeune allemand et les esprances que Bonpland
place en lui, Kasten renonce leurs changes scientifiques. Il sinstalle Uruguayana : Ac
estoy, a la cabeza de una casa de comercio, habiendo dejado por el momento toda ciencia, de la
cual quizs no me ocup nunca, ya que s bien que para ser lo uno hay que dejar lo otro ,
AMFBJAD n 640, K. W. Kasten Bonpland, Uruguayana, 8 mars 1857. Quant Vasconcellos, il
sinstalle Montevideo en 1853 et dcide dlever des ovins en Uruguay, malgr lavis de
787

Troisime partie

Chapitre IX

conserve toutefois des relations avec Normann qui il propose en 1857, bien que
la ralisation du Muse riograndense se fasse attendre, un change dchantillons
entre Corrientes et Porto Alegre comme un faible tmoignage de mon affection
patriotique pour le Brsil 3069 .

Limpulsion du gouverneur Pujol


Juan Pujol joue un rle fondamental dans lavance du projet
musographique correntino. Il se dgage de la correspondance entre le savant et le
gouverneur linsistance de Pujol vis--vis du projet et les crits de Bonpland
confirment que le gouverneur en est le vritable initiateur 3070 . Lorsque,
nouvellement investi de la direction de la province de Corrientes, le gouverneur
sarrte Restauracin, le 12 novembre 1852, il se met en relation avec Gregorio
Valds, vieil ami de Bonpland, qui il fait part de son dsir de rencontrer le savant
pour raliser un cabinet dhistoire naturelle. Il crit ensuite directement
Bonpland ce sujet 3071 .
Mais avant quil ne propose Bonpland dtre le directeur du Muse, sa
correspondance avec Vicente Fidel Lpez nous claire sur la position centrale que
doit occuper la science dans son gouvernement. En effet, Lpez se rfre
plusieurs reprises au rle primordial du scientifique au sein du processus
dorganisation nationale. Il tente de convaincre Pujol de la ncessit de placer les
sciences naturelles au centre de son gouvernement ; nous pensons quil parvient
le convaincre. Plus encore, il demande Pujol dtre son porte-parole auprs du
gnral Urquiza 3072 . Cependant, linfluence de Lpez nest peut-tre pas la seule
car les dmarches effectues par Bonpland auprs du gouvernement du Rio
Grande do Sul afin dimpulser un centre scientifique dans cet Etat sont
Bonpland qui prfrerait le voir sinstaller dans la Banda occidental del Uruguay ; cf.
AMFBJAD n 1140, Vasconcellos Bonpland, Concordia, 24 mars 1853, cit in HAMY Thodore
Jules Ernest, op. cit., p. 166. Toutefois, Vasconcellos maintient le contact avec le milieu
scientifique, tant membre correspondant de la Sociedad de Medicina Montevideana.
3069
Bonpland P. Normann, Corrientes, mars 1857, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit.,
pp. 211-212.
3070
J. Pujol Bonpland, 11 dcembre 1854, in PUJOL Juan, op. cit., tome 4, p. 288. Bonpland
confirme en 1856 que cette idea muy laudable es debida V. E. , ce qui te tout doute ce
propos ; Bonpland J. Pujol, 7 juillet 1856, in ibid., tome 6, p. 162.
3071
AMFBJAD n 253, G. Valds Bonpland, Restauracin, 18 novembre 1852.
3072
Cf. PUJOL Juan, op. cit., tomes 1 et 2.
788

Troisime partie

Chapitre IX

certainement connues de Pujol. Or, lorsque les Virasoro gouvernent la province de


Corrientes, ils tentent dj darracher Bonpland aux Brsiliens. Pujol est alors
membre de leur gouvernement et il est possible quil joue un rle dans cette
tentative. Il souhaite peut-tre alors tirer parti du projet de Bonpland, ce qui fait de
ce dernier non linitiateur du muse correntino mais un facteur primordial de la
dcision de Pujol.
Alors quau Brsil le Muse se fait attendre, Corrientes le gouverneur
met en place une action qui savre primordiale pour la ralisation du Muse. En
effet, ds la fin de lanne 1852 Juan Pujol dispose du soutien des citoyens et du
gouvernement provincial, lesquels se prononcent en faveur de ldification :
Nous sommes tous Corrientes vivement intresss la ralisation de ces
deux tablissements [le cabinet dhistoire naturelle et le jardin botanique]
et nous souhaitons surtout que cela soit Vous [Aim Bonpland] qui les
ralisiez. Nous avons la prtention de montrer au voyageur qui visite ces
rgions Votre nom inscrit sur ces deux tablissements. Nous
[n]conomiserons aucune dpense ni sacrifice pour y parvenir et pour
cela Vous devez compter sur laide et la coopration sans faille du
Gouvernement.

3073

Afin de raliser ce projet, Juan Pujol propose Bonpland une rencontre


Mercedes o le gouverneur sarrte durant son premier voyage officiel3074 . Mais le
botaniste se heurte une srie de contretemps qui lempchent de rencontrer Pujol.
En effet, il doit se rendre Montevideo afin de faire dresser par le consulat de
France un certificat de vie lui permettant de toucher sa pension. Finalement, les
deux hommes se rencontrent en juin 1853 Curuz Cuati ; le savant voit dans le
jeune docteur un homme
avec un patriotisme clair ; un vritable libral qui dsire le bien du
peuple

3075

3073

Todos en Corrs estamos vivamte interesados en la realizacion de esos dos establecimentos y


nos interesamos sobre todo en que Vd sea quien los plantea. Queremos tener la vanidad de mostrar
al viajero que visite estas regiones en nombre de Vd inscripto al frente de esos establecimientos.
[No] economizaremos gasto ni sacrificio alguno pr conseguirlo y pa lo que Vd debe contar con la
devitida cooperacion y auxilios del Gobo. , AMFBJAD n 65, J. Pujol Bonpland, Restauracin,
18 novembre 1852.
3074
AMFBJAD n 253, G. Valds Bonpland, Restauracin, 18 novembre 1852.
3075
con un patriotismo ilustrado; un verdadero liberal que quiere el bienestar del pueblo ,
Bonpland F. Vasconcellos, Montevideo, 10 dcembre 1853, cit in HAMY Thodore Jules
Ernest, op. cit., p. 167.
789

Troisime partie

Chapitre IX

et qui le nomme directeur de lExposition Permanente de Corrientes le 10 octobre


1854.
Etant donn que Bonpland ne peut participer directement cette
ralisation, Pujol la confie ses compatriotes Fournier et Fonteneau. Chargs de la
Commission Directive, ils sont informs que
dans lintrt dassocier un grand nom notre institution pygme, et
principalement de laider grce la coopration colossale dun des plus
illustres scientifique connu en Amrique et en Europe, [le gouverneur] a
souhait nommer cette date don Aim Bonpland, Directeur en Chef de
lExposition Provinciale permanente. Bien que lillustre Directeur en
Chef [] ne puisse assister toujours et personnellement aux travaux de la
Commission Directive, les avantages quen tirera le Muse Provincial
nen seront pas moindres grce aux vues densemble, aux connaissances,
et enfin, grce lacquisition de cet minent naturaliste dont le seul nom
suffirait adorner notre institution naissante.

3076

Dans une autre lettre accompagnant celle annonant la nomination, Pujol


annonce sa dcision de mener bien le grand projet de Bonpland, savoir
lamlioration de lexploitation des yerbales. Le gouverneur propose aussi de
dvelopper les sciences de la nature et leurs applications grce cette grande
uvre dhumanit et de civilisation 3077 que constitue le Muse. La transmission
des connaissances est donc envisage, ce qui ajoute la fonction dmonstrative
celle ducative, rapprochant en cela le projet du type du Musum europen.
Cependant, aucun dtail nest donn sur les moyens mettre en uvre pour
parvenir ce but, notamment concernant lventualit de la cration dune cole.
A la fin de lanne 1854, le gouvernement sengage mettre disposition
trois ou quatre salons lintrieur dun difice public et se charger de couvrir les
dpenses au conditionnement des salles. Le cot des objets, de leur recherche et de
3076

con el inters de vincular un gran nombre nuestra pigmea institucin, y principalmente de


asistirla con la cooperacin colosal de una de las ilustraciones ms notables de la ciencia, que se
conocen en Amrica y Europa, ha tenido bien nombrar con esta fecha don Amado Bonpland,
Director en Jefe de la Exposicin Provincial permanente. Aun cuando el ilustre Director en Jefe
[...] no podr asistir perenne y personalmente los trabajos de la Comisin Directiva, no por eso
sern menos las ventajas que reportar el Museo Provincial con las vistas directivas, con los
conocimientos, y en fin, con la adquisicin de este eminente naturalista cuyo solo nombre bastara
para ilustrar nuestra naciente institucin , AMFBJAD n 299, J. Pujol F. Fournier et J.
Fonteneau, Esquina, 10 octobre 1854.
3077
J. Pujol Bonpland, Esquina, 10 octobre 1854, in PUJOL Juan, op. cit., pp. 220-221 ;
AMFBJAD n 73, nomination de Bonpland en tant que directeur en chef de lExposition
Provinciale Permanente, Corrientes, 10 octobre 1854 ; AMFBJAD n 299, J. Pujol F. Fournier et
J. Fonteneau, Esquina, 10 octobre 1854.
790

Troisime partie

Chapitre IX

leur envoi par les dpartements doit tre quant lui pris en charge par le Trsor
Public. En octobre, Fournier et Fonteneau choisissent comme lieu lancien
couvent de Santo Domingo, bien que le conditionnement des pices savre long.
Le 19 dcembre, Pujol approuve leur choix ainsi que le rglement de lExposition,
officialisant la cration du Muse 3078 .

2. Lapport dAim Bonpland


A partir de 1849, Bonpland se connecte de nouveau avec le monde
scientifique tant europen quamricain. A cette date, le voyage prolixe quil
effectue jusqu Porto Alegre combin avec les faveurs quobtient Alfred
Demersay de la part du gouvernement franais, ainsi que dautres liens renous
avec sa patrie le rveillent dune longue lthargie scientifique. Ainsi lespoir de
publier les rsultats de plusieurs dcennies de recherche surgit de nouveau. A cela
sajoute une nouvelle connexion scientifique vers le Brsil, grce aux contacts
obtenus Porto Alegre. Aim Bonpland fait venir des ouvrages scientifiques de
Paris, dcid poursuivre son travail de valorisation des ressources naturelles
rioplatenses.

Le dsir de transmission
De 1850 1854, Bonpland manifeste le dsir de voir ses collections
envoyes en France. Il souhaite les accompagner et runir l ses travaux avec ceux
raliss en compagnie de Humboldt 3079 . Cette ide dune union scientifique des
deux voyages est davantage prsente au moment denvisager la prparation de
lhritage scientifique. En outre, elle est ractive par les liens qui se rtablissent
entre le botaniste et sa patrie, dabord grce la venue dAlfred Demersay en 1846

3078

AMFBJAD n 299, J. Pujol F. Fournier et J. Fonteneau, Esquina, 10 octobre 1854 ; F.


Fournier et J. Fonteneau J. Pujol, 16 octobre, 10 novembre et 25 dcembre 1854, in PUJOL Juan,
op. cit., pp. 229, 263, 296.
3079
AMFBJAD n 958, Bonpland F. Delessert, Montevideo, 30 octobre 1838 ; AMFBJAD n
962, Bonpland F. Delessert, Restauracin, 2 octobre 1854 ; AMFBJAD n 965, Bonpland
Desmarest et Ducoing, Montevideo, 5 novembre 1850.
791

Troisime partie

Chapitre IX

avec lequel il maintient dtroites relations scientifiques et amicales, ensuite par la


voie de son ancien ami et collgue Delile. Ce dernier, aprs avoir reu des
nouvelles de Bonpland par lintermdiaire dun compatriote, lui crit en 1848 pour
lui demander daccompagner ses collections botaniques au Musum dhistoire
naturelle de Paris 3080 . Cette ide germe de nouveau dans lesprit de Bonpland qui
songe alors revenir en Europe muni de ses notes scientifiques.
Quant au reste de ses archives, il confie son ami Gregorio Valds lusage
quil leur rserve :
Enferm dans ma chacra cause dune pluie continue jai fouill dans
une malle pleine de livres et de papiers []. Jai en mon pouvoir une
multitude de lettres que je me rserve pour le temps o je me verrai
oblig de mener une vie sdentaire. Leur lecture me procurera des
souvenirs et peut-tre en ferai-je un autre usage.

3081

Lvocation dun autre usage amne sinterroger sur son intention de rdiger
des mmoires. En effet, Bonpland se montre de plus en plus proccup par son
hritage scientifique. Le dcs de son frre Michel Simon, intervenu en 1850, peut
tre interprt comme un srieux motif pour lequel Aim songe prparer son
propre legs. En effet, sa mort Michel lui lgue ses biens scientifiques constitus
dun herbier quil enrichit durant plus de 50 ans de sa vie , de ses manuscrits et
sa bibliothque compose denviron 300 livres 3082 .
Bien que son frre ne dise rien ce propos, Aim est persuad quil voulait
mais na pas eu le temps de publier ses travaux, particulirement ceux relatifs
son herbier. Afin den convaincre sa famille, il ajoute quils avaient projet une
publication commune sans en prciser le contenu ni le moment au cours duquel ce
projet a vu le jour, bien quil voque un projet de publication commune sa sortie
du Paraguay 3083 . Cette proccupation vis--vis de labsence dhritage scientifique
se heurte pourtant aux frais quengendrerait une telle publication. Bonpland est
encourag laisser en France ce que Michel Simon lui lgue. Flix Augustin

3080

AMFBJAD n 2000, A. Raffeneau-Delile Bonpland, Paris, 4 novembre 1848.


Detenido en mi chacra por una lluvia continua he registrado un baul lleno de libros y papeles
[...]. Tengo en mi poder una multitud de cartas qe reservo para el tiempo en qe me vere obligado ha
tener una vida sedentaria. La lectura de estos me procurara recuerdos y quizas hare de ellos otro
uso. , BCNBA, Bonpland G. Valds, So Borja, 3 novembre 1851.
3082
AMFBJAD n 965, Bonpland Desmarest et Ducoing, Montevideo, 5 novembre 1850.
3083
AMFBJAD n 1581, Bonpland F. A. Allegre, Montevideo, 10 dcembre 1853. Ce projet est
plausible puisquil a lieu au moment o Aim cherche les moyens de publier sa Flore des
Provinces Unies.
3081

792

Troisime partie

Chapitre IX

Allegre, son neveu, lui conseille de transmettre les herbiers, les manuscrits et la
bibliothque laisss par son frre soit la ville de La Rochelle qui serait fire de
possder le don dun de ses enfants les plus distingus , soit lEcole de
mdecine de Rochefort, ou enfin Camille Marquet, un petit-fils dOlive qui
dbute cette anne dans la mdecine 3084 . Aim renonce la publication, mais
cette amre exprience peut faire supposer que le cadet tente alors de rflchir
une solution permettant de faire connatre son hritage un autre sort que celui de
son an 3085 .
A cette poque, la primaut de lhritage est rserve Paris ; Bonpland
laffirme plusieurs reprises, par exemple en dcembre 1850 lorsquil voque les
dsirs doffrir ses collections au Musum, bien que souvent on lui eut propos
dacheter son herbier et ses manuscrits 3086 En 1853, ses dispositions
testamentaires sont sans ambigit car il demande Jean-Pierre Gay quen cas de
dcs celui-ci fasse parvenir au ministre de lIntrieur franais ses manuscrits et
collections, afin quils soient remis au Musum dHistoire naturelle de Paris3087 .
Cependant, la cration du cabinet dhistoire naturelle correntino soulve la
question du legs amricain. Alors que de 1850 1854 il nest question que de la
France, lapparition dun lieu de mmoire en Argentine change les perspectives du
Franais. En effet, aprs avoir hsit quant sa participation ldification du
Muse tant donn son ge, Aim dcide de laisser des traces de son travail
Corrientes :
il tait de mon devoir daccepter la charge honorifique que moffre S.E.
[] car dici trs peu de temps jespre dposer dans le Muse de
Corrientes un herbier qui servira utilement tudier comme il se doit le
rgne vgtal, car il offrira un tableau assez exhaustif des vgtaux
vritablement utiles de la rpublique argentine. Ce don que personne a ma
connaissance ne peut faire contribuera efficacement a commencer la
grande uvre de civilisation qua conu si sagement M. le Gouverneur et
Capitaine Gnral M. Dn J. Pujol.
3084

3088

AMFBJAD n 1573, F. A. Allegre Bonpland, Rochefort, 6 novembre 1850.


A ce propos, cf. les lettres changes avec sa sur Olive et son neveu Allegre.
3086
AMFBJAD n 965, Bonpland Desmarest et Ducoing, Montevideo, 5 novembre 1850.
3087
AMFBJAD, n 974, Bonpland J. P. Gay, So Borja, 19 mars 1853.
3088
era de mi deber acceptar el cargo honroso que me ofrece S.E. [...] porque dentro de muy poco
espero deponer en el Museo de Corrientes un herbario que servira utilmente a estudiar como se
debe el reyno vegetal, porque ofrecer un cuadro bastante extenso de los vegetales verdaderamente
tiles de la repblica argentina. Este dono que nadie a mi conocimiento puede hacer contribuira
3085

793

Troisime partie

Chapitre IX

Cette volont de lguer Corrientes une partie de ses archives ce que


rsume un article paru le premier mars 1855 dans le journal local El Comercio :
Lardent intrt que possde lminent botaniste et distingu publiciste
Mr Bonpland pour le progrs de la Province est digne de gratitude, nous
len remercions [] ; il refuse lappel de deux des premires cours
dEurope, les loges dune popularit europenne, et les flatteries des
hommages des savants, et il prfre vivre sur les rives de lUruguay,
lombre des grands arbres, entour des beauts dune nature tropicale.
[] Lhomme de science, veut vivre loin du grand monde, et se consacre
son ge avanc rechercher les mystres de la nature.

3089

Les actes du botaniste confirment les dires du rdacteur, puisqu partir du milieu
des annes 1850 il se consacre alimenter en priorit le Muse provincial auquel
il fournit les rsultats de ses recherches scientifiques, les institutions europennes
passant au second plan.

Une caution scientifique essentielle


Aim Bonpland rflchit lorganisation du Muse. Ainsi bauche-t-il une
description critique des trois rgnes prsents Corrientes puis fait rfrence leur
prsence au sein du Musum parisien :
depuis lanne 1817 je me suis occup dtudier le rgne vgtal, animal
et minral des provinces argentines [;] jai runi successivement, en
France, plusieurs collections de ces trois rgnes lesquelles sont exposes
dans les riches galeries du Musum dhistoire naturelle de Paris

3090

eficacemente a principar la grande obra de civilizacion que ha concebido tan sabiamente el Sor
Gobernador y Capitan General el Sor Dn Dn J. Pujol. , AMFBJAD n 300, Bonpland F. Fournier
et J. Fonteneau, 20 novembre 1854.
3089
Es digno de gratitud el inters ardiente que toma el botnico eminente y publicista
distinguido Mr. Bompland por el progreso de la Provincia, nosotros se lo agradecemos [...];
rehuesa el llamamiento de dos de las primeras cortes de la Europa, los aplausos de una popularidad
europea, y los halagos de los homenajes de los hombres de saber, y prefiere vivir en las orillas del
Uruguay, la sombra de los grandes rboles, en medio de las bellezas de una naturaleza tropical.
[...] El hombre de la ciencia, quiere vivir lejos del gran mundo, y se consagra su avanzada edad
en investigar los misterios de la naturaleza. , An., Riqueza Mineral de la Provincia , El
Comercio, n 164, 1er mars 1855.
3090
desde el ao 1817 me he ocupado de estudiar el reyno vegetal, animal y mineral de las
provincias argentinas : que he reunido succesivamente, en Francia, varias collecciones de estos tres
reynos los cuales se hallan a la vista en las ricas galerias del Museum de historia natural de Paris ,
AMFBJAD n 300, Bonpland J. Fonteneau et F. Fournier, Restauracin, 20 novembre 1854.
794

Troisime partie

Chapitre IX

La rfrence europenne est incontournable mais la diffrence du projet


esquiss en 1852, la ralisation dun jardin botanique est abandonne. Malgr cela,
linstitution correntina poursuit sa mise en place entre 1854 et 1856, grce au
Franais qui se met au travail ds sa nomination connue ; il profite dun voyage
dans la Sierra de la Cruz pour collecter des chantillons et assurer les membres de
la Commission de sa prochaine venue Corrientes, ds son excursion gologique
termine 3091 . Ce voyage savre dautant plus utile puisque, selon lui, une autre
fonction importante du Muse doit tre de contenir avec le temps et la
succession de nombreuses annes et de nombreuses vies [] des produits de tous
les pays 3092 . Pour cela, il collecte Montevideo du marbre de la mine de
Maldonado ainsi que des chantillons de plomb et de fer. Par lintermdiaire de
Facundo Zuvira qui se trouve alors dans cette ville, le Muse acquire des
minraux en provenance de Crdoba 3093 . Depuis le Rio Grande do Sul, Kasten lui
fait parvenir des chantillons minralogiques qui seront dposs avec son nom
dans le tout rcent Musum de Corrientes et serviront de types 3094 .
Au dbut de lanne 1856 Pujol sollicite Bonpland afin quil organise
lenvoi dchantillons vgtaux correntinos en France suite la demande de ce
pays qui projette lorganisation dune nouvelle Exposition Universelle.
Lorganisateur se montre spcialement intress par les richesses agricoles
argentines du fait de ses entreprises de colonisation. Le savant accepte alors
doffrir ses services au gouverneur, particulirement pour la partie botanique et
minralogique. Les chantillons ne peuvent tre runis temps encore une fois
cause de linachvement du Muse, incapable de rpondre sa fonction de
propagateur ou dchangeur vis--vis dautres institutions.
Nanmoins, le muse commence faire parler de lui ltranger puisque le
Correio do Sud de Porto Alegre publie un article qui lui est consacr en aot 1856.
Le cur Gay, qui en est lorigine, profite de ses liens avec la capitale du Rio
Grande do Sul pour promouvoir laction de Juan Pujol et de son ami Bonpland.
Une autre consquence non moins importante de la mise en place de 1854 et de la
3091

J. Fournier et F. Fonteneau J. Pujol, 24 octobre 1854 ; Bonpland a J. Pujol, 11 dcembre


1854, in PUJOL Juan, op. cit., pp. 240, 288.
3092
con el tiempo y la sucesin de muchos aos y muchas vidas [] productos de todos los
pases , Bonpland J. Pujol, Santa Ana, 27 octobre 1854, in PUJOL Juan, op. cit., p. 241.
3093
Bonpland J. Pujol, Montevideo, 16 janvier 1856, in PUJOL Juan, op. cit., p. 20.
3094
estarn depositas con su nombre en el recin nacido Museum de Corrientes y servirn de
types , AMFBJAD n 639, Bonpland K. W. Kasten, So Borja, 8 aot 1856.
795

Troisime partie

Chapitre IX

sollicitation franaise de 1856 est la mise en relation avec des institutions


scientifiques loignes ainsi que des savants trangers, dont quelques Franais. En
1857, Bonpland espre tirer profit de sa nomination en tant que docteur honoraire
de luniversit prussienne de Greifswald pour tablir de nouveaux liens avec cette
partie de lEurope 3095 . Afin de rcompenser Bonpland pour ces travaux, mais aussi
pour le temps pass prter ses services dsintresss au pays, spcialement vis-vis de la classe ncessiteuse , le Congrs Permanent lui concde, le 25
novembre 1856, la pleine proprit du terrain de Santa Ana quil possde
jusqualors en emphytose 3096 .

Le legs matriel
Avec la cration du Muse la question de la ralisation dun ouvrage se
pose rapidement. Les crits de Pujol, Fournier et Fonteneau montrent leur volont
de faire natre une tradition scientifique sappuyant sur un ouvrage de rfrence.
Pour cela, ils se rendent compte que les fonctions de Bonpland doivent aller audel du rle honorifique prvu initialement et lui demandent de mettre en uvre la
transmission de ses connaissances. En ce sens, Pujol propose au botaniste de
publier Corrientes ses travaux. Cette demande rarement voque par les
biographes de Bonpland 3097 mrite dtre releve car elle constitue une pice
essentielle du legs. Juan Pujol explique quil dsire
vous offrir notre presse, pour que vous y puissiez faire imprimer
nimporte quelle uvre de vous ou dautre, que vous pensiez tre utile ;
[] quil vous sera remis le nombre dexemplaires que vous demandez,
sans quil vous en cote absolument rien, et dont la vente se fera
exclusivement votre bnfice. Je ne souhaite pas plus que davoir
lhonneur de voir vos uvres [] imprimes dans la Province de
Corrientes. [] Il sagit dune grande presse enrichie de beaux caractres,
3095

AMFBJAD n 986, J. P. Gay Bonpland, So Borja, 17 dcembre 1856 ; Bonpland


Humboldt, Corrientes, 7 de juin 1857, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 214.
3096
Cf. PUJOL Juan, op. cit., tome 6, pp. 245-247.
3097
Hormis CONI BAZAN Fernando A., La fundacin del Museo de Corrientes, Buenos Aires,
Coni, 1934.
796

Troisime partie

Chapitre IX

prpare pour limpression douvrages scientifiques. De cette manire,


vos ouvrages seront imprims avec la mme lgance et le mme soin,
que ceux qui pourraient sobtenir Paris.

3098

Cependant, la rponse de Bonpland manque demphase ; il voque


seulement la possibilit dcrire quelques articles3099 . Cette attitude peut tre
recoupe par une lettre crite ds 1851 Delessert, lequel lui demande justement
quelques articles pour lInstitut. Bonpland rpond avoir peur dvoquer des thmes
dj connus en France. Lapparition de la revue Bonplandia en 1854 est une autre
occasion de publier, mais l encore il explique que son ignorance des progrs des
sciences en Europe, alors quil vit au milieu des forts, len empche. A cette
ignorance sajoute sa connaissance de la faiblesse des sciences dans le Ro de la
Plata 3100 .
En raison du premier motif, il a toujours souhait revenir en France pour
publier son journal botanique avec le souci dactualiser ses connaissances et parce
que, confie-t-il Delessert, il est trs difficile de publier les travaux dune autre
personne 3101 . Quant la situation scientifique dans les pays limitrophes, Bonpland
estime quau dbut de lanne 1854 un seul tablissement est en mesure
dorganiser la publication dun ouvrage botanique. Il propose dans ce but au
directeur du Jardin botanique de Rio de Janeiro la publication d
un ouvrage qui porterait sur les plantes utiles [] et aucun tablissement
ne me parat mieux plac cet effet que le jardin botanique de rio []. Il
convient de dire que ces publications engendreraient des frais mais elles
seraient honorables et trs utiles

3102

Pourquoi, la fin de lanne 1854, Bonpland renonce-t-il publier


Corrientes ce quil proposait de publier Rio de Janeiro en janvier de cette mme
3098

Ofrecerle V. nuestra imprenta, pa que V. pueda hacer imprimir en ella cualesquiera obra
propia ajena, que V. crea de utilidad; [] que se le entregar el numero de ejemplares que V.
pida, sin que le cueste absolutamente nada, y cuya venta se har esclusivamte pa beneficio de V.
[Yo] no deseo mas que el honor de que sus obras [...] sean impresas en la Prova. De Corrtes. Es una
imprenta vasta y enriquecida de bellos carcteres, preparada como pa la impresion de obras
cientificas. De modo s que, sus obras sern impresas con la misma elegancia y esmero, que podria
obtenerse en Pars. , AMFBJAD n 79, J. Pujol Bonpland, 2 novembre 1854. Limprimerie de
lEtat dirige par le Franais Paul Emile Coni est installe Corrientes depuis 1853.
3099
AMFBJAD, n 80, Bonpland J. Pujol, Restauracin, 6 novembre 1854.
3100
Bonpland Humboldt, Montevideo, 3 fvrier 1854, cit in HAMY Jules Thodore Ernest, op.
cit., pp. 185-186.
3101
Bonpland F. Delessert, So Borja, 25 septembre 1851, cit in ibid., pp. 162-163.
3102
una obra qe. trataria de las plantas utiles (adules) y ningun establecimiento me parece mas
bien colocado a este efecto qe. el jardin botanico de rio [...]. Es necesario convenir qe. dichas
publicationes necessitarian gastos mas serian honrosas y utilissimas , AMFBJAD n 1013,
Bonpland Bautista de Oliveira, Montevideo, 25 janvier 1854.
797

Troisime partie

Chapitre IX

anne ? Lexplication rside dans son rapprochement davec lArgentine et sa


nomination au poste de directeur du Muse de Corrientes. Le travail demand ne
lui permet pas de consacrer plus de temps lcriture. Il semble quen outre
Bonpland prend conscience de limpossibilit dun tel projet. En dcembre 1855,
son changement dattitude est dfinitif. Il y renonce dfinitivement de mme quil
renonce revenir en France. Il constate son retard insurmontable en vertu
confesse-t-il Demersay du peu de temps quil lui reste pour compulser les
ouvrages scientifiques parus ou paraissant sans cesse 3103 . Ceci explique son refus
de lguer un ouvrage caduque, le botaniste prfrant se consacrer ldification du
Muse et la mise en valeur des ressources conomique de la province.
Ainsi, Bonpland annonce-t-il en fvrier 1855 son intention daller chercher
ses collections So Borja puis de les amener Corrientes o il souhaite
slectionner des doubles pour le Muse 3104 . Il ne sagit donc pas dune donation
complte, les botanistes ayant pour habitude de dupliquer ou de tripler leurs
collections 3105 , ce qui explique lintention du Rochelais de lguer ses collections
Corrientes et la France, tel quil lexplique face au gouverneur. Bonpland dsire
alors partager son hritage avec trois pays : la France, lArgentine et le Brsil.
Concernant lArgentine, Pujol lui rappelle en mai 1855 sa promesse ainsi que la
ncessit de sa prsence Corrientes pour classer et rpartir les objets
agglomrs plutt que runis par les commissaires, Bonpland tant le seul
capable de faire progresser la cration du cabinet 3106 . Lors de la nuit du 16 octobre
1856, Bonpland arrive enfin dans la capitale correntina dans le but de former le
noyau du cabinet 3107 . Il y sjourne de nouveau entre mars et juin 1857 pour
classifier et installer ses collections, prenant tout particulirement soin des doubles
de son herbier malgr le peu dinstruments mthodologiques sa disposition. En
effet, hormis trois ouvrages dits soixante annes auparavant il ne dispose que de

3103

Bonpland A. Demersay, Montevideo, 25 dcembre 1855, cit in HAMY Thodore Jules


Ernest, op. cit., p. 203 ; AMFBJAD n 880, Desmarest et Ducoing Bonpland, Paris, 13 mars
1851.
3104
Bonpland J. Pujol, 21 fvrier 1855, in PUJOL Juan, op. cit., tome 5, p. 33.
3105
A cet gard, lexemple dAlcide dOrbigny est significatif puisquil constitue un exemplaire de
sa collection pour le Musum de Paris, un autre pour le gouvernement de Bolivie et un dernier pour
lui-mme.
3106
AMFBJAD n 83, J. Pujol Bonpland, Corrientes, 6 mai 1855.
3107
AMFBJAD n 1755, voyage de Restauracin Corrientes, octobre 1856.
798

Troisime partie

Chapitre IX

deux livres plus rcents, le Prodromus de Candolle et le Genera plantarum de


Endlicher 3108 .
A la fin de lanne 1857, le gouverneur sollicite de nouveau sa prsence
dans la capitale afin, crit-il, de
nous accompagner et de poursuivre vos travaux scientifiques qui feront
tant honneur cette Province

3109

En septembre 1857 en cho cette demande Louis Marceaux, le prcepteur de son


fils an Amadito, informe Aim que le gouvernement ne sest jusqualors occup
de construire ni les vitrines ni quoi que ce soit, sa prsence devenant indispensable
pour faire avancer les travaux. A ce sujet, Marceaux lui rappelle que le gouverneur
dispose de trs bonnes intentions mais de trs peu de mmoire. Ce constat de
stagnation montre encore limportance du rle jou par le Franais, car le mois de
septembre tant celui prvu pour linstallation dfinitive du Muse, il est attendu
afin de placer les chantillons3110 . Mais lge de 84 ans, Bonpland nest plus en
mesure de porter un tel difice :
Aprs six heures dtudes durant la journe, jai besoin de repos et je ne
peux plus supporter le travail nocturne

3111

confie-t-il son vieil ami Humboldt.

3. Un laboratoire gocentr
LExposition Permanente est la fois tourne vers lEurope et lAmrique,
plus prcisment vers la province de Corrientes dabord, la Confdration
Argentine ensuite, le Ro de la Plata enfin. A la diffrence du projet eurocentr
dvelopp par les dirigeants argentins, Bonpland veut fonder une tradition
scientifique rioplatense partir du muse correntino. Le botaniste ractive son

3108

Bonpland Humboldt, Corrientes, 7 juin 1857, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit.,
pp. 213-214.
3109
acompaarnos y seguir sus trabajos cientficos que tanto honor haran a esta Provincia ,
AMFBJAD n 87, 99, J. Pujol Bonpland, 24 mars 1856 et 30 novembre 1857 ; Bonpland J.
Pujol, 30 mars 1856, in PUJOL Juan, op. cit., tome 6, p. 72.
3110
AMFBJAD n 701, L. Marceaux Bonpland, Corrientes, 20 septembre 1857 ; Bonpland
Humboldt, Corrientes, 7 juin 1857, cit in HAMY Jules Thodore Ernest, op. cit., p. 215.
3111
Despus de seis horas de estudios durante el da, necesito descanso y no puedo suportar el
trabajo durante la noche , Bonpland Humboldt, Corrientes, 7 juin 1857, cit in ibid. p. 214.
799

Troisime partie

Chapitre IX

ide de Rpublique savante en se fondant sur le modle du centre de culture


scientifique expriment Malmaison.

Un tablissement agricole modle


Aux termes dExposition et de jardin botanique voqus en 1852, Aim
Bonpland prfre celui d tablissement dagriculture car dans son esprit il
sagit de raliser un lieu o
les plantes indignes et exotiques utiles se multiplieront afin de les
rpartir dans toute la province

3112

Il reformule cette occasion son projet dj prsent des institutions et des


interlocuteurs proches, parmi lesquels se dtache son compatriote et membre de
lAcadmie de mdecine de Rio de Janeiro Sigaud. Celui-ci partage lambition de
transmettre au public des connaissances utiles 3113 .
Bonpland souhaite donc aller plus loin que la seule exposition. Il explique
Pujol ce qui lanime :
Jai toujours t guid par lintrt de travailler utilement au profit du bien
gnral et je nai jamais prserv mes intrts particuliers, de telle
manire qu Buenos Aires, au Paraguay, Santa Ana et ici So Borja
jai employ mes faibles capitaux pour enrichir le sol que jai cultiv.

3114

Les investissements agricoles du Franais ont pour but lamlioration des produits
de sa quinta de Santa Ana 3115 , qui de fait est prsente comme un modle pour
ltablissement agricole projet. A cet gard son occupant insiste sur les richesses
quelle contient et sur leur grande utilit pour le pays 3116.
3112

se multiplicaran plantas indigenas y exticas utiles para repartirlas en toda la extension de la


provincia , AMFBJAD n 64, Bonpland J. Pujol, So Borja, 25 novembre 1852.
3113
AMFBJAD, s. n., C. F. X. Sigaud Bonpland, Rio de Janeiro, 11 fvrier 1854.
3114
Siempre he sido guiado por el interes de trabajar utilmente para el bien general y nunca he
cuidado de mis intereses particulares, asi es qe en Buenos Ayres, en el Paraguay, en Sta ana y aqui
en Sn Borja he empleado mis pocos capitales para enriquecer el sol qe he cultivado. , AMFBJAD
n 64, Bonpland J. Pujol, So Borja, 25 novembre 1852.
3115
Bonpland J. Pujol, Restauracin, 29 juillet 1853, in PUJOL Juan, op. cit., tome 2, p. 189.
3116
ningn habitante al Oriente del ro Corrientes pueda ofrecer un terreno tan rico en plantas
productoras y tan tiles al pas con el tiempo. , Bonpland J. Pujol, Santa Ana, 14 octobre 1854,
in PUJOL Juan, op. cit., tome 3, p. 225. Parmi les cultures, la vigne occupe une place importante.
En effet, Bonpland dsire vencer todos los obstculos que se me presentan para mostrar los
habitantes que el cultivo[...]es til , AMFBJAD n 85, Bonpland J. Pujol, Restauracin, 20 mai
1855. De ce point de vue linventaire auquel il procde en octobre 1855 est loquent car il y
compte 1 400 pieds de vignes en plus de 170 pchers, 80 cognassiers, une centaine dorangers, 17
800

Troisime partie

Chapitre IX

Si la proposition nest pas clairement nonce, il existe nanmoins une


ambigit quant au rle que doit jouer la quinta de Santa Ana daprs ce quen
crit Bonpland entre 1852 et 1854. Le premier produit de dveloppement selon
Bonpland demeure le mat, une des mines les plus riches de la Province dont il
demande lexploitation depuis 1832 et pour laquelle il est dispos donner une
grande partie de son temps 3117 . Dans sa lettre nommant Bonpland au poste de
directeur du Muse, Pujol affirme sa volont de contribuer son grand projet ,
savoir la valorisation des yerbales correntinos.
Tout dabord, il sagit de rendre effective lautorit du gouvernement sur le
territoire, ce qui permettrait selon le Franais daugmenter le nombre de
travailleurs dans les yerbales. En 1854, les Paraguayens et surtout les Brsiliens
continuent

travailler

rgulirement

dans

les

yerbales

correntinos,

particulirement entre mars et aot alors qu cette poque cela devrait tre
interdit, mais ils bnficient de lautorisation des autorits lgales3118 . Bonpland
demande la ralisation dun recensement des cultures quil estime, en se basant sur
les meilleures cartes qui existent , 900 lieues. Mais ces cartes tant trs
variables, la ncessit dune enqute simpose. Ainsi la culture pourrait seffectuer
de manire rationnelle et remplacer le systme routinier et destructeur des
indiens du Paraguay , ce qui permettrait en outre lacclimatation de la plante dans
toute la province. Dans ce but il propose de crer des ppinires pouvant servir de
base un tablissement provincial malgr la dure et la pnibilit de la tche 3119 .
Le rapport que Bonpland adresse Pujol propos de lamlioration des
yerbales constitue le premier crit remis et archiv dans le Conservatoire pour
faire connatre au public la rigueur et la justice qui animent le gouvernement.
Il met en avant son volontarisme conomique et scientifique travers un crit,
dont le mrite scientifique rivalise avec le noble dsir dtre utile au pays selon
pieds de cdrats, 6 pieds dorangers ms mandioca, batatas, etc., incluso el arroz ; cf. PUJOL
Juan, op. cit., tome 5, p. 308, tome 6, p. 217 ; Bonpland Humboldt, Restauracin, 2 octobre 1854,
cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 188.
3117
Bonpland J. Pujol, So Borja, 14 janvier 1853, et Restauracin, 9 mars 1854, in PUJOL Juan,
op. cit., tome 3, pp. 9-11, tome 4, p. 69.
3118
Se hallan actualmente trabajando en San Javier como diez brasileos[], sin contar los
peones[]. Me aseguran ms, es que se hallan all con la ausencia de una autoridad correntina, que
tienen ranchos y aun que uno de ellos hace de Comandante.[] As es que por este modo de
trabajar se han perdido los siete yerbales inmensos que he visitado en todo su esplendor en las
inmediaciones de San Angel y recientemente el yerbal que pareca inagotable de San Cristo ;
Bonpland J. Pujol, 31 dcembre 1854, in PUJOL Juan, op. cit., p. 308.
3119
PUJOL Juan, op. cit., pp. 243-245 ; AMFBJAD n 79, J. Pujol Bonpland, 2 novembre 1854 ;
AMFBJAD n 80, Bonpland a J. Pujol, Restauracin, 6 novembre 1854.
801

Troisime partie

Chapitre IX

Fournier et Fonteneau 3120 . En outre, le botaniste espre quune bonne gestion des
cultures de mat permettrait de couvrir amplement les frais indispensables la
formation du Muse 3121 . Enfin, la possibilit dexpdier des chantillons de mat
loccasion dune exposition europenne et ainsi faire connatre cette plante est
un puissant motif de dveloppement de sa culture. Juan Pujol senthousiasme pour
ce projet et compare le potentiel du mat argentin celui du caf brsilien 3122 . Au
dbut de lanne 1855, le gouverneur dcide de rencontrer le botaniste afin
dorganiser avec lui lamlioration des yerbales 3123 . Aprs la donation du terrain
de Santa Ana concde par le Congrs de Corrientes en 1856, Bonpland le place
au centre du dveloppement conomique provincial car il en fait le modle de
lindustrie agricole provinciale 3124 .

La rationalisation des ressources scientifiques


Les demandes dinventaires effectues par la Commission Directive
veillent lespoir de trouver des sources de richesses minrales 3125 . Ainsi le
3120

F. Fournier et J. Fonteneau J. Pujol, 10 novembre 1854, in PUJOL Juan, op. cit., p. 263.
ampliamente los gastos indispensables la formacin del Museo , Bonpland J. Pujol, 15
mai 1855, in PUJOL Juan, op. cit., tome 5, pp. 194-195. Par ailleurs les deux hommes mettent en
avant lavantage que pourrait obtenir la province de la venue des colons franais situs Puerto de
Santa Ana. En effet, leur prsence dans les yerbales ainsi que leur emploi dans la proprit de
Bonpland sont envisags ; cf. ibid., pp. 205-206.
3122
Pujol confie Bonpland : Vd. Sabe bien la historia del caf en el Brasil, donde hoy
constituye uno de los ramos mas lucrativos del Imperio. Pues bien; creo que otro tanto podra
suceder con el arbol de la yerba mate. Si aquella planta que s indigena de la Asia ha podido
aclimatarse tan bien en Amrica, por qu no podr suceder otro tanto con esta que s americana
[?] , in PUJOL Juan, op. cit., pp. 243-245; AMFBJAD n 79, J. Pujol Bonpland, 2 novembre
1854 ; AMFBJAD n 80, Bonpland a J. Pujol, Restauracin, 6 novembre 1854. Pujol rappelle quil
est ncessaire de poblar y trabajar , PUJOL Juan, op. cit., tome 4, p. 71.
3123
AMFBJAD n 81, 82, J. Pujol Bonpland, 25 dcembre 1854, Bonpland J. Pujol, 13 janvier
1855. Depuis 1852, les objectifs dune rencontre entre les deux hommes changent, les
problmatiques conomiques supplantant les problmatiques scientifiques. On assiste ici au
mrissement dun projet amricaniste. Limbrication dobjectifs scientifiques et conomiques
devient dailleurs une caractristique dominante du projet musographique argentin, Auguste
Bravard cumulant les fonctions de directeur du Muse national et dinspecteur gnral des Mines ;
cf. BOSCH Beatriz, op. cit., pp. 226-227. Bonpland cumule lui aussi la direction scientifique du
muse correntino avec la charge dinspecteur des yerbales provinciaux.
3124
el terreno [...] se halla enriquecido con una numerosa plantacin de vegetales cuyo cultivo
formar el modelo de la industria de este ramo en la Provincia , cit in PUJOL Juan, op. cit., tome
6, p. 246.
3125
Les instructions de 1854 rappellent que aun enando la de su mando sea careciente de
progesos, de inteligencia desarrollados con toda la importancia que se desearia, [...] no lo es de
elementos primarios de industria y Agricultura que pudieran ser apreciados en la Esposicion
Parisiense [...] seria conveniente que los S.S. Comisionados le indicasen algunos sujetos mas,
3121

802

Troisime partie

Chapitre IX

rapport du commandant de San Miguel indique-t-il la prsence de minerais


susceptibles de provenir de charbon de pierre. Le village de La Cruz retient
particulirement lattention de Bonpland pour contenir possiblement une mine de
mercure. En dcembre 1854, il dcide de sy rendre personnellement, mais aprs
plusieurs contretemps le froid lempche de sy rendre 3126 . Profitant de son
ncessaire voyage Montevideo, Bonpland se procure l des chantillons de
mercure pour les comparer avec ceux quil espre trouver La Cruz et avec
lesprance quils figurent utilement dans le Muse de Corrientes . Finalement
le Franais se met en marche pour La Cruz au mois de juillet 1856 mais ne trouve
pas la mine dsire. A dfaut il trouve un lieu adquat, selon lui, pour y installer
des colons 3127 .
Dans lensemble, la rcollection place sous les auspices du muse permet
dimpulser un recensement assez complet des richesses naturelles prsentes dans
la province. Il convient de signaler le rle important jou par les commandants des
dpartements, dont le zle dtermine le succs de linventaire3128 . Mais face au
caractre alatoire des remises, Fournier et Fonteneau proposent de crer un lien
permanent entre le Muse et la province par le biais dune socit Philomatique,
ou damis de la science 3129 comprenant deux ou trois correspondants par
dpartement auxquels sen ajouteraient cinq ou six dans la capitale. Lensemble
formerait un noyau capable de promouvoir le dveloppement scientifique
lintrieur de la province :
La socit se runirait une fois par an, et les directeurs se rendraient
compte alors des progrs du Muse. Au cours de cette session des
observations seraient lues au sujet de quelques branches utiles pour la
Province ; le gouvernement par lintermdiaire encore une fois de la
direction, pourrait pourrait faire part de la production littraire en matire
dagriculture, dart, etc., se rservant la possibilit de rcompenser avec
des mentions honorifiques ou autres. De tels travaux pourraient veiller
parmi nous lamour de ltude de la nature, qui est tant ncessaire notre

quienes coaceptuen invertidos de cualidades analogas , in CONI BAZAN Fernando A., op. cit.,
pp. 10-11.
3126
Bonpland J. Pujol, 11 dcembre 1854 et 11 octrobre 1855, in PUJOL Juan, op. cit., tome 4, p.
288, tome 5, p. 307.
3127
Bonpland J. Pujol, 16 janvier 20 avril et 7 juillet 1856, in ibid., tome 6, pp. 19-20, 87, 159161.
3128
F. Fournier et J. Fonteneau J. Pujol, 16 octobre 1854, in PUJOL Juan, op. cit., tome 3, p. 228.
3129
F. Fournier et J. Fonteneau J. Pujol, 6 novembre 1854, in ibid., p. 248.
803

Troisime partie

Chapitre IX

sol privilgi ; [] sous la sage et influente prsidence de V. E., la


socit progresserait avec rapidit, vers la voie scientifique propose.

3130

Cette socit pourrait donc centraliser et rationaliser la production


scientifique comme le demande le gouvernement correntino 3131 . Cette proposition
va plus loin que celle de Bonpland 3132 , elle la complte et la structure car tandis
que Bonpland propose dtendre peu peu la recherche, Fournier et Fonteneau
veulent crer un rseau imitant les socits scientifiques. Pour cela ils proposent
de se doter dun moyen de divulgation propre, les Annales du Conservatoire des
produits naturels et manufacturs de la Province, inclues dans le Comercio de
Corrientes 3133 .
En outre un rseau est esquiss au-del de la province, ce qui permet de
dvelopper une tradition scientifique indigne . En effet, la fin de lanne
1855 Juan Pujol est nomm membre honoraire de la nouvelle Association des
amis de lHistoire Naturelle du Plata cre le 6 mai 1854 3134 . Le got du prsident
Urquiza pour les sciences naturelles alli au faible dveloppement du Muse de
Corrientes offre la possibilit de tisser des liens avec le Musum cr par le
gnral. Bonpland crit celui-ci en 1857 :
Plusieurs motifs empchent que le Musum de Corrientes fonctionne avec
la promptitude que je souhaite. S. E. le gouverneur Pujol et moi pensons
envoyer au Musum du Paran une collection de tous les bois de cette

3130

La sociedad se reunira una vez al ao, y los directores daran cuenta por esa poca de los
progresos del Museo. Se leeran en esa sesin, observaciones sobre varios ramos de utilidad para la
Provincia: el Gobierno an por medio de la direccin, podra sealar el argumento de producciones
literarias, sobre ciertos puntos de agricultura, de artes, etc., reservndose premiar con menciones
honorficas otras. Tareas esas, que podran despertar entre nosotros el amor al estudio de la
naturaleza, que tanto necesita nuestro privilegiado suelo; [...] bajo la sabia influyente presidencia
de V. E., la sociedad adelantara con rapidez, en la va cientfica propuesta. ; F. Fournier et J.
Fonteneau Pujol, 6 novembre 1854, in ibid., p. 248.
3131
Cf. CONI BAZAN Fernando A., op. cit., p. 11.
3132
Es de toda necesidad de ponernos en relacin directa y seguida : de empezar cuanto antes a
recoger y reunir los productos de la provincia para formar un ncleo del Museum correntino.
Debemos empezar a reunir lo que ofrece la Capital y sus alrededores y succesivamente lo que
ofrece los departamentos, lo de los montes y de las partes mas remotas y inhabitadas de la
provincia. [...] Deseo y pido a Ud. de mandarme una nota detallada de cuanto han recogido :
particularmente de decirme el origen de la dimensin de las maderas que han pedido a varias
comandancias. Enterado de su contestacin formaremos un plan de trabajo que abrazara la reunin
de los productos de los tres reynos trabajemos sin cesar a la grande obra que nos esta confiada ,
AMFBJAD n 300, Bonpland F. Fournier et J. Fonteneau, 20 de noviembre de 1854.
3133
CONI BAZAN Fernando A., op. cit., pp. 13-14.
3134
Cf. PUJOL Juan, op. cit., tome 5, pp. 318-319.
804

Troisime partie

Chapitre IX

Province et nous ferons tous nos efforts pour enrichir le Musum de la


Confdration Argentine

3135

En 1857 encore, Bonpland souhaite mettre en relation les muses de Porto Alegre
et Corrientes afin doffrir aux jeunes gnrations les ressources leur permettant
dtudier les richesses naturelles de leur pays 3136 . Pour leur part Fournier et
Fonteneau souhaitent se connecter directement avec la France par lintermdiaire
de dOrbigny 3137 .
Finalement, la cration du muse de Corrientes commence avec la
constitution dune Exposition, sa mise en relation avec le reste de la province puis
avec le pays et lEurope. Plus exactement, elle est impulse grce un vnement
ayant lieu en Europe pour, ensuite, devenir une structure provinciale connecte
la nation et aux pays limitrophes. Ce modle de fondation particulier demande
tre compar avec dautres difications amricaines encore peu connues. En
revanche, les buts de cette ralisation sont probablement similaires aux muses et
cabinets dhistoire naturelle fonds ailleurs. Il y en a trois : la volont de rompre
avec le pass, celle de constituer les bases du dveloppement et louverture au
monde. Ce dernier but diffre profondment de celui qui guide le projet musal
franais, savoir contenir le monde. Les trois buts sont affirms en 1856 dans le
titre de proprit que le province de Corrientes concde Bonpland ; le muse y
est dcrit comme
Une enceinte o les industries utiles lhomme pourraient rivaliser et un
lieu o toutes les richesses que renferme notre terre privilgie pourraient
tre prsentes la vue des trangers, un lieu enfin, destin dcerner des
prix et applaudir non pas celui qui sait le mieux brandir une lance mais
celui qui saurait le mieux manier une charrue, planter une vigne, et
rcolter ses fruits

3138

3135

Varios motivos inpiden qe. el Museum de Corrientes marche con la promptitud que deseo. S.
E. el gobernador J. Pujol y yo pensamos mandar al Museum del Parana una collection de todas las
maderas de esta Provincia y haremos todos nuestros esfuerzos para enriquecer el Museum de la
Confederacion Argentina , AMFBJAD n 230, Bonpland J. J. de Urquiza, Corrientes, 14 avril
1857.
3136
A ce titre, Bonpland exprime le dsir de travailler avec Normann utilmente para los museos
de Porto Alegre y de Corrientes, preparando as a la juventud los recursos para estudiar con
provecho los productos de la naturaleza y todo lo que es til en el pas. , Bonpland F. Normann,
Corrientes, mars 1857, cit in HAMY Thodore Jules Ernest, op. cit., p. 212.
3137
PUJOL Juan, op. cit., tome 4, pp. 239-240.
3138
una arena donde pudieran presentarse a rivalizar las industrias tiles al hombre y un campo
donde pudieran presentarse a la vista de extranjeros, todas las riquezas que encierra nuestra tierra
privilegiada, un campo en fin, destinado a retribuir premios y otorgar aplausos no ya al que mejor
805

Troisime partie

Chapitre IX

C. DU PRE-AMERICANISME A LAMERICANISME : LA
FONDATION

DUNE

TRADITION

SCIENTIFIQUE

PERIPHERIQUE
Raliser une tude exhaustive des relations scientifiques lintrieur du
Ro de la Plata comme entre cette rgion et lEurope est souhaitable terme afin
de comprendre comment sarticulent les sociabilits scientifiques dans cette partie
de lAmrique. Nous proposons quelques pistes pour crire cette histoire vis--vis
de laquelle, en revanche, Aim Bonpland savre incontournable et qui comporte
deux axes de recherche. Le botaniste apparat dabord comme un acteur de
llaboration dune tradition scientifique rgionale, dans le Ro de la Plata, de
faon localise du fait de sa spcialisation dans ltude de la rgion misionera.
Bonpland peut tre dfini comme pr-amricaniste dans la mesure o il participe
la mise en place dune dynamique scientifique transatlantique grce aux
rencontres avec des scientifiques europens venus sur le terrain misionero et par la
transmission de connaissances rutilises en Europe. Enfin, son rseau qui stend
des Missions jusquaux centres scientifiques europens et plus largement son
parcours scientifique lintgre une gnalogie plus vaste de lamricanisme que
nous nous proposons desquisser.

1. Une cole du jardin : le legs amricaniste dAim Bonpland


La rfrence lcole du jardin renvoie limage dun savant reclus depuis
les annes 1840 So Borja et Santa Ana. Ses dplacements infirment cette
vision mais depuis Alfred Demersay et Jean-Baptiste Roy, les voyageurs
europens visitant le Ro de la Plata font tape chez Bonpland. Ce nest plus
seulement le Charentais qui doit aller vers lEurope mais les Europens qui
viennent dans les Missions obtenir des renseignements scientifiques utiliss par la
suite. Cela nempche pas Bonpland de poursuivre ses envois en France, mais la
sepa blandir una lanza sino al que sepa dirigir mejor un arado, plantar una vid, y recoger sus
frutos , Ttulo de Merced de Propriedad de un terreno lugar de Estancia denominado Santa Ana
en el Departamento de la Restauracin perteneciente al naturalista Dr. Amado Bonpland ,
Corrientes, 1856, libro V, n 1050 en propriedad de sus descendientes, Paso de los Libres, cit in
PIOLI DE LAYERENZA Alicia, ARTIGAS DE REBES Mara Isabel, op. cit., p. 62.
806

Troisime partie

Chapitre IX

venue de scientifiques est un pas important dans la reconnaissance du savant ainsi


que dans la reconnaissance de cette partie de lAmrique comme un champ
dtudes pertinent. La concentration des objectifs scientifiques sur une zone
particulire annonant la naissance de lamricanisme 3139 , Bonpland sy insre en
tant que diffuseur dune culture scientifique situe au plus loin dans lInterior
rioplatense.

Lamricanisme misionero en France


Devenu un spcialiste de la rgion misionera, Bonpland participe la
fondation dune tradition scientifique en accord avec les projets qui mergent en
Europe autour dun amricanisme archologique et indigniste. Il existe peu
dindices suggrant que Bonpland ait form des disciples et, par consquent, quil
soit lorigine dune tradition scientifique rioplatense. Les sources offrent
davantage limage dun homme soucieux de constituer des collections et
deffectuer un inventaire scientifique. Cependant, les sources rvlent aussi des
contacts prouvant lutilisation de ses travaux dune manire globale. A travers ses
changes pistolaires Bonpland met en lumire la construction dun rseau
scientifique amricaniste spcialis dans ltude des Missions.
En France, ses recherches sont rutilises par Alfred Demersay qui apparat
comme lhritier de Bonpland et le diffuseur dune partie de son travail. En 1851
sa premire publication, les Etudes conomiques sur lAmrique mridionale,
rendent hommage laide apporte par Bonpland3140 . Dans son ouvrage majeur,
lHistoire physique, conomique et politique du Paraguay et des tablissements
des jsuites, Demersay utilise profusion les notes de Bonpland notamment
concernant la description des bois du Paraguay qui lui servent en dterminer tous
les genres 3141 . La contribution de Bonpland cet ouvrage est plus quanecdotique
car selon lauteur :
3139

RIVIALE Pascal, Archologie et sociabilit : la dlgation du Prou au premier Congrs


international des Amricanistes , in Bulletin de lInstitut Franais des Etudes Andines, vol. XVIII,
n 1, 1989, p. 55.
3140
DEMERSAY Alfred, Etudes conomique sur lAmrique mridionale. Premire tude. Du
tabac au Paraguay. Culture, consommation et commerce, Paris, Guillaumin, 1851, p. IV.
3141
DEMERSAY Alfred, Histoire physique, conomique et politique du Paraguay et des
tablissements des jsuites, Paris, Hachette, 1860, tome 1, p. 190.
807

Troisime partie

Chapitre IX

la partie descriptive de cet ouvrage devra tout son intrt aux


communications du naturaliste clbre que les sciences ont perdu
rcemment. [] Jtais peine install dans son habitation [] que M.
Bonpland mettait ma disposition, sans rserve, le volumineux journal o
il consignait chaque jour, depuis trente annes, le rsultat de ses
observations. Jy ai puis, mais avec discrtion.

3142

A ce titre, louvrage de Demersay peut tre regard comme la proprit partage


de Bonpland.
Malheureusement, on perd rapidement la trace de Demersay. Il rapparat
en 1867 lors de lExposition Universelle pour prsenter au public la yerba mate. Il
suit l lintuition de Bonpland qui esprait pouvoir acclimater la consommation du
mat en Europe. En 1859, un an aprs la disparition de Bonpland, limportation de
yerba mate en France est nulle. La rclame faite par Demersay ne donne elle non
plus aucun rsultat ; son Club des Materos qui sige au caf Mazarin ne russit pas
en vulgariser la consommation 3143 . Demersay semble demeurer en marge des
institutions scientifiques majeures et du milieu amricaniste franais. Pourtant, il
se propose de devenir un relais de Bonpland pour ceux sintressant aux sciences
ou lAmrique du Sud en se chargeant de leur transmettre sa correspondance en
France 3144 .
Victor Martin de Moussy apparat quant lui comme lhritier du projet
exploratoire et ditorial de Bonpland. En effet, lexploration mene durant cinq
ans en Argentine, au Paraguay, en Bolivie et au Chili reprend exactement le projet
de Bonpland. Louvrage qui en dcoule ressemble la grande publication
voque par Bonpland ses interlocuteurs dont fait partie Martin de Moussy. En
effet, les deux hommes se rencontrent dabord Montevideo puis dans les
Missions. La filiation de Martin de Moussy nest pas simplement symbolique,
puisquil utilise de la documentation emprunte Bonpland pour rdiger ses

3142

Ibid., vol. 1, p. XIX.


CORRADO Alberto J., Contribucin al estudio de la yerba mate , in Trabajos del Museo de
Farmacologa de la Faciltad de Ciencias Mdicas de Buenos Aires, n 20, Buenos Aires, La
Semana Mdica, 1908, pp. 9-11. Lauteur mentionne dautres expriences dintroduction sans
lendemain, mais constate malgr tout que, entre 1889 et 1906, la vente en France connat une
progression sensible, passant de 500 10 000 kilos. Enfin, Alberto J. Corrado assure que la
vulgarisation de cette plante doit avoir lieu avec la juste apprciation de ses qualits et, signe des
temps, avec la mise en place dun systme de consommation remplaant la traditionnelle bombilla
juge peu hyginique et pour cela peu adapte aux habitudes des Europens.
3144
AMFBJAD n 1645, A. Demersay Bonpland, 1857. La piste reste donc creuser, Demersay
partageant son temps entre Paris et le Loiret do il est originaire.
3143

808

Troisime partie

Chapitre IX

ouvrages. En 1859 et 1860, lItalien Pablo Mantecazza et Victor Martin de


Moussy ralisent les premires tudes scientifiques concernant le mat 3145 , le
Franais utilisant les connaissances de Bonpland. Son Mmoire historique sur la
dcadence et la ruine des missions des Jsuites dans le bassin de la Plata, leur
tat actuel, un pionnier du genre publi en 1864, utilise aussi, nominalement, les
sources fournies par Bonpland. Constitu par un recueil de tmoignages, celui de
Bonpland compte parmi les plus importants de son ouvrage.
Martin de Moussy constitue le chanon manquant entre Bonpland et
lamricanisme, puisquil intgre son retour en France, en 1859, le milieu des
amricanistes qui se constitue travers les revues et les socits savantes
transatlantiques. En participant la fondation de lamricanisme en France grce
aux recherches de Bonpland, en replaant ces recherches au sein de la discipline
en gestation, en permettant aux recherches quil mne dacqurir une porte
scientifique et idologique internationale, Martin de Moussy insre Bonpland dans
le genre.

Le legs amricain
Faute de trace crites, les apports de Bonpland au niveau individuel
peuvent tre signals sans quil soit possible den dterminer la porte. Cependant,
les sources nous renseignent tout de mme sur linfluence quexerce Bonpland sur
le milieu rudit rioplatense et brsilien. Depuis son sjour Porto Alegre en 1849,
le savant envisage de fonder une structure scientifique dans lEtat brsilien. Suite
sa proposition de rationaliser la culture du mat, Normann lui fait part du projet du
prsident riograndense Batista de Oliveira visant difier une Ecole Normale
dAgriculture destine fomenter non seulement la fabrication du mat, mais
aussi celle des autres branches agricoles. Pour cela, Batista songe mettre en place
un Jardin botanique et propose Bonpland la direction du tout 3146 . Il sintgre
donc particulirement dans les rseaux conjuguant les proccupations scientifiques
et conomiques rioplatenses.
3145

Cf. CORRADO Alberto J., op. cit., p. 17 ; MARTIN DE MOUSSY J. A. Victor, Description
physique, gographique et statistique de la Confdration Argentine, Paris, Didot, tome I, 1860,
pp. 430-431.
3146
AMFBJAD n 743, F. Normann Bonpland, Porto Alegre, 7 novembre 1849.
809

Troisime partie

Chapitre IX

En outre, il fait concider son terrain dinvestigation avec la cration dun


laboratoire 3147 . Il prvoit de travailler avec Vasconcellos 3148 au Brsil, mais
Corrientes se montre plus rapide lui proposer de diriger lExposition
Permanente. A cela sajoute les propositions du Paraguay. Depuis le milieu des
annes 1840 Bonpland renoue des contacts avec ce pays. Le prsident paraguayen
Lpez offre au savant de venir travailler pour son gouvernement ; ce projet est au
point mort jusquen 1857, lorsque Bonpland rencontre la petite communaut
scientifique prsente Asuncin.
Friedrich Wissner de Morgestern, Domingo Parodi, Jos Berges, Santiago
Aramburu et Munck af Rosenschld lui apparaissent comme des scientifiques
denvergure capables de favoriser le dveloppement minier, mdical, botanique et
agricole du pays 3149 . Domingo Parodi attire particulirement son attention. Il le
dcrit comme une personne de grande intelligence et bon pharmacien 3150 . Or, le
projet et le parcours de Parodi rejoignent ceux de Bonpland. Comme Bonpland, il
intgre lassociation pharmaceutique fonde Buenos Aires en 1856. Parodi fait
dans la revue associative portea lloge des productions de son pays dans des
termes semblables ceux employs par les premiers promoteurs de limmigration
vers le ro de la Plata 3151 . Il insiste, comme Bonpland, sur la ncessit de
rationnaliser lagriculture. En 1859, il est le premier Rioplatense dcrire
scientifiquement le mat 3152 . Si rien ne prouve que Bonpland ait influenc le
Paraguayen, les deux hommes partagent les mmes ides concernant le rle social
de la science.
Alors que le muse de Corrientes se met pniblement en place et que celui
de Porto Alegre est ltat de projet, Bonpland propose Wissner den crer un
autre Asuncin afin dinitier des changes avec Corrientes 3153 . Bonpland
imagine de constituer une Rpublique savante transnationale autour du muse de
3147

AMFBJAD n 302, Bonpland P. Ferreira de Oliveira, Montevideo, 10 novembre 1850.


AMFBJAD n 1137, Bonpland F. de Vasconcellos, So Borja. 22-25 avril 1850.
3149
Ibid., pp. 90-107.
3150
CONTRERAS ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, op. cit., pp. 93, 96.
3151
PARODI Domingo, Paraguay , in Revista Farmacutica, Buenos Aires, 2e anne, tome 1, 3e
trimestre, 1er avril 1860, pp. 391-394.
3152
PARODI Domingo, Nota sobre la composicion de la Yerba Mate , in Revista Farmacutica,
Buenos Aires, 2e anne, tome 1, 1er trimestre ; sign Asuncion, 4 Agosto 1859 , pp. 281-282. Il
tablit dans le mme numro, pp. 275-281, une liste de plantes du Paraguay. La rdaction signale
p. 320 quun herbier des plantes dcrites, ainsi que dautres, ofreciendo en su conjunto un notable
inters cientifico , est disponible au secrtariat de la rdaction pour les personnes souhaitant les
examiner.
3153
CONTRERAS ROQUE Julio Rafael, BOCCIA ROMAACH Alfredo, op. cit., p. 96.
3148

810

Troisime partie

Chapitre IX

Corrientes, Asuncin et Porto Alegre. Ce rseau local quil souhaite dvelopper


dans la rgion misionera est susceptible de crer une dynamique scientifique
fonde sur la coopration transnationale autant que sur lmulation.
Cependant, le muse correntino ne rsiste pas la mort de Bonpland.
Fournier et Fonteneau ne poursuivent pas ldification du muse qui dcline au
cours de la seconde moiti du XIXe sicle 3154 . Le legs dans sa province adoptive
est essentiellement symbolique 3155 , une partie de ses manuscrits tant rapatrie en
France tandis que lautre demeure dans la famille argentine sans tre utilise avant
1909 par Pompeyo Bonpland. En revanche, Liautaud Montevideo, Sigaud Rio
de Janeiro et Gay So Borja ont recours Bonpland pour complter leurs
recherches. Jean-Pierre Gay a recours une grande partie du matriel de Bonpland
pour publier une histoire des missions jsuites 3156 .

2. Vers une gnalogie des sciences amricanistes


Le terme de gnalogie convient une premire bauche de lhistoire de
lamricanisme dfinie travers essentiellement lapport individuel. La gnalogie
propose prend en compte essentiellement laire culturelle rioplatense et
misionera dans laquelle sjourne Bonpland aprs 1816. Une des difficults pour
tablir cette gnalogie rside dans la prise en compte ou non des scientifiques
espagnols ou amricains gnralement dlaisss par lhistoriographie du genre. Or,
il nous semble quil faille les prendre en compte car ils constituent non seulement
des relais sinon des fondateurs de lamricanisme. Un dbat est latent propos de
la paternit de la fondation de la discipline, les principaux postulants ce titre
tant Humboldt et Bonpland, Mutis, Bourguer et La Condamine. Bonpland et
Mutis ont lavantage de la spcialisation, cest--dire que leur carrire entire est
consacre lAmrique. Mutis dispose dun autre atout vis--vis du Franais, cest
quil mne ses tudes amricaines en disposant dun statut officiel. Cependant, il
3154

Cf. CONI BAZAN Fernando A., op. cit. ; KRAPOVICKAS Antonio, Historia de la botnica
en Corrientes , in Boletn de la Sociedad argentina de Botnica, vol. XI, 1970, pp. 229-276.
3155
Cf. SCHININI Aurelio, ARBELO DE MAZARO Aurora, Bonpland naturalista. 2008 ao
bonplandiano. 1858-2008. 150 del fallecimiento del Dr. A. Bonpland, Corrientes, Cultura
Corrientes, 2008.
3156
GAY Joao Pedro, Historia da Repblica Jesutica do Paraguay desde o descubrimiento de Rio
da Prata ate nossos das, anno 1861, Ro de Janeiro, Domingo Luiz dos Santos, 1863.
811

Troisime partie

Chapitre IX

manque aux naturalistes travaillant avant lre des indpendances les rfrences
lidologie tatique, patriotique et transatlantique qui guident les recherches dun
Bonpland.

De lacteur au sujet de recherche


En plus du processus de mdiation en lui-mme, la perception du
mdiateur par dautres agents mrite attention. Homme de terrain, explorateur
comme on le qualifie son retour en France en 1804, migr enfin, Bonpland
incarne en Europe le savant-citoyen du monde oppos au classicisme de
Humboldt et dot dune image davantage romantique. Ses msaventures
rioplatenses font changer positivement limage du voyageur en mme temps que
sinitie une certaine prminence sociale du scientifique et du technicien.
Lattitude des voyageurs europens lgard de Bonpland est significative, So
Borja et Santa Ana prenant peu peu lallure de lieux de plerinage. La visite
dArsne Isabelle au dbut des annes 1830 ne donne pas lieu des commentaires
particuliers. Mais avec Jean-Baptiste Roy le ton change puisqu dfaut de
pouvoir se rendre au Paraguay, le voyageur fait de So Borja le but de son voyage
et du savant un point focal de son rcit. Alfred Demersay va plus loin dans la
dmarche de patrimonialisation puisquil rdige en 1853 la premire biographie
consacre Aim Bonpland de son vivant. Le botaniste nest plus seulement
considr comme un scientifique ; il devient lui-mme un sujet dtude.
Avec la biographie crite par Pedro de Angelis entre 1854 et 1855,
Bonpland intgre le patrimoine culturel rioplatense aprs avoir intgr le
patrimoine franais. Lappropriation de la figure du savant par Angelis provoque
sa colre. Bonpland conteste linterprtation que fait lItalien de sa vie, donnant de
lui une image de sage retir du monde loppos de ce quil est rellement,
savoir un savant dans le monde. Cest pourtant cette image qui perdure. Dautres
voyageurs lui rendent visite. Le lieutenant Murdaugh, officier de Thomas Page, se
rend Santa Ana en 1854 3157 , Robert C. Av-Lallemant enfin offre en 1858
limage dun homme sur le dclin.
3157

AMFBJAD n 81.1, J. Pujol Bonpland. Curuz Cuati, 31 dcembre 1854.


812

Troisime partie

Chapitre IX

Linventaire des missions jsuites rdig par Martin de Moussy mentionne


pour celle de Santa Ana la prsence de Bonpland en 1820, tandis que la
description de So Borja et Santa Mara de Fe comprend des dtails sur ses
sjours 3158 . Les illustrations de Demersay, qui outre quelles sont un prcieux
tmoignage ethnographique dues linsistance de Bonpland pour que son
compatriote reprenne la plume, mettent en scne le botaniste dans son
environnement. Avec Av-Lallemant le rcit de voyage place Bonpland dans un
des rles principaux, lillustration de couverture de son livre tant lestancia
correntina de Bonpland.
Les annes 1850 sont le point culminant de la clbrit du Rochelais avant
une priode doubli jusqu la redcouverte effectue par Hamy au dbut du XXe
sicle. Cette redcouverte se conjugue avec le legs dune partie des archives de
Bonpland, ce qui permet de redonner Bonpland une actualit. Etudi en
pointills au XXe sicle des deux cts de lAtlantique, Bonpland demeure encore
un sujet de recherche priphrique. De la mme manire que les recherches quil
mne forment une branche isole de lamricanisme, les recherches menes sur lui
seffectuent de manire isole, sans coordination transatlantique. Il sort une
nouvelle fois de lombre en France grce au livre de Philippe Foucault au dbut
des annes 1990. Ds lors les recherches se poursuivent de faon plus rgulire.
Le colloque franco-argentin organis par Guy Martinire La Rochelle au mois de
novembre 2010 ainsi que la coopration transatlantique mise en place entre La
Rochelle et Corrientes permet desprer la mise en rseau des branches
amricaines et europennes des amricanistes bonplandiens .

Des recherches isoles la mise en rseau de linformation


Labsence dune mise en rseau des informations scientifiques est un
obstacle majeur la ralisation du projet de Bonpland. Avant lui, le problme se
pose aussi avec les naturalistes ilustrados la fin du XVIIIe sicle,
lindividualisation des voyages de recherche freinant cette mise en rseau. Les
3158

MARTIN DE MOUSSY J. A. Victor, Mmoire historique sur la dcadence et la ruine des


missions des Jsuites dans le bassin de la Plata, leur tat actuel, Paris, Charles Douniol, 1864, pp.
53-55, 61.
813

Troisime partie

Chapitre IX

campagnes scientifiques ilustradas ont le mrite de semer les chercheurs sur le


continent amricain, ce qui dsagrge nanmoins les quipes de recherche sans
permettre la cration dcoles solides sur place. La fin des acadmies et des
laboratoires flottants ou ambulants dans le cas de Humboldt et Bonpland qui
forment encore une quipe de recherche au tournant des XVIIIe et XIXe sicles,
empche la fondation de laboratoires et de traditions scientifiques priphriques.
La recherche monoviatique , dabord perue comme une forme dexploration
aventurire acquiert ses lettres de noblesse dans lexploit. Mais elle se rvle
inefficace pour impulser une tradition scientifique prenne.
Or, aprs les indpendances les sciences naturelles rioplatenses et
brsiliennes sont caractrises par des recherches de ce type. Saint-Hilaire,
dOrbigny, Darwin et Bonpland mais aussi Larraaga, Vilardeb et Muiz ne
travaillent ni en quipe ni en rseau. Certes, ils entretiennent des rapports
individuels avec leurs homologues, mais faute de structures et de projets
scientifiques viables le rseau possde une efficacit trs limite. DOrbigny
remarque

la

qualit

des

chercheurs rioplatenses,

Arsne

Isabelle

loue

particulirement les mrites de Carlos Ferraris et Bonpland ceux de Mossotti.


Mais les qualits individuelles ne sont pas exploites sans dynamique scientifique
globale. Les muses de Corrientes et Paran priclitent car leur direction dpend
dun seul scientifique, tandis qu Buenos Aires le projet musographique est
port par une trentaine de membres et une politique de recrutement efficace.
Le parcours amricaniste de Bonpland sinscrit dans la perspective
naturaliste reposant sur une logique institutionnelle unilatrale, dans la mesure o
il est seulement rattach au Musum et lAcadmie des sciences. Cette logique
commence changer partir du moment o il intgre des socits savantes
rioplatenses capables dinstaurer un dialogue scientifique avec leurs homologues
europennes. La cration du muse de Corrientes est une tape dcisive dans le
rattachement des sciences rioplatenses et europennes car elle fait esprer une
connexion directe entre un laboratoire priphrique et des laboratoires centraux.
Ce dynamisme favorise la conjonction dune offre et dune demande scientifique
qui perd sa pertinence avec la mort de Bonpland, celui-ci nayant pas form de
successeur capable de poursuivre le projet. Le dpart de Marbais du Graty
Paran a les mmes consquences, seule la politique mise en place Buenos Aires
permettant de favoriser la cration dun groupe de recherche actif, capable de
814

Troisime partie

Chapitre IX

runir lensemble de la communaut scientifique argentine au dtriment de


Paran et de permettre sa mise en rseau avec lEurope.
Durant la premire moiti du XIXe sicle, la mise en rseau seffectue dans
une perspective naturaliste. La rappropriation europenne du Nouveau Monde ne
permet pas la spcialisation dans la zone tudie faute de dynamisme scientifique
interne. Il faut attendre lessor de la communaut scientifique amricaine, la
construction de structures scientifiques prennes au Ro de la Plata et les
conditions favorables leur mise en rseau, pour que linformation puisse circuler
de manire plus fluide et pour que les chercheurs isols puissent se regrouper
autour dun projet commun. La spcialisation amricaniste apparat comme une
solution lisolement scientifique.

Du naturalisme lamricanisme
Entre la seconde moiti du XVIIIe sicle et la seconde moiti du XIXe
sicle, on passe de linventaire du monde ltude du Nouveau Monde. Les
expditions ilustradas possdent la fois un caractre universaliste et amricaniste
car les expditions mises en place par lEspagne ont dabord pour but linventaire
et la valorisation des ressources naturelles amricaines, ensuite leur insertion au
sein du corpus naturaliste mondial. Cette tradition la fois scientifique et
utilitariste est prolonge par Humboldt, lequel produit un discours possibiliste
cest--dire mettant en lumire les atouts naturels des colonies dans un souci de
rpondre la commande du royaume dEspagne.
Humboldt est souvent considr comme le premier amricaniste de par
lampleur de linventaire ralis. Cependant, aprs avoir isol ses rsultats dans le
Voyage aux rgions quinoxiales il les replace ensuite dans une perspective
universaliste. Lisolement de ses rsultats dpend dailleurs plus dun projet
ditorial que dun projet scientifique, celui-ci tant dfini ds 1805 dans son Essai
sur la gographie des plantes comme ltude des phnomnes physiques dans leur
ensemble. La subordination de la partie botanique une physique universaliste
rend cette science moins pertinente pour en faire un objet dtude spcialis. En
effet, depuis la cration de la gographie des plantes le milieu naturel perd la
815

Troisime partie

Chapitre IX

spcificit qui permettait auparavant de lisoler de lensemble des phnomnes


physiques. La rhabilitation scientifique du Nouveau Monde par Humboldt lui fait
perdre son originalit physique.
En revanche, le voyage de Humboldt et Bonpland suscite un intrt pour
les socits prcolombiennes, lethnologie et larchologie. Dans la ligne du
voyage, deux dmarches naturalistes se ctoient au cours de la premire moiti du
XIXe sicle. Dune part, Darwin poursuit un projet globalisant fond sur le
comparatisme. Dautre part, Alcide dOrbigny dveloppe un projet amricaniste
fond sur la spcialisation. Le parcours de dOrbigny est instructif car son projet
ne reoit pas lcho attendu en France. Son Homme amricain est la pierre
angulaire dun projet scientifique amricaniste quil revendique et auquel il
appelle sans succs. Cela rappelle les demandes effectues par Bonpland au cours
de la mme priode qui reoivent peu dcho elles aussi.
Cependant, le projet scientifique de Bonpland est-il finalement naturaliste
ou amricaniste ? En effet, la continuit de ses recherches menes entre 1817 et
1858 en direction de la France fait douter quil ait voulu dvelopper un projet
amricaniste. A linverse de dOrbigny, il ne prononce jamais le terme
damricanisme. Sa dmarche scientifique fonde sur son domaine de recherche
principal la botanique est naturaliste. Demersay, Martin de Moussy et Gay se
situent davantage dans une perspective ethnologique et archologique car ils
mnent des recherches spcifiques sur les missions jsuites. Martin de Moussy est
particulirement impliqu dans un projet amricaniste puisquon le retrouve
membre de socits uvrant en ce sens. Les recherches des scientifiques ayant
recours aux sources de Bonpland se focalisent pour une grande partie sur les
missions jsuites, cest--dire les spcificits humaines. Il semble quil existe une
diffrence essentielle dans le projet scientifique et dans lutilisation du matriel
rcolt, Bonpland privilgiant la recherche applique tandis que ses successeurs
utilisent ses sources avec une dmarche scientifique diffrente.
Nanmoins, un doute subsiste quant au projet final de Bonpland. En effet,
jusquen 1840 il est certain quil souhaite rdiger une Histoire naturelle dont laxe
central, ou au moins la premire partie, est constitu par la flore. Mais ds son
arrive Buenos Aires, puis au dbut des annes 1830, les sources indiquent quil
sintresse aux Guaranis. En 1851, Liautaud voque un projet de grande

816

Troisime partie

Chapitre IX

publication 3159 dont nous ne connaissons pas la teneure exacte. Tout indique,
daprs les courriers envoys en Europe, quelle se situe dans la continuit de son
projet initial. Or, des notes dont les seules dates renvoient lanne 1850
concernent les missions jsuites 3160 . De surcrot, les ouvrages de Demersay,
Martin de Moussy et Gay consacrs ce thme utilisent du matriel runi par
Bonpland. Il est donc tout fait possible que le botaniste souhaite inclure ses
recherches ethnologiques et archologiques dans louvrage quil projette dcrire.
Les lacunes ethnologiques de ses recherches ne dnotent pas une absence de
perspective lcartant du milieu scientifique porteur du projet amricaniste fond
sur la recherche archologique et ethnologique. Il semble quil ait effectu un
travail en ce sens suffisamment riche pour quil soit utilis par dautres.
Le projet scientifique de Bonpland savre tout fait pertinent dans une
perspective amricaniste. Il demeure priphrique faute dun intrt spcifique
pour ses recherches. Les rencontres avec Demersay, qui reste isol, et avec Martin
de Moussy, qui parvient mettre en rseau ses recherches, sont significatives elles
aussi de lintrt qui merge pour les tudes amricaines comme de la difficult
crer une dynamique scientifique. Bonpland est un typos de lamricaniste proche
de celui de Demersay du fait de son isolement et de Martin de Moussy par le
projet. Il sinsre dans une phase pr-amricaniste car son projet initial est celui
dun voyageur-naturaliste dont la carrire se situe en France.
Bonpland devient amricaniste par dfaut, quoique son insistance
concrtiser son projet, son choix de rester en Amrique rvlent un got
incontestable pour le continent. Mais comme Azara, Mutis, Saint-Hilaire et
Humboldt il sidentifie une communaut naturaliste, lidentification une
communaut amricaniste ntant pas ralise avant Martin de Moussy. Comme
lors de son voyage avec Humboldt sa spcialisation est due aux circonstances. De
la mme manire que le voyage dcid en 1798 na pas pour objectif lAmrique,
Bonpland ne choisit pas de demeurer le restant de sa vie au Ro de la Plata. Il
devient amricaniste par dfaut. Cest aussi le cas pour dautres spcialistes du
Nouveau Monde, la mission dAzara par exemple ne devant pas se prolonger
durant vingt ans.

3159
3160

AMFBJAD n 671, D. Liautaud Bonpland, Montevideo, 29 janvier 1851.


AMFBJAD n 1653 1657.
817

Troisime partie

Chapitre IX

On peut distinguer deux branches dans la phase de construction pramricaniste. La branche amricaine, ou plus exactement rioplatense, se
caractrise par un projet scientifique local, par un lien troit avec le politique et
par un fort isolement priphrique, depuis Azara et Mutis jusqu Bonpland. La
branche europenne, depuis Bouguer et La Condamine jusqu Saint-Hilaire,
Humboldt et dOrbigny se caractrise par son projet global qui reverse le matriel
amricain dans les tudes naturalistes. En 1857, les fondateurs de la Socit
Amricaine de France, puis de la Socit des Amricanistes, ralisent la jonction
des deux projets. Ils reprsentent une branche de lhistoire de la discipline que
Bonpland nintgre pas, tant rattach au Musum et donc son projet
universaliste, avant que Thodore Jules Ernest Hamy ralise une premire
synthse et resitue Bonpland mais aussi Humboldt, Dombey, Grandsire dans
lhistoire de la discipline au dbut du XXe sicle.
De plus, la branche europenne semble davantage axe sur les aspects
thoriques, tandis que la branche amricaine se caractrise par une recherche
dutilitarisme. Ces deux prismes semblent se rejoindre au cours de la seconde
moiti du XIXe sicle, lEurope la France particulirement mettant en uvre
un projet politique et conomique latino-amricain permettant de crer une
dynamique transatlantique autour dun projet commun de civilisation. Linventaire
de la dlgation pruvienne prsente au premier Congrs des Amricanistes ralis
par Pascal Riviale 3161 montre la prsence de nombreux personnages lis aux
milieux conomiques. Quant Bonpland, il met en actes les discours possibilistes
comme celui produit par Humboldt. Avec lui on aborde lamricanisme par son
versant utilitariste.

CONCLUSION
Le projet scientifique commun aux deux Mondes permet la fondation
dune tradition amricaniste car il met en rseau des chercheurs jusque l isols.
Lapparition de groupes de recherche identifis dans des socits savantes au Ro
de la Plata ainsi que leur connexion interne cre une dynamique dont tmoigne la
3161

RIVIALE Pascal, op. cit.


818

Troisime partie

Chapitre IX

connexion de Bonpland avec des scientifiques de Porto Alegre, Montevideo,


Buenos Aires et Asuncin au cours des annes 1850. Le climat politique interne
favorise la cration de centres de culture scientifique ou de groupes de recherche
dans ces villes. Celle-ci est en outre stimule par la cration dune demande
europenne en matire dmigration, de ressources naturelles et de commerce qui
permet la cration de structures externalises, la fois scientifiques et
conomiques, dun dialogue et dun rseau scientifique transatlantique.
Le projet utilitariste imprgne les changes scientifiques internes et
externes au Ro de la Plata et cre un sentiment dappartenance un groupe de
recherche. Ce sentiment dappartenance qui se matrialise par la mise en place
dinstitutions telle la Socit Amricaine de France, en 1857, marque le passage
dune phase dtudes amricaines fondues dans lhistoire naturelle une phase de
spcialisation. Lidentification institutionnelle peut tre considre comme le
marqueur de la transition dun pr-amricanisme caractris par lattachement des
savants leurs institutions de tutelle, comme Bonpland lest vis--vis du Musum,
vers la cration dune tradition amricaniste. On passe dune phase pendant
laquelle les apports individuels sont disperss et les institutions scientifiques
rioplatenses non opratoires vers une phase de mise en rseau, la fois
transnationale et transatlantique, des apports individuels, rendant les institutions
scientifiques rioplatenses viables.

819

CONCLUSION

Le projet de coopration scientifique propos en 1817 par Bonpland ne


correspond pas la demande portea. Alors quil pense pouvoir transfrer le
modle scientifique du cabinet dhistoire naturelle et du jardin botanique, le
dcalage entre les offres effectues par Rivadavia Londres et celles du
gouvernement de Pueyrredn oblige Bonpland ajuster immdiatement son offre.
Il sadapte en regroupant ses projets scientifiques et conomiques dans un cadre de
recherche semi-priv au lieu de se consacrer lun ou lautre, comme il lavait
prvu avant son dpart. Les locaux lui appartiennent, lexploration tant finance
par le gouvernement porteo et par des entrepreneurs privs soutenus par le
gouvernement correntino, lui-mme en concurrence avec Buenos Aires. La
complexit du cadre de recherche le rend difficilement opratoire 3162 .
En outre, la communaut savante prsente Buenos Aires semble divise
vis--vis de la cration dune structure consacre exclusivement aux sciences
naturelles. En 1822, la disparition de lenseignement de cette discipline lors de
lorganisation de luniversit montre quelle nentre pas dans les priorits
scientifiques de la province. Au cours de cette dcennie, les tentatives de
Rivadavia visant adapter le modle scientifique europen aux ralits
rioplatenses demeurent sans lendemain. Son modle musographique, plus global
que celui initialement prvu en 1812, consacre labandon de la tentative de
transfrer un laboratoire du type de celui du Musum. Cette adaptation parat
3162

Cette mergence dune science priphrique telle que Juan Jos Saldaa la nomme dans
le Ro de la Plata et plus gnralement en Amrique latine est replacer dans ltude sociale de la
science latino-amricaine comme produit de son histoire ; cf. SALDAA Juan Jos, Nuevas
tendencias en la historia latinoamericana de las ciencias , in Cuadernos Americanos, n 38, marsavril 1993, pp. 69-91.
.

Troisime partie

Conclusion

toutefois ncessaire pour voir merger progressivement une excellence


scientifique la priphrie. Dailleurs, le modle rivadavien lui survit jusqu la
fin du XIXe sicle, notamment durant lre rosista. Le Muse Public a davantage
lapparence dune coquille vide que dun laboratoire fonctionnel, mais il ne fait
pas exception au sein dune vie scientifique locale cloisonne.
Le projet de recherche-dveloppement dvelopp paralllement avec la
province de Corrientes en 1820 na pas pour but la fondation dun centre de
culture scientifique mais se rapproche de la demande locale en termes dutilisation
des connaissances scientifiques. Ce projet se concrtise ensuite au Paraguay puis
Bonpland tente de le reproduire titre priv par une exploration du haut de
lUruguay et par la cration dun tablissement agricole. Bonpland suit le mme
cheminement en France et en Amrique : partant de vouloir intgrer les
institutions il se tourne vers lentreprise prive, voulant crer un nouveau
Malmaison. Mais linitiative prive demeure marginale, du fait des difficults
interagir avec les institutions rioplatenses elles-mmes instables 3163 .
La privatisation des recherches scientifiques de Bonpland au cours des
annes 1830 pose le problme de ladquation entre loffre et la demande
scientifique de la priphrie et du centre. Or, la production scientifique portea et
plus gnralement rioplatense est essentiellement usage interne au cours de la
premire moiti du XIXe sicle. Cette inadquation a des consquences funestes
sur les recherches menes par Bonpland dans le domaine des sciences naturelles,
puisquil ne dpasse pas le stade de la collecte. La classification et la valorisation
des chantillons runis par le Franais dpendent du soutien scientifique du centre.
Or, labsence de celui-ci entrane laccumulation dun retard impossible
combler. Le sentiment disolement ressenti par Bonpland traduit la fragilit du
rseau scientifique transatlantique. Dune part, ses allis scientifiques europens
disparaissent ; dautre part les voies de communication sont prcaires. La fluidit
des communications savre essentielle pour permettre la transmission des
connaissances. Mais labsence dune quipe de recherche rioplatense structure
autour des sciences naturelles freine son rattachement au centre. Moins quun

3163

Cf. SALDAA Juan Jos, Science and Freedom: Science and Technology as a Policy of the
New American States , in SALDAA Juan Jos (d.), Science in Latin America. A History,
Austin, University of Texas Press, 2006 (1996), pp. 158, 160-161.
821

Troisime partie

Conclusion

manque dintrt pour ses recherches, lisolement ressenti dvoile plus le dcalage
existant entre lobjectif dexcellence scientifique et les moyens disposition.
Cependant, au cours des annes 1830 Bonpland ne donne pas suite aux
offres rioplatenses et brsiliennes, ce qui pose la question de sa responsabilit vis-vis du processus de marginalisation des sciences naturelles au Ro de la Plata.
En effet, Bonpland ne sassocie pas dautres scientifiques et ne forme pas des
personnes capables de constituer un noyau. Or, la carence de participation ou
dimplication plus active de sa part et de la part des cadres scientifiques prsents
dans cette partie de lAmrique apparat comme une entrave la cration de
rseaux nationaux, transnationaux et transatlantiques. Limpression disolement
qui se ressent aussi chez lensemble des cadres susceptibles de favoriser
lmergence des sciences naturelles demande tre encore analys. Si pour
Bonpland les raisons sont connues, une tude comparative des parcours de ses
pairs devrait clairer notre comprhension des causes de la stagnation des sciences
naturelles rioplatenses.
De la fin des annes 1830 la fin des annes 1840, lisolement ressenti par
Bonpland est suivi dune marginalisation relle touchant la fois son projet
scientifiques et son projet conomique qui sont incompatibles. En effet, en
sinstallant lInterior il sinscrit dans un projet de dveloppement centr sur
lagriculture, la voir fluviale, le dbouch dans les villes-ports et en Europe.
Bonpland est contre-courant du discours europen et rioplatense fond sur la
dichotomie entre ville et campagne. Il pense de manire globale, en jouant sur la
complmentarit plutt quen crant une opposition artificielle qui simpose
pourtant dans le discours des lites partir de 1852. Mais il se heurte
lincompatibilit entre projet scientifique et projet conomique qui perdure tant
quils ne sont pas connects. En effet, la gestion dune structure agricole est un
handicap insurmontable la ralisation dun travail scientifique de grande
envergure.
A partir de 1849 cette contradiction se rsout ; le projet conomique se
fond peu peu dans le projet scientifique, ce qui le rend opratoire. Le
dveloppement des communications et la fondation ou la programmation
dinstitutions scientifiques locales dont lExposition Permanente de Corrientes
donne une cohrence aux recherches menes par Bonpland. Les structures
scientifiques et les rseaux qui se fondent sur une dynamique conomique
822

Troisime partie

Conclusion

transatlantique permettent, grce une production externalise de la connaissance,


de faire merger une tradition scientifique viable mais toujours dpendante de
lEurope. Il faut attendre la fin du XIXe sicle pour que lexcellence scientifique
apparaisse rellement, cest--dire le temps ncessaire la transmission interne
des connaissances et la consolidation dune tradition scientifique rioplatense
favorise par la circulation de plus en plus fluide des savoirs aux niveaux
nationaux, transnationaux et transatlantiques. Cette phase de consolidation amne
aussi les scientifiques et leurs allis, hommes politiques et hommes daffaires, se
regrouper dans des socits amricanistes afin dobtenir une reconnaissance et une
influence internationale.

823

CONCLUSION GENERALE

Les enjeux amricanistes dune immersion politique : dune


histoire par dfaut une histoire des rseaux
Lexprience dAim Bonpland invite rflchir sur les conditions
ncessaires au transfert dune science et sur lidologie qui le porte. Partisan de
lindpendance du Ro de la Plata, imprgn dune culture politique mettant au
premier plan la ncessit dun Etat fort permettant la stabilit et le rayonnement
dune nation, Bonpland se trouve confront linstabilit qui caractrise la
construction politique de cette rgion pendant prs de quarante ans. En suivant son
parcours on assiste la rencontre manque entre un naturaliste porteur dun projet
fond sur le modle universaliste dvelopp par le centre scientifique et des lites
qui, la priphrie, souhaitent mettre en place une politique spcifique base sur
lutilisation des ressources naturelles des fins de dveloppement interne. Or, les
problmatiques

politiques

rioplatenses

entranent

une

fragilit

et

une

fragmentation des projets, des rseaux et des communications qui savrent tre un
obstacle difficilement surmontable pour les indpendantistes comme pour le
Franais.
Outre lhistoire dune rencontre manque entre un savant et des nations,
Bonpland raconte lhistoire de celles-ci. Son tmoignage nous permet de mettre en
vidence diffrents moments de la construction fractionne des nations
rioplatenses
3164

3164

et de les insrer dans une grille de lecture amricaniste. En

Genevive Verdo explique quen Argentine la rtroversion de la souverainet vers les pueblos
entrane la dispersion des pouvoirs souverains ; VERDO Genevive, Lindpendance argentine
entre cits et nation (1808-1821), Paris, Publications de la Sorbonne, 2006. Le tmoignage de
Bonpland met en relief ce processus dans la province de Corrientes considre comme une entit

Conclusion gnrale

recourant la problmatique du projet de civilisation, la grille de lecture


amricaniste permet de raliser une analyse micro et macro-historique
transversale. Plus particulirement, le contrle et la valorisation des ressources
naturelles est une thmatique centrale du projet de civilisation durant la premire
moiti du XIXe sicle la fois pour Bonpland, pour les lites rioplatenses ainsi
que pour lensemble des nations indpendantes de lAmrique hispanique 3165 . Or,
la notion de progrs et de dveloppement conomique nacquiert une porte relle
qu partir du moment o les liens transatlantiques se consolident, au dbut des
annes 1850. Si ce moment les discours se rejoignent, les modalits de la mise
en pratique sont diffrentes car le savant, linstar dautres Europens, sappuie
sur le modle franais ainsi que sur une recherche continue du lien transatlantique,
tandis que les lites rioplatenses revendiquent, selon des modalits varies, une
pleine souverainet 3166 . La combinaison amricaniste construite par Bonpland
pose ici le problme de la convergence des idologies et de ladaptation dune
idologie politique.
Plus particulirement, le prisme de Bonpland est mettre en relation avec
lhritage colonial jsuite. Il rejoint ici une problmatique politique rioplatense
centrale concernant le droit revendiquer cet hritage et lincorporer au projet
indpendantiste. Face la fragmentation politique, il sadapte en choisissant la
voie transnationale en sadossant la frontire au lieu de sen loigner. Son
parcours recoupe l encore les proccupations des dirigeants rioplatenses en qute
dun modle national gopolitique. A ce titre, les sources fournies par Bonpland
permettent dapprofondir lanalyse des combinaisons politiques territoriales
politique la fois constitutive de la nation mais aussi comme une interlocutrice politique possdant
les instruments essentiels de la souverainet. Son action diplomatique mene envers lUruguay et
la France est ce titre significative. Dabord mene officieusement, elle revt un caractre officiel
lors de sa troisime mission. Lidentification du Franais une entit politique provinciale, ses
appels lunion interprovinciale et transnationale et sa reconnaissance de la lgitimit de Buenos
Aires en tant que capitale nationale sont significatifs du processus de rtroversion des pouvoirs
souverains.
3165
Cf. ROIG Arturo Andrs (d.), El pensamiento social y poltico iberoamericano del siglo XIX,
Trotta/CSIC, 2000.
3166
Les lites dclinent les conditions dingrence des Europens selon leur objectif politique.
Ferr soppose Rosas mais approuve son action visant limiter limmixtion des trangers dans
les affaires politiques locales. Rivera et Lavalle sappuient sur les forces franaises mais, comme
Ferr, ils tablissent une coopration fonde sur le consentement mutuel. Cette dernire notion est
fondamentale pour comprendre les relations diplomatiques durant la premire moiti du XIXe
sicle. Le principe de souverainet est quant lui le pivot de la construction politique non
seulement rioplatense mais plus largement ibro-amricaine ; cf. GOLDMAN Noem, (d.),
Lenguaje y Revolucin. Conceptos polticos claves en el Ro de la Plata, 1780-1850, Buenos Aires,
Prometeo, 2008.
825

Conclusion gnrale

penses ou appliques entre 1810 et 1853. Leur analyse, notamment par le biais
des rseaux tisss par le Franais dans le Nordeste et le Rio Grande do Sul, montre
lapparition dune culture politique nouvelle Corrientes mlant le clanisme
colonial et les formes nouvelles de sociabilit politique nes de lindpendance.
Elles mettent en vidence lexistence dun Etat-frontire correntino qui retranscrit
lchelle territoriale la culture politique en gestation dans cette partie du Ro de
la Plata.
Une autre question souleve par le parcours dAim Bonpland concerne
lanalyse des migrations dEuropens vers le Ro de la Plata au cours de la
premire moiti du XIXe sicle, ainsi que leur processus dimmersion et
dintgration. Avec Bonpland nous pouvons suivre le parcours dun personnage
la fois engag politiquement et reprsentant dune lite scientifique. Il permet
danalyser, lchelle micro-historique, ladaptation dune culture politique un
contexte rvolutionnaire. La priode durant laquelle Bonpland simmerge est
encore peu tudie dans le dtail, aussi son exprience savre-t-elle prcieuse. En
effet, elle peut tre compare dautres parcours dmigrs 3167 et, pour ceux
choisissant de demeurer en Amrique, elle peut tre compare aux autres
stratgies dintgration un moment o la faiblesse du nombre de migrants permet
plus facilement leur tude dtaille. A ce titre le sentiment dappartenance la
communaut francophone semble primordial, comme en tmoigne le discours de
Bonpland et de ses interlocuteurs ; comme le montre aussi la mise en place dun
rseau francophone le long du ro Uruguay. Avec Bonpland et, probablement,
avec les autres migrs de son cercle, ce rseau patriotique se double dun rseau
rioplatense quil parvient conserver ou modifier malgr son implication dans la
Guerra Grande. Cette solidit le diffrencie dautres Francophones prsents
Buenos Aires contraints de partir pour Montevideo partir de 1838 ou de traverser
lUruguay. Au contraire, Bonpland savre trs mobile entre Santa Ana et So
Borja et trs apte intgrer des clans ou des partis adverses.

3167

Les migrs franais peuvent se diviser en trois catgories. Il y a dabord ceux qui sont de
passage, cest--dire les voyageurs et le personnel diplomatique. Il y a ensuite ceux qui, aprs avoir
tent de sintgrer, choisissent de revenir, tel Narcisse Parchappe. Il y a enfin ceux qui restent et
qui, comme Bonpland, mettent en place des stratgies dintgration.
826

Conclusion gnrale

Les enjeux amricanistes dune immersion scientifique : dune


non-histoire une histoire du pr-amricanisme
Alors que dun point de vue politique et social Bonpland parvient tisser
des liens solides avec les lites, il se dgage la lecture des sources limpression
dune rencontre manque entre le Franais et les lites scientifiques rioplatenses.
Bonpland serait arriv trop tt, le dveloppement de lhistoire naturelle au cours
des annes 1850 et 1860 tant fond sur les mmes bases que celles proposes par
le Franais en 1817. Il peut apparatre ce titre comme un prcurseur, lgal
dun Paul Groussac dans le domaine historique et littraire mais, la diffrence de
son compatriote, il serait trop en avance par rapport ltat embryonnaire des
sciences naturelles du ct amricain de lAtlantique. Cette approche privilgie
alors une chronologie en dcalage entre lEurope et le Ro de la Plata, Bonpland
participant dans ce cas lcriture dune non-histoire des sciences dont la
responsabilit serait imputable principalement aux lites amricaines, Rivadavia et
Rosas faisant figure de bouc-missaires.
Mais la chronologie de Bonpland possde une logique interne et une
cohrence vis--vis du contexte rioplatense qui apparat dans le domaine
scientifique comme dans le politique. En ce sens, il apparat en dcalage vis--vis
des priorits scientifiques rioplatenses, la problmatique changeant alors de celle
dun prcurseur oubli pour celle dun dcalage entre loffre et la demande
scientifique. Cette seconde approche concerne aussi Rivadavia, linitiateur du
projet scientifique port par Bonpland. Le problme porte alors sur ladaptation
des savoirs et des centres de culture scientifique aux besoins spcifiques de la
priphrie. La fondation dune tradition scientifique ex nihilo montre ici ses
faiblesses. A linstar dAlexandre de Humboldt, dcrit comme lun des
prcurseurs de lamricanisme, Bonpland tente de mettre en actes le discours de
son compagnon de voyage. Mais en labsence des pr-requis ncessaires
lmergence de lamricanisme, savoir la fondation dune tradition scientifique
rioplatense, lidentification un groupe de recherche gocentr sur lAmrique et
la mise en rseau des projets individuels, le Franais comme le Prussien
demeure attach son projet scientifique eurocentr.
A ce titre, les parcours divergents de Bonpland et de Humboldt aprs leur
827

Conclusion gnrale

voyage commun nous semblent rvlateurs de deux postures scientifiques vis-vis des tudes amricaines. Humboldt assimile le corpus amricaniste au projet
encyclopdique de linventaire et de la comprhension du monde, alors que
Bonpland se spcialise dabord vis--vis dun domaine de recherche, puis dun
terrain de recherche. En effet, de 1798 1808 il se consacre essentiellement la
collecte et au classement des chantillons botaniques avant de sorienter vers la
recherche applique de 1808 1814. Ce glissement progressif de lapproche
thorique vers lapplication pratique des connaissances donne naissance un
projet mixte quil tente de transfrer sur le terrain amricain. Faute de soutiens
institutionnels solides, le projet scientifique de Bonpland se dilue peu peu dans
un projet conomique priv et au cours des annes 1830, les domaines de la
recherche et de lapplication de celle-ci sidentifient de plus en plus troitement
avec le cadre gographique accessible. A la fin des annes 1840, les nouvelles
options scientifiques amricaines de Bonpland ont pour horizon le Rio Grande do
Sul et Corrientes. Le contenu des projets esquisss l est fortement imprgn par
le dveloppement conomique local, ce qui place Bonpland lintrieur dun
cadre et dun terrain de recherche spcialiss.
Cette spcialisation est force puisque Bonpland tente plusieurs reprises
de mener une grande exploration du territoire rioplatense et chilien ; en 1820 par
le Paraguay, en 1832 par le ro Uruguay, en 1847 par Lima ou par le ro Paraguay
et la Bolivie. Ds les contacts renous avec la France, au dbut des annes 1850, il
demande laide dun assistant probablement dans un but similaire. Ce lien
transatlantique dtermin globalement par sa culture politique et particulirement
par son sentiment dappartenance sa communaut savante dorigine est maintenu
et fortement revendiqu par dfaut. En effet, cest son isolement scientifique local
qui lamne regarder vers lhorizon franais. Cet isolement lempche longtemps
de dvelopper un sentiment dappartenance vis--vis de groupes rudits locaux,
puisque cest la fin de sa vie quil peut sinscrire dans le rseau mergent des
institutions savantes rioplatenses et brsiliennes. Jusque l, la seule perspective
didentification qui soffre lui est europenne. Il sinscrit ce titre dans une
perspective naturaliste plutt quamricaniste. Dailleurs, Bonpland refuse de
simpliquer dans la fondation dune tradition scientifique priphrique. Les
propositions mises en ce sens depuis lUruguay, le Brsil et le Paraguay entre le

828

Conclusion gnrale

dbut des annes 1830 et le milieu des annes 1840 nous paraissent significatives
dun changement de perspective scientifique, Bonpland renonant aprs sa
dtention paraguayenne son projet de coopration transatlantique au profit dun
projet eurocentr.
Il faut attendre la mise en place dun projet scientifique rioplatense fond
sur la production externalise des connaissances pour que laction scientifique
mene par Aim Bonpland sinscrive dans une logique transatlantique. Son
exprience est donc replacer dans une continuit, depuis linadquation initiale
entre loffre et la demande scientifique jusqu la convergence des projets. Le
projet scientifique rencontre alors le projet politique et rend ralisable les
transferts des structures, des savoirs et des traditions ; le dcalage prend fin. En
rtablissant une continuit dans ses objectifs scientifiques, le projet de Bonpland
acquiert une cohrence jusque l pass inaperue du fait de la prgnance du
politique qui en entrave la russite puis la lecture historique 3168 . Cette cohrence le
rinscrit dans lhistoire scientifique de la premire moiti du XIXe sicle comme
un prcurseur des tudes amricaines, tout comme elle en marque les limites. En
effet les checs de Bonpland, depuis son recrutement par les indpendantistes en
1816 jusqu sa dernire tentative pour fonder un centre de culture scientifique
Corrientes en 1854, sexplique par un contexte politique extrmement dfavorable
ayant du mal faire concider le discours et les actes.
A ce titre, linstauration du Second empire en France est primordiale dans
la mesure o ce rgime permet le dveloppement dun projet politique et culturel
fond sur la notion de latino-amricanisme et de panlatinisme 3169 . Le plaidoyer
adress Napolon III en 1854 par Bonpland exprime, dans des termes
patriotiques, une vision proche de celle se construisant dans les cercles impriaux
et saint-simoniens franais, un moment o les discours civilisationnistes
rioplatenses dvelopps depuis lindpendance et fortifis par les vainqueurs du

3168

Cette cohrence concerne particulirement les motifs de son ternel retour toujours projet
mais jamais ralis. Ce fut une des premires nigmes poses par Bonpland. Pourquoi rester si tout,
apparemment, soppose la russite dune entreprise et si le pays dorigine se montre accueillant ?
Interrog ce sujet, Philippe Foucault lexpliquait par un mcanisme psychique propre aux
migrants en gnral, un mal du pays en quelque sorte. Sil est sr que Bonpland souffrait de ce
mal, sa qute scientifique et son acharnement btir une vie amricaine russie avant de revenir
rsout sur cette question.
3169
Cf. MARTINIERE Guy, Michel Chevalier et la latinit de lAmrique , Colloque Nommer
lAmrique Latine indpendante, ses intgrations, ses relations transamricaines et
transatlantiques, 15-16 avril 2010, Universit Paris III - Sorbonne Nouvelle.
829

Conclusion gnrale

rosismo rencontrent un cho dans une Europe la recherche de nouvelles voies


commerciales, de nouveaux marchs et de nouvelles solutions ses problmes
dmographiques. Si cette convergence idologique intervient la fin de la vie de
Bonpland, ne lui permettant donc pas dy participer, en revanche la pertinence du
discours civilisationniste du Franais se vrifie par les actions russies de Martin
de Moussy sur le terrain et de Burmeister dans le laboratoire.
Plutt que de raconter une non-histoire, Bonpland sinscrit dans lhistoire
de lamricanisme davantage en tant que sujet dtude quen tant quacteur. Il est
ce quon pourrait nommer un amricaniste par dfaut, dans la mesure o il ne
dveloppe pas ce sentiment dappartenance une communaut savante 3170 . Mais,
dune part, ses apports indirects notamment le matriel utilis par Martin de
Moussy tissent un lien direct puisque Martin de Moussy sincorpore dans la
communaut amricaniste naissante entre la phase disolement scientifique de la
communaut savante rioplatense et son rattachement au rseau transatlantique
fondateur de lamricanisme. Dautre part, en tant quobjet de recherche,
Bonpland prend place dans lhistoire de la discipline aux cts de Humboldt. Il se
rattache lhistoire de lamricanisme grce aux recherches menes sur lui par
Thodore Jules Ernest Hamy. En effet, en effectuant ce travail de mmoire le
fondateur de la Socit des Amricanistes inscrit le Rochelais dans la
discipline 3171 .
Lamricanisme, finalement, peut tre abord comme un ensemble
didologies en action ayant comme proprit essentielle le dveloppement
dinteractions culturelles, les sciences naturelles tant une des formes idologiques
constitutives de lamricanisme. Leur relgation au second plan durant la premire
moiti du XIXe sicle rioplatense ainsi que leur fusion dans le projet naturaliste
europen au cours de la mme priode freine le dveloppement dinteractions
culturelles. Celles-ci se dveloppent ensuite grce laction de lidologie
civilisationniste, cest--dire la mise en actes des discours jusque l demeurs
3170

A ce propos, cf. LOPEZ-OCON CABRERA Leoncio, El papel de los primeros congresos


internacionales de Americanistas en la construccin de una comunidad cientfica , in QUIJADA
MAURIO Mnica, BUSTAMANTE GARCIA Jsus (coord.), Elites intelectuales y modelos
colectivos : mundo ibrico (siglos XVI-XIX), Madrid, CSIC, 2003, pp. 271-284.
3171
Mme si lhistoire de lAmrique latine ne connat un dveloppement significatif et marqu par
lempreinte idologique de cette poque quaprs 1945; cf. PIETSCHMAN Horst, La historia de
Amrica latina como subdisciplina histrica , in Dialgo Cientfico, vol. 9, n 1-2, 2000, pp. 9-43.
Le contexte est alors dfavorable la mise en valeur dtudes prosoprographiques du type de celles
consacres Bonpland.
830

Conclusion gnrale

inoprants. Les centres de culture scientifique qui apparaissent alors peuvent tre
perus comme la matrialisation de cette idologie. Leur mise en rseau traduit
lmergence dune lite capable de crer une dynamique de groupe, dtablir un
programme de recherche identifi autour didologies convergentes et de crer, ce
faisant, un nouveau ple de recherche disciplinaire.

Les perspectives historiographiques dune exprience


amricaniste : des pistes de recherche nombreuses
Le corpus bonplandien est loin dtre puis. Un projet de
regroupement et de numrisation des sources rdiges par ou destines Aim
Bonpland est actuellement ltude. En sinspirant de ce qui a t ralis
notamment pour Jean-Baptiste Lamarck ou Charles Darwin 3172 , il sagirait de
crer un site en ligne pouvant ensuite tre dclin pour dautres scientifiques
amricanistes. Lobjectif principal est de mettre la disposition des chercheurs un
outil de travail efficient permettant daccder aux sources mais aussi une
bibliothque virtuelle prsentant Bonpland, ses interlocuteurs et les thmatiques de
recherche associes. Il sagit dune tape fondamentale pour pouvoir tirer profit de
lensemble des sources lgues par le Rochelais.
Les sources offrent aussi des perspectives de recherche concernant
lhistoire de lmigration franaise au Ro de la Plata. Le rseau de Bonpland offre
un bon point de dpart pour aborder cette micro-histoire encore largement
inexplore 3173 . Si les militaires venus l aprs la chute du Premier empire sont
relativement bien identifis 3174 , on ne connat pas la biographie de nombreux
acteurs civils tel Dominique Roguin qui, pourtant, semble avoir jou un rle non
ngligeable dans lhistoire conomique de la rgion. On ignore aussi le devenir de
3172

http://www.lamarck.cnrs.fr/ ; http://www.darwinproject.ac.uk/.
Si les voyageurs sont connus, il nen est pas de mme pour les migrs. Les travaux mens par
Jean-Paul Duviols et Jean-Georges Kircheimer offrent pour les premiers une base de recherche
indispensable permettant de redcouvrir les seconds ; cf. DUVIOLS Jean-Paul, Voyageurs franais
en Amrique. Colonies espagnoles et portugaises, Paris, Bordas, 1978 ; KIRCHEIMER JeanGeorges, Voyageurs francophones en Amrique hispanique au cours du XIXe sicle : rpertoire
bio-bibliographique, Paris, Bibliothque nationale, 1987.
3174
Cf. PHILIPS Edith, Les rfugis bonapartistes en Amrique (1815-1830), Paris, Vie
Universitaire, 1923 ; PUIGMAL Patrick, op. cit. ; BERGUO HURTADO Fernando, Les soldats
de Napolon dans lindpendance du Chili (1817-1830), Paris, LHarmattan, 2010.
3173

831

Conclusion gnrale

Narcisse Parchappe aprs son sjour rioplatense, ou celui des hommes daffaires
en contact avec Bonpland Buenos Aires. Quant aux Francophones prsents dans
lInterior, ils sont dans leur majeure partie compltement mconnus. Il existe l
matire reconstituer une histoire de la communaut francophone en privilgiant
une approche prosoprographique en prenant en compte ses activits, ses rseaux,
son influence et ses stratgies dintgration.
Dautres champs dinvestigation sont encore ouvrir ou approfondir
partir du corpus bonplandien . Le champ dtude disposant du plus grand
potentiel est sans conteste constitu par les sources caractre mdical. Le sujet a
jusquici t trait en pointills, la masse des documents analyser empchant leur
tude exhaustive. Un programme de recherche pourrait tre men dans cette
direction afin de dresser, partir de la pratique de Bonpland, une typologie
mdicale misionera. Cette approche est prcieuse, lhistoire de la mdecine
disposant de peu de sources traitant directement de cet aspect. Elle offre aussi une
alternative lanalyse de la pratique mdicale du point de vue institutionnel, les
aspects thoriques dj bien identifis 3175 pouvant tre confronts aux procds
dapplication.
Le champ conomique demeure lui aussi un terrain de recherche non clos.
Les travaux de Stephen Bell ont permis de progresser dans la comprhension et
dans lanalyse des projets conomiques de Bonpland. Il reste encore beaucoup de
recherches effectuer afin de raliser des analyses comparatives. Dans ce
domaine, le corpus bonplandien peut permettre daffiner les analyses
concernant le Nordeste et les relations conomiques transfrontalires le long du ro
Uruguay. La yerba mate est bien sr un ple important de ce domaine dtude
mais il cache trop souvent les autres activits agro-pastorales du Franais comme
par exemple llevage ovin et bovin ou lhorticulture.
Outre les sources, les thmes soulevs par ltude mene autour de
Bonpland mritent dautres dveloppements. Le principal dentre eux porte sur
lhistoire de lamricanisme, lanalyse des rseaux et des projets aboutissant la
cration de groupes de recherche devant permettre terme de raliser une
archologie de la discipline. Surtout, la priode prcdant linstitutionnalisation de
3175

Cf. PEREZ FONTANA, Velarde, Historia de la medicina en el Uruguay, con especial


referencia a las comarcas del Ro de la Plata, Montevideo, ministerio de Salud Pblica, 1967, 2
vol. ; CANTON Eliseo, Historia de la medicina en el Ro de la Plata. Desde su descubrimiento
hasta nuestros das, Madrid, Sociedad de Historia Hispanoamericana, 1928, 6 vol.
832

Conclusion gnrale

la discipline nous parat digne dintrt en ce quelle rvle un manque de


convergence et soulve le problme de la production externalise des
connaissances et plus largement celui de la dpendance scientifique.
Llargissement des recherches dans le temps et lanalyse comparative dans
lespace latino-amricain peut savrer une piste de recherche fconde.
La question des transferts scientifiques transatlantiques au cours de la
priode pr-amricaniste reste aussi dvelopper, dans la mesure o lon
considre ces transferts du point de vue idologique. Si pour la priode coloniale
les sources font clairement apparatre ce type de discours, les recherches menes
propos de la priode suivante insistent avant tout sur les rcits de voyageurs. Or, il
nous semble que les projets accomplis ou penss par les cadres scientifiques
recruts partir des indpendances sont rvlateurs dune offre et dune demande
scientifique fonde sur des interactions idologiques analyser.
Cette question renvoie celle relative la fondation de centres de culture
scientifique priphriques, celui de Corrientes comme celui de MalmaisonNavarre dvoilant les difficults rencontres pour crer une structure scientifique
de ce type opratoire. A ce titre, deux pistes de recherche mritent une meilleure
attention. La premire concerne les sociabilits scientifiques dveloppes entre les
diffrents centres de culture rioplatenses demandent tre mis en lumire. Pour
sen tenir un terrain proche de notre tude, la dynamique cre entre Buenos
Aires, Corrientes et Paran autour de la production externalise des connaissances
reste tudier en profondeur. Mais plus gnralement, lanalyse des rseaux
scientifiques ibro-amricains est une piste de recherche pouvant savrer fconde
en ce qui concerne les enjeux de la production des savoirs. La seconde concerne
Malmaison-Navarre qui mrite une plus grande attention, dune part en tudiant
les enjeux scientifiques en amont et en aval du travail men par Bonpland, dautre
part en replaant cette structure dans le contexte plus large de lessor de ce type de
centres de recherche applique.
Les annes passes en compagnie dAim Bonpland nous ont finalement
amen vouloir poursuivre nos recherches dans deux directions opposes. La
premire nous incite poursuivre un travail dinventaire et de mmoire vis--vis
du Rochelais, comme lont fait avant nous ou avec nous Thodore Jules Ernest
Hamy, Philippe Foucault, Alicia Lourteig, Julio Rafael Contreras, Stephen Bell ou

833

Conclusion gnrale

Guy Martinire. Dans cette perspective, le regroupement et le classement du


corpus bonplandien offre une possibilit supplmentaire daffiner notre
comprhension de ce personnage et de son contexte. Nous pensons que la cration
dune bibliothque virtuelle regroupant lensemble des crits bonplandiens
semble devoir figurer dans ce projet de regroupement. La seconde direction
consiste approfondir les thmes de recherche soulevs au cours de cette tude.
Cette approche tend placer de nouveau Bonpland dans une position annexe,
pointilliste. Nous souhaiterions quil puisse tre tudi dans une autre perspective,
celle de la complmentarit. A ce propos, un autre travail dinventaire et de
classement reste mener, plus vaste et plus prsomptueux mais impliquant une
coopration lchelle de la communaut amricaniste. La mondialisation et la
mise en rseau des connaissances manquent cruellement dun inventaire et dune
classification. Or, la cration dune bibliothque amricaniste virtuelle centralisant
efficacement 3176 lensemble des recherches encore trop cloisonnes et disperses
pour tre accessibles la communaut amricaniste parat tre une tape
essentielle long terme. Elle permettrait de commencer la collecte, la
classification, linventaire et la mise disposition du corpus amricaniste.

3176

Cest--dire selon des critres de recherche chronologiques, nominatifs, gographiques et


thmatiques pertinents. Laire et le temps de Bonpland pourraient, par exemple, servir de premire
base de recherche.
834

Lamricanisme en construction. Une pr-histoire de la discipline daprs lexprience du


naturaliste Aim Bonpland (1773-1858)
Rsum :
Lexprience dAim Bonpland invite rflchir sur les conditions ncessaires au transfert dune science et sur
lidologie qui le porte. Partisan de lindpendance du Ro de la Plata, imprgn dune culture politique mettant
au premier plan la ncessit dun Etat fort permettant la stabilit et le rayonnement dune nation, Bonpland se
heurte linstabilit qui caractrise la construction politique de cette rgion. En suivant son parcours on assiste
la rencontre manque entre un naturaliste porteur dun projet fond sur le modle universaliste du centre
scientifique europen et des lites qui, la priphrie, souhaitent mettre en place une politique spcifique base
sur lutilisation des ressources naturelles des fins de dveloppement interne.
Cette exprience permet de mettre en vidence diffrents moments de la construction des nations rioplatenses et
de les insrer dans une grille de lecture amricaniste. La notion damricanisme, aborde comme un ensemble
didologies en action ayant comme proprit essentielle le dveloppement dinteractions culturelles, soulve le
problme de la convergence des idologies et de leur adaptation transatlantique. En effet, il faut attendre la mise
en place de projets politiques et scientifiques rioplatenses fonds sur la production externalise des
connaissances pour que laction scientifique mene par Bonpland, elle-mme base sur la recherche applique,
devienne opratoire. Lexprience de Bonpland est replacer dans cette continuit, depuis linadquation entre
loffre et la demande scientifique jusqu la convergence des projets amricanistes.
Mots cls : Aim Bonpland, amricanisme, histoire naturelle, Ro de la Plata.

Americanism under construction. A pre-history of the discipline according to the naturalist


Aim Bonplands experience.
Summary :
Aim Bonplands experience leads us to reflect about the necessary conditions for the transfer of a science and
the ideology it bears. In favour of the independence of the Rio de la plata, imbued with a political culture putting
forward the necessity of a strong state thus enabling a nation to be stable and to shine forth, Bonpland comes up
against the instability that characterizes the political construction of this region. By following his path, we
witness the wasted accounter between, on the one hand a naturalist bearing a project based on the universalist
pattern of the European scientific center, and, on the other hand the elites who, at the periphery, want to settle a
specific policy based on the use of natural resources aiming at international development.
This experience enables to bring to the fore different moments of the construction of the Rioplatenses nations
and to insert them from an americanist perspective. The notion of americanism tackled as a set of ideologies into
action whose main property is the development of cultural interactions, arises the issue of the convergence of
ideologies and of their transatlantic adaptation. Indeed, to become operating, it is necessary to wait for the setting
up of political and scientific rioplatenses projects, based on the outsourced production of knowledge, for the
scientific action led by Bonpland, itself based on applied research, to become operating. It is necessary to put
Bonplands position back in this continuity, from the inadequacy between the scientific supply and demand, up
to the convergence of americanist projects.
Keywords : Aim Bonpland, Americanism, natural history, Ro de la Plata.

CRHIA (Centre de Recherches en Histoire Internationale et


Atlantique)
FLLASH
Universit de La Rochelle

UNIVERSIT DE LA ROCHELLE

COLE DOCTORALE
Socits, cultures, changes
Centre de Recherches en Histoire Internationale et Atlantique

THSE
prsente par :

Cdric CERRUTI

soutenue le 18 mai 2012


pour lobtention du grade de Docteur de lUniversit de La Rochelle
Discipline : Histoire

Lamricanisme en construction. Une pr-histoire de la discipline daprs


lexprience du naturaliste Aim Bonpland (1773-1858)

JURY
Jean-Paul DUVIOLS
Pilar GONZLEZ BERNALDO
Guy MARTINIRE
Didier POTON
Jacques SOL
Michel VAN-PRAT

Professeur mrite, Universit Paris IV


Professeur, Universit Paris VII
Professeur mrite, Universit de La Rochelle, Directeur de thse
Professeur, Universit de La Rochelle
Professeur mrite, Universit Grenoble II
Professeur, Musum national dHistoire naturelle

Volume 4

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

SOURCES

I. SOURCES MANUSCRITES
Archives Nationales (AN), AB192127.
Archives du ministre des Affaires trangres, Nantes (AMAEN) :
- Buenos Aires, Lgation n1.
- Montevideo, Lgation n 1.
Archives du ministre des Affaires Etrangres, Paris (AMAEP).
Archivo General de la Nacin, Buenos Aires (AGNBA) :
- Coleccin Casavalle, F. F.
- Coleccin Casavalle, Ferr.
- Coleccin Casavalle, Fresno.
- Fondo Pedro Ferr, leg. 2, 4.
- Sala IV, leg. 10. 1. 4. 12.
- Sala VII, archivo del general Jos M. Paz, leg. 99, aos 1815-1840.
- Sala VII, archivo del general Jos M. Paz, leg. 100, ao 1841.
- Sala VII, archivo y coleccin Andrs Lamas, leg. 44.
- Sala IX, leg. 23. 8. 6. 32.
Archivo General de la Nacin, Montevideo (AGNM) :
- II, Ex Archivo y Museo Histrico Nacional, archivo Andrs, Caja 153, Carpeta
7.
- III, Catlogo de libros, Historia de la administracin, n 5050, Consejo de
Higiene, libro de actas 1831-1834.
- Escritos del padre Dmaso Antonio Larraaga, caja 195, carpeta 18
Archivo General de la Provincia de Corrientes (AGPC) :
- Correspondencia official, 1840, tome 245.7.
- Correspondencia oficial, tome 10, 1820.
- Correspondencia oficial, tomes 12-13, 1821.
- Correspondencia oficial, tome 107, 1841.

Sources et bibliographie

- Correspondencia official, tome 137, 1852.


- Correspondencia official, tomes 150-152, 1853-1856.
- Registro oficial de la Provincia, 1853-1856.
Archivo del Museo Farmacobotnico Juan A. Domnguez, Facultad de Farmacia y
Bioqumica, Universidad de Buenos Aires (AMFBJAD).
Biblioteca del Colegio Nacional de Buenos Aires (BCNBA).
Coleccin Andrs Ivern, Corrientes (CAIC).
Mdiathque de La Rochelle, ms 676.
Muse de Malmaison.
Musum National dHistoire Naturelle (MNHN) :
- ms 203-206 : Notes de botanique prises pendant ses voyages en Amrique
(Missions portugaises, Paraguay, Uruguay, etc.) (1817-1849).
- ms 207 : Fragmenta botanica. Annexes du catalogue de botanique.
- ms 208-209 : Journal de voyage, 1849-1850.
- ms 210 : Catalogue pour servir la gologie des ctes de lUruguay, du
Panama, de la Plata, de toutes les missions jsuitiques
- ms 211 : Notes diverses (An VII).
- ms 212 : Notes diverses (An VII).
- ms 213 : Documents divers. Liste des plantes du jardin botanique de La
Rochelle, en 1807. Lettres autographes de Bonpland, intendant du domaine de
Malmaison, Thouin, membre de lInstitut, de Goujaud-Bonpland fils, directeur
du jardin de botanique de La Rochelle et de Joron, pharmacien de lhpital
militaire de La Rochelle, Thouin (25 nivse an VII-9 mai 1818).
- ms 214 : liste de plantes donnes (1814-1820). Premier envoi de graines
pour Buenos-Ayres, fait en septembre 1814 Paris. Sur la fabrication du
sucre. Sur la fabrication du charbon de bois Etc.
- ms 215 : Notes diverses (gologie, zoologie, botanique, bois de lAmrique du
Sud, extraits dauteurs, etc.)

II. SOURCES IMPRIMEES


A. AIME BONPLAND
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BONPLAND Aim, Description des plantes rares cultives Malmaison et
Navarre, Paris, P. Didot lan, 1813.
CORDIER Henri (comp.), Papiers indits du naturaliste Aim Bonpland
conservs Buenos Aires, tome II, Journal de botanique, Trabajos del Instituto de
Botnica y Farmacologa, Facultad de Ciencias Mdicas de Buenos Aires, n 42,
Buenos Aires, Peuser, 1914.
838

Sources et bibliographie

CUVIER Georges, Description des os du megatherium, faite en montant le


squelette, par D. Jean-Baptiste Bru, traduite par M. Bonpland, et abrge , in
Annales du Musum national dHistoire naturelle, vol. 5, 1804, pp. 387-400.
SAGARNA Antonio (comp.), Archivo de Bonpland, tomo III : Documentos para
la historia de la repblica entrerriana del archivo de Aim Bonpland, Trabajos del
Instituto Nacional de Botnica y Farmacologa Julio A. Roca , Facultad de
Ciencias Mdicas de Buenos Aires/Coni, Srie II, n 1, 1939.
HUMBOLDT Alexandre de, BONPLAND Aim, Plantes quinoxiales :
recueillies au Mexique, dans lsle de Cuba, dans les provinces de Caracas, de
Cumana et de Barcelone, aux Andes de la Nouvelle-Grenade, de Quito et du
Prou, et sur les bords du Rio-Negro, de lOrnoque et de la rivire des
Amazones, Paris, F. Schoell, 1808-1809, 2 tomes.
BONPLAND Aim, Notas sobre yerbales. Traduccin por el Doctor Juan Pujol.
Nota preliminar por el Doctor Fernando A. Coni Bazn , in Lilloa, tome XVIII,
1949, pp. 361-371.

2. Ecrits concernant Aim Bonpland


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XVI, n 99, juillet 1831, pp. 40-42.
An., dlivrance de M. Bompland , in Bulletin de la Socit de Gographie de
Paris, 1e srie, tome XIII, n 84, avril 1830, p. 200.
An. M. de Bonpland , in Bulletin de la Socit de Gographie de Paris, 1e
srie, tome V, n 37-38, mai-juin 1826, pp. 660-661.
ANGELIS Pedro de, Biografa de Amado Bonpland, in TROSTINE Rodolfo,
GONDIA Enrique de, Pedro de Angelis. Acusacin y defensa de Rosas ; las ideas
polticas de Pedro de Angelis, Buenos Aires, La Facultad, 1945 (1855).
BONPLAND Pompeyo, Fragmento del diario mdico de Amado Bonpland, thse
doctorale, Buenos Aires, Facultad de Ciencias Mdicas, 1909.
BRUNEL Adolphe, Biographie dAim Bonpland. Compagnon de voyage et
collaborateur dAl. De Humboldt, Paris, L. Gurin & Cie, 1871 (1859).
CONI BAZAN Fernando A. (prface), Notas sobre yerbales. Traduccin por el
Doctor Juan Pujol. Nota preliminar por el Doctor Fernando A. Coni Bazn , in
Lilloa, Tucumn, tome XVIII, 1949, pp. 361-371.
DEMERSAY Alfred, La vie et les travaux de M. Aim Bonpland,
Correspondant de lInstitut et du Musum dhistoire naturelle , in Bulletin de la
Socit de Gographie de Paris, quatrime srie, tome V, 1853, pp. 240-254.
Note sur les manuscrits et les collections de M. Aim Bonpland , in Bulletin
de la socit gographique de Paris, quatrime srie, tome XIX, 1860, pp. 426429.
LOURTEIG Alicia (comp.), Journal de voyage de Sn. Borja a la Cierra y a Porto
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Grande do Sul, 1978.
MARTIN DE MOUSSY J. A. Victor, Notice sur la vie dAim Bonpland en
Amrique, Plata, Paraguay, Misiones , in Bulletin de la Socit Gographique de
Paris, quatrime srie, tome XIX, 1860, pp. 414-425.
839

Sources et bibliographie

PEA David (dir.), Manuscritos de Bonpland. Cartas de Humboldt , in


Atlntida, vol. 1, n 1, 1911, pp. 85-98.
RUIZ MORENO Anbal, RISOLIA Vicente A., ONOFRIO Rmulo d, Aim
Bonpland. Aportaciones de carcter indito sobre su actividad cientfica en
Amrica del Sud, Buenos Aires, Publicaciones del Instituto de Historia de la
Medicina, vol. XVII, 1955.

B. PERIODIQUES ET PUBLICATIONS OFFICIELLES


Acadmie des inscriptions et belles lettres, Journal des savans, Paris, Jean
Cusson/Imprimerie royale, 1816-1821, 6 tomes.
Acadmie des sciences, Procs verbaux des sances de lAcadmie des sciences,
1800-1819, 6 tomes.
Annales des sciences naturelles, tome XI, 1839.
Annales des voyages, de la gographie et de lhistoire ou Collection des voyages
nouveaux les plus estims, 1807-1810, 10 tomes.
Annales du Musum national dhistoire naturelle, 1802-1813, 20 tomes.
Archives du Musum dhistoire naturelle, 1839-1861, 10 tomes.
Argos, 1822.
Bulletin de la Socit de Gographie, premire srie, tomes IV-XX, 1825-1843 ;
quatrime srie, tomes V-XIX, 1853-1860.
Bulletin de la Socit de Zoologie et dAcclimatation de France, 1861.
Bulletin polymathique du Musum dinstruction publique de Bordeaux, ou Journal
littraire, historique et statistique du dpartement de la Gironde, Bordeaux, P.
Beaume, 1806, 1811.
Crnica Poltica y Literaria de Buenos Aires, 1827.
El Comercio, 1855.
El Nacional Argentino, 1854.
Journal de botanique, applique lagriculture, la pharmacie, la mdecine et
aux arts, tome IV, 1814.
La Abeja Argentina, 1822.
La Crnica Argentina, 1817.
La Gaceta de Buenos Aires, 1818-1823.
Le magasin encyclopdique, tome I, 1807.
Magasin encyclopdique, ou journal des Sciences, des Lettres et des Arts, 18121813, 6 tomes.
Mmoires du Musum dhistoire naturelle, 1815-1832, 20 tomes.
Nouvelles Annales des Voyages, tomes 4-156, 1819-1860.
Nouvelles Annales du Musum dhistoire naturelle, 1832-1835, 4 tomes.
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882

INDEX ONOMASTIQUE

Les numros de pages figurant en caractre gras renvoient des notes


biographiques.
ABADIE : 182
ABALOS, Jos Domingo : 674
ABERASTAIN, Antonio : 175n
ACARD : 93, 481
ACHARIUS, Erik : 345
ACKERMAN, Adolphe : 566
ACOSTA (docteur) : 131
ACOSTA, Baltasar : 168n
ACOSTA, Mariano : 776
ACUA (commandant farrapo) : 187
ACUA, Jos Gregorio : 676, 678, 680, 681
ADANSON, Michel : 315, 315n, 317, 321, 343
AGASSIZ, Louis : 561
AGERO, Julin SEGUNDO de : 147, 147n, 510, 510n
AGUILAR (famille) : 59
AGUILAR, Francisco : 101, 490, 715
AGUILAR, Enrique : 59n
AGUILAR, Victoriano : 59n, 61, 61n, 69, 504, 506, 506n, 510
AGUIRRE, Flix : 66, 97, 523
ALAMAN, Lucas : 608n
ALBERDI, Juan Bautista : 148, 148n, 197, 229n, 262, 266, 274, 460, 571n, 627, 627n
ALCANTARA BELLEGARDE, Pedro de : 229
ALCARAS, Benigno : 112n
ALEY : 159
ALIBERT, Jean-Louis : 463, 752, 753
ALLEGRE, Flix Augustin : 792-793
ALMEIDA CORTE REAL, Jos de : 123n
ALSINA, Juan Jos : 170n,
ALSINA, Valentn : 147, 147n, 148, 215
ALTAMIRANO, Juan : 118n, 548n
ALVAREZ, Jos : 713
ALVAREZ, Tedoro : 775
ALVEAR, Carlos Mara de : 61n
ALVES SERRO, Custdio : 711
ALZATE, Jos Antonio : 435

AMBERT (Madame d) : 369


AMELOT, M. : 411
ANDERSON (jardinier Chelsea) : 355n
ANDREIA, Antonio: voir SOUZA SOARES DE ANDREIA, Antonio Jos
ANGELIS, Pedro de : 14n, 115, 116, 129, 129n, 280, 547, 559, 560, 565, 565n, 578, 581,
601, 618n, 628, 698n, 699, 699n, 702, 710, 713, 714, 727, 738, 741, 744, 745, 758, 812
ANSON, George : 423, 426n
ANTUNES DA LUZ (famille) : 681
ANTUNES DA LUZ, Antonio : 204
ANTUNES DA LUZ, Gregorio : 679
ARAOZ DE LAMADRID, Gregorio : voir LAMADRID
ARAGO, Franois : 315, 315n, 346, 346n-347n, 771
ARAMBURU, Santiago : 250, 810
ARANA, Felipe de : 90n, 146n, 151, 151n, 159, 164n, 188, 210, 210n, 211, 736
ARAOZ, Bernab : 504n
ARAUJO (clan) : 59, 110, 111, 176, 647, 651n
ARAUJO, Antonio : 111n,
ARAUJO, Jos Joaqun de : 57, 57n, 59n, 95, 127n, 487, 492, 502, 504, 510, 516, 618
ARAUJO, Julin Antonio : 674, 675, 676
ARAUJO, Mariano : 111n, 112, 650, 673
ARBERG (comte d) : 369
ARENALES, Jos : 711, 712, 714
ARENBERG (princesse d) : 369
ARGERICH, Cosme : 478, 479
ARGERICH, Francisco Cosme : 479, 692, 692n, 706, 707
ARIPI, Nicols : 65n, 67, 71, 72, 74, 508, 512, 513, 513n, 516n, 522, 523, 524
ARNAULT, Antoine-Vincent : 355n
ARRIOLA, Juan Mateo : 183
ARTIGAS, Jos : 60n, 61n, 68, 69, 74n, 92n, 105n, 107, 115n, 118n, 131, 181n, 221n,
283, 284, 288
ATCKINSON (famille) : 549
ATIENZA (clan) : 176, 651n
ATIENZA, Jos Francisco : 650
ATIENZA, Rafael de : 73n, 112n, 115, 115n, 116, 116n, 117, 117n, 118n, 119, 119n, 125,
142, 186, 622, 653, 674, 678
ATTWELL, Samuel : 694
AUBERT DU PETIT-THOUARS, Louis Marie : voir PETIT-THOUARS
AUBUISSON DE VOISINS, Jean-Franois d : 558, 559
AUTRAN, Eugne : 15, 18
AVE-LALLEMANT, Robert C. : 521, 812, 813
AZARA, Flix de : 20n, 66, 66n, 418, 444, 444n, 446, 448, 472, 473, 473n, 474n, 487,
501, 527, 542n, 545, 569, 574, 575, 575n, 577, 578, 598, 602, 617n, 644, 656, 707, 817,
818
BACLE, Hyppolite : 88-89, 129n, 256n, 610, 610n, 709, 712, 713, 713n
BACON, Roger : 558
BADE, Stphanie de : voir BEAUHARNAIS, Stphanie de
BAEZ, Manuel Jos : 183n
BALBUENA, Jos Justo : 199
BALCARCE Juan Ramn : 48n, 61n
BALT, Antonio Casimiro : 214n
BALLOUHEY, Jean-Claude : 376
BANKS, Joseph : 354
BANON (pharmacien) : 327
BAR : 739n
BARADERE, Raymond : 147, 155, 159, 756
884

BARANGER, Pierre : 694


BARAADO, Jos Mara : 111n
BARAADO, Juan : 111n
BARCLAY, George : 769
BARRETO PEREIRA PINTOS, Sebastin : 106, 562
BARROIS : 723, 756n
BARROS PAZOS, Jos : 776
BASTERRECHEA : 109n
BATISTA DE OLIVEIRA, Cndido : 786, 809
BAUDIN, Nicolas : 11n, 336n, 339, 361, 362, 374n, 392, 426, 465, 469, 471
BAYLET (mdecin) : 664
BEAUHARNAIS (famille) : 325
BEAUHARNAIS, Eugne de : 52, 321, 369, 385, 400
BEAUHARNAIS, Hortense de : 369
BEAUHARNAIS, Josphine de : 11, 38, 76, 78, 311, 311n, 313, 314, 321, 323, 325, 348,
349n, 351, 353, 354, 354n, 355n, 356n, 361, 362, 363, 364, 365, 365n, 366, 366n, 367,
368, 369, 370, 371, 373, 374, 375, 376, 379, 379n, 380, 381, 382, 383, 385, 386, 388,
389, 390, 393, 394, 395, 396, 397, 398, 398n, 400, 401, 402, 404, 405, 407, 408, 409,
410, 413, 415, 596
BEAUHARNAIS, Stphanie de : 258, 350, 369, 706n
BEAUMONT, Andr de : 380, 385, 397
BEAUMONT, John A. B. : 447, 500, 642n, 649
BELGRANO, Francisco : 57, 57n
BELGRANO, Manuel : 50, 50n, 57n, 153n, 449, 626, 627
BELIVIA (mdecin) : 511
BELLO, Andrs : 776
BELMAR : 82n
BENITES (mdecin) : 680
BENOIT, Pierre : 94n, 463, 724
BERGES, Jos : 250
BERNAL, Pedro : 507
BERON DE ASTRADA, Genaro : 111n, 112, 112n, 118n, 119, 125, 126, 139, 140, 140n,
141, 142, 142n, 144, 224, 613, 648n, 671
BERRO, Bernardo : 535
BERTHAULT, Louis Martin : 408
BERTHELOT, Sabin : 564, 564n
BERTHOLLET, Claude Louis : 346, 346n, 399
BERTRES, Philippe : 712n
BESSE, Pierre : 534
BEULE (directeur de La Gabrielle) : 327
BIOT, Jean-Baptiste : 336
BIUCEROCH, Manuel : 248
BLANC (entrepreneur Buenos Aires) : 643, 652, 735, 738n
BLANCO, Juan Jos : 512
BOCQUIN DES HILAIRES (mdecin) : 100, 160, 189
BOCQUIN DES HILAIRES, Sara : 191, 663
BOISSIERE : 98, 481, 581, 711, 735, 736, 748
BOLIVAR, Simn : 24, 40, 77, 283, 284, 434, 453, 454, 456
BONAFOUS, Mathieu : 602n
BONAPARTE, Joseph : 52
BONAPARTE, Louis : 317
BONAPARTE, Louis-Napolon : 78, 79, 256, 257, 258, 259, 261, 264, 280, 282, 296,
829
BONAPARTE, Napolon : 38, 50, 54n, 64, 77, 78, 81, 82, 146, 193, 238, 280, 281, 282,
285, 296, 311, 311n, 318, 323, 325, 364, 365, 376, 378, 380, 399, 407, 414, 509n, 771
885

BONORINO, Antonio : 612n


BONPLAND, Amadito : 799
BONPLAND, Pompeyo : 18, 19, 593n, 811
BOOS, Franz : 348, 348n, 351, 352
BOSC DANTIC, Louis Augustin : 24, 316n, 319, 320, 413n, 414
BOUGAINVILLE, Louis Antoine de : 11n, 409, 421, 424n, 437
BOUGUER, Pierre : 419, 811, 818
BOULANGER, Franois Jrmie : 402
BOURSAULT, M. : 354n
BOUSSAINGAULT, Jean-Baptiste : 454n
BOUTELOU, Claudio : 356
BOUVILLE, Auguste : 534, 535, 722n
BOUVILLIERS (mdecin) : 667
BOYER : 715
BRANCAS, Albert : 370
BRAVARD, Auguste : 758, 767, 772, 773, 774, 776, 778, 783n
BRAYER, Lucien de : 83, 224, 251, 252, 257, 258
BREARD, Pierre : 93, 96, 97, 505n, 508, 516, 606n, 609, 621, 747
BREDEMEYER, Franz : 348n, 351, 352
BRETT, Piercy : 426n
BRISSEAU de MIRBEL, Charles-Franois : voir MIRBEL
BROGLIE, Charles Franois de : 324n
BROGLIE, Victor de : 86, 86n
BRONGNIART, Alexandre : 558
BROSSARD, Alfred de : 252
BROUGNES, Auguste : 227, 263, 263n, 265, 266, 267, 268n, 269, 269n, 270, 270n, 272,
274, 767
BROUSSAIS, Franois Joseph Victor : 670
BROUSSONNET, Auguste : 340
BROWN, Robert : 336n, 345
BRU, Jean-Baptiste : 330
BRUCH, Philip : 541n
BRUNEL, Adolphe : 14-15, 17, 737, 745
BUCHET DE MARTIGNY, Claude-Just-Henri : 146n, 147, 147n, 148, 149, 155, 159
BUFFON, Georges Louis LECLERC de : 318n, 422, 485, 602
BURMEISTER, Hermann : 571, 571n, 572, 704, 714, 779, 779n, 830
BUSCHENTAL, Joseph : 715
BUSTAMANTE, Jos Luis : 209, 213
BUSTAMANTE, Manuel Basilio :
CABELLO, Francisco : 445, 445n
CABRAL, Eulegio : 231, 234
CABRAL, Nicols : 512
CABRAL, Pedro : 113, 174n, 175, 176, 177n, 498n, 548n, 650, 650n-651n, 671, 671n,
674
CABRAL, Placido : 716
CACERES, Nicanor : 224n, 241, 247
CADEAC, Henri : 100, 100n
CADEAC, Jean : 97
CADET DE GASSICOURT, Charles Louis : 336
CAINZO, Manuel : 504n
CALDAS, Francisco Jos de : 433, 441, 454
CALDCLEUGH, Alexander : 444, 480, 505, 619
CALDERON, Bonifcio : 118n, 648
CALDREA FIAO (mdecin) : 247
CAMBACERES, Antoine : 458
886

CANDOLLE, Auguste Pyrame de : 343, 343n, 348, 363, 364n, 471, 540, 729, 730, 739,
748, 749, 764, 799
CANTEROS : 511n
CARDOZO, Jos Mariano : 123
CARRERA (frres) : 56n, 81
CARRERA, Jos Miguel de : 54, 54n, 58n, 60, 81, 83
CARRIEGO, Evaristo : 71, 511, 512, 512n, 522, 523, 524
CARRIL, Salvador Mara del : 783
CARTA MOLINO, Pedro : 608n, 693, 694n, 696, 697, 700, 701, 707n
CARTIS, Francisco : 112n, 653n
CASTAEDA, Francisco de PAULA de : 479, 479n, 490
CASTELLI, Jos : 127n, 199n
CAVAILLON : 83
CAVANILLES, Antonio Jos de : 24, 352, 355, 356, 356n, 366n, 442, 465
CAXIAS, duc de : 123n
CELS, Franois : 388n, 399, 407n
CEMBRANA : 562n
CERDA, Vicente de la : 433
CERE, Jean-Nicolas : 389
CERNAUX : 652n
CESAR, Jos Pedro : 74n
CESPEDES (proviseur) : 516
CHABOT (dames) : 610
CHAINE : 152, 199
CHAMORRO (capitaine) : 97, 119n, 143n
CHAMPAGNY, Jean-Baptiste de : 338, 341, 363
CHANORIER, Jean : 398, 398n,
CHAPTAL, Jean-Antoine : 346, 346n, 362, 400, 400n
CHAPUS : 665
CHARLES III : 460, 466n
CHARPENTIER DE COSSIGNY, Joseph-Franois : 372, 372n
CHATEAUBRIAND, Franois-Ren de : 642
CHAUMETON, Franois Pierre : 336
CHAUVISE : 256
CHAUVITEAU : 98
CHAVES, Antnio : 189, 190, 195, 204, 205, 625
CHEVALIER, Chico : 97
CHEVALIER, Julie : 97n
CHEVALIER, Michel : 26
CHEVALLIER, Alphonse : 670
CHEVALLIER, Franois : 96-97, 652
CHIBERTE, Juan : 122n
CHICOILET DE CORBIGNY, Louis Antoine Ange : 370
CHORROARIN, Luis Jos : 688n
CLAVERI (tanneur Salto) : 603
CLAVIJERO, Francisco Javier : 435, 441
CLAYTON, John : 336n
COLOMB, Christophe : 35, 281n, 294, 420, 421n, 457n
COMMERSON, Philibert : 423, 424n, 428, 437, 446
COMTE (abb) : 557
CONSTANTIN, Alexandre : 154, 643, 652, 710, 715, 716, 735, 738n
COOK, James : 354, 409, 422, 432, 433, 433n
CORDIER, Pierre-Louis Antoine : 363, 539, 540, 559n, 735
CORREA, Jos : 352
CORREA DA CAMARA, Antonio : 77
887

CORVISART, Jean-Nicolas : 365, 365n, 366, 370


COSSIO, Isidoro : 716
COSTA, Braulio : 190n
COSTA, Candido da : 566
CRATE : 100n
CRUZ JOBIM, Jos Martins : voir JOBIM Jos Martins da CRUZ
CUBIERES (marquis de) : 369
CUVIER, Georges : 315, 315n, 330, 344, 388n, 448, 482, 483, 539, 558, 559, 575, 576
DAGRUMET (capitaine) : 736
DARU, Napolon : 211, 212
DARU, Pierre : 350
DARWIN, Charles : 30, 30n, 106, 131, 475, 496, 500, 501, 515, 519, 520n, 541n, 550,
559, 567, 572, 576, 608, 638, 667, 668n, 714, 717, 727, 731, 731n, 741, 814, 816, 831
DAUXION LAVAYSSE, Jean Joseph Ren Madeleine : 81
DECAZES (vice-consul) : 258
DELAHAYE, Adeline : 46, 49n, 505
DELAHAYE, Flix : 378, 385n, 410n, 411, 411n
DELESSERT (frres) : 476n, 740
DELESSERT, Benjamin : 24, 740
DELESSERT, Franois : 740, 746, 756, 761, 797
DELGADO : 112
DELGADO (mdecin) : 680
DELILE, Alyre : 24, 316, 320, 322, 363, 390, 504, 612, 724, 735, 739, 739n, 746, 755,
756, 792
DELMOTTE : 354
DEMARCHI, Antonio : 609, 708, 709
DEMERSAY, Alfred : 14n, 18, 70, 190, 191, 195, 196, 204, 211, 266n, 278n, 511n, 521,
527, 530, 536, 571, 572, 572n, 598, 617, 627, 628, 630, 637, 642, 644, 644n, 645n, 660n,
665, 667, 669, 678, 732, 741, 744, 745, 754, 761, 761n, 762, 763, 791, 806, 807, 808,
812, 813, 816, 817
DEMONTEIL (ingnieur maritime) : 327
DEMORA, Jacintho : 528n
DERQUI, Santiago : 157, 167, 227, 227n, 230, 231n, 234, 241, 242, 244, 249, 778
DESCALZI, Nicolas : 712
DESCOURTILZ, Michel Etienne : 316n, 320, 322
DESFONTAINES, Ren Louiche : 316n, 319, 339, 340, 341, 361, 365, 424
DESPALLIERE : 99
DESPOUY, Blaise : 89n, 97, 274
DEVOIZE, Antoine : 200, 209
DIAZ, Juan : 664
DIAZ DE VIVAR (clan) : 651n
DIAZ DE VIVAR, Justo : 176, 650
DICKSON, George Frederick : 724n
DIDEROT, Denis : 421
DOBRIZHOFFER, Martin : 427, 443
DOMBEY, Joseph : 420n, 424n, 428, 429, 432, 437, 818
DORREGO, Manuel : 60, 144n, 501n, 510, 515, 695, 700
DOUVILLE, Jean-Baptiste : 471, 637
DUARTE, Antonio : 516n
DUBOIS : 152
DUFOUR, Dominique : voir PRADT
DUFRESNE, Louis : 363, 397
DUMERIL, Andr Marie Constant : 539, 561, 669, 669n, 753
DUMONT DURVILLE, Jules : 700, 717
DUMONT DE COURSET, Georges Louis Marie : 335-336, 353, 372, 374, 414
888

DUPONT DE NEMOURS, Pierre Samuel : 390


DUPOTET, Jean Henri Joseph : 146, 146n, 147, 147n, 155, 162, 163, 719
DUPRE, Louis : 196
DUPUYTREN, Guillaume : 752, 753
DURAN, Napolon : 267
DURAND, Jean-Charles : 81
DUVAL : 100
ECHAGE, Pedro : 112n, 141, 141n, 142, 143, 143n, 145, 146, 149, 149n, 151, 152, 165,
167, 174, 174n, 175, 180, 613, 614, 614n, 671
ECHEVERRIA, Atanasio : 433
EGAA, Mariano : 450
ENDLICHER, Stephan Ladislaus : 764, 799
ENTRECASTAUX, Jean-Antoine BRUNY d : 392, 411n
ESCALADA, Antonio Jos : 56, 57, 57n
ESCALADA, Manuel : 57, 57n
ESCALADA, Mara Eugenia : 57, 57n
ESCALADA, Mariano : 57, 57n
ESCALADA, Remedios : 56, 57, 57n
ESCALONA AGERO, Gaspar de : 618
ESPINAY (colonel d) : 374
ESQUIVEL, Francisco Bernab : 112n, 512, 512n, 522, 522n
ESQUIVEL, Len : 68
EYRIES (frres) : 719
EYRIES, Alexandre : 709, 739, 740
FABRE, Antoine : 479
FACUNDA (doa) : 677
FEIJOO, Benito Jernimo : 430
FERDINAND VII : 358n
FERNANDEZ (famille de San Roque) : 112, 112n
FERNANDEZ, Juan Antonio : 479, 692, 706, 707
FERNANDEZ, Juan Gregorio : 663n
FERNANDEZ, Manuel : 130n
FERNANDEZ BLANCO, Juan J. : 71
FERRARIS, Carlos : 608, 608n, 609, 692n, 696, 697, 698, 699, 699n, 700, 707, 707n,
708, 710n, 719, 758, 814
FERRE (famille) : 607, 716
FERRE, Manuel : 234, 648n
FERRE, Pedro : 82n, 83n, 91n, 107, 108, 108n, 109, 111, 113, 114, 115, 115n, 116, 116n,
117, 125, 126, 127n, 129n, 134, 140, 140n, 143, 143n, 144, 145, 146, 148, 148n, 149,
149n, 150n, 151, 152, 153n, 158, 158n, 159, 159n, 160, 161, 161n, 163, 164, 164n, 165,
165n, 166, 167, 167n, 168, 168, 170, 170n, 172, 174, 175, 176, 177n, 178, 179, 179n,
180, 183, 183n, 184, 185, 186, 187, 188n, 192, 193, 197, 198, 200, 210n, 214, 224, 233,
238, 238n, 268, 269n, 285, 288, 296, 511, 512n, 543n, 544, 548, 603, 611, 612, 614n,
617, 671, 671n, 681, 704, 704n, 716, 825n
FERRE, Vicente : 170n
FERREIRA, Antonio Jos : 118n
FERREIRA DE OLIVEIRA, Pedro : 563, 787
FEUILLEE, Louis : 336n, 424n
FONSECA (famille) : 111
FONSECA, Tiburcio de : 272n, 674, 678, 680
FONTAINE, Pierre Franois Lonard : 408
FONTENEAU, Joseph : 773n, 783, 784, 790, 791, 796, 803, 804, 805, 811
FOREST, Charles-Adel de La : 85, 89, 742
FORONDA, Valentn de : 57n
FORSTER, Georg : 637
889

FOURIER, Charles : 265


FOURNIER, Franois : 773n, 783, 784, 790, 791, 796, 803, 804, 805, 811
FOX, Henry Stephen : 728
FRANCASTEL, Adrien : 355, 355n, 371, 399, 400, 407, 408
FRANCIA, Jos Gaspar RODRIGUEZ de : 57, 57n, 63, 63n, 64, 65n, 69, 72, 72n, 73,
73n, 74, 74n, 77, 99, 115, 150, 195, 236, 283, 285, 473n, 497, 505, 506, 506n, 515, 516,
516n, 520, 525, 533, 545, 557, 605, 628, 631, 643, 663, 677, 732, 744, 745, 746, 748
FREDERIC-GUILLAUME III : 466
FREYCINET, Louis Claude de : 81, 315, 471, 733
FRAGUEIRO, Mariano : 776
FRANCO, Vicente Antonio : 636
FUNES, Gregorio : 57n, 704
FUENTES (docteur) : 727
FUSEE-AUBLET, Jean-Baptiste : 336n, 427n, 717
GAENZA, Mariano : 501
GALAN, Eusebio : 127n, 603n
GALARRAGA (famille) : 176
GALLES, Edmond : 472
GALLOCHEAU, Olive : 793
GALUP, Manuel Jos : 60, 505n, 756, 756n
GAMA, Vasco de : 421n
GAMBLIN, Eugne : 718
GARAFOT, N. : 479
GARCIA (prtre Paysand) : 665
GARCIA, Felipe : 535
GARCIA, Luisa : 667
GARCIA, Pedro Andrs : 457, 458n, 700
GARCIA, Solano : 127
GARCIA DE COSSIO, Juan : 511, 511n
GARCIA DE COSSIO, Simn : 511n
GARCIA DE TAGLE, Gregorio : voir TAGLE
GARCIA FERNANDEZ, Miguel : 775
GARCIA Y VALDEZ, Justo : 451, 678
GARRAT, Salvat : 89n
GARRIDO (famille) : 176
GARRIGA, Jos : 330
GARZON, Eugenio : 105, 286n
GAUDICHAUD-BEAUPRE, Charles : 315, 316n, 318, 322, 733
GAUTHEREAU : 499
GAY, Jean-Pierre : 189, 189n, 204, 245, 247, 793, 795, 811, 816, 817
GAY, Victor : 189n
GAY-LUSSAC, Louis-Joseph : 344, 346, 346n, 364, 749
GEINITZ, Hanns Bruno : 570
GELLY, Juan Andrs : 57, 57n, 182, 183, 205, 214n, 215, 250, 487, 610n
GEOFFROY DE SAINT-HILAIRE, Etienne : 623, 755
GERANDO, Joseph-Marie de : 426
GERARD : 481
GERARD, Etienne Maurice : 476n
GERVAIS, Paul : 575n
GODIN, Louis : 437
GOITIA, Manuel RODRIGUEZ : 612, 612n
GOMEZ (capitaine) : 513
GOMEZ (lieutenant) : 125
GOMEZ, Valentn : 55, 55n
GONALVES DA SILVA, Bento : 170
890

GONZALEZ, Abrahm : 504n


GONZALEZ DE LAS CONCHAS : 127n
GORE, Robert : 259, 769, 770
GOROSTIAGA, Jos Benjamn : 783
GOUJAUD-BONPLAND, Michel-Simon : 38, 466, 792
GRAMAJO (clan) : 111
GRAMAJO, Juan Felipe : 119, 126, 675
GRANDSIRE, Richard : 49n, 50, 50n, 55, 73, 82, 93, 94, 95, 95n, 505, 642n, 818
GRASSE : 97n
GRIGERA, Toms Jos : 485, 485n, 486, 489, 715, 721, 722
GROUSSAC, Paul : 827
GROWLAND, Daniel : 248
GUACURARI, Andrs : 65n, 66
GUERRICO, Manuel Jos de : 775, 775n
GUILLERME (ngociant anglais) : 214
GUIDO, Toms : 267n
GUIZOT, Franois : 161, 476n, 644
GLICH, Friedrich von : 259
GUTIERREZ, Juan Mara : 708
HABSBOURG, Jean de : 351n
HAENKE, Thaddeus : 446, 446n, 478, 492, 531, 531n, 687, 758
HAHNEMANN, Samuel : 665, 665n, 666
HALLET (imprimeur) : 712n, 713
HAMY, Thodore Jules Ernest : 14-15, 17, 21, 28, 813, 818, 830, 833
HARRATT, John : 129n
HARRIS : 736
HASLEY, Thomas : 652n
HEAD, Francis Bond : 664
HEINDRE : 353, 370, 380
HEREDIA, Felipe : 504n
HERNANDEZ, Francisco : 336n
HERRERA, Alejandro : 703, 705
HERVAUD : 516, 516n
HOKER, Frederick : 603n
HOKER, Henry : 127n
HOLMBERG, Eduard Ladislas KAUNITZ de : 15, 715
HOLMBERG, Eduardo Ladislao de : 15
HOOKER, Joseph Dalton : 720
HOOKER, William Jackson : 24, 732, 738, 738n, 739, 741, 768, 769
HOUTOU DE LA BILLARDIERE, Jacques : voir LABILLARDIERE
HOWATSON, Alexandre : 411
HUERGO (famille) : 228
HUMBOLDT, Alexandre de : 11-12, 13, 14, 15, 23, 23n, 38, 40, 41, 45, 45n, 46n, 48,
48n, 49n, 76, 112n, 217, 281, 281n, 287, 288, 289, 290, 311, 325, 328, 329, 330-331,
331n, 332, 332n, 333-335, 336, 336n, 340, 342, 344, 345, 346, 347, 349, 355, 360, 364,
364n, 365, 366, 368, 386, 387, 389, 391, 393, 409, 415, 417, 419, 420, 421, 421n, 424,
424n, 426, 426n, 427, 428, 429, 429n, 430, 431, 432, 433, 434, 436, 439, 441, 456, 457,
463, 465, 466, 466n, 467, 468, 469, 470, 470n, 471, 471n, 472, 474, 475, 476, 491, 520n,
531, 534, 540, 549, 564, 566, 596, 597, 599, 608, 645, 659n, 683, 702, 704, 706, 713,
724, 724n, 725, 729, 731, 731n, 732, 735, 736, 740, 741, 742, 747, 752n, 754, 762, 763,
771, 791, 799, 811, 812, 814, 815, 816, 817, 818, 827, 828, 830
HUMBOLDT, Guillaume de : 11n, 325
HYDE DE NEUVILLE, Jean-Guillaume : 48
IDATTE (concierge Malmaison) : 385n
INGRES, Joseph : 98n, 99, 100n, 118n, 128, 143n, 145, 182n, 605n, 614n, 643, 643n
891

IGARZABAL, Pedro : 170n,


ISABELLE, Arsne : 100, 462, 535, 549n, 551, 557, 558, 565, 565n, 705, 706, 707, 708,
718, 718n, 726, 736, 812
ISASI, Jos Toms : 63n, 515, 516, 516n,
JACQUIN, Nikolaus : 24, 345n, 348n, 351, 351n, 352, 352n
JOO VI : 481
JOBIM Jos Martins da CRUZ: 204, 769, 786
JUAN, Jorge : 419, 425
JUNG, Georges : 52, 53
JUSSIEU, Adrien de : 316, 540, 724, 753
JUSSIEU, Antoine de : 338
JUSSIEU, Antoine-Laurent de : 338, 339, 340, 341, 342, 345, 424, 485
JUSSIEU, Bernard de : 315n, 338, 343, 343n
JUSSIEU, Joseph de : 338, 437
KASTEN, Karl Wilhelm : 245, 562, 563, 787, 787n, 795
KAUNITZ DE HOLMBERG, Eduard Ladislas : voir HOLMBERG
KENNEDY, John Lewis : 353, 353n
KLAPROTH, Martin Heinrich : 329, 345n
KLEUDGEN, Peter : 624n
KUNTH, Karl Sigismund : 333, 333n, 347, 368
LA CONDAMINE, Charles Marie de : 419, 424n, 428, 429n, 431, 472, 811, 818
LA ROQUETTE, Alexandre de : 565n
LAS HERAS, Juan Gregorio : 694
LABILLARDIERE, Jacques HOUTOU de : 316n, 318, 318n, 342, 724
LACEPEDE, Etienne de : 396, 406
LACORDAIRE, Jean Thodore : 94
LACOSTE (botaniste Clermont-Ferrand) : 348
LACOUR, Jean : 82n, 534, 576
LACOUR GOUFFE : 388n
LAFERRIERE, J. A. : 264
LAFONE, Samuel Fisher : 101, 265
LAGASCA, Mariano : 348, 356, 357, 357n, 358, 358n
LAGOS, Lino : 190, 190n
LAGRAA (famille) : 511, 607, 650, 651n, 680
LAGRAA, Ciprin de : 511n
LAGRESSE, Jean : 52, 53, 54, 81
LAIR, Pierre-Aim : 413n
LALANDE DE CALAN, Hyacinthe Marie : 157, 158
LAMADRID, Gregorio ARAOZ de : 153, 153n
LAMARCK, Jean-Baptiste : 317n, 339, 341, 342, 360, 451, 576, 831
LAMAS, Andr : 542n
LAPEROUSE, Jean-Franois de : 318n, 411n, 422, 684, 685
LAPIE, Pierre : 323
LAPLACE, Pierre-Simon de : 315, 315n, 346
LARDAPIDE, frres : 100
LAROUSSE, Pierre : 26
LARRAAGA, Dmasio Antonio : 24, 442, 442n, 444, 448, 449, 450, 451, 462, 479,
480, 481, 482, 483, 483n, 484, 485, 490, 490n, 491, 492, 493, 496, 498, 499, 515, 516,
683, 723, 814
LARRE, Martin : 89n
LARREA, Juan : 458, 458n
LASSERRE : 100
LASTEYRIE, Charles de : 413n
LATORRE (famille) : 176

892

LAVALLE, Juan : 61n, 115n, 123, 124, 141n, 144, 144n-145n, 146, 147, 147n, 148, 149,
149n, 151, 152, 152n, 153, 153n, 155, 157, 158n, 159, 160, 160n, 161, 163, 166, 167,
173, 176, 178n, 181n, 197, 233, 238, 284, 825n
LAVALLEJA, Juan Antonio : 71n, 92n, 105, 105n-106n, 115n, 118n
LAVIE, Pierre : 89n
LE LIEUR VILLE-SUR ARCE, Jean Baptiste Louis : 366, 375
LE MOYNE (colonel) : 50, 52, 53, 55
LEBLANC, Louis Franois Jean : 90, 155
LEBLOND, Jean-Baptiste : 394, 395n
LEBRETON, Joachim : 54, 54n, 93, 468, 685, 689
LECAMUS, Jean : 369
LEDESMA (famille) : 663, 680
LEDESMA, Florentina : 663
LEDESMA, Gregorio : 143n
LEDESMA, Henrique : 663
LEDESMA, Jos : 663
LEDESMA, Leonarda : 663
LEDESMA, Manuel Antonio : 111n, 115n, 612, 674
LEDESMA, Santos : 663
LEDHUI, Ernest : 678
LEE, James : 353, 353n
LEFEBVRE DE BECOURT, Charles : 258, 260, 274n
LEGARD, Charles : 181
LEGRAND DE BOISLANDRY, Franois-Louis : 374n, 414
LEIVA, Manuel : 169
LELOIR, Antoine Franois : 52, 55, 80, 81
LELONG, John : 156, 267, 267n, 277, 784n
LEMONNIER, Louis-Guillaume : 319, 319n
LEOPOLDINA : 450
LEPREDOUR, Fortun Joseph Hyacinthe : 210, 210n, 211, 212, 215
LESCHENAULT DE LA TOUR, Jean-Baptiste : 316n, 320, 322
LEVERGER, Auguste : 570
LEVI-STRAUSS, Claude : 431
LHUILLIER (employ Malmaison) : 385n
LIMA E SILVA, Joo Manuel de : 118n, 123, 123n, 126, 284, 284n
LIAUTAUD, D. : 209, 536, 762, 769, 811, 816
LINDLEY, John : 543n
LINIERS, Henri Louis : 509
LINIERS, Jacques de : 65-66, 67, 79, 79n, 508, 508n, 509, 509n, 522, 679
LINNE, Carl von : 338, 360, 451, 452n, 734
LIOTARD : 97
LLAVE, Pablo de la : 356, 356n, 358, 358n
LONGCHAMPS, Marcel : 520
LOPEZ (matre de poste) : 130
LOPEZ, Bernab : 274
LOPEZ, Bernardino : 443
LOPEZ, Carlos Antonio : 205, 205n, 214, 253, 262n, 630n, 663, 810
LOPEZ, chico : 111n
LOPEZ, Estanislao : 60n, 69, 170, 501n, 523
LOPEZ, Francisco : 647
LOPEZ, Venancio : 252n
LOPEZ, Vicente Fidel : 229, 229n, 230, 232n, 237, 240, 241, 242, 243, 249, 250, 251,
252, 266, 788
LOPEZ JORDAN, Ricardo : 61n, 71, 71n, 511, 512, 513, 522, 523
LOPEZ Y PLANES, Vicente : 479, 479n
893

LORENTZ, Bernard : 717


LOUDON, John : 373
LOUIS XIV : 343n
LOUIS XV : 319n
LOUIS XVI : 319n, 433n
LOUIS XVIII : 82, 323, 325
LOUIS-PHILIPPE : 53, 256, 264
LOUVEIRO, Yuca : 123
LUCA, Esteban de : 54, 54n, 452, 510
LUCHI, L. de : 184n
LUNA (colonel) : 527n
LUND, Peter Wilhelm : 565n
MAC DOUGALL, Duncan : 643
MACHADO DE OLIVEIRA, Antonio Jos : 169, 479
MACIEL : 125, 125n
MACKAU, Ange Ren Armand de : 146n, 151, 151n, 158n, 159, 160, 161n, 162, 188,
211, 736
MADARIAGA (clan) : 149n, 174, 174n, 176, 177, 177n, 178, 179, 179n, 186, 187, 188,
188n, 197, 207, 232, 232n, 671
MADARIAGA, Joaqun : 111n, 177, 177n, 178, 179, 179n, 186, 193, 199n, 207n, 671,
671n, 672, 673
MADARIAGA, Juan : 178, 178n, 190, 193
MADARIAGA, Pedro : 177
MADERA, Juan : 479
MAESO, Justo : 277, 767
MAGENDIE, Franois : 670
MALASPINA, Alessandro : 422, 427, 428, 430, 432, 433, 446
MALOUET, Pierre-Victor : 324, 324n, 325, 326
MANDEVILLE, Henry : 155, 164n
MANDIA : 527n
MANSILLA, Lucio Norberto : 61, 61n, 68, 510, 510n
MANTECAZZA, Pablo : 809
MANTILLA (famille) : 511
MANTILLA, Diego : 511n
MANTILLA, Manuel : 511n
MANTILLA, Serapio : 109n, 111, 111n, 118n
MARBAIS DU GRATY, Alfred : 277, 277n, 572, 767, 774, 778, 780, 783, 783n, 814
MARCEAUX, Louis : 224n, 247, 799
MARGAT, Pierre : 715
MARIA CAMUSSO, Jos de : 57
MARMIER, Xavier : 216
MARQUES (famille) : 133
MARQUET, Camille : 793
MARTIN, Joseph : 323, 325, 325
MARTIN DE MOUSSY, J. A. Victor : 521, 558, 571, 572, 732, 744, 745, 758, 764, 765,
766, 774, 808, 809, 813, 816
MARTIN-MAILLEFER, Daniel Pierre : 258, 830
MARTINEZ DA SILVA, Luis Manuel : 670
MARTIUS, Carl Friedrich Philip von : 471, 529n, 561, 621, 665
MATHIEU, Louis : 228n
MATOS, Jos Mariano de : 144, 167
MAUPERETUIS, Pierre Louis MOREAU de : 437
MAZADE, Charles de : 26
MEABE, Francisco : 91n, 156, 606
MEDINA, Ambrosio : 68
894

MENDEVILLE, Jean-Baptiste Washington de : 84, 85, 91, 91n, 538, 631, 750
MENDEZ, Juan Bautista : 67, 94, 511
MENDEZ, Santiago : 170n
MENDOZA (sergent-major) : 118n
MERCHER, Marc : 52, 53
MEYER, Joachim : 83, 90, 93n, 508, 513, 652
MICHAUX, Andr : 316n, 320
MICHAUX, Franois-Andr : 316n, 320, 320n, 321, 322, 336n
MIERS, John : 620n
MIKAN, Johann Sebastian : 471
MILHAS : 86
MILIUS, Pierre-Bernard : 717
MIRANDA, Francisco de : 434, 450n
MIRBECK, Ama de : 196, 197, 606n
MIRBECK, Apollon de : 100, 189, 196, 197, 199, 200, 615n, 630n, 675, 679
MIRBEL, Charles-Franois BRISSEAU de : 24, 316, 317, 344, 352, 361, 362, 363, 365,
366, 367, 371, 374n, 375, 388, 396, 397, 407, 408, 410, 415, 476, 477, 520, 539, 540,
544, 619, 623, 725, 728, 729, 736, 740, 745, 746, 747, 750, 751, 751n, 752, 752n, 753,
769, 770, 771
MITRE, Bartolom : 776
MOCIO, Jos Mariano : 433
MOLINA, Jos Agustn : 504n
MOLINA, Juan : 479
MOLINA, Luis : 234
MONGE, Gaspard : 399
MONTAGNE, Camille : 733
MONTALIVET, Jean-Pierre de : 403, 404
MONTAA, Julin : 122n
MONTENEGRO, Pedro : 617, 617n
MONTERO, Vicente : 232n
MONTESQUIEU, Charles de : 642
MONTLIVAULT, Camille de : 376, 380, 381, 382, 383, 384-385, 397, 404, 404n
MONTUFAR, Carlos : 434, 463, 463n
MONTUFAR, Cristbal Martn de : 479, 692
MONTUFAR, Juan : 479
MOPOX (comte de) : 438
MORA, Jos Joaqun : 698n
MORDANT DE LAUNAY, Jean Claude Michel : 390n
MOREL, Jean-Marie : 408
MOREL DE VINDE, Charles-Gilbert vicomte de : 401
MORENO, Manuel : 687, 695, 696, 697
MORENO, Mariano : 459n
MORENO, Pedro : 115n
MOSSOTTI, Octavio Fabricio : 463n, 694, 694n, 697, 701, 708, 758, 814
MOUCHEZ (capitaine) : 249
MOUJILOS CENTURION, Julin : 515
MUIZ, Francisco Javier : 30, 30n, 453, 515, 527, 559, 559n, 564, 565n, 566, 572, 687,
692n, 713, 714n, 719, 720, 727, 758, 772, 775, 776, 814
MUOZ Bartolom : 57, 443, 443n, 444, 446, 479, 483n, 496, 543, 687, 696, 698
MURAT, Joachim : 14n, 509n
MURDAUGH, William Henry : 812
MURE, Benot-Jules : 665, 665n
MURGUIONDO (famille) : 58, 510
MURGUIONDO, Prudencio : 510, 510n
MUTIS, Jos Celestino : 418, 421n, 434, 454, 811, 817, 818
895

NAPOLEON Ier : voir BONAPARTE, Napolon


NAPOLEON III : voir BONAPARTE, Louis-Napolon
NASCINBENE, Louis : 101, 127n, 654
NASCINBENE, Pierre : 112, 117n, 127n
NAVARRO, Antonio : 127n, 141n
NAVIN, Louis Jacques : 396
NECTOUX, Hippolyte : 316n, 320, 320n, 364
NEE, Luis : 442
NELO, Philiberto de : 125
NETO, Antonio de SOUZA : 118n
NEWTON, Isaac : 315n
NIVEN, James David : 353
NOGUERA, Bartolom : 110, 111n, 118n, 131, 176, 200, 215, 262
NOISETTE, Louis Claude : 388n
NORMANN, Philip von : 562, 787, 788, 809
NOUEL, Edouard : 100, 718
NUEZ, Ignacio : 767
OGORMAN, Miguel : 478
OHIGGINS, Bernardo : 450, 450n
OLAZABAL (famille) : 612n
OLAZABAL, Manuel de : 118n
OLIVEIRA (colonel) : 169
OLIVEIRA NERY, Felipe de : 247
ORBIGNY, Alcide d : 41, 53n, 73, 91n, 93, 94, 97, 105, 129, 130, 132, 133, 291, 461,
461n, 470n, 471, 472, 474n, 475, 475n, 480, 496, 500, 501, 504, 509, 511, 515, 519, 521,
526, 538, 539, 539n, 540, 541, 541n, 542, 542n, 543n, 550, 558n, 559, 560n, 564, 564n,
565, 565n, 567, 568, 570, 571, 572, 574, 575, 575n, 576, 577, 578, 580n, 594, 609, 621,
638, 642n, 664, 677, 698, 699, 699n, 700, 705, 706, 706n, 712, 714, 726, 727, 731, 731n,
733, 735, 741, 746, 748, 749, 750, 755, 798n, 805, 814, 816, 818
ORIBE, Manuel : 92n, 112n, 117n, 125n, 139, 151, 171, 181, 181n, 190, 191, 199, 200n,
210n, 214, 216n, 536, 606
ORIQUE, Jos Victoriano : 126
ORLEANS, Louis-Philippe (duc d) : voir LOUIS-PHILIPPE
ORNANO (baron d) : 258n, 260, 263
ORTELLADO, Norberto : 72, 73
ORTIZ : 117n
OSMOND, Ren Eustache marquis d : 53
OSORIO, Manuel Lus : 245, 247
OTTO, Louis-Guillaume : 354, 354n,
OUSELEY, William Gore : 738
OVERBECK, Gustave : 246n
PAGE, Thogne : 182
PAGE, Thomas J. : 249, 644n, 774, 812
PAIBA (ngociant brsilien) : 675
PAILLOT (madame) : 679
PALISOT DE BEAUVOIS, Ambroise : 316, 316n, 317, 318, 343
PALMER, Juan : 612n
PALLAS, Peter Simon : 558
PALMERSTON (Lord) : 631
PAMPIN, Fermn Felix : 170n
PARCHAPPE, Narcisse : 82, 82n, 83n, 93, 96, 106, 269n, 481, 510, 559, 560n, 608, 638,
652, 700, 705, 826n, 832
PAREDES : 118n
PARISH, Woodbine : 277, 277n, 473, 566, 571, 572, 607, 718, 718n, 728, 744, 767
PARODI, Domingo : 250, 810
896

PARRAS, Bonifacio : 513


PAULA RIVERO, Francisco de : 692, 692n, 706
PAUW, Cornelius de : 422, 441
PAVON, Jos : 24, 336n, 356, 359, 432, 438
PAZ, Jos Mara : 149, 149n, 150, 150n, 151, 152, 152n, 158n, 159, 162, 163, 164, 164n,
165, 165n, 166, 167, 167n, 168, 169, 170, 173, 175n, 176, 177n, 179, 183, 183n, 190,
190n, 197, 233, 239, 267n, 284, 284n
PENAUD, Charles : 159, 160n
PEA, Luis de : 268, 268n, 549
PERALTA, Jos Nicols de : 358
PERCIER, Charles : 408
PEREIRA, Antonio : 254
PEREZ, Juan : 636n
PEREZ, Juan N. : 663n
PEREZ, Juan Mara : 101
PEREZ CASTELLANO, Jos Manuel : 490
PERICHON (famille) : 111, 127, 195, 226, 607, 681
PERICHON, Esteban Mara : 111, 482, 509, 510, 511, 649n
PERICHON, Jean-Baptiste : 509
PERICHON, Pastora : 111
PERNETTY, Antoine Joseph : 446
PERON, Franois : 24, 363, 371, 372, 437
PERSOON, Christiaan Hendrick : 345
PESCE, Alejandro : 786
PETIT-THOUARS, Louis Marie AUBERT du : 316n, 317, 318, 320
PETITJEAN, Alphonse : 652
PIAZZI, Giuseppe : 345n
PICARD (capitaine) : 249
PIEDRABUENA, Luis : 774
PIERLOT, Louis : 370, 376, 379, 380, 380n, 382, 383n
PIMENTA BUENO, Jos Antnio : 190, 195, 201, 206, 206n, 214, 215, 276n, 571n, 603,
787
PINO, Simn del : 652n
PIRIS, Gregorio : 68
PLUMIER, Charles : 336n
POINSETT, Joel Robert : 746
POIRET, Jean Louis Marie : 317, 317n, 320
POIRSON, Jean-Baptiste : 323
POITEAU, Pierre Antoine : 316n, 319, 320, 321, 322, 327, 341
POMATELLI, F. : 204, 204n, 214, 216, 610
PONS, Jourdan : 89n
POICIANO : 615n
PORTAL, Pierre Barthlmy : 93
POSADAS, Gervasio : 66
POSTLETHWAIT : 94
POYFERE de CERE Jean-Marie : 400n, 401
PRADT, Dominique DUFOUR, abb de : 49n, 128, 128n
PUCHETA (famille) : 623
PUCHETA, Juan B. : 113n, 612
PUCHETA, Serapio : 112, 113
PUEYRREDON, Juan Martn de : 46n, 48, 48n, 49, 49n, 50, 52, 54, 55, 56, 59n, 79, 79n,
81, 95, 106, 452, 457, 467, 473, 479n, 487, 499n, 505, 510n, 650, 685, 690, 820
PUJOL, Juan : 39, 174n, 188n, 207, 207n, 223, 224, 224n, 225, 227, 228, 228n, 229, 230,
230n, 231, 233, 234, 235, 236, 237, 239, 240, 241, 242, 246, 247, 248, 249, 251, 253n,
261, 265, 266, 267, 267n, 268, 268n, 269, 270n, 271, 272, 273, 274, 274n, 276n, 277,
897

286, 296, 562, 624, 763, 764, 776, 780, 781, 781n, 782, 784, 785, 788, 789, 790, 791,
793, 794n, 795, 796, 798, 801, 802, 804
PYRAM : 562n
RAFFENEAU-DELILE, Alyre : voir DELILE
RAFFLES, Thomas Stanford : 734
RAFN, Carl Christian : 565n
RAMALLO (colonel) : 150n, 606n
RAMIREZ (famille) : 612n
RAMIREZ (colonel) : 111n
RAMIREZ, Antonio : 155
RAMIREZ, Francisco : 60, 60n, 61, 61n, 62, 63, 68, 69, 70, 70n, 71, 71n, 73, 74, 74n,
149, 233, 282, 502, 506, 506n, 510, 510n, 511, 512, 513, 514, 522, 524, 525
RAYNAL, Guillaume-Thomas : 421, 421n, 422, 424, 521, 642
RAZAC (frres) : 508
RAZAC : 93, 505n, 621
REAUMUR, Ren-Antoine de : 315n
REAUX (oiseleur Malmaison) : 396
RECALDE, Isodoro : 663
REDOUTE, Pierre-Joseph : 409, 409n
REGALADO, Pedro : 117n
REGUERAL (famille) : 176
RENAN, Ernest : 26
RENGGER, Johan Rudolf : 520, 572n, 628, 631, 645n
REPOSO, Jos Joaquin : 670
REPTON, Humphrey : 373
REYES, Jos Mara de los : 700
RIBEIRO, Bento Manuel : 115n, 118n, 123, 159, 166n,
RIBEIRO DOS GUIMARAENS PEIXOTO, Domingos : 484n
RICHARD, Achille : 539, 540, 752, 753
RICHARD, Antoine : 343n
RICHARD, Claude : 343n
RICHARD, Louis : 343n
RICHARD, Louis-Claude Marie : 316n, 317, 318, 318n, 341, 343, 424
RICHELIEU, Armand du PLESSIS, duc de : 48, 49
RILLY (ngociant italien) : 562, 562n
RIOS, Faustino : 113
RITTER, Carl : 421n
RIVADAVIA, Bernardino : 24, 41, 41n, 46, 46n, 48n, 54n, 55, 55n, 60, 61, 69, 70n, 280,
446, 447, 447n, 449, 454, 454n, 463n, 467, 597, 608n, 610n, 626, 627, 688, 690, 693,
694, 694n, 695, 696, 698, 699n, 700, 705, 706, 706n, 780, 820, 827
RIVERA, Fructuoso : 24, 86n, 92, 92n, 106n, 108, 112n, 115n, 116, 117, 117n, 118n,
123, 125, 125n, 126, 127, 139, 141, 145, 146, 147, 148, 149, 151, 152, 155, 157, 160,
161, 163, 164, 164n, 165, 165n, 166, 166n, 167, 168, 168n, 169, 169n, 170, 171, 177n,
178, 181n, 184, 191, 199n, 200, 200n, 239, 240, 252, 253, 254, 284, 825n
RIVERO, Matas : 479
ROA, Vicente : 195
ROBERT, Charles : 52, 52n, 53, 54, 81, 83, 685
ROBERT, Nicolas : 365, 482, 739, 741
ROBERTSON, John et William Parish : 94, 132, 465, 511, 517, 523n, 664
ROBERTSON, William : 424n
ROBESPIERRE, Maximilien de : 64, 282
ROBILLARD : 98n
RODRIGUEZ (de San Roque) : 112
RODRIGUEZ, Martn : 60, 69
RODRIGUEZ DE FRANCIA, Jos Gaspar : voir FRANCIA
898

RODRIGUEZ DEL FRESNO, Pedro : 158n


ROEDER, Pierre Louis : 389n
ROGER, Aim : 85, 88, 89, 101, 135, 632, 652
ROGUIN Dominique : 55, 64, 83, 85, 90, 93, 94, 97, 98, 99, 101, 156, 191, 209, 227,
251n, 252, 254, 258, 508, 511, 513, 514n, 521, 621, 652, 705, 746, 831
ROLON (famille) : 612n, 648, 650, 651n, 678
ROLON (de San Roque) : 112
ROLON, Manuel Vicente : 674
RMER, Johann Jakob : 348
ROMERO (de San Roque) : 112
ROMERO, Jos Antonio : 143
ROMERO, Juan de Dios : 513
RONDEAU Jos : 55, 55n, 56, 56n, 57, 58, 58n, 61n, 106, 499, 504n, 507, 532, 532n
ROSAS, Juan Manuel de : 14n, 19n, 27n, 30n, 55n, 57n, 61n, 88, 89, 92, 92n, 105, 106,
107, 108, 112n, 114, 116, 118n, 129n, 138, 139, 140, 141, 141n, 142, 145, 145n, 146,
150, 151, 151n, 152, 152n, 153, 153n, 155, 157, 159, 159n, 160, 163, 164, 164n, 167,
174n, 178n, 179, 181n, 183, 186, 190, 190n, 191, 197, 199, 200, 205, 210, 212, 214, 215,
216, 216n, 230, 231, 232, 233, 237, 238, 239, 241, 242, 244, 245, 253, 257, 261, 280,
282, 283, 284, 285, 286, 286n, 288, 493n, 502n, 565n, 608n, 610n, 613, 659, 671n, 709,
713, 719, 727, 727n, 745, 758, 765, 766, 774, 775, 780, 785, 785n, 825n, 827
ROSENSCHLD, Munck af : 250, 810
ROULIN, Franois-Dsir : 454n
ROUVROY (baron de) : 369
ROUSSEAU, Jean-Jacques : 64, 360n, 420n
ROXAS : 170n
ROXAS Y PATRON, Jos Mara : 270n
ROY, Jean-Baptiste : 806, 812
RUIZ, Hiplito : 336n, 432, 437
RUIZ DE MONTOYA, Antonio : 618
SAAVEDRA, Santiago : 648n
SABATIER : 267
SACK, Alexander Paul : 694, 695
SACRISTE : 100, 572
SAENZ, Antonio : 452, 452n, 692, 706
SAENZ DE CAVIA, Gregorio : 675
SAENZ DE CAVIA, Pedro : 480
SAGASTUME, Joaqun : 511
SAGUIER, Pierre : 95
SAINT-HILAIRE, Auguste de : 40, 93, 132, 133, 316n, 318, 322, 345, 346, 443, 448,
451, 462, 471, 472, 474n, 475, 476, 483, 484, 484n, 485, 495, 495n, 496, 498, 499, 499n,
515, 519, 520, 520n, 528-529, 529n, 530, 540, 542, 543n, 552, 559, 560n, 581, 594, 600,
608, 609, 619, 621, 641, 679, 724, 731, 733, 734, 741, 750, 814, 817, 818
SAINT-SIMON, Claude Henri ROUVROY de : 265
SALAZAR (capataz) : 498n
SALINAS, Ventura : 127, 674, 678, 680
SAN MARTIN, Jos de : 24, 50, 54, 54n, 56-57, 58, 61n, 283, 457
SANCHEZ, Antonio : 676
SANCHEZ DE MENDEVILLE, Mara : voir SANCHEZ DE THOMPSON
SANCHEZ DE THOMPSON, Mara : 58, 85, 719n
SANCHEZ LABRADOR, Jos : 443, 617
SANTOS MACIEL, Jos : 122n, 547, 666
SARMIENTO, Domingo Faustino : 26, 27n, 28, 198, 198n, 223, 229n, 234, 237, 243,
252, 289, 641, 704, 713, 768, 777
SARRATEA, Manuel de : 60, 60n, 61, 449, 462, 626, 627, 709n, 711, 715, 716
SARRATEA, Mariano E. : 60n, 97
899

SASTRE, Marcos : 230


SAUCEROTTE DE RAUCOURT, Franoise Marie Antoinette : 369
SAUNOIS : 254
SAUSSURE, Horace Bndict de : 558
SAVIGNY, Marie Jules Csar : 723
SAY, Jean-Baptiste : 265
SCARPA, Antonio : 345n
SCHIMPER, Wilhelm Philip : 541n, 740
SCHLEIDEN (avocat) : 752n
SEGRAY : 354
SEGUIER, Jean-Franois : 424n
SEGUNDO DE AGERO, Julin : voir AGERO
SEGUROLA, Saturnino : 444, 479, 483n, 618
SEHKUHR (botaniste Wittemberg) : 350
SELLOW, Friedrich : 448, 448n, 474, 474n, 495, 519, 560n, 562, 621, 707, 727, 728n
SENEQUE : 424n
SENILLOSA, Felipe : 463, 463n, 499, 692
SEORAN, Esteban : 534
SERNY, B. : 99, 124, 126, 612n
SERRATO, Bernardo : 214n
SERRUS : 91
SHAARP : 481
SHERIDAN, Peter : 129, 129n, 183, 652, 652n
SIGAUD, Joseph-Franois-Xavier : 204, 665, 670, 741n, 786, 800, 811
SILVA (famille) : 607, 663
SILVA, Francisco Fortunato da : 246, 654, 654n, 662
SILVA, Juan : 663
SILVA, Manuel : 182, 534
SILVA, Mauricia : 663
SILVA, Porphyria : 663
SILVERO (famille) : 680
SILVERO, Juan : 286n
SILVERO, Julin : 201n, 216n, 677, 680
SILVY, Louis : 398
SITERNE (concierge de Bois-Prau) : 385n
SITI, Francisco Javier : 67, 502, 522
SLOANE, Hans : 336n
SMITH, Adam : 426, 627
SMITH, James : 333, 344, 346, 347, 352, 354
SOARES DA SILVA, Fortunato Boaventura : 118n, 123, 125, 125n
SOLEIL, Alejandro : 112n
SOLEIL, Remigio : 112n
SOMELLERA DE ESPINOSA (famille) : 510
SOMELLERA DE ESPINOSA, Candelaria : 58, 510
SOMELLERA DE ESPINOSA, Domingo : 510
SONNERAT, Pierre : 316n, 320
SORIA, Paul : 714, 744
SORILLA : 677
SOULANGE-BODIN, Etienne : 361, 361n,
SOULT, Jean-Franois : 390
SOULT, Nicolas Jean : 155
SOUTHERN, Henry : 210
SOUZA SOARES DE ANDREIA, Antonio Jos : 206, 206n, 269, 624n, 787
SPIX, Johann Baptist von : 471, 475, 561, 665
STEDMAN, John Gabriel : 423
900

SUAREZ, Francisco : 228


SUZADE (mdecin) : 377
SWARTZ, Olof Peter : 333, 345, 352, 669
SYMONDS, Henry : 112, 211, 610, 643, 647, 651, 653
TABOADA, Antonio : 774
TAGLE, Gregorio GARCIA de : 48, 48n, 489, 489n
TAQUABE : 579
TARTELIER (botaniste Dijon) : 348
TENORE, Michele : 547, 738, 738n, 739, 740, 741, 755
TESSIER, Alexandre Henri : 403
THEDY, Antoine : 100, 101, 189, 548n, 715
THENARD, Louis : 346, 346n, 602, 603, 749
THIBAUDAU, Antoine Claire : 365
THORNDIKE : 601, 601n, 710, 715
THOUIN, Andr : 24, 324, 324n, 325, 326, 327, 340, 348, 348n, 349, 357, 361, 364, 367,
367n, 372, 374, 393, 399, 406, 410, 411n, 413n, 414, 424n, 722
TIATE, Ana : 527n
TORNQUIST, Jorge : 101
TORRES, Santiago : 766, 775
TORRES CAICEDO, Jos Mara : 26
TOWNSEND, Joseph : 466n
TRELLES, Manuel Ricardo : 719, 767, 775, 775n, 776, 780
TUCKERMANN : 94
TURPIN, Pierre Jean Franois : 316n, 318, 321, 341
TUSSAC, Franois Richard de : 316n, 320, 336n
TWEEDIE, John : 769, 769n,
ULLOA, Antonio de : 419, 425, 428, 430, 433, 439
URDINARRAIN, Manuel Antonio : 190
URQUIZA, Justo Jos de : 24, 61n, 141n, 147n, 148n, 151, 168n, 174, 174n, 175n, 177n,
178n, 180, 190, 193, 196, 199, 215, 231, 232, 232n, 233, 239, 240, 240n, 241, 243, 244,
245, 247n, 250, 251, 253, 253n, 254, 254n, 259, 262, 265, 268, 268n, 274n, 277n, 283,
285, 285n, 566, 571n, 648n, 671, 672, 764, 766, 783, 788, 804
VAHL, Martin : 333
VAILLANT, Adolphe : 267
VAILLANT, Auguste-Nicolas : 155
VALDES, Gregorio : 146, 164n, 165n, 183, 188, 188n, 199, 200, 216, 223, 232, 232n,
253, 269n, 788, 792
VANDRY : 100
VARELA, Florencio : 157, 159, 198
VARGAS, Mathias Jos de : 653
VARRIOS (matre de poste) : 130
VASCONCELLOS DE ALMEIDA PEREIRA CABRAL, Frederico Augusto : 195, 195n196n, 205, 246, 562, 787, 787n, 810
VASQUEZ, Feliciano : 168
VAUDEMONT (princesse de) : 369
VAUQUELIN, Nicolas : 602
VAVASSEUR, Pierre : 576, 577
VELASCO, Bernardo de : 67
VELASQUES, Crespon : 117n
VELAZQUEZ (juge) : 663
VELLOZO (abb) : 443, 484
VENTENAT, Etienne-Pierre : 341, 343, 343n, 344, 360, 361, 366, 367, 367n, 371, 375,
407n
VIVILLA, Matheo : 548n
VILARDEBO, Teodoro M. : 118, 118n, 535, 536n, 559, 560, 565, 565n, 710, 714, 814
901

VILLAREAUX, Auguste : 268


VINS DE PEYSSAC, Charles Marie Joseph, marquis de : 85, 88
VIAL, Pablo : 214n
VIOLA, Domingo : 58, 510
VIRASORO (clan) : 174, 177, 180, 187, 188, 193, 194, 199, 207, 215, 216, 232, 239, 613,
613n, 671, 672, 789
VIRASORO, Benjamn : 174, 174n, 180, 191, 207, 207n, 208, 223, 240, 240n, 241
VIRASORO, Jos Antonio : 175, 175n, 188, 195, 214, 216, 216n, 224n, 654
VIRASORO, Miguel : 170n, 180, 207
VIVAR (Madame) : 112n
VIVAR, Antonio : 111n
VIVAR, Justo : 675
VIVAR, Pedro : 529
VOLNEY, Constantin Franois de : 426
VOLTA, Alessandro : 428
VOULQUIN, Philibert : 71, 93, 96, 97, 506, 508, 512n, 747
WATT, James : 345n
WATERTON, Charles : 729
WEDDELL, James : 700
WERNER, Abraham Gottlob : 345n, 558, 559
WILHAM (mdecin) : 610, 692n
WILKES, Charles : 717
WILLDENOW, Karl Ludwig : 331, 331n, 332, 332n, 333, 349
WISSNER DE MORGESTERN, Friedrich : 250, 810
XYMENES, Antonio : 527n
ZEA, Francisco Antonio : 356, 356n, 358, 434, 453, 454, 454n
ZEVALLOS, Diego de : 618
ZEYHIER, Johann Michael : 350
ZUVIRIA, Facundo : 562, 795

902

GLOSSAIRE

Afrancesado : Partisan/e de Napolon Ier pendant la guerre dIndpendance


espagnole.
Alberdista : Partisan/e de Juan Bautista Alberdi. Relatif/ve Juan Bautista
Alberdi.
Antirrosismo : Mouvement dopposition Juan Manuel de Rosas.
Antirrosista : Opposant/e Juan Manuel de Rosas.
Arroba : Unit de mesure valant environ 12 kilos ou 12 16 litres.
Artiguista : Partisan/e de Jos Gervasio Artigas. Relatif/ve Jos Gervasio
Artigas.
Azumbre : Unit de mesure pour les liquides quivalente un huitime darroba,
soit 2,016 litres.
Bonaerense : Habitant/e de Buenos Aires. Relatif/ve Buenos Aires.
Cabildo : Conseil municipal.
Capataz : Contrematre.
Caudillismo : Systme social et politique se dveloppant en Amrique latine au
cours du XIXe sicle. Bas sur Ce systme repose sur le charisme et linfluence
des caudillos, perus comme des individus capables dexercer le pouvoir sur la
communaut par des formes extralgales.
Caudillo : Dirigeant militaire, social et politique dans le monde hispanique.
Chacra : Petite exploitation agricole.
Compadre : Familier exerant un lien de protection mutuel.
Compadraje : Union de plusieurs personnes pour saider mutuellement.

Glossaire

Consulado : Junte ayant des fonctions juridiques dans le domaine conomique,


charge en outre du dveloppement de lagriculture, de llevage, de lindustrie et
du commerce.
Correntino/a : Habitant/e de Corrientes. Relatif/ve Corrientes.
Directoriales : Membres du Directoire.
Entrerriano/a : Habitant/e dEntre Ros. Relatif/ve Entre Ros.
Estancia : Ferme rurale destine lagriculture et plus spcifiquement llevage.
Estanciero : Propritaire dune estancia.
Farrapos : Rvolutionnaires rpublicains brsiliens du Rio Grande do Sul.
Frasco : Flacon. Unit de mesure utilise au Brsil pour les liquides quivalente
2,13 litres.
Ilustracin : Mouvement des Lumires hispanique.
Ilustrado/a : Personne appartenant au mouvement de lIlustracin. Relatif/ve
lIlustracin.
Interior : Ensemble gographique comprenant les intendances de Crdoba, Salta,
Tucumn et Mendoza. Par extension, provinces rioplatenses du Noroeste et du
Nordeste.
Langosta : Sauterelle.
Lavallejista : Partisan/e de Juan Lavalle.
Libertadores : Ensemble des dirigeants militaires ayant permis lmancipation des
colonies espagnoles dAmrique.
Litoral : Rgion forme par la Msopotamie argentine, cest--dire les provinces
actuelles dEntre Ros, Corrientes et Misiones, laquelle sajoutent les provinces
de Chaco, Formosa et Santa Fe.
Litorales : Habitants/es du Litoral.
Misionero/a : Habitant/e des Missions. Relatif aux Missions.
Montevideana/o : Habitant/e de Montevideo. Relatif/ve Montevideo.
Mosto : Mot.
Nordeste ou Noreste : Rgion comprenant les provinces de Misiones, Corrientes,
Entre Ros, Chaco et Formosa.
904

Glossaire

Pen : Ouvrier agricole.


Picada : Chemin ouvert travers la fort.
Porteo/a : Habitant/e de Buenos Aires. Relatif/ve Buenos Aires.
Potrero : Terrain de pturages destin alimenter et conserver le cheptel.
Quinta : Jardin dextension variable ddi la culture de plantes vivrires ou
commerciales.
Riachuelo : Ruisseau.
Ro : Fleuve.
Riograndense : Habitant/e du Rio Grande do Sul. Relatif/ve au Rio Grande do Sul.
Rioplatense : Habitant/e du Ro de la Plata. Relatif/ve au Ro de la Plata.
Rosismo : Pratique politique de Juan Manuel de Rosas et de ses partisans.
Rosista : Partisan/e de Juan Manuel de Rosas.
Santafecino : Habitant/e de Santa Fe. Relatif/ve Santa Fe.
Ternero : Veau.
Tucumao/a : Habitant/e de Tucumn. Relatif/ve Tucumn.
Yerbal : Plantation de yerba mate.

905

ANNEXES

ANNEXE N 1
CHRONOLOGIE INDICATIVE

1767
Mars: Charles III ordonne lexpulsion des jsuites des colonies amricaines.

1773
Aot: naissance dA. Bonpland.

1774
Publication de A Description of Patagonia du jsuite T. Falkner, contenant la premire
description dun glyptodonte dans le Ro de la Plata.

1776
Aot: cration de la vice-royaut du Ro de la Plata.

1777
Octobre : P. A. de Cevallos est nomm premier vice-roi du Ro de la Plata.
Novembre: dpart de lexpdition au Prou de H. Ruiz, J. A. Pavn et J. Dombey.

Annexes

1782
Mars: F. de Azara dbarque en Amrique o il mne ses recherches jusquen 1801.

1783
Novembre: dcret autorisant lexpdition de J. C. Mutis en Nouvelle-Grenade.
Novembre : inauguration du Real Colegio de San Carlos Buenos Aires.

1786
Octobre: M. Sess est nomm directeur de lexpdition botanique et du Jardin botanique
crer dans le vice-royaume de Nouvelle-Espagne.

1788
Mai : inauguration du Jardn Botnico de Mexico, le premier en Amrique latine.

1789
Juillet: dpart de lexpdition A. Malaspina avec T. Haenke et L. Ne son bord.

1792
Dcembre: cration en Espagne dune Casa de Flora Americana pour inventorier la
nature amricaine.

1793
Juin: dcret de la Convention nationale crant le Musum dHistoire naturelle.

1794
Janvier : cration du consulado de Buenos Aires.
Novembre : dpart de lexpdition des frres Heuland au Prou et au Chili o elle
demeure jusquen 1800.

1796
Dcembre : J. Longinos inaugure le cabinet dHistoire naturelle de Guatemala.

907

Annexes

1797
Fvrier : arrive de lexpdition Mopox Cuba o elle demeure jusquen 1802.

1798
Juillet : cration du Protomedicato de Buenos Aires sous limpulsion de M. Belgrano.

1799
Juillet : A. Bonpland et A. de Humboldt accostent en Nouvelle-Grenade.
Novembre : M. Belgrano et P. A. Cervio fondent, avec lapui de F. de Azara, la Escuela
de Natica y Matemtica de Buenos Aires.

1800
Dcembre : autorisation de la fondation de luniversit de San Carlos, effective en 1808.

1802
F. de Azara commence la publication de Descripcin e historia del Paraguay y del Ro de
la Plata.

1804
Aot : A. Bonpland et A. de Humboldt accostent Bordeaux.

1806
Juin-aot : invasion anglaise de Buenos Aires.
Aot : J. de Liniers est nomm vice-roi du Ro de la Plata.

1807
Fvrier : prise de Montevideo par les Britanniques.
Juillet : chec militaire britannique devant Buenos Aires.

1808
Mai : dbut de la guerre dEspagne.
Aot : A. Bonpland est nomm botaniste de limpratrice Josphine.
Septembre : proclamation de la junte de Montevideo, fidle Ferdinand VII.
Dcembre : A. Bonpland est nomm intendant des domaines de limpratrice Josphine.
908

Annexes

1809
Publication des Voyages dans lAmrique mridionale de F. de Azara.
Janvier : destitution du vice-roi J. de Liniers ; B. H. de Cisneros lui succde.

1810
Mai : proclamation de la Junta Grande de Buenos Aires, fidle Ferdinand VII.
Juillet : le Paraguay refuse de se soumettre la junte de Buenos Aires.
Septembre : inauguration de la Escuela de Matemticas de Buenos Aires.

1811
Fvrier : dbut de la Revolucin Oriental mene par J. Artigas.
Mars : larme bonaerense est vaincue par les forces paraguayennes Tacuar.
Avril-mai : occupation de la ville de Corrientes par les Paraguayens.
Mai-octobre : premier sige de Montevideo o rsistent les royalistes.
Mai : rvolution paraguayenne ; les Croles prennent le pouvoir.
Juin : la junte dAsuncin jure fidlit Ferdinand VII.
Juillet-octobre : premire invasion portugaise de la Banda Oriental.
Septembre : le premier Triumvirat porteo, form par F. Chiclana, M. de Sarratea et J. J.
Paso, succde la Junta Grande.
Octobre : trait damiti et de commerce entre Buenos Aires et Asuncin.

1812
Mars : inauguration de la Biblioteca Pblica de Buenos Aires.
Avril : J. M. de Pueyrredn remplace J. J. Paso au sein du premier Triumvirat.
Juin : premire circulaire portea mentionnant la cration dun Musum dHistoire
naturelle.
Septembre : Buenos Aires augmente les droits de douane sur le tabac, ce qui amne une
dgradation de ses relations avec Asuncin.
Octobre : deuxime Triumvirat porteo form initialement par A. Alvarez Jonte, J. J.
Paso et N. Rodrguez Pea. Dbut du second sige de Montevideo.

1813
Avril : J. Artigas demande Buenos Aires linstauration dun systme politique
confdral.
Mai : fondation de lInstituto mdico militar sous la direction de C. Argerich.
909

Annexes

Septembre : B. Muoz offre ses collections dhistoire naturelle Buenos Aires.


Octobre : proclamation de la rpublique du Paraguay ; rgime consulaire.

1814
Janvier : formation du Directoire de Buenos Aires sous la direction de G. A. de Posadas.
Fvrier : J. Artigas dclare la guerre au gouvernement de Buenos Aires.
Avril : Entre Ros, Corrientes, Santa F, Crdoba, Misiones et la Banda Oriental forment
la Liga Federal sous commandement dArtigas dsign Protector de los Pueblos Libres.
Juin : le second sige de Montevideo se termine par lentre des Porteos dans la ville.
Octobre : J. G. Rodrguez de Francia est proclam par le Congrs Dictador du Paraguay
pour cinq ans.
Dcembre : B. Rivadavia part pour lEurope afin dtablir des relations diplomatiques.

1815
Janvier : C. M. de Alvear remplace G. A. de Posadas la tte du Directoire porteo.
Fvrier : les forces de J. Artigas occupent Montevideo.
Avril : I. Alvarez Thomas remplace C. M. de Alvear la tte du Directoire porteo.

1816
Fvrier : cration de lAcademia de matemticas y arte militar de Buenos Aires.
Mars : le consulado de Buenos Aires ouvre sa propre Academia de matemticas.
Avril : A. Gonzlez Balcarce remplace I. Alvarez Thomas la tte du Directoire porteo.
Mai : inauguration de la Biblioteca Pblica de Montevideo.
Juin : J. G. Rodrguez de Francia est proclam Dictador Perpetuo du Paraguay.
Juillet : la rpublique des Provinces Unies du Ro de la Plata proclame son indpendance
lors du congrs de Tucumn ; J. M. de Pueyrredn est lu Directeur suprme.
Aot : dbut de la seconde invasion portugaise de lUruguay ; M. Belgrano organise une
acadmie de mathmatiques Tucumn sous la direction de J. M. de Echanda.

1817
Janvier : A. Bonpland arrive Buenos Aires o il sjourne jusquen 1820.

1818
Juillet : J. M. de Pueyrredn inaugure le Colegio de la Unin del Sud, anciennement Real
Colegio de San Carlos.
910

Annexes

Dcembre : le Paraguay cesse ses changes commerciaux avec le Brsil.

1819
Juin : J. M. de Pueyrredn est destitu ; J. Rondeau devient Directeur suprme.

1820
Janvier : victoire portugaise dcisive contre J. Artigas Tacuaremb.
Fvrier : victoire des fdraux sur les unitaires rioplatenses Cepeda ; trait du Pilar
instaurant un systme politique confdral.
Septembre : M. Rodrguez devient gouverneur de Buenos Aires. J. Artigas, renvers par
F. Ramrez, se rfugie au Paraguay.
Septembre-fvrier 1821 : sjour dA. de Saint-Hilaire dans la Bande Orientale.
Octobre : dpart dA. Bonpland pour le Paraguay.

1821
Juillet : dfaite et mort de F. Ramrez face Buenos Aires et ses allis.
Aot : fondation de luniversit de Buenos Aires.
Dcembre : enlvement dA. Bonpland par les forces paraguayennes.

1822
Avril : fondation de la Sociedad de ciencias fsico-matemticas et de lAcademia
Nacional de medicina de Buenos Aires.
Septembre : indpendance du Brsil.

1823
Novembre : le Paraguay ouvre une route commerciale avec le Brsil Itapa.

1824
Avril : J. G. de Las Heras succde M. Rodrguez au poste de gouverneur de Buenos
Aires.
Dcembre : inauguration du Congrs Constituant sigeant Buenos Aires.

1825
Fvrier :

trait

de

commerce

anglo-argentin ; la

lindpendance des Provinces Unies du Ro de la Plata.


911

Grande-Bretagne

reconnat

Annexes

1826
Fvrier : B. rivadavia devient prsident de la rpublique des Provinces Unies.
Juin : cration Buenos Aires du Departamento de ingenieros et du Departamento
topogrfico y estadstico.
Dcembre : Constitution rioplatense dinspiration unitaire.

1827
Janvier : A. dOrbigny accoste Buenos Aires.
Juin : dmission de B. Rivadavia ; fin du rgime prsidentiel.
Aot : M. Dorrego, fdral, devient gouverneur de Buenos Aires.

1828
Aot : indpendance de lUruguay.
Dcembre : J. Lavalle, unitaire, prend le pouvoir Buenos Aires et fait excuter M.
Dorrego.

1829
Juin : dfaite et exil de J. Lavalle face aux fdraux ; J. J. Viamonte assume le pouvoir.
Fondation de la Sociedade de Medicina do Rio de Janeiro, future Academia Nacional de
Medicina.
Dcembre : dbut du premier gouvernement de J. M. de Rosas.

1830
Avril : le territoire des Missions est incorpor la province de Corrientes.
Juillet : premire constitution de lUruguay.
Aot : fondation de la Liga Unitaria sous le commandement de J. M. Paz.
Novembre : F. Rivera devient le premier prsident constitutionnel de lUruguay.
Dcembre : la France reconnat lindpendance des anciennes colonies espagnoles.

1831
Janvier : Pacto Federal sign par les provinces du Litoral et de Buenos Aires afin de
combattre la Liga Unitaria.
Fvrier : A. Bonpland quitte le Paraguay.

912

Annexes

1832
Fvrier : C. Darwin accoste en Amrique du Sud, o il demeure jusquen 1835.
Mars-octobre : second sjour dA. Bonpland Buenos Aires.
Octobre : A. Bonpland part de Buenos Aires pour dcouvrir les sources de lUruguay.
Dcembre : fin du premier gouvernement de J. M. de Rosas.

1833
Dcembre : R. de Atienza, lu gouverneur de Corrientes, se rapproche de J. M. de Rosas.

1834
Fvrier : A. Bonpland sinstalle So Borja.
Mars : Corrientes abandonne les Missions au profit du Paraguay.

1835
Mars : dbut du second gouvernement de J. M. de Rosas.
Septembre : dbut de la guerre des Farrapos.

1836
Avril : convention de commerce, damiti et de navigation franco-uruguayenne.
Mai : A. Roger remplace le consul franais mort Buenos Aires.
Juillet : dbut de la guerre civile uruguayenne entre F. Rivera et M. Oribe.
Septembre : le colonel A. Neto proclame Piratini la Rpublique du Rio Grande do Sul.
Novembre : le dirigeant farrapo B. Gonalves da Silva, prisonnier des lgalistes, est
dsign prsident de la rpublique du Rio Grande do Sud.
Novembre -mars 1837 : troisime sjour dA. Bonpland Buenos Aires.
Dcembre : rlection de R. de Atienza au poste de gouverneur de Corrientes.

1837
Septembre : B. Gonalves da Silva svade et assume la direction politique et militaire du
mouvement farrapo.
Dcembre : mort de R. de Atienza ; G. Bern de Astrada, antirrosista, lui succde.

1838
Mars : le contre-amiral L. Leblanc entame le blocus de Buenos Aires.
Avril : victoire des Farrapos Rio Pardo.
913

Annexes

Mai : dcret de fondation de la Universidad Mayor de la Repblica Montevideo, sans


effet jusquen 1849.
Juin : Victoire de F. Rivera sur M. Oribe Palmar ; M. Oribe est chass du pouvoir.
Octobre : occupation de lle de Martn Garca par des forces franco-uruguayennes.
Novembre : C. Buchet de Martigny devient consul de France Buenos Aires.
Dcembre : alliance militaire entre G. Bern de Astrada et F. Rivera.

1839
Fvrier : G. Bern de Astrada et F. Rivera dclarent la guerre Buenos Aires et Entre
Ros ; J. Lavalle est nomm chef des forces allies contre Rosas.
Mars : bataille de Pago Largo. Victoire de P. Echage sur G. Bern de Astrada qui est
excut.
Mai : P. Cabral, fidle J. M. de Rosas, est lu gouverneur de Corrientes.
Juillet : D. Canabarro et G. Garibaldi proclament la Repblica Juliana Laguna ; le
mouvement farrapo atteint son apoge.
Septembre : P. Echage envahit lUruguay.
Octobre : Soulvement Corrientes ; P. Ferr redevient gouverneur.
Novembre : les Farrapos vacuent Laguna.
Dcembre : importante victoire de F. Rivera sur les forces de P. Echage Cachanga.

1840
Fvrier : lamiral Dupotet arriv Buenos Aires se rapproche de J. M. de Rosas.
Mai-juillet : premire mission diplomatique dA. Bonpland en Uruguay.
Septembre : mort de J. G. Rodrguez de Francia ; une junte militaire prend le pouvoir.
Octobre : trait de paix Mackau-Arana ; fin de lintervention franaise.
Novembre : victoire dcisive de M. Oribe sur J. Lavalle lors de la bataille de Quebracho
Herrado.
Dcembre-janvier 1841 : seconde mission diplomatique dA. Bonpland en Uruguay.

1841
Janvier : J. M. de Rosas tablit le blocus des ports uruguayens ; Lefevbre de Bcourt est
nomm consul Buenos Aires.
Mars : instauration dun rgime consulaire au Paraguay.
Juillet : trait de commerce et de limites entre Corrientes et le Paraguay qui obtient la
zone misionera.
Aot : F. Rivera rompt son alliance avec Corrientes.
914

Annexes

Septembre : droute de J. Lavalle face M. Oribe Famaill ; fin de la Coalicin del


Norte.
Octobre : mort de J. Lavalle face aux forces rosistas.
Dcembre-mars : troisime et dernire mission diplomatique dA. Bonpland en Uruguay.

1842
Avril : violences contre les trangers Buenos Aires.
Mai : arrive du consul T. Pichon Montevideo.
Aot : le comte de Lurde assume la fonction de consul Buenos Aires ; les forces
rosistas sont matres des fleuves rioplatenses.
Dcembre : victoire rosista dterminante Arroyo Grande contre F. Rivera ; P. Cabral
redevient gouverneur de Corrientes.

1843
Fvrier : dbut du sige terrestre de Montevideo par M. Oribe.
Mars : F. Guizot veut la neutralit de la France.
Avril : les Madariaga renversent P. Cabral et prennent le pouvoir Corrientes ; les
Franais de Montevideo dcident de participer la dfense de la ville.
Mai : fondation de lInstituto Histrico y Geogrfico de Montevideo.

1844
Mars : C. A. Lpez devient prsident du Paraguay.
Septembre : le Brsil reconnat lindpendance du Paraguay.
Dcembre : trait de libre navigation entre Corrientes et le Paraguay.

1845
Janvier : J. M. de Rosas ordonne le blocus fluvial du Paraguay.
Fvrier : fin de la guerre des Farrapos.
Mars : larme de F. Rivera est anantie India Muerta par les forces de J. J. de Urquiza.
Mai : lUruguay reconnat lindpendance du Paraguay.
Septembre : dbut de lintervention franco-anglaise contre J. M. de Rosas et ses allis.
Novembre : trait dalliance militaire entre le Paraguay et Corrientes.
Dcembre : le Paraguay dclare la guerre Buenos Aires.

915

Annexes

1846
Fvrier : dfaite et capture de Juan Madariaga par J. J. de Urquiza Laguna Limpia.
Soulvement des troupes paraguayennes envoyes Corrientes ; fin de lalliance
paraguayo-correntina.
Aot : trait dAlcaraz ; J. Madariaga (Corrientes) signe la paix avec J. J. de Urquiza
(Entre Ros).
Septembre : paix entre le Paraguay et Buenos Aires.

1847
Novembre : bataille de Vences ; J. J. de Urquiza bat J. Madariaga ; M. Virasoro devient
gouverneur de Corrientes.

1849
Mai-aot : sjour dA. Bonpland Porto Alegre.
Juin-septembre : invasion paraguayenne avorte des missions du ro Uruguay.
Juillet : fondation effective de luniversit de Montevideo.
Aot-octobre : troisime sjour dA. Bonpland Montevideo.
Novembre : trait Arana-Southern marquant la fin de lintervention britannique.

1850
Mars : Buenos Aires demande lannexion du Paraguay la Confdration Argentine.
Avril : crise argentino-brsilienne propos du Paraguay.
Aot : trait Arana-Lepredour marquant la fin de lintervention franaise.
Aot-novembre : quatrime sjour dA. Bonpland Montevideo.
Octobre : rupture des relations diplomatiques entre lArgentine et le Brsil.
Dcembre : trait dalliance dfensive entre le Brsil et le Paraguay.

1851
Janvier : entente entre le Brsil et lEntre Ros dirige par J. J. de Urquiza.
Mai : Alliance antirrosista entre Corrientes, Entre Ros, lUruguay et le Brsil.
Juin : dbut des oprations militaires antirrosistas en Uruguay.
Octobre : victoire de J. J. de Urquiza en Uruguay ; reddition de M. Oribe.

1852
Fvrier : bataille de Caseros ; fin du rgime de J. M. de Rosas.
916

Annexes

Mai : trait de San Nicols ; Buenos Aires voit son pouvoir politique diminu.
Juillet : la Confdration Argentine reconnat lindpendance du Paraguay qui renonce
aux Missions en change dune partie du Chaco.
Aot : J. Pujol devient gouverneur de Corientes.
Septembre : sdition de Buenos Aires.

1853
Janvier : parution du premier numro de la revue Bonplandia. A Montevideo, cration de
la Sociedad Annima Colonizadora de Poblacin y Fomento.
Mars : J. J. de Urquiza devient prsident de la Confdration Argentine.
Mai : vote de la constitution de la Confdration Argentine avec comme capitale Paran.

1854
Fvrier : quatrime sjour dA. Bonpland Buenos Aires.
Mars : J. J. de Urquiza devient le premier prsident de la Confederacin Argentina.
Juillet : fondation du Museo Nacional de Paran.
Aot : fondation de la Asociacin de Amigos de la Historia Natural del Plata.
Octobre : J. Pujol nomme A. Bonpland directeur de lExposition Permanente de
Corrientes.

1855
Avril : trait de commerce et de navigation entre le Brsil et le Paraguay.
Septembre-janvier 1856 : cinquime sjour dA. Bonpland Montevideo.

1856
Juillet : trait de commerce et de navigation entre lArgentine et le Paraguay.
Aot : cration de la Asociacin Farmacutica Bonaerense.
Novembre : H. Burmeister accoste Rio de Janeiro ; il parcourt le sous-continent
jusquen 1860.

1857
Novembre : mort de M. Oribe.

1858
Mai : mort dA. Bonpland Santa Ana.
917

Annexes

Octobre : parution du premier numro de la Revista Farmacutica.

1859
Mai : mort dAlexandre de Humboldt.
Octobre : bataille de Cepeda ; rincorporation provisoire de Buenos Aires lArgentine.

1860
Publication de louvrage de V. Martin de Moussy command par J. J. de Urquiza.
Mars : S. Derqui succde J. J. de Urquiza comme prsident argentin.

1861
Publication du rcit de voyage de H. Burmeister.
Septembre : bataille de Pavn ; B. Mitre bat S. Derqui ; Buenos Aires est dfinitivement
rincorpore lArgentine.
Dcembre : B. Mitre assume la prsidence de la rpublique argentine jusquen 1868.

1862
Fvrier : H. Burmeister prend la direction du Muse Public de Buenos Aires.
Septembre : mort de C. A. Lpez ; son fils F. S. Lpez lui succde.

1863
Mars : cration du Colegio Nacional de Buenos Aires.

1864
Octobre : dbut de la guerre de la Triple Alliance.

1865
Juin : luniversit de Buenos Aires se dote dun dpartement de Sciences Exactes.

1872
Juillet : cration de la Socit Scientifique Argentine par un groupe de professeurs de la
facult de Sciences Exactes de Buenos Aires.

918

Annexes

ANNEXE N 2
BIOBIBLIOGRAPHIE DAIME BONPLAND

Cette biobibliographie regroupe les publications ayant pour sujet principal


Aim Bonpland, depuis la premire biographie en date de 1853 jusquen 2011. Le
classement prend en compte lintgralit des publications recenses au cours de
nos recherches.

1850-1859
DEMERSAY Alfred, La vie et les travaux de M. Aim Bonpland,
Correspondant de lInstitut et du Musum dhistoire naturelle , in Moniteur, 26
avril 1853.
DEMERSAY Alfred, La vie et les travaux de M. Aim Bonpland,
Correspondant de lInstitut et du Musum dhistoire naturelle , in Bulletin de la
Socit de Gographie de Paris, quatrime srie, tome V, 1853, pp. 240-254.
DEMERSAY Alfred, La vie et les travaux de M. Aim Bonpland,
Correspondant de lInstitut et du Musum dhistoire naturelle , in Biographie
Universelle, Firmin Didot, 1853, pp. 651-655.
An., Zeitung , in Bonplandia, tome II, n 8, 15 avril 1854, pp. 104-105.
An., Correspondenz , in Bonplandia, tome II, n 18-19, 15 septembre 1854, pp.
228-233.
DEMERSAY Alfred, Aim Bonpland , in Bonplandia, tome II, n 22, 15
novembre 1854, pp. 259-263.
An., Aim Bonpland und die Bonplandia , in Bonplandia, tome II, n 24, 15
dcembre 1854, pp. 295-296.
ANGELIS Pedro de, Amado Bonpland , in Revista del Plata, novembredcembre 1854.
An., A. Bonplands Biographie und Portrait , in Bonplandia, tome III, n 3, 15
avril 1855, pp. 46-47.
An., Briefwechsel Bonplands , in Bonplandia, tome III, n 20, 15 octobre
1855, pp. 281-283, 289-295.
ANGELIS Pedro de, Notice biographique sur M. Bonpland, Montevideo,
Imprimerie du Rio de la Plata, 1855.
ANGELIS Pedro de, Biografa del clebre naturalista Amado Bonpland, por don
Pedro de Angelis, Corrientes, Imprenta del Commercio, 1855.
An., Bonplands Bild , in Bonplandia, tome IV, n 1-2, 15 janvier 1856, pp. 13.
919

Annexes

An., Ein Brief Bonplands , in Bonplandia, tome IV, n 8, 15 avril 1856, pp.
131-132.
An., Nachrichten ber Bonpland , in Bonplandia, tome IV, n 12, 15 juin 1856,
p. 188.
BONPLAND Aim, Notas inditas por Mr. Amado Bompland, sobre la
conveniencia de adoptar un sistema nuevo en la fabricacin de la yerba-mate , in
QUESADA Vicente G., La provincia de Corrientes, Buenos Aires, El Orden,
1857, pp. 78-90.
An., Aim Bonplands Aufnahme in die Akademie , in Bonplandia, tome V, n
6, 1er avril 1857, p. 96.
An., Notizen ber Bonpland , in Bonplandia, tome V, n 13, 1er juillet 1857,
pp. 187-188.
An., Nachrichten ber Bonpland , in Bonplandia, tome V, n 18, 1er octobre
1857, pp. 285-288.
An., Nachrichten ber Bonpland , in Bonplandia, tome V, n 24, 1er dcembre
1857, p. 350.
HUMBOLDT Alexandre de, Neuste Nachrichten ber Bonpland , in
Bonplandia, tome VI, n 13, 15 juillet 1858, pp. 269-272.
An., Besttigung von Aim Bonplands Tod in einem Briefe zu A. v.
Humboldt , in Bonplandia, tome VI, n 15, 15 aot 1858, p. 295.
BRUNEL Adolphe, Biographie dAim Bonpland. Compagnon de voyage et
collaborateur dAl. De Humboldt, Paris, L. Gurin & Cie, 1859.

1860-1869
MARTIN DE MOUSSY Victor, Notice sur la vie dAim Bonpland en
Amrique, Plata, Paraguay, Misiones , in Bulletin de la Socit Gographique de
Paris, quatrime srie, tome XIX, 1860, pp. 414-425.
DEMERSAY Alfred, Note sur les manuscrits et les collections de M. Aim
Bonpland , in Bulletin de la Socit Gographique de Paris, quatrime srie,
tome XIX, 1860, pp. 426-429.
DELAYANT Lopold, Aim Bonpland , in La Revue de lAunis, La Rochelle,
1863-1864, pp. 578-587.
BRUNEL Adolphe, Biographie dAim Bonpland. Compagnon de voyage et
collaborateur dAl. De Humboldt, Toulon, E. Aurel, 1864.
ERNEST Adolfo, Amadeo Bonpland. Apuntes biogrficos. Ledos en la sesin del
23 de noviembre de 1869 de la Sociedad de Ciencias Fsicas y Naturales de
Caracas.

1870-1879
BRUNEL Adolphe, Biographie dAim Bonpland. Compagnon de voyage et
collaborateur dAl. De Humboldt, Paris, L. Gurin & Cie, 1871.

920

Annexes

1900-1909
HAMY Thodore-Jules Ernest, Le centenaire du retour en Europe dAlexandre de
Humboldt et dAim Goujaud de Bonpland (3 aot 1804). Discours prononc la
sance douverture du XIVe Congrs des Amricanistes Stuttgart, le 18 Aot
1904, Angers, Imprimerie A. Burdin et Cie, 1904.
HOLMBERG Eduardo L., Correspondencia inedita de Humboldt y Bonpland.
Un hallazgo interesante , in Caras y caretas, vol. 8, n 365, 22 septembre 1905.
AUTRAN Eugne, Importante trouvaille, Manuscrits de Bonpland,
Correspondance indite de Humboldt , in Le Courrier de La Plata, Buenos Aires,
2 octobre 1905.
PAZ Juan M., Cartas inditas del general Paz a Bonpland , in Revista de la
Universidad de Medicina de Buenos Aires, IIme anne, vol. 4, 1905, pp. 363373, 468-475.
HAMY Thodore-Jules Ernest, Aim Bonpland, mdecin et naturaliste,
explorateur en Amrique du Sud, Paris, Guilmoto, 1906.
MARCEL Gabriel, Aim Bonpland daprs des documents rcents , in La
Gographie : bulletin de la Socit de gographie, tome XV, premier semestre
1907, pp. 183-186.
BONPLAND Pompeyo, Fragmento del diario mdico de Amado Bonpland,
Buenos Aires, thse doctorale, Facult de sciences mdicales, Buenos Aires, 1909.

1910-1919
DOMINGUEZ Juan A., AUTRAN Eugenio, Archivos inditos de Aim
Bonpland existentes en el Instituto de Botnica y Farmacologa de la Universidad
en la Facultad de Medicina , in XVII Congreso Internacional de los
Americanistas, sesin de Buenos Aires, 16 al 21 de mayo de 1910, resumen n 48,
pp. 1-2.
PEA David (dir.), Manuscritos de Bonpland. Cartas de Humboldt , in
Atlntida, vol. 1, n 1, 1911, pp. 85-98.
CORDIER Henri, Papiers indits du naturaliste Aim Bonpland conservs
Buenos Aires , in Mlanges Amricains, Paris, Jean Maisonneuve & fils, 1913,
pp. 227-250.
CORDIER Henri (comp.), Archives indites de Aim Bonpland, tome I : Lettres
indites de Alexandre de Humboldt, Trabajos del Instituto de Botnica y
Farmacologa, Facultad de Ciencias Mdicas de Buenos Aires, Jacobo Peuser,
1914.
CORDIER Henri (comp.), Papiers indits du naturaliste Aim Bonpland
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929

Annexes

ANNEXE N 3
EXTRAITS DES ARCHIVES MEDICALES DAIME
BONPLAND

Document n 1. CAIC, extrait du journal de mdecine n 8, octobre-novembre


1845.

Cet extrait concerne deux patients. La deuxime patiente, la femme de


Victorino , est une des rares pour lesquelles Bonpland note les symptmes. Ici,
la difficult rside dans lidentification des patients. Nous navons pas retrouv
dautres informations concernant le premier patient, le Sor Ballesteros , hormis
la mention dun nomm Ballestero, familier des Mirbeck, dans le document
AMFBJAD n 456 datant doctobre 1847. Quant Victorino, en labsence dun
nom de famille lidentification savre trs difficile. Pourtant, ce travail
didentification est ncessaire afin de connatre lorigine des patients de Bonpland.
Les lacunes sont multiples : absence de diagnostic, de traitement, dhonoraires,
potions numrotes mais dont le contenu nest pas prcis en sont les principaux
cueils. Nayant pas tudi la totalit des journaux de mdecine ainsi que de la
matire mdicale correspondance, ordonnances, dettes, notes parses , nous
pensons quil est toutefois possible de mener une recherche pertinente partir de
la totalit de la matire mdicale lgue par Bonpland.

930

Annexes

Document n 2. CAIC, extrait du journal de mdecine n 24, fvrier-mars 1836.

Cet extrait concernant quatre patients montre l encore les difficults


danalyse des soins mdicaux dispenss par Bonpland. Concernant le premier
patient, Francisco Sylva, aucune information nest fournie propos du diagnostic.
Le second patient, un noir esclave ? du L.[ieutenant] C.[olonel] Sylva, est
trait par lavement. L encore, la maladie nest pas prcise. En outre, les sommes
annots ne sont pas explicites. Les indications fournies pour la troisime patiente
sont encore plus vagues. Quant au quatrime patient, les donnes savrent plus
exploitables puisquelles permettent de connatre le prix de chaque mdicament et
surtout, les honoraires de Bonpland qui se montent 4 000 ris. Une autre
difficult rside dans la posologie, puisque nous ignorons par exemple ce que
contient la bouteille roob n 8 . Les hachures semblent indiquer que le travail
mdical de Bonpland a t rmunr.

931

Annexes

Document n 3. CAIC, Dette pour un traitement mdical de Pedro Madariaga, So


Borja, 14 avril 1847.

Ce document est exploitable plusieurs titres. Dabord, il concerne


lintgralit dun traitement mdical dispens durant plusieurs annes, dtaillant
les soins, leur cot et le mode de paiement en nature, ici des bueyes manzos .
Ensuite il concerne un membre de la famille Madariaga, la notorit de celui-ci
allie au traitement prescrit devant permettre de dduire relativement facilement la
maladie traite. Les dates prcisment notes par Bonpland permettent en outre
deffectuer dautres recoupements propos des rencontres entre le mdecin et les
Madariaga. On peut constater aussi que Bonpland utilise des traitements de
confrres, ici le docteur Matheo .

932

Annexes

ANNEXE N 4
EXTRAITS DES JOURNAUX DE VOYAGE DAIME
BONPLAND

Document n 1. Extrait de lAMFBJAD n 2044, journal, 1818-1823.

Cet extrait est issu du premier journal de voyage rdig par Bonpland qui
nous soit parvenu. Commenant la fin de lanne 1818, il laisse supposer quun
ou plusieurs autres journaux antrieurs celui-ci ont exist et existent peut-tre
encore depuis larrive du Rochelais Buenos Aires, au dbut de lanne 1817. Ce
journal contient des observations de toute nature, notamment concernant les
premires excursions fluviales de Bonpland aux alentours de Buenos Aires. A
partir du mois de janvier 1820, il prend la forme dun tableau dobservations
mtorologiques ralises Buenos Aires, ce qui semble indiquer une faible
activit scientifique. Les six colonnes contiennent respectivement les dates, les
heures, les degrs, les vents, ltat du ciel et les observations particulires.
Lextrait prsent ici comprend des observations allant du 26 septembre au 1er
octobre 1820, date du dpart de Bonpland pour le Paraguay.

933

Annexes

Document n 2. Extraits de lAMFBJAD n 2046, journal, 1820-1821.

Le 1er octobre 1820, Bonpland entame la rdaction dun second journal


vritablement consacr la description du voyage quil pense tre destination du
Paraguay comme crit dans le premier extrait. En mai 1821, le second extrait
indique un changement de destination, puisque le botaniste part pour les Missions.
934

Annexes

Document n 3. Extrait de lAMFBJAD n 1698, journal de voyage, octobre 1832.

Ce journal porte le n 19, la numrotation totale des journaux de voyage


prsentant des lacunes. Le n 1 indique quil sagit du premier cahier dun voyage
scientifique de grande envergure, puisque Bonpland recrute trois aide-naturalistes.
Il se montre Dsireux de remonter lUruguay jusqu ses sources, de travailler
lhistoire naturelle, lagriculture et de collecter des plantes mdicinales. Aprs
sa dtention paraguayenne, Bonpland se rend Buenos Aires pour y prparer cette
expdition. Le style narratif est celui dun voyageur prparant son rcit de manire
dtaille. Les vnements politiques sont scrupuleusement nots, ainsi que les
causes ayant retard le dpart de Bonpland.

935

Annexes

Document n 4. Extrait de lAMFBJAD n 1749, journal de voyage, mars-avril


1845.

Cet extrait dat du 1er avril 1845 mle des observations politiques, dordre
gnral, et les proccupations conomiques particulires de Bonpland. Bien qu
cette date lactivit de Bonpland est trs rduite, il nen continue pas moins de
noter scrupuleusement ses faits et gestes.
936

Annexes

Document n 5. Extrait de lAMFBJAD n 1752, journal, mars-avril 1854.

Alors quil est g de 83 ans, Bonpland profite dune navigation sur le ro


Uruguay le conduisant de Buenos Aires Santa Ana pour consigner ses
impressions et ses observations. Lextrait dat des 17, 18 et 19 mars 1854 prsente
des observations topographiques, mtorologiques et botaniques. Le style demeure
celui du narrateur esquissant son rcit de voyage.

937

Annexes

ANNEXE N 5
EXTRAITS DES JOURNAUX BOTANIQUES DAIME
BONPLAND

Document n 1. MNHN, ms 203. Extrait du journal botanique dAim Bonpland,


1817-1821.

Cet extrait, datant de septembre 1818, prsente une description assez


complte du maiz del agua . Mais la premire description publie de ce qui
devient la Victoria Regina est effectue en 1837 par John Lindley qui bnficie
donc dune prminence intellectuelle sur Bonpland.
938

Annexes

Document n 2. MNHN, ms 203. Extraits du journal botanique dAim Bonpland,


1817-1821.

Les deux premiers extraits font apparatre les premires descriptions de


yerba mate effectues par Bonpland, sur lle de Martn Garca en dcembre 1818
puis dans les Missions le 22 juin 1821. Le journal se clt au mois daot,
Bonpland y ajoutant une table des matires en vue de la publication quil projette.
939

Annexes

ANNEXE N 6
EXTRAITS DES ARCHIVES INEDITES DAIME BONPLAND

Document n 1. Document aimablement par mis notre disposition par Saturnino


Madariaga.

940

Annexes

Ce document institue Esteban Perichn de Vandeuil comme le fond de


pouvoir dAim Bonpland pour lacquisition du terrain de Santa Ana.

941

Annexes

Document n 2. CAIC, lettre dAim Bonpland Fabiano Piris de


Almeida, So Borja, 8 octobre 1848.

Voici une des lettres indites contenues dans la collection dAndrs Ivern.
Au total, cette collection compte 1 532 folios. Cette lettre nous apprend que la
destination initiale de Bonpland, lors du voyage entrepris Porto Alegre en 1849,
ntait pas Montevideo mais Rio de Janeiro.
942

Annexes

Document n 3. CAIC, lettre de Carmen Bonpland son pre, Restauracin, 15


juin 1856.

Carmen est ge de treize ans en 1856. Elle crit son pre pour lui
demander de lui acheter des vtements. Cette lettre est une des rares
correspondances conserves entre Aim Bonpland et ses enfants.

943

Annexes

Document n 4. CAIC, journal, juillet 1839-fvrier 1841.

Ce journal, dont nous prsentons la premire page, contient une partie de la


comptabilit de lestancia correntina de Bonpland. La documentation de nature
conomique, comme celle mdicale, abonde dans la collection Andrs Ivern. Elle
peut permettre dapprofondir de manire significative ltude conomique de la
rgion frontire o Bonpland a vcu.

944

Annexes

Document n 5. CAIC, journal, 1824.

Ce document est extrait dun livre de comptes de Bonpland au cours de sa


dtention Santa Mara de Fe. Pour chaque mois, Bonpland note les recettes
colonne de gauche et les dpenses colonne de droite effectues. Avec
dautres documents, ces journaux permettent de restituer les conditions de vie du
scientifique pendant sa captivit paraguayenne.

945

Annexes

ANNEXE N 7
PORTRAITS DAIME BONPLAND

Document n 1. Aim Bonpland So Borja. Lithographie dAchille Devria


daprs un dessin dAlfred Demersay, 1847. Bibliothque nationale de France.

946

Annexes

Document n 2. Daguerrotype dAim Bonpland. Museo Histrico Nacional,


Buenos Aires. Lauteur ainsi que la date de ce document nous sont inconnus. Il
sagit probablement dun portrait effectu lors des toutes dernires annes de sa
vie, peut-tre lors de son sjour Montevideo entre octobre 1855 et janvier 1856.

947

Annexes

ANNEXE N 8
CARTE N 5. ITINERAIRE DU VOYAGE DE HUMBOLDT ET
BONPLAND (1799-1804)

Alexandre de Humboldt et Aim Bonpland partent de La Corogne en


Espagne le 5 juin 1799 et arrivent Cuman en Nouvelle-Grenade le 16 juillet. Au
retour, ils partent de Philadelphie le 30 juin 1804 et arrivent Bordeaux le 27 aot.
Illustration de Patrick Mrienne, in DUVIOLS Jean-Paul, MINGUET
Charles, Humboldt. Savant-citoyen du monde, Paris, Gallimard, 1994.

948

Annexes

ANNEXE N 9
PRESENTATION CARTOGRAPHIQUE DES MISSIONS
Daprs MAEDER Ernesto J. A., GUTIERREZ Ramn, Atlas histrico y urbano
de la regin del Nordeste argentino. Atlas urbano. Primera parte. Pueblos de
Indios y misiones jesuticas (siglos XVI-XX), Resistencia, Instituto de
Investigaciones Geohistricas/CONICET/FUNDANOR, 1994.

Carte n 6. La rgion des Missions.


949

Annexes

Carte n 7. Les premires missions jsuites (1610-1640).

950

Annexes

Carte n 8. Les pueblos et estancias jsuites en 1750.

951

Annexes

Carte n 9. Formation territoriale des Missions (1811-1895).

952

Annexes

ANNEXE N 10
CARTE N 10. VOYAGES DE BONPLAND (1817-1858)

Cette carte a t ralise par Antonio Krapovickas, in LOURTEIG Alicia, Aim


Bonpland , in Bonplandia, Corrientes, tome III, n 16, 1977, pp. 314-317.
1. Index numrot.

953

Annexes

2. Index alphabtique.

954

Annexes

955

Annexes

ANNEXE N 11
CARTE N 11. SEJOURS ET DEPLACEMENTS DAIME
BONPLAND (1817-1858)

Sjour infrieur 3 mois


Sjour suprieur un an

Calcul bas sur 14 943 jours passs en Amrique du Sud, dont 13 250 en rsidence
et 1 693 en dplacement. Les dplacements figurent selon leur dure, entre moins
de 15 jours, moins dun mois, moins de 3 mois, moins de 5 mois et moins dun an.
956

Annexes

ANNEXE N 12
LES CIRCUITS MARCHANDS DE LA PERIODE COLONIALE
ET DE LA PREMIERE MOITIE DU XIXe SIECLE

Carte n 12. Les circuits marchands de la priode coloniale. Daprs


SCHMIDT Roberto, El comercio y las financas pblicas en los Estados
provinciales , in GOLDMAN Noem (dir.), Nueva historia argentina. Tomo III :
Revolucin, repblica, confederacin (1806-1852), Buenos Aires, Sudamericana,
1998, p. 129.

957

Annexes

Carte n 13. Les circuits marchands de la priode coloniale. Daprs


SCHMIDT Roberto, El comercio y las financas pblicas en los Estados
provinciales , in GOLDMAN Noem (dir.), Nueva historia argentina. Tomo III :
Revolucin, repblica, confederacin (1806-1852), Buenos Aires, Sudamericana,
1998, p. 144.

958

Annexes

ANNEXE N 13
AIME BONPLAND ET MALMAISON-NAVARRE

Document n 1. Vue intrieure de la serre chaude de Malmaison. Aquarelle


dAuguste Garneray. Chteaux de Malmaison et Bois-Prau.

Document n 2. Vue de la faade du chteau de Malmaison ct du parc.


Aquarelle dAuguste Garneray. Chteaux de Malmaison et Bois-Prau.

959

Annexes

Document n 3. Extraits de louvrage rdig par Aim Bonpland et illustr par


Pierre-Joseph Redout, Description des plantes rares cultives Malmaison et
Navarre, Paris, P. Didot lan, 1813, pp. 11, 164. La description et la figure
concernent un genre de cactus provenant du voyage de Humboldt et Bonpland.

960

Annexes

961

Annexes

Document n 4. Lettre de Camille de Montlivault, intendant gnral de la Maison


de lImpratrice, restreignant les prrogatives de Bonpland. Muse de Malmaison.

962

Annexes

963

Annexes

Document n 5. Extrait du cahier de suivi de la correspondance dAim Bonpland.

964

Annexes

Document n 6. Couverture de latlas du Voyage de dcouverte aux terres


australes, 1811.

965

Annexes

ANNEXE N 14
VUES DES PROPRIETES DE SO BORJA ET SANTA ANA

Document n 1. Chacra dAim Bonpland, So Borja.

Dessin ralis vers 1845 par Alfred Demersay et grav par Frdric Sorrieu
pour latlas de lHistoire physique, conomique et politique du Paraguay et des
tablissements des jsuites. Grce Alfred Demersay, Aim Bonpland reconquiert
une nouvelle notorit. En effet, en 1849 ce voyageur obtient la lgion dhonneur
pour le Rochelais, premier signe du regain dintrt suscit autant en Europe quen
Amrique partir de la dcennie suivante. Bonpland est dcrit comme un acteur
important de cette partie de lAmrique ; sa patrimonialisation sesquisse.

966

Annexes

Document n 2. Estancia dAim Bonpland, Santa Ana.

Lestancia de Bonpland illustre la couverture du rcit de voyage de Robert


Av-Lallemant, publi peu aprs la mort du savant. Celui-ci est pass du statut
dacteur scientifique celui de sujet dtude.
967

TABLE DES MATIRES

Remerciements4

Sommaire.6

Introduction gnrale.....8

PREMIERE PARTIE : LE POLITIQUE ET LE SAVANT34


Introduction...35
Chapitre I : De lindpendantisme au transnationalisme (1799-1839)....40
Introduction...40
A. La fin du mirage indpendantiste...43
1. Le rgne du provisoire..44
La confrontation aux problmatiques indpendantistes.....44
La confrontation aux intrigues politiques...48
Le choix du dpart..53
2. La question du Nordeste...61
La voie paraguayenne.62
Une rgion priphrique au centre de la problmatique indpendantiste..65
La fin du mirage misionero.69
B. Du bonapartisme au patriotisme....75
1. La constitution dun cercle patriotique..75
Une culture politique bonapartiste.76
Bonapartisme et patriotisme...79
2. Lengagement patriotique84

Table des matires

Les devoirs de la France.84


Du recueillement la canonnire...88
3. Un cercle li par lconomie.92
Un cercle li par lintrt commercial...93
Un cercle li par lartre fluviale uruguayenne.96
C. Le cheminement vers limmersion transnationale..102
1. Limmersion correntina..105
Le discours du voyageur...105
Laccs la notabilit..108
De Rosas Ferr : limmersion politique....114
2. Limmersion rioplatense.119
Limmersion transfrontalire120
Un rseau fragile..125
Priphrie et civilisation...128
Conclusion...134
Chapitre II : Du transnationalisme lamricanisme (1839-1852)137
Introduction.137
A. Lengagement politique transnational.139
1. Lengagement dans la geste patriotique rioplatense....140
1839 : Vers le passage aux actes..140
1840 : Le passage aux actes.145
2. La dception patriotique153
Des chansons la mitraille..154
Unitarisme et interventionnisme : la France, oui mais ....157
Des idaux croiss mais incompatibles160
3. La dception transnationale...163
Des mdiations transnationales complexes......162
Un amalgame funeste...167
B. Ladaptation une aire culturelle en mutation...172
1. Du rseau transnational au rseau intra-clanique...172
La construction dune identit transnationale : des clans aux factions...174
Intra-clanisme et transnationalisme.177
2. Ladaptation dans les actes : une restructuration relationnelle.180
Un rseau territorial vulnrable...180
Lapproche brasilianiste : une position politique quivoque...184
Une nouvelle stratgie didentification base sur le rseau franco-brsilien..188
3. La pense mtisse : acculturation et dculturation.....191
La permanence identitaire....192
Le discours du vaincu : vers une dculturation....194
La pense mtisse restructure...197
C. Vers un cloisonnement amricaniste202
1. Le transnationalisme entre deux rives..203
969

Table des matires

Laspiration brsilienne203
Le choix dune patrie adoptive.206
2. Un prudent rengagement.205
La reconnexion transatlantique montevideana....209
Bruits de bottes et coups de pioches.214
Conclusion...217
Chapitre III : Des amricanismes rioplatenses (1799-1858)220
Introduction.....220
A. Les discours des vainqueurs..222
1. Amricanisme et provincialisme : les discours priphriques........223
Enracinement provincial et sensibilit amricaniste224
De lEtat-frontire la province nationale..229
Des utopies indpendantistes aux ralisations amricanistes..235
2. Amricanisme et nationalisme : les discours centrifuges236
La question capitale..237
Province et patrie : une quation amricaniste exemplaire.240
3. Amricanisme et transnationalisme : les discours classificatoires.244
Le Brsil, un partenaire duquer...245
Le Paraguay, une civilisation dans lenfance ?....................................................248
LUruguay, la province perdue252
B. De nouvelles noces dor ?.........................................................................255
1. Le patriotisme en question : du civilisationnisme au contrat socital...256
Le rle politique de la France : patriotisme et diplomatie...257
Le rle conomique de la France : patriotisme et ressources naturelles.259
Le rle dmographique de la France : patriotisme et immigration.....261
2. La colonisation europenne en devenir : des modles franais au creuset
correntino.265
Un principe idologique, le creuset rural : peupler pour civiliser...266
Un modle conomique, les Missions : valoriser le territoire..268
Une ralit culturelle, lintgration amricanocentriste : une crolisation de
fait.272
Un rsultat politique, la dfinition de lamricanisme correntino : affirmer une
identit rgionale..275
C. Une pense amricaniste, de la geste indpendantiste la geste
transatlantique....278
1. Sauveurs et tyrans : le modle politique incarn.279
LEtat sauveur : la France, de Napolon Ier Napolon III....280
Lindividu sauveur : de Bolvar Urquiza...283
2. Cits et sociabilits : les pratiques politiques en gestation......286
Lunit, des Provinces Unies la Confdration Argentine....287
Le progrs, des pionniers aux colons...289
3. Les interactions amricanistes...290
La pyramide civilisatrice bonplandienne : lamricanisme pens et vcu.291
970

Table des matires

Les substrats amricanistes rioplatenses.292


Conclusion...292
Conclusion de la premire partie..297

DEUXIEME PARTIE : DU LABORATOIRE NATURALISTE EUROPEEN


AU TERRAIN AMERICANISTE : LES PERIPHERIES DE LHISTOIRE
NATURELLE.305
Introduction.306
Chapitre IV. Linsertion dAim Bonpland au sein des centres scientifiques
franais (1798-1816) : le matriel amricain marginalis...311
Introduction.311
A. Une position substantielle mais secondaire parmi ses pairs......314
1. La carrire du voyageur botaniste entre centre et priphrie
scientifique......314
Des parcours diffrents selon la gnration ?.....................................................316
Linfluence du voyage sur la carrire..321
Un compagnon de voyage relgu au second plan..327
2. Des relais institutionnels cloisonns..336
Le faible appui des professeurs du Musum.338
Les tentatives auprs de lInstitut.342
Llection de 1817345
3. Les relais internationaux dAim Bonpland347
Laxe central germanique.349
La Grande-Bretagne, un partenaire essentiel et dispendieux..353
Les centres hispaniques marginaliss..355
B. Malmaison-Navarre, une voie impriale ?...................................................359
1. Un laboratoire priphrique..360
Un relais institutionnel faible...361
La marginalisation des recherches...365
Un laboratoire au service des particuliers...369
2. Un laboratoire protiforme371
Crotre et multiplier : lacclimatation au centre du laboratoire..371
Une identit problmatique..373
3. Une gestion controverse....375
Une attitude peu conome....376
Une intendance rapidement remise en cause...379
Un intendant isol et diminu...382
C. Malmaison-Navarre, un laboratoire pr-amricaniste ?...........................386
971

Table des matires

1. Une empreinte amricaniste faible....387


Lempreinte amricaniste sur le laboratoire dacclimatation..387
Lamricanisme, une branche de lexotisme391
2. Un laboratoire animal innovant mais phmre..394
Du parc zoologique au cabinet.395
Un projet utilitariste pertinent..398
Des rsultats probants mais phmres...401
3. Un laboratoire de botanique exceptionnel mais dpourvu de direction
scientifique...405
Un programme utilitariste ambitieux...406
Des outils et des moyens de recherche colossaux....409
Des rsultats sans lendemain....412
Conclusion...414
Chapitre V. LAmrique hispanique laube des indpendances : Grands
Tours et perspectives scientifiques (1748-1821)...417
Introduction.417
A. LAmrique espagnole entre deux paradigmes : lvolution de la culture
des voyageurs-naturalistes au cours de la seconde moiti du XVIIIe
sicle.....418
1. Dcouvertes et conqutes : continuits et ruptures.419
LAmrique, une tape curieuse du Grand Tour autour du monde419
Portrait de lamricaniste fin de sicle ..420
Des voyageurs clairants..425
2. La multiplication du rel : des voyageurs et de leur regard...427
Du miroir au laboratoire..427
Un retard gographique primordial.....429
De lAmrique rve lAmrique expose.431
3. Le reflux des donnes : dun mirage lautre432
Le double discours nationaliste et universaliste...432
Les prmices culturels dune science...434
Un bilan dcevant.437
B. Les relations scientifiques entre le Ro de la Plata et lEurope..439
1. Un bilan au moment de la rupture politique....440
Des lites porteas complexes.....441
Un terrain nglig ?..............................................................................................445
Des moyens insuffisants ?.....................................................................................447
2. Le recrutement des cadres : louverture lEurope...450
Des objectifs scientifiques ambitieux....451
Politique dattraction ...453
et attraction politique....456
3. Construction nationale et prestige international.459
Actions culturelles et raison dEtat..460
Un savant au sommet de son art...462
Un tremplin vers la gloire ?..................................................................................465
972

Table des matires

C. Poursuivre luvre naturaliste.468


1. Poursuivre les grands voyages dexploration...469
Complter le Voyage aux rgions quinoxiales...470
Les Missions du Paraguay, appendice du Voyage...472
Le cordon ombilical institutionnel....475
2. Propager les Lumires....477
Pour lavnement dune politique scientifique tatique...478
Pour le dveloppement dune dynamique continentale....480
Pour une coopration transatlantique..482
3. Acclimater savoirs et pratiques.486
Innover pour duquer...486
Transfrer les savoir-faire....489
Un cadre de recherche en devenir....491
Conclusion...493
Chapitre VI. Du Grand Tour amricain la collecte priphrique (18171858).495
Introduction.495
A. Prospecter lInterior : des campagnes scientifiques priphriques496
1. Aux marges de la civilisation ? Le voyage aux Missions.497
Le mrissement dune campagne scientifique..498
Un voyage sans retour ?.......................................................................................502
Des projets la ralisation...507
2. Exploration et dveloppement...514
Une priorit scientifique utopique ?.....................................................................515
Explorer le dveloppement...521
Peu de place pour le pittoresque..526
3. Des campagnes de plus en plus cibles..530
Une exploration inorganise ?.............................................................................531
De lexpdition lexcursion....534
Complter les collections..538
B. Des avances scientifiques significatives..541
1. Le rgne vgtal..542
Une moisson de dcouvertes.....543
Llaboration dune gographie des plantes549
Un travail clos ?...................................................................................................554
2. Le rgne minral.558
Un moindre travail...560
Des perspectives engageantes..564
Des apports fragments et oublis....568
3. Le rgne animal...574
Un terrain en voie dpuisement...574
Une avance ttons....577
Lethnologie, une lacune majeure579
973

Table des matires

Conclusion...582
Conclusion de la deuxime partie.....584

TROISIEME PARTIE : ENTRE NATURALISME ET AMERICANISME :


LEMERGENCE DE CENTRES DE CULTURE SCIENTIFIQUE PREAMERICANISTES.589
Introduction.590
Chapitre VII. Des thories naturalistes aux pratiques amricanistes : de
nouveaux terrains dapplication (1817-1858)...593
Introduction.593
A. Du chercheur lentrepreneur.596
1. La rsonance naturaliste : les champs du possible..597
De la raret lutilit des vgtaux.598
Vers une recherche applique..601
Embellie ou marasme ?........................................................................................604
2. Des relais conomiques forts..607
Voyageurs et investisseurs : une adaptation oblige608
La prgnance de lconomique au sein du rseau de Bonpland..611
Capital et main duvre...613
3. L or vert ....616
Lhritage jsuite..617
De la classification lutilisation.619
De lutilisation la mise en valeur...622
B. Un Eldorado en devenir.625
1. Lexprience paraguayenne de Bonpland....627
Enfer ou paradis ?................................................................................................629
Un monde clos mais agissant...631
Une exprience russie et reproduite...634
2. Des reprsentations conomiques rcurrentes.636
Prosprer lInterior....639
Le Paraguay, un nouvel Eldorado ?.....................................................................642
Un territorio inmenso, virgen y frtil .645
3. Une ralit beaucoup plus nuance...648
Les terrains cultivables.649
Des entreprises rves aux ralisations...651
Lacculturation aux dbouchs naturels..655
C. Entre naturalisme et amricanisme : le terrain mdical...659
1. Journaux dun mdecin de campagne..661
Esquisse dune typologie mdicale...662
974

Table des matires

Une pharmacope hybride....665


Le mdecin et le politique.670
2. Porte et limites dun pouvoir...673
Un travail respect674
Mais peu cout.676
Un terrain vague...679
Conclusion...681
Chapitre VIII. De la coopration transatlantique au terrain de recherche
priphrique (1817-1849)...683
Introduction.683
A. La construction manque dune tradition scientifique priphrique...684
1. Une coopration rate685
Une coquille vide..686
Du laboratoire au dpt...694
Les projets coopratifs aprs la parenthse paraguayenne.701
2. Un terrain de passage.705
La distanciation vis--vis des sciences naturelles priphriques705
Labsence de dynamisme scientifique..711
Un terrain dapprovisionnement..717
B. Des recherches eurocentres aux recherches priphriques.720
1. La marginalisation du projet ditorial.....721
Un projet transatlantique : lhistoire naturelle des Provinces Unies de la
Plata..721
De ldition transatlantique la recherche eurocentre.725
2. La marginalisation des recherches rioplatenses...730
Un terrain vid de sa substance....731
Un retard insurmontable..732
Un rseau transatlantique fragile.738
3. La marginalisation du projet scientifique....743
Le martyr du Paraguay : loccasion rate...744
Un sentiment disolement institutionnel...748
Un statut scientifique priphrique..754
Conclusion...757
Chapitre IX. Vers lamricanisme : la convergence des projets scientifiques
transatlantiques (1849-1858)..759
Introduction.759
A. Une coopration transatlantique refonde..760
1. Un rseau et un discours scientifique opratoires...761
La reconnexion europenne..761
975

Table des matires

Lmergence dun rseau savant transatlantique.764


Un honorable correspondant....769
2. La coopration dans les actes : les fondations musographiques...772
Lacquisition de la matire premire scientifique....772
La cration dun produit scientifique utilisable...774
La diffusion dun projet scientifique externalis..777
B. La cration du muse de Corrientes : un centre de culture scientifique pramricaniste.781
1. La conception..782
Limpulsion europenne...782
Limpulsion amricaine....785
Limpulsion du gouverneur Pujol.788
2. Lapport dAim Bonpland...791
Le dsir de transmission...791
Une caution scientifique essentielle..794
Le legs matriel.796
3. Un laboratoire gocentr....799
Un tablissement agricole modle....800
La rationalisation des ressources scientifques.802
C Du pr-amricanisme lamricanisme : la fondation dune tradition
scientifique priphrique....806
1. Une cole du jardin : le legs amricaniste dAim Bonpland.....806
Lamricanisme misionero...807
Le legs amricain..809
2. Vers une gnalogie des sciences amricanistes...811
De lacteur au sujet de recherche.....812
Des recherches isoles la mise en rseau de linformation...813
Du naturalisme lamricanisme....815
Conclusion...818
Conclusion de la troisime partie..820

Conclusion gnrale824

Sources et bibliographie.837
Sources.....837
I. Sources manuscrites..837
II. Sources imprimes...838
A. Aim Bonpland....838
976

Table des matires

1. Ecrits dAim Bonpland.....838


2. Ecrits concernant Aim Bonpland..839
B. Priodiques et publications officielles.840
C. Publications politiques et conomiques, mmoires.841
D. Publications scientifiques843
E. Rcits de voyage...848
Bibliographie...850
I. Mthodologie de recherche...850
II. Aim Bonpland : aspects biographiques..852
III. Entre lEurope et les Amriques.856
IV. Indpendances et constructions des nations amricaines...861
V. Institutions et centres de culture scientifique en Europe et en Amrique867
VI. Pratiques scientifiques en Europe et en Amrique.871
VII. Pratiques scientifiques transatlantiques.877

Table des cartes


Carte n 1. Rgions explores par A. Bonpland (1817-1858)....51
Carte n 2. Relations pistolaires dtailles entre A. Bonpland et ses compatriotes
(1831-1858)..103
Carte n 3. Relations pistolaires simplifies entre A. Bonpland et ses
compatriotes (1831-1858).....104
Carte n 4. Fossiles collects par A. Bonpland dans le Ro de la Plata573
Carte n 5. Itinraire du voyage de Humboldt et Bonpland (1799-1804)948
Carte n 6. La rgion des Missions...949
Carte n 7. Les premires missions jsuites (1610-1640).950
Carte n 8. Les pueblos et estancias jsuites en 1750..951
Carte n 9. Formation territoriale des Missions (1811-1895)...952
Carte n 10. Voyages de Bonpland (1817-1858)......953
Carte n 11. Sjours et dplacements dAim Bonpland (1817-1858).956
Carte n 12. Les circuits marchands de la priode coloniale ...957
Carte n 13. Les circuits marchands de la premire moiti du XIXe sicle..958

Table des graphiques


Graphique n 1. Correspondants dAim Bonpland (1831-1845)110
Graphique n 2. Correspondances dAim Bonpland (1831-1858)..114
Graphique n 3. Correspondants dAim Bonpland (1845-1858)186
Graphique n 4. Une typologie des modes dacculturation..273
Graphique n 5. La pyramide civilisatrice bonplandienne .291
Graphique n 6. Les substrats amricanistes rioplatenses293
Graphique n 7. Budget des dpenses ordinaires du domaine de Malmaison
prvues pour lanne 1810377

977

Table des matires

Graphique n 8. Budget des dpenses extraordinaires du domaine de Malmaison


prvues pour lanne 1810378
Graphique n 9. Budget rserv lenseignement suprieur Buenos Aires en
1820..464
Graphique n 10. Envoi de semis Buenos Aires. 15 janvier 1821.517
Graphique n 11. Envoi de semis Buenos Aires. 14 avril 1821.518
Graphique n 12. Localisation des descriptions botaniques effectues par
Bonpland (1817-1858)..551
Graphique n 13. Echantillons botaniques dcrits (1817-1839)...555
Graphique n 14. Echantillons botaniques dcrits (1840-1857)...556
Graphique n 15. Ouvriers engags par Bonpland (1822-1830)......629
Graphique n 16. Transactions conomiques de Bonpland en pesos (fvrier 1824fvrier 1826).633
Graphique n 17. Rmunrations verses par Bonpland (semestres de 1823
1827).635
Graphique n 18. Budget de luniversit de Buenos Aires en 1822.691

Index onomastique..883

Glossaire..903

Table des annexes


Annexe n 1. Chronologie indicative...906
Annexe n 2. Biobibliographie dAim Bonpland...919
Annexe n 3. Extraits des archives mdicales dAim Bonpland....930
Annexe n 4. Extraits des journaux de voyage dAim Bonpland...933
Annexe n 5. Extraits des journaux botaniques dAim Bonpland..938
Annexe n 6. Extraits des archives indites dAim Bonpland940
Annexe n 7. Portraits dAim Bonpland.946
Annexe n 8. Carte n 5. Itinraire du voyage de Humboldt et Bonpland (17991804).....948
Annexe n 9. Prsentation cartographique des Missions. 949
Annexe n 10. Carte n 10. Voyages de Bonpland (1817-1858)..953
Annexe n 11. Carte n 11. Sjours et dplacements dAim Bonpland (18171858).956
Annexe n 12. Cartes n 12 et 13. Les circuits marchands de la priode coloniale
et de la premire moiti du XIXe sicle... 957
Annexe n 13. Aim Bonpland et Malmaison-Navarre....959
Annexe n 14. Vues des proprits de So Borja et Santa Ana966

978

Lamricanisme en construction. Une pr-histoire de la discipline daprs lexprience du


naturaliste Aim Bonpland (1773-1858)
Rsum :
Lexprience dAim Bonpland invite rflchir sur les conditions ncessaires au transfert dune science et sur
lidologie qui le porte. Partisan de lindpendance du Ro de la Plata, imprgn dune culture politique mettant
au premier plan la ncessit dun Etat fort permettant la stabilit et le rayonnement dune nation, Bonpland se
heurte linstabilit qui caractrise la construction politique de cette rgion. En suivant son parcours on assiste
la rencontre manque entre un naturaliste porteur dun projet fond sur le modle universaliste du centre
scientifique europen et des lites qui, la priphrie, souhaitent mettre en place une politique spcifique base
sur lutilisation des ressources naturelles des fins de dveloppement interne.
Cette exprience permet de mettre en vidence diffrents moments de la construction des nations rioplatenses et
de les insrer dans une grille de lecture amricaniste. La notion damricanisme, aborde comme un ensemble
didologies en action ayant comme proprit essentielle le dveloppement dinteractions culturelles, soulve le
problme de la convergence des idologies et de leur adaptation transatlantique. En effet, il faut attendre la mise
en place de projets politiques et scientifiques rioplatenses fonds sur la production externalise des
connaissances pour que laction scientifique mene par Bonpland, elle-mme base sur la recherche applique,
devienne opratoire. Lexprience de Bonpland est replacer dans cette continuit, depuis linadquation entre
loffre et la demande scientifique jusqu la convergence des projets amricanistes.
Mots cls : Aim Bonpland, amricanisme, histoire naturelle, Ro de la Plata.

Americanism under construction. A pre-history of the discipline according to the naturalist


Aim Bonplands experience.
Summary :
Aim Bonplands experience leads us to reflect about the necessary conditions for the transfer of a science and
the ideology it bears. In favour of the independence of the Rio de la plata, imbued with a political culture putting
forward the necessity of a strong state thus enabling a nation to be stable and to shine forth, Bonpland comes up
against the instability that characterizes the political construction of this region. By following his path, we
witness the wasted accounter between, on the one hand a naturalist bearing a project based on the universalist
pattern of the European scientific center, and, on the other hand the elites who, at the periphery, want to settle a
specific policy based on the use of natural resources aiming at international development.
This experience enables to bring to the fore different moments of the construction of the Rioplatenses nations
and to insert them from an americanist perspective. The notion of americanism tackled as a set of ideologies into
action whose main property is the development of cultural interactions, arises the issue of the convergence of
ideologies and of their transatlantic adaptation. Indeed, to become operating, it is necessary to wait for the setting
up of political and scientific rioplatenses projects, based on the outsourced production of knowledge, for the
scientific action led by Bonpland, itself based on applied research, to become operating. It is necessary to put
Bonplands position back in this continuity, from the inadequacy between the scientific supply and demand, up
to the convergence of americanist projects.
Keywords : Aim Bonpland, Americanism, natural history, Ro de la Plata.

CRHIA (Centre de Recherches en Histoire Internationale et


Atlantique)
FLLASH
Universit de La Rochelle

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