Sauvagnat - Hallucination Et Énociation

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Introduction

Franois Sauvagnat

Pourquoi les hallucinations verbales psychotiques sont-elles si importantes pour nous?


Les hallucinations verbales psychotiques ont incontestablement un statut spcial dans
la psychanalyse lacanienne, qui ne se retrouve comme tel ni dans les autres formes de
psychanalyse, ni dans les thories psychiatriques de l'hallucination verbale.
La premire chose indispensable est de situer la conception lacanienne par rapport aux
conceptions psychiatriques. Historiquement, elle est lie ce qu'Henri Ey a appel le passage
de l'hallucination comme "perception sans objet" (E. Esquirol), la pseudohallucination.
Trois successeurs de Seglas
Alors qu'au XIXme sicle, la thmatique de l'erreur hallucinatoire est massive
(l'hallucination tant de faon prdominante suppose tre visuelle), et restera inentame dans
la psychiatrie anglo-saxonne, confrant celle-ci un retard dont elle ne s'est gure rattrape, le
passage au XXme sicle est marqu, dans la psychiatrie francophone, par le recentrement sur
les hallucinations verbales, et tout particulirement le phnomne de Seglas, dans lequel il est
dmontr que les voix hallucines, nettement prvalentes chez les sujets psychotiques, sont
profres in petto par le sujet hallucin, et qu'une continuit peut tre prouve entre pense,
discours intrieur, profration et impulsion verbale ; un mouvement que jai appel la
dsensorialisation des hallucinations verbales .
Ce phnomne, central mais pas unique dans ce qu'on a appel la seconde psychiatrie
classique franaise, donnera lieu plusieurs interprtations divergentes, dont nous intressent
au moins trois:
1-Celle de Gatan Gatian de Clrambault, qui en propose une explication irritative
(lsion serpigineuse) et presque partout exclut la notion d'une signification qui y serait
immdiatement attache.
2-Celle de Henri Ey, qui fait prfacer par Sglas son premier ouvrage sur les
hallucinations, et insiste contre Clrambault sur la solidarit indissociable entre dlire et
hallucinations psychotiques, solidarit qui, formellement, se retrouve dans la continuit
reconnue dans les annes 1920 par l'cole franaise entre intuition dlirante, penses imposes
et hallucinations verbales. Or Ey prtend rendre compte de cette unification, en sinspirant de
Mayer-Gross, en prsentant tout vcu dlirant comme un trouble de la conscience.
3-Initialement solidaire de Ey sur la nature de l'automatisme et la continuit des vcus
lmentaires psychotiques, Jacques Lacan s'en spare, tant pour la dpendance de celui-ci vis- vis d'une phnomnologie centre sur la conscience que pour l'avoir, dans les congrs qu'il
organise, systmatiquement mis en position d'orateur second. D'o l'nigmatique
proclamation que Clrambault serait son "seul matre en psychiatrie" (rappelons-nous que
Kretschmer, un des trs rares dfenseurs avec Gaupp de la notion de paranoa en Allemagne
aprs 1918, dclarait que Lacan tait son lve direct..., que Lacan voque plusieurs reprises
l'importance de Petit dans ses propres laborations, etc., etc.), certes rfrable la prvalence
de la chane signifiante, mais aussi vengeresse par rapport la semi-trahison de Ey, sans
prjudice des nombreuses critiques que Lacan adresse la thorie de Clrambault.

Hallucination et nonciation
Le second pas consistera, logiquement, attacher l'hallucination la question de
l'nonciation, spcialit de la linguistique francophone depuis Bally (et encore
aujourdhui).Toute une srie de textes de Lacan portent sur cette question, notamment le
sminaire III, qui peut tre maints gards, comme je lai montr, tre considr comme un
dbat avec les thses d'douard Pichon. Le plus clair des apports de Lacan en rsultera, et
notamment la thse selon laquelle les phnomnes lmentaires sont une sorte dnonciation,
dont le modle articule une principale et une relative, en jouant sur la notion hautement
controverse dune latitude propre au franais concernant laccord des personnes entre lune
et lautre, de faon unique dfendue par Damourette et Pichon. Le Tu es celui qui me
pichonien est ainsi lev par Lacan la hauteur de structure lmentaire rglant les rapports
entre nonciation et nonc, avec comme consquence d'appeler nonciation deux choses
distinctes: le tu pralable (dont le dveloppement complet donnera notre message nous
revient de lAutre sous une forme inverse ), et la faon dont dans le sujet quelque chose y
rpond, qui l'y lie et len distingue tout la fois. Voil donc un point de discorde
particulirement massif par rapport aux travaux anglo-saxons : pour tout analyste de lIPA,
une hallucination reste une erreur de jugement, et la rfrence tardive, depuis Feighner, aux
symptmes de premier rang de Kurt Schneider nest pas faite pour arranger les chose ; pour
un analyste lacanien, une hallucination est un type particulier de rapport entre nonciation et
nonc pouvant se dissimuler de diverses faons.
Effets de retour
Autant la notion de phnomne lmentaire a t construite par Lacan en rfrence
cette question de lnonciation, autant cette dernire a profit de cette application. Le graphe
du dsir est littralement construit sur la base dune structure bipartite des hallucinations
verbales (M= C/M et C=M/C, dans Subversion du sujet et dialectique du dsir), qui a
dimportantes consquences au niveau de ltage suprieur, o fantasme et dsir modulent
jouissance et castration. Autrement dit, la structure des hallucinations est la base do drive
la structure du sujet de linconscient, celle-ci tant donne comme une variante de celle-l.
Pratiquement, je constate que ce graphe reste difficilement lisible pour qui ne dispose pas de
cette notion.
Lhypothse de linconscient interprte, releve par Jacques-Alain Miller lors de
discussions sur la passe, en rponse la notion de dclin de linterprtation propose par
S. Cottet, peut galement tre lue comme une consquence de la prvalence du modle de
lhallucination verbale au sens de la seconde psychiatrie classique franaise.
Une autre consquence est lopposition frontale entre lapproche lacanienne et celle de
lIPA concernant la question paternelle. Alors que le modle classique de lIPA est centr sur
la solidarit entre une instance paternelle garante de la ralit et la fonction de contrle dun
moi suppos a-conflictuel, mais dans les faits obsessionnalisant, le modle qui se maintient
chez Lacan partir des annes 1950 fait fond sur la fonction de la nomination c'est--dire
lenvers de linsulte hallucinatoire, de la perscution et de la perplexit (ou absence de
signification).
Hallucination et supposition de savoir
Autre consquence encore, sur le traitement du transfert par Jacques Lacan. C'est une
banalit de dire que les mathmes lacaniens s'inspirent de mcanismes psychopathologiques,
et le destin du discours de l'hystrique comme modle du discours analytique est dans toutes

les mmoires. Il faut certainement y ajouter la supposition de savoir qui en quelque sorte
dcentre la passion hystrique pour l'intersubjectivit imaginaire (Proposition de 1967).
Rappelons quon doit Capgras la notion de dlire de supposition , ce qui na
probablement pas eu moins dimportance que la rfrence lhupokeimenon aristotlicien,
mme si Capgras en rservait l'usage aux "perscuts mlancoliques". Ce dcentrement, rien
ne le manifeste mieux que l'hallucination elle-mme, condition que, comme Sglas, on en
voie le paradigme dans l'hallucination psychique de Baillarger, c'est--dire qu'on renonce la
sparer entirement de l'interprtation dlirante dans son versant dit "intuitif" (la fameuse
"signification personnelle", krankhafte Eigenbeziehung de Neisser). cho par o se dfait la
familiarit spculaire, nigme simposant dans le grain dune voix, soupirs inexplicables dont
le sujet se trouve entour, sensorialisant a minima ltranget de lambiance (Wahnstimmung),
moins quun retournement se ralise dans une profration pouvant osciller du
questionnement obsdant linsulte, on peut multiplier linfini les exemples. Tous marquent
la faon dont la supposition de savoir prend naissance de faon brute chez le psychotique
alors que le nvros, au contraire, tend sassurer au pralable que lhabit ne va pas au
psychanalyste (Proposition de 1967) un tonnant rcit de passe tmoignait, il y a une
dizaine dannes, jusqu quelles extrmits de dsupposition ceci peut aller pour un sujet
hystrique, disons, sans ambages. Do dailleurs le paradoxe que lincroyance (Unglauben)
aille de pair avec cette imputation brute de savoir, comme sen merveillait Lacan propos de
Cantor sauf dans lironie schizophrnique.
Le retour de lobjet
Mais si le tournant marquant, dans le domaine francophone, la prvalence de
l'hallucination verbale sur la conception romantique de l'hallucination comme "perception
sans objet" (" percevoir" prcisait Henri Ey) a fait date, une consquence curieuse de sa
lecture lacanienne a t de faire renatre lobjet hallucinatoire sous une tout autre forme,
comme pure nonciation dtache de tout nonc (cf. Kant avec Sade), objet nincluant
pas la sparation ( la diffrence de l'objet transitionnel nvrotique). Ce curieux effet, cet enforme supposant un savoir (tout en tentant de s'en dfendre) donne l'objet une consistance
particulirement loigne de la notion sous-entendue antrieurement. C'est que le statut de la
perception connat avec Lacan un bouleversement considrable, bien marqu dans son texte
la mmoire de Maurice Merleau-Ponty. Pour Merleau-Ponty, les objets ne sont pas inertes, ils
sont le signe que quelque chose nous attend. Lacan radicalise le trait : derrire tout objet, une
supposition de savoir, contre lequel on se dfend. Et comme nous ne pouvons saisir le monde
qu' partir de la supposition de notre corps, le mme mouvement qui nous permet de traiter
des objets spars est galement ce qui permet de dcrocher l'nonciation de l'nonc... du
moins pour les nvross.
Rfrences :
Lacan J : Proposition de 1967 sur le psychanalyste de lEcole, in Nouveaux crits, Paris,
Seuil.
Lacan J : Ecrits, Paris Seuil 1966.
Capgras, J: Le dlire d'interprtation hyposthnique. Dlire de supposition. Annales Mdicopsychologiques, 88, t. II, 1930, p 272 sq.
Petit G: Essai sur une varit de pseudo-hallucination. Les autoreprsentations aperceptives,
thse de la Facult de Mdecine de Bordeaux, 1913.
Lacan, J.: Le sminaire: Les psychoses, Paris Seuil 1985
Sauvagnat F : La "dsensorialisation" des hallucinations acoustico-verbales: quelques
rsultats actuels d'un dbat centenaire, in Polyphonie pour Ivan Fonagy, ouvrage collectif,

L'Harmattan, Paris 1997, p.165-182


Sauvagnat F : Hallucinations psychotiques et nonciation in La voix, dans et hors la cure
(actes du colloque de Nice), revue Psychologie clinique, n19, 2005.
Sauvagnat F : "Fatherhood and naming in J Lacans works , in The symptom, Online Journal
for Lacan.com. http://lacan.com/fathernamef.htm, 2003.
Sauvagnat F :"La systmatisation paranoiaque en question, in Pense psychotique et cration
de systmes. La machine mise nu sous la direction de F.Hulak, ed. Ers, 2003, p 141-175.
Sauvagnat F : Le surmoi et la question de lnonciation chez J Lacan, confrence au colloque
de Cerisy : Freud et le langage, juillet 2007 ( paratre).

Lhallucination nest pas sans objet


Bernard Jothy

La formule lhallucination, perception sans objet est de fondation (Ball, 1890).


Depuis, de nombreuses contributions cliniques lont mise en question, pour la
complexifier ou labandonner.
Les auteurs classiques sy sont employs, avec des orientations thoriques diffrentes.
Quen reste-t-il aujourdhui ?

Au rang des psychanalystes, Lacan - sappuyant sur Sglas - a clairement centr le


phnomne hallucinatoire sur le langage, en insistant sur le rle gnrateur du signifiant, l o
les anciens taient partis de la sensation ou de la perception.
Cela renouvelle considrablement la question pour les hallucinations (comme pour les
phnomnes lmentaires de la psychose).
Cependant, labord de lhallucination reste hant par lobjet, comme si - de dclarer
lobjet absent - ne suffisait pas effacer son incidence ; comme si son efficience tenait son
absence mme. (cf : les effets ne se portent bien quen labsence de la cause ). Rsumonsnous : le pouvoir de nommer les objets structure la perception elle-mme.
La sensorialit est inconstante et il peut y avoir des lments psychomoteurs associs.
Cette exprience - Erlebnis - quest lhallucination est toujours relative un discours,
une croyance, un sujet, lattribution subjective fut-elle particulire.
Pour le clinicien orient par Lacan, il convient donc dapprcier, la manire dont la
parole (du patient) est dj prise dans le rseau des couples et des oppositions symboliques .
Cest cet ordre symbolique qui organise la relation intersubjective : la communication
se fait dans le langage.
Si lobjet intervient, o le situer ? Cet objet qui ne peut tre saisi par aucun organe,
mais peut sincorporer.
Deux exemples cliniques nous serviront rpondre cette question: cet objet est
perceptible l o la chane signifiante se rompt : cest la voix de lAutre. Il peut aussi oprer
comme objet indicible mis en fonction dnonciation.

Freud 1895, Manuscrit H


Deux surs clibataires reoivent un homme de passage qui bauche peine un
contact sexuel avec lune delles. Cest celle-ci qui dveloppe, des annes plus tard, des ides
dlirantes sur le voisinage : on parle beaucoup de ce monsieur, on fait des allusions et on
attente la rputation de cette demoiselle.
Freud dit quelle spargne le reproche de mauvaise femme en lattribuant aux
voisines : il lui revient du dehors. Comme ce sont dautres quelle qui formulent ce jugement,
il lui est possible de mieux le rcuser et de le maintenir distance : elle refuse de croire ce
reproche - Versagen des Glaubens - et peut mme y ragir.

Lhallucination lui sert rejeter la culpabilit et gommer son implication dans une
mconnaissance soutenue Notons au passage que ce cas confirme tout fait que ce nest pas
le mal commis qui engendre la culpabilit, mais le bien (= lidal, cf Tlvision, p. 71)
Ce quelle ne peut admettre, elle le rejette dans le rel et elle institue le choeur des
voisines en Autre accusateur, profrant la partie de la chane signifiante quelle refuse de
prendre son compte directement.
Cest donc la voix de lAutre qui prend valeur dobjet, au mpris de toute attestation
pouvant prouver lobjectivit des dires des voisines.
L o la parole de la patiente bute sur lindicible, la voix-objet de lAutre prend le
relais.

Cas Rcent
Une jeune fille de 22 ans quitte sa famille pour poursuivre ses tudes et sinstalle dans
une chambre dtudiant. Son voisin linvite chez lui regarder la tlvision, lembrasse. Elle
accepte de coucher avec lui, avant mme davoir tabli un lien de parole consistant et pense
que lacte suffit faire couple.
Do sa surprise quand le garon refuse de safficher socialement avec elle. Le
dclenchement est immdiat : elle pense quil la filme et que a va passer sur Internet. Des
voix la harclent en permanence : salope et elle est sre davoir entendu le gars la dbiner
avec ses copains. Il lui faut revenir chez sa mre et tre hospitalise.
De la priode qui suit, retenons ce qui concerne son rapport aux hommes : elle recrute
facilement, pour flirter, des garons un peu mauvais genre, racaille , tant sre quils
dplairont sa mre, mais les relations avec eux sont phmres, ce qui ne veut pas dire que
les sparations sont faciles, puisque ponctues loccasion par une tentative de suicide.
Plus durables sont ses rencontres avec deux hommes ayant pass la cinquantaine :
cest avec eux quelle peut trouver du plaisir parler, hors enjeu sexuel.
Enfin, une squence familiale : elle gche la petite fte dun repas au restaurant avec
sa mre et sa sur, en indisposant le serveur par son regard appuy, si bien que le garon
courrouc lui lance pourquoi tu me regardes avec cette insistance ? .
Elle nie lavoir regard.
Linsulte hallucinatoire vient ici aussi en lieu et place de ce qui ne peut pas se
subjectiver pour elle de cette rencontre sexuelle : les signifiants lui font dfaut pour assumer
une position fminine que nul idal ne peut tayer.
Cest le vide de lAutre du signifiant prouv jusqu langoisse.
Elle a pens sy retrouver, en imaginant que lAutre de lamour tait au rendez-vous,
ce que ltudiant a refus davaliser. On peut supposer quelle sattendait ce quil lui dclare
tu es ma femme , il sen est bien gard.
La place est alors libre pour que le regard perscuteur sinstalle en matre, et la livre
tout internaute avide.
Bouscule dans ses repres signifiants, ballotte dans un imaginaire menaant, elle
trouve dans le qualificatif insultant la dsignation de sa valeur de jouissance.
La voix hallucinatoire - surmoi impitoyable - simpose elle en labsence de toute
rgulation possible de la relation intersubjective entre ltudiant volage et elle ( axe a-a).
Auprs des hommes dge mr, on peut supposer quelle recherche les lments qui
lui ont manqu pour tenir dans lchange sexuel : elle ny a pas dispos des signifiants forclos,
inaccessibles et pourtant essentiels, car seuls capables de la prmunir dune dgradation
indigne.

La compagnie de ces hommes suffit indiquer sa qute dun pre idal, non chtr,
image appele en regard du trou forclusif qui lhabite et compromet son rapport la loi
symbolique (forclusion du Nom du Pre dfaut de signification phallique).
La scne avec le serveur est une demande muette dtre regarde par ce garon, dtre
reconnue comme attirante, alors quau fond delle-mme persiste lide quelle est moche .
Cest un essai assez dsespr dincarner le phallus.
L encore, le partenaire ne rpond pas son attente de valorisation.
Nous voyons l que limpasse imaginaire dpend du signifiant phallique non
disponible car, cest la place de lAutre que le sujet y a accs (Ecrits, p. 693).
Le chemin est barr pour elle puisque nous avons phi zro. Donc, pas de passage la
parole et plein effet de lAutre rel, non discursif, qui simpose elle et indispose le serveur
vis : cest lui qui rompt ce silence pesant et lapostrophe, mais cest elle qui est atteinte dans
son tre de vivant: la tentative de suicide sensuit.
La clinique des sujets psychotiques apporte maint exemple dhallucinations o la place
de lobjet correspond la rencontre de ce qui na pas de nom, de ce qui est indicible et
pourtant incontournable. Rupture de la chane, bance de perplexit, mergence de
jouissances intrusives, ravageantes car dconnectes de la signification phallique, telles sont
les coordonnes subjectives de la mise en fonction de lobjet.
Lacan, Sminaire X, p. 189 : le a est ce qui reste de lopration totale davnement
du sujet au lieu de lAutre . Ce reste, le psychotique en a lui aussi, la charge.
Notre cas semble pouvoir se lire en mettant en valeur deux modalits de lincidence de
lobjet :
- soit le a est en rapport avec P zro : cest lhallucination qui se vocalise pour elle en salope
(a P).
- soit le a est en rapport avec zro : cest le silence du regard au serveur, tendu dans son
attente dune marque de reconnaissance. Ebauche drotomanie ? (a ).
La voix de lAutre, identifie comme injure dans la relation avec ltudiant, est - avec
le serveur - escompte comme rponse, quasiment anticipe. Ces deux modalits sont la
reprise de ce qui vaut pour le nvros comme mtaphore de la jouissance: a - phi, daprs J-A
Miller.
En conclusion, en cho ce que nous avons essay de prsenter sur le phnomne
hallucinatoire, nous revient une formulation de Maurice Blanchot propos du pote R.-M.
Rilke : Obir ce qui nous dpasse et tre fidle ce qui nous exclut . Nous ajouterons
simplement : lobjet y a sa part.

Les hallucinations travers lhistoire de la psychiatrie


Bertrand Lahutte

Nous connaissons lorigine du terme hallucination, par ce qui est probablement sa


premire dfinition. Jean-Etienne Esquirol crit sur ce sujet : Un homme qui a la conviction
intime dune sensation actuellement perue, alors que nul objet extrieur propre exciter cette
sensation nest porte de ses sens, est dans un tat hallucinatoire : cest un visionnaire.
Cette assertion fondamentale ouvre le champ de ce que sera la rflexion psychiatrique
venir.
Esquirol nous donne plusieurs indications :
- Il situe lhallucination comme un lment perceptif particulier : une sensation actuellement
perue .
- Ce phnomne est inaccessible un quelconque observateur.
- Enfin, cette exprience perceptive est indubitable. Il sagit dune conviction intime .

Perception ou croyance ?
Etonnamment, tout semble en germe dans cette courte dfinition, alors que nous
constatons, en particulier dans le courant du XIX sicle, une floraison de questionnements.
Nous pouvons les regrouper autour de deux positionnements distincts : une perception sans
objet, versus une croyance errone.
Pour les uns - et en particulier Benjamin Ball (1853) - lactivit perceptive dviante est
au premier chef. Lhallucination est polymorphe, polysensorielle : Quiconque croit voir,
entendre, flairer, goter, toucher directement, tandis que la vue, loue, lodorat, le got, les
tguments ne reoivent quune impression : celui-l est hallucin - pour reprendre la phrase
de Jean-Pierre Falret (1851).
Pour les autres, lerreur porte sur le jugement, sur cette croyance dont le qualificatif
derrone ne semble gure discriminatif. Le dlire na-t-il pas non plus t qualifi
dgarement, de draison, ou derreur du jugement ?
Le thme de lerreur apparat ici. Il sagit dun ratage en rfrence au normatif. C'est
une erreur de l'esprit dans laquelle les ides sont prises pour des ralits et les objets rels sont
faussement reprsents, sans qu'il existe un drangement gnral des facults intellectuelles
(Crichton, 1798).
Cette hypothse marque par une dominante imaginaire ou intellectualise, occulte
alors le caractre de sensorialit de lhallucination. Cest en effet par la qualit sensible de
son vcu quelle peut tre saisie et voque. L intime conviction dEsquirol est ici
perceptible. Ce symptme est un phnomne intellectuel, crbral, les sens ne sont pour rien
dans sa production : il a lieu quoique les sens ne fonctionnent pas, et mme lorsque les sens ne
fonctionnent plus.
Toutefois, il convient de rappeler linfluence suppose des passions pour cet auteur. La
draison est en lien avec un esprit troubl.
Cette rfrence la croyance prsuppose une correction, une rectification possible.
Elle reste profondment ancre dans la norme, dans le gnral.

Un pas suivant est franchi par la distinction faite entre hallucination et illusion. La
question au travail est celle des fausses perceptions. Ceux qui prennent leurs sensations pour
des images et leurs imaginations ou leurs fantasmes pour des sensations. (Boissier de
Sauvage, 1768).
Lillusion fait recours aux sens, mais il sagit dune sensorialit altre, en lien avec un
grand nombre de facteurs, physiques ou physiologiques. Lillusion est une exprience
courante. Toutefois, elle se caractrise dans les tableaux pathologiques par une possibilit de
rectification, qui est situe comme un critre distinctif. Lerreur est ici fondatrice de lillusion,
renforant sa dpendance aux organes de sens. Ceci nest pas sans engendrer une certaine
ambigut. En effet, devrions-nous considrer ds lors, que lhallucination est une perception
sans objet, avec une altration de la croyance en cette perception, tandis que lillusion est une
altration de la perception dun objet, sans croyance pathologique en celle-ci ?
Ce raccourci assez simpliste pointe la confusion en lien avec lemploi de ces registres
celui du perceptible et celui du raisonnable - mais aussi limportance, qui ne cessera
de saffirmer par la suite, du prsuppos organique causal, soit une question spcifique, celle
de ltiologie des troubles.

Sortie du phnomne perceptif


Par ailleurs, mme lorsque les hallucinations semblent se produire sans le secours
daucun sens , selon les termes de Jules Baillarger (1842), le malade reste tout de mme
persuad quil subit des influences extrieures sa personnalit. Le sujet est vis par cette
production. Pour certains, elle vient dun autre.
Cette donne, relative lattribution du phnomne, reste hors du champ des
rflexions, mais Baillarger ouvre une autre voie.
Partant du constat que les hallucinations dites de loue sont plus frquentes que
toutes autres, il en distingue une catgorie particulire, rebelle linvestigation classique, qui
repose sur un questionnement pragmatique : sont-elles des bruits, des mots, des phrases, do
viennent-elles, de quel ct, combien sont-elles, etc.
En 1846, il distingue les hallucinations psychiques, des hallucinations
psychosensorielles. Baillarger les dcrit comme des phnomnes de pense, ou voix
intrieures, sans sensorialit et sans spatialit. Les voix sont, les unes intellectuelles, et se
font dans lintrieur de lme ; les autres, corporelles, frappent les oreilles extrieures du
corps.
La direction est donc donne vers ltude du langage intrieur .

Troubles du langage
Cette trouvaille reste en gsine jusqu sa reprise par les grands noms du XX sicle.
Nanmoins, elle ne se fait pas sans tenir compte des dveloppements conjoints de la
neurologie, notamment de lcole localisationniste : citons Paul Broca et Carl Wernicke.
Il semble important de souligner que les premires localisations crbrales tablies avec
prcision concernent lmission et la rception du langage articul.
Un parallle simpose donc logiquement entre ltude des hallucinations et celle de
laphasie.
Jules Sglas ny chappe pas, ce qui laide faire la distinction entre les hallucinations de
loue et les hallucinations verbales, qui relvent du langage.

La sortie des impasses du sensoriel, mais aussi de celles de lintrieur et de lextrieur


se profile. Elle se ralise cependant par une approche quantitative , soit la mise en tension
de phnomne hallucinatoire avec les aphasies : dun ct trop de langage et de lautre pas
assez
Ceci rejoint la conceptualisation d'une excitation des zones du langage,
potentiellement lorigine un excs de langage, produite par Tamburini, ds 1890. Selon ses
termes, l'hallucination finalement, c'est peut tre un excs de langage pour ne pas dire de
langage intrieur.
Le rapprochement de lhallucination verbale des syndromes aphasiques devait
invitablement entraner, pour les hallucinations, un groupement parallle celui qui
distinguait les aphasies suivant quelles affectaient le langage de rception ou celui de
transmission.
Ainsi se trouvait-on amen distinguer les hallucinations [] psycho-sensorielles
[] et ct delles les hallucinations psychomotrices, ainsi dnommes parce quau lieu de
perceptions sensorielles, auditives, elles saccompagnaient de mouvements darticulation
automatiques, plus ou moins vidents pour lobservateur et plus ou moins conscients pour le
malade, qui en faisait non plus des paroles entendues par loreille mais un langage parl. []
Plus tard, dans ce bloc des hallucinations psychiques, ct des hallucinations
psychomotrices, fut distingu un autre groupe, celui des pseudo-hallucinations verbales, dans
lesquelles le ct psychomoteur nest plus reprsent par des mouvements, mais par des
manifestations dautomatisme verbal en rapport avec un profond sentiment dautomatisme. En
rsum, ce qui fait maintenant la caractristique de ces phnomnes ce nest plus de se
manifester comme plus ou moins semblables une perception extrieure, cest dtre des
phnomnes dautomatisme verbal, une pense dtache du moi, un fait - pourrait-on dire dalination du langage.
Les hallucinations psychomotrices se rattachent une hyperactivit du centre moteur
du langage articul, tandis que les hallucinations psychosensorielles ont plutt voir avec les
centres auditifs du langage.
Sglas reprend lide selon laquelle le sentiment de reprsentation du mouvement est
produit de faon excessive ou dcale avec l'action de langage, crant chez le sujet
l'impression que ses paroles sont effectivement prononces, alors qu'il ne se passe rien.
Cette notion d'association entre hallucinations et production de mouvement au niveau
du larynx est nouvelle par rapport aux anciennes thories : l'hallucination n'est plus seulement
corticale, mais a aussi voir avec la mchoire et le larynx.
Il sagit dune thorie motrice des hallucinations.
A titre danecdote, bien plus tard, en 1949, Gould a expriment autour de la relation
entre hallucinations et discours interne. Il a tudi un schizophrne qui entendait des voix de
faon presque continue et a montr que ce patient mettait frquemment des sons au niveau
du nez ou de la bouche. Cette activit subvocale fut amplifie grce un micro et s'avra
semblable un discours chuchot, qualitativement diffrent du chuchotement volontaire du
patient.
Sur la base du contenu de ce discours et de ce que le patient en dit, Gould a conclu que
le discours subvocal correspondait aux voix .
Si les hallucinations sont la consquence d'un discours subvocal, il devait ds lors tre
possible de les supprimer en occupant la musculature vocale d'une faon quelconque.
Bick et Kinsbourne (1987) ont montr que le maintien de la bouche grande ouverte
rduisait les hallucinations auditives chez 14 schizophrnes sur 18, alors que d'autres
manuvres telles que serrer le poing n'avaient aucun effet.

Accidents et automatismes
Si les travaux de Baillarger ont permis de gnrer une avance aussi fondamentale que
celle de Sglas, nous devons galement souligner ce quil plaait comme une condition
commune au dveloppement des diverses formes hallucinatoires. Il sagit de lexercice
involontaire de la mmoire et de limagination .
L automatisme de lintelligence devient ds lors une donne incontournable de
ltude du champ des hallucinations. Son travail sur la dissociation automatico volontaire
prfigure le corpus des recherches sur la substitution dune parole automatique (le juron,
lexclamation), lexpression verbale volontaire.
Entre en jeu, ds lors, Clrambault, dont le mcanicisme pousse peut-tre lextrme
la place du support organique confr son syndrome dautomatisme mental.
Ici, lanidisme causal des phnomnes primordiaux veut dire clairement quils sont
trangers toute signification psychologique. Ils sont qualifis de positifs, constituant alors
les dchets de la pense normale, ou de ngatifs, figurant les rats de celle-ci.
Pour cet auteur, la qualit de ces accidents formels de la pense leur confre une
valeur de condition initiale du dveloppement historique des psychoses hallucinatoires.
La construction organodynamique dHenri Ey, quant elle, sappuie sur la perspective
de Jackson, selon laquelle, aux centres des localisationnistes sont substitus des
processus fonctionnels, se dployant selon une hirarchie de degrs , tageant les
mouvements psychiques du plus automatique au plus volontaire.
Prenant le contrepoint de Clrambault, Ey place la signification dlirante comme
premire. Lhallucination est forme par la croyance dlirante. Pour lui, lautomatisme reste
un accident, en ceci quil droge un dterminisme finaliste, naturel.

Lapproche cognitive : opratoire et cloisonne


La neuropsychologie cognitive semble structurellement proche de la formalisation
organodynamique.
Il est possible de lenvisager selon diffrents niveaux, diffrentes couches , qui ne
sont pas censes normalement tre abordes en dehors dun simple appariement : les trois
C , Cerveau, Cognitions, Comportement. La pente la corrlation transversale semble
aussi tentante que glissante.
Les travaux de Frith fournissent une approche la fois globale et pointue des
diffrentes conceptualisations des sciences cognitives en lien tant avec les hallucinations
quavec le dlire.
Il est noter demble la relative indistinction existant entre ces deux phnomnes.
Il distingue tout dabord les thories des hallucinations fondes sur l'input : elles
soutiennent que les hallucinations surviennent quand un stimulus externe est peru de faon
inadquate. Sont alors en cause un chec de discrimination, ou des biais anormaux.
Puis nous trouvons les thories des hallucinations fondes sur l'output , qui
soutiennent que le patient se parle lui-mme mais peroit la voix comme provenant de
l'extrieur.
Lapport personnel de Frith est celui du self-monitoring : si les hallucinations
sont effectivement produites par un discours intrieur, le problme ne porte pas sur l'existence
d'un discours intrieur mais sur le fait que les patients soient incapables de reconnatre qu'ils
ont eu eux-mmes l'initiative de cette activit interne. Les patients attribuent tort ces actions
autoinities un agent externe.

Louverture actuelle des neurosciences : hmi-ngligence et perception subliminale


Aprs lengouement des annes 80, les travaux des cognitivistes se sont heurts aux
limites de la conceptualisation.
Lapport actuel de limagerie crbrale ouvre de nouvelles perspectives, de nouveaux
espoirs, avec un curieux retour au XIX sicle et sa dfectologie clinique.
Ici, la gloire nappartient plus aux aphasiques, mais une raret neurologique :
lhmingligence. Elle mne les auteurs modernes tenter de dfinir les limites dun nouvel
inconscient , inconscient cognitif , dans une entreprise des plus ambitieuses : [] nous
avons pris acte de lchec retentissant des tentatives de rafistolage des thories
nojacksoniennes consistant abandonner lide dun inconscient log dans notre cerveau
archaque, pour mieux prserver lautre ide centrale hrite de Jackson, celle dun
cloisonnement tanche entre certains secteurs de notre cerveau qui seraient dvolus la
conscience, et dautres rgions anatomiques qui hbergeraient nos processus cognitifs
inconscients.
Cest la solution que nous avons appele conception topique de la conscience et de
linconscient [] Les patients hmi-ngligents, ainsi que ltude des corrlats crbraux de la
perception subliminale des mots chez les sujets sains, nous ont permis [de rvler] lexistence
de reprsentations mentales inconscientes au sein mme des rgions crbrales de la voie
visuelle ventrale. (L. Naccache)
Le XXI sicle serait-il donc revenu au primat du perceptif et du sensoriel ?

La flure signifiante : un pouvantail au milieu


dun champ de ruines
Dario Morales

Le dlire nous fait dcouvrir demble le registre de la certitude ; la clinique


psychanalytique a orient trs tt ses recherches sur la production chez le paranoaque dun
monde entier, partir des phnomnes de sens et de leurs transformations. Lacan va rappeler
aussi que la folie est vcue toute dans le registre du sens et que les phnomnes psychotiques
ne sont pas sparables du problme de la signification, cest--dire du langage. Nous voulons
montrer que cest la nature mme du signifiant qui dans la psychose fait lobjet de la
communication. La structure du cogito permettra de mieux appuyer nos propos.
Au phnomne dcrit cliniquement sous le nom dhallucination, la clinique des
psychoses infre un sens quaffecte galement la dimension de la signification. On assiste la
confrontation parfois trs angoisse du sujet face la bance symbolique et au dchanement
du signifiant, par lautonomisation de lnonciation. Le sujet assiste tonn ou effar
lmancipation de sa pense quil ne reconnat pas comme telle : a se met parler tout
seul . Ces phnomnes ont galement pour caractristique de disloquer dfinitivement la
conjonction, ergo, ou virgule, de ce semblant de sens quest le cogito ergo sum . Ce qui est
rejet par le je suis reparat en se jouit . Autrement dit, lorsque la chane signifiante
tend se disloquer, la jouissance tend se faire sentir. Ce trouble initial prend alors sa racine
dans un dbordement de jouissance dont les manifestations principales sont les hallucinations,
les troubles hypocondriaques, des phnomnes intuitifs ou interprtatifs. Or de cette
signification vide, il arrive qumerge, quelque chose comme lavait not Jaspers, un
quelque chose qui est, trs obscurment parfois, le germe dune valeur et une signification
objective . Le doute est balay et le sujet a la certitude (appelons-la ici croyance) que ce quil
prouve signifie quelque chose mais il ne saurait dire quoi.
Faisons un pas supplmentaire. Lacan dans le Sminaire Les quatre concepts,
remarque combien, en son point dorigine, la dmarche de Freud est cartsienne en ce sens
quelle fonde le sujet de linconscient sur le doute. Le doute, est lappui de la certitude . Si
lon synthtise la question cartsienne, le cogito est la base dun certain type de structure
subjective, le Moi, qui fonde de faon illusoire la matrise de la res cogitans, prsentant une
apparente unit et plnitude. La diachronie cartsienne postule trois moments : un moment
initial artificiel de doute (instant de regard) ; ensuite la conscience de soi se saisissant comme
pensante dans lvidence et immdiatet (temps pour comprendre) ; enfin le temps de la
construction subjective du sujet de la connaissance (signification), (temps de conclure). La
dmarche freudienne sera donc cartsienne en ceci : plus le rve nous fait douter, plus le doute
confirme quelque chose de vrai. Le doute savre en dfinitive chez Freud linstrument de
la certitude dune pense inconsciente. Aussi, si nous avons dfini un point de
convergence (le doute) commun la dmarche de Descartes et Freud, ds lamorce de ce
rapprochement, les voies divergent. Ce qui les diffrencie ce que la dmarche cartsienne
parle du sujet dun savoir, alors que la psychanalyse pingle le sujet sous la forme du sujet
suppos savoir . La clinique des psychoses va encore accentuer la diffrence, car

lhallucination ne relve pas dun savoir mais dune certitude, qui ne laisse pas de place au
doute. En somme, le sujet est pour Lacan un sujet divis. Bien sr le sujet cartsien, en tant
que substance finie, dpendante de Dieu, na dunit que partielle. Mais pour la psychanalyse
parce quil y a la pulsion de mort, parce quil y a un manque radicale, labsence de lunit
totale se marque dans ce dchirement dfinitif de tout leurre dunit.
Faisons un petit dtour par la philosophie classique, cartsienne, afin de montrer
comment le sujet du cogito est affect par les effets du signifiant qui divisent habituellement
tout sujet, quil sagisse de lerreur, de lillusion ou de lhallucination.
Le je pense donc je suis , affirme une vrit qui nest pas comme les autres. Pour
penser il faut tre, mais pour marcher, courir, aussi. Seul le fait de penser donne au sujet la
certitude dexister et dtre lui-mme. Il sagit dune conviction plus que logique, dune
certitude subjective en ce sens quelle est fondatrice pour le sujet. Une certitude qui ne
laisse aucune place lillusion. Or justement lillusion est peut tre la dimension subjective, la
dimension la plus radicale et humaine de lerreur. Notez que lillusion nest pas le contraire de
la certitude, le contraire de la certitude est le doute. Lillusion est un palliatif du doute, parce
que pour Descartes lillusion nest pas le produit de lintelligence, du jugement, comme cest
le cas de lerreur qui est un mauvais jugement, lillusion est le produit de limagination. Cest
pour cela quelle a t rejete dans les limbes de la connaissance. Alors si lillusion est ravale
au rang du plus subjectif, quelle place donner lhallucination ?
En suivant la structuration lacanienne de RSI, lerreur serait du ct du symbolique, le
propre de lillusion serait limaginaire, pendant que lhallucination sapparente au rel, se
prsentant comme le Rel pour le sujet concern. Deuximement, lhallucination nest pas
une illusion, elle nest pas non plus une simple perception. Elle met en question un autre
aspect du cogito, le rapport au savoir. Lentendement corrige lerreur, parfois par
ttonnement, par des multiples essais, ouvre un espace la certitude du jugement ; lillusion
quant elle fait croire lexistence du leurre, elle nest pas savoir et se projette tout entire
dans une croyance (lillusion de la religion chez Freud) ; la diffrence de lillusion qui
consiste bien voir ce que lon croit, lhallucination est plus radicale, elle consiste croire ce
que lon voit (ou ce que lon entend). Lhallucination serait en quelque sorte le paradoxe
ultime du savoir, son versant dsespr. Lentendement fait place au doute pour fonder une
certitude, lillusion montre au jugement sa duperie, alors que lhallucination rend forclos le
savoir du symbolique pour faire retour dans le rel, se prsentant comme ralit extrieure et
objective, faisant un saut dans labme de la certitude, dans une sorte dabsolu de la croyance,
qui frise lincroyance en ce monde.
Erreur, illusion, hallucination, participent de la mme structure, insparable du
problme gnral de la signification, cest--dire de lordre signifiant qui affecte aussi bien le
sujet, le percipiens et lobjet, le perceptum. Attardons nous sur lhallucination. Quelle est sa
nature ? Face linsuffisance des doctrines qui dfinissaient lhallucination comme un
perceptum sans objet, Lacan dmontre que le perceptum (ou objet) ne se laisse pas penser
sans le signifiant.
Voyons cela de prs : Lacan va donc faire une relecture du texte de Freud et du texte
du Prsident Schreber. Nous nous trouvons ici en prsence de ces phnomnes que lon a
appels tort intuitifs , alors que nous sommes en prsence des effets du signifiant .
Sappuyant sur les deux versants du sens que sont le code et le message, il va montrer
que lobjet hallucinatoire, les voix profres par la langue de fonde , ont la mme structure

que la parole du sujet. Les phnomnes dits de code on les retrouve aisment sous la rubrique
des nologismes : il sagit dune pure cration hors des significations habituelles dans lordre
du langage. Inversement, dans la ritournelle , la formule est plate, use. Cette signification
ne renvoie plus rien ; la diffrence du nologisme qui fait preuve de cration, dans la
ritournelle, il sagit dune formule qui se rpte sur un mode strotyp. Tous les deux, le
nologisme et la ritournelle ont pour effet un arrt sur la signification comme telle ,
attribuable au signifiant. Linjure, les reproches, sont un pur produit de la chane signifiante ;
pourtant le sujet ne peut plus les localiser chez lui-mme. Il les entend dans le rel.
La question, prsent, est de situer ces phnomnes par rapport au sujet qui les
nonce. Ce qui est le plus touch est lnonciation, do les effets dallusion et de certitude
(croyance). Lallusion suppose normalement le sous entendu ; or ici, elle se fait certitude : le
sujet aura lintime conviction que lallusion nest pas l par hasard, elle le concerne et doit
pouvoir lexpliquer. Plus le vide est vide, plus la certitude se fera sentir, court-circuitant ainsi
toute valuation de la conviction du sujet. Cependant cette certitude, cette croyance est un
savoir clos, ferm sur lui-mme, dfinitif.
Enfin, quel statut pistmologique donner lobjet hallucin, la voix ? Nous avons dit
que lobjet ne se rduit pas une entit perceptive ; le phnomne a pour sige le sujet qui
subit des effets du signifiant. Il est impensable quil ny ait pas de monde qui puisse exister
sans le signifiant, sans la faille du signifiant, car tout sujet est leffet de la division du
signifiant. Cest le signifiant qui structure le perceptum et par consquent la perception du
monde nest pas hors du champ du langage ; car cest par le langage que la perception trouve
sa consistance. Pouvoir nommer les objets structure la perception elle-mme. Ou, dit dune
autre faon, le peru ne peut se soutenir qu lintrieur dune zone de nomination. Il en va de
mme avec les voix. Elles ne sont pas une perception, elles sont leffet du signifiant et comme
tel elles sont des objets a. Lorsque la mtaphore quon pourrait appeler par facilit la
Mtaphore paternelle opre, elle spare du corps ces formes de lobjet a que sont, la voix, le
regard, lobjet oral et lobjet anal. Lorsque la castration nopre pas, la voix qui aurait d
paratre silencieuse, se fait audible. Une prcision : il faut distinguer la voix du phon, mot,
quand on coute on coute soit la voix et dans ce cas-l on nentend pas ce que lon dit, soit
on entend ce que lon dit et ncessairement lon perd la voix. Cest cela quillustre le caractre
de la voix en tant quobjet a, si lon prend lobjet a comme ce que le sujet doit perdre pour se
constituer et sinstaller dans le champ du signifiant. En ce sens, le phnomne le plus
spectaculaire de la psychose nest pas tant que la pense se rpte de faon dlirante, cest que
la pense se sonorise. En temps normal , on nentend pas le signifiant mais la signification
ou le sens. Dans lhallucination, le monde perd son sens, et ltre du sujet se replie sur le point
de llment hallucin. Lacan oppose un phnomne nvrotique doubli de nom une
hallucination et note : La, le sujet a perdu la disposition du signifiant, ici il sarrte devant
ltranget du signifi . Pour le dire diffremment, lhallucination suppose le cogito, suppose
le signifiant, mais dune manire spcifique, puisque son surgissement saccompagne de
leffondrement du monde et du signifi. Hors signifi, cela ne veut pas dire que le psychotique
soit hors sens, ni hors monde, il est simplement dans lin-sens.
Je vais illustrer ces propos sur le caractre signifiant des hallucinations. M. B, g de
26 ans sort pour la troisime fois de lhpital psychiatrique. Il est lobjet de faon ritrative
dune invasion hallucinatoire incessante depuis deux ans. Des voix lui parlent, font des
commentaires, le comparent un pouvantail dans un champ de ruines , le traitent aussi de
lche et de pd . Ces hallucinations sont relativement rcentes. Elles sont apparues
quelque mois aprs son chec aux preuves lorsquil voulait passer son diplme denseignant

dducation physique. Somm de rpondre la demande paternelle de russir ce concours, des


voix surgissent pour lui rappeler les 2 vrits qui remontent la fin de son enfance. A 9
ans, au cours dune promenade vlo, laquelle participaient ses parents et son frre de deux
annes son an, il avait dsobi la consigne de ne pas sloigner ; craignant une chute, sa
mre, voulant le rattraper fut renverse par un camion et dcde. Sa mort a pour origine de
crer un profond malaise familial ; son frre an a pt les plombs et quelques annes
plus tard, quand M. B avait 14 ans, ce frre le viole. Lorsque M. B. avait 18 ans, son frre se
suicide. Cest aussi assez tardivement que M. B. rencontre la question de lAutre sexe. Une
rencontre, puis deux ans plus tard la rupture, vcue comme un laisser tomber quelques
mois des examens. Ces vnements viennent clore provisoirement des annes vcues dans une
tonalit morose, sans beaucoup de liens mais en prsence de quelques troubles. Ces troubles
sont la manifestation dun dfaut de la signification phallique, creusant lentement phi(0), dans
limaginaire : image de corps mprise, altration du sentiment de la vie : perte de sens ou de
valeur de celle-ci. Le dclenchement est situer au moment o il saffirme pour ce sujet la
primaut du symbolique sur limaginaire et le rel.
Le rel rencontr par ce sujet, rel intrusif, le dcs de la mre et le viol perptr par le
frre, marque la dliquescence de son tre de sujet, dans un temps prpsychotique qui lui avait
paru ternel, sans vritable point daccrochage. Il reprend son compte les phrases des voix
pour exprimer le sentiment quil vit comme un pouvantail au milieu dun champ de
ruines . Cette mise en valeur du signifiant tout seul, non articul, signifiant dans le rel,
ouvre la considration de la psychose. Cest donc la rencontre avec un signifiant forclos qui
finit par envoyer le sujet en quelque sorte au trou.
Que lui disent les voix ? M. B. entend des voix, comme si ctait lAutre qui lui
parlait. Il a le sentiment que cest lAutre qui le force entendre ce quil se dit lui-mme.
Nul ne connat mieux que lui, sa culpabilit sous-jacente. Justement, les voix sont un coup de
force qui finissent par priver le sujet dun droit, celui de la parole, et donc de lnonciation.
Il faut donc donner la voix son statut deffet du signifiant : lorsque la sparation
nopre pas, la voix qui devrait se prsenter silencieuse, se fait audible ; bien sr, elle ne fut
pas toujours directe, comme lest prsent. Un jour, quelques mois aprs le dcs de la mre,
il fait une remarque dsobligeante un enseignant qui lui rtorque : alors que tu as tout fait
gcher pour ta famille, tu sais de quoi je parle, crois-tu russir ? . Ces commentaires vont
rsonner pendant longtemps dans sa tte de faon nigmatique, le plongeant dans une sorte de
perplexit, le tu sais de quoi je parle prononc par lenseignant se fait avec le temps moins
allusif et beaucoup plus direct, jusquau jour o les voix le dsignent coupable, lche et pd.
De ces affirmations il tire la conviction que ces noncs sont sa vrit. Si lon revient la
gense des voix, lallusion, la perplexit, semblent avoir t les lments majeurs de son
exprience dadolescent, partir desquels il tente de se maintenir, de se constituer. Je me
contenterai de signaler le trait spcifique des voix quil entend, le caractre sentencieux,
(solennel) et injurieux. A ce titre, on peut dire que lhallucination vise la flure symbolique.
En fait la remarque du professeur participe malgr sa brutalit, au fait que lvnement
familial na jamais pu tre voqu publiquement, les voix venant sanctionner en quelque sorte
sa responsabilit passe non assume. Ce qui frappe galement, cest que lembarras tant
prsent de ce sujet ne sest jamais mu en tentative de comprhension, le sujet stant toujours
interdit danalyser ce qui tait pass au cours de son enfance, et de son adolescence (mort de
la mre, viol subi) ; dans cette demande non assume de comprendre, la phrase de
lenseignant a pris au fil du temps une tournure moins allusive. Le je est en suspens,
comme si la dsignation subjective restait elle-mme oscillante. Et on pourrait avancer que

lincertitude a pris fin avec le surgissement de la phrase pouvantail dans un champ de


ruines . Somm de rpondre la demande paternelle, lpouvantail, sorte de pantin
dsarticul, est ce qui reste aprs la bataille, dchet, objet indicible rejet dans le rel ; l o le
sujet ny est plus, srige lobjet indicible et effrayant cartel dans son tre de sujet.
Lpouvantail est quelque chose de lordre dun effort pour produire une mtaphore, qui nen
est pas une et qui est plutt une tentative de garder une place au semblant.

Conclusion :
Le phnomne hallucinatoire ne dsigne pas une vague bizarrerie, une sorte
dtranget qui serait prouve par le sujet psychotique. Elle dsigne un phnomne bien
prcis, comme latteste lexprience de M. B., dont la structure montre quil sagit dun effet
dans le rel du signifiant rejet de linconscient. Nous sommes dans le pathologique, la
fonction de lillusion nest plus disponible, quitte tre rectifie. La part derreur, dillusion,
de tromperie et de malentendu qui accompagne les actions, les penses, les perceptions a t
remplace par une certitude absolue, une nouvelle croyance : un pouvantail qui ne fait plus
signe aux oiseaux, mais un pantin dcharn dans un champ en ruines hors toute humanit.

De Clrambault et l'automatisme mental


Sylvie Boivin

La premire dfinition mdicale du terme hallucination est propose par Esquirol en


1817 comme la conviction intime dune sensation actuellement perue, alors que nul objet
extrieur propre exciter cette sensation nest porte des sens la distinguant ainsi de
l'illusion. Par la suite Baillarger et Seglas, alinistes du dbut du 19ime sicle, affinent la
description des hallucinations psychosensorielles et des hallucinations psychiques.
C'est ces dernires que de Clrambault s'est intress particulirement. Ces
observations cliniques d'une extrme finesse vont l'amener dvelopper une thorie
originale, en rupture avec celle de ses contemporains, sur la gense des psychoses dites
base d'automatisme mental .
Je vous propose de revisiter cette clinique qui garde toute sa pertinence aujourd'hui
malgr la dsutude de son dogme thorique.
I
Je vais dans un premier temps vous prsenter ce grand clinicien que Lacan a qualifi
de seul matre en psychiatrie .
Gatien Gatan de Clrambault est n Bourges en 1872. Il s'oriente vers la mdecine
et la psychiatrie aprs avoir frquent lcole des arts dcoratifs et obtenu une licence de droit.
En parallle de son activit de psychiatre il sintresse tout au long de sa vie ltude des
draps. Ses photographies ont t exposes au Centre Pompidou il y a quelques annes et une
partie de ses travaux sur ce sujet est toujours dite.
Il est nomm en 1905 mdecin adjoint de lInfirmerie Spciale dont il va franchir tous
les chelons. Cest dans ce champ dobservation quil laborera ses conceptions.
LInfirmerie Spciale de la Prfecture de Police examine les individus suspects
dalination mentale ou de simulation, adresss par les commissariats de police ou les prisons
(Fresnes, La Sant, La petite Roquette). Situe prs de la conciergerie, elle peut accueillir une
vingtaine de malades en observation alors qu'elle enregistre un dbit annuel de 2000
personnes. Elle exige ainsi des dcisions rapides : internement, passage dans un service
psychiatrique libre ou service dagits dun hpital gnral ou sortie.
Gatien Gatan de Clrambault, polyglotte, va exercer son talent dobservateur de 1905
1934 linfirmerie, au cours dentretiens pittoresques o il excelle dans lart de la
manuvre et amne les patients les plus rticents et de toutes les origines se livrer. Il rdige
ses observations sous forme de certificats concis lextrme avec usage frquent de
nologismes pour dcrire le plus prcisment possible les troubles retrouvs chez ses
consultants.
De Clrambault, atteint de cataracte, se suicide alors que les rsultats de son
intervention chirurgicale sont partiels. Bien quayant dfendu le concept de suicide
philosophique en dehors de tout cadre pathologique, il semble que de Clrambault ait mis fin

ses jours au cours dune dpression mlancolique comme pourrait lattester une lettre
dauto-accusations dlirantes adresse la police avant sa mort.
II
L'uvre principale de de Clrambault comprend une longue srie d'articles qui
s'talent de 1909 1930.
Le syndrome d'automatisme mental engage une prise de position thorique qui remet
en cause la nosographie des matres de la psychiatrie. Nous allons voir de quelle manire.
Peu avant de Clrambault l'aliniste Seglas avait dj constat que les ides dlirantes
d'influence ou thme d'envotement se constituaient la suite d'hallucinations psychiques.
Cette observation remettait en question le problme de l'ordre d'apparition des ides dlirantes
et des hallucinations. En effet, cette poque, la psychiatrie tait domine par la figure de
Magnan et sa description du dlire volution systmique progressif.
Le dlire voluait en quatre phases : une phase de mfiance et d'inquitude avec
dveloppement d'ides de perscution partir d'interprtations ; ces ides prenaient une telle
intensit qu'elles entranaient l'apparition d'hallucinations ; une troisime phase tait
constitue d'ides de grandeur bases sur des mcanismes imaginatifs et enfin la dernire
phase tait le passage dans la dmence.
Cette conception du XIXme sicle que l'ide dlirante prcde l'hallucination est
donc le dogme officiel de la psychiatrie franaise.
De Clrambault va affirmer que les ides dlirantes sont secondaires, surajoutes
l'automatisme mental qui est le fait primordial de la psychose. Il rejette toute hypothse
idogne :
L'attention ne saurait crer, ni par autosuggestion, ni par sommation sensorielle, des
hallucinations durables (...) une mfiance maxima n'engendre pas d'hallucination ni complexe
ni lmentaire, chez les dlirants interprtatifs, quels que puissent tre leurs dons auditifs ou
verbaux .
Quest ce que l'automatisme mental pour de Clrambault ?
Il le dfinit comme un phnomne de scission du moi et en donne une description
clinique dtaille.
Le syndrome rassemble un ensemble de phnomnes classiques qui suivent un
certain ordre de succession dans leur apparition :
Dabord des phnomnes purement psychiques qui passent souvent inaperus puis
verbaux, idoverbaux et enfin sensitifs et moteurs.
Ces phnomnes purement psychiques, neutres sur le plan affectif constituent les
signes annonciateurs de la psychose.
Cest le syndrome de petit automatisme parfois appel syndrome de passivit.
On observe :
lmancipation des abstraits : la pense se libre sous forme indiffrencie , c'est
l'hallucination psychique pure
le dvidage muet des souvenirs : on me montre tous mes souvenirs
idorrhe ou dfil de penses adventices ou trangres : on me donne des ides qui
ne sont pas moi
disparition de pense, oublis, vide, perplexit
aprosexie ou impossibilit de se concentrer sur une ide : ma pense est toujours
disperse
passage d'une pense invisible dcrite comme une pense trs fugitive reconnue sans avoir

t dfinie, ayant disparu trop vite : cela passe avant que je n'aie eu le temps de
comprendre
Ces phnomnes sont accompagns de fausses reconnaissances, d'impressions d'tranget des
choses.
Puis apparaissent les phnomnes verbaux marqus par le got du saugrenu et de
l'harmonie :
jeux verbaux parcellaires
mancipation de phrases articules ou de fragments de phrases, mots explosifs, kyrielle de
mots ou de jeux syllabiques

Enfin des phnomnes idoverbaux :


le vol de la pense
l'cho de la pense
commentaires, nonciation de la pense et des actes qui peuvent tre prmonitoires : ils
savent avant moi quand je vais avoir envie d'aller la selle et me le disent

Aux phnomnes idoverbaux fait suite l'hallucinose :


phrase qui fait brusquement irruption dans l'esprit du sujet : c'est Victor Hugo qui a
construit la tour Eiffel
phrase pouvant se transformer par hasard en tu as vol la tour Eiffel et ne plus susciter
seulement la surprise du sujet mais avoir un impact affectif puisque le sujet se sent
concern. C'est ce moment que se fait le passage de l'hallucinose l'hallucination vraie
ou du petit automatisme au grand automatisme.
Les voix apparaissent alors verbales, objectives, individualises et thmatiques .
Les hallucinations sensorielles (visuelles, cnesthsiques, olfactives) et certains
phnomnes moteurs tels que mouvements imposs varis allant du simple frottement des
mains aux impulsions verbales, sont mis en parallle avec le petit automatisme mental au
point de vue de leur rpercussion sur lintellect et sur leur origine commune probable. Il les
intgre son dogme sous le terme dautomatisme sensitif et moteur. Ils apparaissent dans un
second temps par rapports aux phnomnes dcrits prcdemment.
Ainsi de Clrambault dsigne sous le terme de triple automatisme un syndrome
clinique contenant des phnomnes automatiques de trois ordres : moteur, sensitif et idoverbal.
Pour de Clrambault, le dlire est la raction d'un intellect et d'une affectivit, l'un et
l'autre rests sains, aux troubles de l'automatisme surgis spontanment et surprenant le
malade, dans la plupart des cas en pleine priode de neutralit affective et de quitude
intellectuelle .
Le dlire est une construction secondaire.
Les thmes dlirants vont varier en fonction de la personnalit antrieure du sujet
orientant la tonalit mystique, rvlatrice, exaltante chez les natures optimistes, plutt teintes
de malveillance chez les pessimistes ou hypocondriaque chez les sujets aux tendances
obsessionnelles avec morosit congnitale, introspection subcontinue, subanxit . Les
thmes sont influencs d'autre part par l'aspect agrable ou non des sensations hallucinatoires.
Mais d'une manire gnrale, l'automatisme mental induit l'hostilit pour trois raisons :
l'nonciation des penses et des actes intimes est irritante et vexatoire
les voix prennent spontanment le contre-pied des gots et dsirs du sujet
l'irritation cause par ces indiscrtions ne fait que multiplier les voix et leur caractre
ironique

Le caractre anidique, absurde et incongru du petit automatisme mental ne peut


s'expliquer que par l'existence d'un processus organique au dpart, une lsion irritative qui
va produire des interfrences avec les trajets de pense normaux. Les foyers lsionnels
peuvent se multiplier et prendre de l'ampleur, crer un rseau second exaltant non plus des
points isols mais des systmes entiers. De Clrambault va ainsi dvelopper une explication
neurologique de son syndrome.
Conclusion
Clrambault tente par son travail de rechercher un lit commun toutes les psychoses, un
nombre de phnomnes irrductibles et lmentaires. Ainsi il distingue deux types de
faits :
le fait primordial qui est lautomatisme mental
la construction intellectuelle secondaire qui seule mrite le terme de dlire
Il insiste sur la valeur mcanique de cet automatisme, mcanisme basal sur lequel toutes
les autres manifestations se surajouteront. Lide qui domine la psychose nen est pas la
gnratrice, bien que la psychologie commune semble lindiquer et que la psychiatrie
classique le confirme. Le noyau des psychoses est dans lautomatisme, lidation en est
secondaire. Dans cette conception, la formule classique des psychoses est inverse.
Au-del des critiques de lautomatisme mental en tant que thorie mcaniciste et
organiste, on doit reconnatre une pertinence vidente dans cette acuit de de Clrambault
faire le tour des manifestations de la psychose pour en retenir un substrat essentiel,
irrductible. Avec cette caractristique fondamentalement anidique, lautomatisme mental ne
peut dfinitivement pas expliquer le dlire par sa comprhension. Ce point ne va pas manquer
de frapper Lacan qui va reprendre une doctrine du phnomne lmentaire o cette impossible
dialectisation est centrale dans sa conception de la psychose.

Le cogito et son point de rel


Karim Bordeau

Apprenez lire Descartes comme un cauchemar, a vous fera faire un petit


progrs. Comment mme pouvez-vous ne pas apercevoir que ce type qui se dit je pense
donc je suis , cest un mauvais rve ? (J. Lacan. 15 janvier 1973, Les non-dupes
errent )

Foucault, dans son livre Histoire de la folie lage classique, commente les
Mditations de Descartes en formulant que celui-ci ne peut fonder sa certitude de penser
quen rejetant une certaine frontire la folie conue comme hors de la raison qui se veut
anime dides claires et distinctes. Nous allons critiquer cette approche du cogito en la
comparant celle que propose Lacan. En effet, celui-ci, dans son crit La science et la
vrit , dfinit le cogito la fois comme moment du sujet et corrlat essentiel de la
science : Ce corrlat, comme moment, est le dfil dun rejet de tout savoir, mais pour
autant prtend fonder pour le sujet un certain amarrage dans ltre, dont nous tenons quil
constitue le sujet de la science, dans sa dfinition, ce terme prendre de porte troite. Ce
rapport du sujet au savoir rejet est ponctuel et vanouissant. A la suite de quoi Lacan
pose que le sujet sur quoi nous oprons en psychanalyse ne peut tre que le sujet de la
science.
Voil les formules que nous allons clairer quelque peu en suivant de prs le texte des
Mditations de Descartes. Notre propos sera de serrer ce nouveau statut du savoir - comme
tournant pistmologique - par rapport la vrit, et en quoi le sujet y fait fonction de
manque. Nous verrons aussi en quoi ltre dont il sagit dans le cogito garde une opacit qui
tient un rel, non une ralit, que le je pense ne peut puiser. Ce rel l tient la fonction
dune cause singulire.

Le sujet de la certitude et le sujet de lnonciation


On sait que Descartes, ds sa Premire mditation nonce un dsir de certitude qui
consiste, pour lui, distinguer, le vrai davec le faux, et rechercher un point sur lequel il
puisse fonder quelque chose de ferme et de constant dans les sciences . Il commence par
rcuser tout ce qui soffre lui comme savoir, en rejetant dabord tout ce qui lui vient des sens
ou de la perception, puis tout ce qui est de lordre des opinions reues, celle quil est un
homme par exemple, et enfin la physique , larithmtique, la gomtrie, et toutes les
sciences de cette nature . Vient ensuite la mise en suspens de la croyance en un vrai
Dieu ou de quoique ce soit qui fait de la vrit lmanation dune transcendance divine. Ce
qui reste au bout de ce vidage cest la suspension du jugement, un doute absolu. Ce dubito
corrl un je pense devient alors lappui grce quoi une certitude est atteinte, une certitude
disjointe de la vrit. Lacan interprte en 1961 ce moment de suspension radicale ainsi :
[Descartes] met en question le sujet lui-mme et, malgr quil ne le sache pas, cest du sujet

suppos savoir quil sagit. 1. Cest dire que rien de ce qui saffirme, en tant que tel, nest
garanti par un partenaire.
A ce moment du cogito, Descartes recherche une certitude, et une seule, sur quoi
difier le savoir. Comment se prsente cette certitude ? Dans cela seul qui est saisi clairement
et distinctement. Dans cette perspective toute connaissance de ltre, telle que la tradition
antique pouvait la transmettre, est rcuse. A cet tre, disons aristotlicien, Descartes
substitue ltre dun je, cest dire dun sujet qui parle - dun sujet de lnonciation. Cest le
je dun dire.
Dans la Seconde mdiation , Descartes se demande alors sil ny a point quelque
puissance trompeuse qui lui met lesprit ses penses, celles dont il vient de saviser ds sa
premire mditation. Il en vient alors considrer un Dieu trompeur ou un Malin
Gnie qui ne cesserait de mimposer de fausses ides, sans que lon puisse savoir si telles
elles sont.
Il ny a donc point de doute que je suis, sil me trompe, nous dit Descartes ; et quil
me trompe tant quil voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, en tant que je
penserai tre quelque chose. De sorte quaprs y avoir bien pens, y avoir soigneusement
examin toute chose, enfin il faut conclure que cette proposition : Je suis, Jexiste, [ dans Le
discours de la mthode cest : je pense donc je suis] est ncessairement vraie, toutes les fois
que la prononce, ou que je la conois en mon esprit. 2. Faisons ici une premire remarque : le
sujet atteint un je suis de ncessit du seul fait de penser, cest un je suis pens, cogit ; cest
pourquoi Lacan crit le cogito ainsi : je pense : donc je suis . Mais ce que semble luder
Descartes, cest que lactivit de penser est une opration logique 3. Le sujet tel que
Descartes le met en acte, dans son nonciation, savre donc en fait dpendant ou effet de la
structure logique ou grammaticale - cest dire dpendant des effets de langage.
Le cogito vide la sphre de ltre de tout lment, pour la rduire un ensemble vide ne contenant aucun lment. Cest l que se pose la ncessit dun lieu de la vrit, dun
Autre, partenaire virtuel de Descartes. Le donc lindique suffisamment. Logiquement nous
avons la structure suivante : le cogito est la ngation de je pense et je suis, et qui donne alors :
un je ne pense pas ou je ne suis pas. Cest ainsi que Lacan traduit le cogito le 11 janvier 1967,
dans La logique du fantasme . Ce je ne pense pas marque un choix forc qui nous fait
dpendre le sujet de la grammaire des pulsions et du fantasme. Le je en question est ds lors
acphale, non singularis, alin dans un faux tre , dans une volont dtre ou de
jouissance. (Cf. On bat un enfant ) Cest un pas-je . Le je ne suis pas, quant lui,
comme dimension de linconscient, de la surprise (lapsus, acte manqu...) est refoul ou
refus . Car en ce lieu ne peut se dire donc je suis ou donc je ne suis pas. Freud y loge des
penses, des reprsentations de choses. L le sujet est dmantibul de tout je qui veut tre. L
je dois advenir comme sujet l o ctait , o pour un peu a allait tre.
Cest ici quil faut reprer la convergence de la dmarche de Freud et de celle de
Descartes : Le terme majeur, en effet, nest pas la vrit, nous dit Lacan. Il est Gewissheit,
certitude. La dmarche de Freud est cartsienne - en ce sens quelle part du fondement de la
certitude. Il sagit de ce dont on peut tre certain. (Sminaire XI, 19 janvier 1964). Laccs
aux penses inconscientes impose, selon Freud, de surmonter ce qui macule de doute le
contenu de linconscient , dans la communication dun rve par exemple. Or, rappelle
Lacan, - cest l que Freud met laccent de toute sa force - le doute cest lappui de sa
certitude . (Ibid.). Le dubito dsigne donc une place de laquelle est appel un sujet qui nest
pas une conscience transparente elle-mme, un Je= Je. Car le je pense qui reprsente le sujet
pour un autre je pense garde une certaine opacit. Dans ce lieu trou de linconscient rel je
1

22 novembre 1961.
Mditation seconde.
3
Cf. Cahiers du Cistre 3 avec un texte indit de Lacan.
2

ne suis pas car je ne peux pas my situer . (Instance de la lettre). Cest dans les coupures,
dans les achoppements du discours que surgit le je ne suis pas. Cest l le point de rel du
cogito : le rfrent est rat par le je pense ; il y a un signifiant qui est barr, qui se refuse au
savoir, le sujet nest que ce manque de signifiant : $ : Ce que vise le je pense en tant quil
bascule dans le je suis cest un rel, nous dit Lacan (SXI), un rel antinomique au vrai,
lide claire et distincte. Et cest de ce rel l dont Descartes ne veut rien savoir, et qui est le
rel de linconscient en tant que les penses de celui-ci sont barres la conscience.

Sujet ponctuel et vanouissant


Revenons maintenant la Mditation Seconde et essayons de voir comment se pose le
sujet ponctuel et vanouissant : Je suis, jexiste, nous dit Descartes : cela est certain ; mais
combien de temps ? A savoir, autant de temps que je pense ; car peut-tre se pourrait-il faire,
si je cessais de penser, que je cesserais en mme temps dtre ou dexister. 4. Pour prserver
le sujet de cette vacillation radicale, Descartes en vient considrer, dans un premier temps,
une res cogitans, une chose pensante, disjointe dune res extensa. Comment opre t-il pour
assurer sa certitude dexister au regard de la contingence de la vrit de son nonciation, en
tant que cette vrit ne sinsre pas dans un savoir ? Il considre un morceau de cire quil
approche doucement du feu, pour le faire svanouir dans ltendue. En dduit-il alors une
partie de lui-mme qui ne tombe pas sous limagination , et ce dans la stricte mesure o
nous avons lide claire et distincte dune infinit de changements. Nous ne connaissons donc
les choses extrieures clairement et distinctement seulement de ce que nous les concevons
par la pense . Ainsi Descartes rejette le corps hors de la pense , cest dire quil conoit
celui-ci non-marqu par le langage, comme son Dieu garant des vrits. Il y a donc l une
nette divergence davec la dmarche freudienne. Mais la question de la vrit de ce que je
puis dire de mes penses nest pas pour autant rgle, du fait de conformer, dit Descartes, ou
de comparer mes ides une extriorit dont elles proviendraient.
Descartes se pose au fond une question dordre topologique, une question de dehors et
de dedans : do me viennent les ides que jai en moi ? Car les faons de ma pense ,
nous dit-il, cest dire mes ides, les unes me semblent tre trangres et venir du dehors,
et les autres tre faites et inventes par moi-mme .
Descartes rsout cette question en partant de lide dun infini qui ne tire pas son
origine de mes penses, mais dun tre rduit une diffrence ; de toutes les ides que je puis
avoir, dont la certitude est vacillante, il y en a une, unique, la plus vraie, qui nest pas de moi,
et qui garantit comme vrit ncessaire le rel que dont se soutiennent mes cogitations. Cet
Autre qui ne trompe pas est rduit lunicit dun trait, dune diffrence, que Lacan repre
comme un trait unaire :
Ce que nous trouvons la limite de lexprience cartsienne comme telle du sujet
vanouissant, cest la ncessit de ce garant, du trait de structure le plus simple, du trait
unique absolument dpersonnalis...Comme tel, on ne peut dire de lui autre chose sinon quil
est ce qua de commun tout signifiant : dtre avant tout constitu comme trait, davoir ce trait
pour support 5 Le je pense cartsien, dune certaine faon, a la structure de ce trait idal,
comme ide claire et distincte. Mais ce qulide Descartes cest cela : le je pense donc je suis
est avant tout une parole qui se pose au lieu de lAutre qui nexiste pas en tant que sujet.
Lacan fait de lnonciation je pense lhomologue de celle du je mens : En effet, si quelque
chose est institu du cogito, cest le registre de la pense, en tant quil est extrait dune
opposition ltendue - statut fragile, mais statut suffisant dans lordre de la constitution
4
5

Ibid.
Ibid.

signifiante. Disons que cest de prendre sa place au niveau de lnonciation qui donne sa
certitude au cogito. Mais le statut du je pense est aussi rduit, aussi ponctuel ...) que celui du
je mens. Aucun mtalangage ne garantit la vrit dune nonciation. Cest dire que ce je
pense en tant que signifiant reprsente un sujet pour un autre signifiant. Lacan figure
diverses reprises ce je pense laide dun trait : 1.
Ainsi le sujet tel que Descartes le met en acte est un sujet qui se repre non pas par
rapport la ralit mais par rapport au signifiant unaire. Cest l que nous retrouvons notre
sujet de la science dans la mesure o dans la science moderne on interroge le rel, qui y
rpond, laide de petites lettres. Cest en quoi est formul, dans La science et la vrit ,
que lhomme de la science nexiste pas, mais seulement son sujet . Cest un sujet
reprsent par un signifiant unaire pour un autre signifiant. Il nest en somme quune place
vide, effet. Mais Lacan formule, dans ce mme texte, que la science vise, dans son exercice
mme, suturer cette place vide. Explicitons un peu ce point dlicat.

Le statut du savoir dans le cogito cartsien


Lopration cartsienne consiste disjoindre le savoir et de la vrit. Pourquoi ? Car
un moment donn de la dmarche cartsienne la vrit est remise dans les mains dun Autre :
elle pourrait tre autre, cette vrit, si simplement Dieu le voulait ! : Cest le rejet de la
vrit, nous dit Lacan, hors de la dialectique du sujet et du savoir qui est proprement parler
le nerf de la fcondit de la dmarche cartsienne 6. Ainsi le savoir tel que le conoit la
science est-il dtach de tout effet de vrit : il sagit que le rel, de la physique par exemple,
rponde ce savoir. Du coup le sujet se pose comme en excs par rapport ce savoir qui
saccumule, et qui produit toujours plus de savoir.
Aussi le sujet du cogito est-il une coupure qui spare deux faces, et dans laquelle il
disparat, ces deux faces tant celles du savoir et de la vrit. Dun ct il disparat, ce sujet,
comme manque dun savoir dsarrim de la vrit (savoir de la science), et dun autre ct, ce
sujet surgit de lnonciation dune vrit qui ne sassure daucun savoir prexistant. Il y a
donc l une sorte de torsion entre savoir et vrit, et qui joint ces deux cts la faon dune
bande de Mbius. Cest ce sujet, divis dans son tre , qui ne peut tre pens, que la
psychanalyse rcupre . Lanalyste indique au sujet de sintresser la cause de son dsir
inconscient, et donc laborer son inconscient.
Cest pourquoi Lacan traduira, en 1970, le cogito ainsi : je pense donc : Le donc du
donc je suis marque que le cogito nest quune pense de la cause7, cause que Descartes rabat
sur lidal dun trait de vrit ncessaire et ternelle - cause pourtant htrogne au signifiant.
Cette cause du dsir, sur quoi sappuie la parole nonciatrice du cogito, nest pas un manque
rductible du signifiant. Cest ce que Lacan a crit objet a, cause du dsir. Cet objet objecte
ce que le sujet puisse se penser puis par son cogito , par des signifiants. Il ny a pas de
savoir scientifique sur cette cause incommensurable lunit. Cette cause, cet objet indicible,
qui fait causer, est en effet de lordre de la contingence, singulier, et donc ne sinsre pas dans
un savoir universel. Cest pourquoi le savoir inconscient nest pas le savoir de la science.

6
7

Lacan. Ibid.
Sminaire XVII.

Lecture pistmologique de la thse de Lacan


Florent Gabarron-Garcia

Qui a lu la thse de Lacan ?


Nous allons exposer notre lecture pistmologique de la thse de Lacan, De la
psychose paranoaque dans ses rapports avec la personnalit8, lecture que nous avons eu
loccasion de dvelopper dans le cadre dun mmoire de Master II de psychanalyse au
dpartement de Paris 8 sous la direction de Serge Cottet en 2007.
Comme on le sait, la thse de Lacan est son premier travail denvergure. Tout le
monde tombe daccord sur ce point et, Lacan, lui-mme le confirme : dans ces premiers
articles, il nous dit quil restait dans lombre de ses matres et de leurs conceptions
organicistes9. Cependant, sil sautorise un tel cart, sil sautorise de dvelopper une autre
conception, la question est de savoir de quoi elle relve, ou, quel est le pas quil fait. La
rponse classique des historiens cette question est de dire que cette nouvelle conception
relve de la psychanalyse. Toute la deuxime partie de cet ouvrage est consacre, on le sait,
linterprtation psychanalytique dAime. Cest dans cette fameuse deuxime partie, que
Lacan fait la part belle Freud. Cependant, et cest l que se situe notre question, cela sauraitil faire de sa thse un ouvrage dont le cur serait psychanalytique ? Cest cette ide bien
admise, soutenue par la majorit de commentateurs103, que nous avons longuement
problmatise dans notre travail de recherche, et cest cette ide lencontre de laquelle nous
allons. cet gard, Lacan propos de ses Antcdents ne faisait-il pas dj remarquer ce
dfaut, dont il stonnait : Il arrive que nos lves se leurrent dans nos crits de trouver
dj l ce quoi notre enseignement nous a port depuis. Nest-ce pas assez que ce qui est
l nait pas barr le chemin ?11. Nous reprendrons donc sa question notre compte au sujet
de sa thse : quest-ce quil y a l dans sa thse qui na pas barr le chemin (vers la
psychanalyse) et qui nest pas dj l (cest dire qui ne relve pas encore de la
psychanalyse)?
8

J. Lacan, De la psychose paranoaque dans ses rapports avec la personnalit, 2me dition, Paris, Seuil, 1975.
Lacan, avant sa thse, a crit des articles surtout en collaboration avec dautres auteurs et essentiellement dans
diverses revues mdicales comme La revue neurologique, Lencphale, Les annales mdico-psychologiques, et
La revue franaise de psychanalyse. Nous navons reproduit que quelques uns des titres, en bibliographie
gnrale, qui indiquent lorientation organiciste, (pour lintgralit des titres et rfrences, on se reportera la
bibliographie gnrale de Jol Dor; Jol Dor, Bibliographie des travaux de Jacques Lacan, Paris, Inter Editions,
1983). Lacan rsume ces annes de formation de manire claire : Nous nous sommes attach tout
dabord,selon lorientation que nous donnaient nos matres, mettre en vidence les conditions organiques
dterminantes dans un certains nombre de syndromes mentaux. (Lacan, Expos gnral de nos travaux
scientifiques (1933) , dans De la psychose paranoaque dans ses rapports avec la personnalit, 2me dition,
Paris, Seuil, 1975, p. 399).
10
Jean Allouch, Marguerite ou Laime de Lacan, Paris, EPEL, 1990 ; Dominique Laurent, Retour sur la thse
de Lacan : lavenir dAime , in Ornicar, Paris, 2003, Philippe Julien, Pour lire Jacques Lacan, Paris, Le Seuil,
1986 ; Pascal Pernot, La thorie lacanienne de la psychose avant 1953 , dans La cause freudienne, Paris,2000
; Emile Jalley, Freud, Wallon, Lacan, Lenfant au miroir, Paris, EPEL, 1998, p. 78.
11
Jacques Lacan, Ecrits I, De nos antcdents , op, cit , p. 67. Nous disons donc quau-del de lintrt dune
telle lecture celle-ci relve de lanachronisme ou de la tentation tlologique.
9

Trs paradoxalement, cest plutt du ct des critiques de la psychanalyse que nous


trouvons un certains nombre dindices. Dans notre perspective heuristique coutons Deleuze
qui, dans un cours Vincennes, nous dit, non sans malice: Pour mon plaisir, je pense que la
thse de Lacan, que Lacan avait dite, sur la psychose paranoaque, est encore mais dun
bout lautre traverse dune vision personnologique, qui sera absolument loppose des
thses quil dfendra ensuite. 12 lencontre des commentaires classiques, il faut reconnatre
que Deleuze vise juste lorsquil use du terme personnologique , car le premier geste de
Lacan est bien dans sa thse dinaugurer une science nouvelle quil baptise du nom de
"science de la personnalit" et qui ne se rapporte pas la psychanalyse13.
Ce constat est lourd de consquences pour linterprte et il sagit den tirer toutes les
consquences mthodologiques : pour bien lire son premier travail denvergure il convient de
procder, en quelque sorte, un renversement copernicien : cest au sein de cette science
nouvelle que Lacan fonde et quil nomme science de la personnalit, que la psychanalyse et la
clinique dAime trouvent une place et non pas linverse14. Il convient ds lors de sortir du
dbat strictement autour de la psychanalyse car Lacan convoque aussi bien la psychiatrie, la
sociologie, la philosophie, disciplines qui sont toutes apprhendes au sein de son nouveau
paradigme. En dautres termes, rptons le, le premier geste thorique de Lacan nest pas
psychanalytique : il sagit donc de se dprendre de la lecture commune freudo-centre15, et de
revenir la lettre du texte de la thse. Lacan dans sa thse dveloppe en effet une science, qui
na pas eu jusqualors lattention quelle mritait, et si elle est tombe en dsutude, elle nen
demeure pas moins un systme cohrent tout fait irrductible. Et, cest prcisment en
raison de cette ambition thorique que Lacan, cette poque, nest ni freudien, ni
psychanalyste. Sans compter que, pour une part, Lacan est ncessairement tributaire de la
psychanalyse la franaise promulgue par Pichon16 dont il tait proche cette poque.
Ainsi dans sa thse, il estime notamment que la psychanalyse nest pas assez objective : il
critique sans mnagement ce quil appelle le symbolisme freudien quil nhsite pas
taxer de complexe et dloign . Cette critique du symbolisme flou quadresse Lacan
la psychanalyse et Freud est alors monnaie courante en France. Faut-il rappeler qu cette
poque Freud parlait de lobstacle franais eu gard la question de la rception de la

12

Gilles Deleuze, Cours du 27/05/1980, Universit de Paris 8, disponible sur le site de Paris 8
A la lumire de cette interprtation sclaire lnigmatique quatrime de couverture o Lacan dclare sa
rticence au sujet de la rdition de sa thse en 1975: Thse publie non sans rticence. prtexter que
lenseignement passe par le dtour de midire la vrit. Y ajoutant : condition que lerreur soit rectifie, ceci
dmontre le ncessaire de son dtour. Que ce texte ne limpose pas, justifierait la rsistance . Il semble bien que
la rticence que Lacan dclare au sujet de la rdition de la thse en 1975 signe la diffrence, pour lui
problmatique, davec le point de vue quil soutenait alors en 1932. en tenir compte il conviendrait donc de se
pencher sur les ressorts, non pas dune contradiction de loeuvre comme le soutient Deleuze sinon sur son
volution.
14
Cest la lumire de la science de la personnalit que la partie portant sur la clinique dAime doit tre
rvalue.
15
Une place particulire doit tre faite la lecture inaugur par Lantri-Laura et reprise par Franois Leguil. En
effet, il sagit des seuls auteurs-psychanalystes qui vitent dchouer sur lcueil du freudo-centrisme .
Contrairement aux lectures communes, ils ne la rduisent pas au paradigme psychanalytique. Cependant
privilgiant la question du rapport de Lacan Jaspers, et dlaissant lexercice dun commentaire exhaustif de la
thse, ils en manquent lenjeu singulier (Lantri Laura, Processus et psychogense dans loeuvre de Jacques
Lacan , in Lvolution psychiatrique, Tome 40, Toulouse, Privat, 1984, p. 975-990 ; Franois Leguil, Lacan
avec et contre Jaspers , in Ornicar, Paris, 1989).
16
On peut se reporter au fameux article de Laforgue et Pichon, o les auteurs tentent de dmontrer que la libido
est un concept qui doit tre banni, parce que dans lesprit dun franais il est associ libidineux . Ren
Laforgue et Edouard Pichon, De quelques obstacles la diffusion de la psychanalyse , dans Le progrs
mdical, tome XXXVI, p. 533-534.
13

psychanalyse17 ? A ce moment, la psychanalyse en France est essentiellement apprhende


comme une simple technique qui doit tre soumis lordre mdical organiciste18. Mais si
Lacan est tributaire des conceptions de son temps, au moins pour une large part, il est vrai
quil ne soumettra pas la psychanalyse lordre mdical organiciste, mais sa science de la
personnalit.

Une rvolution dans le champ psy : le paradigme caractro-consitutionnaliste et la


science de la personnalit
Lambition de Lacan est immense : fonder une science nouvelle ncessite videmment
de grands moyens. Sa thse dveloppe donc une culture encyclopdique. Non seulement cest
tout ldifice de la psychiatrie et de la psychologie naturaliste de son temps quil va remettre
en cause, mais cest aussi la philosophie et la science sociologique quil va convoquer pour
mener bien son entreprise. Cest que la science de la personnalit doit rgner sur les autres
sciences. Cest ainsi quil engage une discussion avec les principaux acteurs thoriques de
chaque discipline dont on peut retenir quelque noms : de Ribot ou Janet pour la psychologie,
en passant par Freud pour la psychanalyse et Kraepelin, Kretschmer ou Klages pour la
psychiatrie, ou Lvy-Bruhl pour la sociologie. videmment cette discussion ne se limite pas
ces quelques figures thoriques et de la mme manire que les sciences de lhomme des
annes soixante sont marques par linfluence quasi hgmonique du paradigme structuraliste
on peut reprer dans ces annes trente un paradigme des sciences de lHomme. En effet se
pencher sur le corpus de rfrences bibliographique de la thse de Lacan, on remarque que
quel que soit le domaine investi par Lacan et au-del des diffrences disciplinaires, les
sciences de lhomme se structurent autour de dbats portant sur des problmes relatifs la
caractrologie (tude des caractres) et au constitutionalisme (tude des constitutions qui
forment une personne). De la philosophie la psychologie en passant par la psychiatrie ou la
littrature, ces thories sont dbattues. Si on peut distinguer ces deux champs dinvestigation,
ils sont dans la thse le plus souvent confondus, et Lacan nhsite pas parler des thories
caractro-constitutionalistes et ce juste titre si l'on se rfre aux historiens de la psychiatrie:
Physiologues et mdecins, surtout observateurs du corps, ont dcrit des morphotypes et des
biotypes (constitutions, plutt anatomiques ; tempraments, plutt physiologiques), auxquels
ils ont rattach des traits de caractre de nature psychologique, tandis que psychologues et
17

V.N. Smirnoff, De Vienne Paris. Sur les origines dune psychanalyse la franaise , dans La nouvelle
revue de psychanalyse, Paris, numro 20, 1979, p. 19.
18
R. Doron, Elments de psychanalyse. Paris, PUF, 1978, p. 9-66 ; C. Chiland, Les coles psychanalytiques, la
psychanalyse en mouvement, Paris, Tchou, 1981 ; R. Jaccard, Histoire de la psychanalyse, Paris, Hachette 1982.
On se reportera aussi aux analyses de Marcel Scheidhauer qui montre les rsistances de cette poque par rapport
au symbolisme freudien dans son chapitre Sexualit et symbolisme (Marcel Scheidhauer, Le rve freudien en
France, 1900-1926, Paris, Navarin, 1985, p. 195-210). lpoque, les principaux introducteurs de la
psychanalyse, par un trange paradoxe, sont aussi bien souvent ces principaux critiques. Mme Henry Claude,
alors rput protecteur de la psychanalyse , ne se dpartit pas dune critique assez dure (on se reportera aux
commentaires de Jean-Pierre Mordier qui montre quil est le cerbre qui oppose une ultime rsistance
leffraction de la psychanalyse ; Jean Pierre Mordier, Les dbuts de la psychanalyse en France, 1895-1926,
Paris, Maspro, 1981, p. 246). De ce point de vue Lacan, sinscrit pour une part dans cette attitude. Il
conviendrait de dmler avec prcision quest-ce que Lacan doit son poque dans ses rapports la
psychanalyse et en quoi il en innove de nouveaux. Cependant cette question dborde largement les bornes de la
prsente investigation. Ce quil faut retenir cest que de toute faon rien nautorise du point des raisons de la
thse que lon autonomise le rapport de Lacan la psychanalyse et Freud davantage que, par exemple, son
rapport Bleuler ou Kretschmer. Si nous insistons sur la question du rapport de Lacan la psychanalyse ce
nest quen rponse aux commentaires classiques freudo-centrs dont la nature est de gommer les diffrences de
Lacan Freud et du coup dannihiler le substrat et loriginalit de la thse.

moralistes ont plus particulirement nomm caractres les structures psychologiques


fondamentales sous-jacentes la personnalit et susceptibles de regroupement ; des
morphopsychologues ont tent de trouver des corrlations entre caractres et
morphotypes19. Ces quelques commentaires nous plongent dans lambiance de la
priode. Il existe bien un paradigme caractro-constitutionaliste des sciences de lhomme dont
lorientation, pour une large part (sinon lessentielle), est clairement naturaliste. cet gard,
les sciences psy20 se prsentent comme les gardiennes du temple, et il est donc normal que ce
soit avant tout avec elles que Lacan discute. Comme on le voit nous sommes alors bien loin
de lorientation symboliste des sciences de lhomme venir et cest prcisment l que se
situe le geste pistmologique lacanien.
Lexpos des doctrines de chaque auteur auquel Lacan se livre (et qui a t compar
un slalom de ski 21 par Jean Allouch) est indissociable de laffirmation de sa propre
perspective et de lhorizon pistmologique des annes 30 dont nous venons de dresser un
bref tableau. Ainsi, lanalyse et la comparaison des diffrentes approches doctrinales ne se
font pas au hasard. Elle participe dune logique pistmique par o Lacan labore et construit
sa conception originale. Lacan expose les doctrines diffrentes pour affirmer la sienne et on se
rend compte que son expos consiste dans la ruine progressive du paradigme de la psychiatrie,
de la psychologie, et de la psychanalyse classique. Plus exactement tous les partages
disciplinaires qui structuraient le champ des disciplines psy sont progressivement
subvertis et reconfigurs.
Comment Lacan arrive-t-il subvertir le champ psy (psychanalyse, psychiatrie, et
psychologie confondues)? Comment dun espace constitu et rifi en des partages
disciplinaires reconnus (lespace de discours lgitime sur la folie), il arrive tracer, de
lintrieur, de nouvelles frontires, lui imposer de nouvelles lignes de dmarcations et
finalement lui donner une forme nouvelle ?
La raison premire dun tel coup de force, cest que Lacan ne va pas rester cantonn
son seul champ de spcialit psy . Sous les dehors de lapparente modestie dun problme
spcifique la nosologique psychopathologique et psychiatrique (le rapport des dmences et
des psychoses) par lequel il commence son introduction, Lacan va dgager ds le
commencement de sa thse un vritable horizon problmatique en posant sa notion de
personnalit. Et, cest prcisment cette notion de personnalit qui va permettre cette
ouverture et cette subversion du champ psy. En effet, en convoquant cette notion pour rendre
compte de la psychose Lacan opre un dcalage du problme ordinairement spcifi dans les
termes de la psychopathologie. Contrairement la doxa psy , la psychose ne doit pas tre
aborde de manire solipsiste ou monadique comme un objet en soi dont il sagirait de
montrer la prgnance de causes organique. Au contraire la psychose doit tre apprhende
avec le problme gnral de la synthse psychique de la personnalit. Or, la personnalit
concerne aussi bien lhomme normal que le fou. Ds lors, il convient de sintresser
lanamnse du patient, son histoire, ses productions, sa parole afin de le comprendre,
nous dit Lacan (il sinspire ici de Jaspers). En dautres termes, la psychose est justiciable
dtre comprise comme relevant de processus gnraux communment partags : la psychose
appartient au genre humain. Ds lors, les sciences psy de son temps qui sarticule autour du
paradigme spcialis caractro-constitutionnaliste et naturaliste ne peuvent quchouer pour
en rendre compte. Cest ainsi quil propose sa thse psychognique quil labore pour le
19

Georges Torris, La caractrologie, PUF, Paris, 1972.


Le lecteur aura compris que par cette expression nous entendons aussi bien les doctrines se rapportant la
psychiatrie, qu la psychologie, qu la psychanalyse.
21
Il s'agit d'Allouch, Op. Cit.
20

champ des sciences psy . Elle lui permet de dcaler le problme classique des
psychoses de la spcificit du champ psy auquel il tait destin et du naturalisme auquel
t vou ce champ. Elle lui permet de ne pas demeurer cantonn lespace restreint de la
pathognie mais de louvrir. Cest ainsi que les thses classiques de lorganogense et de la
psychogense qui traaient un grand partage entre causalit organique et causalit psychique
dans le champ des disciplines psy sont rendues caduques. Lhypothse psychognique
lacanienne pour le champ psy permet en mme temps en effet de l'ouvrir, en le faisant
imploser. Cest bien toute une nouvelle conomie du savoir sur lhomme que Lacan constitue
par elle, une conomie o la causalit nest plus organique mais symbolique. La psychognie
est en effet une affirmation fondamentale et radicale de la causalit symbolique sur toute autre
forme de causalit et Lacan nhsite pas prendre comme modle lanthropologie de LvyBruhl pour tayer son propos22.
La psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse sont dsormais convoques devant le
tribunal de la science de la personnalit. Lascendant quexerait le paradigme naturaliste (
travers notamment la caractrologie et le constitutionalisme de lpoque) envers ces
disciplines est dsormais ruin. Nous ne pouvons oublier que la folie soit un phnomne de
la pense...23, commenta plus tard Lacan propos de lenjeu de sa thse. Elle signifie bien le
renversement quopre Lacan par rapport ses premires annes de formation o, lorsquil
crivait ses premiers articles, il demeurait dans le giron des conceptions organicistes de
ses matres. Sa thse peut donc, du point de vue de l'ensemble de son uvre, tre considr
comme un moment d'mancipation par rapport des paradigmes concurrents et comme le
premier pas vers la psychanalyse mais non pas comme relevant stricto sensu de la
psychanalyse.

Conclusion
Mme si la thse est passe inaperue lpoque, et mme si aujourdhui on occulte le
plus souvent encore les propositions qui y sont formules, il convient de rvaluer sa juste
place ce premier travail de Lacan. Lacan en dveloppant ses vues psychogniques opre une
vritable petite rvolution dans le champ des sciences psychiques franaise des annes trente,
et par son geste thorique la science de la personnalit prfigure la psychanalyse lacanienne
venir. Ce que nous faisons valoir en ce qui concerne notre propre perspective, cest la
ncessit de reconnatre Lacan la paternit de sa thse. dfaut de dire que Lacan est
freudien dans sa thse, il est en effet plus juste de dire que dans sa thse Lacan est tout
simplement lacanien. En dautres termes, si lon rend justice ce geste inaugural dans toute sa
porte cest aussi bien la gense ou lhistoire de la psychanalyse lacanienne qui mrite dtre
rexamine laune de ce dernier, et cest toute une archologie de la psychanalyse qui est
rendue possible.

22

Cest le point de vue social de la science de la personnalit (directement drive de la perspective


anthropologique) qui peut se prvaloir de lautorit pistmique pour lgifrer en matire dobjectivit.
23
Lacan, Ecrits, Paris, Seuil, 1966, p. 162.

Quelques caractristiques pistmologiques de la formalisation


lacanienne de lhallucination verbale
Damien Guyonnet

Comment peut-on dfinir lhallucination verbale dans la perspective psychanalytique


dorientation lacanienne ?
Pour rpondre cette question, nous devons nous rfrer un modle thorique. Lacan
en a au moins un. Nous allons tenter une dmarche de rflexion pistmologique autour de ce
modle.
Quel est-il ? Quest-ce qui justifie sa formalisation ? Quelles sont ses volutions ?
Seulement, nulle avance thorique ne saurait seffectuer sans avoir recours la
clinique. Ainsi Lacan voque-t-il plusieurs reprises le cas dune patiente qui hallucine - en
prsence dun homme sur son pallier - le signifiant truie .
Nous tudierons les diffrents usages que Lacan fait de cette vignette clinique, usages
dcoulant de lorientation thorique du moment, et nous montrerons comment, dans une sorte
de mouvement retour, lexprience clinique peut elle-mme enrichir la thorie, suscitant
parfois la cration de nouveaux concepts.

I - Du modle thorique lexprience clinique : deux temps, deux perspectives


1re tape : Le Sminaire III
Concernant la patiente qui hallucine truie dont Lacan fait grand cas dans son
Sminaire III, rappelons les faits.
Une femme, vivant avec sa mre dans une sorte de folie deux, aprs avoir pris cong
de son mari - elle le souponne, lui et sa belle famille, de vouloir la dpecer - rencontre sur le
pallier de son appartement lami dune voisine trs envahissante, et entend venant de lui le
signifiant truie . Il laurait injurie.
Lacan, qui interroge cette femme lors dune prsentation de malades, recueille ce
quelle aurait murmur presque au mme moment que lincident : Je viens de chez le
charcutier . Les premires laborations de Lacan concernant cette hallucination truie
datent du 7 dcembre 1955 (Chapitre IV). Il situe cette apparition signifiante dans le rel
comme premire avant que la patiente nonce Je viens de chez le charcutier .
Ainsi, dans la psychose, la rponse de lAutre - ici linjure Tu es une truie - - serait
premire, la diffrence de la nvrose o lAutre doit dabord avoir t investi par le sujet,
reconnu, fin quun Tu es lui revienne. Par exemple, il faudra quil y ait un message du
type : Tu es mon matre adress lAutre, pour quen retour - dans un temps second cet
Autre tablisse le sujet comme disciple : Tu es mon disciple .
Avec la patiente de Lacan, Tu es une truie vient en premier. Ce que la patiente
exprime avec son histoire de charcutier - donc de cochon - vient en second.

Nous navons pas non plus le schma de la communication inverse (et ce, mme sil
est question de cochon et de truie), aussi Lacan parle dune interlocution dlirante24. En effet,
lordre question (message) - rponse est invers dans linterlocution psychotique. La rponse
est premire (associe la certitude); sous les espces par exemple de truie . Avec le
phnomne hallucinatoire, cest la rponse qui est lallocution, lAutre de la reconnaissance
tant exclu, nous dit Lacan.
Ainsi, nous comprenons le souci de Lacan port sur lordre dapparition des
phnomnes comme une volont de distinguer la nvrose de la psychose, sachant que cette
dernire est pense partir de la premire. Cest parce que lAutre absolu, lAutre de la
reconnaissance est exclu dans la psychose, quun tel phnomne peut avoir lieu.
2me tape : les Ecrits
Dans son texte Question prliminaire tout traitement possible de la psychose,
Lacan synthtise ses recherches concernant les troubles du langage dans la psychose.
Aprs lvocation des travaux des phnomnologues et avant daborder le cas
Schreber - avec les phnomnes de code et phnomnes de message - il revient sur le cas de
lhallucination truie , quil situe comme phnomne dirruption du symbole dans le
rel. Lhallucination est donc principalement saisie - comme dans Le Sminaire III, dans le
registre signifiant. Seulement dans les Ecrits, la perspective nest plus tout fait la mme.
Pour le dire simplement, Lacan ne prend plus pour modle le schma de la
communication inverse, mais celui du rejet , donc de la forclusion25, et - comme nous le
verrons par la suite - ce terme de rejet concerne aussi bien le registre du signifiant que
celui de lobjet. Autre nouveaut, lintroduction du terme de rplique .
De ces nouveaux apports il sen dduit - deux ans aprs le Sminaire III - que ce qui
est premier est Je viens de chez le charcutier et non plus le signifiant truie hallucin.
Voici un extrait du texte des Ecrits qui nous servira de fil conducteur : Au lieu o lobjet
indicible est rejet dans le rel, un mot se fait entendre, pour ce que, venant la place de ce
qui na pas de nom, il na pu suivre lintention du sujet, sans se dtacher delle par le tiret de
la rplique : opposant son antistrophe de dcri au maugrment de la strophe restitue ds lors
la patiente avec lindex du je () (p. 535).
Intressons-nous ici la dernire partie de la phrase.
Disons quil nous faut articuler logiquement - en prenant en compte le facteur
temporel - lordre de dploiement des termes, de lantistrophe de dcri - truie - la
strophe restitue au sujet - Je viens de chez le charcutier - ce qui est respectivement de
lordre de la certitude et de lquivoque (et de lallusion).
Compte tenu du fait quil y a une logique temporelle, Lacan sattache savoir ce qui a
prcd lhallucination truie . Et puisquil la considre comme une rplique, cest quelle
est prise en quelque sorte dans un dialogue.
Si lautre rpond via le phnomne de la rplique - qui est une hallucination -,
cest que notre patiente a dabord dit quelque chose.
Nous voyons ici Lacan porter toute son attention sur le contexte signifiant
dclencheur. Concernant lirruption dune hallucination, notre intrt se porte sur ce que le
patient sest dit ou a dit, juste avant son mergence, ou encore sur ce que quelquun dautre a
pu lui dire, ou enfin, sur les simples coordonnes symboliques de son apparition (le lieu par
24

Lacan utilise une seule fois ce terme dans le sminaire III, la page 145, juste avant le chapitre qui introduit
le signifiant dans le rel et le miracle du hurlement (chap. X).
25
Certes le terme de Verwerfung est dj prsent dans le Sminaire, mais cest alors pour spcifier seulement le
mouvement de retour quil provoque, c'est--dire le retour dans le rel. Il avait introduit cette occasion la
formule devenue clbre : ce qui est refus dans lordre symbolique, resurgit dans le rel (p. 22).

exemple). Dans le cas de lhallucination truie , Lacan recherche ce que la patiente se serait
dit elle mme, en le murmurant : je viens de chez le charcutier .
Reprenons lextrait des Ecrits. Cest la place o lobjet indicible - sans nom dit
Lacan est rejet - car pas de signifiant pour laccueillir - que vient linjure, le signifiant
truie . Nous pouvons attraper ici, dans cette appellation objet indicible , lobjet a lacanien.
Ds lors, nous dirons que le signifiant truie apparat dans le rel suite au rejet dun
objet dune forte charge libidinale.
Ainsi, si la perspective de Lacan nest plus la mme en 1958, cest sans doute cause
de cette introduction furtive de la question de la jouissance - mme si ce terme nest pas cit
en tant que tel - et surtout de son intrt grandissant pour le terme de rejet. Mais il nempche
qu introduire le terme de rplique, Lacan reste dans une proccupation langagire. Le cadre
de rfrence de Lacan est toujours en 1958 lordre symbolique. Son effort consiste rduire
lhallucination, comme tout autre symptme, un phnomne de communication, certes
perturb.
Le registre vnement de corps nest pas encore lordre du jour26.
Une fois le modle thorique pos - rfrence maintenue au langage, insistance sur le
mcanisme de rejet, esquisse de la question de la jouissance - et une fois le droulement des
faits cliniques dcids - dabord charcutier puis truie - reste rentrer plus
profondment dans le mcanisme en jeu. Selon Lacan le signifiant truie hallucin, puis
attribu lautre (le voisin), vient permettre rtroactivement lattribution de la phrase allusive
prcdente Je viens de chez le charcutier , mettant fin ce qui relevait de lindtermination
- avec loscillation un temps du je entre les deux protagonistes, nous dit Lacan - (Ecrits, p.
535). En quelque sorte, lhallucination permet un capitonnage.
Deux rejets
Reprenons encore une fois ce passage difficile de la Question prliminaire .
Dans ce court extrait nous pouvons donc relever deux rejets :
- celui de lobjet indicible , le sans nom (en somme lobjet a disions-nous), qui
correspond la jouissance du sujet.
- celui du signifiant truie pour la patiente de Lacan.
Nous avons donc deux forclusions : une qui concerne lobjet, lautre le signifiant.
La deuxime forclusion, celle du signifiant truie , sinscrit comme consquence de
la chane brise 27 nous dit Lacan. Ainsi, le mcanisme de rejet doit tre associ celui de
chane brise . Cette rupture de chane provoque lmergence dun signifiant dans le rel.
Ce phnomne ne rsulte en rien de la projection, toujours imaginaire rappelle Lacan.
Concernant lordre dapparition des phnomnes, rappelons ce que dit Lacan : Au
lieu o lobjet indicible est rejet dans le rel, un mot se fait entendre () . Ainsi, cest
dabord la jouissance qui est rejete (la charge libidinale, celle qui na pas de nom), ce qui
provoquerait une rupture de chane, et donc le rejet dun signifiant. Mais noublions pas quil
nous faut aussi le signifiant charcutier , signifiant qui prcde linjure.

26

Dans son texte Biologie lacanienne et vnement de corps , op. cit., Jacques-Alain Miller rappelle que tout
leffort de Lacan cette poque est de construire lhallucination, comme tous les symptmes dailleurs, comme
phnomne de communication, certes perturb. Il nest en rien vnement de corps. Si lon rapporte le corps
ainsi que la libido limaginaire, on comprend pourquoi Lacan cette poque, soucieux de dmontrer la
prvalence du symbolique, opre ce choix.
27
Pour que lirruption du symbole dans le rel soit indubitable, il suffit quil se prsente, comme il est
commun, sous forme de chane brise ([4], p. 535).

Ainsi, entre les deux moments dlaboration de Lacan (1956/58), nous avons la fois
une continuit et une rupture. La rfrence reste toujours le langage, le symbolique, mais en
1958 le mcanisme de rejet est mis au premier plan.
Que dire alors de la mthode de Lacan ? Quel usage fait-il de sa vignette clinique ?
Certes, elle permet dinitier la rflexion thorique mais elle est avant tout celle qui doit
se plier au paradigme de pense du moment. Ainsi, si le fait clinique est toujours initial, il
nempche que llaboration thorique lui fait toujours dire ce quelle veut, quitte le
rajuster, comme nous lavons montr avec ce changement de perspective effectu par Lacan
en 1958 (inversant lordre logique dapparition des termes en prsence).
Cest toujours la thorie qui fournit le prisme de lecture de lexprience clinique.

II - De lexprience clinique vers la thorie. Vers linvention de nouveaux Concepts


Commenons par quelques petites considrations pistmologiques qui dcoulent de la
formalisation lacanienne de lhallucination.
Notre domaine dtude, est la psych. Notre objet dtude est le sujet.
Notre cadre de rfrence, notre paradigme est le langage et ses effets (notamment de
jouissance). Notre champ spcifique est celui des troubles du langage.
La problmatique qui nous intresse est celle de lhallucination verbale.
Nous avons vu que le phnomne en jeu est celui de la rplique, que le modle explicatif de
lhallucination est celui de la chane brise et enfin, que le mcanisme loeuvre est le rejet versant forclusion.
Nous obtenons au final une thorie de lhallucination.
Maintenant, oprons une sorte deffet retour de la clinique sur la thorie. Cela devrait
permettre de lenrichir.
Deux signifiants en jeu
Le modle utilis par Lacan de chane brise doit faire rfrence un paradigme
plus large qui vaudrait pour tout sujet et pas simplement celui hallucin.
Qui dit sujet, dit effet du signifiant, do cette dfinition canonique du sujet en
psychanalyse : cest ce quun signifiant reprsente pour un autre signifiant. Le sujet est leffet
dune chane signifiante ayant pour criture : S1S2. Ainsi le sujet cest ce quun signifiant
reprsente pour un autre signifiant.
Le Discours du matre lcrit parfaitement.
Ceci tant pos, il devient possible de formaliser la logique de lhallucination. En
effet, puisquelle rsulte dune rupture de chane, nous lcrirons ainsi : S1 // S2.
Elle relve donc du registre de lUn tout seul.
Nous obtenons ainsi une premire formalisation de lhallucination.
Autre point important, celui qui concerne nos concepts.
Afin de les rendre opratoires, nous devons les rduire des lettres ou des chiffres.
Ainsi, posons que le signifiant truie est un S1. Mais charcutier aussi est un S1. Il en
existe donc plusieurs. Alors que le premier est qualifi par Lacan de signifiant dans le rel
(Sminaire III), ou encore de symbole dans le rel (les Ecrits), proposons dappeler le
second - charcutier - signifiant du bord du rel . Bien sr, les deux sont lis.
Ds lors, on peut faire lhypothse que, si le schma lacanien de lhallucination se tient
dans le sens o il prendrait rellement en compte la spcificit des paramtres en jeu chez
un sujet donn - le signifiant hallucin (signifiant dans le rel) comme le signifiant qui
prcde lhallucination (signifiant du bord du rel) doivent tre en lien avec dautres lments

signifiants primordiaux du sujet.


Nous pourrions alors mettre lhypothse que lhallucination peut constituer - dans
certains cas - une voie royale daccs aux signifiants matres du sujet.

En guise de conclusion, proposons une autre hypothse.


Revenons sur le signifiant appel par nos soins signifiant du bord du rel .
Il constitue disions-nous une modalit particulire de S1. Cest le signifiant qui
prcde le surgissement du phnomne lmentaire. Dans le cas de truie , il sagit de
charcutier .
Nous mettrons lhypothse que ce signifiant du bord peut revtir deux formes : soit il
est celui qui participe effectivement une formation symptomatique comme
lhallucination nous lavons dmontr soit il est celui qui peut protger du trou ; ds lors,
il ferait en quelque sorte barrage au rel.
Resterait le formaliser, mais cliniquement, il sagit dun signifiant qui devra
slaborer, sinventer lors dune analyse.

Les voies de lhallucination


Brice Martin

Le modeste travail que jai le plaisir de vous prsenter constitue en ralit une sorte de
rcapitulatif dcrits que jai rcemment dcouverts: il sagit des tudes dHenry Ey.
Jai essay darticuler cette prsentation, ayant pour thme lhallucination dans le
modle dHenri Ey, autour de 3 petites parties :
- la premire constitue une rapide mise en place des grands concepts organo
dynamiques
- la deuxime porte sur le rapport du conscient et de linconscient dans la
thorisation no jacksonienne.
- Enfin la troisime partie sur le sujet de cet atelier, savoir la comprhension de
lhallucination dans le modle dHenri Ey.

1) Bases du modle organo dynamique


Faisant le constat des impasses inluctables des grands modles psychiatriques
(mcaniciste dun ct, psycho gntiste de lautre) quant la comprhension de la
psychopathologie luvre dans le fait psychiatrique, Henry EY se propose de glisser une
troisime approche, dinspiration Jacksonnienne, quil appellera lorgano dynamisme,
puisant sa lgitimit dans la ncessit de rpudier la fois le dualisme qui spare trop et le
monisme qui ne spare pas assez .Trs proche de Janet, cette approche postule que la vie
psychique est une forme dorganisation dont la vie organique est une condition ncessaire
mais non suffisante.
Ce projet prend appui sur un modle, celui du neurologue anglais H. Jackson sorganisant
autour de 4 grands principes :
1. Le premier postule la hirarchisation des fonctions psychiques. Cette hirarchisation
des fonctions psychiques subordonne les phases primitives et infrieures aux
organisations plus labores.
2. Le deuxime postule que les tats pathologiques proviennent dun mouvement de
dissolution des fonctions existantes. A ce mouvement de dissolution dune fonction
correspond une rgression du systme fonctionnel un niveau infrieur. Cette
rgression saccompagne dun dficit, li la dissolution du niveau suprieur, mais
galement dune symptomatologie positive, lie lexpression du niveau infrieur
libr : ainsi, dans cette optique, la maladie ne cre pas mais libre .
3. Par consquent, ce que la clinique tudie, ce sont des niveaux de dissolution plus ou
moins profonds. La consquence immdiate est lloignement de la notion dentit
anatomo clinique. Cest la le troisime principe. Ce que le clinique tudie, ce sont
des niveaux de, de dissolution plus ou moins profonds.
4. Enfin, le 4me principe, extrmement important, insiste sur le fait que la particularit de
la psychiatrie est se soccuper des tats de dissolution globale, par opposition aux
dissolutions partielles, objets de la neurologie. On entend par dissolution globale, une
forme de bouleversement existentiel lie au trouble. Cest le cas par exemple dune

symptomatologie hallucinatoire, bouleversant le vcu du patient, l ici, l et


maintenant . La dissolution partielle ne bouleverse pas ce point le vcu : cest le cas
dune paralysie dun bras par exemple : il ny a pas dans ce cas de bouleversement de
la conscience, ou, plus prcisment du champ de conscience

2) La conscience et linconscient dans le modle dHenri EY


Tournons nous maintenant vers un problme rcurrent dans le travail dHenry EY,
prambule indispensable ltude de lhallucination, celui de la conscience.
Nous verrons successivement :
- la place de la conscience dans la psychiatrie classique et psychanalyse
- une tentative de dfinition de la conscience
Place de la conscience dans la psychiatrie classique et la psychanalyse
Partant dune approche historique, henry EY fait le constat suivant : concernant la
psychiatrie tout dabord, force est de constater la confusion qui rgne autour du problme de
la conscience , tant dans sa dfinition que dans les troubles la concernant.
Concernant sa dfinition tout dabord , Baruk y voit une instance rflexive, Sadler un quasi
synonyme de la fonction de vigilanceSeul Jasper donne une dfinition qui, nous le verrons
plus loin, se rapproche de la conception OD, dfinissant la conscience comme la totalit de
la vie psychique un moment donn .
Concernant ensuite les troubles de la conscience, que ce soit dans lcole allemande,
ou franaise, les tentatives les plus tmraires semblent finalement se rsumer en un
catalogue, une sorte de description quasi atomistique de troubles de la consciences .Ainsi
en est il de Regis, qui distingue troubles de la conscience par sentiment dappropriation
personnelle, par altration des perceptions, par altration de lenchainement mnmonique des
sensations, comme de jasper (tats dobnubilation, tats de conscience dcomposs,
conscience rtrcie), ou encore de binder
Finalement, les descriptions sont fragmentaires, disparates et se perdent dans un certain
schmatisme sans conception unificatrice.
En ce qui concerne la psychanalyse, dont on sait quel point Henry Ey fut attach,
nous trouvons l nanmoins un point de divergence assez fort entre le modle freudien, et le
modle OD quant au statut donn la conscience :
Partant l encore dune approche historique, Ey prend pour point de dpart les
fondements cliniques de la psychanalyse : hypnose, ides fixes hystriques, toutes ces
manifestations ressemblant un parl de la personne voluant pour son propre compte .
Pour Henry Ey, 2 voies de comprhension taient possibles devant ltude de ces
manifestations :
- la premire, symbolis par Freud et son cole, situe les troubles hystriques
comme un effet , comme une action de linconscient. Ainsi, les manifestations
hystriques, pour ne parler que delles, renvoient elles laction quasi pathogne
dun inconscient refoul, puisant certains de ses contenus dans lhistoire du sujet.
En revanche, on ne retrouve que trs peu de considrations sur la structure de la
conscience, considres finalement comme une instance rflexive, la surface de
lappareil psychique

la deuxime voie, symbolise par pierre Janet, en qui Ey voit un de ses maitres,
subordonne les manifestations de linconscient (qui nest pas ni) un trouble de la
conscience pour Janet, si linconscient sexprime, sactualise, au travers, par
exemple des manifestations hystriques, cest quune condition sine qua non
existe : cette condition, cest lexistence sous jacente, primaire, dune altration de
la conscience, altration prenant racine dans le corps, condition l encore sine qua
non pour parler de psychopathologie.

Ainsi, pour H. Ey, dans la continuit de Janet, loin de nier linconscient, il ne faut pas
surestimer linconscient, et rtablir la base qui lui manque : envisager son actualisation, son
expression, ses manifestations au regard dune destructuration de la conscience. Ainsi, la
dstructuration de la conscience constitue pour Ey le fondement mme de la notion
dinconscient.
Tentative de dfinition de la conscience
Mais alors, quest ce que la conscience ? Ou encore, quest ce quune conscience
structure et une conscience dstructure ?
Loin de prtendre rpondre cette question, henry Ey tente de sattaquer avec
modestie ce problme, dbordant finalement le champ uniquement psychiatrique.
Il tente ainsi de dgager quelques aspects fondamentaux ses yeux :
- premier point : la conscience nest pas toute la vie psychique : Ey, plutt que
denvisager la conscience comme une totalit (la totalit des fn intellect sup par ex)
la considre davantage comme une structure mouvante, ramene, et cest l un
point capital, au problme de la constitution dune exprience concrte
lintersection du temps et de lespace, do la notion capitale de champ, de
champ de conscience restreignant donc la conscience ntre quun moment
de la vie psychique
- deuxime point, la conscience nest pas une fonction simple,une fonction basale,
quelque chose comparable un atome si on veut.la conscience est quelque chose
de structur, de hirarchis, et cest cette structure qui peut chanceler, qui peut
seffondrer plus ou moins profondment, comme on peut le voir dans la
pathologie. Nous verrons ainsi un exemple de dstructuration de la conscience
dans lhallucination.
- Troisime point, la conscience ne correspond pas aux fonctions suprieures,nen
est pas une, mais constitue la forme mme de lactualit du vcu. Cest elle qui
structure ici et maintenant lexercice de nos fonctions suprieures, ou encore
pourrait on dire de notre rapport au monde.
- Dernier point, dimportance capitale, la conscience nest pas lautomatisme. Au
contraire, par sa fonction de reprsentation, allant de paire avec tout acte rflchi,
la conscience, par son exercice, nous carte de la voie de lautomatisme, du
rflexe. Cest l un point dextrme importance, clairant la conception dHenry
Ey et de la phnomnologie sur la question de la libert, lacte libre scartant de
lautomatisme, lui-mme toujours libr dans une mesure plus ou moins grande
dans la pathologie mentale (hallucination, obsession, monoidisme, impulsions,
tics etc.)
En guise de conclusion, nous pourrions donner la dfinition suivante de la conscience : la
conscience, cest le champ du prsent reprsent , formule rsumant lensemble des

points de vue prcdents. Cest lici, l et maintenant , cet ici, l et maintenant qui
peut se dstructurer, conduire lactualisation de linconscient, comme le montre la
pathologie mentale, comme par exemple, le montre lhallucination, vers laquelle nous nous
tournons maintenant, en guise dexemple de dstructuration du champ de conscience.

3) Un exemple de dstructuration de la conscience : lhallucination


Tentons maintenant de dgager quelques aspects des hallucinations, en regard de ce que
nous venons de voir.
Ainsi, nous verrons successivement :
- Le cadre nosographique de ltude sur les hallucinations
- La clinique de lhallucination
- La phnomnologie et lanalyse structurale OD de lhallucination (autrement dit,
la nature de la dstructuration de la conscience en jeu)
Cadre nosographique et dgagement historique
Plaant demble ltude de lhallucination dans le contexte clinique de laigu,de
lmergence,du moment fcond, cest sous langle de ce que EY nomme bouffes dlirantes
et hallucinatoires aigues, recoupant la BDA de Magnan, ou encore les expriences dlirantes
primaires de Jaspers, quil dveloppe sa clinique des hallucinations.
Clinique des BD et H A
Alors, dun point de vue clinique, quelles sont les diffrentes formes de
lhallucination ? Que nous offre voir la clinique des tats aigues hallucinatoires ?
La prsentation clinique de Ey, teinte du modle OD, de par la hirarchisation quelle
introduit dans la description des tableaux cliniques hallucinatoires, propose 3 niveaux
hallucinatoires, traduisant une dstructuration de plus en plus profonde de la conscience.
Le premier niveau, le niveau de dstructuration le plus superficiel, le premier
ensemble de faits cliniques relevant de lhallucination, et bien, cest la dpersonnalisation
.Terme introduit par Dugas en 1898, la dpersonnalisation se traduit par un sentiment
comportant tout la fois celui dtranget de la personne physique (dcorporisation) ou
psychique (dsincarnation) et dtranget du monde extrieur (dralisation). Une grande
partie de la conscience demeure encore intacte dans ce premier ensemble de faits cliniques, la
structure de la conscience est touche, certes, mais pas suffisamment pour abolir ltranget
de cette tranget.
Le deuxime niveau, niveau de dstructurations intermdiaire, plus profond que la
dpersonnalisation, est constitu par les expriences de ddoublement hallucinatoire (ou
encore tats aigus dautomatisme mental). Ce type de dstructurations de la conscience se
traduit par un sentiment dintrusion, de parasitisme, deffraction dans la pense du sujet.
Lensemble des descriptions magistrales de De Clrambault est greffer ce niveau l
Le point crucial de ce type dexprience hallucinatoire, cest, pourrait on dire, lexigence dun
accouplement un autre, si souvent vcue sous la forme dun viol, le viol de la pense. Il
sagit donc, on le sent bien, dune effraction de lintimit, de lunit et du secret, qui, au
milieu mme du moi, est normalement inviolable. On touche l la perte de la proprit
prive du langage intrieur.

Le troisime niveau de dstructuration, le niveau le plus profond, est constitu par les
expriences dlirantes onirodes.
A ce niveau de dstructurations correspond un vcu hallucinatoire caractris par son
inachvement, tout reste flottant, inconsistant (reprenant quasi point par point les descriptions
magistrales de Mayer Gross) mais galement une tendance la formation densemble
scniques. On voit trs bien le rapprochement avec un fait, cette fois ci, normal : le rve, dont
on sait limportance quHENRY Ey lui accorde, y voyant , dans la ligne dun de ses matres,
Moreau de Tours, le fait primordial de la psychopathologie.
Ltat onirode se rapproche donc de la conscience du rve. La ralit nest pas totalement
anantie, comme dans la confusion, mais ce niveau de dstructuration conduit sa
crpuscularisation.
Analyse structurale OD des phnomnes hallucinatoires, conclusion de ce modeste essai.
Tournons nous maintenant vers la phnomnologie et lanalyse structurale des ces
tats dlirants et hallucinatoires aigus, autrement dit, quel est lapport du modle organo
dynamique dans lanalyse de ces faits cliniques bien connus.
Nous verrons successivement :
- une tentative de dfinition de la perception
- le type de dstructuration de la conscience luvre dans ces troubles de la
perception
- une synthse sous la forme dune brve analyse structurale
Ey formule limpossibilit de faire limpasse sur la question de la perception. En effet,
point de dpart de lanalyse phnomnologique, force est de constater que le phnomne
hallucinatoire semble videmment convoquer le registre de la perception, et constitue, en fait,
un trouble la perception, trouble que la smiologie psychiatrique la plus classique dfinit
dailleurs comme une perception sans objet percevoir.
Se rfrant en premier lieu aux travaux de Merleau Ponty, H Ey interroge sur le statut
de la perception. Quest ce que la perception ?
En accord avec Merleau Ponty, Ey montre que la perception va de paire avec un
lment fondamental, sans lequel son tude est quasi peine perdue : cet lment, et bien cest
lespace. Il ne peut y avoir de fait perceptif qu lintrieur dun espace. Ainsi, la perception
renvoie au problme de lespace, et, en fait, aux diffrentes formes despaces que la
perception peut prendre pour cible. Voil donc le problme capital du fait perceptif : ce sont
ses espaces.
Mais alors, quelles sont les diffrentes formes despace dans lesquelles la perception
peut sexprimer ?
Et bien, il en est dj un vident : cest lespace objectif, cet espace que lon peut
mesurer, cet espace qui enveloppe dans ses dimensions lobjet du monde extrieur, cet espace
que nous donne voir nos yeux. Voil donc une premire forme despace vcu : nous
lappellerons lespace objectif.
Une deuxime forme despace vcu, et bien, cest espace virtuel psychique, lespace
anthropologique si lon veut, lespace dans lequel se dplacent nos penses, nos
reprsentations, nos rves, que peuple notre imaginaire, que peut remplir notre mmoire
Enfin, une troisime forme despace vcu, beaucoup plus ambigu, dans la mesure o il
semble se positionner la frontire de lespace objectif et subjectif (do sa fragilit), cette
troisime forme despace vcu, et bien cest le corps, constituant pour merleau ponty

lexprience la plus profonde, mais galement la plus ambigu de ma perception car le corps
est toujours prsent (comme un objet ) mais galement oubli (comme un sujet) dans lacte
perceptif.
Rien ne peut tre peru du corps dans la conscience que nous en prenons qui ne fasse
figure dobjet de la nature et dimage de soi.
Voici ainsi brasss de manire schmatique, les diffrents espaces en jeu dans lacte
perceptif : lespace objectif, lespace corporel, lespace psychique.
Voil galement poss les jalons, les bases dune structure, dun attribut de la
conscience, de ce qui organise cet ici l et maintenant dont nous parlions tout lheure, la
structure des espaces vcus,susceptible de se dstructurer dans le fait hallucinatoire, suivant
cette remarque magistrale de merleau ponty ce qui garantit lhomme sain contre le dlire
ou lhallucination, ce nest pas sa critique, cest la structure de son espace .
Tournons nous ainsi, en repartant de la clinique, vers ces bouleversements des espaces
vcu, bouleversements luvre dans le fait hallucinatoire.
Nous avons tout dabord dcrit une forme de dstructurations des espaces vcus
superficielle : cest la dpersonnalisation.Il sagit du premier niveau dinterfrence entre
monde subjectif et objectif. Cela semble logique quand on voit la position ambigu du corps.
Ainsi, la dpersonnalisation ne commence que lorsque laltration du corps est vcue comme
une altration du sujet, et non seulement du corps.
Ainsi, lexprience de dpersonnalisation va-t-elle toujours de pair avec une certaine
forme de dralisation, traduisant la nouveaut du rapport du moi et du monde, cest dire
linvasion rciproque de lespace objectif et subjectif (du rel et de limaginaire).
Plus profondment, les tats de ddoublement hallucinatoires traduisent ils carrment
lorganisation du champ phnomnal subjectif comme un espace physique, rel. Le ple du
subjectif sorganise comme le ple de lobjectivit et la pense devient objet.
Lautomatisme mental prend alors une consistance qui est celle des objets du monde
physique, supposant une modification des perspectives spatiales.
Enfin, la conscience onirode souvre presque entirement lespace imaginaire, o
seul persiste encore le monde familier.
Cest ainsi la phnomnologie du spectacle, de la conscience cinmatographique au
monde des images que nous convient ces tats.
Ainsi la structure ngative des tats hallucinatoires se traduit globalement par un
vague de la pense, un agglutinat flou dimages quasi kalidoscopiques, et une
crpuscularisation de la conscience, envahie par limaginaire, actualisant linconscient. Cest
sur le terrain du bouleversement des espaces vcus que se produisent ces lments.
La structure positive, ce qui est proprement libr, cest une actualisation dramatique
du vcu, une scnification de limaginaire, perdant sa simple fonction danalogon, apte nous
mouvoir en temps normal, pour devenir un pseudo fragment de ralit.

Conclusion :
En conclusion, je dirai que la richesse que jai trouv dans ce modle, cest la
possibilit quil offre, tout en restant uniquement dans le champ de la pathologie, dintgrer la
notion dinconscient, son actualisation dans la pathologie, au regard dun trouble de la
conscience.

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