Sauvagnat - Hallucination Et Énociation
Sauvagnat - Hallucination Et Énociation
Sauvagnat - Hallucination Et Énociation
Franois Sauvagnat
Hallucination et nonciation
Le second pas consistera, logiquement, attacher l'hallucination la question de
l'nonciation, spcialit de la linguistique francophone depuis Bally (et encore
aujourdhui).Toute une srie de textes de Lacan portent sur cette question, notamment le
sminaire III, qui peut tre maints gards, comme je lai montr, tre considr comme un
dbat avec les thses d'douard Pichon. Le plus clair des apports de Lacan en rsultera, et
notamment la thse selon laquelle les phnomnes lmentaires sont une sorte dnonciation,
dont le modle articule une principale et une relative, en jouant sur la notion hautement
controverse dune latitude propre au franais concernant laccord des personnes entre lune
et lautre, de faon unique dfendue par Damourette et Pichon. Le Tu es celui qui me
pichonien est ainsi lev par Lacan la hauteur de structure lmentaire rglant les rapports
entre nonciation et nonc, avec comme consquence d'appeler nonciation deux choses
distinctes: le tu pralable (dont le dveloppement complet donnera notre message nous
revient de lAutre sous une forme inverse ), et la faon dont dans le sujet quelque chose y
rpond, qui l'y lie et len distingue tout la fois. Voil donc un point de discorde
particulirement massif par rapport aux travaux anglo-saxons : pour tout analyste de lIPA,
une hallucination reste une erreur de jugement, et la rfrence tardive, depuis Feighner, aux
symptmes de premier rang de Kurt Schneider nest pas faite pour arranger les chose ; pour
un analyste lacanien, une hallucination est un type particulier de rapport entre nonciation et
nonc pouvant se dissimuler de diverses faons.
Effets de retour
Autant la notion de phnomne lmentaire a t construite par Lacan en rfrence
cette question de lnonciation, autant cette dernire a profit de cette application. Le graphe
du dsir est littralement construit sur la base dune structure bipartite des hallucinations
verbales (M= C/M et C=M/C, dans Subversion du sujet et dialectique du dsir), qui a
dimportantes consquences au niveau de ltage suprieur, o fantasme et dsir modulent
jouissance et castration. Autrement dit, la structure des hallucinations est la base do drive
la structure du sujet de linconscient, celle-ci tant donne comme une variante de celle-l.
Pratiquement, je constate que ce graphe reste difficilement lisible pour qui ne dispose pas de
cette notion.
Lhypothse de linconscient interprte, releve par Jacques-Alain Miller lors de
discussions sur la passe, en rponse la notion de dclin de linterprtation propose par
S. Cottet, peut galement tre lue comme une consquence de la prvalence du modle de
lhallucination verbale au sens de la seconde psychiatrie classique franaise.
Une autre consquence est lopposition frontale entre lapproche lacanienne et celle de
lIPA concernant la question paternelle. Alors que le modle classique de lIPA est centr sur
la solidarit entre une instance paternelle garante de la ralit et la fonction de contrle dun
moi suppos a-conflictuel, mais dans les faits obsessionnalisant, le modle qui se maintient
chez Lacan partir des annes 1950 fait fond sur la fonction de la nomination c'est--dire
lenvers de linsulte hallucinatoire, de la perscution et de la perplexit (ou absence de
signification).
Hallucination et supposition de savoir
Autre consquence encore, sur le traitement du transfert par Jacques Lacan. C'est une
banalit de dire que les mathmes lacaniens s'inspirent de mcanismes psychopathologiques,
et le destin du discours de l'hystrique comme modle du discours analytique est dans toutes
les mmoires. Il faut certainement y ajouter la supposition de savoir qui en quelque sorte
dcentre la passion hystrique pour l'intersubjectivit imaginaire (Proposition de 1967).
Rappelons quon doit Capgras la notion de dlire de supposition , ce qui na
probablement pas eu moins dimportance que la rfrence lhupokeimenon aristotlicien,
mme si Capgras en rservait l'usage aux "perscuts mlancoliques". Ce dcentrement, rien
ne le manifeste mieux que l'hallucination elle-mme, condition que, comme Sglas, on en
voie le paradigme dans l'hallucination psychique de Baillarger, c'est--dire qu'on renonce la
sparer entirement de l'interprtation dlirante dans son versant dit "intuitif" (la fameuse
"signification personnelle", krankhafte Eigenbeziehung de Neisser). cho par o se dfait la
familiarit spculaire, nigme simposant dans le grain dune voix, soupirs inexplicables dont
le sujet se trouve entour, sensorialisant a minima ltranget de lambiance (Wahnstimmung),
moins quun retournement se ralise dans une profration pouvant osciller du
questionnement obsdant linsulte, on peut multiplier linfini les exemples. Tous marquent
la faon dont la supposition de savoir prend naissance de faon brute chez le psychotique
alors que le nvros, au contraire, tend sassurer au pralable que lhabit ne va pas au
psychanalyste (Proposition de 1967) un tonnant rcit de passe tmoignait, il y a une
dizaine dannes, jusqu quelles extrmits de dsupposition ceci peut aller pour un sujet
hystrique, disons, sans ambages. Do dailleurs le paradoxe que lincroyance (Unglauben)
aille de pair avec cette imputation brute de savoir, comme sen merveillait Lacan propos de
Cantor sauf dans lironie schizophrnique.
Le retour de lobjet
Mais si le tournant marquant, dans le domaine francophone, la prvalence de
l'hallucination verbale sur la conception romantique de l'hallucination comme "perception
sans objet" (" percevoir" prcisait Henri Ey) a fait date, une consquence curieuse de sa
lecture lacanienne a t de faire renatre lobjet hallucinatoire sous une tout autre forme,
comme pure nonciation dtache de tout nonc (cf. Kant avec Sade), objet nincluant
pas la sparation ( la diffrence de l'objet transitionnel nvrotique). Ce curieux effet, cet enforme supposant un savoir (tout en tentant de s'en dfendre) donne l'objet une consistance
particulirement loigne de la notion sous-entendue antrieurement. C'est que le statut de la
perception connat avec Lacan un bouleversement considrable, bien marqu dans son texte
la mmoire de Maurice Merleau-Ponty. Pour Merleau-Ponty, les objets ne sont pas inertes, ils
sont le signe que quelque chose nous attend. Lacan radicalise le trait : derrire tout objet, une
supposition de savoir, contre lequel on se dfend. Et comme nous ne pouvons saisir le monde
qu' partir de la supposition de notre corps, le mme mouvement qui nous permet de traiter
des objets spars est galement ce qui permet de dcrocher l'nonciation de l'nonc... du
moins pour les nvross.
Rfrences :
Lacan J : Proposition de 1967 sur le psychanalyste de lEcole, in Nouveaux crits, Paris,
Seuil.
Lacan J : Ecrits, Paris Seuil 1966.
Capgras, J: Le dlire d'interprtation hyposthnique. Dlire de supposition. Annales Mdicopsychologiques, 88, t. II, 1930, p 272 sq.
Petit G: Essai sur une varit de pseudo-hallucination. Les autoreprsentations aperceptives,
thse de la Facult de Mdecine de Bordeaux, 1913.
Lacan, J.: Le sminaire: Les psychoses, Paris Seuil 1985
Sauvagnat F : La "dsensorialisation" des hallucinations acoustico-verbales: quelques
rsultats actuels d'un dbat centenaire, in Polyphonie pour Ivan Fonagy, ouvrage collectif,
Lhallucination lui sert rejeter la culpabilit et gommer son implication dans une
mconnaissance soutenue Notons au passage que ce cas confirme tout fait que ce nest pas
le mal commis qui engendre la culpabilit, mais le bien (= lidal, cf Tlvision, p. 71)
Ce quelle ne peut admettre, elle le rejette dans le rel et elle institue le choeur des
voisines en Autre accusateur, profrant la partie de la chane signifiante quelle refuse de
prendre son compte directement.
Cest donc la voix de lAutre qui prend valeur dobjet, au mpris de toute attestation
pouvant prouver lobjectivit des dires des voisines.
L o la parole de la patiente bute sur lindicible, la voix-objet de lAutre prend le
relais.
Cas Rcent
Une jeune fille de 22 ans quitte sa famille pour poursuivre ses tudes et sinstalle dans
une chambre dtudiant. Son voisin linvite chez lui regarder la tlvision, lembrasse. Elle
accepte de coucher avec lui, avant mme davoir tabli un lien de parole consistant et pense
que lacte suffit faire couple.
Do sa surprise quand le garon refuse de safficher socialement avec elle. Le
dclenchement est immdiat : elle pense quil la filme et que a va passer sur Internet. Des
voix la harclent en permanence : salope et elle est sre davoir entendu le gars la dbiner
avec ses copains. Il lui faut revenir chez sa mre et tre hospitalise.
De la priode qui suit, retenons ce qui concerne son rapport aux hommes : elle recrute
facilement, pour flirter, des garons un peu mauvais genre, racaille , tant sre quils
dplairont sa mre, mais les relations avec eux sont phmres, ce qui ne veut pas dire que
les sparations sont faciles, puisque ponctues loccasion par une tentative de suicide.
Plus durables sont ses rencontres avec deux hommes ayant pass la cinquantaine :
cest avec eux quelle peut trouver du plaisir parler, hors enjeu sexuel.
Enfin, une squence familiale : elle gche la petite fte dun repas au restaurant avec
sa mre et sa sur, en indisposant le serveur par son regard appuy, si bien que le garon
courrouc lui lance pourquoi tu me regardes avec cette insistance ? .
Elle nie lavoir regard.
Linsulte hallucinatoire vient ici aussi en lieu et place de ce qui ne peut pas se
subjectiver pour elle de cette rencontre sexuelle : les signifiants lui font dfaut pour assumer
une position fminine que nul idal ne peut tayer.
Cest le vide de lAutre du signifiant prouv jusqu langoisse.
Elle a pens sy retrouver, en imaginant que lAutre de lamour tait au rendez-vous,
ce que ltudiant a refus davaliser. On peut supposer quelle sattendait ce quil lui dclare
tu es ma femme , il sen est bien gard.
La place est alors libre pour que le regard perscuteur sinstalle en matre, et la livre
tout internaute avide.
Bouscule dans ses repres signifiants, ballotte dans un imaginaire menaant, elle
trouve dans le qualificatif insultant la dsignation de sa valeur de jouissance.
La voix hallucinatoire - surmoi impitoyable - simpose elle en labsence de toute
rgulation possible de la relation intersubjective entre ltudiant volage et elle ( axe a-a).
Auprs des hommes dge mr, on peut supposer quelle recherche les lments qui
lui ont manqu pour tenir dans lchange sexuel : elle ny a pas dispos des signifiants forclos,
inaccessibles et pourtant essentiels, car seuls capables de la prmunir dune dgradation
indigne.
La compagnie de ces hommes suffit indiquer sa qute dun pre idal, non chtr,
image appele en regard du trou forclusif qui lhabite et compromet son rapport la loi
symbolique (forclusion du Nom du Pre dfaut de signification phallique).
La scne avec le serveur est une demande muette dtre regarde par ce garon, dtre
reconnue comme attirante, alors quau fond delle-mme persiste lide quelle est moche .
Cest un essai assez dsespr dincarner le phallus.
L encore, le partenaire ne rpond pas son attente de valorisation.
Nous voyons l que limpasse imaginaire dpend du signifiant phallique non
disponible car, cest la place de lAutre que le sujet y a accs (Ecrits, p. 693).
Le chemin est barr pour elle puisque nous avons phi zro. Donc, pas de passage la
parole et plein effet de lAutre rel, non discursif, qui simpose elle et indispose le serveur
vis : cest lui qui rompt ce silence pesant et lapostrophe, mais cest elle qui est atteinte dans
son tre de vivant: la tentative de suicide sensuit.
La clinique des sujets psychotiques apporte maint exemple dhallucinations o la place
de lobjet correspond la rencontre de ce qui na pas de nom, de ce qui est indicible et
pourtant incontournable. Rupture de la chane, bance de perplexit, mergence de
jouissances intrusives, ravageantes car dconnectes de la signification phallique, telles sont
les coordonnes subjectives de la mise en fonction de lobjet.
Lacan, Sminaire X, p. 189 : le a est ce qui reste de lopration totale davnement
du sujet au lieu de lAutre . Ce reste, le psychotique en a lui aussi, la charge.
Notre cas semble pouvoir se lire en mettant en valeur deux modalits de lincidence de
lobjet :
- soit le a est en rapport avec P zro : cest lhallucination qui se vocalise pour elle en salope
(a P).
- soit le a est en rapport avec zro : cest le silence du regard au serveur, tendu dans son
attente dune marque de reconnaissance. Ebauche drotomanie ? (a ).
La voix de lAutre, identifie comme injure dans la relation avec ltudiant, est - avec
le serveur - escompte comme rponse, quasiment anticipe. Ces deux modalits sont la
reprise de ce qui vaut pour le nvros comme mtaphore de la jouissance: a - phi, daprs J-A
Miller.
En conclusion, en cho ce que nous avons essay de prsenter sur le phnomne
hallucinatoire, nous revient une formulation de Maurice Blanchot propos du pote R.-M.
Rilke : Obir ce qui nous dpasse et tre fidle ce qui nous exclut . Nous ajouterons
simplement : lobjet y a sa part.
Perception ou croyance ?
Etonnamment, tout semble en germe dans cette courte dfinition, alors que nous
constatons, en particulier dans le courant du XIX sicle, une floraison de questionnements.
Nous pouvons les regrouper autour de deux positionnements distincts : une perception sans
objet, versus une croyance errone.
Pour les uns - et en particulier Benjamin Ball (1853) - lactivit perceptive dviante est
au premier chef. Lhallucination est polymorphe, polysensorielle : Quiconque croit voir,
entendre, flairer, goter, toucher directement, tandis que la vue, loue, lodorat, le got, les
tguments ne reoivent quune impression : celui-l est hallucin - pour reprendre la phrase
de Jean-Pierre Falret (1851).
Pour les autres, lerreur porte sur le jugement, sur cette croyance dont le qualificatif
derrone ne semble gure discriminatif. Le dlire na-t-il pas non plus t qualifi
dgarement, de draison, ou derreur du jugement ?
Le thme de lerreur apparat ici. Il sagit dun ratage en rfrence au normatif. C'est
une erreur de l'esprit dans laquelle les ides sont prises pour des ralits et les objets rels sont
faussement reprsents, sans qu'il existe un drangement gnral des facults intellectuelles
(Crichton, 1798).
Cette hypothse marque par une dominante imaginaire ou intellectualise, occulte
alors le caractre de sensorialit de lhallucination. Cest en effet par la qualit sensible de
son vcu quelle peut tre saisie et voque. L intime conviction dEsquirol est ici
perceptible. Ce symptme est un phnomne intellectuel, crbral, les sens ne sont pour rien
dans sa production : il a lieu quoique les sens ne fonctionnent pas, et mme lorsque les sens ne
fonctionnent plus.
Toutefois, il convient de rappeler linfluence suppose des passions pour cet auteur. La
draison est en lien avec un esprit troubl.
Cette rfrence la croyance prsuppose une correction, une rectification possible.
Elle reste profondment ancre dans la norme, dans le gnral.
Un pas suivant est franchi par la distinction faite entre hallucination et illusion. La
question au travail est celle des fausses perceptions. Ceux qui prennent leurs sensations pour
des images et leurs imaginations ou leurs fantasmes pour des sensations. (Boissier de
Sauvage, 1768).
Lillusion fait recours aux sens, mais il sagit dune sensorialit altre, en lien avec un
grand nombre de facteurs, physiques ou physiologiques. Lillusion est une exprience
courante. Toutefois, elle se caractrise dans les tableaux pathologiques par une possibilit de
rectification, qui est situe comme un critre distinctif. Lerreur est ici fondatrice de lillusion,
renforant sa dpendance aux organes de sens. Ceci nest pas sans engendrer une certaine
ambigut. En effet, devrions-nous considrer ds lors, que lhallucination est une perception
sans objet, avec une altration de la croyance en cette perception, tandis que lillusion est une
altration de la perception dun objet, sans croyance pathologique en celle-ci ?
Ce raccourci assez simpliste pointe la confusion en lien avec lemploi de ces registres
celui du perceptible et celui du raisonnable - mais aussi limportance, qui ne cessera
de saffirmer par la suite, du prsuppos organique causal, soit une question spcifique, celle
de ltiologie des troubles.
Troubles du langage
Cette trouvaille reste en gsine jusqu sa reprise par les grands noms du XX sicle.
Nanmoins, elle ne se fait pas sans tenir compte des dveloppements conjoints de la
neurologie, notamment de lcole localisationniste : citons Paul Broca et Carl Wernicke.
Il semble important de souligner que les premires localisations crbrales tablies avec
prcision concernent lmission et la rception du langage articul.
Un parallle simpose donc logiquement entre ltude des hallucinations et celle de
laphasie.
Jules Sglas ny chappe pas, ce qui laide faire la distinction entre les hallucinations de
loue et les hallucinations verbales, qui relvent du langage.
Accidents et automatismes
Si les travaux de Baillarger ont permis de gnrer une avance aussi fondamentale que
celle de Sglas, nous devons galement souligner ce quil plaait comme une condition
commune au dveloppement des diverses formes hallucinatoires. Il sagit de lexercice
involontaire de la mmoire et de limagination .
L automatisme de lintelligence devient ds lors une donne incontournable de
ltude du champ des hallucinations. Son travail sur la dissociation automatico volontaire
prfigure le corpus des recherches sur la substitution dune parole automatique (le juron,
lexclamation), lexpression verbale volontaire.
Entre en jeu, ds lors, Clrambault, dont le mcanicisme pousse peut-tre lextrme
la place du support organique confr son syndrome dautomatisme mental.
Ici, lanidisme causal des phnomnes primordiaux veut dire clairement quils sont
trangers toute signification psychologique. Ils sont qualifis de positifs, constituant alors
les dchets de la pense normale, ou de ngatifs, figurant les rats de celle-ci.
Pour cet auteur, la qualit de ces accidents formels de la pense leur confre une
valeur de condition initiale du dveloppement historique des psychoses hallucinatoires.
La construction organodynamique dHenri Ey, quant elle, sappuie sur la perspective
de Jackson, selon laquelle, aux centres des localisationnistes sont substitus des
processus fonctionnels, se dployant selon une hirarchie de degrs , tageant les
mouvements psychiques du plus automatique au plus volontaire.
Prenant le contrepoint de Clrambault, Ey place la signification dlirante comme
premire. Lhallucination est forme par la croyance dlirante. Pour lui, lautomatisme reste
un accident, en ceci quil droge un dterminisme finaliste, naturel.
lhallucination ne relve pas dun savoir mais dune certitude, qui ne laisse pas de place au
doute. En somme, le sujet est pour Lacan un sujet divis. Bien sr le sujet cartsien, en tant
que substance finie, dpendante de Dieu, na dunit que partielle. Mais pour la psychanalyse
parce quil y a la pulsion de mort, parce quil y a un manque radicale, labsence de lunit
totale se marque dans ce dchirement dfinitif de tout leurre dunit.
Faisons un petit dtour par la philosophie classique, cartsienne, afin de montrer
comment le sujet du cogito est affect par les effets du signifiant qui divisent habituellement
tout sujet, quil sagisse de lerreur, de lillusion ou de lhallucination.
Le je pense donc je suis , affirme une vrit qui nest pas comme les autres. Pour
penser il faut tre, mais pour marcher, courir, aussi. Seul le fait de penser donne au sujet la
certitude dexister et dtre lui-mme. Il sagit dune conviction plus que logique, dune
certitude subjective en ce sens quelle est fondatrice pour le sujet. Une certitude qui ne
laisse aucune place lillusion. Or justement lillusion est peut tre la dimension subjective, la
dimension la plus radicale et humaine de lerreur. Notez que lillusion nest pas le contraire de
la certitude, le contraire de la certitude est le doute. Lillusion est un palliatif du doute, parce
que pour Descartes lillusion nest pas le produit de lintelligence, du jugement, comme cest
le cas de lerreur qui est un mauvais jugement, lillusion est le produit de limagination. Cest
pour cela quelle a t rejete dans les limbes de la connaissance. Alors si lillusion est ravale
au rang du plus subjectif, quelle place donner lhallucination ?
En suivant la structuration lacanienne de RSI, lerreur serait du ct du symbolique, le
propre de lillusion serait limaginaire, pendant que lhallucination sapparente au rel, se
prsentant comme le Rel pour le sujet concern. Deuximement, lhallucination nest pas
une illusion, elle nest pas non plus une simple perception. Elle met en question un autre
aspect du cogito, le rapport au savoir. Lentendement corrige lerreur, parfois par
ttonnement, par des multiples essais, ouvre un espace la certitude du jugement ; lillusion
quant elle fait croire lexistence du leurre, elle nest pas savoir et se projette tout entire
dans une croyance (lillusion de la religion chez Freud) ; la diffrence de lillusion qui
consiste bien voir ce que lon croit, lhallucination est plus radicale, elle consiste croire ce
que lon voit (ou ce que lon entend). Lhallucination serait en quelque sorte le paradoxe
ultime du savoir, son versant dsespr. Lentendement fait place au doute pour fonder une
certitude, lillusion montre au jugement sa duperie, alors que lhallucination rend forclos le
savoir du symbolique pour faire retour dans le rel, se prsentant comme ralit extrieure et
objective, faisant un saut dans labme de la certitude, dans une sorte dabsolu de la croyance,
qui frise lincroyance en ce monde.
Erreur, illusion, hallucination, participent de la mme structure, insparable du
problme gnral de la signification, cest--dire de lordre signifiant qui affecte aussi bien le
sujet, le percipiens et lobjet, le perceptum. Attardons nous sur lhallucination. Quelle est sa
nature ? Face linsuffisance des doctrines qui dfinissaient lhallucination comme un
perceptum sans objet, Lacan dmontre que le perceptum (ou objet) ne se laisse pas penser
sans le signifiant.
Voyons cela de prs : Lacan va donc faire une relecture du texte de Freud et du texte
du Prsident Schreber. Nous nous trouvons ici en prsence de ces phnomnes que lon a
appels tort intuitifs , alors que nous sommes en prsence des effets du signifiant .
Sappuyant sur les deux versants du sens que sont le code et le message, il va montrer
que lobjet hallucinatoire, les voix profres par la langue de fonde , ont la mme structure
que la parole du sujet. Les phnomnes dits de code on les retrouve aisment sous la rubrique
des nologismes : il sagit dune pure cration hors des significations habituelles dans lordre
du langage. Inversement, dans la ritournelle , la formule est plate, use. Cette signification
ne renvoie plus rien ; la diffrence du nologisme qui fait preuve de cration, dans la
ritournelle, il sagit dune formule qui se rpte sur un mode strotyp. Tous les deux, le
nologisme et la ritournelle ont pour effet un arrt sur la signification comme telle ,
attribuable au signifiant. Linjure, les reproches, sont un pur produit de la chane signifiante ;
pourtant le sujet ne peut plus les localiser chez lui-mme. Il les entend dans le rel.
La question, prsent, est de situer ces phnomnes par rapport au sujet qui les
nonce. Ce qui est le plus touch est lnonciation, do les effets dallusion et de certitude
(croyance). Lallusion suppose normalement le sous entendu ; or ici, elle se fait certitude : le
sujet aura lintime conviction que lallusion nest pas l par hasard, elle le concerne et doit
pouvoir lexpliquer. Plus le vide est vide, plus la certitude se fera sentir, court-circuitant ainsi
toute valuation de la conviction du sujet. Cependant cette certitude, cette croyance est un
savoir clos, ferm sur lui-mme, dfinitif.
Enfin, quel statut pistmologique donner lobjet hallucin, la voix ? Nous avons dit
que lobjet ne se rduit pas une entit perceptive ; le phnomne a pour sige le sujet qui
subit des effets du signifiant. Il est impensable quil ny ait pas de monde qui puisse exister
sans le signifiant, sans la faille du signifiant, car tout sujet est leffet de la division du
signifiant. Cest le signifiant qui structure le perceptum et par consquent la perception du
monde nest pas hors du champ du langage ; car cest par le langage que la perception trouve
sa consistance. Pouvoir nommer les objets structure la perception elle-mme. Ou, dit dune
autre faon, le peru ne peut se soutenir qu lintrieur dune zone de nomination. Il en va de
mme avec les voix. Elles ne sont pas une perception, elles sont leffet du signifiant et comme
tel elles sont des objets a. Lorsque la mtaphore quon pourrait appeler par facilit la
Mtaphore paternelle opre, elle spare du corps ces formes de lobjet a que sont, la voix, le
regard, lobjet oral et lobjet anal. Lorsque la castration nopre pas, la voix qui aurait d
paratre silencieuse, se fait audible. Une prcision : il faut distinguer la voix du phon, mot,
quand on coute on coute soit la voix et dans ce cas-l on nentend pas ce que lon dit, soit
on entend ce que lon dit et ncessairement lon perd la voix. Cest cela quillustre le caractre
de la voix en tant quobjet a, si lon prend lobjet a comme ce que le sujet doit perdre pour se
constituer et sinstaller dans le champ du signifiant. En ce sens, le phnomne le plus
spectaculaire de la psychose nest pas tant que la pense se rpte de faon dlirante, cest que
la pense se sonorise. En temps normal , on nentend pas le signifiant mais la signification
ou le sens. Dans lhallucination, le monde perd son sens, et ltre du sujet se replie sur le point
de llment hallucin. Lacan oppose un phnomne nvrotique doubli de nom une
hallucination et note : La, le sujet a perdu la disposition du signifiant, ici il sarrte devant
ltranget du signifi . Pour le dire diffremment, lhallucination suppose le cogito, suppose
le signifiant, mais dune manire spcifique, puisque son surgissement saccompagne de
leffondrement du monde et du signifi. Hors signifi, cela ne veut pas dire que le psychotique
soit hors sens, ni hors monde, il est simplement dans lin-sens.
Je vais illustrer ces propos sur le caractre signifiant des hallucinations. M. B, g de
26 ans sort pour la troisime fois de lhpital psychiatrique. Il est lobjet de faon ritrative
dune invasion hallucinatoire incessante depuis deux ans. Des voix lui parlent, font des
commentaires, le comparent un pouvantail dans un champ de ruines , le traitent aussi de
lche et de pd . Ces hallucinations sont relativement rcentes. Elles sont apparues
quelque mois aprs son chec aux preuves lorsquil voulait passer son diplme denseignant
Conclusion :
Le phnomne hallucinatoire ne dsigne pas une vague bizarrerie, une sorte
dtranget qui serait prouve par le sujet psychotique. Elle dsigne un phnomne bien
prcis, comme latteste lexprience de M. B., dont la structure montre quil sagit dun effet
dans le rel du signifiant rejet de linconscient. Nous sommes dans le pathologique, la
fonction de lillusion nest plus disponible, quitte tre rectifie. La part derreur, dillusion,
de tromperie et de malentendu qui accompagne les actions, les penses, les perceptions a t
remplace par une certitude absolue, une nouvelle croyance : un pouvantail qui ne fait plus
signe aux oiseaux, mais un pantin dcharn dans un champ en ruines hors toute humanit.
ses jours au cours dune dpression mlancolique comme pourrait lattester une lettre
dauto-accusations dlirantes adresse la police avant sa mort.
II
L'uvre principale de de Clrambault comprend une longue srie d'articles qui
s'talent de 1909 1930.
Le syndrome d'automatisme mental engage une prise de position thorique qui remet
en cause la nosographie des matres de la psychiatrie. Nous allons voir de quelle manire.
Peu avant de Clrambault l'aliniste Seglas avait dj constat que les ides dlirantes
d'influence ou thme d'envotement se constituaient la suite d'hallucinations psychiques.
Cette observation remettait en question le problme de l'ordre d'apparition des ides dlirantes
et des hallucinations. En effet, cette poque, la psychiatrie tait domine par la figure de
Magnan et sa description du dlire volution systmique progressif.
Le dlire voluait en quatre phases : une phase de mfiance et d'inquitude avec
dveloppement d'ides de perscution partir d'interprtations ; ces ides prenaient une telle
intensit qu'elles entranaient l'apparition d'hallucinations ; une troisime phase tait
constitue d'ides de grandeur bases sur des mcanismes imaginatifs et enfin la dernire
phase tait le passage dans la dmence.
Cette conception du XIXme sicle que l'ide dlirante prcde l'hallucination est
donc le dogme officiel de la psychiatrie franaise.
De Clrambault va affirmer que les ides dlirantes sont secondaires, surajoutes
l'automatisme mental qui est le fait primordial de la psychose. Il rejette toute hypothse
idogne :
L'attention ne saurait crer, ni par autosuggestion, ni par sommation sensorielle, des
hallucinations durables (...) une mfiance maxima n'engendre pas d'hallucination ni complexe
ni lmentaire, chez les dlirants interprtatifs, quels que puissent tre leurs dons auditifs ou
verbaux .
Quest ce que l'automatisme mental pour de Clrambault ?
Il le dfinit comme un phnomne de scission du moi et en donne une description
clinique dtaille.
Le syndrome rassemble un ensemble de phnomnes classiques qui suivent un
certain ordre de succession dans leur apparition :
Dabord des phnomnes purement psychiques qui passent souvent inaperus puis
verbaux, idoverbaux et enfin sensitifs et moteurs.
Ces phnomnes purement psychiques, neutres sur le plan affectif constituent les
signes annonciateurs de la psychose.
Cest le syndrome de petit automatisme parfois appel syndrome de passivit.
On observe :
lmancipation des abstraits : la pense se libre sous forme indiffrencie , c'est
l'hallucination psychique pure
le dvidage muet des souvenirs : on me montre tous mes souvenirs
idorrhe ou dfil de penses adventices ou trangres : on me donne des ides qui
ne sont pas moi
disparition de pense, oublis, vide, perplexit
aprosexie ou impossibilit de se concentrer sur une ide : ma pense est toujours
disperse
passage d'une pense invisible dcrite comme une pense trs fugitive reconnue sans avoir
t dfinie, ayant disparu trop vite : cela passe avant que je n'aie eu le temps de
comprendre
Ces phnomnes sont accompagns de fausses reconnaissances, d'impressions d'tranget des
choses.
Puis apparaissent les phnomnes verbaux marqus par le got du saugrenu et de
l'harmonie :
jeux verbaux parcellaires
mancipation de phrases articules ou de fragments de phrases, mots explosifs, kyrielle de
mots ou de jeux syllabiques
Foucault, dans son livre Histoire de la folie lage classique, commente les
Mditations de Descartes en formulant que celui-ci ne peut fonder sa certitude de penser
quen rejetant une certaine frontire la folie conue comme hors de la raison qui se veut
anime dides claires et distinctes. Nous allons critiquer cette approche du cogito en la
comparant celle que propose Lacan. En effet, celui-ci, dans son crit La science et la
vrit , dfinit le cogito la fois comme moment du sujet et corrlat essentiel de la
science : Ce corrlat, comme moment, est le dfil dun rejet de tout savoir, mais pour
autant prtend fonder pour le sujet un certain amarrage dans ltre, dont nous tenons quil
constitue le sujet de la science, dans sa dfinition, ce terme prendre de porte troite. Ce
rapport du sujet au savoir rejet est ponctuel et vanouissant. A la suite de quoi Lacan
pose que le sujet sur quoi nous oprons en psychanalyse ne peut tre que le sujet de la
science.
Voil les formules que nous allons clairer quelque peu en suivant de prs le texte des
Mditations de Descartes. Notre propos sera de serrer ce nouveau statut du savoir - comme
tournant pistmologique - par rapport la vrit, et en quoi le sujet y fait fonction de
manque. Nous verrons aussi en quoi ltre dont il sagit dans le cogito garde une opacit qui
tient un rel, non une ralit, que le je pense ne peut puiser. Ce rel l tient la fonction
dune cause singulire.
suppos savoir quil sagit. 1. Cest dire que rien de ce qui saffirme, en tant que tel, nest
garanti par un partenaire.
A ce moment du cogito, Descartes recherche une certitude, et une seule, sur quoi
difier le savoir. Comment se prsente cette certitude ? Dans cela seul qui est saisi clairement
et distinctement. Dans cette perspective toute connaissance de ltre, telle que la tradition
antique pouvait la transmettre, est rcuse. A cet tre, disons aristotlicien, Descartes
substitue ltre dun je, cest dire dun sujet qui parle - dun sujet de lnonciation. Cest le
je dun dire.
Dans la Seconde mdiation , Descartes se demande alors sil ny a point quelque
puissance trompeuse qui lui met lesprit ses penses, celles dont il vient de saviser ds sa
premire mditation. Il en vient alors considrer un Dieu trompeur ou un Malin
Gnie qui ne cesserait de mimposer de fausses ides, sans que lon puisse savoir si telles
elles sont.
Il ny a donc point de doute que je suis, sil me trompe, nous dit Descartes ; et quil
me trompe tant quil voudra, il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, en tant que je
penserai tre quelque chose. De sorte quaprs y avoir bien pens, y avoir soigneusement
examin toute chose, enfin il faut conclure que cette proposition : Je suis, Jexiste, [ dans Le
discours de la mthode cest : je pense donc je suis] est ncessairement vraie, toutes les fois
que la prononce, ou que je la conois en mon esprit. 2. Faisons ici une premire remarque : le
sujet atteint un je suis de ncessit du seul fait de penser, cest un je suis pens, cogit ; cest
pourquoi Lacan crit le cogito ainsi : je pense : donc je suis . Mais ce que semble luder
Descartes, cest que lactivit de penser est une opration logique 3. Le sujet tel que
Descartes le met en acte, dans son nonciation, savre donc en fait dpendant ou effet de la
structure logique ou grammaticale - cest dire dpendant des effets de langage.
Le cogito vide la sphre de ltre de tout lment, pour la rduire un ensemble vide ne contenant aucun lment. Cest l que se pose la ncessit dun lieu de la vrit, dun
Autre, partenaire virtuel de Descartes. Le donc lindique suffisamment. Logiquement nous
avons la structure suivante : le cogito est la ngation de je pense et je suis, et qui donne alors :
un je ne pense pas ou je ne suis pas. Cest ainsi que Lacan traduit le cogito le 11 janvier 1967,
dans La logique du fantasme . Ce je ne pense pas marque un choix forc qui nous fait
dpendre le sujet de la grammaire des pulsions et du fantasme. Le je en question est ds lors
acphale, non singularis, alin dans un faux tre , dans une volont dtre ou de
jouissance. (Cf. On bat un enfant ) Cest un pas-je . Le je ne suis pas, quant lui,
comme dimension de linconscient, de la surprise (lapsus, acte manqu...) est refoul ou
refus . Car en ce lieu ne peut se dire donc je suis ou donc je ne suis pas. Freud y loge des
penses, des reprsentations de choses. L le sujet est dmantibul de tout je qui veut tre. L
je dois advenir comme sujet l o ctait , o pour un peu a allait tre.
Cest ici quil faut reprer la convergence de la dmarche de Freud et de celle de
Descartes : Le terme majeur, en effet, nest pas la vrit, nous dit Lacan. Il est Gewissheit,
certitude. La dmarche de Freud est cartsienne - en ce sens quelle part du fondement de la
certitude. Il sagit de ce dont on peut tre certain. (Sminaire XI, 19 janvier 1964). Laccs
aux penses inconscientes impose, selon Freud, de surmonter ce qui macule de doute le
contenu de linconscient , dans la communication dun rve par exemple. Or, rappelle
Lacan, - cest l que Freud met laccent de toute sa force - le doute cest lappui de sa
certitude . (Ibid.). Le dubito dsigne donc une place de laquelle est appel un sujet qui nest
pas une conscience transparente elle-mme, un Je= Je. Car le je pense qui reprsente le sujet
pour un autre je pense garde une certaine opacit. Dans ce lieu trou de linconscient rel je
1
22 novembre 1961.
Mditation seconde.
3
Cf. Cahiers du Cistre 3 avec un texte indit de Lacan.
2
ne suis pas car je ne peux pas my situer . (Instance de la lettre). Cest dans les coupures,
dans les achoppements du discours que surgit le je ne suis pas. Cest l le point de rel du
cogito : le rfrent est rat par le je pense ; il y a un signifiant qui est barr, qui se refuse au
savoir, le sujet nest que ce manque de signifiant : $ : Ce que vise le je pense en tant quil
bascule dans le je suis cest un rel, nous dit Lacan (SXI), un rel antinomique au vrai,
lide claire et distincte. Et cest de ce rel l dont Descartes ne veut rien savoir, et qui est le
rel de linconscient en tant que les penses de celui-ci sont barres la conscience.
Ibid.
Ibid.
signifiante. Disons que cest de prendre sa place au niveau de lnonciation qui donne sa
certitude au cogito. Mais le statut du je pense est aussi rduit, aussi ponctuel ...) que celui du
je mens. Aucun mtalangage ne garantit la vrit dune nonciation. Cest dire que ce je
pense en tant que signifiant reprsente un sujet pour un autre signifiant. Lacan figure
diverses reprises ce je pense laide dun trait : 1.
Ainsi le sujet tel que Descartes le met en acte est un sujet qui se repre non pas par
rapport la ralit mais par rapport au signifiant unaire. Cest l que nous retrouvons notre
sujet de la science dans la mesure o dans la science moderne on interroge le rel, qui y
rpond, laide de petites lettres. Cest en quoi est formul, dans La science et la vrit ,
que lhomme de la science nexiste pas, mais seulement son sujet . Cest un sujet
reprsent par un signifiant unaire pour un autre signifiant. Il nest en somme quune place
vide, effet. Mais Lacan formule, dans ce mme texte, que la science vise, dans son exercice
mme, suturer cette place vide. Explicitons un peu ce point dlicat.
6
7
Lacan. Ibid.
Sminaire XVII.
J. Lacan, De la psychose paranoaque dans ses rapports avec la personnalit, 2me dition, Paris, Seuil, 1975.
Lacan, avant sa thse, a crit des articles surtout en collaboration avec dautres auteurs et essentiellement dans
diverses revues mdicales comme La revue neurologique, Lencphale, Les annales mdico-psychologiques, et
La revue franaise de psychanalyse. Nous navons reproduit que quelques uns des titres, en bibliographie
gnrale, qui indiquent lorientation organiciste, (pour lintgralit des titres et rfrences, on se reportera la
bibliographie gnrale de Jol Dor; Jol Dor, Bibliographie des travaux de Jacques Lacan, Paris, Inter Editions,
1983). Lacan rsume ces annes de formation de manire claire : Nous nous sommes attach tout
dabord,selon lorientation que nous donnaient nos matres, mettre en vidence les conditions organiques
dterminantes dans un certains nombre de syndromes mentaux. (Lacan, Expos gnral de nos travaux
scientifiques (1933) , dans De la psychose paranoaque dans ses rapports avec la personnalit, 2me dition,
Paris, Seuil, 1975, p. 399).
10
Jean Allouch, Marguerite ou Laime de Lacan, Paris, EPEL, 1990 ; Dominique Laurent, Retour sur la thse
de Lacan : lavenir dAime , in Ornicar, Paris, 2003, Philippe Julien, Pour lire Jacques Lacan, Paris, Le Seuil,
1986 ; Pascal Pernot, La thorie lacanienne de la psychose avant 1953 , dans La cause freudienne, Paris,2000
; Emile Jalley, Freud, Wallon, Lacan, Lenfant au miroir, Paris, EPEL, 1998, p. 78.
11
Jacques Lacan, Ecrits I, De nos antcdents , op, cit , p. 67. Nous disons donc quau-del de lintrt dune
telle lecture celle-ci relve de lanachronisme ou de la tentation tlologique.
9
12
Gilles Deleuze, Cours du 27/05/1980, Universit de Paris 8, disponible sur le site de Paris 8
A la lumire de cette interprtation sclaire lnigmatique quatrime de couverture o Lacan dclare sa
rticence au sujet de la rdition de sa thse en 1975: Thse publie non sans rticence. prtexter que
lenseignement passe par le dtour de midire la vrit. Y ajoutant : condition que lerreur soit rectifie, ceci
dmontre le ncessaire de son dtour. Que ce texte ne limpose pas, justifierait la rsistance . Il semble bien que
la rticence que Lacan dclare au sujet de la rdition de la thse en 1975 signe la diffrence, pour lui
problmatique, davec le point de vue quil soutenait alors en 1932. en tenir compte il conviendrait donc de se
pencher sur les ressorts, non pas dune contradiction de loeuvre comme le soutient Deleuze sinon sur son
volution.
14
Cest la lumire de la science de la personnalit que la partie portant sur la clinique dAime doit tre
rvalue.
15
Une place particulire doit tre faite la lecture inaugur par Lantri-Laura et reprise par Franois Leguil. En
effet, il sagit des seuls auteurs-psychanalystes qui vitent dchouer sur lcueil du freudo-centrisme .
Contrairement aux lectures communes, ils ne la rduisent pas au paradigme psychanalytique. Cependant
privilgiant la question du rapport de Lacan Jaspers, et dlaissant lexercice dun commentaire exhaustif de la
thse, ils en manquent lenjeu singulier (Lantri Laura, Processus et psychogense dans loeuvre de Jacques
Lacan , in Lvolution psychiatrique, Tome 40, Toulouse, Privat, 1984, p. 975-990 ; Franois Leguil, Lacan
avec et contre Jaspers , in Ornicar, Paris, 1989).
16
On peut se reporter au fameux article de Laforgue et Pichon, o les auteurs tentent de dmontrer que la libido
est un concept qui doit tre banni, parce que dans lesprit dun franais il est associ libidineux . Ren
Laforgue et Edouard Pichon, De quelques obstacles la diffusion de la psychanalyse , dans Le progrs
mdical, tome XXXVI, p. 533-534.
13
V.N. Smirnoff, De Vienne Paris. Sur les origines dune psychanalyse la franaise , dans La nouvelle
revue de psychanalyse, Paris, numro 20, 1979, p. 19.
18
R. Doron, Elments de psychanalyse. Paris, PUF, 1978, p. 9-66 ; C. Chiland, Les coles psychanalytiques, la
psychanalyse en mouvement, Paris, Tchou, 1981 ; R. Jaccard, Histoire de la psychanalyse, Paris, Hachette 1982.
On se reportera aussi aux analyses de Marcel Scheidhauer qui montre les rsistances de cette poque par rapport
au symbolisme freudien dans son chapitre Sexualit et symbolisme (Marcel Scheidhauer, Le rve freudien en
France, 1900-1926, Paris, Navarin, 1985, p. 195-210). lpoque, les principaux introducteurs de la
psychanalyse, par un trange paradoxe, sont aussi bien souvent ces principaux critiques. Mme Henry Claude,
alors rput protecteur de la psychanalyse , ne se dpartit pas dune critique assez dure (on se reportera aux
commentaires de Jean-Pierre Mordier qui montre quil est le cerbre qui oppose une ultime rsistance
leffraction de la psychanalyse ; Jean Pierre Mordier, Les dbuts de la psychanalyse en France, 1895-1926,
Paris, Maspro, 1981, p. 246). De ce point de vue Lacan, sinscrit pour une part dans cette attitude. Il
conviendrait de dmler avec prcision quest-ce que Lacan doit son poque dans ses rapports la
psychanalyse et en quoi il en innove de nouveaux. Cependant cette question dborde largement les bornes de la
prsente investigation. Ce quil faut retenir cest que de toute faon rien nautorise du point des raisons de la
thse que lon autonomise le rapport de Lacan la psychanalyse et Freud davantage que, par exemple, son
rapport Bleuler ou Kretschmer. Si nous insistons sur la question du rapport de Lacan la psychanalyse ce
nest quen rponse aux commentaires classiques freudo-centrs dont la nature est de gommer les diffrences de
Lacan Freud et du coup dannihiler le substrat et loriginalit de la thse.
champ des sciences psy . Elle lui permet de dcaler le problme classique des
psychoses de la spcificit du champ psy auquel il tait destin et du naturalisme auquel
t vou ce champ. Elle lui permet de ne pas demeurer cantonn lespace restreint de la
pathognie mais de louvrir. Cest ainsi que les thses classiques de lorganogense et de la
psychogense qui traaient un grand partage entre causalit organique et causalit psychique
dans le champ des disciplines psy sont rendues caduques. Lhypothse psychognique
lacanienne pour le champ psy permet en mme temps en effet de l'ouvrir, en le faisant
imploser. Cest bien toute une nouvelle conomie du savoir sur lhomme que Lacan constitue
par elle, une conomie o la causalit nest plus organique mais symbolique. La psychognie
est en effet une affirmation fondamentale et radicale de la causalit symbolique sur toute autre
forme de causalit et Lacan nhsite pas prendre comme modle lanthropologie de LvyBruhl pour tayer son propos22.
La psychiatrie, la psychologie et la psychanalyse sont dsormais convoques devant le
tribunal de la science de la personnalit. Lascendant quexerait le paradigme naturaliste (
travers notamment la caractrologie et le constitutionalisme de lpoque) envers ces
disciplines est dsormais ruin. Nous ne pouvons oublier que la folie soit un phnomne de
la pense...23, commenta plus tard Lacan propos de lenjeu de sa thse. Elle signifie bien le
renversement quopre Lacan par rapport ses premires annes de formation o, lorsquil
crivait ses premiers articles, il demeurait dans le giron des conceptions organicistes de
ses matres. Sa thse peut donc, du point de vue de l'ensemble de son uvre, tre considr
comme un moment d'mancipation par rapport des paradigmes concurrents et comme le
premier pas vers la psychanalyse mais non pas comme relevant stricto sensu de la
psychanalyse.
Conclusion
Mme si la thse est passe inaperue lpoque, et mme si aujourdhui on occulte le
plus souvent encore les propositions qui y sont formules, il convient de rvaluer sa juste
place ce premier travail de Lacan. Lacan en dveloppant ses vues psychogniques opre une
vritable petite rvolution dans le champ des sciences psychiques franaise des annes trente,
et par son geste thorique la science de la personnalit prfigure la psychanalyse lacanienne
venir. Ce que nous faisons valoir en ce qui concerne notre propre perspective, cest la
ncessit de reconnatre Lacan la paternit de sa thse. dfaut de dire que Lacan est
freudien dans sa thse, il est en effet plus juste de dire que dans sa thse Lacan est tout
simplement lacanien. En dautres termes, si lon rend justice ce geste inaugural dans toute sa
porte cest aussi bien la gense ou lhistoire de la psychanalyse lacanienne qui mrite dtre
rexamine laune de ce dernier, et cest toute une archologie de la psychanalyse qui est
rendue possible.
22
Nous navons pas non plus le schma de la communication inverse (et ce, mme sil
est question de cochon et de truie), aussi Lacan parle dune interlocution dlirante24. En effet,
lordre question (message) - rponse est invers dans linterlocution psychotique. La rponse
est premire (associe la certitude); sous les espces par exemple de truie . Avec le
phnomne hallucinatoire, cest la rponse qui est lallocution, lAutre de la reconnaissance
tant exclu, nous dit Lacan.
Ainsi, nous comprenons le souci de Lacan port sur lordre dapparition des
phnomnes comme une volont de distinguer la nvrose de la psychose, sachant que cette
dernire est pense partir de la premire. Cest parce que lAutre absolu, lAutre de la
reconnaissance est exclu dans la psychose, quun tel phnomne peut avoir lieu.
2me tape : les Ecrits
Dans son texte Question prliminaire tout traitement possible de la psychose,
Lacan synthtise ses recherches concernant les troubles du langage dans la psychose.
Aprs lvocation des travaux des phnomnologues et avant daborder le cas
Schreber - avec les phnomnes de code et phnomnes de message - il revient sur le cas de
lhallucination truie , quil situe comme phnomne dirruption du symbole dans le
rel. Lhallucination est donc principalement saisie - comme dans Le Sminaire III, dans le
registre signifiant. Seulement dans les Ecrits, la perspective nest plus tout fait la mme.
Pour le dire simplement, Lacan ne prend plus pour modle le schma de la
communication inverse, mais celui du rejet , donc de la forclusion25, et - comme nous le
verrons par la suite - ce terme de rejet concerne aussi bien le registre du signifiant que
celui de lobjet. Autre nouveaut, lintroduction du terme de rplique .
De ces nouveaux apports il sen dduit - deux ans aprs le Sminaire III - que ce qui
est premier est Je viens de chez le charcutier et non plus le signifiant truie hallucin.
Voici un extrait du texte des Ecrits qui nous servira de fil conducteur : Au lieu o lobjet
indicible est rejet dans le rel, un mot se fait entendre, pour ce que, venant la place de ce
qui na pas de nom, il na pu suivre lintention du sujet, sans se dtacher delle par le tiret de
la rplique : opposant son antistrophe de dcri au maugrment de la strophe restitue ds lors
la patiente avec lindex du je () (p. 535).
Intressons-nous ici la dernire partie de la phrase.
Disons quil nous faut articuler logiquement - en prenant en compte le facteur
temporel - lordre de dploiement des termes, de lantistrophe de dcri - truie - la
strophe restitue au sujet - Je viens de chez le charcutier - ce qui est respectivement de
lordre de la certitude et de lquivoque (et de lallusion).
Compte tenu du fait quil y a une logique temporelle, Lacan sattache savoir ce qui a
prcd lhallucination truie . Et puisquil la considre comme une rplique, cest quelle
est prise en quelque sorte dans un dialogue.
Si lautre rpond via le phnomne de la rplique - qui est une hallucination -,
cest que notre patiente a dabord dit quelque chose.
Nous voyons ici Lacan porter toute son attention sur le contexte signifiant
dclencheur. Concernant lirruption dune hallucination, notre intrt se porte sur ce que le
patient sest dit ou a dit, juste avant son mergence, ou encore sur ce que quelquun dautre a
pu lui dire, ou enfin, sur les simples coordonnes symboliques de son apparition (le lieu par
24
Lacan utilise une seule fois ce terme dans le sminaire III, la page 145, juste avant le chapitre qui introduit
le signifiant dans le rel et le miracle du hurlement (chap. X).
25
Certes le terme de Verwerfung est dj prsent dans le Sminaire, mais cest alors pour spcifier seulement le
mouvement de retour quil provoque, c'est--dire le retour dans le rel. Il avait introduit cette occasion la
formule devenue clbre : ce qui est refus dans lordre symbolique, resurgit dans le rel (p. 22).
exemple). Dans le cas de lhallucination truie , Lacan recherche ce que la patiente se serait
dit elle mme, en le murmurant : je viens de chez le charcutier .
Reprenons lextrait des Ecrits. Cest la place o lobjet indicible - sans nom dit
Lacan est rejet - car pas de signifiant pour laccueillir - que vient linjure, le signifiant
truie . Nous pouvons attraper ici, dans cette appellation objet indicible , lobjet a lacanien.
Ds lors, nous dirons que le signifiant truie apparat dans le rel suite au rejet dun
objet dune forte charge libidinale.
Ainsi, si la perspective de Lacan nest plus la mme en 1958, cest sans doute cause
de cette introduction furtive de la question de la jouissance - mme si ce terme nest pas cit
en tant que tel - et surtout de son intrt grandissant pour le terme de rejet. Mais il nempche
qu introduire le terme de rplique, Lacan reste dans une proccupation langagire. Le cadre
de rfrence de Lacan est toujours en 1958 lordre symbolique. Son effort consiste rduire
lhallucination, comme tout autre symptme, un phnomne de communication, certes
perturb.
Le registre vnement de corps nest pas encore lordre du jour26.
Une fois le modle thorique pos - rfrence maintenue au langage, insistance sur le
mcanisme de rejet, esquisse de la question de la jouissance - et une fois le droulement des
faits cliniques dcids - dabord charcutier puis truie - reste rentrer plus
profondment dans le mcanisme en jeu. Selon Lacan le signifiant truie hallucin, puis
attribu lautre (le voisin), vient permettre rtroactivement lattribution de la phrase allusive
prcdente Je viens de chez le charcutier , mettant fin ce qui relevait de lindtermination
- avec loscillation un temps du je entre les deux protagonistes, nous dit Lacan - (Ecrits, p.
535). En quelque sorte, lhallucination permet un capitonnage.
Deux rejets
Reprenons encore une fois ce passage difficile de la Question prliminaire .
Dans ce court extrait nous pouvons donc relever deux rejets :
- celui de lobjet indicible , le sans nom (en somme lobjet a disions-nous), qui
correspond la jouissance du sujet.
- celui du signifiant truie pour la patiente de Lacan.
Nous avons donc deux forclusions : une qui concerne lobjet, lautre le signifiant.
La deuxime forclusion, celle du signifiant truie , sinscrit comme consquence de
la chane brise 27 nous dit Lacan. Ainsi, le mcanisme de rejet doit tre associ celui de
chane brise . Cette rupture de chane provoque lmergence dun signifiant dans le rel.
Ce phnomne ne rsulte en rien de la projection, toujours imaginaire rappelle Lacan.
Concernant lordre dapparition des phnomnes, rappelons ce que dit Lacan : Au
lieu o lobjet indicible est rejet dans le rel, un mot se fait entendre () . Ainsi, cest
dabord la jouissance qui est rejete (la charge libidinale, celle qui na pas de nom), ce qui
provoquerait une rupture de chane, et donc le rejet dun signifiant. Mais noublions pas quil
nous faut aussi le signifiant charcutier , signifiant qui prcde linjure.
26
Dans son texte Biologie lacanienne et vnement de corps , op. cit., Jacques-Alain Miller rappelle que tout
leffort de Lacan cette poque est de construire lhallucination, comme tous les symptmes dailleurs, comme
phnomne de communication, certes perturb. Il nest en rien vnement de corps. Si lon rapporte le corps
ainsi que la libido limaginaire, on comprend pourquoi Lacan cette poque, soucieux de dmontrer la
prvalence du symbolique, opre ce choix.
27
Pour que lirruption du symbole dans le rel soit indubitable, il suffit quil se prsente, comme il est
commun, sous forme de chane brise ([4], p. 535).
Ainsi, entre les deux moments dlaboration de Lacan (1956/58), nous avons la fois
une continuit et une rupture. La rfrence reste toujours le langage, le symbolique, mais en
1958 le mcanisme de rejet est mis au premier plan.
Que dire alors de la mthode de Lacan ? Quel usage fait-il de sa vignette clinique ?
Certes, elle permet dinitier la rflexion thorique mais elle est avant tout celle qui doit
se plier au paradigme de pense du moment. Ainsi, si le fait clinique est toujours initial, il
nempche que llaboration thorique lui fait toujours dire ce quelle veut, quitte le
rajuster, comme nous lavons montr avec ce changement de perspective effectu par Lacan
en 1958 (inversant lordre logique dapparition des termes en prsence).
Cest toujours la thorie qui fournit le prisme de lecture de lexprience clinique.
Le modeste travail que jai le plaisir de vous prsenter constitue en ralit une sorte de
rcapitulatif dcrits que jai rcemment dcouverts: il sagit des tudes dHenry Ey.
Jai essay darticuler cette prsentation, ayant pour thme lhallucination dans le
modle dHenri Ey, autour de 3 petites parties :
- la premire constitue une rapide mise en place des grands concepts organo
dynamiques
- la deuxime porte sur le rapport du conscient et de linconscient dans la
thorisation no jacksonienne.
- Enfin la troisime partie sur le sujet de cet atelier, savoir la comprhension de
lhallucination dans le modle dHenri Ey.
la deuxime voie, symbolise par pierre Janet, en qui Ey voit un de ses maitres,
subordonne les manifestations de linconscient (qui nest pas ni) un trouble de la
conscience pour Janet, si linconscient sexprime, sactualise, au travers, par
exemple des manifestations hystriques, cest quune condition sine qua non
existe : cette condition, cest lexistence sous jacente, primaire, dune altration de
la conscience, altration prenant racine dans le corps, condition l encore sine qua
non pour parler de psychopathologie.
Ainsi, pour H. Ey, dans la continuit de Janet, loin de nier linconscient, il ne faut pas
surestimer linconscient, et rtablir la base qui lui manque : envisager son actualisation, son
expression, ses manifestations au regard dune destructuration de la conscience. Ainsi, la
dstructuration de la conscience constitue pour Ey le fondement mme de la notion
dinconscient.
Tentative de dfinition de la conscience
Mais alors, quest ce que la conscience ? Ou encore, quest ce quune conscience
structure et une conscience dstructure ?
Loin de prtendre rpondre cette question, henry Ey tente de sattaquer avec
modestie ce problme, dbordant finalement le champ uniquement psychiatrique.
Il tente ainsi de dgager quelques aspects fondamentaux ses yeux :
- premier point : la conscience nest pas toute la vie psychique : Ey, plutt que
denvisager la conscience comme une totalit (la totalit des fn intellect sup par ex)
la considre davantage comme une structure mouvante, ramene, et cest l un
point capital, au problme de la constitution dune exprience concrte
lintersection du temps et de lespace, do la notion capitale de champ, de
champ de conscience restreignant donc la conscience ntre quun moment
de la vie psychique
- deuxime point, la conscience nest pas une fonction simple,une fonction basale,
quelque chose comparable un atome si on veut.la conscience est quelque chose
de structur, de hirarchis, et cest cette structure qui peut chanceler, qui peut
seffondrer plus ou moins profondment, comme on peut le voir dans la
pathologie. Nous verrons ainsi un exemple de dstructuration de la conscience
dans lhallucination.
- Troisime point, la conscience ne correspond pas aux fonctions suprieures,nen
est pas une, mais constitue la forme mme de lactualit du vcu. Cest elle qui
structure ici et maintenant lexercice de nos fonctions suprieures, ou encore
pourrait on dire de notre rapport au monde.
- Dernier point, dimportance capitale, la conscience nest pas lautomatisme. Au
contraire, par sa fonction de reprsentation, allant de paire avec tout acte rflchi,
la conscience, par son exercice, nous carte de la voie de lautomatisme, du
rflexe. Cest l un point dextrme importance, clairant la conception dHenry
Ey et de la phnomnologie sur la question de la libert, lacte libre scartant de
lautomatisme, lui-mme toujours libr dans une mesure plus ou moins grande
dans la pathologie mentale (hallucination, obsession, monoidisme, impulsions,
tics etc.)
En guise de conclusion, nous pourrions donner la dfinition suivante de la conscience : la
conscience, cest le champ du prsent reprsent , formule rsumant lensemble des
points de vue prcdents. Cest lici, l et maintenant , cet ici, l et maintenant qui
peut se dstructurer, conduire lactualisation de linconscient, comme le montre la
pathologie mentale, comme par exemple, le montre lhallucination, vers laquelle nous nous
tournons maintenant, en guise dexemple de dstructuration du champ de conscience.
Le troisime niveau de dstructuration, le niveau le plus profond, est constitu par les
expriences dlirantes onirodes.
A ce niveau de dstructurations correspond un vcu hallucinatoire caractris par son
inachvement, tout reste flottant, inconsistant (reprenant quasi point par point les descriptions
magistrales de Mayer Gross) mais galement une tendance la formation densemble
scniques. On voit trs bien le rapprochement avec un fait, cette fois ci, normal : le rve, dont
on sait limportance quHENRY Ey lui accorde, y voyant , dans la ligne dun de ses matres,
Moreau de Tours, le fait primordial de la psychopathologie.
Ltat onirode se rapproche donc de la conscience du rve. La ralit nest pas totalement
anantie, comme dans la confusion, mais ce niveau de dstructuration conduit sa
crpuscularisation.
Analyse structurale OD des phnomnes hallucinatoires, conclusion de ce modeste essai.
Tournons nous maintenant vers la phnomnologie et lanalyse structurale des ces
tats dlirants et hallucinatoires aigus, autrement dit, quel est lapport du modle organo
dynamique dans lanalyse de ces faits cliniques bien connus.
Nous verrons successivement :
- une tentative de dfinition de la perception
- le type de dstructuration de la conscience luvre dans ces troubles de la
perception
- une synthse sous la forme dune brve analyse structurale
Ey formule limpossibilit de faire limpasse sur la question de la perception. En effet,
point de dpart de lanalyse phnomnologique, force est de constater que le phnomne
hallucinatoire semble videmment convoquer le registre de la perception, et constitue, en fait,
un trouble la perception, trouble que la smiologie psychiatrique la plus classique dfinit
dailleurs comme une perception sans objet percevoir.
Se rfrant en premier lieu aux travaux de Merleau Ponty, H Ey interroge sur le statut
de la perception. Quest ce que la perception ?
En accord avec Merleau Ponty, Ey montre que la perception va de paire avec un
lment fondamental, sans lequel son tude est quasi peine perdue : cet lment, et bien cest
lespace. Il ne peut y avoir de fait perceptif qu lintrieur dun espace. Ainsi, la perception
renvoie au problme de lespace, et, en fait, aux diffrentes formes despaces que la
perception peut prendre pour cible. Voil donc le problme capital du fait perceptif : ce sont
ses espaces.
Mais alors, quelles sont les diffrentes formes despace dans lesquelles la perception
peut sexprimer ?
Et bien, il en est dj un vident : cest lespace objectif, cet espace que lon peut
mesurer, cet espace qui enveloppe dans ses dimensions lobjet du monde extrieur, cet espace
que nous donne voir nos yeux. Voil donc une premire forme despace vcu : nous
lappellerons lespace objectif.
Une deuxime forme despace vcu, et bien, cest espace virtuel psychique, lespace
anthropologique si lon veut, lespace dans lequel se dplacent nos penses, nos
reprsentations, nos rves, que peuple notre imaginaire, que peut remplir notre mmoire
Enfin, une troisime forme despace vcu, beaucoup plus ambigu, dans la mesure o il
semble se positionner la frontire de lespace objectif et subjectif (do sa fragilit), cette
troisime forme despace vcu, et bien cest le corps, constituant pour merleau ponty
lexprience la plus profonde, mais galement la plus ambigu de ma perception car le corps
est toujours prsent (comme un objet ) mais galement oubli (comme un sujet) dans lacte
perceptif.
Rien ne peut tre peru du corps dans la conscience que nous en prenons qui ne fasse
figure dobjet de la nature et dimage de soi.
Voici ainsi brasss de manire schmatique, les diffrents espaces en jeu dans lacte
perceptif : lespace objectif, lespace corporel, lespace psychique.
Voil galement poss les jalons, les bases dune structure, dun attribut de la
conscience, de ce qui organise cet ici l et maintenant dont nous parlions tout lheure, la
structure des espaces vcus,susceptible de se dstructurer dans le fait hallucinatoire, suivant
cette remarque magistrale de merleau ponty ce qui garantit lhomme sain contre le dlire
ou lhallucination, ce nest pas sa critique, cest la structure de son espace .
Tournons nous ainsi, en repartant de la clinique, vers ces bouleversements des espaces
vcu, bouleversements luvre dans le fait hallucinatoire.
Nous avons tout dabord dcrit une forme de dstructurations des espaces vcus
superficielle : cest la dpersonnalisation.Il sagit du premier niveau dinterfrence entre
monde subjectif et objectif. Cela semble logique quand on voit la position ambigu du corps.
Ainsi, la dpersonnalisation ne commence que lorsque laltration du corps est vcue comme
une altration du sujet, et non seulement du corps.
Ainsi, lexprience de dpersonnalisation va-t-elle toujours de pair avec une certaine
forme de dralisation, traduisant la nouveaut du rapport du moi et du monde, cest dire
linvasion rciproque de lespace objectif et subjectif (du rel et de limaginaire).
Plus profondment, les tats de ddoublement hallucinatoires traduisent ils carrment
lorganisation du champ phnomnal subjectif comme un espace physique, rel. Le ple du
subjectif sorganise comme le ple de lobjectivit et la pense devient objet.
Lautomatisme mental prend alors une consistance qui est celle des objets du monde
physique, supposant une modification des perspectives spatiales.
Enfin, la conscience onirode souvre presque entirement lespace imaginaire, o
seul persiste encore le monde familier.
Cest ainsi la phnomnologie du spectacle, de la conscience cinmatographique au
monde des images que nous convient ces tats.
Ainsi la structure ngative des tats hallucinatoires se traduit globalement par un
vague de la pense, un agglutinat flou dimages quasi kalidoscopiques, et une
crpuscularisation de la conscience, envahie par limaginaire, actualisant linconscient. Cest
sur le terrain du bouleversement des espaces vcus que se produisent ces lments.
La structure positive, ce qui est proprement libr, cest une actualisation dramatique
du vcu, une scnification de limaginaire, perdant sa simple fonction danalogon, apte nous
mouvoir en temps normal, pour devenir un pseudo fragment de ralit.
Conclusion :
En conclusion, je dirai que la richesse que jai trouv dans ce modle, cest la
possibilit quil offre, tout en restant uniquement dans le champ de la pathologie, dintgrer la
notion dinconscient, son actualisation dans la pathologie, au regard dun trouble de la
conscience.