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Le cycle du mal: Tome 3: Immondanités
Le cycle du mal: Tome 3: Immondanités
Le cycle du mal: Tome 3: Immondanités
Livre électronique442 pages4 heures

Le cycle du mal: Tome 3: Immondanités

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À propos de ce livre électronique

Le cannibalisme, une horreur absolue, mais une triste réalité. Massimo Zanetti et Anicet Chabrol, deux flics que tout sépare, vont mener l'enquête tambour battant. La réalité est-elle encore pire que ce qu'ils viennent de découvrir ? Des enlèvements suspects, des indices qui les amènent dans le milieu de la prostitution et du sadomasochisme, un ethnologue à la mémoire défaillante, ... Le chemin qu'ils devront suivre s'apparente à une descente en enfer, les plongeant dans la monstruosité cachée de l'être humain depuis la nuit des temps.

Mais, en sortiront-ils indemnes ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1967, Gilles Caillot est un grand passionné de littérature noire et de thrillers. Stephen King, Jean-Christophe Grangé, Denis Lehane et, plus récemment, Maxime Chattam et Franck Thilliez sont ses principales références. Consultant dans les technologies de l’information, il s’est laissé happer en 2006 par la passion de l’écriture.

Un univers travaillé, des descriptions toujours soignées, un réalisme poussé à l’extrême et une immersion psychologique de plus en plus présente au fil de ses écrits donnent à cet auteur une signature unique dans le monde du thriller français. Voici enfin la réédition du Cycle du mal, également connu comme la tétralogie de Massimo Zanetti.
LangueFrançais
ÉditeurIFS
Date de sortie26 avr. 2021
ISBN9782390460169
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    Aperçu du livre

    Le cycle du mal - Gilles Caillot

    PRÉFACE

    Immondanités fête un événement important, le troisième volet des enquêtes lyonnaises de Massimo Zanetti, capitaine de police singulier dans l’univers du polar, à l’image de son créateur. Il existe une cohérence depuis la publication de L’ange du mal en 2007 et de Réminiscence en 2008, à l’image de Gilles Caillot qui a su séduire un public de plus en plus large : l’immersion décomplexée dans la littérature de genre.

    Clins d’œil à l’efficacité des page-turner français, de Maxime Chattam à Patrick Bauwen, influence des thrillers sanglants et empathiques de Franck Thilliez, héritage assumé de la tension calculée à coups de cliffhangers générée par les serial-killers de Jean-Christophe Grangé, parallèle plus inconscient avec le travail de jeunes romanciers inspirés des slashers et de la littérature d’horreur tels que Grégoire Hervier ou Thomas Gunzig. Hémoglobine, scènes de torture, « ultra-violence », appétit pour le sordide, sexe déviant, exploration du « mal » érigé en modèle explicatif depuis le 11 septembre 2001 ; autant d’éléments indissociables de la culture d’une génération d’auteurs dont Gilles Caillot fait indubitablement partie, davantage bercés par Cube, Saw et les films de Tarantino que par le hardboiled américain et le néopolar de Manchette.

    Le cycle du mal est tout cela à la fois, sans fioriture, directe et théâtrale. Gilles Caillot sait fort bien que les profilers n’existent que dans les séries TV américaines, que les modes d’action policiers ne relèvent ni de la psychologie ni de l’analyse, que le monde prude, pornographique et aseptisé que nous décrivent bon nombre de thrillers ne correspond en rien à la réalité et que la violence sociale à l’œuvre dans nos sociétés est bien plus dure que toutes les mares de sang de ses romans, mais il joue avec tous les ressorts du genre avec une gouaille et une spontanéité qui évoquent les petits plaisirs sadiques des jeux enfantins : non pas spectateur cynique, mais triste et amusé à la fois.

    Immondanités poursuit à sa manière, résolument clinique, kitch et lucide, l’autopsie des corps mise en scène quotidiennement sous nos yeux, à travers la presse poubelle, les séries TV, la publicité, le marketing et une certaine manière de faire du fait-divers scabreux un principe de vérité. Gilles Caillot nous sert ce qu’il sait le mieux faire : du rythme.

    Marin Ledun, le 8 septembre 2011

    PROLOGUE

    — Hervé ! T’as entendu ?

    — Hmmmm…

    — Hervé, réveille-toi. Y a quelqu’un en bas !

    — Mmmm…

    — Hervé, bon sang ! Je te dis qu’il y a quelqu’un, reprit la jeune femme en le secouant énergiquement.

    — Quoi ? Qu’est-ce que… qu’est-ce qu’il y a ? grommela-t-il en émergeant d’un profond sommeil.

    — Quelqu’un est entré dans la maison !

    — Qu’est-ce que tu racontes ?

    — J’en suis sûre ! Je viens d’entendre du bruit au rez-de-chaussée.

    L’esprit encore brumeux, l’homme se redressa en grognant et tendit l’oreille. Hormis le tic-tac de la petite horloge, rien n’attira son attention.

    — Ce n’est qu’un cauchemar, ma chérie. Il n’y a personne ! Allez, rendors-toi.

    — Hervé, je suis sûre de moi ! répliqua-t-elle, toujours assise sur le lit.

    — Pff… Bon. Si c’est vraiment ce que tu veux, je vais descendre, mais sache que c’est uniquement pour te faire plaisir.

    — On ne devrait pas plutôt appeler la police ? C’est peut-être dangereux ?

    Il secoua la tête.

    — Pour qu’ils se déplacent pour rien et nous causent des problèmes ? Non ! J’en ai pour une minute.

    En sous-vêtements, il se leva en tâtonnant puis enfila une paire de pantoufles. Après une tentative inutile sur l’interrupteur, il entama la descente des marches qui menaient au salon sans cesser de bougonner.

    Putain d’installation ! Encore en rade. Faut vraiment qu’on appelle un électricien demain : ça devient insupportable !

    Trois minutes plus tard, il était de retour dans la chambre à coucher.

    — Tu vois, je te l’avais dit, il n’y a personne. T’as rêvé. Allez, viens contre moi.

    La jeune femme le regarda avec tendresse et se lova contre son épaule.

    — Merci.

    — Et c’est tout ? répliqua-t-il en arborant une petite moue boudeuse. Je pensais avoir droit à mon câlin.

    — T’es con… T’as vu l’heure qu’il est ?

    — Et alors ? Je te rappelle que tu m’as réveillé alors que je dormais comme un bébé et que, maintenant, je n’ai plus sommeil.

    Elle gloussa puis concéda :

    — Euh… C’est pas faux !

    — J’estime donc pouvoir réclamer mon dû.

    — Tu ne perds pas le nord, toi ! Allez, approche, reprit-elle en relevant sa chemise de nuit puis en se débarrassant des quelques centimètres carrés d’étoffe qui cachaient son intimité.

    D’un mouvement d’épaule, elle le frôla et se cala sur le dos.

    — Quoi ? Et c’est à moi de faire tout le boulot ?

    — Eh bien oui ! J’suis fatiguée. J’te laisse le matos, à toi de t’en servir.

    Hervé la considéra d’un œil complice et s’allongea contre elle, laissant ses doigts explorer sa peau soyeuse et enivrante.

    — Tu sais que je t’adore ? poursuivit-il en lui effleurant les seins.

    — Je sais ! pouffa-t-elle, se laissant aller sous les caresses de plus en plus enivrantes. Mais c’est normal. Ce n’est pas pour rien que je suis ta p’tite femme !

    — Ouais ! T’as raison. Il marqua une pause et, plantant son regard dans le sien, reprit sur un ton solennel. Et ce bébé ?

    — Quoi ?

    — Oui. Ce bébé. Faudrait qu’on y pense un de ces jours, non ?

    — C’est toi qui m’en parles maintenant ?

    — Oui. Je crois que c’est le moment. Je t’aime et je crois que je suis prêt pour la grande aventure.

    Delphine le regarda longuement, ne sachant trop quoi répondre. Elle se demandait s’il disait cela sérieusement. En tout cas, il semblait sérieux et c’était la première fois qu’il abordait le sujet sur ce ton. L’idée était peut-être en train de germer.

    Ils firent l’amour, mais elle ne profita pas de ces instants d’intimité. Son esprit était ailleurs, focalisé sur ce qu’elle avait entendu quelques instants plus tôt.

    Pendant les vingt minutes que durèrent leurs ébats, intimement persuadée que quelqu’un s’était introduit dans la maison et fouillait leur intimité, elle ne put s’empêcher de penser et d’échafauder les scénarios les plus improbables.

    Si cela se trouvait, il était en train de les observer pendant leurs ébats.

    Alors qu’Hervé tombait comme une souche après avoir poussé un dernier râle, elle mit un long moment avant de trouver le sommeil.

    Vers quatre heures du matin, une sensation désagréable la réveilla en sursaut, mais cette fois, ce n’était pas un mauvais rêve. Le lit était moite, presque trempé. Pourtant, la température était fraîche et elle n’avait pas transpiré.

    Elle actionna machinalement l’interrupteur de la lampe de chevet, mais se reprit en se frappant le front du plat de la main.

    — T’as vraiment aucune mémoire, ma pauvre ! lança-t-elle, en se rappelant les paroles d’Hervé à propos du panneau électrique.

    Elle se releva et s’assit au bord du lit, à moitié comateuse.

    L’odeur était, elle aussi, différente. Ça sentait le chaud, une exhalaison tenace et entêtante.

    Intriguée, elle prit son téléphone portable et en fit coulisser le volet. Sa faible luminosité lui permettrait au moins de discerner la silhouette des meubles et d’aller chercher une bougie.

    La lueur illumina la pièce quelques secondes, juste le temps nécessaire pour qu’elle se rende compte que son compagnon n’était plus à ses côtés.

    Où est-il passé ?

    Elle renouvela son geste, cette fois en tendant le bras afin de laisser le rétroéclairage ténu dissiper la pénombre au maximum.

    La petite dizaine de secondes de semi-clarté lui permit de discerner les grandes taches sombres qui s’étendaient sur les draps.

    Avec appréhension, elle réitéra son geste.

    Et elle hurla de terreur.

    1.

    Massimo se leva à contrecœur.

    Ce matin, l’idée même d’aller au bureau lui tordait les tripes. Il faut dire que le dénouement douloureux de l’affaire avait plongé l’ensemble de la Crime lyonnaise dans une profonde torpeur, et l’avait ébranlé dans ses propres fondements.

    Sa foi envers le métier en avait pris un sacré coup.

    Cinq policiers en avaient fait les frais. Quant au tueur, Richard Granjon, il courait toujours dans la nature¹.

    Oui ! Toute cette histoire avait singulièrement bouleversé les choses.

    Outre la profonde affliction des équipes, il y avait eu cette importante réorganisation du service afin de redistribuer les effectifs. En attendant la mutation de cadres parisiens pour remplacer les deux hommes tués, Zamack et lui-même s’étaient partagé la quinzaine de fonctionnaires restés sur le carreau.

    C’est ainsi qu’il avait hérité d’une des rescapées de cette terrible histoire : Camille Evalisa, jeune brigadière et mère célibataire de vingt-six ans. Profondément marquée, elle tentait de remonter la pente. Mais le chemin serait long et pénible.

    Massimo parcourut l’appartement désert en traînant des pieds. Cette journée commençait mal et Lucie, avec qui il habitait désormais depuis l’arrestation de Noémie Frachon², était déjà partie, le laissant seul avec sa nostalgie.

    Il se servit un café, qui avait déjà refroidi, puis, la tête dans les épaules, s’assit sur une des chaises de la cuisine qu’ils avaient chinées avec la jeune femme.

    Merde !

    Désemparé, il se remémora les derniers mois écoulés, mais n’y trouva rien qui puisse lui remonter le moral. La routine s’était installée dans leur couple et lui et la fliquette se voyaient finalement assez peu. Chacun traçant sa route dans les méandres des enquêtes policières et les horaires inadaptés.

    Les formidables vacances d’automne n’étaient plus qu’un lointain souvenir et même la relation qu’il avait récemment renouée avec son frère Claudio³ n’avait pas évolué dans le bon sens. Certes, ils avaient passé les fêtes de fin d’année ensemble, mais depuis, hormis de rares coups de téléphone qui s’espaçaient de plus en plus, leurs obligations professionnelles respectives les avaient à nouveau inexorablement éloignés l’un de l’autre.

    Songeur et désabusé, il passa sous la douche en ronchonnant puis se posta devant le miroir.

    Son reflet était celui d’un homme fatigué par la vie, au bout du rouleau. Pourtant, il n’avait pas encore quarante-six ans. Il s’appesantit sur les cernes qui soulignaient une paire d’yeux sombres puis étala la mousse sur des joues rendues hirsutes par des poils poivre et sel.

    L’alarme de son téléphone perturba ses plans.

    Il soupira et rinça son visage sans avoir eu le temps de donner le premier coup de rasoir. Ce ne serait pas encore aujourd’hui qu’il s’occuperait de son apparence négligée.

    Il s’habilla rapidement d’un jean usé, d’un vieux T-shirt élimé jusqu’à la corde et de son inséparable cuir.

    Quand il franchit le pas de la porte, il ne lui restait plus que dix minutes pour rejoindre les locaux, avenue Marius Berliet.

    Il était en retard. Mais il s’en foutait. Le cœur n’y était pas.

    Vraiment pas !


    1 Voir Lignes de sang.

    2 Voir Réminiscence.

    3 ibid

    2.

    Un des policiers postés sur le terre-plein central jeta un regard suspicieux sur le camion frigorifique qui s’engageait sous l’autopont. Malgré les limitations de vitesse et la dangerosité du virage, le chauffeur n’avait pas décéléré, dépassant la limite autorisée d’au moins quarante kilomètres-heure.

    Malade, celui-là !

     Johann, t’as vu ?

    — Ouais.

    — On y va !

    — Tu m’étonnes ! Il va prendre grave, ce connard !

    Sans plus attendre, les deux motards enfourchèrent leurs bolides et entamèrent la poursuite.

    Rapide… Inégale.

    Quelques minutes plus tard, le camion était garé sur le bas-côté, les feux de détresse rythmant de leur flash orangé le cortège ininterrompu de véhicules.

    Les deux représentants de l’ordre s’approchèrent prudemment du chauffard, l’un légèrement en retrait de l’autre, de façon à couvrir leurs arrières.

    Respecter le protocole d’interpellation. Même dans une situation banale, comme l’arrestation d’un automobiliste, c’était une des règles essentielles pour rester en vie.

    D’autres en avaient fait les frais.

    — Police nationale ! annonça l’un des hommes en uniforme à hauteur de l’habitacle. Papiers du véhicule, s’il vous plaît.

    Le chauffeur, un grand chauve barbu affublé d’une longue et fine cicatrice sous l’œil droit, n’ouvrit pas la bouche et baissa la vitre entrouverte afin de tendre les documents demandés.

    — Savez-vous pourquoi on vous arrête ? fit le motard en examinant le tout.

    — J’sais pas. J’roulais un peu trop vite ? C’est ça ? répondit le contrevenant en baissant légèrement la tête.

    — Un peu trop vite ! Vous n’avez pas vu la signalisation ? Vous étiez à plus de 90 km/h !

    — Ah, non ! J’suis désolé.

    — C’est de l’inconscience, Monsieur Grondin, réprima le flic en reprenant le nom qu’il venait de lire sur le document rose. Et comme vous le savez, je suis dans l’obligation de vous confisquer votre permis de conduire sur-le-champ et de vous laisser rentrer à pied.

    — Mais… mais… Ce n’est pas possible ! S’il vous plaît, vous ne pouvez pas me faire un truc pareil. Je vais perdre mon job.

    — Je suis désolé, monsieur, mais il fallait y penser avant. En attendant, veuillez descendre du véhicule et me suivre. Nous allons vérifier la carte grise.

    L’homme trapu et solide comme un roc sortit en bougonnant et lui emboîta le pas.

    C’était bien sa veine.

    Il était presque arrivé à destination.

    Deux minutes plus tard, le flic avait récupéré les informations. Tout était en règle.

    — Monsieur Grondin, vous allez devoir appeler votre employeur pour qu’il envoie un autre chauffeur.

    — Euh… Oui. Bien sûr, fit-il en tremblant.

    C’était trop con.

    Là, c’était certain : il était viré.

    Tout ça le jour même de sa reprise de travail, après une sale période de chômage.

    Quel con !

    Il farfouilla dans sa pochette et en sortit un petit calepin. Il tremblait.

    « Transport Mingeriat »

    Il se rappelait dans les moindres détails son entretien d’embauche de la veille. Il faut dire que ça avait été étrange et si rapide ! L’homme qu’il avait eu en face de lui n’avait pas hésité une seconde. En dix minutes, c’était conclu. Il avait eu le job. Du jamais vu !

    Il hésita, tenta une nouvelle fois de jouer sur la corde sensible du flic puis, voyant qu’il n’arriverait à rien, composa le numéro, une grosse boule dans la gorge.

    — Alors ? fit Johann, impatient.

    — Bizarre… Y a personne, m’sieur.

    — Comment ça, personne ?

    — Ben non. Personne ne répond.

    Le flic regarda sa montre.

    — Passez-moi votre téléphone !

    L’homme tendit le mobile au représentant de l’ordre qui, avant de le plaquer contre son oreille, vérifia machinalement le numéro affiché sur le petit écran LCD.

    La sonnerie résonnait encore.

    — Va falloir trouver une solution ! reprit-il en regardant son collègue qui patientait les bras croisés. Et la cargaison, qu’est-ce que vous transportez ?

    — J’crois que c’est de la bidoche, m’sieur, répondit le livreur, la tête rentrée dans les épaules et anéanti par la tournure que prenaient les événements. Je m’y connais pas trop. J’ai récupéré la marchandise ce matin. Elle était déjà chargée.

    — Où doit-elle être livrée ?

    — À Lyon. Dans le septième. Un entrepôt. C’est tout ce qu’on m’a dit. Voici l’adresse.

    — Bon, fit Johann, observant la procédure. On va regarder à l’intérieur. Ouvrez les portes, s’il vous plaît.

    Le livreur s’exécuta et releva la lourde poignée jaune du compartiment arrière.

    Les battants métalliques pivotèrent en exhalant un large nuage glacé.

    À l’image du froid qui régnait dans le caisson, la cargaison n’était pas des plus engageantes.

    D’immenses carcasses pendaient, immobiles, plantées à de monstrueux crochets en inox.

    — C’est bon. Vous pouvez refermer, reprit le flic après avoir jeté un coup d’œil rapide à l’intérieur.

    — Attends, Johann ! l’apostropha son collègue, les yeux fixés sur les charognes.

    — Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

    — Là-bas ! Derrière ! Un peu sur la gauche.

    Johann laissa glisser son regard et buta sur la forme qui avait attiré l’attention de son coéquipier.

    Merde…

    C’est pas possible !

    Instantanément, il sortit son arme de service et la pointa en direction du chauffeur.

    — Vous allez lever bien gentiment vos mains et vous retourner très lentement. Vous m’avez compris ?

    — Eh ! Eh, du calme ! Je n’ai rien fait. Qu’est-ce qui vous prend ?

    Avec précaution, Johann cadenassa les menottes sur les poignets épais du transporteur puis fit un signe à son coéquipier.

    — Va voir… Je te couvre.

    Le deuxième motard, inquiet, monta dans le conteneur réfrigéré comme s’il grimpait à l’échafaud et parcourut les quelques mètres où s’entassaient, par dizaines, des quartiers de bœuf et d’autres dépouilles exsangues d’ovidés et de porcins.

    Ce qu’il découvrit dans le dernier quart du camion lui fit rendre son déjeuner.

    Quatre corps humains éviscérés, parfaitement nettoyés et frigorifiés pendaient par les pieds, telles des marionnettes diaboliques.

    3.

    — Bonjour Massimo, fit l’un des flics présents dans la grande salle de repos.

    — Tiens… Comment vas-tu, Franck ? répondit l’homme basané, restes de ses origines italiennes du sud. Ça fait un bail !

    — C’est vrai. Alors qu’est-ce que tu deviens ?

    — Oh, pas grand-chose. Toujours le même traintrain. Et toi ?

    — Idem, sauf qu’en ce moment je suis en formation. Ça distrait un peu. Et toi, le taf, pas trop débordé ?

    — Si, c’est l’horreur ! J’ai un boulot de dingue avec ce qui s’est passé !

    — J’en ai entendu parler. Sale histoire.

    — On ne sait plus où donner de la tête. Hermann n’a rien trouvé de mieux que de me refiler une dizaine d’hommes.

    — J’imagine le tableau.

    — Et comme si ça ne suffisait pas, j’ai hérité de la brigadière qui a survécu.

    — Evalisa ?

    — Oui. Tu la connais ? demanda Massimo en se massant la nuque.

    — Pas personnellement. Mais j’ai vu ça dans les communiqués internes. Je l’ai d’ailleurs croisée ce matin. Elle n’avait pas l’air très en forme.

    — Pas étonnant ! Avec ce qu’elle vient de vivre…

    — Et toujours aucune nouvelle du tueur ? s’enquit le nordiste.

    — Non. Que dalle ! Mais tout le monde est sur le coup. Interpol aussi. On va bien finir par le localiser.

    — Il n’a pas pu disparaître comme ça ? commenta le flic en se passant machinalement la main dans sa brosse. Une brosse ultra courte surplombant un visage marqué et émacié qui lui donnait un air de taulard.

    Massimo le considéra quelques secondes avant de répondre.

    Putain, t’as vraiment décollé ! On a vraiment des vies de cons. Toi avec ta femme et ta fille, perdues pour toujours, et moi avec cette foutue incapacité de prendre les choses en main et de toujours faire les mauvais choix.

    — On l’aura ! Il n’a aucune chance. Ce n’est qu’une histoire de temps.

    — J’espère. Savoir qu’une ordure pareille traîne dans la nature, ça me met les nerfs en pelote.

    — Ouais. J’en suis malade aussi, acquiesça Massimo avant de réprimer un bâillement. Tu restes dans le coin quelques jours ?

    — Je suis à Lyon toute la semaine avant de remonter à Lille. Une présentation sur le numérique et les nouveaux moyens d’investigation en découlant. Tout un programme ! On ira manger un bout ensemble un de ces soirs, si tu veux.

    — Avec plaisir. On parlera du bon vieux temps.

    — Ouais !

    — Bon ! Tu m’excuseras, Franck, mais je dois te laisser. En plus d’une montagne de boulot, faut que j’essaie de convaincre ma petite protégée de prendre quelques jours de congé. Je ne peux pas la renvoyer tout de suite sur le terrain.

    — T’as raison, ménage-la. Elle a besoin de temps.

    Massimo hocha la tête.

    — Et n’oublie pas de m’appeler.

    — OK, promis. À plus tard.

    Massimo suivit du regard la silhouette de son collègue franchir la porte puis quitta la pièce à son tour. Il était temps qu’il s’entretienne sérieusement avec la jeune femme.

    ***

    — Bien sûr…, fit l’homme, petit bouc proprement entretenu, cheveux courts, vissé à son fauteuil de bureau. Vous êtes certains ?

    Les grésillements qui provenaient du combiné s’intensifièrent avant qu’il ne reprenne sur le même ton.

    « Bon. OK. Ne touchez à rien. On s’en occupe. »

    Le visage fatigué, il raccrocha en faisant s’entrechoquer brutalement les pièces plastifiées du téléphone.

    La journée commençait à peine et c’était déjà le branle-bas de combat.

    Un entrepôt en pleine ville, à quelques mètres de l’ancienne manufacture de tabac, venait d’être ratissé et avait révélé un véritable charnier.

    — Lucie, j’suis désolé ma belle, mais le devoir nous appelle ! lâcha-t-il en se cabrant afin d’étirer ses lombaires. La jeune flic tourna vivement la tête, donnant ainsi un mouvement de rotation à sa chevelure blonde comme les blés.

    — Qu’est-ce qu’on a ?

    — Des corps, une chiée de corps. J’espère que t’as rien prévu cet aprèm, car on va en avoir pour un sacré bon bout de temps !

    — Pffff… Je suis arrivée il y a une heure à peine et suis déjà sur les dents. Tu parles d’un job ! Et la sérénité ? C’est un mot inconnu dans la police ? répondit-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

    Richard haussa les épaules.

    — De quoi tu te plains ? Je te rappelle que c’est toi qui as choisi ce boulot.

    — Massimo est au courant ?

    — Je ne crois pas, reprit Richard. Les flics viennent tout juste de découvrir les cadavres. Mais à mon avis, il sera de la partie. Tu peux me croire.

    Ça, je le sais.

    — Bon… Laisse-moi préparer mes affaires et on y va.

    Il l’observa quelques secondes alors qu’elle s’affairait, se surprit à sourire devant sa candeur puis se saisit à nouveau du téléphone.

    — Je vais en profiter pour demander du renfort. On ne sera pas trop de quatre ou cinq.

    ***

    — Alors, Camille, comment vous sentez-vous ? attaqua Massimo en s’asseyant sur la chaise en regard du bureau de la brigadière.

    — Ça va mieux, capitaine. Merci. Mais j’ai encore fait un cauchemar atroce la nuit dernière. Je l’ai revu. Il tenait mon fils entre ses mains et menaçait de le tuer si je ne faisais pas ce qu’il désirait.

    Massimo considéra la jeune femme. Blanche comme un linge, de longs cheveux bruns tombant mollement sur des joues pâles, visage engourdi par une profonde tristesse. Un véritable portrait-robot du mal-être.

    — J’imagine parfaitement ce que vous pouvez ressentir, mais votre cauchemar tire à sa fin. Il sera bientôt sous les verrous.

    Le jeune brun ferma les yeux. Une larme s’en échappa et vint mourir sur sa joue.

    — J’ai déjà entendu ce genre de choses, capitaine ! La dernière personne qui m’a dit ça est morte, tuée par cette pourriture.

    Massimo baissa la tête. Elle avait raison. Le tueur, toujours en cavale, était particulièrement intelligent et le lieutenant Depierre, son ex-chef, en avait fait les frais, gisant désormais six pieds sous terre.

    — Écoutez… Je vous assure qu’on aura ce salaud. Je vous en fais la promesse.

    Elle acquiesça mollement.

    — Mais en attendant, j’aimerais que vous rentriez chez vous. Vous avez votre fils, profitez-en encore quelques jours.

    — Je ne supporte plus l’isolement, capitaine. J’ai besoin de…

    Il l’interrompit.

    — Vous êtes sous protection policière. Vous n’avez rien à craindre et puis je passerai vous voir.

    Elle réagit du tac au tac.

    — Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire !

    — Je sais, mais revenir sur le terrain est trop précipité. Vous devez digérer ce qui s’est passé, atténuer les souvenirs. Je suis désolé de vous dire ça sans prendre de gants : je ne veux plus vous voir avant au moins une semaine. Pigé ?

    — Mais…

    — Rentrez chez vous, Camille. Je vous appellerai ce soir.

    4.

    Le commissaire Hermann sortit de son bureau avec la tête d’un homme traversant le couloir de la mort.

    En une quinzaine, un déluge de calamités s’était abattu sur son département. Après la perte de cinq fonctionnaires, voilà qu’une nouvelle affaire crispait ses nerfs déjà à vif.

    Il traversa le corridor afin de rejoindre le bureau de Zanetti puis frappa à la porte.

    — Oui ! répondit le flic qui, depuis le départ de Camille, avait replongé le nez dans le dossier Richard Granjon.

    — Bonjour Massimo, lâcha-t-il sur un ton las, annonciateur de mauvaises nouvelles.

    — Bonjour commissaire.

    — Alors, vous avez réussi à convaincre Evalisa de rentrer chez elle ?

    — Oui, mais je crains que nous la revoyions rapidement.

    Massimo fixa le divisionnaire. S’il était venu jusqu’à son bureau, ce n’était pas pour lui parler de Camille. D’ailleurs, le tic qui agitait sa lèvre supérieure parlait pour lui.

    Massimo ajouta.

    — Qu’est-ce qu’il y a, Bernard ? Vous n’avez pas l’air dans votre assiette.

    Son supérieur soupira.

    — On a une nouvelle affaire sur les bras.

    — Granjon ?

    — Non. Granjon est un enfant de chœur à côté, lâcha-t-il dans un nouveau soupir. Ce que nous avons dépasse tout ce que j’ai pu voir dans ma carrière. Et pourtant, je peux vous assurer qu’elle est sacrément remplie.

    — De quoi s’agit-il ?

    — Homicides multiples. Une vingtaine de cadavres dans un entrepôt.

    Zanetti crut qu’une dalle venait de s’écraser sur sa tête. Vingt cadavres ! L’affaire du siècle.

    Hermann poursuivit.

    — Une équipe est sur place et la PTS⁴ est en route.

    — Où ça se passe ?

    — En plein septième, à deux pas des anciens abattoirs. Un hangar désaffecté. On n’aurait jamais découvert le charnier sans un coup de chance incroyable.

    Massimo ne releva pas la dernière remarque du commissaire.

    — Vous me confiez l’affaire ?

    — Oui. Pas le choix. Zamack est débordé et avec ses ambitions politiques et ses potes syndicalistes, je ne peux plus rien lui demander.

    — Je vous rappelle que vous venez de m’affecter neuf personnes supplémentaires. Comment je fais, moi ?

    — Je sais ! C’est pour cette raison que j’ai pris l’initiative de vous adjoindre un collaborateur expérimenté. Il vient d’accepter sa mutation à Lyon. D’après ses supérieurs, c’est un crack. Il vous épaulera.

    Massimo sentit la colère monter en lui. Hermann l’avait fait sans lui demander son avis. Lui, le loup solitaire, il allait devoir partager ses journées et ses nuits avec un autre flic sorti de nulle part.

    — Je suppose que je n’ai pas le choix ?

    — Non.

    — Bon. Et quand arrive-t-il ?

    — Il est déjà là. Fraîchement débarqué du TGV de ce matin. Je l’ai installé dans l’ancien bureau de Marc Amarante. Venez, je vais vous présenter.

    ***

    — Comment va Massimo ? demanda Richard Toulalan en s’adressant à la jeune femme qui avait pris place côté passager.

    — Bah… Je ne sais plus trop. Ça allait mieux ces derniers temps, mais depuis la mort des deux sous-offs, il a changé. À mon avis, il est plus affecté qu’il ne le montre.

    — Ils étaient proches ?

    — Non, pas vraiment. Mais je pense qu’il l’a pris pour lui. Même métier, mêmes circonstances. Il s’en est sorti, pas eux. Et maintenant, c’est comme s’il portait la croix de leur échec.

    — Je comprends. Ça fait chier !

    — Et toi ? Tu les connaissais ? relança Lucie en tournant la tête vers le conducteur.

    — Un peu. J’avais bossé avec eux. Deux chics types. Leur mort m’a aussi fichu un coup. Ce salopard a laissé quatre familles sur le carreau.

    — Ouais…

    Les paroles de Richard résonnèrent dans sa tête et firent écho avec ce qu’elle pensait intimement. Leur vie professionnelle, aussi excitante soit-elle, les exposait. Dans leur chair. Dans la douleur potentielle de leurs proches. Bâtir une famille dans ces conditions lui apparaissait impossible et, même si elle aurait aimé de tout son cœur développer sa relation avec Massimo, elle se félicita de ne pas encore avoir d’enfants avec lui.

    Le silence s’éternisa quelques minutes avant qu’elle ne se manifeste à nouveau.

    — On arrive bientôt ?

    — Ouais. Prochain pâté de maisons.

    Quand il bifurqua au feu puis à nouveau à droite, ils découvrirent une ruelle sordide, envahie par une armada de véhicules bleu nuit. Les gyrophares pulsaient encore leurs lumières criardes dans la brume matinale et annonçaient l’horreur qu’ils allaient prochainement découvrir.

    Avec une certaine appréhension, ils approchèrent des deux plantons qui gardaient l’accès d’un petit bâtiment sur la gauche puis s’arrêtèrent devant la grande bouche rouillée.

    Comme s’il cherchait à la rassurer, Richard lui glissa à l’oreille.

    — On est arrivés. T’es prête ?

    — Pas le choix ! On va faire en sorte d’agir en vrais professionnels.

    ***

    — Monsieur Chabrol, je vois que vous avez déjà trouvé vos marques, fit Hermann en s’appesantissant sur l’homme avachi sur la chaise, les pieds sur la table.

    — Hum… Oh ! Oui !

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