Sept

Le bloc-notes d’Olivier Weber

On le sait depuis Giraudoux, Gary et Saint-John Perse, de la diplomatie à la littérature il n’y a qu’un pas. L’orientaliste et ambassadeur de France Régis Koetschet s’est frotté à l’exercice, avec brio. Dans A Kaboul rêvait mon père, André Malraux en Afghanistan, c’est un grand pas qu’il effectue en revisitant le pays avec l’auteur de L’espoir . Certes Malraux, en visite en Afghanistan avec Clara en 1930, a laissé peu de traces de ce voyage, mais l’étreinte de ce bastion de l’insoumission est patente dans son œuvre et dans sa fringale d’aventure. Et tout le talent de Koetschet, qui fut un bon ambassadeur à Kaboul aux dires des Afghans qui l’ont fréquenté, amoureux de ce pays à l’excès comme il se doit et comme l’exige la Bactriane, saupoudre ce récit de souvenirs personnels, de ses escapades à Bamiyan, la vallée des bouddhas géants, à Hérat, la Florence de l’Asie centrale, dans les provinces du Sud, déjà sous la férule des talibans. Un ambassadeur digne de ce nom, nous rappelle Paul Claudel, doit être aussi un homme de terrain et Koetschet excelle dans cette propension à rendre visite aux hommes et aux femmes du fief de la poussière. Défilent sous nos yeux l’Histoire avec une grande hache, les chevauchées destructrices de Tamerlan comme la razzia afghane sur Ispahan en 1707 ou la destruction, l’«assassinat» même, des bouddhas de pierre en 2001, ultime défaite de la pensée. En chemin, on croise les fantômes de Bruce Chatwin, Nicolas Bouvier et Ella Maillart.

Le diplomate évoque aussi la fameuse DAFA, la Délégation archéologique française en Afghanistan fondée en 1922 à la demande du gouvernement afghan et du , ces médecins et autres humanitaires qui se sont aventurés dans les vallées afghanes et dans celle du Pandjchir tenue par le commandant Massoud. Dans les , estime Koetschet, le voyage afghan de Malraux «est récurrent, insistant, puissant, brillant ‒ et prosélyte». Cet élan des steppes aura influencé et imprégné en fait toute la littérature malraucienne et sa tumultueuse traversée du siècle, dès l’aube de sa vie d’écrivain-aventurier. On pense à Kessel, un autre «passeur d’Afghanistan», selon l’expression de l’auteur, ami de Malraux jusqu’à sa mort, qui s’est lancé dans le périple inverse, à près de soixante ans, comme attiré par ce pays magique qu’il espérait depuis des lustres et qui révèle aussi son œuvre romanesque, avec le puissant roman . Avec audace, Koetschet mêle allègrement diplomatie et littérature ‒ deux alchimies. Son livre, qui est bien davantage qu’un récit sur Malraux, une sorte de voyage en Orient, complète admirablement son autre opus, , souvenirs d’un humaniste érudit et qui paraît conjointement. Un bréviaire pour futurs diplomates et apprentis des relations internationales. «La diplomatie de proximité “face aux crises” est éprouvante, écrit justement l’ambassadeur. Elle est tout sauf un dîner de gala.» De Jérusalem, où il a servi en tant que consul général de 2002 à 2005, à Kaboul s’étale tout l’Orient compliqué aux replis farouches et aux contrées insoumises. Son engagement et ses mémoires pourraient se résumer en un leitmotiv: «la guerre n’est pas une fatalité». Koetschet, qui revendique «la diplomatie par la peau» selon sa belle expression mais aussi «à hauteur d’homme», survole ce monde des mille et une nuits et de batailles avec panache. Et rejoint ainsi la cohorte des écrivains-diplomates qui vantent les mérites cachés de cette vocation, et parmi eux la continuation de l’émotion par d’autres moyens.

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