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L'impartialité des juges et la lecture morale des droits

1997, Les Cahiers de droit

La critique de la légitimité du contrôle judiciaire en matière de droits et libertés s'appuie souvent sur l'impossibilité pour les juges défaire preuve de neutralité, leurs opinions morales personnelles venant invariablement infléchir le droit. Dans une visée de légitimation d'un tel contrôle judiciaire, l'auteur soutient que, tout en reconnaissant que les juges procèdent à une lecture morale des droits, on peut néanmoins raisonnablement attendre de ceux-ci qu'ils respectent une exigence faible de neutralité, c'est-à-dire une exigence d'impartialité. Inscrivant cette thèse dans la foulée des travaux de R. Dworkin, l'auteur expose d'abord ce que Dworkin entend par lecture morale des droits ainsi que les contraintes affectant la décision judiciaire lors d'une lecture morale bien comprise. Les insuffisances de ces contraintes dworkiniennes en regard de l'exigence d'impartialité sont ensuite mises en évidence. L'auteur esquisse finalem...

Document généré le 24 avr. 2020 18:59 Les Cahiers de droit L'impartialité des juges et la lecture morale des droits Luc Bégin Volume 38, numéro 2, 1997 URI : https://id.erudit.org/iderudit/043445ar DOI : https://doi.org/10.7202/043445ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Faculté de droit de l’Université Laval ISSN 0007-974X (imprimé) 1918-8218 (numérique) Résumé de l'article La critique de la légitimité du contrôle judiciaire en matière de droits et libertés s'appuie souvent sur l'impossibilité pour les juges défaire preuve de neutralité, leurs opinions morales personnelles venant invariablement infléchir le droit. Dans une visée de légitimation d'un tel contrôle judiciaire, l'auteur soutient que, tout en reconnaissant que les juges procèdent à une lecture morale des droits, on peut néanmoins raisonnablement attendre de ceux-ci qu'ils respectent une exigence faible de neutralité, c'est-à-dire une exigence d'impartialité. Inscrivant cette thèse dans la foulée des travaux de R. Dworkin, l'auteur expose d'abord ce que Dworkin entend par lecture morale des droits ainsi que les contraintes affectant la décision judiciaire lors d'une lecture morale bien comprise. Les insuffisances de ces contraintes dworkiniennes en regard de l'exigence d'impartialité sont ensuite mises en évidence. L'auteur esquisse finalement des contraintes structurelles, complémentaires des contraintes dworkiniennes, qui s'avèrent susceptibles d'assurer le respect de l'exigence d'impartialité. Découvrir la revue Citer cette note Bégin, L. (1997). L'impartialité des juges et la lecture morale des droits. Les Cahiers de droit, 38 (2), 417–436. https://doi.org/10.7202/043445ar Tous droits réservés © Faculté de droit de l’Université Laval, 1997 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ NOTE L'impartialité des sugee et la lecture morale deesroits Luc BÉGIN La critique de la légitimtté du contrôle judiciaire en matière de droits et libertés s'appuee souvent sur l'impossibilité pour les juges défaire preuve de neutralité, leurs opinions morales personnelles venant invariablement infléchir le droit. Dans une visée de légitimation d'un tel contrôle judiciaire, l'auteur soutient que, tout en reconnaissant que les juges procèdent à une lecture morale des droits, on peut néanmoins raisonnablement attendee de ceux-ci qu'ils respectent une exigence faible de neutralité, c'est-à-dire une exigence d'impartialité. Inscrivant cette thèse dans la foulée des travaux de R. Dworkin, l'auteur expose d'abord ce que Dworkin entend par lecture morale des droits ainsi que les contraintes affectant la décision judiciaire lors d'une lecture morale bien comprise. Les insuffisances de ces contraintes dworkiniennes en regard de Vexigence d'impartialité sont ensutte mises en évidence. L'auteur esquisse finalement des contraintes structurelles, complémentaires des contraintes dworkiniennes, qui s'avèrent susceptibles d'assurer le respect de l'exigence d'impartialité. Critiques aimed at the legitimacy of judicial review on issues of rights andfeeedoms arefrequently use as their basis judgss ' incapacity to demonstrate neutrality since their personal moral opinions invariably taint their interpretation. With a view to legitimizing such judicial review, the author * Professeur, Faculté de philosophie, Université Laval. Les Cahiers de Droit, vol. 38, n°2,juin 1997, pp. 417-436 (1997) 38 Les Cahiers de Droit 417 418 Les Cahiers de Droit (1997) 38 C. de D. 417 of this paper maintains that while recognizing that judges do provide a moral reading of law, it may be reasonabyy expected of them to respect a weak requirement of neutrality, that of impartiality. By situating this hypothesis in following the works of R. Dworkin, the author first states what Dworkin means by moral reading of rights as well as restrictions affecting a judiciary decision in light of a well understood moral reading. The insufficiencies of these Dworkin restriciions with regard to the requirements of impartiality are then set forth. Finally, the author describes the structural restriciions that are complementary to the Dworkinian restriciion,, which prove likely to ensure respect for the requirement of impartiality. Pages 1. La lecture morale des droits 420 2. L'insuffisance des contraintes dworkiniennes 425 3. Impartialité et contraintes structurelles 429 Conclusion 434 L a critique de la légitimité du contrôle judiciaire en matière de droits et libertés emprunte généralement la forme d'une argumentation faisant valoir le caractère antidémocratique de l'exercice d'un tel contrôle. On recourt notamment au raisonnement suivant 1 : 1) L e contrôle de constitutionnalité des lois en matière de droits et llbertés ne pourrait être considéré comme légitime qu'à la condition que les juges procédant à ce contrôle puissent être parfaitement neutres (c'està-dire dans la mesure où a) leurs opinions morales personnelles n'infléchissent pas le droit et où b) ils ne sont que « la bouche de la loi »). Par une telle neutralité, les juges respecteraient ainsi l'autorité législative, seule détentrice de la légitimité démocratique ; 2) Or, une telle neutralité ne s'avère possible que si la formulation des droits et libertés constitutionnalisés est à ce point précise et détaillée qu'il n'y a plus de place pour leur interprétation ; 3) Mais comme une telle précision n'est pas envisageable, les juges ne peuvent faire preuve de neutralité ; 1. On peut reconstruire un tel raisonnement à partir des critiques formulées par M. MANDEL : La Charte des droits et libertés et la judiciarisation du politique au Canada, Montréal, Boréal, 1996. Voir plus particulièrement les pages 72 et 73. L. BEGIN 4) L'impartialité des juges 419 Un tel contrôle n'est donc pas légitime, les juges procédant bien plutôt à une usurpation des pouvoirs du législateur. Il est vrai que les juges ne peuvent atteindre une telle neutralité. Que cela soit inévitable est d'ailleurs admis par un auteur comme Ronald Dworkin qui, tout en avançant que les juges procèdent à une lecture morale des droits, soutient néanmoins que cela ne rend pas illégitime un tel contrôle2. Est-ce dire alors que, tout en reconnaissant que les juges ne sont pas requis de satisfaire à une exigence de neutralité, il est possible d'asseoir la légitimité du contrôle de constitutionnalité des lois, ne serait-ce que sous une forme faible, négative, c'est-à-dire en montrant qu'un tel contrôle judiciaire n'est pas illégitime ? Cela ne semble guère envisageable. Il apparaît bien plutôt que, si une certaine forme de neutralité ne pouvait être respectée, c'est l'idée même de démocratie constitutionnelle qui risquerait à bon droit de s'en trouver remise en question, soumise qu'elle apparaîtrait à l'arbitraire et aux intérêts divers pouvant être protégés par les tribunaux. Une défense appropriée de la légitimité du contrôle de constitutionnalité se doit d'intégrer une exigence de neutralité adressée aux juges, sans par ailleurs que cette exigence doive pour autant prendre la forme radicale exprimée précédemment. Les propos qui suivent n'ont pas la prétention de développer une théorie de la légitimation du contrôle judiciaire en matière de droits et libertés. Plus modestement, dans une visée de légitimation d'un tel contrôle, j'entends montrer que, tout en reconnaissant avec Dworkin que les juges procèdent à une lecture morale des droits—ce qui implique que leurs opinions politiques et morales interviennent dans la décision judiciaire —, il est raisonnable et même nécessaire au regard de la légitimité de la pratique du contrôle judiciaire d'attendre de ces juges qu'ils respectent une exigence faible de neutralité, exigence prenant la forme d'une requête d'impartialité. Je soutiendrai que la théorie de Dworkin, malgré sa valeur indéniable, ne parvient pas à répondre suffisamment à cette exigence et que des correctifs doivent alors y être apportés. L'analyse sera menée en trois temps. J'exposerai d'abord brièvement ce que Dworkin entend par «lecture morale des droits». Une attention particulière sera portée aux contraintes devant être à l'œuvre lors d'une lecture morale bien comprise et faisant en sorte selon Dworkin que, malgré l'intervention des convictions de morale politique des juges dans la décision judiciaire, cette dernière ne soit pas l'expression d'un pur arbitraire (section 1). Éliminer les risques de pur arbitraire n'est toutefois pas suffisant 2. R. DWORKIN, Freedom's Law. The Moral Reading of the American Constitution, Cambridge, Harvard University Press, 1996, introduction. 420 Les Cahiers de Droit (1997) 38 C. de D. 417 pour que puisse être envisagée sur cette base l'élaboration d'une légitimation appropriée du contrôle judiciaire en matière de droits et libertés. On doit plutôt montrer que les contraintes agissant sur la décision judiciaire sont telles que, malgré une intervention inévitable des convictions de morale politique du juge, il est possible que la décision produite ne soit pas celle à laquelle il aurait été conduit s'il n'avait procédé qu'à une évaluation directe — à partir de ses convictions morales personnelles — de la cause débattue. Autrement dit, ces contraintes doivent pouvoir assurer que la décision respecte une exigence d'impartialité. À partir notamment d'analyses élaborées par Sheldon Leader, il sera montré en quoi la théorie de Dworkin apparaît lacunaire à cet égard (section 2). Sur cette base, j'esquisserai finalement des contraintes structurelles complémentaires par rapport aux contraintes dworkiniennes qui s'avèrent susceptibles d'assurer le respect de l'exigence d'impartialité (section 3). 1. La lecture morale des droits C'est une constante de l'œuvre de Dworkin de rappeler avec force que les convictions de morale politique des juges interviennent dans leur activité de juger. Dès les années 603, Dworkin a énoncé cette thèse qui occupe une place de choix dans sa théorie de la décision judiciaire qu'il expose de manière détaillée en 1986 dans Law's Empire*. Le titre de son dernier ouvrage, paru en 1996, est également on ne peut plus clair quant à l'importance de cette thèse dans la théorie dworkinienne : Freedom's Law : the Moral Reading of the American Constitution. Cette thèse se comprend sommairement de la façon suivante. Dans les systèmes juridiques où sont constitutionnalisés des droits et libertés fondamentaux, les juges, particulièrement ceux des instances supérieures, sont appelés à contrôler l'exercice des pouvoirs des législateurs de façon à garantir le respect des droits et libertés des citoyens. Ces droits et libertés sont énoncés dans un langage général et abstrait. Il n'est qu'à penser, par exemple, à la liberté d'expression et à la liberté de conscience et de religion pour s'en convaincre. Ces clauses abstraites font pénétrer des principes de morale politique au sein du droit (par exemple : il est mal que le gouverne3. Je pense ici particulièrement à «The Model of Rules», 1967 (35) The University of Chicago Law Review, 14-46. Ce texte a été reproduit par la suite sous le titre « The Model of Rules I », dans R. DWORKIN, Taking Rights Seriously, Cambridge, Harvard University Press, 1977, chap. 2. On en trouve la traduction française dans R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, coll. « Leviathan », Paris, PUF, 1995, chap. 2. 4. R. DWORKIN, Law's Empire, Cambridge, Harvard University Press, 1986. Ouvrage paru en traduction française sous le titre: L'empire du droit, coll. «Recherches politiques», Paris, PUF, 1994. L. BEGIN L'impartialité des juges All ment censure ce que publient ou disent les citoyens). Toutefois ces principes, comme les droits et libertés à partir desquels ils sont formulés, sont peu déterminés quant à leur extension. Les droits et libertés ne sont jamais énoncés de façon suffisamment détaillée pour qu'il soit possible d'en déduire l'étendue exacte d'application ni celle des principes moraux qu'ils supportent. En d'autres termes, les droits et libertés expriment, en fait, des concepts et non pas des conceptions de ce que signifient, par exemple, la liberté de conscience et la liberté d'expression5. Dworkin soutient que lorsque surviennent des causes nouvelles ou controversées en matière de droits et libertés, les juges sont alors appelés à déterminer quelle est l'extension du droit ou de la liberté et conséquemment du principe moral — au regard de la pratique mise en cause. Ils ont à déterminer l'interprétation et la compréhension qui feront autorité, celles qui exposent la meilleure conception des principes de morale politique constitutionnels. C'est ainsi que, comme l'écrit Dworkin dans l'introduction de Freedom's Law, «[t]he moral reading [...] brings political morality into the heart of constitutional law6 ». Selon Dworkin, une telle lecture morale des droits et de la Constitution est fréquente dans les cours de justice américaine, même si les juges refusent de le reconnaître. Il y aurait en fait un écart considérable entre la pratique constitutionnelle américaine et la théorie constitutionnelle qui rejette fortement cette lecture. C'est que la lecture morale semble reconnaître aux juges un trop grand pouvoir d'imposer leurs propres convictions morales à la collectivité7. Ce serait là toutefois, selon Dworkin, une critique injustifiée. 5. Invoquer un concept, comme celui de liberté de conscience, c'est faire référence à ce que signifie « liberté de conscience » sans accorder de statut particulier à ses propres vues sur la signification de ce concept. Exposer une conception de la liberté de conscience, c'est dire ce que j'entends par « liberté de conscience» : mon propre point de vue devient dès lors central. Cette distinction permet à Dworkin d'avancer que les droits et libertés constitutionnalisés ne sont pas des clauses vagues, contrairement à ce qu'on entend généralement. Ce ne sont pas, autrement dit, des tentatives bâclées pour imposer des conceptions particulières. Il s'agit bien plutôt de clauses abstraites se référant à des concepts moraux. Sur la distinction entre «concept» et «conception», voir: R. DWORKIN, Prendre les droits au sérieux, op. cit., note 3, pp. 219-222 et op. cit., note 4, pp. 78-79. 6. R. DWORKIN, op. cit., note 2, p. 2. 7. Ce phénomène n'est toutefois pas caractéristique des milieux juridiques américains. P.-A. Côté soutient que la théorie canadienne officielle de l'interprétation occulte tout autant la part de l'interprète dans l'élaboration du sens du droit. Il ajoute également que « [l]e refoulement de l'interprétation, lorsqu'il est le fait du juge, s'explique sans doute par des préoccupations de légitimation de la décision de justice : présenter le sens attribué à un texte comme celui qu'a voulu le législateur établit une distance entre le juge et le jugement et contribue à l'apparence de légitimité de la décision. Il est en effet permis de penser qu'une trop grande candeur en cette matière risquerait de saper l'autorité du 422 Les Cahiers de Droit (1997) 38 C. de D. 417 S'il est vrai que les convictions de morale politique des juges interviennent dans leur activité déjuger, cela n'implique pas que cette intervention puisse opérer sans contraintes importantes. En spécifiant ces contraintes qui doivent être à l'œuvre lors d'une lecture morale bien comprise, Dworkin s'éloigne de la simple description de la décision judiciaire pour en proposer une reconstruction rationnelle devant guider les juges « agissant de bonne foi 8 ». Tout d'abord, la lecture morale bien comprise requiert du juge qu'il procède à une interprétation respectant le principe de délibération de l'intégrité. C'est-à-dire, rapidement, qu'il doit envisager les droits et devoirs juridiques comme étant «l'œuvre d'un créateur unique, la collectivité en personne, et [...] l'expression d'une conception cohérente de la justice et de l'équité 9 ». Le droit doit ainsi être considéré comme formant une unité de sens, une unité qui n'est cependant jamais dévoilée une fois pour toutes. Ce sera précisément la tâche du juge de réaffirmer cette unité en fournissant, lors de ses réponses à des questions de droit, la meilleure justification possible du droit établi. Pour ce faire, il devra veiller à ce que son interprétation soit cohérente par rapport à l'histoire du droit au sein duquel il œuvre, qu'elle convienne le mieux à cette histoire. Autrement dit, il devra tenir compte des précédents, des lois et des interprétations de ceux-ci qui ont construit l'histoire de ce droit, de manière à déterminer l'interprétation qui convient. Ainsi, le juge doit éviter de se laisser guider par des convictions morales personnelles qui, bien qu'elles puissent être séduisantes et semblent produire une plus grande justice sociale, ne permettraient pas de rendre compte de manière cohérente du droit établi. Bien entendu, cela laisse la plupart du temps au juge une marge d'interprétation appréciable. Il arrivera d'ailleurs fréquemment qu'il y ait plus d'une interprétation qui s'adapte à l'histoire du droit Le juge sera alors amené à déterminer laquelle de ces interprétations possibles donne du point de vue de la morale politique la meilleure lecture qui soit du droit Selon les termes de Dworkin il lui faudra retenir celle qui présente le droit sous son meilleur jour au regard de la justice et de l'équité Au total ces contraintes exercées sur l'interprétau t m j u d u c ^ ci ut; 1 c u u i i c n u ivjiai, i*c;a wtjiiii arnica t A ^ i c t c a oui i xni&ipuliation du iuge r e v i e n n e n t à dire n u e son verdict < doit Drovenir d ' u n e interré ion qu i , j é l n n n e m e n t s a n t é r i e u r s et qui les ;' tifie jugement en faisant apparaître trop nettement ce qu'il doit à la personne même de son auteur» : P.-A. CÔTÉ, « Fonction législative et fonction interprétative : conceptions théoriques de leurs rapports », dans P. AMSELEK (dir.), Interprétation et droit, Bruxelles, Établissements Emile Bruylant, 1995, p. 194. 8. « The moral reading is a strategy for lawyers and judges acting in good faith, which is all any interpretive strategy can be» : R. DWORKIN, op. cit., note 2, p. 11. 9. R. DWORKIN, op. cit., note 4, p. 247. L. BEGIN L'impartialité des juges \Th en même temps, autant que possible10». La célèbre analogie que fait Dworkin entre le droit et un roman écrit à la chaîne par plusieurs auteurs illustre bien le jeu de ces contraintes. Il compare le juge à un écrivain chargé de composer un chapitre d'un roman déjà commencé et qui se poursuivra après lui. Puisque le juge ajoute un «chapitre» à une œuvre déjà en partie rédigée, il doit veiller à ce que sa contribution soit compatible avec l'identité et l'intégrité de l'histoire «racontée». Son «chapitre» doit correspondre aux développements antérieurs et, en même temps, faire de cette histoire la meilleure histoire possible11. On voit donc comment l'interprétation retenue par le juge dworkinien met en jeu ses convictions de morale politique. Tout d'abord, le respect de l'exigence de convenance—ou d'adéquation—par rapport au droit antérieur exprime un engagement en faveur de l'intégrité du droit. Comme l'écrit Dworkin, ce juge «croit que l'interprétation qui reste en deçà du seuil d'adéquation donne l'image de la collectivité vue sous un jour à jamais mauvais, car le fait de proposer cette interprétation suggère que la collectivité a déshonoré ses propres principes de manière caractéristique 12 ». Ainsi, bien qu'il soit vrai que les convictions de morale politique du juge à l'égard de la cause entendue soient tempérées par le besoin de trouver la meilleure adéquation possible avec le droit établi, il n'en demeure pas moins que cette contrainte que s'impose le juge manifeste également une conviction de morale politique, mais de niveau différent. De niveau différent, en effet, car il s'agit d'une contrainte que l'on peut qualifier de structurelle, c'est-à-dire une contrainte influant sur la manière dont le juge abordera le litige en cause. L'engagement en faveur de l'identité et de l'intégrité du droit exprime, de la sorte, une conviction fondamentale quant aux vertus devant être celles d'une collectivité politique. Cette conviction est davantage abstraite que les convictions substantielles concrètes touchant directement l'évaluation du litige en présence13. Ensuite, l'interprétation retenue par le juge dworkinien met également en jeu ses convictions de morale politique 10. 11. 12. 13. Id., p. 261 (l'italique est de nous). Cette analogie est longuement développée par R. DWORKIN, op. cit., note 4, pp. 250-262. Id., pp. 280-281. Par l'expression «convictions substantielles concrètes », je fais référence aux positions normatives affichées par une personne à l'égard d'une pratique sociale ou individuelle particulière. On peut s'attendre, par exemple, que tout juge ait des convictions substantielles au regard d'une pratique comme l'avortement: il jugera cette dernière plus ou moins acceptable ou plus ou moins condamnable. C'est précisément l'intervention de telles convictions dans l'activité déjuger des magistrats que les contraintes dworkinien^ nés cherchent à contrôler. Par contraste, on considérera le droit comme étant une pratique sociale générale, englobant et contrôlant un ensemble de pratiques particulières. Une conviction ayant trait à ce que doit être le droit sera forcément davantage abstraite qu'une conviction liée à des pratiques particulières. 424 Les Cahiers de Droit (1997) 38 C. de D. 417 lorsqu'il est appelé à trancher entre les diverses interprétations respectant la contrainte structurelle d'adéquation. Il devra retenir l'interprétation mettant en œuvre les principes les plus attrayants. Encore là, les convictions de morale politique qui interviennent sont de haut niveau. Elles relèvent de la théorie de morale politique d'ensemble du juge, c'est-à-dire de sa conception de la justice sociale et des droits démocratiques en général. Cette brève présentation de la lecture morale des droits et des contraintes qu'elle implique permet de comprendre que Dworkin considère comme chimérique de parler de décisions judiciaires neutres. On ne peut envisager sérieusement l'absence d'interventions, dans la décision judiciaire, de parti pris d'ordre politique et moral. En matière de droits et libertés, la décision judiciaire ne peut être pure application. Elle n'est pas pour autant pur arbitraire. Comme nous l'avons vu rapidement, les contraintes impliquées par la lecture morale des droits tempèrent les convictions de morale politique des juges en en contrôlant le type d'intervention. Cela est particulièrement manifeste en ce qui concerne la contrainte d'adéquation avec le droit établi. Il n'est pas superflu ici de recourir à un exemple permettant d'illustrer la façon dont s'opère ce contrôle des convictions de morale politique. Prenons le cas d'une contestation d'une loi interdisant la diffusion de matériel pornographique. Le juge est requis de se prononcer sur des questions de substance qui sont relatives à la marge de tolérance qui devrait être celle de sa collectivité en fonction des droits et libertés reconnus à ses membres : l'interdiction de la diffusion de ce type de matériel enfreint-il l'un ou l'autre des droits des citoyens ? La société devrait-elle tolérer, et si oui dans quelle mesure, la diffusion de ce type de matériel ? On serait justifié d'être outré si le juge répondait à ces questions à partir de ses propres opinions personnelles sur la valeur morale de la diffusion de matériel pornographique. On attend du juge qu'il dise le droit, et non pas qu'il impose ses conceptions morales personnelles à l'ensemble de la collectivité. La critique de la légitimité du contrôle judiciaire rapportée dans l'introduction laisse généralement entendre que c'est justement ce qui se produit lorsque le juge se prononce sur de telles questions. La contrainte d'adéquation ne permettrait pas, toutefois, cet arbitraire de la décision. S'il entend respecter cette contrainte, le juge devra d'abord tenir compte des interprétations antérieures de la liberté d'expression et, plus généralement, de ce qui, dans le droit établi, se rapporte à la censure. Il devra ensuite pouvoir montrer que l'interprétation qu'il retient est cohérente par rapport à l'histoire de ce droit, qu'elle en respecte l'identité. La réponse aux questions de substance passera ainsi par la médiation de la contrainte structurelle d'adéquation. En ce sens, la conviction abstraite qu'exprime l'engagement en faveur de l'identité et de l'intégrité du droit viendra tempérer l'intervention de convictions BEGIN L'impartialité des juges 425 substantielles—davantage concrètes—relatives à la valeur de la diffusion de matériel pornographique. Mais est-ce bien suffisant ? Si une telle contrainte élimine les risques de pur arbitraire de la décision judiciaire, parvient-elle à assurer une neutralité suffisante—bien qu'elle soit nécessairement imparfaite — pour que puisse être envisagée, sur cette base, l'élaboration d'une légitimation appropriée de la pratique du contrôle de constitutionnalité en matière de droits et libertés ? Il est permis d'en douter. Dans ce qui suit, et en m'appuyant pour une bonne part sur des analyses produites par Leader14, je verrai à souligner l'insuffisance du modèle dworkinien au regard de cette question. Il sera ensuite possible, sur cette base, d'esquisser la direction que devrait prendre l'élaboration de correctifs. 2. L'insuffisance des contraintes dworkiniennes Il nous faut d'abord préciser l'idée de neutralité suffisante ou encore, comme je l'énonçais en introduction, d'exigence faible de neutralité. On ne peut attendre du juge une neutralité parfaite. Malgré ce qu'a pu en penser Beccaria — ce publiciste italien du xvm e siècle—et tous ceux qui, à sa suite, ont cherché à subordonner totalement le juge à la loi, l'activité du juge ne peut se restreindre à la production de raisonnements syllogistiques15. Comme y a longuement insisté Perelman dans de nombreux articles et conférences16, juger c'est faire un choix. Or parler de choix, c'est déjà admettre qu'il y a appréciation et évaluation de la part de l'agent appelé à 14. Sheldon LEADER a élaboré des thèses particulièrement intéressantes pour notre problématique dans les articles suivants : « Le juge, la politique et la neutralité. À propos des travaux de Dworkin », 1986 (2) Droit et société 23-40 ; « Impartiality, Bias and the Judiciary », dans A. HUNT (dir.), Reading Dworkin Critically, Oxford, Berg, ,992, pp. 241268 ; « Le droit au respect de la vie privée, la mise en œuvre de la morale et la fonction judiciaire: un débat», 1991 (26) Revue internationale a" études juridiques 1-22. 15. Selon BECCARIA, Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 1991 [1764], il faudrait faire du juge ni plus ni moins qu'un automate. Aussi importe-t-il de produire un code des lois à ce point précis que le juge n'ait plus qu'à l'appliquer à la lettre. L'exercice de l'activité déjuger se limiterait alors à cette unique tâche : rapprocher le fait constaté de la loi écrite. D'où la possibilité d'un raisonnement parfait, de style syllogistique, dans lequel la majeure énonce la loi, la mineure exprime l'action conforme ou contraire à la loi et la conclusion énonce la conséquence, à savoir l'absolution ou le châtiment de l'accusé. Il est surprenant que, plus de deux siècles après Beccaria, l'idéal du juge-automate continue de susciter des adhésions. Cela est pourtant manifeste chez un auteur comme M. MANDEL, op. cit., note 1, pour qui le contrôle judiciaire ne pourrait trouver grâce que si le juge «s'élevait» à cet idéal d'application mécanique. 16. C. PERELMAN, Éthique et droit, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1990. 426 Les Cahiers de Droit (1997) 38 C. de D. 417 juger. Et cela ne peut se faire sans qu'interviennent d'une façon ou d'une autre les préférences de cet agent. Si l'on entend préserver une certaine idée de neutralité dans l'activité déjuger, c'est à ces modes d'intervention des préférences qu'il faut accorder notre attention. Alors qu'une exigence forte de neutralité—irréaliste en ce qui concerne le juge — pose que l'agent ne manifeste dans sa délibération aucun parti pris politique, moral ou, en gros, idéologique, une exigence faible de neutralité posera plutôt que l'agent, tout en laissant voir un tel parti pris, s'assurera que les conclusions auxquelles le mènent ses délibérations ne sont pas le produit de ses préférences personnelles au regard de la cause à juger. Plus précisément, son parti pris idéologique ne devra apparaître qu'à un niveau suffisamment abstrait de considérations pour qu'il soit possible que la décision produite ne soit pas celle à laquelle il aurait été conduit s'il n'avait procédé qu'à une évaluation directe à partir de ses convictions morales personnelles de la cause débattue. En somme, il s'agit là d'une exigence d'impartialité quant à la valeur morale de la pratique controversée à juger On peut difficilement attendre une plus grande neutralité de la part des juges. Par ailleurs, si une telle exigence d'impartialité était respectée, cela ne suffirait certes pas à légitimer le contrôle judiciaire en matière de droits et libertés : il resterait à disposer des critiques portant notamment sur le caractère antidémocratique (selon certains) d'un tel contrôle, la représentativité déficiente des juges et le mode de leur nomination pour n'en mentionner que quelques-unes. Nous aurions toutefois en main les moyens de désamorcer une des critiques les plus importantes adressées à un tel type de contrôle. Il n'est en effet guère de critique plus fondamentale que celle qui énonce que les juges décident arbitrairement, de manière partiale. C'est l'idée même de « rendre justice » qui se voit remise en cause par la menace de l'arbitraire. Le caractère fondamental de cette critique est d'autant plus manifeste que même la critique du caractère antidémocratique du contrôle judiciaire en matière de droits et libertés prend fréquemment appui sur elle17. On doit maintenant se demander si le juge dworkinien « agissant de 17. La critique du caractère antidémocratique du contrôle judiciaire se présente sous deux formes générales qui ne sont pas toujours clairement distinguées par les auteurs qui y recourent. La première forme s'en prend à l'idée de droits fondamentaux venant limiter le champ d'application des volontés du législateur. Ce dernier, en tant qu'il est le représentant de la volonté du peuple, ne peut souffrir que ses pouvoirs fassent l'objet de quelque censure que ce soit: censurer les pouvoirs du législateur, c'est censurer l'expression de la démocratie. Sous cette forme, la critique sera impitoyable à l'endroit du contrôle judiciaire : même des juges parfaitement impartiaux ne sauraient trouver grâce. Sous une seconde forme, on peut admettre qu'existe un contrôle judiciaire, mais seulement dans la mesure où « toute discrétion individuelle [serait] exclue de leur application. Sinon, les lois que fait respecter le pouvoir judiciaire ne sont plus nos lois mais L. BEGIN L'impartialité des juges All bonne foi » et comprenant bien ce que requiert la lecture morale des droits et de la Constitution doit être considéré comme respectant cette exigence d'impartialité. La réponse ne semble pouvoir être que partiellement positive. Il est vrai que la contrainte d'adéquation avec le droit établi vient tempérer l'intervention des convictions morales personnelles au regard de la pratique controversée à juger. En tant qu'il s'agit d'une contrainte structurelle, elle influe sur la manière d'aborder le litige en rendant indisponible tout jugement qui ne serait basé que sur l'appréciation morale de cette pratique. Ce n'est pas dire pour autant que cette contrainte suffise pour qu' il devienne possible que la décision rendue ne soit pas celle à laquelle l'appréciation morale de la pratique par le juge l'aurait conduit. Autrement dit, on peut envisager la possibilité qu'une telle contrainte élimine une intervention directe de l'appréciation morale d'une pratique tout en se révélant incapable de faire en sorte que le résultat de la décision ne soit pas presque assurément le même. S'il en était ainsi, l'impartialité annoncée risquerait d'apparaître pour plusieurs comme un trompe-l'œil, une stratégie visant à draper de respectabilité une activité fortement orientée idéologiquement18. Cette possibilité est mise en évidence dans l'analyse que fait Leader de la théorie de la décision judiciaire de Dworkin. Un élément de cette analyse éclaire particulièrement bien le caractère de cette théorie qui fait problème au regard de l'exigence d'impartialité. Il faut se rappeler, dit Leader, que même si le juge tient compte de la contrainte d'adéquation, il se retrouvera souvent en présence de plus d'une interprétation qui puisse prétendre convenir à l'histoire du droit. C'est d'ailleurs en ayant à l'esprit une telle situation que Dworkin fait intervenir comme seconde contrainte la nécessité de faire en sorte que la décision retenue soit celle qui repose sur la meilleure lecture qui soit du droit, eu égard à la justice et à l'équité (contrainte de présentation du droit sous son meilleur jour). Or comment, plus concrètement, sera déterminée cette convenance appropriée ? Et comment sera fixée l'identité de l'histoire du droit ? Ce ne pourra être qu'à la lumière d'une théorie de morale politique qui articule la manière dont le juge conçoit la justice sociale et les droits démocratiques. Mais s'il en est ainsi, on peut ses lois» : M. M A N D E L , op. cit., note 1, pp. 72-73. Même si cette formulation semble plus modérée que la précédente et qu'elle évite de remettre directement en question la suprématie des droits fondamentaux, elle mène à des conséquences identiques, compte tenu du caractère irréaliste de la condition imposée au contrôle judiciaire. 18. C'est là un problème classique rencontré par les théories politiques libérales mettant en avant le critère d'impartialité: il est souvent avancé que le recours à ce critère fait en sorte d'orienter la décision implicitement — mais systématiquement—dans la direction que préfère spontanément le théoricien libéral. 428 Les Cahiers de Droit (1997) 38 C. de D. 417 s'attendre, comme l'écrit Leader, que « les traits du droit établi, avec lequel les solutions du juge doivent entretenir une relation de convenance adéquate, seront eux-mêmes ajustés de manière à produire le meilleur résultat que recommande une théorie politique19 ». En ce qui a trait à notre exemple de diffusion de matériel pornographique, cela signifie que le juge sera amené à fixer l'identité du droit à partir des précédents qui, mettant en jeu la liberté d'expression et, plus globalement, le pouvoir de censure du législateur, l'assureront que sa décision se conforme à ce que lui recommande sa conception de la justice sociale et des droits démocratiques. En ce sens, plutôt que de voir une théorie de morale politique être choisie par le juge parce qu'elle convient le mieux à l'identité du droit, on assistera à la situation inverse : l'adéquation de la décision avec le droit établi sera atteinte sur la base d'une théorie de morale politique qui participe à fixer les traits déterminant l'identité de ce droit. La contrainte d'adéquation ne sert donc pas « elle-même de contrainte guidant le choix de la théorie politique et/ou son interprétation20». Il en résulte que, bien qu'elles soient d'un certain niveau d'abstraction, on peut raisonnablement s'attendre que les convictions de morale politique du juge conduisent ce dernier à des conclusions identiques à celles qui résultent directement d'une appréciation morale de la pratique controversée. Ainsi, il est hautement probable que le juge dworkinien d'allégeance libérale—dont une des convictions substantielles concrètes serait de ne pas considérer comme condamnables certains modes de diffusion de matériel pornographique—retiendra une lecture de l'histoire du droit lui permettant de justifier la non-condamnation de ces modes de diffusion de matériel pornographique. Malgré la présence de contraintes structurelles venant exercer un certain contrôle sur l'intervention des convictions substantielles concrètes des juges, on peut voir que le respect de l'exigence d'impartialité demeure sérieusement compromis. Il est vrai qu'une telle situation peut ne pas se produire. Il peut arriver qu'il n'y ait pas dans l'histoire du droit un tel ensemble de précédents qui, étant compatibles avec les convictions générales de morale politique du juge, seraient suffisamment déterminants pour que puisse être envisagée une telle adéquation sur la base des convictions préalables des juges. Mais ce seront là des situations relevant de conjonctures particulières, et non pas de la seule efficacité des contraintes envisagées pour garantir l'impartialité. Cela ne change donc rien au fait que la contrainte d'adéquation, bien qu'elle soit structurelle, est insuffisante à véritablement garantir le respect de l'exigence d'impartialité. 19. S. LEADER, «Le juge, la politique et la neutralité. À propos des travaux de Dworkin», loc. cit., note 14, 34. 20. Id., 33. L. BEGIN L'impartialité des juges 429 Malgré ses insuffisances, cette contrainte indique la direction vers laquelle des compléments correctifs doivent être recherchés. En effet, l'attrait principal de cette contrainte réside dans son caractère structurel : en influant sur la manière d'aborder un litige, elle introduit dans l'activité décisionnelle du juge une médiation qui a le mérite de rendre indisponibles certaines façons de produire des jugements. Or si l'on compte assurer une véritable impartialité, il faut veiller à accroître de telles indisponibilités. C'est donc vers la recherche de telles contraintes structurelles qu'il faudra se tourner. 3. Impartialité et contraintes structurelles Des précisions importantes doivent d'abord être apportées en ce qui a trait, d'une part, à la nature des contraintes structurelles recherchées et, d'autre part, aux indisponibilités devant concourir à assurer l'impartialité. Concernant ces dernières, il faut bien comprendre que les contraintes structurelles n'ont pas pour but de rendre indisponibles des contenus de jugements (les décisions produites) mais bien des façons de produire des jugements (les processus menant à la décision). L'exigence d'impartialité est d'ordre formel : on attend d'elle qu'elle influe sur des manières de faire, et non pas sur les résultats des processus décisionnels21. Il y aurait en effet quelque chose d'incongru si l'on cherchait à rendre indisponibles des contenus de jugements. Cela reviendrait à promouvoir une forte partialité puisque la décision judiciaire se verrait alors soumise à des normes morales concrètes analogues à celles dont on cherche justement à contraindre les effets dans le processus décisionnel du juge. Autrement dit, on ne ferait que remplacer la partialité présumée du juge par la partialité d'une autre autorité (un système de croyances religieuses ou une théorie morale). Rien n'y serait gagné sur le plan de l'impartialité. Plutôt, c'est l'indisponibilité de certaines façons de produire des jugements qui doit être recherchée. Il faut voir à faire en sorte, je le rappelle, que la décision produite par le juge puisse—en vertu des seules contraintes structurelles retenues, et donc indépendamment des conjonctures particulières — ne pas être celle à laquelle le juge aurait été conduit s'il n'avait eu à décider que sur la base de son appréciation de la valeur morale de la pratique faisant l'objet d'un litige. Doivent alors être 21. Bien entendu, une décision prise de manière impartiale ne sera pas nécessairement identique à une décision prise uniquement sur la base de convictions morales personnelles quant à la valeur de la pratique à juger. C'est précisément cette possibilité que cherche à préserver l'exigence d'impartialité. En ce sens, l'impartialité pourra influer sur les résultats des processus décisionnels, et non seulement sur ces processus, H s'agit là d'un effet possible du respect de l'exigence d'impartialité, mais non pas de ce qui est recherché par cette exigence. Mais surtout, les décisions touchées ne le seront pas en vertu de leur contenu. (1997) 38 C. de D. 417 Les Cahiers de Droit 430 évités les modes d'élaboration des jugements qui sont inaptes à satisfaire à cette condition. Par ailleurs, si une telle condition est respectée et qu'il advient que la décision soit la même que celle obtenue sur la base d'une appréciation de la valeur morale de la pratique litigieuse, ce qui demeurerait susceptible de se produire de manière relativement fréquente, on ne pourrait imputer la décision rendue à un défaut d'impartialité ou à une impartialité factice. Quant à la nature des contraintes structurelles recherchées afin de répondre à i'exigence d'impartialité, certaines précisions s'avèrent également nécessaires22. Nous avons vu que les contraintes dworkiniennes ne sont pas exemptes de toute intervention des convictions de morale politique des juges. Plutôt, il est apparu que ces contraintes supposent, de la part des juges les respectant, une forme d'engagement relativement aux vertus devant être celles du droit (c'est le cas de la contrainte d'adéquation) ainsi qu'une théorie de morale politique articulant une conception de la justice sociale et des droits démocratiques (c'est le cas de la contrainte de présentation du droit sous son meilleur jour). On doit donc se garder de poser une distinction de nature entre les jugements faisant intervenir ces contraintes et ceux qui s'en abstiennent. Dans l'un et l'autre cas, il s'agit bien de jugements dans lesquels sont à l'œuvre des convictions de morale politique : dans le premier cas il est fait appel à des convictions abstraites et générales ; dans le second, à des convictions substantielles concrètes. Il s'agit là d'une différence de degré et non pas de nature. Ce point a déjà été soulevé dans la première section, mais il vaut que l'on s'y attarde quelque peu au regard des contraintes structurelles requises par l'exigence d'impartialité. On pourrait croire en effet que, l'exigence d'impartialité étant d'ordre formel, son respect nécessiterait des contraintes éliminant toute intervention des convictions de morale politique des juges. Dans cette perspective, l'insuffisance des contraintes dworkiniennes au regard de l'impartialité serait perçue comme tenant précisément à leur incapacité à opérer cette distanciation à l'égard de ces convictions Ce serait toutefois se méprendre grandement sur le sens de l'impartialité recherchée L'exigence d'impartialité ne nécessite Das de contraintes structurelles tirant un voile sur les convictions de morale Dolitique : l'impartialité n'est pas la neutralité Les contraintes recherchées * A A -™ » 1 4. • * ' J 1 • • 11 C seront donc de même nature que les contraintes dworkiniennes : elles feront appel à des convictions de morale politique d un degré élevé d abstraction. En ce sens, ces contraintes sont à distinguer d'autres types de contraintes dont on présume parfois—chez les juristes et théoriciens du droit 22. Je remercie Luc B. Tremblay, de la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, pour ses commentaires éclairants sur une version antérieure du présent texte qui m'ont fait voir la nécessité d'apporter les quelques précisions qui suivent. L. BEGIN L'impartialité des juges 431 adeptes du positivisme et du formalisme juridiques — qu'elles sont aptes à faire en sorte d'éviter l'engagement normatif du juge. A titre d'exemples, on pensera notamment à des méthodes d'interprétation ou à des formes de raisonnement devant permettre au juge de « dire le droit » tel qu'il est, sans intervention de sa subjectivité23. Or prétendre éliminer la subjectivité du jugement juridique, c'est ne pas admettre ce que pose la thèse de la lecture morale des droits, à savoir que le jugement juridique est d'abord et avant tout un jugement pratique, et non un acte de connaissance ; il est l'expression d'un choix, de préférences normatives. En conformité avec cette thèse de la lecture morale des droits, l'impartialité telle qu'elle est envisagée ici demande que soit tempérée l'intervention des convictions personnelles des juges à l'endroit des pratiques controversées àjuger : exiger davantage, c'est sombrer dans l'illusion d'un objectivisme trompeur. Quelles sont, maintenant, ces contraintes structurelles requises par l'exigence d'impartialité ? Sans prétendre à l'exhaustivité, et de façon purement programmatique, on peut penser à des contraintes relatives à la priorité des questions envisagées par le juge. À cet égard, Leader introduit une distinction utile entre les questions qui relèvent des traits institutionnels d'une décision et celles qui relèvent du fond du litige, à savoir les considérations de justice sociale et de droits démocratiques24. Par exemple, relèvent des traits institutionnels d'une décision des questions comme les suivantes : Quels sont les rapports entre l'opinion publique et les tribunaux dans une démocratie ? Dans quelle mesure le juge doit-il prendre en considération le sentiment de la majorité des citoyens à l'égard de pratiques controversées faisant l'objet d'un litige juridique ? Quel poids, également, accorder à la volonté du législateur au regard de telles pratiques controversées ? Ces questions ont toutes à voir avec le rôle d'un tribunal dans une démocratie constitutionnelle. Les réponses qu'elles suscitent établissent la manière dont le juge conçoit sa fonction et celle de la cour et les relations que le tribunal doit entretenir avec le législateur et les groupes de citoyens ; ces réponses tracent les contours du rôle qu'assigne le juge au pouvoir judiciaire dans le régime démocratique qui est le sien De telles questions ne trouvent donc pas de réponse sans qu'interviennent des convictions de morale politique des juges Toutefois ces convictions ont trait au cadre institutionnel dans lequel œuvre le juge plutôt qu'à la justice sociale et aux droits 23. La quête de l'intention «réelle» du législateur et la recherche du sens littéral des mots s'inscrivent bien souvent dans cette tentative — illusoire—de dépersonnaliser le jugement. 24. S. LEADER, « Le juge, la politique et la neutralité. A propos des travaux de Dworkin », loc. cit., note 14, 35. 432 Les Cahiers de Droit (1997) 38 C. de D. 417 démocratiques en général. C'est là une distinction importante au regard de l'exigence d'impartialité. On se rappellera en effet que la difficulté rencontrée par les contraintes structurelles dworkiniennes tient à leur incapacité à suffisamment préserver la possibilité d'un écart entre la décision produite et celle à laquelle le juge aurait été conduit s'il n'avait procédé qu'à une évaluation directe de la valeur de la pratique controversée à juger. Cette difficulté s'explique par le fait de l'intervention de la seconde contrainte afin de fixer les traits déterminant l'identité du droit (contrainte de présentation du droit sous son meilleur jour, au regard de la justice et de l'équité). Puisque cette contrainte fait appel à la conception — abstraite—de la justice sociale et des droits démocratiques du juge, on peut raisonnablement s'attendre que l'identité du droit soit adaptée de manière que soit produit le meilleur résultat que recommande la théorie de morale politique du juge. Conséquemment, rien dans le recours à ces contraintes ne garantit véritablement la possibilité d'un écart entre une décision ainsi produite et une décision énoncée sur la seule base d'une évaluation directe de la pratique à juger. Il en va différemment si l'on fait plutôt intervenir de manière prioritaire les convictions relatives aux traits institutionnels de la décision. Dans ce dernier cas, on attendra du juge qu'il aborde les questions substantielles relatives, par exemple, à l'étendue d'un droit ou d'une liberté à partir et à l'intérieur du cadre de référence que constitue sa conceptualisation préalable du rôle du pouvoir judiciaire dans le régime démocratique qui est le sien. Ce cadre de référence—formé des réponses aux questions relevant des traits institutionnels de la décision—remplit deux fonctions complémentaires : d'une part, il précise ce que le juge se reconnaît en droit de faire, en toute légitimité, dans ses rapports au législateur et aux groupes de citoyens (fonction de clarification des convictions institutionnelles du juge) ; d'autre part, il énonce des règles qui devraient guider le travail interprétatif et décisionnel du juge, quelles que soient les pratiques controversées devant être jugées (fonction de régulation de l'activité décisionnelle). À titre d'exemple, prenons la question du poids à donner à l'opinion de la majorité à l'égard de pratiques controversées faisant l'objet d'un litige juridique. La réponse à cette question peut varier sensiblement d'un juge à l'autre: tous ne conçoivent pas identiquement l'importance devant être accordée à l'opinion majoritaire dans le processus de délibération judiciaire au sein d'une démocratie dotée d'une charte de droits et libertés constitutionnalisée La réponse apportée par chacun des juges viendra clarifier un élément important de leurs convictions institutionnelles En même temps les réponses formulées viendront préciser ce qu'on est en droit d'attendre de chacun de ces juges quant à leur façon respective rie tenir comnîe nn non L. BEGIN L'impartialité des juges 433 de l'opinion majoritaire, quelle que soit la pratique controversée faisant l'objet d'un litige25. Il y a donc clarification et régulation : les convictions institutionnelles des juges sont énoncées et deviennent des guides — ou des règles—contraignant leurs manières de faire dans les différentes causes. Or bien que ces « manières de faire » ressortissent en bout de ligne de convictions de morale politique (ce que ne cessent pas d'être les convictions institutionnelles), elles ne sont pas pour autant intrinsèquement liées à des considérations de justice sociale et de droits démocratiques. Certes, adopter une position à l'égard du poids à accorder à l'opinion de la majorité ne peut se faire sans se référer de quelque façon que ce soit à ce que veut dire « avoir des droits dans une démocratie». Mais cela peut avoir lieu, par ailleurs, sans qu'il soit nécessaire de préciser la nature ou encore l'extension de ces droits démocratiques. Autrement dit, les convictions institutionnelles ont cet avantage—en ce qui a trait à l'exigence d'impartialité—d'être situées à une plus grande distance des convictions substantielles concrètes que ce n'est le cas pour les convictions ayant trait à la justice sociale et aux droits démocratiques. Cela se constate notamment par le fait que les convictions institutionnelles ne dictent pas à elles seules de réponses précises aux questions substantielles concrètes faisant l'objet de litiges, contrairement aux convictions ayant trait aux droits démocratiques. Ce n'est pas qu'un mince avantage au regard de l'impartialité. Car tout en laissant ouvertes les réponses aux questions substantielles concrètes, les convictions institutionnelles balisent fortement la manière dont le juge abordera le litige ainsi que les décisions antérieures devant être considérées relativement à ce litige26. On peut donc avancer l'hypothèse qu'un juge abordant les questions substantielles litigieuses à partir de ses convictions institutionnelles garantira davantage que le juge dworkinien la possibilité d'un écart entre la décision qu'il rendra et celle qu'il aurait énoncée sur la seule base d'une évaluation directe de la pratique controversée à juger. 25. On attendra en effet du juge qu'il soit cohérent dans sa manière d'aborder les litiges et qu'il ne modèle pas ses convictions institutionnelles au gré de ses appréciations morales des pratiques faisant l'objet de litiges. Cette cohérence constitue une contrainte importante sur laquelle nous aurons à revenir. 26. Les convictions institutionnelles ne sont pas sans effet quant à la fixation des traits déterminant l'identité du droit. Au contraire, on peut présumer avec Leader que la réponse à une question comme celle du poids à accorder à l'opinion publique comme source du droit aura une incidence directe sur la façon qu'aura le juge de considérer les décisions antérieures pouvant prétendre avoir plus de poids que l'opinion publique: S. LEADER, «Le juge, la politique et la neutralité. À propos des travaux de Dworkin», loc. cit., note 14, 38. (1997) 38 C. de D. 417 Les Cahiers de Droit 434 À partir de ces quelques développements programmatiques, deux contraintes structurelles favorisant l'impartialité peuvent être mises en évidence. Tout d'abord, on a une contrainte de priorité logique des convictions institutionnelles ; ensuite, une contrainte de cohérence dans le recours étant fait à ces convictions. Priorité logique, en effet, et non pas priorité dans l'ordre temporel des questions que le juge formulera lors de l'analyse de la pratique litigieuse. C'est qu'il ne s'agit pas d'attendre du processus décisionnel des juges qu'il se conforme à une séquence rigoureuse dont la première étape consisterait en un rappel du détail des convictions institutionnelles du magistrat27. Plutôt, cette contrainte est la suivante : on s'attendra que le traitement des questions litigieuses étant soumises au juge reflète les manières de faire habituelles du juge, qu'il s'intègre harmonieusement aux convictions institutionnelles qui sont les siennes et que ses décisions antérieures auront en bonne partie dévoilées Autrement dit le traitement de ces questions litigieuses devra paraître logiquement subordonné aux convictions institutionnelles du juge D'autre part en complément obligé de la contrainte de priorité logique on s'attendra à une réelle cohérence dans le recours fait aux convictions institutionnelles Sans une telle cohérence le respect de la contrainte de priorité logique serait impossible à vérifier De plus cette cohérence est un gage essentiel selon lequel les convictions institutionnelles ne sont pas modelées au gré des appréciations morales des pratiques litigieuses Ce n'est pas dire pour autant qu'aucune modification des convictions institutionnelles ne peut être envisagée Exige l'immoh' hsme en ce domaine au nom de l impartialité serait tout aussi illusoire que d attendre du juge une parfaite neutralité. Comme toutes les convictions de morale politique, les convictions institutionnelles sont appelées à se modi- fy „ ? .. , . . , , ... lier progressivement—de manière plus ou moins sensible—au gre des • i i, • r , ,- , situations complexes nouvelles qui font voir des dimensions iusque-la plus ou moins considérées. Ce qui importe au regard de l impartialité, c est que ces mo î n pp ssen p omman éespar esc nvie ions substantielles concrètes sollicitées par un litige en cours d examen. Conclusion Ces quelques propositions programmatiques ne remettent pas véritablement en cause la théorie de la décision judiciaire élaborée par Dworkin. Qu'il en soit ainsi se constate d'abord par le fait qu'elles s'inscrivent à l'intérieur de la perspective générale mise en avant par cette théorie et voulant que les juges procèdent à une lecture morale des droits. Qu'il y ait 27. Il est à noter que ce ne serait pas une mauvaise chose que le juge procède ainsi dans les faits. Toutefois, il s'agirait d'une attente allant au-delà du respect de l'exigence d'impartialité. L. BEGIN L'impartialité des juges 435 intervention des convictions de morale politique des juges dans leur activité de juger est donc considéré comme un fait incontournable. En situant dans ce cadre la recherche de contraintes structurelles susceptibles d'assurer le respect de l'exigence d'impartialité, il est simplement suggéré qu'il est possible de faire en sorte que l'intervention de ces convictions soit davantage contrôlée et disciplinée que ne le laissent entendre les seules contraintes dworkiniennes. Par ailleurs, cela n'implique aucunement une négation de la valeur des contraintes dworkiniennes. On doit plutôt voir les contraintes structurelles proposées dans la présente analyse comme venant s'ajouter aux contraintes identifiées par Dworkin. Plus précisément, cet ajout est celui d'une distinction analytique entre deux niveaux de considération : ce qui relève des traits institutionnels de la décision (et fait appel aux convictions institutionnelles des juges) et ce qui relève globalement de la justice sociale (et fait appel aux convictions de justice sociale et de droits démocratiques de ces mêmes juges) Par cette distinction que néglige la théorie de Dworkin et au moyen des contraintes qu'elle permet de formuler, il devient possible à la fois d'affirmer le caractère incontournable de la lecture morale des droits et d'envisager sérieusement la possibilité que des décisions respectent l'exigence d'impartialité C'est là un gain appréciable si l'on songe aux critiques adressées au contrôle judiciaire en matière de droits et libertés. Trop souvent l'activité des juges est analysée à l'aune de conceptions étonnamment pauvres du jugement pratique : ou bien on reconnaît qu'il y a nécessairement intervention des convictions de morale politique du juge dans son activité de juger, et alors on discrédite le contrôle judiciaire sous prétexte qu'il ne serait que manifestation de la subjectivité des juges ; ou bien on croit que l'intervention de ces convictions peut être totalement évitée, et alors on accrédite le contrôle judiciaire mais en posant comme condition que le jugement doive être parfaitement neutre. Dans le premier cas, le jugement pratique est ramené au statut de pure manifestation idéologique ; dans le second cas, les dimensions de choix et d'engagement normatif qui le caractérisent sont niées, ramenant le jugement pratique à une activité purement mécanique d'application objective de règles à des situations particulières. Dans les deux cas, on ne voit pas que le jugement pratique peut à la fois manifester un engagement normatif et se soumettre à des contraintes permettant d'en légitimer les conclusions aux yeux d'autrui. Qu'il puisse en être ainsi du jugement pratique ne signifie pas toutefois qu'il en aille toujours de même dans l'usage qu'en fait le juge. L'analyse effectuée ici ne permet certainement pas d'affirmer que le contrôle judiciaire en matière de droits et libertés respecte, de fait, l'exigence d'impartialité. C'est bien plutôt la possibilité d'un tel respect à l'intérieur d'une 436 Les Cahiers de Droit (1997) 38 C. de D. 417 perspective de lecture morale des droits qu'il s'agissait d'établir. La distinction analytique proposée ainsi que les contraintes structurelles précisées peuvent toutefois servir à des fins d'évaluation des activités décisionnelles des juges. Ces éléments sont en effet susceptibles d'aider à percevoir tout autant un défaut d'impartialité chez les juges qu'un respect fréquent de l'exigence d'impartialité. Seule une analyse des décisions des juges pourrait apporter un éclairage concluant pour chacun d'entre eux28. Si le verdict rendu devait être fortement critique, la recherche de contraintes structurelles conditionnelles au respect de l'exigence d'impartialité aurait au moins eu le bénéfice de fournir des raisons rationnellement convaincantes de porter un jugement critique sur le contrôle judiciaire en matière de droits et libertés. 28. Encore faudrait-il développer davantage les quelques propositions formulées dans le présent texte. Dans leur état actuel, elles ne suffiraient pas pour tirer des conclusions définitives.