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Baobabs de Madagascar : un anachronisme de la dispersion ?

2010, BOIS & FORETS DES TROPIQUES

La dispersion des semences de baobabs malgaches, Adansonia spp., semble ne jamais avoir été étudiée de manière formelle, à ce jour. Elle relève d¿hypothèses que cette synthèse bibliographique a pour objet de réunir. Si l¿homme semble jouer un rôle important dans la dispersion d¿Adansonia digitata en Afrique, une telle hypothèse reste rarement évoquée à l¿égard des espèces malgaches. Divers auteurs privilégient l¿hypothèse d¿une dispersion anachronique, liée à la disparition de la mégafaune malgache; mais d¿autres évoquent le rôle possible de vertébrés introduits. L¿intervention de l¿oiseauéléphant, Aepyornis spp., des tortues géantes, Aldabrachelys spp., et des grands lémuriens disparus, Archaeolemur spp., ou actuels est plus particulièrement évoquée, en vis-à-vis du rôle possible d¿animaux introduits, zébus, Bos indicus, potamochères, Potamochoerus larvatus. Des expérimentations conduites ex situ sur des animaux indigènes ou introduits, dont certains se rapprochent par leur morphol...

BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4) A DA N S O N I A Baobabs de Madagascar : un anachronisme de la dispersion ? Seheno Andriantsaralaza Miguel Pedrono3 Jacques Tassin2 Roger Edmond1 Pascal Danthu2, 4 1, 2 1 Université d’Antananarivo Département de biologie et écologie végétales Antananarivo 101 Madagascar Cirad Upr B&sef Biens et services des écosystèmes forestiers tropicaux : l’enjeu du changement global Campus international de Baillarguet 34398 Montpellier Cedex 05 France 2 Cirad Upr Agir BP 8 Antananarivo Madagascar 3 Cirad Direction régionale Ampandrianomby BP 853 Antananarivo Madagascar 4 Photo 1. Le baobab produit généralement peu de fruits, mais de grande taille. La pulpe qui entoure les graines présente des qualités nutritives élevées. Sur ce cliché représentant A. rubrostipa, le faible effectif de fruits peut s’expliquer par la prédation de fruits non matures par le propithèque (Propithecus verreauxi). Photo J. Tassin. 7 8 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4) A DA N S O N I A S. Andriantsaralaza, M. Pedrono, J. Tassin, R. Edmond, P. Danthu RÉSUMÉ ABSTRACT RESUMEN BAOBABS DE MADAGASCAR : UN ANACHRONISME DE LA DISPERSION ? MADAGASCAR’S BAOBABS: TESTING THE ANACHRONISTIC SEED DISPERSION HYPOTHESIS BAOBABS DE MADAGASCAR: ¿UN ANACRONISMO DE LA DISPERSIÓN? La dispersion des semences de baobabs malgaches, Adansonia spp., semble ne jamais avoir été étudiée de manière formelle, à ce jour. Elle relève d’hypothèses que cette synthèse bibliographique a pour objet de réunir. Si l’homme semble jouer un rôle important dans la dispersion d’Adansonia digitata en Afrique, une telle hypothèse reste rarement évoquée à l’égard des espèces malgaches. Divers auteurs privilégient l’hypothèse d’une dispersion anachronique, liée à la disparition de la mégafaune malgache ; mais d’autres évoquent le rôle possible de vertébrés introduits. L’intervention de l’oiseauéléphant, Aepyornis spp., des tortues géantes, Aldabrachelys spp., et des grands lémuriens disparus, Archaeolemur spp., ou actuels est plus particulièrement évoquée, en vis-à-vis du rôle possible d’animaux introduits, zébus, Bos indicus, potamochères, Potamochoerus larvatus. Des expérimentations conduites ex situ sur des animaux indigènes ou introduits, dont certains se rapprochent par leur morphologie ou leur phylogenèse de vertébrés éteints, pourraient éclaircir cette énigme de la dispersion chez les baobabs de Madagascar. Seed dispersion from Madagascar’s baobabs, Adansonia spp., never seems to have been formally studied to date. Assumptions exist, which we have set out in this summary of the bibliography. While humans seem to have an important role in Adansonia digitata seed dispersion in Africa, this assumption is rarely mentioned for the Malagasy species. Several authors have put forward a hypothesis of anachronistic seed dispersion since Madagascar’s megafauna became extinct; others suggest that introduced vertebrates may be involved. The possible role of elephantbirds, Aepyornis spp., giant tortoises, Aldabrachelys spp., and giant lemurs, extinct or not, is mentioned in particular, as against that of introduced animals such as the zebu, Bos indicus, or bush pigs, Potamochoerus larvatus. Ex situ experiments with indigenous or introduced species, some of which have a morphology or phylogenesis similar to that of extinct vertebrates, could shed light on the puzzle of baobab seed dispersion in Madagascar. A día de hoy, la dispersión de semillas de baobabs malgaches, Adansonia spp., no parece que se haya estudiado nunca de manera formal. Esta síntesis bibliográfica intenta reunir todas las hipótesis elaboradas. Si el hombre parece desempeñar un papel importante en la dispersión de Adansonia digitata en África, esta hipótesis es raramente considerada para las especies malgaches. Algunos autores favorecen la hipótesis de una dispersión anacrónica, ligada a la desaparición de la megafauna malgache; pero otros autores aluden al posible papel desempeñado por vertebrados introducidos. Se apunta, más concretamente, a la intervención del ave elefante, Aepyornis spp., de las tortugas gigantes, Aldabrachelys spp., y de los grandes lemúridos desaparecidos, Archaeolemur spp., o actuales, frente al posible papel de los animales introducidos: cebúes, Bos indicus y potamoqueros, Potamochoerus larvatus. La realización de experimentos ex situ con animales indígenas o introducidos, algunos de los cuales están próximos por su morfología o su filogénesis de vertebrados extinguidos, podría aclarar este enigma de la dispersión de los baobabs de Madagascar. Mots-clés : Adansonia, Aepyornis, Aldabrachelys, Archaeolemur, baobab, anachronisme, dispersion, semence, frugivorie, Madagascar. Keywords: Adansonia, Aepyornis, Aldabrachelys, Archaeolemur, baobab, anachronism, dispersion, seed, frugivory, Madagascar. Palabras clave: Adansonia, Aepyornis, Aldabrachelys, Archaeolemur, baobab, anacronismo, dispersión, semilla, frugivoría, Madagascar. BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4) A DA N S O N I A Introduction L’intérêt biologique de la dispersion des semences est d’affranchir les juvéniles de la proximité des parents et des dangers qu’ils représentent (compétition pour l’accès aux ressources, attraction de prédateurs) (Connell, 1971). En forêt tropicale, cette dispersion est généralement assurée par les animaux vertébrés (Wilson, Traveset, 2000). Ces derniers sont attirés par la valeur alimentaire du mésocarpe des fruits. Ils ingèrent ainsi tout ou une partie des graines qu’ils dispersent ensuite, à la mesure des déplacements effectués pendant le transit digestif (Styles, 2000), et qu’ils préservent parfois des pathogènes et prédateurs présents autour des graines, sous l’effet des sucs digestifs (Jerozolimski et al., 2009) (photo 1). Le cortège de disperseurs potentiels est défini par la taille des fruits ou par celle des graines lorsque ces dernières sont prélevées individuellement ; celle-ci doit être inférieure à celle de l’œsophage du plus petit de ses disperseurs. Les plantes à gros fruits charnus sont dispersées sur de longues distances, du fait d’une bonne corrélation générale entre la taille et la mobilité des vertébrés. Aussi une vague d’extinction faunistique induite par un changement environnemental majeur peut-elle priver les plantes à grosses diaspores de leur potentiel de dispersion. Les traits biologiques caractéristiques de certains gros fruits peuvent dès lors s’interpréter comme la marque d’un anachronisme de la dispersion, les interactions passées entre ces plantes et leurs disperseurs n’étant plus assurées actuellement (Janzen, Martin, 1982). Parmi les espèces les plus longévives de la planète figurent les baobabs (Patrut et al., 2007). À Madagascar, l’exceptionnelle longévité des baobabs permettrait le maintien de peuplements constitués d’individus pluricentenaires, ou même millénaires, dont la dispersion n’est cependant plus assurée. Les espèces Adansonia perrieri, A. suarezensis et A. grandidieri, en danger d’extinction (Iucn, 2010), seraient dès lors en sursis. Pour autant, les processus de dispersion de leurs graines n’ont, à notre connaissance, fait l’objet d’aucune étude détaillée. Les fruits des baobabs sont de grandes baies indéhiscentes, sphériques à oblongues selon les espèces, contenant de multiples graines enfouies dans une pulpe farineuse blanche, mais aussi présentant un épicarpe (encore appelé coque) très lignifié, de texture plus ou moins résistante selon les espèces (Baum, 2003 ; Schatz, 2001). L’examen des fruits de baobabs montre que ceux-ci sont capables de flotter sur l’eau. Aussi, outre la zoochorie, la dispersion hydrochore constitue une hypothèse également évoquée dans la littérature. Des fruits entiers de certaines espèces (A. za et A. madagascariensis) contenant des graines viables ont été recueillis respectivement au large de la côte nord et sur les rives de la rivière de Kirindy, à l’Ouest de l’île (Du Puy, 1996a). La distribution des espèces A. grandidieri et A. madagascariensis est elle-même fortement conditionnée par les disponibilités en eau (Baum, 1995). Pour autant, selon Baum (1995), la dispersion par flottaison des fruits d’A. grandidieri et A. suarezensis apparaît peu compatible avec la fragilité de l’épicarpe du fruit. L’hypothèse dominante demeure l’anachronisme de la dispersion (Adam, 1962 ; Done, 1987 ; Du Puy, 1996b) lié à la disparition de grands vertébrés il y a 1 500 à 2 000 ans (Burney et al., 2004) (photo 2), mais la possibilité d’un relais assuré par des animaux introduits par l’homme paraît tout aussi recevable (Wickens, Lowe, 2008) (photo 3). Dans quelle mesure cet anachronisme de la dispersion et le rôle récent des disperseurs introduits se manifestent-ils conjointement chez les baobabs malgaches ? Telle est la question centrale de cet article. Photo 2. Peuplement de Adansonia grandidieri sur le site de la fameuse allée des baobabs à Morondava : quel vertébré a-t-il concouru à assurer sa présence ? Photo J. Tassin. 9 10 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4) A DA N S O N I A Faune indigène pressentie Oiseaux-éléphants : Aepyornis spp. La famille des Aepyornithideae, propre à Madagascar, comprend au moins quatre espèces aujourd’hui toutes éteintes (Aepyornis gracilis, A. hildebrandti, A. maximus, A. medius) qui pourraient avoir notamment assuré la dispersion de palmiers (Dransfield, Beentje, 1995). Ces oiseaux, qui figurent parmi les plus massifs ayant jamais existé, auraient disparu autour de l’an 1000, peut-être plus tard, au milieu du XVII e siècle si l’on se réfère au témoignage d’Étienne de Flacourt (De Flacourt, 1995) et possiblement sous l’effet de l’aridification du climat dans le Sud-Ouest malgache, il y a 2 000 ou 3 000 ans. Selon Mahé et Sourdat (1972), le changement du climat a entraîné un dessèchement progressif et l’établissement d’un régime subdésertique dans l’extrême Sud, avec pour conséquence directe l’extinction de nombreux grands vertébrés malgaches. Des débris d’œufs et des ossements d’A. maximus ont été trouvés dans des sites archéologiques du Sud-Ouest de Madagascar (Mahé, Sourdat, 1972 ; Rakotozafy, Goodman, 2005). A. maximus, la plus grande de ces espèces, disposait d’un bec puissant lui permettant vraisemblablement de briser les cabosses de baobabs, malgré des réserves émises à ce sujet (Mahé, 1972 ; Feduccia, 1996). Cet oiseau, dont la taille dépassait 3 mètres (m) de haut et le poids atteignait 450 kilogrammes (kg), avait une aire de répartition qui recouvre au moins partiellement celle de plusieurs espèces de baobabs. Celle-ci s’étendait des forêts sèches décidues occidentales aux fourrés arides et épineux du Sud-Ouest (Clarke et al., 2006 ; Yoder, Nowak, 2006). Photo 3. Le rôle des lémuriens actuels ou disparus dans la dispersion des baobabs malgaches reste énigmatique (cliché : Propithecus verreauxii). Photo J. Tassin. Tortues géantes : Aldabrachelys spp. Les tortues géantes de la famille des Testunidae regroupent deux genres, Cylindrapsis et Aldabrachelys (anciennement appelé Geochelone) (Arnold, 1979). L’intervention de ces grands reptiles dans la dispersion reste peu explorée. Des études récentes effectuées dans les forêts amazoniennes ont néanmoins démontré le rôle potentiel des tortues dans la dispersion des graines dont la distance peut atteindre plus de 250 m (Jerozolimski et al., 2009). En outre, aux Seychelles, des graines viables de 28 espèces végétales ont été retrouvées dans les fèces d’Aldabrachelys gigantea (Hnatiuk, 1978). À Madagascar, deux espèces du genre Aldabrachelys ont été recensées : A. grandidieri et A. abrupta (Arnold, 1979). A. grandidieri, disparue vers le début du XXe siècle (Rakotozafy, Goodman, 2005), était répartie du Nord au Sud-Ouest de Madagascar. Sa distribution recouvre donc au moins en partie celle des baobabs. Grands lémuriens disparus : Archaeolemur spp. Les deux espèces subfossiles du genre Archaeolemur (A. edwardsi et A. majori) sont également pressenties pour avoir figuré parmi les disperseurs des baobabs malgaches (Baum, 1995). Ce genre, éteint entre les XIe et XIIIe siècles, constitue l’un des derniers survivants des lémuriens subfossiles malgaches (Mittermeier et al., 1994 ; Burney et al., 2004). Des ossements d’Archaeolemur sp. ont été trouvés dans des dépôts holocènes dispersés sur l’ensemble de l’île (Jungers et al., 2005), et en particulier au Sud-Ouest (Jernvall et al., 2003). Sa taille, ses caractéristiques postcrâniennes et ses adaptations locomotrices présentaient des similitudes avec celles des babouins (Papio papio) (Jungers et al., 2005), considérés eux-mêmes comme les disperseurs d’Adansonia digitata en Afrique (Lieberman et al., 1979). Les espèces du genre Archaeolemur avaient une adaptation maxillaire leur permettant de mastiquer des fruits que ne pouvaient consommer les autres espèces de lémuriens. En outre, la dentition du genre Archaeolemur suggère qu’ils se nourrissaient d’aliments nécessitant des incisives élargies, tels les fruits à épicarpe coriace des baobabs (Jernvall et al., 2003). Lémuriens actuels Les primates frugivores figurent parmi les principaux groupes de vertébrés disperseurs des plantes tropicales (Norconk, Conklin-Brittain, 2004 ; Ratiarison, Forget, 2005 ; Russo et al., 2005). Les forêts tropicales sèches de l’Ouest de Madagascar présentent elles-mêmes l’une des plus fortes densités de primates au monde (Ganzhorn, Kappeler, 1996). Les lémuriens y assurent dès lors un rôle prépondérant dans la dispersion des graines des angiospermes (Ganzhorn et al., 1999 ; Dausmann et al., 2008). BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4) A DA N S O N I A Autres consommateurs Photo 4. Fruit de baobab sur le sol (forêt de Kirindy) montrant l’intervention d’un animal qui en a ouvert l’épicarpe : un rat endémique de cette zone (Hypogeomus antimena) en serait-il l’auteur ? Photo J. Tassin. Pour Wickens et Lowe (2008), le rôle effectif de certains lémuriens (Phaner furcifer, Eulemur coronatus, Propithecus verreauxi) dans la dispersion des baobabs reste douteux. Des graines intactes de différentes espèces forestières ont certes été trouvées dans des échantillons fécaux du lémurien brun (Eulemur fulvus), mais aucune ne se rattachait au genre Adansonia. Ce lémurien apparaissant a priori incapable de casser les épicarpes des fruits (Wickens, Lowe, 2008). Le rôle des lémuriens dans la prédation des graines et des fruits est en revanche assez bien renseigné. Le lémurien à fourche de la Montagne d’Ambre (Phaner furcifer electomontis), à l’extrême Nord de l’île, se nourrit de fruits d’A. suarezensis (Baum, 1995 ; Du Puy, 1996b). Le lémurien couronné (Eulemur coronatus), dont la distribution est limitée au Nord de l’île, consomme les graines d’A. suarezensis (Wickens, Lowe, 2008). Le lémurien à queue rousse (Lepilemur ruficaudatus), rencontré dans les forêts sèches de l’Ouest (Mittermeier et al., 2006), consomme des fruits immatures d’A. rubrostipa (Ganzhorn, Kappeler, 1996). Le lémurien brun (Eulemur fulvus), rencontré à l’Ouest, au Nord de la rivière Betsiboka (Mittermeier et al., 2006), se nourrit quant à lui de fruits immatures d’A. rubrostipa et de fruits matures d’A. za (Ganzhorn, Kappeler, 1996). Enfin, Propithecus verreauxi, (photo 3), qui fréquente les régions forestières de la rivière Tsiribihina à l’Ouest et aux environs de Tolagnaro dans le Sud-Est, se nourrit de fruits immatures de nombreuses espèces forestières, y compris ceux d’A. rubrostipa (Du Puy, 1996a) et A. za (Ganzhorn, Kappeler, 1996). Les perroquets (Coracopsis nigra) consomment les fruits et les graines d’A. rubrostipa (Langrand, 1990). Les termites, mais aussi les insectes, notamment au sein de la famille des Pyrrhocoridae (ex. : Dysdercus flavidus), se nourrissent vraisemblablement de la pulpe sèche des fruits matures tombés au sol d’A. za et A. rubrostipa dans les forêts de Kirindy (Du Puy, 1996a). Le rat géant endémique de la région de Kirindy (Hypogeomys antimena) est le principal prédateur connu des fruits d’A. rubrostipa (Du Puy, 1996a). Sa distribution limitée dans les forêts décidues de Kirindy couvre celle d’A. rubrostipa (Cook et al., 1991). Ce rat est attiré par la pulpe et les graines de cette dernière espèce. Ses dents tranchantes et étroites lui permettent probablement de briser l’épicarpe des fruits de baobabs (photo 4) (Du Puy, 1996a). Son rôle éventuel comme disperseur secondaire reste à ce jour non précisé. Disperseurs introduits potentiels Rôle possible de l’homme La structuration spatiale des individus au sein d’un peuplement, et notamment son niveau d’agrégation, rend compte du type de dispersion en jeu (Howe, Miriti, 2004). En Afrique, des études récentes ont montré que les jeunes individus de baobabs étaient spatialement agrégés dans les villages et les champs (Venter, Witkowski, 2010). Au Sud-Ouest du Mali, le recrutement de jeunes individus d’A. digitata est plus élevé dans les villages et les champs que sur les falaises, suggérant un rôle direct de l’homme dans la dispersion de cet arbre (Duvall, 2007). Au Sud-Est du même pays, les juvéniles de baobabs sont plus abondants dans les villages, les champs et les jachères (Dhillion, Gustad, 2004). En Afrique, la population locale consomme la pulpe sucrée entourant les graines et disperse ces dernières aux alentours des villages (Baum, 1995 ; Dhillion, Gustad, 2004) (photo 5). Une replantation directe à partir de sauvageons constitue en outre une pratique commune (Sidibe, Williams, 2002). Par ailleurs, l’utilisation médicinale ou alimentaire de la pulpe conduit à bouillir les graines, levant ainsi leur dormance tégumentaire des graines (Diop et al., 2005 ; Razanameharizaka et al., 2006). 11 12 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4) A DA N S O N I A À Madagascar, où la situation n’est certes pas tout à fait similaire puisque le baobab y est un arbre forestier alors qu’il peuple les savanes en Afrique, une telle pratique de l’homme n’a pas été décrite, mais ne semble pas devoir être écartée. Les fruits d’A. grandidieri sont les plus appréciés des populations locales (photo 6). Leur pulpe a un goût sucré et acidulé tandis que celle des autres espèces présente une saveur franchement acide et insipide (Baum, 1995 ; Du Puy, 1996a). De plus, les fruits matures d’A. grandidieri se brisent facilement en raison de la fragilité de leur épicarpe (Rey, 1912). La pulpe, riche en acide ascorbique ou vitamine C (Carr, 1955), est consommée crue, trempée dans de l’eau ou cuite (Du Puy, 1996a). Dans la région de Morondava, les graines sont récupérées et utilisées pour en extraire une huile alimentaire (Rey, 1912). Vertébrés introduits Photo 5. La présence de baobabs autour de villages malgaches doit-elle s’interpréter comme une intervention des hommes dans la dispersion de ces arbres ? Photo J. Tassin. Les animaux d’élevage revêtent un rôle majeur dans la dispersion des graines au sein des espaces anthropisés (Bruun, Fritzboger, 2002). Dans l’Ouest malgache, l’élevage extensif occupe une place prépondérante. À Morondava, dans le village de Tandila, la régénération des individus d’A. rubrostipa apparaît singulièrement élevée (Razanameharizaka, 2009), contrairement aux observations communément réalisées au sein des milieux anthropisés (Baum, 1996). On peut émettre l’hypothèse que les zébus, qui consomment les fruits des baobabs, assurent la dispersion des graines (Razanameharizaka, communication personnelle) (photo 7). Le potamochère (Potamochoerus larvatus) est considéré comme une espèce introduite à Madagascar depuis à peu près 2 000 ans (Garbutt, 1999 ; Vercamenn et al., 1993). Il se nourrit principalement de fruits, baies, racines et tubercules (Perrier De La Bâthie, 1924) (photo 8). Des observations ont montré qu’il consomme les fruits d’A. grandidieri (Wickens, Lowe, 2008). Le rôle éventuel des potamochères dans la dispersion des graines de baobabs est longtemps resté incertain (Perrier De La Bâthie, 1924 ; Du Puy, 1996a ; Goodman et al., 2003). Cependant, des graines d’Adansonia za ont été trouvées récemment dans les fèces de potamochères récoltées au Sud-Ouest de la région d’Ivohibe (Rakotobe, communication personnelle). Conclusion Photo 6. La consommation alimentaire de fruits de baobabs (ici vendus sur un marché villageois dans la région de Morondava) par les populations locales pourrait concourir à assurer leur dispersion. Photo J. Tassin. Il est frappant d’observer combien les éléments de littérature relatifs à la dispersion des baobabs malgaches restent spéculatifs dans leur grande majorité. Des expérimentations simples demeurent à conduire pour tester le rôle possible des vertébrés indigènes ou exotiques dans la dispersion des graines de baobabs malgaches. Ces expérimentations sont à réaliser sur des animaux maintenus en captivité se rapprochant par leur morphologie d’espèces disparues (autruches et tortues géantes), mais aussi sur des vertébrés introduits (zébus, chèvres, potamochères). Des essais en milieux contrôlés peuvent également être envisagés pour l’étude de la prédation des plantules de baobabs. Enfin, des observations de terrain validant l’intervention de disperseurs animaux restent à entreprendre. BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4) A DA N S O N I A Photo 7. Les zébus assurent-ils aujourd’hui une partie de la dispersion des baobabs malgaches ? Photo J. Tassin. Clarifier les processus de dispersion des baobabs et identifier les disperseurs vertébrés en jeu constitue en effet un préalable indispensable à tout plan de conservation de ces arbres singuliers dont l’intérêt biologique et patrimonial se révèle exceptionnel. Remerciements Cette étude est réalisée dans le cadre du projet « BaMaCo ». Les auteurs remercient Ferran Jori et Miarantsoa Rakotobe pour les informations qu’ils leur ont fournies. Le manuscrit a bénéficié de commentaires très détaillés fournis par plusieurs relecteurs anonymes. Photo 8. Le potamochère (Potamochoerus larvatus), introduit et naturalisé à Madagascar, est l’un des disperseurs actuels pressentis pour plusieurs espèces de baobabs. Photo J. Tassin. 13 14 BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4) A DA N S O N I A Références bibliographiques ADAM J. G., 1962. Le baobab (Adansonia digitata). Notes Africaines, 94 : 33-44. ARNOLD E. N., 1979. Indian ocean giant tortoises: their systematics and island adaptations. Philosophical Transactions of Royal Society London, Biological, 286: 127-145. DIOP A. G., SAKHO M., DORNIER M., CISSE M., REYNES M., 2005. Le baobab africain (Adansonia digitata L.) : principales caractéristiques et utilisations. Fruits, 61: 55-69. DONE C., 1987. Wallaby scats solve mystery. Conservation and Land Management News, 3 (23): 1-15. BAUM D. A., 1995. A systematic revision of Adansonia (Bombacaceae). Annals of the Missouri Botanical Garden, 82: 440-470. DRANSFIELD J., BEENTJE H., 1995. The palms of Madagascar. Royal Botanical Garden, Kew and The International Palm Society. Kew, Royaume-Uni, Hsmo Norwich print services, 175 p. BAUM D. A., 1996. The ecology and conservation of the baobabs of Madagascar. 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