BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4)
A DA N S O N I A
Baobabs de Madagascar :
un anachronisme
de la dispersion ?
Seheno Andriantsaralaza
Miguel Pedrono3
Jacques Tassin2
Roger Edmond1
Pascal Danthu2, 4
1, 2
1
Université d’Antananarivo
Département de biologie
et écologie végétales
Antananarivo 101
Madagascar
Cirad
Upr B&sef
Biens et services des écosystèmes
forestiers tropicaux :
l’enjeu du changement global
Campus international de Baillarguet
34398 Montpellier Cedex 05
France
2
Cirad
Upr Agir
BP 8
Antananarivo
Madagascar
3
Cirad
Direction régionale
Ampandrianomby
BP 853
Antananarivo
Madagascar
4
Photo 1.
Le baobab produit généralement peu de fruits, mais de grande taille. La pulpe qui entoure les graines
présente des qualités nutritives élevées. Sur ce cliché représentant A. rubrostipa, le faible effectif de fruits
peut s’expliquer par la prédation de fruits non matures par le propithèque (Propithecus verreauxi).
Photo J. Tassin.
7
8
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A DA N S O N I A
S. Andriantsaralaza, M. Pedrono,
J. Tassin, R. Edmond, P. Danthu
RÉSUMÉ
ABSTRACT
RESUMEN
BAOBABS DE MADAGASCAR :
UN ANACHRONISME DE LA DISPERSION ?
MADAGASCAR’S BAOBABS:
TESTING THE ANACHRONISTIC SEED
DISPERSION HYPOTHESIS
BAOBABS DE MADAGASCAR:
¿UN ANACRONISMO DE LA DISPERSIÓN?
La dispersion des semences de baobabs
malgaches, Adansonia spp., semble ne
jamais avoir été étudiée de manière
formelle, à ce jour. Elle relève d’hypothèses
que cette synthèse bibliographique a pour
objet de réunir. Si l’homme semble jouer
un rôle important dans la dispersion
d’Adansonia digitata en Afrique, une telle
hypothèse reste rarement évoquée à l’égard des espèces malgaches. Divers
auteurs privilégient l’hypothèse d’une dispersion anachronique, liée à la disparition
de la mégafaune malgache ; mais d’autres
évoquent le rôle possible de vertébrés
introduits. L’intervention de l’oiseauéléphant, Aepyornis spp., des tortues
géantes, Aldabrachelys spp., et des grands
lémuriens disparus, Archaeolemur spp., ou
actuels est plus particulièrement évoquée,
en vis-à-vis du rôle possible d’animaux
introduits, zébus, Bos indicus, potamochères, Potamochoerus larvatus. Des
expérimentations conduites ex situ sur des
animaux indigènes ou introduits, dont certains se rapprochent par leur morphologie
ou leur phylogenèse de vertébrés éteints,
pourraient éclaircir cette énigme de la dispersion chez les baobabs de Madagascar.
Seed dispersion from Madagascar’s baobabs, Adansonia spp., never seems to have
been formally studied to date. Assumptions
exist, which we have set out in this summary of the bibliography. While humans
seem to have an important role in Adansonia digitata seed dispersion in Africa,
this assumption is rarely mentioned for
the Malagasy species. Several authors
have put forward a hypothesis of anachronistic seed dispersion since Madagascar’s
megafauna became extinct; others suggest
that introduced vertebrates may be involved. The possible role of elephantbirds, Aepyornis spp., giant tortoises,
Aldabrachelys spp., and giant lemurs, extinct or not, is mentioned in particular, as
against that of introduced animals such
as the zebu, Bos indicus, or bush pigs,
Potamochoerus larvatus. Ex situ experiments with indigenous or introduced
species, some of which have a morphology
or phylogenesis similar to that of extinct
vertebrates, could shed light on the puzzle
of baobab seed dispersion in Madagascar.
A día de hoy, la dispersión de semillas de
baobabs malgaches, Adansonia spp., no
parece que se haya estudiado nunca de
manera formal. Esta síntesis bibliográfica
intenta reunir todas las hipótesis elaboradas. Si el hombre parece desempeñar
un papel importante en la dispersión de
Adansonia digitata en África, esta hipótesis
es raramente considerada para las especies
malgaches. Algunos autores favorecen la
hipótesis de una dispersión anacrónica,
ligada a la desaparición de la megafauna
malgache; pero otros autores aluden al
posible papel desempeñado por vertebrados introducidos. Se apunta, más concretamente, a la intervención del ave elefante, Aepyornis spp., de las tortugas gigantes, Aldabrachelys spp., y de los grandes lemúridos desaparecidos, Archaeolemur spp., o actuales, frente al posible
papel de los animales introducidos: cebúes, Bos indicus y potamoqueros, Potamochoerus larvatus. La realización de experimentos ex situ con animales indígenas
o introducidos, algunos de los cuales
están próximos por su morfología o su filogénesis de vertebrados extinguidos, podría aclarar este enigma de la dispersión
de los baobabs de Madagascar.
Mots-clés : Adansonia, Aepyornis,
Aldabrachelys, Archaeolemur, baobab,
anachronisme, dispersion, semence,
frugivorie, Madagascar.
Keywords: Adansonia, Aepyornis,
Aldabrachelys, Archaeolemur, baobab,
anachronism, dispersion, seed, frugivory,
Madagascar.
Palabras clave: Adansonia, Aepyornis, Aldabrachelys, Archaeolemur, baobab, anacronismo, dispersión, semilla, frugivoría,
Madagascar.
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4)
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Introduction
L’intérêt biologique de la dispersion des semences est
d’affranchir les juvéniles de la proximité des parents et des
dangers qu’ils représentent (compétition pour l’accès aux ressources, attraction de prédateurs) (Connell, 1971). En forêt
tropicale, cette dispersion est généralement assurée par les
animaux vertébrés (Wilson, Traveset, 2000). Ces derniers
sont attirés par la valeur alimentaire du mésocarpe des fruits.
Ils ingèrent ainsi tout ou une partie des graines qu’ils dispersent ensuite, à la mesure des déplacements effectués pendant le transit digestif (Styles, 2000), et qu’ils préservent parfois des pathogènes et prédateurs présents autour des
graines, sous l’effet des sucs digestifs (Jerozolimski et al.,
2009) (photo 1). Le cortège de disperseurs potentiels est
défini par la taille des fruits ou par celle des graines lorsque
ces dernières sont prélevées individuellement ; celle-ci doit
être inférieure à celle de l’œsophage du plus petit de ses disperseurs. Les plantes à gros fruits charnus sont dispersées sur
de longues distances, du fait d’une bonne corrélation
générale entre la taille et la mobilité des vertébrés.
Aussi une vague d’extinction faunistique induite par
un changement environnemental majeur peut-elle priver les
plantes à grosses diaspores de leur potentiel de dispersion.
Les traits biologiques caractéristiques de certains gros fruits
peuvent dès lors s’interpréter comme la marque d’un anachronisme de la dispersion, les interactions passées entre ces plantes
et leurs disperseurs n’étant plus
assurées actuellement (Janzen,
Martin, 1982).
Parmi les espèces les plus longévives de la planète figurent les
baobabs (Patrut et al., 2007).
À Madagascar, l’exceptionnelle longévité des baobabs permettrait le
maintien de peuplements constitués d’individus pluricentenaires,
ou même millénaires, dont la dispersion n’est cependant plus assurée. Les espèces Adansonia perrieri,
A. suarezensis et A. grandidieri, en
danger d’extinction (Iucn, 2010),
seraient dès lors en sursis. Pour
autant, les processus de dispersion
de leurs graines n’ont, à notre
connaissance, fait l’objet d’aucune
étude détaillée.
Les fruits des baobabs sont
de grandes baies indéhiscentes,
sphériques à oblongues selon les
espèces, contenant de multiples
graines enfouies dans une pulpe
farineuse blanche, mais aussi présentant un épicarpe (encore appelé
coque) très lignifié, de texture plus
ou moins résistante selon les
espèces (Baum, 2003 ; Schatz, 2001). L’examen des fruits
de baobabs montre que ceux-ci sont capables de flotter sur
l’eau. Aussi, outre la zoochorie, la dispersion hydrochore
constitue une hypothèse également évoquée dans la littérature. Des fruits entiers de certaines espèces (A. za et
A. madagascariensis) contenant des graines viables ont été
recueillis respectivement au large de la côte nord et sur les
rives de la rivière de Kirindy, à l’Ouest de l’île (Du Puy,
1996a). La distribution des espèces A. grandidieri et
A. madagascariensis est elle-même fortement conditionnée
par les disponibilités en eau (Baum, 1995). Pour autant,
selon Baum (1995), la dispersion par flottaison des fruits
d’A. grandidieri et A. suarezensis apparaît peu compatible
avec la fragilité de l’épicarpe du fruit.
L’hypothèse dominante demeure l’anachronisme de la
dispersion (Adam, 1962 ; Done, 1987 ; Du Puy, 1996b) lié
à la disparition de grands vertébrés il y a 1 500 à 2 000 ans
(Burney et al., 2004) (photo 2), mais la possibilité d’un
relais assuré par des animaux introduits par l’homme paraît
tout aussi recevable (Wickens, Lowe, 2008) (photo 3). Dans
quelle mesure cet anachronisme de la dispersion et le rôle
récent des disperseurs introduits se manifestent-ils conjointement chez les baobabs malgaches ? Telle est la question
centrale de cet article.
Photo 2.
Peuplement de Adansonia grandidieri sur le site de
la fameuse allée des baobabs à Morondava : quel vertébré
a-t-il concouru à assurer sa présence ?
Photo J. Tassin.
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Faune indigène pressentie
Oiseaux-éléphants : Aepyornis spp.
La famille des Aepyornithideae, propre à Madagascar,
comprend au moins quatre espèces aujourd’hui toutes
éteintes (Aepyornis gracilis, A. hildebrandti, A. maximus,
A. medius) qui pourraient avoir notamment assuré la dispersion de palmiers (Dransfield, Beentje, 1995). Ces oiseaux,
qui figurent parmi les plus massifs ayant jamais existé,
auraient disparu autour de l’an 1000, peut-être plus tard, au
milieu du XVII e siècle si l’on se réfère au témoignage
d’Étienne de Flacourt (De Flacourt, 1995) et possiblement
sous l’effet de l’aridification du climat dans le Sud-Ouest malgache, il y a 2 000 ou 3 000 ans. Selon Mahé et Sourdat
(1972), le changement du climat a entraîné un dessèchement
progressif et l’établissement d’un régime subdésertique dans
l’extrême Sud, avec pour conséquence directe l’extinction de
nombreux grands vertébrés malgaches. Des débris d’œufs et
des ossements d’A. maximus ont été trouvés dans des sites
archéologiques du Sud-Ouest de Madagascar (Mahé,
Sourdat, 1972 ; Rakotozafy, Goodman, 2005).
A. maximus, la plus grande de ces espèces, disposait
d’un bec puissant lui permettant vraisemblablement de
briser les cabosses de baobabs, malgré des réserves
émises à ce sujet (Mahé, 1972 ; Feduccia, 1996). Cet
oiseau, dont la taille dépassait 3 mètres (m) de haut et le
poids atteignait 450 kilogrammes (kg), avait une aire de
répartition qui recouvre au moins partiellement celle de
plusieurs espèces de baobabs. Celle-ci s’étendait des forêts
sèches décidues occidentales aux fourrés arides et épineux
du Sud-Ouest (Clarke et al., 2006 ; Yoder, Nowak, 2006).
Photo 3.
Le rôle des lémuriens actuels ou disparus dans la dispersion
des baobabs malgaches reste énigmatique (cliché :
Propithecus verreauxii).
Photo J. Tassin.
Tortues géantes : Aldabrachelys spp.
Les tortues géantes de la famille des Testunidae
regroupent deux genres, Cylindrapsis et Aldabrachelys (anciennement appelé Geochelone) (Arnold, 1979). L’intervention de
ces grands reptiles dans la dispersion reste peu explorée. Des
études récentes effectuées dans les forêts amazoniennes ont
néanmoins démontré le rôle potentiel des tortues dans la dispersion des graines dont la distance peut atteindre plus de
250 m (Jerozolimski et al., 2009). En outre, aux Seychelles,
des graines viables de 28 espèces végétales ont été retrouvées
dans les fèces d’Aldabrachelys gigantea (Hnatiuk, 1978).
À Madagascar, deux espèces du genre Aldabrachelys
ont été recensées : A. grandidieri et A. abrupta (Arnold,
1979). A. grandidieri, disparue vers le début du XXe siècle
(Rakotozafy, Goodman, 2005), était répartie du Nord au
Sud-Ouest de Madagascar. Sa distribution recouvre donc au
moins en partie celle des baobabs.
Grands lémuriens disparus : Archaeolemur spp.
Les deux espèces subfossiles du genre Archaeolemur (A.
edwardsi et A. majori) sont également pressenties pour avoir
figuré parmi les disperseurs des baobabs malgaches (Baum,
1995). Ce genre, éteint entre les XIe et XIIIe siècles, constitue
l’un des derniers survivants des lémuriens subfossiles malgaches (Mittermeier et al., 1994 ; Burney et al., 2004).
Des ossements d’Archaeolemur sp. ont été trouvés dans
des dépôts holocènes dispersés sur l’ensemble de l’île
(Jungers et al., 2005), et en particulier au Sud-Ouest
(Jernvall et al., 2003). Sa taille, ses caractéristiques postcrâniennes et ses adaptations locomotrices présentaient des
similitudes avec celles des babouins (Papio papio) (Jungers
et al., 2005), considérés eux-mêmes comme les disperseurs
d’Adansonia digitata en Afrique (Lieberman et al., 1979). Les
espèces du genre Archaeolemur avaient une adaptation
maxillaire leur permettant de mastiquer des fruits que ne pouvaient consommer les autres espèces de lémuriens. En outre,
la dentition du genre Archaeolemur suggère qu’ils se nourrissaient d’aliments nécessitant des incisives élargies, tels les
fruits à épicarpe coriace des baobabs (Jernvall et al., 2003).
Lémuriens actuels
Les primates frugivores figurent parmi les principaux
groupes de vertébrés disperseurs des plantes tropicales
(Norconk, Conklin-Brittain, 2004 ; Ratiarison, Forget,
2005 ; Russo et al., 2005). Les forêts tropicales sèches de
l’Ouest de Madagascar présentent elles-mêmes l’une des
plus fortes densités de primates au monde (Ganzhorn,
Kappeler, 1996). Les lémuriens y assurent dès lors un rôle
prépondérant dans la dispersion des graines des angiospermes (Ganzhorn et al., 1999 ; Dausmann et al., 2008).
BOIS ET FORÊTS DES TROPIQUES, 2010, N° 306 (4)
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Autres consommateurs
Photo 4.
Fruit de baobab sur le sol (forêt de Kirindy) montrant
l’intervention d’un animal qui en a ouvert l’épicarpe :
un rat endémique de cette zone (Hypogeomus antimena)
en serait-il l’auteur ?
Photo J. Tassin.
Pour Wickens et Lowe (2008), le rôle effectif de certains lémuriens (Phaner furcifer, Eulemur coronatus,
Propithecus verreauxi) dans la dispersion des baobabs
reste douteux. Des graines intactes de différentes espèces
forestières ont certes été trouvées dans des échantillons
fécaux du lémurien brun (Eulemur fulvus), mais aucune ne
se rattachait au genre Adansonia. Ce lémurien apparaissant
a priori incapable de casser les épicarpes des fruits
(Wickens, Lowe, 2008). Le rôle des lémuriens dans la prédation des graines et des fruits est en revanche assez bien
renseigné. Le lémurien à fourche de la Montagne d’Ambre
(Phaner furcifer electomontis), à l’extrême Nord de l’île, se
nourrit de fruits d’A. suarezensis (Baum, 1995 ; Du Puy,
1996b). Le lémurien couronné (Eulemur coronatus), dont la
distribution est limitée au Nord de l’île, consomme les
graines d’A. suarezensis (Wickens, Lowe, 2008). Le lémurien à queue rousse (Lepilemur ruficaudatus), rencontré
dans les forêts sèches de l’Ouest (Mittermeier et al.,
2006), consomme des fruits immatures d’A. rubrostipa
(Ganzhorn, Kappeler, 1996). Le lémurien brun (Eulemur
fulvus), rencontré à l’Ouest, au Nord de la rivière Betsiboka
(Mittermeier et al., 2006), se nourrit quant à lui de fruits
immatures d’A. rubrostipa et de fruits matures d’A. za
(Ganzhorn, Kappeler, 1996). Enfin, Propithecus verreauxi,
(photo 3), qui fréquente les régions forestières de la rivière
Tsiribihina à l’Ouest et aux environs de Tolagnaro dans le
Sud-Est, se nourrit de fruits immatures de nombreuses
espèces forestières, y compris ceux d’A. rubrostipa (Du Puy,
1996a) et A. za (Ganzhorn, Kappeler, 1996).
Les perroquets (Coracopsis
nigra) consomment les fruits et les
graines d’A. rubrostipa (Langrand,
1990). Les termites, mais aussi les
insectes, notamment au sein de la
famille des Pyrrhocoridae (ex. :
Dysdercus flavidus), se nourrissent
vraisemblablement de la pulpe
sèche des fruits matures tombés au
sol d’A. za et A. rubrostipa dans les
forêts de Kirindy (Du Puy, 1996a).
Le rat géant endémique de la région
de Kirindy (Hypogeomys antimena)
est le principal prédateur connu
des fruits d’A. rubrostipa (Du Puy,
1996a). Sa distribution limitée
dans les forêts décidues de Kirindy
couvre celle d’A. rubrostipa (Cook
et al., 1991). Ce rat est attiré par la
pulpe et les graines de cette
dernière espèce. Ses dents tranchantes et étroites lui permettent
probablement de briser l’épicarpe
des fruits de baobabs (photo 4) (Du
Puy, 1996a). Son rôle éventuel
comme disperseur secondaire reste
à ce jour non précisé.
Disperseurs introduits potentiels
Rôle possible de l’homme
La structuration spatiale des individus au sein d’un
peuplement, et notamment son niveau d’agrégation, rend
compte du type de dispersion en jeu (Howe, Miriti, 2004).
En Afrique, des études récentes ont montré que les jeunes
individus de baobabs étaient spatialement agrégés dans
les villages et les champs (Venter, Witkowski, 2010). Au
Sud-Ouest du Mali, le recrutement de jeunes individus d’A.
digitata est plus élevé dans les villages et les champs que
sur les falaises, suggérant un rôle direct de l’homme dans la
dispersion de cet arbre (Duvall, 2007). Au Sud-Est du
même pays, les juvéniles de baobabs sont plus abondants
dans les villages, les champs et les jachères (Dhillion,
Gustad, 2004).
En Afrique, la population locale consomme la pulpe
sucrée entourant les graines et disperse ces dernières aux
alentours des villages (Baum, 1995 ; Dhillion, Gustad,
2004) (photo 5). Une replantation directe à partir de
sauvageons constitue en outre une pratique commune
(Sidibe, Williams, 2002). Par ailleurs, l’utilisation médicinale ou alimentaire de la pulpe conduit à bouillir les graines,
levant ainsi leur dormance tégumentaire des graines (Diop
et al., 2005 ; Razanameharizaka et al., 2006).
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À Madagascar, où la situation n’est certes pas tout à fait
similaire puisque le baobab y est un arbre forestier alors qu’il
peuple les savanes en Afrique, une telle pratique de l’homme
n’a pas été décrite, mais ne semble pas devoir être écartée. Les
fruits d’A. grandidieri sont les plus appréciés des populations
locales (photo 6). Leur pulpe a un goût sucré et acidulé tandis
que celle des autres espèces présente une saveur franchement
acide et insipide (Baum, 1995 ; Du Puy, 1996a). De plus, les
fruits matures d’A. grandidieri se brisent facilement en raison
de la fragilité de leur épicarpe (Rey, 1912). La pulpe, riche en
acide ascorbique ou vitamine C (Carr, 1955), est consommée
crue, trempée dans de l’eau ou cuite (Du Puy, 1996a). Dans la
région de Morondava, les graines sont récupérées et utilisées
pour en extraire une huile alimentaire (Rey, 1912).
Vertébrés introduits
Photo 5.
La présence de baobabs autour de villages malgaches
doit-elle s’interpréter comme une intervention
des hommes dans la dispersion de ces arbres ?
Photo J. Tassin.
Les animaux d’élevage revêtent un rôle majeur dans la
dispersion des graines au sein des espaces anthropisés
(Bruun, Fritzboger, 2002). Dans l’Ouest malgache, l’élevage
extensif occupe une place prépondérante. À Morondava, dans
le village de Tandila, la régénération des individus d’A. rubrostipa apparaît singulièrement élevée (Razanameharizaka,
2009), contrairement aux observations communément réalisées au sein des milieux anthropisés (Baum, 1996). On peut
émettre l’hypothèse que les zébus, qui consomment les fruits
des baobabs, assurent la dispersion des graines
(Razanameharizaka, communication personnelle) (photo 7).
Le potamochère (Potamochoerus larvatus) est considéré comme une espèce introduite à Madagascar depuis à
peu près 2 000 ans (Garbutt, 1999 ; Vercamenn et al.,
1993). Il se nourrit principalement de fruits, baies, racines et
tubercules (Perrier De La Bâthie, 1924) (photo 8). Des
observations ont montré qu’il consomme les fruits d’A. grandidieri (Wickens, Lowe, 2008). Le rôle éventuel des potamochères dans la dispersion des graines de baobabs est
longtemps resté incertain (Perrier De La Bâthie, 1924 ; Du
Puy, 1996a ; Goodman et al., 2003). Cependant, des
graines d’Adansonia za ont été trouvées récemment dans les
fèces de potamochères récoltées au Sud-Ouest de la région
d’Ivohibe (Rakotobe, communication personnelle).
Conclusion
Photo 6.
La consommation alimentaire de fruits de baobabs
(ici vendus sur un marché villageois dans la région
de Morondava) par les populations locales pourrait
concourir à assurer leur dispersion.
Photo J. Tassin.
Il est frappant d’observer combien les éléments de littérature relatifs à la dispersion des baobabs malgaches restent spéculatifs dans leur grande majorité. Des expérimentations simples demeurent à conduire pour tester le rôle
possible des vertébrés indigènes ou exotiques dans la dispersion des graines de baobabs malgaches. Ces expérimentations sont à réaliser sur des animaux maintenus en captivité se rapprochant par leur morphologie d’espèces
disparues (autruches et tortues géantes), mais aussi sur des
vertébrés introduits (zébus, chèvres, potamochères). Des
essais en milieux contrôlés peuvent également être envisagés pour l’étude de la prédation des plantules de baobabs. Enfin, des observations de terrain validant l’intervention de disperseurs animaux restent à entreprendre.
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Photo 7.
Les zébus assurent-ils aujourd’hui une partie
de la dispersion des baobabs malgaches ?
Photo J. Tassin.
Clarifier les processus de dispersion
des baobabs et identifier les disperseurs
vertébrés en jeu constitue en effet un
préalable indispensable à tout plan de
conservation de ces arbres singuliers dont
l’intérêt biologique et patrimonial se
révèle exceptionnel.
Remerciements
Cette étude est réalisée dans le cadre du
projet « BaMaCo ». Les auteurs remercient
Ferran Jori et Miarantsoa Rakotobe pour
les informations qu’ils leur ont fournies.
Le manuscrit a bénéficié de commentaires très détaillés fournis par plusieurs
relecteurs anonymes.
Photo 8.
Le potamochère (Potamochoerus larvatus), introduit et
naturalisé à Madagascar, est l’un des disperseurs actuels
pressentis pour plusieurs espèces de baobabs.
Photo J. Tassin.
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