Ш Zsuzsa SlMONFFY
Contribution pour le modele poétique de l’oubli
1. Introduction
Louvrage classique de Weinrich1 montre la maniére dönt on peut rendre compte de la littérature mondiale en termes de mémoire et d’oubli en insistant sur
la légitimité de lexploration de la technique de l’oubli (ars oblivionis) qui a des
prolongements littéraires au mérne titre que la mnémotechnique mérne (ars
m em óriáé)12.
Nos réflexions vont s’inscrire dans cette perspective, mérne si seulement indirectement, parce que nous ne prétendons pás étudier l’oubli comme un théme
littéraire á travers les siécles. Ce qui nous intéresse c ’est plutőt de voir loubli apparaitre comme un concept qui aurait des répercussions sur une poétique particuliére. Notre objectif consiste á attribuer une piacé principale á la notion d’oubli
et á préciser són intérét au coeur mérne du projet sémantique3 de Mallarmé et
pás simplement en marge. Tout particuliérement, les questions auxquelles nous
nous proposons d’apporter des éléments de réponse á travers une étude nécessairement restreinte de certains textes de Mallarmé sont les suivantes : Y a-t-il une
signification de l’oubli qui ne saurait étre ramenée á une opposition binaire avec
la mémoire ? En dehors de cette relation dichotomique sous quelle(s) forme(s)
loubli pourrait-il alors apparaitre ?
Selon notre hypothése, l’usage du mot oubli chez Mallarmé reléve de són
projet théorique au sein duquel il est mis au service de l’expression poétique
déterminée pár la disposition non référentielle. Plus précisément, si l’oubli est
indispensable á la construction du sens, les procédures mémes de la mise en
oubli ne doivent pás étre destructives mais bien au contraire ressuscitantes et
intensifiantes.
Avant de confirmer cette hypothése, il conviendrait de dresser un tableau
composé d’acceptions possibles de loubli, qui sera ensuite confronté á ce qui
ressort de nos réflexions sur Mallarmé.
1 WEINRICH, Harald, Lethe. Kunst und Kritik des Vergessens, München, VerlagC. H. Beck, 1997,
trad. hongr.: Léthé, a felejtés művészete és kritikája, Budapest, Atlantisz Könyvkiadó, 2002.
2 Pour l’origine de ces deux types d’art voir Ibid.
3 Nous pensons tout particuliérement aux écrits de Mallarmé comme Crayonné au théátre
et Variations sur un sujet. Nous nous référons á notre thése intitulée Poétika, homályosság
fikció [Poétique, vague, fiction) qui traite de la sémantique de Mallarmé, et dönt une partié
a été publiée. Voir SlMONFFY, Zsuzsa, « Mallarmé a homályosságról és a fikcióról », Litteratura, 1993, n° 4, p. 29 8 -3 2 1 .
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2. Une opposition simple : mémoire vs oubli4
Une premiere approche consiste á prendre en considération une opposition
simple entre mémoire et oubli sur l’axe axiologique. Traditionnellement, si Ion
oppose la mémoire et loubli, c’est souvent pour valoriser l’une au détriment de
l’autre.
Si la mémoire est un outil précieux gráce á sa fonction d’enregistrement,
- quant а 1oubli, sa valeur négative, essentiellement fondée sur le mythe, rappelle la perte. Cette perte est due áux troubles de mémoire. II est aussi condamnable
en tant que prédateur du temps, qui ensevelit des souvenirs. Or, loubli en tant
que perte peut étre considéré, dans ses effets, comme bénéfique. En termes de
psychothérapie, loubli guérit ou sert de remede.
Ainsi, lorsque lopposition binaire est prise en considération, loubli peut
prendre une connotation euphorique á cőté de sa valeur négative, et inversement, la mémoire peut prendre une connotation dysphorique á cőté de sa valeur
originellement positive.
Or, loubli étant sous le régime de la mémoire, et pár conséquent, considéré
com m e privation de souvenir, peut étre abordé non seulement sur Гахе axiologi
que mais aussi suivant la logique discursive. Ainsi, cette logique faisant appel á la
fois á la mémoire et á loubli permet de les envisager plutőt dans une relation de
complémentarité que dans une relation d’exclusivité. Quant á lopposition binai
re de mémoire et oubli, dans le cadre des études concernant le récit, mérne s’il est
admis que la mémoire étant une caractéristique des personnes sert á organiser et
réorganiser le passé, - le trouble de mémoire devient ainsi une défaillance narrative - on attribue souvent á l’histoire5 un rőle correctif á l’égard de la mémoire.
Dans ce contexte, ce qui est á noter, c ’est que la mémoire est donnée á la
langue pár le récit6. Nous risquons l’hypothese selon laquelle loubli serait alors
donné á la langue pár la poésie, en tout cas dans la pensée mallarméenne. La lan
gue accompagnée de mémoire nous conduit au récit qui devient ainsi gardien du
temps, alors que la langue accompagnée d’oubli nous renvoie á la poésie. La distinction entre mémoire et oubli aurait ainsi une portée générique.
Or, nous pouvons aussi nous demander s’il ne s’agirait pás de deux catégories
incommensurables, l’une indiquant une présence et l’autre une non-présence
spatiale. Plus précisément le mot oubli recouvre l’acte d’oublier auquel on at-
4 Une autre approche digne de remarque est celle qui met en avant une opposition subtile de
l’oubli avec non pás la mémoire mais avec la vérité fondée sur són sens grec, aletheia. Nous
ne développerons pás cette opposition, faute de piacé.
5 Histoire non seulement un concept narratologique mais aussi un concept sociologique.
On découvre un rapport étroit avec les trois figures de loubli dans le paragraphe suivant.
6 Sur cette question, on líra les remarques de RICCEUR, Paul, « Entre mémoire et histoire »,
Projet, 248,1 9 9 6 , p. 7. (l’ensemble de l’article p. 7 -1 6 .)
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tribue un espace statique, et un état auquel on attache un espace dynamique ou
manipulable. Les modalitás suivant lesquelles la relation de lespace avec l’oubli
peut étre établie passent de la simple absence, disparition sans laisser la moindre trace, á la création d’un signe7 qui marque simultanément oubli et mémoire.
D’un cőté mémoire, représentation, écran, tous rendant possible le récit, et, d’un
autre cóté oubli, présentation, réflexivité, tous rendant possible la poésie.
3. Modélisation de l’oubli
Cette opposition qu’on vient de présenter permet de dégager deux modeles. Selon le modele cognitif l’oubli consiste dans l’effacement de traces, pár rapport á la
mémoire comme inscription de traces et au souvenir comme empreinte. Ainsi,
I oubli est vu comme conséquence de la mémoire altérée ou dégradée.
Dans le modele pragmatique on entend pár l’oubli non plus un effacement de
traces, mais plutőt l’effet d’une stratégie d’empéchement en opposition avec la
mémoire considérée comme reconnaissance et rappel.
Ce qui est á noter cependant, c est qu a l’intérieur du modele cognitif on ne
peut pás réellement parler de l’effacement radical des traces, alors qu a l'intérieur du modele pragmatique l’idée d’inoubliable reste aisément envisageable.
En résumé, l’oubli glisse de l’effacement définitif vers l’empéchement qui rend les
traces - pár ailleurs disponibles - inaccessibles. On verra que mérne si ces deux
modeles s’appliquent aux textes de Mallarmé, l’aspect mémoriel de l’oubli n’est
pás toujours flagrant.
4. Le suspens
Mais, concentrons-nous maintenant seulement sur l’oubli, détaché de la mémoi
re. Dans ses acceptions précédemment parcourues, on table sur une évidente dimension temporelle attribuée á l’oubli. Vu sous cet aspect, on peut en distinguer
trois « figures » : (i) le retour, (ii) le suspens et (iii) le recommencement8.
(i)
Commenqons pár le retour. Ce qui le caractérise c ’est la recherche du passé
perdu. Cette recherche nécessite cependant de sortir complétement du présent.
II en résulte le rétablissement d’une continuité non pás avec le présent mais avec
le passé lointain. Dans cette phase, le présent dóit étre relégué pár l’immémorial
de ce qui plonge au plus lóin de la tradition.
7 Steinmetz en précisant ce que le nőm apporté á Mallarmé, conclut c e c i: « Nommer Hérodiade non pour ce qu’elle est, mais pour l’efFet qu’elle produit, la chair de la fémmé. Voir la
chair de la fémmé (l’entendre), puis l’oublier, puis у repenser lorsque, devenue signe, elle nest
plus la ». STEINMETZ, Jean-Luc, L a poésie etses raisons, Paris, Jósé Corti, 1990, p. 78.
8 AUGÉ, Marc, Lesform es de l’oubli, Paris, Payot, 1998.
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(ii) En ce qui concerne le suspens, il apporté le relévement du présent. De plus,
polárisé sur l’actuel, l’instant devient ainsi coupé non seulement du passé mais
aussi du futur. Gráce au suspens, l’instant sera susceptible d’atteindre un degré
d’esthétisation incomparable, ce qui met toute autre dimension temporelle entre
parenthéses.
(iii) Pour finir, la troisiéme figure - le recom m encem ent - a pour bút de créer
les conditions d’une naissance et d’assurer ainsi l’ouverture á tous les avenirs possibles. Dans ce cas de figure, la réduction totálé des dimensions du passé et du
présent produit le temps du départ.
Cette division se préte aussi á Mallarmé dans la mesure ou on peut retrouver
directement le suspens et indirectement le recommencement. Delégue consacre
un ouvrage entier9 á développer le suspens chez Mallarmé, rapport de premier
ordre á la création poétique, appuyé fondamentalement sur Igitur. Ce que nous
prétendons en retenir ici c est l'idée du temps suspendu qui permet de discréditer d’un cőté la rhétorique oeuvrant sous la domination du Logos et d’un autre
cőté l’inspiration rom antique; de signaler l’inutile mise en discours du passé ;
d’affirmer le pouvoir du poéte dans la création poétique. « La Pénultiéme est
m orte », ce fameux fragment rythmé met en oeuvre un jeu de langage : le són
nul, déclenchant une série d’associations de mots comme ínutile, luthier, l’a ile,
plum e, penne, etc., montre la maniére dönt le langage et le sens sont libérés de
« lesprit naguére Seigneur » et dönt le poéte cherche á mettre fin á la représentation. Cet esprit découvrant le néant dóit entrer dans l’interrégne. Le suspens fondé sur l’exil semble exclure toute autre acception que spatio-temporelle. Or, nous
ne pouvons pás nous contenter des usages qui relévent du temporel. En effet,
Robillard10 en a découvert un usage qui mérite attention. Quand l’auteur écrit
que « Le texte s’élabore non seulement á partir de l’influence de divers textes, lus
ou écrits, mais á partir surtout de leur oubli, alors qu on ne peut plus maitriser la
somme des précédents ni présumer de leurs effets. », elle met l’accent sur l’oubli
qui reléve de l’intertextualité. Nous pouvons ajouter une autre instance, celle
de la réflexivité qui perm et de rompre avec toute acception temporelle. Si pour
Mallarmé l’oubli est précieux, són caractére révélateur - plus que le caractére
souhaitable des trous de mémoire - lui confére du prestige. C ’est alors qu’il de
vient, dans ses effets, équivalent á ce qui est déplacé, désignant aussi le fait mérne
d eviter tout ce qui n’est pás pertinent. Dans ce qui suit, nous ne basons pás notre
reflexión sur la fréquence des occurrences du mot oubli, parce que d’un cőté si la
9 DELÉGUE, Yves, M allarm é, le suspens, Strasbourg, Presses Universitaires de Strasbourg,
1997.
10 ROBILLARD, Monic, « Le fantomé lecteur chez Stéphane Mallarmé », in La mórt du genre,
sous la dir. de J.-Y. Colette, Montréal, NBJ, 1987, p. 48. (l’ensemble de l’article p. 37-50.)
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fréquence peut étre significative, la rareté11 peut letre également, et, d’un autre
cőté, rien ne garantit l’identité de sens entre deux occurrences.
5. L’oubli dans les sonnets
Dragonetti1112 a déjá accordé une attention particuliére á ce que l’oubli chez Mallarmé est la condition premiere de toute poésie. Dans l’avant-dire au Traité du
Vérbe de René Ghil, en effet, nous pouvons lire chez Mallarmé : « Je dis : une
fleur ! et, hors de l’oubli oii ma voix relégue aucun contour, en tant que quelque
chose d’autre que les calices sus, musicalement se leve, idée mérne et suave, l’absente de tous bouquets13. »
Mallarmé parié de la fleur de natúré linguistique qui est radicalement différente des fleurs réelles. Cette différence radicale consiste en ce que celles-ci
font appel aux contours nets signalant une présence, alors que celle-lá en étant
privée, reléve de l’absence. Gráce á són statut du chiffre de l’absence, le mot fleu r
contribue á fairé construire du sens. C ’est l’oubli qui donne lieu á cette absence á
l’origine de la poésie.
On peut illustrer la poétique de l’oubli avec trois sonnets : (i) Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui (le sonnet du Cygne), (ii) Sur les bois oubliés (le sonnet
du tombeau) et (iii) Ses purs ongles (le sonnet en yx)14.
(i)
Premiérement, ce qui est en jeu c ’est le fragment « ce lac dur oublié ».
Le lac et le cygne sont des archétypes de la poésie et du poéte15. Le paysage est
cependant hivernal et le lac est glacé. Le syntagme « ce lac dur oublié » rappelle
la dimension temporelle : le temps de jadis, le temps des vols du cygne est lumineux pár rapport au présent froid et glacé. Ce jour de gél ainsi que les souvenirs
et le cygne sont bloqués pár la glace. Nous pouvons ajouter que si le temps de
jadis comporte l’idée deloignement, c’est parce que l’absence tourne á la pré
sence ; si loubli comporte l’idée de suspens, c’est parce que la présence tourne á
l’absence. C ’est l’oubli qui permet aux mots dans leurs différents agencements et
leurs différentes interrelations de donner sens.
11II suffit de penser au sonnet en yx.
12 DRAGONETTI, Roger, « Le sens de 'loubli’ dans l’oeuvre de Mallarmé », Romanica Gandensia, 9,1961, p. 117-148.
13 MALLARMÉ, Stéphane, CEuvres complétes, Paris, Gallimard, coll. «Bibliothéque de lá~Pléiade», 1945, p. 857.
14 Voir une analyse détaillée sur l’ensemble du sonnet: LOWE, Catherine, « Le mirage de ptyx »,
Poétique, 1987, p. 4 7 -6 4 .
15 WEINRICH, Op. át., p. 205.
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(ii) Deuxiemement, « Sur les bois oubliés... » met aussi en oeuvre l’aspect mémoriel de l’oubli, les saisons, automne et hiver, apparaissant dans leur absence16.
Si mémoire et oubli semblent intervenir conjointement c ’est parce que la fonction
mnémonique offre une descendance amnésique á ce dönt les bois témoignent.
Mais com m e la personnification de ce témoignage échoue, la parole poétique,
reculant á l’infini les limites de 1oubli, devient la preuve de 1oubli mérne.
(iii) Troisiemement, le syntagme « l’oubli fermé dans le cadre » permet de découvrir un aspect de l’oubli qui n’a pás de rapport direct avec l’aspect mémoriel.
C ’est dú certainement au substantif oubli, pár rapport aux sonnets précédents
dans lesquels le mot figure sous la forme du participe passé. Dans le domaine
de la linguistique, nous renvoyons á une caractérisation originale du mot oubli
en rapport avec le verbe oublier. Milner constate á propos du verbe oublier que
« La langue dit quelque chose de célúi qui oublie et de ce qui est oublié, notamment que célúi qui oublie est un individu conscient et ce qui est oublié est ou
bien un contenu de savoir ou bien une action.17 », alors que le susbstantif oubli,
détaché de l’individu, tient á l’événement.
Com m ent appréhender cet oubli encadré ? Le cadre d’un tableau implique un
isolement du réel vis-á-vis de l’image. Or, ici loubli substitue á 1'image. Le cadre
s’inscrit dans une topographie d’un lieu ou la natúré des choses disparait. Le ta
bleau coupe tout lien avec le réel d’oii il sort, le cadre lui assurant le détachement. Suite á ce détachement, 1oubli, plus que l’effacement de l’image, devient le
commentaire de l’image ou réflexion théorique. Dans ce cas de figure, loubli ne
s’opposerait pás au souvenir, ni á la mémoire, et ne saurait étre un simple effacement des faits non plus.
6. De l’oubli á la construction du sens
Quelle est l’im portance de l’oubli privé de sa qualité temporelle dans l’ensemble de l’oeuvre de Mallarmé ? Ranciére18 développant són analyse, insiste sur le
mode spécifique du sens qui consiste en ce qu’il ne se préjuge ni ne se déduit.
II se construit et se fait reconnaitre a posteriori. Nous tendons á privilégier cette
conception qui est en harmonie avec l’interprétation selon laquelle loubli habite
ce moment a posteriori et le rien est la chose elle-méme. Le sens n’est pás donné,
il est construit. Mallarmé écrit dans sa lettre á Francois Coppée :
16 CHAMBERS, Ross, « Parole et poésie: ‘Sur les bois oubliés...’ de Mallarmé », Poétique,
1979, n° 37, p. 57. (l’ensemble del’article p. 5 6 -6 2 .)
17 MILNER, Jean-Claude, « Le matériel de loubli », in Usages de l’oubli, Paris, Seuil, 1988, p.
63. (l’ensemble de Partidé p. 64-65.)
18 RANCIÉRE, Jacques, M allarmé, La politique de la sirene, Paris, Hachette, 1996, p. 7.
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Contribution pour le modele poétique de l’oubli
Ce á quoi nous devons viser surtout est que dans le poéme les mots - qui déjá sont
assez eux pour ne plus recevoir d’impressions du dehors - se refletent les uns sur les
autres jusqu a paraitre ne plus avoir leur couleur propre mais netre que les transpositions d’une gamme.
Pour Mallarmé, écrire ne signifie pás saisir la réalité des choses et la natúré
du monde extérieur á la langue, l’objet de la poésie n’étant pás ce qui est, mais ce
que nous en faisons avec des mots. La rencontre avec la réalité a lieu au moment
oü nous découvrons des contraintes qui limitent la portée des actes. L’oubli empéche précisément ces contraintes de s’activer, séparant deux mondes de natúré
différente : le réel et le fictif.
Nous envisageons donc les fondements de la poétique de Mallarmé comme
se laissant décrire pár rapport á la fagon dönt les sens se déploient dans leur
émergence gráce á loubli des référents. Cette émergence n’est pás sans rapport
avec les árts performatifs parmí lesquels la danse en premier lieu. Nous avons
développé ailleurs l’idée de la construction du sens, fondée sur les rapports entre
fiction et danse:
Une performance pár définition est faite pour se partager au mom ent oíi elle a lieu,
et non pás pour étre pergue ou regue apres coup. Une fagon originale de concevoir
l’acte mérne de danser éclaire la natúré de la langue également tout en nuisant á cet
aprés-coup. Que la langue serve á transmettre des significations préétablies ne demeure qu’une illusion19. [...] La danse, scorie événementielle, devient procédure pár
excellence du devenir, moyen pour remplir la distance entre le langage et la pensée.
La valeur de passage que posséde la danse tient dans ce que sa tension fait entrevoir
l’essence des choses com m e suspension entre deux modalitás du com m e, la comparaison et la comparution20.
En résumé, si Mallarmé fait usage du vers « La pénultieme est morte », le
caractére (auto)réflexif de ce curieux vers témoigne plus de florileges ou de jeux
métaphoriques rimés que du geste référentiel nourri pár l’usage des mots dans
la poésie.
Au lieu de cette dichotomie qui situerait loubli á lopposé de la mémoire, réduite á une opposition originaire entre absence et présence, á travers l’oubli M al
larmé fait triompher le siege de la fiction de téllé sorté que les mots deviennent
stratégies de l’oubli en littérature.
19 S1MONFFY, Zsuzsa, « L’espace de la danse ou la fiction de l’espace. Quelques remarques programmatiques sur Mallarmé », in Écrire la danse, sous la dir. de A. Montandon,
Clermont-Ferrand, Presses de l’Université Blaise Pascal, 1999, p. 202. (l’ensemble de l’article p.
195-216.)
20 Ibid., p. 207.
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7. Du blanc á l’oubli
Avant de conclure, il conviendrait de rappeler que la page blanche ne signifie pás
seulement la page qui est vide et attend detre jonchée, mais aussi la fiction. Si le
blanc peut étre considéré comme la couleur de la fiction, c est dú á la maniére
dönt fonctionnent les expressions dans le langage ordinaire comme « mariage
blanc », « bac blanc », « vers blancs », « tirer á blanc », « voter blanc » qui suggérent toutes la fiction et parfois mérne le simulacre et la supercherie en fonction
de la connotation euphorique ou dysphorique. Mais ce blanc n’est pás sans conséquences dans le contexte mallarméen :
Le blanc ouvre, le noir referm e; cette opposition spatiale donne le rythme. La position d’une lettre sur la page a pour effet de donner un rythme de lecture, comme, de
maniére analogique, un édifice impose un rythme au regard du spectateur au moyen
de la disposition spatiale de sesparties. Lecriture dóit donc fairé l’objet d’une réflexion
de natúré géométrique, de calculs mathématiques, propres á engendrer, en sói, du
sens ; c ’est pourquoi Mallarmé pense que la disposition typographique engendre ce
qu’il nőm m é les ‘subdivisions prismatiques de l’Idée’21.
Cette alternance du blanc avec le noir sur la page montre aussi que la fiction
ne vient pás seulement de la disposition spatiale, mais elle est surtout une méthode. Parmi les formes littéraires, la poésie valorise au mieux la Fiction.
8. Conclusion
Si nous avons donné une piacé inaugurale á l’oubli, c ’est pour introduire á la
description de ce qui vise á restituer d’une maniére systématique les réflexions
de Mallarmé. Pour cette restitution, nous avons essayé de montrer qu’il existe en
dehors un couple antagoniste, une autre version selon laquelle la puissance et la
capacité bienfaisante de l’oubli viennent du fait qu’il est détaché du fondement
de la mémoire. Ainsi, l’oubli, dans notre raisonnement, n’apparaít comme objet
d’étude légitime qu a la suite d’une sorté de détour préalable : le détour pár le suspens qui consiste en une hypostase de l’instant présent. Du coup, les dimensions
du passé et du futur sont « oubliées ». En fonction de l’esthétisation du maintenant, á cette rupture correspond l’expérience esthétique de l’état pur. La fiction
étant une parabole sur les pouvoirs du langage, exclut la rencontre du mot et de
la chose, du m ot et du su jet:
La découverte des liens analogiques et le croisement d'un souci épistémologique et
d’une interrogation de type non-dichotomique s’accompagnent d’un déploiement
des notions de symbole, de signe et de fiction. Et ce déploiement n’est pás fixé dans
21 G AULIN, M organ,« La cosmopoétique de Mallarmé », Dogma - Revue électronique - 2004,
[http://dogma.free.fr/fr- index.php].
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Contribution pour le modéle poétique de l’oubli
le texte, il fait sans cesse retour á sói pour ouvrir l’espace sans cesse renaissant de
l’événement22.
La constellation, notion chere á Mallarmé, netant pás seulement lespace oíi
la distance entre sujet et objet serait mise en question, mais aussi le siege de la
signification procedúráié, - signifiance - renvoie plutőt á la fusion des instances
temporelles. Le recours á loubli constitue ainsi un moyen économique sous forme de serie deléments indépendants, et conduit á fairé adopter toute exclusion
référentielle.
Accés oublié aux référents, l’apparition des étoiles de la constellation se confond avec l’accomplissement du coup de dés. La ligne decriture, á la maniere du
dessin des constellations et du lancement des coups de dés, obiige á construire
du sens.
22 SIMONFFY, Op. cit, 1999, p. 214.